légitimer par le discours discours sur l `état de l par josé barroso le

Transcription

légitimer par le discours discours sur l `état de l par josé barroso le
LÉGITIMER PAR LE DISCOURS :
DISCOURS SUR L'ÉTAT DE L'UE
PAR JOSÉ
BARROSO LE 12.09.12
Fanny JAFFRES
Mémoire de 4e année
Séminaire : L'Europe autrement
Sous la direction de : Virginie Saliou
2012 - 2013
Avertissement
Ce travail s'inscrit dans le cadre d'un apprentissage de la recherche. Il est donc
nécessairement inabouti et présente des imperfections et des insuffisances. L'IEP
n'entend donner aucune approbation aux informations et aux analyses contenues dans ce
mémoire. Elles doivent être considérées comme relevant de la seule responsabilité de
l'auteur.
Remerciements
Je remercie tout d'abord Virginie Saliou, ma directrice de mémoire, pour ses
précieux conseils et ses suggestions de lectures avisées. Je remercie Romain Pasquier pour
son aide, en tant que co-responsable du séminaire « L'Europe autrement ».
Je remercie tous les acteurs qui ont accepté de s'entretenir avec moi, pour leur
temps et pour les connaissances qu'ils m'ont apportées.
Je remercie mes proches pour leur soutien inconditionnel. Et je remercie tout
particulièrement Guillaume, ma mère et Antoine pour leurs relectures attentives et leurs
avis éclairés qui m'ont beaucoup aidée.
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
Table des matières
Liste des sigles et abréviations................................................................................6
Introduction.............................................................................................................7
I.Légitimer par le discours : l'affirmation du leadership de la Commission
européenne par les mots........................................................................................22
A.Un contexte de production porteur d'opportunités ...............................................22
1.Président
de
la
Commission
européenne :
un statut avantageux qui combine neutralité et pouvoir.............................................23
2.José Barroso : une carrure pour incarner le rôle......................................................26
3.Une conjecture qui appelle à de nouvelles solutions et à l'affirmation de l'Union
européenne..................................................................................................................30
B.Construire le leadership en rassemblant grâce au discours...................................31
1.Le discours politique comme stratégie....................................................................32
2.Rassembler en évitant le clivage politique et en visant l'exhaustivité.....................35
3.Montrer un sens politique grâce aux propositions phares........................................38
C.Consacrer l'Union européenne et sa légitimité à agir : le pouvoir des mots.........41
1.Consacrer l'intégration européenne pour protéger l'Union......................................41
2.Accepter inconsciemment le leadership de José Barroso : réutilisation des
représentations sociales ..............................................................................................43
3.La nécessité d'une politique sociale européenne approuvée....................................44
II.Décrédibiliser par le discours : réception méfiante par les Parlementaires
européens................................................................................................................ 47
A.José Barroso, leader de médiation
par opposition à Jacques Delors,
leader charismatique.....................................................................................................48
1.Un rapport de force entre la Commission européenne et le Parlement européen....48
2.José Barroso : un Président de la Commission contesté..........................................50
3.La crise économique de l'Union européenne comme obstacle aux avancées en
2013
4/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
matière de politique sociale européenne.....................................................................54
B.La méconnaissance du discours comme stratégie de décodage.............................55
1.L'exhaustivité comme facteur d'illisibilité du discours............................................55
2.Ignorer le discours pour marquer son opposition à la Commission européenne.....59
3.Rejeter le leadership de la Commission par l'accusation d'immobilisme et l'appel à
l'action.........................................................................................................................61
C.Un discours sur le social suivi d'actions minimales : analyse d'une dissonance
cognitive..........................................................................................................................63
1.« Préserver le modèle social européen » : une cognition en dissonance avec la
réalité des faits et la volonté de « favoriser la compétitivité de l'Union européenne »
.....................................................................................................................................64
2.La notion d'efficacité au service du travail de réduction de la dissonance..............67
3.Désapprobation du leadership de la Commission et capture de la politique sociale
européenne par les députés.........................................................................................69
Conclusion..............................................................................................................72
Bibliographie..........................................................................................................78
Annexes..................................................................................................................81
Discours sur l'état de l'Union européenne par José Barroso le 12 septembre 2012 81
Index....................................................................................................................... 98
2013
5/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
Liste des sigles et abréviations
- ALDE : Groupe parlementaire européen, Alliance des Libéraux et Démocrates pour l'Europe
- BCE : banque centrale européenne
- ECR : Groupe parlementaire des Conservateurs et Réformistes Européens
- EFD : Groupe parlementaire Europe de la liberté et de la démocratie
- GREEN/EFA : Groupe parlementaire européen des Verts, Alliance Libre Européenne
- GUE/NGL : Groupe parlementaire européen communiste et apparentés,
- PPE : Parti Populaire européen
- S&D : Groupe parlementaire européen de l'Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates au
Parlement européen
- SOTEU : « state of the European union » autrement dit discours sur l'état de l'Union européenne
- UE : Union européenne
2013
6/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
Introduction
2013
7/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
« Certains prétendent qu'à cause de la crise, le modèle social européen est mort.
Je rejette cette idée. »
José Manuel Barroso, Président de la Commission européenne, 12 septembre 2012
« La pré-vision politique est par soi, une pré-diction qui vise à faire advenir ce
qu'elle énonce ; elle contribue pratiquement à la réalité de ce qu'elle annonce par le fait
de l'énoncer, de le pré-voir et de le faire pré-voir, de le rendre concevable et surtout
croyable et de créer ainsi la représentation et la volonté collective qui peuvent contribuer
à le produire. »
Pierre Bourdieu, Ce que parler veut dire, Fayard, Paris, 1982
Le 12 septembre 2012, devant le Parlement européen, le Président de la
Commission européenne, José Manuel Barroso a prononcé le discours sur l'état de l'Union
européenne1. Cet événement instauré par le traité de Lisbonne a pour objectif d'une part,
de faire le bilan de l'action de l'organe exécutif de l'Union européenne et d'autre part, de
présenter les grandes lignes des futures propositions d'action de la Commission
européenne.
Or à l'occasion du dernier discours sur l'état de l'Union européenne, José Manuel Barroso
a affirmé vouloir préserver le « modèle social européen ». Il répond ainsi au Président de
la Banque centrale européenne, Mario Draghi, qui avait affirmé le 22 février de la même
année, dans une interview au Wall Street Journal, que le « modèle social européen » était
mort.
Interpellée par cette notion de « modèle social européen » et intéressée en
général par les questions de politiques sociales, je souhaite étudier ce discours sur l'état
de l'Union européenne prononcé le 12 septembre 2012.
1 Discours disponible en annexe ou sur : http://europa.eu/rapid/press-release_SPEECH-12596_fr.htm
2013
8/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
Un discours a donc été retenu parmi d'autres. Il aurait été intéressant d'étudier
l'ensemble des discours de Barroso afin de comparer les différents usages qu'il fait de la
notion de « modèle social européen ». Cependant, par manque de temps, il a fallu se
concentrer sur un seul discours.
Ce discours a été retenu parce qu'il est prononcé par le représentant d'une institution
centrale de l'Union européenne. La Commission européenne est en effet souvent
présentée comme l'organe exécutif de l'Union européenne. Elle est notamment en charge
de la gestion et de la mise en œuvre des politiques européennes et entre autres de la
politique pour l'emploi et les droits sociaux.
Ce discours a également été retenu en tant que confrontation du point de vue de la
Commission européenne au jugement du Parlement européen. Il me permettra alors de
mettre en lumière les relations entre les deux institutions et en particulier la capacité de
leadership du Président de la Commission européenne.
Pour commencer, grâce au dictionnaire Larousse, une définition simple de ce
qu'est le « modèle social européen », peut être donnée. Un « modèle » est « ce qui est
donné pour être reproduit »2. « Social » s'utilise pour qualifier ce « qui concerne
l'amélioration des conditions de vie et, en particulier, des conditions matérielles des
membres de la société »3. Et « européen » qualifie ce qui est « relatif à la communauté
économique ou politique de l'Europe »4. Ainsi, le « modèle social européen » peut être
défini comme ce que l'Union européenne offre pour être reproduit en matière
d'amélioration des conditions de vie.
Une définition simple comme celle-ci permet d'énoncer clairement ce que la notion est
censée recouvrir. Cependant, elle occulte la complexité du sujet. En effet, l'existence de ce
« modèle social européen » ne fait pas l'unanimité.
Il existe tout d'abord un débat sur les frontières de ce « modèle ». Ce débat existe depuis
2 « Modèle », dict. Larousse
3 « Social », dict. Larousse
4 « Européen », dict. Larousse
2013
9/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
la création de cette notion par Jacques Delors lors de sa présidence de la Commission
européenne. En effet, ce dernier concevait le « modèle social européen » par opposition
au modèle anglo-saxon. Ainsi il n'y incluait pas la Grande-Bretagne, bien qu'elle fut déjà
membre de la Communauté européenne.
De plus, les chercheurs n'utilisent pas tous le même niveau d'analyse pour montrer
l'existence ou l'absence de « modèle social européen ».
Certains réfléchissent au « modèle social européen » depuis le niveau communautaire.
Cela amène par exemple François Denord et Antoine Schwartz à penser que « l'Europe
sociale n'aura pas lieu »5. Ces deux auteurs montrent que le but de la construction
européenne est d'établir un marché unique européen. Cette construction étant fondée
sur une logique néo-libérale, les objectifs économiques sont prioritaires. Ainsi il n'existe
pas de politique sociale européenne à proprement parler puisque cela n'est pas dans les
priorités de la construction européenne. Le « modèle social européen » est donc selon
eux un mythe ou au mieux un idéal poursuivi en vain par les sociaux-démocrates.
D'autres chercheurs pensent le « modèle social européen » en alliant le niveau
communautaire et l'échelon national. Ainsi, Corinne Erhel et Bruno Pallier expliquent que
dans un sens restrictif, l'Europe sociale désigne « les interventions des instances
communautaires dans le domaine social : celles-ci se sont développées depuis la fin des
années 1990 avec la reconnaissance d'objectifs et d'indicateurs communs en matière
d'emploi et d' « inclusion sociale » (sommets de Luxembourg et de Lisbonne) et
l'institutionnalisation d'échanges d'informations entre les « États-membres » sur ces
questions »6. Et ils ajoutent que le « modèle social européen » ne saurait être compris
sans faire référence aux modèles nationaux de protection sociale. Ainsi cette notion
désignerait autant les interventions au niveau communautaire que les situations
nationales qui se sont construites pendant les années que l'on appelle communément les
5 Denord F., Schwartz A., L'Europe sociale n'aura pas lieu, Liber, Raisons d'agir, 2009
6
Erhel C., Palier B., L'Europe sociale : entre modèles nationaux et coordination européenne,
Revue d'économie politique 6/2005 (Vol. 115), p 677-703, www.cairn.info/revue-d-economie-politique2005-6-page-677.htm
2013
10/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
Trente Glorieuses, c'est-à-dire une garantie de droits sociaux relativement déconnectés de
la situation du marché du travail, des politiques orientées vers la recherche du plein
emploi et des politiques keynésiennes de soutien à la demande. Ainsi le « modèle social
européen » serait le dénominateur commun d'une variété de modèles nationaux.
C'est à ce même niveau que se place la Commission européenne pour donner une
définition idéaliste de ce qu'il faudrait entendre par « modèle social européen ». Ainsi elle
explique que « les pays d'Europe ont développé une forme distincte d'organisation de
leurs sociétés et économies, connue sous le nom de « modèle social européen ». On
s'accorde généralement à dire que ce modèle se caractérise, au minimum, par une
croissance économique soutenue, un niveau de vie élevé et croissant, des niveaux
d'emploi élevés, une éducation de grande qualité, une protection sociale exhaustive, de
faibles niveaux d'inégalité et des niveaux élevés de solidarité, ainsi que (point crucial dans
le contexte actuel) le rôle important joué par les représentants des travailleurs et des
employeurs et le dialogue noué entre eux. Le dialogue social est considéré comme partie
intégrante du modèle social européen »7. L'utilisation de l'adjectif « idéaliste » pour
qualifier cette définition donnée en 2011 se justifie par le fait que ces caractéristiques, si
elles ont jamais existé, sont aujourd'hui remises en cause en période de crise. En effet, la
croissance économique de l'Union européenne pour 2012 fut quasiment nulle ; le taux de
pauvreté augmente : il est passé de 23,4% en 2010 à 24,2 en 2011 ; le taux de chômage
global en février 2013 s'élève à 10,9% et ce taux pour les moins de 25 ans est même de
23,5% ; les dépenses publiques sont en baisse ; des politiques d'austérité sont en cours
dans la quasi totalité des vingt-sept pays membres à la demande la Commission
européenne ; les écarts se creusent entre les hauts et les bas revenus … Le « modèle
social européen », tel que décrit par la Commission européenne, semble donc être mis à
mal par la crise économique qui dure au moins depuis 2008. Pourtant, José Barroso
continue d'en parler dans ses discours et différentes formes de communications.
7 Commission européenne, DG emploi, affaires sociales et inclusion, Guide de l'Europe
Vol 2 : Dialogue social, 2011
2013
sociale,
11/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
En fait, la notion de « modèle social européen » est avant tout une figure discursive
c'est-à-dire une représentation uniquement véhiculée par les discours. C'est pour cette
raison que j'ai choisi d'étudier cette notion à partir d'un discours. En adoptant une
approche discursive, j'espère apporter au champ de l'étude des politiques sociales
européennes. La science politique s'intéresse peu aux discours qu'elle laisse aux
spécialistes que sont les linguistes. Les chercheurs préfèrent en général s'intéresser à des
programmes précis, des instruments, des institutions ... Les discours sont pourtant les
vecteurs d'idéologies. Ils véhiculent donc les représentations qui conditionnent les
programmes, les instruments, les institutions … auxquels s'intéressent les chercheurs.
Dans cette étude du discours sur l'état de l'Union européenne de 2012, je rejoins
donc Pierre Bourdieu qui explique que les discours et les représentations en général ont
« une efficacité symbolique de construction de la réalité […] en structurant la perception
que les agents sociaux ont du monde social, la nomination contribue à faire la structure
de ce monde »8 . Le discours n'est ainsi pas vu comme une simple parole qui s'opposerait
aux actes. Il convient de dépasser cette dichotomie entre dire et faire. Le discours n'a pas
une simple fonction ornementale, il peut avoir un effet performatif, c'est-à-dire qu'une
représentation « peut contribuer pratiquement à la réalité de ce qu'elle annonce par le
fait de l'énoncer, de le prévoir et de le faire pré-voir, de le rendre concevable et surtout
croyable et de créer ainsi la représentation et la volonté collective qui peuvent contribuer
à le produire 9». On parle alors, pour reprendre les mots de Pierre Bourdieu, de
« représentation performative » ou encore d'« énoncé performatif »10. Je chercherai alors
à voir si ce concept peut s'appliquer à la notion de « modèle social européen ». La
question est donc de voir si cette notion, lorsqu'elle est utilisée par le Président de la
Commission européenne, même si l'existence de ce qu'elle décrit fait débat, peut faire
exister un « modèle social européen » dans l'esprit des Parlementaires.
L'étude du discours de la Commission est d'autre part justifiée par le fait que
8 Bourdieu P., Ce que parler veut dire, Fayard, Paris, 1982, p. 99
9 Bourdieu P., Ce que parler veut dire, Fayard, Paris, 1982, p 150
10 Bourdieu P., Ce que parler veut dire, Fayard, Paris, 1982
2013
12/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
l'information et les idées sont l'une des rares ressources du Président de la Commission
européenne. Selon la procédure édictée à l'article 17 du Traité sur l'Union européenne, il
est d'abord désigné par le Conseil européen puis sa désignation doit être validée à la
majorité par le Parlement européen. Le Président de la Commission européenne, en
d'autres termes, est nommé et non élu. Il ne dispose donc pas de la légitimité
démocratique. En fait, cet attribut est celui des chefs d’État et de gouvernement. Le
Président de la Commission est alors dans l'obligation de légitimer son pouvoir par
d'autres moyens dont le discours , la diffusion d'idées et de représentations font partie.
D'une manière générale, j'aurai recours à l'analyse discursive pour rendre compte
de la force de ce discours. C'est avec beaucoup d'intérêt que je me suis initiée à cette
discipline qui n'est malheureusement pas dispensée à Sciences Po Rennes. Ce cadre
d'analyse me permettra de construire une analyse fine du contenu du discours. Il s'agira
grâce à ce cadre de déconstruire le discours donné par José Barroso.
La première impression donnée par ce discours est celle de la neutralité. Ce discours est
construit en effet de formes et de propositions très consensuelles. Cette impression sera
déconstruite sous le prisme de la stratégie de neutralité décrite par Pierre Bourdieu. Ainsi
il sera montré que dans son discours, José Barroso adopte cette stratégie, c'est-à-dire que
« ne trouvant rien à redire au monde social tel qu'il est, [il] s'efforce d'imposer
universellement , par un discours tout empreint de la simplicité et la transparence du bon
sens, le sentiment d'évidence et de nécessité que ce monde [lui] impose ; ayant un intérêt
au laisser-faire, [il] travaille à annuler la politique dans un discours politique dépolitisé,
produit d'un travail de neutralisation ou, mieux, de dénégation »11.
Grâce aux outils proposés par l'analyse de discours et notamment par Christian Le Bart12,
la volonté de neutralité affichée par la Commission européenne sera dépassée. Il sera
montré que le discours tenu est « politique» c'est-à-dire qu'il vise à maintenir voire à
augmenter les pouvoirs des institutions européennes. Je reprendrai donc la définition
11 Bourdieu P., Ce que parler veut dire, Fayard, Paris, 1982, p 155
12 Le Bart Ch., Le discours politique, PUF, Que sais-je ?, 1998
2013
13/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
proposée par Max Weber à savoir : « Quand on qualifie une question de « politique »,
quand on dit d'un ministre ou d'un fonctionnaire qu'il est un fonctionnaire « politique » ou
une décision qu'elle est conditionnée « politiquement », l'on entend toujours par là que
des intérêts relatifs à la répartition du pouvoir, à sa conservation ou à son transfert
interviennent de manière décisive dans la réponse à cette question, ou bien que ces
intérêts conditionnent cette décision, ou encore qu'ils déterminent la sphère d'activité du
fonctionnaire concerné »13. Seront donc mis en évidence les procédés rhétoriques,
appartenant traditionnellement au discours politique, qui légitiment l'Union européenne
dans un contexte de crise où l'on entend souvent dire qu'il y aurait des volontés de repli
national.
Pour compléter cette analyse et notamment pour étudier le contexte de
production du discours et ses effets sociaux, la notion de leadership sera mise à profit.
L'objectif étant de montrer que José Barroso construit un leadership en matière de social
grâce au discours. En menant une étude en termes de leadership, j'espère dans une
certaine mesure réactualiser ce concept qui a été laissé de côté depuis les années 1970 14.
L'étude d'un acteur pris isolément est aujourd'hui rare. L'Histoire continue certes de
produire des biographies mais les sciences sociales ont plutôt opté pour l'étude des
systèmes et des structures. Le pouvoir d'un seul homme n'est donc plus accrédité.
Pourtant, à des places aussi importantes que celle de la Présidence de la Commission
européenne, l'homme a son importance, c'est à lui que revient d'incarner son rôle au sens
où Erwing Goffman l'entend15. L'homme qui occupe la fonction de Président de la
Commission européenne doit agir de façon à donner vie à l'importance de cette fonction.
En d'autres mots, le Président de la Commission européenne doit ajouter au leadership
formel de sa fonction un leadership informel : celui de sa personne16.
13 Weber M., Le savant et le politique, La découverte, Paris, 2003, p 119
14 Jabko N., Le leadership dans l 'Union européenne : typologie sommaire et illustration dans le
cas de l'union monétaire, Politique européenne 1/2002 (n° 5), p. 85-104, www.cairn.info/revuepolitique-europeenne-2002-1-page-85.htm
15 Goffman E., La Mise en scène de la vie quotidienne, Paris, Éditions de Minuit, 1979
16 Jabko N., Le leadership dans l 'Union européenne : typologie sommaire et illustration dans le
cas de l'union monétaire, Politique européenne 1/2002 (n° 5), p. 85-104, www.cairn.info/revue2013
14/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
La notion de leadership est complexe. Il existe quasiment autant de définitions de cette
notion qu'il y a de personnes à avoir voulu en donner une. Cette difficulté est amplifiée du
fait que l'on se situe au niveau européen. A cet échelon, les entités dotées de pouvoir
sont d'autant plus difficiles à identifier que l'image généralement donnée est celle de la
neutralité. Aucune instance ne revendique un pouvoir supérieur aux autres. Et les textes
européens font également preuve d'un certain flou autour de la notion de pouvoir
puisqu'ils peuvent facilement être interprétés de différentes manières. La difficulté à saisir
qui est le détenteur du pouvoir au niveau européen se retrouve d'ailleurs dans les
productions académiques où s'opposent les thèses inter-gouvernementalistes et les
thèses institutionnalistes17. Le choix à donc été fait, pour définir la notion de leadership,
de se resserrer sur un auteur classique : Max Weber. Ainsi, la domination sera entendue,
comme le suggère l'auteur, comme « la chance de trouver des personnes déterminables
prêtes à obéir à un ordre de contenu déterminé ou manifestant une volonté d'obéir »18. Le
but sera de voir dans quelle mesure José Barroso parvient à ressembler au sein du
Parlement autour de sa personne grâce à son discours. Pour cela, il faudra voir si les
acteurs interrogés adhèrent ou non aux représentations proposées par José Barroso et
notamment au « modèle social européen ».
De plus, les différents modèles de leadership et les légitimités qui s'y associent proposées
par ce même auteur seront également retenus. Ainsi, je m'attacherai à chercher si José
Barroso relève plus de la domination traditionnelle, de la domination charismatique ou de
la domination rationnelle-légale. Différents indicateurs seront pour cela utilisés. Son statut
et son parcours seront notamment étudiés, ainsi que l'image que les Parlementaires ont
de la Commission européenne et de son Président en particulier.
Je m'appuierai également sur les travaux qui s'inspirent de Max Weber et qui prolongent
ses théories. Ainsi les travaux d'Andy Smith seront-ils mis à profit pour aller plus avant
politique-europeenne-2002-1-page-85.htm
17 Smith A., Le gouvernement de l'Union européenne : une sociologie politique, LGDJ, 2010
18 Weber M. cité dans Smith A., Sorbets C., Le leadership politique et le territoire, Presses
universitaires de Rennes, 2002
2013
15/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
dans l'identification du leadership de José Barroso.
De plus, le leadership exercé par José Barroso sera mis en perspective grâce à une
comparaison avec celui exercé par Jacques Delors. Cette comparaison sera réalisé au
moyen de travaux tels que l'ouvrage d'Helen Drake : Jacques Delors en Europe19 ou encore
d'articles prenant en exemple Jacques Delors tels que celui de Nicolas Jabko : Le
leadership dans l 'Union européenne : typologie sommaire et illustration dans le cas de
l'union monétaire20. Cette comparaison est doublement justifiée. D'une part, ce Président
de la Commission européenne a fait l'objet de plusieurs analyses, du fait d'un exercice du
pouvoir plus poussé, plus médiatisé que celui des autres Présidents de la Commission. Il y
a donc du matériau pour exercer une comparaison. Et d'autre part, les acteurs avec
lesquels je me suis entretenue ont souvent comparé José Barroso à Jacques Delors. Ils ont
notamment souligné que c'est sous la Présidence de Jacques Delors qu'une politique
sociale européenne s'est mise en place.
C'est grâce à une série de six entretiens que j'ai confronté la théorie au terrain.
J'aurais souhaité pouvoir m'entretenir avec un plus grand nombre d'acteurs mais
malheureusement, mes sollicitations d'entretien n'ont que rarement abouti. Sur soixantedix-huit mails envoyés, seuls dix-sept ont reçu une réponse dont sept positives. Un panel
large d'acteurs a été sollicité : beaucoup de parlementaires, une dizaine d'organisations
représentants les travailleurs et les employeurs participant au dialogue social européen,
des membres actuels de le Commission « Emploi, affaires sociales et inclusion », des
anciens membres de la Commission européenne et des universitaires. Les refus
d'entretiens ont été motivés soit par un manque de temps soit par un manque d'outils
pour discuter d'un discours. Il semble que le sujet ait été mal compris et cette impression
a été confirmée en entretien. Un des sept entretiens obtenus a malheureusement du être
annulé car la personne a eu un contre-temps.
19 Drake H., Jacques Delors en Europe, Presses universitaires de Strasbourg, 2002
20 Jabko N., Le leadership dans l 'Union européenne : typologie sommaire et illustration dans le
cas de l'union monétaire, Politique européenne 1/2002 (n° 5), p. 85-104, www.cairn.info/revuepolitique-europeenne-2002-1-page-85.htm
2013
16/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
Pour conduire mes entretiens, j'ai choisi la méthode de l'entretien semi-directif. Les
acteurs avaient ainsi une certaine liberté de réponse tout en étant guidés par les
questions. Une grille d'entretiens avait été élaborée. Des questions avaient en effet été
préparées à l'avance et avec chaque question un certain nombre de réponses attendues
avaient été rappelées. Évidemment ces réponses attendues n'étaient pas des choses très
précises mais plutôt des thèmes, des idées générales. La grille d'analyse était globalement
axée sur l'adhésion ou non au concept de « modèle social européen » et sur la conception
qu'ont les parlementaires européens des relations entre l'institution dont ils sont
membres et la Commission européenne. Grâce au travail préalable, des éléments de
réponse pertinents ont donc pu être recueillis.
Pour commencer ce travail de terrain, j'ai rencontré la maître de conférences en Sciences
économiques à l'université de Rennes 2, spécialiste des systèmes de protection sociale,
Pascale Turquet. Cet entretien m'a permis d'obtenir un regard extérieur mais informé sur
mon sujet et d'en vérifier la pertinence.
Par la suite, je me suis rendue au Parlement européen où j'ai rencontré deux membres du
Parlement européen et un conseiller politique. Les deux parlementaires que j'ai
rencontrés sont membres de la commission parlementaire « Emploi, affaires sociales et
inclusion » et le conseiller politique étaient proches de parlementaires travaillant dans
cette même commission. Ces trois acteurs étaient donc très au fait des politiques sociales
européennes et m'ont apportée des réponses assez précises. Suite à ce voyage à
Strasbourg, j'ai rencontré une députée dans sa circonscription d'élection. Cette membre
de la Commission « Agriculture et développement rural » m'a offert un regard non
spécialiste de la question sociale qui m'a permis de mettre en perspective les propos que
j'avais recueillis auparavant. Enfin, je me suis entretenue avec une autre députée par
téléphone. Elle m'avait été recommandée en tant que connaisseuse de l'ensemble des
politiques européennes. Elle est membre de la Commission parlementaire « Affaires
économiques et monétaires ». Ce bref entretien m'a permis de confirmer les impressions
que m'avaient laissées les précédents.
2013
17/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
La notion de leadership a été fortement remise en question par ces entretiens. En effet,
les trois acteurs ont tenu un propos assez sévère envers José Barroso et les
représentations qu'il porte dans son discours. Le Président de la Commission a été dépeint
comme une homme qui « parle beaucoup mais ne fait rien »21. Il m'a plusieurs fois été
suggéré de comparer l'ensemble de ses discours à ses propositions et actions en matière
de social pour voir le décalage. Le crédit apporté à l'homme pour agir en matière de
social auprès des acteurs rencontrés est donc faible. De plus, interrogés sur les relations
entre le Parlement et la Commission, les acteurs m'ont tous répondu qu'elles étaient
mauvaises. En terme de social, les membres du Parlement européen reprochent au
Président de la Commission de ne pas leur accorder assez de crédit et de temps. Et ce
n'est pas seulement à l'homme qu'ils ne souscrivent pas mais également aux
représentations qu'il souhaite diffuser. Interrogés sur le « modèle social européen », les
acteurs ont tout d'abord pris le soin de dire que cette notion n'existait pas dans la réalité
en rappelant qu'il n'y avait pas d'harmonisation et que les politiques sociales européennes
étaient faiblement développées puisque ce secteur était de la compétence des États.
Suite aux entretiens, j'ai suivi les conseils de certaines personnes interrogées. Je
me suis plongée dans la littérature produite par la Commission européenne et différentes
publications de sciences sociales traitant de la politique sociale européenne. Le but étant
de comparer le discours de José Barroso à l'Europe telle qu'elle se fait en matière de
social.
Quand on parle d'Europe sociale, il faut tout d'abord revenir sur les dispositions prises par
les traités. Selon l'article 4 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, l'Union
européenne dispose d'une compétence partagée avec les États membres pour la politique
sociale, la cohésion économique, sociale et territoriale. Selon l'article 5, « l'Union peut
prendre des initiatives pour assurer la coordination des politiques sociales des États
membres ». L'article 9 énonce que « dans la définition et la mise en œuvre de ses
politiques et actions, l'Union prend en compte les exigences liées à la promotion d'un
21 Entretien avec un membre du Parlement européen, 14 mars 2013
2013
18/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
niveau d'emploi élevé, à la garantie d'une protection sociale adéquate, à la lutte contre
l'exclusion sociale ainsi qu'à un niveau élevé d'éducation, de formation et de protection
de la santé humaine ». Le titre X intitulé « Politique sociale » précise que l'Union
européenne complète l'action de ses États membres pour développer une politique
favorisant la croissance et l'emploi, pour offrir une sécurité sociale et une protection
sociale, pour entretenir le dialogue social, pour protéger les travailleurs, pour lutter contre
l'exclusion etc. Le titre XI institue un Fonds social européen qui a pour but d'améliorer les
possibilités d'emploi des travailleurs dans le marché intérieur et de contribuer ainsi au
relèvement du niveau de vie »22 et dont l'administration incombe à la Commission
européenne. L'Union européenne a un pouvoir d'action ainsi que de nombreux objectifs
en matière de social. Cette institution a donc le statut pour être sociale.
Et des politiques sociales sont effectivement menées. La plus importante mesure en
matière de social est d'ailleurs le Fonds social européen énoncé dans le Traité sur le
fonctionnement de l'Union européenne. Ce fonds est un instrument financier de l'Union
européenne pour le soutien à l'emploi. Il représente environ 10 milliards d'euros par an
soit 10% du budget de l'Union européenne. Le FSE bénéficie aux entreprises publiques et
privées ayant pour projet « d'adapter les travailleurs et les entreprises aux évolutions
économiques, de favoriser le retour et le maintien dans l’emploi, d'intégrer les personnes
défavorisées et lutter contre les discriminations dans l’emploi, d'améliorer le système
d’éducation et de formation ou de promouvoir les partenariats et renforcer la capacité des
services publics, des partenaires sociaux et des ONG en matière d’accès au marché du
travail »23. Les financements sont attribués aux régions et gérées par elles. Les régions
sont classées en quatre catégories en fonction de leur produit intérieur brut par habitant.
Chaque région reçoit ainsi des financements du FSE en fonction de son niveau de
développement. Et il faut savoir également que chaque financement du FSE est
22 Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,
http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:C:2010:083:0047:0200:FR:PDF
23 Site officiel du Fonds Social Européen en France : http://www.fse.gouv.fr/qu-est-ce-que-le-fse/lefse-en-quelques-mots/presentation-generale-du-fse-en/article/presentation-generale-du-fse-en
2013
19/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
accompagné par un soutien financier public ou privé.
Étant donné que le social est une compétence partagée, la majorité des politiques
sociales menées au niveau européen le sont dans le cadre de la méthode ouverte de
coordination que la Commission définit comme suit : « la méthode ouverte de
coordination est un processus volontaire de coopération politique fondé sur
l'établissement d'objectifs et d'indicateurs communs destinés à mesurer la progression
vers ces objectifs. Les gouvernements traduisent les objectifs communs en plans d'action
présentés sous forme de rapports stratégiques nationaux. Ces rapports sont évalués par la
Commission et le Conseil […]. La méthode ouverte de coordination vise également à
mettre en place un apprentissage mutuel en ce qui concerne l'examen approfondi des
politiques, programmes et dispositifs institutionnels présentés comme constituant de
«bonnes pratiques» dans les rapports nationaux »24. La politique sociale européenne
repose donc en grande partie sur des mesures non-contraignantes. Cela explique que
d'une manière générale, l'Europe ne soit pas perçue comme sociale. Et cette impression
est renforcée dans la période actuelle du fait que le discours dominant des représentants
nationaux attribue à l'Union européenne la conduite de politiques d'austérité qui
réduisent les budgets alloués à des fins sociales.
Pour appuyer son discours, José Barroso dispose donc de la légitimité des textes
fondateurs. Grâce à la compétence partagée octroyée à l'Union européenne, il est fondé à
vouloir créer un leadership en matière de social. Cependant, il se trouve contredit par les
politiques menées. La dissonance entre ce qu'il énonce et les faits décrédibilise la volonté
qu'il affiche de préserver le « modèle social européen ».
En confrontant les résultats des entretiens, l'étude des politiques sociales
européennes et l'analyse du discours aux différents concepts théoriques annoncés
précédemment, il s'agira donc de voir dans quelle mesure la notion de modèle social
européen utilisée dans le discours sur l'état de l'Union européenne par José Barroso le
12 septembre 2012 participe-t-elle de la construction du leadership de la Commission
24 Site de la Commission européenne : http://ec.europa.eu/social/main.jsp?catId=753&langId=fr
2013
20/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
européenne en matière de social.
Pour répondre à cette problématique, trois hypothèses ont été développées.
La première hypothèse, axée sur le contexte de production, énonce que le Président de la
Commission européenne est déjà dans une position qui le rend légitime à parler de social,
avant de prononcer ce discours. Le statut et la personnalité de l'homme devraient lui
donner la légitimité pour discourir en matière de social.
La deuxième hypothèse met en évidence que le contenu même du discours démontre une
volonté de la part de José Barroso à agir dans le domaine social.
La troisième hypothèse, centrée sur les effets du discours, a pour objectif de voir que
cette prise de parole a découlé sur la légitimation de la Commission européenne en
matière de social. Ainsi, les Parlementaires accorderaient-ils de la légitimité à la
Commission pour parler de social et auraient-ils renoncé à la conception intergouvernementaliste qui fait du social une prérogative des États.
Pour répondre à cette problématique et vérifier ces hypothèses, une analyse en deux axes
a été conçue. Il s'agira tout d'abord de voir que ce discours, du point de vue de l'émetteur,
permet de légitimer une domination de la Commission européenne en matière de social
(I). Il faudra ensuite étudier le point de vue du récepteur, pour rendre compte que ce
discours est avant tout perçu comme décrédibilisant l'Union européenne en matière de
social (II).
2013
21/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
I. Légitimer par le discours :
l'affirmation du leadership de la
Commission européenne par les mots
Le discours sur l'état de l'Union européenne prononcé par José Barroso le 12
septembre 2012 participe positivement de la construction du leadership du Président de
la Commission européenne en matière de social. Le contenu même du discours démontre
une volonté de se positionner en leader, en rassembleur. En évoquant un maximum de
thèmes et de situations, José Barroso souhaite toucher chaque parlementaire et le rallier
à son pouvoir. En fait, la position depuis laquelle José Barroso émet ce discours présente
des avantages pour parler de social. En effet, en tant que Président d'une institution
neutre, il possède la légitimité pour énoncer en quoi consiste l'intérêt général européen.
Et cette position initiale se trouve, dans une certaine mesure, renforcée par le discours qui
développe l'idée d'une spécificité européenne, d'un « modèle social européen » à
préserver.
A. Un contexte de production porteur
d'opportunités
José Barroso dispose d'un contexte porteur d'opportunité pour émettre son
discours. Avant même de prononcer son discours, il se trouve dans une position qui le
rend légitime à parler de social. La neutralité affichée de la Commission lui permet en
effet de se prononcer sur l'intérêt général européen. Cette neutralité n'est cependant pas
incompatible avec une volonté de maintenir une position dominante, au contraire, elle la
2013
22/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
nourrit et la légitime.
1. Président de la Commission européenne :
un statut avantageux qui combine neutralité et pouvoir
Avant de parler de la position de José Barroso, il est nécessaire de revenir sur
l'Union européenne et son fonctionnement général. L'Union européenne (UE) est une
institution sui generis. En plus du libre-échange des biens commerciaux, l'UE permet la
libre circulation des capitaux, des hommes et des informations. Ce sont d'ailleurs ce que
l'on appelle les « quatre libertés fondamentales ». Surtout, l'UE institue le partage de la
souveraineté c'est-à-dire que les États membres ont, dans certains domaines, renoncé à
l'exclusivité de leur autorité sur le territoire national et à leur indépendance dans l'ordre
international.
Pour coordonner les politiques nationales, l'intérêt général européen est placé au-dessus
des intérêts nationaux. La Commission est notamment représentante de cet intérêt
général européen. Elle est dotée d'une administration propre qui élabore des textes
législatifs communs à l'ensemble des États membres et qui en vérifie la mise en
application. La Commission européenne compte ainsi 32 949 25 fonctionnaires, dont la
mission est non pas de représenter des intérêts nationaux mais de faire valoir les intérêts
européens. La fonction publique européenne doit faire preuve de neutralité, dépasser les
intérêts nationaux égoïstes. Cette volonté d'effacer les nationalités est d'ailleurs visible
dans le recrutement des administrateurs européens. Ils sont recrutés en partie en
fonction de leur nationalité mais de façon à ce que la Commission soit « un lieu de
brassage des langues et des cultures européennes »26.
La Commission européenne se veut donc neutre. Cécile Robert27 souligne d'ailleurs qu'en
25 http://ec.europa.eu/civil_service/about/who/index_fr.htm
26 ibid
27 Robert C., L'impossible « modèle social européen », Actes de la recherche en sciences
sociales 1/2007 (n° 166-167), p. 94-109, www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-ensciences-sociales-2007-1-page-94.htm
2013
23/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
matière de social, elle ne saurait légitimement adopter une autre position que celle de
l'application du droit et des procédures étant donné son absence de mandat politique
explicite. En effet, la notion de « modèle social européen » ne fait pas encore consensus
parmi les dirigeants nationaux qui souhaitent que les différences nationales soient
préservées.
La difficulté est que ce que recouvre la notion d'« intérêt général européen » est flou. Il
existe un conflit entre État-nation et souveraineté partagée. Ainsi les textes fondateurs de
l'Union européennes énoncent que les institutions européennes doivent à la fois servir
l'intérêt général européen et les États membres. La confusion entre l'intérêt général
européen et les intérêts des Etats membres est également visible dans la composition des
institutions. Jusqu'à présent, la Commission européenne compte vingt-sept membres, soit
un commissaire pour chaque nationalité de l'Union européenne. Il est également visible
dans les textes qui ne s'accordent pas sur la façon dont il convient de le nommer. Le traité
sur l'Union européenne parle simplement d'« intérêt général ». Le traité instituant la
Communauté européenne fait mention d'un « intérêt de la Communauté ». Le Traité sur
le fonctionnement de l'Union européenne énonce que le Comité économique et social et
le Comité des régions « exercent leurs fonctions [...] dans l'intérêt général de l'Union ».
L'Union européenne, au sein même de ses textes fondateurs, repose sur une ambiguïté.
Le flou autour de la notion d'intérêt général est doublée d'une ambiguïté dans la
distribution des pouvoirs au sein de l'UE. Il n'existe en effet aucun acteur central. Pour
reprendre l'analyse de François Foret28, la Commission européenne, de par sa position
supranationale, a une capacité à jouer le rôle de médiateur, à favoriser le compromis mais
ne dispose pas des ressources politiques classiques que sont l'appel au vote, la maîtrise de
l'agenda … Le Conseil européen, quant à lui, dispose de la légitimité démocratique, il
occupe une place centrale dans les médias étant donné que les sommets européens sont
simples à mettre en scène mais en tant que représentants d'une nation, les membres du
28 Foret F., Chapitre 3 / Incarner et ordonner l'Europe, in Légitimer l’Europe, Presses de Sciences Po,
2008, p. 81-115, ww.cairn.info/legitimer-l-europe--9782724610819-page-81.htm
2013
24/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
Conseil européen ne sauraient être également les représentant de l'intérêt
communautaire. Pour ce qui est du Parlement, il dispose d'une grande légitimité
démocratique mais cette légitimité est inversement proportionnelle à son poids dans les
décisions communautaires. Étant donné le flou dans la distribution du pouvoir, il y a donc
une lutte des institutions pour conserver voire augmenter le pouvoir qui lui est donné.
Cette ambiguïté dans la distribution des pouvoirs est particulièrement avérée en
matière de social, étant donné que la compétence pour la politique social, la cohésion
économique, sociale et territoriale est partagée, selon l'article 4 du Traité sur le
fonctionnement de l'Union européenne, entre l'Union européenne et les États membres .
Selon l'article 5, « l'Union peut prendre des initiatives pour assurer la coordination des
politiques sociales des États membres ». L'article 9 énonce que « dans la définition et la
mise en œuvre de ses politiques et actions, l'Union prend en compte les exigences liées à
la promotion d'un niveau d'emploi élevé, à la garantie d'une protection sociale adéquate,
à la lutte contre l'exclusion sociale ainsi qu'à un niveau élevé d'éducation, de formation et
de protection de la santé humaine ». Le titre X intitulé « Politique sgociale » précise que
l'Union européenne complète l'action de ses États membres pour développer une
politique favorisant la croissance et l'emploi, pour offrir une sécurité sociale et une
protection sociale, pour entretenir le dialogue social, pour protéger les travailleurs, pour
lutter contre l'exclusion etc. Le titre XI institue un Fonds social européen qui a pour but
d'améliorer les possibilités d'emploi des travailleurs dans le marché intérieur et de
contribuer ainsi au relèvement du niveau de vie »29 et dont l'administration incombe à la
Commission européenne. On voit donc que la TFUE fournit à la Commission européenne
une marge d'action en matière de social.
Étant donné le flou autour de la notion d'intérêt général européen et dans
l'ambiguïté de la distribution des pouvoirs, José Barroso dispose d'une fenêtre
d'opportunité au sens de John Kingdom pour parler de social. Sa position supra-nationale
29 Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,
http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:C:2010:083:0047:0200:FR:PDF
2013
25/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
peut être utilisée pour défendre sa capacité à prendre des décisions. Or la définition de
l'intérêt général est très liée à la défense d'un certain modèle social. Le Président peut
donc tirer profit du flou qui existe entre administration et politique au niveau européen
pour acquérir un pouvoir leadership en matière de social. La Commission européenne,
que l'on présente comme une institution neutre comparée au Conseil européen, est en
effet un très bon exemple du flou qui peut exister entre administration et politique décrit
par Jacques Lagroye : « En pratique, la délimitation du domaine administratif et du
domaine politique tient moins de la frontière bien matérialisée gardée par d'improbables
« gardes-barrières du système politique » (pour reprendre la vieille métaphore de David
Easton) que des marches incertaines, confins de deux territoires qui se compénètrent, où
les escarmouches sont fréquentes sans pour autant interrompre l'activité sans relâche de
« passeurs » qui chevauchent en tous sens, transportent de l'un à l'autre monde des
objets, des problèmes, des requêtes, des institutions, des refus, des solutions »30.
La Commission européenne dispose ainsi d'un leadership formel, au sens de Nicolas
Jabko31, en matière de social. Le leadership formel étant « une façon de mener qui se
fonde sur des éléments d’organisation formelle ». Les éléments d'organisation formels
que sont le statut de défenseure de l'intérêt général européen et la compétence partagée
pour la politique sociale, autorisent le Président de la Commission européenne à
construire un leadership en matière de social.
2. José Barroso : une carrure pour incarner le rôle
Le statut de Président de la Commission européenne permet de parler de social.
Cependant, le statut ne suffit pas. Il faut que ce statut soit incarné, José Barroso doit jouer
son rôle au sens d'Erwing Goffman. Il doit se mettre en scène pour qu'on croie et que luimême croie en la capacité du Président de la Commission européenne à effectivement
30 Lagroye J., La politisation, Belin, 2003, p 48-49
31 Jabko N., Le leadership dans l 'Union européenne : typologie sommaire et illustration dans le
cas de l'union monétaire, Politique européenne 1/2002 (n° 5), p. 85-104, www.cairn.info/revuepolitique-europeenne-2002-1-page-85.htm
2013
26/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
discourir en matière de social.
Nicolas Jakbo dirait que José Barroso doit ajouter au leadership formel un leadership
informel. Le leadership informel désignant ce qui est au-delà de cette dimension
matérielle. Cette dimension non formelle du leadership repose en partie sur une capacité
à rassembler, à exercer un magnétisme.
Cette incarnation du rôle, cette dimension informelle repose sur des ressources
personnelles. Et José Barroso dispose d'un certain nombre de caractéristiques qui lui
permettent de construire cette dimension informelle du leadership.
Il convient de noter que José Barroso, en tant que membre du Parti Populaire Européen,
appartient au parti politique ayant le plus de siège au sein du Parlement européen pour la
législature 2009-2014. Étant du même parti que lui, on peut s'attendre à ce que les deuxcents-quatre-vingt-six députés membres du Parti Populaire Européen souscrivent aux
représentations du monde social présentées par le
Président de la Commission
européenne, à son idéologie. Ils sont notamment susceptibles de valider la notion de
« modèle social européen ». Or, en adhérant à l'idéologie de José Barroso, ils auront plus
de facilité à accepter les politiques proposées. Et la notion de « modèle social européen »,
étant donné qu'elle est au singulier, laisse transparaître une volonté d'unification,
d'harmonisation.
De plus, comme tous ses prédécesseurs au poste de Président de la Commission
européenne, José Barroso a, avant son élection, été le titulaire des postes clés. Il avait
déjà occupé des positions de leader avant de se trouver dans son poste actuel. Il a
notamment été président du Parti Social Démocrate à l'Assemblée nationale portugaise
de 1999 à 2004. Pendant cette même période, il était vice-président du Parti Populaire
Européen. Et en 2002, il a été nommé premier ministre du gouvernement portugais.
Une sensibilité européenne peut également être légitimement attendue. José Barroso a
été critiqué pour son manque d'europhilie, notamment au moment de sa réélection en
2009. Cependant, la Commission européenne est parvenue à trouver des éléments de son
2013
27/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
parcours qui démontre un intérêt pour l'Europe et à les mettre en valeur afin de lui
donner la crédibilité nécessaire 32. Ainsi, le curiculum affiché sur le site internet de la
Commission européenne fait mention de son diplôme en études européennes obtenu à
l'institut d'études européennes de l'université de Genève avec mention ; souligne qu'en
1979, il a fondé l'Association universitaire d'études européennes à l'Université de Lusiada
à Lisbonne ; ou encore rappelle qu'il a reçu le titre d'«Européen de l'année 2006» décerné
par le journal European Voice.
« [José Barroso] est polyglotte de surcroît et c'est très apprécié évidemment au
Parlement. Ce ne sont pas des détails anecdotiques. En réalité, c'est du coup beaucoup
plus facile »33 n'a pas manqué de souligner une des parlementaires rencontrés. Cette
qualité est vue comme un avantage pour rassembler autour de sa personne. Sa capacité à
parler le portugais, le français, l'anglais, l'espagnol et l'allemand, permet au Président de
la Commission européenne de créer du lien avec les parlementaires dont il parle la
langue, dans le cadre des commissions.
José Barroso est par ailleurs connu pour être un homme doté d'une extraordinaire
capacité d'adaptation. Le fait qu'il soit surnommé le « caméléon »34 illustre cette
réputation. Cette qualité a été soulignée par les acteurs rencontrés. José Barroso a
notamment été comparé à une « caisse de résonance de la pensée dominante »35. Cette
métaphore a été utilisée pour imager le fait que José Barroso ne défend pas ses propres
conceptions mais celles portées par d'autres acteurs. Il s'adapte donc au courant
dominant afin d'être accepté dans sa position. Son cheminement politique illustre sa
capacité d'évolution. En effet, de maoïste dans sa jeunesse, José Barroso est aujourd'hui
membre du Parti populaire européen (PPE) qui regroupe notamment l'Union pour un
32 CV de José Barroso écrit par la Commission européenne : http://ec.europa.eu/commission_20102014/president/about/cv/index_fr.htm
33 Entretien, 15 mars 2013
34 Barroso, le caméléon de la politique européenne, Le Point du 16 septembre 2009,
http://www.lepoint.fr/actualites-monde/2009-09-16/barroso-le-cameleon-de-la-politiqueeuropeenne/924/0/377648
35 Entretien, 13 mars 2013
2013
28/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
Mouvement populaire (UMP) français, l'Union Démocrate Chrétienne (UDC) allemande et
le Parti Social Démocrate (PSD) portugais. Il est donc, selon la grille de lecture française,
passé de l'extrême-gauche de l'échiquier politique, à la droite.
Une telle position marquée par l'adaptation est qualifiée de « réserve » par Nicolas Jabko
et constitue l'une des stratégies possibles pour construire le leadership informel. Cette
position consiste à « rester dans l’ombre, à rechercher le consensus, voire à faire semblant
de suivre les autres ». Bien que les apparences données par cette positon donnent
l'impression d'un effacement, il n'en est rien. C'est un subtil jeu qui consiste à saisir les
idées porteuses pour s'en emparer afin de les faire siennes.
Les acteurs rencontrés disent que cette position est une spécificité de Barroso. Ils fint une
opposition entre José Barroso, qui serait un suiveur, et Jacques Delors, qui serait un
décideur. Or Nicolas Jabko applique la stratégie de réserve à Jacques Delors. Ce Président
de la Commission européenne a conduit à l'adoption de l'Union économique et monétaire
(UEM). Pourtant, ce n'est pas lui qui a pris les décisions pour en arriver à ce résultat. Il a
laissé les chefs d’États et de gouvernements faire ce travail. Son influence a été décisive
mais subtilement masquée. D'ailleurs, les récits de la construction de l'UEM aujourd'hui
ne retiennent que le rôle des membres du Conseil européen et font peu état du
leadership de Jacques Delors dans le processus.
Jacques Delors a fait preuve d'adaptabilité et c'est une des caractéristiques qui lui a
permis de se positionner en leader. La malléabilité de José Barroso laisse penser qu'il
souhaite adopter la même stratégie que son prédécesseur. Il est permis de penser que
José Barroso peut, de la même façon que Jacques Delors, construire un leadership dans le
domaine social.
2013
29/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
3. Une conjecture qui appelle à de nouvelles
solutions et à l'affirmation de l'Union européenne
Le 12 septembre 2012, au moment où José Barroso doit prononcer son discours
sur l'état de l'Union, le bilan qu'il a à réaliser n'est pas évident. L'Union européenne
connaît effectivement une crise que le discours dominant dit être la plus grave depuis sa
création.
L'Europe, en 2008, a assisté tout d'abord à une crise financière. Puis cette crise
s'est transformée en crise économique. Et aujourd'hui, la crise est sociale et politique.
Ainsi, en décembre 2012, un quart de la population européenne était menacée de
pauvreté ou d'exclusion sociale, l'UE comptait 25 millions de chômeurs
Cette crise peut être saisie comme une fenêtre d'opportunité au sens de John
Kingdom par le Président de la Commission européenne pour mettre en avant le domaine
social. C'est notamment la demande de la Confédération européenne des syndicats 36.
Pour le moment, cette opportunité n'a pas été saisie mais selon les acteurs rencontrés,
rien n'empêche le Président de la Commission européenne de vouloir renforcer la
politique sociale européenne. Certains parlementaires soutiennent qu'il faut une politique
sociale générale, à l'image d'un des parlementaires européens rencontrés qui explique
que la crise a montré la nécessité de parfaire l'union économique et monétaire en
renforçant la coordination des politiques économiques et qu'« une politique économique
c'est aussi une politique sociale »37 . Selon lui, le futur de l'UE doit être la construction
d'une union sociale avec des règles minimales qui assurent l'égalité de traitement.
D'autres appellent à des politiques plus ciblées telles qu'une politique d'encadrement des
licenciements qui sont nombreux en cette période de crise : « We have a lot of companies
closing down, relocating at the moment and we said that there must be a more sensible
approach to manage that process, so we don't see tens of thousands of people thrown
36 Déclaration de la Confédération européenne des syndicats :Recherche d’urgence : leadership
européen pour lutter contre la nouvelle dépression, 2009, http://www.etuc.org/a/5995
37 Entretien avec un membre du Parlement européen, 14 mars 2013
2013
30/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
out of work »38.
La conduite d'une politique sociale européenne pourrait être menée afin de doter
l'UE d'une nouvelle légitimité. L'Union européenne est en effet accusée par le discours
dominant d'imposer des politiques d'austérité qui plongent les États membres en
récession et les citoyens dans la misère. Parallèlement, l'efficacité des politiques
d'austérité est remise en question et des États membres de l'Union européennes y
renoncent pour mettre en place des politiques à caractère social. Le Président de la
Commission européenne peut ainsi construire une légitimité par l'exercice du pouvoir
grâce à une stratégie d'auto-imputation telle que décrite par Christian Le Bart. Cette
stratégie se divise en trois étapes. Premièrement, José Barroso établit dans son discours
qu'il est nécessaire de préserver le « modèle social européen », il construit cette nécessité
en problème public européen et il se tient informé des initiatives nationales en matière
de social. La seconde étape consiste en un accompagnement de ces initiatives et la
troisième en une imputation des résultats positifs de ces inititiatives en matière de social.
José Barroso pourrait ainsi apporter la preuve de sa capacité à satisfaire les intérêts de
chacun en matière de social.
B. Construire le leadership en rassemblant
grâce au discours
L'analyse du contenu du discours sur l'état de l'Union européenne de 2012 montre
que son but premier est de rassembler. Ce discours semble vouloir tout dire, couvrir tous
les sujets, il est quasiment exhaustif. Cela permet de toucher un maximum de
parlementaires car tous les groupes politiques du Parlement peuvent trouver dans ce
discours un sujet qui les préoccupent. De plus, José Barroso proposent des
représentations sociales marquantes telles que celle de « modèle social européen ». Il
montre ainsi un sens politique nécessaire à la construction du leadership.
38 Entretien avec un membre du Parlement européen, 13 mars 2013
2013
31/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
1. Le discours politique comme stratégie
Si la Commission européenne adopte une stratégie de neutralité, le discours sur
l'état de l'Union européenne prononcé par José Barroso le 12 septembre 2012 n'en est
pas moins politique. En effet, il utilise les quatre invariants du discours politique mis en
évidence par l'analyse proposée par Christian Le Bart dans Le discours politique39.
Le premier invariant du discours politique consiste à présenter la réalité sociale
comme transparente. José Barroso le respecte en réalisant une analyse claire de la
situation. Le procédé de l'énumération est utilisé plusieurs fois tout au long du discours
pour illustrer une capacité à identifier les problèmes et les solutions. Il utilise en effet
deux-cents-cinquante-deux connecteurs logiques d'addition. José Barroso se présente
ainsi comme l'homme qui va rendre intelligible ce que la majorité des gens a du mal à
comprendre.
Pour appuyer l'idée que la réalité sociale est transparente, José Barroso utilise par ailleurs
des métaphores. Il compare l'Union européenne à un bateau, ce qui lui permet
d'expliquer la nécessité de solidarité entre les États membres de l'Union européenne de
façon très simple. Plus loin, il utilise la métaphore du combat de boxe pour imager la
façon dont il ne veut pas que les sommets européens soient perçus. L'image de la violence
permet de décrédibiliser les oppositions d'idées et surtout les rapports de force car la
violence en politique est mal perçue.
De plus, José Barroso utilise des formulations qui disent clairement son impression que la
réalité sociale est transparente. L'adjectif « clair » et l'adverbe « clairement » sont utilisés
cinq fois. L'adjectif « simple » et 'adverbe « simplement » sont utilisés quatre fois.
Le deuxième invariant du discours politique est la présentation de l'autorité
politique comme légitime. Cette légitimité de l'autorité du Président de la Commission est
avant tout présumée. Il se pense légitime puisqu'il fait des propositions d'actions. S'il ne
se sentait pas légitime, il dirait par exemple que c'est aux Etats membres d'agir. Le sujet
39 Le Bart Ch., Le discours politique, PUF, Que sais-je ?, 1998
2013
32/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
principalement utilisé est « l'Europe ».
José Barroso va au-delà de cette présomption et s'attache à dire que l'Union européenne
est l'échelon pertinent pour résoudre la crise. Les États membres isolément sont
présentés comme impuissants. Les actions à l'échelon européen paraissent ainsi légitimes
parce qu'elles ont un impact. L'Union européenne est ainsi légitimée par la nécessité de
peser dans un monde globalisé et par la nécessité de résoudre une crise européenne par
des solutions européennes.
Le troisième invariant du discours politique est la prétention à la maîtrise des
phénomènes sociaux. Or, le fait déjà de pouvoir expliquer la crise accrédite José Barroso
d'une certaine maîtrise des phénomènes sociaux. La régulière publication d'articles de
presse discutant des raisons et des causes de la crise actuelle témoigne du fait que celle-ci
n'est pas comprise par tous.
De plus, José Barroso montre qu'il a les solutions aux problèmes qu'il expose. Il énumère,
de façon quasiment exhaustive, l'ensemble des solutions qu'il souhaite mettre en place :
« une nouvelle philosophie pour l'Europe », de la croissance économique, des réformes
structurelles, plus de compétitivité, une simplification de la fiscalité, « un budget de
l'Union réaliste mais ambitieux », un système de protection sociale « efficace », de
l'emploi, une union bancaire, une union budgétaire, une union politique, une « Europe
active et influente » au niveau mondial, une révision des traités une fédération d’Étatsnations etc.
Il est à noter que la majorité des verbes déterminés par « la Commission » ou un
équivalent sont au futur. Cela donne l'impression que José Barroso sait où il va. Le fait
qu'il ait déjà prévu le futur donne à montrer un homme organisé et déterminé.
Et le dernier invariant du discours politique consiste à présenter l'addition des
citoyens comme une communauté. Avant de parler des citoyens, José Barroso parle des
États membres de l'Union et insiste sur leur communauté de destin comme nous l'avons
vu plus haut. Il faut ajouter que le Président de la Commission européenne, pour appuyer
2013
33/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
cette idée de communauté, pour appuyer la nécessité pour les États membres d'agir en
partenariat, utilise beaucoup le mot « ensemble ».
Pour ce qui est d'une communauté de citoyens, le Président de la Commission y croit
également puisqu'il parle des citoyens en général dans son discours. Le substantif « les
citoyens » est ainsi utilisé douze fois sans jamais qu'il lui soit adossé d'adjectif précisant
leur nationalité.
José Barroso a cependant conscience que les enjeux européens ne sont pas assez
médiatisés pour pouvoir prétendre pleinement à l'idée de communauté des citoyens
européens d'aujourd'hui. Il déplore l'absence de débat européen qui pourrait créer une
citoyenneté européenne. Et il sous-entend en même temps que les citoyens des États
membres, s'ils étaient inclus dans un débat européen comme il le souhaite, pourraient
former une communauté.
Parce qu'il y présente la réalité sociale comme si elle était transparente, parce qu'il
présume l'autorité politique depuis laquelle il émet son discours comme légitime, parce
qu'il prétend maîtriser les phénomènes sociaux et parce qu'il présente l'ensemble des
États et des citoyens comme une communauté, José Barroso respecte les critères du
discours politique développé par Christian Le Bart. Et le fait de prononcer un discours
politique démontre chez cet homme une volonté de garder son pouvoir, voire de
l'augmenter étant donné qu'il suggère dans son discours d'accroître les domaines de
compétences de institutions européennes.
Comme l'explique Patrick Charaudeau, « le discours politique comme système de pensée
est le résultat d'une activité discursive qui cherche à fonder une réalité politique en
fonction de certains principes qui doivent servir de référence à la constructions des
opinions et des positionnements »40. Autrement dit, en prononçant un discours politique,
José Barroso se donnent pour objectif de construire les représentations sociales qu'ont les
membres du Parlement européen. Or, si les parlementaires utilisent les mêmes
40 Charaudeau P., Le discours politique, Les masques du pouvoir, Vuibert, Paris, 2005
2013
34/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
représentations que le Président de la Commission pour décrire le présent et établir ce
qu'ils souhaitent établir pour le futur, le Président de la Commission pourra instaurer un
leadership sur un imaginaire collectif.
Dans une certaine mesure, cette stratégie fonctionne car les parlementaires rencontrés
ont validé l'analyse proposé par le Président de la Commission européenne. Cette analyse
est validée par les acteurs rencontrés. Ainsi, un parlementaire confie : « j'ai été fortement
impressionné en voyant qu'il a fait une bonne approche du problème de l'Europe et des
racines des problèmes »41. Le parlementaire jugeait que José Barroso avait bien analysé
les problèmes de l'Union européenne et que les solutions proposées étaient bonnes bien
que trop vagues. Bien qu'il s'estime en opposition avec José Barroso, il reprend les
représentations qu'il propose pour décrire la situation dans laquelle se trouve l'UE.
2. Rassembler en évitant le clivage politique et en
visant l'exhaustivité
Même s'il est politique, ce discours n'en est pas moins neutre. Dans le discours sur
l'état de l'Union européenne, d'une part José Barroso ne pointe personne du doigt et
d'autre part, il semble traiter tous les thèmes, tous les sujets afin de plaire à tous les
membres du Parlement à qui il s'adresse. De manière générale, José Barroso entretienth
un certain flou dans son discours. Le langage institutionnel qu'il emploie peut être
interprété de différentes manières. Son discours revêt ainsi, selon les mots d'Alice KriegPlanque42, un caractère pluri-intéressé.
La volonté de neutralité de la Commission est reflétée dans le discours sur l'état de
l'Union européenne. Il n'y a pas de formule qui clive, peu de formulations normatives.
Ainsi, les adjectifs les plus utilisés sont « économique » (26 fois), « politique » (23 fois),
« nouveau » (17 fois), « véritable » (14 fois), « seul » (12 fois).
41 Entretien, 14 mars 2013
42 Krieg-Planque A., Analyser les discours institutionnels, Armand Colin, ICOM, 2012
2013
35/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
De plus, le contenu du discours est très éclectique. Cette caractéristique est en partie due
à l'objet du discours, à savoir faire le point sur les politiques menées pendant l'année et
annoncer les lignes tracées pour les futures politiques. Le premier discours sur l'état de
l'Union européenne a été prononcé en 2010 par ce même homme. Ainsi, il n'est pas
possible de comparer le style de différents Présidents de la Commission sur le même
exercice. Mais on peut noter que les années précédentes, le discours sur l'état de l'Union
européenne était moins long. Alors que celui de 2012 fait quinze pages, ceux de 2011 et
de 2010 en faisaient onze. La volonté de faire un discours complet est donc amplifiée en
2012.
Le conseiller politique du groupe des Verts que nous avons rencontré, en ayant
pour référence le discours prononcé pour l'ouverture du deuxième mandat de José
Barroso, compare l'actuel Président de la Commission à un « DJ consensuel » qui « fait de
musique pour tout le monde ». Cet acteur n'est pas le seul à tenir ce discours quant à la
capacité de José Barroso à faire des discours consensuels où tout le monde peut trouver
quelque chose qui lui plaise. La plupart des acteurs rencontrés ont noté cette volonté
d'exhaustivité. Et cette analyse peut être réutilisée pour lire le discours sur l'état de
l'Union européenne de 2012.
Avec le terme « croissance » utilisé dix-sept fois, le terme « compétitivité » utilisé cinq
fois, José Barroso s'adresse aux membres du PPE pour qui les enjeux économiques sont
prioritaires. En insistant sur la « justice et l'équité », en parlant de la nécessité d'envoyer
un « message d'espoir » à la jeunesse, en affirmant sa volonté de préserver le « modèle
social européen », il cherche à séduire les socialistes. Il rappelle sa volonté de développer
les énergies renouvelables et parle de « croissance durable » et ainsi il s'adresse aux
membres écologistes du Parlement européen. Avec le terme « réforme » qui apparaît dixneuf fois, José Barroso souhaite gagner l'approbation des libéraux. En parlant de
« solidarité » et en évoquant la situation de la Grèce, il attire l'attention des membres de
la Gauche unitaire européenne. Et il peut même séduire les membres conservateurs grâce
au rappel du principe de subsidiarité. Il y en a pour tous les partis politiques du Parlement
2013
36/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
européen.
De plus, pour rassembler, José Barroso se garde de désigner un ennemi, même
quand il dit qu'il y a des responsables. Il utilise la première personne du pluriel au lieu de
nommer le coupable des erreurs qu'il identifie. Il démontre sa volonté de fédérer en
taisant les noms. En fait, les seuls ennemis politiques sur lequel le Président de la
Commission européenne met un nom sont les eurosceptiques. Mais cet ennemi est
consensuel et se trouve en général en dehors des institutions européennes. Cela explique
qu'il se permette de les identifier.
Par ailleurs, José Barroso insiste à plusieurs reprises sur la nécessaire coopération
du Parlement européen à l'action qu'il propose et la coopération entre toutes les
instances européennes en général. Il utilise pour cela l'adverbe « ensemble » à plusieurs
reprises. Et il insiste sur l'importance du rôle du Parlement européen.
De par l'exhaustivité et l'évitement du clivage politique, le discours sur l'état de
l'Union européenne de 2012 répond au critère de la stratégie de neutralité décrite par
Pierre Bourdieu. « Les dominants, faute de pouvoir restaurer le silence de la doxa (en
italique dans le texte original), s'efforcent de produire par un discours purement
réactionnel le substitut de tout ce que menace l'existence même du discours hérétique.
Ne trouvant rien à redire au monde social tel qu'il est, ils s'efforcent d'imposer
universellement, par un discours tout emprunt de la simplicité et de la transparence du
bon sens, le sentiment d'évidence et de nécessité que ce monde leur impose ; ayant
intérêt au laisser-faire, ils travaillent à annuler la politique dans un discours politique
dépolitisé, produit d'un travail de neutralisation ou, mieux, de dénégation, qui vise à
restaurer l'état d'innocence originaire de la doxa et qui, étant orienté vers la naturalisation
de l'ordre social, emprunte le langage de la nature »43. Il convient de préciser que dans les
termes de Pierre Bourdieu « restaurer le silence de la doxa » signifie imposer une
idéologie dominante, éliminer les discours proposant une alternative. José Barroso dans
son discours sur l'état de l'Union européenne applique cette logique. Parce qu'il se
43 Bourdieu P., Ce que parler veut dire, Fayard, Paris, 1982, p 155
2013
37/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
montre exhaustif, il souhaite qu'on ne puisse pas faire de proposition qui dépasse son
discours. Et parce qu'il ne dénonce personne, si ce n'est les « anti-Européens », il veut
n'exclure personne de ses propos. Il travaille ainsi à faire un discours acceptable par tous
et si possible relayé par l'ensemble des membres du Parlement européen.
On peut aussi évoquer cette idée en réutilisant le concept de « réserve » développé par
Nicolas Jabko. La « réserve » étant l'une des attitudes que l'on peut adopter pour
construire un leadership informel. Or cette position qui consiste à « rester dans l’ombre, à
rechercher le consensus, voire à faire semblant de suivre les autres »44 est celle adoptée
par José Barroso dans le discours sur l'état de l'Union européenne de 2012.
3. Montrer
un
sens
politique
grâce
aux
propositions phares
Pour construire un leadership informel en matière de social, José Barroso ne se
contente pas d'appliquer l'attitude de réserve. Il s'efforce également de faire preuve d'un
sens politique que Nicolas Jabko définit comme « une certaine capacité à échafauder des
paris audacieux au moment où des opportunités se présentent, de façon à infléchir le
mouvement naturel des choses et donc à prendre les devants de l’histoire ». Derrière la
volonté de fédérer le Parlement européen autour de son action grâce à la diffusion de
représentations sociales, le Président de la Commission travaille à faire propositions
phares c 'est-à-dire des propositions audacieuses qui ont vocation à éclairer, à servir de
modèle.
Il propose ainsi une « nouvelle philosophie pour l'Europe ». Cette proposition est
remarquable car elle dépasse le champ politique. Elle permet de doter José Barroso d'une
capacité à avoir une vision d'ensemble. Or cette capacité est très appréciée dans l'UE où il
faut à la fois coordonner différentes politiques, différents secteurs, comme au niveau
44 Jabko N., Le leadership dans l 'Union européenne : typologie sommaire et illustration dans le
cas de l'union monétaire, Politique européenne 1/2002 (n° 5), p. 85-104, www.cairn.info/revuepolitique-europeenne-2002-1-page-85.htm
2013
38/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
national et aussi penser les différences qui existent entre les différents États membres de
l'Union européenne.
Le Président de la Commission propose ensuite un « pacte décisif pour l'Europe ». Le
vocabulaire employé dans cette proposition est fort : « pacte », « décisif », « valeurs »,
« confiance » … José Barroso montre une volonté de créer un rassemblement autour de
quelque chose de fort.
Par la suite, il s'éloigne de l'abstraction qui est de mise au début du discours sur l'état de
l'Union européenne et évoque des mesures plus précises. Parmi les mesures phares qu'il
énonce, il y a tout d'abord l'union bancaire et l'union budgétaire. De cette façon, José
Barroso répond aux critiques qui ont pu être formulées à l'égard de l'Union lors de la
résolution des crises de dette souveraine concernant un manque de coordination entre
les différentes politiques économiques des Etats membres, notamment formulées par les
économistes45. José Barroso avec la proposition d'union bancaire et d'union budgétaire
entend répondre aux failles de l'Union européenne et se positionne en homme conscient
de la situation à laquelle il a affaire.
Il en va de même quand le Président de la Commission européenne propose un peu plus
loin dans le discours de construire une union politique. Il est à noter cependant que José
Barroso est moins à l'aise avec cette idée et ne formule pas clairement l'idée que l'Union
européenne doit se doter d'une union politique. Du moins, il ne formule pas ce besoin
aussi franchement que la nécessité d'une union bancaire et d'une union budgétaire. Et en
évoquant « une complémentarité et une coopération entre le Parlement européen et les
parlements nationaux » ainsi que la subsidiarité, il montre un respect de l'échelon
national qui le garantit contre les critiques des eurosceptiques. Bien qu'il propose une
union politique, José Barroso respecte donc la stratégie de neutralité adoptée par la
Commission européenne. Il entretient le flou qui existe entre administration et politique
45 Jamet J.-F., L'Europe peut-elle se passer d'un gouvernement économique ?, La documentation
Française, Réflexe Europe, Paris, 2011 ; Dévoluy M., L'euro est-il un échec ?, La documentation
Française, Réflexe Europe, Paris, 2011
2013
39/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
décrit par Jacques Lagroye46.
Enfin, dernière proposition phare du Président de la Commission européenne : une
fédération d’États-nations. C'est la proposition que les acteurs interrogés, que les médias
ont retenu.
José Barroso se pose en homme déterminé pour apparaître comme le leader
légitime de ce rassemblement et des propositions qu'il formule. Il utilise d'ailleurs la
première personne du singulier pour faire ses propositions phare, alors que c'est la
première personne du pluriel qu'il utilise majoritairement dans ce discours. En effet, le
pronoms personnels à la première personne du pluriel (nous), avec cent trente-deux
occurrences, constitue 39,6% des pronoms personnels utilisés, les pronoms personnels à
la première personne du singulier (je, moi), avec quarante-deux occurrences, 12,6% et les
pronoms à la troisième personne du singulier (il, elle, lui), avec soixante-dix occurrences,
21%.
José Barroso fait une utilisation très habile des pronoms personnels. « Nous » est
utilisé dans des phrases à connotation moins positives. Il est en effet associé aux termes
« incertitude », « besoin », « crise », « effort », « mesure ». Ce pronom est utilisé de façon
général pour collectiviser les responsabilités et les devoirs. Les éléments relativement plus
négatifs sont reliés au « nous ».
La première personne du singulier qui est moins utilisée, est toujours sujet des
propositions. Il est associé aux termes « conviction » et « fédération ». Le « je » est donc
utilisé par José Barroso pour se positionner en acteur, en homme qui prend des décisions,
qui vérifie que les choses vont dans le sens qu'il souhaite. Il s'affiche en leader.
Pour ce qui est de la troisième personne du singulier, elle est avant tout utilisée dans des
formules impersonnelles telles que « il a fallu »,
« il est inacceptable de », « il est
important de », « il s'agit de », « il est possible de » … Ce pronom personnel est ainsi
utilisé dans des formules normatives qui dictent le chemin à suivre pour l'Union
46 Lagroye J., La politisation, Belin, 2003
2013
40/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
européenne à l'avenir. Le « il » permet aussi de faire reposer la contrainte sur une entité
impersonnelle.
Nous noterons que « elle » est surtout utilisé pour se substituer à
« l'Europe » et permet de personnaliser l'Europe et de lui donner de la vie, de sortir de
l'abstraction. C'est un moyen de rendre l'Europe attrayante et d'insuffler aux membres du
Parlement européens de se battre aux côtés du Président de la Commission européenne
pour la « défendre ».
C. Consacrer l'Union européenne et sa
légitimité à agir : le pouvoir des mots
Ce discours sur l'état de l'Union européenne a pour effet de consacrer l'Union
européenne. Les membres du Parlement européen rejoignent José Barroso quand il
désigne l'Union européenne comme l'échelon le plus approprié pour résoudre la crise
actuelle. L'organisation formelle de l'Union européenne est validée et la position du
Président de la Commission européenne du même coup. Au-delà de ça, les membres du
Parlement européen sont également d'accord avec la volonté d'approfondir l'Union
européenne. L'idée d'une politique sociale européenne qui aille plus loin est approuvée
par les acteurs rencontrés. José Barroso établit un terrain favorable à la mise en place
d'une politique sociale.
1. Consacrer
l'intégration
européenne
pour
protéger l'Union
La consécration est entendue par Pierre Bourdieu comme le fait d'attribuer « une
essence indiscutable et indélébile ». Le discours sur l'état de l'UE a cet effet. L'intégration
européenne, c'est-à-dire la dépendance entre l'ensemble des États membres, est établie
comme un fait. La solidarité européenne est posée comme une fatalité. Les États
membres sont tous sur le même « bateau », pour reprendre la métaphore utilisée par le
2013
41/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
Président de la Commission. La possibilité d'un destin national isolé de l'UE pour les États
membres est écartée.
Les acteurs interrogés valident cet état de fait. Les membres du Parlement européen
insistent sur le fait qu'ils représentent les intérêts européens et non les intérêts
particuliers nationaux. « Ici, il n'y a pas d'Etats »47 fait remarqué un membre du Parlement
européen pendant l'entretien.
L'intégration européenne est également présentée comme un fait par la plupart des chefs
d’État et de gouvernement européens. Même les plus réticents à l'intégration européenne
en font état. Ainsi David Cameron, le Premier ministre britannique, valide l'existence de
cette intégration dans son discours de janvier 2013, parfois désigné sous le nom de Brexit,
où il pose la question d'une possible sortie de la Grande-Bretagne de l'UE. Il montre qu'il
n'y a que deux options : être membre l'UE et y être intégré ou ne pas y appartenir ; mais il
n'y a pas d'appartenance modulée.
Cette consécration de l'intégration européenne est doublée d'une validation de
l'échelon européen comme niveau d'action pertinent. Les États membres de l'UE sont
interdépendants. Il est donc logique que les politiques soient décidées au niveau
communautaire. Les acteurs interrogés, les députés européens, le conseiller politique
comme l'universitaire, pensent tous qu'il est nécessaire de coordonner les différentes
politiques nationales. Pour cela, l'autorité de l'Union européenne leur semble légitime.
Un élément formel du leadership de José Barroso se trouve validé puisque la
nécessité de coopérer est consacrée. En tant que Président de la Commission
européenne, il est habilité à agir.
47 Entretien avec un membre du Parlement européen, 14 mars 2013
2013
42/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
2. Accepter inconsciemment le leadership de José
Barroso : réutilisation des représentations sociales
Olivier Borraz48 explique que le leader est « un agent qui contribue à
l'institutionnalisation d'une organisation », en définissant l'institutionnalisation comme la
capacité à diffuser des valeurs, en reprenant la définition de Philip Selznick. Or tous les
acteurs interrogés valident les valeurs européennes citées dans le discours sur l'état de
l'UE de José Barroso : Ainsi le conseiller politique des Verts au Parlement européen
souligne : « Il y a des valeurs qu'on qualifierait de sociales au niveau européen. Ça c'est
indiscutable »49.
De plus, José Barroso, avec son discours, offre une façon de percevoir l'Union
européenne qui est reprise par différents acteurs interrogés. Autrement dit, avec les mots
de Pierre Bourdieu : il réussit à « structurer la perception que les agents sociaux ont du
monde social »50.
Ainsi, des acteurs interrogés réutilisent la notion de « modèle social européen ». Certains
parlementaires européens valident la notion en l'état tout en précisant qu'ils en ont une
meilleur définition que José Barroso. C'est le cas d'un membre du Parlement européen
quand il répond à une question sur l'existence d'un « modèle social européen » : « I think
he firmly believes that we are a social democratic union, that social Europe is an
important element of the European union. But I don't think he sees it as such primary
importance as I do »51.
D'autres reprennent la notion de « modèle social européen » pour lui apporter des
nuances, des précisions mais en considérant dans le fond qu'elle est avérée. C'est le cas
du conseiller politique des Verts : « les Européens […] partagent la même approche de la
48 Borraz O., Le leadership institutionnel in Smith A., Sorbets C., Le leadership politique et le territoire,
Les cadres d'analyse en débat, Presses universitaires de Rennes, Res Publica, 2003
49 Entretien avec un conseiller politique au Parlement européen, 14 mars 2013
50 Bourdieu P., Ce que parler veut dire, Fayard, Paris, 1982, p. 100
51 Entretien avec un membre du Parlement européen, 13 mars 2013
2013
43/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
nécessité d'une intervention de la puissance publique pour la redistribution et la
recherche d'une justice sociale. […] Il y a plusieurs modèles sociaux européens »52.
Par ailleurs, pour discuter de la dimension sociale de l'UE, une députée européenne 53
réutilise le concept d'« économie sociale de marché », employé par José Barroso dans son
discours, parce qu'il est inscrit dans les Traités. Elle estime qu'il existe effectivement au
sein de l'UE une reconnaissance de la pertinence des mécanismes de marché, associée à
la mise en place d'un cadre aux activités économiques et à la volonté de performance en
matière de social.
De même, le concept de de fédération d'Etats nations est repris par le conseiller politique
des Verts pour expliquer que c'est l'idéal vers lequel l'UE tend54.
Le fait de reprendre les termes employé par José Barroso n'est pas anodin. Pierre
Bourdieu explique que la « nomination contribue à faire la structure de ce monde et
d'autant plus profondément qu'elle est largement reconnue, c'est-à-dire autorisée »55. La
nomination autrement dit contribue à établir un cadre dans lequel les acteurs se situent.
En utilisant les mêmes termes que le Président de la Commission européenne, les
membre du Parlement européen véhiculent des représentations du social communes qui
favorisent la prise de décisions communes. Même quand les termes ne désignent qu'un
idéal et non une réalité de fait, l'effet de nomination existe puisque les acteurs vont agir
de façon à réaliser les propriétés qui sont assignées par la nomination.
3. La nécessité d'une politique sociale européenne
approuvée
La consécration de l'intégration européenne, la communauté de valeurs et le
partage des représentations sociales aboutissent à la validation de la nécessité de
52
53
54
55
Entretien avec un conseiller politique au Parlement européen, 14 mars 2013
Entretien avec une membre du Parlement européen, 25 mars 2013
Entretien avec un conseiller politique au Parlement européen, 14 mars 2013
Bourdieu P., Ce que parler veut dire, Fayard, 1982, p.99
2013
44/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
renforcer le caractère social de l'UE. Ce renforcement du caractère social est décomposé
en trois dimension : la prise en compte de la dimension sociale dans l'ensemble des
politiques européennes, la mise en place d'une plus forte politique sociale au niveau
européen et le soutien aux politiques sociales nationales.
Le social est vu comme un élément à prendre en compte au-delà de la commission
parlementaire « Emploi, affaires sociales et inclusion ». Les députées interrogées
appartenant à la commission « Affaires économiques et monétaires » et à la commission
« Agriculture et développement rural » ont toutes deux affirmé que la dimension sociale
était hautement regardée au sein de leurs commissions, dans l'ensemble des textes
rédigés. Ainsi la membre de la commission « Agriculture et développement rural »
explique que les parlementaires européens de sa commission, dans la révision des
propositions de la Commission européenne pour le « verdissement » de l'agriculture ont
pris en compte la dimension sociale de la mesure : « [ils ont] tenu compte dans [leurs]
amendements de la réalité sociale que vit le secteur économique qu'est l'agriculture »56.
Tandis que la membre de la commission « Affaires économiques et monétaires » estime
que dans l'adoption du « 6-pack », c'est-à-dire du texte renforçant le gouvernement
économique de la zone euro, une dimension sociale a été prise en compte. Avant la
Commission européenne pour évaluer un Etat ne regardait que les finances publiques et
le « 6-pack » a introduit une nouvelle procédure qui permet de faire un constat plus
macro-économique en prenant en compte le coût unitaire du travail, la productivité
horaire … et « par ce biais-là, [ils ont] fait rentrer, en principe, dans le raisonnement de la
Commission, sur l'euro, des critères plus larges et qui englobent des aspects sociaux »57.
Par ailleurs, les acteurs interrogés sont d'accord avec la nécessité de renforcer les
politiques sociales européennes. Cette politique sociale n'est pas demandée par tous au
même degré. Elle n'est pas forcément synonyme d'harmonisation sociale de l'UE. Seul le
conseiller politique des Verts appelle à cette harmonisation : « L'enjeu majeur c'est de [...]
56 Entretien avec une membre du Parlement européen, 15 mars 2013
57 Entretien avec une membre du Parlement européen, 25 mars 2013
2013
45/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
faire vivre avec la même vitalité, la même intensité et le même impact sur la vie de
chacun, l'ensemble des droits politiques, individuels, civils, économiques et sociaux, qui
ont été conquis dans le cadre de l'état-nation, dans un autre cadre supra-national »58. Les
autres demandent la mise en place de « fourchettes », de « corridors »59 dans le domaine
des droits sociaux.
Certains appellent également à des politiques ciblées. Il faut selon eux déterminer des
domaines dans lesquels il est nécessaire d'avoir des politiques communautaires afin que
l'union économique fonctionne. Ainsi, il faut renforcer la politique de portabilité des
droits sociaux, c'est-à-dire la garantie pour les travailleurs qui exercent en dehors de leur
pays d'origine mais dans un pays de l'UE d'avoir la même retraite, les mêmes droits au
chômage etc. que s'ils travaillaient dans leur pays.
Enfin, la nécessité de préserver les droits sociaux acquis dans les différents États
membres est validée par les acteurs interrogés. Et cela est jugé être du ressort de la
Commission européenne. En effet, les acteurs soulignent que cette institution a le pouvoir
d'imposer des « politiques d'assainissement budgétaire » et que ces politiques ont des
conséquences négatives en matière de social. On peut donc lire en creux que la
Commission européenne a la responsabilité de contrôler les effets sociaux négatifs qu'ont
les politiques économiques qu'elle impose.
58 Entretien avec un conseiller politique au Parlement européen, 14 mars 2013
59 Entretien avec une membre du Parlement européen, 25 mars 2013
2013
46/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
II. Décrédibiliser par le discours :
réception méfiante par les
Parlementaires européens
Le discours sur l'état de l'Union européenne a pour volonté de légitimer le
Président de la Commission européenne. Il a le potentiel pour l'établir en leader en
matière de social. Mais malgré le soin qui est apporté à lui donner du poids, ce discours
manque à ses objectifs. Comme l'explique Christian Le Bart, « les stratégies de
communication sont toujours marquées, en politique au moins, par une forte incertitude.
L'opinion publique apparaît plus comme une « boîte noire » opaque que comme une cible
docile. Il arrive que les effets produits dépassent les espérances des intéressés, ils peuvent
aussi être inverses à ceux escomptés »60. En fait, la position depuis laquelle José Barroso
prononce son discours n'est pas très confortable pour discourir en matière de social. Ainsi,
le discours n'est pas écouté par les parlementaires. Ceux-ci ont choisi délibérément de ne
pas lui prêter attention. José Barroso manque donc à construire un leadership en matière
de social par le discours. De plus, ce discours n'est pas en accord avec les politiques
menées au niveau européen et sous impulsion de l'Union européenne. Il existe donc une
dissonance entre le discours et les faits. José Barroso travaille au sein même de son
discours à réduire cette dissonance. Mais ce travail de réduction n'est pas concluant. Le
discours a pour effet d'amplifier la dissonance cognitive établie par José Barroso. La
capacité de leadership en matière de social du Président de la Commission européenne
s'en trouve amoindrie.
60 Le Bart Ch., Le discours politique, PUF, Que sais-je ?, 1998, p. 49
2013
47/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
A. José Barroso, leader de médiation
par opposition à Jacques Delors,
leader charismatique
Les acteurs rencontrés ont souvent fait référence à Jacques Delors pour parler d'un
passé où les affaires sociales trouvaient plus de considération. Il apparaît que José Barroso
ne réussit pas à incarner le rôle de leader en matière de social. La position dans laquelle il
se trouve pour prononcer le discours sur l'état de l'Union, de façon générale, malgré les
quelques avantages exposés dans la première partie, n'est pas favorable.
1. Un rapport de force entre la Commission
européenne et le Parlement européen
La distribution des pouvoirs telle qu'elle est établie aujourd'hui dans les institutions
européennes amènent les membres du Parlement européen à casser le leadership formel
de José Barroso. Afin d'acquérir de l'importance, ils refusent de suivre le mouvement
proposé par le Président de la Commission européenne.
L'un des principaux pouvoirs du Parlement européen est celui de légiférer.
Cependant, cette institution n'est pas seule maîtresse de ce pouvoir. Trois institutions
européennes prennent part au processus législatif européen 61 : la Commission
européenne qui doit représenter les intérêts de l'Union dans son ensemble, le Conseil
européen qui doit faire valoir les intérêts des États membres et le Parlement qui doit faire
entendre les intérêts des citoyens européens. Ce processus est désigné dans le langage
européen comme le processus de codécision. Cette procédure a été introduite par le
traité de Maastricht (1992) puis renforcée par le traité d'Amsterdam (1999) et le traité de
61 Articles 289 et 294 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : http://eurlex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:C:2010:083:0047:0200:fr:PDF
2013
48/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
Lisbonne en a fait la principale procédure législative.
Étant donné que le pouvoir d'initiative revient à la Commission, le pouvoir
législatif du Parlement européen est largement subordonné à la Commission européenne.
Grâce au pouvoir d'initiative, la Commission européenne est dotée d'une capacité d'acte
politique. Elle a notamment la capacité de faire des propositions d'actes législatifs
ambitieux. Elle a le pouvoir de se démarquer. Le Parlement européen a lui une mission
plus technique. Il se trouve quelque peu en position de suiveur. Le Parlement européen
dans ce manque d'autonomie n'a pas beaucoup d'options. Aujourd'hui, l'option qui
semble être celle du Parlement européen, en matière de social, d'après les propos
recueillis lors des entretiens est l'opposition avec la Commission européenne. Par son
opposition aux propositions de la Commission européenne et du Conseil européen, le
Parlement cherche à peser dans le jeu des institutions. Cette opposition a d'ailleurs, en
quelque sorte, fonctionné au moment du vote du budget en mars 2013. Le rejet du
budget a permis de médiatiser le Parlement européen en dehors des élections législatives.
Il n'est pas certain que les médias auraient autant parlé de la validation du budget
proposé par la Commission européenne et validé par le Conseil européen.
Dans le rapport de force qui existe entre le Parlement européen et la Commission
européenne, les membres du Parlement peuvent se prévaloir de la légitimité
démocratique. Tous les parlementaires rencontrés ont fait mention du fait qu'ils sont
élus . Certains soulignent même que le Président de la Commission lui est simplement
nommé. Ils rappellent que la réélection de José Barroso a été difficile. Les acteurs
rencontrés ont par ailleurs souvent fait le parallèle entre le peuple européen et le
Parlement européen. Ils estiment que quand ils ne sont pas entendus par le Président de
la Commission européenne, ce sont tous les citoyens européens qui sont ignorés.
L'opposition de la part de certains parlementaires à la Commission européenne
dans son ensemble est visible dans le fait qu'ils n'hésitent pas à critiquer les actions de la
Commission européenne, à souligner le décalage entre le discours et les faits ; alors que
quand il s'agit de parler des actions du Parlement, ils se montrent beaucoup plus
2013
49/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
respectueux. En effet, quand ils sont interrogés sur des propositions de lois discutées au
Parlement par une autre commission que celle dont ils font partie, ils préfèrent « par
respect pour [leurs] collègues »62, ne pas parler du sujet sur lequel porte la question et
conseillent d'aller interroger les membres de la commission parlementaire concernée.
Ainsi, ils montrent du respect pour le travail du Parlement mais sont très critiques vis-à-vis
de la Commission européenne.
2. José Barroso : un Président de la Commission
contesté
Les éléments formels du leadership63 de José Barroso ne sont donc pas si forts.
Mais au delà de ça, il existe chez les parlementaires européens rencontrés une certaine
méfiance vis-à-vis de José Barroso en personne, voire un rejet. Les entretiens font
ressortir que c'est plus à la Présidence de la Commission exercée par José Barroso, en tant
que telle, que les membres du Parlement européen s'opposent, plus qu'à la Présidence de
la Commission européenne de manière générale, ou à la Commission européenne comme
un tout. Le leadership informel, au sens de Nicolas Jabko64, se trouve invalidé. Les acteurs
interrogés ne valident pas les éléments d'organisation du leadership qui sont extérieurs au
statut de Président de la Commission européenne.
Effectivement, plus que la fonction de Président de la Commission européenne, c'est la
personne de José Barroso qui est critiquée par les acteurs rencontrés. Les mots sont
sévères, leurs critiques se veulent, la plupart du temps, ouvertes. Ainsi, un conseiller
politique du groupe des Verts remarque que « [José Barroso] n'a jamais brillé par son
impulsion politique, par sa capacité de résolution des problèmes, par sa volonté
62 Entretien avec une membre du Parlement européen, 25 mars 2013
63 Jabko N., Le leadership dans l 'Union européenne : typologie sommaire et illustration dans le cas
de l'union monétaire, Politique européenne 1/2002 (n° 5), p. 85-104, www.cairn.info/revuepolitique-europeenne-2002-1-page-85.htm
64 ibid
2013
50/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
justement de dépasser les conflits entre États-nations »65. Même parmi les rangs du Parti
Populaire Européen, dont fait partie José Barroso, on trouve des membres du Parlement
européen pour critiquer l'action de José Barroso. Une députée de ce groupe
parlementaire a confié suite à l'entretien qu'elle n'approuvait pas l'action de l'Union
européenne laissée faire selon elle par José Barroso66.
Une autre preuve du fait que c'est à l'organisation informelle plus qu'à
l'organisation formelle du leadership, que les membres du Parlement européen
s'opposent, est qu'ils ne rejettent pas tous les Présidents de la Commission européenne.
Certains ont rappelé la manière dont était exercée la Présidence de la Commission
européenne sous Jacques Delors pour donner un exemple de la manière dont ils
voudraient qu'elle soit exercée67.
Dans les propos tenus par les acteurs rencontrés, Jacques Delors apparaît comme
un leader charismatique au sens de Max Weber, c'est-à-dire qu'il est considéré avoir
exercé son mandat de Président de la Commission européenne grâce à « l'autorité de la
grâce personnelle extra-quotidienne (charisme), l'abandon de soi tout à fait personnel et
la confiance personnelle dans les révélations, l'héroïsme ou d'autres qualités propres au
chef »68. Partant du même statut que José Barroso, Jacques Delors a su, selon les
membres du Parlement rencontrés, peser plus fortement dans les décisions
communautaires et dans le renforcement de l'intégration.
65 Entretien avec un conseiller politique au Parlement européen, 14 mars 2013
66 Propos recueillis suite à un entretien avec une membre du Parlement européen, 15 mars 2013
67 Entretien avec un membre du Parlement européen, 14 mars 2013. Jacques Delors est vu comme un
grand leader : « Il y a une des années dorées dans ces relations [entre le Parlement européen et la
Commission européenne], à l'époque de Jacques Delors. On [...] a travaillé avec la philosophie de
Jacques Delors, c'est-à-dire dans un esprit de coopération entre les états-membres ». José Barroso
comme mauvais : « La Commission […] au lieu de travailler avec le Parlement pour faire face aux
gouvernements qui défendent les intérêts nationaux, la Commission pense toujours avec le
Conseil, contre les avis du Parlement. [...] La Commission n'a plus de leadership [...]. [José Barroso]
est toujours aligné à l'avis du Conseil. […] Il est toujours comme un émissaire. Il parle fort mais
finalement, quand il est avec le Conseil, il se place dans une position subsidiaire. Nous ne voyons
pas une Commission forte d'un véritable engagement[...]. Quand la Commission doit trancher
entre le position du Parlement et celle du Conseil, dans 90% des cas, la Commission opte pour la
position du Conseil ».
68 Weber M., Le savant et le politique, La découverte, Paris, 2003, p. 119
2013
51/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
Pourtant, José Barroso reprend le vocabulaire et les représentations du social
créés par Jacques Delors. En effet, l'actuel Président de la Commission européenne
appelle à la préservation du « modèle social européen » et à la création d'une
« fédération d’États nations ». Comme l'explique Gaëtane Ricard-Nihoul 69, ces termes
permettent de fédérer sur le plan politique aussi bien les fédéralistes que les
souverainistes. José Barroso semble utiliser ces termes comme pour invoquer le
leadership dont jouissait Jacques Delors. Cependant, l'usage du même vocabulaire ne
suffit pas.
Par opposition à Jacques Delors, au regard de ce que disent les personnes
interrogées, José Barroso appuie l'exercice de son pouvoir uniquement sur son statut
juridique. Il ne peut dominer qu'en vertu de la « légalité » au sens de Max Weber, c'est-àdire en se reposant sur « la croyance à la validité d'une codification légale de la
« compétence » objective fondées sur l'application de règles instituées de manière
rationnelle, donc en vertu de la disposition à l'obéissance et à l'accomplissement des
devoirs conformément à cette codification »70.
Les propos des membres du Parlement européen montrent qu'ils ne croient pas en
le rôle, au sens d'Erwing Goffman, de Président de la Commission européenne tel
qu'exercé par José Barroso. Il estime que José Barroso n'exploite pas assez les possibilités
offertes par le statut de Président de la Commission européenne pour être crédible dans
son rôle. José Barroso est, selon les acteurs interrogés, trop effacé derrière la position du
Conseil européen. Ainsi, un membre du Parlement européen explique : « Quand le Conseil
arrive, Cameron, Merkel et les autres, on voit clairement la situation de faiblesse de la
Commission »71. En entretien, les acteurs opposent en quelque sorte José Barroso le
suiveur à Jacques Delors le leader.
La vision idéaliste de la Présidence de la Commission européenne est un lieu commun. Et
69 Ricard-Nihoul G., Pour une fédération européenne d’États-nations, La vision de Jacques delors
revisitée, Lacier éditions, Europe, 2012
70 Weber M., Le savant et le politique, La découverte, Paris, 2003, p. 119
71 Entretien avec un membre du Parlement européen, 14 mars 2013
2013
52/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
certaines publications de science politique traitant de la Présidence de Jacques Delors
appuient cette vision. Ainsi Helen Drake en titrant son ouvrage sur la Présidence de
Jacques Delors Jacques Delors en Europe, Histoire d'un leadership improbable 72, accrédite
l'image idéalisée de la Présidence de Jacques Delors. Elle utilise d'ailleurs l'expression
« phénomène Delors ». Et elle appuie dans son développement l'idée que les relations
entre le Président de la Commission européenne et le Parlement européen étaient
meilleures à cette époque en expliquant que Jacques Delors faisait preuve d'une « adresse
remarquable » avec le Parlement en se montrant à l'écoute, prêt à expliquer et en
manifestant « des marques de respect pour le rôle du Parlement européen »73.
Si les éléments recueillis en entretien ne permettent pas d'établir que José Barroso
est un leader charismatique tel qu'a pu l'être Jacques Delors en son temps, il ne faut
cependant pas conclure que l'actuel Président de la Commission n'est pas un leader. Être
un leader charismatique n'est pas la seule façon d'en être un. José Barroso a opté pour le
« leadership de médiation » tel que l'entend Andy Smith. On peut aussi parler
d'« intégrateur systémique » en reprenant les mots de Jean-Claude Thoenig. Il ne souhaite
être ni plus ni moins qu'un point de convergence entre les différents intérêts, ceux du
Parlement européen et ceux du Conseil européen. Il se donne pour mission de les
concilier afin que l'Union européenne subsiste et avance dans la crise.
Cette position relève d'une forme de leadership mais elle ne permet pas
spécifiquement un leadership en matière de social. Les États membres souhaitent garder
leur compétence dans ce domaine. Comme en atteste l'un des parlementaires européens
rencontrés74 ainsi que le conseilleur politique des Verts 75, il n'y a aucun État qui défende
une politique sociale européenne. Même les États nordiques réputés pour leur système
de protection sociale n'appuient pas la politique sociale européenne afin de garder leur
72 Drake H., Jacques Delors en Europe, Histoire d'un leadership improbable, Presses universitaires de
Strasbourg, Collection Sociologie politique européenne, 2002
73 Drake H., Jacques Delors en Europe, Histoire d'un leadership improbable, Presses universitaires de
Strasbourg, Collection Sociologie politique européenne, 2002
74 Entretien avec un membre du Parlement européen, 14 mars 2013
75 Entretien avec un conseiller politique des Verts, 14 mars 2013
2013
53/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
prérogatives.
3. La crise économique de l'Union européenne
comme obstacle aux avancées en matière de politique
sociale européenne
L'Union européenne connaît une crise sociale et politique comme le souligne luimême José Barroso dans son discours. Or en période crise politique comme l'explique
Christian Le Bart76, le droit à prendre la parole et à « parler politique » est fragilisé. Le
monopole de la Commission européenne à dicter les solutions pour résoudre la crise est
contesté. José Barroso n'est donc pas crédité d'une grande écoute.
José Barroso n'a pas pour lui la légitimité de l'exercice du pouvoir en matière de
social. Il représente la Commission européenne. Or cette institution a décidé la mise en
place de « politiques d'assainissement budgétaire » et elle est en charge de leur suivi. Et
les États ont renoncé aux politiques de soutien à l'activité économique afin de suivre les
recommandations de la Commission européenne et pour respecter de nouveau les
critères du Pacte de stabilité et de croissance à savoir un déficit budgétaire inférieur à 3%
du PIB et une dette publique inférieure à 60% du PIB. Ces « politiques d'assainissement
budgétaire » ne trouvent pas le soutien de tous les États membres, ni de l'opinion que le
Parlement doit incarner. La crise sociale à savoir le niveau de chômage record, les
difficultés grandissantes pour la population à assumer les coûts pour se chauffer, pour
s'alimenter, pour se soigner ... est établie comme une conséquence directe des
« politiques d'assainissement budgétaire ». Sa responsabilité est ainsi, dans une certaine
mesure, imputée à la Commission européenne.
Un tel contexte ne permet pas à José Barroso de produire un discours en matière
de social.
76 Le Bart Ch., Le discours politique, PUF, Que sais-je ?, 1998, p. 40-41
2013
54/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
B. La méconnaissance du discours comme
stratégie de décodage
Les acteurs interrogés sur le discours de l'état de l'Union européenne de 2012 se
sont rarement contentés de commenter ce discours en particulier. Soit ils évoquaient les
discours de José Barroso en général, soit ils parlaient de l'action européenne en matière
de social. Ces acteurs ne se désintéressaient pourtant pas de l'action en matière de social
au niveau européen, ni des propositions faites par la Commission européenne. Les
acteurs rencontrés ont tous fourni un contenu intéressant pour mon mémoire. La
méconnaissance du discours sur l'état de l'Union européenne est en fait une stratégie de
réception. Les acteurs montrent qu'ils ignorent le discours pour s'afficher en acteurs. Ils
rejettent le discours en tant que simple parole. Leur méconnaissance du discours revient
au final à un rejet du leadership du Président de la Commission européenne, en
particulier en matière de social.
1. L'exhaustivité comme facteur d'illisibilité du
discours
Comme le montre Alice Krieg-Planque77, le vague est conçu comme une ressource
pour le locuteur selon la méthode de l'analyse de discours. Il permet en effet de concilier
la diversité des destinataires. Ainsi, le discours sur l'état de l'Union européenne de 2012,
grâce à son effet d'équivocité permet de s'adresser à l'ensemble des membres du
Parlement européen. Cependant l'équivocité a des limites. Il est rare de voir des
personnes de familles politiques différentes se réjouirent d'un même discours. Cette
stratégie politique réussit rarement à rassembler autant qu'elle le souhaite. Si elle peut
permettre à tous les membres du Parlement européen de se retrouver dans l'action
77 Krieg-Planque A., Analyser les discours institutionnels, Armand Colin, ICOM, 2012
2013
55/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
proposée par le Président de la Commission européenne, elle peut également permettre à
tous de la critiquer comme le souligne Jean Quatremer 78, journaliste à Libération,
spécialiste des questions européennes. Et au contraire, elle est souvent pointée du doigt
pour manque de clarté. Ainsi, Jean Quatremer estime que la ligne politique de José
Barroso est « totalement illisible ».
Il est intéressant sur ce point de voir comment le discours sur l'état de l'Union
européenne de 2012 a été perçu par la presse. Il convient tout d'abord de noter que ce
discours n'a pas été traité par beaucoup de journaux en France. Ainsi, Le Monde et
Libération, deux journaux nationaux dits « de référence » en France, n'y ont consacré
aucun article. Le Figaro, considéré également comme un journal « de référence » n'y a
dédié qu'une petite brève d'une dizaine de lignes sur leur site internet. En GrandeBretagne, les deux quotidiens de référence que sont The Guardian et The Economist
n'accordent guère plus d'attention au discours du Président de la Commission
européenne devant le Parlement européen et n'y consacrent pas d'article non plus 79. En
Espagne, le sort réservé au discours sur l'état de l'Union européenne de 2012 est le
même : El Pais ne publie aucun article à ce propos. Il semble que le discours ne trouve pas
l'écho qu'il souhaiterait avoir. On est loin du State of the Union address américain qui a
inspiré le discours sur l'état de l'Union européenne. Aux Etats-Unis, le discours sur l'état
de l'union est un exercice classique, attendu par les Américains et commenté par
l'ensemble des éditorialistes du pays. On peut faire l'hypothèse que la stratégie
d'équivocité de José Barroso montre ici ses limites. Si le Président de la Commission
européenne avait énoncé un message unique et clair, peut-être que les journaux dits « de
référence » y auraient porté plus d'attention.
Il faut se tourner vers les journaux en ligne spécialisés et les hebdomadaires pour
trouver des articles concernant ce discours. Le journal en ligne, Taurillon, publie un article,
78 La
Commission,
Docteur
Jekyll
ou
Mister
Hyde ?,
Libération,
10/07/2007,
http://bruxelles.blogs.liberation.fr/coulisses/2007/07/la-commission-d.html
79 The Guardian, une semaine après le discours, permettra à José Barroso d'écrire un article pour
démentir tout volonté de mettre en place un super-État :
http://www.guardian.co.uk/global/2012/sep/19/barroso-no-plans-federation
2013
56/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
écrit par le Président des jeunes européens, évoquant positivement le discours sur l'état
de l'Union européenne de 201280. Le journal en ligne, spécialisé sur l'Europe, Euractiv,
publie un article critique à l'encontre de José Barroso. Il commence par ses lignes : « Les
belles paroles n’engagent que ceux qui les croient… Une fois de plus, le président de la
Commission n’a pas été avare de grandes envolées lors de son discours sur l’état de
l’Union mercredi 12 septembre ». Et à propos du début du discours sur l'état de l'Union
européenne, l'article parle de « catalogue à la Prévert des actions déjà menées pour sortir
la zone euro de la crise »81. Le programme proposé par le Président de la Commission
européenne est ainsi vu par le journal en ligne comme un inventaire de sujets de toutes
sortes sans aucun lien apparent. L'hebdomadaire à la ligne éditorial libérale, L'Express,
publie un article82 mitigé sur le discours sur l'état de l'Union européenne en regrettant
d'une part que le discours n'ait pas reçu plus d'écho et en décryptant, d'autre part, les
objectifs du discours que nous avons exposés en première partie. L'article ne manque pas
de faire part de l'ambiguïté du discours. Pour ce qui est du journal La Tribune,
hebdomadaire économique et financier, l'article consacré au discours sur l'état de l'Union
européenne de 201283 est enthousiaste et approbateur des mots du Président de la
Commission européenne. Le Nouvel Observateur, hebdomadaire de gauche d'information
générale, fait lui une analyse neutre du discours, il fait un simple résumé des propositions
du Président de la Commission européenne et les confronte aux positions officielles de la
France et de l'Allemagne84.
80 Discours sur l'état de l'Union : Barroso et la « fédération d'Etats-nations », Taurillon, 12 septembre
2012,
http://www.taurillon.org/Discours-sur-l-etat-de-l-Union-Barroso-et-la-federation-dEtats,05161
81 Barroso se réveille, deux ans avant la fin de son mandat, Euractiv, 19 septembre 2012,
http://www.euractiv.fr/institutions/barroso-reveille-ans-fin-mandat-16429.html
82 « Le discours de Barroso annonce une révolution démocratique en Europe », L'Express, 12 septembre
2012,
http://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/le-discours-de-barroso-annonce-unerevolution-democratique-en-europe_1160035.html
83 Les 11 points à retenir du discours de Barroso sur l'état de l'Union, La Tribune, 12 septembre 2012,
http://www.latribune.fr/actualites/economie/union-europeenne/20120912trib000719113/les-11points-a-retenir-du-discours-de-barroso-sur-l-etat-de-l-union.html
84 Barroso prône une fédération d'Etats-nations en Europe, Le Nouvel Observateur, 12 septembre 2012,
http://tempsreel.nouvelobs.com/topnews/20120912.REU5703/barroso-prone-une-federation-detats-nations-en-europe.html
2013
57/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
Les différents articles qui traitent de ce discours ne retiennent pas les mêmes
choses, les mêmes propositions. Il y a des divergences d'interprétation. On voit ainsi la
possibilité qu'offre le discours sur l'état de l'Union européenne d'être interprété de
plusieurs manières. De façon générale, parce qu'il n'est pas traité par les journaux de
référence, parce qu'il est critiqué par plusieurs journaux en ligne et parce qu'il est
seulement valorisé par des personnes engagé politiquement pour une fédération
européenne, on peut dire que ce discours n'a pas reçu l'accueil positif qu'il souhaitait et
que la stratégie d'exhaustivité a manqué à produire les effets recherchés, elle n'a pas
réussi à rassembler.
Cet échec de la stratégie d'exhaustivité s'est également ressenti dans les entretiens
que nous avons eu avec les parlementaires européens et le conseiller politique.
L'exhaustivité du discours n'a pas été appréciée par les acteurs interrogés. Elle est vue
comme une indétermination, une tentative de flouer les parlementaires et les citoyens
européens.
Le conseiller politique du groupe des Verts a été le plus critique des acteurs
interrogés. Il a beaucoup parlé de l'illisibilité de l'action du Président de la Commission
européenne et de sa capacité à évoquer toutes sortes de thèmes sans en mettre un plus
haut que l'autre. Il utilise une métaphore qui prête à rire afin de le décrédibiliser :
« Barroso c'est une espèce de DJ consensuel qui fait un peu de la musique pour tout le
monde »85.
Cette critique est partagée par le groupe parlementaire de l'Alliance des
démocrates et libéraux pour l'Europe. Ainsi une députée appartenant à ce groupe
politique, interrogée sur la notion de « modèle social européen », une députée
européenne critique la capacité de José Barroso à énoncer des catalogues exhaustifs
comme il le fait dans le discours sur l'état de l'Union européenne. Elle utilise la métaphore
de « politique du gaufrier » : « vous faites des gaufres et il faut avoir un trou pour chaque
parti. Voilà. Il a du mettre des trucs sur la discipline pour la droite. Il met des trucs sur le
85 Entretien avec un conseiller politique au Parlement européen, 14 mars 2013
2013
58/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
modèle social pour la gauche »86. Cette « politique du gaufrier » lui semble être
particulièrement employée en matière de social où beaucoup de mots valises sont utilisés
(« modèle social européen », « système de protection sociale efficace », . Grâce à
l'ambiguïté qui leur est propre, ces mots-valises permettent de laisser beaucoup une large
place à l'interprétation personnelle en ce qui concerne la politique sociale de l'Union
européenne.
Un autre membre du Parlement européen, appartenant au groupe politique de
l'Alliance progressiste des socialistes et démocrates, explique aussi que José Barroso parle
de tout afin de satisfaire son auditoire mais qu'il manque de conviction : « He always feels
obliged [...] to mention social Europe, social policy. [...] And it immediately makes the left
think “ha he has ticked that box”. But that's all he is doing : ticking a box, there is nothing
in his heart »87.
2. Ignorer le discours pour marquer son opposition
à la Commission européenne
Le sujet de ce mémoire qui est basé sur un discours a été mal compris par plusieurs
acteurs. Quatre réponses négatives aux sollicitations d'entretien ont été justifiées par un
manque d'outillage pour répondre à des questions à propos d'un discours. Deux des
acteurs interrogés se sont dit étonnés que mon mémoire soit basé sur un discours. Aucun
des acteurs interrogés ne connaissait le discours en question de façon fine. Je ne pense
pas que cette incompréhension soit due à une maladresse de ma part.
En fait, l'étude du discours en général déstabilise. Elle est vue comme une étude inutile.
Les mots sont perçus comme de simples mots n'ayant aucun pouvoir, aucune capacité à
changer les choses. Ainsi, une membre du Parlement européen dit que « le procédé
rhétorique est intéressant, il est séduisant. Barroso est un très bon rhéteur […] qui
86 Entretien avec une membre du Parlement européen, 25 mars 2013
87 Entretien avec un membre du Parlement européen, 13 mars 2013
2013
59/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
masque bien souvent … je dirais pas une certaine forme de vacuité parce que le mot
vacuité est quand même un terme un peu trop fort mais qui est un peu quand même de
cet ordre-là. C'est-à-dire que si on enlevait à Barroso son acrobatie intellectuelle qui est
avérée, si on lui enlevait sa vivacité intellectuelle [silence qui en dit long] »88. Elle explique
ainsi que le discours sur l'état de l'Union n'est qu'un amas de mots vides qui n'ont aucun
impact.
En fait, la méconnaissance du discours de José Barroso ne révèle pas d'un manque
d'implication des acteurs rencontrés mais elle est une stratégie de décodage du discours,
c'est-à-dire que l'interprétation du discours, qui est une forme de langage codée, et
l'affichage de cette interprétation relèvent d'une manœuvre réfléchie. Le discours est une
affaire d'interaction entre l'énonciateur du discours et ses récepteurs. L'émetteur du
discours a beau apporter tout le soin nécessaire à la confection d'un discours efficace, cela
ne suffit pas. Les récepteurs ne sont pas passifs et ont la liberté d'interpréter le discours
comme ils l'entendent. Comme l'explique Roger Chartier : « La diffusion des idées ne peut
être tenue pour une simple imposition : les réceptions sont toujours des appropriations
qui transforment, reformulent, excèdent ce qu'elles reçoivent. L'opinion n'est
aucunement un réceptacle, une cire molle »89.
Les acteurs interrogés ont conscience de leur rôle en tant que récepteurs, ils savent
que le discours n'est rien s'il n'est pas écouté. Ils ignorent donc le discours pour le vider de
toute sa force. C'est une stratégie de décodage parfaitement consciente. Les acteurs
interrogés assument sans complexe qu'ils ne connaissent pas le discours. Ainsi, le
conseiller politique des Verts nous avoue sur un ton décontracté : « Il faudrait reprendre
le discours. Honnêtement, j'ai lu, j'ai écouté, j'ai laissé tomber »90.
La méconnaissance du discours est également une stratégie de décodage du
discours pour s'afficher en acteurs par opposition à José Barroso le faiseur de discours. Les
88 Entretien avec une membre du Parlement européen, 15 mars 2013
89 Chartier R., Les origines culturelles de la Révolution française, Seuil, 1991, cité dans Le Bart Ch., Le
discours politique, PUF, Que sais-je ?, 1998, p. 109-110
90 Entretien avec un conseiller politique au Parlement européen, 14 mars 2013
2013
60/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
acteurs interrogés se disent mal à l'aise face à un discours. Ils précisent que leur travail ne
consiste pas à écouter José Barroso discourir mais à agir. Une des membres du Parlement
européen a ainsi plusieurs fois repoussé l'entretien au motif que ce n'était pas de sa
compétence de lire et d'écouter les discours et qu'elle était plus occupée à travailler au
sein de sa commission91. D'autres acteurs ont plus facilement accepté de discuter du
discours sur l'état de l'Union de 2012 mais ils n'ont pas manqué cependant d'adopter
cette même stratégie de décodage qui consiste à s'afficher en homme d'action. Ainsi, les
députés de la commission « Emploi, affaires sociales et inclusion » soulignent le fait que
José Barroso parle de social dans ces discours, emploie des formules fortes telles que
« modèle social européen » etc. mais qu'il n'agit pas pour les mettre en œuvre. Et tout de
suite après, ils en viennent à évoquer le travail qu'ils effectuent au sein de leur
commission pour, eux, faire avancer les choses de leur côté. Ainsi, un membre du
Parlement européen me demande avant de commencer l'entretien de parler un peu plus
de mon sujet de mémoire, je lui explique que je travaille sur le discours sur l'état de l'UE
et plus particulièrement sur son côté social et le député me précise immédiatement : « Il
parle, il parle beaucoup mais c'est tout. C'est au Parlement qu'on agit »92.
3. Rejeter le leadership de la Commission par
l'accusation d'immobilisme et l'appel à l'action
Le leader en politique doit pouvoir se prévaloir d'une ou plusieurs actions. S'il ne
s'appuie que sur le discours, il encourt le risque de passer pour un simple démagogue.
Comme l'explique Andy Smith, « dans cet environnement hautement concurrentiel [que
sont les institutions européennes], l'autorité légitime d'un leadership de la Commission se
définit de manière simultanée autour de la production de politiques et du droit
communautaire ». Étant donné que José Barroso ne bénéficie pas de la légitimité
91 Echanges par mail avec l'assistante d'une membre du Parlement européen : « L'agenda de [la
députée] est très chargé. [Elle] n'attend pas grandes choses des discours sur l'Etat de l'Union ».
92 Propos recueillis avant de commencer l'entretien avec un membre du Parlement européen, 14
mars 2013
2013
61/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
démocratique de l'élection, il doit construire sa légitimité par l'exercice du pouvoir.
Or en matière de social, les acteurs rencontrés lui nient cette forme de légitimité.
Ils le font en expliquant que l'actuel Président de la Commission n'a permis aucun progrès
en matière de social et en l'appelant à l'action.
Interrogés sur le discours sur l'état de l'Union de 2012, les acteurs préfèrent se
prononcer sur les actions menées en matière de social au niveau européen. Ils souhaitent
démontrer qu'il n'y a eu aucune législation importante en matière de social adoptée sous
la Présidence de José Barroso, qu'il y a même eu une dégradation de la situation sociale.
Un député européen pose tout simplement la question des actions menées par José
Barroso en matière de social : « Il parle de plein de choses, du manque d'Europe sociale,
mais que fait-il ? »93. C'est avec cette même intention de montrer l'inaction voire l'action
contre-productive que le conseiller politique rencontré ironise : « je ne sais pas s'il y a
encore beaucoup de politiques sociales en Grèce avec les politiques d'austérité qui sont
actuellement menées »94.
La comparaison avec Jacques Delors est encore utilisée, pour montrer qu'un autre
exercice du pouvoir et du discours est possible, pour donner un exemple de discours qui a
débouché sur des actions en matière de social. Un membre du Parlement européen
explique ainsi que Jacques Delors n'affichait pas l'Europe sociale comme priorité dans ses
discours. C'est le cas de José Barroso aujourd'hui. La priorité de Jacques Delors était
l'union économique mais il n'en oubliait pas pour autant le social. L'acteur reprend le
discours de Jacques Delors tenu devant la commission parlementaire « Emploi, affaires
sociales et inclusion » : « Jacques Delors came alone and he said : « our top priority is the
complition of the internal market and 1992 process. And until that's completed forget
social Europe. [...]”. And so was the line : we will come back to it. […] And actual fact :
during the mid-1990's and through the beginning of the last decade, social Europe did
pick up. That's how we got a lot of proposals coming through. »95.
93 Entretien avec un membre du Parlement européen, 14 mars 2013
94 Entretien avec un conseiller politique au Parlement européen, 14 mars 2013
95 Entretien avec un membre du Parlement européen, 13 mars 2013
2013
62/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
Les acteurs rencontrés font d'ailleurs état du fait que José Barroso n'affiche une
grande volonté d'action. Ainsi une membre du Parlement européen explique qu'au sein
même du discours, on ne sent pas de volonté d'agir de la part de José Barroso car il
n'explique pas les moyens qu'il envisage pour mettre en œuvre les propositions qu'il
énonce : « quand on dit « j'appelle », c'est de l'incantation. C'est pas de la feuille de route.
C'est pas tout à fait … Vous sentez bien ce que je tarde à dire et ce que je pense assez fort
malgré tout »96.
Par ailleurs, les acteurs rencontrés font des suggestions d'actions en matière de
social pour montrer qu'il y a encore à faire dans le domaine. Ils souhaitent montrer que,
si rien n'est fait en matière de social, ce n'est pas parce qu'il n'y a rien à faire, mais parce
que José Barroso ne souhaite pas agir en la matière. Par exemple, un membre du
Parlement européen explique que « We have quite a big [concerning social Europe] but
there could be a lot more. But, as I said earlier, the legal base that we have in the treaty
for social Europe is quite narrow. It needs to be broaden some time »97.
C. Un discours sur le social suivi d'actions
minimales : analyse d'une dissonance
cognitive
Les parlementaires ne reconnaissent pas le leadership de José Barroso en matière
de social. Ce rejet est visible dans la stratégie de réception qu'ils adoptent face au discours
sur l'état de l'Union européenne. Les effets sociaux du discours vont plus loin qu'un refus
du leadership. Ce discours a également pour effet de discréditer la capacité de leadership
du Président de la Commission européenne du fait qu'il existe une situation de dissonance
cognitive au sein du discours entre la volçonté de préserver le « modèle social européen »
96 Entretien avec une membre du Parlement européen, 15 mars 2013
97 Entretien avec un membre du Parlement européen, 13 mars 2013
2013
63/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
et celle d'améliorer la compétitivité de l'UE. Cette dissonance est amplifiée par le manque
de cohérence entre la volonté affichée de préserver le « modèle social européen » et la
réalité des fiats. Autrement dit, les représentations portées par le discours se trouvent
contredites par la situation sociale et les politiques menées. José Barroso a conscience de
cette dissonance cognitive et travaille au sein de son discours à la réduire . Cependant, ce
travail de réduction de la dissonance est désapprouvé par les parlementaires. Le discours
décrédibilise donc José Barroso dans le domaine social aux yeux des parlementaires.
1. « Préserver le modèle social européen » : une
cognition en dissonance avec la réalité des faits et la
volonté de
« favoriser la compétitivité de l'Union
européenne »
En reprenant la théorie de Léon Festinger, Marie-Amélie Martinie et Pascale
Larigauderie nous expliquent que « deux cognitions sont en relation de dissonance
lorsque la cognition A (par exemple « je suis contre X ») implique la cognition non-B (par
exemple « j’ai écrit un texte en faveur de X »). L’état de dissonance est un état
psychologiquement inconfortable »98.
Si José Barroso souhaite mettre en place une politique sociale européenne plus
forte et être le leader de ce mouvement, la cognition qu'il met en avant, l'idée qu'il
souhaite présenter comme prioritaire est donc : « Certains prétendent qu'à cause de la
crise, le modèle social européen est mort. Je rejette cette idée ». Il affiche ainsi sa volonté
de vouloir préserver ce « modèle social européen ». Or selon les mots de la Commission
européenne, « on s'accorde généralement à dire que ce modèle se caractérise, au
minimum, par une croissance économique soutenue, un niveau de vie élevé et croissant,
98 Larigauderie P. et Martinie M.-A., Coût cognitif et voies de réduction de la dissonance cognitive,
Revue internationale de psychologie sociale 4/2007 (Tome 20), p. 5-30, www.cairn.info/revueinternationale-de-psychologie-sociale-2007-4-page-5.htm.
2013
64/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
des niveaux d'emploi élevés, une éducation de grande qualité, une protection sociale
exhaustive, de faibles niveaux d'inégalité et des niveaux élevés de solidarité, ainsi que
(point crucial dans le contexte actuel) le rôle important joué par les représentants des
travailleurs et des employeurs et le dialogue noué entre eux. Le dialogue social est
considéré comme partie intégrante du modèle social européen »99. Ce « modèle social
européen » apparaît comme une notion exigeante, les caractéristiques qu'elle recouvre
sont difficiles à accomplir et cela d'autant plus en période de crise.
Cette volonté ou cette cognition si on veut utiliser les termes de la psychologie
sociale, est doublement dissonante avec la réalité des faits et avec la volonté ou la
cognition de « renforcer la compétitivité de l'UE ».
Pour ce qui est de la réalité des faits, la politique sociale communautaire n'avance
plus beaucoup et les situations nationales se dégradent sous l'effet des « politiques
d'assainissement budgétaire » décidées par la Commission européenne.
Il y a eu des progrès de faits en matière de social au niveau communautaire dans
les années 1990. Le Sommet de Luxembourg qui s'est tenu en 1997, a abouti à la mise en
place de la stratégie européenne pour l'emploi c'est-à-dire à une coordination des
politiques nationales associée à la conservation par les Etats de leur compétence en
matière de politique de l'emploi et de protection sociale. Puis le Conseil de Lisbonne qui
s'est tenu en mars 2000 a débouché sur l'adoption de la « stratégie de Lisbonne » qui
comportait notamment un certain nombre d'objectifs spécifiques en matière d'emploi :
- un taux d'emploi global de 70% d'ici 2010, - un taux d'emploi de 50% chez les travailleurs
seniors, - un taux de plus de 60% chez les femmes et - une croissance économique
annuelle d'environ 3%. Ces objectifs devaient être atteints grâce à la procédure connue
sous le nom de Méthode Ouverte de Coordination (MOC) que la DG emploi, affaires
sociales et inclusion définit comme suit : « la méthode ouverte de coordination est un
processus volontaire de coopération politique fondé sur l'établissement d'objectifs et
99 Commission européenne, DG emploi, affaires sociales et inclusion, Guide de l'Europe
Vol 2 : Dialogue social, 2011
2013
sociale,
65/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
d'indicateurs communs destinés à mesurer la progression vers ces objectifs. Les
gouvernements traduisent les objectifs communs en plans d'action présentés sous forme
de rapports stratégiques nationaux. Ces rapports sont évalués par la Commission et le
Conseil […]. La méthode ouverte de coordination vise également à mettre en place un
apprentissage mutuel en ce qui concerne l'examen approfondi des politiques,
programmes et dispositifs institutionnels présentés comme constituant de «bonnes
pratiques» dans les rapports nationaux »100. C'est donc sur un processus non contraignant,
sur la bonne volonté des États que repose la politique sociale européenne. On peut se
dire que c'est bien peu. Mais selon les acteurs interrogés, au regard ce qui se fait
actuellement, cela est beaucoup. C'est ce qu'explique un membre du Parlement
européen : « even within the limits we have, Barosso has been a negative force. During his
years of presidence of Commission, social progress has slowed down very
considerably »101.
L'échec de la stratégie de Lisbonne qui avait pour objectif de faire de l'UE « l'économie de
la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique au monde, capable d'une
croissance économique durable accompagnée d'une amélioration quantitative et
qualitative de l'emploi et d'une plus grande cohésion sociale » d'ici à 2010 illustre
l'incapacité de José Barroso à conduire des changements en matière de social. Plus
finement, Jean-Claude Barbier102 analyse les documents produits par la Commission
européenne et le Conseil européenne depuis le début des années 2000. Il identifie dans
ces années trois périodes : la Stratégie de Lisbonne, les réformes qui lui font suite entre
2005 et 2009 puis « Europe 2020 ». Il note que dans cette dernière période, qui
correspond à aujourd'hui, la politique sociale subit une marginalisation et se trouve
réduite à des mesures purement symboliques. La politique sociale européenne se trouve
en fait effacée par rapport aux considérations macro-économiques et financières. C'est
100Site de la Commission européenne : http://ec.europa.eu/social/main.jsp?catId=753&langId=fr
101Entretien avec un membre du Parlement européen, 13 mars 2013
102Barbier J.-C., Quelle destinée pour la «politique sociale» de l'Union européenne? De la
Stratégie de Lisbonne à l'Europe 2020: évolution du discours politique, Revue internationale du
travail, 2012
2013
66/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
également ce dont témoigne un membre du Parlement européen, membre de la
commission « Emploi, affaires sociales et inclusion », qui dit que « We had no significant
proposal in the social area for the time that he has been president of the Commission »103.
La volonté de préserver le « modèle social européen » se trouve également en
dissonance avec la volonté de « renforcer la compétitivité de l'UE ». Cette deuxième
cognition reflète le discours dominant qui existe à Bruxelles. Christian Hen et Jacques
Léonard expliquent que de manière générale, «malgré la volonté des signataires du traité
de Rome de promouvoir l’amélioration des conditions de vie et de travail, la construction
européenne a toujours été caractérisée par un retard de la dimension sociale par rapport
à la dimension économique dans le processus d’unification» 104. L'Europe libérale est
privilégiée à l'Europe sociale. En fait, elles ne sont pas compatibles. La volonté libérale de
« renforcer la compétitivité de l'UE » aboutit à une pression sur le coût du travail
prééminente à la volonté de conserver les droits sociaux. La concurrence sociale et fiscale
se traduit par une baisse des dépenses sociales.
2. La notion d'efficacité au service du travail de
réduction de la dissonance
Quand deux cognitions se trouvent en situation de dissonance, cela crée une
situation d'inconfort psychologique. Un travail de réduction de la dissonance est donc mis
en œuvre. Il existe plusieurs voies de réduction 105 : le changement d'attitude ; la
rationalisation en acte c'est-à-dire la modification de ses croyances ; la trivialisation,
autrement dit la réduction de l’importance des éléments impliqués dans la relation de
dissonance ; et le déni de responsabilité.
José Barroso est conscient de la double dissonance qu'il subit. Il sait que la volonté
103Entretien avec un membre du Parlement européen, 13 mars 2013
104 Hen Ch. et Léonard J., L’Union européenne, La Découverte « Repères », 2006, p. 82
105Larigauderie P. et Martinie M.-A., Coût cognitif et voies de réduction de la dissonance cognitive,
Revue internationale de psychologie sociale 4/2007 (Tome 20), p. 5-30, www.cairn.info/revueinternationale-de-psychologie-sociale-2007-4-page-5.htm.
2013
67/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
qu'il affiche de préserver le « modèle social européen » ne correspond pas à l'action qui
est menée en matière de social au niveau européen au moment où il émet son discours et
qu'elle n'est pas compatible avec le souhait d'augmenter la compétitivité de l'UE. Il
travaille ainsi au sein même de son discours à réduire cette dissonance.
Le travail de réduction de la dissonance le plus visible est le déni de responsabilité.
Comme nous l'avons vu, José Barroso fait un usage très astucieux des pronoms personnels
afin de rejeter la responsabilité sur l'UE dans son ensemble et sur les Etats. A aucun
moment dans son discours, il ne dit que la Commission européenne est responsable des
problèmes qu'il pointe tels que la situation en Grèce, le déficit de confiance dont est
victime l'Europe etc.
Par ailleurs, il utilise une stratégie de trivialisation. José Barroso tente de minimiser
l'importance de la volonté de préserver le « modèle social européen ». Pour cela, le
thème du social est peu évoqué comparativement au thème de la croissance et de la
compétitivité. Par ailleurs, il utilise la notion d'efficacité afin de réduire l'importance de sa
volonté de préserver le « modèle social européen ». En effet, le groupe de mots « système
de protection sociale » est systématiquement suivi de l'adjectif « efficace ». Grâce à cet
adjectif, il pose une limite à l'existence de systèmes de protection sociale. La protection
sociale ne saurait être trop importante. Dans le cas contraire, elle crée des « trappes à
inactivité ». Une protection sociale n'encouragerait pas la population à travailler car
l'activité entraînerait une perte de revenus désincitative. Or moins de personnes en
activité signifie moins de force de main d’œuvre et plus de coûts sociaux à assumer pour
l'Etat. Cette situation est contraire à l'efficacité, elle est sous-optimale. Le Président de la
Commission, grâce à la notion d'efficacité, fait donc se rejoindre les volontés de préserver
le «modèle social européen » et de « favoriser la compétitivité de l'UE ».
L'importance de la volonté de préserver le « modèle social européen » est également
réduite par l'affirmation de la nécessité de « moderniser nos systèmes de protection
sociale ». En effet, si José Barroso affiche une volonté de préserver le « modèle social
européen », il précise implicitement qu'il ne sera pas préservé en l'état. Le thème de la
2013
68/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
réforme qui apparaît à dix-huit reprises est là pour le rappeler. Or José Barroso annonce
que ces réformes sont nécessaires pour améliorer la compétitivité de l'UE. Avec ce terme
de réforme, José Barroso trouve un autre moyen de trivialiser la cognition qu'est la
volonté de préserver le « modèle social européen ».
3. Désapprobation du leadership de la Commission
et capture de la politique sociale européenne par les
députés
Reprenons la définition simple de ce qu'est un leader. Selon le dictionnaire le
Larousse, un « leader » se définit comme une « personne qui, à l'intérieur d'un groupe,
prend la plupart des initiatives, mènent les autres membres du groupe, détient le
commandement » ou encore comme « [une] entreprise, [un] groupe, [un] produit etc. qui
occupe la première place, un rôle de premier plan dans un domaine »106. Ainsi, un
Président de la Commission européenne leader en matière de social serait un acteur de
premier plan en matière de social, un homme qui prendrait la plupart des initiatives en la
matière,qui mènerait le travail du Parlement européen dans le domaine.
Or José Barroso n'est pas perçu comme tel par les acteurs interrogés. Les acteurs ne
cautionnent pas le travail de réduction de la dissonance effectué par le Président de la
Commission européenne qui a pour but de rendre compatibles la volonté de préserver le
« modèle social européen » et la volonté d'améliorer la compétitivité de l'UE. Les acteurs
rencontrés estiment que José Barroso ne veut pas agir en matière de social. Ainsi, un
membre du Parlement européen explique : « la structure du discours reflète bien l'ordre
des priorités : l'économique, le politique, réformer les traités mais rien sur le social »107. Ils
estiment que le social n'est pas une préoccupation de la Commission.
La dissonance cognitive qui existe dans le discours sur l'état de l'Union européenne de
106 Dict. Larousse, « leader »
107Entretien avec un membre du Parlement européen, 14 mars 2013
2013
69/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
2012, entre la volonté de préserver le « modèle social européen » et celle d'améliorer la
compétitivité de l'UE, a pour effet, au final, de délégitimer José Barroso en matière de
social. Le Président de la Commission européenne apparaît à leur yeux comme faisant de
la démagogie. Leurs critiques sévères montrent qu'ils n'ont pas envie de lui obéir. Or le
leadership défini par Max Weber est précisément « la chance de trouver des personnes
déterminables prêtes à obéir à un ordre de contenu déterminé ou manifestant une
volonté d'obéir »108. José Barroso n'a donc pas de capacité de leadership an matière de
social.
En fait, les membres du Parlement européen veulent montrer que ce sont eux les
détenteurs de l'initiative en matière de social au niveau européen. Les acteurs rencontrés
insistent beaucoup sur le rôle qu'ils jouent afin de faire adopter dans ce domaine. Il existe
donc, dans une certaine mesure, une capture de la politique sociale européenne par
certains membres du Parlement européen et notamment la commission « Emploi, affaires
sociales et inclusion », au sens de George Stigler, c'est-à-dire que ces personnes
parviennent à effectuer une pression assez forte sur la Commission européenne pour
qu'elle adopte des textes qu'elle n'aurait pas adoptés d'elle-même.
Cette capture de la politique sociale européenne par la commission « Emploi, affaires
sociales et inclusion » s'effectue tout d'abord grâce à l'article 225 du Traité sur le
fonctionnement de l'Union européenne : « le Parlement, statuant à la majorité de ses
membres, peut, sur la base d'un rapport établi par l'une de ses commissions, demander à
la Commission de soumettre toute proposition législative appropriée ». Un député
européen membre de la commission « Emploi, affaires sociales et inclusion » explique
ainsi que les députés de sa commission tente d'esquiver le pouvoir d'initiative quasiexclusif de la Commission européenne. « What we are doing instead : we are trying to
seize these initiatives. This proposal I mentionned earlier on the industry restructuring,
we have used an article of the treaty [...] that says “we the parliament can produce a
108Weber M. cité dans Smith A., Sorbets C., Le leadership politique et le territoire, Presses
universitaires de Rennes, 2002
2013
70/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
legislation on initiative report [...] » and if we get an absolute majority of votes in the
Parliament, the Commission has to respond […] saying “ok you pepole are not acting, we
are going to push it forward ourselves” »109.
Les membres du Parlement européen sont également fiers de dire qu'ils travaillent à
pousser la Commission européenne à inclure des aspects sociaux dans les textes qu'elle
adopte. Les députés européens s'attachent à donner une dimension sociale à l'ensemble
des textes. Ainsi, un membre du Parlement européen explique qu'il fait pression pour
qu'un pilier social soit ajouté à l'union éconimque et monétaire dans la nouvelle feuille de
route pour l'UE : « Par exemple en juin, nous allons avoir un document du Conseil, de Van
Rompuy, qui établit les bases de l'Union économique et monétaire. Pour nous, il est
absolument crucial d'ajouter à cela un pilier social pour utiliser toutes les possibilités
établies par les traités mais dont nous ne faisons pas usage pour le moment et aussi pour
réformer les traités sur des questions majeures. Alors nous faisons pression sur la
Commission et le Conseil »110. Cet acteur, ses collègues de la commission « Emploi, affaires
sociales et inclusion » et les membres du groupe parlementaire socialistes et démocrates
en général, soutiennent que s'ils ne faisaient pas pression pour que les enjeux sociaux
soient pris en compte, rien ne serait fait en la matière. Ils pensent être les seuls à s'en
préoccuper.
109 Entretien avec un membre du Parlement européen, 13 mars 2013
110 Entretien avec un membre du Parlement européen, 14 mars 2013
2013
71/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
Conclusion
Dans le discours sur l'état de l'Union européenne de 2012, José Barroso affiche des
ambitions en matière de social et notamment celle de préserver le « modèle social
européen ». Un des objectifs de ce discours est donc, pour le Président de la Commission
européenne, de s'afficher en dirigeant préoccupé par les problèmes sociaux et soucieux
de les résoudre. Cependant, le discours ne produit pas les effets escomptés. Il ne parvient
pas à créer un leadership du Président de la Commission européenne en matière de
social.
La première hypothèse développée pour vérifier dans quelle mesure le discours
sur l'état de l'Union européenne de 2012 participe à la construction d'un leadership du
Président de la Commission en matière de social est axée sur le contexte de production,
elle énonce que le Président de la Commission européenne est déjà dans une position qui
le rend légitime à parler de social, avant de prononcer ce discours. Autrement dit, son
statut et sa personnalité lui donnent la légitimité pour discourir en matière de social.
Cette hypothèse est en partie vérifiée seulement. Le statut juridique du Président de la
Commission européenne est la seule ressource dont dispose José Barroso. Ce statut lui
permet de discourir en matière de social, étant donné que la politique sociale est une
compétence partagée entre les États membres et l'Union européenne. José Barroso
dispose ainsi du leadership formel au sens de Nicolas Jabko111. L'apparent confort du
statut juridique du Président de la Commission européenne pour parler de social est
cependant à nuancer quand il s'agit pour lui de s'exprimer devant le Parlement. Du fait de
l'absence d'acteur central au sein de l'Union européenne comme le relève François Foret,
entraîne des oppositions pour le pouvoir entre les différentes institutions. Le Parlement
européen a ainsi intérêt à s'opposer à la Commission pour avoir du poids.
111 Jabko N., Le leadership dans l 'Union européenne : typologie sommaire et illustration dans le cas de
l'union monétaire, Politique européenne 1/2002 (n° 5), p. 85-104, www.cairn.info/revue-politiqueeuropeenne-2002-1-page-85.htm
2013
72/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
Le leadership formel, de plus, ne suffit pas, il faut lui ajouter une dimension informelle
que José Barroso ne parvient pas à construire en matière de social. Pour reprendre les
termes de Jean-Claude Thoenig, il apparaît comme un intégrateur systémique, c'est-à-dire
qu'il fait en sorte que les différentes institutions fonctionnent et avancent ensemble. José
Barroso est décrit par les acteurs interrogés comme un Président de la Commission
européenne très proche du Conseil européen. Cette posture fait que les membres du
Parlement européen ne croient pas en sa capacité à développer une politique sociale
européenne. Les chefs d’État et de gouvernement, dont José Barroso est proche,
souhaitent conserver leur compétence en matière de politique de l'emploi, de politique
de sécurité sociale etc. Le Président de la Commission européenne ne souhaite pas aller
contre cette volonté.
De plus, la conjoncture politique, le contexte de crise fragilisent le droit à prendre la
parole et à parler de social pour le Président de la Commission européenne. En effet,
l'institution dont il est Président se fait imputer la responsabilité de la crise sociale et
politique actuelle par le discours dominant des médias.
La deuxième hypothèse met en évidence que le contenu même du discours
démontre une volonté de la part de José Barroso à agir dans le domaine social. Cette
hypothèse est invalidée.
José Barroso produit un discours pluri-adressé selon les termes d'Alice Krieg-Planque112. Le
discours sur l'état de l'Union européenne de 2012 est quasiment exhaustif et évite le
clivage. Il montre une volonté de fédérer. Cependant cette stratégie ne fonctionne pas. Au
lieu de fédérer, cette stratégie a pour conséquence d'offrir à chacun l'occasion de critiquer
le discours de José Barroso. Les acteurs interrogés et une partie de la presse concluent en
effet à l'illisibilité du discours.
José Barroso fait un certain nombre de propositions phares dans ce discours. Il montre
ainsi sa capacité à faire des « paris audacieux », une volonté à vouloir infléchir le cours de
112 Krieg-Planque A., Analyser les discours institutionnels, Armand Colin, ICOM, 2012
2013
73/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
l'histoire ; autrement dit, il affiche ainsi un certain sens politique au sens de Nicolas
Jabko113. La volonté de préserver le « modèle social européen » apparaît comme l'une de
ces propositions phares. Cependant la faible importance donnée au social par rapport à la
compétitivité, à la croissance etc., dans ce discours, contre-carre cette proposition. Les
acteurs interrogés ne retiennent pas cette proposition mais plutôt celle de créer une
fédération d'Etats-nations. Les membres du Parlement européen ne croient pas en la
volonté de José Barroso d'agir en matière de social.
La troisième hypothèse, centrée sur les effets du discours, a pour objectif de voir
que cette prise de parole a découlé sur la légitimation de la Commission européenne en
matière de social. Le discours a pour effet d'accorder de la légitimité à parler de social au
Président de la Commission et créer un contexte favorable à l'approfondissement de la
politique sociale européenne. Cette hypothèse est partiellement validée.
Le discours sur l'état de l'Union européenne de 2012 a une trop faible audience pour
parvenir à ses objectifs. Le discours est affaire d'interaction entre l'émetteur et les
récepteurs. Les récepteurs sont actifs, ils ne subissent pas le discours prononcé par José
Barroso. Or les membres du Parlement européen utilisent la méconnaissance du discours
comme stratégie de décodage et vident ainsi les mots de leur pouvoir.
José Barroso au sein même de son discours se trouve dans une situation de dissonance
cognitive au sens de Léon Festinger. Sa volonté affichée de préserver le « modèle social
européen » entre en contradiction avec la réalité des faits et sa volonté d'améliorer la
compétitivité de l'UE. Il travaille à réduire cette dissonance mais les membres du
Parlement européen n'y croient pas. Cette dissonance a pour effet de décrédibiliser José
Barroso en matière de social. Les membres de la commission « Emploi, affaires sociales et
inclusion » capturent donc la politique sociale européenne.
Néanmoins, le discours sur l'état de l'Union européenne parvient tout de même à réaliser
113 Jabko N., Le leadership dans l 'Union européenne : typologie sommaire et illustration dans le cas de
l'union monétaire, Politique européenne 1/2002 (n° 5), p. 85-104, www.cairn.info/revue-politiqueeuropeenne-2002-1-page-85.htm
2013
74/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
quelques uns des effets escomptés. Tout d'abord, les représentations sociales utlisées par
José Barroso telles que « modèle social européen », « économie sociale de marché » sont
réemployées par les acteurs interrogés. Or selon l'analyse de Patrick Charaudeau, « le
discours politique comme système de pensée est le résultat d'une activité discursive qui
cherche à fonder une réalité politique en fonction de certains principes qui doivent servir
de référence à la constructions des opinions et des positionnements »114. Les membres du
Parlement européen, en utilisant les mêmes termes que José Barroso pour parler de
social, sont dans une certaine mesure, influencés par son mode de pensée. Cela favorise
l'entente entre les députés et le Président de la Commission et au final, la capacité de ce
dernier à instaurer un leadership en matière de social.
Les valeurs énoncées par José Barroso sont également validées par les acteurs interrogés.
Le discours sur l'état de l'Union européenne de 2012 parvient ainsi à entretenir une
communauté de valeurs entre les deux institutions. Ces éléments fondamentaux facilitent
les relations entre elles. Dans une certaine mesure, cette diffusion des valeurs témoigne
d'une forme de leadership par José Barroso puisque comme Olivier Borraz115 l'explique : le
leader est « un agent qui contribue à l'institutionnalisation d'une organisation », et il
définit l'institutionnalisation comme la capacité à diffuser des valeurs, en reprenant la
définition de Philip Selznick.
De manière générale, il contribue à consacrer l'Union européenne en tant qu'échelon
pertinent d'action et comme communauté ayant une valeur en soi. Les différents acteurs
européens se trouvent ainsi légitimés dans leur rôle et leur position.
Pour conclure, on pourrait faire un parallèle avec le discours prononcé par François
Hollande le 28 mars 2013. Au niveau du contenu, on retrouve le thème de la croissance,
de l'emploi, de la compétitivité. François Hollande affiche lui aussi des ambitions en
matière de social : « mon premier objectif, c'est d'inverser la courbe du chômage d'ici la
114Charaudeau P., Le discours politique, Les masques du pouvoir, Vuibert, Paris, 2005
115Borraz O., Le leadership institutionnel in Smith A., Sorbets C., Le leadership politique et le territoire,
Les cadres d'analyse en débat, Presses universitaires de Rennes, Res Publica, 2003
2013
75/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
fin de l'année »116. Comme José Barroso, François Hollande subordonne les objectifs
sociaux à des objectifs de croissance : « ma priorité c'est l'emploi, mon cap c'est la
croissance »117.
Si le contenu thématique peut paraître comparable, la position depuis laquelle ils
émettent leur discours le sont moins. Pour ce qui est du statut, contrairement à José
Barroso, François Hollande a pour lui la légitimité démocratique. De plus, son statut de
Président de la République française l'autorise plus que le statut de Président de la
Commission européenne, à parler de social, étant donné que les Etats gardent leur
compétence en matière de politique pour l'emploi notamment. Pour ce qui est de
l'homme, François Hollande a pour lui une étiquette « socialiste », « homme de gauche »
qui créent des attentes en matière de politique de l'emploi. Pour ce qui est du contexte,
François Hollande est également dans une situation difficile car les chiffres du chômage
atteignent des niveaux recordsau moment où il émet son discours.
Quant aux effets sociaux du discours, on peut s'attendre à ce que les effets du discours de
François Hollande soient supérieurs à ceux du discours sur l'état de l'Union européenne
du simple fait que son audience est plus importante. Les discours d'un Président de la
République française sont effet retransmis à la télévision et ainsi suivis par des millions de
téléspectateurs. Cependant, un rejet du leadership de François Hollande peut être
pareillement attendu, étant donné que son discours est également dissonant avec la
réalité des faits. Un sondage TNS-Sofres du 6 mai montre que 76 % des Français ayant
voté pour le candidat PS jugent négativement la première année de son quinquennat. Un
décalage entre les promesses et les faits est pointé du doigt.
Maintenant, si le leadership de François Hollande en matière de social est rejeté de la
même façon que celui de José Barroso, il reste à savoir qui va capturer le social en France.
Les partis politiques non membres du gouvernement sont candidats pour cette mission.
Ainsi le Front de gauche a manifesté le 5 mai 2013 pour dire « non à l'austérité » et
116 Hollande F., interview du 28 mars 2013
117 ibid
2013
76/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
appeler à une VIème République qui « redéfinisse les règles sociales et démocratiques ».
Le Front national entend lui aussi répondre aux attentes des citoyens. Dans son discours
du 1er mai 2013, Marine Le Pen affirme ainsi vouloir incarner « la lumière de
l'espérance ». En dehors des instances politiques, il existe également un nombre
grandissant d'initiatives locales qui entendent créer de la solidarité tels les systèmes
d'échanges locaux (SEL), les entreprises étiquetées « économie solidaire »...
Malgré sa positon plus confortable pour parler de social, François Hollande n'a pas plus de
chances de voir son discours produire les effets escomptés. Il n'est pas évident que son
discours construise un leadership plus fort en matière de social que celui de José Barroso.
En fait, le social apparaît comme une domaine où il est difficile de monopoliser le
leadership étant donné que, par définition, le social concerne l'ensemble de la société. Et
plus le territoire concerné est vaste, plus le leadership en matière de social est éclaté.
2013
77/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
Bibliographie
Ouvrages
 Bourdieu P., Ce que parler veut dire, Fayard, Paris, 1982
 Campana A., Henry E., Rowell J., La construction des problèmes publics en Europe,
Presses universitaires de Strasbourg, 2007
 Charaudeau P., Le discours politique, Les masques du pouvoir, Vuibert, Paris, 2005
 Drake H., Jacques Delors en Europe, Presses universitaires de Strasbourg, 2002
 Denord F., Schwartz A., L'Europe sociale n'aura pas lieu, Liber, Raisons d'agir, 2009
 Dévoluy M., L'euro est-il un échec ?, La documentation Française, Réflexe Europe,
Paris, 2011
 Goffman E., La Mise en scène de la vie quotidienne, Paris, Éditions de Minuit, 1979
 Hassenteufel P., Sociologie politique : l'action publique, Armand Colin, Collection U
Sociologie, Paris, 2008
 Hen Ch. et Léonard J., L’Union européenne, La Découverte « Repères », 2006, p. 82
 Jamet J.-F., L'Europe peut-elle se passer d'un gouvernement économique ?, La
documentation Française, Réflexe Europe, Paris, 2011
 Lagroye J., La politisation, Belin, 2003
 Le Bart Ch., Le discours politique, PUF, Que sais-je ?, 1998
 Krieg-Planque A., Analyser les discours institutionnels, Armand Colin, ICOM, 2012
 Martens S., Révauger J.-P., Vers un modèle social européen ?, Presses universitaires de
Bordeaux, Pessac, 2012
 Orbie J., Tortell L., The European Union and the Social Dimension of Globalization,
Routledge, 2009
 Quintin O. (dir.), L'Europe sociale Enjeux et réalités, La documentation française,
Réflexe Europe, Paris, 1999
 Ricard-Nihoul G., Pour une fédération européenne d’États-nations, La vision de
Jacques delors revisitée, Lacier éditions, Europe, 2012
2013
78/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
 Smith A., Sorbets C., Le leadership politique et le territoire, Presses universitaires de
Rennes, 2003
 Weber M., Le savant et le politique, La découverte, Paris, 2003
Articles de revues et périodiques
 Barbier J.-C., Quelle destinée pour la «politique sociale» de l'Union européenne? De
la Stratégie de Lisbonne à l'Europe 2020: évolution du discours politique, Revue
internationale du travail, 2012
 Erhel C., Palier B., L'Europe sociale : entre modèles nationaux et coordination
européenne, Revue d'économie politique 6/2005 (Vol. 115), p 677-703,
www.cairn.info/revue-d-economie-politique-2005-6-page-677.htm
 Foret F., Chapitre 3 / Incarner et ordonner l'Europe, in Légitimer l’Europe, Presses de
Sciences Po, 2008, p. 81-115, ww.cairn.info/legitimer-l-europe--9782724610819-page81.htm
 Jabko N., Le leadership dans l 'Union européenne : typologie sommaire et illustration
dans le cas de l'union monétaire, Politique européenne 1/2002 (n° 5), p. 85104, www.cairn.info/revue-politique-europeenne-2002-1-page-85.htm.
 Larigauderie P. et Martinie M.-A., Coût cognitif et voies de réduction de la dissonance
cognitive, Revue internationale de psychologie sociale 4/2007 (Tome 20), p. 5-30,
www.cairn.info/revue-internationale-de-psychologie-sociale-2007-4-page-5.htm
 Laurent E., L'intérêt général dans l'Union européenne, Regards croisés sur
l'économie2/2007 (n° 2), p. 27-33, www.cairn.info/revue-regards-croises-sur-leconomie-2007-2-page-27.htm
 Robert C., L'impossible « modèle social européen », Actes de la recherche en sciences
sociales 1/2007 (n° 166-167), p. 94-109, www.cairn.info/revue-actes-de-la-rechercheen-sciences-sociales-2007-1-page-94.htm
Sources
 European Commission, The social dimension of the Europe 2020 strategy : a
report of the social protection committee, Luxembourg, 2011
 Commission européenne, DG emploi, affaires sociales et inclusion, Guide de
2013
79/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
l'Europe sociale, Vol I : Politique de l'emploi, 2011
 Commission européenne, DG emploi, affaires sociales et inclusion, Guide de
l'Europe sociale, Vol 2 : Dialogue social, 2011
2013
80/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
Annexes
Annexe 1 : Discours sur l'état de l'Union
européenne par José Barroso le 12 septembre
2012
« Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les députés,
1. Analyse de la situation
C’est un honneur pour moi de prononcer aujourd’hui devant vous ce troisième discours
sur l'état de l'Union.
Alors que l'Union européenne est toujours en crise.
Une crise financière et économique. Une crise sociale. Mais aussi une crise politique, une
crise de confiance.
Les racines de la crise sont à rechercher dans:
•
des pratiques irresponsables au sein du secteur financier;
•
un endettement public intenable; et aussi
•
un manque de compétitivité dans certains États membres.
De surcroît, l’euro est aux prises avec des problèmes structurels qui lui sont propres. Son
architecture s'est avérée défaillante. Les déséquilibres se sont accumulés.
Ces défaillances sont en train d'être corrigées. Mais c'est au prix d'efforts pénibles et
douloureux. Les citoyens sont mécontents. Ils sont inquiets. Ils ont le sentiment que leur mode de
vie est menacé.
Le sens de la justice et de l'équité entre États membres est mis à mal. Or, en l'absence
d'équité entre les États membres, comment peut-on espérer qu'il existe une équité entre citoyens
européens?
Au cours des quatre dernières années, il nous a fallu prendre nombre de décisions
2013
81/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
audacieuses pour contrer cette crise systémique. Mais malgré tous les efforts que nous avons
consentis, les mesures prises n'ont pas encore convaincu les citoyens, les marchés ou nos
partenaires internationaux.
Pourquoi? Parce que nous avons sans cesse laissé le doute se propager. Le doute quant à la
volonté réelle de certains pays de mettre en œuvre des réformes et de recouvrer leur
compétitivité. Des doutes quant à la volonté réelle d'autres pays de faire preuve de la solidarité
nécessaire pour garantir l'irréversibilité de l'euro et du projet européen.
Trop souvent, nous assistons à une spirale infernale: des décisions essentielles pour notre
avenir sont d'abord prises lors de sommets européens, hypothéquées pourtant dès le lendemain
par certains de ceux qui les ont prises, au motif qu'elles vont trop loin, ou pas assez. Cela crée un
problème de crédibilité, un problème de confiance.
Il est inacceptable de présenter ces réunions européennes comme s'il s'agissait de
tournois de boxe à l'issue desquels on se vante d'avoir mis au tapis un adversaire. Nous ne
pouvons pas à la fois appartenir à une même Union et agir comme si nous n'en étions pas. Nous ne
pouvons pas compromettre neuf bonnes décisions par une seule mesure ou une seule déclaration
faisant planer le doute sur l'ensemble des résultats obtenus.
Voilà, Mesdames et Messieurs les députés, qui révèle l'essence de la crise de confiance
politique dont souffre l'Europe. Comment les acteurs politiques européens peuvent-ils espérer
convaincre qu'ils sont déterminés à résoudre cette crise ensemble s'ils ne respectent pas les règles
qu'ils ont eux-mêmes établies et leurs propres décisions?
Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les députés,
2. Le défi – une nouvelle philosophie pour l'Europe
Une crise de confiance est une crise politique. Or, et là c'est l'élément positif, dans une
démocratie, il n'existe aucun problème politique qui n'ait de solution politique.
C'est pourquoi je tiens aujourd'hui à aborder, ici et avec vous, les questions politiques
fondamentales – où en sommes-nous et quelle direction devons-nous prendre? Je tiens à me
concentrer sur le cap politique et sur la vision qui inspireront nos grandes décisions.
Bien entendu, je ne vais pas énumérer toutes ces décisions. La lettre que j'ai adressée au
Président du Parlement européen, qui contient les priorités immédiates de la Commission, vous
est transmise en ce moment. Nous en discuterons avec vous avant l'adoption du programme de
travail de la Commission, plus tard cet automne.
Voici ce que j'ai à vous dire aujourd'hui: l'Europe doit prendre un nouveau cap. Elle doit
pour cela s'affranchir des idées anciennes. L'Europe a besoin d'une nouvelle philosophie.
2013
82/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
Quand nous parlons de la crise, et nous en parlons tous, en avons-nous réellement tiré les
conclusions qui s'imposent pour notre action? Quand nous parlons de la mondialisation, et nous
en parlons tous beaucoup, avons-nous véritablement mesuré son incidence sur le rôle que doit
jouer chacun de nos États membres?
Adopter une nouvelle philosophie pour l'Europe, c'est d'abord prendre toute la mesure des
défis qui s'imposent à nous et qui changent fondamentalement le monde qui est le nôtre.
C'est d'abord arrêter de vouloir répondre aux problèmes de demain avec les solutions du
passé.
Depuis le début de la crise, nous avons régulièrement constaté que les marchés mondiaux
interconnectés sont plus rapides et, dès lors, plus puissants que des systèmes politiques nationaux
fragmentés. Ce constat sape la confiance des citoyens dans l'action politique et alimente le
populisme et l'extrémisme en Europe et ailleurs.
La réalité d'aujourd'hui, c'est que dans un monde interconnecté, les États membres ne sont
plus en mesure de maîtriser seuls le cours des événements. Pourtant, ils n'ont pas doté leur Union
- notre Union - des outils nécessaires pour affronter cette réalité nouvelle. Nous vivons
actuellement une transition. Nous sommes à un tournant, qui exige des décisions et une volonté
politique.
Oui, la mondialisation exige un surcroît d'unité européenne.
Une plus grande unité passe par plus d'intégration.
Et plus d'intégration appelle un supplément de démocratie, de démocratie européenne.
En Europe, cela signifie avant tout que nous devons accepter l'idée que nous sommes tous
embarqués sur le même bateau.
Cela signifie prendre conscience de la communauté d'intérêts qui nous lie.
Cela signifie assumer l'interdépendance de nos destinées.
Cela signifie aussi exiger de chacun un véritable sens des responsabilités communes et une
solidarité.
Parce que sur un bateau pris dans la tempête, le moins que nous puissions attendre de nos
compagnons d'équipage est de faire preuve d'une loyauté sans faille.
C'est le seul moyen de régler notre pas sur le rythme du changement. Ce n'est qu'ainsi que
nous atteindrons l'envergure et l'efficacité requises pour assurer à l'Union un rang d'acteur
mondial. Dans un monde en mutation, c'est la seule issue pour sauvegarder nos valeurs, car c’est
aussi une question de valeurs.
Au XXe siècle, un pays d'à peine 10 ou 15 millions d'habitants pouvait être une puissance
2013
83/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
mondiale. Au XXIe siècle, même les plus grands pays européens peuvent paraître insignifiants
comparés aux géants mondiaux que sont les États-Unis ou la Chine.
L'histoire s'accélère. Il a fallu à la Grande-Bretagne 155 ans pour doubler son PIB par
habitant, il en a fallu 50 aux États-Unis, et seulement 15 à la Chine. Mais si l'on se souvient d'où
viennent certains de nos nouveaux États membres, les transformations économiques qu'ils
connaissent ne sont pas moins impressionnantes.
L'Europe d'aujourd'hui possède tous les atouts nécessaires, bien davantage d'ailleurs que
les générations antérieures qui ont dû faire face à des défis analogues, voire plus importants.
Mais il nous faut agir en conséquence et exploiter toutes ces ressources ensemble.
Le moment est venu de faire coïncider nos ambitions, nos décisions et nos actes.
Le moment est venu d'en finir avec les solutions boiteuses et les demi-mesures.
Le moment est venu de retenir les leçons que l'histoire nous enseigne et de dessiner un
avenir meilleur pour notre Europe.
Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les députés,
3. Réagir à la situation - «un pacte décisif pour l'Europe»
Ce que j'appelle de mes vœux et ce que je vous soumets aujourd'hui est un pacte décisif
pour l'Europe.
Un pacte pour projeter nos valeurs, notre liberté et notre prospérité dans le contexte
mondialisé de demain. Un pacte conciliant la nécessité de préserver nos économies sociales de
marché d'une part et celle de les réformer d'autre part. Un pacte qui stabilisera l'UEM, stimulera
une croissance durable et rétablira notre compétitivité. Un pacte qui créera un contrat de
confiance entre nos pays, et entre les États membres et les institutions européennes, entre
partenaires sociaux et entre les citoyens et l'Union européenne.
Ce pacte décisif pour l'Europe entraîne les conséquences suivantes:
Nous ne devons pas laisser subsister le moindre doute quant à l'intégrité de l'Union ou au
caractère irréversible de l'euro. Les pays les plus vulnérables ne doivent pas laisser subsister le
moindre doute quant à leur volonté de réforme, quant à leur sens des responsabilités. Mais les
pays les plus forts ne doivent pas non plus laisser subsister le moindre doute quant à leur volonté
de serrer les rangs, quant à leur sens de la solidarité. Tous, nous ne devons pas laisser planer le
moindre doute quant à notre détermination à appliquer les réformes nécessaires, et à RÉFORMER
ENSEMBLE.
Il est tout simplement illusoire de croire que notre croissance peut se passer de réformes
ou que nous pouvons assurer seuls notre prospérité. Nous devons nous aviser que nous
2013
84/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
partageons le même sort et que nous devons résoudre cette crise ensemble.
Ce pacte décisif exige l'achèvement d'une union économique profonde et véritable, fondée
sur une union politique.
a) Union économique:
Permettez-moi de commencer par l'économie européenne.
Tout d'abord, nous avons besoin de croissance, d'une croissance durable.
Notre modèle européen d'économie sociale de marché est tributaire de la croissance: elle
crée des emplois et soutient notre niveau de vie. Mais nous ne pouvons maintenir la croissance
que si nous améliorons notre compétitivité.
Au niveau national, cela nécessite d'entreprendre des réformes structurelles qui ont été
reportées pendant des décennies. Moderniser l'administration publique. Réduire les dépenses
inutiles. S'attaquer aux intérêts catégoriels et aux privilèges. Réformer le marché du travail pour y
créer un équilibre entre sécurité et flexibilité. Et assurer la durabilité des systèmes sociaux.
Au niveau européen, il nous faut faire preuve d'une détermination accrue pour lever les
obstacles, qu'ils soient physiques, économiques ou numériques.
Il importe que nous parachevions le marché unique.
Il importe que nous réduisions notre dépendance énergétique et que nous exploitions tout
le potentiel des énergies renouvelables.
Encourager la compétitivité dans des secteurs tels que l'énergie, les transports ou les
télécommunications pourrait raviver la concurrence, stimuler l'innovation et faire baisser les prix
pour les consommateurs et les entreprises.
La Commission présentera bientôt un Acte pour le marché unique II. Afin de permettre au
marché unique de prospérer, la Commission continuera à défendre avec fermeté et intransigeance
ses règles de concurrence et sa réglementation commerciale. En toute franchise, si nous nous en
remettions aux États membres pour les défendre, je peux vous assurer qu'ils ne résisteraient pas
aux pressions exercées par les grandes entreprises et les grandes puissances extérieures.
Nous devons créer un marché européen du travail et créer la possibilité pour chaque
citoyen de trouver un emploi aussi facilement dans un autre pays que dans le sien.
Il est important d'explorer la croissance verte et d'utiliser beaucoup plus efficacement nos
ressources.
Il nous faut faire preuve d'une ambition bien plus grande dans les domaines de
l'enseignement, de la recherche et de l'innovation, ou encore des sciences.
L'Europe est un leader mondial dans des secteurs aussi essentiels que l'aéronautique,
l'automobile, les produits pharmaceutiques et l'ingénierie, où elle détient plus d'un tiers des parts
2013
85/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
du marché mondial. La productivité industrielle a augmenté de 35 % au cours de la dernière
décennie, en dépit du ralentissement économique. Aujourd'hui, quelque 74 millions d'emplois
dépendent de l'industrie manufacturière. Chaque année, les jeunes entreprises de l'UE créent plus
de 4 millions d'emplois. Il convient de prendre appui sur ces succès en investissant dans notre
nouvelle politique industrielle et en créant un environnement économique propre à encourager
l'esprit d'entreprise et à soutenir les petites entreprises.
Cela suppose de simplifier l'environnement fiscal pour les entreprises et de le rendre plus
attrayant pour les investisseurs. Une meilleure coordination des politiques fiscales serait dans
l'intérêt de tous les États membres.
Il nous faut aussi instaurer une politique commerciale proactive en ouvrant de nouveaux
marchés.
Tel est le potentiel de l'économie européenne: une mine d'or qui attend encore d'être
entièrement explorée. La mise en œuvre intégrale du pacte de croissance décidé lors du Conseil
européen de juin procurera déjà de nombreux avantages.
Mais nous pourrions aller plus loin encore, grâce à un budget de l'Union réaliste mais
ambitieux, centré sur l'investissement, la croissance et la réforme. Soyons clairs: le budget
européen est l’instrument clé pour investir dans l’Europe et dans la croissance en Europe. La
Commission et le Parlement, ainsi que toutes les forces pro-européennes, car la plupart des États
membres soutiennent notre proposition, doivent maintenant défendre ensemble le cadre financier
pluriannuel le plus susceptible d'étayer notre action jusqu'en 2020. S'il est adopté, il n'accablera
pas les États membres, grâce, notamment, au nouveau système de ressources propres que nous
proposons, mais il donnera une forte impulsion à leurs économies et à leurs régions, et aidera
grandement leurs chercheurs, leurs étudiants, leurs jeunes demandeurs d'emploi et leurs PME.
Il s'agit d'un budget axé sur la croissance et la cohésion économique, sociale et territoriale
entre les États membres et à l'intérieur des États membres.
Il s'agit d'un budget qui contribuera à parachever le marché unique, en comblant les
lacunes de nos infrastructures en matière d'énergie, de transports et de télécommunications,
grâce au mécanisme pour l'interconnexion en Europe.
Il s'agit d'un budget favorisant une agriculture moderne, axée sur la croissance, capable de
concilier sécurité alimentaire et développement rural durable.
Il s'agit d'un budget qui, grâce au programme Horizon 2020, encouragera une Europe
innovante, à forte intensité de recherche. Car nous avons besoin de cette dimension européenne
pour la recherche.
Son adoption constituera un véritable test de crédibilité pour nombre de nos États
2013
86/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
membres. Je veux vérifier si les États membres qui parlent sans cesse d'investissements et de
croissance soutiendront bien un budget favorable à la croissance au niveau européen.
Le budget est également l’instrument par excellence de soutien aux investissements dans
notre programme pour la croissance, Europe 2020, dont la nécessité se fait sentir aujourd'hui plus
que jamais.
Europe 2020 est la voie à suivre pour moderniser et préserver l'économie sociale de
marché en Europe.
Mesdames et Messieurs les députés,
Notre programme de réformes structurelles nécessite un effort d'ajustement majeur. Il ne
réussira que s'il est juste et équitable. Parce que l'inégalité n'est pas soutenable.
Dans certaines régions d'Europe, nous observons actuellement une véritable urgence
sociale.
Une pauvreté croissante et un chômage massif, en particulier parmi les jeunes.
Voilà pourquoi nous devons renforcer la cohésion sociale, une caractéristique qui
distingue la société européenne des autres modèles.
Certains prétendent qu'à cause de la crise, le modèle social européen est mort. Je rejette
cette idée.
Il est vrai que nous devons réformer nos économies et moderniser nos systèmes de
protection sociale. Mais un système de protection sociale efficace qui aide les personnes dans le
besoin ne constitue pas un obstacle à la prospérité. Il en est de fait un élément indispensable. En
effet, ce sont précisément les pays européens qui disposent des meilleurs systèmes de protection
sociale et au sein desquels la concertation sociale est la plus développée qui figurent parmi les
économies les plus performantes et les plus compétitives du monde.
La justice et l'équité imposent de donner une chance à notre jeunesse. Notre action en ce
sens est déjà très importante. Et avant la fin de l'année, la Commission lancera un ensemble de
mesures ciblées pour les jeunes, qui prévoit la création d'un système de garantie pour la jeunesse
et l'instauration d'une politique de qualité destinée à faciliter la formation professionnelle.
La justice et l'équité commandent également de mettre en œuvre des régimes fiscaux plus
justes et de meilleure qualité.
Mettre fin à la fraude et à l'évasion fiscales pourrait rapporter aux États européens des
recettes supplémentaires de plusieurs milliards d'euros.
C'est la raison pour laquelle la Commission se battra pour obtenir un accord sur la révision
de la directive relative à la fiscalité de l'épargne ainsi que sur de futurs mandats pour la
négociation avec les pays tiers d'accords plus stricts en la matière. Ces accords constitueraient une
2013
87/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
source considérable de recettes fiscales légitimes.
La Commission poursuivra aussi ses efforts pour faire adopter une taxe juste et ambitieuse
sur les transactions financières, propre à garantir que les contribuables tirent un bénéfice du
secteur financier, et que ce ne soit pas uniquement ce dernier qui tire un bénéfice des
contribuables. Puisqu'il apparaît clairement désormais que cet accord ne peut être obtenu qu'au
moyen d'une coopération renforcée, la Commission mettra tout en œuvre pour faire avancer
rapidement et efficacement ce dossier avec les États membres qui le souhaitent. Parce que c'est
une question d'équité, et que l'équité est une condition essentielle pour faire accepter, sur le plan
social et politique, les réformes économiques nécessaires. Et l’équité, c’est avant tout une question
de justice, de justice sociale.
Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les députés,
Face à la crise, des décisions importantes ont été prises. Dans toute l'Union européenne,
des mesures de réforme et d'assainissement sont mises en œuvre. Des mécanismes communs de
soutien financier sont mis en place et les institutions européennes ont démontré sans relâche
qu'elles soutenaient l'euro.
La Commission mesure parfaitement que les États membres qui mettent en œuvre les
réformes les plus profondes pâtissent de difficultés économiques considérables et doivent réaliser
des ajustements complexes, parfois extrêmement pénibles. Mais seules ces réformes peuvent
mener à un avenir meilleur. Elles auraient dû être réalisées il y a bien longtemps et il est tout
simplement impossible de revenir à la situation antérieure.
La Commission continuera de mettre tout en œuvre pour soutenir ces États membres et
pour les aider à stimuler la croissance et l'emploi, notamment par la reprogrammation des Fonds
structurels.
Permettez-moi d'évoquer brièvement la situation de la Grèce. Je pense réellement que
l'occasion nous est donnée, cet automne, d'arriver à un tournant. Si la Grèce écarte définitivement
tous les doutes relatifs à sa volonté d'engager les réformes requises mais aussi si tous les autres
pays ne laissent subsister aucun doute quant à leur détermination à maintenir la Grèce dans la
zone euro, nous pouvons y parvenir.
J'ai la conviction que si la Grèce respecte ses engagements, elle mérite de rester parmi
nous et de conserver sa place dans la zone euro.
Préserver la stabilité de la zone euro est notre défi le plus pressant. Cela relève de la
responsabilité commune des États membres et des institutions communautaires. La BCE ne peut
pas financer les États et elle ne le fera pas. Mais si les canaux de la politique monétaire ne
2013
88/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
fonctionnent pas correctement, la Commission estime que le mandat de la BCE impose à celle-ci
de prendre les mesures nécessaires, notamment sur les marchés secondaires de la dette
souveraine. La BCE n'a en effet pas seulement le droit, mais le devoir de restaurer l'intégrité de la
politique monétaire. Il lui appartient bien entendu, puisqu'elle est une institution indépendante,
de déterminer les actions à mener et d'en définir les conditions. Il convient cependant que tous les
acteurs, et je dis bien tous les acteurs, respectent son indépendance.
Mesdames et Messieurs les députés,
J'ai évoqué les mesures économiques que nous devons mettre en œuvre sans délai. Elles
sont indispensables, mais pas suffisantes: il nous faut aller plus loin.
Il est essentiel d'achever l'union économique et monétaire. Nous devons mettre sur pied
une union bancaire et une union budgétaire ainsi que les mécanismes institutionnels et politiques
que cela suppose.
La Commission présente aujourd'hui des propositions législatives en vue de la création
d'un mécanisme unique de surveillance à l'échelle européenne. Il s'agit là de la première étape
dans la création d'une union bancaire.
La crise a montré que si les banques étaient devenues transnationales, la réglementation
et le contrôle étaient restés, quant à eux, nationaux. Et lorsque les choses ont mal tourné, ce sont
les contribuables qui ont dû passer à la caisse.
Au cours de ces quatre dernières années, l’Union européenne a réformé le secteur
bancaire, prenant ainsi la tête au niveau mondial de la mise en œuvre des engagements du G20.
Mais la coordination, à elle seule, ne suffit plus: nous avons besoin de décisions communes en
matière de surveillance, notamment au sein de la zone euro.
Le mécanisme de surveillance unique proposé aujourd’hui créera une architecture
renforcée, au sein de laquelle la Banque centrale européenne jouera un rôle clé, et l'interaction
requise avec l’Autorité bancaire européenne, qui rétablira la confiance dans la surveillance des
banques de la zone euro.
Il s’agira d’assurer la surveillance de l’ensemble des banques de la zone euro. Les risques
systémiques pouvant être partout, la surveillance devra porter sur toutes les banques et pas
uniquement sur celles dites «d’importance systémique». Il conviendra bien sûr d’y associer
pleinement les autorités nationales de surveillance.
Ce train de mesures se compose de deux textes législatifs couplés, l’un concernant la BCE
et l’autre l’ABE. Il va sans dire que votre assemblée aura un rôle essentiel à jouer dans l’adoption
de ce nouveau mécanisme et, ensuite, dans le contrôle démocratique dont il fera l’objet.
Il s’agit là d’une première étape cruciale sur la voie de l’union bancaire que j’ai proposée
2013
89/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
en juin devant cette assemblée. La création d’une autorité de surveillance européenne constitue à
présent la priorité numéro un, parce qu’elle est indispensable à l’amélioration de la gestion des
crises bancaires, de la résolution des défaillances bancaires jusqu'à la garantie des dépôts.
Parallèlement, la Commission continuera de travailler à la réforme du secteur bancaire,
afin de s’assurer que ce dernier joue bien son rôle dans le financement responsable de l’économie
réelle. Cela signifie améliorer le financement à long terme des PME et des autres entreprises. Cela
signifie adopter des règles en matière d’indices de référence, afin que nous n’assistions plus à une
manipulation des taux d’intérêt bancaires affectant aussi bien les entreprises que les personnes
ayant souscrit un prêt hypothécaire. Cela signifie légiférer de manière à ce que les banques offrent
des conditions équitables aux consommateurs et revoir la structure des activités bancaires pour
éliminer les risques intrinsèques.
À cet égard, le rôle qui incombe à votre assemblée est essentiel. La Commission s’attachera
à travailler en partenariat étroit avec vous.
Mais il y a un second volet d’une union économique approfondie, qui consiste à s’engager
sur la voie d’une union budgétaire.
Sa justification va de soi: les décisions économiques d’un État membre ayant une incidence
sur les autres, nous devons renforcer notre coordination en matière de politique économique.
Nous devons absolument encadrer plus strictement et de manière plus contraignante le
processus décisionnel national relatif aux éléments-clés de la politique économique, car c'est
l'unique moyen de prévenir les déséquilibres. Si nous avons déjà fait beaucoup dans ce domaine,
par exemple avec le paquet de six mesures législatives (le «six-pack») et les recommandations par
pays, d’autres mesures sont indispensables pour faire correspondre incitations ciblées et
conditions spécifiques et pour inscrire l’union économique et monétaire véritablement dans la
durée.
Pour obtenir des résultats durables, il nous faut nous doter d’une véritable gouvernance
économique communautaire ainsi que d’une capacité budgétaire communautaire crédible.
Nous n’avons pas besoin d'institutions distinctes ou de nouvelles institutions pour y
parvenir. Bien au contraire, pour que les choses bougent rapidement et avec efficacité, la meilleure
approche consiste à se servir des institutions existantes: la Commission européenne en tant
qu’autorité européenne indépendante, sous le contrôle du Parlement européen en tant que
représentation parlementaire au niveau européen.
C'est dans un tel cadre que, chemin faisant, les étapes d'une véritable mutualisation de
l'amortissement et de l'émission de la dette pourront être franchies.
Ainsi, c’est en associant réformes économiques et véritable union économique et
2013
90/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
monétaire que nous pourrons aller de l’avant.
La Commission publiera avant l'hiver un projet de renforcement de l’union économique et
monétaire.
Ce projet sera présenté à votre assemblée, parce que ces questions doivent être débattues
avec et par les élus du peuple.
Parallèlement, il alimentera le débat lors du Conseil européen de décembre que préparera
le rapport que le président du Conseil européen, moi-même et les présidents de la Banque
centrale européenne et de l’Eurogroupe avons été invités à établir.
Notre projet définira les outils et les instruments requis, et exposera les options
législatives pouvant leur donner effet, de la coordination des politiques à la capacité budgétaire,
en passant par l'amortissement de la dette. Et, au besoin – en cas de dette publique garantie
solidairement – il présenterait les modifications à apporter au traité, car certains de ces
changements nécessiteront de modifier le traité. Ce projet englobera ainsi ce que nous devons
accomplir non seulement dans les semaines et mois qui viennent, mais aussi dans les prochaines
années.
Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les députés,
b) Union politique:
En définitive, la crédibilité et le caractère durable de l’Union économique et monétaire
dépendent des institutions et de la construction politique qui la sous-tendent.
C’est pourquoi l’Union économique et monétaire soulève la question d’une union politique
et de la démocratie européenne sur laquelle elle doit être fondée.
Si nous voulons faire de l’union économique et monétaire une réussite, il nous faut alors
allier ambition et planification rigoureuse. Nous devons prendre des mesures concrètes sans
attendre, avec l'union politique comme ligne d'horizon.
Je souhaiterais que se développe un espace public européen où les questions européennes
puissent être examinées et débattues d’un point de vue européen. En effet, essayer de résoudre
des problèmes européens en y apportant uniquement des solutions nationales ne rime à rien, et
nous ne pouvons continuer ainsi.
Ce débat doit avoir lieu dans nos sociétés et parmi nos citoyens. Mais aujourd’hui, je
souhaiterais lancer un appel particulier aux intellectuels européens. Aux hommes et femmes de
culture, pour les inviter à prendre part à ce débat sur l’avenir de l’Europe. Et je m’adresse à vous, à
votre assemblée qui incarne la démocratie européenne. Nous devons renforcer le rôle du
Parlement européen au niveau européen.
2013
91/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
Et il nous faut promouvoir une complémentarité et une coopération véritables entre le
Parlement européen et les parlements nationaux.
Ce qui sera également impossible sans un renforcement des partis politiques européens.
En effet, il existe très souvent un véritable clivage entre les partis politiques dans les capitales et
les partis politiques européens ici à Strasbourg. Voilà qui explique pourquoi, force est de le
reconnaître, le débat politique semble bien trop souvent se limiter aux partis nationaux. Même
lors des élections européennes, le nom des partis politiques européens ne figure pas sur l’urne, on
assiste à un débat national entre partis politiques nationaux. C’est pourquoi nous devons
revaloriser les partis politiques européens. Je suis fier d’annoncer que la Commission a adopté
aujourd’hui une proposition en ce sens.
Le débat politique paneuropéen pourrait ainsi être renforcé si les partis politiques
européens présentaient leur candidat au poste de président de la Commission dès les élections du
Parlement européen de 2014. Cela peut se faire sans modification du traité. Il s’agirait d’une
mesure importante permettant de donner tout son poids à la possibilité d’un choix européen
qu'offrent ces élections. J’invite dès lors tous les partis politiques à s’engager en ce sens et à
renforcer ainsi la dimension européenne de ces élections européennes.
Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les députés,
Une véritable Union politique européenne exige que nous concentrions l’action
européenne sur les questions réellement déterminantes qui doivent être traitées au niveau
européen. Soyons francs: tous les points ne peuvent pas être traités en priorité simultanément.
Une certaine dose d’autocritique est probablement la bienvenue en la matière.
Une bonne intégration consiste à réexaminer sans préjugés le niveau auquel doit se situer
l’action pour être la plus efficace. La subsidiarité constitue un principe démocratique essentiel et
doit être mise en pratique.
Une union politique exige également que nous renforcions les fondements sur lesquels
repose notre Union: le respect de nos valeurs fondamentales, de l’État de droit et de la démocratie.
Or, ces derniers mois, l’État de droit et la démocratie ont été mis à mal dans plusieurs de
nos États européens. Le Parlement européen et la Commission ont été les premiers à tirer la
sonnette d’alarme et à jouer un rôle décisif pour contenir ces développements préoccupants.
Mais ces situations ont aussi mis en évidence les limites de notre système institutionnel. Il
importe que nous nous dotions d’un arsenal mieux conçu qui ne se borne pas à l’alternative entre
le pouvoir d'influence de la persuasion politique et l'«option nucléaire» de l'article 7 du traité.
Notre attachement au respect de l’État de droit est également ce qui motive notre projet de
2013
92/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
création d’un Parquet européen, comme le prévoient les traités. Nous présenterons
prochainement une proposition à cette fin.
Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les députés,
Une union politique implique aussi de redoubler d’efforts pour jouer notre rôle sur la
scène mondiale. Partager sa souveraineté en Europe, c’est en réalité renforcer sa souveraineté
dans un monde globalisé.
Dans le monde d’aujourd’hui, la taille est déterminante.
Et les valeurs font la différence.
Voilà pourquoi le message de l’Europe doit être un message de liberté, de démocratie, de
primauté du droit et de solidarité, soit nos valeurs européennes.
Plus que jamais, nos citoyens et le nouvel ordre mondial ont besoin d’une Europe active et
influente. Il importe que nous réussissions, pas seulement pour nous, mais pour le reste du
monde. L'Europe doit se battre pour défendre ses valeurs et sa conviction que les droits de
l’homme ne sont pas un luxe réservé au monde développé mais que ces valeurs ont réellement
vocation universelle.
La situation dramatique en Syrie nous rappelle que nous ne pouvons pas nous cantonner
dans un rôle passif d’observateurs. Une nouvelle Syrie, démocratique, doit voir le jour. Et notre
responsabilité commune est engagée: nous avons un rôle à jouer dans ce processus. Et nous
devons travailler avec les acteurs de l’ordre mondial qui ont également besoin de coopérer à cet
objectif.
Le monde a besoin d’une Union européenne qui demeure en première ligne en matière de
développement et d'aide humanitaire, qui défende les économies ouvertes et combatte le
protectionnisme, qui soit à la pointe de la lutte contre le changement climatique.
Le monde a besoin d’une Europe qui soit en mesure de déployer des missions militaires
afin de stabiliser les zones de crise: nous devons pour cela entreprendre un relevé exhaustif des
capacités européennes et commencer à établir des plans de défense qui soient réellement
collectifs. Oui, nous devons renforcer notre politique étrangère et de sécurité commune et notre
approche commune en matière de défense, car ensemble, nous avons le pouvoir et la dimension
nécessaires pour peser sur le monde et tenter de le rendre plus équitable et plus respectueux des
règles juridiques et des droits de l’homme
Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les députés,
4. Un nouveau traité, la dimension 17/27 et l’élargissement du débat public
2013
93/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
a) Une fédération d’États-nations – Un nouveau traité
Pour parvenir à une union économique et monétaire véritable et approfondie, à une union
politique dotée d’une politique étrangère et de défense cohérente, il est indispensable que l'Union
européenne telle que nous la connaissons évolue.
N’ayons pas peur des mots: nous devrons évoluer vers une fédération d'États-nations.
Voilà de quoi nous avons besoin, tel est notre horizon politique.
C’est cette ambition qui doit guider nos travaux au cours des années à venir.
Aujourd’hui, j’en appelle donc à une fédération d'États-nations. Pas à un super-État, mais à
une fédération démocratique d’États-nations capable de régler nos problèmes communs en
partageant la souveraineté d'une manière qui permette à chaque pays et à chaque citoyen d’être
mieux équipé pour maîtriser son propre destin. Une Union qui soit aux côtés des États membres,
et pas une Union qui se dresse contre eux. À l’ère de la mondialisation, la mise en commun des
souverainetés n’équivaut pas à une perte mais à un gain de pouvoir.
J’ai parlé à dessein d’une fédération d’États-nations parce qu’en cette période troublée,
angoissante, nous ne pouvons pas abandonner la défense de la nation aux seuls nationalistes et
populistes. Je crois en une Europe dont les citoyens sont fiers de leur nation mais également fiers
d'être Européens et fiers de nos valeurs européennes.
Et pour créer cette fédération d’États-nations, nous ne pourrons pas faire l'économie d’un
nouveau traité.
Je ne dis pas cela à la légère. Nous savons tous combien il est devenu difficile de modifier
les traités. La préparation sera cruciale.
Les débats sur les modifications des traités ne doivent pas nous faire perdre de vue ce qu’il
est possible et indispensable de faire dès aujourd’hui, ni nous faire prendre du retard.
Il est déjà possible d'engager une union économique et monétaire véritable et approfondie
dans le cadre des traités actuels, mais elle ne pourra être finalisée qu’en modifiant les traités.
Alors, commençons dès à présent, mais fixons-nous l’avenir pour horizon dans les décisions que
nous prenons aujourd’hui.
Nous ne devons pas non plus commencer par changer les traités. Il y a lieu d’abord de
définir les politiques dont nous avons besoin et les instruments qui sont nécessaires à leur mise
en œuvre. Alors seulement, nous serons en mesure de dire quels outils nous manquent et quelles
solutions il convient d'adopter.
Il s’agira ensuite de mener un large débat à travers toute l’Europe, qui doit intervenir avant
la convocation d’une convention et d’une conférence intergouvernementale: un débat de
dimension authentiquement européenne.
2013
94/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
L’époque d’une construction européenne qui se faisait avec l’accord tacite des citoyens est
révolue. L’Europe ne peut plus se permettre d’être technocratique, bureaucratique ou même
diplomatique. L’Europe doit être toujours plus démocratique. Le rôle du Parlement européen est
essentiel. Voilà pourquoi les élections européennes de 2014 peuvent se révéler décisives.
D’ici aux prochaines élections européennes de 2014, la Commission présentera son
ébauche pour les contours de la future Union européenne. Et nous présenterons des idées
concrètes pour modifier les traités, dans un délai qui permettra d'organiser un débat.
Nous exposerons les objectifs à atteindre, la manière dont les institutions peuvent rendre
l’Union européenne plus ouverte et plus démocratique, les prérogatives et les instruments pour la
rendre plus efficace, et le modèle à suivre pour en faire l’Union des peuples de l’Europe. Je suis
persuadé que nous avons besoin d’un véritable débat et quel meilleur forum pour débattre de
notre avenir et de nos objectifs que ces élections au niveau européen?
b) La dimension 17/27
Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés,
Il ne s’agit pas d’un simple débat sur la zone euro et sa composition actuelle.
Si une plus grande intégration est indispensable pour la zone euro et ses membres, le
projet de la monnaie unique doit néanmoins rester ouvert à tous les États membres.
Je le dis très clairement: nous n’avons pas besoin en Europe de nouveaux murs qui nous
divisent! Car l’Union européenne sera plus forte dans son ensemble si elle préserve l’intégrité de
son marché unique, de ses membres et de ses institutions.
On n’obligera personne à embarquer et personne ne sera obligé de rester à quai. Ce ne
sont pas les plus lents ou les plus réticents qui donneront le tempo.
Voilà pourquoi nos propositions se fonderont sur l’Union existante, sur ses institutions et
sur la méthode communautaire. Que les choses soient claires: il existe une seule Union
européenne, une seule Commission et un seul Parlement européen. Si l’on veut plus de
démocratie, plus de transparence et plus de responsabilité, l’on ne peut pas multiplier à l’infini les
institutions au risque de rendre l’Union européenne plus complexe, moins cohérente et moins
lisible qu’elle ne l’est, et d’entraver sa capacité d’action.
c) L’élargissement du débat public
Voilà, Mesdames et Messieurs les députés, l’ampleur des décisions que nous allons devoir
prendre.
C’est pourquoi je considère que nous devons mener une discussion franche avec les
citoyens européens au sujet de notre avenir.
Sur les conséquences éventuelles d’une fragmentation, car nos actes peuvent avoir des
2013
95/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
conséquences inattendues et, parfois, une fragmentation non désirée peut se produire.
Et sur ce que nous pouvons réaliser ensemble à condition que les décideurs ne cèdent pas
au localisme national.
Nous devons utiliser les élections de 2014 pour mobiliser toutes les forces proeuropéennes et nous ne pouvons pas laisser les populistes et les nationalistes dicter leur agenda
pessimiste. J’appelle toutes celles et tous ceux qui se reconnaissent dans l’Europe à se lever et à
prendre l’initiative dans ce débat. Car si un plus grand danger encore nous guette que le
scepticisme des anti-Européens, c’est bien l’indifférence ou le pessimisme des pro-Européens.
Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les députés,
5. Conclusion: est-ce réaliste?
Pour résumer, nous avons besoin d’un pacte décisif pour achever l’Union économique et
monétaire, fondé sur un engagement politique en faveur d’une Union européenne plus forte.
Je vous propose d'agir dans l’ordre suivant, très clair:
Premièrement, nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour stabiliser la zone
euro et accélérer la croissance dans l’ensemble de l’Union européenne. La Commission présentera
toutes les propositions nécessaires pour créer une union bancaire, dans le respect des
dispositions actuelles des traités. Et nous avons déjà commencé à le faire aujourd’hui avec la
création de l’autorité de surveillance unique.
Deuxièmement, nous présenterons, cet automne encore, notre projet détaillé pour une
union économique et monétaire véritable et approfondie, y compris ses instruments politiques.
Ici encore, nous présenterons toutes ces propositions dans le respect des dispositions
actuelles des traités.
Et troisièmement, là où il ne sera pas possible d’avancer dans le cadre des traités actuels,
nous ferons des propositions concrètes pour apporter les modifications nécessaires aux traités
avant les prochaines élections européennes de 2014, notamment des éléments destinés à
renforcer la démocratie et la responsabilité.
Voilà notre projet: un projet par étapes mais avec une vraie ambition pour l’avenir et une
fédération en tant qu’horizon pour l’Europe.
Nombreux sont ceux qui jugeront ce programme trop ambitieux, irréaliste.
Mais je vous pose la question: est-il réaliste de poursuivre sur la voie actuelle? Est-il
réaliste de voir ce à quoi nous assistons aujourd’hui dans de nombreux pays européens? Est -il
réaliste de voir les contribuables payer pour les banques, puis être forcés de céder leur maison à
ces mêmes banques parce qu’ ils ne peuvent plus payer leur crédit? Est-il réaliste de voir que plus
2013
96/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
de 50 % des jeunes sont au chômage dans certains de nos États membres? Est-il réaliste de
continuer à vouloir éteindre les incendies et de simplement accumuler les erreurs et les solutions
peu convaincantes? Est-il réaliste de penser que nous pouvons gagner la confiance des marchés
lorsque nous avons si peu confiance les uns dans les autres?
Pour moi, c’est cette réalité qui n’est pas réaliste et qui ne peut plus durer.
La voie réaliste est celle qui va nous rendre plus forts et plus unis. Le réalisme consiste à
hisser notre ambition au niveau de nos défis. Nous pouvons y arriver! Envoyons à notre jeunesse
un message d'espoir. Et si parti pris il y a, que ce soit un parti pris d’espoir. Soyons fiers d’être
Européens. Fiers de notre richesse et de notre diversité culturelles. En dépit de nos problèmes
actuels, nos sociétés comptent parmi les plus humaines et les plus libres du monde.
Nous n’avons pas à rougir de notre démocratie, de notre économie de marché sociale et de
nos valeurs. En offrant un niveau de cohésion sociale élevé, en respectant les droits de l’homme, la
dignité humaine et l'égalité entre les hommes et les femmes, et en protégeant l'environnement, les
sociétés européennes, malgré tous leurs problèmes, comptent parmi les plus honorables de toute
l’histoire de l'humanité. Je pense que la fierté est de mise. Dans nos pays, les jeunes filles ne vont
pas en prison parce qu’elles critiquent leurs dirigeants dans des chansons. Dans nos pays, les
citoyens sont libres et fiers de cette liberté: ils savent ce que cette liberté veut dire. Dans bon
nombre de nos pays, notamment les États qui ont adhéré le plus récemment à l’Union, l’expérience
de la dictature et du totalitarisme est toujours présente dans les mémoires.
Les générations précédentes ont relevé de plus grand défis. Aujourd’hui, c’est à la nôtre de
montrer qu’elle est à la hauteur de la tâche.
Le moment est venu pour tous les pro-Européens d’oublier les bonnes vieilles recettes du
passé et d’affronter l’avenir. L’Union européenne a été construite pour préserver la paix.
Aujourd’hui, cela passe par l’adaptation de notre Union aux défis de la mondialisation.
Voilà pourquoi nous avons besoin d’une nouvelle philosophie pour l’Europe et d’un pacte
décisif pour l’Europe. Voilà pourquoi nous devons nous laisser guider par les valeurs qui sont au
cœur de l’Union européenne. L’Europe, j'en ai la conviction, a une âme et cette âme peut nous
donner la force et la détermination de faire notre devoir.
Vous pouvez compter sur la Commission européenne. Je compte sur vous, sur le Parlement
européen. Ensemble, en tant qu’institutions communautaires, nous allons bâtir une Europe
meilleure, plus solide et plus soudée, une Union des citoyens pour l’avenir de l’Europe, mais aussi
pour l’avenir du monde.
Je vous remercie de m'avoir écouté ».
2013
97/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
Annexe 2 : liste des entretiens
–
Entretien avec Pascale Turquet, maître de conférences en Sciences économiques à
l'université de Rennes 2, spécialiste des systèmes de protection sociale, le 7 mars
2013
–
Entretien avec Stephen Hugues, membre du Parlement européen, le 13 mars 2013
–
Entretien avec Edouard Gaudot, conseiller politique au Parlement européen, le 14
mars 2013
–
Entretien avec Alejandro Cercas, membre du Parlement européen, le 14 mars 2013
–
Entretien avec Agnès Le Brun, membre du Parlement européen, le 15 mars 2013
–
Entretien téléphonique avec Sylvie Goulard, le 25 mars 2013
2013
98/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
Index
Alice Krieg-Planque...................................................................................................35, 55, 73
Andy Smith...............................................................................................................15, 53, 61
Antoine Schwartz..................................................................................................................10
Bruno Pallier.........................................................................................................................10
Cécile Robert........................................................................................................................23
Christian Hen et Jacques Léonard........................................................................................67
Christian Le Bart.....................................................................................13, 31, 32, 34, 47, 54
Corinne Erhel........................................................................................................................10
Erwing Goffman........................................................................................................14, 26, 52
François Denord...................................................................................................................10
François Foret.................................................................................................................24, 72
George Stigler.......................................................................................................................70
Helen Drake....................................................................................................................16, 53
Jacques Lagroye..............................................................................................................26, 40
Jean-Claude Barbier.............................................................................................................66
Jean-Claude Thoenig......................................................................................................53, 73
John Kingdom.................................................................................................................25, 30
Leadership..............................................................................................................................9
Léon Festinger................................................................................................................64, 74
Max Weber...................................................................................................14, 15, 51, 52, 70
Nicolas Jabko..........................................................................................16, 26, 29, 38, 50, 72
Nicolas Jakbo........................................................................................................................27
Olivier Borraz..................................................................................................................43, 75
Patrick Charaudeau........................................................................................................34, 75
Pierre Bourdieu...................................................................................8, 12, 13, 37, 41, 43, 44
2013
99/100
Légitimer par le discours :
Fanny Jaffrès
discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12
Roger Chartier......................................................................................................................60
Traité sur l'Union européenne..............................................................................................13
Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne..............................................18, 19, 25
2013
100/100

Documents pareils