LES PHOTODERMATOSES Notre expérience à propos de 543 cas
Transcription
LES PHOTODERMATOSES Notre expérience à propos de 543 cas
LES PHOTODERMATOSES Notre expérience à propos de 543 cas BENNOUNA-BIAZ, OURHROUIL M., SENOUCI K., HASSAM B., EL BAKKALI A., BENYOUSSEF K. INTRODUCTION RESUME Les photodermatoses regroupent des maladies cutanées où existe une sensibilité exagérée et anormale à la lumière. 543 cas de photodermatoses sont recensés à la Clinique Dermatologique de l'Hôpital Ibn Sina de Rabat sur une période allant de janvier 80 à janvier 94. Nos patients se répartissent en 186 hommes et 357 femmes avec des âges extrêmes de 2 à 95 ans. Les tableaux cliniques observés sont à type de : * Dermatoses photo-aggravées - Maladie lupique - Herpès recurrent - Acné juvénile - Rosacée - Dermatoses bulleuses auto immunes 4 - Psoriasis 397 cas 104 cas 33 cas 221 cas 34 cas 234 cas 1 cas * Photodermatoses génétiques - Xéroderma pigmentosum - Albinisme - Vitiligo - Piébaldisme - Poïkilodermie de Rothmund-Thomson - Poïkilodermie de Kindler 49 cas 25 cas 1 cas 19 cas 1 cas 1 cas 2 cas * Photodermatoses cutanées - Porphyries cutanées - Pellagre 12 cas 4 cas 8 cas * Dermatoses par agents photosensibilisants - De contact - Systémique - 1 cas d'hydroa vacciniforme 84 cas 73 cas 11 cas Enfin les cancers cutanés, bien que n'étant pas des photodermatoses à proprement parler, ont été étudiés puisqu'ils résultent des effets du rayonnement solaire à long terme. Les photodermatoses regroupent des maladies cutanées comportant une sensibilité exagérée et anormale à la lumière pouvant être : - l'élément primordial de l'affection, - l'une des composantes cliniques, - voire un simple facteur aggravant ou déclenchant. MATERIEL D'ETUDE Le Maroc étant un pays ensoleillé, les photodermatoses constituent chez nous un motif fréquent de consultation. C'est ainsi que 543 cas sont recensés à la clinique dermatologique de l'hôpital IBN SINA de Rabat sur une période de 14 ans. Nos patients se répartissent en 357 femmes et 186 hommes, âgés de 2 à 95 ans. RESULTATS Les tableaux cliniques observés étant très diversifiés, nous les classerons dans un but didactique selon cinq rubriques, en distinguant : - Les dermatoses photo-aggravées Les photodermatoses génétiques Les photodermatoses métaboliques Les Lucites idiopathiques Les dermatoses par agents photosensibilisants 397 cas 49 cas 12 cas 1 cas 84 cas N.B. Les cancers cutanés, bien que n'entrant pas dans le cadre des photodermatoses, seront étudiés car ils résultent des effets cumulatifs à long terme du rayonnement solaire. DISCUSSION Dermatoses photo-aggravées (397 cas) Ce sont des dermatoses autonomes, où l'exposition solaire Clinique dermatologique C.H. IBN SINA (Pr. BENNOUNA F.) Rabat Maroc Médecine du Maghreb 1995 n°50 12 peut avoir de façon inconstante, un rôle déclenchant ou aggravant. 1° La maladie lupique : Nous avons recensé 104 cas de lupus dont 66 LEC et 38 formes systémiques, avec une nette prédominance féminine dans le lupus aigu, et un âge moyen de 37 ans. Chez tous les malades, les lésions qui débutent à la saison ensoleillée, intéressent préférentiellement les parties découvertes, mais l'intolérance à la lumière n'est retrouvée que dans : - 15 cas sur 38 de L.E.A.D. - 35 cas sur 66 de L.E.C. Ce qui est à peu près conforme aux données de la littérature (1). 2° Dermatoses bulleuses auto-immunes (3, 5, 6). Dans la littérature, des pemphigus et pemphigoïdes bulleuses induits par la PUVA ont été rapportés. De même des bulles ont été obtenues expérimentalement en peau saine par irradiation UVB à forte dose. Sur une série de 234 dermatoses bulleuses auto-immunes (P : 170, P.B. : 64 cas), nous avons noté que l'exposition solaire a eu un rôle déclenchant dans 1 cas et aggravant dans 3 cas avec la survenue de poussées bulleuses chez des patients jusque là équilibrés. Depuis nous conseillons l'éviction solaire à nos malades. 3° L'acné vulgaire 221 cas : Chez nos patients âgés de 12 à 35 ans, la durée moyenne d'évolution est de 4 ans. Nous retrouvons la notion d'amélioration transitoire elle était suivie d'un phénomène de rebond à l'automne, qui s'explique par l'hyperkératose induite par les U.V. (1, 2). 4° La rosacée 34 cas : En ce qui concerne la rosacée, nous notons une nette prédominance féminine et un âge moyen de 42 ans.La plupart de nos patients signalent une sensation de brûlure après exposition solaire. Selon "AMBLARD" il s'agirait d'une photosensibilité "subjective" non confirmée par les explorations paracliniques (1). 5° Le psoriasis 1 cas : est le prototype même de la dermatose photo améliorée (2). Sur une période de 14 ans, nous avons observé 1 seul cas de psoriasis érythrodermique aggravé par l'exposition solaire et notamment la P.U.V.A. Certains auteurs assimilent le phototraumatisme solaire à un phénomène de KOEBNER. Médecine du Maghreb 1995 n° 50 BENNOUNA-BIAZ, OURHROUIL M., SENOUCI K., HASSAM B., EL BAKKALI A., BENYOUSSEF K. 6° L'herpès récurrent labial (33 cas) : Dans notre série, l'herpès labial touche avec prédilection l'homme jeune. Nos patients signalent des récurrences solaires et six d'entre eux présentent une complication à type d'érythème polymorphe dans les 15 jours suivant la récurrence. Les poussées d'herpès labial sont souvent déclenchées par une exposition solaire riche en U.V.B. (1, 2). Photomatoses génétiques (49 cas) Dans ces maladies génétiques, la photosensibilité est liée à une déficience du système naturel de photoprotection (défaut de réparation de l'ADN, anomalie de formation et de distribution de la mélanine, ou déficience non encore identifiée comme dans les poïkilodermies. 1° Xéroderma pigmentosum : arrive en tête de file avec 25 cas. La classique prédominance masculine est retrouvée avec 16 garçons et 9 filles. La moyenne d'âge est de 8 ans. La notion de consanguinité n'est notée que dans 15 cas sur 25. Dans notre série, la photosensibilité constante se manifeste dès les premiers mois de la vie, par un érythème des régions découvertes et une photophobie. Progressivement s'installe l'état poïkilodermique et les tumeurs débutent dans 3 à 4 ans. Le pronostic demeure sévère malgré l'éviction solaire. Un seul enfant a été amélioré par l'ETRETINATE (4). Ce dernier prévient la dégénérescence en épithélioma mais pas les mélanomes malins. 2° Le vitiligo (2, 9) qui n'est génétique que dans 1/3 des cas, arrive en deuxième position avec 14 cas féminins et 5 masculins, âgés de 2 à 60 ans. La photosensibilité est constante au niveau des plages achromiques. Le soleil joue un rôle déclenchant, mais surtout révélateur de l'affection en accentuant le contraste entre la peau atteinte qui ne bronze pas, et la peau normale qui fonce. La P.U.V.A s'est avérée décevante. 3° L'albinisme occulo-cutané (1, 2, 9) Nous n'en avons observé qu'un seul cas, chez un garçon de 8 ans présentant une hypochromie généralisée congénitale cutanée, pilaire, oculaire et une extrême sensibilité à la lumière. LES PHOTODERMATOSES 4° Le piébaldisme 1 cas chez une femme de 32 ans, à peau brune, porteuse d'une mèche frontale, et de macules hypochromiques des 4 membres (1, 2, 9). 5° Poïkilodermie de THOMSON : 1 cas, chez un jeune de 14 ans, issu d'un mariage consanguin, présentant depuis l'âge de un an des lésions érythémateuses du visage et des oreilles après exposition solaire. Progressivement, s'est constituée une poïkilodermie avec kératodermie palmo-plantaire, des ongles épaissis et une pelade décalvante totale. Par ailleurs l'examen ophtalmologique est normal et le bilan biologique sans particularité. Il s'agit d'une anomalie en rapport avec un déficit du système de photoprotection cutanée non encore identifié (2, 9). 6° Poïkilodermie de KINDLER (2, 9) 2 cas chez 2 frères de 6 et 8 ans, de parents consanguins, et qui présentent dès l'âge de 2 ans : - une poïkilodermie généralisée progressive, - des éruptions bulleuses du dos des mains et pieds s'atténuant avec l'âge, - une KPP, des dystrophies unguéales et dentaires, - ainsi qu'une photosensibilité marquée avec même photophobie chez le benjamin, qui a par ailleurs une atteinte oculaire à type de glaucome congénital. Photodermatoses métaboliques (12 cas) Ici, la photosensibilité est liée à l'accumulation dans la peau d'un chromophore endogène, secondaire à un déficit enzymatique congénital (porphyries) ou acquis (pellagre). 1° La P.C.T. (1, 2) : Quatre cas de PCT ont été recensés chez 3 hommes et 1 femme, âgés en moyenne de 52 ans. La notion d'éthylisme est signalée chez 3 patients et le bilan hépatique perturbé dans 3 cas dont un avec cirrhose. Sur le plan clinique, la photosensibilité s'exprime par des bulles des zones insolées, après une exposition souvent modérée, dans un contexte de fragilité cutanée majeure. Les patients présentent en outre, une hypertrichose temporomalaire, une pigmentation brunâtre du visage, des urines porto (1, 9). 2° Pellagre et érythème pellagroïdes (1, 9) La pellagre et les érythèmes pellagroïdes, liés à une carence polyvitaminique (vit. PP, B1, B2, B6, tryptophane) ne sont pas exceptionnels au Maroc. Nous avons observé 8 cas, 13 dont 6 femmes et 2 hommes, d'origine essentiellement rurale, et ayant un âge moyen de 40 ans. Une pathogénie associée à type d'hypoparathyroïdie est notée dans un cas. La symptomatologie clinique, qui évolue par poussées printanières et estivales et associe une triade caractéristique à savoir : - une diarrhée, - des troubles neuro-psychiques d'intensité variable, - et un érythème sombre, plus ou moins prurigineux de la face, du dos des mains et des pieds, nettement délimité par les vêtements, et laissant la place à une peau atrophique, pigmentée et squameuse. Les étiologies sont : - carentielles : alimentaires, éthylisme, malabsorption, anorexie mentale. - médicamenteuses : (INH, Ethionamide, 5FU, Paracétamol, Hydantoïnes). Dermatoses par agents photosensibilisants Elles résultent de l'action combinée d'un agent chimique photosensibilisant (topique ou systémique) et du rayonnement solaire. 84 cas ont été recensés, avec une nette prédominance féminine, et un pic de fréquence entre mai et octobre. Les tableaux cliniques observés sont très diversifiés allant : - de l'érythème à type de coup de soleil, - à l'eczéma aigu avec photosensibilité, - aux lésions pseudolupiques, - voire des dermites pigmentaires, notamment en breloque, - ou la photo-onycholyse. Le siège des lésions intéresse essentiellement le visage, le décolleté, parfois également les extrémités. Quant aux agents incriminés : - Il s'agissait de topiques dans 73 cas : cosmétiques, par fums, produits capillaires traditionnels (citron, goudron), peroxyde de benzoyle, trétinoine, filtres solaires, - et de produits systémiques dans 11 cas : Péni., Sulfamides, AINS, Aspirine, chimiothérapie (action photo toxique ou photoallergique). Lucites idiopathiques (2, 7, 9) restent exceptionnelles au Médecine du Maghreb 1995 n° 50 BENNOUNA-BIAZ, OURHROUIL M., SENOUCI K., HASSAM B., EL BAKKALI A., BENYOUSSEF K. 4 Maroc. Nous avons observé 1 seul cas d'hydroa vacciniforme chez un garçon de 10 ans, présentant après exposition solaire, des poussées de vésicules ombiliquées des pommettes, des oreilles, laissant des cicatrices varioliformes indélébiles. Le traitement est à base d'A.P.S. ou Bêta-carotène P.U.V.A ou mieux UVB, pour les formes sévères (7). Les sièges électifs sont les zones photoexposées, et la durée moyenne d'évolution avant diagnostic est de 6 mois. Cependant, l'incidence du mélanome en Ecosse reste 5 fois plus élevée qu'aux USA alors que l'ensoleillement est moindre. Ceci suggère le rôle d'autres facteurs que le soleil (10). CONCLUSION Cancers cutanés Les cancers cutanés n'entrent pas dans le cadre des photodermatoses à proprement parler, mais l'action cancérigène des UV étant actuellement parfaitement démontrée, il nous a paru intéressant de les citer. Sur un total de 196 cancers nous avons noté : 1° Carcinomes basocellulaires : 95 cas, avec une nette prédominance masculine, un âge moyen de 58 ans et un siège quasi exclusif à la tête. 2° Carcinomes spinocellulaires 78 cas. Ils touchent électivement l'homme âgé (M : 60 ans) et de plus en plus intéressent le visage sur kératose actinique notam ment. 3° En revanche le naevocarcinome est l'apanage de la femme jeune. La grande diversité clinique des photodermatoses explique la difficulté du diagnostic en l'absence d'examens photobiologiques. Leur augmentation de fréquence dénote certes d'une modification dans notre mode de vie mais également de notre environnement : altération de la couche d'ozone atmosphérique, et présence de nombreuses molécules photo-sensibilisantes. Aussi en l'absence d'une thérapeutique efficace, devons nous mettre l'accent sur la prévention à savoir la photo-protection externe, qui n'appartient plus au domaine de la cosmétologie, mais s'inscrit actuellement dans le domaine de la médecine préventive et curative. BIBLIOGRAPHIE 1 - AMBLARD P. Dermatoses avec photosensibilité Rev. de Prat. 1992, 42, 11, 1365-68 (monographie). 2 - BEANT J.C., AMBLARD P. Pathologie cutanée à la lumière. E.M.C. Derm., 1990, 12240A10. 3 - CASTENET Formes cliniques atypiques des pemphigoïdes bulleuses. Ann. Derm. Ven., 1990, 117, 73-82. 4 - CESARINI J. Structure et fonction du système pigmentaire. In Prunieras. Précis de Cosmétologie Dermatologique, 1989, 2ème édition. 6 - DESCHAMPS P. Photoinduction of lesions in patient with Pemphigus erythematosus. Médecine du Maghreb 1995 n° 50 Photodermatology, 1984, 1, 38-41. 6 - IMAIZUMI T. Un cas de pemphigus vulgaire prédiction pour les régions exposées. Ann. Derm. Ven., 1985, 959-64. 7 - JEANMOUGIN Soleil et peau. Rev. de Prat., 1992, 42, 11, 1333-35. 8 - LOESHE C. Agents photosensibilisants exogènes. In Rev. de Prat., 1992, 42, 11, 1359-63. 9 - THOMAS P., AMBLARD Photodermatologie et photothérapie, 1988, Masson, Paris. 10 - 52EME RÉUNION ANNUELLE DE L'ACADÉMIE AMÉRICAINE DE DERMATOLOGIE. San Francisco (USA), 30 juillet-3 août 1994.