Présentation Laurent Carrière

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Présentation Laurent Carrière
CONDITIONS DE PUBLICATION
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doit en faire parvenir la version définitive, sur support papier ou électronique,
avec ses coordonnées, au rédacteur en chef, au moins 60 jours avant la date de
parution, à l’adresse suivante:
Cahiers de propriété intellectuelle
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430, rue Saint-Pierre
Montréal (Québec)
H2Y 2M5
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L’article doit porter sur un sujet intéressant les droits de propriété intellectuelle ou une question de droit s’appliquant à de tels droits. Les articles de doctrine
ne doivent pas dépasser 50 pages dactylographiées, sans les notes; les textes relatifs à des commentaires d’arrêts, à de l’information et à de la législation ne doivent
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Les textes doivent être en langue française, dactylographiés à double interligne sur format 21 cm x 28 cm (81 2" x 11"). Le texte sur le support électronique ne
doit pas être justifié à droite et il doit être aligné à gauche; aucun code ne doit être
employé et l’auteur doit indiquer le type d’appareil et le programme utilisés. Les
notes doivent être consécutives et reportées à la fin du texte.
Les articles de doctrine doivent être accompagnés d’un résumé en langue
française, libre à l’auteur de joindre une version anglaise. Les titres de volumes et
de revues, les décisions des tribunaux, ainsi que les mots et expressions en langue
autre que le français doivent être soulignés ou en italiques; les articles de revues
doivent être cités entre guillemets. Enfin, il est inutile d’apposer les guillemets
pour les citations en retrait du texte.
L’auteur conserve son droit d’auteur mais une licence de première publication en langue française, pour l’Amérique du Nord, doit être accordée par lui à la
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Les Cahiers de propriété intellectuelle, propriété de la corporation Les
Cahiers de propriété intellectuelle inc., sont édités par cette dernière. Ils sont
publiés et distribués par Les Éditions Yvon Blais inc.
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ISSN: 0840-7266
Publié trois fois l’an au coût de 110 $. Pour tout renseignement, veuillez communiquer avec les Éditions Yvon Blais, 430, rue Saint-Pierre, Montréal
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PRÉSENTATION
Du nouveau au conseil d’administration1 de Les cahiers de
propriété intellectuelle: Annie Robitaille2 se joint à l’équipe.
Fidèle à sa tradition, ce numéro des Cahiers présente un contenu diversifié, abordant ainsi toutes les sphères, ou peu s’en faut, de
la propriété intellectuelle.
Le droit d’auteur est présent en force. Marc Baribeau3 nous présente les normes de gestion en matière de droits d’auteur au gouvernement du Québec. Le processus de création des œuvres produites
par ordinateur est abordé par le professeur Denis Magnusson4.
Quant à lui, Luc-André Vincent,5 dans un article fouillé, nous livre
ses fort pertinentes – et parfois incisives – observations sur la copie
privée dans le cadre des obligations internationales du Canada.
Le droit des marques n’est pas laissé pour compte, à preuve la
revue de la jurisprudence des cours d’appel du Canada en matière
de marques de commerce que présente Laurent Carrière6 pour la
période 1997-2000, préparant en cela le lecteur pour le numéro thématique d’octobre 2001 qui portera sur le droit des marques.
1. Et, par le fait même, au comité de rédaction.
2. Avocate, du contentieux de propriété intellectuelle de Bombardier Inc.
3. Avocate, du ministère de la Justice du Québec, au sein de la Direction des affaires juridiques qui dessert le ministère de la Culture et des Communications et
celui de l’Éducation.
4. Professeur à la Faculté de droit de l’Université Queen’s (Kingston).
5. Avocat du Barreau du Québec et analyste des politiques à la Direction générale
de la politique du droit d’auteur du ministère du Patrimoine canadien.
6. Avocat et agent de marques de commerce, Laurent Carrière est l’un des associés
principaux du cabinet d’avocats LEGER ROBIC RICHARD, s.e.n.c. et du cabinet
d’agents de brevets et de marques ROBIC, s.e.n.c. Il est aussi rédacteur en chef
de cette revue et ça lui fait une drôle d’impression de se présenter lui-même – et à
la troisième personne – même dans le cadre d’une note de bas de page, procédé
dont il est pourtant friand.
Quant au droit des brevets, il est représenté par Martin
Letendre7 avec son analyse de la brevetabilité et de la génétique
humaine dans une perspective européenne.
Enfin, dans un article des plus intéressants8, Christophe
Cottet-Bretonnier9 nous livre une étude comparée France-Québec
du contrôle de l’exploitation commerciale de l’image du sportif en
tant que personnalité publique.
La réception réservée aux capsules par le lectorat fait en sorte
que la formule est adoptée10. Signe des temps, Jean Faullem11
analyse le cyberpiquetage12 à la lumière du jugement rendu en
Colombie-Britannique dans la très récente13 affaire BCAA. En
matière de marques de commerce, Marc Gagnon14 critique15 sans
faiblesse l’arrêt rendu par la Section d’appel de la Cour fédérale du
Canada dans l’affaire Unitel. Beaucoup d’activités au Canada en
7.
8.
9.
10.
11.
12.
13.
14.
15.
Assistant de recherche pour le Projet Génétique et Société au Centre de recherche en droit public de l’Université de Montréal; étudiant à la maîtrise en droit
et bioéthique à l’Université McGill.
Et aux références sportives des plus rafraîchissantes!
Avocat au barreau de Lyon.
Et le comité de rédaction rappelle son ouverture aux tapuscrits de ceux et celles
qui voudraient commenter l’actualité dans l’un ou l’autre domaine de la propriété intellectuelle. On peut simplement communiquer avec la rédaction ou
avec l’un des membres coordonnateurs du comité de rédaction: Brevets (Raymond Trudeau), Droits d’auteur (Stefan Martin), Marques de commerce (Laurent Carrière), Nouvelles technologies et commerce électronique (Mistrale
Goudreau), Actualités internationales (Danielle Bouvet). Les CPI ne sont pas
la chasse gardée d’une coterie mais un média d’expression française pour ceux
et celles qui ont quelque chose à exprimer dans le domaine de la propriété intellectuelle et des nouvelles technologies. Les contributions non sollicitées sont
toujours les bienvenues.
Avocat, chargé de cours à l’Université d’Ottawa.
Intéressant néologisme.
Ce qui est récent et très récent est toujours une question de point de vue: lorsqu’un article est reçu par la rédaction, il arrive que «l’encre du jugement ne soit
pas encore sèche» alors qu’elle le sera sûrement lorsque l’article qui en traite
sera publié. Ce qui demeure cependant pour la Rédaction, ce sont les heures de
tombée de l’éditeur.
Avocat, du cabinet Smart & Biggar.
Votre rédacteur en chef a, un moment, caressé l’idée de donner la réplique à cet
article, ses vues sur le sujet étant contraires. La polémique a été évitée par un
Énoncé de pratique du 7 mars 2001 du Bureau des marques de commerce – soit
subséquemment à la date de remise du tapuscrit de l’auteur – voulant que
l’arrêt Unitel serait tout simplement ignoré par le Bureau des marques. C’est
l’éditeur qui doit être heureux car une telle réplique nous aurait sans doute fait
déborder du nombre maximal de pages allouées par numéro! À charge de
revanche!
matière de brevets d’invention16. Louis-Pierre Gravelle17 et Zhen
Wong18 nous présentent l’arrêt19 de la Section d’appel de la Cour
fédérale du Canada sur la brevetabilité de l’oncosouris de Harvard.
Période faste pour le droit canadien des brevets: la Cour suprême du
Canada a rendu, en décembre dernier, ses arrêts tant attendus dans
les affaires Whirlpool et Free World Trust, deux arrêts que commente Nathalie Jodoin20.
Sur le front des comptes rendus21, Geneviève Bordeleau22 présente l’ouvrage Cyberdroit: le droit à l’épreuve de l’internet de Christiane Féral-Schul, Marcel Naud23 celui de Georges Châtillon intitulé
Droit européen comparé d’Internet et Patrick Sartore24 celui de Thomas P. Arden intitulé Protection of Non-Traditional Marks.
Enfin, inlassable, Ghislain Roussel25 poursuit sa chronique sur
les dernières parutions.
Bonne lecture!
Laurent Carrière
Rédacteur en chef
16. Dans le contexte d’une revue de propriété intellectuelle, la précision «d’invention» peut sembler superflue mais, dans d’autres sphères d’activités, le
terme «brevet», faut-il le rappeler, réfère également à un acte notarié, un acte
royal conférant un titre ou bénéfice, un diplôme, un certificat d’apprentissage
ou une garantie. Merci au Petit Robert.
17. Avocat, ingénieur et agent de brevets, du cabinet d’avocats LEGER ROBIC
RICHARD, s.e.n.c. et du cabinet d’agents de brevets et de marques de commerce ROBIC, s.e.n.c.
18. Biochimiste, du cabinet d’avocats LEGER ROBIC RICHARD, s.e.n.c. et du
cabinet d’agents de brevets et de marques de commerce ROBIC, s.e.n.c.
19. Porté en appel devant la Cour suprême du Canada.
20. Avocate, ingénieure et agent de brevets, du cabinet d’avocats LEGER ROBIC
RICHARD, s.e.n.c. et du cabinet d’agents de brevets et de marques de commerce ROBIC, s.e.n.c.
21. Dans ce cas précis, on constatera que le cumul des fonctions de rédacteur en
chef et de maître de stage peut parfois occasionner un surcroît d’activités aux
stagiaires...
22. Stagiaire de l’École de formation professionnelle du Barreau du Québec auprès
du cabinet d’avocats LÉGER ROBIC RICHARD, s.e.n.c. et du cabinet d’agents
de brevets et de marques de commerce ROBIC, s.e.n.c.
23. Stagiaire de l’École de formation professionnelle du Barreau du Québec auprès
du cabinet d’avocats LÉGER ROBIC RICHARD, s.e.n.c. et du cabinet d’agents
de brevets et de marques de commerce ROBIC, s.e.n.c.
24. Stagiaire de l’École de formation professionnelle du Barreau du Québec auprès
du cabinet d’avocats LÉGER ROBIC RICHARD, s.e.n.c. et du cabinet d’agents
de brevets et de marques de commerce ROBIC, s.e.n.c.
25. Avocat, secrétaire de la Grande Bibliothèque du Québec.
LES CAHIERS DE PROPRIÉTÉ
INTELLECTUELLE INC.
CONSEIL D’ADMINISTRATION
Lise BERTRAND
Stikeman Elliott, Montréal
Danielle BOUVET, avocate
Ministère de la Justice
du Canada
Honorable Denis LÉVESQUE
Cour supérieure du Québec,
Montréal
Ejan MACKAAY
Faculté de droit, Université de
Montréal
Claude BRUNET
Ogilvy Renault, Montréal
Stefan MARTIN, secrétaire
Fraser Milner Casgrain, Montréal
Laurent CARRIÈRE
Léger Robic Richard, Montréal
Victor NABHAN
Droit d’auteur
OMPI, Genève
Vivianne DE KINDER, trésorière
Montréal
Marcel DUBÉ
Faculté de droit
Université de Sherbrooke
Annie ROBITAILLE
Bombardier Inc., Montréal
Ian ROSE
Lavery De Billy,
Montréal
Mistrale GOUDREAU,
vice-présidente
Faculté de droit, droit civil,
Ottawa
Ghislain ROUSSEL, président
La Grande bibliothèque
du Québec,
Montréal
Lucie GUIBAULT
Instituut voor Informatierecht,
Amsterdam
Raymond TRUDEAU
Smart & Biggar
Montréal
Rédacteur en chef
Laurent CARRIÈRE
Rédacteur en chef adjoint
Stefan MARTIN
Comité de rédaction
Lise BERTRAND, avocate
Stikeman Elliott, Montréal
Danielle BOUVET, avocate
Ministère de la Justice
du Canada
Claude BRUNET, avocat
Ogilvy Renault, Montréal
Laurent CARRIÈRE, avocat
Léger Robic Richard, Montréal
Vivianne DE KINDER, avocate
Montréal
Marcel DUBÉ
Faculté de droit
Université de Serbrooke
Johanne FORGET, avocate
Les Éditions Yvon Blais inc.,
Montréal
Mistrale GOUDREAU, professeur
vice-présidente du comité
Faculté de droit,
section de droit civil,
Université d’Ottawa, Ottawa
Lucie GUIBAULT
Instituut voor Informatierecht
Amsterdam
Honorable Denis LÉVESQUE, juge
Cour supérieure du Québec,
Montréal
Ejan MACKAAY, professeur
Faculté de droit,
Université de Montréal
Stefan MARTIN, avocat
secrétaire du comité
Byers Casgrain, Montréal
Annie ROBITAILLE
Bombardier Inc., Montréal
Ian ROSE
Lavery De Billy,
Montréal
Ghislain ROUSSEL, avocat
président du comité
La Grande bibliothèque du Québec,
Montréal
Raymond TRUDEAU
Smart & Biggar
Montréal
Comité exécutif de rédaction
Laurent CARRIÈRE
Mistrale GOUDREAU
Stefan MARTIN
Ghislain ROUSSEL
Comité éditorial international
François DESSEMONTET
Professeur de droit
Universités de Lausanne et
de Fribourg
Directeur du Centre de droit
de l’entreprise (CEDIDAC)
Lausanne, Suisse
Paul E. GELLER
Avocat et professeur adjoint
University of Southern California
Law Center
Los Angeles, USA
Jane C. GINSBURG
Professeur de droit
Columbia University
School of Law
New York, USA
Teresa GRZESZAK
Université de Varsovie, Pologne
André LUCAS
Professeur de droit
Université de Nantes, France
Nebila MEZGHANI
Professeur de droit
Université de Tunis, Tunisie
Victor NABHAN
Droit d’auteur
OMPI, Genève
Antoon A. QUAEDVLIEG
Doyen, Faculté de droit
Université catholique de Nimègue
Nijmegem, Pays-Bas
Paolo SPADA
Professeur de droit
Institut de droit privé
Université Degli Studi di Roma
«La Sapienza»
Rome, Italie
J.A.L. STERLING
Avocat et professeur de droit
Center for Commercial Law Studies
Queen Mary & Westfield College
Université de Londres
Londres, Grande-Bretagne
Alain STROWEL
Avocat et professeur de droit
Facultés universitaires Saint-Louis
Bruxelles, Belgique
Kamen TROLLER, Avocat
De Pfyffer Argand Troller et associés
Genève, Suisse
Silke von LEWINSKI
Institut Max-Planck pour le droit
étranger et international des
brevets, du droit d’auteur et
du droit de la concurrence
Münich, Allemagne
TABLE DES MATIÈRES
Normes de gestion en matière de droits d’auteurs au
gouvernement du Québec
Marc Baribeau. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 521
Revue de la jurisprudence des cours d’appel du Canada
en matière de marques de commerce 1997-2000
Laurent Carrière. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 539
Le contrôle de l’exploitation commerciale de l’image du sportif en
tant que personnalité publique. Étude comparée France/Québec
Christophe Cottet-Bretonnier . . . . . . . . . . . . . . . . 619
Brevetabilité et génétique humaine: perspective internationale
du dialogue entre l’Europe et la France à l’égard de la
directive 98/44/CE
Martin Letendre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 655
La protection du droit d’auteur pour les œuvres produites par
ordinateur: y a-t-il du neuf depuis qu’Arthur Miller nous a dit qu’il
n’y avait rien de nouveau depuis le rapport final de la CONTU?
Denis N. Magnusson . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 695
Une copie privée pour le nouveau millénaire? – Commentaire sur
les obligations internationales pertinentes et sur la Partie VIII
de la Loi canadienne sur le droit d’auteur
Luc André Vincent. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 711
519
520
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Le cyber-piquetage et la propriété intellectuelle
Jean Faullem . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 793
L’alinéa 37(1)c) de la Loi sur les marques de commerce et
l’arrêt Unitel
Marc Gagnon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 803
La souris est brevetable
Louis-Pierre Gravelle et Zhen Wong . . . . . . . . . . . . 815
La Cour suprême se penche sur l’interprétation et l’analyse
en contrefaçon des brevets
Nathalie Jodoin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 821
COMPTES RENDUS
Cyberdroit
Geneviève Bordeleau. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 835
Droit européen comparé d’Internet
Marcel Naud . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 839
Protection of Non-Traditional Marks
Patrick Sartore . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 841
LIVRES PARUS
Ghislain Roussel. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 843
Vol. 13, no 3
Normes de gestion en matière
de droits d’auteurs au
gouvernement du Québec
Marc Baribeau*
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 523
1. Historique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 523
2. Premier projet de normes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 524
3. Texte définitif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 525
4. Contenu des normes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 526
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 537
© Gouvernement du Québec, 2001.
* Avocat au ministère de la Justice du Québec, plus particulièrement à la Direction des affaires juridiques qui dessert le ministère de la Culture et des Communications et celui de l’Éducation. Les opinions exprimées par l’auteur ne sont pas
nécessairement celles du gouvernement du Québec.
521
Introduction
Le 17 juillet 2000, le gouvernement du Québec se dotait d’une
nouvelle norme administrative en vertu d’un arrêté ministériel
(A.M. 2000, Gazette officielle du Québec, du 25 octobre 2000, Partie 2,
no 43, p. 6753 et suivantes), adopté par la ministre de la Culture et
des Communications et son collègue des Relations avec les citoyens
et de l’Immigration, concernant la gestion du droit d’auteur au sein
du gouvernement et des organismes publics désignés.
Ces normes, portant le titre de «Normes en matière d’acquisition, d’utilisation et de gestion de droits d’auteurs des documents
détenus par le gouvernement, les ministères et les organismes publics désignés par le gouvernement», deviennent donc l’encadrement
applicable pour la gestion du droit d’auteur de la Couronne (québécoise) et des relations du gouvernement du Québec avec les tiers à cet
égard.
Dans le texte qui suit, je vous propose un bref rappel du
contexte historique et législatif prévalant à ce sujet, lequel sera complété par une analyse du contenu de ces normes.
1. Historique
Il faut remonter au 20 avril 1988 pour retracer la petite histoire
relative à notre propos. À cette date, le Conseil des ministres adoptait une «Politique de gestion et d’acquisition de droits d’auteurs»
(décision no 88-68) qui prévoyait différents points importants dans la
façon dont le gouvernement du Québec entendait gérer le droit
d’auteur sur ses contenus, gouvernementaux ou de l’État, et avoir
une approche respectueuse du droit d’auteur des tiers avec qui il contracte ou lors de l’utilisation de leurs œuvres.
Il était alors décidé que le gouvernement devait se doter de normes chapeautant les activités d’acquisition, d’utilisation et de gestion de ces droits d’auteurs, selon certaines orientations précisées à
cette occasion.
523
524
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Pour ce faire, des amendements législatifs furent peu de temps
après introduits aux lois existantes, savoir la Loi sur le ministère des
Affaires culturelles et la Loi sur le ministère des Communications.
Ces amendements portaient sur les dispositions habilitantes qui permettraient à ces ministres d’adopter les normes précitées. Ces dispositions législatives se retrouvent aujourd’hui, d’une part, dans la
Loi sur le ministère de la Culture et des Communications (L.R.Q.,
c. M-17.1), à l’article 14, par. 10o, qui se lit comme suit:
(Aux fins de l’exercice de ses fonctions, le ministre peut notamment:)
10o élaborer, conjointement avec le ministre responsable de
l’application de la Loi sur les services gouvernementaux aux
ministères et organismes publics (chapitre S-6.1), des normes
en matière d’acquisition, d’utilisation et de gestion de droits
d’auteurs des documents détenus par le gouvernement, les
ministères et les organismes publics désignés par le gouvernement.
D’autre part, la Loi sur les services gouvernementaux aux
ministères et organismes publics (L.R.Q., c. S-6.1) prévoit à son
article 2, par. 6o, une disposition complémentaire:
(Les fonctions et pouvoirs du ministre consistent notamment
à:)
6o gérer les droits d’auteurs des documents détenus par le gouvernement, les ministères et les organismes publics désignés
par le gouvernement et veiller à l’application des normes élaborées conjointement avec le ministre de la Culture et des
Communications, en matière d’acquisition, d’utilisation et de
gestion de ces droits;
2. Premier projet de normes
Peu après l’adoption des modifications législatives en 1988, un
groupe de travail, comprenant des représentants des deux ministères visés, fut créé et prépara un premier projet de normes de gestion
en ces matières.
À l’automne 1990, ce projet fut soumis à une vaste consultation
auprès des ministères et des organismes publics; diverses séances
permirent de peaufiner le texte des normes et, peu de temps après, il
était présenté aux autorités des ministères concernés.
Normes de gestion en matière de droits d’auteurs
525
Malheureusement, il s’avéra que différents problèmes techniques ne permirent pas l’adoption de ce premier projet. En effet,
presque simultanément avec la présentation de ces normes aux
autorités ministérielles, le gouvernement du Québec entreprit certaines modifications majeures au sein de l’administration publique.
Ainsi, le ministère des Communications était aboli et ses fonctions réparties entre différents ministères, dont un nouveau, nommé
ministère des Relations avec les citoyens (qui deviendra plus tard le
ministère des Relations avec les citoyens et de l’Immigration). Quant
au ministère des Affaires culturelles d’alors, il allait devenir le
ministère de la Culture et des Communications.
Toutes ces réorganisations internes ont eu pour effet de retarder, dans un premier temps, la progression des normes de gestion en
matière de droits d’auteurs; puis, par la suite, ce dossier fut temporairement mis de côté, avec les préoccupations inhérentes aux changements de structures et l’arrivée de nouveaux mandats au sein de
ces nouveaux ministères.
Pendant cette période, il ne faut pas croire que la problématique du droit d’auteur était pour autant ignorée. En effet, la Politique de gestion et d’acquisition de droits d’auteurs de 1988 existait
et permettait déjà d’établir un cadre intéressant, auquel s’ajoutait le
soutien du ministère de la Justice à tous les ministères et organismes publics confrontés à ces questions, leur assurant ainsi le service
d’une expertise-conseil.
3. Texte définitif
Ce n’est qu’en 1997 que le dossier fut réactualisé par un autre
groupe de travail, sous la présidence de l’auteur de ces lignes.
Ce groupe de travail, composé également de M. Yvan Caron, de
l’Éditeur officiel, et de Me Michel Lapointe, qui était l’un des rédacteurs du projet initial, reprit le travail là où il avait été interrompu.
Le premier projet de 1990 servit de base à l’élaboration du texte des
normes qui, finalement, allait être proposé aux autorités ministérielles à l’été 2000.
Là encore, une consultation des ministères et organismes
publics fut organisée et tenue à l’automne 1998. Enfin, le 17 juillet
2000, les deux ministres responsables adoptaient les normes en
matière d’acquisition, d’utilisation et de gestion de droits d’auteurs
526
Les Cahiers de propriété intellectuelle
des documents détenus par le gouvernement, les ministères et les
organismes publics désignés par le gouvernement, lesquelles furent
publiées dans la Gazette officielle du Québec, comme nous l’avons
déjà précisé. La date d’entrée en vigueur des normes était fixée au
1er novembre 2000.
Par la suite, le gouvernement du Québec, conformément aux
dispositions habilitantes, désignait les organismes publics qui
allaient être assujettis à ces normes; le décret 12-2001, du 11 janvier
2001, mentionne que tous les organismes visés à l’article 1 de la
Loi sur les services gouvernementaux aux ministères et organismes
publics sont assujettis à l’application de ces normes. Cependant, le
décret énumère, à son annexe A, certains organismes non assujettis
à l’application de l’article 16 des normes, sur lequel nous aurons
l’occasion de revenir. Le décret fut publié dans la Gazette officielle du
Québec le 31 janvier 2001, partie 2, no 5, page 1172 et suivantes.
4. Contenu des normes
Les normes sont divisées en quatre sections, qui reprennent les
thèmes suggérés par leur titre, c’est-à-dire une première section qui
porte sur des dispositions générales, une seconde sur l’acquisition de
droits d’auteurs, une troisième sur l’utilisation des œuvres et une
dernière section traite de la gestion du droit d’auteur.
Un résumé de chacun des articles nous permettra de comprendre en quoi consiste cet encadrement administratif.
L’article 1 porte sur le champ d’application et précise que les
normes s’appliquent au gouvernement, aux ministères et aux organismes publics désignés par le gouvernement. De même, il est mentionné que le gouvernement, les ministères et les organismes publics
visés seront, globalement, appelés «l’Administration» dans le texte
des normes.
L’article 2 identifie l’objet des normes, à savoir l’acquisition,
l’utilisation et la gestion des droits d’auteurs. On y précise que les
normes traiteront donc des droits économiques du titulaire du droit
d’auteur et des droits moraux de l’auteur, conformément à ce qui est
prévu à la Loi sur le droit d’auteur.
Normes de gestion en matière de droits d’auteurs
527
L’article 3 introduit certaines définitions des expressions ou
mots suivants:
– auteur d’une œuvre;
– concession d’un droit d’auteur;
– droits d’auteurs;
– Éditeur officiel;
– œuvre;
– publier ou publication d’une œuvre;
– reproduction;
– tiers;
– titulaire du droit d’auteur.
Ces définitions ont été voulues pour préciser certains termes
utilisés et nous nous permettons, étant donné leur caractère relativement explicite, d’y référer le lecteur. Pour les fins des présentes, il
ne nous apparaît pas essentiel d’en reproduire le texte intégral.
Nous arrivons maintenant à la section 2, intitulée «acquisition
de droits d’auteurs». L’article 4 édicte que cette section vise toute
acquisition de droits d’auteurs, que celle-ci soit l’objet principal ou
accessoire d’un contrat. Il a semblé utile de rappeler aux différents
gestionnaires de l’Administration que l’acquisition de droits d’auteurs peut intervenir non seulement dans le cadre d’un contrat spécifique élaboré à cet égard, mais aussi dans le cadre d’un contrat de
services dont l’objet principal est différent, comme la production d’un
document ou d’une autre prestation, lesquels peuvent être couverts
par droits d’auteurs. L’objectif visé par cette disposition était donc de
rappeler que, dans de telles circonstances, l’Administration doit
avoir à l’esprit la problématique des droits d’auteurs et déterminer
ses besoins à ce sujet.
L’article 5 est un des articles les plus importants de ces normes. Nous croyons opportun de le reproduire intégralement:
5. MODALITÉS D’ACQUISITION DE DROITS D’AUTEURS
Toute acquisition d’une œuvre accompagnée d’une concession
de droits d’auteurs doit être constatée par un écrit signé par le
528
Les Cahiers de propriété intellectuelle
titulaire du droit d’auteur ou par son agent dûment autorisé et
l’acquéreur.
Cet écrit doit préciser l’œuvre, ou l’ensemble des œuvres, qui en
fait l’objet ainsi que le nom de l’auteur, et doit mentionner:
1o toute cession, partielle ou totale, de droits d’auteurs ou tout
octroi de licence de droits d’auteurs et, dans les cas de cession
partielle et de licence, les droits qui en font l’objet;
2o la durée ou le mode de détermination de la durée et l’étendue
territoriale pour lesquelles la cession de droits d’auteurs est
accordée ou la licence de droits d’auteurs est octroyée;
3o les fins pour lesquelles un droit d’auteur est obtenu ou
l’utilisation de l’œuvre en vue de la promotion d’un produit,
d’une cause, d’un service ou d’une institution;
4o la considération, sous forme de contrepartie monétaire ou
autre, en échange de laquelle la cession de droits d’auteurs est
accordée ou la licence de droits d’auteurs est octroyée;
5o les garanties accordées par le titulaire du droit d’auteur à
l’effet qu’il détient tous les droits nécessaires à cet égard ou qu’il
a acquis ou acquerra tous les droits pour procéder à leur cession
ou licence;
6o le cas échéant, la renonciation au droit à l’intégrité de
l’œuvre.
Dans le cas d’une licence de droits d’auteurs, l’écrit doit en plus
mentionner si elle est:
1o exclusive ou non exclusive;
2o transférable ou non transférable.
Les prescriptions du présent article ne s’appliquent pas à l’acquisition d’une œuvre faisant l’objet d’un contrat dont les stipulations essentielles n’ont pu être librement discutées par les
parties ou ont été imposées ou rédigées par l’une d’elles, comme
c’est le cas, par exemple, lors de l’achat d’un logiciel ou d’un
cédérom.
Normes de gestion en matière de droits d’auteurs
529
Cette disposition prévoit comment sera rédigé l’écrit constatant
l’acquisition de droits d’auteurs par l’Administration, c’est-à-dire
les modalités inhérentes à une telle transaction. Tout d’abord,
l’Administration qui acquiert une œuvre doit déterminer l’utilité
d’obtenir un droit d’auteur relativement à cette œuvre, pour les fins
propres à un ministère ou à un organisme particulier ou pour des fins
gouvernementales. Lorsqu’il s’avère opportun d’acquérir un droit
d’auteur, elle doit procéder conformément aux différents paramètres
qui y sont indiqués. Ainsi, on précise que cette concession de droits
d’auteurs (laquelle est définie comme pouvant être une licence ou
une cession de droits d’auteurs) doit être constatée par un écrit, signé
par le titulaire du droit d’auteur ou son agent dûment autorisé et
l’acquéreur.
Cet écrit doit prévoir les mentions énumérées à la disposition
sous étude. Soulignons que ces mentions sont complémentaires à
celles prévues à l’article 31 de la Loi sur le statut professionnel des
artistes des arts visuels, des métiers d’art et de la littérature et sur
leurs contrats avec les diffuseurs (L.R.Q., c. S-32.01). Rappelons que
cette loi s’applique pour tout contrat de «diffusion» d’une œuvre
intervenant entre un «diffuseur» et un artiste qui agit à son propre
compte dans les domaines des arts visuels, des métiers d’art et de la
littérature, de même que pour tout contrat ayant pour objet la publication d’un livre.
L’article 5 impose donc aux gestionnaires une approche plus
spécifique quant aux stipulations minimales devant intervenir en
matière de droits d’auteurs. Il devrait permettre que ces questions
fassent l’objet d’une réflexion approfondie sur leurs enjeux et, ainsi,
assurer une cohérence gouvernementale sur le sujet.
L’article 6 des normes traite de la «conservation et (l’)entretien
des œuvres artistiques». Cette disposition édicte que «l’écrit constatant l’acquisition doit de plus comporter une disposition concernant
la conservation et l’entretien de cette œuvre artistique lorsqu’une
telle disposition est jugée nécessaire pour en assurer la sauvegarde».
Lorsque l’Administration acquiert une œuvre artistique, elle
doit évaluer la possibilité de demander la concession d’un droit
d’auteur à son sujet. S’il est opportun de prévoir pareille concession,
l’Administration doit appliquer les modalités de l’écrit décrites à
l’article 5, vu précédemment.
L’article 6 a pour but de s’assurer que la conservation et l’entretien d’une œuvre artistique se feront dans le respect des droits
530
Les Cahiers de propriété intellectuelle
d’auteurs, notamment du droit moral de l’auteur. En spécifiant la
conservation et l’entretien que l’œuvre artistique peut requérir, le
contractant permet à l’Administration de respecter ses obligations à
cet égard.
L’article 7 des normes confirme la façon dont l’Administration
peut acquérir des droits d’auteurs. Il est prévu que «toute acquisition
de droits d’auteurs se fait de préférence par l’obtention d’une cession
partielle de droits d’auteurs ou d’une licence de droits d’auteurs,
selon les modalités prévues à l’article 5».
Le deuxième alinéa de ce même article indique que «l’acquisition par cession totale du droit d’auteur constitue un mode exceptionnel d’acquisition; elle est exercée lorsque l’Administration estime
que l’utilisation de l’œuvre sera optimale et qu’une rémunération
conséquente du titulaire du droit d’auteur sera prise en compte».
Les normes ont donc privilégié la cession partielle de droits
d’auteurs ou la licence qui permettra de spécifier les droits d’auteurs
nécessaires aux fins poursuivies par l’Administration. Cependant,
des situations se présentent où l’Administration a besoin d’une cession totale de droits, et, dans de tels cas, le deuxième alinéa encadre
une telle possibilité selon les critères qui y sont précisés.
Cette disposition consacre cette volonté du gouvernement de ne
pas dépouiller inutilement les contractants avec qui il fait affaire, en
exigeant d’eux une cession totale de droits d’auteurs, de façon systématique, mais, au contraire, en précisant que la licence de droits
d’auteurs devient le mode d’acquisition «de préférence». Dans certains cas, dits «exceptionnels», lorsque la cession totale de droits
d’auteurs est jugée essentielle, celle-ci s’accompagnera d’une «rémunération conséquente».
L’article 8 prévoit que «l’Administration qui acquiert un droit
d’auteur sur une œuvre doit conserver l’écrit constatant cette acquisition».
Pour ce faire, elle peut tenir un registre central de ces acquisitions ou, encore, colliger ces contrats de façon telle qu’ils puissent
facilement être retracés.
La grande disparité des «écrits» constatant l’acquisition de
droits d’auteurs à l’intérieur d’un même ministère fait en sorte que
les normes suggèrent d’adopter une méthode sûre pour retrouver
Normes de gestion en matière de droits d’auteurs
531
efficacement ces documents, tout en laissant une discrétion de bon
aloi dans l’application de cette mesure.
Avec l’article suivant, est introduite également la section 3,
qui concerne l’utilisation des œuvres.
L’article 9 traite de «l’utilisation des œuvres gouvernementales». À cet égard, il est précisé que «l’Administration peut exercer à
l’égard de toute œuvre qu’elle réalise les droits d’auteurs suivants:
produire, reproduire, adapter, modifier, transformer, traduire, exécuter ou représenter en public, publier et communiquer par télécommunication cette œuvre. L’utilisation d’une œuvre acquise d’un
tiers se fait dans la limite des droits d’auteurs concédés lors de
l’acquisition de cette œuvre.
Cette disposition confirme la pratique actuelle selon laquelle
les œuvres réalisées par un ministère ou un organisme visé, pour lesquelles l’État est titulaire du droit d’auteur, peuvent être «utilisées»
selon les décisions internes prises par ce ministère ou cet organisme
visé. En somme, tout ministère (ou organisme public) qui produit
une œuvre décide de son utilisation ultérieure, de sa diffusion et de
son exploitation à l’intérieur de l’appareil étatique ou auprès du
public. Cependant, cette disposition devra se lire en relation avec
l’article 16 des normes, lorsqu’il sera question de concéder des droits
d’auteurs à des tiers. Nous y reviendrons sous peu.
L’article 9 pose donc le principe qu’un ministère ou un organisme désigné gère sans intermédiaire les œuvres produites à son
initiative. Seul ce ministère ou cet organisme «auteur»1 peut donc
décider de l’utilisation de son œuvre; si un autre ministère ou organisme veut utiliser cette œuvre, il devra donc s’en référer auprès du
ministère ou de l’organisme «auteur».
Quant à l’œuvre acquise d’un tiers, l’utilisation de celle-ci sera
limitée en fonction des droits d’auteurs concédés dans le contrat
intervenu entre l’Administration et ce tiers, le cas échéant.
Enfin, il est prévu que l’Administration peut reproduire les textes législatifs, réglementaires, décrets, directives, arrêtés en conseil
et autres actes officiels pour tout usage administratif (troisième alinéa, art. 9), c’est-à-dire tous les documents reliés aux mandats spéci1. Le terme «auteur» désigne ici la provenance de l’œuvre; le véritable «auteur» est
bien sûr cette personne physique qui a procédé à sa création.
532
Les Cahiers de propriété intellectuelle
fiques du ministère ou de l’organisme concerné. Il est à noter que
l’Éditeur officiel a la responsabilité d’imprimer et de publier les lois
du Québec, la Gazette officielle du Québec et tous documents, avis et
annonces, dont le gouvernement, l’Assemblée nationale ou une loi
requiert l’impression ou la publication par lui (article 23 de la Loi sur
les services gouvernementaux aux ministères et organismes publics).
L’article 10 des normes porte sur le droit moral des auteurs
lors de la «modification des œuvres». Cet article énonce que «toute
modification d’une œuvre qui n’est pas autorisée préalablement, lors
de son acquisition, doit faire l’objet d’une approbation écrite de
l’auteur de l’œuvre ou, à défaut, du titulaire du droit d’auteur».
Comme le lecteur a pu le constater, l’article 10 des normes va
plus loin que la Loi sur le droit d’auteur eu égard aux prescriptions
relatives au respect du droit moral des auteurs et ce, de différentes
façons. D’abord, il ne se limite pas aux modifications qui sont préjudiciables à leur honneur ou à leur réputation. De même, les normes
posent le principe qu’avant d’effectuer toute modification à une
œuvre, l’Administration devra obtenir l’approbation écrite de l’auteur concerné ou, à défaut, du titulaire du droit d’auteur. Cet alinéa
mérite quelques explications.
Il faut donc noter l’exigence d’obtenir l’approbation écrite de
l’auteur, malgré le silence de la Loi sur le droit d’auteur à ce sujet, et
ce, dans toutes circonstances de «modifications». Il a été jugé plus
prudent d’obtenir cette autorisation écrite de l’auteur, ce qui ainsi
oblige l’Administration à être plus attentive aux droits moraux des
auteurs et, ce faisant, la place dans une position juridique plus
rassurante.
Par ailleurs, le premier alinéa de l’article 10 prévoit que cette
approbation écrite doit être obtenue «à défaut, du titulaire du droit
d’auteur», ce qui, de prime abord, peut paraître surprenant. En effet,
le droit moral est conféré à l’auteur seulement et le titulaire du droit
d’auteur n’est pas concerné par l’exercice de ces droits moraux à
moins, bien sûr, de cumuler ces deux qualités. Pourquoi alors prévoir
que l’approbation écrite pourrait être demandée auprès du titulaire
du droit d’auteur? Cette modalité s’explique par le fait que, dans certains cas, il sera impossible de remonter à l’auteur d’une œuvre, d’où
cette possibilité de faire intervenir le titulaire du droit d’auteur (qui
pourrait être l’employeur de l’auteur, par exemple), pour donner
cette approbation. Dans un tel cas, il est évident qu’il faudra prévoir
une clause de garantie que ce titulaire de droit d’auteur s’engage à
prendre fait et cause en faveur de l’Administration, ce qui suppose
Normes de gestion en matière de droits d’auteurs
533
que ce titulaire a obtenu toutes les renonciations utiles à ce sujet.
Bien qu’imparfaite, cette possibilité semble nécessaire vu les aléas
des différentes situations pouvant se présenter.
Le deuxième alinéa de l’article 10 traite de la situation lorsque
l’auteur d’une œuvre est un employé de l’Administration. Dans un
tel cas, l’Administration peut apporter à l’œuvre toutes les modifications qu’elle juge nécessaires «dans la mesure où celles-ci ne sont pas
préjudiciables à l’honneur ou à la réputation de l’employé». Comme
on le voit, il est alors fait référence directement à la Loi sur le droit
d’auteur pour le respect des droits moraux de ces auteurs, employés
de l’Administration.
L’article 11 des normes prévoit la même technique pour le respect du droit moral à l’intégrité d’une œuvre, lors de son utilisation,
à des fins «de promotion d’un produit, d’une cause, d’un service
ou d’une institution»; donc, approbation par écrit par l’auteur de
l’œuvre lorsque celui-ci n’est pas un employé de l’Administration.
Lorsque l’auteur est un employé de l’Administration, l’approbation
par écrit de cet employé sera requise lorsque les utilisations envisagées pourraient être jugées préjudiciables à l’honneur ou à la réputation de cet auteur.
L’article 12 des normes est lui aussi tributaire du droit moral
de l’auteur et traite de la «mention du nom du créateur». On y
indique ceci: «à moins d’indication contraire de l’auteur d’une œuvre,
le nom de celui-ci doit paraître sur tout exemplaire de cette œuvre»
(1er alinéa).
Cette disposition, relative au second volet du droit moral de
l’auteur, le droit à la paternité de l’œuvre, prévoit certaines réserves
en ce qui concerne des documents qui, par les usages développés à
leur égard, n’exigent pas une telle mention. Il en est ainsi des documents d’orientation ou de politique gouvernementale, aux rapports
de commissions d’enquêtes, aux mémoires, aux directives, aux normes et à toute autre œuvre, compte tenu des usages raisonnables qui
se sont développés à cet égard.
Ces trois dispositions des normes accordent au droit moral des
auteurs toute la place que celui-ci doit occuper et se permettent
même d’être plus exigeantes que la Loi sur le droit d’auteur sur certains points.
Avec l’article suivant, est introduite la section 4 traitant de la
«gestion du droit d’auteur».
534
Les Cahiers de propriété intellectuelle
À l’article 13, on précise que cette section s’applique à la gestion du droit d’auteur appartenant à l’État, lequel est plus global que
le droit d’auteur de l’Administration, puisqu’il incorpore, comme
nous le savons, les prérogatives royales et autres droits («privilèges»)
prévus à l’article 12 de la Loi sur le droit d’auteur.
L’article 14 confirme que le ministre responsable de l’application de l’article 2, paragraphe 6o, de la Loi sur les services gouvernementaux aux ministères et organismes publics, gère le droit d’auteur
de l’État et des œuvres produites par l’Administration selon les
modalités prévues ci-après. Ce ministre est donc le ministre des
Relations avec les citoyens et de l’Immigration, selon le décret
1127-96 du 11 septembre 1996.
L’article 15 traite des «œuvres publiées par l’Éditeur officiel».
Il y est précisé que «l’Éditeur officiel gère tous les droits d’auteurs
des œuvres publiées par son intermédiaire. Cependant, pour une
œuvre publiée à la demande de l’Administration, le contrat intervenant à cet égard prévoit les modalités de la gestion du droit d’auteur
et, le cas échéant, de l’usage des revenus perçus de la publication».
Comme nous l’avons déjà mentionné ci-dessus, la Loi sur les
services gouvernementaux aux ministères et organismes publics prévoit que l’Éditeur officiel imprime et publie certains documents;
l’article 15 des normes indique que celui-ci gère le droit d’auteur
inhérent à ces documents.
Mais l’Éditeur officiel publie aussi d’autres documents, à la
demande de ministères ou d’organismes publics. Dans un tel cas, le
contrat de publication qui intervient entre eux devra prévoir qui, de
l’Éditeur officiel ou de l’Administration, sera responsable de la gestion du droit d’auteur sur ces derniers documents, ce qui favorisera
une réponse rapide aux éventuelles demandes de reproduction pouvant se présenter relativement à ces mêmes documents.
L’article 16 est un article fort important des normes et nous
nous permettons de le reproduire au complet pour une meilleure
compréhension:
16. CONCESSION À DES TIERS DE DROITS D’AUTEURS
DÉTENUS PAR L’ÉTAT ET SES COMPOSANTES
Pour les œuvres non publiées par l’Éditeur officiel, l’Administration doit, avant de procéder à toute concession d’un droit
Normes de gestion en matière de droits d’auteurs
535
d’auteur en faveur d’un tiers, recevoir l’avis de l’Éditeur officiel
sur les paramètres de la convention à intervenir et sur l’opportunité d’exiger une contrepartie financière.
Cet avis pourra porter sur des catégories d’œuvres ou d’utilisations. À cet égard, il en est ainsi pour certains types de documents qui s’inscrivent dans le cadre des opérations courantes
de l’Administration.
Lorsqu’il est jugé opportun d’émettre une concession de droits
d’auteurs contre rémunération, l’Administration transmet le
dossier à l’Éditeur officiel qui, de concert avec elle, fixe les
conditions de délivrance de cette cession ou de cette licence
de droits d’auteurs, perçoit la rémunération et s’entend avec
l’Administration sur l’usage des revenus.
Dans les autres cas, l’Administration procède par un écrit dont
les éléments constitutifs sont similaires à ceux prévus à l’article 5.
Cette disposition est le corollaire de l’article précédent, mais
pour les œuvres non publiées par l’Éditeur officiel. L’Administration
qui réalise ou publie directement une œuvre gère donc le droit
d’auteur sur celle-ci, comme l’article 9 des normes nous l’indiquait.
Cependant, une réserve s’impose concernant les concessions de
droits d’auteurs à des tiers. Un «tiers» est défini comme étant une
personne non employée par l’Administration (article 3 des normes).
Ainsi, pour l’octroi d’une licence à un tiers, l’Administration
doit consulter l’Éditeur officiel avant d’octroyer une telle licence.
Cette consultation portera sur les éléments essentiels de cette concession de droits d’auteurs, dont le potentiel économique d’une telle
concession de droits d’auteurs ou sur l’impact d’une telle licence sur
la diffusion ou la commercialisation de cette œuvre, qui pourrait
être faite par l’Administration ou quelqu’un d’autre. Ces différentes
questions seront examinées par l’Éditeur officiel, qui, ainsi, analysera l’opportunité d’octroyer ou non la licence demandée concernant
ce contenu gouvernemental.
Des suggestions seront alors faites à l’Administration, comme
l’indique le premier alinéa. Mais, pour assurer plus de souplesse à ce
processus, il sera possible d’exclure de cette obligation de consulter
l’Éditeur officiel pour certaines catégories d’œuvres précises ou certaines utilisations comme, par exemple, les distributions gratuites
536
Les Cahiers de propriété intellectuelle
d’œuvres que l’Administration veut faire circuler le plus largement
possible. De même, l’avis de l’Éditeur officiel émis à la suite d’une
demande de l’Administration pourra éventuellement s’étendre à toutes les œuvres de même nature. Cette façon de faire permettra
d’éviter des dédoublements et assurera un suivi plus rapide pour
l’octroi de concessions de droits d’auteurs à des tiers.
Lorsque l’Éditeur officiel conclut qu’une rémunération pourrait
être exigée, il convient avec l’Administration des conditions pour
l’octroi de la concession de droits d’auteurs et il est alors chargé de
rédiger le contrat à ce sujet. Comme il est indiqué, l’Éditeur officiel
perçoit la rémunération et s’entend sur l’utilisation de celle-ci avec
l’Administration; les sommes d’argent seront versées au Fonds de
l’information gouvernementale, consacré à l’édition, la diffusion et la
commercialisation gouvernementales (décret 1130- 96).
Lorsqu’il n’est pas jugé opportun d’exiger une rémunération,
l’Administration procède directement, en respectant les modalités
prévues à l’article 5 des normes, eu égard à l’écrit constatant la
concession de droits d’auteurs.
Cette disposition prévoit donc l’établissement d’un guichet central qui permettra de trouver plus rapidement le responsable du traitement de telles demandes de concessions de droits d’auteurs et de
développer une cohérence gouvernementale, notamment en tenant
compte de la valeur économique rattachée à l’exploitation ultérieure
de ces contenus gouvernementaux par des tiers, s’assurant ainsi que
ces évaluations ne soient pas traitées arbitrairement.
L’article 17 des normes précise que «l’Administration doit veiller au respect du droit d’auteur de l’État et prendre les mesures qui
s’imposent en cas de violation de celui-ci». Cette idée était déjà présente dans la Politique de gestion et d’acquisition de droits d’auteurs
de 1988, qui avait déterminé «que le gouvernement fait respecter les
droits d’auteurs sur ses œuvres lorsque celles-ci sont utilisées par
des tiers...».
Ainsi, en faisant respecter les droits d’auteurs du gouvernement du Québec (et en obtenant une juste contrepartie pour l’octroi
de concessions de droits d’auteurs, art. 16), c’est l’ensemble des
citoyens qui y trouvent leur compte.
L’article 18 indique que le Conservateur des Archives nationales du Québec et la Bibliothèque nationale du Québec ne sont pas
Normes de gestion en matière de droits d’auteurs
537
assujettis à l’application de l’article 16 des normes. Il est à noter que
le décret qui désignait les organismes publics assujettis aux normes
prévoyait, à son annexe A, une énumération d’organismes publics
également non assujettis à l’article 16.
La réflexion qui a prévalu à la rédaction de l’article 18 et de
l’annexe A du décret no 12-2001 veut que les organismes qui jouissaient déjà d’une expertise en matière de droits d’auteurs pouvaient
être exemptés de la consultation auprès de l’Éditeur officiel, celle-ci
devenant inutilement contraignante dans ces cas.
Finalement, l’article 19 des normes prévoyait l’entrée en
vigueur de celles-ci le 1er novembre 2000.
Conclusion
La propriété intellectuelle a pris un essor nouveau au gouvernement du Québec et l’adoption des Normes en matière d’acquisition,
d’utilisation et de gestion de droits d’auteurs des documents détenus
par le gouvernement, les ministères et les organismes publics désignés
par le gouvernement en est une manifestation concrète. Elles permettront d’uniformiser la pratique gouvernementale, d’établir un
guichet central pour l’octroi de licences auprès du public, accélérant
la réponse à donner à de telles demandes, et d’assurer un plus grand
respect des droits de tous les créateurs.
Ces normes tentent de refléter le rôle «exemplaire» du gouvernement du Québec en ces matières et elles devraient ainsi participer
aux objectifs d’offrir un meilleur service au public, tout en conciliant
l’importance pour le gouvernement de faire respecter ses propres
droits.
Vol. 13, no 3
Revue de la jurisprudence des
cours d’appel du Canada en
matière de marques de commerce
1997-2000
Laurent Carrière*
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 541
1. La marque enregistrable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 542
1.1 Descriptivité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 542
1.2 Fonctionnalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 545
1.3 Procédure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 547
2. Oppositions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 549
2.1 Facteurs à considérer . . . . . . . . . . . . . . . . . . 549
2.2 Poids à accorder à la décision du registraire. . . . . . 562
2.3 Preuve complémentaire en appel. . . . . . . . . . . . 566
2.4 Délai d’appel. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 568
© Laurent Carrière, 2001.
* Avocat et agent de marques de commerce, Laurent Carrière est l’un des associés
principaux du cabinet d’avocats LEGER ROBIC RICHARD, s.e.n.c. et du cabinet
d’agents de brevets et de marques ROBIC, s.e.n.c.
539
540
Les Cahiers de propriété intellectuelle
3. Déchéance administrative sous l’article 45 . . . . . . . . . 568
3.1 Portée des procédures. . . . . . . . . . . . . . . . . . 568
3.2 Contemporanéité de l’emploi . . . . . . . . . . . . . . 569
3.3 Nature de l’emploi. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 570
3.4 Circonstances spéciales . . . . . . . . . . . . . . . . . 573
4. Radiation d’un enregistrement . . . . . . . . . . . . . . . . 573
4.1 Marque de distributeur . . . . . . . . . . . . . . . . . 573
4.2 Marque officielle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 575
4.3 Motifs de radiation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 575
4.4 Divers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 578
5. Redressements pour usurpation . . . . . . . . . . . . . . . 582
5.1 Action en violation de marque de commerce . . . . . . 582
5.2 Action pour commercialisation trompeuse . . . . . . . 589
6. Recours interlocutoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 593
6.1 Injonction interlocutoire . . . . . . . . . . . . . . . . 593
6.2 Anton Piller . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 600
7. Miscellanées. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 601
7.1 Licence. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 601
7.2 Cession . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 602
Annexe A . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 604
Annexe B . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 605
Annexe C . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 606
Annexe D . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 607
INTRODUCTION
Les nombreuses – certains diront trop nombreuses – décisions
administratives, auxquelles s’ajoutent souvent d’éventuels appels
«de la seconde chance» et incidents reliés de même que les jugements
originant de procédures judiciaires proprement dites (tant fédérales
que provinciales) rendent difficile de dégager avec certitude, du
moins au-delà des banalités, des tendances que ne viendraient pas
perturber des arrêts d’appel. C’est donc pour des raisons d’économie
que cet article se limite aux arrêts rendus par des cours d’appel canadiennes, principalement la Section d’appel de la Cour fédérale du
Canada. C’est, en effet, par ceux-ci que pourraient se dessiner, s’il y
en a vraiment, des lignes directrices1.
Ainsi, pour la courte période du 1er janvier 1997 au 31 décembre
2000, un premier pointage a révélé 53 arrêts de cours d’appel canadiennes touchant le droit des marques2. Quarante-cinq d’entre eux
originent de la Section d’appel de la Cour fédérale du Canada, six de
la Cour d’appel du Québec et deux d’autres provinces3.
Certains de ces arrêts touchent la procédure, d’autres le fond;
certains de ces arrêts sont uniquement confirmatifs4 de la décision
1. Cet article reprenant où elle s’était arrêtée une précédente rétrospective – Laurent CARRIÈRE, «Droits des marques au Canada 1987-1996 – Une décade en
rétrospective par la lunette des cours d’appel», (1997) 10 C.P.I. 155 – ce n’est
donc pas coïncidence si ce paragraphe introductif a un goût de «déjà lu».
2. Une liste alphabétique de ceux-ci est reproduite en annexe D: on y dénombera 55
et non 53 arrêts. En effet, deux décisions rendues en 1996 n’avaient pas été repérées dans le cadre du précédent article!
3. Statistiquement, au niveau provincial, le jugement de première instance a été
confirmé 2 fois (pour une moyenne de 25 %), modifié 3 fois (pour une moyenne de
37,5 %) et infirmé 3 fois (pour une moyenne de 37,5 %); au niveau fédéral, le jugement de première instance a été confirmé 32 fois (pour une moyenne de 68 %),
modifié 8 fois (pour une moyenne de 17 %) et infirmé 7 fois (pour une moyenne de
15 %); au niveau national, les jugements entrepris sont donc confirmés dans
62 % des cas, modifiés, dans 20 % des cas et infirmés dans 18 % des cas.
4. Parmi les 55 arrêts repérés, au moins douze sont libellés dans des termes de
style: «We are not persuaded that there is any basis for interfering with the decision of the motions judge» [affaire YOS] ou «We are all of the view that, in the
541
542
Les Cahiers de propriété intellectuelle
de première instance, d’autres le sont également, mais uniquement
quant au résultat et d’autres, enfin, sont beaucoup plus prolixes. Il
est utile de rappeler qu’une cour d’appel ne doit normalement intervenir que dans la mesure où le tribunal de première instance a commis une erreur manifeste et dominante (palpable and overriding
error): il ne s’agit donc pas, pour une cour d’appel, de substituer sa
propre appréciation de la preuve à celle du premier juge.
Dans ce contexte, on comprendra que, dans 60 % des cas, la
décision de première instance a été confirmée, dans 16 % elle a été
modifiée, et infirmée dans uniquement 24 % des cas.
1. LA MARQUE ENREGISTRABLE
1.1 Descriptivité
Affaire Export5
Cet arrêt de 87 paragraphes rendu le 3 février 2000 discute de
plusieurs points, notamment de l’enregistrabilité d’une marque en
vertu du paragraphe 12(2)6.
Les faits de l’espèce sont assez simples. En 1985, Molson
demandait l’enregistrement de la marque EXPORT en liaison avec
de la bière. En 1986, Labatt s’opposait à cet enregistrement sur la
base de la descriptivité de la marque et de son absence de distinctivité. En 1995, la Commission des oppositions refusait la demande
d’enregistrement. Dans le cadre d’un appel devant la Section de
absence of any egregious error of appreciation on the part of the first judge or the
registrar [sic], our intervention would be unwarranted» [affaire ITALIANO
PANCALDI].
5. Molson Breweries c. John Labatt Ltd. [EXPORT] (1995), 66 C.P.R. (3d) 227,
[1995] T.M.O.B. 223 (Comm. opp.), D.J. Martin; inf. (1998), 82 C.P.R. (3d) 1, 148
F.T.R. 281, [1998] F.C.J. 929, [1998] CarswellNat 1249, http://www.cmf.gc.ca/
en/cf/1998/vol4/fasc3/fiche/html/1998fca22839.f.en.html (C.F.), j. TremblayLamer; mod. (2000), 5 C.P.R. (4th) 180, [2000] F.C.J. 159, [2000] CarswellNat
178, 252 N.R. 91, [2000] 3 C.F. 145, [2000] N.R. TBEd F.E. 045, http://www.cmf.
gc.ca/en/cf/2000/vol3/html/2000fca26005.p.en.html, en français [2000] CarswellNat 1754 (C.A.F.); permision d’en appeler à la Cour suprême du Canada refusée
(2000), 7 C.P.R. (4th) vi, [2000] 3 C.F. I, [2000] CarswellNat 2383, [2000]
S.C.C.A. 161, en français [2000] CarswellNat 2384 (C.S.C.).
6. «Une marque de commerce qui n’est pas enregistrable en raison de l’alinéa 1a)
[nom de famille] ou b) [descriptive] peut être enregistrée si elle a été employée au
Canada par le requérant ou son prédécesseur en titre de façon à être devenue distinctive à la date de la production d’une demande d’enregistrement la concernant.».
Revue de la jurisprudence des cours d’appel du Canada
543
première instance, Molson produisait preuve additionnelle, ce qui
convainquait le juge, en 1998, de faire droit à l’appel et de permettre
l’enregistrement de la marque EXPORT. Sur appel de Labatt à la
Section d’appel de la Cour fédérale, ce jugement de la Section de première instance était infirmé et la demande d’enregistrement rejetée.
On notera ici que, subséquemment à la publication, dans le cours des
procédures d’opposition, Molson avait amendé sa demande pour
réclamer le bénéfice du paragraphe 12(2) de la loi. Plusieurs questions ont été traitées par la Section d’appel.
La première avait trait au degré de preuve requis sous le paragraphe 12(2). La question est réglée: il s’agit d’une preuve par
prépondérance et les termes «fardeau lourd» de la jurisprudence ne
font référence qu’au caractère exceptionnel d’application de ce paragraphe. De plus, la Section d’appel ajoute que celui qui réclame le
bénéfice du pararagraphe 12(2) n’a pas à démontrer l’élimination de
tout caractère descriptif à sa marque. Le requérant doit montrer que
la marque qu’il veut enregistrer, même si elle est descriptive, a
acquis un caractère secondaire important («dominant secondary or
distinctive meaning») en liaison avec les marchandises du requérant.
La deuxième question touchait la détermination de la date critique pour décider de la distinctivité d’une marque produite sous le
paragraphe 12(2). Cette distinctivité doit être évaluée au moment de
la production de la demande et non pas au moment de la décision ou
de l’opposition et ce, de par le libellé même du paragraphe 12(2)7. La
Section d’appel infirme plus particulièrement la juge de première
instance en ce que celle-ci a apparemment pris une approche en deux
temps, savoir que i) devant l’examinateur, Molson devait prouver
que sa marque était distinctive au moment de la production de sa
demande et, ii) dans le cadre de l’opposition, Molson devait également prouver que cette même marque était distinctive au moment
de l’opposition.
L’arrêt rappelle que la question soulevée par une opposition
fondée sur l’alinéa 38(2)d) [absence de distinctivité] et la question de
savoir si une marque a acquis de la distinctivité sous le paragraphe
12(2) impliquent une même détermination. En effet, si une marque
7. À cet égard, l’arrêt de 1975 du juge Thurlow dans Andres Wines est qualifié d’obiter: Andres Wines Ltd. c. E. & J. Gallo Winery (1973), 9 C.P.R. (2d) 154 (Bureau
des marques), le registraire Robitaille; conf. (1974), 14 C.P.R. (2d) 204 (C.F.),
le juge Heald; inf. (1975), 25 C.P.R. (2d) 126, [1976] 2 C.F. 3, 11 N.R. 560, [1995]
CarswellNat 115 (C.A.F.).
544
Les Cahiers de propriété intellectuelle
est trouvée enregistrable par le bénéfice du paragraphe 12(2), cette
détermination aura déplacé la non-enregistrabilité prévue par les
alinéas 12(1)a) et 12(1)b). Le fardeau, en tous les cas, demeure celui
du requérant de prouver cette distinctivité. Il s’ensuit que, lorsqu’une demande d’enregistrement est fondée sur le paragraphe
12(2), la détermination de la distinctivité d’une marque doit être
fondée à la date de production de la demande. À cet égard, il ne faut
pas confondre l’opposition fondée sur l’alinéa 38(2)d) avec la procédure judiciaire fondée sur l’article 18(1)b)8, laquelle a sa propre date
charnière.
La troisième question vise la limitation géographique d’une
marque. Sous le régime du paragraphe 12(2), la distinctivité acquise
n’a pas à couvrir l’ensemble du Canada et il est possible, suivant la
preuve, de restreindre l’enregistrement aux régions pour lesquelles
il a été démontré que la marque était ainsi devenue distinctive9. Toutefois, un tel enregistrement géographiquement limité ne s’applique
qu’aux marques pour lesquelles le bénéfice du paragraphe 12(2) a été
requis ou, encore, pour les signes distinctifs en vertu de l’article 13.
Cette interprétation découle du fait que le paragraphe 32(2)10, qui
permet un enregistrement géographiquement restreint, n’est pas
une disposition indépendante mais une disposition qui se lit avec le
paragraphe 32(1)11, lequel ne fait référence qu’aux marques enregistrables en vertu du paragraphe 12(2) et de l’article 13. L’économie de
la Loi sur les marques de commerce12 demeure toutefois celle d’un
enregistrement qui couvre tout le territoire du Canada, sujet aux
restrictions territoriales de l’article 32.
Comme quatrième question, la Cour d’appel devait déterminer
s’il était essentiel de prouver l’exclusivité de l’emploi du terme
8.
«L’enregistrement d’une marque de commerce est invalide dans les cas suivants [...] la marque de commerce n’est pas distinctive à l’époque où sont entamées les procédures contestant la validité de l’enregistrement.»
9. En l’espèce, les provinces de Québec et d’Ontario.
10. «Le registraire restreint, eu égard à la preuve fournie, l’enregistrement aux
marchandises ou services en liaison avec lesquels il est démontré que la
marque de commerce a été utilisée au point d’être devenue distinctive, et à la
région territoriale définie au Canada où, d’après ce qui est démontré, la
marque de commerce est ainsi devenue distinctive.»
11. «Un requérant, qui prétend que sa marque de commerce est enregistrable en
vertu du paragraphe 12(2) ou en vertu de l’article 13, fournit au registraire, par
voie d’affidavit ou de déclaration solennelle, une preuve établissant dans
quelle mesure et pendant quelle période de temps la marque de commerce a été
employée au Canada, ainsi que toute autre preuve que le registraire peut exiger à l’appui de cette prétention.»
12. L.R.C. (1985), c. T-13.
Revue de la jurisprudence des cours d’appel du Canada
545
EXPORT pour prouver la distinctivité. Clairement, la preuve d’un
emploi exclusif par un requérant n’est pas requise pour prouver
la distinctivité, quoique l’emploi d’une même marque par d’autres
pourrait faire conclure à l’absence de distinctivité. Bref, le requérant
prouve son emploi et c’est à qui s’oppose de prouver qu’il n’est pas le
seul à l’employer13.
Nous verrons plus loin pourquoi, malgré tout, Molson n’a pas
obtenu l’enregistrement de sa marque.
1.2 Fonctionnalité
Affaire Thomas & Betts14
Depuis l’arrêt Remington15, on sait que l’invalidité d’une
marque pour fonctionnalité n’a pas de base statutaire expresse mais
découle plutôt de la jurisprudence. Ainsi, ce qui est uniquement
décoratif ne saurait constituer une marque de commerce enregistrable, non plus que ce qui est uniquement fonctionnel16.
13. On verra toutefois plus loin dans l’affaire General Motors du Canada c. Décarie
Motors Inc. [DECARIE] [(2000), 9 C.P.R. (4th) 368, [2000] F.C.J. 1653, [2000]
A.C.F. 2131, [2000] CarswellNat 2530, 2000 N.R. TBEd N.O. 0004, http://www.
cmf.gc.ca/en/cf/2000/orig/html/2000fca27531.o.en.html, en français à http://
www.cmf.gc.ca/fr/cf/2000/orig/html/2000fca27531.o.fr.html (C.A.F.)] que si
l’exclusivité dans l’emploi n’est pas une exigence du caractère distinctif d’une
marque de commerce, elle demeure une circonstance dont il faut tenir compte
pour en évaluer le caractère distinctif.
14. Thomas & Betts, Ltd. c. Panduit Corp. [twist-lock cable tie having an ovalshaped head] (1997), 74 C.P.R. (3d) 185, 129 F.T.R. 272, [1997] F.C.J. 487,
[1997] A.C.F. 487, [1997] CarswellNat 644, http://www.cmf.gc.ca/en/cf/1997/
orig/html/1997fca20450.o.en.html (C.F.), j. Richard; inf. (2000), 4 C.P.R. (4th)
498 & 5 C.P.R. (4th) vii, [2000] F.C.J. 11, [2000] N.R. TBEd F.E. 021, [2000]
CarswellNat 22, 185 D.L.R. (4th) 150, [2000] 3 C.F. 2, 178 N.R. 160n, 252 N.R.
371, http://www.cmf.gc.ca/en/cf/2000/vol3/html/2000fca25822.p.en.html, en
français [2000] CarswellNat 1750 (C.A.F.); requête pour permission d’en appeler à la Cour suprême du Canada refusée (2000), 7 C.P.R. (4th) vi, [2000]
S.C.C.A. 105 (C.S.C.).
15. Remington Rand Corp. c. Philips Electronics N.V. [TÊTES DE RASOIRS]
(1993), 51 C.P.R. (3d) 392, 69 F.T.R. 136, [1993] CarswellNat 384, 44 A.C.W.S.
(3d) 579, [1994] 1 C.F. F-10, http://www.cmf.gc.ca/en/cf/1994/vol1/fasc1/fiche/
html/1994fcaa3332.f.en.html (C.F.); inf. (1995), 64 C.P.R. (3d) 467, 191 N.R.
204, [1995] A.C.F. 1660, [1995] F.C.J. 1660, [1995] CarswellNat 1846, 104
F.T.R. 160n, [1996] 2 C.F. F-20, http://www.cmf.gc.ca/en/cf/1996/vol2/fasc1/
fiche/html/1996fcaa2036.f.en.html (C.A.F.); requête pour permission d’en
appeler à la Cour suprême du Canada refusée (1996), 67 C.P.R. (3d) vi (C.S.C.).
16. De façon générale, voir Laurent CARRIÈRE, «La protection statutaires des
marques non traditionnelles au Canada – Quelques réflexions sur leur enregistrabilité et distinctivité», dans Développements récents en droit de la propriété
intellectuelle (1999), Service de formation permanente du Barreau du Québec
(Montréal, Éditions Yvon Blais, 1999), aux pages 82-93.
546
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Dans cette affaire Thomas & Betts17, la demanderesse réclamait des droits sur une marque de commerce non enregistrée consistant dans un collier de câblage deux pièces dont la tête est de forme
ovale18. Cette attache avait déjà fait l’objet d’un brevet canadien, toutefois expiré en 1984. Tant pendant la durée de validité du brevet
que jusqu’en 1994, la demanderesse était le seul manufacturier fournisseur de cette attache à la forme particulière.
En 1994, un concurrent, Panduit, introduisait sur le marché
canadien une attache absolument identique à celle de la demanderesse et, deux ans plus tard, la demanderesse entamait une
poursuite pour tromperie commerciale par délit de substitution. La
défenderesse, dans le cours du procès, a produit une requête pour
jugement sommaire, requête fondée sur le fait que le caractère uniquement fonctionnel de l’attache de la demanderesse ne méritait pas
protection au niveau du droit des marques. De fait, pour la défenderesse, le caractère fonctionnel de l’attache de la demanderesse avait
été admis par celle-ci dans le cadre de sa demande de brevet puisqu’un tel collier de cablage était indiqué comme la réalisation privilégiée (preferred embodiment) du brevet19.
Les tribunaux, on le sait, ont une prévention marquée contre
les monopoles et le juge de première instance avait plus particulièrement indiqué:
Toutefois, le breveté ne peut faire valoir des droits afférents à
une marque de commerce sur la façon même dont un brevet
expiré indique au public de fabriquer l’invention. A patentee
cannot assert trade mark rights to the very way an expired
patent directs the public to make the invention.
17. Arrêt autrement commenté par Stéphanie MALO, «Federal Court of Appeal
Rules on Dual Protection of Patents and Trademarks», (2000) 14 W.I.P.R. 110;
la décision de la Section de première instance est elle-même commentée par
Carol HITCHMAN, «Tying Up Competitors by Extending the Life of Expired
Patents», (1997) 4-3 I.P. 228.
18. Autrement décrite dans les termes suivants: «Les colliers de câblage deux pièces ont une languette de métal dans la tête de serrage (le reste du collier étant
généralement en nylon comme dans le cas du collier monopièce). La languette
de métal fixée dans la tête de serrage s’oppose au mouvement de la lanière en
sens contraire à celui de l’enfilage. Lorsqu’on tire sur la lanière en sens contraire, la languette de métal s’enfonce dans celle-ci et la bloque en place.» Voir
le dessin en annexe A.
19. «Le brevet expiré de la demanderesse ne fait mention d’aucune forme ovale
dans ses revendications, mais la réalisation privilégiée divulguée dans le
mémoire descriptif et les dessins qui l’accompagnent décrivent bel et bien une
forme ovale»: Thomas & Betts, Ltd. c. Panduit Corp. [twist-lock cable tie having
an oval-shaped head] (1997), [1997] A.C.F. 487 (C.F.), le juge Richard au paragraphe 34.
Revue de la jurisprudence des cours d’appel du Canada
547
La Section d’appel de la Cour fédérale a été plus nuancée et a
indiqué que ce n’était pas parce qu’un élément était mentionné dans
une demande de brevet que cet élément, automatiquement, ne pouvait bénéficier de la protection du droit des marques. L’invention,
faut-il le rappeler, ne portait pas sur l’attache elle-même.
La Section d’appel a indiqué que, durant l’existence de son brevet, la demanderesse n’aurait pas pu employer le droit des brevets
pour empêcher un concurrent d’utiliser une attache semblable (i.e.,
tête à forme ovale), pourvu que cette attache ait été employée avec
une invention différente. Du fait du brevet, le breveté n’avait pas un
monopole sur ce type de tête, même si celle-ci était mentionnée au
brevet. De plus, il serait injuste pour le public de permettre au breveté, après l’expiration du brevet, d’employer le droit des marques
pour obtenir un monopole sur une forme (telle celle de la tête ovale de
l’attache) si cette forme était si étroitement reliée à l’invention qu’à
toutes fins utiles il s’agissait d’un élément essentiel à l’exploitation
de cette invention.
Toutefois, pour décider de cette requête pour jugement sommaire, le juge de première instance n’aurait pas dû se pencher tant
sur l’invention, maintenant expirée, que sur les marchandises en
liaison avec lesquelles la marque en cause était employée. En clair,
la question qui fait l’objet de l’action est celle de déterminer si cette
tête de forme ovale constituait un signe distinctif au sens de la Loi
sur les marques de commerce, ce qui aurait autrement permis quand
même au juge de se pencher par la suite sur la doctrine de la fonctionnalité.
1.3 Procédure
Affaire des Comprimés roses de nifédipine20
Premier point: le dessin. La marque que voulait enregistrer
la requérante était ainsi décrite: «sur la marque de commerce, toute
la surface visible du comprimé est rose antique, telle qu’elle est
illustrée par le spécimen fourni avec le formulaire de demande. Le
comprimé ne fait pas partie de la marque de commerce».
20. Novopharm Ltd. c. Bayer Inc. [COMPRIMÉ ROSE] (1996), 76 C.P.R. (3d) 560,
[1996] T.M.O.B. 256, [1996] CarswellNat 2826 (Comm. opp.); inf. (1999), 3
C.P.R. (4th) 305, [2000] 2 C.F. 553, 179 F.T.R. 260, [1999] F.C.J. 1661, [1999]
A.C.F. 1661, sub nomine Novopharm Ltd. c. Ciba-Geigy Canada Ltd. (C.F.),
j. Evans; conf. (2000), 9 C.P.R. (4th) 304, [2000] CarswellNat 2783, 264 N.R.
384, [2000] N.R. TBEd N.O. 077, [2000] F.C.J. 1864, [2000] A.C.F. 1864,
548
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Or, si le spécimen fourni21 et la description de la marque de
commerce produite22 faisaient clairement référence à la couleur
vieux rose, le dessin prévu par l’alinéa 30h)23 faisait, lui, plutôt référence à un comprimé de couleur bleu24. Malgré la nature apparemment technique de l’erreur, il n’en demeurerait pas moins qu’il
s’agissait d’une erreur fondamentale que d’indiquer ainsi une couleur différente de celle précisée dans la description, surtout que cette
couleur était l’élément le plus important de la revendication25. Bref,
un dessin qui contredit la description de la marque donne motif
d’opposition en vertu des alinéas 38(2)a) et 30h) de la Loi sur les
marques de commerce.
Deuxième point: la distinctivité. Même si en droit la couleur, la
forme et la taille d’un produit sont protégeables, la marque résultante risque généralement d’être faible. Or, c’est sur la requérante26
que repose le lourd fardeau d’établir que, selon la probabilité la plus
forte, les consommateurs ordinaires27 associaient ses comprimés
vieux rose à une seule source, fardeau dont elle ne s’est pas déchargée.
21.
22.
23.
24.
25.
26.
27.
http://www.cmf.gc.ca/en/cf/2000/orig/html/2000fca27748.o.en.html, en français [2000] CarswellNat 3102, http://www.cmf.gc.ca/fr/cf/2000/orig/html/
2000fca27748.o.fr.html (C.A.F.).
La fourniture d’un spécimen est généralement optionnelle: règle 29c) du Règlement sur les marques de commerce (1996).
Règle 28(1) du Règlement sur les marques de commerce (1996).
«Quiconque sollicite l’enregistrement d’une marque de commerce produit au
bureau du registraire une demande renfermant [...] h) sauf si la demande ne
vise que l’enregistrement d’un mot ou de mots non décrits en une forme spéciale, un dessin de la marque de commerce, ainsi que le nombre, qui peut être
prescrit, de représentations exactes de cette marque.»
En fait, la règle 28(2) du Règlement sur les marques de commerce (1996) prévoit
que la couleur revendiquée puisse être établie par un dessin ligné suivant la
couleur choisie. La couleur rose est exprimée par un ligné vertical alors que la
couleur bleu l’est par un ligné horizontal. Lorsque l’objet sur lequel on veut
apposer la couleur est un comprimé rond, on comprend plus facilement qu’il
puisse y avoir erreur!
À cet égard, il est utile de rappeler que le spécimen produit, s’il clarifiait la
situation, ne faisait quand même pas partie intégrante de la demande: voir le
juge Mackay dans Calumet Manufacturing Ltd. c. Mennen Canada Inc (1991),
40 C.P.R. (3d) 76, 50 F.T.R. 197, [1991] CarswellNat 1110, [1991] F.C. 1253,
[1991] A.C.F. 1253 (C.F.).
Bien sûr, avant publication, le fardeau est différent vu le libellé du paragraphe
37(3) de la Loi sur les marques de commerce qui fait en sorte qu’à ce stade, le
doute se résout en faveur du requérant et de la publication.
Même dans le cas de produits pharmaceutiques vendus sur ordonnance, les
«consommateurs ordinaires» dont il faut tenir compte sont non seulement les
médecins et les pharmaciens, mais aussi les «consommateurs ultimes», c’està-dire les patients auxquels les comprimés ADALAT sont precrits et ce, suivant
l’arrêt rendu dans Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc. (1992), [1992] 3
R.C.S. 120 (C.S.C.).
Revue de la jurisprudence des cours d’appel du Canada
549
2. OPPOSITIONS
2.1 Facteurs à considérer
Affaire Yos28
Dans le cadre d’une opposition, l’analyse de la distinctivité de la
marque de l’opposante est dans les attributions du registraire et cela
est sans rapport avec la validité de cette marque. Il s’agissait de
déterminer si la marque de commerce YOS pour un «grooved double
disk returning string toy»29 créait de la confusion avec la marque de
commerce YO-YO pour un jouet de même nature30.
Dans son laconique arrêt, la Section d’appel de la Cour fédérale
a confirmé le jugement de la Section de première instance. Celle-ci
avait confirmé que le simple fait que la requérante connaissait la
marque de l’opposante n’avait pas pour effet de forclore la requérante d’indiquer dans la demande d’enregistrement, comme l’exige
l’alinéa 30i)31, qu’elle était convaincue d’avoir droit à l’enregistrement de la marque YOS.
Par ailleurs, comme l’un des facteurs de la confusion est la distinctivité des marques en cause, il était parfaitement loisible à la
Commission des oppositions d’examiner la distinctivité inhérente
de la marque de l’opposante et ce, même si cette marque était
enregistrée. À cet égard, la Commission des oppositions avait fait
référence aux définitions du dictionnaire du terme «yo-yo», à des
citations de magazines et de journaux où il était fait référence au
terme «yo-yo» comme un type de jouet, à la publicité même faite par
28. Canada Games Co. Ltd. c. Llumar Star Kites Inc. [YOS] (1994), 55 C.P.R. (3d)
251, [1994] T.M.O.B. 140 (Comm. opp.) D.J. Martin; conf. (1995), 64 C.P.R. (3d)
1, 102 F.T.R. 307, [1995] F.C.J. 1371, [1995] A.C.F. 1371, 58 A.C.W.S. (3d) 480,
[1995] CarswellNat 1797 (C.F.), j. Simpson; conf. (1996), 69 C.P.R. (3d) 454,
206 N.R. 3, [1996] F.C.J. 1322, [1996] A.C.F. 1322, [1996] CarswellNat 1655,
121 F.T.R. 238n (C.A.F.).
29. Autrement traduit dans le Journal des marques de commerce par «disque
double cannelé retournant un objet à ficelle».
30. Suivant Le Petit Robert, un «yoyo» ou «yo-yo» est un nom masculin introduit en
1931 et qui est d’origine chinoise par les Philippines. Il s’agit d’un jouet formé
d’un disque de bois, ou d’autre matériau, évidé par le milieu de la tranche,
qu’on fait descendre et monter le long d’un fil enroulé autour de son axe.
31. «Quiconque sollicite l’enregistrement d’une marque de commerce produit au
bureau du registraire une demande renfermant: [...] i) une déclaration portant
que le requérant est convaincu qu’il a droit d’employer la marque de commerce
au Canada en liaison avec les marchandises ou services décrits dans la
demande.»
550
Les Cahiers de propriété intellectuelle
l’opposante et, enfin, au fait que, malgré tous les efforts de police
de l’opposante, plusieurs autres commerçants utilisaient le terme
«yo-yo» pour décrire un type de jouet.
Affaire Micropost32
Il s’agit d’une confirmation33 par laquelle le registraire des
marques de commerce a rejeté une opposition à la demande en vue
d’enregistrer la marque de commerce MICROPOST pour emploi en
liaison avec «des terminaux de points de vente comportant toutes
les fonctions des caisses enregistreuses et des machines à écrire».
L’élément «POST» serait un acronyme de l’expression «point of sale
terminal».
La Société des postes soutenait que l’utilisation du mot «post»
dans la marque de commerce MICROPOST était susceptible de
porter à croire que les terminaux de points de vente MICROPOST
avaient reçu l’approbation gouvernementale ou créaient autrement
de la confusion avec une série de marques comprenant le terme
«post» dont la Société des postes était titulaire.
La Section de première instance, confirmée en cela par la
Section d’appel de la Cour fédérale, en est venue à la conclusion que,
compte tenu de la grande variété de sens et d’usage courant du mot
«post», la revendication de monopole de la Société des postes, pour
toute autre chose que des services postaux, était extravagante et ne
saurait être acceptée. Aucune personne raisonnable ne présumerait
ou ne déduirait qu’une marque de commerce est nécessairement liée
à la Société des postes parce qu’elle renfermerait le terme «post».
Autrement dit, vu le grand nombre de significations du terme «post»,
l’opposante ne saurait avoir de monopole qu’en ce qui a trait aux
services postaux et non dans les champs où elle n’est pas présente.
32. Canada Post Corporation c. Micropost Corporation [MICROPOST] (1997), 84
C.P.R. (3d) 214, [1997] T.M.O.B. 176, [1887] CarswellNat 2989 (Comm. opp.)
S.E. Groom; conf. (1998), 84 C.P.R. (3d) 225, [1998] F.C.J. 1788, [1998] A.C.F.
1788, [1998] CarswellNat 2427, 159 F.T.R. 144, http://www.cmf.gc.ca/en/cf/
1998/orig/html/1998fca23669.o.en.html, en français à http://www.cmf.gc.ca/
en/cf/1999/vol2/fasc1/fiche/html/1999fca23669.f.en.html (C.F.), j. Hugessen;
conf. (2000), 4 C.P.R. (4th) 417, [2000] F.C.J. 259, [2000] A.C.F. 259, [2000]
CarswellNat 317, 253 N.R. 314, [2000] N.R. TBEd M.R. 027, http://www.cmf.
gc.ca/en/cf/2000/orig/html/2000fca26111.o.en.html, en français à http://www.
cmf.gc.ca/fr/cf/2000/orig/html/2000fca26111.o.fr.html (C.A.F.).
33. La décision de la Section de première instance est autrement commentée par
Roger T. HUGHES, «Can Trade Marks Be Used to Extend Other Monopolies?»,
(1999) 6-1 I.P. 305.
Revue de la jurisprudence des cours d’appel du Canada
551
Affaire Fantasyland34
Après la saga devant les cours albertaines dans l’action en
tromperie commerciale, il s’agissait de déterminer de l’opposition
de Disney à l’enregistrement de la marque FANTASYLAND par
l’albertaine Fantasyland Holdings35.
La date critique quant à la confusion est celle où la décision du
registraire est rendue36.
Par ailleurs, rien n’empêche l’application de la doctrine du «file
estoppel»37 (ou res judicata) entre une action en tromperie commerciale et une opposition, pourvu que la même question soit débattue,
ce qui n’était pas le cas ici. En effet, la décision albertaine ne visait
pas les mêmes services que les marchandises et services couverts par
la demande38. L’arrêt de la Cour d’appel dans Fantasyland a été
rendu le 10 février 2000 et on aura noté que, dans l’arrêt Export
rendu le 3 février 2000, la Section d’appel avait également refusé de
se prononcer sur la recevabilité d’une défense de «file estoppel»39.
34. Disney Enterprises Inc. c. Fantasyland Holdings Inc. [FANTASYLAND
HOTEL] (1997), 77 C.P.R. (3d) 356, [1997] T.M.O.B. 149, [1997] CarswellNat
2921 (Comm. opp.) S.E. Groom; conf. (1998), 85 C.P.R. (3d) 36, [1999] 1 C.F.
531, 158 F.T.R. 255, [1998] F.C.J. 1718, [1998] A.C.F. 1718, [1998] CarswellNat 2333, http://www.cmf.gc.ca/en/cf/1999/vol1/html/1999fca23579.p.en.html,
en français [1998] CarswellNat 2880 (C.F.), j. Campbell; conf. (2000), 4 C.P.R.
(4th) 370, [2000] F.C.J. 175, [2000] A.C.F. 175, [2000] CarswellNat 229, 252
N.R. 175, [2000] N.R. TBEd M.R. 007, http://www.cmf.gc.ca/en/cf/2000/orig/
html/2000fca26035.o.en.html, en français à http://www.cmf.gc.ca/fr/cf/2000/
orig/html/2000fca26035.o.fr.html (C.A.F.).
35. Le jugement de première instance est autrement commenté par Barry GAMACHE, «Issue Estoppel Has No Effect On Fantasyland Hotel Ruling», (1999) 13
W.I.P.R. 43.
36. Ce qui laisse peu de place au «line extension», même en tenant compte du paragraphe 6(2) in fine de la Loi sur les marques de commerce!
37. «‘Estoppel per rem judicatum’. Directed to the capacity of the parties to an
action and, where it is properly applicable, it prevents those parties from relitigating either a cause of action or an issue that has previously been decided»:
Daphne A. DUKELOW et al., The Dictionary of Canadian Law, 2e éd. (Toronto,
Carswell, 1995), à la page 405.
38. On notera cependant le refus de la Cour d’appel de se prononcer spécifiquement sur la recevabilité de ce moyen.
39. Voir le paragraphe 82 de cet arrêt, où Labatt avait elle-même tenté d’enregistrer le terme EXPORT.
552
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Affaire Dolly Madison40
Les gâteaux DOLLY MADISON41 de Interstate créent-ils de
la confusion avec la crème glacée DOLLY MADISON de Becker42?
Les parties, par leurs prédécesseurs en titre, exploitaient la
marque DOLLY MADISON aux États-Unis depuis au moins 1912
pour des gâteaux et depuis au moins 1930 pour de la crème glacée.
En l’espèce, la coexistence et l’utilisation simultanée des marques de
commerce aux États-Unis constituait un facteur pertinent pour
évaluer la question de la confusion au Canada.
Pour juridiquement acceptable qu’était cette proposition,
encore fallait-il que les éléments de preuve sur la question de la
confusion aux États-Unis soient suffisants pour qu’on puisse tirer
des inférences au sujet des risques de confusion au Canada, ce qui
n’était pas le cas. Plus particulièrement, si la coexistence de deux
marques sur un autre marché peut être un élément à considérer,
encore faut-il que le témoin qui alléguera cette absence de confusion
puisse justifier des mécanismes qui permettraient de porter celle-ci à
son attention, le cas échéant.
Affaire Techniquip43
Le pictogramme d’un homme harnaché pour emploi en liaison
avec des harnais de sécurité ressemble-t-il aux pictogrammes olym40. Interstate Brands Company – Licensing Co. c. Becker Milk Company Limited
[DOLLY MADISON] (1996), 67 C.P.R. (3d) 76, [1996] T.M.O.B. 13 (Comm.
opp.); conf. (1988), 81 C.P.R. (3d) 270, [1998] F.C.J. 891, [1998] A.C.F. 891, 146
F.T.R. 293, [1998] CarswellNat 1152, en français à http://www.cmf.gc.ca/fr/cf/
1998/orig/html/1998fca22708.o.fr.html (C.F.), j. McGillis; conf. (2000), 5 C.P.R.
(4th) 573, [2000] F.C.J. 358, [2000] A.C.F. 358, 254 N.R. 360, http://www.cmf.
gc.ca/en/cf/2000/orig/html/2000fca26209.o.en.html, en français à http://www.
cmf.gc.ca/fr/cf/2000/orig/html/2000fca26209.o.fr.html (C.A.F.).
41. Dolly Madison est un personnage historique qui a vécu de 1768 à 1849; c’était
la femme de James Madison, quatrième président des États-Unis.
42. La décision de la Section de première instance a été autrement commentée par
Diane LEDUC, «Court Refuses Registration of ‘Dolly Madison Bakery’ Mark»,
(1998) 12 W.I.P.R. 294.
43. Techniquip Ltd. c. Canadian Olympic Assn [REPRESENTATION OF A MAN]
(1997), http://www.cmf.gc.ca/en/cf/1998/orig/html/1998fca22109.o.en.html,
en français à http://www.cmf.gc.ca/fr/cf/1998/orig/html/1998fca22109.o.fr.html
(C.F.), j. Joyal; conf. (1999), 3 C.P.R. (4th) 298, 250 N.R. 302, [1999] F.C.J.
1787, [1999] CarswellNat 2511, 177 F.T.R. 158n, http://www.cmf.gc.ca/en/cf/
1999/orig/html/1999fca25631.o.en.html (C.A.F.).
Revue de la jurisprudence des cours d’appel du Canada
553
piques, de telle sorte qu’on pourrait vraisemblablement le confondre
avec ceux-ci? Les marques en cause sont ci-après reproduites:
Marque de commerce de la requérante
Marques officielles de l’opposante
La protection conférée par le sous-alinéa 9(1)n)(iii) est, à certains égards, plus large que le simple test de confusion mais le test de
ressemblance sous 9(1)n)(iii) est, lui, plus restreint que celui de la
confusion que prévoit l’article 644. Le test sous l’article 9 est celui de
la ressemblance45 alors que, sous le paragraphe 6(5), le degré de ressemblance entre les marques n’est qu’un des critères à considérer46.
Il est d’abord précisé que, sous l’article 9, le test n’en est toutefois pas un de «straight comparison» mais plutôt un qui consiste à
déterminer si la ressemblance entre les marques est telle que l’une
pourrait être confondue avec l’autre.
Dans la mesure où l’opposante se fondait sur l’existence d’une
famille de marques, il lui fallait établir l’emploi de celles-ci et l’état
du registre ou du marché devenait alors pertinent47, ne serait-ce que
pour indiquer qu’il n’existait pas de famille parce que de telles marques étaient communes.
44. Le paragraphe 6(2) de la Loi sur les marques de commerce se lit comme suit:
«L’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre
marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la
même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à
ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées,
ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie
générale.»
45. La portion introductive du paragraphe 9(1) de la Loi sur les marques de commerce se lit comme suit: «Nul ne peut adopter à l’égard d’une entreprise, comme
marque de commerce ou autrement, une marque composée de ce qui suit, ou
dont la ressemblance est telle qu’on pourrait vraisemblablement la confondre
avec ce qui suit: [...]»
46. L’alinéa 6(5)e) de la Loi sur les marques de commerce se lit comme suit: «En
décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la
confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les
circonstances de l’espèce, y compris: [...] e) le degré de ressemblance entre les
marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son,
ou dans les idées qu’ils suggèrent.»
47. Le concept de famille de marques est, faut-il le rappeler, un concept propre à
l’article 6 et non à l’article 9.
554
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Affaire Pink Panther48
La marque PINK PANTHER pour des accessoires de beauté
crée-t-elle de la confusion avec les films du même nom et ce, en
l’absence de [preuve de] connexité ou de similarité entre les produits,
malgré la notoriété de la marque de commerce de l’opposante49?
Dans le cas d’une marque notoire, la Section d’appel nous
indique que ce qu’il faut considérer n’est pas tant combien la marque
est notoire mais s’il y a de la confusion. La notoriété ne constituera
qu’une autre des circonstances dont il faudra tenir compte. L’absence
de [preuve de] connexité entre deux produits pourra constituer une
indication qu’il n’y a pas de confusion. Le monopole conféré par une
marque de commerce doit être en rapport avec le champ de l’enregistrement ou de l’exploitation.
Affaire Baylor50
Y a-t-il confusion entre la marque BAYLOR pour des vêtements et les marques de commerce BAYCREST, BAYCLUB, BAYMART, BAY RIDER, BAY SPORT et THE BAY51 de l’opposante
pour, entre autres, des vêtements52?
48. United Artist Corp. c. Pink Panther Beauty Corp. [THE PINK PANTHER]
(1990), 34 C.P.R. (3d) 135 (Comm. opp.); inf. (1996), 67 C.P.R. (3d) 216, 111
F.T.R. 241, 62 A.C.W.S. (3d) 1200, [1996] F.C.J. 529, [1996] A.C.F. 529, http://
www.cmf.gc.ca/en/cf/1996/vol2/fasc4/fiche/html/1996fcaa2204.f.en.html (C.F.),
j. MacKay; inf. (1998), 80 C.P.R. (3d) 247, 225 N.R. 82, [1998] 3 C.F. 534, [1998]
F.C.J. 441, [1998] CarswellNat 548, 147 F.T.R. 306m, http://www.cmf.gc.ca/
en/cf/1998/vol3/html/1998fca22291.p.en.html, en français [1998] CarswellNat
2060 (C.A.F.); requête pour permission d’en appeler à la Cour suprême du
Canada produite [1998] S.C.C.A. 273; désistement d’appel produit le 1999-06-21
(C.S.C.).
49. Arrêt autrement commenté par Daniel COOPER, «Copying Famous Mark Does
Not Lead To Automatic Assumption of Confusion», (1998) 12 W.I.P.R. 221; voir
également Carol HITCHMAN, «How Famous Is Famous?», (1998) 5-2 I.P. 266.
50. Baylor University c. Governor and Co. of Adventurers [BAYLOR] (1997), 82
C.P.R. (3d) 86, [1997] CarswellNat 2898, [1997] T.M.O.B. 224 (Comm. opp.),
G. Partington; conf. (1998), 84 C.P.R. (3d) 354, 159 F.T.R. 272, [1998] CarswellNat 2898, [1998] F.C.J. 1837, [1998] A.C.F. 1837, en français à http://www.
cmf.gc.ca/fr/cf/1998/orig/html/1998fca23658.o.fr.html (C.F.), j. Muldoon; inf.
(2000), 8 C.P.R. (4th) 64, 257 N.R. 231, [2000] CarswellNat 1344, [2000] 2 C.F.
4 D-51, [2000] F.C.J. 984, [2000] A.C.F. 984, http://www.cmf.gc.ca/en/cf/2000/
orig/html/2000fca26829.o.en.html, en français à http://www.cmf.gc.ca/fr/cf/
2000/orig/html/2000fca26829.o.fr.html (C.A.F.).
51. La preuve révélait également que dans le cas des produits «collégiaux», la
marque de commerce était généralement placée de façon proéminente et bien
visible sur le produit alors que dans le cas des marques de commerce de
l’opposante, celles-ci, plus discrètes, étaient plutôt apposées sur une étiquette
à l’intérieur du vêtement.
52. Le jugement de première instance a été commenté par Diane LEDUC
CAMPBELL, «The Weight of Trademark State of Register Evidence», (1999)
Revue de la jurisprudence des cours d’appel du Canada
555
Deux erreurs du juge de première instance le feront infirmer
par la Section d’appel.
Celle-ci rappelle d’abord que la confusion entre les marques de
commerce en cause devait se déterminer à la date de la décision du
registraire et non plus tôt53.
De plus, il est de droit constant que la question de la confusion
créée par la vente de marchandises sous des marques de commerce
concurrentes doit être tranchée par référence aux acheteurs probables de ces marchandises. Il ne faut donc pas faire référence à cette
personne fictive qu’est «le consommateur moyen»: lorsqu’il s’agit de
dire si deux marques de commerce peuvent être confondues, il faut
prendre en considération les personnes qui achèteront vraisemblablement les marchandises, c’est-à-dire les personnes qui forment
habituellement le marché, c’est-à-dire les consommateurs des marchandises ou services en cause54.
Affaires U.S. Polo Association (2)55 et affaire U.S. Polo
Association (3)56
Le fabricant de vêtements et autres accessoires de la mode
Polo Ralph Lauren Corp. s’opposait à l’enregistrement par la United
53.
54.
55.
56.
13 W.I.P.R. 76, alors que l’arrêt de la Section d’appel a, lui, été commenté par
Stéphanie MALO, «Standard of Review of Decisions Of the Registrar of TradeMarks», (2000) 14 W.I.P.R. 320.
En l’espèce, plus de six années avant que la décision de la Commission des
oppositions ne soit rendue...
Le «bon consommateur» était ici l’acheteur probable de vêtements promotionnels d’université (Collegiate licensing), c’est-à-dire des garçons et des hommes
de 10 à 40 ans dont le trait commun est leur intérêt pour les sports. Et d’ajouter
le juge Noël pour la Cour, au paragraphe 31: «Dans ce contexte, il est non seulement plausible mais probable, ainsi que l’affirme M. Warrington dans son
affidavit, que ceux qui tendent à acheter des vêtements promotionnels d’université connaissent vraisemblablement le lien entre la marque de commerce
exhibée sur ces vêtements et l’université qu’elle représente.»
Polo Ralph Lauren Corp. c. United States Polo Association [UNITED STATES
POLO ASSOCIATION (2)] (1994), 59 C.P.R. (3d) 543, [1994] T.M.O.B. 314
(Comm. opp., demande T.M.O. 629983), D. Martin et (1994), [1994] T.M.O.B.
315 (Comm. opp., demande T.M.O. 629855), D. Martin; inf. (1999), 87 C.P.R.
(3d) 193, [1999] F.C.J. 318, [1999] CarswellNat 436, 163 F.T.R. 59, en français
à http://www.cmf.gc.ca/fr/cf/1999/orig/html/1999fca24140.o.fr.html (C.F., dossier T-193-95) j. Nadon; conf. (2000), 9 C.P.R. (4th) 51, [2000] CarswellNat
2167, [2000] F.C.J. 1472, [2000] 1 C.F. F-14, [2000] N.R. TBEd OC 022,
http://www.cmf.gc.ca/en/cf/2000/orig/html/2000fca27350.o.en.html (C.A.F.,
dossier A-206-99).
Polo Ralph Lauren Corp. c. United States Polo Association [U.S. POLO ASSOCIATION(3)] (1995), 65 C.P.R. (3d) 246, [1995] T.M.O.B. 211 (Comm. opp.,
556
Les Cahiers de propriété intellectuelle
States Polo Association de deux marques graphiques et deux
marques nominales en liaison, entre autres, avec des vêtements.
Le registraire avait accueilli les quatre oppositions. En appel, sur
preuve additionnelle, le juge de première instance avait maintenu la
décision du registraire quant aux marques nominales et infirmé
celui-ci quant aux marques graphiques. Par ses arrêts57, la Section
d’appel confirme les jugements de première instance58.
Les marques de commerce en cause sont ci-après reproduites59:
U.S. POLO ASS’N
Demande
544 477
Demande
544 478
Demande
629 983
POLO
Enregistrement
462 611
Enregistrement
462 060
Enregistrement
312 324
U.S. POLO
ASSOCIATION
Demande
629 985
POLO BY
RALPH
LAUREN
Enregistrement
314 406
demande T.M.O. 544478) M. Herzig) et (1995), [1995] T.M.O.B. 219 (Comm.
opp., demande T.M.O. 544477) M. Herzig); inf. (1999), 87 C.P.R. (3d) 193,
[1999] CarswellNat 436, 163 F.T.R. 59, en français à http://www.cmf.gc.ca/
fr/cf/1999/orig/html/1999fca24140.o.fr.html (C.F., dossier T-189-96), j. Nadon;
conf. (2000), 9 C.P.R. (4th) 51, [2000] CarswellNat 2167, [2000] F.C.J. 1472,
[2001] 1 C.F. F-14, [2000] N.R. TBEd OC022, http://www.cmf.gc.ca/en/cf/2000/
orig/html/2000fca27350.o.en.html (C.A.F., dossier A-206-96).
57. Autrement commentés par Stella SYRIANOS, «State-of-the Register Evidence
Can Mitigate Significance of Resemblance», (2000) 14 W.I.P.R. 387.
58. On notera toutefois que, dans les deux arrêts, sans être dissident quant au
résultat, le juge Isaac y va de ses propres commentaires: quant à lui, les marques graphiques en cause, considérées dans leur globalité, sont tout simplement trop différentes pour qu’il y ait confusion.
59. En ce qui a trait aux marques de commerce alléguées par l’opposante, toutes
n’étaient pas enregistrées au moment des procédures.
Revue de la jurisprudence des cours d’appel du Canada
Enregistrement
314 256
Enregistrement
589 978
557
Enregistrement
318 560
L’état du registre des marques de commerce est un facteur à
considérer pour déterminer s’il y a confusion entre deux marques de
commerce. Ainsi, la présence d’un élément commun d’importance
qui se retrouverait dans chacune des marques de commerce militerait en faveur d’une vraisemblance de confusion entre celles-ci. Toutefois, si cet élément commun se retrouve également dans d’autres
marques de commerce destinées au même marché, il s’agira là d’une
circonstance dont le juge pourra tirer que le consommateur de tels
produits est habitué à faire plus attention aux différences, même
mineures, entre les marques.
En présentant une preuve qu’il y avait au registre soixantesept marques de commerce incorporant le terme «polo» dans le
domaine des vêtements, la requérante a mitigé les apparentes similarités entre ses marques graphiques et celle de l’opposante et s’est
ainsi déchargée de son fardeau de prouver60 qu’il n’y avait pas confusion. Quant aux marques nominales, la notoriété acquise aux marques de l’opposante a fait en sorte qu’il n’y avait pas lieu d’intervenir
dans la décsion du registraire en l’absence de déraisonnabilité dans
sa décision.
60. On notera cependant que cette preuve n’a pas fait l’objet de quelque contreinterrogatoire ou contre-preuve quant à, par exemple, l’état réel du marché.
558
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Affaire Unitel61
Le 28 septembre 2000, dans l’affaire Unitel International Inc. c.
Canada (Registrar of Trade-marks)62, la Section d’appel de la Cour
fédérale du Canada, par le juge Rothstein, rendait un arrêt aux termes duquel il était indiqué que les dates de premier emploi alléguées
dans deux demandes d’enregistrement en instance n’étaient pas pertinentes lors de l’application de l’alinéa 37(1)c) de la Loi sur les marques de commerce.
En fait, la Cour a précisé suo spumonte que dans l’éventualité
où il y avait confusion entre deux marques de commerce pour lesquelles il y avait une demande d’enregistrement en instance, la priorité écherrait à la demande d’enregistrement produite en premier
lieu et ce, même si la date d’emploi allégué était postérieure à la
demande d’enregistrement subséquemment produite:
Dans leurs motifs, le registraire et le juge de première instance
renvoient aux dates alléguées dans les deux demandes concernant l’emploi initial de la marque de commerce. Nous tenons à
signaler que la date à laquelle la marque de commerce a été
employée pour la première fois n’est pas pertinente aux fins de
l’alinéa 37(1)c). La seule question à trancher est de savoir s’il
y a confusion entre la marque du demandeur et celle pour
laquelle une demande d’enregistrement est déjà en instance.
L’appelante paraît s’inquiéter de ce que l’application de l’alinéa
37(1)c) est susceptible d’occasionner des retards et de multiplier les instances. Si tel est le cas, il appartient au Parlement, et
non à la Cour, de remédier à la situation. [Les italiques sont
nôtres].
61. Unitel International Inc. c. Canada (Registrar of Trade-marks) [UNITEL]
(1999), 86 C.P.R. (3d) 467, 162 F.T.R. 81, [1999] F.C.J. 46, [1999] A.C.F. 46,
http://www.cmf.gc.ca/en/cf/1998/orig/html/1998fca23840.o.en.html, en français à http://www.cmf.gc.ca/fr/cf/1998/orig/html/1998fca23840.o.fr.html (C.F.),
j. Pinard; conf. (2000), 9 C.P.R. (4th) 127, 261 N.R. 95, [2000] F.C.J. 1652,
[2000] A.C.F. 1652, [2000] CarswellNat 2545, http://www.cmf.gc.ca/en/cf/
2000/orig/html/2000fca27542.o.en.html, en français à http://www.cmf.gc.ca/
fr/cf/2000/orig/html/2000fca27542.o.fr.html (C.A.F.).
62. Autrement commenté par Stella SYRIANOS, «Dates of First Use No Longer
A Consideration During the Examination Process, Federal Court of Appeal
Rules», (2001) 15 W.I.P.R. 3 et Marc GAGNON, «L’alinéa 37(1)c) de la Loi sur
les marques de commerce et l’arrêt Unitel», (2000) 13-3 Les cahiers de propriété
intellectuelle (à paraître).
Revue de la jurisprudence des cours d’appel du Canada
559
Voilà un arrêt d’apparence anodine mais qui a ébranlé l’ensemble de la pratique. En effet, qui n’a pas, au vu d’une demande
conflictuelle antérieurement produite mais non encore enregistrée,
recommandé à un client de produire une demande d’enregistrement
dont la date d’adoption (emploi au Canada ou révélation au Canada),
antérioriserait la demande adverse et ce, de façon à obtenir une
publication «par-dessus» la marque conflictuelle?
D’aucuns auraient estimé que la Section d’appel aurait dû faire
preuve de restriction mentale (judicial restraint), le point faisant
l’objet du commentaire n’étant pas spécifiquement en jeu dans la
procédure d’appel63. Si le Bureau des marques de commerce en est
encore, pour la Section des examens, à élaborer une ligne directrice64, la Commission des oppositions, elle, ne semble voir dans cet
arrêt qu’un simple obiter dictum dont elle ne tiendra pas compte65.
63. Du moins, telle que la question était formulée par la Section de première instance: un examen des mémoires d’appel ne révèle pas que ce point ait fait l’objet
d’un allégué particulier.
64. Le 2001-02-28, dans le cadre d’une réunion du Comité de liaison entre l’Institut
de la propriété intellectuelle du Canada et le Bureau des marques, les représentants de ce dernier annonçaient qu’une telle politique ne serait pas adoptée
et que l’arrêt de la Section d’appel serait ignoré. Much cry and little wool [J.
FORTESCUE, On Governance of England (1885)], Much Ado About Nothing /
Beaucoup de bruit pour rien [suivant le titre de la comédie shakespearienne de
1613] ou encore, Une tempête dans un verre d’eau: au choix du lecteur. Cela est
confirmé par un Énoncé de pratique publié par le registraire dans l’édition du
2001-03-07 du Journal des marques de commerce (vol. 48, no 2419, p. 162) dont
texte partiel: «Les agents du Bureau des marques de commerce, après avoir
étudié l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Unitel International Inc. c. Registraire des marques de commerce (non publiée, A-83-99), ont
conclu qu’il n’était pas nécessaire de modifier la pratique actuelle concernant
l’article 16 et l’alinéa 37(1)c) de la Loi sur les marques de commerce.» Faut avoir
du front tout le tour de la tête pas à peu près, diraient certains, pour choisir
d’ignorer délibérément un arrêt spécifique de la Section d’appel de la Cour
fédérale.
65. Décision intérimaire du 2001-01-24 de la Commission des oppositions (G.W.
Partington) dans l’affaire 3031764 Canada Inc. c. HDN Development Corporation [KRISPY KREME]: «Consequently, the statement is considered to be an
opinion expressed by the judge that was not directly related to the determination of the case and, as such, is obiter dictum and not binding as precedent.»
560
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Affaire Lexus66
De cet arrêt infirmatif67, on tirera que la notoriété, à elle seule,
ne permet pas d’élargir le champ de protection au-delà du raisonnable68. Pour qu’il y ait confusion, il faut, entre autres, tenir compte
des marchandises ou services en cause et, en l’absence d’une preuve
de connexité, il n’était pas supportable pour le juge de première instance de trouver qu’il y avait confusion entre des automobiles de
marque LEXUS et des fruits et légumes en conserve de marque
LEXUS.
La célébrité à elle seule, de conclure la Section d’appel, ne protège pas une marque de commerce de façon absolue. Il s’agit simplement d’un facteur qui doit être apprécié en liaison avec tous les
autres facteurs. Si la célébrité d’un nom pouvait empêcher toute
autre utilisation de ce nom, le concept fondamental de l’octroi d’une
marque de commerce en liaison avec certaines marchandises perdrait toute sa signification. De plus, on ne peut soutenir que le tribunal a l’obligation de protéger les marques de commerce prometteuses
pour préserver [leur] réputation en devenir, ainsi qu’il ressort implicitement des motifs du juge de première instance. Le tribunal doit, sur
la question de la célébrité, «tenir compte des faits tels qu’ils se présentent au moment de sa décision»69.
Affaire Confortel70
En liaison avec des services d’hôtellerie, la marque de commerce CONFORTEL crée-t-elle de la confusion avec la marque
66. Toyota Jidosha Kabushiki Kaisha c. Lexus Foods Inc. [LEXUS] (1997), [1997]
T.M.O.B. 184, [1997] CarswellNat 3023 (Comm. opp.) P. Cooke; inf. (1999) 2
C.P.R. (4th) 62, 174 F.T.R. 277, [1999] F.C.J. 1230, [1999] A.C.F. 1340, [1999]
CarswellNat 1807, http://www.cmf.gc.ca/en/cf/1999/orig/html/1999fca25154.
o.en.html, en français à http://www.cmf.gc.ca/fr/cf/1999/orig/html/
1999fca25154.o.fr.html (C.F.), j. Blais; inf. (2000), 9 C.P.R. (4th) 297, [2000]
F.C.J. 1890, [2000] A.C.F. 1890, [2000] CarswellNat 2870, 264 N.R. 158, [2000]
N.R. TBEd DE013, http://www.cmf.gc.ca/en/cf/2000/orig/html/2000fca27771.
o.en.html (C.A.F.), requête pour permission d’appeler (2001), [2001] S.C.C.A.
32 (C.S.C.).
67. Le jugement de première instance est commenté par Barry GAMACHE,
«Famous Trade-mark Can Claim Wide Ambit of Protection, Federal Court
Rules in ‘Lexus’ Case», (2000) 14 W.I.P.R. 360 et l’arrêt de la Section d’appel
également par Barry GAMACHE, «Famousness Alone Does Not Protect A
Trade-mark Absolutely, Court Rules», (2001) 15 W.I.P.R. 6.
68. Et ce, magré que les paragraphes 6(2), 6(3) et 6(4) de la Loi sur les marques de
commerce indiquent qu’il peut y avoir confusion «que ces marchandises ou services soient ou non de la même catégorie».
69. Le juge Linden, pour la Cour, au paragraphe 9.
70. Hotels Confortel Inc. c. Choice Hotels International Inc. [CONFORTEL] (1994),
53 C.P.R. (3d) 249, [1994] T.M.O.B. 23 (Comm. opp.), M. Herzig; inf. (1996), 67
Revue de la jurisprudence des cours d’appel du Canada
561
COMFORT INN? Non, de décider la Commission des oppositions71;
oui, sur la base d’une nouvelle preuve72 d’infirmer la Section de première instance; oui, de confirmer la Section d’appel.
Rappelant que le fardeau de prouver qu’il n’y a pas de confusion
repose sur celui qui demande l’enregistrement d’une marque de commerce, le juge de première instance infirme la Commission des oppositions au motif que celle-ci a tenu compte des différences entre les
marques plutôt que des ressemblances, notamment quant au son et à
l’idée suggérée. Non étrangère à la décision est l’introduction par
l’opposante d’une preuve additionnelle qui permettait au juge de
jeter un «regard neuf» sur l’affaire.
C’est sans doute là que le bât blesse. En effet, dans son arrêt
confirmatif, la Section d’appel déclare sans valeur probante cette
preuve additionnelle, le sondage ne respectant pas les normes minimales de fiabilité dans le domaine73. Dès lors, s’il n’y avait plus de
preuve additionnelle, le juge de première instance avait-il raison
d’intervenir dans l’appréciation de la Commission des oppositions.
Suivant le principe d’interférence minimale élaboré par la Cour
suprême et maintes fois rappelé par la Section d’appel, on eût été
fondé de répondre par la négative; s’il faut justifier l’arrêt de la Section d’appel, le juge de première instance aurait sans doute décelé
quelque erreur manifeste mais, malheureusement, elle se garde bien
de préciser laquelle74. Suspense.
71.
72.
73.
74.
C.P.R. (3d) 340, 112 F.T.R. 39, [1996] F.C.J. 330, [1996] A.C.F. 330, [1996]
CarswellNat 692 (C.F.), j. Rouleau; conf. (2000), [2000] CarswellNat 3028,
[2000] A.C.F. 2015, [2001] N.R. TBEd JA009, en français à http://www.cmf.gc.
ca/fr/cf/2000/orig/html/2000fca27921.o.fr.html (C.A.F.).
En l’absence de quelque preuve de l’opposante, il faut bien le noter; par contre,
la requérante, elle, avait produit preuve non contredite sur l’étendue de l’exploitation de la marque de commerce subséquemment à la production de la
demande d’enregistrement.
Essentiellement, une preuve par sondage sur l’attitude de consommateurs confrontés à la marque de commerce COMFORT INN de l’opposante puis à la
marque CONFORTEL de la requérante.
Et, ironiquement, longuement élaborées par un livre que venait de publier
l’auteure du sondage: Ruth M. CORBIN, A. Kelly GILL et R. Scott JOLLIFFE,
Trial by Survey: Survey Evidence & the Law (Toronto, Carswell, 2000)!
Au mieux, pourrait-on présumer qu’il était déraisonnable pour la Commission
de prêter attention aux différences entre les marques de commerce en cause
plutôt qu’aux ressemblances mais on admettra que cela, en l’espèce, ressemblait pour beaucoup à une simple substitution d’appréciation que n’étayait pas
une nouvelle preuve...
562
Les Cahiers de propriété intellectuelle
2.2 Poids à accorder à la décision du registraire
Affaire Dolly Madison75
Pour procéder de novo et écarter la décision du registraire, la
nouvelle preuve doit être recevable et ajouter réellement à ce que
produit devant le registraire.
Affaire Vitaliano Pancaldi76
La norme de contrôle en appel exige que le juge soit nettement
convaincu que le registraire est arrivé à une conclusion erronée sur
les faits ou le droit pour modifier sa décision.
Affaire Export77
S’il n’y a pas de preuve additionnelle, alors c’est le critère de raisonnabilité de la décision qu’il faut vérifier. S’il y a une preuve additionnelle d’importance telle qu’elle aurait pu affecter la décision du
registraire, alors le juge d’appel doit en venir à ses propres conclusions.
75. Interstate Brands Company – Licensing Co. c. Becker Milk Company Limited
[DOLLY MADISON] (1996), 67 C.P.R. (3d) 76, [1996] T.M.O.B. 13 (Comm.
opp.); conf. (1988), 81 C.P.R. (3d) 270, [1998] F.C.J. 891, [1998] A.C.F. 891, 146
F.T.R. 293, [1998] CarswellNat 1152, en français à http://www.cmf.gc.ca/
fr/cf/1998/orig/html/1998fca22708.o.fr.html (C.F.), j. McGillis; conf. (2000),
5 C.P.R. (4th) 573, [2000] F.C.J. 358, [2000] A.C.F. 358, 254 N.R. 360, http://
www.cmf.gc.ca/ en/cf/2000/orig/html/2000fca26209.o.en.html, en français à
http://www.cmf.gc. ca/fr/cf/2000/orig/html/2000fca26209.o.fr.html (C.A.F.).
76. Mantha & Associates c. Cravatte de Pancaldi s.r.l. [VITALIANO PANCALDI
(WHITE)] (1998), 84 C.P.R. (3d) 455, 154 F.T.R. 289, [1998] F.C.J. 1636, [1998]
A.C.F. 1636, [1998] CarswellNat 2235, http://www.cmf.gc.ca/en/cf/1998/orig/
html/1998fca23468.o.en.html, en français à http://www.cmf.gc.ca/fr/cf/1998/
orig/html/1998fca23468.o.fr.html (C.F.), j. Teitelbaum; conf. (2000), [2000]
F.C.J. 13, [2000] A.C.F. 8, 179 F.T.R. 319n, [2000] CarswellNat 38, 253 N.R.
294, http://www.cmf.gc.ca/en/cf/2000/orig/html/2000fca25817.o.en.html, en
français à http://www.cmf.gc.ca/fr/cf/2000/orig/html/2000fca25817.o.fr.html
(C.A.F.).
77. Molson Breweries c. John Labatt Ltd. [EXPORT] (1995), 66 C.P.R. (3d) 227,
[1995] T.M.O.B. 223 (Comm. opp.) D.J. Martin; inf. (1998), 82 C.P.R. (3d) 1, 148
F.T.R. 281, [1998] F.C.J. 929, [1998] CarswellNat 1249, http://www.cmf.gc.ca/
en/cf/1998/vol4/fasc3/fiche/html/1998fca22839.f.en.html (C.F.), j. TremblayLamer; mod. (2000), 5 C.P.R. (4th) 180, [2000] F.C.J. 159, [2000] CarswellNat
178, 252 N.R. 91, [2000] 3 C.F. 145, [2000] N.R. TBEd F.E. 045, http://www.
cmf.gc.ca/en/cf/2000/vol3/html/2000fca26005.p.en.html, en français [2000]
CarswellNat 1754 (C.A.F.); permision d’en appeler à la Cour suprême du
Canada refusée (2000), 7 C.P.R. (4th) vi, [2000] 3 C.F. I, [2000] CarswellNat
2383, [2000] S.C.C.A. 161, en français [2000] CarswellNat 2384 (C.S.C.).
Revue de la jurisprudence des cours d’appel du Canada
563
L’intérêt de la décision rendue par la Section d’appel de la Cour
fédérale dans l’affaire Export tient aux références importantes de la
Section d’appel à la décision rendue par la Cour suprême du Canada
dans l’affaire Southam78. Certains passages de cet arrêt de la Cour
suprême méritent d’être reproduits, en les paraphrasant pour les
adapter au droit des marques. Rappelons ici que le paragraphe 56(1)
de la Loi sur les marques de commerce prévoit un appel de plein droit
des décisions finales du registraire des marques79.
Lorsqu’une loi n’établit pas de droit d’appel d’une décision d’un
tribunal administratif, c’est par demande de révision judiciaire que
peut être attaquée une telle décision. Le critère de révision alors
applicable est celui de l’erreur manifestement déraisonnable.
Par contre, lorsque la loi établit le droit d’interjeter appel des
décisions d’un tribunal [telle la Commission des oppositions] sur les
questions de droit et de faits, la cour chargée du contrôle de ces décisions n’est pas tenue de se limiter à y chercher des erreurs manifestement déraisonnables. Par ailleurs, l’appel d’une décision d’un
tribunal administratif spécialisé [telle la Commission des oppositions] n’est pas exactement comme un appel formé contre une décision d’une cour de première instance. Si le Parlement confie
l’examen de certaines questions à un tribunal administratif plutôt
qu’aux tribunaux ordinaires, il est permis de présumer que c’est
parce que le tribunal administratif apporte un certain avantage que
les juges ne sont pas en mesure d’offrir80.
78. Southam c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches) (1992), 47 C.P.R. (3d)
240 (Tribunal de la concurrence-redressement); conf. (1995), 127 D.L.R. (4th)
329, 185 N.R. 291, 63 C.P.R. (3d) 67, 21 BLR (2d) 68, [1995] CarswellNat 709,
[1995] F.C.J. 1091, http://www.cmf.gc.ca/en/cf/1995/vol3/html/1995fcaa0144.
p.en.html, en français à [1995] CarswellNat 1312 (C.A.F. – redressement);
(1992), 43 C.P.R. (3d) 161, [1992] CarswellNat 637 (Tribunal de la concurrence
– fond) et (1993), 48 C.P.R. (3d) 224 (Tribunal de la concurrence – fond – motifs
additionnels); inf. (1995), [1995] 3 C.F. 557, 127 D.L.R. (4th) 263, 63 C.P.R. (3d)
1, 21 BLR (2d) 1, 185 N.R. 321, [1995] CarswellNat 708 (C.A.F. – fond); infirmé
quant au fond et confirmé quant au redressement (1997), 71 C.P.R. (3d) 417,
144 D.L.R. (4th) 1, 209 N.R. 20, [1997] 1 R.C.S. 748, [1997] S.C.J. 116, [1997]
CarswellNat 368, 50 Adm. L.R. (2d) 199, en français à [1997] CarswellNat 369
(C.S.C.), le juge Iacobucci aux pages 776-777.
79. «Appel de toute décision rendue par le registraire, sous le régime de la présente
loi, peut être interjeté à la Cour fédérale dans les deux mois qui suivent la date
où le registraire a expédié l’avis de la décision ou dans tel délai supplémentaire
accordé par le tribunal, soit avant, soit après l’expiration des deux mois.»
80. Parce que les tribunaux administratifs possèdent généralement une certaine
expertise et sont saisis de problèmes difficiles et complexes, il est nécessaire
d’appliquer une norme appelant à plus de retenue que la norme de la simple
décision correcte, nous indique l’arrêtiste dans l’affaire Southam.
564
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Pour cette raison, à cause de l’expertise présumée de ce type
de tribunaux, le contrôle des décisions d’un tribunal administratif
[telle la Commission des oppositions] doit souvent se faire non pas en
regard de la norme de la décision correcte mais plutôt en fonction
d’une norme exigeant de faire montre de retenue. Cette troisième
norme devrait être fondée sur la question de savoir si la décision du
tribunal est déraisonnable. Est déraisonnable la décision qui, dans
l’ensemble, n’est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable [i.e., en appel
d’une décision d’un tribunal administratif] doit se demander s’il
existe quelque motif étayant cette conclusion. Le défaut, s’il en est,
pourrait découler de la preuve elle-même ou du raisonnement qui a
été appliqué pour tirer les conclusions de cette preuve.
La différence entre «déraisonnable» et «manifestement déraisonnable» réside dans le caractère flagrant ou évident du défaut. Si
le défaut est manifeste au vu des motifs du tribunal, la décision de
celui-ci est alors manifestement déraisonnable. Cependant, s’il faut
procéder à un examen ou à une analyse en profondeur pour déceler le
défaut, la décision est alors déraisonnable mais non manifestement
déraisonnable. Cela ne veut pas dire, évidemment, que les juges qui
contrôlent une décision en regard de la norme du caractère manifestement déraisonnable ne peuvent pas examiner le dossier. Si la décision contrôlée par un juge est assez complexe, il est possible qu’il lui
faille faire beaucoup de lecture et de réflexion avant de saisir toutes
les dimensions du problème. Mais une fois que les contours du problème sont devenus apparents, si sa décision est manifestement
déraisonnable, son caractère déraisonnable ressortira.
La norme de la décision raisonnable se rapproche de la norme
applicable pour le contrôle des conclusions de faits des juges de première instance, où il est généralement admis qu’une cour d’appel doit
se prononcer sur les conclusions tirées en première instance en
recherchant si elles sont manifestement erronées et non si elles
s’accordent avec l’opinion de la cour d’appel sur la prépondérance
des probabilités. Il est vrai que bien des choses erronées ne sont pas
pour autant déraisonnables; mais quand le mot «manifestement» est
accolé au mot «erronée», ce dernier prend un sens beaucoup plus
proche de celui du mot «déraisonnable». Par conséquent, le critère de
la décision manifestement erronée marque un déplacement du critère de la décision correcte vers un critère exigeant l’application de
retenue. Cependant, le critère de la décision manifestement erronée
ne va pas aussi loin que la norme du critère ou du caractère manifes-
Revue de la jurisprudence des cours d’appel du Canada
565
tement déraisonnable. En appel d’une décision d’une cour, le critère
est donc celui de la décision manifestement erronée alors qu’en appel
d’une décision d’un tribunal administratif, ce critère sera celui de la
décision raisonnable81.
En l’espèce, dans cette affaire Export, la preuve additionnelle
n’avait pas une grande force probante et ne permettait pas de conclure quoi que ce soit en regard de l’exploitation alléguée de la
marque EXPORT82: partant, cette preuve additionnelle n’était pas
de nature à permettre à la Section de première instance de décider de
novo de la demande d’enregistrement de Molson. La décision du
registraire n’était donc pas déraisonnable et elle aurait donc dû être
maintenue.
Affaire du Comprimé rose de nifédipine83
Dans le cadre d’un appel de la décision du registraire de considérer que la non-adéquation du dessin de la marque de commerce à
sa description était une simple «technicalité» sans grande importance, la norme d’examen applicable serait donc celle de la décision
raisonnable simpliciter ou de la décision mal fondée en raison d’une
erreur en droit. En l’espèce, la décision était déraisonnable. La Section d’appel fait également siens les commentaires du juge de première instance voulant qu’il existe un intérêt public lié à l’exactitude
du processus d’enregistrement, intérêt qui va bien au-delà des intérêts des parties à l’opposition.
Quant au caractère distinctif84 de la marque de commerce en
cause, le juge de première instance était saisi d’éléments nouveaux
81. On pourrait être tenté de résumer cette longue paraphrase de la façon suivante:
dans le cas d’une demande de révision judiciaire, le critère est celui de la décision manifestement déraisonnable, dans le cadre d’un appel d’un tribunal de
première instance, ce critère est celui de la décision manifestement erronée et,
dans le cas d’un appel d’un tribunal administratif, ce critère sera celui de la raisonnabilité de la décision.
82. De fait, la preuve ne permettait pas de conclure que le mot EXPORT seul avait
acquis quelque distinctivité puisque ce terme était toujours employé en conjonction avec le terme MOLSON.
83. Novopharm Ltd. c. Bayer Inc. [COMPRIMÉ ROSE] (1996), 76 C.P.R. (3d) 560,
[1996] T.M.O.B. 256, [1996] CarswellNat 2826 (Comm. opp.); inf. (1999), 3
C.P.R. (4th) 305, [2000] 2 C.F. 553, 179 F.T.R. 260, [1999] F.C.J. 1661, [1999]
A.C.F. 1661, sub nomine Novopharm Ltd. c. Ciba-Geigy Canada Ltd. (C.F.),
j. Evans; conf. (2000), [2000] CarswellNat 2783, [2000] N.R. TBEd N.O. 077,
[2000] F.C.J. 1864, [2000] A.C.F. 1864, http://www.cmf.gc.ca/en/cf/2000/
orig/html/2000fca27748.o.en.html, en français [2000] CarswellNat 3102,
http://www.cmf.gc.ca/fr/cf/2000/orig/html/2000fca27748.o.fr.html (C.A.F.).
84. L’appréciation duquel demeure toujours une question de faits.
566
Les Cahiers de propriété intellectuelle
dont n’avait pas eu connaissance le registraire et il pouvait donc en
arriver à sa propre conclusion sur la question de savoir si la couleur
vieux rose appliquée sur un comprimé était distinctive.
2.3 Preuve complémentaire en appel
Affaire Austin85
Dans le cadre d’une procédure en déchéance administrative en
vertu de l’article 45 de la loi, le titulaire de la marque n’avait pas produit de preuve en réponse à l’avis du registraire. L’enregistrement
avait donc été radié. Sur appel du titulaire, celui-ci a tenté de produire une preuve additionnelle suivant le paragraphe 56(5)86. Même
si une partie n’a pas produit de preuve devant le registraire, le paragraphe 56(5) lui permet d’en produire en appel87.
Par contre, la Section d’appel de la Cour fédérale indique que le
titulaire devait s’estimer bien chanceux d’avoir échappé aux frais
devant la Section de première instance car il devrait être de pratique
que lorsqu’un titulaire a fait défaut de produire preuve devant le
registraire, il devrait être responsable des frais même s’il gagne par
sa preuve additionnelle en appel.
Affaire U.S. Polo Association (1)88
En appel d’une décision du registraire des marques de commerce, le paragraphe 56(5) de la Loi sur les marques de commerce89
85. Austin Nichols & Co. c. Cinnabon, Inc. [SWIRL DESIGN] (1997), 76 C.P.R. (3d)
45, 135 F.T.R. 303, [1997] A.C.F. 1153, [1997] F.C.J. 1153, 73 A.C.W.S. (3d)
1032, http://www.cmf.gc.ca/en/cf/1997/orig/html/1997fca21135.o.en.html, en
français à http://www.cmf.gc.ca/en/cf/1998/vol4/html/1998fca23197.p.en.html
(C.F.), j. Rouleau; conf. (1998), 82 C.P.R. (3d) 513, 231 N.R. 362, [1998] 4 C.F.
569, [1998] F.C.J. 1352, [1998] CarswellNat 1812, 154 F.T.R. 319n, en français
http://www.cmf.gc.ca/en/cf/1998/vol4/html/1998fca23197.p.en.html, [1998]
CarswellNat 2807 (C.A.F.).
86. «Lors de l’appel, il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été
fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le
registraire est investi.»
87. Arrêt indirectement commenté par Barry GAMACHE, «Court Rules on Filing
of Evidence On Appeal From Opposition Board», (2000) 14 W.I.P.R. 43.
88. Polo Ralph Lauren Corp. c. United States Polo Association [U.S. POLO
ASSOCIATION] Un jugement inédit rendu le 1996-06-18 par le juge Dubé, dossier T-189-96 (C.F.); conf. (1997), [1997] CarswellNat 2551, [1997] N.R. Uned
151, en français à http://www.cmf.gc.ca/fr/cf/1997/orig/html/1997fca21359.o.
fr.html (C.A.F.).
89. Preuve additionnelle «56. (5) Lors de l’appel, il peut être apporté une preuve en
plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer
toute discrétion dont le registraire est investi.»
Revue de la jurisprudence des cours d’appel du Canada
567
permet preuve additionnelle90. Cette preuve se fait par voie d’affidavit91. Encore faut-il qu’il s’agisse d’un affidavit, c’est-à-dire que la
déposition ait été signée par l’affiant et celui-ci assermenté en présence d’un commissaire à l’assermentation ou autre personne autorisée à administrer ce serment92.
En l’espèce, le contre-interrogatoire de l’affiant93 avait clairement démontré que ce dernier n’avait jamais signé son affidavit, ce
qui n’avait apparemment pas empêché un notaire public américain
d’assermenter une signature qui se trouvait néanmoins sur le document qu’on lui présentait.
Sur requête de l’intimée, l’affidavit a été supprimé du dossier
mais l’introduction d’un affidavit de remplacement du même
«affiant» a été permis. La Section d’appel n’a pas vu là motif à intervention dans l’exercice de la discrétion du juge de première instance
et a donc confirmé laconiquement le jugement a quo94.
90. «Dans les 30 jours suivant la délivrance de l’avis de demande [ou appel], le
demandeur [ou appelant] dépose et signifie les affidavits et les pièces documentaires qu’il entend utiliser à l’appui de la demande»: Règle 306 des Règles de la
Cour fédérale du Canada (1998).
91. Tel que défini au paragraphe 35(1) de la Loi d’interprétation (L.R.C. (1985), c.
I-21). On pourra également référer à l’article 41 de la Loi sur la preuve au
Canada (L.R.C. (1985), c. C-5) et aux règles 80 et suivantes des Règles de la
Cour fédérale (1998).
92. Par exemple, l’une des personnes mentionnées aux articles 52 et 53 de la Loi
sur la preuve au Canada (L.R.C. (1985), c. C-5), 219 et 220 de la Loi sur les tribunaux judiciaires (L.R.Q., c. T-16) ou 44 et 45 de la Loi sur la preuve d’Ontario
(S.R.O. 1990, c. E-23).
93. Il est utile de rappeler ici que depuis l’entrée en vigueur, le 1998-04-25, des
Règles de la Cour fédérale (1998), le contre-interrogatoire d’un affiant dans le
cadre d’une procédure sous la Partie 5 [qui comprend les appels d’une décision
du registraire des marques de commerce] ne nécessite plus, selon la règle 309,
la permission préalable de la cour.
94. Cela soulève des questions diverses sur un certain je-m’en-foutisme trop souvent observé dans la pratique quant au caractère solennel du serment. Une
référence à l’alinéa 138b) du Code criminel canadien (L.R.C. (1985), c. C-34)
devrait sans doute en amener certains à réfléchir sur les dangers inhérents à
utiliser un affidavit que l’on sait être faux. Une consultation des dossiers
T-189-96 et A-517-96 laisse également pantois sur la facilité avec laquelle, sans
grande explication et malgré la gravité objective de l’infraction, le juge de première instance a néanmoins permis, sans grande explication, l’introduction
d’un affidavit de remplacement.
568
Les Cahiers de propriété intellectuelle
2.4 Délai d’appel
Affaire Renters News95
Auto Mart a, à temps, produit auprès du greffe un avis d’appel
d’une décision défavorable du registraire qui rejetait sa demande
d’opposition. Toutefois, une copie de l’avis d’appel n’avait pas été
signifiée à l’intimée dans le délai prescrit96.
La Section d’appel de la Cour fédérale rappelle que pour un tel
jugement interlocutoire, le juge a discrétion pour accorder une prolongation de délai pour signifier un avis d’appel et peut tenir compte,
entre autres, des chances de succès de l’appel ou de l’existence même
de motifs d’appel sérieux.
3. DÉCHÉANCE ADMINISTRATIVE SOUS L’ARTICLE 45
3.1 Portée des procédures
Affaire Value Village97
Une procédure sous l’article 45 est de portée limitée et ne doit
être confondue avec une action en contrefaçon ou, encore, en radiation judiciaire.
Affaire Paris Blues98
La requérante en déchéance ne peut produire de preuve. Une
cession antérieure à la date d’émission de l’avis, quoique non enre95. Auto Mart Magazine Ltd. c. Arthur [RENTERS NEWS & design] (1997), 76
C.P.R. (3d) 122, [1997] F.C.J. 1185, [1997] A.C.F. 1185, [1997] N.R. Uned 13,
http://www.cmf.gc.ca/en/cf/1997/orig/html/1997fca21161.o.en.html, en français à http://www.cmf.gc.ca/fr/cf/1997/orig/html/1997fca21161.o.fr.html
(C.A.F.).
96. «L’appelant envoie, dans le délai établi ou accordé par le paragraphe (1), par
courrier recommandé, une copie de l’avis...» alors que le paragraphe 56(1)
indique un délai de 2 mois, sauf permission de la Cour.
97. Value Village Stores Ltd. c. Value Village Markets (1990) Ltd. [VALUE
VILLAGE] (1995), 60 C.P.R. (3d) 502, 95 F.T.R. 83, [1995] F.C.J. 542, [1995]
A.C.F. 542, [1995] CarswellNat 1868 (C.F.), j. Jerome; conf. (1996), 206 N.R.
182, [1996] F.C.J. 1494, [1996] A.C.F. 1494, [1996] CarswellNat 1996, 121
F.T.R. 80n, 206 N.R. 182 (C.A.F.).
98. Sim & McBurney c. Buttino Investments Inc. [PARIS BLUES] (1994), [1994]
T.M.O.B. 77 (Comm. opp.) G.W. Partington; conf. (1996), 66 C.P.R. (3d) 77, 108
F.T.R. 148, 61 A.C.W.S. (3d) 575, [1996] F.C.J. 208, [1996] A.C.F. 208, [1996]
CarswellNat 206 (C.F.), j. Tremblay-Lamer; conf. (1997), 76 C.P.R. (3d) 482,
Revue de la jurisprudence des cours d’appel du Canada
569
gistrée, rendra pertinente la preuve d’emploi du cessionnaire [i.e.,
une cession peut être valide même si non enregistrée]. La marque n’a
pas à apparaître sur les factures mêmes, pourvu que l’on puisse associer celles-ci aux objets vendus [par exemple, par les numéros de
modèles].
De plus, dans un arrêt parallèle99, la Section d’appel de la Cour
fédérale a indiqué que, pour avoir droit au temps de déplacement
prévu par le point 24 du tarif B, il faut en faire la demande à la Cour,
ce qui, dans le cas d’un appel, veut dire une demande devant le banc
d’appel.
3.2 Contemporanéité de l’emploi
Affaire Castillo100
Une seule transaction dans la période pertinente devra avoir
été faite dans le cours normal des affaires pour constituer un emploi
suffisant. Par contre, la Section d’appel de la Cour fédérale a clairement indiqué ne pas vouloir faire siens les propos du juge de première instance selon lesquels «a single sale divorced from all context
might now be considered to be adequate use as a result of the amendment made to Section 45 in 1994».
Affaire Friday101
Les modifications apportées en 1993 aux articles 45 et 50 de la
Loi sur les marques de commerce ont un caractère déclaratoire et
donc un effet rétroactif pour toutes les procédures en instance, tant
99.
100.
101.
220 N.R. 6, [1997] F.C.J. 1208, [1997] A.C.F. 1208, [1997] CarswellNat 1966,
137 F.T.R. 80n, http://www.cmf.gc.ca/fr/cf/1997/orig/html/1997fca21238.o.fr.
html, en français [1997] CarswellNat 1667 (C.A.F.).
Sim & McBurney c. Buttino Investments Inc. [PARIS BLUES] (1997), 77 C.P.R.
(3d) 512 221 N.R. 209, [1997] F.C.J. 1607, [1997] A.C.F. 1607, http://www.
cmf.gc.ca/en/cf/1997/orig/html/1997fca21591.o.en.html (C.A.F. – taxation).
Bacardi & Co. c. Quarry Corp. [CASTILLO] (1996), 72 C.P.R. (3d) 25, 124 F.T.R.
264, [1996] F.C.J. 1671, [1996] A.C.F. 1691, 68 A.C.W.S. (3d) 157, [1996]
CarswellNat 2292, http://www.cmf.gc.ca/en/cf/1996/orig/html/1996fcaa0480.
o.en.html (C.F.), j. Lutfy; conf. (1999), 86 C.P.R. (3d) 127, 238 N.R. 71, [1999]
F.C.J. 345, [1999] A.C.F. 345, [1999] CarswellNat 368, 162 F.T.R. 320n, http://
www.cmf. gc.ca/en/cf/1999/orig/html/1999fca24157.o.en.html (C.A.F.).
TGI Friday’s of Minnesota, Inc. c. Canada (Registrar of Trade Marks) [FRIDAY]
(1981), [1982] 2 C.F. 241, 57 C.P.R. (2d) 127, [1981] CarswellNat 75, 123 D.L.R.
(3d) 292 (C.F.), j. Joyal (sub nomine Lindy c. Registrar of Trade Marks); inf.
(1999), 241 N.R. 362, [1999] F.C.J. 682, [1999] A.C.F. 682, [1999] CarswellNat
652, en français à http://www.cmf.gc.ca/fr/cf/1999/orig/html/1999fca24368.o.
fr.html (C.A.F.).
570
Les Cahiers de propriété intellectuelle
devant le registraire que devant la Section de première instance ou
la Section d’appel.
En 1980, dans le cadre d’une procédure sous l’article 45, le
registraire avait décidé de la radiation de la marque de commerce
FRIDAY parce qu’il n’avait pas été établi que le propriétaire inscrit
de la marque, un nommé Lindy, l’avait utilisée; c’est plutôt la corporation de ce dernier qui l’avait employée alors qu’elle n’était pas inscrite comme usager102.
En 1981, le juge de première instance avait maintenu la décision du registraire en estimant qu’en raison des mots «est employée
au Canada» à l’article 45, il fallait que ce soit le propriétaire inscrit
qui emploie la marque en cause, à moins que l’usager réel ne soit
«usager inscrit» sous le régime de l’article 49103 et, de ce fait, soit
«habilité» à utiliser la marque.
En 1993 toutefois, l’article 50 était modifié104 pour abroger le
système des usagers inscrits et le remplacer par un système de
licence sous contrôle. Malgré le fait que cet article soit entré en
vigueur plus de 12 ans après la date du jugement contesté et que la
décision de la Section d’appel de la Cour fédérale ait été rendue
elle-même plus de 18 ans après ce jugement, la portée rétroactive de
l’article 50 ayant été voulue par le législateur, la Section d’appel
devait tenir compte du caractère déclaratoire, même si cela avait
pour effet de donner une interprétation rétroactive.
3.3 Nature de l’emploi
Affaire The Limited105
La preuve du titulaire doit être précise quant à chacun des
éléments à démontrer. Plus particulièrement, même au vu d’une
preuve additionnelle, voici comment la Section d’appel s’exprimait:
102.
103.
104.
105.
Avant juin 1993, seul le titulaire d’une marque de commerce pouvait employer
celle-ci et l’emploi de la marque de commerce par un tiers était de nature à invalider la marque, à moins que ce tiers n’ait été inscrit au registre des marques
comme «usager inscrit» de cette marque de commerce, auquel cas l’emploi par ce
tiers valait comme emploi du titulaire et ne faisait pas perdre à la marque de
commerce sa distinctivité.
Abrogé en juin 1993 et remplacé par un système de contrôle d’emploi par licence
en vertu de l’article 50 de la Loi sur les marques de commerce.
L.C. 1993, c. 15, art. 69.
Boutique Limité Inc. c. Limco Investments, Inc. [THE LIMITED] (1994), 52
C.P.R. (3d) 548 (Comm. opp.) D.J. Martin; conf. (1996), 68 C.P.R. (3d) 500, 114
Revue de la jurisprudence des cours d’appel du Canada
571
Dans le cas des nouveaux affidavits, nous constatons un manque constant de précision en ce qui a trait aux dates auxquelles
chaque marchandise aurait été vendue [...] ne la soustrait pas
en soi à l’obligation d’établir la vente des marchandises précises
au cours de la période pertinente.
Par ailleurs, dans la mesure où la marque incriminée n’avait
pas été employée pour des marchandises, il fallait se demander si
celles-ci avaient été employées en liaison avec des «services de vente
au détail de vêtements pour dames». Étant donné qu’une vente à un
Canadien aux États-Unis n’équivaut pas à l’emploi d’une marque
dans le cours normal des activités au Canada et que le titulaire
n’avait aucun magasin au Canada, les seules ventes possibles
devaient être faites au moyen de commandes téléphoniques.
Ayant radié les marchandises de l’enregistrement du fait que le
propriétaire n’avait pas prouvé l’emploi de l’une ou l’autre de ces
marchandises enregistrées au Canada, le registraire ne pouvait
donc pas conclure qu’un service téléphonique avait été employé au
Canada ou que du crédit avait été accordé au moyen d’une carte de
crédit THE LIMITED relativement à ces marchandises. En ce qui a
trait à la livraison au Canada de marchandises achetées aux
États-Unis ou à un remboursement avec une vente survenue aux
États-Unis, la preuve était tout à fait insuffisante. Par ailleurs, il est
rappelé que la publicité d’une marque n’équivaut pas à l’emploi de
cette marque en liaison avec des services106.
Affaire Vitaliano Pancaldi107
Une différence mineure entre la marque enregistrée et la
marque employée ne risquant pas de tromper les consommateurs
non avertis ou de créer préjudice ne fera pas conclure au non-emploi
106.
107.
F.T.R. 230, [1996] F.C.J. 989, [1996] A.C.F. 989, [1996] CarswellNat 1066 (C.F.),
j. Joyal; mod. (1998), 84 C.P.R. (3d) 164; 232 N.R. 190, [1998] F.C.J. 1419, [1998]
A.C.F. 1419, [1998] CarswellNat 1960, 158 F.T.R. 319n, http://www.cmf.gc.
ca/en/cf/1998/orig/html/1998fca23295.o.en.html, en français à http://www.cmf.
gc.ca/fr/cf/1998/orig/html/1998fca23295.o.fr.html (C.A.F.).
4(2) «une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services
si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services».
Mantha & Associates c. Cravatte de Pancaldi s.r.l. [VITALIANO PANCALDI
(WHITE)] (1998), 84 C.P.R. (3d) 455, 154 F.T.R. 289, [1998] F.C.J. 1636, [1998]
A.C.F. 1636, [1998] CarswellNat 2235, http://www.cmf.gc.ca/en/cf/1998/orig/
html/1998fca23468.o.en.html, en français à http://www.cmf.gc.ca/fr/cf/1998/
orig/html/1998fca23468.o.fr.html (C.F.), j. Teitelbaum; conf. (2000), [2000]
F.C.J. 13, [2000] A.C.F. 8, 179 F.T.R. 319n, [2000] CarswellNat 38, 253 N.R. 294,
http://www.cmf.gc.ca/en/cf/2000/orig/html/2000fca25817.o.en.html, en français
à http://www.cmf.gc.ca/fr/cf/2000/orig/html/2000fca25817.o.fr.html (C.A.F.).
572
Les Cahiers de propriété intellectuelle
de la marque enregistrée108. Des photocopies d’étiquettes annexées à
un affidavit sont recevables en preuve pour démontrer l’emploi de la
marque. Le juge peut également consulter un dictionnaire pour
déterminer de la nature d’une marchandise particulière [i.e., un
mouchoir de poche est un foulard]109.
Affaire Stainshield110
Il s’agissait de déterminer si la marque de commerce STAINSHIELD était employée en liaison avec des «services de traitement
anti-taches applicables à des tapis».
Dans un premier temps, la Section d’appel rabroue le juge de
première instance qui était d’avis qu’aux termes de l’article 45 de la
Loi sur les marques de commerce, le rôle du registraire se limitait à
déterminer si une marque de commerce était employée. Le registraire, de rappeler la Section d’appel, ne doit pas se limiter à déterminer si une marque de commerce est employée: il doit déterminer si
cette marque est employée en liaison avec les marchandises ou services en liaison spécifiés dans l’enregistrement et ce, suivant les termes mêmes du paragraphe 45(3).
Même si la question de l’emploi en est une de fait, la Section
d’appel intervient en corrigeant le registraire qui avait décidé qu’une
marque de commerce employée en liaison avec des services appliqués
à un produit avant qu’il soit vendu constitue une utilisation en liaison avec des marchandises et non une utilisation en liaison avec des
services111.
108.
109.
110.
111.
Voir la reproduction des marques en cause en annexe B.
Peut-être est-ce là faire beaucoup dire à un arrêt qui ne fait que deux paragraphes...
Sim & McBurney c. Gesco Industries, Inc. [STAINSHIELD] (1996), [1996]
T.M.O.B. 198 (Registraire) D. Savard; inf. (1997), 76 C.P.R. (3d) 289, 138
F.T.R. 130, [1997] F.C.J. 1466, [1997] A.C.J. 1466, [1997] CarswellNat 1966,
http://www.cmf.gc.ca/en/cf/1997/orig/html/1997fca21464.o.en.html, en français
à http://www.cmf.gc.ca/fr/cf/1997/orig/html/1997fca21464.o.fr.html (C.F.), j.
Wetston; inf. (2000), 9 C.P.R. (4th) 480, 195 D.L.R. (4th) 239, [2001] 1 F.C.D. 33,
180 F.T.R. 283n, 262 N.R. 132 [2000] F.C.J. 1766, [2000] CarswellNat 2563,
http://www.cmf.gc.ca/en/cf/2000/orig/html/2000fca27624.o.en.html, en français
à [2001] 1 C.F.F. 37, http://www.cmf.gc.ca/fr/cf/2000/orig/html/2000fca27624.o.
fr.html (C.A.F.).
«En fait, les motifs de la registraire indiquent que pour qu’une marque de commerce soit considérée comme étant employée en liaison avec des services, les
services doivent être fournis directement au public et non à un produit avant
d’être vendus au public. En rendant cette décision, nous croyons que la registraire a commis une erreur sur une question fondamentale d’interprétation
législative dont l’importance dépasse les faits de l’espèce et à l’égard de laquelle
la Cour a le droit d’intervenir»: le juge Rothstein, au paragraphe 5.
Revue de la jurisprudence des cours d’appel du Canada
573
Pour qu’il y ait «emploi», les services mentionnés au paragraphe 4(2) de la Loi sur les marques de commerce n’ont pas à être
des services offerts au public indépendamment des marchandises. Si
les services entrent dans la production de marchandises, la marque
de commerce liée à ces services n’est pas nécessairement une marque
de commerce employée en liaison uniquement avec les marchandises. Les services peuvent donc être accessoires aux marchandises
mais cela ne signifie pas que la marque de commerce n’est pas
employée en liaison avec les services. Le terme «services» doit faire
l’objet d’une interprétation large.
3.4 Circonstances spéciales
Affaire Snackery Krusteaz112
La simple intention de vouloir réutiliser une marque non
employée ne saurait donner ouverture aux circonstances spéciales
du paragraphe 45(3). Par contre, une telle intention couplée à des
mesures actives prises avant la date de l’avis sont recevables, de
même que la preuve de l’exploitation en résultant, même si cette
exploitation est postérieure à l’avis.
4. RADIATION D’UN ENREGISTREMENT
4.1 Marque de distributeur
Affaire Monte Cristo113
Lorsqu’une marque associe le manufacturier comme la source
du produit, le distributeur de ce dernier ne peut prétendre être pro112.
113.
Oyen Wiggs Green & Mutula c. Pauma Pacific Inc. [SNACKERY KRUSTEAZ]
(1995), 65 C.P.R. (3d) 396, [1995] T.M.O.B. 260 (Comm. opp.) D. Savard;
conf. (1997), 76 C.P.R. (3d) 48, [1997] F.C.J. 1126, [1997] A.C.F. 1126, [1997]
CarswellNat1539, en français à http://www.cmf.gc.ca/fr/cf/1997/orig/html/
1997fca21085.o.fr.html (C.F.), j. Jerome; conf. (1999), 84 C.P.R. (3d) 287, [1999]
F.C.J. 139, [1999] A.C.F. 139, 73 A.C.W.S. (3d) 1033, [1999] CarswellNat 170,
[ 1 9 9 9 ] N . R . U ne d 5 , h t t p : / / w w w . c m f . g c . c a / en / c f / 1 9 9 9 / or ig / h t m l/
1999fca23946.o.en.html, en français http://www.cmf.gc.ca/fr/cf/1999/orig/html/
1999fca23946.o.fr.html (C.A.F.).
Havana House Cigar & Tobacco Merchants Ltd. c. Skyway Cigar Store [MONTE
CRISTO, ROMEO Y JULIETA, H. UPMAN HABANA] (1998), 81 C.P.R. (3d)
203, 147 F.T.R. 54, [1998] F.T.R. TBEd JN021, [1997] F.C.J. 678, [1997] A.C.F.
678, [1998] CarswellNat 826, http://www.cmf.gc.ca/en/cf/1998/vol4/fasc2/fiche/
html/1998fca22682.f.en.html, en français à http://www.cmf.gc.ca/fr/cf/1998/
orig/html/1998fca22682.o.fr.html (C.F.), j. Teitelbaum; mod. (1999), 3 C.P.R.
574
Les Cahiers de propriété intellectuelle
priétaire de la marque114. Une action en violation et en tromperie
commerciale sont différentes. Sur jugement sommaire en vertu de la
règle 213115, il faut prouver des faits spécifiques qui indiqueront qu’il
y a une véritable question à débattre116. En l’espèce, les quatre marques de commerce en question étaient apposées sur des produits du
cigare à Cuba par le fabricant manufacturier et son licencié principal. Ces marques restaient sur le produit au point de la vente au
détail. Le distributeur canadien ajoutait simplement son estampille
de distributeur exclusif au Canada sur les boîtes. Or, les marques
en cause étaient enregistrées au nom du distributeur. Malgré
l’enregistrement des marques, celles-ci distinguaient les marchandises du fabricant et non celles du distributeur et, partant, étaient
invalides.
Affaire Shilling Oil117
Une défense d’acquiescement à l’encontre d’une action par
laquelle le manufacturier tente de faire radier la marque que son
distributeur a enregistrée se fonderait sur un principe d’équité.
En cette affaire, le distributeur canadien avait enregistré en
son nom la marque qu’il distribuait, vraisemblablement pour se prévenir d’importations parallèles. Cet enregistrement avait toutefois
114.
115.
116.
117.
(4th) 501, [1999] F.C.J. 1749, [1999] A.C.F. 1749, 176 F.T.R. 159n, [1999] CarswellNat 2449, 251 N.R. 215, [1999] N.R. TBEd DE 004, http://www.cmf.gc.ca/
en/cf/1999/orig/html/1999fca25556.o.en.html, en français http://www.cmf.gc.ca/
fr/cf/1999/orig/html/1999fca25556.o.fr.html (C.A.F.).
La décision de la Section de première instance est autrement commentée par
Barry GAMACHE, «Distributor Not Entitled to Register Trade-Marks, Federal
Court Decides», (1998) 12 W.I.P.R. 259 et par Christopher J. PIBUS, «Federal
Court Expunges Prominent Cigar Brands», (1998) 5-4 I.P. 300; voir également
Stephanie CHONG, «Trade-Marks Case Law Update, Or Liquor, Cars, Drugs,
and Cigars: Lifestyles of the Beautiful and Famous», (2000) 17 C.I.P.R. 161, à
§5.1.
Une partie peut présenter une requête pour obtenir un jugement sommaire sur
tout ou partie de la réclamation contenue dans la déclaration ou rejetant tout ou
partie de celle-ci.
Ou, pour employer l’expression consacrée, il s’agit de donner le «best kick at the
can»!
Ling Chi Medicine Co. (H.K.) Ltd. c. Persaud [SHILLING OIL] (1997), 72 C.P.R.
(3d) 201, 128 F.T.R. 33, [1997] F.C.J. 144, [1997] A.C.F. 144, 69 A.C.W.S. (3d)
155, [1997] CarswellNat 166, http://www.cmf.gc.ca/en/cf/1997/orig/html/
1997fca20112.o.en.html, en français à http://www.cmf.gc.ca/en/cf/1997/vol1/
fasc4/fiche/html/1997fca20112.f.en.html (C.F.), j. Tremblay-Lamer; inf. (1998),
81 C.P.R. (3d) 369, 232 N.R. 61, [1998] F.C.J. 861, [1998] A.C.F. 851, [1998]
CarswellNat 1169, 158 F.T.R. 159n, http://www.cmf.gc.ca/en/cf/1998/vol4/
fasc2/fiche/html/1998fca22693.f.en.html, en français à http://www.cmf.gc.ca/
fr/cf/1998/orig/html/1998fca22693.o.fr.html (C.A.F.).
Revue de la jurisprudence des cours d’appel du Canada
575
été fait sans l’accord préalable du manufacturier, qui avait été mis
devant le fait accompli; celui-ci, lent à la détente ou parce que les
relations d’affaires avec son distributeur étaient au beau fixe, prit
treize ans avant d’intenter son recours en radiation de l’enregistrement obtenu par son distributeur.
Toutefois, pour se prévaloir d’une telle défense d’acquiescement, la partie qui l’invoque118 ne doit avoir rien à se reprocher119. Le
distributeur avait une obligation de nature fiduciaire envers le
manufacturier qu’il distribuait et, s’étant approprié la marque de ce
dernier, il a rompu cette obligation, n’a pas agi de bonne foi et ne peut
donc se prévaloir de cette défense et ce, même si le manufacturier a
attendu près de treize ans pour attaquer l’enregistrement.
4.2 Marque officielle
Affaires USA Hockey120 et USA Basketball121
Un avis d’adoption et d’emploi d’une marque officielle par une
autorité publique que publie le registraire en vertu de l’article 9 de la
Loi sur les marques de commerce ne se conteste pas par voie d’action
en radiation.
4.3 Motifs de radiation
Affaire Decarie122
En réponse à une action en injonction et dommages devant la
Cour supérieure du Québec contre l’un de ses concessionnaires,
118.
119.
120.
121.
122.
En l’espèce, bien sûr, le distributeur canadien.
C’est la théorie des mains propres suivant le brocard: «He who comes in equity
must have clean hands».
Canadian Olympic Assn. c. USA Hockey, Inc. [USA HOCKEY] (1997), 74 C.P.R.
(3d) 348, 72 A.C.W.S. (3d) 346, [1997] F.C.J. 824, [1997] A.C.F. 824, [1997] CarswellNat 941, http://www.cmf.gc.ca/en/cf/1997/orig/html/1997fca20792.o.en.
html, en français à http://www.cmf.gc.ca/fr/cf/1997/orig/html/1997fca20792.o.
fr.html (C.F.), j. Jerome; conf. (1999), 3 C.P.R. (4th) 259, [1999] F.C.J. 1602,
[1997] A.C.F. 1602, [1999] CarswellNat 2057, [1999] N.R. Uned 128,
http://www.cmf.gc.ca/en/cf/1999/orig/html/1999fca25440.o.en.html, en français
à http://www.cmf.gc.ca/fr/cf/1997/orig/html/1997fca20792.o.fr.html (C.A.F.).
Canadian Olympic Assn. c. USA Basketball [USA BASKETBALL] (1997),
[1997] CarswellNat 942 (C.F.), j. Jerome; conf. (1999), [1999] F.C.J. 1600, [1999]
A . C . F . 1600, [ 1999 ] C a r s w ellN a t 2 0 5 8 , [ 1 9 9 9 ] N . R . U n ed 1 2 7 ,
http://www.cmf.gc.ca/en/cf/1999/orig/html/1999fca25438.o.en.html, en français
à http://www.cmf.gc.ca/fr/cf/1999/orig/html/1999fca25438.o.fr.html (C.A.F.).
General Motors du Canada c. Décarie Motors Inc. [DECARIE] (1998), 160
F.T.R. 262, [1998] F.C.J. 1447, [1998] A.C.F. 1447, [1998] CarswellNat 2828,
576
Les Cahiers de propriété intellectuelle
General Motors du Canada demandait la radiation de l’enregistrement de la marque de commerce DECARIE123 de l’intimée Décarie
Motors Inc. de même qu’une ordonnance forçant cette dernière à
inclure un désistement du droit à l’emploi du terme «Décarie» hors de
sa marque de commerce graphique DECARIE124, principalement
pour cause de descriptivité125 quant au lieu d’origine126 et perte de
distinctivité. Les marques de commerce en cause sont ci-après reproduites:
DECARIE
Enregistrement TMA 439 504
123.
124.
125.
126.
Enregistrement TMA 474 485
http://www.cmf.gc.ca/en/cf/1998/orig/html/1998fca23319.o.en.html, en français
à http://www.cmf.gc.ca/fr/cf/1998/orig/html/1998fca23319.o.fr.html (C.F.), j.
Blais; mod. (2000), [2000] F.C.J. 1653, [2000] CarswellNat 2530, 264 N.R. 69,
2000 N.R. TBEd N.O. 0004, http://www.cmf.gc.ca/en/cf/2000/orig/html/
2000fca27531.o.en.html, en français à http://www.cmf.gc.ca/fr/cf/2000/orig/
html/2000fca27531.o.fr.html (C.A.F.).
Enregistrement T.M.A. 439504 obtenu le 1995-02-17 sur preuve de distinctivité
acquise au sens du paragraphe 12(2) de la Loi sur les marques de commerce.
Enregistrement T.M.A. 474485 du 1997-04-10.
Suivant la prohibition de l’alinéa 12(1)b) de la Loi sur les marques de commerce,
dont la portion pertinente se lit comme suit: «[...] une marque de commerce est
enregistrable sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants [...] qu’elle soit sous
forme graphique, écrite ou sonore, elle donne une description claire ou donne
une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, [...] du lieu
d’origine de ces marchandises ou services.»
Le commerce de vente d’automobiles de l’intimée Décarie Motors Inc. est situé
sur le boulevard Décarie à Montréal. Bien des autos y circulent quotidiennement et, aux heures de pointe, il est facile d’assimiler ce boulevard à un immense
stationnement...
Revue de la jurisprudence des cours d’appel du Canada
577
Dans un premier temps, la Section d’appel indique que l’invalidité d’un enregistrement peut résulter de deux types de fausses
déclarations, savoir i) les fausses déclarations frauduleuses intentionnelles et ii) celles qui, bien que non intentionnelles, sont importantes car, sans elles, les limites ici imposées à la requérante par
l’article 12 de la Loi sur les marques de commerce127 à l’enregistrement auraient été insurmontables. En tenant compte de la présomption générale de bonne foi, la Section d’appel écarte ce moyen au
motif que la requérante n’avait pas à répondre à plus que ce que
l’examinateur demandait128.
Par ailleurs, prima facie descriptive du lieu d’origine des services du titulaire, la marque de commerce DECARIE n’avait pu être
enregistrée que sur preuve à l’examinateur de distinctivité acquise
par des activités importantes. La Section d’appel pose que le caractère distinctif qui a été reconnu au moment de l’enregistrement doit
demeurer pour résister à une demande de radiation judicaire129.
Pour déterminer de la radiation d’un enregistrement pour perte de
caractère distinctif, il faut plutôt se placer au moment où les procédures sont instituées130.
La preuve d’emploi par le titulaire du terme «décarie» seul était
pauvre, sinon même très pauvre. Couplée à cela, la preuve de l’existence de deux autres concessionnaires automobiles incorporant le
127.
128.
129.
130.
En l’espèce, une première objection de l’examinateur fondée sur la non-enregistrabilité du terme «Décarie» comme n’étant principalement qu’un nom de
famille, contrairement à l’alinéa 12(1)a).
La question de l’examinateur devait se comprendre dans le cadre d’une objection
patronymique et la requérante n’avait donc pas à aller de l’avant en indiquant
qu’il y avait également deux autres concessionaires automobiles dont la dénomination comportait le terme «Décarie». Et, d’ajouter la juge Desjardins pour la
Cour, au paragraphe 25: «Exiger de l’intimée qu’elle déclare des faits autres que
ceux liés à la question du registraire et l’obliger à répondre à une question liée à
une demande faite en vertu du paragraphe 12(2), lorsqu’une telle question n’a
pas été posée, l’obligerait à prévoir toutes sortes d’obstacles potentiels à l’enregistrement d’une marque proposée et à en traiter à l’avance. Rien dans la loi et la
jurisprudence n’impose une telle norme de conduite.»
De fait, le juge de première instance qui entend une demande de radiation en
vertu de l’article 57 de la Loi sur les marques de commerce, rappelle la juge Desjardins au paragraphe 31, «ne siège pas en appel ni n’exerce un contrôle judiciaire de la décision du registraire d’enregistrer une marque de commerce».
Le paragraphe 18(1) de la Loi sur les marques de commerce se lisant pour partie
comme suit: «L’enregistrement d’une marque de commerce est invalide dans les
cas suivants: a) la marque de commerce n’était pas enregistrable à la date de
l’enregistrement; b) la marque de commerce n’est pas distinctive à l’époque où
sont entamées les procédures contestant la validité de l’enregistrement», cela ne
semblait pas faire l’objet de débats judicaires ou doctrinaux. L’arrêt rendu
chasse donc toute équivoque, s’il en était.
578
Les Cahiers de propriété intellectuelle
terme «Décarie» dans leur nom commercial131, a fait conclure en
l’absence de distinctivité de la marque de commerce DECARIE132.
La Section d’appel ordonne donc la radiation pure et simple de
l’enregistrement se rapportant à la marque de commerce nominale
DECARIE. Quant à la marque de commerce graphique, son enregistrement pourra être maintenu pourvu que son titulaire inclue un
désistement au droit à l’emploi exclusif du terme «Décarie» hors de la
marque de commerce133.
4.4 Divers
Affaire Keramchemie134
Une taxation sur une base partie/partie peut être ordonnée
pour condamner la mauvaise foi procédurale d’une partie mais ne
peut viser des procédures interlocutoires antérieures pour lesquelles
il y avait déjà eu une adjudication de dépens.
131.
132.
133.
134.
Suivant l’arrêt rendu dans l’affaire Molson Breweries c. John Labatt Ltd.
[EXPORT] [(2000), 5 C.P.R. (4th) 180, [2000] F.C.J. 159, [2000] CarswellNat
178, 252 N.R. 91, [2000] 3 C.F. 145, [2000] N.R. TBEd F.E. 045, http://www.
cmf.gc.ca/en/cf/2000/vol3/html/2000fca26005.p.en.html, en français [2000]
CarswellNat 1754 (C.A.F.)], l’exclusivité dans l’emploi n’est pas une exigence du
caractère distinctif d’une marque de commerce mais demeure une circonstance
dont il faut tenir compte pour évaluer le caractère distinctif, particulièrement,
ajoute la juge Desjardins au paragraphe 37, «lorsque la marque est elle-même
faible».
La formulation utilisée par la juge Desjardins laisse cependant peut-être à désirer. Celle-ci, en effet, est «d’avis que la marque de commerce de l’intimée n’avait
pas acquis de caractère distinctif au moment de l’engagement des procédures en
radiation». Aux termes de l’alinéa 18(1)b) et du raisonnement même tenu par la
juge Desjardins, il aurait sans doute été préférable d’indiquer que la marque de
commerce de l’intimée n’était plus distinctive – ou n’avait pas maintenu sa distinctivité – au moment de l’engagement des procédures.
Cette approche de la Section d’appel, pour surprenante qu’elle semble à première vue, se fonde sans doute sur les pouvoirs inhérents que se donne la Cour
fédérale sur le registre des marques de commerce et sur une certaine appréhension de l’alinéa 41(1)e) de la Loi sur les marques de commerce qui permet que soit
apportée au registre une modification par inscription d’un désistement qui
n’étend pas les droits conférés par l’enregistrement existant de la marque de
commerce.
Keramchemie GmbH c. Keramchemie (Canada) Ltd. [KERAMCHEMIE] (1995),
63 C.P.R. (3d) 342, [1995] F.C.J. 1267, 101 F.T.R. 142, [1995] CarswellNat 1753
(C.F.), j. Reed; mod. (1998), 83 C.P.R. (3d) 223, [1998] F.C.J. 1375, 154 F.T.R.
318n, [1998] CarswellNat 1903, 238 N.R. 72, http://www.cmf.gc.ca/en/cf/1998/
orig/html/1998fca23202.o.en.html, en français à http://www.cmf.gc.ca/fr/cf/
1998/orig/html/1998fca23202.o.fr.html (C.A.F.).
Revue de la jurisprudence des cours d’appel du Canada
579
En l’espèce, à la veille de l’audition d’une action en radiation
judiciaire des enregistrements de marques détenus par la compagnie
canadienne, celle-ci abandonnait volontairement les enregistrements en cause. L’audience ne procédait donc pas et était remise sine
die. Toutefois, à la même date, sans en informer l’autre partie ou la
Cour, la compagnie canadienne produisait de nouvelles demandes
d’enregistrement pour les même marques que celles dont elle venait
d’abandonner volontairement l’enregistrement, ce qui ne fut découvert que lors de la publication.
Sur taxation, le protonotaire estima que la conduite de la compagnie canadienne était indéfendable et, pour sanctionner celle-ci,
ordonna une taxation sur une base partie/partie pour l’ensemble des
procédures au dossier, même celles pour lesquelles il y avait déjà eu
une ordonnance de style «costs shall follow the suit» ou «costs shall
be paid to one party in any event of the cause». Cet octroi de dépens
fut confirmé par la Section de première instance. La Section d’appel
cassa dans la mesure où les décisions pour lesquelles des dépens
partie/partie avaient été accordés étaient subséquentes aux agissements répréhensibles de la compagnie canadienne et avaient déjà
été adjugés sans directives particulières quant à une taxation
partie/partie.
Affaire de la Boîte à ordures inclinée135
Dans le cadre d’une requête introductive d’instance136 visant
la radiation d’un signe distinctif, la Section d’appel confirme la
discrétion137 qu’avait la juge de première instance d’ordonner le
135.
136.
137.
WCC Container Sales Ltd. c. Haul-All Equipment Ltd. [SLOPE BIN
CONTAINER DISTINGUISHING GUISE DESIGN]. Un jugement inédit
rendu le 1997-09-15 par la juge Tremblay-Lamer, dossier T-1385-97 (C.F.); conf.
(1998), [1998] F.C.J. 914, [1998] A.C.F. 914, 1998 N.R. Uned 135, [1998] CarswellNat 1244, en français à http://www.cmf.gc.ca/en/cf/1998/orig/html/
1998fca22765.o.fr.html (C.A.F.).
Avant l’entrée en vigueur, le 1998-04-01, des Règles de la Cour fédérale (1998), le
recours en radiation prévu par le paragraphe 57(1) de la Loi sur les marques de
commerce pouvait se faire, entre autres, par voie de requête introductive
d’instance en vertu de la règle 704 des Règles de la Cour fédérale du Canada.
Depuis, ce recours ne s’exerce plus par requête mais par voie de demande en
vertu de la partie V des Règles de la Cour fédérale (1998), règle 300 et suivantes.
En vertu de la règle 704 des Règles de la Cour fédérale du Canada, telle qu’elle
était en vigueur lors du jugement de première instance, l’interrogatoire d’un
affiant ne pouvait se faire qu’avec la permission de la Cour, à charge pour celui
qui voulait interroger d’en démontrer la réelle nécessité. En vertu des Règles de
la Cour fédérale (1998), le contre-interrogatoire n’est plus assujetti à une telle
permission, la règle 308 prévoyant nommément que celui-ci doit être effectué à
l’intérieur d’un certain délai.
580
Les Cahiers de propriété intellectuelle
contre-interrogatoire d’un des affiants de la requérante relativement
à des paragraphes vagues et ambigus de son affidavit, paragraphes
qui avaient trait au développement du contenant qui faisait l’objet
du signe distinctif en cause. Ce dernier est ci-après reproduit:
Affaire Tristelle138
Depuis l’entrée en vigueur des Règles de la Cour fédérale
(1998), le déroulement des procédures doit obéir à un échéancier statutaire. Ainsi, dans le cas d’une demande de radiation judiciaire d’un
enregistrement de marque de commerce ou d’un appel d’une décision
du registraire des marques de commerce, une demande d’audience
doit être déposée dans les 180 jours qui suivent l’introduction de la
demande ou de l’appel139. À défaut, la Cour fixera un examen de
l’état de l’instance, examen au terme duquel le demandeur aura à
justifier des raisons pour lesquelles la demande ou l’appel ne devrait
pas être rejeté140.
138.
139.
140.
Importations alimentaires Stella Inc. c. National Cheese Company Limited
[TRE STELLE] (1999), 2 C.P.R. (4th) 8, 167 F.T.R. 78, [1999] F.C.J. 702, [1999]
A.C.F. 702, [1999] CarswellNat 1674, http://www.cmf.gc.ca/en/cf/1999/orig/
html/1999fca24577.o.en.html, en français à http://www.cmf.gc.ca/fr/cf/1999/
orig/html/1999fca24577.o.fr.html (C.F.) protonotaire Morneau; conf. (1999),
[1999] F.C.J. 834, [1999] A.C.J. 834, [1999] CarswellNat 1568, [1999] F.T.R.
Uned 322, http://www.cmf.gc.ca/en/cf/1999/orig/html/1999fca24624.o.en.html,
en français à http://www.cmf.gc.ca/fr/cf/1999/orig/html/1999fca24624.o.fr.html
(C.F.), j. Denault; conf. (2000), [2000] A.C.F. 1816, [2000] CarswellNat 2676,
[2000] N.R. TNEd N.O. 060, en français à http://www.cmf.gc.ca/fr/cf/2000/
orig/html/2000fca27698.o.fr.html (C.A.F.).
Règle 380(1)b).
Règle 382(2).
Revue de la jurisprudence des cours d’appel du Canada
581
Deux questions sont alors à déterminer:
a) quelles sont les raisons du retard et celles-ci excusent-elles
ce retard?
b) qu’est-ce que le demandeur propose pour faire avancer le
dossier141?
En l’espèce, une demande de radiation judicaire avait été introduite en décembre 1996142 et le dossier était inactif depuis mars
1997, de l’admission de l’appelante. Celle-ci, suivant le protonotaire,
n’avait pas justifié de son retard et proposait la régularisation du
dossier par la production du mémoire défaillant dans un temps supérieur à celui prévu par les Règles. L’empressement de l’appelante
à parachever les procédures était donc mis en doute et, le retard
inexcusable, la demande était donc rejetée. La Section de première
instance confirmait le jugement, en insistant sur le caractère discrétionnaire de la décision portant sur le premier volet, savoir la justification du retard.
Dans son arrêt confirmatif, la Section d’appel indique laconiquement que puisqu’il n’était pas déraisonnable de conclure que, vu
le caractère inacceptable du retard, l’appelante devait poser des gestes concrets et positifs pour faire avancer le dossier. Plus particulièrement, son simple engagement à respecter un nouvel échéancier
n’était pas suffisant; il aurait fallu, par exemple, que l’appelante
joigne à ses représentations un projet du mémoire qu’elle était en
défaut de produire ou qu’elle propose un échéancier ferme, témoignant de son désir de se rendre à audience. Cela confirme la volonté
de la Cour fédérale de ne pas servir de cour d’archives pour des dossiers inactifs.
141.
142.
Baroud c. Canada (1998), 160 F.T.R.R. 91, [1998] F.C.J. 1729, [1998] CarswellNat 2334, http://www.cmf.gc.ca/en/cf/1998/orig/html/1998fca23558.o.en.html
(C.F.), j. Hugessen.
Suivant la règle 501(1), les Règles de la Cour fédérale (1998) s’appliquent
également aux procédures instituées avant l’entrée en vigueur de celles-ci, le
1998-02-25.
582
Les Cahiers de propriété intellectuelle
5. REDRESSEMENTS POUR USURPATION
5.1 Action en violation de marque de commerce
Affaire Pardham143
Pour qu’il y ait usurpation de marque de commerce en liaison
avec des marchandises, il faut qu’il y ait «emploi» au sens du paragraphe 4(1) de la Loi sur les marques de commerce144.
Les demanderesses reprochaient aux défenderesses de «distribuer, entreposer, expédier, transborder et exporter» du Canada
des produits fabriqués par la demanderesse licenciée. Il n’était pas
reproché aux défenderesses de vendre de tels produits au Canada.
Tenant pour avéré que les défenderesses avaient simplement acheté
de grandes quantités de produits COCA-COLA véritable auprès
d’un tiers détaillant pour ensuite les réexporter en vue de les
revendre à l’étranger, à l’encontre de l’intention manifeste des
demanderesses, le juge de première instance en était venu à la conclusion que les défenderesses n’avaient pas «employé» les marques
au sens de l’article 4.
Ayant ainsi conclu à l’absence d’emploi, il pouvait être tiré que
les activités reprochées aux défenderesses ne contrevenaient pas aux
violations prévues aux articles 19145, 20146 et 22147 de la Loi sur
les marques de commerce puisque chacune de ces dispositions n’aurait engagé la responsabilité des défenderesses que dans le cas d’un
«emploi» de la marque.
143.
144.
145.
146.
147.
Coca-Cola Ltd. c. Pardham [COCA-COLA] (1997), 77 C.P.R. (3d) 501, 139 F.T.R.
223, [1997] F.C.J. 1639, [1997] A.C.F. 1639, 76 A.C.W.S. (3d) 406, [1997] CarswellNat 2212, http://www.cmf.gc.ca/en/cf/1997/orig/html/1997fca21586.o.en.
html, en français à http://www.cmf.gc.ca/fr/cf/1997/orig/html/1997fca21586.o.
fr.html (C.F.), j. Wetston conf. (1999), 85 C.P.R. (3d) 489, 240 N.R. 211, [1999]
F.C.J. 484, [1999] A.C.F. 484, 172 D.L.R. (4th) 31, 87 A.C.W.S. (3d) 1104, [1999]
CarswellNat 598, 163 F.T.R. 260n, http://www.cmf.gc.ca/en/cf/1999/orig/html/
1999fca24286.o.en.html, en français à http://www.cmf.gc.ca/fr/cf/1999/orig/
html/1999fca24286.o.fr.html (C.A.F.); permission d’en appeler à la Cour
suprême du Canada refusée (2000), [1999] S.C.C.A. 338 (C.S.C.).
«Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises,
dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises
mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si
elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.»
Droits conférés par l’enregistrement.
Violation.
Dépréciation de l’achalandage.
Revue de la jurisprudence des cours d’appel du Canada
583
Avec succès, les défenderesses ont également invoqué la théorie
du premier emploi ou de l’épuisement du droit, savoir qu’une fois que
des marchandises portant les marques des demanderesses avaient
été vendues par elles dans le cours normal des affaires, la revente
subséquente des mêmes marchandises portant les mêmes marques
de commerce ne pouvait constituer un «emploi» donnant ouverture à
une poursuite. Le résultat recherché par les demanderesses aurait
nécessité un engagement contractuel de la part des défenderesses à
ne pas exporter les marchandises portant les marques de commerce
des demanderesses.
Par ailleurs, l’article 8 de la Loi sur les marques de commerce148
crée simplement une relation de garantie entre le cédant d’un produit et le cessionnaire et ce, dans un cadre contractuel [i.e., les défenderesses étaient autorisées à vendre le produit avec la marque
puisqu’il s’agissait d’un produit d’origine].
Enfin, le paragraphe 4(3)149 ne crée pas un droit d’action automatique fondé simplement sur le fait d’exporter. Le paragraphe 4(3)
a pour objet de permettre aux producteurs canadiens qui ne vendent
pas leurs marchandises localement mais les expédient simplement à
l’étranger de démontrer qu’il y a eu emploi au Canada aux fins de
faire enregistrer leur marque de commerce au Canada. Le paragraphe 4(3) pourrait aussi avoir de l’importance du fait qu’il permettrait d’intenter une action pour usurpation contre la personne qui
expédierait des marchandises contrefaites à partir du Canada sans
vendre localement. Ce paragraphe 4(3) n’a cependant pas pour effet
de créer un «emploi» au sens de la loi dans les cas où des marchandises authentiques du propriétaire de la marque de commerce sont
expédiées à partir du Canada150.
148.
149.
150.
«Quiconque, dans la pratique du commerce, transfère la propriété ou la possession de marchandises portant une marque de commerce ou un nom commercial,
ou de colis portant une telle marque ou un tel nom, est censé, à moins d’avoir, par
écrit, expressément déclaré le contraire avant le transfert, garantir à la personne à qui la propriété ou la possession est transférée, que cette marque de
commerce ou ce nom commercial a été et peut être licitement employé à l’égard
de ces marchandises.»
«Une marque de commerce mise au Canada sur des marchandises ou sur les
colis qui les contiennent est réputée, quand ces marchandises sont exportées du
Canada, être employée dans ce pays en liaison avec ces marchandises.»
Arrêt autrement commenté par Diane LEDUC CAMPBELL, «Federal Court
Finds No Violation Of Trade-mark in Grey Goods Case», (1999) 13 W.I.P.R. 185
et David REIVE et al., «Coca-Cola v. Pardham: Grey Marketing Becomes Black
and White», (2000) 7 I.P. 411; voir également Stephanie CHONG, «Trade-Marks
Case Law Update, Or Liquor, Cars, Drugs, and Cigars: Lifestyles of the Beautiful and Famous», (2000) 17 C.I.P.R. 161, à §5.2.
584
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Affaire Levi Strauss151
La demanderesse cherchait à faire radier deux allégations de la
défense portant sur l’acquiescement général de la demanderesse et
sur un abus des voies de droit. Rappelant qu’une procédure devait
être lue dans son ensemble et non par paragraphes isolés, la Section
d’appel en a conclu qu’il était loisible à un défendeur d’alléguer que i)
le titulaire d’une marque pouvait, par ses conduite et attitude, avoir
fait perdre à la marque sa distinctivité et ii) que le titulaire d’une
marque pouvait, par ses procédures, commettre un abus des voies de
droit [dans la mesure, toutefois, où une base factuelle était alléguée].
Affaire Allstate152
C’est à la partie qui veut faire scinder l’instance153 qu’incombe
le fardeau de prouver qu’en l’absence de renvoi sur la détermination
des dommages, le procès au fond sera indûment rendu plus complexe. Le test peut être qualifié par rapport à un critère de «unnecessary complexity» tout comme à un critère de «efficient use of time
and resources». Le principe qui demeure, c’est que la scission est
l’exception car il est généralement plus efficace de juger en même
temps de la question de la responsabilité et de celle des dommages.
En l’espèce, l’action de la demanderesse était fondée sur la violation de marques de commerce enregistrées et d’un délit de substitution (passing-off). Or, rappelle la juge de première instance, «Les
trois éléments nécessaires à une action en passing-off sont donc:
l’existence d’un achalandage, la déception du public due à la représentation trompeuse et des dommages actuels ou possibles pour le
demandeur»154. Dès lors, au vu d’une preuve non contredite du
151.
152.
153.
154.
Levi Strauss & Co. c. Roadrunner Apparel Inc. [DOUBLE ARCUATE DESIGN]
(1997), 76 C.P.R. (3d) 129, [1997] F.C.J. 1432, [1997] A.C.F. 1432, [1997]
CarswellNat 2112, 221 N.R. 93, http://www.cmf.gc.ca/en/cf/1997/orig/html/
1997fca21395.o.en.html, en français à http://www.cmf.gc.ca/fr/cf/1997/orig/
html/1997fca21395.o.fr.html (C.A.F.).
Allstate Insurance Co. of Canada c. Grant [ALLSTATE]. Une décision inédite
rendue le 1999-04-26 par le protonotaire Lafrenière, dossier T-2560 (C.F.);
confirmée par un jugement inédit rendu le 1999-05-17 par la juge McGillis
(C.F.); conf. (2000), 261 N.R. 106, [2000] CarswellNat 1293, [2000] F.C.J. 1024,
http://www.cmf.gc.ca/en/cf/2000/orig/html/2000fca26943.o.en.html, en français
à http://www.cmf.gc.ca/fr/cf/2000/orig/html/2000fca26943.o.fr.html (C.A.F.).
Voir la règle 153 des Règles de la Cour fédérale (1998) de même que l’article
273.1 du Code de procédure civile du Québec.
Tiré de Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc. [comprimés de métoprolol] (1992),
[1992] 3 R.C.S. 120, J.E. 92-1624, 44 C.P.R. (3d) 289, 143 N.R. 241, 95 D.L.R.
(4th) 385, 58 O.A.C. 321, [1992] CarswellOnt 1007, 2 O.R. (3d) xi, http://www.
Revue de la jurisprudence des cours d’appel du Canada
585
défendeur que la preuve au procès des dommages et de la responsabilité sera liée155, l’instance ne doit pas être scindée.
Accorder ou non une telle scission relève de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire qui ne justifiera un arrêt réformateur qu’advenant une erreur manifeste dans la compréhension des faits ou
l’application du droit.
Affaire Big Sisters156
Nouvel arrêt confirmatif où la Section d’appel s’exprime en ces
termes: «Nous avons profité de la longue argumentation qui visait à
montrer les erreurs dans le jugement du juge de première instance.
Nous ne voyons aucune erreur manifeste ou dominante dans ses
conclusions.»
Il s’agissait, entre autres, de déterminer si les emploi et adoption par la défenderesse des dénomination et marque BIG
BROTHERS AND SISTERS OF CANADA157 enfreignaient les
marques officielles BIG SISTERS, BIG SISTERS OF CANADA et
BIG SISTERS OF ONTARIO (et graphisme)158 de la demanderesse. Les marques en cause sont ci-après reproduites:
155.
156.
157.
158.
lexum.umontreal.ca/csc-scc/en/pub/1992/vol3/html/1992scr3_0120.html, en
français à http://www.lexum.umontreal.ca/csc-scc/fr/pub/1992/vol3/html/
1992rcs3_0120.html (C.S.C.), le juge Gonthier à la page 297 C.P.R.
«The evidence at trial on damages and liability will necessarily be intertwined»,
plaidait le défendeur, au paragraphe 4 du jugement de la Section de première
instance.
Big Sisters Association of Ontario c. Big Brothers of Canada [BIG BROTHERS]
(1997), 75 C.P.R. (3d) 177, 131 F.T.R. 161, [1997] F.C.J. 627, [1997] A.C.F. 627,
[1997] CarswellNat 783, en français à http://www.cmf.gc.ca/fr/cf/1997/orig/
html/1997fca20576.o.fr.html (C.F.), j. Gibson; conf. (1999), 86 C.P.R. (3d) 504,
166 F.T.R. 160n, 242 N.R. 171, [1999] CarswellNat 1012, [1999] F.C.J. 809,
[1999] N.R. TBEd JN033, http://www.cmf.gc.ca/en/cf/1999/orig/html/
1999fca24594.o.en.html, en français à http://www.cmf.gc.ca/fr/cf/1999/orig/
html/1999fca24594.o.fr.html (C.A.F.). La demande d’injonction interlocutoire
avait été précédemment refusée; (1994), 56 C.P.R. (3d) 355, 80 F.T.R. 289, [1994]
CarswellNat 535, [1994] F.C.J. 959 (C.F. – injonction interlocutoire) j. McGillis.
La défenderesse avait déjà obtenu, le 1973-08-05, sous le numéro T.M.O.
900658, la publication d’un avis d’adoption et d’emploi à titre de marque officielle de la marque BIG BROTHERS. Ce qui était donc en cause, c’est l’inclusion
d’une référence sororale.
De façon surprenante, et sans doute dans un excès de zèle, le traducteur de la
version française a également traduit les marques en cause!
586
Les Cahiers de propriété intellectuelle
BIG
SISTERS
BIG SISTERS
OF CANADA
BIG BROTHERS
AND SISTERS
OF CANADA
TMO 902589
TMO 902588
TMO 902014
TMO 902241
1986-04-02
1986-04-02
1985-09-25
1987-01-07
Demanderesse
Demanderesse
Demanderesse
Défenderesse
Première question: quel critère faut-il appliquer pour déterminer si une marque est composée d’une marque officielle ou dont la
ressemblance est telle que l’on pourrait vraisemblablement la confondre avec une marque officielle159?
La ressemblance entre la marque officielle et la marque
adoptée est le seul facteur dont il faut tenir compte et les critères de
confusion énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi sur les marques
de commerce sont non pertinents160 lorsqu’il s’agit de déterminer la
159.
160.
Le sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce se lit comme suit:
«Nul ne peut adopter à l’égard d’une entreprise, comme marque de commerce ou
autrement, une marque composée de ce qui suit, ou dont la ressemblance est
telle qu’on pourrait vraisemblablement la confondre avec ce qui suit: [...] n) tout
insigne, écusson, marque ou emblème: [...] (iii) adopté et employé par une autorité publique au Canada comme marque officielle pour des marchandises ou services, à l’égard duquel le registraire, sur la demande de Sa Majesté ou de
l’université ou autorité publique, selon le cas, a donné un avis public d’adoption
et emploi; [...]»
Cet énoncé est tiré du jugement de première instance dans l’affaire Association
olympique canadienne c. Konica Canada Inc. [OLYMPIC/OLYMPIC] (1987), 18
C.P.R. (3d) 470, 18 C.I.P.R. 223, 18 F.T.R. 1, [1987] CarswellNat 787, [1987]
F.C.J. 1054 (C.F. – injonction interlocutoire), j. Martin; (1990), [1990] 2 C.F. 703,
Revue de la jurisprudence des cours d’appel du Canada
587
ressemblance prohibée par le paragraphe 9(1)161. Le critère de ressemblance est moins sévère que le critère de confusion: il ne s’agit
pas d’une comparaison directe qui supposerait un examen rigoureux
et consciencieux. La question est de savoir si une personne familière
avec la marque officielle de la demanderesse mais qui s’en souvient
imparfaitement pourrait vraisemblablement la confondre avec une
marque de la défenderesse. Même dans le cas d’une marque officielle, le fardeau de démontrer la ressemblance ou la confusion
repose sur la demanderesse. En l’espèce, la marque de la défenderesse ne ressemble pas à celles de la demanderesse.
Deuxième question: les marques de la demanderesse sont-elles
opposables à la défenderesse?
Le fait que le registraire ait permis la publication de la marque
de la défenderesse subséquemment à la publication des marques de
la demanderesse est, rappelle le juge de première instance, sans pertinence.
Entre autres questions162, il faut se demander si, au moment de
la publication de l’avis public d’adoption et d’emploi, les marques en
cause étaient employées à titre de marques officielles: c’est là une
161.
162.
30 C.P.R. (3d) 60, 35 F.T.R. 59, 69 D.L.R. (4th) 432, [1990] CarswellNat 640,
[1990] F.C.J. 256, [1990] A.C.F. 256 (C.F.), j. Denault; infirmé pour d’autres
motifs (1991), [1992] 1 C.F. 797, 135 N.R. 143, 39 C.P.R. (3d) 400, 85 D.L.R. (4th)
719, 53 F.T.R. 85n, [1991] CarswellNat 163, [1991] F.C.J. 1153, [1991] A.C.F.
1153 (C.A.F.); permission d’en appeler à la Cour suprême du Canada refusée
(1992), [1992] 1 R.C.S. viii, 41 C.P.R. (3d) v, 89 D.L.R. (4th) vii, 140 N.R. 237n,
[1992] S.C.C.A. 11 (C.S.C.), où le juge Denault s’était exprimé comme suit: «La
ressemblance de la marque officielle avec la marque adoptée est le seul facteur
dont il faut tenir compte; d’autres considérations jugées pertinentes dans les
affaires de marques de commerce, comme celles qui sont énumérées au paragraphe 6(5), ne sont pas pertinentes en l’espèce.»
Toutefois, le juge Gibson prend bien soin d’ajouter, au paragraphe 81: «Je ne
considère pas que cet énoncé écarte l’application de l’alinéa 6(5)e) qui prévoit
que lorsqu’il s’agit de déterminer si des marques de commerce ou des noms commerciaux portent à confusion, il est possible de prendre en compte le degré de
ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la
présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent. Par voie de conséquence, je ne souscris pas à l’argument de l’avocat des demanderesses selon
lequel le paragraphe 6(5), particulièrement les facteurs qui y sont énoncés, sont
dénués de toute pertinence aux fins de la présente affaire.»
De façon intéressante, on notera que le juge ne ferme pas la porte à la possibilité
pour la Cour d’intervenir si un avis public d’adoption et d’emploi à titre de
marque officielle est donné pour des motifs illégitimes; il indique qu’en l’espèce
de tels motifs n’ont pas été démontrés et qu’il n’y a donc pas lieu de se prononcer
sur le sujet.
588
Les Cahiers de propriété intellectuelle
condition préalable à leur opposabilité. La simple publication, à cet
égard, ne constitue pas une preuve suffisante de cet emploi163.
Affaire Alarme Sentinelle164
Autre arrêt confirmatif où l’on conforte l’avocat de l’appelante
en indiquant que, malgré une plaidoirie habile, il n’a pas réussi à
démontrer une erreur du juge de première instance qui justifierait
l’intervention de la Section d’appel.
En 1996, principalement sur la base de ses marques de commerce enregistrées ALARME SENTINELLE employées depuis
1980 pour «l’exploitation d’une entreprise d’installation de systèmes
de sécurité qui déclenche un signal de situation critique, l’entretien
et la maintenance de ces systèmes et le contrôle et la surveillance de
ces systèmes à partir d’un poste de contrôle central», la demanderesse tentait d’obtenir une injonction empêchant la défenderesse
d’employer la marque de commerce HOME SENTINEL pour des
«systèmes d’alarme résidentiels sans fil» et demandant la radiation
de l’enregistrement de cette marque de commerce.
La Section de première instance conclut que, «bombardés de
messages publicitaires, les consommateurs moyens d’aujourd’hui
sont passablement avertis lorsqu’il s’agit de faire des achats et de
comparer des noms de marques, de sorte qu’ils ne doivent pas être
tenus pour «complètement dénués de mémoire» (without powers of
recollection) ou «totalement inconscients» (totally unaware) ou mal
informés de ce qui se passe autour d’eux». Il y a certes chevauchement entre les champs d’activité des parties (i.e., la sécurité résidentielle) mais les produits eux-mêmes sont différents (i.e., alarmes
haut de gamme coûteuses viz. consommateur bricoleur).
163.
164.
Le jugement, à la fin du paragraphe 77, n’est pas très clair, ni en français ni en
anglais. On pourrait cependant en inférer que celui qui allègue une marque officielle aura, malgré la publication, le fardeau de prouver qu’il y a eu emploi préalable à la publication.
Man and His Home Ltd. c. Mansour [ALARME SENTINEL] (1999), 87 C.P.R.
(3d) 218, 163 F.T.R. 270, [1999] CarswellNat 266, [1999] F.C.J. 230, [1999]
A.C.F. 230, 86 A.C.W.S. (3d) 405, http://www.cmf.gc.ca/en/cf/1999/orig/html/
1999fca24018.o.en.html, en français à http://www.cmf.gc.ca/fr/cf/1999/orig/
html/1999fca24018.o.fr.html (C.F.), j. Denault; conf. (2000), 9 C.P.R. (4th) 68,
185 F.T.R. 289n, [2000] CarswellNat 2140, [2000] F.C.J. 1528, [2000] A.C.F.
1528, http://www.cmf.gc.ca/en/cf/2000/orig/html/2000fca27407.o.en.html, en
français à http://www.cmf.gc.ca/fr/cf/2000/orig/html/2000fca27407.o.fr.html
(C.A.F.). La demande d’injonction interlocutoire avait été rejetée: (1996), 72
C.P.R. (3d) 239, 163 F.T.R. 270, [1996] CarswellNat 2029, 86 A.C.W.S. (3d) 405,
[1996] F.C.J. 1558, [1996] A.C.F. 1558, http://www.cmf.gc.ca/en/cf/1996/orig/
html/1996fcaa0544.o.en.html (C.F. – injonction interlocutoire), j. TremblayLamer.
Revue de la jurisprudence des cours d’appel du Canada
589
En ce qui a trait aux marques de commerce elles-mêmes
(ALARME SENTINELLE et HOME SENTINEL), leur proximité
s’explique par le peu de distinctivité inhérente du terme «sentinelle/sentinel» dans le domaine des services de sécurité, protection
ou surveillance, ce que tendrait à confirmer la présence au registre
des marques de trois autres marques incorporant le terme «sentinel»
en liaison avec de tels services.
Enfin, une comparaison globale des marques de commerce en
cause force la Section de première instance à conclure qu’à tout
prendre, il n’y a pas de ressemblance ou de risque de confusion:
Marque de la demanderesse
Marque de la défenderesse
5.2 Action pour commercialisation trompeuse
Affaire Target165
L’action pour violation de marque de commerce n’obéit pas aux
mêmes critères que l’action en «passing-off». Il s’agissait d’une action
en violation de marques de commerce enregistrées et tromperie commerciale. Sur requête pour jugement sommaire, le juge de première
instance avait constaté qu’aucune des quatre marques alléguées
n’avait été employée par la défenderesse. Le juge pouvait donc
165.
1013579 Ontario Inc. c. Bedesse Imports Ltd. [TARGET, RED SPOT, COW &
GIRL, CHATAK] (1996), [1996] F.C.J. 909, [1996] A.C.F. 909 (C.F.), j. Jerome;
mod. (1997), 77 C.P.R. (3d) 163, [1997] F.C.J. 1504, [1997] A.C.F. 1504, [1997]
N.R. Uned 174, http://www.cmf.gc.ca/en/cf/1997/orig/html/1997fca21438.o.en.
html, en français à http://www.cmf.gc.ca/fr/cf/1997/orig/html/1997fca21438.o.
fr.html (C.A.F.).
590
Les Cahiers de propriété intellectuelle
rendre jugement en faveur de la demanderesse relativement à
l’action en contrefaçon. L’action en commercialisation trompeuse,
elle, était une cause d’action distincte et indépendante de l’action en
contrefaçon et aurait donc dû être tranchée séparément par le juge.
Affaire Linen Depot166
Une preuve par sondage pour démontrer la confusion est recevable. Le contre-interrogatoire de l’expert va de soi; par contre,
l’interrogatoire des téléphonistes interviewers ne sera permis que
sur requête motivée et ce, afin d’éviter les «expéditions de pêche».
Affaire Enterprise167
Les dispositions168 des articles 3, 4 et 5 de la Loi sur les marques
de commerce ne sont pas des dispositions de fond, mais simplement
déterminatives en ce qu’elles ne font que créer des présomptions169.
Pour qu’une marque de commerce employée à l’étranger soit
protégée au Canada, il n’est pas nécessaire que celle-ci soit notoire
(«famous»): il doit y avoir preuve que celle-ci jouit d’un degré suffisant de reconnaissance et d’achalandage et il n’est donc pas nécessaire que la marque soit bien connue au sens de l’article 5170. Dès
166.
167.
168.
169.
170.
Boutique Linen Chest (Phase II) Inc. c. Wise [LINEN DÉPÔT] (1997), [1997] J.Q.
1371 (C.S. Québec), j. Crépeau; inf. (1997), 80 C.P.R. (3d) 540, REJB 97-02690,
J.E. 97-1983, [1997] A.Q. 3189, [1997] CarswellNat 2016 (C.A. Québec).
Enterprise Rent-A-Car Co. c. Singer [ENTREPRISE] (1996), 66 C.P.R. (3d) 453,
[1996] 2 C.F. 694, 109 F.T.R. 185, [1996] F.C.J. 340, 61 A.C.W.S. (3d) 1208,
[1996] CarswellNat 2506, http://www.cmf.gc.ca/en/cf/1996/vol2/html/
1996fcaa0111.p.en.html, en français [1996] CarswellNat 370 (C.F.) McKeown;
conf. (1998), 79 C.P.R. (3d) 45, 223 N.R. 114, [1998] F.C.J. 182, [1998] A.C.F.
182, 146 F.T.R. 158n, [1999] 1 C.F. 531, [1998] CarswellNat 290, http://www.
cmf.gc.ca/en/cf/1998/orig/html/1998fca22003.o.en.html, en français à http://
www.cmf.gc.ca/fr/cf/1998/orig/html/1998fca22003.o.fr.html, [1998] CarswellNat 2880 (C.A.F.).
Arrêt autrement commenté par Barry GAMACHE, «Federal Court Rules on
Meaning of ‘Deeming’ Clauses in Trade-marks Act», (1998) 12 W.I.P.R. 139.
Sur la question des présomptions, voir en général: Léo DUCHARME, Précis de
la preuve, 4e éd. (Montréal, Wilson & Lafleur, 1993), John SOPINKA et al., The
Law of Evidence in Canada (Toronto, Butterworths, 1992), M.N. HOWARD et
al., Phipson on Evidence, 14th ed. (London, Sweet & Maxwell, 1990) et Colin
TAPPER, Cross and Tapper on Evidence, 9th ed. (London, Butterworths, 1999).
«Une personne est réputée faire connaître une marque de commerce au Canada
seulement si elle l’emploie dans un pays de l’Union, autre que le Canada, en liaison avec des marchandises ou services, si, selon le cas: a) ces marchandises sont
distribuées en liaison avec cette marque au Canada; b) ces marchandises ou services sont annoncés en liaison avec cette marque: (i) soit dans toute publication
Revue de la jurisprudence des cours d’appel du Canada
591
lors, jouissant d’un degré de reconnaissance certain, la demanderesse était bien fondée dans son recours171.
Affaire Real Clothes172
Au stade d’un préalable, ne sera ordonnée que la production de
la documentation se rapportant aux ventes de produits portant la
marque incriminée et non à toutes les ventes d’une partie173.
Affaire Jac Dale Robes174
Dans le cadre d’une action en commercialisation trompeuse, les
dommages compensatoires accordés à un demandeur devraient être
calculés à partir des profits nets réalisés de la commercialisation des
contrefaçons et non à partir des profits bruts. Toutefois, dans la
mesure où les défendeurs, par leur refus de dévoiler leurs marges
bénéficiaires, ont empêché cette preuve, la Cour d’appel du Québec
n’a pas vu motif d’intervention dans la décision du juge de première
instance qui avait accordé ces dommages sur la base du profit brut,
seule donnée disponible175.
En ce qui a trait à l’octroi de dommages exemplaires, la Cour
d’appel conclut cependant qu’on ne peut prétendre que tout manque-
171.
172.
173.
174.
175.
imprimée et mise en circulation au Canada dans la pratique ordinaire du commerce parmi les marchands ou usagers éventuels de ces marchandises ou services, (ii) soit dans des émissions de radio ordinairement captées au Canada par
des marchands ou usagers éventuels de ces marchandises ou services, et si la
marque est bien connue au Canada par suite de cette distribution ou annonce.»
Ironiquement, le 20 octobre 1998, la Commission des oppositions concluait que
la même marque de la demanderesse n’avait pas été révélée au sens de l’article
5: 87 C.P.R. (3d) 544. Voir enregistrement T.M.A. 508,117 du 16 février 1999.
Saks & Co. c. Adventurers of England Trading Into Hudson’s Bay [REAL
CLOTHES] (1997), 71 C.P.R. (3d) 573, [1997] CarswellNat 155 (C.F.), j. Pinard,
mod (1998), 84 C.P.R. (3d) 327; [1998] CarswellNat 2317, 1998 N.R. Uned 214,
[1998] F.C.J. 1707, http://www.cmf.gc.ca/en/cf/1998/orig/html/1998fca23549.
o.en.html, en français à http://www.cmf.gc.ca/fr/cf/1998/orig/html/1998fca
23549.o.fr.html (C.A.F.).
Pourtant, au titre de l’article 53.2, il n’est pas impossible de concevoir qu’une
marque ait servi d’appât pour les autres activités d’une défenderesse; présumément, c’est au stade d’une référence qu’il faudra faire cette preuve, mais...
Azoulay c. Azoulay [JAC DALE ROBES] (1997), REJB 1997-03428, [1997] A.Q.
4009 (C.S.Q.) j. Croteau; infirmé partiellement (2000), REJB 2000-21409, J.E.
2001-92, [2000] J.Q. 5370, http://www.soquij.qc.ca/jugements/200012fr.html
(2000-12-06) (C.A.Q.).
Il est parfois de ces objections à la preuve qui, plus tard en cours d’instance, viennent hanter le plaideur...
592
Les Cahiers de propriété intellectuelle
ment contractuel constitue une contravention à l’article 6 du Code
civil du Québec176.
Affaire de la Capsule vert et gris de fluoxétine177
Pour leurs anti-dépresseurs178, les défenderesses Novopharm,
Apotex et Nu-Pharm utilisaient des capsules de mêmes taille, forme
et couleurs que celles utilisées par la demanderesse Eli Lilly pour
son fameux PROZAC.
Il est d’abord rappelé179 que dans une affaire d’imitation
trompeuse, il est nécessaire de prendre en considération les consommateurs potentiels180 du produit en question ainsi que les consommateurs actuels.
Il est possible que des capsules de mêmes taille, forme et couleurs puissent fonder une action en commercialisation trompeuse.
Toutefois, dans une telle action, il est essentiel que la demanderesse
prouve un achalandage181 lié à sa marque de commerce ou à sa
176.
177.
178.
179.
180.
181.
«Toute personne a le droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses
biens, sauf dans la mesure prévue par la Loi.» Dans la mesure où le concédant
violait l’exclusivité prévue par la licence, il était séduisant de plaider que le
licencié était privé de la jouissance paisible de la libre disposition de ses biens.
La Cour d’appel du Québec n’a pas retenu l’argument puisque cet article du
Code civil n’est accompagné d’aucune disposition permettant d’octroyer des
dommages exemplaires en cas de sa violation et qu’il n’y avait pas eu de perte de
jouissance. Le jugement de première instance a donc été modifié pour supprimer
l’octroi de dommages punitifs.
Eli Lilly & Company c. Novopharm Ltd. [CAPSULE VERT ET GRIS DE
FLUOXÉTINE] (1997), 73 C.P.R. (3d) 371, 130 F.T.R. 1, 147 D.L.R. (4th) 673,
[1997] CarswellNat 728, [1997] F.C.J. 488, [1997] A.C.F. 488, [2001] N.R. TBEd
JA030, http://www.cmf.gc.ca/en/cf/1997/orig/html/1997fca20459.o.en.html, en
français à http://www.cmf.gc.ca/fr/cf/1997/orig/html/1997fca20459.o.fr.html
(C.F.), j. Reed; conf. (2000), [2000] F.C.J. 2090, [2000] CarswellNat 3122,
http://www.fja.gc.ca/en/cf/2000/orig/html/2000fca27986.o.en.html (C.A.F.).
En l’espèce, il s’agissait de chlorhydrate de fluoxétine. La fluoxétine appartient
à la famille de médicaments appelée inhibiteurs spécifiques du recaptage de la
sérotonimie; elle est utilisée dans le traitement de la dépression, de même que
certains troubles comme les comportements obsessionnels-compulsifs, la boulimie et l’autisme.
Suivant la démonstration du juge Gonthier dans Ciba-Geigy Canada Ltd. c.
Apotex Inc. [comprimés de métoprolol] (1992), [1992] 3 R.C.S. 120, J.E. 92-1624,
44 C.P.R. (3d) 289, 143 N.R. 241, 95 D.L.R. (4th) 385, 58 O.A.C. 321, [1992]
CarswellOnt 1007, 2 O.R. (3d) xi, http://www.lexum.umontreal.ca/csc-scc/
en/pub/1992/vol3/html/1992scr3_0120.html, en français à http://www.lexum.
umontreal.ca/csc-scc/fr/pub/1992/vol3/html/1992rcs3_0120.html (C.S.C.).
Difficile, sinon même impossible, à définir vu la nature du produit.
Autrement défini comme le résultat de l’association, dans l’esprit des consommateurs, de la marque de commerce ou de l’apparence avec les marchandises
Revue de la jurisprudence des cours d’appel du Canada
593
présentation. Ici, la preuve de la demanderesse n’a pas démontré que
l’apparence de la capsule de son médicament servait d’élément identificateur de la source ou de l’origine commerciale en fonction duquel
le consommateur choisit le médicament. La preuve démontrait plutôt que le consommateur associait taille, forme et couleurs à la
nature du médicament plutôt qu’à l’origine de celui-ci. L’apparence
d’un produit d’ordonnance ne donne donc pas naissance ipso facto à
un droit de marque de commerce.
Sur le marché, l’apparence de la capsule ne sert pas d’élément
identificateur en fonction duquel le consommateur choisit une marque de fluoxétine plutôt qu’une autre. Si les défenderesses ont choisi
des capsules semblables à celles de la demanderesse, ce n’est pas
pour faire passer182 leurs capsules pour celles de la demanderesse
mais plutôt pour permettre au public de reconnaître un médicament
dont les effets thérapeutiques sont les mêmes que celui de la demanderesse. L’apparence de la capsule des défenderesses n’avait donc
pas pour effet d’amener le consommateur à demander leurs produits
plutôt que celui de la demanderesse.
L’utilisation par la juge de première instance de la formulation
«significant likelihood of confusion» alors que l’alinéa 7b) ne fait référence qu’à une «vraisemblance de confusion» sans qualifier celle-ci
de significative n’est pas erronée. Elle vise simplement à poser que la
preuve de la demanderesse n’est pas minimaliste et doit démontrer
une confusion sinon actuelle, du moins probable183.
6. RECOURS INTERLOCUTOIRE
6.1 Injonction interlocutoire
Affaire Harfouche184
L’utilisation par une compagnie de taxis d’un numéro de téléphone semblable [322-6000] à celui d’une autre société de taxis
182.
183.
184.
d’un demandeur ou avec une source ou une origine commerciale, que les consommateurs puissent ou non identifier cette source.
Au sens de l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce.
À cet égard, la juge Desjardins, pour la cour, indique, au paragraphe 59, qu’il
n’existe pas de formule sacramentelle: «There are no magic words to be used to
determine the level to be reached. One can find in the case law phrases such as
«significant likelihood of confusion», «no reasonable likelihood of confusion»,
«real likelihood of confusion», «substantial number» (of prospective consumers
would be deceived) and «significant percentage».»
Association coopérative de taxi de l’Est de Montréal c. Harfouche [352-6000/
322-6000] (1997), REJB 97-01633, J.E. 97-1525, [1997] A.Q. 2388, [1997] CarswellQue 678 (C.A. Québec).
594
Les Cahiers de propriété intellectuelle
[352-6000] ne constitue pas pour autant un délit de commercialisation trompeuse. L’irrecevabilité d’un interlocutoire ne devrait pas
être plaidée avant que toute la preuve ait été entendue mais rien
n’empêche de présenter une telle irrecevabilité à l’encontre de la
demande même, dont l’interlocutoire ne constitue qu’un accessoire185.
Affaire Entreprise (2)186
La décision rendue en 1992 dans l’affaire Toronto Dominion
Bank selon laquelle, dans le cas d’une injonction interlocutoire, les
dépens doivent normalement suivre l’issue de la cause, n’a plus
d’effet, vu le pouvoir discrétionnaire dont est investie la Cour de par
la nouvelle règle 401187.
Affaire Kisber188
L’utilisation d’un nom de famille peut être prohibée si celle-ci
est de nature à créer de la confusion.
La Cour d’appel du Québec a ici reconnu l’applicabilité au
Québec des trois critères de l’arrêt de la Cour suprême dans CibaGeigy189 pour une action en tromperie commerciale, savoir:
1. l’existence d’un achalandage ou d’une réputation relativement aux produits ou services fournis en raison du fait que
185.
186.
187.
188.
189.
Présumément, l’action avait été libellée comme en étant une de violation de
marque de commerce non enregistrée plutôt qu’une action où une confusion
volontaire, du fait des activités de la défenderesse, dont l’utilisation d’un
numéro de téléphone ainsi sélectionné, aurait été l’un des faits reprochés.
Enterprise Rent-A-Car Co. c. Singer [ENTREPRISE 2] (1999), [1999] F.C.J.
1687, [1999] A.C.F. 1687, [1999] CarswellNat 1877, http://www.cmf.gc.ca/en/
cf/1999/orig/html/1999fca25253.o.en.html, en français à http://www.cmf.gc.ca/
fr/cf/1999/orig/html/1999fca25253.o.fr.html (C.A.F.).
Pour la petite histoire, on notera que, sur une période de 16 mois, les premiers
avocats de la demanderesse américaine avaient facturé, en dollars américains,
1 065 309,20 $ à l’entreprise américaine, ce qui fait d’ailleurs présentement
l’objet d’un pourvoi devant la Cour suprême du Canada. Entreprise Rent-A-Car
Co. c. Shapiro Cohen Andrews Finlayson (1997), [1997] O.J. 1405 (C. d’Ontario);
conf. (1998), [1998] O.J. 727, [1998] CarswellOnt 707, 157 D.L.R. (4th) 322, 107
O.A.C. 209, 38 O.R. (3d) 257, 80 C.P.R. (3d) 214, 18 C.P.C. (4th) 20, [1998] O.J.
727 (C.A. Ont.); (1998), [1998] S.C.C.A. 162 (C.S.C.).
Kisber & Co. c. Ray Kisber & Associates Inc. [KISBER] (1998), 82 C.P.R. (3d)
318; REJB 98-05902; J.E. 98-1001; [1998] R.J.Q. 1342, [1998] A.Q. 1255, [1998]
CarswellQue 372 (C.A. Québec).
Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc. [comprimés de métoprolol] (1986), 12
C.P.R. (3d) 76, [1986] CarswellOnt 1085 (C.S. Ont. – inj. interlocutoire); (1990),
Revue de la jurisprudence des cours d’appel du Canada
595
le public associe, dans son esprit, la présentation particulière ou le nom des produits qui lui sont offerts à ceux du
demandeur, de sorte que cette présentation est reconnue
par le public comme constituant le caractère distinctif des
produits ou services d’un demandeur;
2. que le défendeur a fait une représentation qui amène le
public, ou qui est susceptible de l’amener, à croire que les
produits ou services du défendeur sont ceux du demandeur;
3. que le demandeur subit ou est susceptible de subir des dommages à cause de la croyance erronée engendrée par la
représentation trompeuse du défendeur.
Et la Cour d’appel d’ajouter que, même s’il s’agit de principes de
common law, il peut s’avérer utile de les examiner pour déterminer si
les défendeurs se sont livrés à une concurrence illicite ou déloyale en
vertu des principes généraux de la responsabilité civile et de la Loi
sur les marques de commerce:
Si la concurrence est l’âme du commerce, les efforts faits par un
concurrent pour enlever à l’adversaire la position qu’il occupe et
attirer sa clientèle doivent respecter les règles d’honnêteté et de
bonne foi qui sont à la base des transactions commerciales.
Lorsqu’un concurrent cherche à s’approprier, par la tromperie,
l’avantage de la réputation bien établie du commerce ou du produit de son adversaire, il se livre à une concurrence déloyale.
Dans le cas sous étude, le juge de première instance avait donc
fait une erreur en concluant que les mandants, créanciers ou syndics, n’attachaient pas une grande importance au nom de l’entreprise à qui ils confiaient une liquidation de marchandises ou une
vente aux enchères. Il fallait plutôt déterminer si les défenderesses
avaient agi de façon à laisser croire que leur entreprise était celle de
la demanderesse ou associée à celle-ci afin de profiter de l’achalandage acquis non seulement auprès des gens spécialisés mais,
encore, du public en général.
75 O.R. (2d) 589, 45 O.A.C. 356, 32 C.P.R. (3d) 555, [1990] CarswellOnt 964 (C.A.
Ont.); inf. (1992), [1992] 3 R.C.S. 120, J.E. 92-1624, 44 C.P.R. (3d) 289, 143 N.R.
241, 95 D.L.R. (4th) 385, 58 O.A.C. 321, [1992] CarswellOnt 1007, 2 O.R. (3d) xi,
http://www.lexum.umontreal.ca/csc-scc/en/pub/1992/vol3/html/1992scr3_0120.
html, en français à http://www.lexum.umontreal.ca/csc-scc/fr/pub/1992/vol3/
html/1992rcs3_0120.html (C.S.C.).
596
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Par ailleurs, le droit d’utiliser son propre nom en affaires est
clairement établi, même au risque d’une certaine confusion avec un
concurrent. Toutefois, seul un usage honnête du nom sera protégé.
Dans la mesure où le nom de la demanderesse Kisber n’avait pas
acquis, dans le domaine des liquidations et des ventes aux enchères,
une telle signification secondaire, la demanderesse ne pouvait avoir
un droit exclusif de ce nom à l’encontre de la défenderesse. Par
contre, la Cour était en droit d’intervenir lorsque la demanderesse
avait prouvé que la défenderesse avait tenté de tromper le public par
la façon dont elle avait utilisé le nom de Kisber dans les annonces
publicitaires [même type d’annonce, importance du terme «Kisber»,
minimisation du prénom «Ray» ou des autres éléments d’écriture,
même aménagement graphique]190. Dans la mesure où le public a
rarement l’occasion de comparer les annonces de la demanderesse et
de la défenderesse côte à côte, c’est donc le facteur de la réminiscence
imparfaite qui doit prévaloir.
La Cour d’appel propose donc une mesure de redressement
limitée. À cet égard, il est utile de reprendre les termes des conclusions:
Pour toutes ces raisons, je propose qu’une mesure de redressement soit ordonnée afin de faire cesser la concurrence déloyale
exercée par les intimés. L’interdiction d’utiliser le nom Kisber
ne me paraît pas toutefois une mesure appropriée, en l’espèce.
Le nom corporatif Ray Kisber & Associates n’est pas contesté.
Les intimés ont acquis le droit de faire affaires sous ce nom à
condition de ne pas provoquer de la confusion dans l’esprit de la
clientèle. Comme la confusion constatée résulte substantiellement des annonces publicitaires destinées au public, il me
paraît que l’injonction devrait être limitée à des mesures assurant la présence d’éléments distinctifs dans les annonces, circulaires et tous les autres documents publiés par les intimés de
manière à ce que 1) le nom Kisber n’ait pas un caractère prédominant, 2) que les mots Ray Kisber & Associates soient placés
sur une même ligne, 3) qu’ils soient écrits selon des caractères
identiques et qu’en plus, 4) il soit indiqué sous le nom corporatif
qu’il s’agit d’une compagnie indépendante de Kisber & Co.
190.
Voir en annexe C la reproduction de certaines des publicités en cause.
Revue de la jurisprudence des cours d’appel du Canada
597
Affaire Joe Hard Alcoholic Lemonade191
Si les dommages peuvent compenser, alors il n’y aura pas
d’injonction interlocutoire et cela d’autant plus que le fonctionnement de l’industrie des alcools permet d’avoir un compte exact des
transactions des parties.
Même si, dans le cas d’une injonction quia timet192, la preuve de
dommages actuels n’est pas possible et doit donc être inférée, si des
dommages éventuels peuvent être fixés lors de leur commission, il
n’y aura pas d’injonction. Le seul fait que le demandeur ait une
marque enregistrée n’empêche pas que le recours demeure discrétionnaire et doive obéir aux règles relatives à son octroi193. Une
191.
192.
193.
Mark Anthony Group, Inc. c. Vincor International Inc. [MIKE’S HARD
LEMONADE / JOE HARD ALCOHOLIC LEMONADE] (1998), 80 C.P.R. (3d)
564, [1998] B.C.J. 716, [1998] B.C.T.C. Uned 375, 78 A.C.W.S. (3d) 585, [1998]
CarswellBC 706, http://www.courts.gov.bc.ca/jdb%2Dtxt/sc/98/04/s98%2
D0474.txt (C.S.C.-B. – injonction interlocutoire), j. Brenner; (1998), 80 C.P.R.
(3d) 573, [1998] B.C.T.C. Appeal Note 19, 80 A.C.W.S. (3d) 161, [1998] B.C.J.
1348, [1998] CarswellBC 1247, http://www.courts.gov.bc.ca/jdb%2Dtxt/ca/98/
03/c98%2D0338.txt (C.A.C.-B. – permission d’en appeler), conf. (1998), 82
C.P.R. (3d) 541, 113 B.C.A.C. 280, [1998] B.C.A.C. Uned 93, [1998] B.C.J. 2475,
[1998] CarswellBC 2289, 184 W.A.C. 280, 23 C.P.C. (4th) 232, [1994] 4 W.W.R.
167, 58 B.C.L.R. (3d) 124, http://www.courts.gov.bc.ca/jdb%2Dtxt/ca/98/06/
c98%2D0602.txt (C.A.C.-B. – injonction interlocutoire).
Littéralement: «parce qu’il craint». Il s’agit d’une procédure qui a pour objet
d’empêcher que soit posé un acte redouté et susceptible de causer un préjudice
sérieux.
Voir Syntex Inc. c. Apotex Inc. [comprimé ovale bleu] (1989), 28 C.P.R. (3d) 40, 32
F.T.R. 39, 27 C.I.P.R. 123 (C.F.); (1989), 28 C.P.R. (3d) 43 (C.F. – sursis); inf.
(1991), 36 C.P.R. (3d) 139, 126 N.R. 122, [1991] 3 C.F. F-24, 51 F.T.R. 322n,
[1991] CarswellNat 1114, [1991] F.C.J. 423 (C.A.F.); permission d’en appeler à
la Cour suprême du Canada refusée (1991), [1991] 3 R.C.S. xi, 39 C.P.R. (3d) v,
137 N.R. 391n (C.S.C.); Syntex Inc. c. Novopharm Inc. [comprimé ovale bleu]
(1989), 26 C.P.R. (3d) 481, 25 C.I.P.R. 161, 28 F.T.R. 124 (C.F.); (1989), 27 C.P.R.
(3d) 530, 28 F.T.R. 143 (C.F. – motifs additionnels); inf. (1991), 36 C.P.R. (3d)
129, 126 N.R. 129, [1991] 3 C.F. F-24, 51 F.T.R. 299n, [1991] CarswellNat 1113,
[1991] F.C.J. 424 (C.A.F.); permission d’en appeler à la Cour suprême du
Canada refusée (1991), [1991] 3 R.C.S. xi, 39 C.P.R. (3d) v, 137 N.R. 391n
(C.S.C.); Sci-Tech Educational Inc. c. The Nature Company [THE NATURE
STORE/THE NATURE COMPANY] (1991), 40 C.P.R. (3d) 184, 51 F.T.R. 70,
[1992] 2 C.F. F-30, [1991] F.C.J. 1313, [1991] CarswellNat 184 (C.F.); (1992), 41
C.P.R. (3d) 68, 52 F.T.R. 136, [1992] 2 C.F. F-61, [1992] CarswellNat 682, [1992]
F.C.J. 34 (C.F. – sursis); inf. (1992), 41 C.P.R. (3d) 359, 141 N.R. 153, [1992] 2
C.F. F-60, 54 F.T.R. 240n, [1992] CarswellNat 665, [1992] F.C.J. 266 (C.A.F.);
National Hockey League c. Centre Ice Limited [CENTER ICE] (1993), 53 C.P.R.
(3d) 34-35, 71 F.T.R. 5, [1994] 2 C.F. F-9, [1993] CarswellNat 336 (C.F.); inf.
(1994), 53 C.P.R. (3d) 34-50, 166 N.R. 44, [1994] 2 C.F. F-52, 75 F.T.R. 240n,
[1994] CarswellNat 1332, [1994] F.C.J. 68 (C.A.F.). Voir également Jean
CARRIÈRE, «Conséquences de l’arrêt Center Ice Limited c. National Hockey
League sur la question des dommages irréparables», (1999) 12 C.P.I. 209 et
598
Les Cahiers de propriété intellectuelle
injonction quia timet ne requiert donc pas un degré moindre de
preuve de dommages.
Affaire Le Rouet194
Sera suspendue pendant l’appel l’injonction l’interlocutoire qui
viserait à interdire à une partie d’utiliser un nom ou une marque,
même susceptible de créer de la confusion, lorsque le jugement attaqué comprend des faiblesses manifestes telles la non-évaluation de
la coexistence durant de nombreuses années des marques ou noms
en cause, la constitution de la défenderesse en corporation avant
l’obtention de la raison sociale de la demanderesse et l’obtention par
la défenderesse d’un enregistrement de marque de commerce.
Affaire Business Depot195
Les demandeurs demandaient, en 2000, la dissolution d’une
injonction interlocutoire prononcée en 1993196 et ce, pour absence de
diligence197 dans la poursuite des procédures et un changement radical de circonstances198 depuis le prononcé de l’injonction199.
En confirmant le jugement de première instance, la Section
d’appel de la Cour fédérale rappelle que la dissolution d’une injonc-
194.
195.
196.
197.
198.
199.
Barry GAMACHE, «Allegation of Irreparable Damages Insufficient For Interlocutory Injunction», (1994) 8 W.I.P.R. 119.
Rouet métiers d’art (Le) c. Rouet (Le) [LE ROUET] (1999), REJB 99-13972,
[1999] CarswellNat 2835 (C.S. Québec – injonction interlocutoire); (1999), J.E.
99-1140, REJB 99-12470, [1999] J.Q. 1735, [1999] CarswellNat 1868 (C.A. Québec – suspension).
Business Depot Ltd. (The) c. Canadian Office Depot Inc. (The) [BUSINESS
DEPOT] (2000), 182 F.T.R. 67, [2000] F.C.J. 63, [2000] A.C.F. 63, [2000] CarswellNat 133, http://www.cmf.gc.ca/en/cf/2000/orig/html/2000fca25891.o.en.
html, en français à http://www.cmf.gc.ca/fr/cf/2000/orig/html/2000fca25891.o.
fr.html (C.F.), j. Dubé; conf. (2000), 259 N.R. 390, [2000] A.C.F. 1405, [2000]
F.C.J. 1405, [2000] 4 C.F. D-66, 186 F.T.R. 180n, [2000] CarswellNat 2023,
http://www.cmf.gc.ca/en/cf/2000/orig/html/2000fca27263.o.en.html (C.A.F.). La
demande d’injonction interlocutoire avait été accordée à (1993), 49 C.P.R. (3d)
230, 63 F.T.R. 271, [1993] CarswellNat 367, [1993] F.C.J. 450 (C.F. – injonction
interlocutoire), j. Rouleau.
Business Depot Ltd. (The) c. Canadian Office Depot Inc. (The) [BUSINESS
DEPOT] (1993), 49 C.P.R. (3d) 230, 63 F.T.R. 271, [1993] F.C.J. 450, [1993]
CarswellNat 367 (C.F.), j. Rouleau.
Selon la défenderesse requérante, ce retard était de 52 mois...
En l’espèce, selon la défenderesse, elle aurait acquis un achalandage important
en Ontario pour sa marque OFFICE DEPOT.
Le jugement prononçant l’injonction interlocutoire avait été commenté par
Diane LEDUC CAMPBELL, «Recent Trademark and Copyright Cases», (1993)
7 W.I.P.R. 227.
Revue de la jurisprudence des cours d’appel du Canada
599
tion interlocutoire est un redressement extraordinaire et qu’une cour
d’appel éprouvera autant de réserves à intervenir sur un tel jugement que sur un jugement qui porterait sur l’injonction interlocutoire elle-même.
Par ailleurs, il incombait à la défenderesse requérante de prouver200 que la situation actuelle était si différente de celle prévalant
lors de l’émission de l’injonction interlocutoire que le contexte en
était dramatiquement modifié. En l’absence d’une erreur révisable,
le jugement a quo est donc maintenu, tout comme l’injonction interlocutoire201.
Affaire Island Oasis202
Confirmant le jugement de première instance, la Section
d’appel de la cour fédérale pose que si l’exclusivité d’emploi prévue à
l’article 19 de la Loi sur les marques de commerce et la présomption
de contrefaçon de l’article 20 de la même loi peuvent contribuer à
faire ressortir le sérieux de la question à trancher, ce n’est cependant
là qu’une partie du test à appliquer dans le cadre d’une demande
d’injonction interlocutoire.
Ces deux dispositions ne peuvent faire présumer de l’existence
ou de la probabilité d’un dommage et encore moins du «dommage
irréparable non monétairement compensable» qui est l’autre volet
du test. Encore une fois, affirmer l’existence et la crainte d’un préjudice irréparable n’est pas le démontrer203.
200.
201.
202.
203.
«That burden is a particularly heavy one» d’indiquer le juge Décary, au paragraphe 6, pour la Cour.
S’il est vrai que sept années s’étaient écoulées depuis l’émission de cette injonction, il est également vrai qu’un procès, d’une durée prévue de trente jours, était
déjà prévu pour les prochains huit mois. Manifestement, c’était un facteur
sous-jacent d’importance dans cet arrêt.
A. Lassonde Inc. c. Island Oasis Canada Inc. [ISLAND OASIS] (2000), 5 C.P.R.
(4th) 165, [2000] F.C.J. 186, [2000] A.C.F. 186, [2000] F.T.R. Uned 71, [2000]
CarswellNat 266, http://www.cmf.gc.ca/en/cf/2000/orig/html/2000fca26014.o.
en.html, en français [2000] CarswellNat 267, http://www.cmf.gc.ca/fr/cf/2000/
orig/html/2000fca26014.o.fr.html (C.F.), j. McGillis; mod. (2000), [2000] A.C.F.
2133, [2001] N.R. TBEd JA048, http://www.cmf.gc.ca/fr/cf/2000/orig/html/
2000fca28006.o.fr.html (C.A.F.).
En première instance, au paragraphe 13, la juge s’était exprimée ainsi sur ce
point: «En effet, comme c’était le cas dans l’affaire Centre Ice, les nombreuses
déclarations, que contiennent ces affidavits, selon lesquelles Lassonde subira
un préjudice irréparable par suite d’une perte permanente d’une part de
600
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Par contre, la Section d’appel réforme le jugement de première
instance qui, en rejetant la demande d’injonction interlocutoire,
avait condamné la demanderesse aux dépens en fonction de l’échelle
supérieure de la colonne IV204. Même si l’adjudication des dépens
relève d’un pouvoir discrétionnaire205, encore faut-il que le jugement
qui déroge à la règle en haussant ceux-ci fournisse des motifs qui permettront à une cour d’appel d’apprécier si le juge de première instance s’est bien gouverné en droit.
6.2 Anton Piller
Affaire Dama206
Apparence de droit et contrefaçon sont des éléments essentiels207 du recours extraordinaire208 qu’est l’ordonnance de type
Anton Piller209.
204.
205.
206.
207.
208.
209.
marché, d’une perte d’achalandage ou de réputation, d’une perte de spécificité,
ou d’un affaiblissement de sa marque de commerce, ne sont pas étayées par de
quelconques éléments de preuve claire. Malgré le très grand nombre de documents que Lassonde a déposés pour étayer sa demande, on constate, comme on
l’a fait dans Centre Ice, «qu’il manque de toute évidence» des éléments de preuve
clairs établissant l’existence d’un préjudice irréparable».
La règle 407 des Règles de la Cour fédérale (1998) prévoit, comme norme, une
taxation suivant la colonne III et, suivant les officiers taxateurs, son échelle
inférieure.
Règle 401 des Règles de la Cour fédérale (1998).
Dama S.p.A. c. Moreau [PAUL & SHARK] (1997), [1997] A.Q. 1236 (C.S. Québec
– injonction interlocutoire), j. Carrier; (1997), [1997] A.Q. 1904 (C.A. Québec –
permission d’appel); mod. (1997), J.E. 97-1644; REJB 97-02088, [1997] A.Q.
2747, [1997] CarswellQue 788 (C.A. Québec – injonction interlocutoire).
S’apparente à certains égards à l’affaire Pardham puisque, pour qu’il y ait
ouverture au recours, il faut qu’il y ait contrefaçon; le résultat est toutefois
bizarre quant à l’interdiction faite par la Cour d’appel au défendeur de s’afficher
pour vendre de la marchandise légitime.
Pour la petite histoire, on notera que les défendeurs ont formé demande reconventionnelle contre les demandeurs pour abus des voies de droit et que l’un des
demandeurs, à titre de défendeur reconventionnel, a poursuivi en garantie le
cabinet d’avocats qui le représentait dans cette procédure.
Sur ce type d’ordonnances, on consultera, par exemple, Jacques A. LÉGER et
al., «Analyse et évolution des ordonnances Anton Piller et Mareva au Canada»,
(1990) 2 C.P.I. 377; Ronald E. DIMOCK et al., «Intellectual Property Litigation
in Canada Before and After NAFTA», (1995) 11 C.I.P.R. 339 et Robert J.
SHARPE, Injunction and Specific Performance, 2e éd. (Toronto, Canada Law
Book, 1992), aux nos 2.1100-1.1300 et 2.750-2.0190.
Revue de la jurisprudence des cours d’appel du Canada
601
7. MISCELLANÉES
7.1 Licence
Affaire Friday210
Une entente211 équivalant à une licence verbale ou couplée avec
le contrôle direct ou indirect du titulaire (en l’espèce, président et
principal actionnaire de la licenciée) est acceptable pour justifier de
l’emploi d’une marque par un licencié. Le caractère déclaratoire –
et donc rétroactif – des dispositions de l’article 50212 de la Loi sur
les marques de commerce est par ailleurs confirmé par la Section
d’appel213.
Affaire de la Capsule vert et gris de fluoxétine214
Dans l’affaire en tromperie commerciale visant les taille, forme
et couleurs de capsules de fluoxétine, la juge de première instance
s’était, en obiter dictum, prononcée sur l’absence de licence valable
entre la demanderesse américaine et la codemanderesse canadienne, sa filiale à part entière relativement à l’exploitation des
capsules de fluoxétine sous une forme particulière à titre de marque
de commerce. Partant, en l’absence de licence, l’exploitation de la
210.
211.
212.
213.
214.
TGI Friday’s of Minnesota, Inc. c. Canada (Registrar of Trade Marks) [FRIDAY]
(1981), [1982] 2 C.F. 241, 57 C.P.R. (2d) 127, [1981] CarswellNat 75, 123 D.L.R.
(3d) 292 (C.F.), j. Joyal (sub nomine Lindy c. Registrar of Trade Marks); inf.
(1999), 241 N.R. 362, [1999] F.C.J. 682, [1999] A.C.F. 682, [1999] CarswellNat
652, en français à http://www.cmf.gc.ca/fr/cf/1999/orig/html/1999fca24368.o.
fr.html (C.A.F.).
On notera ici que dans la traduction officielle du jugement rendu par la Section
de première instance dans Big Sisters Association of Ontario c. Big Brothers of
Canada [BIG BROTHERS] (1997), 75 C.P.R. (3d) 177, 131 F.T.R. 161, [1997]
F.C.J. 627, [1997] A.C.F. 627, [1997] CarswellNat 783, en français à http://
www.cmf.gc.ca/fr/cf/1997/orig/html/1997fca20576.o.fr.html (C.F.) le terme
«unauthorized licensing» est traduit par «licentiation non autorisée», ce qui
n’est pas sans laisser songeur. Enfin! Cela n’est peut-être pas pertinent à une
revue du droit des marques mais mérite au moins une note de bas de page...
L.C. 1993, c. 15, art. 9; eev 1993-06-09.
Arrêt brièvement commenté par Stephanie CHONG, «Trade-Marks Case Law
Update, Or Liquor, Cars, Drugs, and Cigars: Lifestyles of the Beautiful and
Famous», (2000) 17 C.I.P.R. 161, à §5.3.
Eli Lilly & Company c. Novopharm Ltd. [CAPSULE VERT ET GRIS DE
FLUOXÉTINE] (1997), 73 C.P.R. (3d) 371, 130 F.T.R. 1, 147 D.L.R. (4th) 673,
[1997] CarswellNat 728, [1997] F.C.J. 488, [1997] A.C.F. 488 http://www.cmf.
gc.ca/en/cf/1997/orig/html/1997fca20459.o.en.html, en français à http://www.
cmf.gc.ca/fr/cf/1997/orig/html/1997fca20459.o.fr.html (C.F.), j. Reed; conf.
(2000), 10 C.P.R. (4th) 10, 265 N.R. 137, [2000] F.C.J. 2090, [2000] CarswellNat
3122, http://www.fja.gc.ca/en/ cf/2000/orig/html/2000fca27986.o.en.html
(C.A.F.).
602
Les Cahiers de propriété intellectuelle
capsule dans ses taille, forme et couleurs, tant par la codemanderesse canadienne que sa propre licenciée, ne bénéficiait pas à la
demanderesse américaine et la marque de commerce avait perdu son
caractère distinctif.
La Section d’appel ne partage pas cet avis. D’abord, quant à
elle, les ententes liant les parties sont claires: il s’agit bel et bien de
licences visant l’exploitation des taille, forme et couleurs des capsules de fluoxétine à titre de marque de commerce. Qui plus est, les
nouvelles dispositions du paragraphe 50(1) de la Loi sur les marques
de commerce215 doivent s’interpréter à la lumière des dispositions
législatives antérieures216 dont le caractère restrictif avait justement donné naissance aux dispositions actuelles de contrôle sous
licence. Eu égard au contrôle qu’exerçait la demanderesse américaine sur l’exploitation de sa marque au Canada et l’effet déclaratoire (ou rétroactif) des nouvelles dispositions visant l’exploitation
sous licence, la juge de première instance aurait dû conclure qu’il y
avait exploitation sous licence et que le bénéfice en échéait au concédant.
7.2 Cession
Affaire Hydrotech217
Décidé en Ontario, cet arrêt pose que, comme conséquence de
l’annulation d’une cession frauduleuse d’une marque d’un débiteur à
un créancier qui était détenteur d’une hypothèque sur cette marque,
215.
216.
217.
Dont texte: «Pour l’application de la présente loi, si une licence d’emploi d’une
marque de commerce est octroyée, pour un pays, à une entité par le propriétaire
de la marque, ou avec son autorisation, et que celui-ci, aux termes de la licence,
contrôle, directement ou indirectement, les caractéristiques ou la qualité des
marchandises et services, l’emploi, la publicité ou l’exposition de la marque,
dans ce pays, par cette entité comme marque de commerce, nom commercial – ou
partie de ceux-ci – ou autrement ont le même effet et sont réputés avoir toujours
eu le même effet que s’il s’agissait de ceux du propriétaire.»
Avant le 1993-06-08, sous peine de perdre son caractère distinctif, une marque
de commerce ne pouvait être concédée à licence que dans la mesure où cette
exploitation par un tiers faisait l’objet des agrément et inscription au registre
auxiliaire des marques de commerce de ce tiers utilisateur à titre d’usager inscrit (registered user).
Hydrotech Chemical Corp. c. Min-Chem Canada Ltd. [AQUABROME] (1997),
48 C.B.R. (3d) 1, 43 O.T.C. 156, 74 A.C.W.S. (3d) 342, [1998] CarswellOnt 3070
(C. d’Ontario), j. Spence; inf. (1999), 87 C.P.R. (3d) 213, [1999] CarswellOnt 392,
[1999] O.J. 337, http://www.ontariocourts.on.ca/decisions/1999/February/
hydrotech.html, sub nomine Lawrason’s Chemicals (Bankrupt), Re, 127 O.A.C.
51 (C.A. Ontario).
Revue de la jurisprudence des cours d’appel du Canada
603
il résulte que i) du fait de la cession, le créancier perd son hypothèque
et ii) ce créancier ne pourra participer que comme créancier non
garanti dans la distribution des sommes résultant de la vente de
cette marque.
Affaire Jac Dale Robes218
Être «propriétaire de la diffusion et de la commercialisation
d’une marque de commerce» ne veut pas nécessairement dire qu’on
est le propriétaire de la marque. Interprétant le contrat à la lumière
de l’ensemble des clauses219 d’une entente, la Cour d’appel du Québec en est venue à la conclusion que ces termes visaient la cession
d’un droit d’usage illimité dans le temps de cette marque de commerce220.
218.
219.
220.
Azoulay c. Azoulay [JAC DALE ROBES] (1997), REJB 1997-03428, [1997] A.Q.
4009 (C.S.Q.), j. Croteau; infirmé partiellement (2000), REJB 2000-21409, J.E.
2001-92, [2000] J.Q. 5370, http://www.soquij.qc.ca/jugements/200012fr.html
(2000-12-06) (C.A.Q.).
Dont l’une prévoyait nommément qu’une autre partie serait «unique propriétaire» d’une autre marque.
Le jugement de première instance était alors corrigé pour se lire «Déclare que
David Azoulay détient une licence exclusive pour une période indéfinie à titre de
seul utilisateur de la marque de commerce Jac Dale Robes et sa version anglaise
Jac Dale Dresses». Dans la mesure où, en droit civil, la licence procède du bail, il
serait intéressant de voir comment pourrait s’appliquer l’article 1882 du Code
civil du Québec, qui permet la résiliation d’une location à durée indéterminée.
604
Les Cahiers de propriété intellectuelle
ANNEXE A
Brevet 753010 du 1964-11-13
pour une invention intitulée «Self Clinching
Bundling Strap»
Revue de la jurisprudence des cours d’appel du Canada
ANNEXE B
605
606
Les Cahiers de propriété intellectuelle
ANNEXE C
Revue de la jurisprudence des cours d’appel du Canada
607
ANNEXE D
LISTE DES ARRÊTS RENDUS PAR LES COURS D’APPEL
DU CANADA EN MATIÈRE DE MARQUES DE COMMERCE
1997-2000
1013579 Ontario Inc. c. Bedesse Imports Ltd. [TARGET, RED SPOT, COW &
GIRL, CHATAK]
(1996), [1996] F.C.J. 909, [1996] A.C.F. 909 (C.F.), j. Jerome; mod.
(1997), 77 C.P.R. (3d) 163, [1997] F.C.J. 1504, [1997] A.C.F. 1504,
[1997] N.R. Uned 174, http://www.cmf.gc.ca/en/CF/1997/orig/html/
1997fca21438.o.en.html, en français à http://www.cmf.gc.ca/fr/CF/
1997/orig/html/1997fca21438.o.fr.html (C.A.F.).
A. Lassonde Inc. c. Island Oasis Canada Inc. [ISLAND OASIS]
(2000), 5 C.P.R. (4th) 165, [2000] F.C.J. 186, [2000] A.C.F. 186, [2000]
F.T.R. Uned 71, [2000] CarswellNat 266, http://www.cmf.gc.ca/en/CF/
2000/orig/html/2000fca26014.o.en.html, en français [2000] CarswellNat 267, http://www.cmf.gc.ca/fr/CF/2000/orig/html/2000fca26014.o.
fr.html (C.F.), j. McGillis; mod. (2000), [2000] A.C.F. 2133, [2001] N.R.
TBEd JA048, [2000] CarswellNat 3161, http://www.cmf.gc.ca/fr/CF/
2000/orig/html/2000fca28006.o.fr.html (C.A.F.).
Allstate Insurance Co. of Canada c. Grant [ALLSTATE]
Une décision inédite rendue le 1999-04-26 par le protonotaire Lafrenière, dossier T-2560 (C.F.); confirmée par un jugement inédit rendu le
1999-05-17 par la juge McGillis (C.F.); conf. (2000), 261 N.R. 106,
[2000] CarswellNat 1293, [2000] F.C.J. 1024, http://www.cmf.gc.ca/
en/CF/2000/orig/html/2000fca26943.o.en.html, en français à http://
www.cmf.gc.ca/fr/CF/2000/orig/html/2000fca26943.o.fr.html (C.A.F.).
Association coopérative de taxi de l’Est de Montréal c. Harfouche [352-6000/
322-6000]
(1997), REJB 97-01633, J.E. 97-1525, [1997] A.Q. 2388, [1997] CarswellQue 678 (C.A. Québec).
Austin Nichols & Co. c. Cinnabon, Inc. [SWIRL DESIGN]
(1997), 76 C.P.R. (3d) 45, 135 F.T.R. 303, [1997] A.C.F. 1153, [1997]
F.C.J. 1153, 73 A.C.W.S. (3d) 1032, http://www.cmf.gc.ca/en/CF/1997/
orig/html/1997fca21135.o.en.html, en français à http://www.cmf.gc.ca/
fr/CF/1997/orig/html/1997fca21135.o.fr.html (C.F.), j. Rouleau; conf.
(1998), 82 C.P.R. (3d) 513, 231 N.R. 362, [1998] 4 C.F. 569, [1998]
F.C.J. 1352, [1998] CarswellNat 1812, 154 F.T.R. 319n, en français
http://www.cmf.gc.ca/en/CF/1998/vol4/html/1998fca23197.p.en.html,
[1998] CarswellNat 2807 (C.A.F.).
Auto Mart Magazine Ltd. c. Arthur [RENTERS NEWS & design]
(1997), 76 C.P.R. (3d) 122, [1997] F.C.J. 1185, [1997] A.C.F. 1185,
[1997] N.R. Uned 13, http://www.cmf.gc.ca/en/CF/1997/orig/html/
1997fca21161.o.en.html, en français à http://www.cmf.gc.ca/fr/CF/
1997/orig/html/1997fca21161.o.fr.html (C.A.F.).
608
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Azoulay c. Azoulay [JAC DALE ROBES]
(1997), REJB 1997-03428, [1997] A.Q. 4009 (C.S.Q.), j. Croteau; inf.
part. (2000), REJB 2000-21409, J.E. 2001-92, [2000] J.Q. 5370, http://
www.soquij.qc.ca/jugements/200012fr.html (2000-12-11) (C.A.Q.).
Bacardi & Co. c. Quarry Corp. [CASTILLO]
(1996), 72 C.P.R. (3d) 25, 124 F.T.R. 264, [1996] F.C.J. 1671, [1996]
A.C.F. 1691, 68 A.C.W.S. (3d) 157, [1996] CarswellNat 2292, http://
www.cmf.gc.ca/en/CF/1996/orig/html/1996fcaa0480.o.en.html (C.F.),
j. Lutfy; conf. (1999), 86 C.P.R. (3d) 127, 238 N.R. 71, [1999] F.C.J. 345,
[1999] A.C.F. 345, [1999] CarswellNat 368, 162 F.T.R. 320n, http://
www.cmf.gc.ca/en/CF/1999/orig/html/1999fca24157.o.en.html
(C.A.F.).
Baylor University c. Governor and Co. of Adventurers [BAYLOR]
(1997), 82 C.P.R. (3d) 86, [1997] CarswellNat 2898, [1997] T.M.O.B.
224 (Comm. opp.), G. Partington; conf. (1998), 84 C.P.R. (3d) 354, 159
F.T.R. 272, [1998] CarswellNat 2898, [1998] F.C.J. 1837, [1998] A.C.F.
1837, en français à http://www.cmf.gc.ca/fr/CF/1998/orig/html/
1998fca23658.o.fr.html (C.F.), j. Muldoon; inf. (2000), 8 C.P.R. (4th)
64, 257 N.R. 231, [2000] CarswellNat 1344, [2000] 2 C.F. 4 D-51,
[2000] F.C.J. 984, [2000] A.C.F. 984, http://www.cmf.gc.ca/en/CF/
2000/orig/html/2000fca26829.o.en.html, en français à http://www.
cmf.gc.ca/fr/CF/2000/orig/html/2000fca26829.o.fr.html (C.A.F.).
Big Sisters Association of Ontario c. Big Brothers of Canada [BIG
BROTHERS]
(1997), 75 C.P.R. (3d) 177, 131 F.T.R. 161, [1997] F.C.J. 627, [1997]
A.C.F. 627, [1997] CarswellNat 783, en français à http://www.cmf.
gc.ca/fr/CF/1997/orig/html/1997fca20576.o.fr.html (C.F.), j. Gibson;
conf. (1999), 86 C.P.R. (3d) 504, 166 F.T.R. 160n, 242 N.R. 171, [1999]
CarswellNat 1012, [1999] F.C.J. 809, [1999] N.R. TBEd JN033,
http://www.cmf.gc.ca/en/CF/1999/orig/html/1999fca24594.o.en.html,
en français à http://www.cmf.gc.ca/fr/CF/1999/orig/html/1999fca
24594.o.fr.html (C.A.F.).
Boutique Limité Inc. c. Limco Investments, Inc. [THE LIMITED]
(1994), 52 C.P.R. (3d) 548 (Comm. opp.), D.J. Martin; conf. (1996), 68
C.P.R. (3d) 500, 114 F.T.R. 230, [1996] F.C.J. 989, [1996] A.C.F. 989,
[1996] CarswellNat 1066 (C.F.), j. Joyal; mod. (1998), 84 C.P.R. (3d)
164; 232 N.R. 190, [1998] F.C.J. 1419, [1998] A.C.F. 1419, [1998] CarswellNat 1960, 158 F.T.R. 319n, http://www.cmf.gc.ca/en/CF/1998/orig/
html/1998fca23295.o.en.html, en français à http://www.cmf.gc.ca/fr/
CF/1998/orig/html/1998fca23295.o.fr.html (C.A.F.).
Boutique Linen Chest (Phase II) Inc. c. Wise [LINEN DÉPÔT]
(1997), [1997] J.Q. 1371 (C.S. Québec), j. Crépeau; inf. (1997), 80
C.P.R. (3d) 540, REJB 97-02690, J.E. 97-1983, [1997] A.Q. 3189, [1997]
CarswellNat 2016 (C.A. Québec).
Revue de la jurisprudence des cours d’appel du Canada
609
Business Depot Ltd. (The) c. Canadian Office Depot Inc. (The) [BUSINESS
DEPOT]
(2000), 182 F.T.R. 67, [2000] F.C.J. 63, [2000] A.C.F. 63, [2000] CarswellNat 133, http://www.cmf.gc.ca/en/CF/2000/orig/html/2000fca
25891.o.en.html, en français à http://www.cmf.gc.ca/fr/CF/2000/orig/
html/2000fca25891.o.fr.html (C.F.), j. Dubé; conf. (2000), 259 N.R. 390,
[2000] A.C.F. 1405, [2000] F.C.J. 1405, [2000] 4 C.F. D-66, 186 F.T.R.
180n, [2000] CarswellNat 2023, 259 N.R. 390, http://www.cmf.gc.ca/
en/CF/2000/orig/html/2000fca27263.o.en.html (C.A.F.).
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A.C.F. 542, [1995] CarswellNat 1868 (C.F.), j. Jerome; conf. (1996), 206
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WCC Container Sales Ltd. c. Haul-All Equipment Ltd. [SLOPE BIN
CONTAINER DISTINGUISHING GUISE DESIGN]
Un jugement inédit rendu le 1997-09-15 par la juge Tremblay-Lamer,
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(C.A.F.).
Vol. 13, no 3
Le contrôle de l’exploitation
commerciale de l’image du sportif
en tant que personnalité publique.
Étude comparée France/Québec
Christophe Cottet-Bretonnier*
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 621
1. Le fondement juridique de la protection de l’image
du sportif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 622
1.1 Existence et autonomie du droit à l’image . . . . . . . 622
1.1.1 Existence et autonomie du droit à l’image
en droit français . . . . . . . . . . . . . . . . . 623
1.1.2 Existence et autonomie du droit à l’image
en droit québécois . . . . . . . . . . . . . . . . 627
1.2 Nature juridique du droit à l’image . . . . . . . . . . 630
1.2.1 Droit de la personnalité ou droit de
propriété?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 630
1.2.2 Droit patrimonial ou extrapatrimonial? . . . . 632
© Christophe Cottet-Bretonnier, 2001.
* Avocat au barreau de Lyon.
619
620
Les Cahiers de propriété intellectuelle
2. L’étendue de la protection du droit à l’image du sportif . . 633
2.1 Domaine de la protection . . . . . . . . . . . . . . . . 633
2.1.1 La vie privée du sportif . . . . . . . . . . . . . 634
2.1.2 Les activités publiques du sportif . . . . . . . . 640
2.1.2.1 La vie professionnelle . . . . . . . . . . 640
2.1.2.2 L’image comme marque de
commerce . . . . . . . . . . . . . . . . 646
2.2 Sanctions en cas de violation du droit à l’image . . . . 648
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 652
Introduction
À une époque où le message publicitaire a une importance
considérable sur le lancement d’un produit, l’image du champion de
sport, plus encore que celle des autres personnages publics, est du
pain bénit pour la communication des grandes entreprises. Le sportif
véhicule des valeurs sûres comme la quête de l’excellence, la volonté,
le dépassement de soi, le courage. Comme athlète, il est emblématique de vigueur et de santé. Le plus souvent, il fait rêver, lorsque ce
n’est pas toute une génération qui s’identifie à lui. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que les sportifs les plus en vue dans
leur discipline fassent l’objet de propositions financières faramineuses pour l’exploitation commerciale de leur image. C’est d’ailleurs
très souvent la part la plus importante de leurs revenus. Une véritable industrie de marketing gravite et prospère autour de cette
image. Du côté du sportif, agents, intermédiaires, attachés de presse
veillent à l’exploitation et à la conservation de l’image. Leurs interlocuteurs sont principalement les directeurs de la communication de
grandes firmes et leur agence de publicité ainsi que les organisateurs
d’événements sportifs, qui misent parfois sur la seule image du sportif renommé pour assurer le succès de leur manifestation.
Dans un tel contexte, certaines entreprises ne résistent pas à la
tentation de s’approprier sans autorisation l’effigie du sportif à des
fins commerciales ou publicitaires. L’utilisation abusive de l’image
se caractérise le plus souvent par un manque à gagner pour le sportif, mais également parfois par une dépréciation de la valeur de
son image elle-même, lorsque la publicité litigieuse ne montre pas
l’athlète à son avantage ou est en totale contradiction avec la stratégie élaborée par son entourage pour optimaliser son image. C’est à
ce moment précis que les défenseurs du sportif vont entrer en scène
pour protéger l’image de leur client devant les tribunaux. Car c’est
bien de droit à l’image qu’il s’agit. Le fondement de l’illicité de la diffusion d’un cliché altérant les traits d’un individu n’est pas le droit
au respect de la vie privée mais le droit d’une personne sur son
image. Ainsi, contrôler l’image du sportif et la protéger au mieux de
ses intérêts nécessitent une connaissance approfondie des concepts
621
622
Les Cahiers de propriété intellectuelle
doctrinaux et des théories jurisprudentielles qui définissent le fondement juridique du droit à l’image. Il convient également de bien
maîtriser l’étendue de la protection de ce droit pour en délimiter le
domaine, notamment par rapport à la délicate question de la frontière entre les activités publiques et privées du sportif. Enfin, une
démonstration complète du préjudice se révèle d’une grande importance pratique. C’est à ce prix que le plaideur, en droit québécois
comme en droit français, assurera une protection efficace de l’image
de son client sportif.
1. Le fondement juridique de la protection de l’image
du sportif
L’étude du fondement juridique de la protection de l’image
humaine n’a pas seulement un intérêt théorique. En droit québécois
comme en droit français, les débats doctrinaux et les controverses
jurisprudentielles sur ce fondement mettent en évidence les enjeux
et les répercussions pratiques de cette question sur la protection de
l’exploitation commerciale de l’image du sportif. Le fondement juridique du droit à l’image concerne l’existence même de ce droit et la
question de son autonomie par rapport au droit au respect de la vie
privée, mais aussi sa nature juridique: est-ce un droit de la personnalité ou un droit de propriété? Un droit patrimonial ou extrapatrimonial?
1.1 Existence et autonomie du droit à l’image
En droit français, devant le silence du législateur, la jurisprudence a sans ambiguïté consacré le droit d’une personne sur son
image. Cependant, son autonomie par rapport au droit à la vie privée
reste controversée, même si de nombreuses applications jurisprudentielles et une doctrine majoritaire sont favorables à celle-ci. En
droit québécois, aucune de ces deux questions n’est véritablement
réglée: doctrine et jurisprudence ont longtemps hésité à admettre
l’existence d’un droit à l’image propre à l’individu, tout comme son
autonomie. Récemment, la Cour suprême ne s’est pas prononcée de
manière définitive sur ces deux aspects1.
Or, dans le cadre d’une exploitation commerciale illicite de
l’effigie d’un sportif, les questions de l’existence et de l’autonomie du
droit à l’image vont avoir des répercussions pratiques réelles sur les
1. Aubry c. Éditions Vice-Versa inc., [1998] 1 R.C.S. 591, 614.
Le contrôle de l’exploitation commerciale de l’image du sportif
623
possibilités offertes à un plaideur: fondement juridique utilisé au
regard des règles de responsabilité civile2 et du fardeau de la preuve,
quantum du préjudice...
On constatera en outre que, d’un pays3 à l’autre, la portée pratique de ces questions n’est pas la même. Tout comme d’un droit à
l’autre, il est paradoxalement plus avantageux de mettre en avant
l’une ou l’autre des théories, si l’on veut maximiser la défense des
intérêts du sportif.
1.1.1 Existence et autonomie du droit à l’image en droit français
Si l’article 9 du Code civil prévoit que «chacun a droit au respect
de sa vie privée», c’est la jurisprudence qui a reconnu le droit de la
personne sur son image. Dès 1858, le Tribunal civil de la Seine érige
ce droit en un droit subjectif dans la célèbre affaire Rachel4: «nul ne
peut sans le consentement formel de la famille, reproduire et livrer à
la publicité les traits d’une personne sur son lit de mort [...] le droit de
s’opposer à cette reproduction est absolu». Ainsi, tout au long du XXe
siècle, les tribunaux civils vont consacrer le droit à l’image. Un jugement du Tribunal de grande instance de Paris du 23 juin 19825 et un
arrêt de la Cour d’appel de la même ville, daté du 22 mars 19836,
viennent renforcer l’idée que le sportif a, indépendamment de la
preuve de toute faute contre l’entité qui a violé son droit à l’image, la
capacité d’interdire la reproduction de son effigie: «toute personne a
sur son image et sur l’utilisation qui en est faite un droit exclusif qui
lui permet de s’opposer à sa diffusion sans autorisation»; «toute
personne a sur son image un droit absolu...».
Une fois admise l’existence d’un droit à l’image, le sportif
devrait donc avoir la possibilité, pour faire respecter ses droits
devant les tribunaux, de se passer de la référence à l’article 1382 du
Code civil7, qui nécessite la triple preuve de la faute, du dommage
et du lien de causalité entre les deux, et d’invoquer uniquement la
2. En France, depuis le décret no 98-1231 du 28 décembre 1998, entré en vigueur le
1er mars 1999, l’avocat doit obligatoirement faire mention du fondement juridique dans son acte introductif d’instance.
3. Le terme «pays» est ici utilisé dans un souci de simplification.
4. Trib. civ. de la Seine, 16 juin 1858, Félix c. O’Connel, D. 1858.III.62.
5. Trib. de gr. inst. de Paris, 23 juin 1982, L. c. Société L., J.C.P. 1983.IV.325.
6. Cour d’app. de Paris, 22 mars 1983, Ferrero c. Dame Tovex, Juris-Data
no 022334.
7. L’article 1382 du Code civil français a pour équivalent en droit québécois l’article
1457 du Code civil du Québec.
624
Les Cahiers de propriété intellectuelle
violation d’un droit subjectif. Ainsi, la seule constatation de l’usurpation de son image devrait suffire à caractériser la faute, celle-ci lui
ouvrant un droit à réparation automatique, sans qu’il soit nécessaire
de démontrer la réalité du préjudice et le lien de causalité entre la
faute et le dommage. Ce raisonnement n’a rien d’original, il résulte
de la stricte logique juridique qui découle de la reconnaissance du
droit à l’image comme faisant partie de la catégorie des droits subjectifs de l’individu. Malgré tout, la plupart des tribunaux ne font pas
référence à la notion de droit subjectif pour condamner la reproduction illicite de l’effigie d’un individu, alors que ce sont pourtant les
mêmes instances qui ont consacré ce droit.
En effet, la jurisprudence française fait application des mécanismes de la responsabilité civile, soit explicitement, de manière
exclusive8 ou en les cumulant avec le droit de la personne sur son
image9, soit implicitement10. Ainsi, la Cour d’appel de Paris, en 1983,
précisait que l’utilisation sans autorisation de l’effigie d’un sportif
célèbre pour des fins commerciales «constitue une faute [...] qui a
causé un préjudice»11 alors que le Tribunal de grande instance de
Paris, en 1983, cumulait les deux fondements pour condamner une
société pour l’utilisation à des fins commerciales de l’image du tennisman Yannick Noah sans son autorisation: «toute personne a, sur
son image, et sur l’utilisation qui en est faite, un droit exclusif et peut
s’opposer à sa diffusion sans autorisation» la société ayant aussi
«commis une faute engageant sa responsabilité»12. L’utilisation seule,
par les magistrats, de la notion de droits subjectifs pour condamner
la reproduction illicite de l’image d’un individu demeure extrêmement marginale, pour ne pas dire quasiment inusitée13. Cette ambiguïté, qui s’est manifestée dès les premières décisions en la matière,
a conduit les plaideurs à fonder leur acte introductif d’instance
8.
9.
10.
11.
12.
13.
Citons, par exemple, parmi de nombreuses décisions en ce sens: Cour d’app.
d’Aix en Provence, 18 décembre 1951, Dlle G. c. D., J.C.P. 1952.IV.151: «constitue une faute délictuelle, toute reproduction photographique sans autorisation expresse de la part du modèle».
Notamment Trib. de gr. inst. de Paris, 31 janvier 1970, Gotlib c. Agence
Lagrange, D.S. 1970, somm. 186, note anonyme: «la reproduction non autorisée
de l’image photographique d’autrui constitue une atteinte au véritable droit de
propriété que chacun possède sur sa propre effigie, en même temps qu’une
faute».
Trib. civ. de la Seine, 4 février 1956, Époux De Lartigue c. Société Gévaert, Gaz.
Pal. 1956.I.284, note anonyme.
Cour d’app. de Paris, 26 mai 1983, Société Edicam S.A.R.L. c. Rodriguez,
Juris-Data no 023239.
Trib. de gr. inst. de Paris, 21 décembre 1983, Noah c. Société française de revues
Team, D.S. 1984.II.I.R.331, note LINDON.
À titre de rare exemple: Trib. de gr. inst. de Paris, 23 avril 1982, S.A.R.L Sipa
Presse c. Dame Cailleux, Juris-Data no 021618.
Le contrôle de l’exploitation commerciale de l’image du sportif
625
principalement sur l’article 1382 ou, tout du moins, sans jamais
omettre d’en faire la référence, par souci de sécurité plus que par
enthousiasme14.
Il se pourrait aussi que les avocats eux-mêmes, par la constance
de leur frilosité, aient concouru à ce regrettable résultat. Ces réflexes
pourraient être néanmoins amenés à évoluer. Fort des récentes décisions de la Cour de cassation consacrant l’autonomie de la protection
résultant de l’article 9: «la seule constatation de l’atteinte à la vie
privée ouvre le droit à réparation», et de la logique extension de cet
attendu sur le droit à l’image, la référence quasi systématique à
l’article 1382 du Code civil devrait peu à peu s’atténuer15.
La question d’un droit autonome de l’image par rapport au droit
au respect à la vie privée a toujours fait l’objet de vives controverses
mais, contrairement au droit québécois, cette question n’a, en
France, qu’un intérêt purement théorique, s’agissant d’optimaliser
la protection de l’image de la personnalité publique sportive.
Or, c’est justement la notion de protection de l’image au cours
de la vie publique qui, à notre sens, sert de critère et justifie de
manière difficilement contestable l’autonomie de ce droit. Si le droit
à l’image du sportif dans l’exercice public de son art peut être violé
lorsqu’une firme va utiliser sans son autorisation son effigie comme
support publicitaire d’un de ses produits, la référence justificative de
l’atteinte à la vie privée ne peut pas être invoquée, puisque le sportif
agit justement dans la sphère de son activité publique. Le seul fondement de cette atteinte est nécessairement le droit à l’image que possède tout individu sur sa personne, a fortiori lorsque celle-ci est
célèbre et que son effigie est monnayable. De nombreux auteurs
français16, mais aussi québécois17, penchent en faveur de cette thèse.
14. L’avocat avisé se contente aujourd’hui de faire référence à l’article 9 du Code
civil pour fonder juridiquement son assignation; le droit à l’image étant logiquement présenté dans le même code comme une extension jurisprudentielle
du droit au respect à la vie privée.
15. Civ., 1re, 5 novembre 1996: Bull. civ. I, no 387; D. 1997.403, note LAULOM; D.
1977. Somm. 289, obs. JOURDAIN; J.C.P. 1997.II.22805, note RAVANAS;
J.C.P. 1997.I.4025, nos 1 et s., obs. VINEY; R.T.D. civ. 1997.632, obs. HAUSER;
Civ., 1re, 25 février 1997: Bull. civ. I, no 73; J.C.P. 1997.II.22873, note RAVANAS; Civ., 1re, 6 octobre 1998: Bull. civ. I, no 274; D. 1998.I.R.246; R.T.D. civ.
1999 62, obs. HAUSER.
16. Citons notamment Jean RAVANAS, «La protection des personnes contre la
réalisation et la publication de leur image», Thèse de l’Université d’AixMarseille III, Paris L.G.D.J., 1978, p. 424 et s. et Roger NERSON, «La protection de la vie privée en droit positif français», (1971) 32 Rev. int. dr. comp. 760.
17. Louise POTVIN, La personne et la protection de son image, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1991.
626
Les Cahiers de propriété intellectuelle
L’ancien garde des sceaux, le professeur Badinter, précise que «le
droit à l’image est distinct du seul droit à la vie privée qui cesse dès
que l’activité de l’intéressé s’inscrit dans la vie publique de la cité»18.
De nombreuses décisions convergent en ce sens19. Pour n’en
citer qu’une, la Cour d’appel de Paris indique que «Le droit à l’image
ne se confond pas avec le droit au respect de la vie privée et peut
subir des atteintes lors de circonstances se rattachant à la vie
publique de la personne»20. Certes, il existe un cas isolé où la référence à la notion du droit au respect de la vie privée doit être
invoquée, alors même que l’atteinte au droit à l’image a pour cadre
une manifestation publique. Il s’agit du moment où la photo litigieuse va rendre compte d’un événement particulier, qui n’aurait pas
dû se produire si la manifestation sportive s’était déroulée normalement et où le droit à l’information de publier un tel instantané est
battu en brèche par le droit au respect de la vie privée. Dans une
situation aussi singulière, la référence à la vie privée faite par les
magistrats semble justifiée. À notre connaissance, il existe une seule
décision illustrant ce point de vue, s’agissant d’un sportif.
Prise au cours d’un match de football du championnat de
France, une photo montrant le fessier dénudé par un accroc fortuit,
de l’international Daniel Xuereb, avait été publiée dans le quotidien
«l’Équipe». Monsieur Xuereb entama une action contre le journal,
qui fut condamné à juste titre pour avoir publié sans autorisation la
photo. Le footballeur, ainsi mis à nu, avait cessé à ce moment précis
d’être l’acteur d’une manifestation sportive21. Hormis ce cas précis,
nous maintenons que le droit de la personne sur son image est distinct du droit au respect à la vie privée, ce qui n’est pas contestable
lorsqu’il concerne l’altération publique de la personnalité du sportif.
Pour autant, d’aucuns soutiennent ou ont soutenu la thèse
inverse22, tout comme certains tribunaux23 pour qui le droit à l’image
18. Robert BADINTER, Le droit au respect de la vie privée, J.C.P. 1968.J.2136,
no 25.
19. Par exemple, Trib. de gr. inst. de Paris, 3 juillet 1974, Laborde c. Chevrillon,
J.C.P. 1974.II.17873, obs. LINDON.
20. Cour d’app. de Paris, 20 décembre 1976, Tribu de Bunlap c. Époux Gourguechon, D.S. 1971.J.373, note AGOSTINI, Gaz. Pal. 1971.I.261, note anonyme.
21. Trib. de gr. inst. de Paris, 3 mai 1989, Xuereb c. Société l’Équipe, D. 1989.I.
R.228.
22. Par exemple, Raymond LINDON, «La presse et la vie privée», J.C.P. 1965.I.
1887 et D. ACQUARONE: «L’ambiguïté du droit à l’image», D. 1985, Chr.
p. 128.
23. Notamment Cour d’app. de Nîmes, 7 janvier 1988, Geiger c. Société Tennis ball
Corp., J.C.P. 1988.II.21059, note PANSIER.
Le contrôle de l’exploitation commerciale de l’image du sportif
627
n’est qu’un attribut, une simple prérogative du droit au respect à la
vie privée. Comme l’a fait pertinemment remarquer monsieur le Premier avocat général Lindon, cette querelle n’a aujourd’hui plus
d’intérêt pratique en droit français depuis que la saisie (de la publication illicite d’une image) n’est plus uniquement prévue par l’article
9 du Code civil (qui ne concerne que la seule vie privée), mais peut
être réalisée par les pouvoirs du juge des référés, lorsqu’il s’avère
nécessaire de prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser
un trouble manifestement illicite24. Ainsi, par ce biais, la saisie d’une
publication contenant une image litigieuse réalisée au cours de la vie
publique du sportif devenait réalisable, la Cour de cassation ayant
récemment entériné cette possibilité25.
1.1.2 Existence et autonomie du droit à l’image en droit québécois
Contrairement au droit français, les tribunaux québécois ont
longtemps hésité à reconnaître à la personne un véritable droit sur
son image. Certaines décisions ont exigé une diffusion fautive de
l’image pour condamner l’auteur de la publication litigieuse comme,
par exemple, le caractère douteux du cliché susceptible de porter
atteinte à l’honneur de la personne, ainsi que la preuve d’un préjudice matériel ou moral pour accorder des dommages-intérêts à la victime26. D’autres se contentaient de constater le caractère illicite de la
publication d’une effigie sans permission, abstraction faite de tout
autre chose et indépendamment de la preuve d’un préjudice, même si
celui-ci a toujours été abondamment développé par les plaideurs27.
Mais à partir du moment où certains tribunaux ont décidé que la
simple diffusion non autorisée de l’image d’une personne n’était pas,
en tant que telle, illicite, le droit à l’image ne pouvait être consacré en
droit québécois.
Ce point de vue, aujourd’hui, ne peut plus être soutenu depuis
un arrêt de la Cour suprême du 9 avril 199828. Désormais, la publica-
24. Article 809 du nouveau Code de procédure civile.
25. Civ., 1re, 16 juillet 1998: Bull. civ. I, no 259; D. 1998.I.R.210: «l’utilisation dans
un sens volontairement dévalorisant de l’image d’une personne justifie que
soient prises par le juge toutes mesures propres à faire cesser l’atteinte ainsi
portée aux droits de la personne».
26. Par exemple, Paradis c. Marquis, [1977] R.L. 555 (C.P. Québec); Coursol c.
Depairon, C.P. Montréal, no 500-02-044237-811, 11 avril 1983, j. Bilodeau.
27. Par exemple, Rebeiro c. Shawinigan Chemicals Ltd., [1973] C.S. 389, comm.
OUELLETTE-LAUZON, (1974) 34 R. du B. 69; Deschamps c. Renault Canada,
(1977) 18 C. de D. 937 (C.S. Montréal 1972).
28. Aubry c. Éditions Vice-Versa inc., op. cit., note 1.
628
Les Cahiers de propriété intellectuelle
tion sans autorisation de l’effigie d’une personne anonyme photographiée dans un lieu public, lorsqu’elle est identifiable et sujet
principal de l’image, constitue une faute, même en l’absence de préjudice. Ainsi, cet arrêt devrait mettre un terme à la controverse sur
l’existence en droit québécois d’un droit à l’image, en consacrant
celui-ci comme un véritable droit subjectif de l’individu. L’honorable
juge en chef Lamer précisera à cette occasion que le droit à la vie
privée «comprend certainement le droit d’une personne sur son
image».
Mais force est de constater que, contrairement au simple «quidam», la personnalité sportive connue ne profite pas de cette consécration. Pour la personne anonyme, il est important de pouvoir se
passer des mécanismes de l’article 1457 du Code civil du Québec:
grâce à la reconnaissance de ce droit subjectif, la simple diffusion non
autorisée de son effigie est, en soi, illicite. Mais pour le sportif, à partir du moment où son image a une valeur commerciale, la publication
non autorisée de son effigie, en dehors de sa sphère d’activité et de la
nécessaire information du public, est illégale car elle entraîne automatiquement un préjudice qui doit être démontré de façon explicite
et détaillé.
Par contre, eu égard aux spécificités de la Charte québécoise
des droits et des libertés, la question de l’autonomie du droit à
l’image par rapport au droit au respect à la vie privée, revêt une
importance toute particulière, s’agissant de l’étendue du préjudice
exigible par le sportif dont l’effigie a été usurpée, tout comme les
moyens lui permettant de parvenir à faire cesser l’atteinte au droit à
l’image dont il est l’objet.
La question de l’autonomie est tout autant controversée en
droit québécois qu’en droit français. La souplesse qui résulte du fait
de pouvoir soutenir l’une ou l’autre des théories devant un tribunal
est d’un intérêt pratique certain au Québec, contrairement à la
France, où nous avons pu constater qu’un tel débat est sans incidence pour les plaideurs. En effet, la Charte québécoise des droits et
libertés consacre dans son article 5 le droit au respect de la vie
privée, mais reste silencieuse sur le concept du droit au respect de
l’image. Or, la même Charte (et elle seule), dans son article 4929, pré29. Article 49 de la Charte québécoise des droits et libertés: «Une atteinte illicite à
un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le
droit d’obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral
ou matériel qui en résulte. En cas d’atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.»
Le contrôle de l’exploitation commerciale de l’image du sportif
629
voit l’octroi de dommages-intérêts punitifs en cas d’atteinte illicite et
intentionnelle à un droit ou à une liberté prévue par ladite Charte. Si
le plaideur soutient la thèse de l’autonomie du droit à l’image, il ne
pourra solliciter pour son client le bénéfice de dommages exemplaires, faute de mention d’un droit à l’image par la Charte. Par contre,
cette possibilité lui sera offerte dans le cas contraire, si le droit à
l’image est une prérogative du droit au respect de la vie privée, la
combinaison des articles 5 et 49 de la Charte auront vocation le cas
échéant à s’appliquer. Un plaideur averti aura donc tout avantage à
soutenir cette seconde position dans l’intérêt de son client, d’autant
plus que l’on voit mal comment un tribunal pourrait refuser de statuer sur la demande de dommages exemplaires, sauf à devoir trancher lui-même la question de l’autonomie.
Le risque d’un tel scénario est mince tant la jurisprudence et la
doctrine sont divisées sur ce point: pour certains, le droit à l’image
fait partie de la sphère d’intimité de l’individu30, pour d’autres, il est
autonome31. La Cour suprême ne s’est pas résolue à dégager une
solution. L’honorable juge en chef Lamer, dans l’arrêt Aubry32, indique qu’il «hésiterait à conclure que le droit à l’image n’a aucune
existence autonome du droit à la vie privée». En revanche, pour
l’honorable juge de la Cour supérieure Courteau, l’artiste connu jouit
d’une protection particulière de l’utilisation de son image, distincte
de celle liée à la vie privée: «lors de l’utilisation non autorisée de
la photographie d’une artiste connue, l’atteinte touche directement
le droit à l’image sans nécessairement affecter le droit à la vie
privée»33.
La référence à l’article 49 de la Charte se révèle également très
utile pour faire cesser une publication caractérisant une atteinte au
droit à l’image. Alors que le Code de procédure civile prévoit des
conditions d’exercice du recours en injonction, la seule constatation
de la violation du droit à la vie privée suffit pour bénéficier de
l’injonction prévue par la Charte. Le Code civil québécois lui-même
fait du droit à l’image une composante du droit au respect de la vie
privée. Dans la formulation de ses articles 35 et 36, il dispose que
30. Notamment P. PATENAUDE, «La zone de protection accordée à l’intimité du
Canada», (1977) 8 R.D.U.S. 135 et s. et H.P. GLENN, «Le secret de la vie privée
en droit québécois», Journées libanaises de l’association Henri Capitant sur le
thème «Le secret et le droit», 12-18 mai 1974.
31. Notamment P.A. MOLINARI, «Le droit de la personne sur son image en droit
québécois et français», (1977) 12 R.J.T. 98.
32. Précité, note 1.
33. Malo c. Laoun et Union des artistes, J.E. 2000-273 (C.S.Q.), j. Courteau.
630
Les Cahiers de propriété intellectuelle
l’utilisation de l’image à toute autre fin que l’information légitime du
public est considérée comme une atteinte à la vie privée. Si le droit à
l’image est une composante du droit à la vie privée, rien n’empêche
ici aussi l’application combinée des articles 5 et 49 de la Charte pour
faire cesser une atteinte à l’image.
1.2 Nature juridique du droit à l’image
En France, comme au Québec, personne n’est vraiment d’accord
sur la nature juridique du droit à l’image. Certains affirment qu’il
s’agit d’un droit de la personnalité à caractère extrapatrimonial,
d’autres considèrent que les personnalités connues disposent d’un
droit de propriété sur leur effigie justifiant l’aspect monnayable de
leur image. Dans les deux pays, la jurisprudence a tour à tour fait
référence aux deux théories, ce qui laisse planer une réelle ambiguïté
quant à la nature juridique de ce droit. Cependant, seule la question
d’un droit à l’image à valeur patrimoniale a un intérêt pratique réel.
1.2.1 Droit de la personnalité ou droit de propriété?
Bien que fort intéressante sur le plan juridique, cette controverse n’a pas, en effet, de répercussion concrète sur la protection de
l’effigie du sportif. La classification du droit à l’image dans telle catégorie ou dans telle autre n’est pas un préalable au succès d’une action
visant à faire respecter ce droit devant les tribunaux français ou
québécois. Les deux qualifications permettent la condamnation de
l’usurpateur.
En droit québécois, la tendance des tribunaux pour condamner
l’exploitation publicitaire illégale de l’image d’une personnalité
connue est de se fonder sur le droit de propriété. Pour la Cour supérieure, le fait que des stars du sport puissent tirer profit de l’exploitation de leur effigie à des fins commerciales s’analyse en un droit
de propriété dont chacun jouit sur son image et que nul ne peut
s’approprier sans l’autorisation de l’intéressé34. Une partie de la doctrine critique ce point de vue, arguant que les droits de propriété sont
réservés aux droits qui ont une valeur pécuniaire et le simple «quidam», contrairement au champion, n’a pas une image réellement
monnayable35. Il y aurait donc deux poids deux mesures. Dans le
désormais célèbre arrêt Aubry, la Cour suprême se réfère à la notion
34. Deschamps c. Renault Canada, op. cit., note 27.
35. H.P. GLENN, «Le secret de la vie privée en droit québécois», loc. cit., note 30.
Le contrôle de l’exploitation commerciale de l’image du sportif
631
de droit de la personnalité pour condamner l’utilisation abusive de
l’image d’une inconnue, mais ne ferme pas la porte à d’autres qualifications36.
En France, la controverse est tout aussi vive entre ceux qui
considèrent le droit d’une personne sur son image comme un droit de
la personnalité faisant partie des droits fondamentaux de la personne, de sa dignité37, et ceux qui vantent le droit de propriété
comme fondement du droit d’interdire la divulgation de sa propre
image sans autorisation38. La jurisprudence a, tout au long du siècle,
adopté les deux qualifications39.
En réalité, nous sommes d’avis que la classification du droit à
l’image est «hybride», car d’un point de vue strictement juridique, la
référence aux deux fondements se justifie. Pour le simple particulier,
qui ne peut pas tirer véritablement de profit de l’usurpation de son
effigie, le droit à l’image s’identifie à un droit de la personnalité qui
protégera ses intérêts moraux. Pour la star, qui fait de son image un
commerce, ce n’est pas tant l’usurpation de son effigie en tant que
droit de la personnalité qui est en cause, mais le manque à gagner
consécutif à la violation du droit de propriété que constitue son
image, la protection protégeant principalement ses intérêts maté-
36. Aubry c. Éditions Vice-Versa, op. cit., note 1, le juge en chef Lamer indique que
«le droit à l’image est avant tout un droit de la personnalité, un intérêt de
nature extrapatrimoniale», sauf dans le cas ou une personnalité célèbre «tire
des revenus de son consentement à l’utilisation de son image».
37. Par exemple, le Doyen CARBONNIER, pour qui «l’image humaine ne peut faire
naître qu’un droit de la personnalité», note sous Trib. corr. de Grasse, 8 février
1950, Syndicat des maîtres-artisans et négociants en articles photographiques
de Cannes-Antibes-Grasse c. Bouget, D. 1950.714 ou encore Roger NERSON,
Thèse dactylographiée de l’Université de Lyon, Paris, L.G.D.J., 1939, no 80,
145.
38. Entre autres, M.-H. FOUGEROL, Thèse de l’Université de Paris, Librairie
nouvelle de droit et de jurisprudence, 1913, 17.
39. En faveur de la thèse caractérisant le droit à l’image comme un droit de la personnalité: Cour d’app. de Paris, 20 décembre 1976, op. cit., note 18; Trib. de gr.
inst. de Paris, 14 juin 1983, Sipa Press c. Smet, D.S. 1984.I.J.75, note LINDON:
«Toute personne a sur son image un droit exclusif et l’utilisation ou la diffusion
de celle-ci, sans autorisation, constitue une violation de ce droit de la personnalité.» En faveur de la thèse érigeant le droit à l’image comme un droit de propriété: Trib. civ. de la Seine, 10 février 1905, Doyen c. Parnaland, D. 1905.II.
389. «La propriété imprescriptible que toute personne a sur son image, sur
sa figure, sur son portrait, lui donne le droit d’interdire la publication de ce
portrait»; Cour d’app. de Paris, 21 juin 1985, Dame Gall c. S.A. Ici Paris,
Juris-Data no 0233378: «Le photographié possède sur son image et sur l’usage
qui en est fait un droit de propriété absolu dont nul ne peut disposer sans son
consentement.»
632
Les Cahiers de propriété intellectuelle
riels. Cette distinction n’apparaît pas nécessaire pour déterminer le
caractère patrimonial ou extrapatrimonial du droit à l’image.
1.2.2 Droit patrimonial ou extrapatrimonial?
La réponse est ici plus aisée car le statut de la personne en
cause importe peu. Même lorsqu’il s’agit de l’utilisation frauduleuse
de l’image d’un inconnu, on peut raisonnablement parler de droit
patrimonial de l’image, puisque le préjudice résulte d’un manque à
gagner sur la valeur pécuniaire de celle-ci, aussi minime soit-il en
raison de la faible notoriété de la personne40. A fortiori, à partir du
moment où le sportif fait commerce de son image et que son préjudice
résulte en grande partie de la perte de la rémunération qu’il aurait
pu recevoir si son autorisation avait été requise, il est difficile de nier
le caractère patrimonial de l’image. En France, la jurisprudence a
consacré la valeur patrimoniale de l’image dans de nombreuses décisions41. Au début des années 80, le basketteur français Alain Gilles
avait obtenu gain de cause devant le Tribunal de grande instance de
Lyon contre une firme qui avait utilisé son image au cours d’un
match officiel à des fins publicitaires: le joueur «pouvait à juste titre
alléguer avoir subi une atteinte au droit patrimonial qu’il possède
sur son image»42.
Cette reconnaissance du caractère patrimonial du droit à
l’image d’une vedette facilite tout d’abord logiquement la démonstration du préjudice, qui sera calculé sur le manque à gagner dû à
l’usurpation. Autrement dit, sur ce qu’aurait touché le champion
s’il avait contracté au même moment un tel contrat publicitaire.
L’aspect patrimonial du droit à l’image permet ensuite, comme le
souligne Christophe Bigot, de justifier que le consentement du sportif donné «pour un type de diffusion publicitaire ne vaut pas pour la
diffusion sur un autre support»43.
40. Aubry c. Éditions Vice-Versa inc., op. cit., note 1, pour l’honorable juge en chef
Lamer: «Il n’est pas contraire à l’ordre public pour une personne, célèbre ou
moins célèbre, de tirer des revenus de son consentement à l’utilisation de son
image.» Également en ce sens, en France, pour la condamnation de l’utilisation
illicite et abusive de l’image d’un athlète amateur de haut niveau: Trib. de gr.
inst. de Paris, 4 juillet 1984, Tanon c. Petit, D. 1985.I.R.14, note LINDON.
41. Par exemple, Trib. de gr. inst. de Paris, 21 avril 1986, Dame Asselin c. Société
Effi Internationale S.A.: «le droit à l’image pour les vedettes de la scène, de
l’écran où des pistes à une valeur patrimoniale».
42. Trib. de gr. inst. de Lyon, 17 décembre 1980, A.S.V.E.L. basket c. S.A. Lumière,
D.S. 1981.J.202, note AMSON, obs. NERSON et RUBELLIN-DEVICHI, 82
Rev. trim. de dr. civ. 117.
43. Christophe BIGOT, Droit de la création publicitaire, Paris, L.G.D.J., 1997,
p. 262 et 263; Civ., 1re, 30 mai 2000.
Le contrôle de l’exploitation commerciale de l’image du sportif
633
Enfin, et surtout, caractériser le droit à l’image patrimonial
permet la transmission du droit à l’image d’un sportif connu à ses
héritiers. Il est en effet tout à fait concevable qu’au décès de champions mythiques comme Pelé, Michael Jordan ou encore Carl Lewis,
certaines firmes désirent continuer d’utiliser leurs effigies pour vanter leurs produits. Le caractère patrimonial du droit à l’image permettra aux ayants droit des sportifs d’empêcher les mêmes firmes
d’exploiter sans contrepartie leur image, puisque ce droit, comme
tous les droits patrimoniaux, leur sera transmis. Les héritiers pourront de ce fait continuer à monnayer l’image de leur célèbre ascendant et ce, sans limitation dans le temps, contrairement aux règles
régissant la protection post mortem du droit d’auteur. Par la voie
judiciaire, ces mêmes héritiers pourront empêcher, comme l’aurait
fait le premier titulaire du droit à l’image, l’utilisation sans leur
autorisation, de ce droit transmis.
Il convient de souligner que les avocats des descendants du
sportif auront, le cas échéant, la tâche plus aisée au Québec qu’en
France. Ceci en raison du fait que seul le Code civil du Québec prévoit explicitement cette transmission dans son article 35, alinéa
deuxième: «Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d’une
personne sans que celle-ci ou ses héritiers y consentent ou sans que
la loi l’y autorise.» Avec cet article, le législateur québécois, plus que
la jurisprudence ne l’a fait, consacre indirectement le caractère
patrimonial du droit à l’image. En France, dans un cas similaire, le
plaideur devra préalablement s’appuyer sur les nombreuses décisions dégageant le principe d’un droit patrimonial de l’image, pour
justifier la transmissibilité de celui-ci.
2. L’étendue de la protection du droit à l’image du sportif
En droit québécois comme en droit français, le sportif a donc la
possibilité de recourir à un droit spécifique pour juridiquement protéger son image. Il convient dès lors de déterminer l’étendue de cette
protection en se penchant sur son domaine et sur les mécanismes
permettant d’en assurer l’efficacité, ce qui revient à étudier les différentes sanctions applicables dans le cas d’une publication abusive de
l’image du sportif.
2.1 Domaine de la protection
L’exploitation commerciale de l’image d’une personnalité sportive connue ne concerne, au premier abord, que l’utilisation sans
autorisation de son effigie réalisée au cours de ses activités publi-
634
Les Cahiers de propriété intellectuelle
ques comme support publicitaire d’une marque. Mais à y regarder de
plus près, celle-ci peut également concerner sa vie privée, dans la
mesure où toute publication d’une photo d’un sportif célèbre en couverture d’un magazine va faire grimper les ventes de celui-ci. C’est la
raison pour laquelle le sportif monnaye l’autorisation de prendre et
de publier des clichés de sa vie privée.
A contrario, la publication de photos sans son autorisation est
illicite car elle entraîne pour lui un manque à gagner. Pour autant,
toutes les photos qui n’entrent pas dans le domaine des activités
publiques du sportif requièrent-elles son autorisation pour être
divulguées? Répondre à cette question nécessite de cerner la frontière entre les activités publiques et privées de l’athlète, ainsi que de
se pencher sur la notion ambiguë d’«intérêt légitime» du public d’être
informé44 sur les aspects de la personnalité du sportif «dont l’activité
publique est l’expression»45 et qui permet dans ce cas de se passer de
l’autorisation du sportif pour publier une photo le concernant. Même
si les tribunaux français ont été plus prolifiques sur le sujet, il n’y a
pas de distinction significative à relever entre le droit québécois et le
droit français s’agissant du domaine de la protection de l’image du
sportif.
2.1.1 La vie privée du sportif
Comme tout individu, l’athlète a droit au respect de sa vie
privée. Mais il est un personnage public et à partir du moment où son
image a une valeur patrimoniale, la protection de sa vie privée n’est
en rien comparable à celle du simple particulier46. Celle-ci est forcément plus précaire. D’une part, parce qu’un sportif connu attire sans
cesse l’attention et, de ce fait, ne peut contrôler et poursuivre en justice tous les médias qui utilisent son image. D’autre part, parce que
la relation qu’entretient l’athlète avec les médias est ambiguë: d’un
côté, ceux-ci apparaissent comme un élément déterminant de la valorisation de son image, spécialement au début de sa carrière, lui
offrant notoriété et contrats publicitaires allant de pair mais, de
l’autre, ils nécessitent de la part du sportif une vigilance de tous les
44. C’est «L’information légitime du public» qui justifie la captation de l’image du
sportif sans son consentement: article 35, tiret 5 du Code civil du Québec, jurisprudence constante en France.
45. La formule est du professeur Pierre KAYSER, La protection de la vie privée par
le droit, préface de Henri MAZEAUD, Economica, 3e édition.
46. Cour d’app. de Paris, 13 mars 1986, Noah c. Ici Paris, D. 1986.I.R.445, note
LINDON, «la protection de l’intimité de la vie privée et celle du droit à l’image,
s’apprécient différemment selon qu’elles concernent une personne sans notoriété publique ou au contraire, une personne dont le nom, la photographie et les
détails de la vie professionnelle font souvent l’objet d’échos dans la presse».
Le contrôle de l’exploitation commerciale de l’image du sportif
635
instants contre les nombreuses publications de son effigie parues
sans son autorisation.
Même célèbre, à l’instar de toutes vedettes jouissant d’une
certaine notoriété, pour satisfaire son public ou éviter les fausses
rumeurs, le sportif va épisodiquement concéder de lucratifs reportages sur sa vie privée, ce qui a également pour but de maintenir la
valeur marchande de son image. Sur ce point, il est apparu un peu
choquant à certains que le personnage public puisse bénéficier un
jour de ce qu’il va refuser le lendemain... Autrement dit, le sportif ne
devrait-il pas perdre le droit, une fois devenu célèbre, d’interdire
de nouvelles publications d’images concernant sa vie privée, déjà
publiées avec son autorisation47?
La réponse est négative, en vertu de la règle de l’effet relatif des
contrats: ce que le sportif a autorisé à tel média est valable pour lui
seul et dans la stricte limite de ce qui a été contractuellement
convenu quant à la diffusion du reportage. Ainsi en 1971, la Cour de
cassation précisa que «la tolérance et même la complaisance passée
d’une personne à l’égard de la presse, ne sauraient faire présumer
qu’elle ait permis définitivement et sans restriction à tout périodique
de rassembler et de reproduire des affirmations parues dans d’autres
journaux...»48. Cette règle comporte néanmoins une exception lorsque le sportif décède. Nous avons vu que ses ayants droit, en vertu du
caractère patrimonial du droit à l’image, héritent du contrôle de
l’usage du droit qui appartenait à leur illustre ascendant. Mais cette
faculté ne semble concerner que le cas d’une éventuelle et future
exploitation commerciale de l’image du sportif décédé à des fins
publicitaires et non les publications de son effigie relatives à
l’annonce de sa mort. L’intérêt légitime du public au regard de cet
événement justifie le fait que les magazines utilisent des clichés de la
vie privée du sportif, indépendamment de l’autorisation ponctuelle
que celui-ci avait donnée par le passé à tel média49.
47. Le Premier avocat général LINDON a longtemps soutenu cette opinion avant
de se rétracter dans une note sous Trib. de gr. inst. de Paris, 7 novembre 1968,
Demoiselle N. c. Société Y., J.C.P. 1969.II.15931; l’amendement du sénateur
Prélot lors de la discussion au sénat de la future loi du 17 juillet 1970 prévoyait,
avant d’être rejeté par l’Assemblée nationale, un alinéa 3 à l’article 9 du Code
civil rédigé comme suit: «ne peuvent se prévaloir des dispositions légales protectrices de la vie privée les personnes qui, par leur propre comportement,
auront permis des divulgations touchant leur intimité».
48. Civ., 2e, 6 janvier 1971, Société Presse-Office c. Gunther Sachs, D. 1971.J.263,
note EDELMAN. Voir aussi Civ., 1re, 30 mai 2000, précité, note 43.
49. Il serait de toute façon irréalisable en pratique pour les héritiers de contrôler
toutes les publications relatives au décès de leur ascendant, a fortiori lorsque
celui-ci est très connu: en témoigne le battage médiatique impressionnant réalisé au Québec à l’occasion du décès du célèbre hockeyeur Maurice Richard.
636
Les Cahiers de propriété intellectuelle
En dehors de ce cas particulier, la valeur patrimoniale de
l’image de l’athlète justifie la possibilité pour lui de contrôler la
publication de toute effigie le concernant, dans la limite de la nécessaire et légitime information du public, s’agissant de ses activités
publiques ainsi que certaines images reflétant sa personnalité,
lorsque celles-ci sont justement liées à son activité principale. Dès
lors, on peut se demander où commence et où s’arrête la vie privée du
sportif et ce que recouvre la notion d’«intérêt légitime du public»,
mentionnée par l’article 36 du Code civil du Québec et si fréquemment citée par la jurisprudence française et québécoise. Il convient
de procéder par étapes si l’on veut tenter de dégager ce que l’athlète a
la possibilité d’interdire concernant la publication de son image en
commençant par distinguer, autant que cela est possible, la frontière
entre ses activités publiques et sa vie privée.
Lorsque la distinction entre les deux relève de l’évidence, la
règle est simple, tant en droit québécois que français: le consentement exprès du sportif est nécessaire pour toute publication de son
image prise en dehors de ses activités publiques50. Mais parfois, la
distinction entre la vie privée et de la vie publique de l’athlète connu
n’est pas aisée.
À titre d’exemple, lorsque le pilote automobile Jacques Villeneuve se rend rue Crescent à Montréal pour prendre un café la
semaine précédant le Grand Prix du Canada, s’agit-il d’un événement de sa vie publique ou de sa vie privée? Celui-ci peut-il légitimement, raisonnablement dirions-nous, s’opposer à la publication de
son image, si celle-ci et son commentaire reflètent exactement son
attitude, sans la dénaturer? Il est difficile d’avoir un avis tranché sur
la question car les arguments susceptibles d’être mis en avant sont
contradictoires. Certes, la jurisprudence est venue à plusieurs reprises préciser que la personnalité publique peut s’opposer «à ce que
toute photographie de sa personne, prise dans un lieu privé ou dans
un lieu public, en dehors de ses activités publiques, soit publiée sans
son consentement exprès»51. Mais comme personnage public, le spor50. En droit français, citons par exemple: Trib. de gr. inst. de la Seine, 24 novembre
1965, Dame Bardot c. Société Beaverbrook, J.C.P. 1966.II.14521, note R.L, obs.
RODIÈRE, Rev. trim. de dr. civ., 1966, p. 288, cette règle s’applique bien
entendu au sportif connu: Trib. de gr. inst. de Paris, 21 décembre 1983; Noah c.
Société française de revues Team, 21 décembre 1983, op. cit., note 12; en droit
québécois, voir par exemple: Deschamps c. Renault-Canada, (1977) 18 C. de D.
937 (C.S.).
51. Trib. de gr. inst. de la Seine, 24 novembre 1965, Dame Bardot c. Société Beaverbrook, op. cit., note 47.
Le contrôle de l’exploitation commerciale de l’image du sportif
637
tif sait qu’il risque de s’exposer aux flashes des médias lorsqu’il se
promène dans la rue, prend son café ou pratique un autre sport. Ne
s’agirait-il pas là des contraintes normales qu’il se doit d’accepter en
contrepartie des avantages tirés de sa notoriété?
De plus, la publication de son effigie dans un tel contexte apparaît rentrer dans le cadre de l’information légitime du public, ou tout
du moins d’un certain public. Or, c’est ici que la formule du professeur Kayser nous semble prendre toute sa valeur: «le public a un
intérêt légitime à connaître, non seulement l’activité publique que
les champions de sport exercent, mais l’aspect de leur personnalité
dont cette activité est l’expression»52. Ainsi, pour certains individus,
il est important de connaître les endroits publics fréquentés par
leurs idoles, leurs hobbies...
Si l’on revient sur notre interrogation initiale sur la photo du
pilote Villeneuve prenant son café dans un lieu public, le critère décisif semble être celui de l’activité et non celui du lieu. En effet, en
dehors de ses activités publiques, et donc y compris dans un lieu
public, il faut conclure au nécessaire consentement de l’athlète pour
la publication de son image. Dans notre exemple, sur la question de
la nature de l’activité, un indice pourrait retenir notre attention:
celui de la proximité de l’événement avec l’activité professionnelle.
En 1979, la Cour d’appel de Paris a jugé licite la publication
dans un magazine d’une photographie d’un chanteur célèbre, prise
dans la rue alors que celui-ci sortait d’un studio d’enregistrement. La
Cour a relevé que la publication du cliché illustrait un article publié
«à l’occasion d’un nouveau disque précédée d’une opération publicitaire de grande envergure. La reproduction de l’artiste s’inscrivait
dès lors dans le cadre de l’activité professionnelle et non de celui de la
vie privée d’un artiste ayant atteint une renommée mondiale, et soumis par là même, aux exigences d’une information légitime de la part
des lecteurs de l’hebdomadaire poursuivi»53.
Ainsi, mais ce n’est qu’une opinion, plus la photographie litigieuse est rapprochée dans le temps et dans l’espace de l’activité professionnelle du sportif, moins le consentement de celui-ci apparaît
nécessaire. A contrario, pendant une période d’inactivité sportive, le
52. Pierre KAYSER, «La protection de la vie privée par le droit», op. cit., note 42,
p. 294.
53. Cour d’app. de Paris, 8 novembre 1979, Dame Brel c. Filipacchi, Juris-Data
no 1059.
638
Les Cahiers de propriété intellectuelle
même Jacques Villeneuve pourrait davantage s’opposer à la publication d’une photographie de sa personne prise dans la rue alors qu’il
sort de chez lui.
Prenons un second exemple pour bien illustrer la difficulté à
classer certains moments de la vie du sportif dans le registre vie
privée ou activité publique: faut-il considérer les obsèques d’un
membre de sa famille comme faisant partie de sa vie privée ou de sa
vie publique? Si l’on privilégie la seconde hypothèse, le consentement
de l’athlète ne serait pas obligatoire pour la publication de clichés
couvrant la cérémonie, puisque considérée comme faisant partie de
la vie publique de ce dernier, le public a un intérêt légitime d’accéder,
notamment par l’image, à un tel événement.
Lors des obsèques du grand-père du champion de tennis
français Yannick Noah, la Cour d’appel de Paris a considéré que la
cérémonie faisait partie de la vie publique du joueur, alors qu’en première instance, le Tribunal de grande instance de Paris avait jugé en
sens contraire54. Comme le souligne le professeur Kayser55, nous
pensons que les obsèques peuvent être rattachées à l’une ou l’autre,
vie publique ou vie privée, «selon le caractère que le sportif a entendu
leur donner». Ainsi, si ce dernier a publiquement et préalablement
annoncé sa volonté de donner un caractère privé à la cérémonie,
celle-ci devrait être rattachée au domaine de la vie privée du sportif
et toute publication de son effigie dans ce contexte sans son consentement porterait atteinte à son droit à l’image. Dans le cas contraire, si
rien de tel n’a été précisé, il nous semble que les obsèques devraient
faire partie de la vie publique du sportif. Il n’en va pas de même en
cas de décès de l’athlète lui même, car s’agissant de ses obsèques, le
droit à l’image ne peut être concerné, puisque les seules photos du
défunt susceptibles d’être publiées sont celles d’un cercueil fermé...
Or, concernant la publication de photographies de la cérémonie
elle-même, la question relève de la seule vie privée et les critères susmentionnés peuvent être appliqués.
Notons enfin que toute photographie de la dépouille mortelle
d’une personnalité est strictement interdite sans l’autorisation formelle de la famille56. Toujours est-il que lorsqu’un événement de la
54. Cour d’app. de Paris, 13 mars 1986, Noah c. Ici Paris, op. cit., note 43.
55. Pierre KAYSER, «La protection de la vie privée par le droit», op. cit., note 42.
56. Trib. de gr. inst. de Paris, référé, 11 janvier 1977, Épouse J. Gabin-Moncorge c.
Société Cogédipresse, D.S. 1977.J.83, note LINDON, J.C.P. 1977.II.18711, note
FERRIER.
Le contrôle de l’exploitation commerciale de l’image du sportif
639
vie du sportif ne peut être classé de prime abord et de manière indiscutable dans l’une ou l’autre catégorie (activités publiques ou vie
privée), c’est au juge qu’il reviendra de trancher au cas par cas la
question en s’appuyant à la fois sur des critères objectifs, comme
l’intérêt du public à être informé de l’événement, et subjectifs,
comme la volonté du sportif sur la connotation qu’il a entendu donner à l’événement.
Aussi, convient-il de tenter de cerner la notion d’intérêt du
public à être informé d’un épisode de la vie du sportif, qui va légitimer la privation d’un quelconque droit de regard sur la publication
de son image liée à cet événement de sa vie privée. Cet intérêt est justifié par la liberté de la presse et le droit du public à l’information57,
s’agissant d’événements de la vie privée du sportif, mais indétachables de l’activité par laquelle il a acquis sa notoriété. Tout est encore
ici question d’espèce et le juge va devoir déterminer si l’intérêt du
public à être informé doit supplanter les droits qu’a le sportif sur son
image et sur le respect lié au secret de sa vie privée. Le juge devrait
notamment tenir compte en premier lieu de la qualité de la personnalité publique: par exemple, il est acquis que les hommes politiques
ont le champ de vie privée le plus réduit car en tant qu’élu, celle-ci
doit être la plus transparente possible afin que les citoyens puissent
vérifier si les agissements de l’homme politique sont conformes à son
programme58. Par comparaison, la personnalité sportive voit sa vie
privée mieux protégée.
Ainsi, pour ne prendre que ce seul exemple, des clichés qui révéleraient un état de santé précaire d’un homme politique entreraient
dans le cadre du droit à l’information du public59, alors que ceux du
sportif relèveraient de sa vie privée. Par exception, les accidents
domestiques ayant des conséquences immédiates sur l’activité du
sportif deviennent d’intérêt public. Par la suite, le juge prendra probablement en compte la qualité et la réputation du média qui aura
diffusé commentaires et images de la scène litigieuse concernant le
sportif. Certains magazines confondent volontairement curiosité du
public et intérêt du public car ils n’ont pas pour objectif d’informer
57. Cour d’app. de Paris, 15 mai 1970, Société F.E.P. c. Époux Tenenbaum, D.S.
1970.J.466, note P.A.
58. Trib de gr. inst. de Paris, 2 mai 1974, Marchais c. Diriez, 1974.I.J.698, note
LINDON.
59. En France, traditionnellement, depuis 1981, le président de la République
s’engage au début de son mandat à divulguer aux Français un bulletin de santé
périodique.
640
Les Cahiers de propriété intellectuelle
mais sont uniquement motivés par des considérations commerciales60. En résumé, la vie privée de la personnalité sportive se situerait
à mi-chemin entre l’homme politique et le simple particulier. À
l’instar de ce dernier, il reste de très nombreux domaines de la
vie privée du sportif qui ne présentent pas d’intérêt pour le public
et dont la diffusion d’images sur ces sujets sans autorisation est
interdite. Citons pêle-mêle l’état de santé61, avec la restriction
susmentionnée, la vie sentimentale62, familiale63, l’orientation
sexuelle64, religieuse65...
Quant à l’activité publique du sportif, bien que les règles applicables à la légalité de la diffusion d’images paraissent plus claires,
les incertitudes en ce domaine demeurent cependant nombreuses
dans le droit positif français et québécois.
2.1.2 Les activités publiques du sportif
Par activités publiques, il faut entendre la vie professionnelle
du sportif et la vie publique de celui-ci, c’est-à-dire les activités auxquelles il participe ayant un lien avec son activité professionnelle.
Tel est le cas, par exemple, de son entraînement, d’une réception officielle, d’une campagne de promotion, d’une conférence de presse...
2.1.2.1 La vie professionnelle
S’agissant des activités professionnelles de l’athlète, les règles
dégagées par la jurisprudence, tant en France qu’au Québec, sont
claires: le sportif ne peut pas s’opposer à la divulgation de clichés le
60. L. c. Les éditions de la Cité inc., [1960] C.S. 485: pour le juge Brossard: «[...] un
trop grand nombre de maisons d’édition de journaux ne sont que des entreprises commerciales essentiellement axées sur le profit qu’elles peuvent retirer de
la vente de nouvelles; trop rares sont les journaux et les revues dont le but primordial est le véritable intérêt public par opposition à l’utilité et aux caprices
du public...»
61. Trib. de gr. inst. de Paris en référé, 11 janvier 1977, op. cit., note 53.
62. Par exemple, en droit québécois: Gagnon c. Brasserie La Bulle inc., C.S. Québec, no 200-05-002043-81, J.T. no 85T-933, en droit français: Trib. de gr. inst. de
Paris, 16 janvier 1985; Adjani c. Société Edi, Gaz. Pal. 1985 2. somm. 399.
63. Cour d’app. de Paris, 25 octobre 1977, Salvador c. Ici Paris, Juris-Data
no 002811: «l’existence familiale des vedettes [...] appartient au domaine de
leur vie privée».
64. Cour d’app. de Paris, 14 juin 1985, Société Cogédipresse c. V., D.S. 1986.II.
I.R.50, note LINDON.
65. Cour d’app. de Paris, 11 février 1987, Association l’Arche publication c. Sitruk,
Gaz. Pal. 1987.II.430 obs. BERTIN.
Le contrôle de l’exploitation commerciale de l’image du sportif
641
représentant dans ses activités publiques66. Dans de telles circonstances, selon de nombreux auteurs67, celui-ci aurait consenti tacitement à la diffusion de son image68. D’autres cependant réfutent cette
théorie et invoquent la légitime information du public pour justifier
le fait que les personnalités publiques ne puissent pas s’opposer à la
divulgation de leur effigie69.
Toujours est-il que le sportif retrouve un droit de regard a posteriori sur la publication de son effigie, prise lors de ses activités professionnelles, lorsque la divulgation de celle-ci n’a pas pour objectif
une information légitime du public. À notre connaissance, il existe
deux cas de figure où l’athlète bénéficie de cette prérogative. Il a
déjà été fait mention de la première hypothèse lors de l’étude de
l’autonomie du droit à l’image: il s’agit de la circonstance où la photographie prise pendant l’activité professionnelle dénature celle-ci
pour plus ou moins volontairement focaliser l’attention du lecteur
sur un aspect intime de la vie privée du sportif ou de sa dignité, et
non sur une image illustrant l’activité sportive à laquelle l’athlète est
en train de se livrer70. Le public n’a pas un intérêt légitime à découvrir en première page du quotidien l’Équipe le fessier dénudé du footballeur Daniel Xuereb suite à un accroc fortuit survenu à l’occasion
d’un match du championnat de France.
66. Trib. de gr. inst. de Lyon, 17 décembre 1980, A.S.V.E.L. basket c. S.A. Lumière,
op. cit., note 42: la publication de l’effigie d’un joueur de basketball lors de
l’activité professionnelle de celui-ci ne constitue pas en tant que telle «une
atteinte au droit patrimonial qu’il possède sur son image».
67. En droit français, voir notamment M. CONTAMINE-RAYNAUD, «Le secret de
la vie privée», dans L’information en droit privé, travaux de la conférence
d’agrégation sous la direction de Y. LOUSSOUARN et P. LAGARDE, Paris,
L.G.D.J., 1978, no 23, 433 et J.M. COTTERET et C. EMERI, «Vie privée des
hommes politiques», dans Religion, société et politique, Mélanges en l’honneur
de J. ELLUI, Paris, P.U.F., 1983, 677; (1979-80) 14 R.J.T. no 6, 343. En droit
québécois, E. DELEURY, «Une perspective nouvelle: le sujet reconnu comme
objet du droit», (1972) 13 C. de D. 547.
68. Cour d’app. de Paris, 27 février 1967, Société de presse Marcel Dassault c. Dame
Bardot, D.S. 1967.J.450, note FOULON-PIGANIOL: l’autorisation des vedettes est «présumée exister lorsque la publication concerne leur vie publique ou
leurs activités professionnelles en raison de l’acceptation tacite mais non équivoque que l’intéressé a manifestée en s’exhibant au regard du public».
69. J. RAVANAS, «La protection des personnes contre la réalisation et la publication de leur image», op. cit., note 14: «Comment raisonnablement penser qu’une
personne ait conscience, chaque fois qu’elle poursuit une activité publique, de
donner, ipso facto, son consentement pour reproduire son image?» et X. DIJON,
«Le sujet de droit en son corps, une mise à l’épreuve du droit subjectif», préface
de F. RIGAUX, Namur, Société d’études morales, sociales et juridiques, 1982,
no 285, p. 199.
70. Trib. de gr. inst. de Paris, 3 mai 1989, Xuereb c. Société l’Équipe, op. cit., note
19.
642
Les Cahiers de propriété intellectuelle
La seconde atténuation concerne l’exploitation future de
l’image capturée durant l’activité professionnelle: celle-ci doit nécessairement être utilisée dans un but informatif71. Il en découle logiquement que l’utilisation à des fins commerciales de l’effigie d’un
sportif, même captée au cours de ses activités professionnelles, est
illicite72. En France comme au Québec, de nombreuses firmes ont été
condamnées pour avoir vanté leur produit en se servant de l’image
d’un athlète en compétition. Citons principalement, en France, l’utilisation de l’image d’un basketteur lors d’un match pour mettre
l’accent sur la qualité des pellicules utilisées pour la photographie73,
de l’image d’un golfeur à l’appui de lettres proposant de s’abonner à
une revue74, de plusieurs photographies d’un tennisman pour illustrer un dépliant, même si les photos avaient été prises «au cours de
l’activité professionnelle publique du champion»75, de l’effigie d’une
skieuse acrobatique pour une campagne publicitaire au moyen d’un
trucage qui substituait son dossard par la marque du produit de la
firme76.
Récemment, au Québec, la biathlète canadienne Myriam
Bédard, double médaillée d’or olympique, a connu une mésaventure
presque identique. Pour les besoins d’une campagne publicitaire
parue à l’automne 1999 pour la gomme à mâcher Spearmint du fabricant Wrigley, l’agence de publicité BBDO n’a pas hésité à utiliser,
sans la moindre autorisation de madame Bédard, une photographie
retouchée de l’intéressée, prise lors des jeux olympiques de Lillehamer en 1994. BBDO a ainsi manipulé la photo au point de faire
ressembler Myriam Bédard à un homme77!... La publicité montrait
en effet la biathlète grimaçante dans l’effort, ses cheveux avaient été
rasés et des lunettes de soleil rajoutées sur son visage78. Il n’est pas
71. Article 35, tiret 5 du Code civil du Québec, précité, note 44.
72. Arrêts de principe sur cette règle: en droit québécois: Deschamps c. Renault
Canada, op. cit., note 27; en droit français, Trib. de gr. inst. de Lyon, 17
décembre 1980, A.S.V.E.L. basket c. S.A. Lumière, op. cit., note 42.
73. Trib. de gr. inst. de Lyon, 17 décembre 1980, A.S.V.E.L basket c. S.A. Lumière,
op. cit., note 42.
74. Cour d’app. de Paris, 26 mai 1983, Société Edicam S.A.R.L. c. Rodriguez, op.
cit., note 11.
75. Trib. de gr. inst. de Paris, 21 décembre 1983, Noah c. Société française de revues
Team, op. cit., note 12.
76. Trib. de gr. inst. de Paris, 21 avril 1986, Dame Asselin c. Société Effi International S.A., op. cit., note 41.
77. Jonathon GATEHOUSE, «Doctored photograph in gum ad makes me look like
a man: Bédard», National Post, samedi 15 janvier 2000.
78. L’opération publicitaire avait pour objectif de mettre en avant le fait que le prix
de la gomme à mâcher n’avait pas changé depuis 1994 (date du cliché, pris pendant les J.O. de Lillehamer), la photographie litigieuse était accompagnée du
slogan suivant: «en 1994, le Québec se passionne tout à coup follement pour le
biathlon. Ah! les olympiques...».
Le contrôle de l’exploitation commerciale de l’image du sportif
643
improbable que l’agence de publicité ait à ce point modifié la photographie pour sciemment éviter de rémunérer Myriam Bédard. Or,
pour une telle campagne, la double championne olympique aurait
demandé un cachet de 150 000 $79. Après une tentative de règlement
amiable avortée en raison de la dérisoire proposition de dédommagement des avocats initiaux de Wrigley (4 000 $ !...), madame Bédard a
intenté une poursuite d’un montant de 850 000 $ contre le fabricant
de gomme et son agence de publicité pour avoir utilisé sans sa permission son image à des fins commerciales80. Cette affaire a fait et
continue de faire grand bruit en Amérique du Nord81, à juste titre:
c’est la première fois qu’une sportive aussi connue au Québec voit son
image usurpée et détériorée de la sorte. Nous reviendrons sur les
enjeux d’une telle poursuite à l’occasion de l’étude des sanctions
applicables en cas de violation du droit à l’image82.
Aussi intéressant qu’il soit, notamment à propos du montant
des dommages-intérêts que le juge va octroyer à Mme Bédard, cet
aspect ne sera pas nouveau en droit. Des cas d’espèce identiques ont
fait l’objet de décisions jurisprudentielles bien arrêtées, en France
comme au Québec. En revanche, l’utilisation de nouvelles technologies, comme Internet, suscite de nouvelles et réelles interrogations
concernant le droit à l’image des sportifs. En France, la Cour d’appel
de Paris, dans un arrêt du 10 février 1999, a retenu la responsabilité
du fournisseur pour avoir hébergé un site qui diffusait sans son autorisation des photographies dénudées du mannequin Estelle Hallyday, portant ainsi atteinte à son droit à l’image et à son droit à la vie
privée83. Mais il s’agissait en l’occurrence de photos strictement privées. Or, la question est plus complexe lorsqu’un site Internet propose de visionner des photos de sportifs prises au cours de leurs
activités professionnelles. Les sites en question vivent des publicités
accolées à l’effigie du sportif, donnant l’impression que celui-ci a
donné son consentement à ladite publicité, alors que telle n’est pas la
réalité.
79. Brian MYLES, «Quand une image vaut mille dollars», Le Devoir, Les actualités, mardi 18 janvier 2000. Le montant de la valeur marchande de Myriam
Bédard a été révélé par son agent, Jean-Marc Saint-Pierre (Tous les montants
cités dans cet article sont en dollars canadiens).
80. Réjean TREMBLAY, «Wrigley retire le dossier Bédard à ses avocats», La
Presse, mardi 18 avril 2000.
81. Par exemple, le célèbre magazine américain «Sport Illustrated» a fait écho de
«l’affaire Bédard».
82. Voir infra, p. 20: 2.2 Sanctions en cas de violation du droit à l’image.
83. Cour d’app. de Paris, 10 février 1999, Estelle Lefébure c. Valentin Lacambre,
comm. de Me J. HESLAUT, sur le site www.legalis.net/jnet/commentaires/
estelle_heslaut.htm.
644
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Ainsi, en s’appropriant les photographies de champions de
sport dans l’exercice de leur activité, de nombreux sites Internet font
actuellement l’objet de poursuites de la part d’agences de presse pour
violation du droit d’auteur. Il nous semble que les sportifs euxmêmes pourraient songer sérieusement à poursuivre les propriétaires de tels sites pour violation du droit à l’image. En effet, lorsqu’un
site Internet (et ces sites sont légion) propose uniquement d’accéder
à la contemplation d’effigies de sportifs en compétition, sans autres
commentaires, l’utilisation faite des photos l’est uniquement à des
fins commerciales. Grâce à l’aura du sportif, l’hébergeur attire l’internaute par le biais de l’image, il le piège par celui de la publicité,
unique moyen de pérenniser le site. Pour se passer de l’autorisation
du sportif, le critère décisif apparaît être celui du contenu informatif
accompagnant ou non l’image: sans celui-ci, l’image de l’athlète en
compétition peut-elle à elle seule être considérée comme étant d’un
intérêt légitime d’information du public? Autrement dit, non accompagnée d’un contenu informatif, l’image est-elle encore d’intérêt
public? Nous ne le pensons pas.
Prenons l’exemple des trois médias suivants: journaux d’information, magazines hebdomadaires relatant la vie des vedettes, sites
Internet proposant des photographies de sportifs, et constatons le
degré d’importance des critères du contenu informatif et de l’aspect
commercial. Pour la plupart des quotidiens, l’image n’est souvent
que l’accessoire de l’information écrite, c’est pourquoi le critère du
contenu informatif prime sur celui de l’utilisation commerciale de
l’image. Au contraire, pour les magazines, les rapports s’inversent: le
contenu informatif est secondaire par rapport à l’image mais celui-ci
existe et, de ce fait, il vient «couvrir» l’aspect mercantile de la publication de l’image, car ce sont les photographies des vedettes et elles
seules qui font vendre le magazine. Ici, les deux critères cohabitent
inégalement, mais le maigre contenu informatif sert de justification
pour légitimer l’intérêt du public de prendre connaissance des photographies en question et ce, en dépit de l’aspect commercial marqué
de la publication d’effigies de sportifs. Dans notre dernier exemple,
lorsque le site Internet propose seulement l’accès à des clichés de
champions dans l’exercice de leur art et que le contenu informatif est
inexistant, seul ressort l’aspect commercial de la publicité fournie
sur le site. On retombe alors dans un cas classique d’illégalité du
droit à l’image: celui de la publication aux seules fins commerciales
de l’image d’un sportif captée au cours de son activité professionnelle.
Le contrôle de l’exploitation commerciale de l’image du sportif
645
Le critère du contenu informatif paraît pouvoir s’appliquer
dans d’autres domaines pour déterminer la violation ou non du droit
à l’image comme, par exemple, la publication d’un ouvrage relatant
l’année sportive venant de s’écouler. L’auteur d’un livre souvenir ne
va pas manquer d’insérer de nombreuses photographies des champions qui auront brillé au cours de l’année dans leur discipline.
Doit-il obtenir une autorisation de chacun d’eux pour les photos qu’il
compte utiliser pour ce faire? D’un certain côté, on ne peut faire abstraction de l’aspect mercantile d’une telle opération: la publication
du livre va faire gagner de l’argent à son auteur et l’aspect utilisation
de l’effigie du champion à des fins commerciales ne peut être complètement éludé. D’un autre côté, l’ouvrage va nécessairement comporter un contenu informatif, puisqu’il sera fait mention des principaux
faits marquants et des résultats de l’année sportive écoulée. Or, il
est difficilement contestable de nier un intérêt légitime du public
d’être informé d’un écrit récapitulant une saison sportive venant de
s’achever. Dans cet exemple, le critère du contenu informatif nous
apparaît être à nouveau décisif pour légitimer une utilisation sans
autorisation de l’image du sportif, prise pendant sa vie professionnelle.
Il n’en n’irait pas de même si l’ouvrage était composé uniquement de photographies d’athlètes, sans aucun texte. L’utilisation de
l’image du sportif à des fins commerciales serait alors trop prononcée. Nous maintenons que l’image à elle seule, lorsqu’elle est
publiée en dehors d’un contexte d’actualité récente, ne doit pas être
considérée comme ayant un objectif d’intérêt légitime du public.
Dans une telle situation, comme pour les sites Internet ne proposant
que des photographies de personnages connus, les avocats d’un sportif célèbre ne devraient pas négliger l’opportunité de poursuivre ceux
qui auront violé de la sorte le droit à l’image de leur client.
En conclusion de ce chapitre sur la vie professionnelle de
l’athlète, il est important de rappeler que celui-ci n’a pas toujours le
contrôle de son image. Le sportif connu a tout d’abord la possibilité
de céder tout ou partie de ce droit à une firme ou à son club, en contrepartie d’une somme forfaitaire84. Cette option n’est pas, de loin, la
plus usitée, car elle peut s’avérer dangereuse à long terme pour
l’image du sportif puisque le cocontractant a une totale liberté
84. La justification de cette cession, pour la personne publique, est la primauté du
caractère patrimonial du droit à l’image par rapport à l’aspect droit de la personnalité, voir pour un exemple de cession du droit à l’image: Éthier c. Boutique
à coiffer Tonic inc. (1998), J.E. 1999-300 (C.S.Q.).
646
Les Cahiers de propriété intellectuelle
d’utilisation de son effigie85. C’est la raison pour laquelle la plupart
des sportifs préfèrent signer des contrats au coup par coup, par
l’intermédiaire de leur agent, ce qui leur permet de contrôler l’orientation qu’ils entendent donner à leur image. Mais il arrive aussi parfois à l’athlète de perdre la maîtrise de l’utilisation de son nom ou de
son image. C’est notamment le cas lorsque celui-ci est membre d’un
syndicat de joueurs. Ainsi par exemple, il ne peut pas s’opposer aux
accords conclus par le syndicat avec une fédération sur la cession de
son image86. La même logique régit l’industrie lucrative des cartes
sportives: c’est l’association des joueurs qui accorde aux firmes le
droit d’utiliser l’effigie de tous les joueurs de l’équipe, moyennant
pour elle d’importantes contreparties financières. Enfin, par rapport
aux contrats passés entre un club et ses propres commanditaires,
deux possibilités sont généralement offertes à l’athlète: soit son club
le laisse libre d’associer son image avec les entreprises de son choix, y
compris donc, avec celles qui concurrencent les partenaires de son
employeur87, soit c’est le club lui-même qui contrôle l’image du sportif lorsque celui-ci le représente88.
2.1.2.2 L’image comme marque de commerce
Concernant le domaine de la protection de l’image, une dernière
question doit retenir notre attention. Elle concerne une possible
évolution des moyens de contrôle de l’exploitation commerciale de
l’image du sportif: le professionnel du sport peut-il faire de son image
une marque de commerce?
85. Pour un exemple des possibles dérives de ces contrats, citons M. Gosselin,
conseiller en marketing sportif: «Lors de la signature de son contrat, le joueur
de hockey canadien Alexandre Daigle avait légué ses droits aux Sénateurs
d’Ottawa. Quelques mois plus tard, on le voyait déguisé en infirmière sur une
réclame!», La Presse, Sports, jeudi 13 janvier 2000, «La jurisprudence joue en
faveur de la québécoise», Alexandre PRATT. C’est néanmoins l’option qu’a
choisie le footballeur français Zinédine Zidane avec son club de Juventus de
Turin.
86. Membre du syndicat des joueurs, le joueur de baseball Vladimir Guerrero ne
peut pas s’opposer à ce qu’une marque de jeux vidéo utilise son image pour
mousser ses ventes, dès l’instant où l’entente signée entre les autorités du
baseball et le syndicat prévoit que le fabricant de console de jeux peut promouvoir ses produits avec le nom de n’importe quel joueur, du moment qu’il est
membre du syndicat. La Presse, Sports, jeudi 13 janvier 2000, précité, note 82.
87. C’est le cas par exemple des joueurs de hockey du Canadien de Montréal avec la
restriction importante de ne pas pouvoir faire de la publicité avec l’uniforme de
l’équipe.
88. Par exemple, les joueurs de baseball des Expos de Montréal sont soumis à ce
régime.
Le contrôle de l’exploitation commerciale de l’image du sportif
647
La réponse est positive, les avocats du pilote automobile canadien Jacques Villeneuve ont fait enregistrer la photographie de son
visage comme marque de commerce, au Canada, mais aussi aux
États-Unis et en Grande-Bretagne89. Pour ce dernier pays, où le
droit à l’image est d’une ampleur moindre par rapport au droit
civil français et québécois, on peut comprendre l’utilité d’une telle
démarche90. Mais pour le Québec, peut-on pareillement conclure à
un intérêt de recourir à la protection de marque, en cas d’usurpation
de l’effigie du sportif, par rapport à ce qu’offre le droit positif de
l’image? Pour tenter de répondre à cette question, il convient ici
encore de procéder par étapes.
La première incertitude sur laquelle les juges auront à se pencher est celle de l’étendue de la protection de la marque. La jurisprudence devra notamment déterminer les types d’images qui «créeront
de la confusion» avec la marque déposée, au sens de l’article 6 de la
loi canadienne sur les marques de commerce. Or, un tel enregistrement se révélera efficace uniquement dans la mesure où la marque
protège non seulement la photographie enregistrée, mais aussi celles
où le faciès du coureur automobile apparaît. Autrement dit, si toute
utilisation d’une photographie où Jacques Villeneuve est reconnaissable crée de la confusion avec la marque déposée. Il faudra cependant en exclure les images prises par les médias lors de l’activité
publique de l’athlète, dans le cadre de la nécessaire et légitime information du public. Dès lors, il reste à déceler en quoi l’enregistrement
de l’image d’un sportif comme marque de commerce protégerait
mieux celui-ci que le droit à l’image lui-même contre les agissements
de ceux qui violeront ce droit.
Un premier intérêt pourrait concerner le renversement du fardeau de la preuve: l’article 20 de la loi canadienne sur les marques de
commerce prévoit une présomption de contrefaçon à l’encontre de
celui qui usurpe l’image déposée, alors que le recours au droit à
l’image, dans pareil cas, nécessite la preuve de la violation d’un droit
subjectif. En réalité, cet intérêt est plus théorique que pratique, car
on voit mal le plaideur, dans la première hypothèse, faire l’économie
de la démonstration de l’atteinte à l’image subie et du préjudice qui
en découle.
89. Pour le Canada, l’enregistrement de la photographie de Jacques Villeneuve
comme marque de commerce date du 14 mars 2000, celui effectué aux ÉtatsUnis, du 2 mai 2000.
90. La common law anglaise, qui a toujours refusé de reconnaître le droit de la personne sur son image, ne permet pas une protection équivalente à ce qu’offrent
le droit québécois et le droit français. Aux États-Unis, la notion de «rights of
publicity», encore ambiguë, s’en rapproche néanmoins davantage.
648
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Un second avantage aurait consisté dans le fait de conclure à
une meilleure protection de l’image du sportif, dans le cas particulier
où celui-ci serait connu dans telles provinces et beaucoup moins dans
telles autres. Par le biais de l’enregistrement de la photographie de
ce dernier comme marque de commerce, la protection de l’image du
sportif à la notoriété disséminée s’étendrait à tout le Canada. Mais
dans un tel cas de figure, quelle firme serait tentée d’usurper l’image
d’un sportif méconnu dans la province concernée pour en faire le support d’une campagne publicitaire?
À notre avis, le seul avantage notable de faire de l’effigie d’un
sportif célèbre une marque de commerce, sur le strict plan de la protection contre l’usurpation de l’image et par rapport à ce qu’offrent
les droits civilistes pour assurer cette protection, se situe au niveau
de la territorialité de la décision de justice reconnaissant la violation
de ce droit. Prenons un exemple concret: si, au Québec, une entreprise utilise sans autorisation l’image d’un sportif célèbre, en apposant à des fins commerciales sa photographie sur des blousons en
cuir, la victime, qui n’a pas fait enregistrer son image comme marque
de commerce, ne peut faire valoir que la violation de son droit à
l’image devant la Cour supérieure du Québec. Celle-ci va alors
enjoindre à l’entreprise de cesser d’utiliser l’image du sportif et va
condamner cette dernière au paiement de dommages-intérêts. Mais
cette décision n’aura de portée qu’au niveau de la province du Québec
et n’empêchera pas l’entreprise de continuer de vendre les blousons
litigieux dans d’autres provinces. Pour l’en empêcher, le plaideur
devra engager une procédure d’exemplification de la décision de la
Cour supérieure québécoise et ce, dans toutes les provinces où le problème se posera.
Au contraire, dans le même exemple, si l’image du champion a
été déposée comme marque de commerce, la contrefaçon de marque
est de la compétence mixte de la Cour supérieure et de la Cour fédérale. En choisissant cette dernière, le sportif pourra se prévaloir
d’une décision le protégeant contre les agissements de l’entreprise
sur tout le territoire canadien, et, ainsi, évitera les écueils précédents.
2.2 Sanctions en cas de violation du droit à l’image
Il convient en premier lieu de faire mention du droit de réponse
que possède tout individu constatant son image représentée abusive-
Le contrôle de l’exploitation commerciale de l’image du sportif
649
ment dans les médias91. Prévu par les droits québécois92 et français93, contrepartie logique de la liberté de la presse, nous ne développerons pas le droit de réponse94, car celui-ci représente une possibilité de réhabilitation morale contre une atteinte à l’image en
liaison avec la vie privée95. Or, nous limiterons volontairement notre
propos aux sanctions civiles qui permettent la réparation de
l’exploitation commerciale illicite de l’image à des fins publicitaires.
En droit québécois comme en droit français, nous avons constaté, lors de l’étude du fondement du droit à l’image, que la reconnaissance de ce droit en un véritable droit subjectif de l’individu va
faciliter la démonstration du dommage causé à la victime. Celui-ci va
en effet se caractériser par la seule constatation du droit à l’image,
en dehors de la preuve de toute faute. Mais il ne faut pas se leurrer:
d’une part, ce sont les tribunaux eux-mêmes qui appliquent le plus
souvent les règles de la responsabilité civile pour condamner la diffusion illicite de l’image96 et, d’autre part, ce sont ces mêmes règles qui
vont permettre au sportif de démontrer l’ampleur de son préjudice et
le lien causal de celui-ci avec le dommage subi97. Ainsi, suite à la
publication illicite de son effigie, le sportif va chercher à obtenir la
compensation financière la plus large possible. Pour la démonstration de son préjudice, sa tâche est néanmoins facilitée lorsque
l’usurpation de son image concerne une exploitation commerciale
plutôt qu’une dénaturation de sa personnalité ou la révélation d’un
aspect de sa dignité98. Dans ce dernier cas, le montant demandé pour
le préjudice subi est plus délicat à évaluer et à prouver: il n’est pas
91. Le droit de réponse peut concerner les journaux, les périodiques mais aussi la
radiodiffusion: en France, la loi no 72-553 du 3 juillet 1972 consacre l’existence
d’un droit de réponse sur les ondes.
92. L’article 7 de la loi sur la presse précise que le journal doit «publier à ses frais
[...] toute réponse que la partie qui se croit lésée lui fera tenir».
93. Article 13.1 de la loi du 29 juillet 1881: le directeur de la publication est «tenu
d’insérer dans les trois jours de leur réception, les réponses de toute personne
nommée ou désignée dans le journal ou écrit périodique quotidien».
94. Pour une étude approfondie en droit comparé sur le droit de réponse, voir
l’excellent manuel de Louise POTVIN, La personne et la protection de son
image, op. cit., note 17.
95. Trib. de gr. inst. de Paris, 3 mars 1982, Decaux c. Jours de France, Gaz. Pal.
1982.II somm. 388: «Le droit de réponse n’est pas une modalité d’une quelconque action en responsabilité, mais une action qui a en vue le respect de la
personnalité».
96. Voir supra, p. 120 pour de plus amples informations sur ce point.
97. Un plaideur averti et prudent ne manquera donc pas, en pareille circonstance,
d’invoquer à titre subsidiaire les règles de la responsabilité civile.
98. Parfois, l’exploitation commerciale à des fins publicitaires altère gravement
l’image du sportif et le touche au plus profond de sa dignité, c’est tristement le
sort que l’on a réservé à Myriam Bédard.
650
Les Cahiers de propriété intellectuelle
aisé d’avoir à démontrer et à chiffrer la frustration, l’humiliation, la
peine morale d’un individu d’être représenté aux yeux de tous, sous
un aspect qui n’est pas le sien, par le trucage d’une photographie.
Mais pour une exploitation commerciale de l’image d’un
athlète, la démonstration du préjudice paraît plus aisée: ne devrait-il
pas correspondre au minimum au manque à gagner que le sportif
aurait perçu s’il avait donné son consentement à l’opération publicitaire? Il faut bien reconnaître que si les tribunaux québécois et français tiennent bien compte de la privation du gain du sportif, le
montant des allocations n’est jamais à la hauteur de sa réelle valeur
marchande. Les plaideurs ont donc un grand rôle à jouer sur ce point:
il leur faut impérativement fournir au juge un dossier très complet
démontrant la valeur commerciale de l’image de leur client au
moment où celle-ci a été usurpée, notamment par le biais d’expertises ou encore par la preuve de contrats similaires signés par le
sportif.
Ainsi, les différentes sanctions applicables en matière civile
correspondent logiquement aux différents préjudices subis par la
victime, et normalement à eux seuls, si l’on respecte les finalités de
la réparation civile. Malheureusement, trop de tribunaux tiennent
encore compte de l’attitude plus ou moins malveillante de l’auteur du
dommage pour fixer le montant des dommages-intérêts, alors que
celui-ci ne devrait dépendre que de l’étendue du préjudice à réparer.
En matière d’exploitation commerciale illicite de l’effigie d’un athlète
à des fins publicitaires, en France et au Québec, les différents préjudices qui pourraient être invoqués par le sportif nous semblent être
les suivants:
1o) Le cachet pour la publicité non effectuée: comme nous
venons de le mentionner, il devra être démontré un préjudice correspondant à la valeur patrimoniale de l’image de
l’athlète au moment de l’usurpation.
2o) L’usurpation de l’image: le préjudice découlant de la violation du droit à l’image est justifié par le fait que le sportif ne
doit pas être privé du droit de mener sa carrière comme il
l’entend, y compris dans la gestion de son image. Le préjudice résulte donc du fait qu’on lui a imposé un choix qu’il n’a
pas voulu et qui peut être fort nuisible pour la suite de sa
carrière sur le plan du marketing de son image. C’est
notamment le cas lorsque la publicité litigieuse «brise»
l’image que le sportif a façonnée afin de profiter de certains
Le contrôle de l’exploitation commerciale de l’image du sportif
651
contrats publicitaires. Myriam Bédard a été sur ce point
une victime de choix: alors que la biathlète luttait depuis de
nombreuses années pour garder une image féminine dans
un sport très physique, dominé par les hommes, la publicité
de Wrigley, qui l’a montrée ressemblant à un androgyne, a
incontestablement nui gravement à son image. Les propos
de madame Bédard sont éloquents: «J’ai toujours mis un
point d’honneur à essayer de garder ma féminité dans un
sport essentiellement masculin», «ce qu’ils ont fait avec
mon image va totalement à l’encontre de l’image que j’ai
essayé de projeter durant toutes ces années»99. On ne saurait trop insister sur le rôle éminemment primordial que les
avocats de la championne auront à jouer sur cet aspect du
préjudice. Surtout que madame Bédard avait parfaitement
réussi dans sa quête: en témoigne notamment son contrat
signé avec la marque de prêt-à-porter «Farouche», dont elle
était l’égérie pour le catalogue de l’année 1995100. C’est à ce
titre que devra être prouvée l’éventuelle perte de contrats
futurs due à la publicité illicite.
3o) Les dommages moraux: ici le préjudice subi correspond à
l’anxiété, au stress, à l’humiliation causés par la publication de l’image. Le sportif devra démontrer les conséquences psychologiques néfastes de l’usurpation de son effigie,
comme par exemple un état dépressif ne lui ayant pas
permis de s’entraîner normalement pendant une période
donnée ou de participer à une compétition.
4o) Les dommages exemplaires: ceux-ci sont seulement prévus
au Québec par la Charte des droits et libertés101. Pour que
les dommages punitifs soient accordés, il faut que soit
démontrée par la victime, dans le comportement de l’auteur
du dommage, une intention délibérée et intentionnelle de
porter atteinte au droit à l’image de l’athlète. Ici encore,
«l’affaire Bédard» risque de créer un précédent. Au regard
du comportement de l’agence de publicité, caractéristique
selon nous d’une intention de nuire, on peut souhaiter qu’à
cette occasion, les juges n’éluderont pas la question des
99.
100.
101.
National Post, samedi 15 janvier 2000.
L’année suivante, Farouche choisissait Miss USA 96.
Article 49 de la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., c. C-12; supra,
note 29.
652
Les Cahiers de propriété intellectuelle
dommages punitifs102. Et comme ceux-ci doivent répondre
par définition à une finalité préventive et dissuasive, le
montant des dommages exemplaires devrait être, le cas
échéant, conséquent.
En outre, et en complément de sa demande de réparation pour
le préjudice subi, il arrive fréquemment à la victime de devoir faire
cesser l’atteinte dont elle est l’objet. L’injonction et la Charte des
droits et libertés, en droit québécois, et le référé, en droit français, lui
permettront de neutraliser une publicité illicite ou de saisir un publication contenant une image litigieuse du sportif103.
Enfin, en France uniquement, l’article 700 du nouveau code de
procédure civile permet à la victime d’obtenir du juge un montant
censé couvrir les honoraires de son avocat, puisque ceux-ci ne sont
pas compris dans les dépens104. Cette disposition, très égalitaire, est
loin d’être anodine et serait particulièrement bienvenue à notre sens
dans un système judiciaire québécois efficace et rigoureux sur le plan
du droit, mais extrêmement coûteux pour le justiciable. Elle ne manquerait pas d’avoir de surcroît un effet dissuasif sur les entreprises
qui s’approprient l’image de sportifs sans leur autorisation.
Conclusion
Au Québec, comme en France, on ne peut conclure qu’à un bilan
mitigé en ce qui concerne la protection judiciaire de l’image du sportif. Certes, celui-ci bénéficie désormais, sur le fondement du droit à
l’image, de moyens juridiques spécifiques pour faire condamner ceux
102.
103.
104.
L’agence de publicité, en tant que professionnelle, ne pouvait ignorer qu’une
autorisation était nécessaire pour utiliser l’image de madame Bédard à des fins
commerciales, qui plus est pour modifier celle-ci en la dénaturant si violemment. Il est donc fort probable que les avocats de la championne olympique puissent obtenir l’octroi de dommages exemplaires, ce qui n’a encore jamais été
réalisé en la matière à notre connaissance.
Voir supra, p. 123, les modalités de l’article 809 du nouveau Code de procédure
civile, permettant au juge des référés de prescrire «les mesures conservatoires
ou de remises en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent,
soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite». Voir également, Civ.
1re, 16 juillet 1998, précité. En droit québécois, à côté de l’injonction classique
prévue par le Code de procédure civile, il faut mentionner les dispositions de la
Charte des droits et libertés de la personne qui reconnaît à celle-ci dans son
article 49 «le droit d’obtenir la cessation de cette atteinte...».
L’article 700 du nouveau Code de procédure civile est rédigé comme suit: «Lorsqu’il paraît inéquitable de laisser à la charge d’une partie les sommes exposées
par elle et non comprises dans les dépens, le juge peut condamner l’autre partie
à lui payer le montant qu’il détermine».
Le contrôle de l’exploitation commerciale de l’image du sportif
653
qui usurpent son image à des fins commerciales et la reconnaissance
du caractère patrimonial de ce droit lui facilitera la tâche. Mais les
dommages-intérêts octroyés par les juges, bien qu’en constante augmentation, demeurent insuffisants et ne correspondent pas au préjudice réellement subi par la victime, soit le cachet effectivement perçu
par le sportif si celui-ci avait donné son consentement à l’utilisation
de son image pour l’opération publicitaire. Situation plus ennuyeuse,
la faiblesse du montant des condamnations ne permet pas d’avoir un
réel effet dissuasif sur les entreprises. Au Québec, l’attitude de
l’agence de publicité BBDO à l’égard de Myriam Bédard en est un
criant exemple. Cette affaire pourrait néanmoins conduire à une
augmentation sensible du montant des compensations allouées. Le
fait qu’une agence de publicité et son annonceur aient volontairement truqué la photographie d’une athlète célèbre pour s’en servir à
des fins publicitaires, sans autorisation de l’intéressée et en dénaturant gravement l’image de celle-ci, correspond à un cas d’école en
matière de violation du droit à l’image. Tous les ingrédients ne
sont-ils pas réunis pour que les juges québécois sortent enfin de leur
frilosité et revoient à la hausse le montant des dommages-intérêts
alloués en pareil cas105?
Enfin, il convient de ne pas négliger l’importance de la pratique
nouvelle du dépôt de l’image d’un sportif connu comme marque de
commerce. Si celle-ci devait se généraliser au cours de la décennie à
venir, on assisterait à la troisième évolution marquante du droit à
l’image. Après la consécration de ce droit comme un droit subjectif de
l’individu, après la reconnaissance de son autonomie par rapport au
droit à la vie privée, ne devrait-on pas parler de l’émergence d’un
droit à l’image de marque?
105.
La conjoncture est propice à une telle évolution au Québec: les dommages
octroyés dans les affaires d’atteinte à l’image de personnalité publique ne
cessent d’augmenter: 5 000 $ pour le chanteur Patrick Normand, note 84 et
30 000 $ pour la comédienne Linda Malo, note 33.
Vol. 13, no 3
Brevetabilité et génétique humaine:
perspective internationale du
dialogue entre l’Europe et la France
à l’égard de la directive 98/44/CE
Martin Letendre*
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 657
1. L’ADN, le génome, le gène et les polymorphismes singuliers
de nucléotides (SNP): un exercice de clarification. . . . . . 659
2. La brevetabilité en Europe . . . . . . . . . . . . . . . . . . 661
2.1 L’environnement juridique . . . . . . . . . . . . . . . 661
2.2 Les conditions de brevetabilité . . . . . . . . . . . . . 663
2.3 Les exceptions à la brevetabilité . . . . . . . . . . . . 664
2.4 La procédure de demande de brevet . . . . . . . . . . 666
2.5 La protection de l’invention brevetée. . . . . . . . . . 667
3. Le génome humain, l’ADN, les gènes et les SNPs comme
objets de brevetabilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 668
© Martin Letendre, 2001.
* B.A. (Philosophie), LL.B.; assistant de recherche pour le Projet Génétique et
Société au Centre de recherche en droit public de l’Université de Montréal;
étudiant à la maîtrise en droit et bioéthique à l’Université McGill.
655
656
Les Cahiers de propriété intellectuelle
4. La Directive 98/44/CE sur les inventions
biotechnologiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 671
4.1 Harmonisation – Protection – Diffusion de
l’information. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 672
4.2 Ordre public et moralité . . . . . . . . . . . . . . . . 673
4.3 Moyens. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 675
5. L’opposition de certains États membres: la situation
française. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 680
6. L’analyse de la Directive 98/44/CE à la lumière du
droit international . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 686
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 689
«Plus nous avançons dans la connaissance et la
maîtrise des technologies de la vie, plus nous nous
condamnons à être responsables.»
Olivier Arnaud, Commissariat de l’énergie
atomique (France) (17 juillet 1997)
«L’égoïsme ne règnera plus dans les sciences quand on
s’associera pour étudier. Au lieu d’envoyer aux Académies des paquets cachetés, on s’empressera de publier
ses moindres observations pour peu quelles soient
nouvelles et on ajoutera: «je ne sais pas le reste.»»
Evariste Galois
Introduction
Le 6 juillet 1998, le Parlement européen adopta la Directive
98/44/CE relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques1. Le but de la Directive est de consolider les règles européennes en matière de brevets d’inventions biotechnologiques afin
d’attirer le capital vers la recherche-développement et l’exploitation
industrielle de celle-ci tout en favorisant la propagation rapide des
connaissances.
La Directive 98/44/CE est une confirmation du constat du problème du financement de la recherche. La recherche ne peut plus
dépendre uniquement des fonds publics qui sont devenus largement
insuffisants. La majorité des recherches biotechnologiques aujourd’hui est financée par des capitaux privés, et plus particulièrement
par le secteur pharmaceutique. Il faut donc rentabiliser les investissements et protéger les acquis de la recherche, puisque les dividendes humains ou sociaux, qui satisfaisaient amplement au secteur
public, ne répondent pas aux exigences du privé.
1. Parlement européen, Directive 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil
du 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques, [1998] J.O. L 213, p. 0013-0021 (ci-après: Directive 98/44/CE).
657
658
Les Cahiers de propriété intellectuelle
La question du bénéfice économique, avec l’essor que connaît la
génétique humaine, vient de dépasser le cadre traditionnel des médicaments dans le milieu biomédical. L’incapacité des gouvernements
à stimuler la recherche en génétique implique une plus grande participation des compagnies, qui possèdent une philosophie et des objectifs différents. Or, comme les investissements sont de plus en plus
considérables, il est donc important de les protéger adéquatement.
L’outil juridique traditionnellement utilisé à cet effet est le brevet
d’invention. L’utilisation de cet outil dans le secteur biomédical, tout
comme dans le domaine biotechnologique en général, soulève plusieurs interrogations.
Le vivant est-il brevetable? Le brevet est-il un instrument adéquat pour protéger les objets de recherche biotechnologique? Si le
vivant est brevetable, est-ce tout le vivant qui l’est? Qu’en est-il
du génome humain? Pouvons-nous breveter l’ADN d’une personne?
Devons-nous breveter l’ADN d’une personne?
La réponse à ces questions exige deux études: celle du pouvoir
et celle du devoir.
Un autre aspect inhérent à ce questionnement sur l’octroi de
brevets en recherche génétique est celle de l’équilibre entre les intérêts privés des compagnies et l’intérêt général de la population. Cet
équilibre est en jeu principalement en raison de la nature de l’ADN
et de son statut juridique. La question de la brevetabilité du génome
humain ne peut faire fi de la définition du statut juridique du gène,
du génome et de l’ADN humain.
Plusieurs organismes sur la scène internationale, régionale
et nationale ont contribué à apporter une reconnaissance légale
au matériel génétique humain. Comme l’indique Bartha Maria
Knoppers, le statut du génome humain peut être défini selon trois
niveaux: universel, familial et individuel2. C’est d’ailleurs parce qu’il
n’y a pas consensus sur la reconnaissance légale du matériel génétique qu’il y a présentement en Europe un débat virulent entre la
Communauté européenne et certains de ses États membres sur
l’harmonisation des lois nationales de propriété intellectuelle avec la
Directive 98/44/CE.
2. Bartha Maria KNOPPERS, «Status, sale and patenting of human genetic material: an international survey», (1999) 22 Nature Genetics 23.
Brevetabilité et génétique humaine
659
Les principaux opposants à l’harmonisation sont les Pays-Bas,
l’Italie et la France. Les Pays-Bas et l’Italie ont contesté d’ailleurs
la Directive du Parlement européen par la voie de la Cour de justice
européenne. La France, pour sa part, refuse toujours d’apporter les
modifications nécessaires au Code de la propriété intellectuelle,
malgré le fait que la Directive 98/44/CE indiquait clairement que
les changements aux dispositions nationales devaient être effectués
avant le 30 juillet 2000. Cette insubordination de la France risque
d’ailleurs de lui coûter jusqu’à 850 000 $ pour chaque journée d’infraction3. Le débat entre la France et la communauté européenne
suscite l’attention de la communauté scientifique et bénéficie d’une
couverture médiatique importante. Le gouvernement français a
d’ailleurs expliqué spécifiquement son désaccord avec la Directive
98/44/CE par la voie du Comité consultatif national d’éthique
(CCNE) ainsi que par l’un des membres du Parlement.
C’est donc selon l’angle du pouvoir et du devoir que ce travail
étudiera la question de la brevetabilité du génome humain en
Europe. Dans une première étape, nous allons examiner le droit
applicable en matière de brevet en Europe et en France pour ensuite
mieux comprendre la portée de la Directive 98/44/CE. Dans une
seconde étape, nous étudierons si l’ADN, le génome et le gène
humain devaient être brevetables à la lumière des revendications de
la France principalement, mais également des différents organismes
internationaux et régionaux.
L’étude de ces deux angles nous permettra, par la suite, de tirer
des conclusions sur les lacunes de la Directive 98/44/CE et sur la
nécessité d’une réelle volonté politique d’établir un statut juridique
au génome humain. Toutefois, afin de s’assurer de bien saisir l’importance de la question et le sujet de l’étude, un exercice de clarification des termes ADN, génome et gène est de mise.
1. L’ADN, le génome, le gène et les polymorphismes
singuliers de nucléotides (SNP): un exercice de
clarification
Il est complexe de saisir l’enjeu derrière la question de la brevetabilité du génome humain sans avoir une idée élémentaire de ce que
constitue le génome humain. Bien que préférable, une connaissance
scientifique approfondie de la biologie humaine ou de la médecine
3. Michael BALTER, «France rebels against gene-patenting law», (2000) 288
Science 2115.
660
Les Cahiers de propriété intellectuelle
n’est pas nécessaire pour qu’un juriste saisisse rapidement l’étendue
des possibilités de la recherche en génétique humaine ainsi que les
questions juridiques qui en découlent. L’exercice de clarification qui
suit s’avère donc plutôt un outil de référence pour un juriste par un
juriste et n’a aucune prétention scientifique bien que basé naturellement sur la connaissance scientifique actuelle.
D’une vue d’ensemble très rudimentaire, nous pourrions
réduire les principes de base du génome humain de la façon suivante:
1. les cellules sont les fondations de notre corps et les protéines sont les fondations de nos cellules;
2. les cellules produisent des protéines suivant les informations fournies par les gènes;
3. les gènes se retrouvent à l’intérieur des chromosomes et des
mitochondries qui se retrouvent à l’intérieur de la cellule;
4. quarante-six chromosomes forment le noyau de la cellule
et sont composés d’une très longue molécule disposée en
double hélice, appelée ADN;
5. les gènes sont des sections de l’ADN détenant l’information
nécessaire au fonctionnement des protéines;
6. la séquence complète des gènes forme le génome.
Suite à cette grossière présentation des principes de base du
génome humain, certaines remarques doivent être ajoutées.
Premièrement, nous devons indiquer le caractère héréditaire
des gènes. En effet, les 46 chromosomes que nous retrouvons dans le
noyau de la cellule sont formés en 23 paires non identiques, provenant l’un et l’autre de chacun des parents. C’est donc par le biais des
chromosomes que l’information génétique est transmise d’une génération à une autre. Pour un juriste, cette remarque devient importante lorsque nous tentons d’établir la propriété du génome d’un
individu.
Deuxièmement, les gènes détiennent l’information nécessaire
au fonctionnement des protéines mais également l’information
nécessaire au développement de certaines maladies. À cet effet, on
distingue trois types de désordres génétiques: mono-géniques, où les
mutations sont héritées selon des schèmes reconnaissables; multi-
Brevetabilité et génétique humaine
661
factoriels, où le désordre implique plus d’un gène et dépend également de facteurs environnementaux qui ne sont pas toujours connus
ou clairement reconnaissables; chromosomiques, où le désordre est
attribuable à un nombre anormal de chromosomes ou à leur structure. Comme la découverte des fonctions des gènes est souvent le
résultat de recherche sur une maladie particulière, le juriste sera
intéressé à la question de savoir si ce gène devient alors découverte
ou s’il peut constituer une invention en vertu du droit des brevets.
Troisièmement, le Projet du Génome Humain a annoncé qu’il
avait terminé le brouillon du séquençage du génome humain. Le travail du projet consiste à établir la cartographie complète du génome
humain en établissant des repères en des endroits définis. Deux
types de repères sont principalement utilisés: les EST (Expressed
Sequence Tag) et les SNP (Single Nucleotide Polymorphism).
Encore une fois, sans entrer dans une définition scientifique
rigoureuse de ces repères, disons simplement que, lorsqu’une population atteinte d’une même condition se révèle à posséder le même
SNP, il y a de fortes chances qu’il y ait une cause génétique significative. Pour sa part, l’EST permet d’étudier la production d’une protéine particulière avec une condition donnée. Malgré la complexité
de ces repères, le juriste doit tenir compte de ces techniques afin de
se questionner si un EST ou un SNP peut être breveté ou s’il constitue plutôt une technique de diagnostic. Une étude du droit des brevets en Europe permettra de mieux saisir la portée de la troisième
remarque.
La génétique, tout comme le droit des brevets d’ailleurs, est un
domaine complexe et extrêmement spécialisé. Les questions juridiques sont multiples et ne peuvent être saisies dans leur ensemble
sans une connaissance, si élémentaire soit-elle, des deux domaines
en cause. Suite à ce bref essai de clarification des termes employés
fréquemment en génétique humaine, observons le droit européen des
brevets afin de comprendre plus clairement l’enjeu du présent débat
entre la Communauté européenne et la France.
2. La brevetabilité en Europe
2.1 L’environnement juridique
Comme nous l’avons mentionné en introduction, la Directive
98/44/CE vient changer l’environnement juridique des États mem-
662
Les Cahiers de propriété intellectuelle
bres de la Communauté européenne en ce qui a trait au droit des
brevets d’inventions biotechnologiques.
La situation qui prévalait avant le 30 juillet 1998 était régie par
la Convention de Munich sur la délivrance de brevets européens4,
adoptée le 5 octobre 1973. Il faut souligner également que les lois
nationales, et plus précisément le Code français de la propriété intellectuelle5 pour le bien de notre étude, continuent de colorer le paysage européen des brevets.
D’autre part, les États membres de la Communauté européenne doivent également se soumettre aux exigences des ententes
internationales. Deux principaux documents enrichissent le panorama juridique des brevets en Europe. Premièrement, l’Accord sur
les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce6 du 15 avril 1994, signé à Marrakech par les pays membres de
l’Organisation mondiale du commerce (OMC) dont font partie les
pays membres de la communauté européenne7, apporte notamment
quelques précisions sur la notion «d’objet brevetable» que nous allons
étudier plus loin. Deuxièmement, la Convention de Rio sur la diversité biologique8 ne peut également être ignorée. En effet, les articles
8(j), 15 et 16 de la Convention de Rio traitent directement du droit
des brevets.
Avant d’étudier en profondeur les conditions de brevetabilité en
Europe, il est important de comprendre l’interaction de la CBE avec
les lois nationales de propriété intellectuelle. En vertu de son article
premier, la CBE constitue le droit commun des États contractants en
matière de délivrance de brevets d’invention. Une fois que le brevet
européen est délivré, il a les mêmes effets et est soumis au même
régime qu’un brevet interne délivré par cet État, à moins de disposition contraire de la CBE9. Ainsi, comme la CBE ne prévoit pas tout,
nous devrons nous référer au CPI afin de mieux saisir les conditions
de brevetabilité ainsi que la protection garantie.
4.
5.
6.
7.
Ci-après: CBE.
Ci-après: CPI.
Ci-après: accord ADPIC.
Conseil de l’Europe, Décision du Conseil du 22 décembre 1994 concernant la conclusion des résultats des négociations commerciales multilatérales du cycle
d’Uruguay 1986-1994, [1994] JOCE L336, p. 1.
8. Ci-après: la Convention de Rio.
9. CBE, art. 2.
Brevetabilité et génétique humaine
663
2.2 Les conditions de brevetabilité
Une invention est brevetable si elle respecte les trois conditions
de brevetabilité suivantes: la nouveauté, l’activité inventive, l’application industrielle10.
Une invention est considérée nouvelle «si elle n’est pas comprise dans l’état de la technique»11. L’état de la technique représente
«tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date de dépôt de
la demande de brevet par une description écrite ou orale, un usage ou
tout autre moyen»12. Le contenu des demandes de brevet antérieures
à la présente demande représente également l’état de la technique13.
Il est important de souligner ici que toute divulgation d’information
concernant l’invention risque de miner le caractère nouveau de
celle-ci. Il faudra donc porter une attention très particulière à la
nature et au moment de la divulgation de l’information sur l’invention afin de vérifier si cette information ne fait pas partie dorénavant de l’état de la technique. La règle générale veut que toute
divulgation faite dans les 6 mois précédant le dépôt de la demande de
brevet n’entraîne aucun risque pour la nouveauté de l’invention14.
Nous pouvons donc comprendre que les chercheurs devront être
patients avant de publier les résultats de leur labeur s’ils veulent
protéger leurs droits quant à ceux-ci. C’est d’ailleurs pourquoi nous
retrouvons, dans la grande majorité des protocoles de recherche biomédicale financés par des fonds privés, des clauses de confidentialité
et de non-publication très strictes, même si l’information en question
pourrait être d’un secours ou d’une utilité immédiate pour certains
membres de la collectivité. Considérant les sommes astronomiques
attribuées par le secteur privé à la recherche biotechnologique, la
protection de l’information scientifique nouvelle issue de la recherche s’avère essentielle afin de rentabiliser les investissements et
assurer, de ce fait, les recherches futures.
En ce qui a trait à l’activité inventive, le droit considère qu’une
invention implique une activité inventive «si pour un homme du
métier elle ne découle pas d’une manière évidente de l’état de la technique»15. La principale tâche de l’Office des brevets sera de comparer
10.
11.
12.
13.
14.
15.
CBE, art. 52(1); CPI, art. L. 611-10(1); ADPIC, art. 27(1).
CBE, art. 54(1); CPI, art. L. 611-11 al. 1.
CBE, art. 54(2); CPI, art. L. 611-11 al. 2.
CBE, art. 54(3); CPI, art. L. 611-11 al. 3.
CBE, art. 55; CPI, art. L. 611-13.
CBE, art. 56; CPI, art. L. 611-14.
664
Les Cahiers de propriété intellectuelle
l’invention avec la pratique (ou l’état de la technique) utilisée pour
résoudre le problème en question ou un problème similaire.
Pour sa part, une invention sera considérée d’application industrielle «si son objet peut être fabriqué ou utilisé dans tout genre
d’industrie»16.
Il est important de préciser ici que le droit des brevets couvre
uniquement les inventions. Cette distinction s’avérera cruciale lors
de l’étude du droit des brevets en matière de recherche en génétique
humaine. On peut noter à cet effet que le droit européen spécifie précisément que les découvertes et les théories scientifiques ne sont pas
des inventions17. De plus, les méthodes de traitement chirurgical ou
thérapeutique tout comme les techniques de diagnostic appliquées
au corps humain ne sont pas considérées d’application industrielle et
donc ne sont pas brevetables18. Toutefois, cette règle ne couvre pas
les substances ou les produits ayant des vertus thérapeutiques ou
servant à la réalisation des techniques en question. Les médicaments sont donc brevetables. Le droit européen prévoit d’autres
exceptions à la brevetabilité.
2.3 Les exceptions à la brevetabilité
Les exceptions à la brevetabilité couvrent deux principes fondamentaux: la moralité et la biodiversité.
En premier lieu, un brevet ne sera pas délivré si la mise en
œuvre ou la publication de l’invention était contraire à l’ordre public
ou aux bonnes mœurs19. On précise, par contre, que ce n’est pas
parce qu’une invention est interdite par la loi qu’elle sera nécessairement jugée contraire à l’ordre public.
Le Code français de propriété intellectuelle se distingue de la
Convention de Munich en précisant que «le corps humain, ses éléments et ses produits ainsi que la connaissance de la structure totale
ou partielle d’un gène humain ne peuvent, en tant que tels, faire
l’objet de brevets»20. Cette précision fut apportée au Code de propriété intellectuelle en 1994 lors de l’adoption de la Loi no 94-653
relative au respect du corps humain. Nous remarquerons ultérieure16.
17.
18.
19.
20.
CBE, art. 57; CPI, art. L. 611-15.
CBE, art. 52(2)a) CPI, art. L. 611-10(2)a).
CBE, art. 52(4); CPI, art. L. 611-16; ADPIC, art. 27(3)a).
CBE, art. 53a); CPI, art. L. 611-17a); ADPIC, art. 27(2).
CPI, art. L. 611-17a) in fine.
Brevetabilité et génétique humaine
665
ment que cette exception française au droit commun européen des
brevets déroge également à la Directive 98/44/CE et est à l’origine
du débat politique qui a actuellement lieu entre la Communauté
européenne et la France. Nous examinerons également s’il y a lieu de
considérer la brevetabilité du corps humain, en tout ou en partie,
comme étant contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs.
En second lieu, il est impossible de breveter «les variétés végétales ou les races animales ainsi que les procédés essentiellement
biologiques d’obtention de végétaux ou d’animaux»21. On indique
cependant que cette exception ne s’applique aucunement aux procédés micro-biologiques et aux produits découlant de ces procédés22.
Fait intéressant, l’Accord sur les aspects des droits de propriété
intellectuelle qui touchent au commerce de l’OMC, ajoute une catégorie d’exclusion qui chevauche à la fois la protection de la biodiversité et le respect de l’ordre public. L’ADPIC énonce au second
paragraphe de l’article 27:
Les membres pourront exclure de la brevetabilité les inventions dont il est nécessaire d’empêcher l’exploitation commerciale sur leur territoire pour protéger l’ordre public ou la
moralité, y compris pour protéger la santé et la vie des personnes
et des animaux ou préserver les végétaux, ou pour éviter des
atteintes graves à l’environnement, à condition que cette exclusion ne tienne pas uniquement au fait que l’exploitation est
interdite par leur législation. (Les italiques sont nôtres)
Bien que cet article soit non contraignant (on remarque ici
l’utilisation du verbe pouvoir), ce paragraphe illustre un choix de
société fait par les États européens et français de ne pas intégrer ce
volet à leur législation. Les raisons sont probablement, selon nous,
de deux ordres. Premièrement, la protection de la santé et de
l’intégrité des personnes est protégée à la fois par l’ordre public et la
moralité. Deuxièmement, la protection des animaux, des végétaux et
de l’environnement en général comme exclusion de la brevetabilité
offrirait peut-être un champ trop large qui risquerait de freiner la
recherche et le développement économique en Europe.
L’étude des exceptions à la brevetabilité nous permet de constater que le droit commun européen en matière de brevet n’empêche
21. CBE, art. 53b); CPI, art. L. 611-17b) et c); ADPIC, art. 27(3)b).
22. Ibid.
666
Les Cahiers de propriété intellectuelle
pas la brevetabilité du «corps humain, ses éléments et ses produits
ainsi que la connaissance de la structure totale ou partielle d’un gène
humain»23. Cette constatation a d’ailleurs été soulignée par le considérant 15 de la Directive 98/44/CE24. Une étude de la procédure de
demande de brevet ainsi que de l’étendue de la protection conférée
par le brevet européen s’avère donc de mise afin de porter un regard
plus juste sur l’application de la brevetabilité à la génétique
humaine.
2.4 La procédure de demande de brevet
Selon le droit européen des brevets, une invention doit être présentée dans la demande de brevet de façon claire et complète de sorte
qu’un homme du métier puisse l’utiliser25.
La Convention de Munich tout comme le Code de propriété
intellectuelle prévoient également que «lorsque l’invention concerne
l’utilisation d’un micro-organisme auquel le public n’a pas accès, la
description n’est pas considérée comme exposant l’invention d’une
manière suffisante si une culture de micro-organisme n’a pas fait
l’objet d’un dépôt auprès d’un organisme habilité»26.
Le détail de l’information à être déposée avec la demande de
brevet permet à l’Office des brevets d’apprécier la brevetabilité ou
non de l’information en question. En effet, le détail du contenu d’une
description d’invention en vertu de la règle 27 RCBE fait notamment
mention du domaine technique, de l’état de la technique antérieure à
celle-ci, la nouveauté de l’invention par rapport à la technique antérieure, l’un des modes de réalisation de l’invention ainsi que son
application industrielle. D’autre part, l’équivalent de la règle 27
RCBE est absent sous le Code français de propriété intellectuelle.
Cette absence suggère que l’évaluation de la brevetabilité d’une
invention soit moins approfondie que sous la Convention de Munich.
Toutefois, les articles L. 612-12 et L. 612-14 sont suffisamment
larges pour permettre une évaluation similaire. D’autre part, l’évaluation de la brevetabilité peut être sujette à l’appréciation du
public.
23. CPI, art. L. 611-17a).
24. «considérant que ni le droit national ni le droit européen des brevets (convention de Munich) ne comportent, en principe, d’interdiction ou d’exclusion frappant la brevetabilité de la matière biologique;».
25. CBE, art. 83; CPI, art. L. 612-5 al. 1.
26. Règlement d’exécution sur la convention de délivrance des brevets européens
(ci-après: RCBE), règle 28; CPI, art. L. 612-5 al. 2.
Brevetabilité et génétique humaine
667
La procédure de demande de brevet est effectivement une procédure que l’on peut qualifier de publique. En effet, toute demande
de brevet est publiée à compter de l’expiration du délai de dix-huit
mois suivant la date de dépôt de la demande27. Le public peut faire la
demande des rapports de l’état de la technique afin d’apprécier la
brevetabilité de l’invention28. De plus, toute personne peut présenter
ses observations sur la brevetabilité de l’invention faisant l’objet de
la demande29. Une fois le brevet délivré, le public peut toujours se
prononcer sur la brevetabilité de l’invention.
Tout brevet européen peut faire l’objet d’une opposition par
toute personne pour les motifs suivants: l’objet du brevet n’est pas
brevetable et la description de l’invention ne permet pas son exécution par un homme du métier30.
L’étude de la procédure de demande de brevet nous permet de
voir que le public peut participer à l’attribution des brevets et de ce
fait même avoir accès à l’ensemble de l’information scientifique
reliée à l’invention. On peut, a priori, s’interroger si le brevet freine
réellement le partage du savoir scientifique en matière de génétique
humaine. Il est possible toutefois que la protection accordée par le
brevet mine l’utilisation de l’information en question.
2.5 La protection de l’invention brevetée
Le brevet offre un droit exclusif d’exploitation de l’invention31.
La durée de ce droit exclusif est de vingt ans à compter de la date de
dépôt de la demande de brevet32.
Il est important de souligner qu’en vertu du Code français de
propriété intellectuelle, «si l’objet du brevet porte sur un procédé, la
protection conférée par le brevet s’étend aux produits obtenus directement par ce procédé»33. Compte tenu de notre connaissance limitée
et de l’effervescence de la recherche en génétique humaine, nous
pouvons imaginer que cette disposition risque d’être évoquée de
façon répétée si les brevets octroyés sont trop généraux. Plusieurs
recherches pourraient être interdites au nom du brevet sur le procédé en question.
27.
28.
29.
30.
31.
32.
33.
CBE, art. 93; CPI, art. L. 612-21 et L. 612-22.
CPI, art. L. 612-23.
CBE, art. 115; CPI, art. L. 612-13 al. 3.
CBE, art. 99 et 100.
CBE, art. 64; CPI, art. L. 613-1 et L. 611-1.
CBE, art. 63; CPI, art. L. 611-2(1).
CPI, art. L. 613-2 al. 2.
668
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Le droit conféré par le brevet est principalement un droit prohibitif où un ensemble d’actions devient interdit sans le consentement
du titulaire du brevet. Ainsi, sont interdites en vertu du Code français de propriété intellectuelle:
a) La fabrication, l’offre, la mise dans le commerce, l’utilisation
ou bien l’importation ou la détention aux fins précitées du produit objet du brevet;
b) L’utilisation d’un procédé objet du brevet ou, lorsque le tiers
sait ou lorsque les circonstances rendent évident que l’utilisation du procédé est interdite sans le consentement du propriétaire du brevet, l’offre de son utilisation sur le territoire
français;
c) L’offre, la mise dans le commerce ou l’utilisation ou bien
l’importation ou la détention aux fins précitées du produit
obtenu directement par le procédé objet du brevet.34
Le caractère exclusif et prohibitif du brevet ainsi que sa durée
d’existence soulève effectivement un doute sur le libre cours de la
recherche en génétique humaine. Cependant, tirer cette conclusion
maintenant serait définitivement trop hâtif. Il faut soulever le voile
des préjugés et étudier de façon approfondie chacun des aspects de la
brevetabilité sous le regard de la génétique humaine. Une fois ce
regard porté, nous serons davantage en mesure de répondre s’il y a
réellement entrave à la recherche génomique et ensuite vérifier si la
Directive 98/44/CE apporte un élément de solution en mesure de
rallier les intérêts concurrents.
3. Le génome humain, l’ADN, les gènes et les SNPs
comme objets de brevetabilité
L’application du droit des brevets au génome humain et ses
composantes nécessite une étude des conditions de brevetabilité, des
exclusions à la brevetabilité et du mécanisme d’opposition.
Nous avons vu plus haut que les conditions de brevetabilité
sont la nouveauté, l’activité inventive et l’utilité ou l’application
industrielle. Le génome humain sous ces conditions peut-il être brevetable en vertu de la CBE? La réponse à cette question semble être
34. CPI, art. L. 613-3; voir également art. L. 613-4.
Brevetabilité et génétique humaine
669
positive, malgré le fait que les brevets sont remis pour les inventions
et non pas pour les découvertes. En effet, une découverte devient
invention lorsqu’elle enrichit le savoir-faire humain. L’enrichissement de la connaissance humaine n’est pas brevetable:
Ainsi, la simple séquence d’un génome appartient au domaine
de la découverte, et par conséquent elle n’est déjà pas susceptible d’être protégée par brevet. Si par contre une séquence
d’ADN a pu être extraite de son environnement naturel à l’aide
d’un procédé technique et mis pour la première fois à disposition pour une application industrielle, on passe alors de la
connaissance au savoir-faire.35
Ainsi, une telle séquence d’ADN, un tel gène, un tel EST ou
SNP sera considéré brevetable s’il est considéré comme une invention, s’il n’a pas été rendu public et s’il ne découle pas de l’état de la
technique. Évidemment, la brevetabilité dépend toujours du fait que
l’invention ne se retrouve pas dans l’une des catégories susceptibles
d’exclusion.
Les exceptions à la brevetabilité sous la CBE touchent la moralité et la biodiversité. Ces exceptions, que l’on retrouve à l’article 53
CBE, sont vagues et leur interprétation par l’Office européen des
brevets laisse présager qu’elle ne mettra pas frein à la brevetabilité
du génome humain.
En ce qui a trait à la question de la moralité de la recherche
génétique, l’alinéa a) de l’article 53 CBE laisse ouvertes toutes les
avenues possibles. Dans tous les cas de brevetabilité des résultats
d’une recherche génétique, nous pouvons trouver de part et d’autre
des arguments moraux valables; le problème est que ces derniers ne
devraient peut-être pas être de même importance et à cet effet la
Convention de Munich est muette. Il faut donc s’en remettre à
l’appréciation de l’Office européen des brevets et son interprétation,
jusqu’à présent, fut principalement fondée sur le principe moral de
non-malfaisance. En effet, le principe établi dans la cause de la souris oncogène de Harvard est que l’invention est brevetable et non
contraire à la moralité ou l’ordre public si le bénéfice de l’invention
pour l’espèce humaine est plus grand que le risque de souffrance
pour l’animal ou le risque pour l’environnement36.
35. INTELLECTUAL PROPERTY RIGHTS (IPR), La protection des inventions
biotechnologiques en Europe, en ligne: http://www.ipr-helpdesk.org/t_fr/i/
i400_002.htm (date d’accès: 7 décembre 2000).
36. EP 169672.
670
Les Cahiers de propriété intellectuelle
C’est donc un examen d’évaluation des conséquences et des
dangers possibles d’une invention par rapport aux avantages liés à
son utilisation qui juge de la moralité ou non d’une invention. Sous
cet angle nous pouvons comprendre qu’uniquement les cas extrêmes
que le public considère effrayants seront considérés exclus de la brevetabilité par l’Office européen des brevets. Dans le cas de la génétique humaine, il semble a priori, en tenant compte du savoir actuel,
que seules les inventions impliquant une technique de clonage reproductif ou une technique de thérapie génique germinale risque de
tomber sous l’exclusion d’ordre public et encore certains arguments
moraux pourraient être plaidés en faveur de l’invention en question.
Par son ambiguïté, l’exclusion d’ordre public ne pose donc pas de réel
obstacle à la brevetabilité du génome humain. Le manque de clarté
de la seconde catégorie d’exclusion entraîne la même conséquence.
Le second alinéa de l’article 53 CBE mentionne que les variétés
végétales, les races animales ainsi que les procédés essentiellement
biologiques ne peuvent être brevetés. Ne tombent pas sous le coup de
cette exclusion toutefois les procédés microbiologiques ainsi que les
produits obtenus par ces procédés. Le principal problème relié à cette
exclusion, comme le mentionne l’IPR, est qu’aucune des notions mentionnées sous 53b) CBE ne sont définies37. En ce qui a trait principalement à la génétique humaine, l’interprétation de la notion de
«procédés essentiellement biologiques» est importante. Un procédé
est considéré biologique si le rôle de l’intervention humaine n’est
qu’accessoire au procédé. L’évaluation du procédé dépend donc du
«degré technique de l’intervention humaine sur le procédé»38.
Ainsi, la brevetabilité d’un gène, d’une séquence d’ADN ou d’un
SNP attribuable à une condition quelconque pourrait s’avérer impossible puisque l’intervention humaine n’est qu’accessoire au procédé
qui est essentiellement biologique. Cependant, l’article 53 CBE
indique également que l’exclusion ne s’applique pas aux procédés
microbiologiques. Or, il appert qu’en pratique, l’Office européen des
brevets assimile également le domaine de la biologie cellulaire et
moléculaire aux procédés microbiologiques. Ainsi, les inventions
relatives à des gènes ou des protéines peuvent jouir de la protection
du brevet.
L’étude des conditions de brevetabilité et des clauses d’exclusions à celle-ci nous permet de réaliser que le droit européen des
37. IPR, La protection des inventions biotechnologiques en Europe, supra, note 35.
38. Ibid.
Brevetabilité et génétique humaine
671
brevets permettait déjà de breveter le génome humain et ses différentes parties. D’ailleurs, cet état de fait est reconnu par la Directive
98/44/CE. En effet, la Directive mentionne au quinzième considérant que:
[c]onsidérant que ni le droit national ni le droit européen des
brevets (convention de Munich) ne comportent, en principe,
d’interdiction ou d’exclusion frappant la brevetabilité de la
matière biologique;
De plus, elle ajoute au huitième considérant que:
[c]onsidérant que la protection juridique des inventions biotechnologiques ne nécessite pas la création d’un droit particulier se substituant au droit national des brevets; que le droit
national des brevets reste la référence essentielle pour la
protection juridique des inventions biotechnologiques, étant
entendu qu’il doit être adapté ou complété sur certains points
spécifiques pour tenir compte de façon adéquate de l’évolution
de la technologie faisant usage de matière biologique, mais
répondant néanmoins aux conditions de brevetabilité;
L’objectif de la Directive 98/44/CE n’est donc pas d’établir un
cadre juridique à la brevetabilité puisque celui-ci est déjà établi.
La Directive a pour objectif de régler un autre problème relatif à
la brevetabilité des inventions biotechnologiques en Europe. Nous
constaterons que ce problème est essentiellement un problème d’harmonisation des normes européennes en matière de brevet.
4. La Directive 98/44/CE sur les inventions
biotechnologiques
L’adoption de la Directive 98/44/CE répondait à la nécessité
d’une action communautaire afin d’assurer la participation de l’Europe à l’essor que connaît la biotechnologie. Cette nécessité est
exprimée et détaillée dans les considérants de la Directive. La lecture de ceux-ci permet de comprendre l’intention du législateur.
Quant aux dispositions mêmes de la Directive, celles-ci tentent de
clarifier les silences de la CBE et de fournir le chemin à prendre aux
États membres qui étaient déjà à la recherche de pistes de solution. Reste à savoir maintenant si la voie suggérée par la Directive
98/44/CE est bien celle que l’on doit prendre.
672
Les Cahiers de propriété intellectuelle
4.1 Harmonisation – Protection – Diffusion de l’information
Le but principal de la Directive 98/44/CE, tel que décrit par
le premier considérant, est d’assurer une protection adéquate aux
inventions biotechnologiques qui représenteront dans un avenir rapproché «une importance essentielle au développement industriel de
la Communauté». Comme nous l’avons préalablement mentionné en
introduction, le considérant 2 rappelle l’importance d’offrir une protection juridique adéquate afin de rentabiliser les sommes faramineuses investies dans la recherche génétique.
La solution privilégiée par la Directive 98/44/CE est celle mentionnée au considérant 3, soit «une protection efficace et harmonisée
dans l’ensemble des États membres». La Directive souligne, entre
autres, les nombreuses divergences entre les législations et les pratiques des différents États membres dans le domaine de la protection des inventions biotechnologiques. La Communauté européenne
craint que celles-ci ne fassent obstacle aux échanges et, de ce fait, au
fonctionnement du marché intérieur39.
Comme la CBE ne représente que le droit commun en Europe et
que ses dispositions en matière d’inventions génétiques et biotechnologiques manquent définitivement de clarté, il est vrai que l’on peut
craindre que le territoire européen devienne une sorte de tour de
Babel juridique en matière de brevet, au point que l’obtention d’un
brevet européen perde complètement de sa signification à l’intérieur
des États membres40. L’harmonisation s’avère donc nécessaire afin
d’assurer aux investisseurs une protection adéquate sur l’ensemble
de la Communauté européenne.
39. Parlement européen, Directive 98/44/CE, supra, note 1, considérant 5.
40. Lire à cet effet le considérant 9: «considérant que, dans certains cas, comme
celui de l’exclusion de la brevetabilité des variétés végétales et des races animales ainsi que des procédés essentiellement biologiques d’obtention de végétaux ou d’animaux, certaines notions des législations nationales, fondées sur
les conventions internationales relatives aux brevets et aux variétés végétales,
ont suscité des incertitudes concernant la protection des inventions biotechnologiques et de certaines inventions micro-biologiques; que, dans ce domaine,
l’harmonisation est nécessaire pour dissiper ces incertitudes;». Un exemple
de législation nationale que tente d’harmoniser la Directive 98/44/CE est
l’article L. 611-17a) CPI: «Les inventions dont la publication ou la mise en
œuvre serait contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs, la mise en œuvre
d’une telle invention ne pouvant être considérée comme telle du seul fait qu’elle
est interdite par une disposition législative ou réglementaire; à ce titre, le corps
humain, ses éléments et ses produits ainsi que la connaissance de la structure
totale ou partielle d’un gène humain ne peuvent, en tant que tels, faire l’objet
de brevets (L. no 94-563 du 29 juillet 1994, art. 7).»
Brevetabilité et génétique humaine
673
L’autre objectif de la Directive 98/44/CE est de favoriser la
diffusion des connaissances en matière biotechnologique. Le considérant 11 fait d’ailleurs état de l’importance de la diffusion des connaissances pour le bien-être de la communauté internationale:
[c]onsidérant que le développement des biotechnologies est
important pour les pays en voie de développement, tant dans le
domaine de la santé et de la lutte contre les grandes épidémies
et endémies que dans le domaine de la lutte contre la faim dans
le monde; qu’il convient d’encourager de même, par le système
des brevets, la recherche dans ces domaines; qu’il convient par
ailleurs de promouvoir des mécanismes internationaux assurant la diffusion de ces technologies dans le tiers monde et au
profit des populations concernées.41
Tels sont donc les trois objectifs de la Communauté européenne
par l’adoption de la Directive 98/44/CE: harmonisation, protection
et diffusion. À ceux-ci nous pourrions ajouter certains autres objectifs inhérents, tels que compétitivité et rentabilité. Il serait facile de
prétendre, suite à la présentation de ces objectifs, que la Communauté européenne fait abstraction des enjeux éthiques reliés à la
commercialisation du vivant; tel n’est pas le cas. Le législateur européen est très conscient de ces enjeux et ceux-ci ont été pris en considération.
4.2 Ordre public et moralité
Après avoir expliqué les objectifs de la Directive, le législateur
poursuit avec une suite de considérants sur la protection de la population et le respect des normes éthiques en vigueur. En effet, la lecture des considérants de la Directive 98/44/CE permet de réaliser
l’importance qu’accorde le Parlement européen à la recherche en
génétique humaine. Le législateur européen émet d’ailleurs une
série de considérants sur la recherche génétique qui ont sûrement
pour conséquence de rassurer la population sur les questions légitimes qu’elle se pose quant à la brevetabilité du génome.
Le considérant 19 de la Directive énonce que le législateur a
pris en considération les recommandations de l’avis no 8 du groupe
de conseillers pour l’éthique de la biotechnologie de la Commission
européenne (GAEIB)42. La lecture de l’avis permet de constater que
41. Id., considérant 11.
42. Groupe de conseillers pour l’éthique de la biotechnologie de Commission européenne (GAEIB), Les aspects éthiques de la brevetabilité des inventions sur les
674
Les Cahiers de propriété intellectuelle
la Directive a repris pratiquement de façon textuelle les recommandations du groupe.
Le GAEIB recommande premièrement que la Directive s’assure que les critères de brevetabilité de nouveauté, d’activité inventive et d’application industrielle prennent en compte les principes
éthiques de respect des droits de la personne et de respect de la
dignité humaine43. Deuxièmement, le GAEIB ajoute que, puisque
seules les inventions sont brevetables, «les connaissances se rapportant au corps humain ou à ses éléments relèvent du domaine de la
découverte scientifique et ne sauraient être brevetables»44. Cette
deuxième recommandation du GAEIB fait référence également au
principe éthique de la non-commercialisation du corps humain, principe qui est inhérent à plusieurs considérants de la Directive concernant l’interprétation des conditions de brevetabilité des inventions
biotechnologiques. À cet effet l’avis du GAEIB affirme que:
Le corps humain, aux différents stades de sa constitution et de
son développement, de même que ses éléments, ne peuvent
constituer des inventions brevetables. Une telle exclusion ne
découle pas seulement des conditions habituelles de la brevetabilité, mais s’inspire également du principe éthique de noncommercialisation du corps humain. C’est pourquoi, aucun brevet ne peut être délivré sur le corps humain ou ses éléments. Il
en résulte également qu’aucun versement d’une rémunération
ne peut être alloué à la personne sur laquelle les prélèvements
sont opérés, ou à ses ayants droit.45
Des principes de respect de la dignité humaine et de l’intégrité
découlent non seulement le principe de la non-commercialisation,
mais également celui de l’autonomie qui est encore une fois mentionné dans l’avis du GAEIB et repris dans les considérants de la
Directive 98/44/CE. L’obligation d’obtenir un consentement libre et
éclairé de la personne sur laquelle des prélèvements sont effectués
doit être respectée46.
43.
44.
45.
46.
éléments d’origine humaine, Bruxelles, [1996] en ligne: http://europa.eu.int/
comm/secretariat_general/sgc/ethics/oldversion/fr/biotec11.htm (date d’accès:
7 décembre 2000).
Id., par. 2.1; Parlement européen, Directive 98/44/CE, supra, note 1, considérant 16.
Id., par. 2.2; Parlement européen, Directive 98/44/CE, supra, note 1, considérant 23.
Id., par. 2.3.
Id., par. 2.4; Parlement européen, Directive 98/44/CE, supra, note 1, considérant 26.
Brevetabilité et génétique humaine
675
La lecture de l’avis du groupe de conseillers pour l’éthique de la
biotechnologie de la Commission européenne et des considérants de
la Directive 98/44/CE confirme la réalisation possible d’une vie commune entre brevets, biotechnologie et éthique. Dans un avis antérieur, le GAEIB affirmait qu’il «ne voit pas de raisons éthiques de
s’opposer par principe à la brevetabilité d’inventions concernant la
matière vivante, même s’il estime que certains types de manipulations génétiques devraient être strictement interdits»47. La question
des manipulations génétiques est cependant une question à laquelle
le droit des brevets aurait déjà la réponse, par le biais de l’article 53
CBE. Le GAEIB a d’ailleurs soulevé que les préoccupations morales
dans le droit européen des brevets existent de longue date et que la
Directive 98/44/CE s’inscrit dans cette tradition48. L’étude des articles de la Directive nous permettra de confirmer ce constat.
4.3 Moyens
La Directive 98/44/CE, par ses dispositions, remplit ses objectifs d’harmonisation et de clarification tout en assurant une place
aux préoccupations morales.
Au niveau de l’harmonisation, l’article premier de la Directive
énonce que le droit national continue de protéger les inventions
biotechnologiques mais que ce dernier devra se conformer, si nécessaire, à ses dispositions. Comme nous l’avons mentionné en introduction, les États membres avaient jusqu’au 30 juillet 2000 pour
conformer leurs lois et réglementations à la Directive49.
Cependant, la question que nous pouvons nous poser est la suivante: dans quelle mesure les États membres doivent-ils se conformer à la Directive? Le second paragraphe de l’article 1 mentionne
que la Directive «n’affecte pas les obligations découlant, pour les
États membres, des conventions internationales, et notamment de
l’accord de l’ADPIC et de la convention sur la biodiversité biolo47. Groupe de conseillers pour l’éthique de la biotechnologie auprès de la Commission européenne, Avis sur les questions éthiques soulevées par la proposition de
la Commission pour une Directive du Conseil concernant la protection juridique
des inventions biotechnologiques, Bruxelles, [1993] en ligne: http://europa.
eu.int/comm/secretariat_general/sgc/ethics/oldversion/fr/biotec06.htm (date
d’accès: 7 décembre 2000).
48. Groupe de conseillers pour l’éthique de la biotechnologie auprès de la Commission européenne, Les aspects éthiques de la brevetabilité des inventions sur les
éléments d’origine humaine, supra, note 42, par. 1.6.
49. Parlement européen, Directive 98/44/CE, supra, note 1, art. 15.
676
Les Cahiers de propriété intellectuelle
gique». Considérant que certains articles viennent confirmer le droit
antérieur et n’apportent pas de réelles modifications au droit national en vigueur, il sera complexe de déterminer si un État membre est
réellement en infraction ou non. Toutefois, cette ambiguïté n’est pas
commune à l’ensemble des dispositions de la Directive.
La Directive 98/44/CE procède à un remarquable effort de clarification de la situation juridique en Europe à l’égard des brevets
d’inventions biotechnologiques. Nous pouvons constater cette clarté
non seulement en ce qui a trait aux définitions, mais également
à l’égard des conditions de brevetabilité ainsi que des causes d’exclusion.
Le second article de la Directive éclaircit la nature de certains
termes qui avaient plutôt tendance à briller par leur obscurité sous
la Convention de Munich. La première notion à être explicitée est
celle de «matière biologique». Une matière est biologique si elle
contient des informations génétiques et si elle est autoreproductible
ou reproductible dans un système biologique50. Il faut comprendre de
cette définition que la Directive réfère ici au génome humain ainsi
qu’aux séquences de celui-ci. Le second terme auquel la Directive
s’attaque est celui du «procédé microbiologique» qui s’entend comme
étant «tout procédé utilisant une matière microbiologique comportant une invention sur une matière microbiologique ou produisant
une matière microbiologique»51.
Nous pouvons remarquer ici la similitude entre la définition de
la Directive et la formulation employée aux articles 53b) CBE et L.
611-17 CPI52. La Directive, encore dans un objectif d’harmonisation,
fait référence au droit antérieur. Il faut se rappeler que la brevetabilité du génome humain ne remonte pas uniquement à 1998.
Le législateur européen énonce pour la première fois de façon
explicite, à l’article 3 de la Directive 98/44/CE, la possibilité de
50. Id., art. 2a).
51. Id., art. 2b).
52. Art. 53b) CBE: «les variétés végétales ou les races animales ainsi que les procédés essentiellement biologiques d’obtention de végétaux ou d’animaux, cette
disposition ne s’appliquant pas aux procédés microbiologiques et aux produits
obtenus par ces procédés». Art. L. 611-17c) CPI: «Les races animales ainsi que
les procédés essentiellement biologiques d’obtention de végétaux ou d’animaux, cette disposition ne s’appliquant pas aux procédés microbiologiques et
aux produits obtenus par ces procédés».
Brevetabilité et génétique humaine
677
breveter la matière biologique humaine. Le Parlement européen
affirme que:
1. Aux fins de la présente directive, sont brevetables les inventions nouvelles, impliquant une activité inventive et susceptibles d’application industrielle, même lorsqu’elles portent sur
un produit composé de matière biologique ou en contenant, ou
sur un procédé permettant de produire, de traiter ou d’utiliser
de la matière biologique.
2. Une matière biologique isolée de son environnement naturel
ou produite à l’aide d’un procédé technique peut être l’objet
d’une invention, même lorsqu’elle préexistait à l’état naturel.
Même si, a priori, cet article est redondant dans la mesure où il
ne fait que répéter les conditions générales de brevetabilité dans le
cas plus précis des inventions biotechnologiques, il vient confirmer
une situation juridique antérieure qui n’avait jamais été auparavant
déclarée dans un texte législatif. L’article 3 n’est, en quelque sorte,
que la conclusion du considérant 15 de la Directive. D’autre part, il
aurait été à notre avis difficile de concevoir la portée de l’article 5
sans cette confirmation de l’état du droit à l’égard des inventions
génétiques.
L’article 5 est déterminant pour l’évaluation des conditions de
brevetabilité du génome humain ou l’une de ses composantes. La
Directive 98/44/CE a suivi à la lettre les recommandations de l’avis
du GAEIB de 199653.
La première recommandation du GAEIB reprise par l’article 5
est celle concernant la distinction entre découverte et invention,
recommandation qui a été également mentionnée par le considérant
23 de la Directive. En effet, la recommandation 2.2 de l’avis du
GAEIB mentionnait que:
[...] Il résulte de cette distinction que les connaissances se
rapportant au corps humain ou à ses éléments relèvent du
domaine de la découverte scientifique et ne sauraient être brevetables. À cet égard, il convient de préciser que la simple
connaissance de la structure totale ou partielle d’un gène ne
peut faire l’objet d’un brevet.
53. Groupe de conseillers pour l’éthique de la biotechnologie auprès de la Commission européenne, Les aspects éthiques de la brevetabilité des inventions sur les
éléments d’origine humaine, supra, note 42.
678
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Cette distinction entre découverte et invention est loin d’être
nouvelle en droit des brevets, mais revêt en matière de recherche
génétique une dimension particulière qui nécessitait, selon le
GAEIB, certains éclaircissements. Nous devons alors nous questionner, une fois que nous croyons être en présence d’une invention génétique, si nous pouvons breveter le gène ou la séquence isolée comme
le laisse sous-entendre la définition du terme «matière biologique» de
l’article 2 de la Directive.
Le second paragraphe de l’article 5 de la Directive 98/44/CE
confirme effectivement que la définition de la matière biologique
inclut une séquence totale ou partielle d’un gène. Cet élément ou
cette séquence peuvent être brevetés, naturellement à la condition
que ceux-ci constituent une invention au sens du paragraphe 1 de
l’article 5. Le droit des brevets continue de s’appliquer et le gène doit
constituer une invention qui répond en tous points aux conditions de
brevetabilité énoncées dans les lois nationales et par le droit commun. Le paragraphe 3 de l’article 5 confirme cette situation et complète par le fait même le second paragraphe.
Dans le respect des conditions de brevetabilité, le déposant
d’une demande de brevet doit concrètement exposer l’application
industrielle d’une séquence ou d’une séquence partielle d’un gène.
Ce paragraphe est conforme à la recommandation 2.5 de l’avis
du GAEIB qui non seulement exigeait une application industrielle
claire, mais voulait s’assurer que la fonction attachée au gène «ouvre
la voie à de nouvelles possibilités».
La lecture de l’article 5 laisse place à une très grande interprétation par les différents offices de brevets, tout en éclairant sur la
nature des inventions génétiques potentielles. Heureusement, les
considérants 16 à 26 de la Directive permettent de mieux circonscrire les conditions de brevetabilité des inventions en génétique
humaine. Il faut également rappeler que les inventions devront se
conformer à l’ordre public et aux bonnes mœurs.
Bien qu’une exclusion à la brevetabilité d’inventions allant à
l’encontre de l’ordre public et des bonnes mœurs soit déjà prévue
sous la CBE, la Directive 98/44/CE a voulu apporter certaines précisions sur la nature des inventions biotechnologiques contraires aux
principes éthiques énoncés par le GAEIB.
Brevetabilité et génétique humaine
679
Ainsi, ce ne sont pas tant les inventions que leur exploitation
commerciale qui serait contraire à l’ordre public et à la moralité
selon le paragraphe premier de l’article 6. L’article 53 CBE traitait
plutôt de la mise en œuvre ou de la publication des inventions.
Peut-on conclure qu’il y a ici limitation des conditions d’exclusion
d’une invention biotechnologique sous la Directive? La Directive
98/44/CE énumère également une liste non exhaustive d’inventions
contraires à l’ordre public ou aux bonnes mœurs:
a) les procédés de clonage des êtres humains;
b) les procédés de modification de l’identité génétique germinale de l’être humain;
c)
les utilisations d’embryons humains à des fins industrielles
ou commerciales;
d) les procédés de modification de l’identité génétique des animaux de nature à provoquer chez eux des souffrances sans
utilité médicale substantielle pour l’homme ou l’animal,
ainsi que les animaux issus de tels procédés.
Afin d’apprécier la nature des règles d’exclusion de brevetabilité, les offices des brevets pourront se référer aux considérants 37 à
43 et 45 de la Directive. Les offices pourront entre autres trouver une
définition du clonage au considérant 41. Quoi qu’il en soit, les offices
des brevets devront garder à l’esprit l’ordre public de leur État respectif puisque c’est à ce dernier que la Directive renvoie principalement54.
À la lumière de la lecture de la Directive 98/44/CE, nous pouvons conclure prima facie que le Parlement européen semble avoir
rempli ses trois objectifs d’harmonisation, de clarification et de réaffirmation des principes éthiques du droit des brevets en matière
d’inventions biotechnologiques. Ce document représente un projet
ambitieux et important pour l’ensemble des États membres de la
communauté européenne.
54. Le considérant 39 de la Directive indique d’ailleurs que «l’ordre public et les
bonnes mœurs correspondent notamment à des principes éthiques ou moraux
reconnus dans un État membre, dont le respect s’impose tout particulièrement
en matière de biotechnologie en raison de la portée potentielle des inventions
dans ce domaine et de leur lien inhérent avec la matière vivante; que ces principes éthiques ou moraux complètent les examens juridiques normaux de la
législation sur les brevets, quel que soit le domaine technique de l’invention».
680
Les Cahiers de propriété intellectuelle
En effet, nous avons mentionné à plusieurs occasions l’enjeu
déterminant que représente la recherche biotechnologique et le
développement de cette industrie pour l’économie européenne.
De plus, la Directive 98/44/CE est un document ambitieux dans
la mesure où elle constitue la première législation internationale
concernant spécifiquement et exclusivement les inventions biotechnologiques55. Toutefois, certains États membres voient les efforts du
Parlement européen d’un autre œil et sont très réticents, pour ne pas
dire réfractaires, à adapter leur droit national. D’autres États refusent catégoriquement de se conformer à la Directive. C’est d’ailleurs
la position de la France, qui a manifesté publiquement son désaccord.
5. L’opposition de certains États membres: la situation
française
À la date d’échéance du 30 juillet 2000, seuls l’Irlande, le Danemark et la Finlande avaient transposé la Directive à l’intérieur de
leur législation nationale56. L’Allemagne vient tout juste d’adopter
une loi harmonisant son droit des brevets57. Ce portrait démontre
bien l’état d’hésitation qui subsiste en Europe quant à l’harmonisation du droit des brevets à l’égard des inventions génétiques et
biotechnologiques58. Pour sa part, la France est passée du stade de
l’hésitation à celui de la désapprobation. En effet, la France risque de
ne pas appliquer la Directive 98/44/CE malgré la défaite de l’Italie
et des Pays-Bas devant la Cour de justice européenne. D’ailleurs, la
désapprobation française fait place à un débat national où divers
intervenants, tant publics que privés, émettent leur opinion sur la
question.
55. Groupe de conseillers pour l’éthique de la biotechnologie auprès de la Commission européenne, Avis sur les questions éthiques soulevées par la proposition de
la Commission pour une Directive du Conseil concernant la protection juridique
des inventions biotechnologiques, supra, note 47, par. 1.2.
56. Dictionnaire permanent de bioéthique, vol. 3, Éditions Législatives, Bulletin 93
(6 octobre 2000), no 116 p. 7711.
57. Quirin SCHIERMEIER, «Germany gives green light to gene patents», (2000)
407 Nature 934.
58. Les Pays-Bas et l’Italie attendent toujours la décision de la Cour de justice
européenne quant au fond de leur demande d’annulation de la Directive
98/44/CE. Les Pays-Bas avaient également présenté le 6 juillet dernier une
demande de sursis d’exécution de la Directive jusqu’à ce que la Cour de justice
européenne statue au fond. La demande de sursis à exécution a été rejetée par
la cour et elle n’a toujours pas statué sur le fond; C.J.E., Royaume des Pays-Bas
c. Parlement Européen, C-377/98 R, [2000] en ligne: http://europa.eu.int/
jurisp.htm (date d’accès: 7 décembre 2000).
Brevetabilité et génétique humaine
681
La situation française paraît à première vue surprenante
puisque la France a originairement ratifié la Directive; alors que
maintenant des membres du gouvernement français allèguent que la
rédaction de la Directive risque d’être mal interprétée et permettre la brevetabilité de séquences d’ADN sans connaissance de son
utilité. D’ailleurs, le gouvernement français a même présenté un
avant-projet de loi afin d’apporter des modifications au Code de la
propriété intellectuelle afin d’harmoniser ce dernier à la Directive
98/44/CE59. L’article 611-17 serait remplacé notamment par l’article suivant:
Art. 611-10-1. Le corps humain, aux différents stades de sa
constitution et de son développement, ainsi que la simple
découverte d’un de ses éléments, y compris la séquence ou la
séquence partielle d’un gène, ne peuvent constituer des inventions brevetables.
Un élément isolé du corps humain ou autrement produit par
un procédé technique, y compris la séquence ou la séquence
partielle d’un gène peut constituer une invention brevetable,
même si la structure de cet élément est identique à celle d’un
élément naturel.
Cette disposition reprend textuellement l’article 5 de la Directive européenne. L’avant-projet de loi s’en distingue, toutefois, par
l’ajout d’une exigence60. En effet, il précise que, lorsque l’invention
porte sur une séquence ou une séquence partielle d’un gène, l’application industrielle doit être clairement exposée dans la demande de
brevet en énonçant la fonction qu’assure la séquence61. Malgré cette
dernière précision, il est reproché à l’avant-projet de loi, tout comme
à la Directive, de manquer de netteté.
Le manque de clarté de la Directive fut soulevé par JeanFrançois Mattei, membre du Parlement français et généticien de
formation. Monsieur Mattei affirme que le second paragraphe de
l’article 5 de la Directive 98/44/CE est imprécis et ouvre la voie aux
abus. Selon la position tenue sur son site Internet, la Directive
59. Avant-projet de loi portant transposition, dans le code de la propriété intellectuelle de la Directive 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil, en date
du 6 juillet 1998, relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques.
60. Cette exigence se retrouve cependant au paragraphe 23 du préambule de la
Directive européenne.
61. Id., art. 611-15.
682
Les Cahiers de propriété intellectuelle
«méconnaît la distinction de l’invention et de la découverte, puisqu’elle précise que le gène isolé ou obtenu artificiellement n’est pas
exclu de la brevetabilité même si la structure de cet élément est identique à celle d’un produit naturel»62.
M. Mattei a véritablement déclenché le débat en France lorsqu’en avril dernier il lançait, conjointement avec Wolfgang Wodarg,
un médecin et député allemand, une pétition exigeant une révision
de la Directive 98/44/CE. Cette pétition fut remise le 8 novembre
dernier au Président de la République, actuellement Président en
exercice de l’Union européenne, et regroupait plus de 10 000 signatures, dont celle d’Hubert Curien, ancien ministre des Sciences, et de
Bernard Barataud, lauréat d’un prix Nobel.
Entre le lancement de la pétition et son dépôt, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) publia le 8 juin un Avis sur
l’avant-projet de loi portant transposition, dans le code de la propriété intellectuelle, de la Directive 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil, en date du 6 juillet 1998, relative à la protection
juridique des inventions biotechnologiques63. Par cet avis, le CCNE
reconnaît la nécessité d’une harmonisation européenne tout en indiquant que le brevet constitue un encouragement à la recherche et
que la biotechnologie ne devait échapper à ces considérations64.
Cependant, le comité établissait quelques mises en garde en ce qui
concerne la recherche génétique:
Sur le plan particulier des brevets, sa régulation est confiée aux
autorités qui ont assumé cette mission au nom d’un droit
sophistiqué, élaboré à une époque où le génie génétique n’existait pas et où les inventions ne concernaient pas le vivant en
particulier le corps humains et ses éléments [...] Les connaissances sur la génétique et la revendication de brevets dans ce
domaine se développent en même temps, sans que puissent être
perçus toujours en temps utile les enjeux éthiques et sans que
l’on sache qui conduit l’évolution.65
62. Jean-François MATTEI, Appel contre la brevetabilité des gènes humains,
en ligne: www.respublica.fr/sos.humangenome/index1.htm (date d’accès: 7
décembre 2000).
63. Comité consultatif national d’éthique, Avis sur l’avant-projet de loi portant
transposition, dans le code de la propriété intellectuelle de la Directive
98/44/CE du Parlement européen et du Conseil, en date du 6 juillet 1998, relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques, no 64, 8 juin
2000, en ligne: www.ccne-éthique.org (date d’accès: 7 décembre 2000).
64. Id., par. 1.
65. Ibid.
Brevetabilité et génétique humaine
683
Ces enjeux éthiques se regroupent sous trois grands principes,
soit la non-commercialisation du corps humain, le libre accès à la
connaissance du gène et le partage de cette connaissance66.
Le principe de la non-commercialisation du corps humain a
déjà fait l’objet d’études de la part du CCNE67. Selon le comité, affirmer la non-commercialisation du corps humain sous-tend deux propositions: premièrement le corps de l’homme ou l’un de ses éléments
ne peut être l’objet d’un contrat, deuxièmement le corps humain ne
peut être négocié par quiconque68. Le CCNE mentionne cependant
que ce principe touche toute partie du corps humain qui ne peut être
assimilable à une marchandise, bref qui ne peut être brevetable69.
En effet, le CCNE prévient qu’il ne croit pas que la jouissance d’un
brevet industriel soit synonyme d’un droit de propriété sur la
matière brevetée. Cependant, le comité croit que le droit de
l’inventeur doit prendre en considération le contexte de la génétique70. Ce contexte est le suivant:
[l]e gène humain porte inscrits dans sa séquence des déterminants élémentaires fondamentaux de l’être humain; son rapport au corps humain est, de ce fait, d’une toute autre signification que pour d’autres molécules; décrypter l’information
que porte le gène, c’est ouvrir la compréhension du vivant et si
ce vivant est humain, cette compréhension est fondamentale
pour les êtres humains que nous sommes.71
C’est d’ailleurs ce contexte propre au génome humain qui
amène le CCNE à affirmer que l’ensemble de l’information contenue
dans le génome humain appartient au patrimoine commun de l’humanité72. Les chercheurs devraient donc avoir libre accès à la con66. Id., par. 2.
67. Comité consultatif national d’éthique, Avis sur la non-commercialisation du
corps humain, no 21, 13 décembre 1990, en ligne: www.ccne-éthique.org (date
d’accès: 7 décembre 2000); Comité consultatif national d’éthique, Avis sur la
non-commercialisation du génome humain. Rapport. Réflexions générales sur
les problèmes éthiques posés par les recherches sur le génome humain, no 27, 2
décembre 1991, en ligne: www.ccne-éthique.org (date d’accès: 7 décembre
2000).
68. Comité consultatif national d’éthique, Avis sur la non-commercialisation du
corps humain, supra, note 67.
69. Ibid.
70. Comité consultatif national d’éthique, supra, note 63, par. 2.
71. Ibid.
72. Comité consultatif national d’éthique, Avis sur la non-commercialisation du
génome humain. Rapport. Réflexions générales sur les problèmes éthiques posés
par les recherches sur le génome humain, supra, note 67, avis.
684
Les Cahiers de propriété intellectuelle
naissance du gène et cette dernière ne devrait pas pouvoir faire
l’objet de monopole.
Dans le même ordre d’idée, le potentiel de la connaissance génétique est tel que non seulement les chercheurs devraient avoir libre
accès à la connaissance, mais cette connaissance devrait être partagée à l’ensemble de la planète. Le CCNE soulève d’ailleurs les dangers d’une disproportion du savoir entre les pays riches et les pays les
plus pauvres, ainsi que les risques que ce savoir émane d’un pillage
du matériel génétique obtenu dans ces mêmes pays73.
Partant de ces principes, le CCNE conçoit que la conciliation
entre l’éthique et la brevetabilité est possible si nous adoptons une
conception large, et compréhensible de tous, du domaine relevant de
la découverte74. Le comité soulève de ce fait même la difficulté
actuelle à distinguer entre découverte et invention dans le domaine
de la génétique, reprochant du même coup le caractère permissif de
la Directive 98/44/CE et de l’avant-projet de loi français75.
Le CCNE conteste ainsi les dispositions de l’avant-projet de loi
concernant la possibilité de breveter un gène isolé par clonage76,
arguant que le clonage automatisé d’un fragment d’ADN n’implique
aucune activité inventive77. D’autre part, le comité ajoute que l’obligation de décrire la fonction du gène relève, pour l’essentiel, de
connaissances fondamentales et n’apporte aucune garantie quant au
sérieux de l’application78. Il conclut que:
[...] la connaissance de la séquence d’un gène ne peut en aucun
cas être assimilée à un produit inventé et n’est donc pas brevetable. Son utilisation, comme celle de toute connaissance, bien
commun de l’humanité, ne peut être limitée par l’existence
de brevets qui entendraient au nom du droit de la propriété
intellectuelle protéger l’exclusivité de cette connaissance. En
revanche, les inventions laissant libre accès à cette connaissance peuvent faire l’objet de brevets.79
Bref, on peut comprendre de la position du CCNE que la question de la brevetabilité en matière de recherche génétique humaine
73.
74.
75.
76.
77.
78.
79.
Comité consultatif national d’éthique, supra, note 63, par. 2.
Id., par. 3-1.
Id., par. 3-2.
Id., par. 4.
Id., par. 3-2.
Id., par. 4.
Id., par. 6.
Brevetabilité et génétique humaine
685
est celle d’un problème technique devenu problème éthique, dans la
mesure où «le simple séquençage des gènes est très en avance sur la
compréhension de leurs fonctions»80. En effet, le CCNE croit d’une
certaine façon que la Directive 98/44/CE serait le résultat de la forte
pression exercée par les secteurs industriels et scientifiques de vouloir étendre la portée de la brevetabilité. Le comité croit d’ailleurs
que la prise de position du Parlement européen est trop hâtive et que
le débat sur la question doit continuer, afin de prendre conscience de
la réelle portée de la brevetabilité sur l’accès à la connaissance fondamentale en recherche génétique81.
Le CCNE poursuit sa critique en avançant que le droit des brevets est un droit réducteur de complexité ayant à la fois un rôle de
protecteur de la propriété intellectuelle tout en étant un instrument
économique. Selon le comité, cette double fonction est inappropriée à
la recherche génomique, car elle atténue la présence de certains
inconvénients relatifs à la rentabilité du savoir génétique. Ainsi, le
droit des brevets réduirait les complexités, mais atténuerait du
même coup les enjeux éthiques, politiques et économiques inhérents
à la génétique humaine. En fait, le CCNE démontre, croyons-nous à
juste titre, que le problème de la recherche génétique n’est pas tant
un problème relié au droit des brevets en tant que tel plutôt qu’un
problème relié au statut du génome humain:
En réalité, l’examen qu’a provoqué cette consultation portant
sur le droit des brevets montre que la situation critiquée n’est
pas seulement imputable au régime de la propriété industrielle. Le statut du génome humain pose bien d’autres problèmes non résolus. La mise en place anarchique des banques de
données génétiques, incluant la question du consentement des
personnes concernées, les règles d’accès confuses à ces données,
révèlent la gravité de ces enjeux éthiques. Ces enjeux liés à
l’appropriation de la connaissance génétique sans aucune
invention, sa rétention ou son utilisation en méconnaissance du
principe de non-commercialisation du corps humain posent en
effet des problèmes encore plus redoutables.82
Nous pouvons donc constater que le CCNE croit qu’il est nécessaire et important de protéger les inventions biotechnologiques en
Europe et en France, mais que cette préoccupation économique et
80. Id., par. 3-3.
81. Id., par. 3-4 et 6.
82. Id., par. 5.
686
Les Cahiers de propriété intellectuelle
juridique, aussi légitime qu’elle puisse l’être, ne peut être solutionnée sans un débat démocratique sur le statut du génome
humain.
Effectivement, l’ensemble des positions tenues par les principaux opposants français à l’adoption de la Directive 98/44/CE via
l’avant-projet de loi est fondé sur l’ambiguïté du droit des brevets en
matière de recherche génomique qui se manifeste par le manque de
netteté de l’article 5 de la Directive. Le brevet est-il un instrument
efficace à la protection des inventions génétiques? Devrions-nous
étudier d’autres avenues de protection? Le CCNE ne croit pas que ce
soit le cas. Le CCNE croit plutôt qu’il serait nécessaire d’intégrer les
principes éthiques au droit des brevets d’inventions génétiques.
Il fait d’ailleurs mention des dispositions internationales et plus
particulièrement de la Déclaration universelle du génome humain
adoptée par l’UNESCO. Une étude des documents internationaux
s’impose donc et nous permettra de nous prononcer sur la valeur de
la Directive comme outil de protection des inventions génétiques et
les autres solutions envisageables.
6. Analyse de la Directive 98/44/CE à la lumière du droit
international
Nous pouvons constater qu’un consensus émane de l’étude des
dispositions internationales traitant de la brevetabilité du matériel
génétique. En effet, les normes internationales établissent clairement qu’une séquence d’ADN ne peut être brevetée dans son état
naturel83. Plusieurs organisations considèrent que ces informations,
dans leur état naturel, font parties de l’héritage commun de l’humanité84. Il se dégage des textes internationaux un souci d’équilibre
83. INTERNATIONAL COUNCIL OF SCIENTIFIC UNIONS, «Statement on
Gene Patenting (June 1992)», (1993) 44:2 Int. Dig. Hlth. Leg. 363; FIRST
SOUTH-NORTH HUMAN GENOME CONFERENCE, «Declaration on Patenting of Human DNA Sequences», (1993) 44:2 Int. Dig. Hlth. Leg. 362; UNESCO
(Comité International de Bioéthique), Déclaration Universelle sur le Génome
Humain et sur les droits de l’Homme, Paris, 11 novembre 1997, en ligne:
www.unesco.org/ibc/fr/genome/projet/index.html (date d’accès: 7 décembre
2000) art. 4; INTERNATIONAL SOCIETY OF BIOETHICS (SIBI), Bioethics
Declaration of Gijòn 2000, Gijòn, juin 2000, rec. 8.
84. UNESCO (Comité International de Bioéthique), ibid.; INTERNATIONAL
SOCIETY OF BIOETHICS (SIBI), ibid.; ASSOCIATION MÉDICALE
MONDIALE, Déclaration de l’Association Médicale Mondiale sur le Projet du
Génome Humain, (1993), préambule, par. 9; INTERNATIONAL FEDERATION OF GYNECOLOGY AND OBSTETRICS (Committee of the Study of
Ethical Aspects of Human Reproduction), Recommendations on Ethical Issues
in Obstetrics and Gynecology – Patenting Human Genes, 1997, background,
no. 4-6.
Brevetabilité et génétique humaine
687
entre la protection des droits intellectuels et la libre circulation de
l’information et du matériel nécessaire à la collaboration internationale entre chercheurs85. Une trop grande protection des droits
intellectuels risque de figer le développement de méthodes thérapeutiques et diagnostiques. Nous pouvons remarquer également, au
sein des organismes internationaux, une préoccupation certaine
quant à la protection de l’intérêt général, afin que le public ne soit
pas privé des bénéfices sur la santé liés à la recherche86.
En ce qui a trait aux conditions de brevetabilité, il est établi par
les normes internationales que les inventions issues des biotechnologies sont soumises aux critères généraux au même titre que les
autres technologies87. L’International Council of Scientific Unions
prévoyait en 1992 à l’égard des séquences d’ADN que:
[...] Such sequences should be patentable solely within the
context of their demonstrated significance and/or application
[...] – and not of their potential products (e.g. proteins) – and
provided that this can be shown to be “novel”, “non-obvious”
and “useful”.88
D’autre part, l’ensemble des textes internationaux insiste sur
la nécessité d’établir l’utilité du matériel génétique faisant l’objet de
l’invention, par respect de la condition d’application industrielle89.
85. FIRST SOUTH-NORTH HUMAN GENOME CONFERENCE, «Declaration on
Patenting of Human DNA Sequences», (1993) 44:2 Int. Dig. Hlth. Leg. 362;
INTERNATIONAL COUNCIL OF SCIENTIFIC UNIONS, ibid.; WORLD
HEALTH ORGANISATION, Statement of WHO Expert Advisory Group on
Ethical Issues in Medical Genetics, Genève, 15 et 16 décembre 1997, p. 5;
HUGO, «Statement on Patenting Issues Related to Early Release of Raw
Sequence Data», juillet 1997, en ligne: www.gene.ucl.ac.uk/hugo/ip1997.htm
(date d’accès: 7 décembre 2000).
86. ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTÉ, Clonage et Santé Humaine –
Rapport du Secrétariat (A52/12), Genève, 1er avril 1999 par. 9; HUGO, «Statement on Patenting DNA Sequences», avril 1995, en ligne: www.gene.ucl.ac.uk/
hugo/patent.htm (date d’accès: 23 novembre 2000), sommaire et conclusion.
87. WHO, supra, note 85, p. 5; ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE
(OMC), Accord sur les aspects de droit de la propriété intellectuelle qui touchent
au commerce (ADPIC), 30 novembre 1995, art. 27.
88. INTERNATIONAL COUNCIL OF SCIENTIFIC UNIONS, supra, note 83; au
même effet: WTO, id., art. 27.
89. WHO, supra, note 85, p. 5; INTERNATIONAL COUNCIL OF SCIENTIFIC
UNIONS, supra, note 83; UNESCO, supra, note 84; HUGO, Statement on the
Patenting of DNA Sequences – In Particular Response to the European Biotechnology Directive, avril 2000, en ligne: www.gene.ucl.ac.uk/hugo/patent2000.
html (date d’accès: 23 novembre 2000).
688
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Dans le cadre de la First South-North Human Genome Conference,
en 1992, il fut établi que la protection devrait porter sur l’usage de la
séquence plutôt que sur la séquence elle-même90. Pour sa part, la
Human Genome Organisation (HUGO) s’est prononcée à maintes
reprises à l’effet que des séquences d’ADN ne peuvent être brevetées
si elles ne possèdent aucune application précise et certaine. Cependant, il ne faudrait pas voir dans cette position une opposition à la
brevetabilité du vivant. HUGO est d’ailleurs très claire à cet effet:
HUGO [...] reaffirms its Statements on Patenting of DNA
Sequences of 1992 and 1995, clarifying the fact that HUGO
does not oppose patenting of useful benefits derived from
genetic information, but does explicitly oppose the patenting
of short sequences from randomly isolated portions of genes
encoding proteins of uncertain functions;
[...] expresses the hope that the free availability of raw
sequence data, although forming part of the relevant state of
the art, will not unduly prevent the protection of genes as new
drug targets, which is essential for securing adequate high risk
investments in biology, and will not result in a shift of activities
of the pharmaceutical industry to searching for compounds that
give marginal advantages against known targets rather than
taking risks with new targets.91
D’autre part, HUGO a soulevé certains doutes quant aux risques d’interprétation de la Directive 98/44/CE qui pourrait engendrer l’adoption de brevets à portée trop large et dont l’utilité ne serait
pas explicitement définie:
In particular HUGO [...] expresses serious concern about the
negative impact on further progress of genomic research and
successful exploitation of its results should broad claims of the
so-called “having” and “comprising” type be issued for ESTs.
[...] stresses however the necessity that patent offices and
courts, when examining the requirement of industrial application of the claimed DNA molecules and their sequences, to
require an unambiguous indication and enabling disclosure of
90. FIRST SOUTH-NORTH HUMAN GENOME CONFERENCE, supra, note 83.
91. HUGO, Statement on Patenting Issues Related to Early Release of Raw Sequence Data, London, mai 1997, en ligne: www.gene.ucl.ac.uk/hugo/ip1997.
htm (accédé le 23 novembre 2000).
Brevetabilité et génétique humaine
689
the function and to rigorously examine the indication of functions or the function disclosed.92
Il est intéressant de constater que HUGO soulève des questions
similaires à celles du CCNE à l’égard de la portée des brevets et du
caractère ambigu de sa rédaction. En fait, les documents internationaux rejoignent selon nous la position du CCNE sur deux aspects: le
fait que le génome fasse partie du patrimoine de l’humanité et la
crainte engendrée par l’octroi de brevets possédant une trop grande
portée.
Il aurait pu être intéressant d’étudier les autres aspects de la
position internationale à l’égard de la brevetabilité du vivant, principalement en ce qui a trait aux donneurs et à la relation entre ceux-ci
et les chercheurs. Cependant, notre principal objectif ici était d’étudier la légitimité de la critique française et principalement celle du
CCNE qui s’avère, selon nous, plus détaillée que la position présentée par le politicien Mattei. Maintenant, une fois cette légitimité
démontrée, est-ce qu’un moratoire est réellement la solution? Cette
question nous permettra de conclure cette discussion.
Conclusion
La Directive 98/44/CE est un document extrêmement important pour le droit des brevets européen et international puisqu’elle
constitue la première législation internationale sur les brevets
d’inventions biotechnologiques et génétiques. Cependant, le texte
comporte certaines lacunes, lesquelles se manifestent par une hésitation généralisée des États membres à vouloir l’intégrer à leur
droit national.
Certains pays, comme la France, exigent un moratoire sur
l’application de la Directive et l’ouverture d’un débat public afin de
procéder à une révision de la Directive. Mais devons-nous en arriver
à ce point?
L’adoption de la Directive 98/44/CE est le fruit de dix années
de débats virulents entre les États membres et son adoption fut
ratifiée par ces derniers, y compris la France. De plus, la Directive
tient compte des considérations éthiques soulevées par le GAEIB et
a d’ailleurs intégré textuellement les recommandations du GAEIB à
92. Ibid.
690
Les Cahiers de propriété intellectuelle
l’intérieur de son texte. La démarche européenne a d’ailleurs été
félicitée par HUGO qui émet toutefois certaines craintes, lesquelles
ont été également soulevées par le CCNE. Ces craintes doivent être
prises en considération.
La première concerne la définition du terme «matière biologique» à l’article 2 de la Directive, qui inclut toutes informations
génétiques sans apporter de spécifications quant au génome
humain. Cette définition semble ouvrir la voie à une forme d’appropriation du corps humain, allant à l’encontre du principe de noncommercialisation et de la déclaration de l’UNESCO à l’effet que le
génome humain est le patrimoine de l’humanité. En effet, la notion
de patrimoine de l’humanité en droit international assure une réglementation de ce patrimoine dans l’intérêt de l’humanité entière en ce
qui a trait, entre autres, aux aspects suivants:
1. tout lieu, objet, produit, animé ou inanimé désigné sous
cette notion ne peut être approprié;
2. une autorité internationale devrait être responsable de la
gestion de ce patrimoine et de ses produits;
3. tous les bénéfices émergeant de l’exploitation de ce patrimoine devraient être distribués équitablement;
4. le patrimoine doit être géré de façon pacifique;
5. le patrimoine et ses ressources doivent être gérés et protégés en vue d’un bénéfice pour les générations présentes et à
venir.93
Cependant, l’application de cette théorie ne peut s’appliquer au
génome, du moins pas sous cette forme, puisque l’article premier de
la Déclaration Universelle sur le Génome Humain mentionne dans sa
version finale que le génome humain est dans un sens symbolique
patrimoine de l’humanité. D’autre part, il est important encore une
fois de souligner que le brevet ne protège pas la matière en soi mais
bien l’invention. On peut penser que cette précision est obsolète. Tou93. K. BASLAR, The Concept of the Common Heritage of Mankind in International
Law (La Haye: Klewer Law International, 1998) cité dans B.M. KNOPPERS,
«Biotechnology Sovereignty and Sharing», The Commercialisation of Genetic
Research: Ethical, Legal, and Policy Issues (New York: Kluwer Academic/Plenum Publishers, 1999).
Brevetabilité et génétique humaine
691
tefois nous croyons qu’elle est obsolète dans la mesure où l’on désire
qu’elle soit ainsi.
La seconde crainte relative à la Directive 98/44/CE concerne la
portée de la protection octroyée par les brevets d’inventions génétiques. La plupart des critiques craignent l’interprétation qui sera
donnée au second alinéa de l’article 594. Même si cet alinéa peut sembler poser un problème éthique, nous ne croyons pas que ce soit le cas
sur le plan technique et légal dans la mesure où le second alinéa doit
se lire de concert avec l’ensemble de l’article 5 et que le second alinéa
fait référence à une invention brevetable, ce qui implique que les
autres conditions de brevetabilité devront être respectées.
D’autre part, il n’est pas à l’avantage des compagnies biotechnologiques d’exiger l’octroi d’un grand nombre de brevets à grande
portée puisque cela aurait pour effet de stériliser l’innovation et le
financement de la recherche. En effet, comme l’indique un auteur:
The grant of a large number of patents in an active field reduces
levels of innovation in two ways. First, the existence of a larger
number of patents makes it more unlikely that a new inventor
will succeed in getting a patent, since the patent space is
already more filled. Second, the value of each patents falls as
the number of patents grows. [...] [i]n those industries, with
a fast pace of innovation, competitors leap-frog each other by
borrowing ideas from one another. Patents deter this process,
limiting the ability of innovators to reach the next plateau of
innovation.95
En fait, le droit des brevets a, d’une certaine façon, l’avantage
d’évoluer avec la technique dans la mesure où les conditions de brevetabilité font toujours référence à l’état de la technique. Si l’état
de la technique démontre que le séquençage d’ADN est devenu un
procédé technique où la simple utilisation d’un ordinateur permet
d’obtenir la séquence, alors il y aura absence d’activité inventive et la
séquence ne pourra être brevetée puisqu’elle appartiendra davantage au domaine de la découverte. Nous croyons que la tâche revient
94. «Un élément isolé du corps humain ou autrement produit par un procédé technique, y compris la séquence ou la séquence partielle d’un gène, peut constituer
une invention brevetable, même si la structure de cet élément est identique à
celle d’un élément naturel.»
95. E. Richard GOLD, «Finding Common Cause in the Patent Debate», (2000) 18
novembre 2000 Nature Biotechnology 1217, 1218.
692
Les Cahiers de propriété intellectuelle
donc aux offices de brevets et aux tribunaux d’interpréter la Directive 98/44/CE96 plutôt qu’aux législateurs de reformuler un document qui sera continuellement la source de mécontentement.
En définitive, malgré le bien-fondé de la Directive 98/44/CE,
un débat public doit avoir lieu. Le législateur a un rôle d’éducateur et
le sujet est si intimement lié à chaque individu que ce dernier n’a pas
d’autre choix que de mettre fin aux mythes rattachés à la recherche
génétique. Ce n’est ni aux compagnies biotechnologiques, ni aux
divers groupes de pression de se charger de l’information ou de la
désinformation du public. Le CCNE a, à notre avis, raison d’exiger
un tel débat. Le Parlement européen a peut-être répondu aux exigences éthiques et juridiques mais il ne s’est cependant pas encore
acquitté de son devoir démocratique:
Neither industry nor civil society will win the biotech patent
battle without public support. Nevertheless, despite its
strength in affecting the markets for biotech products, public
opinion with respect to biotechnology issues is both uninformed
and unformed. In addition, the public distrusts the information
it receives from both industry and organized civil society and
longs for neutral analysis. It will therefore not be sufficient for
industry and civil society to reach agreement – assuming they
can do so – by themselves. They will have to develop a mechanism to gain and maintain public consent to that agreement.97
DOCTRINE
Monographies
BASLAR, K., The Concept of the Common Heritage of Mankind in
International Law, La Haye: Kluwer Law International, 1998.
Dictionnaire permanent de bioéthique et biotechnologies, vol. 1, Éditions législatives, feuillet 16 (1er février 1998), no 16, p. 2361.
Dictionnaire permanent de bioéthique et biotechnologies, vol. 3, Éditions Législatives, Bulletin 93 (6 octobre 2000), no 116, p. 7711.
96. Rappelons que HUGO fait appel également à l’interprétation des office de brevets plutôt qu’à l’amendement de la Directive; HUGO, Statement on the Patenting of DNA Sequences – In Particular Response to the European Biotechnology
Directive, supra, note 89.
97. E. Richard GOLD, «Moving the Gene Patent Debate Forward: A Framework for
Achieving Compromise Between Industry and Civil Society», (2000) 18 December 2000 Nature Biotechnology 1319.
Brevetabilité et génétique humaine
693
MARTEAU, T. et M. RICHARDS, The Troubled Helix Social and
Psychological Implications of the New Human Genetics, Cambridge: Cambridge University Press, 1996.
Articles
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370.
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DOROZYNSKI, A., «Europe Needs Gene Patent Laws», (1996) 312
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GOLD, E.R., «Moving the Gene Patent Debate Forward: A Framework for Achieving Compromise Between Industry and Civil
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GOLD, E.R., «Finding Common Cause in the Patent Debate», (2000)
18 November 2000 Nature Biotechnology 1217, 1218.
KNOPPERS, B.M., M. HIRTLE et K.C. GLASS, «Commercialization
of Genetic Research and Public Policy», (1999) 286 Science 2277.
KNOPPERS, B.M., «Status, Sale and Patenting of Human Genetic
Material: an International Survey», (1999) 22 Nature Genetics 23.
KNOPPERS, B.M., «Biotechnology Sovereignty and Sharing», dans
T.M. CAULFIELD (éd.), The Commercialisation of Genetic
Research: Ethical, Legal, and Policy Issues, New York: Kluwer
Academic/Plenum Publishers, 1999.
KNOPPERS, B.M., «Status, sale and patenting of human genetic
material: an international survey», (1999) 22 Nature Genetics 23.
694
Les Cahiers de propriété intellectuelle
OBADIA, A., G. CARDINAL, M. DESCHÊNES, M. LETENDRE, D.
GRÉGOIRE, É. PETIT, M.-H. VACHON et B.M. KNOPPERS,
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SCHIERMEIER, Q., «Germany gives green light to gene patents»,
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WATSON, R., «Europe Approves Patenting of Biotechnological
Inventions», (1998) 316 BMJ 1553.
Vol. 13, no 3
La protection du droit d’auteur pour
les œuvres produites par ordinateur:
y a-t-il du neuf depuis qu’Arthur
Miller nous a dit qu’il n’y avait
rien de nouveau depuis le
rapport final de la CONTU?
Denis N. Magnusson*
1. Thèses et conclusions d’Arthur Miller
En mars 1993, le professeur Arthur Miller a publié, dans le
Harvard Law Review, un article sur la protection par le droit d’auteur des œuvres produites par ordinateur1. Miller y a fait référence
au rapport final qu’a publié en 1978 un organisme des États-Unis,
la National Commission on New Technological Uses of Copyrighted
Works («CONTU»)2.
Les œuvres «produites par ordinateur» possèdent les caractéristiques des œuvres protégées par le droit d’auteur, telles les
œuvres littéraires, musicales ou artistiques. Ces œuvres ont toute© Denis M. Magnusson, 1999-2001.
* Professeur, Faculté de droit, Université Queen’s (Kingston). Allocution présentée par l’auteur lors de la réunion annuelle de l’Association canadienne des
professeurs de droit (ACPD) qui eut lieu à Sherbrooke le 3 juin 1999. La traduction française a été réalisée par Me Danièle Bouvet et Me Stefan Martin.
1. Arthur MILLER, «Copyright Protection For Computer Programs, Databases,
and Computer-Generated Works: Is Anything New Since CONTU?», (1993) 106
Harv. L. Rev. 977.
2. Final Report of the National Commission on New Technological Uses of Copyrighted Works, 31 juillet 1978, Library of Congress, Washington.
695
696
Les Cahiers de propriété intellectuelle
fois été produites au moyen d’un ordinateur, avec une intervention
humaine directe restreinte.
Il avait été demandé à la CONTU d’examiner la question suivante:
[TRADUCTION] La préoccupation selon laquelle les ordinateurs
avaient – ou obtiendraient probablement bientôt – des pouvoirs
qui leur permettraient de créer par eux-mêmes des œuvres qui,
bien que similaires à d’autres œuvres protégeables par le droit
d’auteur, ne seraient pas ou ne devraient pas être protégées de
la sorte parce que leur auteur n’était pas humain.3
La CONTU a conclu que les ordinateurs n’étaient pas encore
capables de créer des œuvres sans l’intervention humaine et qu’une
telle capacité était encore par trop hypothétique pour qu’il soit justifié d’en tenir compte. La CONTU a conclu que l’ordinateur était
employé simplement comme un outil, un instrument inerte, uniquement capable de fonctionner lorsque c’est un humain qui l’actionne
directement ou indirectement. C’est donc dire qu’il serait toujours
possible d’associer les œuvres produites par ordinateur à un ou plusieurs auteurs humains, et que l’on pouvait appliquer la loi sur le
droit d’auteur qui était en vigueur pour déterminer si une œuvre
était admissible ou non au droit d’auteur, et qui étaient les auteurs
de l’œuvre en question et les titulaires du droit d’auteur. La CONTU
a conclu ce qui suit:
[TRADUCTION] [Les œuvres produites par ordinateur] ne suscitent aucun problème particulier; la loi et la jurisprudence existantes couvrent adéquatement toutes les questions en cause, et
il n’est pas nécessaire à ce stade-ci de [modifier la loi].
Arthur Miller, qui a écrit son article quinze ans après la publication du rapport final de la CONTU, à propos d’un domaine reconnu
pour subir des changements technologiques rapides, a jugé que les
conclusions de la CONTU sur le droit d’auteur et les œuvres produites par ordinateur demeuraient valables. Miller a prévu aussi que
ces conclusions demeureraient valables dans l’avenir prévisible.
Miller a fait remarquer que la technologie informatique ne permettrait pas encore de se servir d’un ordinateur pour produire une
œuvre sans l’intervention d’un auteur humain:
3. CONTU, note 3, p. 43.
Droit d’auteur pour les œuvres produites par ordinateur
697
[TRADUCTION] Les progrès de l’intelligence artificielle pourraient-ils permettre aux ordinateurs ou aux programmes informatiques d’aujourd’hui (ou les deux, grâce à leurs efforts
conjugués) de produire des œuvres dont l’origine ne peut être
attribuable directement à un auteur humain? [...] La technologie n’a pas encore donné naissance à un monde de droits
d’auteur exempt d’auteurs humains, et il n’y a aucune raison de
croire que nous sommes en route vers ce monde ou que, même si
c’est le cas, nous l’atteindrons dans l’avenir prévisible.4
Les conclusions de Miller quant à la pertinence de la loi sur le
droit d’auteur en vigueur aux États-Unis à l’égard des œuvres produites par ordinateur étaient donc fondées sur sa constatation selon
laquelle les œuvres produites par ordinateur sans l’intervention d’un
auteur humain identifiable n’existaient pas encore, et n’existeraient
probablement pas avant un certain temps.
Cependant, Miller a fait remarquer que, dans l’avenir, les ordinateurs pourraient jouer un rôle différent dans la production d’œuvres. Il a laissé entendre, par exemple, qu’un descendant évolué d’un
programme informatique relativement simple utilisé à ce moment
pour composer de la poésie pourrait être capable de produire seul des
sonnets de Shakespeare. Miller a ajouté que, dans une telle situation, l’ordinateur programmé serait peut-être lui-même l’auteur de
l’œuvre5.
Il a ensuite noté que la production d’une œuvre par un ordinateur-auteur obligeait à examiner si, aux États-Unis, la disposition en
matière de droit d’auteur qui figurait dans la Constitution et la loi
sur le droit d’auteur nécessitaient une intervention de la part d’un
auteur humain pour qu’une œuvre puisse être protégée par le droit
d’auteur. Un examen de la jurisprudence américaine en matière de
droit d’auteur a convaincu Miller qu’il était loin d’être clair que les
tribunaux fédéraux concluraient au bout du compte que la loi sur le
droit d’auteur exige que l’auteur d’une œuvre soit humain6.
4. MILLER, note 1, p. 1043.
5. MILLER, note 1, note en bas de page no 321.
6. MILLER, note 1, p. 1065. Miller envisageait que cette conclusion, à savoir qu’il
n’est pas obligatoire que l’auteur soit humain, s’applique de la même façon à la
disposition en matière de droit d’auteur de la Constitution des États-Unis et à la
loi sur le droit d’auteur elle-même. La disposition relative au droit d’auteur qui
figure dans la Constitution canadienne ne prescrit aucune perspective de principe particulière à propos du droit d’auteur. Au Canada, la Loi sur le droit
d’auteur, du moins depuis l’année 1931, où l’on a amendé la loi afin de la rendre
conforme à la version de 1928 de la Convention de Berne, considère que l’auteur
d’une œuvre protégée est humain.
698
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Le principal argument qu’invoque Miller à l’appui de sa thèse,
selon laquelle il n’est pas nécessaire qu’un auteur soit humain en
vertu de la disposition relative au droit d’auteur de la Constitution
des États-Unis et de la loi fédérale sur le droit d’auteur, est que la
disposition de la Constitution expose une vision parfaitement «instrumentale» du droit d’auteur. La seule fin pour laquelle le Congrès
peut promulguer la protection du droit d’auteur est de [TRADUCTION]
«favoriser l’avancement de la science et des techniques utiles [...]».
Miller a fait remarquer que cet avancement pourrait se faire au
moyen d’œuvres créées par des ordinateurs aussi facilement qu’au
moyen d’œuvres créées par des humains. C’est donc dire que les fins
constitutionnelles du droit d’auteur pourraient être servies par des
œuvres dont l’auteur est autre qu’un être humain et, plus particulièrement, un ordinateur7.
Miller déclare de manière assez convaincante que la disposition
relative au droit d’auteur qui figure dans la Constitution des ÉtatsUnis permettrait au Congrès d’adopter une loi sur le droit d’auteur
n’exigeant pas que l’auteur soit humain. Il est toutefois moins convaincant quand il fait valoir que l’actuelle Copyright Act des ÉtatsUnis n’exige pas qu’un auteur soit humain8.
7. Il y a un aspect de la disposition relative au droit d’auteur de la Constitution dont
Miller ne traite pas. Selon cette disposition, il est permis de favoriser l’avancement de la science et des techniques utiles [TRADUCTION] «en garantissant
pendant un temps limité aux auteurs [...] le droit exclusif afférent à leurs écrits
respectifs [...]». Le «droit exclusif» en question est le droit d’auteur, et celui-ci
doit être détenu par les auteurs (ou garantis aux auteurs) des écrits. Si une
machine, comme un ordinateur, était l’auteur, il semblerait, selon la disposition
relative au droit d’auteur de la Constitution, qu’il faudrait que cette machine
détienne le droit d’auteur. La machine n’étant pas une personne juridique en
vertu de la loi en vigueur aux États-Unis, elle ne pourrait pas être le détenteur
du droit d’auteur. Faire d’une machine une personne juridique est une innovation marquante dans la loi, aux répercussions incertaines. On peut se demander
si la disposition relative au droit d’auteur de la Constitution des États-Unis envisage réellement l’existence d’auteurs non humains, ou du moins de personnes
non juridiques, comme Miller l’a laissé entendre.
Miller a toutefois fait remarquer que la plupart des autres chercheurs ont conclu
que la loi sur le droit d’auteur des États-Unis requiert un auteur humain, ou du
moins un auteur qui est une personne juridique: MILLER, note 1, note en bas de
page no 386.
8. Les modifications qui ont été apportées à la loi des États-Unis en 1976, en prévision de l’adhésion à la Convention de Berne, survenue en 1978, confèrent à cette
loi un grand nombre des caractéristiques manifestement centrées sur la notion
d’«auteur humain» que l’on retrouve dans les régimes de droit d’auteur assimilables à la Convention de Berne. La disposition spéciale concernant les «œuvres
exécutées dans le cadre d’un contrat de louage de services», laquelle considère
que les employeurs sont les auteurs des œuvres créées par les employés, a des
origines historiques qui remontent à l’époque où la loi des États-Unis n’était pas
Droit d’auteur pour les œuvres produites par ordinateur
699
Les réflexions de Miller sur la façon dont la loi sur le droit
d’auteur pourrait traiter d’utilisations futures hypothétiques de l’ordinateur, et non de la «paternité» humaine des œuvres, n’étaient pas
tout à fait satisfaisantes. Dans son analyse, il a fait remarquer que
les œuvres photographiques sont quelque peu similaires aux œuvres
produites par ordinateur dans les questions qui sont soulevées en
rapport avec la protection du droit d’auteur. Miller a indiqué que la
jurisprudence américaine sur la paternité des œuvres photographiques attribuait cette paternité au photographe dans des cas où
l’œuvre photographique était peut-être mieux perçue comme créée
par l’appareil photographique lui-même, sans aucune intervention
créatrice de la part du photographe9. Il s’est servi de cet exemple
pour laisser entendre que si nous avions affaire dans l’avenir à des
œuvres créées de toutes pièces par un ordinateur, il existait des précédents, en vertu de la loi sur le droit d’auteur, pour attribuer la
paternité de ces œuvres à des êtres humains s’étant occupés de faire
fonctionner l’ordinateur dans le cadre de la production de l’œuvre en
question.
Il est possible de considérer, d’après les commentaires de
Miller, que, quelle que soit la puissance de l’instrument dont s’est
servi un auteur humain pour créer une œuvre, il sera quand même
possible d’analyser les circonstances particulières dans le cadre des
principes établis de longue date en matière de droit d’auteur et
d’identifier le ou les auteurs humains de l’œuvre. Interprétés sous
cet angle, les commentaires de Miller sont utiles. Cependant, on
pourrait dire aussi qu’ils laissent entendre que le processus d’identification de l’auteur humain d’une œuvre produite par ordinateur
ne reflète pas l’application des principes établis de longue date en
matière de droit d’auteur, mais qu’il s’agit d’un processus arbitraire
selon lequel on considère qu’un être humain est un auteur, alors que
les principes traditionnels du droit d’auteur n’auraient pas identifié
ou ne pourraient pas identifier cet être humain comme étant l’auteur.
Cette dernière interprétation des commentaires de Miller
sous-estimerait la capacité établie de longue date des principes fondamentaux du droit d’auteur de s’adapter à des circonstances nouvelles et à des technologies nouvelles. Le processus d’identification
de l’auteur humain d’une œuvre produite par un instrument infordu même style que la Convention de Berne. Le but réel de cette disposition est de
traiter de la question du «premier titulaire de droit», et d’envisager elle-même un
auteur humain véritable et employé.
9. MILLER, note 1, p. 1072.
700
Les Cahiers de propriété intellectuelle
matique, même très puissant, consiste à identifier l’auteur humain
proprement dit, ce qu’exige dans tous les cas le droit d’auteur.
Le fait de considérer le processus d’identification du ou des
auteurs humains d’une œuvre produite par ordinateur comme un
processus arbitraire qui consiste à attribuer une paternité humaine
à une œuvre produite en fait par la machine est des plus préjudiciables lorsque cela incite les législateurs à adopter de nouvelles règles
légales qui attribuent de manière arbitraire la paternité d’une
œuvre. Cela a été fait pour certaines œuvres dont on croyait, à tort
selon moi, que les principes habituels du droit d’auteur ne pouvaient
servir à régler la question de la paternité. Un exemple de ce genre de
règle inutile et regrettable est celui de l’attribution de la paternité
d’œuvres photographiques en vertu de dispositions antérieures et
actuelles de la loi canadienne sur le droit d’auteur10.
Une préoccupation connexe à l’égard d’une démarche qui, considère-t-on, attribue arbitrairement la paternité d’une œuvre à un être
humain est le fait que cette approche peut miner les aspects théoriques et pratiques établis du droit d’auteur qui concernent l’étendue
de la protection pouvant être conférée à une œuvre. Les réalisations
qui englobent des œuvres protégeables par le droit d’auteur, et plus
particulièrement celles qui sont le fruit de l’emploi de la technologie
moderne, sont souvent des amalgames complexes. Il s’agit d’amalgames d’une expression originale, créative, littéraire (musicale ou
artistique) dans laquelle peut subsister le droit d’auteur, ainsi que
d’autres éléments qui ne sont ni originaux, ni créatifs, ni littéraires,
musicaux ou artistiques, et dans lesquels le droit d’auteur ne subsiste pas. Le risque que comporte une démarche qui ne cherche pas à
lier à la paternité du produit l’étendue de la créativité humaine
réelle, afin de déterminer l’étendue d’une œuvre protégeable par le
droit d’auteur qui est subsumée dans le produit, est que les limites
appropriées de l’étendue de la protection du droit d’auteur peuvent
devenir floues et être difficiles à appliquer correctement11.
10. Loi sur le droit d’auteur, S.R.C. 1985, ch. C-42, dans sa forme modifiée, art. 10;
selon cette disposition, le détenteur du négatif original est réputé être l’auteur
de la photographie, mais sous réserve, aujourd’hui, d’un certain nombre de
nuances introduites par S.C. 1997, ch. 24. Miller note la disposition spéciale
introduite dans la Copyright, Designs and Patents Act, 1988, ch. 48, par. 9(3) du
Royaume-Uni, qui considère que l’auteur d’une œuvre produite par ordinateur
est la personne par laquelle sont prises les dispositions nécessaires à la création de l’œuvre en question.
11. Une illustration du risque que l’on applique exagérément l’étendue de la protection est celle de considérer l’appareil photographique comme l’auteur véritable de, par exemple, un cliché d’une scène de la vie, et que l’on détermine
l’auteur humain soit par l’attribution arbitraire de la paternité de l’œuvre au
Droit d’auteur pour les œuvres produites par ordinateur
701
2. Qui est l’auteur d’une œuvre produite par ordinateur?
L’auteur est la personne chargée de déterminer l’expression
créatrice, originale, littérale ou non littérale, qui constitue l’œuvre
protégée par le droit d’auteur. L’identification de la ou des personnes
chargées de déterminer cette expression pour une œuvre produite
par ordinateur obligera à prendre soigneusement en considération le
contexte particulier dans lequel cette œuvre a été produite12.
L’extrême tension que l’on relève dans la littérature se situe
entre le fait de considérer le système informatique comme un simple
outil de l’auteur humain, et celui de considérer l’ordinateur comme le
véritable auteur de l’œuvre, sans l’intervention d’un auteur humain.
Lorsque le système informatique est considéré comme un outil,
l’utilisateur humain de ce dernier est celui dont les choix déterminent le caractère original, créatif, artistique (musical ou littéraire)
de l’expression de l’œuvre, encore que ces choix puissent être faits
par l’entremise du système informatique. L’utilisateur humain est
donc l’auteur de l’œuvre. Ce point de vue est illustré par la CONTU,
pour qui les ordinateurs étaient simplement des instruments qui
amplifiaient considérablement le pouvoir qu’ont les humains de calculer, de choisir, de réorganiser, de présenter, de concevoir et de
prendre d’autres mesures qui entrent en jeu dans la création d’une
œuvre. Comme l’a souligné la CONTU, [TRADUCTION] «c’est le pouvoir humain que [les ordinateurs] amplifient» [mot non en italique
dans l’original]. L’ordinateur était donc un outil similaire à des outils
créés antérieurement, comme les appareils photographiques, dont
des auteurs humains se servaient pour produire des œuvres admissiphotographe (comme c’est le cas dans la loi des États-Unis), soit par une règle
légale spéciale qui attribue arbitrairement la paternité de l’œuvre (comme
dans la loi canadienne) au propriétaire du négatif original. Lorsque l’on met
l’accent sur la fonction que joue l’appareil photographique dans la création de
la photographie, on a davantage tendance à considérer la photographie dans
son ensemble comme le sujet que le droit d’auteur protège. En fait, pour les photographies comme pour la totalité des œuvres, seul ce qui est original, créatif et
revêtant un caractère artistique en tant que forme d’expression, distinct du
contenu sous-jacent, c’est-à-dire la réalité que l’on photographie, est protégé en
tant qu’œuvre jouissant de la protection du droit d’auteur. Le fait de mettre
l’accent sur l’apport créatif de l’auteur humain (le photographe), avec l’assistance de l’instrument de création (l’appareil photographique), surtout lorsque
cet apport créatif, même assisté, peut être fort restreint, aide à se concentrer
convenablement sur l’étendue limitée de ce qui peut être protégé par le droit
d’auteur dans de telles photographies.
12. Preston c. 20th Century Fox Corp. Ltd. et. al (1987), 16 C.P.R. (3d) 189 (C.F.
1re inst.), décision du juge Strayer, citant Donoghue c. Allied Newspapers Ltd.,
[1937] 3 All E.R. 503.
702
Les Cahiers de propriété intellectuelle
bles à la protection du droit d’auteur. Les questions de paternité suscitées par les œuvres produites par ordinateur n’étaient donc pas
dissemblables de celles que suscitait la création d’œuvres plus traditionnelles, telles que les photographies.
L’autre vue extrême est soulevée par l’observation de Miller
selon laquelle les progrès de la technologie informatique signifiaient
que le rôle de la personne utilisant l’ordinateur devenait [TRADUCTION] «de plus en plus simple et subordonné». Dans certains cas, le
rôle simple et subordonné de l’utilisateur pourrait vouloir dire que ce
dernier ne faisait pas les choix créatifs qui déterminaient la forme
d’expression de l’œuvre produite par ordinateur. Comme l’a indiqué
Miller, si c’était bien là ce qui se passait parfois, il serait peut-être
nécessaire d’identifier, pour les œuvres produites par ordinateur,
des auteurs autres que ceux qui se servent simplement de l’ordinateur pour produire l’œuvre. Ces autres auteurs comprendraient
vraisemblablement les personnes chargées de doter le système
informatique de la capacité de déterminer directement la forme
d’expression de l’œuvre produite par l’ordinateur.
Miller a fait remarquer que d’autres avaient tenté de concevoir
une formule universelle pour identifier le ou les auteurs d’une œuvre
produite par ordinateur. Même s’il serait commode de disposer d’une
règle permettant d’identifier de façon bien nette l’auteur d’une
œuvre produite par ordinateur, Miller a signalé qu’il peut être nécessaire de s’en tenir à une approche au cas par cas, qui examine les
faits précis et les divers apports à la création de l’œuvre13. Je souscris
dans une large mesure à ce point de vue. Les principes généraux du
droit d’auteur, pour ce qui est de déterminer dans quelle mesure une
œuvre peut être protégée par le droit d’auteur, et d’identifier le ou les
auteurs chargés de donner à l’œuvre sa forme d’expression protégeable, se sont avérés très solides face à l’évolution des technologies.
Ces principes, appliqués de manière sensée aux circonstances particulières de chaque cas, se sont montrés par le passé capables de donner des réponses claires tout en maintenant un cadre uniforme de
politiques régissant le droit d’auteur. Il serait fort peu judicieux
d’élaborer prématurément des règles de droit d’auteur spéciales pour
les œuvres produites par ordinateur. Ce n’est que s’il ressort clairement d’une longue expérience que les principes établis du droit
d’auteur sont incapables de régler les problèmes de manière satisfaisante, et si cette expérience montre clairement la nouvelle voie que
doit suivre la loi sur le droit d’auteur, qu’il faudrait songer à fixer des
13. MILLER, note 1, p. 1058.
Droit d’auteur pour les œuvres produites par ordinateur
703
règles de droit d’auteur spéciales pour les œuvres produites par ordinateur.
3. Le processus de création des œuvres produites
par ordinateur
Plusieurs interventions de l’ordinateur dans la production
d’œuvres sont susceptibles de relever du droit d’auteur. La protection ainsi offerte peut différer selon les modes et le niveau d’intervention de l’ordinateur dans la production des œuvres.
Miller suggère que cette intervention peut être analysée selon
une dichotomie de base propre aux technologies informatiques.
3.1 Première catégorie: les systèmes experts
Cette première catégorie regroupe des technologies informatiques qui utilisent des systèmes reposant sur la logique des symboles
et qui permettent d’encoder des connaissances. Miller note qu’il
s’agit des systèmes les plus fréquemment utilisés. Dans cette catégorie, on retrouve avant tout les systèmes experts. Ces systèmes sont
composés de deux parties. Une «base de connaissances», qui est
une banque de données encodées. L’encodage est réalisé à l’aide
d’un «langage spécialisé» (ou encore par l’emploi de symboles) qui
présente certaines analogies avec un dictionnaire qui utiliserait
l’alphabet phonétique afin de classifier l’information selon sa prononciation14. La seconde partie consiste en un «outil d’inférence», qui
est un logiciel manipulant la base de connaissances selon des schémas prédéterminés afin de réaliser l’œuvre produite par ordinateur.
La protection de ces œuvres produites par ordinateur et réalisées par l’emploi de ces systèmes experts semble, a priori, pouvoir
être assurée par l’application des règles actuelles du droit d’auteur.
L’effort créateur protégeable par le droit d’auteur relève de l’une ou
des deux sources suivantes.
En premier lieu, la base de connaissances incorporée au système expert est susceptible de constituer en soi une œuvre protégeable par le droit d’auteur. La représentation sous forme de
symboles de cette connaissance contient dans bien des cas, que ce
soit sous une forme artistique, musicale ou littéraire, les éléments
14. MILLER, note 1, p. 1036.
704
Les Cahiers de propriété intellectuelle
nécessaires de l’originalité, de la créativité et constitue une forme
d’expression qui peut être distinguée de la connaissance en tant
que telle. Lorsque l’œuvre produite par ordinateur est réalisée par
l’utilisation de l’«outil d’inférence» en relation avec la base de connaissances, cette œuvre constitue en totalité ou en partie une œuvre
dérivée de la base de connaissances protégée par le droit d’auteur.
Cette œuvre dérivée produite par ordinateur peut contenir des parties identifiables de la base de données, et en ce sens peut être
qualifiée d’œuvre collective15. Dans le cas où ses composantes constituent une partie substantielle de la base de connaissances, l’œuvre
produite par ordinateur est en partie attribuable à ou aux auteurs de
l’expression incorporée dans cette base de connaissances. La question de déterminer si cet ou ces auteurs sont les titulaires de la totalité ou d’une partie du droit d’auteur dans cette œuvre produite par
ordinateur dépend dans une large mesure des termes exprès ou
implicites du contrat encadrant l’utilisation du système expert.
Toutefois, dans certains cas, l’œuvre produite par ordinateur ne
reproduit pas une partie substantielle de l’expression de la base de
connaissances. À ce titre, on peut penser au logiciel traditionnel de
traitement de textes qui intègre une base de connaissances constituée par les lettres de l’alphabet, les symboles de ponctuation et les
chiffres. Lorsqu’une personne, en utilisant ce programme, réalise
une œuvre, celle-ci ne reproduit pas, d’une manière littérale ou non,
une partie substantielle de cette base de connaissances. Si nous élargissons nos propos aux logiciels de correction grammaticale, l’œuvre
ainsi corrigée ne reproduit toujours pas une partie substantielle de
l’expression protégée par le droit d’auteur dans la banque de données16.
En second lieu, l’on pourrait considérer comme une œuvre protégeable celle résultant de l’utilisation du logiciel aux fins de la
sélection et de l’arrangement des éléments inclus dans la base de
connaissances. La sélection et l’arrangement sont une forme d’expression reconnue par le droit d’auteur comme une œuvre de compilation17. Toutefois, il y a tout lieu de penser que c’est l’utilisateur du
système expert qui contribue à l’originalité et à la créativité de
l’œuvre résultant de la sélection et de l’arrangement des composantes de la base de connaissances.
15. Loi sur le droit d’auteur, article 2, «œuvre collective».
16. Les règles incontournables de l’orthographe imposent la forme d’expression
des lettres dans les mots. Il ne peut y avoir d’originalité ni de créativité littéraire dans le simple fait d’orthographier correctement des mots.
17. Loi sur le droit d’auteur, article 2, «compilation».
Droit d’auteur pour les œuvres produites par ordinateur
705
Le logiciel, quand bien même il s’agit d’un instrument très
puissant et très complexe, est essentiellement utilisé par l’«utilisateur-auteur» comme un instrument aux fins de la réalisation de la
sélection et de l’arrangement.
À titre d’exemple, on peut évoquer les bases de données juridiques, telles que QuickLaw ou Soquij, lesquelles contiennent un
ensemble de décisions de justice, de lois et de règlements. Le logiciel
de recherche s’avère très puissant et incorpore des éléments de
logique booléenne et autres stratégies de recherche. L’utilisateur de
l’un ou l’autre de ces systèmes experts voudra compiler l’ensemble
des références afférentes à une phrase utilisée dans un contexte particulier, par exemple les mots «non-literal expression» employés
dans le cadre de décisions portant sur le droit d’auteur ou sur certaines autres lois. Le résultat final de la recherche consistera en plusieurs pages de décisions, sous forme de parties ou de totalité de
paragraphes, sélectionnées à partir de la jurisprudence, des lois et
des règlements concernant le droit d’auteur, incluant la combinaison
de ces trois mots.
Cette sélection et cet arrangement peuvent en soi constituer
une œuvre de compilation, présentant suffisamment d’originalité et
de créativité dans la sélection et l’arrangement pour constituer une
œuvre protégeable par le droit d’auteur. Le logiciel a certainement
été très utile à cette sélection et à cet arrangement, mais il ne s’agit
toujours que d’un instrument devant être utilisé par une personne,
auteur de l’œuvre de compilation.
Dans certains cas, le système expert joue un rôle plus important en ce qu’il détermine directement, en partie ou en totalité, la
forme de l’expression de l’œuvre produite par ordinateur. À titre
d’exemple, on peut citer le système connu sous le nom de «Scott
French system» qui est utilisé afin de créer une nouvelle dans le style
de Jacquelin Susann, écrivain de grande renommée18. Selon French,
l’œuvre créée en utilisant ce système expert ne contient aucun élément, littéral ou non, des œuvres de Susann, mais s’avère néanmoins rédigé dans son style. Dans la mesure où les règles d’écriture
ont été créées par French et que le système a été utilisé par ce
18. Scott French a analysé des œuvres de Jacquelin Susann et a développé une
base de connaissances incorporant 6 000 règles d’écriture requises aux fins de
la création d’œuvres dans le style de cette auteure. French a alors créé et inclus
dans le système un ensemble de compositions, de scènes et de personnages.
706
Les Cahiers de propriété intellectuelle
dernier, il doit être considéré, aux fins du droit d’auteur, comme
l’auteur de cette forme d’expression19.
Un autre exemple est fourni par le système expert de composition musicale EMI utilisé par David Cope afin de créer de nouvelles
compositions musicales dans le style des grands compositeurs du
passé20. À ce système expert, Cope a incorporé des extraits des phrases musicales caractérisant l’œuvre d’un compositeur donné. Le système est alors utilisé par Cope afin de créer de nouvelles œuvres
dans le style de ce célèbre compositeur. Dans la mesure où cette nouvelle création est originale, Cope est l’auteur du logiciel utilisé aux
fins de la détermination de la forme de l’expression musicale d’une
telle œuvre et, à cet égard, Cope doit être considéré comme l’auteur
de ces œuvres21.
Afin de déterminer si la forme d’expression relève du système
expert, il convient de se référer aux concepts d’expression littérale et
non littérale. Si le système expert est à l’origine d’une partie substantielle de l’expression, le programmeur devrait être considéré
comme l’auteur de cette partie de l’œuvre produite par ordinateur.
3.2 Deuxième catégorie: les réseaux informatiques
neuronaux
La seconde catégorie de systèmes experts suggérée par Miller
comprend les systèmes utilisant un réseau neuronal22.
La structure et le fonctionnement des réseaux informatiques
neuronaux sont calqués sur la structure du cerveau humain:
At the heart of any neural system is the «network» itself X a
coordinated group of neurons, either configured in hardware or
simulated by software running on a digital computer [...] the
network generally consists of three layers of neurons: an input
layer, one or more «hidden» layers, and an output layer. The
19. Val VIGERDSON et II HAMLET, «The Sequel: The Rights of Authors v. Computer-Generated Read-Alike-Works», (1994) 28 Loyola L.A. Law Review 401.
20. David Cope a créé ce système expert connu sous le nom de «Experiments in
Musical Intelligence» (EMI). Cope a procédé à l’analyse des œuvres d’un compositeur (par exemple, Bach) et a créé une base de connaissances répertoriant
les règles de composition musicale caractérisant le style de ce compositeur.
21. John HUNTER, «The Well-Tempered Composer», West Magazine, San José
Mercury, 23 mai 1998. Également disponible à l’adresse suivante: http://www.
sjmercury.com/west/docs/composer0524.htm.
22. MILLER, op. cit., p. 1037.
Droit d’auteur pour les œuvres produites par ordinateur
707
function of the hidden layers is to enhance the number of interneural connections, thus increasing the network’s ability to
learn.23
À l’image du cerveau humain, l’essence du fonctionnement d’un
tel système expert est:
[t]he interneural connections are subject to variable “weights”,
that is, voltage levels under which the neuron cannot fire. The
weights modulate the inputs to each neuron; when the integrated input exceeds the “weight”, the neuron will fire, thus passing on its electrical charge to another neuron at a different
level.24
Une autre des caractéristiques essentielles du fonctionnement
du réseau neuronal de l’ordinateur réside dans le fait que ces coefficients interneuronaux (interneural weights) variables ne sont ni établis ni déterminés directement par le créateur humain du réseau.
Les coefficients évoluent au cours de la phase d’entraînement ou
d’apprentissage de l’établissement du réseau.
Au début des phases d’entraînement, tous les coefficients neurone d’entrée / neurone caché et tous les coefficients neurone caché /
neurone de sortie se voient attribuer des valeurs aléatoires. Le
réseau neuronal est ensuite entraîné au moyen d’un ensemble de
faits élaboré à cette fin. Par exemple, un réseau neuronal pourrait
être entraîné à reconnaître des cellules cancéreuses et précancéreuses dans des frottis vaginaux pour aider à la détection précoce du
cancer du col utérin. Les données d’entraînement consisteraient en
un ensemble déterminé de caractéristiques cellulaires ou de faits
observables identifiés par la science médicale comme pertinents et
utiles aux fins de distinguer les cellules cancéreuses des cellules non
cancéreuses. En outre, les données d’entraînement comprendraient
un grand nombre d’exemples de cellules, peut-être au-delà de
100 000 exemples, qui seraient soumis au réseau neuronal au cours
de la phase d’entraînement. Le réseau serait appelé, pour chaque
exemple de cellule, à produire une analyse comprenant des réponses
relatives à chacun des faits ou des caractéristiques cellulaires
pertinents compris dans l’ensemble de données d’entraînement.
Naturellement, le créateur humain de l’ensemble de données
d’entraînement aurait déterminé d’avance les bonnes réponses pour
23. Gerald H. ROBINSON, «Protection of Intellectual Property in Neural Networks», (1990) 7(3) Computer Law 17.
24. Ibid.
708
Les Cahiers de propriété intellectuelle
chacune des caractéristiques pertinentes pour chacun des exemples
de cellules, et ces bonnes réponses feraient partie de l’ensemble de
données d’entraînement.
Lorsqu’un exemple de cellule est soumis au réseau neuronal en
vue de générer une série de réponses relativement à chacune des
caractéristiques cellulaires pertinentes, la série de bonnes réponses
prédéterminées est utilisée pour générer des signaux d’erreur qui
sont rétropropagés dans le réseau neuronal. Cette rétropropagation
du signal d’erreur, réalisée au moyen d’une formule mathématique
prédéterminée, provoque un léger rajustement de tous les coefficients neurone d’entrée / neurone caché et neurone caché / neurone
de sortie. Ce processus est répété pour chacun des 100 000 exemples
de cellules compris dans l’ensemble de données d’entraînement, jusqu’à ce qu’un ensemble de coefficients finals ait été établi pour les
connexions interneuronales. Cet ensemble de coefficients interneuronaux finals confère au réseau neuronal, désormais entraîné, la
capacité de détecter correctement des cellules cancéreuses dans les
échantillons de frottis vaginaux qui lui sont soumis.
Tel que le relève Andy Johnson-Laird:
The technique of back-propagation is perhaps the single most
important characteristic of a neural network. Although there
are several different back-propagation mathematical formulae
in use, the more effective ones deliberately induce elements of
randomness and probability. The significance of this is enormous: the human creator of a network may understand the
structure and the algorithms used, but by definition cannot
predict the specific internal operations that occur during training. During the hundreds of thousands of training repetitions,
the algorithms add so much unpredictability to the neural
weights as to exceed, for all practical purposes, a human being’s
ability to explain the specifics of why each neural weight comes
to rest at its final value.
In a non-philosophical sense, a neural network learns to represent information in terms that it alone can interpret. Its designer uses intellectual creativity in building the structure and
rules by which learning can occur, provides the facts from
which to learn, but then essentially loses visibility of the specific details and becomes a mere observer.25
25. Andy JOHNSON-LAIRD, «A Neural Networks: The Next Intellectual Property
Nightmare», (1990) 7(3) Computer Law 7, 10.
Droit d’auteur pour les œuvres produites par ordinateur
709
Les œuvres produites par un tel système présentent un défi
considérable pour le droit d’auteur traditionnel. En effet, l’on pourrait prétendre que ces œuvres ont été créées par le système expert
d’une manière indépendante, sans intervention humaine. Toutefois,
Miller relève que cette technologie de réseaux neuronaux n’est pas
très développée et qu’à cet égard la considération des questions de
droit d’auteur s’avère prématurée et spéculative26.
Il est toujours possible de considérer le réseau neuronal comme
un système créé par un auteur, personne physique. En effet, c’est
bien cette personne physique qui a conçu l’entraînement du système,
notamment par le choix des questions et des réponses soumises
au système durant le processus d’entraînement. Ainsi, bien que
l’entraîneur humain pourrait ne pas être en mesure de prédire le
résultat des coefficients des neurones, c’est bien la sélection des
questions de ces derniers et la détermination des bonnes réponses
qui vont déterminer la valeur finale de ces coefficients. Le réseau est
entraîné pour produire des œuvres, l’objectif essentiel recherché par
l’entraîneur humain. D’aucuns pourraient prétendre qu’aux fins du
droit d’auteur, la différence entre les systèmes experts de Scott
French ou de David Cope et les systèmes de réseaux neuronaux n’est
pas assez significative pour empêcher une analyse de ces réseaux
neuronaux identique à celle portant sur les premiers systèmes pour
identifier le véritable auteur, personne physique, des œuvres produites sur de tels réseaux. En tout état de cause, l’on ne devrait
pas a priori exclure l’application des règles traditionnelles du droit
d’auteur aux œuvres produites par ces réseaux neuronaux.
Il convient toutefois de constater, tel que le suggèrent CONTU
et Miller, que le monde des «ordinateurs intelligents» créant des
œuvres sans aucune intervention humaine demeure largement une
chimère du futur. En 1991, Donald Wenskay observait:
It is curious that after 25 years of anticipation and discussion,
the issue of computer authorship should still remain unaddressed by Congress or the courts. This is probably due to the
fact that [...] our expectations of future technological advancements have not been realized; genuine human-like performance by a computer is still not a reality.27
26. MILLER, op. cit., note 1, p. 1038.
27. Donald L. WENSKAY, «Aneural Networks: A Prescription for Effective Protection», (1991) 8 Computer Law 12, 20.
710
Les Cahiers de propriété intellectuelle
On constatera que la situation n’a guère changé depuis la publication de l’article de Wenskay. Une recherche récente dans les bases
de données de WestLaw et QuickLaw n’a permis de retracer qu’une
seule décision mettant en cause ces réseaux neuronaux. Et encore, il
ne s’agit pas d’une question de droit d’auteur, mais d’un jugement
rendu sur une demande d’injonction interlocutoire pour violation
d’un brevet portant sur un «Neural Network for Analysing PAP Tests
for Cervical Cancer»28.
La lenteur du processus de développement des «ordinateurs
intelligents» et de l’«ordinateur-auteur» nous invite à faire preuve de
sagesse et à ne pas mettre en œuvre des modifications au droit
d’auteur, que ce soit par amendements législatifs ou par la jurisprudence. Dans l’éventualité où cette question de l’«ordinateur-auteur»
deviendrait d’actualité, il conviendra tout d’abord de se référer aux
principes traditionnels et éprouvés du droit d’auteur avant d’envisager la création et la mise en œuvre de nouvelles règles.
28. Neuromedical Systems, Inc. c. Neopath, Inc., S.D.N.Y., May 28, 1998,
WL 264845.
Vol. 13, no 3
Une copie privée pour le
nouveau millénaire?
Commentaire sur les obligations
internationales pertinentes et sur
la Partie VIII de la Loi canadienne
sur le droit d’auteur
Luc André Vincent*
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 715
Partie I:
Un encadrement juridique international
incertain. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 723
A. La Convention de Berne, la Convention universelle sur
le droit d’auteur et la Convention de Rome . . . . . . . . . 723
1. L’étendue des droits de reproduction en cause . . . . . 723
2. Les limitations conventionnelles aux droits de
reproduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 732
© Luc André VINCENT, 2001.
* B.A., LL.B, DESS. L’auteur est avocat du Barreau du Québec et analyste des
politiques à la Direction générale de la politique du droit d’auteur du ministère
du Patrimoine canadien depuis 1994. Le présent mémoire a été présenté dans le
cadre du DESS Droit informatique et technologies nouvelles de la Faculté Jean
Monnet de l’Université Paris XI. Les vues exprimées sont celles de l’auteur et ne
peuvent aucunement être assimilées à celles du ministère du Patrimoine canadien ou du gouvernement canadien. L’auteur tient à remercier Ghislain Roussel,
Laurent Carrière, Pierre Sirinelli et Sylvain Metz pour leur encouragement et
leurs précieux conseils.
711
712
Les Cahiers de propriété intellectuelle
3. Les obligations dubitatives des États . . . . . . . . . . 735
B. L’Accord relatif aux aspects de propriété intellectuelle
qui touchent au commerce (ADPIC) et l’Accord de
libre-échange nord-américain (ALÉNA) . . . . . . . . . . . 739
1. L’étendue des droits de reproduction en cause . . . . . 740
2. L’apparente harmonisation des limitations aux droits
de reproduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 741
3. Les nouvelles obligations dubitatives des États . . . . 742
C. Les traités «WCT» et «WPPT» de l’OMPI . . . . . . . . . . 750
1. La réaffirmation des droits de reproduction
en cause . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 753
2. L’apparente harmonisation des limitations aux droits
de reproduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 755
3. L’incertitude persistante des obligations des États . . . 758
Partie II: Une solution en dépit de l’encadrement
juridique international . . . . . . . . . . . . . . 760
A. Une solution sous forme de mécanisme de rémunération
compensatoire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 760
1. L’unique solution au phénomène de la copie privée . . 760
2. La création de «parcs nationaux» ou la solution
traditionnelle comme abus de l’exception tolérée . . . . 762
3. La remise en cause de la solution traditionnelle . . . . 765
B. La partie VIII de la Loi sur le droit d’auteur du Canada:
une solution à la fois traditionnelle et audacieuse . . . . . 766
1. Genèse de la solution canadienne . . . . . . . . . . . . 766
2. Régime applicable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 770
Une copie privée pour le nouveau millénaire?
713
3. Remise en cause d’une solution inachevée . . . . . . . 773
a. La nature juridique du mécanisme . . . . . . . . . 774
b. L’indétermination des «support audio» et
«support audio vierge» . . . . . . . . . . . . . . . . 778
c.
La désignation des créateurs admissibles en dépit
de l’encadrement normatif international . . . . . . 780
d. L’économie générale des exemptions au mécanisme
de rémunération . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 782
e.
Les propositions de tarifs, la décision et le tarif . . 783
f.
Le rôle de la Commission du droit d’auteur. . . . . 788
C. La recherche d’une solution adéquate pour un
environnement numérique . . . . . . . . . . . . . . . . . . 788
1. Le statu quo ou le statu quo amélioré . . . . . . . . . . 789
2. L’abolition des limitations relatives à la copie
privée numérique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 791
3. L’impossible jus conventionis avalisant la solution
traditionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 791
INTRODUCTION
Les organisations internationales et les auteurs de doctrine se
préoccupant davantage des problématiques liées aux multimédias,
aux technologies de l’information et à la numérisation1, on ne semblait plus guère se soucier de copie privée ou des mécanismes de
rémunération compensatoire ancillaires au droit de reproduction2.
Quelle place doit donc être celle de la copie privée dans un environnement numérique? Comment surtout devons-nous comprendre
l’initiative du législateur canadien en matière de copie privée3 entreprise à l’aube du troisième millénaire?
On utilise généralement l’expression «copie privée» pour désigner le fait de reproduire à des fins non commerciales et personnelles
des œuvres protégées ou non par le droit d’auteur et par les droits
voisins, notamment des œuvres littéraires et artistiques, des photographies, des œuvres musicales, des prestations d’artistes interprètes, des enregistrements sonores, des œuvres cinématographiques
ou des créations audiovisuelles. Le texte de la législation française se
réfère aux copies ou reproductions strictement réservées à l’usage
1. Nous ne citerons parmi une littérature devenue gargantuesque que les titres suivants: J.-P. TRIAILLE, «Problématique de l’informatique et des nouvelles technologies de l’information», (1994) 4 C.P.I. 267; A. KEREVER, «Droit d’auteur et
mondialisation», (1997) 10 C.P.I. 19; P. DEPREZ et V. FAUCHOUX, Lois, contrats et usages du multimédia, Éditions Dixit, Paris, 1997, 344 pages; P. TRUDEL et al., Droit du Cyberespace, Thémis, 1997. Nous pouvons mentionner au
plan international l’absence de solution négociée dans le contexte des traités
ADPIC et OMPI mais également dans le contexte de l’Union européenne, et ce,
malgré ses efforts d’harmonisation depuis le Livre vert sur le droit d’auteur et
le défi technologique du 7 juin 1988, COM(88).
2. Voir l’intérêt que semblait susciter la copie privée: P. MASOUYÉ, «La copie
privée, un nouveau mode d’exploitation des œuvres», (1982) Le droit d’auteur 82;
Y. GAUBIAC, «Les nouveaux moyens techniques de reproduction et le droit
d’auteur», (1984) 122 R.I.D.A. 131; W. DILLENZ, «La rémunération pour copie
privée et le principe de traitement national», (1990) Le droit d’auteur 196;
T. COLLOVA, «De la rémunération pour la copie privée», (1991) 149 R.I.D.A. 34;
G. DAVIES et M.E. HUNG, Private Copying of Sound and Audio-visual Recordings, An International Survey of the Problem and the Law, Sweet & Maxwell,
1993, 280 pages, et au Canada: S. MARTIN, «La copie privée», (1989) 2 C.P.I. 27.
3. Loi portant modification à la Loi sur le droit d’auteur, L.C. 1997, c. 24 du 25 avril
1997, donnant suite au projet de loi C-32, déposé à la Chambre des communes le
1er avril 1996, ci-après L.R.C., c. C-42, Loi sur le droit d’auteur telle que modifiée
ou Loi.
715
716
Les Cahiers de propriété intellectuelle
privé de copiste et non destinées à une utilisation collective, tandis
que la législation canadienne se borne à énoncer le fait de reproduire
pour usage privé l’intégralité ou toute partie importante d’un enregistrement sonore, d’une œuvre musicale ou d’une prestation de
cette œuvre sur support audio4.
Sans faire état des autres actes de reproduction connexes ou
assimilables desquels la copie privée phonogramme se distingue en
général – la copie illicite ou pirate des œuvres à des fins de commercialisation, la copie servant des fins éducatives ou institutionnelles,
la copie de sauvegarde de logiciel, la copie éphémère et la copie issue
des techniques de reprographie, l’émergence problématique des
actes de reproduction à des fins personnelles est concomitante à la
commercialisation «grand public», vers le début des années 60, des
nouveaux appareils de reproduction tels que les lecteurs enregistreurs, magnétophones et magnétoscopes.
L’ampleur du phénomène de la copie privée phonogramme
est pourtant difficile à mesurer. Ainsi, dans la Communauté européenne, ce sont environ 470 millions de supports audio vierges de
type analogique (cassettes et rubans magnétiques) qui auraient été
vendus en 1991 plutôt que 282 millions en 19825. Aux États-Unis, ce
sont environ 388 millions de supports équivalents qui auraient été
vendus en 19876 et au Canada, entre 23 à 137 millions selon les nombreuses études effectuées depuis 1980 mais qui varient considérablement. La plus récente étude synthèse réalisée par le ministère
d’Industrie Canada en novembre 19947 établissait ce nombre à
4. Code de la propriété intellectuelle, Édition réalisée et commentée par M.
VIVANT, Litec, Paris, 1996, 1020 pages, voir: II.2, Livre I, titre II, chapitre II,
art. L. 122-5(2); II.4, L.III, Dispositions générales, titre 1, Rémunération pour
copie privée, art. L. 311 et s. Loi sur le droit d’auteur, L.R.C., c. C-42, art. 80.
5. G. DAVIES et M.E. HUNG, supra, note 2, p. 11.
6. CONGRESS OF THE UNITED STATES – OFFICE OF TECHNOLOGY
ASSESSMENT, Copyright & Home Copying: Technology Challenges the Law,
OTA-CIT-422 (Washington DC: US Government Printing Office), octobre 1989,
293 pages. Malgré une documentation fort étayée quant à l’impact de la copie
privée sur l’industrie et les consommateurs, les quantités de cassettes commercialisées ne font l’objet que d’une mention secondaire à la page 186 du rapport
d’une source identifiée comme l’International Tape/Disc Association, alors que
les lobbies «Electronic Industries Association» et «Home Recording Rights Coalition» participent à l’étude américaine sans produire de quantification plus précise. (voir p. 9). Il faut signaler au passage la critique que les auteurs Davies et
Hung formulent à l’égard de cette étude qu’ils jugent erronée du fait de l’inclusion de certaines catégories de supports (dictaphones): G. DAVIES et M.E.
HUNG, supra, note 2, p. 39 et s.
7. H. DÉRY et INDUSTRIE CANADA, Direction générale des conseils en gestion,
Calcul de l’ampleur de l’enregistrement sonore à domicile, 1994, 19 pages.
L’étude passe en revue les études et sondages canadiens FORCAST (1987),
CROP (1989), DENTON (1992) et GALLUP (1994) ainsi que certaines données
de STATISTIQUE CANADA de même que les études précitées OTA du Congrès
américain (1989) et G. DAVIES et M.E. HUNG, (1993).
Une copie privée pour le nouveau millénaire?
717
53 millions tandis qu’il est estimé à 44 millions par l’industrie canadienne du phonogramme dans Le temps d’agir. Rapport du groupe de
travail sur l’avenir de l’industrie canadienne de l’enregistrement
sonore8. Cette dernière étude de 1996 évaluait les pertes conséquentes de la seule industrie canadienne à environ 324,7 millions de
dollars par année.
Si ces quantifications tendent à étayer l’émergence et l’importance relative du phénomène de la copie privée phonogramme,
seuls les sondages d’opinion sont susceptibles d’indiquer l’utilisation
réelle qui est faite de ces supports par les consommateurs. La copie
privée de phonogrammes y serait confirmée dans une proportion de
90 % des cas, suivant les conclusions des auteurs Davies et Hung qui
qualifient le phénomène de répandu9. Or, un support vierge vendu
n’équivaut pas nécessairement à une vente perdue d’un phonogramme dans le commerce, si bien que l’incidence de la copie privée
ne serait manifestement pas aussi simple à établir. Le taux de pénétration des appareils de reproduction dans les foyers, le nombre
d’utilisations des supports vierges, la durée des supports, les utilisations précises de ces supports comme la nature des œuvres, des prestations ou des phonogrammes qui sont reproduits (protégés ou du
ressort du domaine public) et leur provenance (phonogrammes dans
le commerce, radio et télédiffusion, téléchargement) sont autant de
facteurs de cette mesure incertaine dont traitent différemment les
nombreuses études et sondages ayant été effectués de par le monde.
Si la mesure du phénomène de copie privée est incertaine,
l’émergence de nouvelles technologies de reproduction ne contribue
guère à faciliter quelque constat. La non-interchangeabilité du sup8. Le temps d’agir. Rapport de l’industrie canadienne de l’enregistrement sonore,
1996, 146 pages, voir les recommandations 8 et s., p. 117-119. Il faut ajouter aux
études précitées, la proposition soumise par l’ASCE au Comité du patrimoine
canadien dans le contexte du projet de loi C-32. L’ASCE (Association canadienne
des supports d’enregistrement) affirme représenter les grands importateurs,
fabricants et distributeurs de supports vendus au Canada tels BASF Canada,
Fuji Photo Film Canada, Sony du Canada, Maxell Canada, Memorex Canada,
AVS Technologies (TDK) soit plus de 90 % du marché canadien des supports analogiques. Sans quantifier le nombre des ventes de supports, l’ASCE évaluait le
marché canadien des ventes de supports audio vierges à environ 38,3 millions de
dollars pour 1995. Selon AVS Technologies, ce sont environ 25 millions de supports analogiques qui auraient été vendus au Canada en 1997 et 2,5 millions de
supports numériques de format CD-R.
9. G. DAVIES et M.E. HUNG, supra, note 2, p. 28. Il faut aussi signaler au passage
l’étude européenne éditée tous les ans par la société néerlandaise STICHTING
DE THUISKOPIE, Audio-Visual Private Copying. Law and Practice in Europe.
A Survey. 11th Revision, 1999, 26 pages, de même que deux études de l’IFPI: Private Copying in the Member States of the European Union, 5 mars 1996, 11
pages, et Countries with Private Copying Legislation, 3 octobre 1996, 4 pages.
718
Les Cahiers de propriété intellectuelle
port analogique pourrait certes conforter une certaine analyse, du
moins pour un certain temps10. On pourrait citer à cet effet les succès
mitigés ou marginaux des technologies de remplacement qu’ont été à
ce jour les DCC et «MiniDisc», les CD-I11, les supports magnétiques
numériques DAT, ainsi que les DVD et les DIVX12. Plus que tout
autre exemple, l’expérience américaine de la copie privée numérique
confirmerait cette non-interchangeabilité puisque les résultats de la
mise en place d’un mécanisme de rémunération13, limité aux appareils et aux supports magnétiques numériques de reproduction DAT,
s’avèrent, à ce jour, négligeables.
10. Dans sa Proposition de Directive du Parlement européen et du Conseil sur
l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans
la société de l’information, COM (97) 628 final, 97/0359 (COD), la Commission
estime que la copie privée analogique demeurera un marché important au
moins pendant les 5 à 15 années à venir, malgré le développement de l’environnement numérique. Certaines indications, comme le produit des redevances issu des mécanismes de rémunération compensatoire dans certains pays,
pourraient indiquer la maturité, voire le déclin, du marché des ventes de supports audio vierges analogiques, confirmant du même fait la stagnation des
ventes mise en preuve par l’ASCE devant le Comité du patrimoine canadien et
le constat de la Commission européenne suivant lequel l’harmonisation des
règles visant la copie privée analogique et numérique ne serait pas opportune
dans un contexte de transition technologique. Voir ci-dessous, à la note 104, la
nouvelle approche du Conseil et du Parlement européen vis-à-vis cette proposition de Directive.
11. G. FRAISSARD, «Les formats dans tous leurs états», Le Monde informatique,
mercredi 5 mai 1999.
12. L. ARENT, «DIVX is Dead», Wired Digital, 16 juin 1999. Faute d’engouement
commercial, les fabricants annoncent le retrait du marché de la technique du
DIVX qui imposait un paiement à chaque diffusion audio-visuelle.
13. M. HENNESSY, «Collection and Distribution of Royalties in Continental
Europe and the United States: An Analysis», (1998) 18 Copyright World 21-30,
25. La rémunération américaine y est décrite comme «totally insignificant»,
soit en 1995: 116 722 écus en comparaison avec les 37,9 millions d’écus du seul
mécanisme français. Voir également: B. HOLLAND, «Digital Royalties for
Artists, Labels Static in 1994», Billboard, 13 mai, 1995, p. 2 et 120. Un total
d’environ 1,6 millions de dollars doit être réparti pour les 3 ans depuis la mise
en vigueur en 1992. Selon l’état des perceptions obtenues directement du
Licensing Division, US Copyright Office ce total depuis 1992 jusqu’à décembre
1998 se chiffre à 4 248 428,89 dollars. Malgré ces sommes dérisoires en
proportion de mécanismes d’autres pays, ce mécanisme de rémunération compensatoire ne connaîtrait aucune modification importante. Le 8 mai 1998, la
proposition de tarif du Copyright Arbitration Royalty Panel (CARP) aurait été
rejetée par le Copyright Office au motif suivant: «CARP determination focused
on a marketplace benchmark which improperly relied on preexisting licenses
with record companies». D’une valeur proposée par la CARP à 5 % du prix de
détail des supports et des appareils de reproduction, le Copyright Office recommandait et adoptait une redevance majorée à 6,5 % selon une dépêche du
BNA’s Patent Trademark & Copyright Journal, (1998) vol. 56, no 1376, p. 41.
Voir également le site Internet du Copyright Office. Faut-il préciser que la
répartition ne serait toujours pas effectuée suivant le BNA’s Patent Trademark
& Copyright Journal, (1999) vol. 58, no 1424, p. 15 qui fait état de l’insuffisance
Une copie privée pour le nouveau millénaire?
719
Or, la récente pénétration sur les marchés du CD-R (audio et
data)14, du DVD15 et du RIO16 bouleverse la donne traditionnelle.
des sommes perçues pour arbitrer tout différend visant la répartition éventuelle. «Section 251.45(a) of C.F.R. requires the Librarian of Congress through
the copyright Office to publicly request claimants to the royalties to comment
as to whether a controversy exists over the distribution of the royalty fund. If a
controversy exists, there is a period of negociation, followed by an arbitration
should negociation fail. Because there are insufficient funds available from the
musical works Fund for any single year to cover the projected cost of an arbitration proceeding requiring oral testimony, the Copyright Office consolidated the
distribution for the years 1995-1998 into a single proceeding.»
14. «Confusion en matière de copie privée», Expertise, janvier 1999. Le nombre de
CD vierges vendus en France (CD-R enregistrable une seule fois ainsi que les
CD-RW réenregistrable) se chiffrent à environ 10 millions d’unités pour 1997
contre 30 millions d’unités estimées pour 1998. Selon J.Y. Mirsky du Syndicat
national des éditeurs phonographiques (SNEP) cité dans: S. DAVET, «L’industrie du disque confrontée à de nouvelles formes de piratage», Le Monde,
vendredi 18 décembre 1998, ce sont 35 millions de CD-R vierges qui auraient
été vendus en 1998. Suivant l’IFPI, les ventes de CD-R vierges au Japon
étaient de 200 millions d’unités et de 90 millions d’unités mini-disks. Par ailleurs, la capacité mondiale de production vers la fin de 1998 pouvait être
estimée à environ 14 milliards d’unités de disques optiques, tous formats
confondus (CD, CDR et VCD), le double de la demande commerciale légitime.
«Push for CD Plant Regulations», Network IFPI, Issue 3, May 1999, p. 2. En
dépit de ces indications partielles ou imprécises qui témoignent d’une pénétration de marché sans précédent, il faut souligner l’absence de données fiables.
Aucune information relative à la pénétration des différents formats déclinant
la gamme de CD n’est disponible (suivant la nomenclature de l’industrie:
CD-DA (CD Audio Red Book, 16 bit sound format IEC-908), CD-ROM (Yellow Book ISO-10149, High Sierra Application Format ECMA-119, ISO-9660,
Orange Book, XA audio and video modes, PhotoCD XA Bridge), CD-I (Green
Book), CD-R (Frankfurt Group ECMA-168), Video-CD (White Book et al.),
SVCD, DVCD, Super DVCD (compatible avec tous les lecteurs informatiques
ou électroniques dédiés), Venus Project (Microsoft)). L’organisme ITA précité
à la note 6 colligerait l’ensemble des statistiques relatives aux ventes de
l’ensemble des supports audio et data au monde. En revanche, la preuve soumise à la Commission du droit d’auteur du Canada durant les audiences relatives à la fixation du tarif sur la copie privée révèle que ces statistiques seraient
peu fiables aux dires des représentants canadiens de l’industrie.
15. G. FRAISSARD, «Un marché à deux vitesses. Le DVD vidéo décolle. Le
DVD-ROM rame mais plus pour très longtemps», id., note 11. Si le DVD se
décline sous les formats lisibles vidéo et audio mais également DVD-R (enregistrables) et DVD-RW ou RAM (réinscriptible), aucune information précise n’est
disponible concernant les ventes des supports vierges. Seule la pénétration du
marché par le DVD vidéo y est évaluée par les 100 000 unités de lecteurs vendus en 1998 contre 2 millions prévus en 1999. Également: O. ZILBERTIN, «Le
DVD sonne le glas de la cassette vidéo», Le Monde informatique, mercredi 5
mai 1999. «Avec 700 000 disques vendus en 1998, on est encore loin des
43 millions de vidéocassettes écoulées dans le même temps, mais c’est déjà
plus de deux fois le score du CD audio en 1982, l’année de son lancement»,
«L’observatoire européen de l’audiovisuel faisait remarquer que si le DVD présentait une touche enregistrement au lieu de n’être qu’un moyen de lecture, il
aurait déjà tout soufflé sur son passage».
16. G. FRAISSARD, «Un baladeur sans CD ni cassette», Le Monde, lundi 7 décembre 1998. M. MacLACHLAN, CMPNet, «U.S. Recording Industry Loses Appeal
720
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Loin de simplement soupçonner et d’anticiper l’inévitable remplacement de la technologie analogique, le constat alarmiste17 plus
contemporain est d’appréhender l’ampleur inégalée du phénomène
de la copie privée et surtout, la menace que fait planer le tout numérique sur les exploitations traditionnelles des phonogrammes.
En 1986, dans Les nouveaux moyens de reproduction – Journées
néerlandaises, André Françon qualifiait le phénomène de copie
privée de remise en cause de la maîtrise des créateurs vis-à-vis
l’exploitation des prérogatives exclusives qui leur sont reconnues,
voire de disparition pure et simple de leur protection18. Cette remise
en cause s’explique par le caractère de la reproduction réalisée dans
la sphère privée – impliquant le principe d’inviolabilité de la vie
privée et du domicile – qui échappe à tout contrôle efficace par les
ayants droit et ce, quand bien même ces utilisations sont susceptibles à tout le moins d’atteindre le droit de reproduction, de constituer
un nouveau mode d’exploitation, de faire concurrence aux moyens
classiques de diffusion19, sinon de carrément léser les titulaires de
droits.
Against RIO MP3 Player», The New York Times Company, 15 juin 1999. En
appel, la RIAA ne se voit pas reconnaître le droit d’empêcher la commercialisation du RIO. Le juge refuse de qualifier le RIO d’appareil de reproduction au
sens de la loi américaine prétextant que les caractéristiques de l’appareil
favorisant l’écoute empêchait toute reproduction ultérieure. Voir également:
B. HOLLAND, «Court Rules Against RIAA in MP3 Case», Billboard, 26 juin
1999, p. 3 et 100. L’argument principal du tribunal veut que ces appareils ne
seraient pas principalement destinés à la reproduction directe émanant de CD
ou de la radiodiffusion, mais plutôt à la rediffusion de reproduction indirecte.
R. CALLEJA, «MP3 Setback», (1999) 92 Copyright World 6-7.
17. S. DAVET, «L’industrie du disque confrontée à de nouvelles formes de piratage», Le Monde, vendredi 18 décembre 1998; A. McGEE, «Le disque va mal,
l’Internet va l’achever», Libération, jeudi 9 juillet 1998; T. LEGOFF, «Un air de
rififi chez les majors», Netsurf, octobre 1998; N. GARNETT, The Recording
Industry and New Technology, Fordham University School of Law, Sixth
Annual Conference on International Intellectual Property Law & Policy, April
16 & 17, 1998, p. 7: «In the meantime, it (private copying in the digital on-line
domain) will usually be the final stage of the electronic commerce value chain
between producer and consumer. To argue that it does not interfere with normal exploitation, particularly where there is no technical obstacle to direct
exercise of the reproduction right, is to argue an untenable proposition.»
18. A. FRANÇON, «Rapport général», Travaux de l’association Henri Capitant. Les
nouveaux moyens de reproduction papiers, sonores, audiovisuels et informatiques. Journées néerlandaises, Economica, 1988, p. 246. À cet égard, Stéfan
Martin cite à juste titre la crainte d’un auteur italien qui, dès 1927, appréhendait la mort du droit d’auteur advenant une banalisation des méthodes de
reproduction: S. MARTIN, supra, note 2, p. 30. La CISAC est citée par Collova
comme soucieuse, dès 1949, de la problématique émergente de la copie privée
et des solutions à rechercher. T. COLLOVA, supra, note 2, p. 36.
19. Ibid.
Une copie privée pour le nouveau millénaire?
721
P. Gulphe décrivait le contexte législatif français de 1985 pour
qualifier la copie privée de «phénomène de société»20. S. Martin, pour
sa part, caractérisait la copie privée de «pratique institutionnelle,
sans aucune limite ni de fait ni de droit»21. Plus récemment, Jane
Ginsburg s’interrogeait sur le formidable essor du consumérisme et
du soi-disant «droit des usagers» en disant du phénomène de la copie
privée qu’il exacerberait cet essor mais, surtout, qu’il pourrait sceller
à lui seul l’issue des droits des créateurs et des usagers à l’ère numérique22.
L’essor de nouvelles techniques de reproduction, analogique ou
numérique, soulève donc la question de la nature juridique des actes
qu’elles mettent en œuvre. Cet essor met à l’épreuve et, le cas
échéant, fait évoluer les préceptes de droit d’auteur et des droits
voisins, comme ce fut le cas pour la plupart des évolutions technologiques depuis l’invention de l’imprimerie par Gutenberg jusqu’à
Internet – l’actuelle révolution des communications selon Sookman23
– en passant par les procédés de radio et de télédiffusion. Ainsi, la
remise en cause des niveaux de protection par le phénomène de la
copie privée, tout comme l’évolution historique de la protection des
créateurs, reflètent une problématique devenue traditionnelle et
inhérente au droit d’auteur et aux droits voisins, ce que cristallisait
déjà, en 1948, l’article 27 de la Convention universelle des droits de
l’Homme, c’est-à-dire une tension fondamentale entre, d’une part, le
droit universel à la culture et, d’autre part, les intérêts moraux et
matériels des créateurs intellectuels24.
20. P. GULPHE, Dalloz Propriété littéraire et artistique. Exercice des droits des
auteurs: Droit de reproduction. Rémunération pour copie privée, Dalloz, Fascicule 335, p. 1-6, p. 2.
21. S. MARTIN, supra, note 2, p. 27.
22. J. GINSBURG, «Authors and Users in Copyright», (1997) 45, 1 Journal of the
Copyright Society of the USA 1-20, p. 6. On qualifiait plus modestement la copie
privée numérique de «remise en cause des équilibres existants» dans la foulée
de la proposition de directive européenne; or, l’intitulé de la dépêche suggérerait un constat plus radical: «Les producteurs pour la suppression de la licence
légale et de la copie privée», Expertise des systèmes d’information, no 217,
juillet 1998, p. 209.
23. B.B. SOOKMAN, «Copyright and the Information Superhighway: Some Issues
to think About», (1997) 11, 2 Intellectual Property Journal 123-228, p. 125. Voir
aussi J. GINSBURG, supra, note 22, p. 6. Cette auteure ajoute qu’historiquement les nouveaux moyens d’exploitation des œuvres échappent souvent
aux droits des créateurs, comme ce fut le cas des rouleaux perforés, de la
retransmission cablée et de la copie privée.
24. Déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre 1948, article 27:
«1. Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la
communauté, de jouir des arts, et de participer au progrès scientifique et aux
bienfaits qui en résultent. 2. Chacun a droit à la protection de ses intérêts
moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou
artistique dont il est l’auteur», cité par S. MARTIN, supra, note 2, p. 38.
722
Les Cahiers de propriété intellectuelle
La problématique traditionnelle que soulève le phénomène de
la copie privée en droit d’auteur et en droits voisins, tant sur un plan
international que national, confronte les notions classiques de droit
de reproduction et de limitations. Ainsi, si l’émergence de technologies analogiques ou numériques facilitant la reproduction met à
l’épreuve ces notions, il conviendra d’analyser, dans un premier
temps, l’évolution de l’encadrement juridique international afin d’y
constater ou non l’existence de règles applicables en matière de copie
privée. Quelle est la nature juridique de la copie privée en droit international? Comment la souveraineté des États est-elle contrainte par
les principaux instruments internationaux que sont les conventions
de Berne et de Rome? Pourquoi ces instruments internationaux semblent-ils caractérisés par l’absence de solution tranchée en matière
de copie privée? Doivent-ils pour autant être qualifiés d’inadaptés
parce qu’ils ne permettent pas de mieux circonscrire le droit de
reproduction des créateurs des limitations en faveur des usagers ou
des consommateurs? L’ADPIC et les traités OMPI modifient-ils ce
qui apparaît être un constat d’incertitude?
En dépit de l’incertitude persistante de l’encadrement juridique
international, la solution traditionnelle au phénomène de la copie
privée réside dans l’intervention législative des États et dans la mise
en œuvre d’un mécanisme de rémunération compensatoire. Il importera ainsi dans un deuxième temps de décrire et de critiquer l’une
des plus récentes de ces solutions qui nous est proposée par la Partie
VIII de la Loi sur le droit d’auteur du Canada. La solution canadienne ne se distingue pas des autres solutions édictées par d’autres
pays à bien des égards. En revanche, elle constitue une interprétation contemporaine de l’encadrement juridique international resté
incertain et elle répond, avec une certaine audace, à l’environnement
numérique foisonnant. Peut-on alors valablement prétendre que
la solution canadienne, voire quelque mécanisme de rémunération
compensatoire pour la copie privée, puisse constituer un complément
patrimonial utile aux droits de reproduction pour le nouveau millénaire? Quelle pourra être une solution adéquate pour un environnement numérique?
La solution canadienne ne s’appliquant qu’aux enregistrements sonores et non à l’univers audiovisuel ou à quelque autre
activité créatrice protégée par une protection privative, nous nous
référerons ci-après à la copie privée, à la copie privée phonogramme
ou aux phonogrammes pour désigner les œuvres musicales, les prestations d’artistes interprètes ainsi que des enregistrements sonores
de producteurs les incorporant. Notre propos ne portera donc pas,
sauf exception, sur le phénomène de la copie privée audiovisuelle.
Une copie privée pour le nouveau millénaire?
PARTIE I:
723
UN ENCADREMENT JURIDIQUE
INTERNATIONAL INCERTAIN
Partant de la division classique en droit d’auteur entre les
droits patrimoniaux de représentation et de reproduction, l’essentiel, pour reprendre les auteurs Lucas25, est que, dans tous les cas où
une création protégée est le siège d’une exploitation économique, son
auteur ou son titulaire puisse maîtriser les utilisations. La copie
privée constitue-t-elle une utilisation soumise à l’autorisation des
auteurs et des bénéficiaires de droits voisins? Quel est le dispositif
international mis en œuvre par la Convention de Berne, la Convention universelle sur le droit d’auteur et la Convention de Rome, par
les traités multilatéraux de l’ADPIC et de l’ALÉNA ainsi que par les
traités OMPI26? La copie privée est-elle donc, selon cet encadrement,
une reproduction, une prérogative patrimoniale émanant des droits
exclusifs des créateurs ou, plutôt, un cas spécial d’exception en
faveur d’usagers échappant au champ d’application des droits d’auteur et des droits voisins? Quelles sont, en conséquence, les obligations internationales des États?
A. La Convention de Berne, la Convention universelle
sur le droit d’auteur et la Convention de Rome
1. L’étendue des droits de reproduction en cause
Les conventions précitées contiennent des dispositions visant
ce qui est communément assimilé au droit de reproduction mais qui
se présente sous des contours variables.
Le droit de reproduction fait l’objet d’une reconnaissance formelle dans la Convention de Berne dans sa révision de Stockholm, en
25. A. LUCAS et H.-J. LUCAS, Traité de la propriété littéraire et artistique, Litec,
Paris, 1994, 1104 pages, p. 216.
26. Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques du
9 septembre 1886, complétée à Paris le 4 mai 1896, révisée à Berlin le 13
novembre 1908, complétée à Berne le 20 mars 1914, révisée à Rome le 2 juin
1928, à Bruxelles le 26 juin 1948, à Stockholm le 14 juillet 1967 et à Paris le 24
juillet 1971 (ci-après Convention de Berne ou Berne); Convention universelle
du 24 juillet 1971 sur le droit d’auteur signée à Genève le 6 septembre 1952 et
révisée à Paris le 24 juillet 1971 (ci-après Convention universelle ou CUDA);
Convention sur la protection des artistes interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffusion, dite Convention
de Rome, du 26 octobre 1961 (ci-après Convention de Rome ou Rome); Accord
relatif aux aspects du droit de propriété intellectuelle qui touchent au commerce
du 15 décembre 1993, Annexe 1C du Traité de Marrakech du 15 avril 1994
ayant créé l’Organisation mondiale du commerce (ci-après OMC) ou Trade
724
Les Cahiers de propriété intellectuelle
1967. L’intérêt de cette reconnaissance est d’avoir trouvé une formule suffisamment généreuse, assortie d’une limite pouvant pallier
les nombreux cas d’exception d’intérêt public, sans pour autant
annuler son attribution et son exercice. Les articles 9(1) et (2) se
lisent comme suit27:
9. (1) Les auteurs d’œuvres littéraires et artistiques protégés
par la présente Convention jouissent du droit exclusif d’autoriser la reproduction de ces œuvres de quelque manière et sous
quelque forme que ce soit.
(2) Est réservée aux législations des pays de l’Union la faculté
de permettre la reproduction desdites œuvres dans certains
cas spéciaux, pourvu qu’une telle reproduction ne porte pas
atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni ne cause un
préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur.
Le guide de la Convention de Berne de l’OMPI précise que, bien
que le droit de reproduction constitue l’un des aspects fondamentaux
du droit d’auteur ou le type d’exploitation le plus ancien28, voire
la prérogative patrimoniale la plus importante, c’est curieusement
tardivement qu’il intègre la Convention. Nordemann, Vinck et Hertin signalent que ce droit peut être révélé ou englobé dans
l’interprétation des versions antérieures de la Convention. Stewart
prétend pour sa part que la révision de Stockholm:
[...] does not alter everything [...] but does alter an essential
point: The Union author can invoke the right of reproduction
as a minimum right of and to the extent that the Berne Convention does not expressly prescribe or permit limitations. Such
limitations are therefore to be interpreted narrowly, as an
exception to the basic principle of par. 1. Accordingly, the Union
author must accept prescribed limitations in the country of
related Aspects of Intellectual Property Rights (ci-après ADPIC, OMC-ADPIC
ou TRIPS); Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur, adopté par la Conférence
diplomatique le 20 décembre 1996 (ci-après Traité WCT); Traité de l’OMPI sur
les interprétations et exécutions et les phonogrammes, adopté par la Conférence
diplomatique le 20 décembre 1996 (ci-après Traité WPPT).
27. Convention de Berne, supra, note 26, art. 9.
28. W. NORDEMANN, K. VINCK, P. HERTIN (G. MEYER), International Copyright and Neighbouring Rights Law, VCH Publishers, 1990, 344 pages, p. 189.
A contrario: S. RICKETSON, The Berne Convention for the Protection of Literary and Artistic Works: 1886-1986, Kluwer, 1996, p. 479: «Although it has
been argued that there was an implicit requirement under earlier Acts to provide such protection, the better view is that no such obligation existed.»
Une copie privée pour le nouveau millénaire?
725
protection as long as the domestic law of the country of
protection does not contain a provision more advantageous for
the author...29
Le droit exclusif de reproduction est donc érigé au rang de
principe, de droit matériel conventionnel ou de jus conventionis, dont
l’objet est de garantir une protection minimum et uniforme des
auteurs entre les pays unionistes. Le droit exclusif constitue l’un des
piliers de cette protection minimale obligatoire qui porte sur les
dispositifs des articles 2 bis (3), 6 bis, 8, 9, 11, 11 bis, 11 ter, 12, 13, 14
et 5(2), 7 et 7 bis.
Il serait trop ambitieux de fournir ici toutes les précisions
indispensables à la délimitation du droit de reproduction dans ce
contexte30. Or, la copie privée peut-elle constituer un acte de reproduction qui serait objet de la réservation privative au sens de la
Convention de Berne et est-elle, en définitive, le siège d’une exploitation économique caractéristique de cette protection minimum?
Il suffit d’une seule lecture de l’article 9(1) pour se convaincre
de la portée exhaustive de la définition du droit de reproduction qui
«subordonne à l’autorisation de l’auteur toutes les reproductions de
quelque manière et sous quelque forme que ce soit»31. Comme le
texte de la Convention de Berne ne contient aucune mention précise
de la copie privée et se borne à définir l’enregistrement sonore de
reproduction32, la Convention n’offre aucun autre dispositif au
secours d’une interprétation littérale. Ainsi, pouvons-nous affirmer
que la copie privée peut être une reproduction puisqu’elle est réalisée
de plusieurs manières et sous plusieurs formes.
29. S.M. STEWART, International Copyright and Neighbouring Rights, Second
Edition, Butterworths, 1989, 1033 pages, p. 189.
30. A. LUCAS et H.-J. LUCAS, supra, note 25, p. 847 et s. H. DESBOIS, A.
FRANÇON et A. KEREVER, Les conventions internationales du droit d’auteur
et des droits voisins, Dalloz, Paris, 1976, 452 pages. Convention de Berne: p.
130 et s., Convention de Rome: p. 263 et s.
31. Convention de Berne, supra, note 26.
32. OMPI, Guide de la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques (Acte de Paris, 1971), Genève, 1978, 258 pages, p. 65. Si le
Guide affirme que «[...] naturellement, la fabrication d’exemplaires de l’enregistrement constitue aussi une reproduction», il ne va pas jusqu’à qualifier la
copie privée en tant que tel. Le commentaire de l’article 9(1) traite de certains
procédés de reproduction connus ou à découvrir et précise qu’il s’agit en général
de fixation d’œuvre sur un support matériel par l’emploi de méthodes inventées
à cet effet et renvoie à l’article 9(3).
726
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Par ailleurs, la Convention prévoit la faculté pour les États de
faire échec au minimum conventionnel dans certains cas de réserves.
Les auteurs Lucas rangent l’article 9(2) parmi ces réserves, qui
imposent un seuil de protection de second rang par le truchement
peu contraignant d’une «directive générale laissant le choix des
moyens au pays réservataire»33. Nous reviendrons un peu plus loin
sur ces réserves.
Sur le plan des principes, la copie privée nous apparaît clairement comme une reproduction. Cependant, l’analyse s’avère plus
délicate dès lors que la copie privée implique, au-delà du simple acte
de reproduction qu’elle vise, la recherche de l’étendue et du niveau de
protection conféré par telle limitation ou par tel mécanisme de
rémunération compensatoire. La difficulté réside donc moins au plan
de la qualification de la copie privée en tant que telle, que dans la
qualification de l’éventuelle protection offerte ou non par un État, à
savoir comment cette protection entre dans le champ d’application
du jus conventionis sous Berne. Cette protection, voire l’absence de
protection, relève-t-elle donc du droit matériel conventionnel, d’une
protection supérieure à ce minimum ou échappe-t-elle simplement à
l’obligation de protection minimale?
Si cette protection relevait clairement du droit matériel conventionnel, l’obligation des États de donner acte à un dispositif
juridique visant la copie privée et à un mécanisme de rémunération
compensatoire se refléterait dans toutes les lois des pays membres.
Or, nous le verrons ci-après, ceux-ci sont largement minoritaires.
Selon Gunnar Karnell34, il manque «dans le texte actuel de la
Convention «un point d’appui direct» permettant de lier le droit de
reproduction aux régimes de redevances»35 qui ont été créés dans
certains pays. Les règles fondant l’attribution des redevances «ne
concernent pas des utilisations d’œuvres, caractéristiques des droits
d’auteur, mais la confection et la distribution de supports préalables
à toute utilisation d’œuvres»36. Ainsi, suivant cette thèse, la copie
privée échapperait au jus conventionis et laisserait les États libres de
toute contrainte conventionnelle. Toute tentative de qualification
33. Id., p. 902.
34. G. KARNELL, «Traitement national, copie privée sonore ou audiovisuelle et
interprétation de la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques», Mélanges en l’honneur de André Françon, Dalloz, Paris,
1995, 384 pages, p. 267-283.
35. Id., p. 277.
36. Ibid.
Une copie privée pour le nouveau millénaire?
727
juridique ne peut dès lors que refléter des vœux politiques (notamment les arguments du Bureau international en forme d’interprétation de la Convention), voire ne peut que sortir de l’analyse
juridique tant et aussi longtemps que des critères formels ne se
trouvent pas édictés dans la Convention même37.
Si, dans l’hypothèse contraire, la protection offerte au chapitre
de la copie privée par un État membre n’échappe pas au jus conventionis, c’est qu’elle constitue un niveau de protection dont l’étendue
dépasse le minimum conventionnel. Selon les auteurs Lucas, la Convention de Berne prévoit deux possibilités permettant d’aller au-delà
de son propre minimum de protection.
La première possibilité est liée à ce que décrivaient Nordemann, Vinck et Hertin, cités ci-haut. Elle concerne un niveau de protection prévu dans la Convention dans la mesure où cette dernière
prévoit la faculté pour les auteurs unionistes de revendiquer le bénéfice d’une protection supérieure accordée par un État. Nous nous bornons à signaler les considérations plus subtiles de conflits de loi qui
sont susceptibles d’application à l’encontre d’un tel avantage que la
Convention aménage. Le bénéfice d’une protection supérieure au
minimum conventionnel pourrait donc faire l’objet d’une revendication conventionnelle telle qu’habilitée par l’article 19.
La deuxième possibilité vise la faculté des États de conclure des
arrangements conférant des droits plus étendus ou des stipulations
non contraires à la Convention de Berne. Nous analysons ci-dessous
le cas du traité WCT.
Dans les deux cas, la Convention se charge ainsi de favoriser et
d’encourager entre les États une protection qui dépasserait le seuil
minimum qu’elle énonce.
La référence à la copie privée ou à l’utilisation d’œuvres protégées à des fins personnelles ne se retrouve donc pas dans la Convention de Berne, pas plus qu’on ne la retrouve dans la Convention
universelle. En vertu de l’Article IV bis, cette dernière oblige les
États membres à reconnaître, en faveur des auteurs, un droit
exclusif d’autoriser la reproduction par n’importe quel moyen. En
revanche, elle affirme d’un même souffle la faculté pour les législations nationales d’apporter des exceptions non contraires à l’esprit et
37. Id., p. 275 et 277.
728
Les Cahiers de propriété intellectuelle
aux dispositions de la convention, en accordant à chacun des droits
auxquels il serait fait exception, un niveau raisonnable de protection
effective. Compte tenu de l’accession des États-Unis à la Convention
de Berne en 1989, de l’ADPIC et des traités OMPI plus récents, un
commentaire plus approfondi de la Convention universelle ne nous
apparaît pas opportun.
Les articles 7 et 10 de la Convention de Rome s’énoncent comme
suit:
7. (1) La protection prévue à la présente Convention en faveur
des artistes interprètes ou exécutants devra permettre de
mettre obstacle:
a) [...]
b) à la fixation sans leur consentement sur un support matériel
de leur exécution non fixée;
c) à la reproduction sans leur consentement d’une fixation de
leur exécution;
i) lorsque la première fixation a elle-même été faite sans
leur consentement;
ii) lorsque la reproduction est faite à des fins autres que
celles pour lesquelles ils ont donné leur consentement;
iii) lorsque la première fixation a été faite en vertu des
dispositions de l’article 15 et a été reproduite à des fins
autres que celles visées par ces dispositions [...]
10. Les producteurs de phonogrammes jouissent du droit d’autoriser ou d’interdire la reproduction directe ou indirecte de
leurs phonogrammes.
Le libellé de l’article 10 ne reprend pas verbatim «le droit exclusif d’autoriser la reproduction» de l’article 9 de Berne. Or, selon le
Guide de la Convention de Rome de l’OMPI38, le producteur se voit
conférer «au titre du minimum de protection, [...] un droit exclusif
d’autorisation ou d’interdiction portant sur la reproduction faite
38. OMPI, Guide de la Convention de Rome et de la Convention phonogramme,
Genève, 1981, 190 pages.
Une copie privée pour le nouveau millénaire?
729
de façon directe ou indirecte, de leurs phonogrammes»39. Ce droit
s’étendrait à toutes les reproductions effectuées à partir d’une
matrice ou à partir de tout pressage subséquent, soit des reproductions «par enregistrements des sons produits en faisant tourner
un phonogramme déjà existant [...], par enregistrement des sons produits par un appareil récepteur captant l’émission radiophonique
d’un phonogramme»40.
La copie privée peut alors être qualifiée de reproduction au sens
de l’article 10, encore que cette protection soit tout le contraire d’être
«expressément garantie» par la Convention, comme nous le verrons
ci-dessous. La question de la qualification des mécanismes de rémunération compensatoire sous l’angle de droit matériel conventionnel,
de protection supérieure à ce minimum ou de protection lui échappant se pose avec autant d’intérêt que pour le droit d’auteur. Par ailleurs, si l’argument de Karnell trouve quelque mérite à être défendu
en droit d’auteur, a fortiori doit-il être confirmé pour la Convention
de Rome, qui s’inspire de la Convention de Berne sans atteindre un
même niveau d’homogénéité et d’harmonisation.
Le cas des artistes interprètes est fort différent. Comme le souligne le Guide de la Convention de Rome, «les artistes, à la différence
des deux autres catégories d’intéressés, ne sont pas investis selon le
minimum conventionnel d’un droit exclusif d’autorisation ou d’interdiction»41. Le droit de faire obstacle confère donc des prérogatives qui
seraient en deçà des droits de reproduction des auteurs et des producteurs. Il est le résultat d’une volonté de permettre aux législations nationales d’effectuer une mise en œuvre de ces droits avec une
quasi parfaite latitude quant à l’encadrement de certains intérêts
qu’elle cherche à atteindre42.
39.
40.
41.
42.
Id., p. 56.
Ibid.
Id., p. 41.
Ces intérêts concernent les droits ci-dessous décrits qui sont importants pour
mettre en perspective l’étendue des droits de fixation et l’exception de copie
privée: la fixation des prestations en studio ou en concert (art. 7(1)b)), la reproduction d’exécution par un producteur de phonogramme d’une prestation fixée
pour la première fois à l’insu de l’artiste interprète, par exemple la réalisation
d’une fixation de prestation de concert («bootlegg») (art. 7(1)c)(i)), la reproduction non autorisée pour des fins autres que celles convenues contractuellement,
le cas fréquemment cité étant celui de l’incorporation ou l’utilisation de la prestation destinée à la commercialisation phonogramme dans une œuvre cinématographique (art. 7(1)c)(ii) et art. 19) ou, enfin, l’exploitation ultérieure d’une
fixation autorisée par une législation nationale en conformité avec l’une des
dispositions prévues à l’article 15 soit: l’usage privé, les courts fragments, les
enregistrements éphémères, les reproductions effectuées à des fins d’enseignement ou de recherche (art. 7(1)c)(iii)).
730
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Contrairement à la Convention de Berne, Rome définit expressément le phonogramme et la reproduction43. Ces définitions dicteraient une interprétation restrictive des prérogatives reconnues aux
artistes interprètes. En effet, si le phonogramme correspond à «toute
fixation exclusivement sonore des sons provenant d’une exécution ou
d’autres sons», la reproduction y est définie comme «réalisation d’un
exemplaire ou de plusieurs exemplaires d’une fixation», se bornant,
selon l’interprétation de Desbois, Françon et Kerever44, aux seuls
phonogrammes et non à toutes les fixations.
La précarité qui résulte aux artistes interprètes45 est plus
amplement illustrée par l’article 19, qui épuise les droits sur toute
utilisation subséquente à une autorisation d’inclure une exécution
dans une fixation d’images ou d’images et de son. Bien qu’une simple autorisation contractuelle donnée au producteur puisse ne pas
suffire pour que «ne cesse d’être applicable l’article 7», la portée de
l’article serait sans équivoque. La littérature aborde cette limitation
sous l’angle du «ré-enregistrement d’un enregistrement phonographique sur la piste sonore d’un film» pour décrire le fait de «procurer
le phonogramme à un producteur de film», de la «reproduction de son
exécution sur une colonne sonore de film»46, de «droit sur la reproduction – par phonogramme ou vidéogramme (Comp. p. 148 pour les
scopitones)»47 pour parler du droit de reproduction pour une nouvelle
destination de l’exécution autorisée et, enfin, de «l’absence de protection des artistes, à l’égard des diverses utilisations de leurs prestations, sous forme de vidéogrammes ou d’utilisations secondaires de
films ou de programmes de télévision enregistrés»48. D’aucuns semblent y constater une limitation de portée générale dépassant la
sphère audiovisuelle qualifiée par le Guide de sensible du point
de vue du minimum conventionnel bouleversé par des moyens
modernes d’exploitation.
La précarité résultant aux artistes est enfin constatée par la
littérature spécialisée qui évoque fréquemment l’esprit analytique
de Rome par opposition à la facture plus synthétique de Berne pour
ne pas citer plus spécifiquement l’article 2 de la Convention de Rome,
où il est exclusivement question de «protection expressément garantie». Selon Stewart: «The performer has no general reproduction
43.
44.
45.
46.
47.
48.
Convention de Rome, supra, note 26, id., art. 3.
H. DESBOIS, A. FRANÇON et A. KEREVER, supra, note 30, p. 324.
Id., p. 331.
Ibid.
A. LUCAS et H.-J. LUCAS, supra, note 25, p. 958.
OMPI, Guide de la Convention de Rome, supra, note 38, p. 94.
Une copie privée pour le nouveau millénaire?
731
right in his fixed performance, that right lies solely with the right
owner in that fixation, that is, a phonogram producer»49. Nordeman,Vinck et Hertin précisent: «art. 7 therefore fails to grant a right
of prohibition under private law in favor of the performing artist,
that is, it guarantees no minimum right. The Contracting States
are merely charged with the task of providing legal rights for the
performing artists to aid them in preventing the unauthorized
exploitation of their performances»50.
Les prérogatives de fixation et de reproduction contenues à
l’article 7 ne pourraient donc pas s’étendre à la copie privée puisque
cette dernière ne vise ni une première fixation, ni une réalisation
d’exemplaire au sens de la définition de la reproduction précitée ni,
enfin, une reproduction faite sans consentement et expressément
visée par l’un des autres cas énoncés par l’article 7.
Une seule hypothèse permet d’écarter l’interprétation restrictive des prérogatives des artistes interprètes. Pourquoi, en effet,
l’article 7(1)c)(ii) n’offrerait-il pas une assise juridique aux prérogatives exclusives conférées aux artistes sur la copie privée qui serait
alors appréhendée comme reproduction non autorisée pour des
fins autres que convenues contractuellement? Peut-on valablement
opposer à cette hypothèse la nature de la copie privée comme échappant aux exploitations traditionnellement objets des contrats avec
les producteurs? Si le libellé de l’article 7(1) peut fonder une telle
assise, les modifications proposées lors de la Conférence diplomatique conduisant à la Convention de Rome circonscrivent la portée
des droits reconnus aux artistes interprètes51.
Les États-Unis ont ainsi proposé d’étendre le consentement
visé à l’article 7(1) à tous les cas de reproduction plutôt qu’aux seuls
trois cas de l’alinéa c), à défaut d’ajouter un quatrième cas, lorsqu’un
phonogramme est reproduit par une personne autre que celle qui a
obtenu une licence à cet effet du producteur autorisé. Or, «cette pro49. Id., p. 232.
50. W. NORDEMANN, K. VINCK et P. HERTIN, supra, note 28, p. 383 et s., p. 384.
51. Actes de la Conférence de la Convention de Rome de l’OMPI. Compte rendu analytique et Rapports des groupes de travail numéro II (p. 196, 244 et 288). Voir
notamment la proposition de la Suisse qui visait le retrait de l’alinéa (1)a) de
l’article 15 (rejeté par un vote de 11 contre 6 en faveur du maintien) tandis que
la République fédérale allemande suggérait une exception générale davantage
assimilable à l’actuel article 9(2) de Berne. Inversement, l’élaboration de
l’article 9(2) de la Convention de Berne révélerait une volonté du Comité
d’experts gouvernementaux de favoriser une rédaction moins générale en affirmant explicitement la faculté pour les États de permettre la reproduction pour
l’usage privé. Voir KEREVER, supra, note 1, p. 203.
732
Les Cahiers de propriété intellectuelle
position n’a pas été acceptée par la Conférence, la majorité estimant
qu’en pareil cas, il suffisait de donner le droit de reproduction au producteur de phonogramme, dont on pouvait attendre qu’il fasse respecter son droit si des reproductions étaient faites sans autorisation.
La suggestion suivant laquelle les cas où, pour une raison quelconque, le producteur n’aurait pas la volonté ou la possibilité de
défendre son droit a été écartée puisqu’ils seraient probablement si
peu nombreux qu’il n’était pas nécessaire de les prévoir [...]». En
revanche, «une proposition du Royaume-Uni aurait limité l’application de ces dispositions (article 7(1)c)(ii)) aux cas où la fixation est
faite à d’autres fins que la réalisation de phonogrammes destinés au
commerce, mais elle n’a pas été adoptée».
Le rejet de la proposition des États-Unis témoigne de la volonté
des États de limiter considérablement les droits des artistes interprètes et de s’en remettre à la technique contractuelle et aux intérêts
des producteurs pour assurer une protection en l’occurrence, mais
ces considérations font fi des cas nombreux de reproduction qu’implique la copie privée et de l’impuissance insoupçonnée du producteur à pallier les pertes qu’elle engendre. Le rejet de la proposition du
Royaume-Uni pourrait, à la rigueur, laisser sous-entendre qu’il y a
subsistance de droits de reproduction qui n’auraient pas été consentis lorsque la fixation originale est faite aux fins de réalisation de
phonogrammes destinés au commerce. Le rejet de ces deux propositions n’emporte pas en définitive une clarification de l’étendue du
droit de fixation lorsqu’une tierce partie reproduit toute prestation
d’artiste interprète à des fins privées.
Outre l’exception de copie privée dont nous discuterons ciaprès, ni la lettre, pas plus que l’esprit de la Convention de Rome
ne contiennent en principe un dispositif s’opposant catégoriquement
à notre hypothèse. En fait, l’encadrement des droits touchant l’audiovisuel, dont nous avons déjà parlé, démontrerait que tous les
secteurs que la Convention cherchait à écarter ou exclure y sont
exprimés. A contrario, la protection offerte au chapitre de la fixation
ne pourrait écarter aussi facilement la copie privée du seul fait de
l’absence de dispositions expresses.
2. Les limitations conventionnelles aux droits
de reproduction
Alors que les conventions de Berne et de Rome sont modifiées
ou édictées à peu près au même moment52, il est pour le moins
52. Voir note 26, Rome (1961) et Berne (révision de Stockholm 1967).
Une copie privée pour le nouveau millénaire?
733
curieux de constater les contours variables des droits de reproduction en cause53. Il suffit pourtant de constater que les droits de reproduction en cause sont susceptibles de s’étendre à la copie privée, pour
faire porter notre analyse sur les réserves et les limitations prévues
aux conventions internationales. La copie privée constitue-t-elle une
utilisation soumise à l’autorisation des auteurs et des titulaires de
droits voisins mais leur échappant par l’effet de limitations conventionnelles?
Comme nous l’avons déjà vu, la Convention de Berne prévoit la
faculté pour les États de pallier certaines difficultés d’usages spéciaux en imposant des conditions à cette discrétion54. Ces conditions
assujettissent la prérogative législative des États lorsqu’il s’agit de
reproductions qui constituent des cas spéciaux, qui ne portent pas
atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre et qui ne causent pas un
préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur. Ces conditions
de l’article 9 sont communément qualifiées dans la littérature juridique de test à deux ou trois étapes.
Le guide de la Convention de Berne précise qu’il s’agit d’une
formule dont l’élaboration fut largement débattue et dont l’interprétation est de nature à susciter les plus grandes divergences
d’opinions. Dans son guide portant sur la «Gestion collective du droit
d’auteur et des droits voisins», l’OMPI est plus catégorique lorsqu’il
est question de copie privée puisque aucune reproduction qui cause
un tel préjudice ne peut être permise par la législation d’un pays
partie à la Convention de Berne, à moins que le préjudice ne soit éliminé ou du moins atténué et rendu ainsi plus acceptable, grâce à une
rémunération appropriée55.
La Convention universelle ne contient aucune disposition précise relative à la copie privée. Elle impose toutefois une obligation
aux États, qui se prévaudraient de la faculté de faire exception au
droit exclusif de reproduction qu’elle énonce, d’offrir, selon une for53. Incluant toute comparaison avec le droit exclusif de reproduction contenu dans
Berne de même que les droits reconnus dans le contexte de la Convention de
Genève du 29 octobre 1971 pour la protection des producteurs de phonogrammes
contre la reproduction non autorisée de leurs phonogrammes, convention à
laquelle le Canada n’est pas partie, mais à laquelle il serait tenu de se conformer en vertu de l’article 1701 de l’ALÉNA.
54. Actes de la Conférence de Stockholm, 11 juin au 14 juillet 1967, cité dans
DAVIES-HUNG, supra, note 2, p. 69.
55. OMPI, Gestion collective du droit d’auteur et des droits voisins, Genève, 1990,
103 pages, p. 52.
734
Les Cahiers de propriété intellectuelle
mule porteuse mais guère plus limpide que l’article 9 de Berne, un
«niveau raisonnable de protection effective». Selon l’interprétation
dominante, cette discrétion ne saurait s’interpréter différemment de
l’article 9(2) de Berne56.
Malgré la référence aux usages privés dans les textes préparatoires de la Conférence de Stockholm57, de même que dans la loi type
de Tunis et dans certaines législations nationales58, l’exception de
copie privée n’est citée expressément qu’à l’article 15 de la Convention de Rome. Cet article énonce la faculté pour les États d’édicter
des exceptions à la protection garantie par la Convention dans
certains cas, notamment lorsqu’il s’agit d’une utilisation privée. Elle
ajoute, sans préciser, que ces limites doivent être de même nature
que celles qui sont prévues aux termes de la protection du droit
d’auteur, des licences obligatoires ne pouvant être instituées que
dans la mesure où elles sont compatibles aux dispositions de la
Convention de Rome. Si un régime de licence obligatoire est qualifié
par le Guide de la Convention de Rome d’incompatible avec la
Convention lorsque l’exception a pour effet d’annuler les prérogatives du premier paragraphe de l’article 7, il ne le serait pas lorsqu’une
exception vise les «droits ultérieurs»59, soit ceux du deuxième
paragraphe de l’article 7, sous réserve que «ce régime fonctionne
comme une limite au droit d’auteur»60. Or, le Guide précise que «ce
n’est jamais qu’une faculté laissée au législateur national, et non une
56. Report of the Working Group on the Legal Problems Arising from the Use of
Videocassettes and Audiovisual Discs, Genève, 21 au 25 février 1977, de même
que Report of the Committee of Governmental Experts on the Evaluation and
Synthesis of Principles on Various Categories of Works, Genève, 27 juin au 1er
juillet 1988, cités dans DAVIES-HUNG, ibid., supra, note 2, p. 70 et s. À propos
de l’interprétation du droit de reproduction et des exceptions des conventions
ci-dessus mentionnées, ces derniers auteurs résument (p. 74-115) les recommandations, propositions et développements depuis 1977 jusqu’à 1992, largement favorables à une reconnaissance et à une confirmation du droit de
reproduction en matière de copie privée, sans toutefois pouvoir y constater
d’issue normative ou conventionnelle émanant de l’OMPI, de l’UNESCO, du
Conseil de l’Europe ou de la Commission européenne et ce, malgré les nombreuses recommandations des principaux organismes comme l’ALAI, la CISAC et le
GESAC.
57. S. RICKETSON, supra, note 28, p. 480 et 485.
58. C. COLOMBET, Grands principes du droit d’auteur et des droits voisins dans le
monde. Approche de droit comparé, Litec, Paris, 1997, 312 pages, p. 54 et 56:
«La plupart des législations du monde sauf – celles des pays anglo-saxons –
prévoient une première exception au droit de reproduction résultant de copies
d’œuvres simples ou complexes, absolument ou relativement originales, destinées à l’usage privé du copiste. [...] Dans les pays anglo-saxons, c’est la notion
d’usage loyal qui peut servir à légitimer certaines reproductions.»
59. A. LUCAS et H. LUCAS, supra, note 25, p. 953.
60. OMPI, Guide de la Convention de Rome, supra, note 33, p. 80.
Une copie privée pour le nouveau millénaire?
735
obligation de mettre en parallèle la loi interne sur les droits voisins
et celle sur le droit d’auteur»61.
Le Guide ajoute que la disposition est de portée générale,
s’appliquant aux trois catégories de bénéficiaires. Les solutions dans
les cas d’utilisation privée demeurent, aux termes de la Convention,
du ressort de la loi interne. Dans la Gestion collective du droit
d’auteur et des droits voisins, l’OMPI affirme néanmoins que la
Convention de Rome n’énonce pas d’obligations analogues à la Convention de Berne mais qu’il est généralement considéré justifié
d’étendre le bénéfice d’un droit à rémunération aux artistes interprètes et aux producteurs.
3. Les obligations dubitatives des États
La copie privée nous apparaît donc moins comme une «pratique
institutionnelle, sans aucune limite ni de fait ni de droit», pour citer
à nouveau S. Martin, mais davantage comme une pratique pouvant
donner lieu à des qualifications contradictoires de reproduction et de
limitation. Peut-on néanmoins affirmer en faveur des auteurs un
droit de reproduction dont l’étendue ne peut souffrir aussi facilement
la prérogative d’exception de copie privée qui est accordée expressément aux législateurs nationaux dans le cas des droits voisins? Quelles sont, en définitive, les obligations des États?
L’article 5 de la Convention de Berne affirme que les auteurs
jouissent des droits que les lois respectives accordent actuellement
et accorderont par la suite aux nationaux ainsi que des droits spécialement accordés par la présente Convention. L’article 5 prévoit également que la jouissance et l’exercice des droits ne sont soumis à
aucune formalité et sont indépendants de l’existence de la protection
du pays d’origine, laissant en dehors des stipulations de la Convention l’étendue de la protection, voire l’exercice ainsi que les moyens
de recours garantis à l’auteur pour sauvegarder ses droits, à la compétence exclusive de la législation du pays où la protection est
réclamée.
La Convention ajoute à son article 19 la faculté pour les auteurs
de revendiquer l’application de dispositions plus larges qui seraient
édictées par la législation d’un pays de l’Union. Tout auteur unio61. OMPI, Gestion collective du droit d’auteur et des droits voisins, supra, note 55,
p. 79.
736
Les Cahiers de propriété intellectuelle
niste devrait donc pouvoir bénéficier, dans chaque pays membre, de
la protection accordée au national (la règle du traitement national)
et devrait même pouvoir se prévaloir des dispositions conventionnelles en cas de besoin62.
Ainsi, comme le prétend Dillenz, si les dispositions prises par
les pays de l’Union, qui privent les auteurs étrangers d’une participation à la rémunération pour copie privée, sont considérées dans le
cadre de la Convention de Berne, il semble que tant ces dispositions
que les ripostes éventuelles à celles-ci sont incompatibles avec
l’esprit, voire, dans une certaine mesure, la lettre de la Convention
de Berne63.
Or, comme nous l’avons déjà souligné, le droit de reproduction
constitue un droit spécialement accordé par la Convention, alors que
la copie privée n’y est pas expressément énoncée. Si la copie privée ne
peut être qualifiée de jus conventionis, est-elle pour autant du plein
ressort de la législation nationale qui a compétence exclusive pour
déterminer l’étendue de la protection en dehors des stipulations de la
Convention?
L’article 9(2) accorde une latitude plus ou moins grande aux
États de mettre en échec le bénéfice de la protection conventionnelle,
sous réserve du test qu’il énonce. Or, cette latitude ne permet pas de
qualifier la copie privée stricto sensu «en dehors des stipulations de la
Convention» au sens de l’article 5 puisque cette limitation détermine
des critères d’application qui sont d’interprétation restrictive. Les
auteurs Lucas utilisaient l’expression de protection de second rang
mais de directives peu contraignantes. La copie privée pourrait alors
être qualifiée d’utilisation qui ne serait pas soumise au monopole de
l’auteur et dont la protection offerte par un État dépasserait le minimum conventionnel au sens des articles 19 ou 20. Cependant, dans
ce cas, la règle du traitement national semblerait devoir s’affirmer.
En revanche, la copie privée pourrait aussi être qualifiée d’utilisation échappant tout simplement à la Convention et à la maîtrise
des auteurs, auquel cas le bénéfice du traitement national ne serait
pas obligatoire.
62. Code de la propriété intellectuelle, Droit international. Convention de Berne du
9 septembre 1886, Édition réalisée et commentée par M. VIVANT, Litec, Paris,
1996, 1020 pages, p. 144.
63. W. DILLENZ, supra, note 2, p. 211.
Une copie privée pour le nouveau millénaire?
737
Cette dernière interprétation répondrait davantage aux
préoccupations de Karnell, qui semble favoriser l’effort des États qui
auraient cherché ou cherchent à améliorer la situation économique
des auteurs en se soustrayant à la règle de traitement national, peu
opportune en regard du nombre de pays ayant mis en œuvre des
mécanismes de rémunération compensatoire, qui plus est, du peu
de «pays payants», voire «altruistes», inscrivant la redevance au
chapitre du droit d’auteur. Ainsi, «le simple fait qu’une rémunération équitable puisse satisfaire le besoin d’atténuer le préjudice
causé par l’impossibilité d’exercer un droit exclusif dans la sphère
privée ne justifie pas la conclusion suivant laquelle tout droit ayant
pour but d’établir une telle rémunération serait nécessairement
soumis à l’application de la règle de traitement national de la Convention de Berne»64.
En tout état de cause, les deux cas feraient de la copie privée
une exception qui serait tolérée par la Convention65. Le niveau de
tolérance ne varie pourtant pas en fonction de l’interprétation et de
l’application qu’en font les États selon le cas, puisque la Convention
est impuissante à sanctionner ou à offrir davantage de certitude.
Ainsi, la violation par un État d’une obligation de protection qui
constituerait un minimum conventionnel ou une protection dépassant ce minimum mais discriminatoire au sens de l’article 19 est
laissée, selon l’article 33 de la Convention, à la compétence de la
Cour internationale de justice. Cette dernière peut entendre tout
différend entre deux ou plusieurs pays concernant l’interprétation
ou l’application de la Convention; cependant, cette compétence n’a
jamais été sollicitée. Aussi, aucune solution sous forme de révision
des dispositions de fond – soumise à l’unanimité des pays membres
de l’Union, n’a été édictée depuis 1971.
Nous serions d’avis que la copie privée peut valablement être
qualifiée de reproduction au sens de l’article 9 mais que tout mécanisme de rémunération compensatoire ne saurait être qualifié de
protection relevant soit du jus conventionis, soit d’un cas spécial
pouvant à la rigueur échapper à la protection. Les États devraient,
en principe, être contraints par la Convention de Berne à ne pas
édicter d’exception à la copie privée ou, à défaut, à prévoir un
mécanisme permettant de pallier les atteintes à l’exploitation
normale de l’œuvre ou, pour reprendre l’expression de la CUDA,
64. G. KARNELL, supra, note 34, p. 281.
65. S. MARTIN, supra, note 2, p. 38.
738
Les Cahiers de propriété intellectuelle
offrir un niveau raisonnable de protection effective à tous les auteurs
unionistes. Nous demeurons sceptique quant à l’opportunité de la
solution suggérée par Karnell, compte tenu de l’érosion du droit de
reproduction et du principe fondamental de traitement national
qu’elle appelle et compte tenu de l’abus de l’exception tolérée qu’elle
encourage.
Quant aux obligations découlant de la Convention de Rome,
l’interprétation majoritaire consiste à reconnaître aux États membres de Rome la faculté d’édicter une exception de copie privée, sans
l’assujettir à quelque obligation, que ce soit celle d’assurer aux
artistes interprètes ou aux producteurs de phonogrammes un minimum de protection ou encore, celle de garantir le traitement national
dans l’éventualité où un mécanisme de rémunération compensatoire
est mis en œuvre.
Sans parler à nouveau des articles 7 et 10, des conditions
spécifiques à chaque catégorie de bénéficiaires donnant ouverture à
l’obligation de traitement national aux termes des articles 2, 4, 5, et 6
ou, encore, à la procédure de règlement des différends, assimilable à
l’article 33 de Berne telle que prévue à l’article 30 de Rome, nous
serions d’avis que la prérogative étatique de faire exception ne
saurait constituer une interprétation valable des minima de protection devant être garantis par la Convention de Rome. Au-delà d’une
simple interprétation textuelle de l’exception à la copie privée et
de l’interprétation minimaliste des droits découlant de certaines
dispositions de la Convention de Rome, notamment les droits des
artistes interprètes66, l’évolution de la copie privée dont nous avons
fait état sommairement devrait plutôt mettre en exergue l’esprit
du deuxième alinéa de l’article 15 de la Convention de Rome qui
assimilerait les limitations aux droits de reproduction des artistes
interprètes et des producteurs à celles qui sont prévues dans toute
législation nationale en ce qui concerne la protection du droit
d’auteur. En somme, le parallélisme devrait être de mise dès lors
qu’un État souscrit aux préceptes de la Convention de Berne. Le
non-parallélisme constitue, à nos yeux, un abus de l’exception tolérée
qui n’était justifiable qu’au moment de l’adoption de Rome.
En tout état de cause, force est de reconnaître que l’absence
d’exception précise ou de mécanisme de rémunération compensatoire dans une législation nationale, comme c’était le cas du Canada
66. Convention de Rome, supra, note 26. L’article 2, à titre d’exemple, limite
l’obligation de traitement national «compte tenu de la protection expressément
garantie et des limitations expressément prévues».
Une copie privée pour le nouveau millénaire?
739
avant les modifications à la Loi sur le droit d’auteur du 25 avril 1997
et comme c’est toujours le cas de nombreux autres États, ne répugnerait pas nécessairement à l’encadrement juridique international qui
précède l’ADPIC. Cet encadrement ne permet pas de conclure à une
violation d’une obligation de protection, dès lors qu’un législateur
national reste muet sur le sujet de la copie privée ou qu’il ne reconnaît pas le traitement national lorsqu’il fait exception à la copie
privée et met en œuvre un mécanisme de rémunération compensatoire. L’incertitude des conventions précitées aurait-elle en définitive le mérite et l’avantage d’une souplesse n’écartant aucune des
qualifications qui ont été discutées?
B. L’Accord relatif aux aspects de propriétés
intellectuelles qui touchent au commerce (ADPIC) et
l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA)
Les instruments multilatéraux ADPIC et ALÉNA modifient-ils
le constat qu’il nous a été permis de faire ci-dessus? La souveraineté
des États y est-elle autrement contrainte? Ces instruments dissipent-ils l’absence de solution tranchée en matière de copie privée?
Les ententes internationales précitées ne modifieraient pas à
court terme l’objet, la nature et l’étendue du droit de reproduction
ainsi que des limitations prévues dans les conventions de Berne et
de Rome. Les préceptes régissant la copie privée demeureraient
inchangés en principe, contrairement à l’imputabilité des États relative à leur conformité aux obligations découlant de ces conventions
ainsi qu’aux nouveaux droits spécifiquement prévus à l’ADPIC et à
l’ALÉNA.
La nature de ces traités mérite les quelques remarques
liminaires suivantes. Si les conventions de Berne et de Rome sont,
avant tout, des instruments de droit international privé, l’ALÉNA et
l’ADPIC concernent le droit international public et l’encadrement
des relations entre les États en matière de propriété intellectuelle
mais ils concernent également un dispositif élaboré permettant
d’assurer le respect efficace des droits et des recours visés. Ce dernier
instrument offre notamment des solutions institutionnelles à la mise
en œuvre déficiente – voire vaine – de droits, que ce soit au niveau du
Conseil ADPIC, qui veille à la transposition et l’éventuelle mise à
jour des accords existants, mais également au niveau des autres
instances susceptibles d’encadrement normatif (Conférence ministérielle de l’OMC, Conseil Général OMC ainsi que le Conseil sous
740
Les Cahiers de propriété intellectuelle
forme de panel d’arbitrage (General Council Meeting as Dispute
Settlement or Appellate Body)).
Au préambule de l’ADPIC, les États affirment leur volonté
d’inscrire les droits de propriété intellectuelle dans un nouvel ensemble de règles, de disciplines, de normes et de principes adéquats
concernant l’existence, la portée et l’exercice de ces droits qui touchent au commerce de même qu’au commerce de marchandises
de contrefaçon. La volonté de «réduire les distorsions et les entraves
[...] au commerce légitime» fournirait conséquemment un point de
départ de toute analyse relative à la portée réelle de l’assimilation et
de la soumission de la protection de droit d’auteur et de droits
voisins. Or, pareil point de départ ne résoudrait pas précisément la
question plus délicate de l’insertion de la propriété intellectuelle
dans semblable traité commercial et l’interprétation appropriée qui
s’impose désormais.
L’ADPIC offre-t-il donc un encadrement disciplinaire qui remédie à certaines carences des conventions de Berne et de Rome (les
articles 33 et 30 respectivement soulevés ci-dessus) ou, au contraire,
propose-t-il uniquement un mécanisme éprouvé de résolution de
différends restreints aux seules matières touchant au commerce?
Nous pensons que l’ADPIC offre un nouvel encadrement à la discipline du droit d’auteur et des droits voisins alors que l’alinéa c) de
son préambule énonce «la nécessité d’élaborer de nouvelles règles
et disciplines concernant: l’élaboration de moyens efficaces et
appropriés pour faire respecter les droits de propriété intellectuelle
qui touchent au commerce, compte tenu des différences entre les
systèmes juridiques nationaux».
L’ALÉNA proposerait un encadrement normatif équivalent
entre les États-Unis, le Mexique et le Canada.
1. L’étendue des droits de reproduction en cause
Les traités ADPIC et ALÉNA ne modifient pas ce que nous
avons identifié comme contours variables des droits de reproduction
en cause. L’article 9 de l’ADPIC oblige les États membres à se
conformer aux articles 1 à 21, exception faite de 6 bis, ainsi qu’à
l’annexe de la Convention de Berne (version de 1971). L’article 1701
de l’ALÉNA énonce l’obligation de donner effet à cette dernière
convention. Sous réserve de ce que nous avons soutenu précédemment, l’ADPIC et l’ALÉNA ne font qu’incorporer le droit de reproduction de l’article 9 de la Convention de Berne.
Une copie privée pour le nouveau millénaire?
741
En revanche, l’ADPIC et l’ALÉNA n’imposent pas aux États de
se conformer en bloc à la Convention de Rome mais imposent plutôt
le respect de certains droits qu’ils énoncent spécifiquement.
D’une part, l’article 14 de l’ADPIC prévoit que les artistes interprètes ou exécutants auront, pour ce qui est d’une fixation de leur
exécution sur un phonogramme, la possibilité d’empêcher les actes
ci-après lorsqu’ils seront entrepris sans leur autorisation, notamment la fixation de leur exécution non fixée et la reproduction de
cette fixation. Bien que l’article 1467 ne reprenne pas l’article 7 de
Rome verbatim, on peut assimiler certaines prérogatives à celles qui
sont énoncées aux alinéas b) et c) de l’article 7. Conséquemment, la
copie privée ne pouvant être qualifiée de fixation d’exécution non
fixée ou de reproduction de cette première fixation, elle ne donnerait
emprise à aucune qualification sous l’article 14. La précarité résultant aux artistes interprètes serait dans ce contexte sans équivoque.
D’autre part, l’article 14 reprend, en faveur du producteur de
phonogramme, le texte de l’article 10 de Rome. La copie privée peut
dès lors constituer une reproduction directe ou indirecte mais non
autorisée de phonogramme.
2. L’apparente harmonisation des limitations aux droits
de reproduction
Outre la substitution de la dénomination d’auteur en faveur
de la désignation générique de détenteur de droit, l’article 13 de
l’ADPIC a pour effet d’étendre les conditions d’exception assimilables à l’article 9(2) de Berne applicable au seul droit de reproduction
à tous les droits exclusifs d’exploitation que cet accord contient ou
incorpore en faveur des auteurs. Comme le libellé de l’article 13
consacre le test de l’article 9(2) de Berne, la qualification de la copie
privée en matière d’exception tolérée ne serait pas altérée68.
L’article 14(6) de l’ADPIC permet aux États membres, en
rapport aux droits décrits ci-dessus, de prévoir des conditions, limi67. Les artistes interprètes se voyant reconnaître un droit limité d’empêcher une
fixation non autorisée de leur exécution non fixée et la reproduction de cette
fixation en vertu de l’article 14 ADPIC, ce qui ne s’étendrait pas à la copie
privée ou la reproduction de ces fixations autorisées.
68. Un nouvel équilibre doit néanmoins être trouvé dans l’interprétation qui doit
être faite du test étendu dans l’ADPIC et dans les nouveaux traités OMPI: T.
HEIDE, «The Berne Three-Step Test and the Proposed Copyright Directive»,
(1999) 21 European Intellectual Property Review 105-109. Voir ci-dessous note
74.
742
Les Cahiers de propriété intellectuelle
tations, exceptions et réserves dans la mesure autorisée par la
Convention de Rome. C’est dire que l’ADPIC importerait les réserves
que cette dernière convention autorise, notamment l’exception d’utilisation privée de l’article 15 de Rome. La faculté pour un État
de faire échec à toute protection ou obligation autrement conférée
par Rome et par l’ADPIC se trouverait ainsi confirmée. Or, l’analyse
ne saurait se confiner à cette apparente harmonisation davantage
assimilable à une simple transposition des limitations de Berne et de
Rome.
3. Les nouvelles obligations dubitatives des États
L’ADPIC n’innove donc pas sur le plan de l’étendue des droits
de reproduction en cause ou des limitations conventionnelles
touchant la copie privée. En revanche, l’applicabilité des principes
fondamentaux du GATT de 1994 et des procédures multilatérales de
résolution de différends à la propriété intellectuelle modifierait le
régime disciplinaire des règles, des normes et des principes visant
l’existence, la portée et l’exercice des droits. Plus spécifiquement,
l’ADPIC pourrait servir à renverser ou, à tout le moins, dissiper
l’incertitude concernant ce que nous qualifiions ci-dessus d’abus de
l’exception tolérée.
Si l’article 1 de l’ADPIC impose aux États membres de donner
effet aux dispositions de fond de l’accord et d’accorder en principe soit
le traitement national défini à l’article 3, soit le traitement de la
nation la plus favorisée prévu à l’article 4, le champ d’application de
ces dernières dispositions pourrait apparaître anéanti par la place
qui est faite aux conventions et aux législations nationales existantes. Qu’en est-il?
L’obligation de traitement national est érigée en principe «pour
ce qui est des droits visés par le présent accord». Tout État membre
doit donc accorder aux ressortissants des autres membres un traitement non moins favorable que celui qu’il accorde à ses propres
ressortissants. Est-ce à dire que le droit de reproduction qu’implique
la copie privée pourrait assujettir les États à l’obligation de traitement national dès lors qu’un mécanisme de rémunération compensatoire est mis en œuvre?
Pas tout à fait. L’obligation de traitement national comporte un
certain nombre de règles d’exceptions, dont la non-dérogation aux
obligations que les membres peuvent avoir les uns à l’égard des
autres en vertu de Berne et de Rome (art. 2(2)), l’exclusion des
Une copie privée pour le nouveau millénaire?
743
procédures prévues par les accords multilatéraux conclus sous les
auspices de l’OMPI pour l’acquisition ou le maintien de droits de
propriété intellectuelle (art. 5), la faculté laissée aux États d’adopter
des mesures nécessaires pour faire prévaloir certains intérêts dans
des secteurs d’une importance vitale sous condition de compatibilité
définie par l’accord (art. 8), la liberté de transposition en droit
national des dispositions de l’accord, sans toutefois limiter la faculté
des Membres de mettre en œuvre une protection plus large que
l’accord ne prescrit (art. 1) et, enfin, en rapport avec les droits
conférés en matière de protection des artistes interprètes et des
producteurs, la faculté pour les États de prévoir des conditions
limitations, exceptions et réserves dans la mesure autorisée par la
Convention de Rome (art. 14(6)).
Les États membres de l’OMC pourraient donc prévoir, en rapport avec les droits conférés en vertu des articles 1 à 3 de l’Article 14,
une exception de copie privée ainsi qu’assurer une protection supplémentaire à l’ADPIC pourvu qu’elle soit en conformité avec cette dernière, sous réserve du respect des conditions d’admissibilité des
autres traités et sous réserve de notification dans certains cas de
limitations. L’obligation de traitement national ne toucherait donc
pas directement la copie privée et les niveaux de protection offerts
par certains États qui pourraient mettre en œuvre un mécanisme de
rémunération compensatoire sans égard au traitement national.
Or, la tolérance plus (Rome, art. 15) ou moins (Berne, art. 9) grande
de l’exception de copie privée nous impose des réserves à l’égard de
cette conclusion. L’ADPIC pourrait confirmer une tolérance vis-à-vis
des acquis conventionnels mais pourrait également donner emprise
à une interprétation restrictive de ces acquis dans le temps et donc
limiter d’autant toute telle latitude dans la promulgation future de
mécanismes de rémunération compensatoire. Cette latitude serait
autrement contrainte par le dispositif suivant.
Ainsi, le traitement sur la base de la nation la plus favorisée de
l’Article 4 a lieu de s’appliquer indépendamment des dispositions
précitées en ce qui a trait aux «avantages, faveurs, privilèges ou
immunité accordé par un Membre aux ressortissants de tout autre
pays membre» et ce, de manière immédiate et sans condition, hormis
notamment les exemptions en faveur des même avantages, faveurs,
privilèges ou immunités accordés par un Membre découlant des
conventions de Berne et de Rome lorsque la règle édictée est régie
par un traitement sur la base de la réciprocité (art. 4b)), ou pour ce
qui est des droits des artistes interprètes ou exécutants et des producteurs de phonogrammes qui ne sont pas visés par le présent
accord (art. 4c)).
744
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Nous sommes d’avis que l’Article 4 a tout lieu de s’appliquer dès
lors que certaines conditions sont satisfaites. Ainsi, l’empire de
l’Article 4 serait-il plausible en ce qui a trait au phénomène de la
copie privée et de certains mécanismes de rémunération compensatoire si l’extension d’un bénéfice à un État membre de l’OMC vise une
matière qui est régie par Berne ou Rome et objet des considérations
ci-dessus mais qui ne serait pas assujettie au traitement sur la base
de la réciprocité tout en constituant une matière visée par l’ADPIC
(bénéfice ou avantage), si pareille matière ne découle pas d’accords
qui ont pris effet avant l’entrée en vigueur de l’Accord instituant
l’OMC et ne constitue pas de discrimination arbitraire ou injustifiée
à l’égard des ressortissants d’autres Membres.
Le niveau de protection offert par la mise en œuvre d’un
mécanisme de rémunération compensatoire ou son contraire soulève
donc à nouveau la question que nous posions dans l’analyse des
conventions de Berne et de Rome. Ainsi, doit-on qualifier la copie
privée de protection prévue par la convention, de protection échappant à cette protection minimale ou encore de protection plus large?
Nous avons déjà amplement décrit l’incertitude entourant
toute tentative de qualification définitive de la copie privée au
chapitre des droits de reproduction et des limitations pertinentes.
Or, nul ne saurait affirmer que Berne édicte en matière de copie
privée une règle imposant le traitement sur une base de réciprocité
comme elle le fait dans le cas du droit de suite. En revanche, cette
difficulté de qualification ne saurait conduire à rendre tout mécanisme de rémunération compensatoire de copie privée parfaitement
étranger soit aux obligations de traitement national telles que décrites ci-dessus, soit aux avantages et aux privilèges visés par l’article 4
de l’ADPIC. En effet, bien que la copie privée ne fasse l’objet d’aucun
dispositif spécifique, l’étendue de la protection relevant du droit de
reproduction se trouve affirmée par l’ADPIC.
En vertu de Rome, le droit de reproduction et l’exception de
copie privée ne comportent pas davantage de précisions visant l’obligation de traitement sur une base de réciprocité lorsqu’un mécanisme de rémunération compensatoire est mis en œuvre. Ainsi,
comme ci-dessus, la copie privée ne saurait être qualifiée d’étrangère
aux avantages et privilèges qui sont visés par l’ADPIC, à tout le
moins en ce qui a trait aux droits des producteurs. En dépit de
l’absence de dispositif spécifique visant la copie privée, l’ADPIC
embrasse l’étendue de la protection découlant des droits de fixation
et de reproduction pouvant se distinguer de ceux que Rome prévoit.
Une copie privée pour le nouveau millénaire?
745
En conséquence, il y a tout lieu de croire que l’obligation de
traitement de la nation la plus favorisée aurait lieu de s’appliquer
dans les cas de mécanisme de rémunération compensatoire offert
aux créateurs de quelque pays membre de l’OMC, à l’exclusion de
certains. Seule l’exemption prévue à l’article 4d) pourrait concourir à
la défense des États membres cherchant à échapper à cette obligation, c’est-à-dire les États qui voudraient préserver de l’ADPIC les
dispositifs pouvant, comme nous l’avons déjà dit, relever des accords
internationaux ayant pris effet avant 1994 – sous réserve, d’une
part, que l’État porte notification à cet effet auprès du Conseil des
ADPIC et, d’autre part, conformément à l’article 4, que pareilles
exemptions ne «constituent pas une discrimination arbitraire ou
injustifiée à l’égard des ressortissants d’autres Membres».
L’absence de reconnaissance des ressortissants des États membres de l’OMC, voire la reconnaissance sur une base de réciprocité,
nous apparaît à tout le moins arbitraire ou injustifiée, voire contraire au dispositif normatif de l’ADPIC, qui favorise davantage
le principe général d’un traitement non discriminatoire.
Soulignons au passage qu’en plus des dispositions relatives au
traitement national et au traitement de la nation la plus favorisée
qui sont déjà soumises au régime disciplinaire de l’ADPIC, un dispositif normatif permet de garantir la reconnaissance et le respect des
droits de propriété intellectuelle au-delà des obligations expressément énoncées par l’ADPIC. Ce dispositif pourrait inclure une éventuelle clarification du cas de la copie privée puisque l’article 64 de
l’ADPIC rend applicable le recours dit NVNI («Non Violation, Nullification or Impairment») et donne emprise à la juridiction d’un panel
arbitral ADPIC contre toute mesure ayant pour effet d’annuler ou de
diminuer les bénéfices escomptés par l’ADPIC. D. Gervais précise
cependant à ce sujet:
In summary therefore, during the first 5 years, a WTO Member
may not rely on non violation nullification or impairment and
unavailability of benefits based on reasonable expectations.
This might be the case where, in spite of the apparent conformity of a Member’s laws and regulations with the TRIPS
Agreement, or systematic refusal to apply certain provisions of
such laws and regulations may nullify or impair any benefits
accruing directly or indirectly under TRIPS.69
69. D. GERVAIS, The TRIPS Agreement. Drafting History and Analysis, Sweet &
Maxwell, Londres, 1998, 444 pages, p. 50. Il est important de signaler que plusieurs pays s’opposaient à l’entrée en vigueur d’un tel dispositif en matière de
746
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Sans poursuivre plus en détail notre analyse de l’ADPIC, nous
pouvons conclure que l’obligation serait faite aux États membres de
se conformer à la Convention de Berne et aux autres droits reconnus
sous peine de poursuite éventuelle dans le contexte du mécanisme
de règlement de différends prévu sous l’égide de l’Organisation
mondiale du commerce (OMC)70. En principe, la non-conformité d’un
État aux obligations textuelles ou non textuelles découlant de
l’ADPIC constitue, dans l’esprit du libéralisme encouragé par cet
accord, une violation donnant ouverture à des sanctions commerciales. Si le droit de reproduction et l’exception de copie privée – aussi
peu clairement énoncés dans les instruments internationaux qu’ils
soient – donnent emprise à la compétence de l’OMC, beaucoup
d’incertitude plane quant à l’interprétation exacte qui pourrait éventuellement être faite de ces droits et de ces exceptions et, conséquemment, des obligations contraignant les États71.
propriété intellectuelle prévu pour le 1er janvier 2000. Plusieurs pays proposaient l’extension du moratoire de 5 ans dans le contexte de l’ouverture des
nouvelles négociations prévue pour Seattle le 30 novembre 1999. Néanmoins, à
défaut de résolution formelle, le dispositif entrait en vigueur à compter du 1er
janvier 2000. Signalons également au passage l’interprétation restrictive du
NVNI (article XXIII: 1(b)) dans l’un des rares cas (8 au total sous l’égide du
GATT depuis 50 ans, p. 381) à avoir été soulevés devant un panel OMC –
Japan Measures Affecting Consumer Photographic Film and Paper, WTO,
WT/DS44/R, March 31, 1998. Dans cette affaire, le panel rejette les prétentions des États-Unis voulant que certains bénéfices escomptés résultant
directement ou indirectement de l’accord GATTS sont diminués ou inhibés
(nullified or impaired) par un dispositif ne contredisant pas nécessairement la
lettre même ou le texte de l’accord GATTS. Suivant l’interprétation du recours
extraordinaire par ce panel, le constat d’une violation au chapitre du NVNI se
fonde sur une analyse des attentes légitimes d’un État au moment de la conclusion de l’accord. Le recours ne saurait être caractérisé par une exhaustivité
mettant en péril l’objet, la sécurité et la prévisibilité des accords multilatéraux
(p. 365). Voir également dans un autre contexte d’interprétation que le NVNI:
India – Patent Protection for Pharmaceutical and Agricultural Chemical Products, AB-1997-5, WT/DS50/AB/R, December 19, 1997. Dans cette affaire en
appel d’une décision d’un panel, l’interprétation restrictive de l’article 13
ADPIC est favorisée en rejetant l’argument des États-Unis suivant lequel
l’ADPIC devait protéger les attentes légitimes des États membres et de leurs
ayants droit. Voir l’interprétation plus récente de l’article 13 sous les notes 72
et 104.
70. ADPIC, supra, note 26, art. 64 rendant applicables les dispositions des articles
XXII et XXIII du GATT. Voir les Parties VI et VII.
71. N.A. NETANEL, Perspective on Interpretation: TRIPS, the WIPO Copyright
Treaties, and Freedom of Expression, Fordham University School of Law, Sixth
Annual Conference on International Intellectual Property Law & Policy, April
16 & 17, 1998, 5 pages, L’approche maximaliste de l’incorporation de Berne à
l’ADPIC est discutée mais a contrario l’hypothèse minimaliste selon laquelle
l’ADPIC serait davantage normatif que coercitif; conséquemment, constatant
qu’il y a peu de probabilité de voir un panel sanctionner l’exercice d’une souveraineté résiduelle, exception faite des contradictions flagrantes des législa-
Une copie privée pour le nouveau millénaire?
747
Tout laisse cependant croire que cette compétence pourrait être
mise en œuvre dans les cas de mécanismes de rémunération compentions nationales aux termes des dispositions de l’ADPIC, particulièrement en
cas de pratiques étatiques divergentes ou d’absence de consensus ou d’harmonisation. J.H. REICHMAN et D. LANGE, Bargaining Around the TRIPS
Agreement: The Case for Ongoing Public-Private Initiatives to Facilitate Worldwide Intellectual Property Transactions. Fordham University School of Law,
id., p. 1-33; A.N. DIXON et L.M. PEETS, TRIPS Case Law Developments in the
WTO: A Review and Analysis, Fordham University School of Law, Seventh
Annual Conference on International Intellectual Property Law & Policy, April 8
& 9, 1999, 21 pages: selon ces auteurs, l’une des tendances pouvant être dégagées concerne l’interprétation restictive ou littérale du dispositif mis en œuvre
par l’ADPIC. Devant l’incertitude des interprétations de l’ADPIC, L.R. Helfer
suggère de s’inspirer de l’exemple des droits fondamentaux et des libertés
(Human Rights) en Europe pour éclairer les conflits relatifs à l’étendue des
droits (ex.: la qualification des programmes ordinateurs au chapitre de la
PLA), à de nouveaux droits dépassant ou échappant aux minima de BerneADPIC de même que relatifs aux pratiques étatiques ou aux instruments internationaux postérieurs à l’ADPIC. Le méthodologie dérivée de l’exemple européen, «ECHR’s autonomous interpretive method» et «ECHR’s margin of
appreciation» caractérisent une analyse comparative du droit et des interprétations données par les États des nouveaux droits devant ou non être assujettis
aux obligations de traitement national. Suivant cette analyse, le constat de
pratiques étatiques divergentes ne saurait permettre l’imposition d’une solution unique à défaut de consensus. «As a result, if state practice evolves over
time towards a clear international consensus on higher standards of protection, TRIPS jurists can recognize that consensus and use it to interpret or elevate the global minimum baseline of protection, much as the ECHR has relied
on rights-enhancing national law reform trends to interpret the European Convention’s protected rights in a manner favourable to individuals.» (p. 13) «Over
time however, if panels are given the authority to hear non-violation complaints and if the political treaty amendment process does not address the protection of IPRs in new technological environments, TRIPS jurists may find it
necessary to invoke evolving but not yet uniformly accepted legal developments when interpreting TRIPS to provide effective protection of IPRs.» (p. 14);
L.R. HELFER, «A European Human Rights Analogy for Adjudicating Copyright Claims Under TRIPS», (1999) 21 European Intellectual Property Review
8-16. Voir également A. KÉRÉVER, «Droit d’auteur et mondialisation», (1997)
10 C.P.I. 19, 23, concernant l’incertitude des obligations de traitement national
lorsqu’un mécanisme de rémunération compensatoire est institué par une loi
nationale. L’article 13 de l’ADPIC ne paraphrasant que l’article 9(2) de Berne,
l’accord ne tranche donc pas des problèmes d’interprétations de Berne comme il
le fait dans le cas des programmes ordinateurs et des bases de données.
L’auteur affirme à la page 36, «qu’il semble en tout cas exister un consensus
pour estimer que l’obligation de traitement national dans le cadre de l’ADPIC
ne s’applique pas aux redevances de copie privée sonore et audiovisuelle». Voir
également les commentaires des articles 3, 4, 9, 64, notamment en ce qui a trait
à l’échec de la proposition américaine visant l’ajout d’un libellé plus tranchant:
«Protected works shall enjoy in respect of private or personal copying accorded
under the domestic law of a Party to works of national origin», dans D.
GERVAIS, The TRIPS Agreement. Drafting History and Analysis, Sweet &
Maxwell, London, 1998, 444 pages, p. 50. Aussi, B. CLERMONT, «Parties II et
VIII de la Loi sur le droit d’auteur: Le Canada respecte-t-il ses obligations
internationales?», (1999) 11 C.P.I. 287.
748
Les Cahiers de propriété intellectuelle
satoire, notamment en ce qui a trait à leur conformité à l’obligation
de traitement de la nation la plus favorisée, sinon en vertu de la
procédure plus générale de garantie dite de «Non Violation, Nullification or Impairment» et ce, dans le cas des auteurs, des producteurs
et, de manière moins certaine, dans le cas des artistes interprètes.
Curieusement, cette compétence semblerait lui échapper en l’absence de limitations, voire de limitations nationales exemptes de
dispositions prévoyant un tel mécanisme au bénéfice de tous les
ayants droit issus de tous les États membres de l’OMC.
Une procédure récente de l’Union européenne à l’égard des
États-Unis devant le panel ADPIC constitue une première saisine
d’un panel en droit d’auteur. Elle suggérerait une interprétation de
la portée précise de l’article 13 ADPIC72 et des limitations contenues
et intégrées à l’ADPIC.
Par ailleurs, l’ALÉNA73 modifie ce constat de manière significative, bien qu’offrant un niveau d’harmonisation régional qui ressemble à bien des égards à l’ADPIC74. Nous ne mentionnerons que
l’obligation générale d’accorder un traitement aussi favorable aux
ressortissants des pays membres que celui réservé aux nationaux et
ce, pour tous les droits de propriété intellectuelle. «Le traitement
national est donc beaucoup plus large que celui prévu à l’Accord de
72. R.H. REIMER, «Storm Warnings for Copyright», (1999) 19 Copyright World 10.
La loi américaine intitulée The Fairness in Music Licensing Act of 1998 édicte,
en matière de droits d’exécution publique des limitations accrue en faveur
notamment des établissements hôteliers et des restaurants dits de petite surface. Ces exemptions sont condamnées par l’Union européenne qui prétend à la
violation des obligations sous Berne et ADPIC. Le panel ADPIC a rendu une
décision depuis les audiences vers le mois de novembre 1999. La décision
WT/DS160/R (United States – Section 110(5) of the US Copyright Act) du 15
juin 2000 a été adoptée le 15 août suivant.
73. ALÉNA, supra, note 26. Voir également la Loi portant mise en œuvre de
l’Accord du libre-échange nord-américain, L.C. 1993, ch. 44.
74. L’ALÉNA oblige les États membres à se conformer à la Convention de Berne,
reconnaît le droit de reproduction directe et indirecte en faveur des producteurs d’enregistrements sonores mais assortit pour ces droits une limitation «à
certains cas qui n’entrent pas en conflit avec l’exploitation normale [...] et qui
ne portent pas indûment préjudice aux intérêts légitimes du détenteur de
droit» (art. 1705(5) et 1706(3)). Le Canada figure parmi les pays sous observation du United States Trade Representative (USTR) Watch List depuis le mois
d’avril 1997 et ce, en ce qui a trait à la reconnaissance des artistes interprètes
et des producteurs américains de phonogrammes dans le contexte des dispositions visant les droits voisins et la copie privée. «U.S. Still Urked over Ottawa
Trade, Cultural Policies», The Financial Post, 1er avril 1998, L. HERMAN,
«Canada Can Make a Good Case to Defend Copyright Act. Treaties Don’t
Necessarily Back U.S. Tough Talk», The Globe and Mail, 21 mai 1997.
Une copie privée pour le nouveau millénaire?
749
l’OMC et doit s’appliquer à l’ensemble des dispositions nationales
concernant la propriété intellectuelle, et non seulement à celles prévues à l’ALÉNA ou l’ALÉ»75.
L’inclusion d’une reconnaissance additionnelle de la protection
des phonogrammes, par opposition à celle qui est prévue pour les
artistes interprètes, précise la norme applicable aux seules utilisations secondaires qui devient, en vertu des articles 1702 et 1703(1),
le traitement sur la base de la réciprocité:
Granted, Article 1702, which allows the states to grant greater
protection than what is required by the Agreement, and Article
1705(5) and 1706(3), which provide a rather loose framework
for determining exceptions to the rights in works and in sound
recordings, institutionalise national differences. However,
these rules are mere repetitions of Berne convention principles
which the NAFTA incorporates.76
Si un mécanisme de rémunération compensatoire visant la
copie privée doit être interprété comme protection distincte des
utilisations secondaires, voire de niveau de protection dépassant le
minimum conventionnel, l’ALÉNA intègre des recours spécifiques de
résolution de différends77 ayant pour objet, au besoin, de contraindre
les États à se conformer aux obligations de traitement national.
En revanche, la clause d’exemption culturelle78 constitue un
cas d’espèce dans l’encadrement juridique international en énonçant
la faculté pour les États de faire échec aux obligations y prévues en
75. B. CLERMONT, supra, note 71.
76. Y. GENDREAU, «Copyright Harmonization in the European Union and in
North America», (1995) 10 European Intellectual Property Review 488-496, 492
(en référence à l’article 1703(1)).
77. Chapitre XX (incluant l’Annexe 2004, «nullification and impairment») et les
articles 1115 à 1138 visant la mise en œuvre d’un mécanisme de résolution de
différends entre États, mais également, la procédure d’arbitrage prévue en
vertu du chapitre XI en faveur des titulaires de propriété intellectuelle assimilables aux investisseurs.
78. L’annexe 2106 de l’ALÉNA prévoit que les droits et obligations prévus à
l’article 2005 de l’ALÉ dans le domaine des industries culturelles continuent de
s’appliquer entre le Canada et les États-Unis. L’article 2005 prévoit que les
industries culturelles définies à l’article 2012 sont exemptées, sauf stipulation
expresse contraire, des dispositions de l’ALÉ. I. BERNIER et A. MALÉPART,
«Les dispositions de l’Accord de libre-échange nord-américain relatives à la
propriété intellectuelle et la clause d’exemption culturelle», dans ALÉNA,
Droit d’auteur et droits voisins: impact de l’ALÉNA sur le droit d’auteur, les
droits voisins et les industries culturelles, Actes de la journée d’étude de l’ALAI
Canada, Montréal, 15 juin 1994, p. 17-40.
750
Les Cahiers de propriété intellectuelle
assurant que les mesures adoptées ou maintenues en ce qui a trait
aux industries culturelles soient régies exclusivement par les dispositions de l’Accord de libre-échange (ALÉ)79 entre le Canada et
les États-Unis. En conséquence, selon une thèse canadienne, toute
mesure d’effet équivalent qui peut être infligée à l’encontre d’engagements prévus exclusivement sous l’ALÉ ne saurait être valablement exercée sous l’ALÉNA, qui est seule à prévoir les droits de
propriété intellectuelle en outre du droit de retransmission. Ainsi, la
mise en échec des obligations de traitement national du chapitre 17
en ayant recours à l’exemption culturelle concerne des droits qui ne
sont pas prévus à l’ALÉ. Le refus de reconnaître le traitement
national au chapitre d’un mécanisme de rémunération compensatoire constituerait donc une entrave possible à cette obligation.
Force est de constater toutefois que la menace de mesures
d’effets équivalents entreprises par les États-Unis, qui ne partageraient pas cette interprétation pointilleuse de l’annexe 2106, est probable. Le Canada aurait dans ce contexte le fardeau de faire valoir
son interprétation80 tout en supportant les effets de telles mesures
qui pourraient viser des secteurs économiques autres que culturels.
C. Les traités WCT et WPPT de l’OMPI
Les nouveaux traités WCT et WPPT de l’OMPI ne modifient
pas pour le moment l’incertitude constatée au plan international.
L’ajout de ces nouveaux instruments à l’encadrement international
soulève pourtant plusieurs interrogations.
Sans en faire une analyse détaillée, il faut constater que les
deux traités partagent une volonté «d’instituer de nouvelles règles
internationales et de préciser l’interprétation de certaines règles
existantes pour apporter des réponses appropriées aux questions
soulevées par l’évolution constatée dans les domaines économique,
social, culturel et technique»81 tout en «reconnaissant la nécessité de
maintenir un équilibre entre les droits des auteurs (et des artistes
interprètes et des producteurs) et l’intérêt public général»82. Rien
79. ALÉ et Loi de mise en œuvre de l’Accord de libre-échange, Canada-États-Unis,
L.C., 1988, ch. 65.
80. I. BERNIER, A. MALÉPART, supra, note 42; R.G. ATKEY, «The Canadian
Cultural Industries Exemption from NAFTA – It’s Parametres», (1997) 23
Canada-United-States Law Journal 177-200.
81. WCT et WPPT, préambule, alinéa 2.
82. WCT préambule, alinéa 4 et WPPT, préambule, alinéa 5.
Une copie privée pour le nouveau millénaire?
751
pourtant des préambules ne porterait à conclure à une application
stricto sensu des traités à une matière exclusivement numérique.
Ainsi, s’il y a un constat d’incidence considérable de l’évolution
et de la convergence des techniques de l’information et de la
communication sur la création et l’utilisation des œuvres littéraires
et artistiques83, des prestations et des phonogrammes, le préambule
ne limite pas le constat d’évolution à une donne technologique mais
incorpore plus largement les phénomènes sociaux et culturels. De
plus, la notion de convergence qui y est soulevée ne peut viser
seulement les techniques numériques puisque le nouvel équilibre
précité qui serait recherché ne peut être assimilé autrement qu’à une
certaine harmonie normative à travers l’ensemble des techniques et
des moyens d’exploitation des œuvres. Conséquemment, les traités
renvoient à une volonté des États de «développer et d’assurer la
protection des droits des (créateurs) d’une manière aussi efficace et
uniforme que possible»84 sans préciser plus avant un champ d’application spécifiquement numérique.
Un certain constat de continuité et d’uniformité peut aisément
se concevoir du traité WCT qui est qualifié d’«arrangement particulier au sens de l’article 20 de la Convention de Berne»85. Le traité
WCT précise n’avoir «aucun lien avec d’autres traités que la Convention de Berne et s’appliquer sans préjudice des droits et obligations
découlant de tout autre traité»86 et ce, «sans emporter dérogation
aux obligations qu’ont les Parties contractantes les unes à l’égard des
autres en vertu de la Convention de Berne»87 auxquelles elles sont
tenues de se conformer88.
L’analyse est moins aisée en ce qui a trait au traité WPPT. En
effet, le traité WPPT ne peut avoir la qualité d’arrangement mais de
révision partielle et il ne fait que spécifier, sans rendre obligatoire,
la conformité des États membres à la Convention de Rome, en
précisant par ailleurs qu’aucune disposition n’emporte dérogation
aux obligations qu’ont les Parties contractantes les unes à l’égard des
autres en vertu de cette dernière89, en plus de spécifier que le WPPT
n’a aucun lien avec d’autres traités90 et qu’il est censé s’appliquer,
83.
84.
85.
86.
87.
88.
89.
90.
WCT et WPPT, alinéas 3.
WCT et WPPT, alinéas 1.
WCT, art. 1(1).
WCT, art. 1(1).
WCT, art. 1(2).
WCT, art. 1(4.).
WPPT, art. 1(1).
WPPT, art. 1(3).
752
Les Cahiers de propriété intellectuelle
sans préjudice des droits et obligations découlant de tout autre
traité91.
Le renvoi à la Convention de Rome de l’article 3 WPPT a pour
effet d’incorporer les critères de rattachement des artistes interprètes et des producteurs ressortissants d’autres Parties contractantes,
c’est-à-dire «qui répondraient aux critères requis pour bénéficier de
la protection prévue par la Convention de Rome comme si toutes les
Parties contractantes dans le cadre du présent traité étaient des
États contractants au sens de cette convention»92.
C’est donc dire qu’il rend admissibles à sa protection, d’une
part93, les artistes interprètes dont soit l’exécution a lieu dans un
autre État contractant, soit l’exécution est enregistrée sur un phonogramme protégé en vertu de l’article 5 ou l’exécution non fixée sur
phonogramme est diffusée par une émission protégée en vertu de
l’article 6 et, d’autre part, soit les producteurs ressortissants d’un
État contractant ou un national, soit les producteurs dont la première fixation du son a été réalisée dans un État contractant ou a été
publiée pour la première fois dans un autre État contractant (la
faculté étant laissée à ces États de ne pas appliquer soit le critère de
publication soit le critère de fixation).
Le WPPT précise toutefois que les Parties contractantes accordent la protection prévue par le traité WPPT94 et que les critères de
protection sont ceux de l’article 2 WPPT95. Ces renvois n’incorporent
nullement un niveau de protection pouvant y assimiler l’exception
relative à la copie privée, sauf si l’article 2 peut éventuellement être
interprété pour préserver les droits et les obligations de la Convention de Rome, y compris la faculté d’offrir ou non une protection en
matière de copie privée.
L’indépendance96 du traité WPPT doit être constatée mais ne
saurait être affirmée sans nécessaire mise en rapport à la Convention de Rome et à l’ADPIC.
91.
92.
93.
94.
95.
96.
WPPT, art. 1(3).
WPPT, art. 3(2).
Convention de Rome, art. 4 et 5.
WPPT, art. 3(1).
WPPT, art. 3(2).
D. NIMMER, «A Tale of Two Treaties. Dateline: Geneva – December 1996»,
(1997) 22,1, Columbia VLA Journal of Law and the Arts 1-24, p. 20. «[...] this
new performances treaty stands utterly alone.» Il faut surtout souligner que
moins de pays souscrivent à la Convention de Rome qu’à la Convention de
Berne ralliant, au 15 avril 1999, 138 États membres contre 57 États membres
dans le cas de Rome. Source: site Internet OMPI.
Une copie privée pour le nouveau millénaire?
753
1. La réaffirmation des droits de reproduction en cause
Le traité WCT évite de réitérer le droit de reproduction contenu
dans la Convention de Berne. Les Déclarations communes97 se bornent à confirmer le champ d’application du droit de reproduction de
Berne à l’univers numérique et à étendre de manière analogue à
l’ADPIC l’exception de l’article 9(2) de Berne aux autres protections
qu’il reconnaît comme suit:
Article 1.4) Le droit de reproduction énoncé à l’article 9 de la
Convention de Berne et les exceptions dont il peut être assorti
s’appliquent pleinement dans l’environnement numérique, en
particulier à l’utilisation des œuvres sous forme numérique. Il
est entendu que le stockage d’une œuvre protégée sous forme
numérique sur un support électronique constitue une reproduction au sens de l’article 9 de la Convention de Berne.
Article 10. Il est entendu que les dispositions de l’article 10
permettent aux Parties contractantes de maintenir et d’étendre
de manière adéquate dans l’environnement numérique les limitations et exceptions prévues dans leurs législations nationales
qui ont été considérées comme acceptables en vertu de la Convention de Berne. De même, ces dispositions doivent être
interprétées comme permettant aux Parties contractantes
de concevoir de nouvelles exceptions et limitations qui soient
appropriées dans l’environnement des réseaux numériques. Il
est aussi entendu que l’article 10.2) ne réduit ni n’étend le
champ d’application des limitations et exceptions permises par
la Convention de Berne.
Le traité WPPT innove en énonçant un droit de reproduction
exclusif en faveur des artistes interprètes98 tout en répétant celui
des producteurs99 mais également innove en incorporant les conditions de l’exception de Berne 9(2) et, de manière plus générale,
l’exception générale de l’ADPIC comme suit:
97. Déclarations communes concernant le Traité OMPI sur le droit d’auteur, adoptées par la Conférence diplomatique le 20 décembre 1996.
98. WPPT, art. 7. Les artistes interprètes ou exécutants jouissent du droit exclusif
d’autoriser la reproduction directe ou indirecte de leurs interprétations ou exécutions fixées sur phonogrammes, de quelque manière et sous quelque forme
que ce soit. Voir également le droit exclusif de fixation des prestations non
fixées de l’art. 6.
99. WPPT, art. 11. Les producteurs de phonogrammes jouissent du droit exclusif
d’autoriser la reproduction directe ou indirecte de leurs phonogrammes, de
quelque manière et sous quelque forme que ce soit.
754
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Article 16.1) Les Parties contractantes ont la faculté de prévoir
dans leur législation nationale, en ce qui concerne la protection
des artistes interprètes ou exécutants et des producteurs de
phonogrammes, des limitations ou exceptions de même nature
que celles qui y sont prévues en ce qui concerne la protection du
droit d’auteur sur les œuvres littéraires et artistiques.
Article 16.2) Les Parties contractantes doivent restreindre
toutes les limitations ou exceptions dont elles assortissent les
droits prévus dans le présent traité à certains cas spéciaux où il
n’est pas porté atteinte à l’exploitation normale de l’interprétation ou exécution ou du phonogramme ni causé de préjudice
injustifié aux intérêts légitimes de l’artiste interprète ou exécutant ou du producteur du phonogramme.
Les Déclarations communes100 précisent:
Articles 7, 11 et 16. Le droit de reproduction énoncé aux articles
7 et 11 et les exceptions dont il peut être assorti en vertu de
l’article 16 s’appliquent pleinement dans l’environnement
numérique, en particulier à l’utilisation des interprétations et
exécutions et des phonogrammes sous forme numérique. Il est
entendu que le stockage d’une interprétation ou exécution protégée ou d’un phonogramme protégé, sous forme numérique,
sur un support électronique constitue une reproduction au sens
de ces articles.
Article 16. La déclaration commune concernant l’article 10
(relatif aux limitations et exceptions) du Traité de l’OMPI sur le
droit d’auteur est applicable mutatis mutandis à l’article 16
(relatif aux limitations et exceptions) du Traité de l’OMPI sur
les interprétations et exécutions et les phonogrammes.
Malgré les difficultés d’interprétation qu’imposeront les contours variables des droits de fixation et de reproduction des artistes
interprètes depuis Rome, en passant par l’ADPIC, et malgré une latitude considérable laissée aux États pour transposer en droit interne
ce droit, il appert évident désormais que l’étendue de ce droit ne souffrirait plus la précarité résultant aux artistes que nous avons tenté
de mettre en exergue. La copie privée qualifiée de reproduction tant
100.
Déclarations communes concernant le Traité de l’OMPI sur les interprétations et
exécutions et les phonogrammes, adoptées par la Conférence diplomatique le
20 décembre 1996.
Une copie privée pour le nouveau millénaire?
755
pour les auteurs et les producteurs le serait également pour les artistes interprètes qui seraient dorénavant disposés à exercer leur prérogative patrimoniale à défaut d’exception spécifique.
2. L’apparente harmonisation des limitations aux droits
de reproduction
Au-delà de l’affirmation du droit de reproduction des artistes
interprètes, les nouveaux dispositifs conventionnels se distinguent
par la généralisation de l’exception de Berne 9(2) et de l’ADPIC 13 à
l’ensemble des droits décrits par le traité WPPT qui, nous l’avons
déjà dit, dépasse la question numérique. Ainsi, le dispositif ne serait
pas pour ainsi dire limpide puisqu’il se trouverait à heurter, voire
abroger à toutes fins utiles, l’exception de copie privée contenue dans
Rome.
La difficulté réside donc dans l’interprétation qui doit être faite
des droits de reproduction contenus dans la Convention de Rome, de
l’ADPIC et dans le traité WPPT, respectivement les articles 7 et 10,
14 et 7 et 11 d’une part et, d’autre part, l’interprétation qui peut être
faite des limitations y contenues, l’article 15 de Rome, le jeu des
articles 1 à 4, et 14 de l’ADPIC et enfin, l’article 16 du traité WPPT,
surtout s’il nous est permis de conclure que la portée de ce dernier
traité ne se limite pas au seul univers numérique, c’est-à-dire, pouvant englober un droit de reproduction complet tant pour l’analogique que pour le numérique.
L’absence d’une mention formelle d’exception de copie privée
ainsi que l’adoption de l’exception tirée du texte de l’ADPIC (inspirée
de Berne) dans le traité WPPT limiteraient considérablement la
faculté des États de légiférer en matière de copie privée sans devoir
offrir, sur la base du traitement national, un mécanisme de rémunération compensatoire.
L’intervention canadienne lors de la conférence diplomatique
mérite d’être citée à ce propos puisque sa proposition de modification
à l’article 4 offrait une réponse sans équivoque quant à l’obligation
avérée de traitement national. Le Bureau international fait ainsi
état, dans ses comptes rendus analytiques de la Commission principale I, de la préoccupation canadienne émanant de la combinaison
des articles 4, 7 et 14 du projet de traité 2 pouvant «conduire à
l’interprétation suivant laquelle les dispositions du traité imposent
une obligation de traitement national semblable à celle que l’on
756
Les Cahiers de propriété intellectuelle
retrouve dans la Convention de Berne, ce qui obligerait son pays à
offrir le régime de copie privée [...] à tous les producteurs et les
artistes étrangers»101.
Si le revers qu’a subi cette proposition suggère une interprétation favorable à une obligation de traitement national accrue entre
les Parties, l’article 2 du traité WPPT énonce toutefois que son
application est sans préjudice des droits et des obligations découlant
de tout autre traité102. Conséquemment, si l’exception de copie privée peut s’analyser comme l’un de ces droits ou l’une de ces obligations – ce qui nous apparaîtrait incongru, considérant la nature
conflictuelle de la prérogative des États de nier le droit de reproduction que tendent à affirmer les instruments internationaux, considérant aussi les Déclarations communes précitées mais surtout la
volonté d’harmonisation et d’uniformité exprimée aux préambules –
cette prérogative octroyée aux États membres de la Convention de
Rome en matière de copie privée pourrait être sauvegardée entre les
États membres de cette dernière convention et les Parties au traité
WPPT. En revanche, entre les Parties au traité WPPT mais non
membres de Rome, cette sauvegarde ne pourrait être mise en œuvre.
Néanmoins, l’étendue des droits de reproduction et la facture
de l’exception contenues au traité WPPT pourraient offrir à ces pays
Parties à ce traité mais non membres de Rome, un fondement
juridique suffisant à une prétention d’obligation de reconnaissance
sur la base du traitement national en conformité avec l’article 4 du
traité WPPT contre un État membre de Rome et ce, tant pour le
numérique que l’analogique. Cette hypothèse serait envisagée advenant une interprétation restrictive de l’article 2 n’admettant pas que
l’exception de la copie privée puisse être assimilée aux droits et
obligations qu’il vise et n’admettant pas que l’exception ne puisse
être affirmée au mépris des droits des artistes interprètes et des
producteurs d’un pays n’ayant pas souscrit à Rome. Cette hypothèse
conduirait pourtant à une situation pour le moins paradoxale puis101.
102.
OMPI, Bureau international, Comptes rendus analytiques (Commission principale I), Conférence diplomatique sur certaines questions de droit d’auteur et
de droits voisins, Genève, 2-20 décembre 1996, chap. 610. La proposition
d’amendement des articles 4, 6, 12, 19 et 26 du projet de traité Nº 2 présentée par
la délégation du Canada incluait notamment les mentions suivantes: «Article 4:
L’alinéa ci-après devrait être ajouté après l’alinéa 2): 3) L’alinéa 1) ne s’applique
pas dans les cas où une Partie contractante prévoit une rémunération des artistes interprètes ou exécutants ou des producteurs de phonogrammes pour la
copie privée des phonogrammes ou des interprétations ou exécutions qui y sont
incorporées». Voir site Internet OMPI.
WPPT, art. 1(3).
Une copie privée pour le nouveau millénaire?
757
que les États non membres de Rome, mais membres du traité WPPT
pourraient exiger des États membres de Rome ce que les États
membres de Rome ne pourraient exiger entre eux.
Le corollaire de cette première situation paradoxale ne l’est pas
moins. En effet, notre analyse du traitement de la nation la plus
favorisée sous l’ADPIC pourrait-elle trouver application en théorie
dès lors qu’un tel avantage ou bénéfice serait réclamé et reconnu par
pareil pays? Ainsi, l’exigence d’étendre le bénéfice d’un mécanisme
de rémunération compensatoire par un seul pays partie au traité
WPPT pourrait-il emporter la reconnaissance de tous les pays OMC?
En tout état de cause, il nous semblerait davantage incongru de
souscrire à la thèse selon laquelle l’article 4 WPPT limiterait l’obligation de traitement national aux seuls droits exclusifs spécifiquement reconnus par le traité WPPT et donc exclurait les mécanismes
nationaux de rémunération compensatoire103 du fait que ces derniers ne seraient pas spécifiés en tant que tels dans le traité WPPT.
Si, à notre connaissance, aucune doctrine ne se serait prononcée plus
avant sur cette question, seule la Commission européenne se livre à
une interprétation somme toute énigmatique lorsqu’elle énonce sa
politique relative à la copie privée dans le contexte de sa proposition
de Directive du 10 décembre 1997:
Il est par conséquent proposé de laisser aux États membres la
possibilité de maintenir ou d’introduire des exceptions pour la
copie privée numérique, pour autant qu’elles soient conformes
aux obligations internationales applicables en la matière
(notamment le test des trois étapes susmentionnées). Cette
approche est également suggérée dans le domaine de la copie
privée analogique, bien que ce soit pour des raisons différentes.
[...] La question de savoir si la législation dans le domaine du
droit d’auteur et des droits voisins pourrait se fonder sur une
103.
J. REINBOTHE, M. MARTIN-PRAT, S. VON LEWINSKI, «The new WIPO
Treaties: A First Résumé», (1997) 4 European Intellectual Property Review
171-181, p. 171: Les auteurs précisent que les droits à rémunération seraient
davantage exclus du traité WPPT qu’ils ne le sont par l’ADPIC compte tenu de
l’absence de mention spécifique à la copie privée ou aux droits à rémunération en
conformité à l’art. 14(6) de l’ADPIC et compte tenu de l’esprit des textes inspirés
de la Convention de Rome. En revanche, ces auteurs précisent que les tractations diplomatiques n’ont pu déboucher sur un langage précis visant la reproduction numérique et conséquemment, mais à notre avis, paradoxalement:
«[...] the provision on the right of reproduction in the WPPT was “reduced” to a
general clause [...]».
758
Les Cahiers de propriété intellectuelle
différenciation technique entre copie analogique et copie numérique mérite une réflexion approfondie. En fait, seul un État
membre prévoit une telle différenciation à l’heure actuelle.104
3. L’incertitude persistante des obligations des États
L’incertitude persistante des obligations étatiques se révèle
également par la place exacte qui sera réservée aux traités OMPI
dans le contexte des prochaines négociations OMC. La doctrine
s’accorderait pour affirmer que l’incorporation des nouveaux traités
au dispositif ADPIC ainsi que l’assujettissement des nouvelles obligations au mécanisme de résolution des conflits ne seraient pourtant
pas acquis105.
Entre une vision idyllique de l’avenir qu’auraient pu offrir les
traités et les résultats confinés à une «réalité moins ambitieuse»,
Nimmer souligne à juste titre que les traités ne sont pas de droit
positif sauf ratification par 30 pays106 et leur signature mais hormis,
104.
105.
106.
Proposition de Directive du Parlement européen et du Conseil sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société
de l’information, supra, note 1, p. 34 et 35, ainsi que les préambules 22 et s. et
l’article 5 proposé octroyant aux États membres la faculté de prévoir des limitations au droit de reproduction exclusif lorsqu’il s’agit de reproductions effectuées sur un support d’enregistrement sonore, visuel ou audiovisuel, par une
personne physique pour un usage privé et à des fins non commerciales. Dans la
version plus récente de cette directive émanant du Conseil et du Parlement
européen en date du 8 juin 2000, le paragraphe 26 distingue avec précision
l’analogique du numérique, le premier n’étant pas pressenti comme ayant un
impact significatif sur l’évolution de la société de l’information par opposition à
la seconde, qui serait étendue et qui requiert des États membres la prise en
considération des développements techniques et économiques lorsque des techniques de protections sont disponibles: «Such exceptions should not inhibit the
use of technological measures or their enforcement against circumvention». À
noter que la transposition des traités OMPI en droit américain ne donnait lieu à
aucune modification au chapitre de la copie privée. V. ESPINEL, «The U.S.
Recording Industry and Copyright Law: An Overview, Recent Developments
and the Impact of Digital Technology»; J. BAND, «The Digital Millenium Copyright Act: A Balanced Result», (1999) 21 European Intellectual Property Review
53-62, p. 92-94; J.E. COHEN, «WIPO Copyright Treaty Implementation in the
United States: Will Fair Use Survive?», 21 European Intellectual Property
Review 236-247.
P. VANDOREN, The EU Perspectives on IPR in the New Round and Under the
Transatlantic Economic Partnership, Fordham University School of Law,
Seventh Annual Conference on International Intellectual Property Law & Policy,
April 8 & 9, 1999, 11 pages.
Ce plancher serait atteint puisque, au 15 avril 1999, 51 pays ont signé le traité
OMPI-WCT et 7 l’ont ratifié (dont les États-Unis et le Japon) tandis que 50 pays
ont signé le traité OMPI-WPPT et 5 l’ont ratifié (dont les États-Unis). Source:
site Internet OMPI.
Une copie privée pour le nouveau millénaire?
759
surtout, leur éventuelle transposition dans les droits nationaux.
Aussi, faudrait-il s’interroger sur la portée de l’article 1 de l’ADPIC
qui n’empêche pas les Membres de mettre en œuvre dans leur
législation intérieure, sans que cela soit une obligation, une protection plus large qu’il ne le prescrit mais à condition de ne pas
contrevenir à ses dispositions107. Or, l’application de l’exception de
l’Article 13 aux droits des artistes interprètes et des producteurs ne
constitue-t-elle pas un niveau de protection plus large mais qui
contredirait directement l’Article 16 ADPIC?
Plus généralement, peut-on mettre à l’épreuve les mécanismes
de rémunération compensatoire qui ne reconnaissent pas les
auteurs, les artistes interprètes et les producteurs108 par le truchement de l’Article 1 ADPIC? Une réponse positive dans ce contexte
pourrait-elle conduire à la conséquence fâcheuse d’un retour à la
situation normative précédant l’ADPIC, voire la quasi non-imputabilité de la discrétion des États à transposer dans leurs législations
les traités OMPI ou d’autres niveaux de protection dépassant les
minima? Voire, en matière de copie privée, conduire à un imperturbable et incontestable abus d’exception?
Il nous serait loisible de conclure à ce stade en affirmant que le
phénomène de la copie privée conserve à peu près les mêmes assises
normatives internationales depuis son émergence. Contrairement
aux travaux remontant à Stockholm en 1967, l’intérêt de la reconnaissance du droit de reproduction, alors assorti d’une exception
n’annulant pas son affirmation et son application, donne lieu, au gré
de l’évolution des traités (ADPIC et WPPT), à une généralisation à
tous les droits et les ayants droits mais se heurte néanmoins, avec
107.
108.
Si les articles 1 à 4 et 14 des ADPIC prévoient des mesures de concordance avec
d’autres accords, dont la faculté pour les États de présenter une notification au
Conseil concernant des exemptions franches en conformité avec Berne ou Rome,
notamment dans ce dernier cas «pour ce qui est des droits des artistes interprètes, des producteurs de phonogrammes [...] qui ne sont pas visés par l’ADPIC, ou
d’autres cas découlant d’accords internationaux se reportant à la propriété
intellectuelle qui ont pris effet avant l’entrée en vigueur de l’Accord instituant
l’OMC mais sujet à notification au Conseil et surtout ne constituant pas une discrimination arbitraire ou injustifiée à l’égard des ressortissants d’autres Membres», le Canada ne se serait curieusement pas prévalu à ce jour de ces
dispositions, contrairement à d’autres pays.
B. LEHMAN, «Intellectual Property and the National and Global Information
Infrastructures», dans P.B. HUGENHOLTZ, The Future of Copyright in a Digital Environment, Processions of the Royal Académie Colloque, Amsterdam, July
6-7, 1995, Information Law Studios 4, Cluwer, 1996, 248 pages, p. 103-109
concernant les diverses considérations et préoccupations devant être soulevées
en matière de recours dans les démarches normatives de l’OMPI en relation
avec les dispositions ADPIC.
760
Les Cahiers de propriété intellectuelle
l’essor des techniques de reproduction, à une remise en cause de cette
formule et de l’équilibre qui avait pu être trouvé satisfaisant pour
l’époque.
Si la réglementation internationale relative à la copie privée
peut sembler incertaine et inchangée, voire décevante par son inertie, l’ALÉNA et l’ADPIC assujettissent la protection des créateurs à
des mécanismes internationaux de règlement de différends plus
efficaces qui pourraient avoir pour effet d’obliger les États à offrir
le traitement national ou le traitement de la nation la plus favorisée
à tous les créateurs ressortissants des pays OMC dès lors qu’un
mécanisme de rémunération compensatoire est mis en œuvre.
Contrairement à ce que Dillenz préconisait comme solution
normative internationale inspirée du droit de suite – l’insertion à
l’article 9 d’un alinéa 4 permettant la réciprocité matérielle en
matière de copie privée, solution indirectement préconisée par le
Canada lors de la Conférence diplomatique de décembre 1996 – il
nous semble que cette solution est peu satisfaisante eu égard aux
conditions de limitations ayant été uniformisées mais confirmées
limitativement dans ces deux derniers traités, tout au moins en
faveur du droit de reproduction des créateurs phonogrammes mais
surtout à la lumière de l’esprit et de la lettre des nouveaux traités
OMPI affirmant les droits exclusifs de reproduction des artistes
interprètes et des producteurs. Semblable interprétation des obligations internationales peut apparaître conforme à celle qu’en ferait
Lehman109; en revanche, nous nous devons de constater que le seul
constat possible à ce stade en demeure un d’incertitude.
PARTIE II: UNE SOLUTION EN DÉPIT DE
L’ENCADREMENT JURIDIQUE
INTERNATIONAL
A. Une solution sous forme de mécanisme de rémunération
compensatoire
1. L’unique solution au phénomène de la copie privée
La solution au phénomène de la copie privée est trouvée par
l’Allemagne qui est le premier État à proposer la mise en œuvre d’un
mécanisme de rémunération compensatoire. Au terme d’une lutte
109.
Id., p. 107.
Une copie privée pour le nouveau millénaire?
761
judiciaire menée par la société de gestion GEMA110 notamment
contre le fabricant d’appareil de reproduction Grundig entre les
années 1955 et 1965, l’Allemagne légifère pour modifier sa loi sur le
droit d’auteur afin de rendre licite la copie privée en contrepartie d’y
prévoir un mécanisme de rémunération compensatoire imposant
une redevance sur les appareils de reproduction, modifié peu de
temps après par l’ajout des supports de reproduction.
Cette solution ne rallie pourtant pas tous les pays, comme
l’Angleterre qui, en 1988, légiférait une exception de copie privée en
abandonnant tardivement son corollaire lors des modifications à sa
loi sur le droit d’auteur, c’est-à-dire la mise en œuvre d’un mécanisme de rémunération compensatoire111 et, surtout, comme les
États-Unis, nous l’avons déjà mentionné, qui décidaient en 1992 de
légiférer sur la seule copie privée phonogramme numérique DAT
afin de donner suite à la décision de la Cour suprême dans l’affaire
Betamax.
Contrairement aux développements judiciaires en Allemagne,
suivis peu de temps après par la Cour suprême d’Autriche112,
l’affaire Betamax aux États-Unis concluait que la copie privée vidéogramme constituait une utilisation équitable au sens de la loi sur le
droit d’auteur, soit un simple moyen de déplacement dans le temps
(«time shifting») ou encore un simple recours technique servant à
la plus grande jouissance des œuvres par les consommateurs, ne
pouvant conséquemment préjudicier ou concurrencer l’exploitation
traditionnelle de ces œuvres. Or, selon Nimmer, les phénomènes de
110.
111.
112.
S. MARTIN, supra, note 2, p. 43. Décision de la Cour suprême du 18 mai 1955,
BGHZ 15, également cité par DILLENZ, supra, note 2, p. 196 et D.J.G. VISSER,
«Copyright Exemptions Old and New: Learning from Old Media Experiences»,
dans P.B. HUGENHOLTZ, supra, note 71, p. 49. Cette lutte judiciaire se solde
par l’affirmation d’une interprétation restrictive de l’exception de copie privée
formellement énoncée dans la loi: «There is no general principal in copyright law
that maintains that the claim of the copyright holder shall stop short of the private sphere of the individual.» En revanche, les décisions qui auraient suivi en
1960 et 1963, notamment les Décisions du 22 juin 1960 I ZR 41/58 et du 12 juin
1963 IB ZR 23/62 BGHZ 107, confirment le caractère intrusif dans la sphère
privée des tentatives de la GEMA d’exercer ce droit de reproduction, rendant son
application, à toutes fins utiles, impossible.
D.J.G. VISSER, supra, note 73, p. 50 et OTA, supra, note 6, p. 81 qui rappelle
l’article 56 de la loi anglaise (Copyright, Designs and Patent Act (1988), ch. 48)
soit l’étendue de l’exception de copie privée qui comprendrait, en plus des logiciels que l’on retrouve dans la plupart des législations, la copie privée de toutes
les catégories d’œuvres sous forme électronique et qui ne serait pas prohibée à
l’achat ou lors de «transferts» subséquents.
S. MARTIN, supra, note 2, p. 48. Cour suprême autrichienne, Austro-Mechana,
28 novembre 1967, (1969) UFITA.
762
Les Cahiers de propriété intellectuelle
copie privée audio et audiovisuelle ne devraient pas être confondus
dans la décision de la Cour suprême113. Selon Ginsburg, c’est moins
la confusion des deux phénomènes de cette décision qu’il faut signaler que l’analyse de la doctrine de l’utilisation équitable qu’il faut
remettre en perspective. Ainsi:
Fair use analysis, whether applied to transformative or consumptive uses, tends to concentrate on the potential market
impact of the copying. This approach is consistent with the
international copyright norm of the Berne Convention [...] the
question should not have been whether the video tape recorder
harmed old markets for the works; it should have been whether
the device created a new market for reproductions of the works,
a new market that normally would come within the right’s
owners’ control. [...] In the past, transaction costs and relatively
modest economic harm underlay that tolerance. Today and
tomorrow, those justifications do not apply, or do not suffice.114
Visser recentre l’enjeu du débat de manière opportune en précisant comme suit:
Whether the case against home taping was initially won in the
courts, lost or never even tried as in the Netherlands, sooner or
later a levy system turned out to be the only option.115
2. La création de «parcs nationaux» ou la solution
traditionnelle comme abus de l’exception tolérée
Entre la solution unique au phénomène de la copie privée et la
mise en œuvre effective de mécanismes de rémunération compensatoire par les États, il y a pourtant un écart. Ce n’est que durant la
dernière décennie que la plupart des États européens, notamment
l’Autriche (1981), la Finlande (1984), la France (1985) et, plus récem113.
114.
115.
La cour concluait à l’opportunité d’un examen supplémentaire de la copie privée
par l’autorité législative mais les fondements de sa décision ne reposeraient pas
exclusivement sur une analyse du «fair use» mais également sur une notion de
responsabilité civile («vicarious liability») relevant de la concurrence déloyale
de la copie privée à l’égard des marchés d’exploitation traditionnels. Néanmoins, «[...] the Court determined that under certain circumstances, the taping
of a video work in its entirety for time-shifting purposes would be allowable
under the fair use doctrine [...] Despite their differing views, both the majority
and the dissent inferred that Congress may wish to examine the home recording
under the fair use doctrine of current copyright law scheme», tel que cité dans
OTA, supra, note 6, p. 72.
J. GINSBURG, supra, note 15, p. 13.
D.J.G. VISSER, supra, note 71, p. 50.
Une copie privée pour le nouveau millénaire?
763
ment, la Hollande (1990) emboîtaient le pas en proposant des mécanismes équivalents.
La nature et la portée de ces mécanismes varient considérablement. Ces variations sont moindres en ce qui a trait à l’exercice de la
prérogative des législateurs de légiférer une exception ou de rendre
la copie privée licite qu’en ce qui a trait surtout à la destination
nationalisée des redevances perçues par le truchement du choix
de fondement juridique du mécanisme (législation fiscale ou taxes
administrées par le trésor public comme en Norvège, en Suède et,
suivant la qualification judiciaire fiscale anti-constitutionnelle du
mécanisme issu du droit d’auteur, en Australie – ces derniers étant
néanmoins marginaux par opposition aux mécanismes issus ou connexes au droit d’auteur), de la création de fonds culturels ou d’une
détermination aléatoire ou tout au moins variable de pays en pays
des répartitions aux créateurs préjudiciés par la copie privée116,
pour ne pas parler des écarts considérables entre les niveaux de
rémunération caractérisant ses mécanismes117.
Dillenz reprend l’expression de Nordemann, Vinck et Hertin,
pour qualifier ces variations antagonistes entre les dispositions en
matière de copie privée et l’obligation de traitement national, de
création de «parcs nationaux en faveur des auteurs indigènes»118.
116.
117.
118.
G. DAVIES et M.E. HUNG, supra, note 2, p. 259-269. Voir aussi les comparaisons détaillées plus récentes citées sous la note 9. À titre indicatif, il faut souligner le cas extrême de la Finlande, prévoyant un mécanisme de droit d’auteur
assorti d’un fonds culturel national composé de 60 % des redevances phonogrammes perçues; l’Autriche se démarque à 51 % contre 15 à 25 % pour la plupart des autres pays tels que la France (25 %). À ces affectations culturelles ou
sociales s’ajouteraient 10 % pour des motifs similaires mais résultant des ententes CISAC régissant les sociétés de gestion entre elles. Voir note 136 ci-dessous:
A. SCOTT et M. HILTY RETO. En ce qui a trait à la répartition entre les créateurs des phonogrammes, la France et la Hongrie adoptent une répartition 50 %
auteurs, 25 % artistes interprètes et 25 % producteurs, en revanche les écarts
varient considérablement malgré la référence dans de nombreux pays d’une
répartition égalitaire de 33 1/3 pour chacun comme en Autriche, au Danemark
et aux États-Unis, mais de 42 % pour les auteurs compositeurs d’œuvres musicales, 16 % d’auteurs d’œuvres littéraires, 27 % pour les artistes interprètes et
de 15 % pour les producteurs en Allemagne.
Voir note 9. Une analyse de ces différentes études permet de conclure à une
moyenne mondiale pour les supports analogiques d’environ 40 cents par 60
minutes de support audio vierge avec des écarts considérables entre les pays: la
Norvège à 74 cents, le Danemark à 65 cents, les Pays-Bas à 53 cents, la France à
40 cents et la Hongrie à 7 cents, l’Allemagne à 10 cents et l’Espagne à 33 cents en
précisant néanmoins que les mécanismes de rémunération compensatoire de
ces derniers pays incorporent, en plus des supports, des redevances imputables
sur les ventes d’appareils de reproduction.
W. DILLENZ, supra, note 2, p. 204. Il faut signaler au passage que la Cour
suprême d’Autriche (OGH 14 juillet 1987, JBI 1987, Medien und Recht, 1987,
764
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Compte tenu de notre analyse de l’absence d’encadrement normatif international contraignant et du peu de précisions disponibles
quant au traitement effectif des ressortissants étrangers dans les
mécanismes existants, nous ajoutions à cette expression déjà forte la
notion d’abus d’exemption tolérée.
La faculté laissée aux législations nationales de légiférer en
matière de copie privée donne ainsi lieu à une multitude de variantes
qui demeurent à ce jour incontestées119 mais, somme toute, marginales parmi les 138 États membres de l’OMC et de la Convention de
Berne ou parmi les 57 États membres de la Convention de Rome120.
Selon nos sources, l’exception de copie privée faisait l’objet de
dispositions législatives dans plus de 36 pays121, 13 de ceux-ci étant
des pays européens; 9 de ces 36 pays n’ayant toutefois pas édicté de
mesures législatives prévoyant un mécanisme ou ne disposant pas
dans les faits de mécanismes en vigueur notamment la Suède,
l’Australie et la Russie122. On notera également qu’environ 21 des 36
pays ayant légiféré en la matière proposent des dispositions applicables tant pour la copie privée phonogramme que vidéogramme et que
119.
120.
121.
122.
212) serait le seul tribunal d’un pays Membre de Berne à s’être prononcé en
matière d’utilisation des redevances de copie privée à des fins collectives. Ainsi,
l’obligation de percevoir 51 % de la rémunération par la société autrichienne
Austro-Mechana équivalait à une discrimination arbitraire contre les ressortissants étrangers (notamment la société demanderesse GEMA de l’Allemagne) et
non conforme au principe de traitement national d’une partie de la rémunération en matière de copie privée (p. 211 et 212).
D. GERVAIS, supra, note 69. Les États-Unis n’étant pas un pays membre de la
Convention de Rome, ses artistes et ses producteurs sont déclarés frustrés du
bénéfice de ces mécanismes.
État des ratifications et des signatures au 15 avril 1999 selon le site Internet de
l’OMPI.
Outre le Canada: Allemagne, Australie, Autriche, Belgique, Bulgarie, Cameroun, Congo, Danemark, Espagne, Estonie, États-Unis, Finlande, France,
Gabon, Grèce, Hongrie, Islande, Israël, Italie, Japon, Kenya, Latvia, Niger, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie, Russie, Slovaquie, Slovénie, Suède, Suisse, Turquie, Ukraine. Source: G. DAVIES, M.E.
HUNG, STICHTING DE THUISKOPIE, IFPI, supra, note 9, ainsi que: Conseil
européen de l’industrie de la bande magnétique (ETIC), Study of the Impact of
Existing Levy Schemes in the EU on Distortions of Competition and Trade in the
European Blank Recording Media Market: A Call for the Need for Harmonisation at European level to Improve the Laws Relating to Levies on Blank Recording Media, 1995, 32 pages.
L’amendement à la loi de 1993 sur le droit d’auteur et les droits voisins introduisant la copie privée à compter du 1er février 1999 aurait été mis en vigueur sans
qu’un organisme de perception ne soit désigné. Music & Copyright, 27 janvier
1999.
Une copie privée pour le nouveau millénaire?
765
9 des 36 pays prévoient des mécanismes de perception applicables
tant aux appareils de reproduction qu’aux supports servant à la
reproduction.
3. La remise en cause de la solution traditionnelle
Si les variations dans les mécanismes de rémunération compensatoire sont nombreuses, le numérique impose une fracture dans
la solution traditionnelle.
Au plan normatif international, cette fracture est constatée par
la difficulté d’arrimage appréhendée entre les traités ADPIC et
OMPI, mais surtout par l’éventualité plausible d’une remise en
cause de la solution traditionnelle par un panel ADPIC qui pourrait
renverser l’état de tolérance envers ce que nous avons qualifié d’abus
d’exception. Cette remise en cause passerait soit par la voie d’un
recours en violation d’une obligation expresse ou non textuelle
(NVNI), soit par l’entrée en vigueur des traités OMPI qui imposeraient des niveaux de protection supérieurs à l’ADPIC qui pourraient emporter l’obligation de traitement sur la base de la nation la
plus favorisée.
Au plan moins théorique, nous avons déjà évoqué la prise de
conscience alarmiste de la menace appréhendée du numérique. Or,
la solution traditionnelle pourrait ne pas constituer une solution
opportune dans cet univers où l’exercice du droit exclusif de reproduction paraît indispensable à toute mise à disposition du public. Le
fait que les États-Unis et le Japon aient confiné leurs mécanismes de
rémunération compensatoire aux appareils et aux supports numériques contredirait cette dernière hypothèse. Par ailleurs, il importe
de souligner qu’une proportion importante des mécanismes de rémunération compensatoire en vigueur ne prévoit pas de mesures pouvant s’adapter aux technologies de reproduction numérique sans
modifications législatives. La question de l’opportunité de leur adaptation au numérique est donc d’actualité. La pertinence même de la
solution de copie privée se pose ainsi dès lors que les caractéristiques
fondamentales du tout numérique affirment de nouvelles réalités de
convergence, de commercialisation et de consommation.
À la différence du logiciel et des bases de données qui ont donné
lieu dans certaines législations à une copie de sauvegarde ou une
copie temporaire, l’abolition pure et simple de l’exception de copie
privée phonogramme pourrait constituer la seule option réaliste
ayant pour conséquence de condamner la solution traditionnelle.
766
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Extension des mécanismes de rémunération compensatoire ou abolition de l’exception? La question ne semblerait pas se poser dans le
cas particulier du Canada.
B. La Partie VIII de la Loi sur le droit d’auteur du Canada:
une solution à la fois traditionnelle et audacieuse
Le phénomène de la copie privée au Canada ne se distingue pas
des enjeux traditionnels qu’il impose à la protection des créations.
Ainsi, le mécanisme de rémunération compensatoire proposé par
le législateur canadien offre une solution classique en réponse au
phénomène de la copie privée. Cette solution a l’intérêt de refléter
une interprétation contemporaine des obligations internationales,
mais aussi de proposer un mécanisme neutre d’un point de vue
technologique.
1. Genèse de la solution canadienne
La problématique de la copie privée n’est pas nouvelle au
Canada. Tandis que la documentation l’étayant y est nombreuse123,
la réforme du droit d’auteur canadien tarde néanmoins à l’adopter et
à y reconnaître un mécanisme de rémunération compensatoire.
Le rapport Keyes-Brunet de 1977 «Le droit d’auteur au
Canada» ne contient curieusement aucune recommandation relative
à la copie privée malgré une vague mention du phénomène qui préoccupait déjà le Conseil économique124 dans un rapport publié en 1971.
Parmi les nombreuses études du ministère de Consommation et
Corporations du début des années 80, Jim Keon concluait favorablement à la création d’une «taxe applicable aux supports de reproduction» en ajoutant toutefois une réserve importante relative à la
preuve de revenus dépassant les coûts de la gestion collective d’un tel
mécanisme125.
Le rapport «De Gutemberg à Télidon – Livre Blanc sur le droit
d’auteur» de 1984 est suivi de la Charte des droits des créateurs et
123.
124.
125.
Voir notes 7 et 8.
A.A. KEYES et C. BRUNET, Le droit d’auteur au Canada. Propositions pour la
révision de la Loi, Consommation et Corporations Canada, ministère des Approvisionnements et Services Canada, avril 1977, 269 pages, p. 163. CONSEIL
ÉCONOMIQUE DU CANADA, Rapport sur la propriété intellectuelle et industrielle, Information Canada, Ottawa, cat. EC22-1370, janvier 1971.
J. KEON, Copie privée audio et vidéo: Les conséquences de l’enregistrement à
domicile d’œuvres audiovisuelles sur le paiement de droits d’auteurs. Consommation et Corporations Canada, 1982, 176 pages.
Une copie privée pour le nouveau millénaire?
767
créatrices – Rapport du sous-comité sur la révision du droit d’auteur
– Comité permanent des communications et de la culture en 1985,
qui contient des recommandations favorables à un mécanisme de
rémunération compensatoire applicable tant sur les appareils que
sur les supports.
Plus récemment, le Rapport du sous-comité sur le droit d’auteur publié dans la foulée des travaux du Comité consultatif sur
l’autoroute de l’information institué en mars 1994, ne comportait
délibérément aucune réflexion spécifique sur la problématique de la
copie privée et concluait à la souplesse relative du droit d’auteur
canadien à appréhender les réalités numériques mais, également, à
la nécessité pour le gouvernement de faire le point régulièrement sur
la pertinence des dispositions relatives à l’exception d’utilisation
équitable. En définitive, aucun de ces rapports ou de ces recommandations ne donne lieu à la reconnaissance d’une solution au phénomène de la copie privée parmi les quelque huit modifications qui ont
été apportées à la loi sur le droit d’auteur entre 1987 et 1996126.
Si la situation particulière du Canada, pays majoritairement
importateur de produits culturels, peut expliquer l’intervention tardive du gouvernement, voire sa réserve affichée quant à la création
d’un mécanisme de rémunération compensatoire en matière de copie
privée, la solution canadienne est néanmoins proposée dans le contexte du projet de loi C-32 déposé en Chambre des communes le 25
avril 1996 et adopté le 25 avril 1997. Le mécanisme de rémunération
compensatoire y est décrit aux articles 79 à 88127 de la partie VIII de
la Loi.
Qu’une telle solution puisse encore soulever l’émoi et l’ire de
certains auteurs128 peut toutefois surprendre. En revanche, nous
126.
127.
128.
C. BRUNET, «Le droit d’auteur au Canada de 1987 à 1997. Petit article sous
forme de prise d’inventaire», (1997) 10 C.P.I. 79, 86.
Les articles 50 (les articles 79 à 88 de la loi), 53 (la prise d’effet du tarif) et 58.1
(clause interprétative des ententes en matière de cession ou de concession de
droits précédant le 25 avril 1996) du projet de loi ayant été mis en vigueur à
compter du 15 mars 1998 en vertu du décret du 25 février 1998.
A.A. KEYES, «Do Proposed Copyright Amendments Bolster Canadian Culture?», (1996) 10, 3 Intellectual Property Journal 353-361, p. 359. L’auteur doute
de l’efficacité du mécanisme de rémunération compensatoire, tout au moins à
rémunérer les auteurs et créateurs canadiens plutôt qu’étrangers et ajoute: «To
what extent are Canadian performers and record-makers being gored?» Voir
également: J.L. POTTS, «Tape Levy Invalid? Hearing to be Stayed? Stay
Tuned!», Canadian Society of Copyright Consumers Newsletter, July 1999;
H. KNOPF, discutant des modifications dans le cadre de: Copyright Reform.
The Package, the Policy and the Politics, Insight Conferences, May 30, 31, 1996,
768
Les Cahiers de propriété intellectuelle
nous gardons évidemment d’assimiler toutes telles réactions à ce que
Ginsburg affirmait de l’essor du consumérisme contemporain et
selon lequel, «[...] infringers have long found eloquent if somewhat
cynical, ways to justify piracy in the name of progress»129.
Ainsi, si la notion d’utilisation équitable qui précède les modifications à la loi ne prévoyait pas d’exception de copie pour usage privé
et se bornait à énoncer des limitations relatives à des contextes spécifiques, notamment de recherche et d’étude privée130, force est de
constater, comme le faisait V. Nabhan dès 1976, que cette notion
serait toujours demeurée étrangère par nature à la «majeure partie
des enregistrements privés [...] axés sur le délassement ou le divertissement de la personne qui s’y adonne»131.
En effet, les droits de reproduction exclusifs reconnus aux
auteurs et aux producteurs en droit d’auteur canadien – les artistes
interprètes jouissant probablement de droits équivalents en vertu
129.
130.
131.
Toronto. «Consumers of ordinary blank audio tape will have to pay royalties
which they will inevitably if necessarily see as taxes for the privilege of making a
copy of a CD that they own to use in their car or Walkman. The major beneficiaries of this system will include multinationals...».
J. GINSBURG, supra, note 14, p. 1.
L’article 27(1) de la loi précédant les dernières modifications prévoyait une
défense d’utilisation équitable dans les cas de violation du monopole de l’auteur
comme suit: «Est considéré comme ayant porté atteinte au droit d’auteur sur
une œuvre quiconque, sans le consentement du titulaire de ce droit, exécute un
acte qu’en vertu de la présente loi, seul ce titulaire a la faculté d’exécuter» et «(2)
Ne constituent aucune violation du droit d’auteur: a) l’utilisation équitable
d’une œuvre à des fins d’étude privée ou de recherche, a.1) de compte rendu ou de
préparation d’un résumé destiné à des journaux» tandis que l’ancien article 3(1)
prévoyait les actes réservés en exclusivité notamment de produire ou de reproduire une œuvre ou une partie importante (art. 3(1)) s’il s’agit d’une œuvre littéraire, dramatique ou musicale, de confectionner toute empreinte, tout rouleau
perforé, film cinématographique ou autres organes quelconques, à l’aide desquels l’œuvre pourra être exécutée ou représentée ou débitée mécaniquement
(art. 3(1)d)) et d’autoriser ces actes (art. 3(1) in fine) et, enfin, l’ancien article 2
définissait les œuvres musicales. En ce qui a trait à l’inclusion des phonogrammes et des producteurs de phonogramme, cette reconnaissance était acquise
avant la transposition de l’ALÉNA en droit canadien, voir la définition de
l’article 2(17.1), mais également les articles 2(23), («plate») soit les articles 5(3)
visant les empreintes et 11 aménageant une présomption d’auteur. Voir également: H. RICHARD et L. CARRIÈRE, ROBIC, LÉGER Canadian Copyright Act
Annotated, Carswell, édition en trois volumes mise à jour périodiquement. Les
auteurs affirment que la portée de l’exception d’utilisation équitable s’étend à
toutes les catégories d’œuvres, y compris les «mechanical contrivances» (sous
S.27, 5.4.2, 27-14).
V. NABHAN, «Rapport canadien», Travaux de l’Association Henri Capitant, Les
nouveaux moyens de reproduction. Papier, sonors, audiovisuels et informatiques. Journées néerlandaises, Economica, 1988, p. 275-308, p. 289.
Une copie privée pour le nouveau millénaire?
769
des dernières modifications à la loi – peuvent aussi s’appréhender de
manière exhaustive à la lumière de l’article 27, qui prévoit que constitue une violation du droit d’auteur l’accomplissement, sans le
consentement du titulaire de ce droit, d’un acte qu’en vertu de la présente loi seul ce titulaire a la faculté d’accomplir ou d’autoriser.
L’interprétation restrictive des exceptions aux droits conférés
en exclusivité aux créateurs paraît acquise en droit d’auteur canadien132, si bien que la reproduction par quiconque effectue une copie
de partie importante d’enregistrement sonore sur quelque support
matériel que ce soit, c’est-à-dire tout support audio tel que les rubans
ou cassettes magnétiques de technologie analogique ou numérique
(DAT), les supports optiques tels que les CD enregistrables, minidisques de même que les techniques de stockage d’information
binaire généralement utilisées dans l’univers informatique, soit les
disques durs ou les disquettes, constituerait une violation des droits
d’auteur.
Conséquemment, le phénomène de la copie privée au Canada
n’aurait cessé de constituer une violation des droits de reproduction
des auteurs d’œuvres musicales et des producteurs de phonogrammes. Cette violation serait cependant restée tolérée du seul fait de
l’impuissance de ces créateurs à exercer efficacement leurs monopoles dans le cadre précis de ces nouvelles utilisations.
Toutefois, comme le rappelle Sookman:
Copyright in Canada is entirely a creature of statute. It simply
creates rights and obligations upon the terms and in the circumstances set out in the statute... Accordingly, however great
the desire to protect the labours of creators, the Act cannot be
construed to provide a remedy for all matters which appear to
be a new form of piracy or unfair trading.133
L’intervention du législateur canadien en matière de copie
privée se justifiait donc par la nécessité de pallier classiquement
un phénomène portant atteinte à l’exploitation normale des phonogrammes et portant préjudice de manière injustifiée aux intérêts
132.
133.
N. TAMARO, La Loi sur le droit d’auteur commentée et annotée, Thémis, 1990,
650 pages; Zamacois c. Douville, [1944] R.C. de l’É. 208, mais plus spécifiquement en ce qui a trait à la reproduction de copies pour usage personnel d’une
œuvre licitement achetée; Tom Hopkins International, Inc. c. Wall & Redekop
Realty Ltd., (1985) 20 D.L.R. (4d) 407 (C.A.C.-B.).
B.B. SOOKMAN, supra, note 18, p. 137.
770
Les Cahiers de propriété intellectuelle
légitimes des créateurs134, en leur assurant de nouvelles sources
de revenus135 de même que par la volonté de mettre en œuvre
plus généralement les engagements du gouvernement envers les
industries culturelles canadiennes136.
2. Régime applicable
Le mécanisme de rémunération compensatoire canadien se
résume ainsi à l’instauration d’une rémunération compensatoire
expressément prévue en faveur de créateurs individualisés137 en
contrepartie d’une exception franche138 au droit exclusif de reproduction des créateurs de phonogrammes et comprenant, notamment,
une redevance qui est rendue exigible139 des importateurs et des
manufacturiers de «supports audio vierges»140 analogiques ou numériques.
Si le législateur renouvelle la confiance qu’il a fondée dans la
gestion collective à l’occasion des modifications de 1988 en habilitant
134.
135.
136.
137.
138.
139.
140.
Voir notes 7 et 8 sur les approximations de l’ampleur du phénomène de la copie
privée au Canada.
D. VAVER, «The Copyright Amendments of 1997: An Overview», (1997) 12
Intellectual Property Journal 53-74, p. 56. L’auteur décrit les nouveaux droits à
rémunération dans son titre comme suit: «Record Producers & Performers:
Party Time!».
Voir Livre rouge du Parti libéral du Canada et les communiqués de presse
émis durant le processus législatif. Pour un rappel des événements, voir
J.P. McILROY, «Canada’s Proposed Private Copying Levy on Blank Audio
Recording Media: The Case of the Copyright Tortoise Attempting to Keep Pace
with the Technological Hare.», (1996) XXX The Canadian Law Newsletter 47-57
ou A.A. KEYES, précité en note 128.
Ibid., art. 81 et s. Il faut également souligner que le législateur n’intervient pas
dans la détermination des proportions relatives devant être imparties par la
Commission, mais qu’il cherche à garantir la destination de la rémunération en
faveur de chacun des collèges de créateurs admissibles en affirmant à l’article
58.1 (de nature interprétative) que les cessions et concessions précédant le dépôt
du projet de loi C-32 ne valent pas cession ou concession de droits conférés à
l’origine par la Loi, sauf mention expresse du droit à cet effet.
L.R.C., c. C-24, art. 80. L’étendue de l’exception franche soulève un débat de fond
qui ne devrait pas s’écarter de l’économie générale du droit d’auteur qui édicte le
droit de reproduction en y assortissant des exceptions d’interprétation restrictive. En l’occurrence, l’exception ne saurait valablement s’étendre au-delà des
supports visés par la Partie VIII de la loi, c’est-à-dire ces supports habituellement utilisés par les consommateurs pour les fins de la copie privée (à distinguer
des supports visés par les articles 1 et 3 de la Partie I). Présenter une thèse contraire aurait vraisemblablement l’effet de vider le droit de reproduction de sa
substance, pire, exposerait l’exception à la discipline de la réglementation internationale.
Id., art. 82.
Id., art. 79, les définitions de support audio et de support audio vierge.
Une copie privée pour le nouveau millénaire?
771
exclusivement ces sociétés à agir en la matière141, il s’en remet
largement aux compétences de la Commission du droit d’auteur pour
garantir la pérennité de son application en lui confiant le soin
de déterminer de nombreux aspects du mécanisme qui demeurent
inconnus dans la loi.
Parmi ces aspects inconnus, citons ceux qui consistent à:
– établir une formule tarifaire qui permette de distinguer les
supports audio vierges des supports audio habituellement utilisés
par les consommateurs pour la copie privée afin de déterminer
le montant des redevances142 et les modalités afférentes143 en
s’assurant de leur caractère juste et équitable144;
– désigner, à défaut d’entente, la société de gestion ou autre entité la
mieux en mesure de s’acquitter des responsabilités de perception
et de répartition des redevances à titre d’organisme de perception145;
– déterminer la répartition la plus opportune146 entre les créateurs
admissibles en fonction des «répertoires» de créateurs reconnus
par la loi147 ou par la voie d’une désignation formelle par le
ministre d’Industrie Canada148;
– régir, le cas échéant, toute réclamation des créateurs admissibles
non représentés par une société de gestion149;
141.
142.
143.
144.
145.
146.
147.
148.
149.
Id., art. 83.
Id., art. 82(8)a)(i), notamment la proportion impartie pour chacun des groupes
de créateurs admissibles suivant les articles 84 et 85.
Id., art. 82(8)a)(ii).
Id., art. 82(9).
Id., art. 82(8)d).
Id., art. 84.
Id., art. 79: la définition d’auteur admissible ne serait pas assujettie à la discrétion ministérielle des articles 84 et 85 comme c’est le cas des artistes interprètes
et des producteurs,à moins que les articles 85(4) et 85(3)b) ne soient interprétés
pour viser les auteurs des pays dont les créateurs voisins sont désignés ou ainsi
interprétés indépendamment de ces derniers (l’article 85(4) énonçant une
réserve générale en faveur du ministre). Par ailleurs, la loi peut aussi être interprétée comme incluant les auteurs d’«œuvres fixées et protégées par le droit
d’auteur au Canada» et de renvoyer aux définitions générales d’«œuvre musicale», de «membre de l’OMC», de «pays partie à la Convention de Berne» de
l’article 2, ainsi qu’aux articles 5(1), (1.01) et (1.02).
Id., art. 85 en ce qui a trait à la reconnaissance du traitement des artistes interprètes et des producteurs de pays donnés, sur la base de la réciprocité formelle
(art. 85(1)), ou de la réciprocité matérielle (art. 85(2)).
Id., art. 82(11) à (13).
772
Les Cahiers de propriété intellectuelle
– répondre plus généralement aux évolutions importantes ou aux
circonstances imprévisibles150;
– assurer dans sa procédure d’homologation de tarif la prévisibilité
et la transparence du mécanisme par voie de publication d’avis,
des projets de tarifs et des tarifs homologués et par la prise en
compte des oppositions, voire la tenue d’audiences publiques151.
On peut aussi affirmer que le législateur s’en remet aux forces
libres du marché en ce qui a trait à la mise en œuvre du mécanisme
en prévoyant que des solutions préconisées par les sociétés de gestion puissent lier dans une certaine mesure la Commission – la
proposition de la société de perception dans un projet de tarif152
et toute désignation subséquente153, la durée du tarif154, le dépôt
unique de projet de tarif155 – mais également en ce qui a trait aux
différents aspects de fonctionnement du mécanisme – la tenue et le
contrôle des états de compte relatifs aux ventes et autres formes
d’aliénations des supports vierges par les fabricants et importateurs156, la répartition aux créateurs admissibles157, l’administration des exemptions prévues en faveur des sociétés, associations ou
personnes morales représentant les personnes ayant des déficiences
perceptuelles158 mais surtout les recours en recouvrement reconnus
à la société de perception, indépendamment de tout autre recours, y
compris les dommages préétablis fixés au quintuple du montant de
redevances dues159.
150.
151.
152.
153.
154.
155.
156.
157.
158.
159.
Id., art. 66.52.
Id., art. 83(3), (6), (7) et (10) mais également: art. 66.71 concernant le pouvoir
d’ordonner l’envoi ou la publication de tout avis, renseignements ou documents
ou d’y procéder elle-même, à charge d’imputer discrétionnairement les coûts
d’une telle démarche. De même, devons-nous citer l’art. 66.9 en ce qui a trait à
l’obligation de présenter un rapport annuel. Voir également l’art. 66.6a), la
Commission demeurerait libre de sa procédure, la Partie VIII ne lui imposant
pas formellement une procédure d’audience publique.
Id., art. 83(2).
Id., art. 83(8)d) in fine.
Id., art. 83(5). Il faut toutefois souligner que le premier tarif est assujetti par
l’article 53 de la loi L.C. 1997, ch. 24 à une durée de deux ans.
Id., art. 83(14).
Id., art. 82 et art. 83(8).
Id., art. 84.
Id., art. 86.
Id., art. 88. L’importance de recours dissuasifs ne saurait mieux être mise en
exergue que par les expériences récentes du mécanisme français telles que
reportées dans la RIDA. Ainsi, 13 ans après sa création, le mécanisme ne cesse
de devoir se justifier devant une résistance dotée d’imaginaire fertile: J.J.
Hamet c. Copie France, C. appel de Paris, 14e Ch., 15 octobre 1993, le motif du
grief concernant la qualification de la rémunération comme contraire à la
Convention européenne des droits de l’Homme. Aussi: Techni Import c. Sorecop
Une copie privée pour le nouveau millénaire?
773
Cette confiance dans les forces libres du marché est également
constatée par un pouvoir réglementaire du gouverneur en conseil qui
peut sembler exorbitant au premier abord puisqu’il se retrouve
pratiquement sous tous les aspects du mécanisme160, mais qui demeure en quelque sorte facultatif et normatif puisqu’il ne serait
édicté que pour répondre des seules situations de défaillances
du marché. Ainsi, le législateur ne se réserverait qu’une faculté
d’intervenir, par exemple pour définir les supports audio vierges,
pour guider la Commission lorsqu’elle établit une formule tarifaire
ou pour faciliter l’administration d’exemptions ou des cas de remboursement. Ce pouvoir facultatif d’intervention pourrait enfin se
confirmer par l’article 92 de la loi qui impose au ministre responsable
de la loi de présenter au Sénat et à la Chambre des communes un
rapport portant sur les conséquences de l’application de la loi ainsi
que des modifications souhaitées et ce, dans les 5 ans suivant la date
de l’entrée en vigueur de la loi.
Le mécanisme de rémunération compensatoire ainsi proposé
par le législateur canadien comporte donc plusieurs caractéristiques
susceptibles d’offrir des conditions optimales d’équilibre entre les
intérêts des créateurs et les bénéficiaires de l’exception de copie
privée. En revanche, le mécanisme ne serait pas exempt de toute
interrogation et de toute critique.
3. Remise en cause d’une solution inachevée
Au-delà des écarts considérables constatés entre les mécanismes de par le monde – du fait de la perception sur les appareils, sur
les supports ou sur les deux à la fois, de l’applicabilité aux technologies analogiques et numériques, et de l’ampleur variable de la
rémunération – certaines questions relatives à la nature juridique
du mécanisme, à l’indétermination des supports, à la reconnaissance
par le ministre d’Industrie des créateurs admissibles en conformité
avec les obligations internationales, à l’économie générale des
exemptions de la rémunération et, enfin, à la crédibilité des
propositions de tarifs et au rôle de la Commission du droit d’auteur
160.
et Copie France, C. Cass. (Ch. comm.) 4 janvier 1994, reporté dans 160 RIDA
(1994), p. 220; le motif du grief concernait cette fois-ci la qualification de la
rémunération pour copie privée d’aide incompatible au marché commun et faussant le jeu de la concurrence.
Id., art. 87, qui prévoit notamment la faculté de prendre toute autre mesure
d’application de la présente partie mais également les art. 66.91 (instructions
sur des questions d’orientation, critères à suivre en matière de fixation de redevances et le prononcé des décisions), mais également aux articles 79, 83(9),
86(3).
774
Les Cahiers de propriété intellectuelle
nécessitent chacune quelques réflexions dans la mesure où la
réponse à ces questions serait déterminante dans l’appréciation
globale qui pourra en définitive être faite du régime canadien et,
d’une certaine façon, du sort qui doit être réservé à la copie privée
dans un univers numérique. Or, si nous pouvons affirmer remettre
en cause la solution canadienne, ce ne serait en définitive que parce
qu’elle est toute récente dans sa mise en œuvre et loin d’être éprouvée par les questions plus épineuses encore de l’Internet.
a. La nature juridique du mécanisme
La Partie VIII de la loi a pour objet, nous l’avons déjà dit, de
proposer un mécanisme de rémunération compensatoire en faveur
des auteurs, artistes interprètes et producteurs de phonogrammes.
Dans la plupart des législations en la matière, l’exception de copie
privée constitue le corollaire nécessaire de ce mécanisme en rendant
licites certains actes qui, autrement, demeurent la prérogative
exclusive des créateurs intéressés. Or, cette technique n’est pas
utilisée dans tous les cas et son étendue varie considérablement.
La loi française énonce le droit exclusif de reproduction161 mais
retire aux auteurs d’œuvres musicales et aux artistes interprètes de
prestations ainsi qu’aux producteurs de phonogrammes divulgués ou
publiés à des fins de commerce162 la prérogative d’interdire les copies
ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et
non destinées à une utilisation collective. Si le droit à rémunération
proposé en contrepartie est qualifié de forfaitaire (qui est par ailleurs
définie à l’Article L.131-4 comme palliatif au calcul de participation
proportionnelle et surtout, comme rémunération dont les moyens de
contrôler l’application de la participation font défaut et les frais des
opérations de calcul et de contrôle seraient hors de proportion avec
les résultats à atteindre) et spécifié plus avant dans les articles L.311
et suivant, il faut souligner que l’exception de copie privée ne fait que
retirer l’une des prérogatives du droit exclusif de reproduction sans
l’anéantir. Il n’a pas pour effet de rendre directement l’acte de
reproduction licite, sinon de rendre parfaitement inefficace l’exercice
du droit exclusif des créateurs dans le cas précis de la copie privée.
La loi suisse, pour sa part, utilise une autre technique rédactionnelle en rendant licite l’usage privé, mais en limitant le droit à
rémunération au seul cas prévu à l’alinéa 3 de l’article 20. Ainsi:
161.
162.
L.122-1, L.212-3, L.213-1.
L.122-5, L.211-3(2).
Une copie privée pour le nouveau millénaire?
775
«L’usage privé d’une œuvre divulguée est autorisé. [...] L’utilisation
de l’œuvre à des fins personnelles au sens de l’article 19, 1er alinéa,
lettre a, ne donne pas droit à rémunération, sous réserve du 3e alinéa», qui prévoit que «les producteurs et importateurs de cassettes
vierges ainsi que d’autres phonogrammes ou vidéogrammes propres
à l’enregistrement d’œuvres, sont tenus de verser une rémunération
à l’auteur pour l’utilisation de l’œuvre au sens de l’article 19». La loi
suisse ne se contente donc pas de réserver la reproduction des
œuvres musicales et phonogrammes mais étend cette limitation à
l’ensemble des utilisations.
La loi allemande utilise une technique similaire à celle de la
Suisse en spécifiant à l’article 54 de sa loi:
Where the nature of a work makes it probable that it will be
reproduced by the recording of broadcasts on video or audio
recording mediums or by the transfer from one video or audio
recording medium to another in accordance with section 53(1)
or (2), the author of the work shall be entitled to payment of
equitable remuneration from the manufacturers 1. Of appliances 2. Of video or audio recording mediums that are obviously
intended for the making of such reproductions.
Il n’y a donc pour ainsi dire aucune exception de copie privée
assortissant le droit de reproduction de l’article 16, mais plutôt la
mise en place législative d’un droit à rémunération. Les lois autrichienne163, espagnole164 et japonaise165 semblent également suivre
ce modèle.
En plus de l’exception générale d’utilisation équitable («fair
use») de l’article 107 de la loi américaine qui prévoit que ne constitue
pas une atteinte au droit d’auteur l’usage loyal des œuvres proté163.
164.
165.
The Copyright Law BGBI.No.111/1936 amended by Federal Law BGBI.No.93/
1993 and Federal Law BGBI.No.151/1996. In: WIPO Industrial Property and
Copyright, Copyright and Neighboring Rights Laws and Treaties, sept. 1997,
art. 42(1), 42b(1) et (3) et s.
Décret royal no 1/1996 du 12 avril 1996, dans OMPI La propriété industrielle et
le droit d’auteur, Lois et traités de droit d’auteur et de droits voisins, Nov. 1996,
art. 31 «[...] les œuvres déjà divulguées peuvent être reproduites sans l’autorisation de l’auteur [...] pour l’usage privé du copiste sans préjudice des dispositions 25 et 99a) de la présente loi, et à condition que la copie ne fasse pas l’objet
d’une utilisation collective ou lucrative.»
Loi no 48 du 6 mai 1970 telle qu’amendée, notamment par la Loi no 106 du 16
décembre 1992 et en dernier lieu par la Loi no 91 du 12 mai 1995, art. 30, 104 bis
et s., dans WIPO, Copyright and Neighboring Rights Laws and Treaties, Industrial Property and Copyright, Sept. 1996.
776
Les Cahiers de propriété intellectuelle
gées, y compris par reproduction sous forme d’exemplaire ou de
phonogrammes par tous les autres moyens prévus, la loi spécifie
à l’article 1008 qu’aucune procédure ne peut être intentée pour
atteinte au droit d’auteur dans le cas précis de la copie privée
numérique.
L’exception australienne stipulait à l’article 135ZZM de la loi
sur le droit d’auteur166 comme suit: «Copyright subsisting in a
published sound recording, or in any work included in a published
sound recording, is not infringed by making on private premises a
copy of the sound recording if the copy is made on or after the proclaimed day on a blank tape for the private and domestic use of the
person who made it.»
Ainsi, contrairement aux législations continentales, les législations d’inspiration anglo-saxonne comme celles des États-Unis, de
l’Angleterre et de l’Australie pourraient sembler anéantir le droit de
reproduction lorsqu’ils légifèrent en matière de copie privée. Or, ce
n’est pas tout à fait le cas puisque chacune anéantit le droit de reproduction en relation avec un support spécifiquement énoncé dans la
législation.
La difficulté du mécanisme canadien est d’utiliser une technique similaire dans un contexte de neutralité technique. En ne
spécifiant pas de support auquel l’exception de copie privée peut
s’appliquer et en énonçant que «ne constitue pas une violation du
droit d’auteur, le fait de reproduire pour usage privé sur un support
audio»167, l’étendue de l’article 80 pourrait être qualifiée de franche
et exhaustive pour ne pas dire d’exorbitante.
166.
167.
The Copyright Act 1968, tel que modifié par la Loi du 29 janvier 1990, partie VC,
art. 135ZZJ à ZZZB. La partie VC a été abrogée suivant la décision de la High
Court of Australia qui rejetait la constitutionnalité du dispositif de droit
d’auteur assimilé à une taxe affectant l’acquisition de propriété.
Voir notre commentaire à la note 137 concernant la limite aux droits exclusifs de
reproduction reconnus aux auteurs et aux producteurs de phonogrammes aux
articles 3 et 18(1)b) respectivement. En revanche, cette limite est moins claire
dans le cas des artistes interprètes, qui ne se voient pas reconnaître un droit
exclusif de reproduction, à moins d’interpréter généreusement l’article
15(1)b)(ii) «lorsqu’il en a autorisé la fixation, toute reproduction de celle-ci faite
à des fins autres que celles visées par cette autorisation», auquel cas on peut se
demander pourquoi le législateur n’a pas énoncé directement le droit exclusif de
même manière. Par ailleurs, il faut souligner que si l’article 82 rend le paiement
de la redevance obligatoire en faveur d’une société de perception mais que seules
les sociétés de gestion agissant au nom des créateurs admissibles définis à
l’article 79 peuvent déposer une proposition de tarifs, ce dernier article ne définit que la société de perception. Seule la définition contenue à l’article 2 de la loi
peut servir à habiliter ces sociétés de gestion dépourvues des autorisations traditionnelles par voie de cession ou de concessions.
Une copie privée pour le nouveau millénaire?
777
La technique rédactionnelle canadienne utilisée à l’article 80
s’inspire davantage de l’exception édictée dans le contexte du droit
de retransmission de l’article 28.01(2) que des exceptions prévues
aux actes présumés portant une atteinte au droit d’auteur auxquels
une défense d’utilisation équitable est jointe (article 27(1) et (2)).
Si l’exception peut être qualifiée de franche, elle conférerait au
mécanisme de la partie VIII de la loi un caractère sui generis qui
relèverait d’un droit économique en marge du droit d’auteur.
Sans soulever la question de la compétence constitutionnelle du
législateur dans un pareil contexte, la nature juridique du mécanisme emporterait des conséquences au plan des obligations internationales. Si nous concluions à l’incertitude des obligations
internationales, notre analyse de l’ADPIC et des traités OMPI permettait de conclure à une tolérance plus ou moins grande envers la
création de mécanisme de rémunération compensatoire constitué
sous forme de «parc national» suivant l’expression de Dillenz. Force
est de constater que la nature sui generis d’un tel régime pourrait
contribuer à un argumentaire soutenant l’inapplicabilité de certaines obligations internationales, dont le traitement national et
l’applicabilité de l’exception des industries culturelles de l’ALENA,
donc à l’illustration éloquente de l’expression de Dillenz.
Au-delà des principes et des disciplines qui devraient pourtant
animer la conduite des États en matière de copie privée, la volonté
d’édicter une exception franche comporterait des difficultés supplémentaires168 tant pour la Commission dans la détermination d’une
formule tarifaire que pour les sociétés de gestion dans la répartition
des redevances perçues par le truchement du mécanisme.
L’hypothèse d’une exception franche demeure néanmoins
défendable même si, comme nous l’avons déjà affirmé, pareille interprétation littérale du dispositif d’exception ne pourrait se faire qu’au
mépris de l’économie générale de la loi et de son but, du droit international comparé et de l’encadrement international.
168.
D. VAVER, supra, note 93, p. 60. Rejetant l’argument constitutionnel en référence au cas de l’Australie, l’auteur précise: «But other dangers lurk for a measure that loses its copyright connexion: e.g., it may have to pass muster under
the general non-copyright obligations of international agreements like the WTO
Agreement or the proposed MAI. This may include an obligation to provide
national treatment, something the blank tape levy scheme currently lacks.»
778
Les Cahiers de propriété intellectuelle
b. L’indétermination des «support audio» et «support audio vierge»
Les définitions de «support audio vierge» et de «support audio»
permettent d’étendre le bénéfice de l’exception de copie privée à tous
les supports susceptibles de servir à la copie privée de phonogrammes, qu’il soit vierge ou non, tout en restreignant l’assujettissement
de la redevance à ces seuls supports audio qui sont vierges169.
Ces définitions ont le mérite de ne pas différencier les technologies analogiques et numériques et donc de permettre une certaine
adaptabilité du mécanisme aux évolutions techniques. L’indifférenciation technique permet en quelque sorte de refléter les préceptes
énoncés aux préambules des traités OMPI, notamment d’assurer
une protection aussi efficace et uniforme que possible entre ces
technologies en apportant des réponses appropriées aux questions
soulevées par l’évolution technique170.
En revanche, les définitions souffrent d’indétermination, c’està-dire de ne pas clairement écarter certains cas de «supports audio
vierges» ne pouvant vraisemblablement être assimilés à des supports audio vierges «habituellement utilisés par les consommateurs
pour reproduire des phonogrammes» comme l’énonce la loi. Ainsi,
contrairement à plusieurs législations171, le Canada laisse aux soins
des sociétés de gestion, de la société de perception et en dernier
ressort de la Commission, la tâche de déterminer ce qui aurait pu
aisément être exclu, tels les microcassettes servant dans les dictaphones ou les répondeurs téléphoniques, les bobines de ruban
magnétique et les rubans magnétiques d’une largeur de 12,7
millimètres ou 1/2" utilisés dans les studios d’enregistrement.
Par ailleurs, si l’indifférenciation des supports a l’avantage de
rendre le mécanisme neutre d’un point de vue technologique et donc
d’éviter la nécessité d’intervention législative future, le législateur
169.
170.
171.
Il serait raisonnable de se demander si cette exception n’aurait pas pour effet
d’exclure toute preuve relative aux utilisations multiples pouvant être faites des
supports vierges et, conséquemment, d’annuler toute prétention à des pertes
potentielles pour des supports réutilisés mais ne pouvant légalement supporter
de redevance après une première aliénation.
Une telle souplesse devrait se traduire par la faculté d’interpréter l’expression
«habituellement utilisé» généreusement ou non pour inclure tout support vierge
par opposition aux supports principalement utilisés en tant que tels, voire pour
inclure une formule tarifaire uniforme (ou son contraire) sur l’ensemble des supports de reproduction, nonobstant leurs stades respectifs d’exploitation, de
démarrage, de maturité ou de déclin.
Voir note 9 concernant les études récentes.
Une copie privée pour le nouveau millénaire?
779
canadien ne semble pas faire état des dispositions conséquentes
habituellement applicables dans un univers numérique, soit à
l’image du mécanisme américain172 et, plus récemment, en conformité avec les mesures techniques préconisées dans les traités OMPI,
encourager pareilles mesures de protection et d’identification des
œuvres telles que le Serial Copy Management System173.
Plus fondamentalement, le législateur ne semble pas avoir fait
état de l’interrogation plus pointue que devrait susciter l’environnement numérique, comme ce fut le cas pour la reconnaissance des
logiciels au bénéfice de la protection du droit d’auteur (assortie d’une
exception de copie unique de sauvegarde). Conséquemment, la compatibilité de la prérogative de copie privée, alors que la reproduction
peut en principe être à l’identique et le contrôle parfaitement
impossible, soulèverait l’opportunité de l’abolir tout simplement174.
La lacune ci-dessus pourrait-elle faire l’objet de corrections par voie
172.
173.
174.
Loi de 1976 sur le droit d’auteur, modifiée en dernier lieu par la loi sur les enregistrements sonores à domicile, no 102563 du 28 octobre 1992, chapitre 10.
J. COLETTA, «BMI’s Solution to Quantify Music on the Web», (1998) 80 Copyright World 18-19; J. BLAIR et M. BAMFORD, «Sounds Unlimited: Music and
Copyright in Cyberspace», (1998) 80 Copyright World 20-26, concernant les dernières percées technologiques en la matière: Cyberus «...digital juke box»,
Liquid Audio, Intervid-Itirated Systems, Internet Music Shop, A2B Music, mais
aussi concernant l’opposition de «Webcasters» à toute forme de redevance mécanique ou incidente dans le contexte de la régulation de la vente/distribution de
phonogrammes sur Internet aux États-Unis. Voir également l’initiative de la
CISAC sous T. ANDERSON, «CISAC Common Information System Symposium. Conference Report – Paris, April 21-23, 1997», (1997) 71 Copyright World
14-16; de même pouvons-nous citer l’initiative canadienne «IVY-Digital Intellectual Property Management» entreprise par le Cultech Research Centre de
l’Université York ainsi que les avancées de la société américaine de gestion
Copyright Clearance Center Inc. Aussi faut-il citer les travaux du regroupement
des sociétés IBM, Intel, Matsushita et Toshiba visant à choisir une norme de
marquage des œuvres dans le contexte du support DVD entre deux techniques
concurrentes soit Slue Spike Inc. et Aris Technologies. «Digital Watermarking
Showdown. Meeting on June 11, 1999», CMP Media Inc – The New York Times
Company, 4 juin 1999. Voir également J.A. NICKELL, «The MP3 Killer Gathers
Steam», CMP Media Inc. – Wired Digital, 7 juin 1999 en ce qui a trait à
l’initiative des producteurs de phonogrammes, de logiciels et de l’industrie électronique visant la recherche d’une norme de compression et de cryptologie
dénomée Secure Digital Music Initiative-SDMI. Voir également: P. JESSOP,
«SDMI: Moving Music Online», Network IFPI, Issue 3, May 1999, p. 9.
L. TELLIER-LONIESWSKI, C. ROJINSKY et L. MASSON, «Contrefaçon sur
Internet (2e partie): Vers un nouveau droit des utilisateurs», Gazette du Palais,
dimanche 18 au mardi 20 janvier 1998, p. 25-29. Inversement, peut-on suivre un
même raisonnement favorisant l’abandon de la prérogative de copie privée alors
que le contrôle serait parfait. Voir note 121 concernant les méthodes de contrôle
rendant hypothétiquement la copie privée sans objet. Également: A.
CHRISTIE, «Reconceptualising Copyright in the Digital Era», (1995) 11 European Intellectual Property Review 522-530, p. 526.
780
Les Cahiers de propriété intellectuelle
de modifications conséquentes lors d’une future transposition en
droit canadien des traités OMPI? L’abandon de la prérogative de
copie privée numérique, objet d’études par le Japon notamment,
pourrait-il constituer une option à une neutralité technologique
préconisée de manière téméraire par le Canada?
L’indétermination des supports comporte en définitive le désavantage d’exposer inutilement la mise en vigueur du mécanisme de
rémunération compensatoire au contentieux d’appel de la Cour fédérale d’appel découlant nécessairement du pouvoir décisionnel de
la Commission à qui le législateur a confié le mandat d’interpréter l’expression «support habituellement utilisé». Et ce, en dépit
du fait que cette matière semble du plein ressort exclusif de la
Commission175. L’indétermination laisserait-elle en définitive à la
Commission un pouvoir susceptible d’être assimilé à un pouvoir
réglementaire inconstitutionnel?
c.
La désignation des créateurs admissibles en dépit
de l’encadrement normatif international
Si nous pouvons résumer les obligations internationales incombant au Canada en matière de copie privée et ce, en dépit de l’incertitude constatée et malgré la difficulté supplémentaire évoquée
ci-haut concernant la nature juridique du mécanisme, nous affirmerions que le traitement national serait la règle pour tous les créateurs. En revanche, en tenant compte de l’encadrement normatif
précité, les auteurs étrangers devraient se voir reconnaître sur la
base du traitement national en vertu de Berne, UCC, ALÉNA,
ADPIC et WCT; les artistes interprètes étrangers et les producteurs
ne devraient se voir reconnaître aucun traitement, sinon de façon
discrétionnaire sur la base de la réciprocité matérielle ou formelle,
en vertu de Rome et dans une certaine mesure en vertu de l’ALÉNA,
ADPIC et WPPT, mais sur la base du traitement national dans une
autre mesure suivant l’ALÉNA, l’ADPIC et le WPPT.
Force est de constater que le législateur canadien fait siennes
les obligations de traitement national à l’égard des auteurs mais se
réserve un pouvoir discrétionnaire absolu en ce qui a trait aux
artistes interprètes et aux producteurs qui ne seraient pas sujets,
175.
S. BLAKE, Administrative Law in Canada, 2e éd., Butterworths, Toronto, 1997,
200 pages, p. 164: le niveau élevé de spécialisation ou d’expertise du tribunal
administratif dont la décision est contestée limiterait d’autant le pouvoir de
révision des tribunaux supérieurs. Voir ci-dessous les contestations judiciaires.
Une copie privée pour le nouveau millénaire?
781
citoyens ou résidents permanents du Canada ou s’il s’agit d’une
personne morale, qui n’aurait pas son siège social au Canada. La
reconnaissance ministérielle est donc requise pour permettre aux
artistes interprètes et aux producteurs des pays Membres de Rome
d’accéder au bénéfice du mécanisme de rémunération compensatoire. Le processus de désignation en conformité avec l’article 85(1)
accorde la latitude au ministre d’Industrie Canada pour offrir sur la
base du traitement national ou sur la base de la réciprocité, selon le
cas, s’il constate qu’un pays n’accorderait pas, ni ne se serait engagé
à accorder par quelque moyen que ce soit, «essentiellement les
mêmes avantages que ceux conférés» par le Canada, ainsi le ministre
peut-il alors accorder les avantages conférés par la partie VIII «dans
la mesure où ces avantages y sont accordés» aux créateurs ressortissants canadiens.
On peut donc s’interroger sur l’étendue de la discrétion ministérielle et surtout son utilité relative. En effet, la reconnaissance sur la
base de la réciprocité matérielle postule l’existence de conditions de
rémunération et autres modalités aussi généreuses au Canada que
dans les pays que le ministre a la charge éventuelle de désigner. Un
pareil comportement scrupuleux serait-il susceptible d’éveiller une
réaction équivalente en chaîne de la part de pays comportant des
régimes plus avantageux pour les Canadiens que pour leurs ressortissants sous la Partie VIII de la loi? Un pareil mécanisme serait-il
en définitive inefficace et inopportun à défaut pour le ministre de
l’utiliser négativement comme outil de protection contre les pratiques abusives constatées après le fait d’une désignation de tous les
pays offrant un mécanisme de rémunération compensatoire de copie
privée et ce, sur la base du traitement national?
Ensuite, le processus de désignation discriminant le traitement
sur la base du traitement national ou autrement postule sa conformité aux obligations internationales. Or, le constat d’incertitude
des obligations internationales était beaucoup moins incertain pour
un mécanisme promulgué après 1994, si bien qu’il ne serait pas
impossible d’affirmer que le mécanisme de désignation pourrait
s’avérer contraire au texte de l’ADPIC, voire à une obligation non
écrite qui pourrait être soulevée par le biais du recours en NVNI.
Enfin, notre constat d’incertitude avait mis en exergue l’hypothèse
d’obligation de traitement sur la base de la nation la plus favorisée
sous l’ADPIC. Cette hypothèse viendrait-elle diminuer d’autant la
faculté du Canada de reconnaître le bénéfice de son mécanisme sans
devoir l’offrir à l’ensemble des pays membres de l’OMC, et ainsi
annuler l’effet escompté de la technique discrétionnaire?
782
Les Cahiers de propriété intellectuelle
d. L’économie générale des exemptions au mécanisme de
rémunération
Si les exemptions prévues en matière d’exportation176 et
d’aliénation en faveur de société, association ou personne morale
représentant des personnes ayant une déficience perceptuelle177
sont de facture plutôt classique178 en regard des mécanismes de
rémunération compensatoire dans d’autres pays, l’article 80(2) n’est
pas sans soulever certaines difficultés d’interprétation. Ainsi, si
cette exception à l’exception peut sembler répondre à certaines utilisations professionnelles qui sont toutes indiquées comme échappant
aux utilisations habituelles par les consommateurs de supports
audio vierges et, conséquemment, ne devraient pas subir l’imposition d’une redevance, elle ne semble pas formellement prévoir une
exemption conséquente de l’imputation de la redevance prévue à
l’article 82.
En effet, ce dernier article ne prévoit qu’une réserve en faveur
des seuls articles 82(2) et 86(2) en précisant que l’obligation de payer
incombe à l’importateur ou au fabricant «sur la vente ou toute autre
forme d’aliénation de ces supports au Canada». Ainsi, les utilisations
suivantes ne sembleraient pas échapper à l’emprise de la redevance:
la vente ou la location ou l’exposition commerciale, la distribution
dans un but commercial ou non, la communication au public par télécommunication et l’exécution ou la représentation en public. Ces
utilisations pourraient être caractéristiques notamment des utilisations des producteurs lorsqu’ils importent des supports audio vierges
pour les fins de reproduction et de commercialisation licites de phonogrammes ou encore des utilisations licites de tels supports par les
organismes de radiodiffusion dans le cadre de leurs activités par ailleurs faisant l’objet d’autres mesures de droit d’auteur. Est-ce à dire
que le remboursement pouvant être exigé par les usagers corporatifs
visés par l’article 86 pourrait être étendu à d’autres catégories
d’usagers sur une base contractuelle et conséquemment être laissé à
la parfaite discrétion de la société de perception comme c’est le cas en
France?
176.
177.
178.
L.R.C., c. C-24, art. 82(2).
Id., art. 86.
À peu près tous les mécanismes prévoient des exemptions similaires; en revanche, plusieurs prévoient des mesures supplémentaires en faveur des entreprises
de communication et des producteurs de phonogrammes ou les personnes assurant pour ces derniers une activité de reproduction. Par exemple, la France
prévoit le droit au remboursement à l’article L.311-8.
Une copie privée pour le nouveau millénaire?
783
Qui plus est, faut-il déduire de ces dispositions que l’importateur peut, comme dans le cas des exportations, aliéner des
supports libres de redevances? Pourquoi dans ces cas, le législateur
n’a-t-il pas prévu à l’article 87a) un pouvoir réglementaire facultatif
permettant au gouverneur en conseil de régir ces autres cas d’exemption? Le pouvoir réglementaire général de l’article 87c) offre-t-il
une mesure complémentaire à cette solution contractuelle? Enfin,
pourquoi le législateur ne s’est-il pas davantage assuré de l’applicabilité de mesures de surveillance comptable qu’il prévoit dans le
cas des activités d’exportations des importateurs?
e.
Les propositions de tarifs, la décision et le tarif
Conformément à la mise en vigueur de la partie VIII, les
sociétés de gestion concernées devaient déposer des propositions de
tarifs le 31 mars 1998. Publiés dans le supplément de la Gazette,
partie I du 13 juin 1998179, 5 projets de tarifs ont été déposés pour les
années 1999 et 2000 par les sociétés suivantes: Canadian Musical
Reproduction Rights Agency (CMRRA), Société canadienne de gestion des droits voisins (SCGDV), Société de gestion des droits des
artistes musiciens (SOGEDAM), Société du droit de reproduction
des auteurs, compositeurs et éditeurs au Canada (SODRAC) et
Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SOCAN).
Les cinq propositions de tarifs étaient unanimes en ce qui a
trait au montant des redevances demandées: 25 cents par tranche ou
partie de tranche de 15 minutes d’un support audio vierge analogique vendu ou importé, et 50 cents par tranche de durée identique
pour les supports audio vierges numériques, aux conditions générales de perception mensuelle (exception faite de la SCGDV qui propose une base trimestrielle et de la SOGEDAM qui reste muet sur le
sujet), de contrôle par voie de rapport de ventes et de registres
devant être conservés par les vendeurs et importateurs, notamment
en ce qui a trait à l’écart de 5 % constaté suivant vérification
(exception faite de la CMRRA qui s’en tient à 10 % et la SOGEDAM
qui reste muette), ainsi qu’aux conditions de remboursement des
créances impayées portant intérêt de 1 % par jour de retard en deçà
du taux de la Banque du Canada (exception faite de la CMRRA qui y
préférait 2 % et de la SOGEDAM qui ne se prononçait pas).
179.
Supplément Gazette du Canada, Partie I, le 13 juin 1998, Projet de tarifs des
redevances à percevoir pour la vente, au Canada, des supports audio vierges
pour les années 1999 et 2000, 14 pages.
784
Les Cahiers de propriété intellectuelle
En revanche, la question de la répartition entre les sociétés de
gestion180 témoignait des écarts considérables qui reflètent les tendances précitées dans les mécanismes de rémunération compensatoire des autres pays. Ainsi, la CMRRA réclamait 50 % de tout argent
perçu (net des coûts d’opération) pour le collège des auteurs, dont la
portion relative de sa part des auteurs, compositeurs et éditeurs de
musique était laissée aux résultats d’une entente à intervenir entre
sociétés ou le cas échéant, en conformité avec la décision de la
Commission, tandis que la SODRAC réclamait 12,5 % des redevances totales perçues et la SOCAN ne précisait pas cette proportion,
préférant s’en remettre à une part «à laquelle la SOCAN juge avoir
droit sur la redevance totale approuvée par la Commission du droit
d’auteur».
La SCGDV pour sa part réclamait «la moitié des 2/3 ou 33 % de
l’ensemble des redevances qui seraient payables si tous les enregistrements sonores, les œuvres musicales et les prestations d’œuvres
musicales qui les constituent se qualifiaient aux fins des redevances
payables en vertu de la partie VIII» présumant par ailleurs que la
discrétion ministérielle ne serait pas exercée préalablement.
La SOGEDAM réclamait une portion de la part de 33 % du total
perçu soit la part que cette société déterminait comme payable au
collège des artistes interprètes sans faire de distinction quant aux
proportions relatives des «répertoires» nationaux et mondiaux. Conséquemment, les sociétés ne semblaient pas s’être entendues sur la
portion relative des auteurs, artistes interprètes et producteurs, ces
deux derniers s’opposant à une répartition préconisée plus classiquement par les auteurs des mécanismes continentaux et reflétée par la
proposition de la CMRRA (50 % du total versus 33 % suivant les prétentions de la SCGVD et de la SOGEDAM).
180.
Voir les ouvrages récents visant la gestion collective dans le contexte européen:
I.A. STAMATOUDI, «The European Court’s Love-Hate Relationships with Collecting Societies», (1997) 6 European Intellectual Property Review 289-297, de
même que: «British Academy of Songwriters, Composers and Authors, The
Unlawful Deduction Levied Upon UK Composers Performing Right Income»,
(1996) 64 Copyright World 15-18 (notamment la retenue conventionnelle entre
les sociétés de gestion de 10 % des répartitions, plus amplement commentée par
A. SCOTT, «Tournier Playing Hardball», (1997) 12 MBI 15-17 et par F. MELICHAR, «Avis du 19 juin 1989 sur le projet fédéral pour une nouvelle loi sur le
droit d’auteur», dans M. HILTY RETO, La gestion collective du droit d’auteur en
Europe, Helbing & Lichtenhahn, Bruylant, Carl Heymanns Verlag, 1995, 148
pages, p. 115) et, dans le contexte américain, J.C. KELLY, «The U.S. Antitrust
Division and the Copyright Industries», (1997) 71 Copyright World 22-27.
Une copie privée pour le nouveau millénaire?
785
Au moment de la proposition de tarifs, aucune des propositions
ne faisait état de la question spécifique des supports audio vierges
devant être déterminés comme habituellement utilisés par les consommateurs pour les fins de copie privée. Aucune de celles-ci ne
précisait les supports précis devant subir une redevance comme si
les sociétés de gestion ne s’étaient pas souciées des conséquences
d’une telle indétermination pour les usagers autres que les consommateurs effectuant des copies à des fins privées, voire des conséquences relatives à la mise en place et à la pérennité du mécanisme.
Une réaction publique et médiatique était-elle prévisible en l’absence de précisions rassurantes ou d’exclusions claires dans les
propositions?
Concernant le montant des redevances demandées, il paraissait étonnant de retrouver une rémunération compensatoire dépassant largement les moyennes mondiales déduites des mécanismes
équivalents, soit environ 40 cents par 60 minutes de support audio
analogique. À corps défendant, faut-il reconnaître que les montants
visant les supports numériques étaient sans précédent dans le
monde, le cas des États-Unis mis à part, étant peu utile pour les fins
de comparaison181?
En ce qui a trait à la reconnaissance des artistes interprètes et
des producteurs objets de la désignation ministérielle, les propositions de tarifs ne contenaient aucune entente ou explication relative
aux proportions des «répertoires» respectifs entre chacune des
sociétés.
Concernant les exemptions et leur administration, les propositions de tarifs se bornaient à répéter les obligations législatives
relatives aux exportations sans davantage spécifier les modalités
de remboursement en faveur des personnes ayant des déficiences
perceptuelles ou de manière plus prospective, aménager des solutions contractuelles aux circonstances laissées sans réponses dans la
loi. Comme pour l’indétermination des supports audio vierges imputables, l’absence de dispositions relatives aux exemptions minerait
la mise en place et la pérennité du mécanisme.
Enfin, si la SCGDV était seule à réclamer formellement dans sa
proposition de tarif le statut de société de perception, aucune autre
ne semblait confirmer cette dernière en tant que telle. On peut se
181.
LIBRARY OF CONGRESS, «Copyright Office Notice on Determining Controversy in DART Royalty Distribution», (1998) 49 BNA’s Patent, Trademark &
Copyright Journal 540.
786
Les Cahiers de propriété intellectuelle
demander pourquoi la SOCAN, qui présentait à ce chapitre une
structure établie, n’était pas «la mieux en mesure de s’acquitter des
responsabilités ou fonctions» de société de perception.
La suite des nombreux rebondissements est connue. Le tollé
médiatique suivait tandis que les cinq sociétés précitées se mettaient
d’accord pour constituer un collectif confédéral nommé Société canadienne de perception de copie privée (SCPCP, et «Canadian Private
Copying Collective») qui, par voie de communiqué de presse en date
du 18 janvier 1999182, annonçait le report de la perception de la
redevance à la date à laquelle la Commission rendrait sa décision ou,
au plus tard, le 31 décembre 1999. Ce report était motivé principalement par l’incertitude du montant applicable et des supports devant
subir une redevance mais aussi par les craintes formulées par certains usagers (institutions religieuses et établissements scolaires)
qui se plaignaient de l’absence de dispositions les exemptant du
mécanisme de rémunération compensatoire.
Les audiences de la Commission prévues à compter du 25 mai
ont été reportées au 24 août 1999. Temporairement mises en péril
le 17 juin par une procédure extraordinaire d’injonction instruite
d’urgence par la Cour fédérale d’appel183, les audiences ont néan182.
183.
Canada News Wire, www.newswire.ca, voir sous SCPCP.
Evangelical Fellowship of Canada, Precision Sound Corporation, Western Imperial Magnetics Ltd. v. Canadian Musical Reproduction Rights Agency et al.,
dossier de la Cour fédérale d’appel A: 371-99. La procédure a été signifiée le
17 juin 1999 et entendue d’urgence par la Cour fédérale d’appel le mardi 29 juin
1999. Jugement a été rendu le 18 août 1999. Il s’agissait d’une procédure
d’injonction interlocutoire visant à interdire à la Commission du droit d’auteur
de procéder à la tenue d’une audience prévue pour le 24 août 1999. Cette procédure d’injonction (Writ of Prohibition) était fondée sur des arguments constitutionnels (la Partie VII de la loi alléguée comme ultra vires des pouvoirs du
gouvernement fédéral en matière de droit d’auteur), fiscaux (la Partie VIII
alléguée comme mécanisme de taxation édicté en violation des pouvoirs constitutionnels et parlementaires), de droits fondamentaux (La Partie VIII de la loi y
est alléguée contraire au dispositif des articles 2 et 15 de la Charte canadienne
des droits et libertés). L’argument central de la partie plaignante était que le
mécanisme de rémunération compensatoire était discriminatoire à l’égard
d’usagers qui ne pouvaient subir une taxation universelle arbitraire, alors qu’ils
n’effectuaient aucune copie privée telle que définie par la loi (la reproduction et
la distribution de sermons, la vente de supports vierges à des sociétés de production audiovisuelle). Bien qu’ayant conclu à un enjeu sérieux (not frivolous or
vexatious), la cour a rejeté la procédure extraordinaire d’injonction interlocutoire au motif du défaut de preuve d’un dommage irréparable alors que la Commission n’avait pas encore procédé aux audiences: «I am not satisfied that the
applicant have made out a case of irreparable harm with respect to the imposition of levies if no stay of prohibition is granted» (par. 23), «In the case at bar, I
have little difficulty concluding that the balance of inconvenience involving the
Une copie privée pour le nouveau millénaire?
787
moins procédé le 24 août. La décision de la Commission était enfin
rendue le 17 décembre 1999184 et la demande de révision judiciaire
en date du 14 janvier 2000 connaissait un dénouement défavorable à
la partie plaignante dans une décision de la Cour fédérale d’appel
rendue sur le banc le 14 juin 2000185. Ajoutons que les audiences
visant la procédure de fixation des tarifs pour l’année 2001 et 2002
sont prévues partant le 24 octobre 2000186.
184.
185.
186.
weighing of irreparable harm on both sides favours the Attorney General. While
I recognize that the applicants may incur unrecoverable costs in proceedings
before the Copyright Board, I do not think this consideration is sufficient to
place this case in that small minority of cases in which the suspension of the
operation of legislation can be justified.» (par. 32).
Tarif des redevances à percevoir par la SCPCP [Société canadienne de perception de la copie privée], en 1999 et 2000, pour la vente de supports audio vierges,
au Canada, pour la copie pour usage privé d’enregistrements sonores, ou
d’œuvres musicales ou de prestations d’œuvres musicales qui les constituent.
Décision de la Commission du 17 décembre 1999, (1999) 4 C.P.R. (4th) 15 ou voir
site Internet de la Commission: www.cb-cda.gc.ca. Dans sa décision, la Commission répond aux questions de droit préliminaires qui lui ont été soumises et pour
lesquelles la Cour fédérale lui reconnaissait une compétence. Elle précise certaines interprétations, dont l’expression «support habituellement utilisé par les
consommateurs pour reproduire des enregistrements sonores», pour lui donner
un sens exhaustif: «Par conséquent, il convient d’interpréter l’utilisation habituelle visée par la définition de «support audio» comme une utilisation qui comprend tous les emplois non négligeables» (p. 30). Elle fixe par ailleurs l’ensemble
des modalités du régime en fonction du répertoire admissible (limité aux
auteurs OMC et aux artistes interprètes et producteurs canadiens en conformité avec la loi), la formule tarifaire appropriée (applicable aux supports analogiques (de plus de 40 minutes et à l’exclusion de formats particuliers) et
numériques (CD-R et CD-RW et bis audio, Mini Disc) et déclinant plusieurs facteurs de pondération et de rajustements, partant la valeur relative d’une rémunération au détail, la valeur du répertoire non admissible ainsi que le caractère
secondaire des utilisations privées et la nature des supports ) et enfin fixe le tarif
des redevances (23,3¢ par cassette audio d’une durée de 40 minutes ou plus; 5,2¢
par CD-R ou CD-RW et 60,8¢ par CD-R Audio, CD-RW Audio ou MiniDisc).
Dossier de la Cour fédérale A-19-00, AVS Technologies Inc. et al. et Canadian
Mechanical Reproduction Rights Agency (CMRRA) et al., jugement rendu
séance tenante le 14 juin 2000. Voir site Internet de la Cour fédérale d’appel:
www. fct-cf.gc.ca. Les plaignants prétendaient que l’interprétation de l’expression «support audio habituellement utilisé par les consommateurs pour
reproduire» par la Commission était érronée et qu’elle devait se lire plus limitativement pour n’inclure que les supports audio principalement ou majoritairement utilisés aux fins spécifiées par la Partie VIII. La cour rejette la demande de
révision judiciaire au motif que l’interprétation de la Commission est une question de droit du plein ressort de sa compétence: «In our view, this issue is mainly
a question of law, that is, the interpretation of legislation that the Board administers. Such a determination falls squarely within the jurisdiction of the Board.
The issue is a polycentric one dealing with the interests of artists, manufacturers, importers, consumers who record sound, consumers who do not record
sound and others. The purpose of Part VIII is mainly an economic one – that is
fairly compensate artists and the other creative people for their work by establishing fair and equitable levies.» (par. 5).
Voir site Internet de la Commission: www.cb-cda.gc.ca.
788
f.
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Le rôle de la Commission du droit d’auteur
Le rôle de la Commission du droit d’auteur est, nous l’avons
déjà vu, déterminant à bien des égards dans le contexte de la mise
en place du mécanisme de rémunération compensatoire. Son ex
vice-président, Michel Hétu, rappelait plus généralement que «la
nature même des droits en cause impose une certaine réserve. La
Commission s’occupe de droits de propriétés privées non des ondes
publiques (comme le CRTC); cela détermine son fonctionnement [...]
la Commission est un forum public, accessible, il tient compte des
politiques publiques»187.
Ainsi, est-il nécessaire de rappeler que la Commission constitue
un outil utile à l’encadrement juridique du mécanisme de rémunération compensatoire mais qu’il n’est pas exempt de toute critique et
de difficultés? En dépit des avantages à disposer d’un pareil encadrement permettant de faciliter l’exercice des droits et des redevances,
son coût d’accès ne serait pas négligeable. Peut-on craindre que son
processus vienne à constituer une formalité contraire à l’encadrement juridique international?
C. La recherche d’une solution adéquate pour un
environnement numérique
Au terme de notre analyse de la partie VIII de la loi canadienne,
nous pouvons résumer l’initiative du législateur canadien comme
réponse classique, mais tardive, à la copie privée – phénomène
caractérisé par l’exploitation nouvelle des œuvres musicales, des
prestations et des phonogrammes, mais surtout par l’atteinte injustifiée des intérêts légitimes de ces créateurs en faveur des consommateurs.
Si la copie privée peut illustrer les enjeux traditionnels du droit
d’auteur et des droits voisins, c’est qu’elle remet en cause les exploitations traditionnelles et l’efficacité de l’édifice de la protection privative en lui imposant de s’adapter à défaut de voir se vider de son
contenu l’une de ses fondations: le droit de reproduction. Ce constat
ne saurait être modifié, qu’il s’agisse de copie privée analogique ou
de copie privée numérique.
187.
M. HÉTU, «La Commission du droit d’auteur et les régimes de tarification: le
présent et l’Avenir», dans La gestion collective du droit d’auteur, Actes du
Colloque de l’ALAI, Montréal le 18 mars, 1994, HEC, Montréal, 218 pages,
p. 119-129.
Une copie privée pour le nouveau millénaire?
789
1. Le statu quo ou le statu quo amélioré
L’analyse de l’encadrement juridique international ne permettait pas de constater une quelconque volonté internationale d’adaptation au phénomène de la copie privée. Ainsi, si la copie privée
demeure principalement régie par les conventions de Berne et
de Rome, l’évolution récente au plan normatif international sous
l’ADPIC et les traités de l’OMPI n’aurait donc pas su dégager de
solution permettant de dissiper l’incertitude persistante entre le
droit de reproduction et les limitations l’assortissant et ce, en dépit
des gains apparents réalisés par l’affirmation des droits de reproduction des artistes interprètes et des producteurs de phonogrammes,
par la généralisation de la rigueur de l’exception inspirée de l’article
9(2) de Berne et enfin par la mise en place d’un mécanisme de
règlement de différends sous l’égide de l’OMC.
L’incertitude ayant laissé aux États une certaine liberté de
créer des «parcs nationaux» en faveur des créateurs indigènes permettrait par ailleurs que ces mécanismes traditionnels étendent
avec plus ou moins de succès leur empire aux supports numériques.
Ainsi, certains mécanismes de rémunération compensatoire
perçoivent depuis peu de temps une rémunération sur les supports
numériques destinés à l’audio (CD-R audio et MiniDiscs)188. En
revanche, la solution serait moins aisée en ce qui a trait aux supports
non destinés spécifiquement à la reproduction des phonogrammes
(CD-RW). Les difficultés caractérisant la technologie numérique –
parfaite qualité de la copie, multiplicité des œuvres pouvant faire
l’objet de reproduction sur même support, dématérialisation des utilisations, réutilisation possible ou non des supports de reproduction,
efficacité des mécanismes de cryptologie et de marquage des œuvres
– rendraient moins aisée la détermination d’une redevance appropriée189.
188.
189.
Selon nos indications: l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, la France, la Hongrie, les Pays-Bas et la Suisse. Le MiniDisc serait
imputé d’une redevance équivalente à celle des supports traditionnels analogiques; la redevance CD-R audio, au contraire, témoigne de variations considérables. Le cas de la France demeure incertain compte tenu des déclarations
contradictoires de la ministre Trautman, du Rapport du Conseil d’État ainsi que
du sénateur chargé de mission auprès de la Commission européenne concernant
l’opportunité de l’abolition de l’exception de copie privée, de l’harmonisation
européenne visant la copie privée et de la pérennité des mécanismes de rémunération compensatoire: «Confusion en matière de copie privée», Expertise, janvier
1999, p. 27.
Dans tous les pays cités dans la précédente note hormis l’Autriche et les
Pays-Bas (R. TILLI et M. SOLOMONS, «Dutch Music Biz Scores Added Blank-
790
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Demeure le constat d’un statu quo amélioré dans la mesure où
la solution traditionnelle à la copie privée puisse constituer une
solution opportune dans l’univers numérique. Comme le suggère
Lucas, tant que les outils techniques ne permettront pas de maîtriser
complètement le phénomène (le permettront-ils un jour?), c’est dans
cette voie qu’il faut s’engager ou persister190.
190.
Disc Tax», Billboard, June 26, 1999, faisant état de la décision de la Commission
de la copie privée désignée par le ministère de la Justice d’étendre la redevance
aux supports CD-RW à un taux d’environ 20 % de la redevance audio), l’application d’une redevance sur les CD-RW ferait l’objet de négociations entre les
sociétés de perception et les fabricants-importateurs, mais l’opposition caractéristique de cette dernière industrie réside dans la difficulté à établir les utilisations précises des supports numériques. Selon nos indications, la redevance en
négociation ne correspondrait qu’à une fraction de la redevance audio (10 % à
50 %) établie en fonction de l’utilisation partielle de ces supports pour la reproduction de phonogrammes mais aussi de la réutilisation possible ou non des supports, selon le cas. Signalons au passage la décision du TGI de Bruxelles
no 97/6126/A du 6 novembre 1997 entre Auvibel et Hewlett Packard Belgium,
écartant l’imputation de la redevance sur les supports numériques en vertu
du dispositif de l’arrêté-royal du 28 mars 1996 les excluant expressément.
Signalons également l’absence de données statistiques précises concernant
l’utilisation réelle des supports numériques. La SACEM est réputée disposer de
l’une des seules études permettant d’étayer ces utilisations chez les consommateurs professionnels et privés, notamment la portion congrue de la musique
dans ces utilisations.
A. LUCAS, Droit d’auteur et numérique, Éditions Litec, Paris, 1998, 349 pages,
p. 201. Voir également une jurisprudence récente concernant la protection des
méthodes de cryptologie par la PLA et le refus de condamner l’ingénierie
inversée dans ce cas: Mars (UK) c. Tekwledge High Court, Chancery Division,
June 11, 1999, dans (1999) 21 European Intellectual Property Review N-158. L.
BRASELL, «Electronic Security: Encryption in the Real World», (1999) 21 European Intellectual Property Review 17-27. Voir également: T. VINJE, «Copyright
imperilled?» et S. LAI, «Digital Copyright and Watermarking», (1999) 21 European Intellectual Property Review 192-206 et 171-175, p. 171 concernant les
défis soulevés par la protection légiférée des mesures techniques et du tatouage.
«The answer to the machine may well lie within the machine, but it still has to
be found and structured within a coherent legal environment». S. Dusollier suggère que l’encadrement juridique approprié pour certaines techniques de protection serait davantage le crime informatique que la PLA. S. DUSOLLIER,
«Electrifying the Fence: The Legal Protection of Technological Measures for
Protecting Copyright», 21 European Intellectual Property Review 285-297. Par
ailleurs, si le SDMI constitue une solution technique promulguée par les producteurs en réponse au phénomène MP3, rien ne permet de conclure au succès de sa
stratégie de pénétration du marché. Le Portable Device Working Group qui
regroupe en son sein les industries électroniques, informatiques et télématiques
(ISP) mais qui serait dominé par les cinq «majors», ambitionne de supplanter le
MP3 en proposant, en deux temps, une version libre de la norme SDMI, MP3
compatible mais qui serait convertie dans un proche avenir pour ne plus tolérer
les fichiers ne suivant pas la norme SDMI ou illicites. «SDMI Plans Gradually to
Phase Out Illegal Online Music Files», (1999) 160 Music & Copyright 2. Voir
également: «It’s Playback Time! A Wired Special Report on Dowloadable Music,
Video, and More», Wired, August 1999, p. 122-144. Suivant les chiffres rapportés, 14 millions de fichiers MP3 seraient téléchargés sur une base quotidienne
mondiale.
Une copie privée pour le nouveau millénaire?
791
Est-il, dans ce contexte d’adaptation technique, toujours raisonnable d’anticiper, voire de souhaiter, que l’ADPIC ne vienne
pallier l’absence de solution normative conventionnelle? Est-il au
contraire plus opportun de maintenir cette incertitude normative
devant l’incertitude des enjeux indéterminés à ce stade191 du tout
numérique?
2. L’abolition des limitations en matière de copie privée
numérique
La solution classique au phénomène de la copie privée qui
consistait à édicter un mécanisme de rémunération compensatoire
pourrait en revanche s’avérer inopportune dans le contexte du
numérique. Bon nombre se plaisent à le répéter, notamment les
membres producteurs de l’IFPI, la nécessité d’un droit de reproduction dans l’univers numérique est impérative et doit s’affirmer par
l’abolition pure et simple de l’exception à la copie privée. La suppression de l’exception condamnerait ainsi les mécanismes de rémunération compensatoire; au mieux, cette suppression pourrait-elle se
confiner à l’univers numérique. Le statu quo et le statu quo amélioré
ne sauraient donc être jugés satisfaisants.
3. L’impossible jus conventionis en matière de copie privée
La solution canadienne tout comme la position de la Commission européenne semblent converger en faveur d’une solution dite de
compromis. Nous serions davantage d’avis que cette solution de
compromis dépasse la simple solution de transition déjà évoquée.
Ainsi, la copie privée ne serait pas un phénomène qui serait près de
disparaître quand bien même les solutions techniques au service du
droit et, réciproquement, le droit au service de la technique sont
susceptibles d’apporter un niveau accru de protection, voire sont
susceptibles de supprimer la copie. La solution traditionnelle aurait
tout lieu de perdurer dans un équilibre redéfini entre le droit de
reproduction et les limitations relatives à la copie privée.
L’essor des technologies numériques ne changerait pas les
données du phénomène de la copie privée ni la nécessité des mécanismes de rémunération compensatoire. Aussi, si la substitution des
191.
«E-Com Survey: When Companies Connect, How the Internet Will Change
Business», The Economist, June 26th-July 2nd, 1999, 44 pages. J. RIFKIN, The
Age of Access. The New Culture Of Hypercapitalism. Where All Of Life Is A
Paid-For Experience, Tarcher-Putnam Publishers, New York, 2000, 312 pages.
792
Les Cahiers de propriété intellectuelle
technologies de reproduction analogiques par le «tout numérique»
semble inévitable, la convergence et la cohabitation décriraient
mieux une réalité qui ne serait pas susceptible de bouleversement
dans un avenir trop immédiat192. Nous ne pouvons donc souscrire
aux seules solutions techniques de protection et de contrôle des
créations dans un environnement numérique, pas plus que ne pouvons croire que le phénomène de la copie privée puisse totalement
disparaître dans ce contexte. La solution canadienne neutre, d’un
point de vue technologique, se présenterait donc en principe comme
moins audacieuse qu’équilibrée. L’extension des mécanismes existants de rémunération compensatoire se présenterait également
comme solution équilibrée et complémentaire aux droits de reproduction réaffirmés.
Est-il trop tôt pour se prononcer aussi favorablement à l’égard
du mécanisme de rémunération compensatoire canadien? La solution canadienne prêtait le flanc à certaines critiques mais du moins
soulevait-elle plusieurs interrogations quant à la mise en œuvre des
grands principes devant guider et régir la protection internationale
du droit d’auteur et des droits voisins et davantage en ce qui a
trait à la pérennité de la solution pratique qu’elle est censée offrir.
En revanche, si un certain consumérisme du tout numérique peut
ébranler l’édifice du droit d’auteur et, de surcroît, les solutions
législatives au phénomène de copie privée, ce n’est pas pour autant
que ces dernières ne puissent être réaffirmées comme prolongement
logique du droit de reproduction et comme protection complémentaire nécessaire aux droits patrimoniaux des créateurs.
192.
P. GRONOW, I. SAUNIO et C. MOSELEY, An International History of The
Recording Industry, Londres, 1999, 230 pages, p. 210. L’impact des révolutions
technologiques sur l’industrie du phonogramme révèle une formidable capacité
d’adaptation de l’industrie qui vivrait sa quatrième révolution après le gramophone 78 RPM vers 1888, le vinyle 33 RPM en 1948 et le CD proposé en 1979.
Comme le suggèrent les auteurs de cet ouvrage, la mort du gramophone par
l’entremise du «celestial juke box» s’inscrirait dans un phénomène plus général
d’une dématérialisation numérique de tous les contenus d’information. Or,
comme l’histoire de cette industrie en témoigne, la cohabitation des technologies
durant une plus ou moins longue période de transition serait une projection réaliste. Nous estimons que les technologies de reproduction incitant à la copie
privée n’échappent pas à un pareil constat. À titre d’illustration (le DVD-R,
DVD-RW et DVD-RAM versus le CD-R et CD-RW), le Santa Clara Consulting
Group affirme que la retraite d’une technologie en faveur d’une autre serait de
moins de 5 ans. SANTA CLARA CONSULTING GROUP, «CD Tracker. Trends
for CD-R/RW Writer and Media Merkets – Year End Review», January 1999,
145 pages, p. 115.
Vol. 13, no 3
Le cyber-piquetage et
la propriété intellectuelle
Jean Faullem*
Dans son précis de 1997 sur la propriété intellectuelle1, le professeur David Vaver s’interroge sur le rôle que jouera Internet sur
l’interaction entre, d’une part, les droits qui résultent de la propriété
intellectuelle et d’autre part, l’exercice des libertés garanties par la
Charte canadienne des droits et libertés:
Will the Internet be recognised as a new form of communication
that may require all present intellectual property constrains to
be reshaped in the light of the imperatives of free expression?2
Comme prémisse à cette question, il se demande plus particulièrement si la Charte étend sa protection à la liberté d’expression
des travailleurs dans leurs négociations de contrats de travail. Il
constate cependant que le jugement rendu dans Rôtisseries StHubert Ltée c. Syndicat des travailleur(euses) de la Rôtisserie
St-Hubert de Drummondville (CSN) (1986)3 ne va pas en ce sens. En
effet, le tribunal, dans ce dossier, condamne le syndicat à des dommages pour avoir sciemment et volontairement violé les droits de
propriété intellectuelle de la demanderesse. Le syndicat avait repro© Jean Faullem, 2001.
* Avocat titulaire d’une maîtrise en droit international, chargé de cours à la
faculté de droit de l’Université d’Ottawa et doctorant en droit du commerce électronique.
1. David VAVER, Intellectual property law: copyright, patents, trade-marks (Concord, Ont., Irwin Law, 1997), 345 p.
2. Id., note 35.
3. [1987] R.J.Q. 443; 17 C.P.R. (3d) 461, (1986) 12 C.I.P.R. 89 (C.S.Q.).
793
794
Les Cahiers de propriété intellectuelle
duit intégralement, sans permission, la tête du coq stylisée de «StHubert» de la demanderesse sur une circulaire et un autocollant
qui furent utilisés lors d’un conflit de travail. Le tribunal a rejeté
l’argument des défendeurs fondé sur l’article 2b) de la Charte canadienne ainsi que sur l’article 3 de la Charte des droits et liberté de la
personne4 qui garantit à tous la liberté d’opinion et d’expression.
Cette décision, ainsi que d’autres au même effet5, est antérieure à la
popularisation d’Internet, d’où cette nouvelle question du professeur
Vaver relativement à l’impact de la nouvelle technologie sur le droit
de la propriété intellectuelle.
Un jugement récent de la Cour suprême de la ColombieBritannique6 confirme, comme l’a pressenti le professeur Vaver,
qu’Internet demande une modification dans l’application du droit de
la propriété intellectuelle, afin de laisser place à l’exercice de la
liberté d’expression garantie par la Charte. En effet, le 26 janvier
dernier, l’honorable juge Sigurdson rendait la première décision
canadienne en matière de «cyber-piquetage»7. Rendue dans l’ombre
de l’affaire Napster8, cette décision n’a pas suscité toute l’attention
qu’elle mérite. Pourtant, elle bouleverse les principes bien établis
voulant que la liberté d’expression des travailleurs n’autorise
aucune entorse aux droits de propriété intellectuelle, même en
matière de relations de travail.
Alors que l’affaire Napster confirme que les droits d’auteur et
leurs règles d’application ne sont pas modifiés par Internet, puisque
l’essentiel de ces droits et de ces règles doivent demeurer les mêmes
tant dans le monde réel que dans le cyberespace, l’affaire BCAA
4. L.R.Q., c. C-12.
5. Voir entre autres: Canadian Tire Corp. c. Retail Clerks Union, Local 1518
(1985), 7 C.P.R. (3d) 415 (C.F.); Source Perrier (Société anonyme) c. Fira-Less
Marketing Co. Limited, [1983] 2 C.F. 18 (C.F.) et R. c. James Lorimer & Co.,
[1984] 1 C.F. 1065 (C.A.F.), tels que cités par les procureurs de la demanderesse
dans l’affaire BCAA, infra, note 6, par. 114.
6. British Columbia Automobile Assn. c. Office and Professional Employees’ International Union, Local 378, [2001] B.C.J. 151 (QL); [2001] CarswellBC 229,
[2001] B.C.S.C. 156, http://www.courts.gov.bc.ca/jdb-txt/sc/01/01/
2001bcsc0156.htm (C.S.C.-B.), ci-après BCAA. Nous désirons cependant aviser
le lecteur qu’en date du 21 février 2001, la version de la décision disponible en
ligne comportait des coquilles dont l’absence de plusieurs mots importants.
7. Le terme «cyber-piquetage» est une traduction libre du néologisme américain
«cyberpicketing». Pour sa part, le mot piquetage est accepté au Québec et est
synonyme de «le piquet de grève», voir Le Robert, dictionnaire québécois d’aujourd’hui, 1993, s.v. «piqueter».
8. A&M Records c. Napster, Inc. Voir notamment la décision no 00-16401 du 12
février 2001 de la Cour d’appel du 9e district des États-Unis, disponible en ligne
à l’adresse http://www.ce9.uscourts.gov.
Le cyber-piquetage et la propriété intellectuelle
795
apporte des nuances importantes à cette notion. Nous pourrions
même affirmer que cette décision ranime le débat concernant la
nécessité soit d’imposer à Internet une réglementation différente ou
alors d’adapter l’application des lois et règlements existants9.
Ce jugement, qui s’est fait attendre un peu plus de huit mois10,
est considéré comme une excellente analyse par certains experts du
droit du cyberespace11.
Les faits en cause sont relativement simples. Le British Columbia Automobile Association (BCAA), ci-après la demanderesse, une
organisation provinciale membre du CAA (Canadian Automobile
Association) depuis 1975, offre ses services sur Internet. En plus
d’utiliser la marque de commerce «BCAA», elle est licenciée pour
l’emploi de la marque enregistrée «CAA» ainsi que pour l’utilisation
du logo de la CAA.
En janvier 1999, dans le cadre des négociations de la première
convention collective, le Professional Employees’ International
Union, Local 378, ci-après la défenderesse12, qui représentait environ 170 des 943 employés de la demanderesse, a déclenché une
grève. Comme moyen de pression supplémentaire, la défenderesse,
en mars suivant, a créé un site Web utilisant les noms de domaine
«bcaaonstrike.com» et «picketline.com»13. L’apparence générale et le
9.
10.
11.
12.
13.
Les principaux défenseurs de ces différentes écoles de pensée sont David R.
JOHNSON et David POST, «Law and Borders – The Rise of Law In Cyberspace», (1996) 48:5 Stan. L. Rev. 1367, pour qui le cyberespace, de par sa
nature, devrait être soumis à une réglementation différente de même que Jack
L. GOLDSMITH, «Against Cyberanarchy», (1998) 65 U. Chi. L. Rev. 1199, pour
qui les règles existantes dans le monde réel sont suffisantes. Nous devons également mentionner cette nouvelle école de pensée de Lawrence LESSIG, Code:
And Other Laws of Cyberspace (Basic Books, 2000), qui est d’avis que la technologie est en elle-même régulatrice.
L’audition de la cause s’est déroulée le 17 avril 2000 et du 15 au 18 mai 2001.
Michael GEIST, «B.C. court shores up protection for anticorporate protest
sites», (2001-02-15) The Globe and Mail, en ligne: globetechnology.com http://
www.globetechnology.com/servlet/GAMArticleHTMLTemplate?tf=globetechnology/TGAM/EBusinessFullStory.html&cf=globetechnology/tech-configneutral&slug=TWGEIS&date=20010215 (site consulté le 2001-03-01).
Il est à noter que la demanderesse a également poursuivi personnellement le
président du syndicat, Ronald Tuckwood, ainsi que d’autres personnes désignées comme John et Jane Doe puisque leur identité n’était pas connue de la
demanderesse au moment d’intenter l’action. Pour des raisons de commodité,
le juge réfère cependant aux défendeurs au singulier, ce que nous ferons nous
aussi. Il est à noter que le juge Sigurdson n’impute aucune responsabilité personnelle au président du syndicat.
Une fois le conflit de travail résolu, la défenderesse a également utilisé le nom
de domaine «bcaabacktowork.com».
796
Les Cahiers de propriété intellectuelle
graphisme du site étaient pratiquement identiques à ceux du site de
BCAA. On pouvait également lire sur la page principale du site:
«Greetings, BCAA is on strike». De plus, les marqueurs Méta14 utilisés étaient pratiquement similaires à ceux du site de la demanderesse. Le juge Sigurdson définit les «meta tags» aux paragraphes 32
et 33 de son jugement:
A meta tag is part of a website not automatically displayed on
the user’s computer screen in the normal course of viewing a
website. A meta tag is put on the website by the website owner
to provide key information about the website. Through the use
of meta tags, a website creator can describe what is available at
that particular site or insert any other information. A meta tag
is written in HTML.
When search engines gather information they seek out and
obtain the information in the meta tags. Meta tags are used by
most search engines and directories to gather information,
index a website and match the website to the key words in a
user’s query. This generates search results corresponding to
the user’s query. It is common to use meta tags to specify key
words that will be matched to key words entered by someone
conducting a search.
On comprend donc que la copie des marqueurs Méta permet au
site de la défenderesse d’obtenir une visibilité comparable au site de
la demanderesse, puisque, compte tenu des modes de fonctionnement de la plupart des moteurs de recherche, son site risque ainsi
d’apparaître dans toute page de résultats où serait cité le site de la
demanderesse.
En avril 1999, suite à une plainte de la demanderesse, la défenderesse a changé quelque peu son site en retirant le logo de la CAA,
en modifiant l’acronyme BCAA de façon à ce que les lettres soient en
minuscule et en déplaçant le message: «Greetings, BCAA is on
strike» de façon à ce qu’il ne soit plus visible immédiatement suite au
téléchargement de la page d’accueil. Plus tard, en octobre 1999, la
défenderesse a adopté un nouveau site Web, significativement diffé14. Traduction de «meta tag» telle que proposée par l’Office de la langue française
du Québec. Voir la section «Terminologie de l’Internet» sur le site de l’Office
http://www.olf.gouv.qc.ca/index.html. Toujours selon l’Office, un marqueur
Méta est un: «Marqueur HTML inséré dans l’en-tête d’une page Web, après le
titre, qui permet de décrire le contenu de la page afin de la référencer correctement et plus facilement dans les moteurs de recherche».
Le cyber-piquetage et la propriété intellectuelle
797
rent des précédents. Les marques de commerce «BCAA» ainsi que
«CAA» et «AAA» ont été enlevées et la phrase «Greetings, OPEIU is
on strike against the BCAA» a remplacé la phrase d’accueil initiale.
Malgré les changements apportés au site à ce moment, ce dernier
reproduit encore une partie substantielle des marqueurs Méta du
site de la demanderesse.
Insatisfaite des modifications apportées au site Web du syndicat, BCAA intente une action à l’encontre de celui-ci, alléguant en
substance:
a) that in creating, publishing and using its first and second
websites, the Union has infringed the plaintiff’s copyright in its
1997 website design;
b) that in creating, publishing and offering services to the
public through the three Union websites, the defendant has
committed the tort of passing-off; and
c) that in creating, publishing, using and offering services to the
public through the three Union websites, the Union has used
the plaintiff’s registered trade-marks in a manner likely to
depreciate the goodwill attaching thereto.15
Après une analyse du fonctionnement d’Internet et de certaines
de ses composantes16, le juge s’attaque aux questions en litige. Dans
un premier temps, il s’intéresse à la question du passing-off17 résultant de l’utilisation par la défenderesse, dans son dernier site, des
noms de domaine et des marqueurs Méta. Dans un deuxième temps,
il répond à la question de la réclamation en vertu de l’article 22 de la
Loi sur les marques de commerce18, pour finalement répondre à la
question de la violation des droits d’auteur en ce qui concerne les
deux premiers sites, puisque le troisième n’est pas en cause.
15. Supra, note 6, par. 49.
16. Ibid., Internet (par. 15 et 16), les noms de domaine (par. 17 à 20), le World Wide
Web (par. 21 à 23), l’accès aux sites Web (par. 24), le fonctionnement des
moteurs de recherche (par. 25 à 31) et les marqueurs Méta (par. 32 et 33).
17. L’action en passing-off peut se traduire soit par «action en concurrence
déloyale» ou soit par «action pour commercialisation trompeuse». Voir le
Lexique anglais-français de la common law: extrait du fichier terminologique
du CTTJ, Centre de traduction et de terminologie juridiques (Moncton, Université de Moncton, 2e éd. revue et augmentée, 1990). Cependant, nous préférons utiliser le terme anglais qui, à notre avis, reflète mieux le sens de ce
concept juridique de common law.
18. L.R.C. (1985), c. T-13.
798
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Quant à la première question, le juge, après avoir passé en
revue les principes de l’action en passing-off, arrive à la conclusion
que pour réussir dans ce genre d’action il faut démontrer «the existence of goodwill, the deception of the public due to a misrepresentation and actual or potential damage»19. La demanderesse allègue
qu’indépendamment de l’aspect du site, l’utilisation des noms de
domaines «bcaaonstrike» et «bcaabacktowork»20 et des informations
contenues dans les marqueurs Méta constituent du passing-off puisqu’il pourrait y avoir matière à confusion. Pour sa part, la défenderesse fait valoir qu’il y a une importante distinction entre «bcaa» et
«bcaaonstrike» ou «bcaabacktowork», et que l’utilisation de ces deux
derniers noms de domaine ne devrait pas être cause de confusion
pour un «utilisateur prudent»21.
Avant de répondre à la question, le juge fait une revue exhaustive de la jurisprudence américaine traitant des recours en passing-off qui résultent de l’utilisation de noms de domaine et de
marqueurs Méta22. Puis, rappelant que le présent litige n’implique
pas des parties en situation de concurrence commerciale, mais bien
en situation de conflit de travail, il examine d’autres facteurs importants, dont la liberté d’expression reconnue à la Charte canadienne
des droits et libertés.
C’est justement à ce niveau que réside le grand intérêt de cette
cause.
Dans un arrêt récent de la Cour suprême du Canada, T.U.A.C.,
section locale 1518 c. KMart Canada Ltd.23, le juge Cory, affirme:
On a également reconnu la vulnérabilité individuelle des
employés, particulièrement ceux du commerce de détail, ainsi
que l’inégalité intrinsèque de leurs rapports avec la direction de
leur entreprise... Il s’ensuit que les travailleurs, tout particulièrement ceux qui sont vulnérables, doivent être en mesure de
s’exprimer librement sur les questions touchant leurs condi19.
20.
21.
22.
Id., note 6, par. 59.
Voir supra, note 13.
Supra, note 7, par. 67.
Le juge Sigurdson, au par. 69 de sa décision, note 6, déclare qu’il n’est aucunement lié par ces décisions américaines, mais il reconnaît leur utilité en tant que
guides dans ce nouveau domaine qu’est le droit d’Internet.
23. [1999] 2 R.C.S. 1083, 1096, tel que cité au par. 111 du jugement rendu dans
l’affaire BCAA, note 6. Nous avons cependant reproduit la version française de
la décision de la Cour suprême du Canada, alors que le juge Sigurdson se réfère
à la version anglaise disponible répertoriée à (1999), 176 D.L.R. (4th) 607
(C.S.C.).
Le cyber-piquetage et la propriété intellectuelle
799
tions de travail. Pour les employés, la liberté d’expression
devient une composante non seulement importante, mais
essentielle des relations du travail. C’est grâce à la liberté
d’expression que les travailleurs vulnérables sont en mesure de
se gagner l’appui du public dans leur quête de meilleures conditions de travail. Ainsi, le fait de s’exprimer peut souvent servir
de moyen d’atteindre leurs objectifs.24
S’appuyant sur cette décision, et malgré la jurisprudence précitée voulant que la liberté d’expression ne l’emporte pas sur la propriété intellectuelle25, le juge Sigurdson conclut:
I agree with the defendant’s argument that the common law
should be interpreted in a manner consistent with the Charter.
When a website is used for expression in a labour relation dispute, as opposed to commercial competition, there is, I think, a
reasonable balance that must be struck between the legitimate
protection of a party’s intellectual property and a citizen’s or a
union’s right of expression.26
Un autre argument pris en considération par le tribunal afin de
rejeter l’action en passing-off repose sur le fait que les noms de
domaine de la défenderesse ne sont pas identiques à la marque de
commerce de la demanderesse. De plus, l’ajout des termes «back to
work» et «on strike» à la marque de commerce «BCAA» laisse à penser que le site n’est ni le site de la demanderesse ni affilié à elle. Pour
le juge, il n’y a donc aucune source de confusion pour le consommateur moyen27. Le fait que la défenderesse n’était pas en concurrence
commerciale avec la demanderesse a également été pris en considération par le tribunal, lequel reconnaît que «the use of similar meta
tags or domain names is of less significance in a labour relations or
consumer criticism situation, partly because there is far less likelihood that there will be confusion»28. Finalement, la présence de
l’avertissement «Greetings, OPEIU is on strike against the BCAA»
écarte les derniers risques de confusion.
Ainsi, malgré l’achalandage créé depuis 1975 autour de la
marque «BCAA», aucune confusion ne résulte de l’utilisation par la
24.
25.
26.
27.
Id., note 6, par. 25.
Supra, note 5.
Supra, note 6, par. 130.
Id., par. 117. C’est le test du consommateur moyen et non celui de l’utilisateur
prudent (supra, note 6, note 21) que le juge Sigurdson applique.
28. Id., par. 126.
800
Les Cahiers de propriété intellectuelle
défenderesse des noms de domaine en litige et des marqueurs Méta
de la demanderesse, d’autant plus que la Charte canadienne, selon
l’interprétation du juge Sigurdson, autorise dans ce cas-ci l’utilisation de cette marque malgré la protection qui lui est attribuée par
le droit de la propriété intellectuelle.
La deuxième question analysée par le tribunal touche la prétention de la demanderesse relativement à la violation par la défenderesse de l’article 22 de la Loi sur les marques de commerce29.
D’entrée de jeu, la Cour rappelle les trois éléments essentiels qu’il
faut considérer lors de l’analyse de l’article 22:
First, is there a requirement for a commercial element to the
allegedly infringing conduct? Second, are the activities at the
Union website services to which s. 22 of the Trade-marks Act
applies? Third, has the defendant shown a depreciation of goodwill?
If the plaintiff fails on any of those points the claim under s. 22
fails.30
Dans l’affaire St-Hubert précitée, le juge Lesyk arrivait à la
conclusion qu’il n’est pas requis «que l’auteur de la violation soit en
situation de concurrence commerciale»31 afin de constituer une violation de l’article 22 de la Loi sur les marques de commerce. Le juge
Sigurdson, dans l’affaire BCAA, pousse l’analyse plus loin et, interprétant les affaires Clairol32 et Michelin33, il conclut qu’il faut absolument être en présence d’un niveau minimum d’activité commerciale, que l’on ne retrouve cependant pas dans ce dossier34. Le site
Web de la défenderesse n’a été utilisé que dans le but d’informer les
consommateurs du conflit de travail. De plus, le tribunal ne perçoit
aucun élément de preuve que l’emploi des marques de commerce
enregistrées aurait diminué ou dilué la valeur de l’achalandage relié
aux marques de commerce en litige. L’utilisation par la défenderesse
dans son site Web des marques de commerce de la demanderesse
ainsi que l’emploi des noms de domaine «bcaaonstrike.com» et «bcaa29.
30.
31.
32.
Supra, note 18.
Supra, note 6, par. 140 et 141.
Voir supra, note 3, p. 6.
Clairol International Corp. c. Thomas Supply & Equipment Co. (1968), 55
C.P.R. 176 (C. d’É.), tel que cité au par. 142 de l’affaire BCAA, note 6.
33. Cie Générale des Établissements Michelin-Michelin & Cie c. Canada (1996), 71
C.P.R. (3d) 348 (F.C.T.D.), tel que cité au par. 151 de BCAA, note 6.
34. Supra, note 6, par. 153.
Le cyber-piquetage et la propriété intellectuelle
801
backtowork.com» ne constituent pas une violation de l’article 22 de la
Loi sur les marques de commerce35.
Finalement, la troisième question à laquelle répond le tribunal
porte sur les allégations de la demanderesse relativement à la violation de ses droits d’auteur par la défenderesse dans la conception des
deux premiers sites. Cette question ne pose aucun problème au tribunal. Ce dernier utilise les critères maintes fois répétés par les
tribunaux canadiens voulant qu’il faut se demander s’il y a une
reproduction substantielle de l’œuvre originale du plaignant.
There are extensive visual similarities between the 1997 BCAA
site and the first Union website, and the inference that I conclude must be drawn on the evidence is that the author of the
Union website has copied the plaintiff’s original website in the
creation of the first Union website. The evidence I think shows
that it was substantially copied. [...] On the second Union website, the CAA logo was removed and the BCAA logo was changed to lower-case letters. Nevertheless, the colors scheme, page
layout and other aspects of the graphic design remained the
same. There has still been copying.36
Quant à la défense reposant sur la liberté d’expression37, le juge
Sigurdson la rejette facilement, parce que selon lui, le site de la
défenderesse n’est ni une critique ni une parodie du site de la demanderesse, mais bien une critique de l’entreprise en elle-même. Il ne
faut donc pas confondre les droits d’auteur dont bénéficie le site en
tant qu’œuvre originale des autres droits de propriété intellectuelle
dont bénéficie l’entreprise, incluant les droits sur ses marques de
commerce.
Compte tenu de cette nuance, le tribunal condamne la défenderesse à 2 500 $ de dommages.
Il ne fait aucun doute que le jugement rendu dans BCAA
modifie les règles existantes en matière de protection de la propriété
intellectuelle. Alors que la jurisprudence antérieure n’autorisait
aucunement la violation des droits de propriété intellectuelle et ce,
même dans le cadre d’un conflit de travail, le juge Sigurdson nuance
35. Supra, note 18.
36. Supra, note 6, par. 199 et 201.
37. La défenderesse proposait également au tribunal que la Charte canadienne des
droits et libertés devrait, en plus de permettre l’utilisation non autorisée des
marques de commerce de la demanderesse, permettre la copie de son site Web.
802
Les Cahiers de propriété intellectuelle
cette règle compte tenu du fait que la contestation de la défenderesse
a été transférée dans le cyberespace. Rappelons que le juge Sigurdson n’autorise cette violation des droits de propriété intellectuelle
qu’en ce qui concerne les noms de domaine et les marqueurs Méta,
deux éléments qui n’existent que dans le cadre d’Internet. Il est à
noter qu’il n’y pas d’autre façon, dans le cyberespace, pour un syndicat d’attirer l’attention des internautes vers leur site de contestation
que l’utilisation d’un nom de domaine ou de marqueurs Méta qui font
référence aux marques de l’employeur, à condition, bien entendu que
cela ne porte pas à confusion38.
La jurisprudence antérieure ne permettait aucune entorse aux
droits de propriété intellectuelle puisque comme le mentionne le juge
Lesyk dans l’affaire St-Hubert: «Une ordonnance d’injonction ne
priverait aucunement les défendeurs d’informer le public de leurs
revendications»39, ce qui n’est pas le cas avec les sites Web40. Certes
Internet modifie le droit mais seulement compte tenu du mode
de fonctionnement des outils technologiques. Si les moteurs de
recherche procédaient de façon différente pour recenser les sites Web
dans le cyberespace, le juge Sigurdson serait peut-être arrivé à une
conclusion différente.
38. D’aucuns pourraient prétendre qu’il était possible pour le syndicat de faire parvenir à la communauté cybernétique des courriels l’informant du conflit de travail et donnant l’adresse de leur site, mais les règles de «la Nettiquette»
d’Internet n’autorisent pas l’envoi massif et non sollicité de courriel.
39. Supra, note 3, p. 12.
40. Dans le monde réel, il est toujours possible de faire du piquetage devant les
bureaux de l’employeur ou de se déplacer pour rencontrer les gens, afin
d’attirer l’attention du public sur le conflit de travail. Dans le cyberespace, cela
s’avère impossible.
Vol. 13, no 3
L’alinéa 37(1)c) de la Loi sur les
marques de commerce et l’arrêt Unitel
Marc Gagnon*
1. Introduction
Le 28 septembre 2000, dans l’affaire Unitel International Inc. c.
Canada (Registrar of Trade-marks)1, la Cour d’appel fédérale du
Canada, par le juge Rothstein, a rendu un arrêt aux termes duquel il
a été décidé que les dates de premier emploi spécifiées dans deux
demandes d’enregistrement en instance n’étaient pas pertinentes
lors de l’application de l’alinéa 37(1)c) de la Loi sur les marques de
commerce (ci-après, la Loi). En fait, la Cour a précisé que la seule
question était de déterminer s’il y avait confusion entre la marque de
commerce examinée et une autre marque de commerce pour laquelle
une demande d’enregistrement a été antérieurement déposée.
Bien qu’il soit possible de prétendre que la portée de l’arrêt Unitel doive être limitée aux faits en litige dans cette affaire, le Bureau
des marques de commerce a jugé nécessaire de préparer un projet
d’énoncé de pratique à la suite de cette décision. Dans cet énoncé de
pratique intitulé Droit à l’enregistrement – Marques créant de la
confusion, on propose que le registraire des marques de commerce
(ci-après, le Registraire) ne tienne plus compte des dates de premier
emploi spécifiées dans les demandes d’enregistrement lorsqu’il
© Marc Gagnon, 2001.
* Avocat et agent de marques de commerce du cabinet Smart & Biggar.
[N.d.l.r.: Cet article a été reçu avant l’Énoncé de pratique du 7 mars 2001.]
1. Unitel International Inc. c. Canada (Registrar of Trade-marks), [2000] F.C.J.
1652 (QL), [2000] CarswellNat 2545, http://www.cmf.gc.ca/en/cf/2000/orig/html/
2000fca27542.o.en.html, version française disponible à http://www.cmf.gc.ca/fr/
cf/2000/orig/html/2000fca27542.o.fr.html (C.A.F.).
803
804
Les Cahiers de propriété intellectuelle
applique l’alinéa 37(1)c) de la Loi au stade de l’examen. De plus, on
précise que, lorsque des marques de commerce en instance créent de
la confusion, la personne ayant droit à l’enregistrement de la marque
de commerce est celle dont la date de dépôt (ou la date de priorité
conventionnelle) de sa demande d’enregistrement est antérieure à
celle de l’autre demande.
Le Bureau des marques de commerce, se fondant sur l’arrêt
Unitel, propose donc un système d’enregistrement où celui qui bénéficie de la date de dépôt (ou de la date de priorité, si revendiquée)
la plus antérieure aura gain de cause sur toute autre demande
d’enregistrement et ce, peu importent les dates de premier emploi
spécifiées dans les demandes.
Nous nous proposons donc de revoir les décisions dans l’affaire
Unitel et certains principes d’interprétation législative ainsi que
l’économie de la Loi pour enfin déterminer quelle serait la meilleure
interprétation à donner à l’alinéa 37(1)c) de la Loi.
2. Décisions dans l’affaire Unitel
Rappelons tout d’abord les faits. Le 14 juin 1990, la requérante
Unitel International Inc. déposait une demande d’enregistrement
pour la marque de commerce UNITEL pour usage en liaison avec
radio telecommunication equipment, namely, land mobile radios,
radiotelephones, mobile 2 way radios; portable 2 way mobile radios;
repair and maintenance of the above-listed wares, cette demande spécifiant le 8 juillet 1985 comme date de premier emploi (ci-après, la
demande 660,367).
Lors de l’examen de la demande 660,367, le Registraire s’est
objecté à l’enregistrement de la marque UNITEL sur la base que la
requérante n’était pas la personne ayant droit à l’enregistrement en
raison d’une demande en instance déposée le 10 janvier 1990 par la
société Canadian Pacific Telecommunications Inc. pour la marque
de commerce UNITEL, demande spécifiant le 19 septembre 1977
comme date de premier emploi (ci-après, la demande 648,456).
Il faut ici noter que la date de dépôt de la demande 648,456
(10 janvier 1990) et la date de premier emploi spécifiée dans cette
demande (19 septembre 1977) étaient toutes deux antérieures à
celles se rapportant à la demande 660,367, soit les 14 juin 1990 et
8 juillet 1985 respectivement.
L’alinéa 37(1)c) de la Loi sur les marques de commerce
805
Dans sa décision du 22 mai 1998, le Registraire rejetait finalement la demande 660,367 en vertu de l’article 37(1)c) de la Loi en
indiquant que la requérante n’était pas la personne ayant droit à
l’enregistrement en raison de la demande 648,456 spécifiant une
date de premier emploi antérieure à celle spécifiée dans la demande
660,367. À cet égard, on peut lire ce qui suit dans cette décision:
[Traduction] En ce qui concerne les dispositions de l’article 6 de
la Loi, particulièrement les critères pour apprécier la confusion
exposés au paragraphe (5) de l’article 6 de la Loi, je suis convaincue que la marque qui fait l’objet de la présente demande
UNITEL crée de la confusion avec la marque qui fait l’objet de
la demande no 648,456 UNITEL. [...]
Puisque la date de premier emploi revendiquée dans la présente demande, le 8 juillet 1985, est postérieure à septembre
1977, date de premier emploi revendiquée dans la demande
no 648,456, déposée antérieurement, la requérante n’a pas droit
à l’enregistrement vu les dispositions de l’alinéa 16(1)a) de la
Loi. J’ai noté vos commentaires au sujet de la date de premier
emploi revendiquée dans la demande no 648,456. Toutefois, au
cours de la procédure d’examen, la pratique est de traiter une
date de premier emploi revendiquée comme exacte. On considère que l’endroit indiqué pour l’examen de contestations de
dates revendiquées, c’est la procédure d’opposition ou une procédure judiciaire, qui comportent le cadre procédural et les
mécanismes de preuve adaptés à des questions contestées de
cette nature. Donc, la marque est refusée en vertu de l’alinéa
37(1)c) de la Loi.
La décision du Registraire a ensuite été portée en appel devant
la section de première instance de la Cour fédérale du Canada. Ainsi,
le 15 janvier 1999, le juge Pinard a rejeté l’appel de la société Unitel
International Inc.2. Le juge Pinard a tout d’abord circonscrit l’appel
de la façon suivante:
La seule question soulevée par l’avocat de la demanderesse à
l’audience porte sur le point de savoir si le registraire est tenu
d’une obligation, à l’endroit de la demanderesse, de publier sa
demande en vue de la procédure d’opposition avant de conclure
2. Unitel International Inc. c. (Canada) Registrar of Trade-marks (1999), 86 C.P.R.
(3d) 467, 162 F.T.R. 81, [1999] FCJ 46 (QL), [1999] A.C.F. 46 (QL), http://www.
cmf.gc.ca/en/cf/1998/orig/html/1998fca23840.o.en.html, en version française à
http://www.cmf.gc.ca/fr/cf/1998/orig/html/1998fca23840.o.fr.html (C.F.).
806
Les Cahiers de propriété intellectuelle
que la requérante «n’est pas la personne qui a droit à l’enregistrement de la marque de commerce parce que cette marque
crée de la confusion avec une autre marque de commerce en vue
de l’enregistrement de laquelle une demande est pendante»,
comme le prévoit l’alinéa 37(1)c) de la Loi.3
À partir de cette prémisse, il a ensuite indiqué que l’article
37(1) de la Loi n’offre que deux choix possibles au Registraire: il
rejette une demande d’enregistrement s’il est convaincu que l’une ou
l’autre des situations spécifiées aux paragraphes a), b) ou c) est rencontrée ou il fait publier la demande s’il n’en est pas ainsi convaincu.
Le juge Pinard a enfin conclu de la façon suivante:
En conséquence, compte tenu de la preuve, je conclus que le
registraire, après s’être conformé en tous points aux exigences
du paragraphe 37(2) de la Loi et après avoir examiné les objections de l’appelante, pouvait à bon droit rejeter la demande
de celle-ci au motif que les renseignements donnés dans les
demandes 648,456 et 660,367 étaient exacts.
Pour ces motifs, l’appel est rejeté et l’ordonnance de mandamus
qui était sollicitée pour ordonner au registraire de publier la
demande no 660,367 dans le Journal des marques de commerce
est refusée.4
La décision du juge Pinard a également été portée en appel
devant la Cour d’appel fédérale et le 28 septembre 2000, le juge Rothstein, pour la Cour, a rejeté l’appel en concluant de la façon suivante:
Dans leurs motifs, le registraire et le juge de première instance
renvoient aux dates alléguées dans les deux demandes concernant l’emploi initial de la marque de commerce. Nous tenons à
signaler que la date à laquelle la marque de commerce a été
employée pour la première fois n’est pas pertinente aux fins de
l’alinéa 37(1)c). La seule question à trancher est de savoir s’il
y a confusion entre la marque du demandeur et celle pour
laquelle une demande d’enregistrement est déjà en instance.
L’appelante paraît s’inquiéter de ce que l’application de l’alinéa
37(1)c) est susceptible d’occasionner des retards et de multiplier les instances. Si tel est le cas, il appartient au Parlement,
et non à la Cour, de remédier à la situation.5
3. Id., par. 7 (A.C.F.).
4. Id., par. 16 et 17 (A.C.F.).
5. Note 1, par. 4 et 5.
L’alinéa 37(1)c) de la Loi sur les marques de commerce
807
3. Principes d’interprétation législative
Il est bien reconnu que les articles d’une loi ne peuvent être lus
isolément et qu’ils doivent plutôt être interprétés à la lumière des
autres articles et en considérant l’économie de la Loi, son objet et
l’intention du législateur.
Ce principe d’interprétation législative a été énoncé par le
Vicomte Simonds de la House of Lords dans la décision A.G. c. Prince
Ernest Augustus of Hanover, [1957] A.C. 436, à la page 463:
[...] the elementary rule must be observed that no one should
profess to understand any part of a statute or any other document before he has read the whole of it. Until he has done so,
he is not entitled to say that it or any part of it is clear and
unambiguous.
Ce principe a également été discuté par la Cour suprême du
Canada dans la décision Cloutier c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 709, où
le juge Pratte, pour la majorité, a indiqué à la page 719:
Une disposition législative ne s’interprète pas isolément; pour
en déterminer son véritable sens, il faut nécessairement tenir
compte de l’objet même de la loi où elle se trouve et de l’ensemble des dispositions qui s’y rattachent. Autrement, l’on
risque d’arriver à un résultat absurde.
En fait, ce principe de cohérence de la loi a été consacré en jurisprudence depuis très longtemps:
Nemo enim aliquam partem recte intelligere potest antequam
totum iterum atque iterum perlegerit.6
De plus, il est maintenant reconnu qu’on peut avoir recours à
l’historique de la loi et aux travaux préparatoires afin d’interpréter
un article d’une loi sous examen. À cet égard, le juge Iacobucci, pour
la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd.
(Re), [1998] 1 R.C.S. 27, s’exprimait ainsi à la page 45:
En premier lieu, à mon avis, l’examen de l’historique législatif
pour déterminer l’intention du législateur est tout à fait approprié et notre Cour y a eu souvent recours. [annotation omise]
6. Lincoln College (1595), 3 Co. Rep. 58b, 59b, 76 E.R. 764. Traduction libre: Nul
ne peut comprendre correctement une partie d’une loi avant d’avoir lu et relu le
tout.
808
Les Cahiers de propriété intellectuelle
L’alinéa 37(1)c) de la Loi doit donc s’interpréter à la lumière des
autres articles pertinents de la Loi, en considérant l’économie de la
Loi et, si nécessaire, en ayant recours à son historique et aux travaux
préparatoires.
4. Économie de la Loi
4.1 La création des droits dans une marque de commerce
L’article 3 de la Loi précise de quelle façon une marque de commerce devient réputée adoptée:
i.
lorsqu’une personne a commencé à employer la marque de
commerce au Canada;
ii. lorsqu’une personne a commencé à faire connaître la marque de commerce au Canada; ou
iii. lorsqu’une personne a produit une demande d’enregistrement pour la marque de commerce au Canada.
L’article 16 de la Loi précise qui est la personne ayant droit à
l’enregistrement de la marque de commerce pour les trois situations
suivantes:
(1) enregistrement des marques employées ou révélées au
Canada;
(2) marques déposées et employées dans un autres pays; et
(3) marques projetées.
En ce qui concerne la création des droits dans une marque de
commerce et la personne ayant droit à son enregistrement, le Docteur Harold J. Fox s’exprimait comme suit:
The system instituted by the 1953 Act is essentially the following: A person is entitled to registration of a registrable trade
mark on the basis of (a) his use or making known of the trade
mark in Canada, (b) his registration of the trade mark in a
Union country and his use of the trade mark abroad, or (c) his
L’alinéa 37(1)c) de la Loi sur les marques de commerce
809
intention to use the trade mark in Canada followed by actual
use of it after allowance of his application but before registration.7
De plus, il est ici très utile de se référer au Rapport de la Commission de révision de la Loi sur les marques de commerce du 20 janvier 19538. Ainsi, sous la section intitulée Personnes ayant droit à
l’enregistrement, on peut lire ce qui suit aux pages 30 et 31 du rapport:
Il existe, de fait, trois régimes légaux possibles à l’égard de
l’enregistrement des marques de commerce. Le premier est le
régime selon lequel les droits attachés à la marque de commerce ne dépendent que de l’enregistrement. [...] Le deuxième
régime est celui selon lequel les droits à une marque de commerce ne dépendent que de l’usage. [...] Le troisième régime
possible consiste en un compromis entre les deux premiers. La
loi se fonde sur un tel régime de compromis dans beaucoup de
pays importants tels la Grande-Bretagne et les États-Unis. Il
est évident qu’on peut ainsi obtenir divers compromis selon
qu’on met l’accent sur le premier ou sur le second régime. La
Commission a certes été impressionnée par le poids de l’opinion
émise en réponse à son questionnaire, opinion qui penchait du
côté de la certitude, mais elle a aussi considéré qu’il était grave
de minimiser l’incidence des cas où le public était victime de la
confusion et de l’injustice. Nous avons donc conclu que le régime
le plus satisfaisant serait celui en vertu duquel les droits à la
marque de commerce dépendent premièrement de l’usage, mais
selon lequel l’enregistrement devrait, après qu’un temps raisonnable s’est écoulé depuis qu’il aura été obtenu (durant
lequel toute personne ayant employé originairement la marque
peut en contester le bien-fondé) mettre fin aux droits à la
marque de commerce, sous réserve de l’obtention d’une mesure
de protection dont bénéficiera le premier usager non inscrit et
le public à qui le produit est familier dans la région où le commerçant exerce son commerce. [Les italiques sont nôtres.]
7. Harold George FOX, The Canadian Law of Trade Marks and Unfair Competition, 3e éd. (Toronto, Carswell, 1972), à la page 224.
8. Il faut préciser qu’il est d’autant plus utile et pertinent de se référer à ce rapport
puisqu’il consacre plus de cinq ans de travail de spécialistes en matière de propriété intellectuelle et que le projet de loi qui y était annexé fut la source, à quelques modifications près, de la Loi sur les marques de commerce sanctionnée le
14 mai 1953 et entrée en vigueur le 1er juillet 1954.
810
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Et à la page 32 du rapport, on peut également lire ce qui suit:
À la lumière de ces diverses observations, la solution proposée
dans le projet de loi (article 16) est, dans les grandes lignes, la
suivante. Une personne est autorisée à enregistrer une marque
de commerce susceptible d’enregistrement aux conditions suivantes: a) l’usage ou la révélation de la marque de commerce au
Canada; b) l’enregistrement par elle de la marque de commerce
dans un pays de l’Union et son emploi à l’étranger, ou c)
l’intention d’utiliser la marque de commerce au Canada, suivie
de son utilisation effective après que sa demande a été agréée,
mais avant l’enregistrement. Dans le cas de l’alinéa a) [16(1) de
la présente Loi – Enregistrement des marques employées ou
révélées au Canada], la date sur laquelle se fonde le droit à
l’enregistrement entre requérants rivaux est celle à laquelle on a,
pour la première fois, utilisé ou révélé la marque de commerce
au Canada. En ce qui concerne les cas prévus dans les alinéas
b) et c), la date en question est celle à laquelle a été reçue la
demande d’enregistrement au Canada. Le requérant demandant l’enregistrement d’une marque de commerce a droit à
l’enregistrement d’une telle marque si, avant la date décisive,
personne d’autre n’a, au Canada utilisé ou révélé, une marque
de commerce portant à confusion, ni demandé l’enregistrement
d’une telle marque au Canada, ni n’avait utilisé au Canada un
nom de commerce portant à confusion, à moins que la marque,
la demande ou le nom antérieurs n’eussent été subséquemment
abandonnés. [Les italiques sont nôtres.]
L’économie générale de la Loi veut donc que les droits dans
une marque de commerce s’acquièrent et subsistent par le biais
de l’emploi de cette marque de commerce, nonobstant toute autre
démarche pouvant être effectuée par la suite pour l’enregistrer:
It is trite law under the Trade Marks Act rights in a trade mark
flow from use not from registration [...]9
En ce sens, afin de déterminer la personne ayant droit à l’enregistrement d’une marque de commerce, la date de premier emploi au
Canada de cette marque de commerce constitue une donnée fondamentale.
9. Kabushiki Kaisha c. SDB Design Group (1986), 9 C.P.R. (3d) 465 (C.F. (1re inst.)),
la juge Reed à la page 468.
L’alinéa 37(1)c) de la Loi sur les marques de commerce
811
4.2 L’examen d’une demande d’enregistrement
Afin d’obtenir l’enregistrement d’une marque de commerce, un
requérant peut déposer une demande d’enregistrement auprès du
Registraire fondée sur l’un ou l’autre des fondements précités
suivants: i) l’emploi de la marque de commerce; ii) l’enregistrement et l’emploi de la marque de commerce dans un autre pays; et
iii) l’emploi projeté de la marque de commerce. Une fois que le Registraire reçoit cette demande d’enregistrement, cette dernière est par
la suite examinée.
Dans le cadre de cet examen, le Registraire doit, soit refuser la
demande d’enregistrement, soit l’accepter pour publication, en appliquant les critères spécifiés à l’article 37(1) de la Loi qui se lit comme
suit:
Demandes rejetées
37. (1) Le registraire rejette une demande d’enregistrement
d’une marque de commerce s’il est convaincu que, selon le cas:
a) la demande ne satisfait pas aux exigences de l’article 30;
b) la marque de commerce n’est pas enregistrable;
c)
le requérant n’est pas la personne qui a droit à l’enregistrement de la marque de commerce parce que cette marque
crée de la confusion avec une autre marque de commerce en
vue de l’enregistrement de laquelle une demande est pendante.
Lorsque le registraire n’est pas ainsi convaincu, il fait annoncer
la demande de la manière prescrite. [Les italiques sont nôtres.]
En vertu de cet article, le Registraire doit donc s’assurer que la
demande d’enregistrement réponde aux conditions suivantes:
a) la demande d’enregistrement est conforme aux dispositions
de l’article 30 de la Loi;
b) la marque de commerce est enregistrable; et
c)
le requérant est la personne ayant droit à l’enregistrement
de la marque de commerce.
812
Les Cahiers de propriété intellectuelle
En ce qui concerne les pouvoirs conférés au Registraire à ce
stade, il est à nouveau utile de se référer au Rapport de la Commission de révision de la Loi sur les marques de commerce, sous la
section Demandes d’enregistrement, à la page 34:
[...] la Commission [conclut] que le pouvoir qu’a le registraire de
refuser une demande en premier lieu devrait se restreindre à
trois motifs principaux: 1o quand la demande n’est pas rédigée
dans une forme acceptable; 2o quand la marque de commerce
n’est pas enregistrable; et 3o qu’en raison d’une demande
incompatible, le requérant n’est pas la personne ayant droit à
l’enregistrement. Le deuxième motif embrasse bien des cas,
puisqu’il y a lieu de tenir compte des articles 12-14 du projet de
loi. Le troisième se borne aux demandes incompatibles, puisqu’en l’occurrence, le registraire possède les renseignements lui
permettant de décider lequel des requérants rivaux semble être
celui qui a droit à l’enregistrement. La Commission estime que
le registraire, dans son premier examen d’une demande, ne saurait tenir compte de la question de savoir si, en général, le requérant est bien la personne ayant droit à l’enregistrement, car les
faits pertinents, c’est-à-dire l’usage ou la révélation antérieure
par quelqu’un qui n’a pas enregistré la marque de commerce ou
n’en a pas demandé l’enregistrement, ne pourraient être révélés que dans les cas de procédures en contestations. [Les italiques sont nôtres.]
Le Registraire peut donc considérer comme avérés les renseignements contenus dans une demande d’enregistrement, dont la
date de premier emploi, au stade de l’examen.
5. Interprétation de l’alinéa 37(1)c) de la Loi
Afin d’examiner les trois fondements de refus spécifiés au paragraphe 37(1) de la Loi, le Registraire doit nécessairement considérer
d’autres articles de la Loi. En effet, l’alinéa 37(1)a) réfère spécifiquement à l’article 30 de la Loi. De plus, afin de déterminer l’enregistrabilité d’une marque de commerce (alinéa 37(1)b)), l’examinateur
doit considérer les dispositions prévues aux articles 12 à 15 de la Loi.
De façon similaire, lorsqu’il y a deux demandes en instance, le
Registraire doit considérer les dispositions de l’article 16 et l’article 3
de la Loi afin de déterminer la personne ayant droit à l’enregistrement. Le Registraire doit alors tenir pour avérées les informations contenues dans les demandes d’enregistrement et, sur la seule
L’alinéa 37(1)c) de la Loi sur les marques de commerce
813
base de ces informations, déterminer lequel des deux requérants est
la personne ayant droit à l’enregistrement sur la base de l’article 16
de la Loi.
En vertu de la pratique actuelle du Bureau des marques de
commerce, lorsque le Registraire examine deux demandes en instance, il doit considérer la date de dépôt (ou la date de priorité) et la
ou les date(s) de premier emploi spécifiée(es) dans ces demandes afin
de déterminer la personne ayant droit à l’enregistrement. Ainsi, le
Registraire rejette une demande d’enregistrement s’il existe une
autre demande en instance qui spécifie une date de premier emploi
antérieure à celle spécifiée dans la demande sous examen. Cette pratique du Bureau des marques de commerce nous apparaît être en
parfait accord avec l’économie de la Loi.
À cet égard, il est intéressant de citer J.C. Osborne, membre de
la Commission de révision de la Loi sur les marques de commerce
agissant à titre de représentant de l’Institut canadien des brevets,
durant les débats concernant la Loi sur les marques de commerce et
la concurrence déloyale, tenus le 28 avril 1953:
The procedure in section 38 of the present Act will remain. If I
may refer back to clause 36 [article 37 de la présente Loi] which
immediately precedes the clause we are considering: it will be
found to deal with the right of the registrar to refuse an application in what I have described as the initial investigation. A
ground on which he may refuse is that the application does not
meet the requirements of clause 29 [article 30 de la présente
Loi] which contains formal provisions. He may refuse registration on the ground that the trade mark is not registrable under
clause 12 which I have already explained. It defines what a
registrable trade mark is, and provides that some marks cannot
be regarded as being registrable. Finally, the registrar may
refuse on the ground that the applicant for registration is not the
person entitled to registration if a co-pending application discloses an earlier date of first use.10 [Les italiques sont nôtres.]
Conclusion
Nous considérons donc qu’en appliquant l’alinéa 37(1)c) de la
Loi, le Registraire examinant une demande d’enregistrement dans
10. Comité sur les banques et le commerce, procès-verbal des procédures et de la
preuve No 3, à la p. 192.
814
Les Cahiers de propriété intellectuelle
laquelle le requérant spécifie une date de premier emploi, doit obligatoirement considérer la date de premier emploi spécifiée dans une
autre demande en instance afin de déterminer, au stade de l’examen,
la personne ayant droit à l’enregistrement (alinéa 16(1)a)) sous
réserve, naturellement, d’un examen plus approfondi dans le cadre
d’une opposition subséquente.
Selon le projet d’énoncé de pratique proposé par le Bureau des
marques de commerce, le Registraire ne tiendra plus compte des
dates de premier emploi spécifiées dans les demandes en instance et
il déterminera la personne ayant droit à l’enregistrement comme
étant celle qui bénéficie d’une date de dépôt (ou date de priorité)
antérieure à l’autre demande. Si cet énoncé de pratique est adopté, il
y aura alors deux systèmes différents et incohérents au Canada:
(i) au stade de l’examen d’une demande d’enregistrement, un
système où le premier déposant a gain de cause et où les
dates de premier emploi spécifiées dans les demandes d’enregistrement ne sont plus considérées; et
(ii) pour toutes les autres fins de la Loi (procédures d’opposition, procédures de radiation en vertu de l’article 45, procédures d’annulation, etc.), un système où la personne ayant
droit à l’enregistrement est celle qui a en premier lieu
adopté la marque de commerce (i.e. premier à employer la
marque ou premier à faire connaître la marque ou premier
à déposer une demande d’enregistrement).
Inutile de dire qu’un tel régime serait très difficile à justifier et
à expliquer, à tout le moins jusqu’au moment où le Canada adoptera
un vrai régime de premier déposant par le biais d’une intervention
législative.
Vol. 13, no 3
La souris est brevetable
Louis-Pierre Gravelle*
Zhen Wong
La section d’appel de la Cour fédérale du Canada, dans un arrêt
important (quoique avec dissidence) rendu le 3 août 20001, décidait
qu’un mammifère transgénique non humain, ci-après appelé «oncosouris», se classe sous la définition du terme «invention» tel que
défini dans l’article 2 de la Loi sur les brevets2 du Canada. En
l’espèce, Harvard College tentait depuis plus de quinze années d’obtenir un brevet sur cette oncosouris, laquelle avait déjà été brevetée
aux États-Unis et en Europe.
Devant les instances inférieures, l’oncosouris avait été jugée
non brevetable. Le commissaire aux brevets avait interprété de
façon restrictive le terme «invention» à l’article 2 de la Loi sur les brevets, pour conclure que les termes «fabrication» et «composition de
matière» réfèrent respectivement à quelque chose qui est fabriqué
sous le plein contrôle de l’inventeur et qui est reproduit de façon
identique. Selon l’opinion de ce dernier et celle de la Commission
d’appel des brevets, ces critères ne se retrouvaient pas dans cette
invention.
© Louis-Pierre Gravelle, Zhen Wong LEGER ROBIC RICHARD / ROBIC, 2001.
* Avocat et agent de brevets, Louis-Pierre Gravelle est membre du cabinet d’avocats LEGER ROBIC RICHARD, s.e.n.c. et du cabinet d’agents de brevets et de
marques de commerce ROBIC, s.e.n.c.; biochimiste, Zhen Wong est membre des
mêmes cabinets.
1. President and Fellows of Harvard College c. Canada (Commissioner of Patents)
(1998), 79 C.P.R. (3d) 98, [1998] 3 C.F. 510, [1998] F.C.J. 500, [1998] A.C.F. 500,
[1998] CarswellNat 683, [1998] CarswellNat 683 (C.F.); inf. (2000), 7 C.P.R.
(4th) 1, [2000] 4 C.F. 528, 189 D.L.R. (4th) 385, [2000] F.C.J. 1213, [2000] A.C.F.
1213, [2000] CarswellNat 1575 (C.A.F.); requête pour permission d’en appeler à
la Cour suprême du Canada accordée (2000), [2000] S.C.C.A. 474 (C.S.C.).
2. L.R.C. (1985), c. P-4.
815
816
Les Cahiers de propriété intellectuelle
La section de première instance de la Cour fédérale avait
confirmé la décision du commissaire aux brevets dans un jugement
rendu par le juge Nadon. Alors qu’il a admis que la plupart des inventions impliquent les lois de la nature, il a néanmoins décidé que les
produits qui sont le résultat d’une intervention humaine avec les lois
de la nature ne sont pas brevetables. Selon le juge Nadon, le fait qu’il
y ait eu une intervention humaine dans l’insertion d’un gène en particulier dans un zygote ne peut conférer à l’embryon résultant de
même que du mammifère développé le caractère de la brevetabilité.
De plus, le juge Nadon a fait une distinction entre les formes de vie
inférieures et supérieures et a jugé que les formes de vie inférieures
sont brevetables à la lumière de la décision rendue dans Pioneer
Hi-Bred Ltd. c. Canada (Commissaire des brevets)3, mais que les
formes de vie supérieures n’étaient pas brevetables.
Dans le but d’être jugée brevetable, une invention se doit de
remplir les conditions de base de la brevetabilité, soit la nouveauté,
l’utilité et la non-évidence. Dans le cas de l’oncosouris, les instances
administratives avaient jugé que les trois conditions avaient été
remplies: l’oncosouris était nouvelle puisqu’elle n’existait pas dans la
nature, elle était utile dans ses implications pour la recherche sur le
cancer et elle était issue d’une activité inventive car il y avait eu
intervention humaine pour sa production. La question était toutefois
de déterminer si l’oncosouris était couverte par la définition du
terme «invention» dans la Loi sur les brevets.
Devant un banc de trois juges de la section d’appel de la Cour
fédérale, l’oncosouris a été jugée comme étant brevetable, un juge
étant toutefois dissident. Le juge Rothstein, écrivant pour la majorité, s’inspira de la décision majoritaire américaine rendue dans Diamond c. Chakrabarty4 pour conclure qu’il n’y avait rien dans la Loi
sur les brevets qui empêchait la brevetabilité des formes de vie supérieures. Le juge Rothstein interpréta donc de façon large les expressions «fabrication» et «composition de matière» en se basant sur la
décision Pioneer Hi-Bred c. Commissaire des brevets pour conclure
que ces termes n’empêchent pas la délivrance de brevet sur une
forme de vie supérieure. Toutefois, dans l’affaire Pioneer Hi-Bred, le
brevet avait été refusé puisqu’il ne s’agissait que d’un simple croisement de deux plantes. Dans une autre décision mentionnée par la
majorité, Abitibi (Re Application of Abitibi Co.)5, le commissaire aux
3. [1987] 3 C.F. 8 (C.A.F.), confirmée [1989] 1 R.C.S. 1623 (C.S.C.).
4. (1980), 206 U.S.P.Q. 193.
5. (1982), 62 C.P.R. (2d) 81 (P.A.B.).
La souris est brevetable
817
brevets a jugé que des micro-organismes pouvaient faire l’objet d’une
demande de brevet. Le juge Rothstein a de plus indiqué que le terme
«invention», tel que lu dans la Loi sur les brevets, n’exclut pas les
inventions qui utilisent les lois de la nature. Ainsi, l’oncosouris, telle
que revendiquée, peut donc être considérée comme visée par la définition du terme «invention».
En arrivant à cette conclusion, le juge Rothstein a révisé les
décisions précédentes et a écrit que le commissaire aux brevets a
erronément rejeté les revendications concernant l’oncouris en ajoutant des restrictions inexistantes dans le texte législatif: «Le langage
de la Loi sur les brevets est large et général et doit avoir une portée
étendue parce que les inventions sont forcément non anticipées et
imprévisibles».
Le juge Rothstein a jugé que les critères suivants ont été incorrectement appliqués par le juge de première instance: le degré de
contrôle, la reproductibilité, la séparation du procédé en deux phases
et la distinction entre les formes de vie inférieures et supérieures.
Le degré de contrôle est un critère qui apparaît à titre indicatif
dans le Recueil des pratiques du Bureau des brevets mais qui
n’apparaît pas dans la Loi sur les brevets. Ce critère est utilisé pour
déterminer si une invention est utile ou non conformément à l’article
2 de la Loi sur les brevets. Le fait que les inventeurs n’ont pas le contrôle sur la couleur des yeux de la souris ou sur la longueur de sa
queue est complètement sans rapport au critère de brevetabilité,
puisque ces caractéristiques ne sont pas revendiquées comme faisant partie de l’invention. Le degré de contrôle doit s’étendre aux
caractéristiques qui sont revendiquées; dans ce cas-ci, ce degré de
contrôle doit s’étendre à la présence du gène dans la progéniture.
En première instance, il a été décidé que l’oncosouris n’était pas
reproductible de façon identique, donc ne pouvait être brevetable.
Cependant, d’après le juge Rothstein, le critère de la reproductibilité
d’une invention doit être examiné à la lumière de l’alinéa 27(3)b) de
la Loi sur les brevets, qui ne concerne que le degré de divulgation qui
est requis de l’inventeur en échange des droits qui lui sont accordés.
La reproductibilité n’est pas une condition préliminaire à la brevetabilité, mais plutôt une condition de suffisance de la divulgation dans
le mémoire descriptif du brevet.
Le commissaire aux brevets et le juge de première instance ont
tous deux séparé le procédé d’obtention de l’oncosouris en deux
818
Les Cahiers de propriété intellectuelle
phases: la première phase, où le gène est inséré dans un zygote et la
deuxième phase, où le zygote est inséré dans l’utérus d’une souris
pour la gestation. Le juge Rothstein a conclu que cette séparation en
deux phases était sans fondement par rapport à la brevetabilité.
Fondamentalement, la plupart des inventions dépendent, d’une certaine manière, des lois de la nature. Il n’est donc pas pertinent de
diviser une invention en deux phases de façon à faire une distinction
entre ce qui est dérivé de l’intervention humaine et ce qui ne l’est pas.
Conséquemment, le produit final, l’oncosouris, puisqu’elle est une
création résultant d’une combinaison d’intervention humaine et des
lois de la nature, est brevetable. Ne sont pas brevetables, tel que clairement indiqué dans la Loi sur les brevets, les inventions qui utilisent seulement les lois de la nature.
La majorité, en appel, a de plus décidé que la distinction entre
des formes de vie inférieures et supérieures ne peut être faite, puisqu’il n’y a aucune disposition pour ce genre de distinctions dans la
Loi sur les brevets. Puisqu’il n’y a aucune disposition dans la Loi qui
exclue les organismes vivants, un organisme vivant peut donc être
breveté, attendu qu’il respecte les critères conventionnels de brevetabilité. L’opinion majoritaire, de même que la dissidence, ont soulevé un point intéressant en déclarant que le forum approprié pour
exclure cette matière de la juridiction de la Loi sur les brevets est
l’autorité législative et que lorsque la Loi sur les brevets n’interdit
pas expressément une matière, alors la Loi doit être appliquée de
façon large.
La décision du juge Rothstein est hautement cohérente dans
son interprétation et son application de la Loi. À moins que la Cour
suprême du Canada ne l’infirme, cet arrêt aura un sérieux impact
sur le champ d’application de la Loi.
Le point principal de cet arrêt de la Section d’appel est que
n’importe quelle invention résultant de l’intervention humaine et
qui est contrôlable, peu importe le degré, peut être brevetée, à condition que l’invention remplisse les critères conventionnels de brevetabilité.
En rendant son opinion dissidente, le juge Isaac a déclaré que la
problématique dans le cas présent n’était pas de déterminer si
l’oncosouris pouvait faire l’objet d’un brevet, mais plutôt s’il était
approprié pour les tribunaux de réviser la décision du commissaire,
étant donné les récentes décisions en droit administratif. Le Parlement a confié au commissaire la responsabilité de décider, entre
La souris est brevetable
819
autres, si un brevet doit être accordé ou non. La décision du commissaire requiert de l’expérience, du talent et de l’expertise, et il est bien
outillé pour résoudre des problèmes complexes de cette nature. De
plus, le juge Isaac a cité de façon exhaustive la décision de la Commission d’appel des brevets pour en conclure que la décision de refuser d’accorder un brevet sur l’oncosouris était motivée et respectait
les règles. Selon lui, la décision du commissaire était raisonnable,
donc la révision de sa décision était inappropriée.
En toute déférence, nous sommes en désaccord avec l’opinion
dissidente. Il est vrai que le commissaire a l’expertise de décider
d’accorder ou non un brevet. Il arrive à cette décision en évaluant si
l’invention à l’étude respecte les critères de nouveauté, d’utilité et de
non-évidence. Quand on évalue si le commissaire a correctement
appliqué l’art antérieur, nous sommes d’accord avec le juge Isaac
pour dire que les tribunaux ne devraient pas réviser la décision, à
moins qu’il n’y ait une erreur manifeste. Cependant, quand il s’agit
de déterminer le champ d’application de la Loi sur les brevets en
interprétant la définition du mot «invention», les tribunaux
devraient être plus enclins à réviser la décision puisque celle-ci est
attributive de juridiction: est-ce que le sujet de la demande de brevet
porte sur une «invention»? Cette question est fondamentale et une
décision rendue par le commissaire sur ce point doit être révisable
par les tribunaux.
Dans son opinion, le juge minoritaire Isaac a déclaré que la
question dans cette affaire n’était pas de déterminer si une oncosouris était une matière à brevet, mais plutôt s’il était approprié pour les
tribunaux de réviser une décision du commissaire aux brevets, eu
égard à de récentes décisions en droit administratif. Selon le juge
Isaac, la décision du commissaire aux brevets était raisonnable et il
n’était donc pas approprié de revoir celle-ci.
Avec respect pour l’opinion minoritaire, nous croyons que
l’opinion majoritaire a énoncé le droit applicable. Il est vrai que le
commissaire aux brevets possède l’expertise pour décider s’il doit
délivrer un brevet ou non. Cependant, lorsque l’on vient à déterminer la portée de la Loi sur les brevets en interprétant la définition du
terme «invention», les tribunaux devraient se montrer plus disposés
à réviser une décision du commissaire.
Le Gouvernement fédéral a déposé une requête pour la permission d’appeler de cette décision à la Cour suprême du Canada. La
décision sur cette requête n’a toutefois pas encore été rendue.
820
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Cette décision aura certainement un impact important au
Canada et pourrait conduire à l’octroi de brevets pour des sujets qui
n’étaient traditionnellement pas brevetables, comme les logiciels
pour ordinateurs, ou des systèmes qui ne produisent pas nécessairement des résultats physiques, comme des modèles d’affaire.
Il est aussi intéressant de noter que le jugement majoritaire a
analysé les conséquences de la décision pour les êtres humains. Cette
demande de brevet avait pour objet des revendications sur un mammifère non humain. En écrivant que la décision ne devrait pas avoir
d’impact sur les humains, le juge Rothstein a déclaré qu’un brevet
constituait un droit de propriété. La Charte canadienne des droits
et libertés, à son article 7, déclare que chaque personne a droit à la
liberté, et donc ne peut faire l’objet d’un droit de propriété. Par conséquent, la Loi sur les brevets ne s’applique pas aux humains. Il reste
toutefois la question des organes humains qui pourraient être modifiés pour être «meilleurs». Est-ce que cet arrêt permettra la brevetabilité de tels organes? Seul le temps nous le dira.
Vol. 13, no 3
La Cour suprême se penche sur
l’interprétation et l’analyse en
contrefaçon des brevets
Nathalie Jodoin*
La Cour suprême du Canada s’est récemment penchée, pour la
première fois depuis l’arrêt anglais Catnic1 rendu par la Chambre
des Lords, sur d’importantes questions concernant la contrefaçon et
l’interprétation des revendications d’un brevet. Par ses deux décisions unanimes, rendues le 15 décembre 2000 dans les affaires
Whirlpool Corp. c. Camoc Inc., 2000 CSC 67 (ci-après Whirlpool) et
Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66 (ci-après Free
World Trust), la Cour suprême met un terme aux controverses qui
pouvaient exister relativement aux questions suivantes:
– la méthode d’interprétation téléologique2 («purposive construction») proposée dans Catnic, et suivie par nos tribunaux depuis, se
limite-t-elle à l’étape de l’analyse de la contrefaçon, ou doit-elle
être utilisée peu importe la fin recherchée;
– la date déterminante pour interpréter les revendications est-elle la
date de délivrance du brevet, la date de dépôt de la demande, la
date de priorité de la demande ou la date de publication du brevet;
© Nathalie Jodoin et LEGER ROBIC RICHARD / ROBIC, 2001.
* Avocate et ingénieure, agent de brevets du cabinet d’avocats LEGER ROBIC
RICHARD, s.e.n.c. et du cabinet d’agents de brevets et de marques de commerce
ROBIC.
1. Catnic Components Ltd. c. Hill & Smith Ltd., [1982] R.P.C. 183 (H.L.).
2. L’interprétation téléologique, aussi dénommée «l’interprétation d’intention» est
définie par l’auteur Pierre-André CÔTÉ dans Interprétation des lois, Éditions
Yvon Blais Inc., 1982 , p. 321, comme étant l’interprétation qui met l’accent sur
le ou les buts poursuivis par l’auteur d’un texte...
821
822
Les Cahiers de propriété intellectuelle
– une allégation de contrefaçon doit-elle donner lieu à l’analyse à
deux volets (contrefaçon textuelle et contrefaçon de l’essentiel du
brevet) ou à une seule, à savoir la contrefaçon des revendications
telles que rédigées mais interprétées en fonction de l’objet;
– le principe suivant dégagé par le juge Reed dans la décision AT&T
Technologies Inc. c. Mitel Corp.3 est-il bien fondé:
Si une variante d’un aspect d’une revendication n’a aucune incidence importante sur le fonctionnement de l’invention, il existe
une présomption portant que le brevet est contrefait et que le
breveté voulait que cette variante entre dans la portée de la
revendication; et
– une preuve extrinsèque est-elle admissible pour déterminer
l’intention du breveté.
Voici, sous forme de capsule, un bref aperçu de chacun de ces
arrêts.
1. AFFAIRE WHIRLPOOL
Les faits
Les brevets en litige dans cette affaire concernaient des machines à laver les vêtements. Jusqu’à la fin des années 60, les machines
à laver connues comprenaient un oscillateur simple avec des ailettes
verticales flexibles ou rigides. Ces machines comprenaient un seul
arbre de rotation qui transmettait aux ailettes un mouvement de
rotation dans les deux directions afin de laver les vêtements. Au
début des années 1970, l’intimée, la société Whirlpool Corporation
inc. (ci-après l’intimée), a développé une machine à laver dite «à
double effet» qui a donné lieu au brevet 1,045,401 (ci-après ‘401). Ce
brevet, qui est venu à échéance le 1er janvier 1996, visait une
machine à double effet comprenant un arbre de rotation sur lequel
était monté un oscillateur inférieur muni d’ailettes verticales. Cet
oscillateur inférieur était fixé solidement sur l’arbre, de sorte qu’il
puisse effectuer un mouvement de rotation dans les deux directions
simultané à la rotation de l’arbre. Un oscillateur supérieur muni
d’une ailette hélicoïdale était monté sur l’arbre au moyen d’un
embrayage unidirectionnel, de sorte que l’oscillateur supérieur effectuait un mouvement de rotation dans une direction seulement.
3. (1989), 26 C.P.R. (3d) 238, 257.
L’interprétation et l’analyse en contrefaçon des brevets
823
L’intimée a perfectionné cette machine à double effet en modifiant le système d’entraînement de l’oscillateur supérieur, ce qui a
donné lieu au brevet 1,049,803 (ci-après ‘803) venu à échéance en
1996. L’amélioration portait essentiellement sur le fait que l’oscillateur supérieur avait la forme d’un fourreau monté sur l’oscillateur
inférieur, et son mouvement était maintenant directement actionné
par le mouvement de l’oscillateur inférieur. La machine incluait un
embrayage unidirectionnel reliant l’oscillateur supérieur à l’oscillateur inférieur pour ainsi obtenir le double effet.
L’intimée a de nouveau perfectionné ses machines en ajoutant
à son système à double effet des ailettes flexibles, ce qui a donné lieu
au brevet 1,095,734 (ci-après ‘734), qui est venu à échéance en 1998,
soit deux ans après les deux premiers brevets.
Le litige entre les parties débute lorsque l’intimée poursuit les
appelants en alléguant qu’il y a eu contrefaçon de certaines revendications du brevet ‘803 et de toutes les revendications du brevet ‘734.
En défense, les appelants allèguent que le brevet ‘803 n’est pas
contrefait parce que l’oscillateur supérieur de leur machine n’est pas
amovible. Les parties s’entendent d’ailleurs pour dire que cela est le
seul point en litige pour déterminer la contrefaçon. Les appelants
soutiennent aussi que le brevet ‘803 est invalide au motif que l’invention revendiquée est plus large que l’invention décrite.
En ce qui concerne le brevet ‘734, les appelants allèguent qu’il
est invalide parce que les ailettes flexibles étaient évidentes.
Décisions des instances inférieures
En première instance4, le juge conclut que l’oscillateur supérieur amovible n’est pas essentiel à l’invention décrite dans le brevet
‘803 et que, donc, les revendications ne sont pas plus larges que
l’invention décrite. Il conclut ainsi à la validité du brevet ‘803. Il
ajoute que les ailettes rigides du brevet ‘803 sont essentielles et que,
par conséquent, il n’y a pas de contrefaçon parce que les ailettes de
l’intimée sont flexibles. Pour le brevet ‘734, le juge conclut que ce
brevet est valide et que toutes les revendications sont contrefaites.
4. Whirlpool Corp. c. Camco Inc. et al. (1997), 76 C.P.R. (3d) 150.
824
Les Cahiers de propriété intellectuelle
La décision de première instance est confirmée par la Cour
d’appel fédérale5.
Décision de la Cour suprême
La principale question en litige sur laquelle la Cour suprême
devait se pencher afin de régler l’affaire en l’espèce était de déterminer si le terme «ailette» utilisé aux revendications du brevet ‘803
devait être interprété comme incluant des ailettes flexibles ou était
plutôt limité à des ailettes rigides. Elle devait donc, afin de trancher
ce litige, se pencher sur l’importante question de la méthode à suivre
pour interpréter un brevet.
La Cour suprême, sous la plume du juge Binnie, conclut sur ce
point que la méthode d’interprétation téléologique des revendications, formulée dans l’arrêt Catnic, doit être adoptée, peu importe la
fin recherchée, que ce soit pour évaluer la validité ou la contrefaçon
d’une revendication.
Il ajoute que l’interprétation téléologique repose sur l’identification par la Cour, avec l’aide d’une personne versée dans l’art,
de ce qui, selon l’inventeur, constitue les éléments essentiels de
l’invention. Il reprend alors les principes de Catnic et affirme que la
question qui se pose dans tous les cas est la suivante:
Est-ce qu’une personne de l’art ayant une connaissance et une
expérience pratique dans le domaine comprendrait que le breveté voulait que l’interprétation stricte d’une expression ou
d’un mot descriptif particulier dans une revendication constitue une condition essentielle de l’invention, de manière à ce
que toute variante soit exclue du monopole revendiqué, même
s’il se peut que cette variante n’ait aucun effet important sur la
façon dont l’invention fonctionne?
La thèse soutenue par les appelants et voulant que l’interprétation téléologique développée dans Catnic ne trouve application
qu’à l’étape de l’analyse de la contrefaçon est donc rejetée. Le juge
Binnie conclut de plus que l’interprétation téléologique existait déjà
depuis longtemps en droit canadien, quoique sous des appellations
5. Camco Inc. et al. c. Whirlpool Corp. (1999), 85 C.P.R. (3d) 129.
L’interprétation et l’analyse en contrefaçon des brevets
825
différentes, et mentionne que celle-ci est tout à fait compatible avec
l’arrêt Consolboard6, où le juge Dickson avait affirmé que:
[...] il faut considérer l’ensemble de la divulgation et des revendications pour déterminer la nature de l’invention et son mode
de fonctionnement, sans être indulgent ni dur, mais plutôt en
cherchant une interprétation qui soit raisonnable à la fois pour
le titulaire du brevet et pour le public.7
Le juge Binnie établit aussi clairement que la date déterminante pour interpréter les revendications est la date de publication
du brevet, soit la date de délivrance pour les brevets issus de demandes déposées sous l’ancienne loi avant le 1er octobre 1989, ou la date à
laquelle la demande est devenue accessible au public pour les brevets issus de demandes déposées sous la nouvelle loi. Le juge nous
réfère à ce sujet à la décision rendue le même jour par la Cour
suprême dans l’affaire Free World Trust précitée.
Dans l’affaire en l’espèce, la Cour suprême, après analyse des
témoignages apportés par les experts quant à l’interprétation à donner au terme «ailette» utilisé dans les revendications du brevet ‘803,
conclut que le juge de première instance a eu raison de décider que
les ailettes rigides étaient essentielles à l’invention revendiquée
dans le brevet, et ce, en lisant les revendications en fonction de la
connaissance et de la compétence des termes techniques qu’il avait
acquises à la lumière du mémoire descriptif et de la concession faite
par un des experts. Aucun des experts entendus n’avait considéré
que le brevet prévoyait des ailettes flexibles.
Il est à noter que, dans son analyse du sens à donner au terme
«ailette» utilisé dans les revendications, le juge Binnie mentionne
qu’on ne peut pas s’en tenir au dictionnaire pour interpréter le sens
des mots utilisés dans la revendication, et estime que le juge de première instance pouvait parfaitement examiner le reste du mémoire
descriptif, y compris les dessins, pour comprendre le sens du mot
«ailette» utilisé dans les revendications, mais non pour élargir ou
restreindre la portée de la revendication. Il conclut cependant que,
bien que les dessins, qui ne montraient que des ailettes rigides, pouvaient être d’une certaine utilité, ceux-ci n’étaient guère concluants,
car la divulgation relative au brevet ‘803 indiquait clairement que le
6. Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504.
7. Id., p. 520-521.
826
Les Cahiers de propriété intellectuelle
dessin représente une variante préférée mais ne représente pas
nécessairement l’invention au complet.
Le juge Binnie s’est donc seulement fié aux témoignages des
experts pour conclure au caractère essentiel des ailettes rigides, et
ainsi conclure qu’il n’y avait pas eu contrefaçon du brevet ‘803, car les
ailettes de la machine des appelants étaient flexibles.
Il est aussi intéressant de noter que, même si les parties
s’étaient entendues pour dire que les ailettes du brevet ‘803
incluaient des ailettes flexibles ou rigides, le juge Binnie considère
qu’une telle entente n’aurait pas lié le juge de première instance, car
l’interprétation des revendications est une question de droit et que,
par conséquent, le juge est en droit de réviser l’interprétation qui
avait été faite par les parties.
Pour ce qui est du brevet ‘734, la Cour suprême a confirmé la
décision du juge de première instance quant au caractère inventif
des ailettes flexibles, donc quant à la validité et à la contrefaçon de
certaines revendications.
Au sujet de la validité du brevet ‘734, les appelants soutenaient
que les ailettes du brevet ‘803 comprenaient des ailettes flexibles ou
rigides et que, par conséquent, les revendications du brevet ‘734, qui
couvraient les ailettes flexibles dans une machine à double effet,
devaient être invalidées, car ce brevet, qui venait à échéance deux
ans plus tard que le brevet ‘803, avait pour effet de prolonger indûment le monopole de l’intimée accordé par le gouvernement pour la
machine à double effet. Étant donné que le brevet ‘803 a été interprété comme couvrant seulement les ailettes rigides, la Cour
suprême n’a pas eu à se prononcer sur ce dernier argument concernant la validité du brevet ‘734.
Nous croyons cependant que si la Cour suprême avait eu à se
prononcer à ce sujet, elle aurait nécessairement dû tenir compte,
dans son analyse, de l’article 32 de la Loi sur les brevets, concernant
les perfectionnements, et qui se lit ainsi:
Quiconque est l’auteur d’un perfectionnement à une invention
brevetée peut obtenir un brevet pour ce perfectionnement. Il
n’obtient pas de ce fait le droit de fabriquer, de vendre ou
d’exploiter l’objet de l’invention originale, et le brevet couvrant
l’invention originale ne confère pas non plus le droit de fabriquer, de vendre ou d’exploiter l’objet du perfectionnement breveté.
L’interprétation et l’analyse en contrefaçon des brevets
827
2. AFFAIRE FREE WORLD TRUST
Les faits
Cette affaire concerne la validité et la contrefaçon des brevets
CA 1,113,156 (ci-après ‘156) et CA 1,150,361 (ci-après ‘361) appartenant à l’appelante, Free World Trust. Ces deux brevets concernent
un appareil d’électromagnétothérapie qui irradie différentes parties
du corps humain d’ondes électromagnétiques de basse fréquence. Ce
genre d’appareil existant déjà dans l’art antérieur, l’invention résidait dans le fait que l’appareil comprenait des circuits pour régler
l’amplitude et la fréquence des ondes électromagnétiques de façon à
obtenir les effets bénéfiques voulus. Le brevet ‘361 porte sur une
amélioration du brevet ‘156.
Les intimés, Électro-Santé, avaient mis sur le marché un appareil qui permettait d’obtenir des effets thérapeutiques semblables,
mais à l’aide d’un «microcontrôleur». Les experts entendus tant du
côté de l’appelante que des intimés ont reconnu que le mode de régulation utilisé par l’appareil des intimés et qui constituait «un élément très polyvalent, au même titre qu’un ordinateur IBM PC ou
autre» différait de ce qui était envisagé dans les revendications des
brevets.
L’appelante alléguait que, bien que l’appareil des intimés ne se
lisait pas sur les revendications, en fin de compte, le résultat était
le même. Elle alléguait donc que les intimés s’étaient approprié
l’essentiel de son invention et qu’il y avait contrefaçon pour cette
raison. De leur côté, les intimés alléguaient qu’il n’y avait aucune
contrefaçon et que, de toute façon, les brevets étaient invalides, car
anticipés par les renseignements donnés dans un article au nom de
Solov’eva.
Décisions des instances inférieures
En première instance, le juge conclut à l’invalidité des deux
brevets pour manque de nouveauté au vu de l’article Solov’eva, et ne
se prononce pas sur la question de contrefaçon.
En appel8, la juge Rousseau-Houle, en raison de la présomption
de validité prévue à l’article 45 de la Loi sur les brevets, déclare les
8. Free World Trust c. Électro-Santé (1997), 81 C.P.R. (3d) 456.
828
Les Cahiers de propriété intellectuelle
brevets valides. Elle rejette cependant l’allégation de contrefaçon
mais en comparant l’appareil d’Électro-Santé non aux revendications mais plutôt en le comparant à l’appareil de Free World Trust.
Décision de la Cour suprême
Afin de trancher le litige concernant la contrefaçon, la Cour
suprême devait déterminer si, en l’espèce, les revendications des brevets de l’appelante étaient suffisamment extensibles pour englober
l’appareil d’électromagnétothérapie de l’intimée. Elle devait donc se
pencher sur d’importantes questions concernant le monopole conféré
par un brevet.
La principale question en litige de ce pourvoi était la suivante:
Dans quelle mesure le monopole conféré par un brevet protège-t-il
l’«essentiel» ou l’«esprit» de l’invention, par opposition à ce qui est
expressément énoncé dans les revendications écrites?
Une autre question sur laquelle la Cour suprême devait se pencher concernait la validité des brevets.
Le juge Binnie débute son analyse en rappelant la notion de
marché conclu entre l’inventeur et le public, sur laquelle se fonde la
protection assurée par le brevet. Ainsi, en échange d’une divulgation
complète de son invention, le breveté obtient un monopole d’exploitation pour un certain laps de temps. Le breveté doit clairement
délimiter la portée de ce monopole en le définissant dans les revendications. Il ajoute alors que certains des éléments décrits dans les
revendications sont essentiels au bon fonctionnement de l’invention,
tandis que d’autres peuvent être considérés par l’inventeur comme
étant non essentiels et que c’est au tribunal de départager les uns des
autres, en interprétant les revendications avec l’aide d’une personne
versée dans le domaine. Il rappelle alors qu’une interprétation trop
extensible de la portée des revendications crée de l’incertitude et
entrave la concurrence, et qu’une protection trop restreinte prive
l’inventeur de l’avantage qu’on lui a promis en échange de la divulgation complète du fruit de son ingéniosité.
Il conclut alors que, tant pour trancher le litige concernant la
validité des brevets que la contrefaçon, l’analyse doit débuter par
l’interprétation des revendications et ce, afin de départager l’essentiel du non-essentiel.
L’interprétation et l’analyse en contrefaçon des brevets
829
Afin d’évaluer la nouveauté de l’appareil de l’appelante, la Cour
suprême, après avoir procédé à l’interprétation des revendications,
reprend et adopte le test d’anticipation qui avait été utilisé par le
juge Hugessen dans Beloit Ltd. c. Valmet9, pour finalement conclure
à la validité des deux brevets, ce test étant ainsi formulé:
Pour conclure à une anticipation, il faut en effet pouvoir s’en
remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous
les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de
l’invention revendiquée sans l’exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure
doivent être d’une clarté telle qu’une personne au fait de l’art
qui en prend connaissance et s’y conforme arrivera infailliblement à l’invention revendiquée.10
Sur la question de l’analyse de la contrefaçon, la Cour suprême
rappelle qu’il est important que le système de concession de brevets
soit juste, tant pour le breveté que le public, et que son fonctionnement soit prévisible.
Le juge Binnie mentionne alors que le pourvoi soulève la question fondamentale de la démarche qui s’impose pour arbitrer «contrefaçon textuelle» et «contrefaçon de l’essentiel du brevet», de façon
à obtenir un résultat juste et prévisible. Il dégage alors les principes
suivants qui doivent être suivis lors de l’évaluation d’une contrefaçon (paragraphe 31 du jugement):
a) La Loi sur les brevets favorise le respect de la teneur des
revendications.
b) Le respect de la teneur des revendications favorise à son
tour tant l’équité que la prévisibilité.
c)
La teneur d’une revendication doit toutefois être interprétée de façon éclairée et en fonction de l’objet.
d) Ainsi interprétée, la teneur des revendications définit le
monopole. On ne peut s’en remettre à des notions imprécises comme «l’esprit de l’invention» pour en accroître
l’étendue.
9. (1986), 8 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.).
10. Id., p. 297.
830
Les Cahiers de propriété intellectuelle
e) Suivant une interprétation téléologique, il ressort de la
teneur des revendications que certains éléments de l’invention sont essentiels, alors que d’autres ne le sont pas.
Les éléments essentiels et les éléments non essentiels sont
déterminés:
(i)
en fonction des connaissances usuelles d’un travailleur versé dans l’art dont relève l’invention;
(ii)
à la date à laquelle le brevet est publié;
(iii) selon qu’il était ou non manifeste, pour un lecteur
averti, au moment où le brevet a été publié, que l’emploi d’une variante d’un composant donné ne modifierait pas le fonctionnement de l’invention, ou
(iv) conformément à l’intention de l’inventeur, expresse ou
inférée des revendications, qu’un composant en particulier soit essentiel, peu importe son effet en pratique;
(v)
f)
mais indépendamment de toute preuve extrinsèque
de l’intention de l’inventeur.
Il n’y a pas de contrefaçon lorsqu’un élément essentiel est
différent ou omis. Il peut toutefois y avoir contrefaçon
lorsque des éléments non essentiels sont substitués ou
omis.
Par les principes a) à d), la Cour suprême réaffirme clairement
le principe de la primauté de la teneur des revendications qui était
déjà profondément enraciné dans notre jurisprudence, tel que le souligne le juge Binnie au paragraphe 40 du jugement. La Cour préconise ainsi la démarche à un seul volet proposée dans la décision
Catnic précitée, qui se résume à interpréter les revendications afin
de déterminer ce qui est exactement couvert par les revendications,
et ensuite à examiner le produit allégué contrefacteur afin de décider
s’il tombe dans la portée des revendications.
La Cour suprême rejette ainsi clairement, à notre avis, la
démarche à deux volets soutenue par l’appelante et voulant que le
tribunal, dans un premier volet, détermine s’il y a eu contrefaçon textuelle et, dans la négative, le tribunal passant au deuxième volet,
afin de déterminer s’il y a eu contrefaçon de l’essentiel de l’invention.
Au paragraphe 46 du jugement, le juge Binnie mentionne qu’à partir
L’interprétation et l’analyse en contrefaçon des brevets
831
du moment où l’analyse du second volet ne se rattache plus expressément à la teneur des revendications, le tribunal peut se retrouver en
terrain inconnu, sans aucun repère, et l’analyse peut ainsi devenir
subjective et indûment discrétionnaire.
Le principe e), incluant ses sous-alinéas (i) à (v), donne la
démarche à suivre pour départager, selon l’interprétation téléologique, les éléments essentiels des éléments non essentiels. La Cour
suprême reformule en fait les principes qui avaient été dégagés dans
Catnic et qui avaient été suivis par la Cour d’appel fédérale dans
O’Hara11.
Au sujet de la date déterminante pour interpréter les revendications (principe e)(ii)), le juge Binnie reconnaît, au paragraphe 53,
qu’il puisse y avoir des avantages à établir une seule date déterminante aux fins notamment des questions d’évidence, de caractère
suffisant de la description et d’interprétation des revendications,
mais retient tout de même comme date déterminante, aux fins de
l’interprétation des brevets, la date de publication du brevet soit, tel
que mentionné ci-dessus, la date de délivrance pour les brevets issus
de demandes déposées sous l’ancienne loi avant le 1er octobre 1989,
ou la date à laquelle la demande est devenue accessible au public
pour les brevets issus de demandes déposées sous la nouvelle loi. La
Cour suprême rejette ainsi la position prise à ce sujet par le juge
Reed dans l’affaire AT&T précitée, qui avait retenu comme date
déterminante la date de la demande.
En ce qui concerne le sous-alinéa (iii), le juge Binnie déclare
que les éléments non essentiels sont les éléments pour lesquels
i) l’inventeur n’a manifestement pas voulu qu’ils soient essentiels,
ou ii) une personne versée dans le domaine aurait constaté que ces
éléments puissent être substitués, sans que cela ne modifie le fonctionnement de l’invention.
Il ajoute qu’il faut entendre par «fonctionner de la même
manière», que la variante accomplirait essentiellement la même fonction, d’une manière essentiellement identique pour obtenir essentiellement le même résultat, ce qui, à notre avis, se rapproche beaucoup
de la théorie américaine des équivalents appliquée aux éléments
individuels d’une revendication, tel qu’établi par la Cour suprême
des États-Unis dans l’affaire Warner-Jenkinson Co. c. Hilton Davis
Chemical Co.12.
11. (1996), 11 I.P.J. 111.
12. 520 U.S. 17 (1997).
832
Les Cahiers de propriété intellectuelle
De plus, on remarque que le juge Binnie, bien qu’il utilise, tant
dans les versions française qu’anglaise, la conjonction alternative
«ou» ci-dessus, ainsi qu’entre les deux sous-alinéas (iii) et (iv) du
principe e), ce qui, de l’avis de l’auteure, va à l’encontre des principes
dégagés dans Catnic, reprend dans son analyse la série de questions
qui avait été formulée par le juge Hoffmann dans Improver Corp.
c. Remington13, cette série de questions impliquant clairement
l’utilisation de la conjonction «et» à cet endroit. De plus, le reste de
l’analyse du juge Binnie, notamment lorsqu’il rejette le troisième
principe qui avait été dégagé par le juge Reed dans la décision AT&T
précitée, démontre aussi, à notre avis, que la conjonction entre ces
deux principes doit être de type cumulatif et non alternatif. En effet,
en concluant autrement, d’aucuns pourraient prétendre au caractère
non essentiel d’un élément en démontrant seulement l’une ou l’autre
des conditions, ce qui, à notre avis, va à l’encontre de Catnic.
Tel que mentionné ci-dessus, la Cour suprême a profité de cette
affaire pour rejeter le troisième principe de la décision AT&T précitée, qui créait une présomption de contrefaçon et une présomption
que le breveté voulait qu’une variante entre dans la portée du brevet,
du moment qu’il était démontré que cette variante n’avait aucun
effet sur le fonctionnement de l’invention.
Finalement, par le sous-alinéa (v) du principe e), la Cour
suprême établit clairement que, dans les cas concernant l’évaluation
de l’étendue d’un monopole, aucune preuve extrinsèque au brevet
n’est recevable pour démontrer l’intention du breveté relativement
au caractère essentiel ou non des éléments. Ainsi, le dossier de poursuite tant des demandes canadiennes que des demandes correspondantes étrangères ne peut être utilisé pour démontrer l’intention du
breveté, cette intention ne pouvant être établie qu’en se référant au
mémoire descriptif du brevet à analyser. Le juge Binnie précise
cependant, au paragraphe 67, que cela n’implique pas qu’une preuve
extrinsèque ne puisse jamais être pertinente pour une autre fin.
Dans l’affaire en l’espèce, et en suivant la démarche proposée,
le juge Binnie en vient à la conclusion que les circuits définis dans les
revendications des brevets de l’appelante sont des éléments essentiels et qu’il n’y a pas de contrefaçon. Il ajoute de plus, comme l’avait
fait remarquer la Cour d’appel du Québec, que c’est précisément le
moyen pour régler l’amplitude et la fréquence qui avait permis
au breveté de se distinguer de l’art antérieur et d’ainsi obtenir son
brevet.
13. [1991] F.S.R. 233.
L’interprétation et l’analyse en contrefaçon des brevets
833
Conclusion
Par ces deux décisions, la Cour suprême vient, à notre avis,
mettre un terme à certaines controverses qui s’étaient développées,
particulièrement depuis l’arrêt anglais Catnic rendu en 1982, et
concernant les principes gouvernant l’interprétation et la contrefaçon des brevets. Bien sûr, ces décisions n’empêcheront pas d’autres
litiges de se créer et ainsi permettre au droit de continuer son évolution. Mais les règles quant à la contrefaçon seront plus claires
puisque la Cour nous donne des réponses aux cinq questions exposées en introduction.
Compte rendu
Cyberdroit*
Geneviève Bordeleau**
En ce début de millénaire, les juristes ont encore un territoire à
conquérir: Internet. En effet, on se demande quel droit s’applique à
Internet. L’auteure a sous-titré son livre «Le droit à l’épreuve de
l’internet» et s’adresse tant aux praticiens du droit qu’aux professionnels du multimédia et d’Internet.
Christiane Féral-Schul est une avocate spécialisée dans les
domaines de l’informatique et des nouvelles technologies. Elle nous
propose un survol de différents aspects d’Internet qui va toucher
chaque individu ainsi que les entreprises œuvrant ou faisant affaire
dans ce domaine. Elle tente surtout de déterminer, en droit français,
les lois applicables à Internet, en appuyant ses réflexions d’exemples
de jurisprudence.
Dans son ouvrage, l’auteure aborde tout d’abord le droit
d’auteur sur Internet. Elle parle, entre autres, des conditions de
protection et d’exploitation d’une œuvre. Elle nous sensibilise à
l’importance de respecter les droits des auteurs ainsi que de la facilité déconcertante avec laquelle ces droits peuvent être violés sur
Internet. Elle glisse un mot sur les exceptions au droit d’auteur qui
ne constituent pas un acte de contrefaçon.
*
**
Christiane FÉRAL-SCHUL, Cyberdroit: le droit à l’épreuve de l’Internet (Paris,
Dunod, 2000), 324 p.; ISBN 2-10-005285-3.
Stagiaire de l’École de formation professionnelle du Barreau du Québec auprès
du cabinet d’avocats LÉGER ROBIC RICHARD, s.e.n.c. et du cabinet d’agents
de brevets et de marques de commerce ROBIC.
835
836
Les Cahiers de propriété intellectuelle
L’auteure discute de la fraude sur Internet et des sanctions qui
s’y appliquent en droit français. Elle traite des infractions spécifiques du Code pénal français, ainsi que de la procédure pénale, tant
au niveau de la preuve que des perquisitions et des saisies. En effet,
on a tendance à oublier que certains actes, tels diffuser la recette
d’une bombe, inciter à la violence ou la pornographie infantile constituent des infractions pénales.
Elle nous entretient de la transmission des données personnelles, qui est un grave problème sur Internet. Il existe maintenant une
banalisation de leur collecte qui cause une amplification des risques
d’atteintes à la vie privée. Elle analyse les dispositifs mis en place
tant au niveau national français qu’aux niveaux européen et international.
Les notions de libertés sont aussi approfondies par l’auteure.
On y discute, entre autres, de la liberté d’expression, qui est tant
revendiquée sur Internet. La protection des libertés individuelles est
aussi abordée, dont la protection contre la diffamation et l’atteinte à
la vie privée. On y discute de plus de la protection de l’ordre public
comme, par exemple, de la protection des mineurs, le terrorisme,
l’espionnage, les paris et les jeux d’argent.
Mme Féral-Schul examine la responsabilité des divers fournisseurs reliée à Internet, que ce soit un fournisseur de contenu,
d’hébergement ou d’accès Internet. Sur ce sujet, elle divise son analyse en deux volets, soit la voie judiciaire et la voie de la régulation.
Aspect intéressant pour l’utilisateur, l’auteure profite de l’occasion pour discuter de la protection des consommateurs. En effet,
de plus en plus d’entreprises utilisent Internet comme moyen de
prospection auprès du public. L’auteure s’interroge sur les moyens
de protection sur Internet par rapport aux moyens de protection
existants en droit français. Par ailleurs, elle nous informe sur la
réglementation applicable en matière de publicité ainsi que sur les
critères retenus. Elle traite aussi du phénomène de la publicité non
sollicitée, que l’on appelle spamming ou multipostage abusif.
L’auteure aborde un sujet qui touche particulièrement les praticiens, soit la recevabilité et la force probatoire de la preuve électronique. Par le fait même, elle discute de la sécurité sur Internet et de
la notion de la cryptologie et de la confidentialité des transmissions.
Cette forme de transmission, on le sait, suscite toujours de nos jours
de la controverse.
Cyberdroit
837
L’auteure étant elle-même arbitre dans la résolution de conflits
de noms de domaine, elle nous apprend comment fonctionne la procédure d’adressage de noms de domaines. De plus, elle s’attarde sur
les contentieux de noms de domaines, c’est-à-dire les procédures
d’arbitrage, la notion de cybersquattage et les conflits de noms de
domaine avec des marques de commerce.
En conclusion, l’auteure nous offre un chapitre sur la loi applicable à Internet. Elle y discute de la juridiction ainsi que des lois
civiles, commerciales et pénales applicables présentement. Elle en
profite pour énoncer des propositions de solutions aux «vides juridiques» et aux lacunes des lois actuelles.
Cet ouvrage nous fait découvrir un univers que nous connaissons tous, sans toutefois nous être vraiment interrogés sur ces
questions. Le livre est ponctué d’exemples pratiques tirés de la jurisprudence, illustrant parfaitement les problèmes et situations discutés et facilitant la compréhension. Un excellent outil qui, bien que
limité en grande partie au droit français, permet aisément de faire
un parallèle avec les lois applicable dans tout autre pays.
Compte rendu
Droit européen comparé
d’Internet*
Marcel Naud**
C’est en vue d’exposer le plus complètement possible les divers
points de vue doctrinaux et les solutions législatives et jurisprudentielles de plusieurs pays européens relativement à Internet que
l’Académie internationale de droit comparé a réuni, dans un ouvrage
dont la direction a été confiée à M. Georges Châtillon de l’Université
Paris-I Panthéon-Sorbonne, l’ensemble des travaux produits à
l’occasion de son XVe congrès.
La première partie du livre est d’abord constituée d’une
synthèse qui fait ressortir avec une certaine acuité les tendances
convergentes ou divergentes observées entre les différents pays participants sur des questions aussi variées que la liberté d’expression,
le rôle de l’État, la fiscalité, la criminalité informatique, le droit de la
preuve, la responsabilité des fournisseurs d’accès, le droit d’auteur,
le commerce électronique, la cryptographie, la protection des renseignements personnels, la cyberdémocratie et l’accès du public à
l’information, dans le contexte d’Internet. Plus encore, ce rapport
général permet de prendre conscience que les préoccupations, les
priorités, les problèmes et l’attitude des États face à ceux-ci reflètent
inévitablement l’hétérogénéité relative des différentes cultures juridiques nationales, étant par ailleurs confrontées aux mêmes questions.
*
**
Georges CHÂTILLON, Droit européen comparé d’Internet. XVe Congrès international de droit comparé. Bristol 1998 (Bruylant Bruxelles, 2000), 542 pages;
ISBN 2-8027-1359-0.
Stagiaire de l’École de formation professionnelle du Barreau du Québec auprès
du cabinet d’avocats LÉGER ROBIC RICHARD, s.e.n.c. et du cabinet d’agents
de brevets et de marques de commerce ROBIC, s.e.n.c.
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840
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Les pages qui suivent sont consacrées aux rapports nationaux
de chaque pays. Ces rapports, certains en français, la plupart en
anglais, abordent tour à tour les sujets évoqués plus haut, mais avec
une perspective propre à chacun sur les constats et les actions
ou inactions qui en découlent. Par exemple, le Danemark aura
mis davantage l’accent sur les questions de libertés individuelles,
la France sur la protection du droit moral des auteurs, la Suisse
sur l’application d’Internet aux différents processus de consultation
populaire, la Belgique sur les formes de criminalité sur Internet,
l’Espagne sur les autorités de certification pour faciliter le commerce
électronique, l’Italie sur les effets juridiques de la dématérialisation
des modes d’expression, les Pays-Bas sur le recours aux technologies
pour l’exécution et le respect des lois et, enfin, le Royaume-Uni sur
les conséquences de l’érosion de la distinction entre les règles relatives au contenu et celles concernant sa transmission.
La seconde partie du livre, quant à elle, regroupe des extraits
des principaux rapports parlementaires et ministériels français relatifs à Internet produits de 1996 à 1998. De nature essentiellement
consultative, ces rapports comportent des séries de recommandations à l’intention du gouvernement français, tant au niveau de la
culture que des finances, du commerce, de l’éducation, des sciences et
de l’administration publique en vue d’accentuer les bénéfices et
amoindrir ou éliminer les inconvénients associés à Internet dans ce
pays.
L’intérêt pratique de ce recueil est de permettre à tous ceux qui
sont appelés à jouer un rôle dans l’élaboration des politiques ou des
courants législatifs ou jurisprudentiels sur le sujet de tirer profit des
succès et de prendre connaissance des difficultés qu’ont éprouvées
isolément ces différents pays, afin de rendre possible une concertation plus rapide et plus large des efforts et des initiatives en la
matière.
En effet, si l’on se fie aux conclusions suggérées par les auteurs
de «Droit européen comparé d’Internet», l’universalité d’Internet
invite à des rapprochements nécessaires à sa domestication et ce
livre, tant par sa facture que par ce qu’il contient, parvient élégamment à en créer plusieurs, de même qu’à en susciter davantage pour
l’avenir.
Compte rendu
Protection of
Non-Traditional Marks*
Patrick Sartore**
Traditionnellement, les marques de commerce ou symboles
d’origine consistaient en divers mots, logos ou graphiques apposés
sur les produits ou l’emballage. Avec le temps, d’autres éléments ont
été utilisés dans le but d’identifier différents produits et services. De
telles marques, qualifiées comme non traditionnelles, sont habituellement composées de couleurs, d’odeurs et de sons. Cet ouvrage,
publié par l’I.N.T.A. (International Trademark Association), se penche sur le développement de l’enregistrement ainsi que sur la poursuite judiciaire des marques non traditionnelles au Bureau des
brevets et marques de commerces américains (USPTO).
Ce livre, totalisant 252 pages, est le fruit des efforts combinés
de son auteur, Thomas P. Arden, avocat expérimenté et spécialisé
dans le droit de la propriété intellectuelle, ainsi que de nombreux collaborateurs. M. Arden nous offre une réflexion profonde sur l’essence
même de chaque type de marque non traditionnelle, sur l’autorité de
l’USPTO d’enregistrer ces marques ainsi que sur la validité de ces
enregistrements. Même si cet ouvrage est fondé sur le droit américain, il peut aisément servir de guide à toutes les personnes travaillant dans le domaine des marques de commerce.
*
**
Thomas P. ARDEN, Protection of Non-Traditional Marks, Collection Practice
Series (New York, INTA, 2000), 252 pages; ISBN: 0-939190-43-5.
Étudiant à l’école de formation professionnelle du Barreau du Québec, en stage
auprès du cabinet d’avocats LÉGER ROBIC RICHARD et du cabinet d’agents
de brevets et de marques de commerce ROBIC.
841
842
Les Cahiers de propriété intellectuelle
L’auteur nous invite à parcourir les décisions américaines rendues par la division d’opposition des marques de commerce (TTAB),
les tribunaux fédéraux et la Cour suprême qui portent sur les domaines de la couleur et du stylisme de produit, afin de nous faire découvrir la façon par laquelle ces décisions pourraient affecter la force
exécutoire des marques olfactives et sonores dans d’autres litiges
éventuels.
Particulièrement, l’auteur aborde la façon de bien identifier et
classifier les marques non traditionnelles et il émet ses opinions
en se basant sur les doctrines de «fonctionnalité» et du «domaine
public». De plus, M. Arden s’intéresse aux normes d’acquisition du
caractère distinctif des marques de même qu’à la notion de leur protection contre la dilution.
En outre, l’auteur nous propose un exposé tout à fait utile sur
les procédures applicables en cas de litiges ainsi que sur les éléments
de preuve qui sont souvent soulevés dans les litiges portant sur
les marques qualifiées de non traditionnelles. Plus spécifiquement,
l’auteur aborde la notion de la preuve effective du caractère distinctif, des motifs valables pour contester certaines marques non traditionnelles, la question du fardeau de preuve ainsi que la preuve
d’utilisation des marques par des tiers.
Après avoir complété son analyse approfondie des marques de
commerce non traditionnelles, l’auteur, au moyen d’une annexe à
son ouvrage, continue de nous transmettre de l’information d’une
façon très pragmatique. En effet, l’auteur y présente des illustrations de chaque type des marques non traditionnelles qui ont été
approuvées et publiées dans la Gazette Officielle de l’USPTO. Ce
complément s’avère très pratique et utile pour appuyer le concept et
les théories discutés auparavant.
Enfin, ce livre nous offre une analyse très complète, tant du
point de vue doctrinal que pratique, que toute personne œuvrant
dans le domaine de la propriété intellectuelle pourrait consulter
pour améliorer ses connaissances sur la notion de la protection des
marques de commerces non traditionnelles. L’auteur conclut sur
l’affirmation qu’il n’existe pas de controverse sur la possibilité de
protéger les sons, les odeurs et les couleurs à titre de commerce, mais
que de nombreuses incertitudes demeurent quant aux normes et
étendue de cette protection.
Vol. 13, no 3
LIVRES PARUS
Ghislain Roussel
BERTHET, Protéger ses marques en France et à l’étranger, Paris,
Lamy, 2000, 204 pages, 110 FF, ISBN: 2-7212-0914-0.
BIBENT, Michel, Le droit du traitement de l’information, Paris,
Nathan: ADBS, 2000, 128 pages, 52 FF, ISBN: 2-09-191000-7.
CAMPBELL, Dennis, World Intellectual Property Rights and Remedies, Dobbs Ferry, NY, Oceana Publications, Inc., 2000, 325 $ US,
ISBN: 0-379-01284-7.
COOK, Trevor, Regulatory Data Protection in the Pharmaceuticals
Industry, London, Sweet & Maxwell, 1999, 150 pages, 325 $,
ISBN: 075200-6681.
DuBOFF, Leonard D., et Christy O. KING, Deskbook of Art Law,
2e éd., Dobbs Ferry, NY, Oceana Publications, Inc., 2000, 385 $
US, ISBN: 0-379-20157-7.
FÉRAL-SCHUHL, Christiane, Cyberdroit: le droit à l’épreuve de
l’Internet, 2e éd., Paris, Dunod: Dalloz, 2000, 320 pages, 178 FF,
ISBN: 2-10-005285-3.
GALLOUX, Jean-Christophe, Droit de la propriété industrielle,
Paris, Dalloz, 2000, 500 pages, 150 FF, ISBN: 2-247-03805-0.
GEIST, Michael, Internet and E-Commerce Law in Canada, Markham, Butterworths Lexis-Nexis, lettre. 12 numéros l’an, 2000,
125 $, ISBN: 0 433 42472-9.
HAUMONT, Guy, Le guide juridique et pratique des musiciens,
Paris, Seconde, 2000, 192 pages, 189 FF, ISBN: 2-8004-1246-1.
843
844
Les Cahiers de propriété intellectuelle
JACOB, Robin, James MELLOR et Richard MEADE, Kerly’s Law
of Trade Marks and Trade Names, 13e éd., London, Sweet & Maxwell, 2000, 975 pages, 437 $, ISBN: 0-421-45610-8.
KING, Jacqueline, Entertainment Law in Canada, Markham, Butterworths, 2000, 1 vol. à anneaux, 240 $, ISBN: 0 433 41669-6.
KRASILOVSKY, M. William et Sidney SHEMEL, This Business of
Music: The Definitive Guide to the Music Industry, Los Angeles,
Billboard Books, 2000, 558 pages, 29,95 $ US.
MANN, Catherine L., Sue E. ECKERT et Sarah Cleeland KNIGHT,
Global Electronic Commerce: A Policy Primer, Washington, Institute for International Economics, 2000, 214 pages, 20 $ US, ISBN:
0-88132-274-1.
MARSHALL, Jessie N., Guide to the Nice Agreement Concerning the
International Classification of Goods and Services, Dobbs Ferry,
NY, Oceana Publications, Inc., 2000, 85 $ US, ISBN: 0-37921414-8.
MASKUS, Keith E., Intellectual Property Rights in the Global Economy, Washington, Institute for International Economics, 2000,
266 pages, 18,95 $ US, ISBN: 0-88132-282-2.
McKEOWN, John S., Fox on Canadian Law of Copyright and Industrial Design, 3e éd., Scarborough, Carswell, 2000, 1052 pages,
155 $, ISBN: 0-459-26009X.
McNAIRN, Colin H.H. et Alexander K. SCOTT, A Guide to the
Personal Information Protection and Electronic Documents Act,
Markham, Butterworths Lexis-Nexis, 2000, 224 pages, 52 $,
ISBN: 00 433 43069-9.
PAUJO, Alain, Auteurs, artistes, compositeurs: tous vos droits:
œuvres écrites, orales, musicales, d’arts plastiques, graphiques,
logiciels..., Héricy (France), Puits fleuri, 2000, 251 pages, 130 FF,
ISBN: 2-86739-165-2.
ROBERTSON, Geoffroy et Andrew NICOL, Media Law, 4e éd., London, Sweet & Maxwell, 1999, 752 pages, 224 $, ISBN: 0752005197.
SANDERSON, Paul E., Musicians and the Law, 3e éd., Scarborough,
Carswell, 2000, 650 pages, 98 $, ISBN: 0-459-23937-6.
TAMARO, Normand, The 2001 Annotated Copyright Act, Scarborough, Carswell, 2000, 800 pages, 105 $, ISBN: 0-459-260677.
Livres parus
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TRAINER, Timothy P., Border Enforcement of Intellectual Property,
Dobbs Ferry, NY, Oceana Publications, Inc., 2000, 95 $ US, ISBN:
0-379-21411-3.
WOLF, Michael J., The Entertainment Economy, New York, Times
Books, Random House, 2000, 301 pages.

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