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Johan Dj ourou
d’arsenal au sénégal
noble
cause
Le défenseur
de l’équipe
de Suisse
s’est rendu au
Sénégal avec
l’association
qu’il soutient.
Un voyage
durant lequel
il a beaucoup
donné et plus
encore reçu.
Photos Karina Lidia
Texte
laurent favre
L’
pèlerinage à gorée
Johan Djourou a visité l’île de Gorée,
au large de Dakar, une ancienne plaque tournante de la traite des Noirs.
Accroupi dans la minuscule «cellule
des récalcitrants», le jeune footballeur se recueille. Il en ressortira très
marqué.
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énorme valise rose
tourne sur le tapis
roulant de l’aéroport de Dakar.
On ne voit qu’elle.
Inutile de chercher, Johan Djourou a compris: c’est un coup de
son agent, Costa Bonato. Midépité mi-amusé, il se saisit de
l’énorme et voyant bagage, effectivement enregistré à son nom. A
l’intérieur, ordinateurs, T-shirts,
ballons. Du matériel humanitaire que Djourou et Bonato,
respectivement ambassadeur et
fondateur de la Fondation suisse
Kemi-Malaïka, apportent aux
projets qu’ils supportent et financent au Sénégal.
Bavard, débordant d’énergie – et plus encore dès qu’il
foule le sol africain −, Costa
Bonato est fier de sa blague…
et de son joueur. Pour venir à
Dakar, Johan Djourou a sacrifié
l’une de ses quatre seules semaines de vacances de l’année. Le
footballeur d’Arsenal a laissé sa
petite famille à Genève, payé
son billet, voyagé en classe éco.
Il avait aussi convaincu d’autres
joueurs de l’accompagner: ses
coéquipiers Sagna et Diaby, son
compatriote Gelson Fernandes.
Las, le jour J, les deux premiers
ont été rappelés en équipe de
France, alors que Gelson
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Le voyage
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foot à
la récré
au bord
de l’eau
bain
de foule
avec le
général
Partie de foot
avec les enfants
de l’école Kalan,
Noirs et Blancs
mélangés sans
distinction.
Derrière Johan,
son agent et ami
Costa Bonato, le
créateur de la
fondation KemiMalaïka.
Scène de danse
improvisée près
de la lagune de
Somone. Ces pêcheuses d’huîtres
livrent un travail
harassant mais
ont néanmoins la
force et l’entrain
de célébrer le
jeune Suisse de
passage.
Les acteurs de la
Ligue des champions sont des
stars en Afrique.
Les enfants de
l’école publique
de Ngaparou le
font sentir avec
chaleur à Johan,
venu apporter un
chèque pour le
toit de l’école.
A l’école Kalan,
Johan Djourou
rit aux facéties
des enfants qui
miment un combat de lutte. A
ses côtés, le général Mansour
Seck, président
de l’association
Kemi-Malaïka au
Sénégal.
1
«Venir ici m’apporte
beaucoup. J’y puise
de bonnes énergies»
Photos: Karina Lidia
Johan Djourou
vole pour Kiev où l’attend un
contrat… qu’il ne signera jamais.
Alors Johan est seul. Seul avec sa
grosse valise rose. Et son agent
qui se marre.
La veille, le Genevois était
sur la pelouse de Wembley avec
l’équipe de Suisse. Dans un
milieu où vous ne portez même
pas votre sac de sport, la transition est brutale. Djourou, suivi
par une douzaine de journalistes et de caméramans anglais,
est d’abord là pour mettre sa
notoriété au service d’une noble
cause, mais aussi un peu pour se
replonger dans la vie réelle. Né à
Abidjan, arrivé en Suisse à l’âge
de 17 mois, il n’a pas de liens
personnels avec le Sénégal. «Ici,
c’est calme, on peut travailler
sur le long terme», justifie Costa
Bonato. Et d’autant mieux lorsqu’on peut compter sur place sur
l’appui de Mamadou Mansour
Seck, que la petite délégation
retrouve au contrôle des passeports. Etonnant personnage
que cet ancien chef d’état-major
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au regard rieur et à l’autorité
sereine. Ex-ambassadeur à
Washington, il reste pour tout le
pays «le général». «Il jouit d’une
excellente réputation au Sénégal,
confirme Muriel Berset Kohen,
ambassadrice de Suisse en poste
à Dakar. Sa présence est un gage
de probité.» La star, l’agent et
le général. L’histoire peut commencer.
gorée, le choc
Mais, avant, détour par Gorée. Il
n’est plus un visiteur de passage
à Dakar qui ne fasse un crochet
par cette petite île à vingt minutes de «chaloupe» (en fait un
ferry très moderne). Au temps
de l’esclavage, sa «captiverie»
n’était qu’une parmi des dizaines
d’autres sur la côte ouest-africaine. Elle est aujourd’hui un
symbole. Bill Clinton et Nelson
Mandela, notamment, sont venus
se recueillir dans cet Auschwitz de
la traite négrière. «Cette maison
des esclaves, construite en 1776,
pouvait accueillir 200 prisonniers,
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hommes, femmes, enfants, jetés
à même le sol dans des cellules
exiguës et insalubres, raconte le
conservateur, Eloi Coly, d’une
voix grave et solennelle. Ils attendaient jusqu’à trois mois le bateau
qui les expédiait en Inde, au Brésil
ou en Louisiane. Quinze à vingt
millions d’Africains ont ainsi été
déportés mais, pour un Noir sur
un bateau, six ont péri ou ont été
faits prisonniers.»
Johan Djourou écoute,
encaisse le choc. Dans la «cellule
des récalcitrants», il tente d’ima-
giner l’inimaginable… Profondément marqué, il écrit sur le livre
d’or: «Très grand moment dans
ma vie de jeune homme. Je suis
fier de mon continent.» Plus tard,
il avouera être «en colère» contre
lui-même. Il savait si peu de l’esclavage… «A mon retour, je vais
acheter des livres…»
«le monde que nous
voulons pour demain»
Mais le voyage ne fait que commencer. Direction Saly, le SaintTrop’ local, 80 kilomètres plus
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au sud. Ou plus exactement à
Ngaparou, petite commune qui
se méfie des dérives du tourisme
mais où les gens de KemiMalaïka ont été accueillis à bras
ouverts. «Je peux citer chaque
nom, parce que je les connais
personnellement depuis cinq ans,
se félicite le maire, Mamadou
Mbengue. Cette association, qui
agit de façon désintéressée et en
totale transparence, a réellement
servi Ngaparou.» Devant le
conseil communal, les délégués
de quartier, les représentantes
La fondation
Kemi-Malaïka
Un projet suisse d’aide au
développement au Sénégal.
Créée par le manager sportif romand
Costa Bonato, la fondation Kemi-Malaïka
veut offrir une scolarisation de qualité aux
enfants du Sénégal. Costa Bonato a vécu
trois ans sur place pour tisser un réseau
de relations de confiance et mettre sur
pied son projet en utilisant les compétences locales. Soutenue par Johan Djourou,
une école modèl e
la fondation recherche des donateurs
pour aider à financer la scolarité d’un ou
A Ngaparou, Johan Djourou a visité l’école Kalan, créée et finande plusieurs enfants.
cée par la Fondation Kemi-M alaïka, dont il est l’ambassadeur.
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4
des associations féminines, Johan
Djourou trouve les mots justes.
«Pour moi, il est important de
montrer que l’Afrique n’est pas
si en retard que ça. Il y a ici des
compétences et une volonté
d’avancer qui n’ont besoin que
d’un coup de pouce.» KemiMalaïka a équipé la mairie en
matériel de bureau, financé des
salles de classe et la réparation
du toit de l’école, distribué des
habits, offert des ballons de foot,
soutenu le centre de santé, payé
l’éclairage public pour que les
touristes se sentent en sécurité.
Costa Bonato veut faire
davantage. «Cet homme a un
hobby: ouvrir des écoles», ironise
le général Seck. Il en a ouvert
deux au Zaïre, qui fonctionnent
désormais en totale autonomie,
et une à Ngaparou, baptisée
Kalan. Elle éduque, à l’ombre
des manguiers, 200 élèves, dont
190 boursiers. Les standards
sont suffisamment élevés pour
que les Blancs de la région
osent y inscrire leurs enfants.
«Réunir enfants de pêcheurs et
enfants d’Européens, c’est le
monde dont nous voulons pour
demain», lance le général.
Afin que tous soient scolarisés, Costa Bonato rêve d’une
nouvelle école, plus grande, capable d’accueillir 900 enfants, riches
et pauvres mélangés. Après sept
ans de lutte, il a obtenu un terrain de 10 hectares pour bâtir son
utopie. Pour financer son grand
projet, ce drôle d’agent, qui
déclare ne pas aimer le football, a
repris son métier d’intermédiaire
et jongle au téléphone entre
Gênes, Servette, Londres et sa
famille, restée à Montreux.
«je reviendrai»
Johan Djourou l’observe, amusé,
admiratif, confiant. Prêt à se
trimballer d’autres valises roses
s’il le faut. «Venir ici m’apporte
énormément. J’y prends beaucoup de bonnes énergies.» Il
n’oubliera pas les élèves de l’école
ménagère, qui confectionnent
des gâteaux et apprennent la
couture sur de vieilles Singer à
pédale, ni les pêcheuses d’huîtres
de la lagune de Somone, qui
marchent chaque soir une heure
à travers eaux et forêt mais qui
ont encore la force de danser avec
lui sur la rive. Il n’oubliera pas
les permanents de l’association
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sur place. La gentillesse de Binta,
la jeune enseignante, le sourire
d’Alle, l’ancien gestionnaire de
stocks chez Rolex, les proverbes
improbables de Lamine («Celui
qui épouse une vieille femme doit
aller chercher du bois pour se
réchauffer l’hiver»), les souvenirs
de Jean, l’ancien pro, l’efficacité
discrète d’El-Hadj. A tous, il a
dit: «Je reviendrai bientôt.» Partout, il a promis: «Vous me verrez souvent.» A nous, Européens,
Blancs, Suisses, il demande «que
les gens fassent des dons, mais
aussi qu’ils prennent conscience
que l’Afrique est un continent
qui peut leur apporter
beaucoup». _
▶ Participer: Fondation Kemi-Malaïka,
pl. d’Armes 19, 1227 Carouge,
tél. 078 909 65 36,
IBAN: CH72 0900 0000 1266 1411 4
[email protected],
www.kemimalaika.com
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