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QUI ÊTES-VOUS ANTHONY BROWNE ? Son enfance Anthony BROWNE naît le 11 septembre 1946 à Sheffield (Angleterre). Très tôt, il partage avec son père Jack et son frère aîné Michaël la passion du dessin. Son père est boxeur professionnel, professeur de dessin, batteur de jazz… Il encourage ses fils à pratiquer les sports collectifs : rugby, football, cricket. C’est la figure paternelle qui sert d’inspiration à Anthony Browne pour ses personnages de gorilles sympathiques. « Cet homme grand et fort (…) était très physique. Et les gorilles sont un peu comme ça. Ce sont d’énormes créatures puissantes à l’aspect féroce, qui sont en fait des animaux doux, délicats et sensibles »*. Durant trois ans, Anthony BROWNE suit les cours du Leeds College of Art ; il pense devenir peintre. Sa carrière Il commence à gagner sa vie en travaillant comme artiste médical : il fait des compte-rendus d’opérations et d’autopsies peints au pastel ou à l’aquarelle. Il apprend beaucoup pendant cette période, notamment dans la façon de raconter des histoires en images. La création de cartes postales l’aide à vivre pendant quinze ans. Puis, il fait une rencontre déterminante : l’éditrice qui publiera son premier livre, Julia MacRae. Son épouse Jane, musicienne et artiste, a illustré trois albums : La marâtre, Le petit et Petit clandestin. Ils ont deux enfants. Anthony BROWNE travaille dans une petite maison plantée au fond de son jardin du Kent. En 2000, il reçoit la plus haute consécration pour un illustrateur d’albums pour la jeunesse : le Prix Hans Christian Andersen, pour l’ensemble de son œuvre. * Information prélevée dans le discours prononcé par Anthony Browne lors de la remise du prix Hans Christian Andersen 2000, texte publié dans le n°197 de février 2001 de la Revue des Livres pour Enfants, traduit par Isabel Finkenstaedt, directrice des éditions Kaléidoscope 1 LA FAMILLE Dans les albums d’Anthony BROWNE, la structure familiale est toujours présentée de façon restreinte, sans grands-parents ni oncles et tantes. La famille vit repliée sur elle-même, sans voisins ni amis. L’image de la famille souvent négative au début de l’album, évolue généralement vers une relation un peu plus chaleureuse et positive. Dans Tout change, Anthony BROWNE n’hésite pas à mettre en scène sa propre famille. Types de famille Dans la famille traditionnelle ( un couple avec deux enfants ou un enfant unique), la communication passe mal : - Eric préfère parler au coucan de nuit plutôt qu’à ses parents (Le coucan de nuit). - Les parents de Joseph Kah n’ont pas su préparer leur fils à la naissance imminente de sa petite sœur (Tout change). - Karine est harcelée d’injonctions de sa mère tandis que son père préfère s’enfermer dans sa cabane au fond du jardin. - La discussion est difficile avec le père (Zoo, Le jeu des formes). Dans la famille traditionnelle, les adultes y sont généralement plus père et mère que hommes et femmes. La mère est souvent opprimée et isolée (sujet central de A calicochon) exception faite dans Le jeu des formes où c’est elle qui est à l’initiative de la journée au musée et qui anime la visite. Dans Hansel et Gretel, la marâtre est le personnage négatif qui se confond avec celui de la sorcière ; elle se montre dominatrice et préfère visiblement sacrifier les enfants à son bienêtre, à ses bijoux ou à ses produits de beauté. Le père est le plus souvent mis en scène comme un personnage terne et effacé ou au contraire grossier et démonstratif. Les garçons y sont représentés à son image. La famille monoparentale semble un moindre mal par rapport aux autres familles rigides et étouffantes : - Une forme d’organisation perçue comme une source d’harmonie règle la vie de Katy (Des invités bien encombrants). - Réglisse soutient et réconforte son père par sa bonne humeur et son dynamisme (Une histoire à quatre voix). 2 - Anna souffre de solitude aux côtés de son père mais lui apporte finalement un peu d’humanité. La famille s’agrandit C’est moins la naissance d’une petite sœur que l’annonce sibylline de son père que quelque chose allait changer qui angoisse Joseph Kah ( Tout change) : aussi essaie-t-il avec imagination de se représenter ce changement. Des métamorphoses aussi envahissantes que surréalistes illustrent l’interrogation de l’enfant. L’image finale montre cependant l’image d’une famille unie autour du bébé. Dans Des invités bien encombrants, la famille s’agrandit avec l’arrivée de Marie et de son fils qui bouleverse la vie bien réglée et sereine de Katy, seule avec son papa. Katy les trouve encombrants et indésirables. La fin laisse cependant entendre que la famille pourrait bien quand même se recomposer. Les membres de la famille Le papa est l’un des personnages favoris de l’artiste : fragile, balourd ou immature, exubérant ou effacé, adoré par son enfant ou ne sachant lui parler. Il peut être caricaturé mais en laissant la porte ouverte à une éventuelle évolution de son comportement comme le montre l’humanisation du père de Anna à la fin de Anna et le gorille. Dans Mon papa, les illustrations sont pleines d’humour et de dérision. Elles accompagnent un texte faisant l’éloge d’un père par son enfant. Du côté de la figure maternelle, la condition de mère joue un rôle plus important que la mère elle-même. Elle est triste, effacée ou sous la domination de son mari. Parfois elle est simplement absente de l’histoire : - Dans Des invités bien encombrants, Katy ne rend visite à sa mère que « de temps à autre ». - Le cadre vide sur le bureau du père d’Anna illustre l’absence de relation avec sa mère. - Dans Le Tunnel, on ne voit de la mère qu’une main qui intime aux enfants l’ordre d’aller dehors ! Quand elle est représentée, la mère est peu valorisée : - Elle s’occupe des tâches ménagères sans en tirer la moindre considération de la part du mari et des fils (A calicochon). 3 - Dans le quotidien de Karine, elle arbore le tablier de la ménagère ou celui de la caissière de supermarché. Ses efforts pour améliorer son image sont réduits au port du bigoudi ! Contrairement aux représentations habituelles dans la littérature jeunesse , la mère n’est ni aimante ni aimée : - Dans Une histoire à quatre voix, la mère de Charles est une bourgeoise hautaine, froide et fermée. Même à la fin de A calicochon, quand le père et les deux garçons font pénitence, on sent que la famille s’est plus re-formée autour d’un nouveau modus vivendi que sur l’amour et le respect de l’autre. Relations parents-enfants Quand la famille n’est pas complète, les relations sont croisées, soit de père à fille, soit de mère à fils. L’adulte n’est jamais un antagoniste puisque le conflit ouvert est inexistant. Les parents ne sont jamais un recours ou un soutien pour leur enfant. L’enfant ne peut donc se construire à travers lui ou en opposition avec lui : il se construit seul, souvent dans un monde imaginaire (Le coucan de nuit, Ce que Karine savait). Au sein des familles traditionnelles, les garçons sont à l’image de leurs pères soit physiquement, soit dans leur personnalité, soit dans leurs postures. Pourtant, contrairement aux deux fils dans A Calicochon, Julien et Georges dans Zoo ont honte des pitreries de leur père (« Tout le monde a ri sauf Maman, Julien et moi »). Par contre les filles au sein des familles monoparentales sont souvent le ressort optimiste de la relation. La fratrie Dans les albums d’Anthony BROWNE, il n’existe pas de famille nombreuse : les enfants ne sont jamais plus de deux. On peut établir deux schémas fraternels. La relation entre frères s’exprime surtout par des chamailleries, des petites bagarres et des taquineries propres à ce type de relation . - Dans Zoo et Le jeu des formes, l’auteur a choisi de mettre en scène la même famille dans deux lieux différents, le zoo et le musée. Zoo est raconté par Georges tandis que dans Le jeu des formes, le narrateur est Julien, son frère. Dans les deux histoires, les frères se plaignent respectivement l’un de l’autre et leur regard vis-à-vis des parents est identique. 4 - Dans A calicochon, les deux frères ne sont pas traités comme des personnages individualisés ou autonomes : ils sont assimilés au père, en reproduisent les travers et laissent craindre une pérennité de ce comportement machiste dans la famille ! La relation frère et sœur accuse le trait du stéréotype masculin/féminin : - C’est Hansel qui trouve une solution à la tentative des parents de le perdre avec Gretel dans la forêt. C’est lui qui rassure sa sœur quand la situation s’aggrave. Gretel pleure quand, séparée de son frère par la sorcière, elle n’a d’autre recours que d’implorer Dieu. - Dans Le tunnel, le garçon fait preuve d’un tempérament actif, dynamique, voire agité. Jack joue à l’extérieur de la maison et il est mis en scène avec un ballon au pied. Rose, elle, est représentée comme une enfant calme et introvertie dont l’activité favorite est la lecture. Elle est associée à l’intérieur domestique et aux mondes imaginaires. - Pourtant dans ces deux albums, c’est la fillette qui agit avec force et courage et sauve finalement son frère. De l’acte quasi héroïque de Rose, naît une reconnaissance et une complicité entre le frère et la sœur ; dans Hansel et Gretel en revanche, cela débouchera sur la mort de la marâtre et un renouement chaleureux entre le père et les deux enfants. 5 LES LIEUX Les lieux dans lesquels évoluent les personnages d’Anthony BROWNE sont variés et font partie de notre quotidien. L’extérieur est le plus souvent un décor urbain : parc, zoo, musée, rue ou plus occasionnellement, stade, piscine, cinéma, bibliothèque. L’intérieur de maison est aussi largement représenté. L’espace y est truffé de détails, accessoires inattendus ou représentations insolites, porteurs de sens sur l’histoire et sur le comportement des protagonistes. Les décors urbains La ville porte les marques du décor urbain anglais avec ses murs de briques. Elle n’est pas mise en scène comme un lieu idyllique mais est plutôt présentée par : - des usines désaffectées aux vitres brisées (Marcel le magicien) - une palissade en bois qui cache sans doute un chantier ( Marcel la mauviette) - un terrain vague qui sert d’espace de jeux (Le tunnel) - des murs couverts de graffitis Si la population n’est pas vraiment représentée, Anthony BROWNE nous livre quelques indices : les pères sont parfois touchés par le chômage (pères de Réglisse et de Karine) et une bande de voyous agresse Marcel. L’habitat individuel et résidentiel apparaît occasionnellement. Il n’inspire pas vraiment le bonheur : la vie de Charles avec sa mère n’est pas tellement enviable bien qu’elle soit sans doute plus confortable que celle de Réglisse (Une histoire à quatre voix) ! ➢ Les décors naturels Le parc est un élément récurrent dans l’environnement urbain d’Anthony BROWNE. Il incarne une nature maîtrisée : allées, jardins topiaires. Les bancs, arbres, arbustes sculptés, statues et réverbères sont sujets de détournement et permettent à l’auteur de créer un univers fantaisiste, insolite voire surréaliste. Le parc est un lieu de vie sociale à l’anglaise où s’exercent de multiples activités : on y fait son jogging , on y promène son chien, on s’arrête sur un de ses bancs, on y pique-nique… Inversement, la solitude et l’exclusion de Marcel y apparaissent plus fortement encore : dans Marcel et Hugo, Marcel marche seul dans l’allée tandis que de nombreux personnages ont investi la pelouse, formant des groupes diversement occupés. 6 La plage, représentée au début Des invités bien encombrants comme un espace naturel préservé et désert, est investie à la fin de l’album par l’activité humaine, comme le parc. Une parodie du tableau « Le déjeuner sur l’herbe » y est représentée. Ici cependant les activités sont individuelles, parfois narcissiques et l’humain y est tourné en dérision. La forêt (Hansel et Gretel, Le tunnel) et la jungle (Ourson et les chasseurs) sont les seuls milieux naturels « sauvages ». Il s sont souvent inquiétants et dangereux. Les intérieurs de maison Quasiment toutes les pièces de la maison sont représentées dans l’œuvre d’Anthony BROWNE. - la cuisine : souvent exagérément géométrique et rectiligne, d’une propreté et d’une froideur chirurgicale où l’on ne peut y associer ni odeurs, ni bruits ni couleurs liées aux réalisations culinaires ordinaires. Les enfants y sont le plus souvent seuls ou face à une adulte plongé dans la lecture du journal ! Seule Anna face à son ami gorille partage un plantureux repas. - le salon : représenté avec un canapé, un fauteuil et souvent une télévision. C’est un lieu de lecture et de rêve pour Marcel. C’est aussi l’endroit où le père de Réglisse se laisse gagner par les idées noires et où les mâles Porchon se laissent aller à leur penchant machiste. Les parents d’Hansel et Gretel sont trop pauvres pour disposer d’un vrai salon. Des motifs à fleurs sur les tissus d’ameublement ou les tapisseries murales ouvrent un peu la porte à la fantaisie, à l’imaginaire. - la chambre des enfants : endroit où Eric laisse apparaître le coucan de nuit, où Anna se sent parfois seule mais y trouve aussi un sommeil peuplé de rêves, où Rose y voit un lieu de contes. Dans ce territoire préservé, les enfants rêvent et lisent. Hormis quelques peluches, les jeux y sont peu présents. La chambre n’est pas un lieu de vie majeur. - la chambre des parents : peu représentée. Dans Hansel et Gretel, les parents la partagent avec les enfants tandis que chez Karine, elle est réduite à l’emplacement que son père, chômeur, occupe toute la journée dans le lit pendant que la mère travaille. 7 LES PERSONNAGES SIGNIFICATIFS « Je me rends compte que la grande majorité de mes livres ne traitent pas, comme certains semblent le croire, de gorilles ou de chimpanzés : ils parlent d’émotions et d’enfants solitaires » (Anthony BROWNE) Si l’on exclut les humains, les personnages sont à classer en deux catégories : les chimpanzés, et les gorilles. Les chimpanzés ♦ Marcel Sa tenue vestimentaire et son prénom, lui donnent un air ringard : pull jacquard sans manche, chemise boutonnée jusqu’au cou, cravate ou nœud papillon, pantalon trop court à rayures qui laisse apparaître ses chaussettes et souliers bien cirés. Sa coiffure est en décalage avec son jeune âge : une raie au milieu du crâne avec des cheveux lissés et plaqués. Sa posture voûtée lui donne l’allure d’un vieillard. Il est chétif et vulnérable ce qui n’est pas sans lui poser de problème relationnel avec les gorilles. C’est un cœur tendre (Marcel le champion), un grand rêveur (Marcel le rêveur), un méticuleux et un superstitieux (Marcel le magicien). Il est également appliqué et persévérant (Marcel la mauviette) quand il décide de ne plus être une mauviette. Il n’est jamais agressif même quand il affronte Pif la terreur : il est courageux avec innocence et candeur. Il est solitaire, n’ayant ni famille ni amis (sauf Mimi et Hugo) ni groupe auquel se rattacher. Il aime la lecture mais ne brille dans aucun sport. Il peint à l’occasion et fréquente les musées (Les tableaux de Marcel). ♦ Mimi C’est l’amie de cœur de Marcel qui la protège et prend soin d’elle (Marcel la mauviette). Dans Les tableaux de Marcel, elle apparaît aux côtés de son ami, baigneuse à la Grande Jatte, éplorée auprès de Saint Georges terrassant le dragon, ou épouse malgré elle du terrible Pif la terreur alias l’époux Arnolfini. Elle est, comme Marcel , toujours habillée de la même façon : robe blanche à pois rouges, rouge à lèvres assorti à la couleur de son foulard, chapeau de paille garni de fleurs et de fruits, collants rayés verts et chaussures rouges. Comme son ami, elle dégage un look désuet. 8 Les gorilles Ils sont partout : à la piscine, à la bibliothèque, au cinéma, au stade, au parc, dans la rue etc… On peut les distinguer en deux catégories incarnées respectivement par Pif la terreur et Hugo. ♦ Pif la terreur C’est un mâle dominateur que Marcel doit affronter. Il est le stéréotype du voyou avec son blouson clouté en cuir noir, son jean et ses bottes. Il est le symbole de la force nuisible et de la méchanceté gratuite dont Marcel a très peur. Il le hante au point d’apparaître de façon récurrente dans les albums sous des formes plus ou moins déguisées. Tout le monde le craint, même les gorilles. Il est solitaire et n’appartient à aucune bande. ♦ Hugo Fort et puissant, c’est un personnage positif sur le modèle de King Kong. Il est redouté pour sa force potentielle (y compris de Pif) mais il se montre avec son ami Marcel à la fois poli quand il le bouscule par mégarde et protecteur quand celui-ci est agressé par Pif. Physiquement, il est l’homologue de Pif sans la tenue de voyou. Il s’initie avec Marcel au plaisir de la lecture et va avec lui au zoo. Il a aussi ses craintes et ses phobies comme l’araignée dont Marcel le débarrasse. ♦ Le gorille d’Anna Le gorille visiteur nocturne d’Anna ressemble à Hugo : Anna est passionnée de gorilles, omniprésents dans son univers. En même temps, elle souffre de la solitude dans laquelle son père la laisse au profit de son travail. Quand le gorille arbore les attributs vestimentaires du père, ou celui de Superman au cinéma, il endosse tout ce que ces personnages représentent d’humanité et de protection. 9 LE PETIT MUSEE : OBJETS ET ACCESSOIRES L’œuvre d’Anthony BROWNE regorge de petits détails visuels, d’objets insolites, de clins d’œil au monde de la peinture ou du cinéma et d’effets graphiques. Certains objets apparaissent de façon redondante et pourraient être assimilés à la « signature » de l’auteur. Les incontournables - La banane apparaît sous différentes formes : Dans le registre réaliste, c’est la nourriture du singe : Marcel entreprend un régime de bananes pour ne plus être une mauviette ! Dans le registre symbolique, elle apparaît dans la poche du père d’Anna et marque la continuité entre celui-ci et l’animal idéalisé. Dans le registre surréaliste, elle fleurit dans Marcel le rêveur et prête sa forme à de nombreux éléments de l’illustration. - Le débardeur jacquard représente Marcel et ses caractéristiques psychologiques. Marcel peut bien rêver qu’il est Charlot, un géant ou la Bête, son accessoire fétiche est là pour entretenir le lien avec la réalité. Le motif jacquard habille tout accessoire associé à Marcel. Il apparaît aussi sur d’autres personnages (Yann, le père de Katy, Hansel et le héros de Through the magic mirror). Le débardeur, connoté comme un peu désuet renforce l’impression de vulnérabilité liée au personnage de Marcel. - L’œuf : Katy se régale d’un œuf à la coque présenté dans un ravissant coquetier à fleurs; ensuite elle devra se contenter d’un œuf au plat racorni, signe que les intrus sont dans la maison et sèment le désordre (Des invités bien encombrants). - Les boîtes de céréales se parent d’images signifiantes pour le récit : gorille pour Anna qui aime les gorilles (Anna et le gorille), cochon pour les Porchon qui sont des « cochons » (A calicochon), squelette pour Yann qui adorent les farces et attrapes (Des invités bien encombrants). - Le papillon illustre la liberté et le pouvoir de l’imagination (Ce que Karine savait). Il est annoncé dès la page de titre par la présence d’une chenille. Il prend quelquefois la forme de nœud papillon. 10 Autres objets - les pommes et les chapeaux empruntés à Magritte - les chaussures, chaussettes et autres formes de pied - les objets liés au personnage du père : les pantoufles, la robe de chambre et le journal - les livres Les références artistiques Anthony BROWNE place souvent dans ses livres des références artistiques connues : tableaux, sculptures, imprégnations d’un artiste ou d’un courant. Pour exemple : - les parodies de tableaux (Van Eyck dans Les tableaux de Marcel, Manet dans Des invités bien encombrants, Van Gogh dans Tout change) - les incrustations d’objets issus d’œuvres de Magritte ou Dali (lampadaires et chapeaux pour l’un, horloge dégoulinante pour l’autre) - l’emprunt aux pratiques surréalistes (fusion de deux objets en un dans Tout change) Il met aussi en scène des personnages et des univers graphiques empruntés à la bande dessinée (Superman), au cinéma (King-Kong) et au cinéma d’animation (Tarzan, Mickey, Superman). De même, il pratique l’auto-citation : un personnage d’une histoire peut intervenir de façon anecdotique dans une autre histoire. Enfin, il s’inspire de l’art des jardins pour créer des décors extérieurs et des univers particuliers (Une histoire à quatre voix). 11 LES METAMORPHOSES ET AUTRES TRANSGRESSIONS DE LA REALITE Anthony BROWNE se plait à détourner la réalité. Il utilise très souvent le procédé de la métamorphose qui interpelle l’imaginaire du lecteur et le rend acteur de l’histoire qu’il lit. Les métamorphoses traduisent son amour de la peinture et de l’histoire de l’art, mais aussi sa fascination pour la face cachée des personnages et le mystère humain. Cela enrichit l’histoire et peut se lire à différents degrés selon les acquis et l’âge des lecteurs. Il utilise également le jeu des ombres, des reflets et des silhouettes. Les métamorphoses Métamorphose des objets Il s’agit à la fois de créer une ambiance étrange et de stimuler l’imaginaire du lecteur. Cela renforce l’impression de rêve et d’irréalité. Certaines métamorphoses sont très inspirées du surréalisme (art du 20ème siècle, utilisant le rêve et l’imaginaire plutôt que la réalité) lorsqu’elles combinent deux objets en un seul. Le peintre surréaliste Salvador DALI est très souvent cité dans ces illustrations. ♦ Bouilloire = chat (Tout change) Ballon = œuf et cigogne (Tout change) Lune = ballon de foot (Marcel le Magicien) ♦ Métamorphoses des personnages La métamorphose du corps est la plus flagrante. Pour les personnages, c’est un moyen d’échapper à la réalité et de se révéler sous un autre jour : la métamorphose du papa en poisson dans Mon papa. Dans la métamorphose du comportement, on voit le caractère du personnage évoluer du début à la fin de l’histoire même si sa représentation physique ne change pas. Dans Marcel la mauviette, Marcel semble manquer de confiance en lui ; à la fin de l’album, il a une allure triomphante et fière. Enfin, la métamorphose la plus spectaculaire ne serait-elle pas celle d’Anthony BROWNE lui-même en Marcel ? L’auteur s’amuse à semer le doute à la fin de l’album Les Tableaux de 12 Marcel : un homme non identifiable sort d’une pièce où un masque de Marcel est posé sur la table… ♦ La métamorphose des lieux Le décor et l’espace des histoires subissent aussi des métamorphoses. La frontière entre la réalité et le rêve devient floue. La vision de ces paysages oniriques interpellent l’imaginaire du lecteur : il est acteur de l’histoire qu’il lit. LIVRE Hansel et Gretel AVANT METAMORPHOSE APRES METAMORPHOSE La maison (début) : La maison (fin) : - 4 arbres hauts et alignés sont plantés derrière la maison (comme des barreaux) - la porte du débarras à côté de la maison est sale et abîmée - des tuiles du toit sont cassées - le carreau de la fenêtre du 1er étage est brisé et les rideaux sont gris - les arbres derrière la maison ont été abattus - la porte du débarras est blanche et rénovée - les fenêtres sont ouvertes et habillées de nouveaux rideaux propres - les tuiles cassées du toit ont été remplacées La maison est triste, grise La maison semble gaie, et délabrée pimpante et pleine de vie Cette transformation montre que les jours seront désormais meilleurs et que la disparition de la marâtre libère le père et les enfants du malheur et de la pauvreté. 13 LIVRE AVANT METAMORPHOSE APRES METAMORPHOSE Vision réelle de la classe Vision rêvée de la classe : comme une salle de classe ordinaire - le paysage vu de la fenêtre est paradisiaque (île et Le texte sous l’image indique cocotiers à la place des que Karine s’ennuie. Elle va maisons ternes et grises) donc se mettre à rêver et - les dessins accrochés au mur montrer au lecteur sa vision s’animent et sortent du cadre de la réalité. (le chat poursuit la souris et Ce que Karine savait l’oiseau) - les objets de l’étagère se transforment en objets insolites issus de l’imaginaire de Karine (les pots à crayons deviennent cornets de glace) - le cahier d’une élève prend la forme d’un papillon - le globe terrestre se déforme en tête de Prune Toutes ses transformations montrent le besoin de Karine de s’évader du réel. Le papillon en est le plus flagrant symbole. Par contre, une ombre plane toujours en la personne de Prune. Sa présence (globe terrestre) stigmatise les inquiétudes de Karine. 14 Ombres, reflets et silhouettes ♦ Les ombres Certaines ombres sont différentes de leur « propriétaire » : cela renforce le sens de l’histoire ou montre que le personnage n’est peut-être pas celui qu’on croit. Alice : un chat (Alice aux pays des merveilles) L’ombre en forme de chat montre à la fois que les personnages (oiseaux, souris…) voient en Alice un prédateur et que Alice se languit de sa chatte qu’elle craint de ne plus revoir. D’autres ombres sont fidèles à leur « propriétaire », mais un détail a été rajouté pour donner l’impression d’une évolution du personnage ou de l’objet. Cet indice permet de solliciter l’imaginaire du lecteur en complément du texte : le chapeau de magicien dans Marcel le magicien. On trouve aussi des ombres sans « propriétaire ». Cela créé une atmosphère à la fois angoissante et ludique : le crocodile dans Une histoire à quatre voix, le loup dans J’aime les livres. ♦ Reflets et silhouettes Le reflet est un moyen pour Anthony BROWNE de rendre accessibles au lecteur les sentiments et pensées du personnage, sans avoir à les écrire : le visage apeuré de Charles comme parodie du tableau « Le cri » dans Une histoire à quatre voix. Cela peut aussi introduire un élément de la suite de l’histoire. Les silhouettes sont surtout l’occasion d’un jeu avec le lecteur. Elles permettent de s’amuser à repérer les invraisemblances : la silhouette de la ville sur la couverture de Anna et le Gorille. 15