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les grands interprètes
54 ème édition
Leif Ove Andsnes piano
Vendredi 11 décembre 2015 - Auditorium de Lyon
programme
Première partie
Jean SIBELIUS (1865 - 1957)
Kyllikki : 3 pièces lyriques opus 41
n° 1. Largamente - Allegro
n° 4. Andantino
n° 5. Comodo
Suite Les Arbres opus 75
n° 4. Le bouleau n° 5. l’épicéa Cinq Esquisses pour piano opus114
n° 3. Metsälampi (Le lac de la forêt)
n° 4. Metsälaulu (Le chant de la forêt)
n° 5. Kevätnäky (Vision printanière)
Ludwig van BEETHOVEN (1770 - 1827)
Sonate pour piano n° 18 en mi bémol majeur
opus 31 n° 3 La Chasse
1. Allegro
2. Scherzo : Allegretto vivace
3. Menuetto – Moderato e grazioso
4. Presto con fuoco
Deuxième partie
Claude DEBUSSY (1862 - 1918)
Estampe pour piano n° 2 : La soirée dans Grenade 3 Etudes pour piano
n° 7 . Pour les degrés chromatiques
n° 11. Pour les arpèges composés n° 5. Pour les octaves Frédéric CHOPIN (1810 - 1849)
Impromptu n° 1 en la bémol majeur opus 29
Nouvelle Etude n° 2 en ré bémol majeur
Nocturne pour piano n° 4 en fa majeur opus 15 n° 1
(Andante cantabile)
Ballade pour piano n°4 en fa mineur opus 52
S
i Jean Sibelius est particulièrement connu pour son concerto pour
violon, ses sept symphonies et ses nombreuses pièces orchestrales
dont Finlandia, qui deviendra le second hymne finlandais, il l’est
nettement moins pour son œuvre pour piano.
Imprimez avec virtuosité...
Jean Sibelius et Edvard Grieg sont les deux principaux représentants de
la musique scandinave. L’extrême longévité de Sibelius (il est mort à 92
ans) lui a permis de vivre et de participer à la transition entre la musique
post romantique et la musique moderne effectuée dans les premières
années du vingtième siècle. Il contribuera lui-même à ce changement
en créant une musique très personnelle et suivant ses propres règles.
Dans cette époque foisonnante de nombreux compositeurs explorent de
nouvelles voies et de nouvelles esthétiques. C’est le cas de Debussy, de
Stravinsky, de Prokofiev, de Bartók, de Szymanowski et bien sûr de la
Nouvelle école de Vienne représentée par Schönberg, Berg et Webern.
Dans les compositions Jean Sibelius s’inspire largement de la Finlande
et de ses légendes.
Même s’il fût admiratif des musiques de Wagner, Mahler, Debussy ou
Schönberg, il composera une musique originale fortement empreinte
de ses racines nordiques. Sa musique demeure très largement tonale,
au langage direct allant à l’essentiel en la débarrassant de toute note
superflue, préférant à l’instar de Debussy l’aphorisme et la suggestion au
développement démesuré.
Si l’œuvre pour piano de Sibelius n’est pas aussi importante que son
œuvre orchestrale, elle n’est cependant pas négligeable. Tout au long
de sa vie, Sibelius écrira près de cent trente miniatures pianistiques.
Ces pièces se rapprochent par leur esprit et leur structure des pièces
lyriques de Grieg non seulement par leur brièveté, mais aussi par leur
côté intime, leur poésie et leur force descriptive. Dans son œuvre pour
piano, Sibelius montre un autre aspect de son génie créatif car autant ses
œuvres orchestrales sont imposantes et dramatiques, autant ses œuvres
pour piano sont légères et sereines.
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Les trois pièces intitulées «Kyllikki» ont été composées en 1904. Elles
sont inspirées par une légende finlandaise que Sibelius avait déjà utilisée
en 1893 dans sa suite orchestrale «Les légendes de Lemminkäinen» opus
22 dont la seconde intitulée «Le cygne de Tuonela» est l’une des pièces
maîtresse de l’œuvre de Sibelius. Kyllikki est le nom d’une jeune fille
des îles enlevée par Lemminkäinen. Après s’être marié avec Kyllikki,
il l’abandonnera pour prendre une nouvelle épouse. L’œuvre débute
dans une atmosphère pesante et menaçante avec un thème récurrent.
L’Andantino débute par une mélodie populaire au caractère mélancolique
qui se dramatise au fur et à mesure de l’évolution de la pièce. Le dernier
mouvement adopte un ton beaucoup plus léger que la partie centrale
vient passagèrement obscurcir.
En 1914 Sibelius compose une suite de cinq pièces pour piano intitulée
«Les arbres» car chacune de ces pièces lyriques portent un nom d’arbre :
Outre le bouleau et l’épicéa, figurent aussi dans le recueil, le sorbier,
le sapin (solitaire) et le tremble. Bien évidemment Sibelius décrit
musicalement des arbres typiques de la végétation scandinave. A ces cinq
pièces devait à l’origine figurer une sixième (le serynga) que Sibelius a
préféré orchestrer et publier sous le titre de «Valse lyrique». Trois ans plus
tard Sibelius composera une série similaire sur le thème des fleurs.
Les cinq esquisses opus 114 sont des pièces tardives et les dernières pièces
pour piano composées par Sibelius. Elles datent de 1929 et là encore
le compositeur offre une description musicale saisissante de la nature
scandinave (lacs, paysages, forêts etc.). Cette série de pièces lyriques d’une
grande inspiration s’achève par une œuvre empreinte d’un optimisme et
d’une juvénilité assez inattendue chez un compositeur d’âge mûr. Cette
pièce intitulée «Vision printanière» célèbre en quelque sorte le renouveau
de la nature et de la vie.
A
vec Beethoven nous ne quittons pas le caractère pastoral des
pièces de Sibelius, même si le langage et la structure de la dixhuitième sonate sont très différents. En effet cette sonate fait elle
aussi allusion à la nature et bien que Beethoven ne lui ait pas donné de
titre, on la surnomme parfois «La Caille» (en raison des trois premières
notes du premier mouvement rappelant le cri du volatile) ou «La
Chasse» (à cause du thème du dernier mouvement rappelant par son
allure haletante une scène de chasse).
Cette sonate est la dernière d’un corpus de trois sonates éditées sous le
numéro d’opus 31. Elles datent de l’année 1802 qui fut particulièrement
éprouvante pour Beethoven. A cette époque le compositeur ne peut
plus cacher sa surdité et s’isole du monde à Heilligenstadt, dans les
environs de Vienne. Il y écrira une lettre destinée à ses frères (et jamais
envoyée) connue sous le nom de «Testament d’Heiligenstadt» où
il explique l’état de détresse dans lequel il se trouve plongé suite à sa
surdité désormais totale et à sa séparation douloureuse avec Giulietta
Guicciardi. Beethoven, au bord du suicide trouve néanmoins le réconfort
dans la création musicale. Les trois sonates opus 31 sont très importantes
car elles se trouvent à une période charnière du langage beethovénien,
pulvérisant les règles académiques imposées par la période classique. Il
élargit la forme, joue avec les instabilités rythmiques, prend de grandes
libertés avec les rapports dans les tonalités etc.
Il est probable que si la surdité handicape Beethoven dans sa vie sociale, en
revanche elle l’oblige à concevoir cérébralement ses compositions. Ainsi il
peut par son esprit abolir toutes les limites imposées par les conventions
musicales de l’époque et aussi composer des œuvres allant bien au delà
des possibilités des instruments de l’époque alors techniquement limités.
La troisième sonate opus 31 ne porte d’ailleurs en elle aucune mélancolie
morbide mais témoigne plutôt d’une joie et d’une vitalité retrouvées.
Le premier mouvement est très pastoral et malgré la présentation
de thèmes gracieux et légers il s’appuie sur une instabilité rythmique
permanente faite de brusques accélérations et de ruptures de tempo
en opposant les hésitations à une énergie rythmique irrépressible. On
constate aussi une indécision tonale due aux multiples modulations
parcourant le mouvement. Celle-ci va de pair avec l’emploi des nombreux
motifs fugaces qui parsèment le mouvement.
Si Beethoven appelle le second mouvement «Scherzo» il n’en a cependant
pas la structure puisqu’il est dépourvu de Trio central. Cependant le
terme de Scherzo est totalement adapté à l’esprit espiègle et humoristique
du mouvement renforcé par son accompagnement staccato de doubles
croches. Là encore on trouve à de multiples reprises une indécision
harmonique que Beethoven utilise à dessein pour conférer à sa musique
un côté comique à la manière de gags musicaux.
Bien que la sonate ne comporte pas à proprement parler de mouvement
lent, le «Menuetto» est certainement celui qui s’en approche le plus. Cette
page est la plus poétique de l’ouvrage qui tranche par son lyrisme et sa
poésie avec les deux mouvements agités qui l’encadrent. Son mouvement
central (Trio) est d’une grande originalité par son côté statique qui
introduit dans ses accords plaqués une dissonance au sein de la mélodie
qui semble figer la progression de la pièce.
Le dernier mouvement «presto con fuoco» rappelle une scène de chasse
avec l’imitation du cor. Le thème de la chasse a été repris très souvent
en musique des quatre saisons de Vivaldi en passant par Scarlatti ou
la Chasse Sauvage de Franz Liszt. Ici, Beethoven malgré le thème qui
l’inspire en fait une œuvre très humoristique et enjouée. Tout au long
du mouvement Beethoven utilise un rythme de tarentelle haletant dont
l’emballement rageur ne laisse aucun répit jusqu’à sa brillantissime et
énergique conclusion.
D
ebussy passera la quasi totalité de sa vie à Paris, qu’il ne quitte
que pour des raisons professionnelles, prendre quelques
vacances, ou fuir les rigueurs des guerres (1870 - 1914/18).
Il avoue se sentir mal à l’aise avec les étrangers (de préférence s’ils sont
allemands). Dans sa jeunesse il adorait visiter des pays nouveaux et se
confronter à de nouvelles cultures. Ainsi, en 1880 il sillonnera l’Europe
avec Madame von Meck, en qualité de professeur de piano de ses enfants.
Ils parcourent ainsi l’Italie, la Suisse et la Russie. De 1885 à 1887, il fera
ensuite un long séjour dans la capitale italienne, suite à l’obtention du
Prix de Rome et ira par deux fois à Bayreuth se confronter aux opéras de
Wagner. Entre 1900 et 1910, il fera quelques incursions en Angleterre et
sur l’Ile de Jersey (pour son voyage de noces), en Belgique, en Autriche
et en Hongrie. A partir de 1910, et jusqu’à sa mort, la maladie l’oblige à
se sédentariser et demeurer dans son appartement parisien.
En fait Debussy préfère «voyager» intérieurement depuis son bureau. Il y
accumule de nombreux objets, des photos, estampes, bibelots divers qui
nourrissent son inspiration, et lui permettent de recréer des mondes et
des pays qui lui sont inconnus. L’Exposition Universelle de Paris en 1889
lui ouvrira de larges horizons et lui permettra d’accéder à des cultures
lointaines. Il sera particulièrement intéressé par les Pavillons orientaux
(Inde – Java - Bali – Japon) où il entendra des instruments aux sonorités
insolites comme les gamelans javanais et balinais. Ces instruments lui
inspireront des pièces comme «Pagodes», « La terrasse des audiences au
clair de lune» ou «Et la lune descend sur le temple qui fut».
Son esprit inventif va même jusqu’à lui permettre de se représenter
musicalement des lieux qu’il n’a jamais visités comme «les collines
d’Anacapri» vers Naples ou encore imaginer l’âme des habitants d’un
pays comme il le fera avec «Soirée dans Grenade», alors qu’il n’ira jamais
en Espagne.
Avec les Estampes, composées en 1903, Debussy crée musicalement sa
propre conception de certaines lieux ou contrées que ce soit de simples
jardins (sous la pluie) aux environs de Paris aux lointaines Pagodes
d’Extrême-Orient en passant par une Espagne revisitée par ses soins, un
pays qui le fascine bien qu’il n’y soit jamais allé.
Ecrite sur un rythme de Habanera, la «Soirée dans Grenade» nous
transporte en Andalousie. Debussy ne cherche pas à faire une œuvre
descriptive mais il tente de décrire musicalement l’atmosphère magique
et sensuelle de ce pays, ainsi que le caractère abrupt et fataliste de ses
habitants. Debussy fait plus que de décrire des lieux ou des personnages,
il donne sa propre conception de l’âme espagnole caractérisée par
ses oppositions. Ainsi, on retrouve dans cette œuvre des rythmes
alternativement lascifs et rebelles, des harmonies rugueuses ou
abandonnées. Debussy, qui recréera «son Espagne» en composant des
pièces comme Iberia, La puerta del vino ou la Sérénade Interrompue
ne fera que forcer l’admiration de compositeurs espagnols authentiques
comme Albéniz ou de Falla.
Les douze études de Claude Debussy ont été composées en 1915,
trois ans avant la mort du compositeur. Elles sont dédiées à Chopin,
vraisemblablement en mémoire des vingt-quatre études composées
par ce dernier et que Debussy a dû étudier avec Antoinette Mauté de
Fleurville, son premier professeur de piano qui se prétendait être une
élève de Chopin, puis au Conservatoire de Paris. Cependant, on ne
peut croire un instant que Debussy ait composé à la toute fin de sa vie
ces pièces dans un but purement didactique, tant elles sont innovantes,
modernistes et correspondent à l’aboutissement de son langage.
Contrairement à Chopin qui, malgré une inspiration débordante
cherche à traiter dans ses études des problèmes pianistiques spécifiques,
ceux-ci ne sont pour Debussy que des prétextes à l’élaboration de pièces
n’entrant dans aucun moule connu. Debussy s’attache beaucoup plus à
régler dans ses études un problème sonore particulier. Si les études de
Chopin sont de parfaits outils de travail à vocation didactique, celles
de Debussy semblent être à l’usage de musiciens ayant déjà une totale
maîtrise de l’instrument tant au niveau sonore qu’au niveau technique.
Par rapport aux compositions pianistiques précédentes (Images,
Préludes), on sent une évolution marquante dans le style de Debussy.
Si l’on s’en réfère aux courants picturaux, on peut dire que pendant
cette dernière période créatrice, Debussy passe de l’Impressionnisme à
l’Abstraction.
André Boucourechliev décrit admirablement les dernières œuvres
pianistiques de Claude Debussy : «Il ne compose plus avec des notes,
mais avec des sons. Chaque son, est un nuage de notes, une constellation
où scintillent des étoiles de diverses grandeurs». Boucourechliev définit
les études de la façon suivante : «Dans les études, Debussy semble tout
inventer :
Le langage harmonique n’y connaît de principes, que ceux qu’il donne
à l’instant.
L’harmonie tonale n’est là que «pour mémoire», fragile et fantomatique.
Le rythme est d’une richesse d’une complexité, et d’une efficacité
fabuleuse annonçant les recherches de notre époque.
La forme de chaque étude est étrangère à tout canevas préexistant,
dépourvue de toute symétrie.
Les procédés thématiques classiques y sont pour ainsi dire abolis».
L’Etude n° 7 «Pour les degrés Chromatiques» (Livre 1 n° 7) : Debussy
crée ici des guirlandes de sons chromatiques jouées très rapidement sans
que l’auditeur ne puisse physiologiquement discerner chaque note jouée.
Ce sentiment est accru par les chromatismes qui abolissent toute notion
tonale. L’auditeur perçoit une matière sonore extrêmement mouvante en
perpétuel renouvellement.
L’Etude n° 11 «Pour les arpèges composés» (Livre 2 n° 5) : Comme
l’indique André Boucourechliev, «le piano ne sonne plus comme
un instrument à marteaux, mais comme une source sonore nouvelle,
inconnue, dont les fluides irisés se mêlent les uns aux autres dans leur
ruissellement ininterrompu».
L’Etude n° 5 «pour les octaves» (Livre 1 n° 5) : Tout comme la troisième
étude «pour les quartes» elle est construite sur l’intervalle qui la définit.
L’écriture de cette étude est très rigoureuse dans le détail, (puisque
pratiquement aucun son ne s’écarte de l’intervalle en question), mais en
contrepartie il ressort de l’ensemble une très grande liberté. L’étude évolue
dans un climat à la fois heurté et discontinu où le ton est extrêmement
violent et contrasté.
P
oursuivant la voie ouverte par Franz Schubert, Chopin compose
à son tour quatre Impromptus entre 1835 et 1842. Le premier
Impromptu opus 29 a été composé en 1837 et donne par sa
fluidité et sa grande fraîcheur mélodique, la sensation d’une véritable
improvisation. La pulsion de l’œuvre est donnée par de volubiles triolets
joués aux deux mains. L’impromptu opus 29 adopte la forme du Lied,
ce qui permet à Chopin d’écrire dans la section centrale (Sostenuto) une
mélodie à la fois noble et méditative dont le rythme se stabilise puisqu’il
repose de façon ostensible sur les quatre temps. Après la reprise du
premier motif en triolets, l’Impromptu s’achève de façon remarquable
par une série d’accords (ascendants sur quatre notes) de plus en plus
distendus, jusqu’aux trois ultimes accords identiques joués pianissimo,
où les valeurs des notes (deux blanches sur l’avant dernière mesure – une
ronde sur la dernière) semblent étirer le temps.
Outre les vingt-quatre Etudes pour piano réparties en deux cahiers de
douze (opus 10 & 25) Chopin a composé vers 1840 trois «nouvelles
études» sans numéro d’opus destinées à être publiées dans le recueil
à vocation pédagogique d’Ignaz Moscheles intitulé la «méthode des
méthodes». La seconde étude porte sur un problème technique très
particulier : celui de l’indépendance des doigts dans une même main car
pendant que la partie supérieure de la main droite joue les notes liées, la
partie inférieure les joue staccato. Fort heureusement la main gauche se
contente de soutenir harmoniquement la main droite sans apporter de
nouveaux problèmes à cette pièce d’une incroyable difficulté d’exécution.
Le terme de «Nocturne» a largement évolué entre le dix-septième siècle où
il est utilisé en Europe centrale pour désigner une pièce instrumentale ou
vocale jouée en extérieur (sorte de sérénade) et le dix-neuvième siècle où
John Field en fait vers 1815 une pièce pour piano empreinte de nostalgie,
au caractère intime. Si Field fait de ses nocturnes de charmantes pièces
sentimentales à la fois libres et lyriques, Chopin donnera ses lettres de
noblesse au Nocturne en conservant le cadre adopté par son aîné, mais
en dramatisant largement le propos. A l’époque de Chopin, le Nocturne
se joue dans les salons, lui conférant ainsi une intimité propice à la
méditation, au mystère et au rêve. Chopin peut ainsi exprimer dans
l’atmosphère feutrée d’un environnement à ses dimensions ses émotions
les plus personnelles et les plus profondes.
Chopin écrira vingt et un nocturnes composés tout au long de son
existence, le premier datant de 1827 (opus 72 n°1), alors que les derniers
(opus 62) datent de 1846, soit trois ans avant sa mort.
Le quatrième Nocturne opus 15 n° 1, composé en 1830/31 fait partie
d’un groupe de trois dédiés à Ferdinand Hiller. Comme il le fait souvent
dans ses Nocturnes, Chopin adopte ici une structure tripartite (A – B – A)
qui rappelle celle du lied ou des airs d’opéra italien dont il était un grand
amateur. D’un lyrisme débordant, le Nocturne en fa majeur joue sur le
contraste entre la véhémence dramatique du thème central et la douceur
et la simplicité du motif qui l’encadre. Ecrit dans un tempo relativement
modéré (Andante cantabile), le premier thème évolue paisiblement
de façon presque improvisée et rêveuse. Cette tendre quiétude se
trouve sensiblement perturbée par une partie centrale beaucoup plus
mouvementée et tragique (Con fuoco) ou un déferlement de doubles
croches accompagnent un thème angoissant. La quiétude revient lors de
la reprise du premier thème que Chopin agrémente de légères et subtiles
ornementations qui en renouvellent l’écoute en donnant (faussement)
une impression d’improvisation et de liberté d’exécution.
Au dix-neuvième siècle, à l’instar de celles composées par Karl Loewe, la
Ballade est une pièce vocale à caractère épique ou sentimental. Chopin
sera le premier à faire de la Ballade une pièce instrumentale (sans pour
autant reposer obligatoirement sur un texte précis). Il sera suivi quelques
années après par Liszt et Brahms.
Chopin a composé ses quatre Ballades en une dizaine d’années, de 1831
à 1842. Il est d’ailleurs délicat de déterminer avec précision la période de
pure composition, entre le temps des premières ébauches de la Première
Ballade en 1831 à la publication de la Quatrième en 1843. Pendant
cette décade, Chopin est en pleine possession de ses moyens techniques,
son langage est totalement abouti et son inspiration est à son zénith.
Ces quatre pièces tiendront une place importante dans sa production
pianistique, compte tenu de leur ampleur mais aussi de leur densité.
Elles évoluent dans un langage très lyrique, souvent dramatique, tout
en conservant une grande liberté formelle. Ces Ballades combinent
subtilement des formes utilisées précédemment par Chopin comme la
variation, le Lied ou encore le Rondo.
La Quatrième Ballade en fa mineur a été composée en 1842 et est dédiée
à Charlotte de Rothschild. Elle échappe à tout cadre formel car Chopin
fait cohabiter la forme sonate, le rondo mais également la variation.
Cette quatrième Ballade est assurément le chef d’œuvre du corpus
(même si la concurrence est rude) car elle possède non seulement une
richesse polyphonique et une densité musicale jusqu’alors inégalée, mais
elle contient également une charge émotionnelle démesurée. La Ballade
en fa mineur est sur un plan pianistique la plus longue et la plus difficile
techniquement des quatre pièces. Elle évolue dans un climat mystérieux
et tourmenté, tout en demi-teintes, rendant son interprétation
redoutable. Après une courte et hésitante introduction de sept mesures,
un premier thème aux accents dramatiques évolue librement sous forme
de courtes variations, avec plusieurs retours sur soi, et progressant
avec des harmonies fluctuantes mêlées à des ornementations en forme
d’arabesques. Le second thème, qui apparaît de façon presque fugace, est
beaucoup plus tendre et apaisant. Il sera suivi par le retour du premier
thème dans de nouveaux développements parfois très rigoureux (comme
cette variation en forme de canon). Le second thème fera une brève
réapparition dans un passage fortement dramatisé et anxieux. La pièce
s’achève par une coda d’une violence ahurissante, qui accroît encore le
sentiment tragique et épique qui plane sur toute la pièce. Contrairement
à la première Ballade où Chopin construit sa pièce en opposant les
thèmes pour en souligner tout le dramatisme, la quatrième Ballade
semble au contraire fusionner les différents motifs thématiques comme
pour en décupler leur effet par leur union.
Jean-Noël REGNIER
Leif Ove Andsnes
Pour le New York Times, Leif Ove Andsnes est «un pianiste d’une
élégance, d’une puissance et d’une intelligence exceptionnelles». Avec
sa technique magistrale et ses interprétations pénétrantes, le célèbre
pianiste norvégien triomphe dans le monde entier, considéré comme
«l’un des musiciens les plus doués de sa génération» par le Wall
Street Journal. Il donne des récitals et joue des concertos dans les plus
grandes salles de concert au monde, avec les plus prestigieux orchestres.
Andsnes est également actif en studio. Chambriste passionné, il a été
co-directeur musical du Festival de musique de chambre de Risør en
Norvège pendant près de vingt ans, et directeur musical du Festival de
musique d’Ojai en Californie en 2012. Il a été admis au Gramophone
Hall of Fame en juillet 2013.
La saison 2014-15 a été l’ultime étape du projet «Beethoven Journey» de
Leif Ove Andsnes, consacrées aux concertos pour piano du grand
compositeur. Avec le Mahler Chamber Orchestra, fidèle compagnon
de voyage depuis le début du projet, Andsnes – qui dirige l’orchestre
depuis le piano - a donné l’intégrale des concertos de Beethoven au
cours de prestigieuses résidences à Bonn, Hamburg, Lucerne, Vienne,
Paris, New York, Shanghai, Tokyo et London. Par ailleurs, certains
concertos étaient au programme de prestations à Boston (dans le cadre
des «Celebrity Series») et dans les plus grandes salles d’Europe et d’Asie.
Également placées sous le signe de Beethoven, Leif Ove Andsnes a
interprété les concertos pour piano du compositeur avec des phalanges
de renommée mondiale : le Los Angeles Philharmonic (dir. Gustavo
Dudamel), le San Francisco Symphony (dir. Michael Tilson Thomas),
le London Philharmonic (dir. Osmo Vänskä), et le Philharmonique
de Munich (dir. Thomas Dausgaard). La saison dernière, outre les
nombreux engagements liés au projet «Beethoven Journey», Andsnes
a effectué une tournée de récitals en soliste dans 19 villes aux ÉtatsUnis, en Europe et au Japon. Il a présenté un programme entièrement
dédié à Beethoven au Carnegie Hall de New York, à Boston, Londres,
Vienne, Berlin, Rome, Tokyo, et la liste est loin d’être exhaustive.
Le partenariat entre le pianiste et le Mahler Chamber Orchestra est
au cœur du projet «Beethoven Journey». La nouvelle saison verra la
sortie du troisième et dernier enregistrement de la série The Beethoven
Journey, sous le label Sony Classical. Le cycle s’achève ainsi avec le
cinquième concerto, dit «L’Empereur», et la «Fantaisie chorale» de
Beethoven. La série connaît déjà un succès retentissant : le premier
CD, consacré au premier et au troisième concertos, fut nommé
Meilleur album instrumental 2012 par iTunes et reçut le Prix
Cæcilia (Belgique). Quant au deuxième CD, associant les deuxième et
quatrième concertos, le journal britannique Telegraph en a fait l’éloge
en ces termes : «Un monument d’intégrité artistique, d’intelligence, et
de vision musicale.»
Le projet «Beethoven Journey», qui est parrainé par la Stiftelsen
Kristian Gerhard Jebsen, fondation établie à Bergen pour honorer la
mémoire de Kristian Gerhard Jebsen et sa contribution au transport
maritime norvégien et international, a trouvé son point d’orgue au
cours de la saison 2014-2015, quand Andsnes et l’ensemble se sont
retrouvés pour des résidences en Amérique du Nord, en Europe et en
Asie consacrées à l’intégrale du cycle. Leif Ove Andsnes enregistre désormais en exclusivité pour Sony Classical.
Sa discographie antérieure comprend plus de trente disques pour EMI
Classics – musique pour piano seul, musique de chambre, concertos
–, dont beaucoup se sont très bien vendus, couvrant un répertoire qui
s’étend de Bach à nos jours. Il a été nommé pour huit Grammys et a
reçu de nombreux prix internationaux, dont six Gramophone Awards.
Ses enregistrements de la musique de son compatriote Edvard Grieg
ont été particulièrement loués : le New York Times a nommé son
enregistrement de 2004 du Concerto pour piano de Grieg avec Mariss
Jansons et le Philharmonique de Berlin «Meilleur CD de l’année», et
le Penguin Guide lui a décerné une «Rosette» très convoitée. Comme
cet enregistrement du Concerto, son disque des Pièces lyriques de Grieg
a reçu un Gramophone Award. Son enregistrement des Concertos pour
piano nos 9 et 18 de Mozart a lui aussi été élu «Meilleur CD de
l’année» par le New York Times et distingué par une «Rosette» du
Penguin Guide. Le pianiste a remporté encore un Gramophone Award
pour les Concertos pour piano nos 1 et 2 de Rachmaninov avec Antonio
Pappano et le Philharmonique de Berlin. Une série d’enregistrements
des sonates tardives de Schubert, couplées avec des lieder chantés par
Ian Bostridge, a suscité de vifs éloges ; pour le Chicago Tribune, l’un
des disques était «une interprétation schubertienne du plus haut
niveau tout du long». Rendant compte de son CD réunissant le
premier enregistrement mondial du Concerto pour piano de MarcAndré Dalbavie et The Shadows of Silence de Bent Sørensen – deux
œuvres écrites pour le pianiste –, couplés avec le Concerto pour piano
de Lutosławski et des œuvres pour piano seul de György Kurtág, le
New York Times a salué en Andsnes «un interprète dynamique de la
musique contemporaine.»
Le pianiste s’est vu décerner la haute distinction norvégienne, le titre
de commandeur de l’Ordre royal norvégien de saint Olaf. En 2007,
il a reçu le prestigieux Prix Peer Gynt, décerné par des membres du
parlement pour honorer d’éminents Norvégiens pour leurs réalisations
politiques, sportives ou culturelles. Andsnes a également reçu le Prix
«Instrumentiste» de la Société philharmonique royale et le Gilmore
Artist Award. Saluant ses nombreuses réalisations, Vanity Fair a
nommé Andsnes l’un des «Meilleurs des meilleurs» en 2005.
Leif Ove Andsnes est né à Karmøy, en Norvège, en 1970, et a fait
ses études au Conservatoire de musique de Bergen avec le célèbre
professeur tchèque Jirí Hlinka. Au cours des quinze dernières années,
il a également reçu de précieux conseils du professeur de piano belge
Jacques de Tiège, qui, comme Hlinka, a beaucoup influencé son style
et sa philosophie de jeu. Il vit actuellement à Bergen ou, en juin 2010,
il a fait l’une des choses dont il est le plus fier à ce jour, devenant père
pour la première fois. Et en mai 2013 sa famille s’est agrandie avec
l’arrivée de jumeaux.

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