légitimer par le discours discours sur l `état de l par josé barroso le
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LÉGITIMER PAR LE DISCOURS : DISCOURS SUR L'ÉTAT DE L'UE PAR JOSÉ BARROSO LE 12.09.12 Fanny JAFFRES Mémoire de 4e année Séminaire : L'Europe autrement Sous la direction de : Virginie Saliou 2012 - 2013 Avertissement Ce travail s'inscrit dans le cadre d'un apprentissage de la recherche. Il est donc nécessairement inabouti et présente des imperfections et des insuffisances. L'IEP n'entend donner aucune approbation aux informations et aux analyses contenues dans ce mémoire. Elles doivent être considérées comme relevant de la seule responsabilité de l'auteur. Remerciements Je remercie tout d'abord Virginie Saliou, ma directrice de mémoire, pour ses précieux conseils et ses suggestions de lectures avisées. Je remercie Romain Pasquier pour son aide, en tant que co-responsable du séminaire « L'Europe autrement ». Je remercie tous les acteurs qui ont accepté de s'entretenir avec moi, pour leur temps et pour les connaissances qu'ils m'ont apportées. Je remercie mes proches pour leur soutien inconditionnel. Et je remercie tout particulièrement Guillaume, ma mère et Antoine pour leurs relectures attentives et leurs avis éclairés qui m'ont beaucoup aidée. Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 Table des matières Liste des sigles et abréviations................................................................................6 Introduction.............................................................................................................7 I.Légitimer par le discours : l'affirmation du leadership de la Commission européenne par les mots........................................................................................22 A.Un contexte de production porteur d'opportunités ...............................................22 1.Président de la Commission européenne : un statut avantageux qui combine neutralité et pouvoir.............................................23 2.José Barroso : une carrure pour incarner le rôle......................................................26 3.Une conjecture qui appelle à de nouvelles solutions et à l'affirmation de l'Union européenne..................................................................................................................30 B.Construire le leadership en rassemblant grâce au discours...................................31 1.Le discours politique comme stratégie....................................................................32 2.Rassembler en évitant le clivage politique et en visant l'exhaustivité.....................35 3.Montrer un sens politique grâce aux propositions phares........................................38 C.Consacrer l'Union européenne et sa légitimité à agir : le pouvoir des mots.........41 1.Consacrer l'intégration européenne pour protéger l'Union......................................41 2.Accepter inconsciemment le leadership de José Barroso : réutilisation des représentations sociales ..............................................................................................43 3.La nécessité d'une politique sociale européenne approuvée....................................44 II.Décrédibiliser par le discours : réception méfiante par les Parlementaires européens................................................................................................................ 47 A.José Barroso, leader de médiation par opposition à Jacques Delors, leader charismatique.....................................................................................................48 1.Un rapport de force entre la Commission européenne et le Parlement européen....48 2.José Barroso : un Président de la Commission contesté..........................................50 3.La crise économique de l'Union européenne comme obstacle aux avancées en 2013 4/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 matière de politique sociale européenne.....................................................................54 B.La méconnaissance du discours comme stratégie de décodage.............................55 1.L'exhaustivité comme facteur d'illisibilité du discours............................................55 2.Ignorer le discours pour marquer son opposition à la Commission européenne.....59 3.Rejeter le leadership de la Commission par l'accusation d'immobilisme et l'appel à l'action.........................................................................................................................61 C.Un discours sur le social suivi d'actions minimales : analyse d'une dissonance cognitive..........................................................................................................................63 1.« Préserver le modèle social européen » : une cognition en dissonance avec la réalité des faits et la volonté de « favoriser la compétitivité de l'Union européenne » .....................................................................................................................................64 2.La notion d'efficacité au service du travail de réduction de la dissonance..............67 3.Désapprobation du leadership de la Commission et capture de la politique sociale européenne par les députés.........................................................................................69 Conclusion..............................................................................................................72 Bibliographie..........................................................................................................78 Annexes..................................................................................................................81 Discours sur l'état de l'Union européenne par José Barroso le 12 septembre 2012 81 Index....................................................................................................................... 98 2013 5/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 Liste des sigles et abréviations - ALDE : Groupe parlementaire européen, Alliance des Libéraux et Démocrates pour l'Europe - BCE : banque centrale européenne - ECR : Groupe parlementaire des Conservateurs et Réformistes Européens - EFD : Groupe parlementaire Europe de la liberté et de la démocratie - GREEN/EFA : Groupe parlementaire européen des Verts, Alliance Libre Européenne - GUE/NGL : Groupe parlementaire européen communiste et apparentés, - PPE : Parti Populaire européen - S&D : Groupe parlementaire européen de l'Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates au Parlement européen - SOTEU : « state of the European union » autrement dit discours sur l'état de l'Union européenne - UE : Union européenne 2013 6/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 Introduction 2013 7/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 « Certains prétendent qu'à cause de la crise, le modèle social européen est mort. Je rejette cette idée. » José Manuel Barroso, Président de la Commission européenne, 12 septembre 2012 « La pré-vision politique est par soi, une pré-diction qui vise à faire advenir ce qu'elle énonce ; elle contribue pratiquement à la réalité de ce qu'elle annonce par le fait de l'énoncer, de le pré-voir et de le faire pré-voir, de le rendre concevable et surtout croyable et de créer ainsi la représentation et la volonté collective qui peuvent contribuer à le produire. » Pierre Bourdieu, Ce que parler veut dire, Fayard, Paris, 1982 Le 12 septembre 2012, devant le Parlement européen, le Président de la Commission européenne, José Manuel Barroso a prononcé le discours sur l'état de l'Union européenne1. Cet événement instauré par le traité de Lisbonne a pour objectif d'une part, de faire le bilan de l'action de l'organe exécutif de l'Union européenne et d'autre part, de présenter les grandes lignes des futures propositions d'action de la Commission européenne. Or à l'occasion du dernier discours sur l'état de l'Union européenne, José Manuel Barroso a affirmé vouloir préserver le « modèle social européen ». Il répond ainsi au Président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, qui avait affirmé le 22 février de la même année, dans une interview au Wall Street Journal, que le « modèle social européen » était mort. Interpellée par cette notion de « modèle social européen » et intéressée en général par les questions de politiques sociales, je souhaite étudier ce discours sur l'état de l'Union européenne prononcé le 12 septembre 2012. 1 Discours disponible en annexe ou sur : http://europa.eu/rapid/press-release_SPEECH-12596_fr.htm 2013 8/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 Un discours a donc été retenu parmi d'autres. Il aurait été intéressant d'étudier l'ensemble des discours de Barroso afin de comparer les différents usages qu'il fait de la notion de « modèle social européen ». Cependant, par manque de temps, il a fallu se concentrer sur un seul discours. Ce discours a été retenu parce qu'il est prononcé par le représentant d'une institution centrale de l'Union européenne. La Commission européenne est en effet souvent présentée comme l'organe exécutif de l'Union européenne. Elle est notamment en charge de la gestion et de la mise en œuvre des politiques européennes et entre autres de la politique pour l'emploi et les droits sociaux. Ce discours a également été retenu en tant que confrontation du point de vue de la Commission européenne au jugement du Parlement européen. Il me permettra alors de mettre en lumière les relations entre les deux institutions et en particulier la capacité de leadership du Président de la Commission européenne. Pour commencer, grâce au dictionnaire Larousse, une définition simple de ce qu'est le « modèle social européen », peut être donnée. Un « modèle » est « ce qui est donné pour être reproduit »2. « Social » s'utilise pour qualifier ce « qui concerne l'amélioration des conditions de vie et, en particulier, des conditions matérielles des membres de la société »3. Et « européen » qualifie ce qui est « relatif à la communauté économique ou politique de l'Europe »4. Ainsi, le « modèle social européen » peut être défini comme ce que l'Union européenne offre pour être reproduit en matière d'amélioration des conditions de vie. Une définition simple comme celle-ci permet d'énoncer clairement ce que la notion est censée recouvrir. Cependant, elle occulte la complexité du sujet. En effet, l'existence de ce « modèle social européen » ne fait pas l'unanimité. Il existe tout d'abord un débat sur les frontières de ce « modèle ». Ce débat existe depuis 2 « Modèle », dict. Larousse 3 « Social », dict. Larousse 4 « Européen », dict. Larousse 2013 9/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 la création de cette notion par Jacques Delors lors de sa présidence de la Commission européenne. En effet, ce dernier concevait le « modèle social européen » par opposition au modèle anglo-saxon. Ainsi il n'y incluait pas la Grande-Bretagne, bien qu'elle fut déjà membre de la Communauté européenne. De plus, les chercheurs n'utilisent pas tous le même niveau d'analyse pour montrer l'existence ou l'absence de « modèle social européen ». Certains réfléchissent au « modèle social européen » depuis le niveau communautaire. Cela amène par exemple François Denord et Antoine Schwartz à penser que « l'Europe sociale n'aura pas lieu »5. Ces deux auteurs montrent que le but de la construction européenne est d'établir un marché unique européen. Cette construction étant fondée sur une logique néo-libérale, les objectifs économiques sont prioritaires. Ainsi il n'existe pas de politique sociale européenne à proprement parler puisque cela n'est pas dans les priorités de la construction européenne. Le « modèle social européen » est donc selon eux un mythe ou au mieux un idéal poursuivi en vain par les sociaux-démocrates. D'autres chercheurs pensent le « modèle social européen » en alliant le niveau communautaire et l'échelon national. Ainsi, Corinne Erhel et Bruno Pallier expliquent que dans un sens restrictif, l'Europe sociale désigne « les interventions des instances communautaires dans le domaine social : celles-ci se sont développées depuis la fin des années 1990 avec la reconnaissance d'objectifs et d'indicateurs communs en matière d'emploi et d' « inclusion sociale » (sommets de Luxembourg et de Lisbonne) et l'institutionnalisation d'échanges d'informations entre les « États-membres » sur ces questions »6. Et ils ajoutent que le « modèle social européen » ne saurait être compris sans faire référence aux modèles nationaux de protection sociale. Ainsi cette notion désignerait autant les interventions au niveau communautaire que les situations nationales qui se sont construites pendant les années que l'on appelle communément les 5 Denord F., Schwartz A., L'Europe sociale n'aura pas lieu, Liber, Raisons d'agir, 2009 6 Erhel C., Palier B., L'Europe sociale : entre modèles nationaux et coordination européenne, Revue d'économie politique 6/2005 (Vol. 115), p 677-703, www.cairn.info/revue-d-economie-politique2005-6-page-677.htm 2013 10/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 Trente Glorieuses, c'est-à-dire une garantie de droits sociaux relativement déconnectés de la situation du marché du travail, des politiques orientées vers la recherche du plein emploi et des politiques keynésiennes de soutien à la demande. Ainsi le « modèle social européen » serait le dénominateur commun d'une variété de modèles nationaux. C'est à ce même niveau que se place la Commission européenne pour donner une définition idéaliste de ce qu'il faudrait entendre par « modèle social européen ». Ainsi elle explique que « les pays d'Europe ont développé une forme distincte d'organisation de leurs sociétés et économies, connue sous le nom de « modèle social européen ». On s'accorde généralement à dire que ce modèle se caractérise, au minimum, par une croissance économique soutenue, un niveau de vie élevé et croissant, des niveaux d'emploi élevés, une éducation de grande qualité, une protection sociale exhaustive, de faibles niveaux d'inégalité et des niveaux élevés de solidarité, ainsi que (point crucial dans le contexte actuel) le rôle important joué par les représentants des travailleurs et des employeurs et le dialogue noué entre eux. Le dialogue social est considéré comme partie intégrante du modèle social européen »7. L'utilisation de l'adjectif « idéaliste » pour qualifier cette définition donnée en 2011 se justifie par le fait que ces caractéristiques, si elles ont jamais existé, sont aujourd'hui remises en cause en période de crise. En effet, la croissance économique de l'Union européenne pour 2012 fut quasiment nulle ; le taux de pauvreté augmente : il est passé de 23,4% en 2010 à 24,2 en 2011 ; le taux de chômage global en février 2013 s'élève à 10,9% et ce taux pour les moins de 25 ans est même de 23,5% ; les dépenses publiques sont en baisse ; des politiques d'austérité sont en cours dans la quasi totalité des vingt-sept pays membres à la demande la Commission européenne ; les écarts se creusent entre les hauts et les bas revenus … Le « modèle social européen », tel que décrit par la Commission européenne, semble donc être mis à mal par la crise économique qui dure au moins depuis 2008. Pourtant, José Barroso continue d'en parler dans ses discours et différentes formes de communications. 7 Commission européenne, DG emploi, affaires sociales et inclusion, Guide de l'Europe Vol 2 : Dialogue social, 2011 2013 sociale, 11/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 En fait, la notion de « modèle social européen » est avant tout une figure discursive c'est-à-dire une représentation uniquement véhiculée par les discours. C'est pour cette raison que j'ai choisi d'étudier cette notion à partir d'un discours. En adoptant une approche discursive, j'espère apporter au champ de l'étude des politiques sociales européennes. La science politique s'intéresse peu aux discours qu'elle laisse aux spécialistes que sont les linguistes. Les chercheurs préfèrent en général s'intéresser à des programmes précis, des instruments, des institutions ... Les discours sont pourtant les vecteurs d'idéologies. Ils véhiculent donc les représentations qui conditionnent les programmes, les instruments, les institutions … auxquels s'intéressent les chercheurs. Dans cette étude du discours sur l'état de l'Union européenne de 2012, je rejoins donc Pierre Bourdieu qui explique que les discours et les représentations en général ont « une efficacité symbolique de construction de la réalité […] en structurant la perception que les agents sociaux ont du monde social, la nomination contribue à faire la structure de ce monde »8 . Le discours n'est ainsi pas vu comme une simple parole qui s'opposerait aux actes. Il convient de dépasser cette dichotomie entre dire et faire. Le discours n'a pas une simple fonction ornementale, il peut avoir un effet performatif, c'est-à-dire qu'une représentation « peut contribuer pratiquement à la réalité de ce qu'elle annonce par le fait de l'énoncer, de le prévoir et de le faire pré-voir, de le rendre concevable et surtout croyable et de créer ainsi la représentation et la volonté collective qui peuvent contribuer à le produire 9». On parle alors, pour reprendre les mots de Pierre Bourdieu, de « représentation performative » ou encore d'« énoncé performatif »10. Je chercherai alors à voir si ce concept peut s'appliquer à la notion de « modèle social européen ». La question est donc de voir si cette notion, lorsqu'elle est utilisée par le Président de la Commission européenne, même si l'existence de ce qu'elle décrit fait débat, peut faire exister un « modèle social européen » dans l'esprit des Parlementaires. L'étude du discours de la Commission est d'autre part justifiée par le fait que 8 Bourdieu P., Ce que parler veut dire, Fayard, Paris, 1982, p. 99 9 Bourdieu P., Ce que parler veut dire, Fayard, Paris, 1982, p 150 10 Bourdieu P., Ce que parler veut dire, Fayard, Paris, 1982 2013 12/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 l'information et les idées sont l'une des rares ressources du Président de la Commission européenne. Selon la procédure édictée à l'article 17 du Traité sur l'Union européenne, il est d'abord désigné par le Conseil européen puis sa désignation doit être validée à la majorité par le Parlement européen. Le Président de la Commission européenne, en d'autres termes, est nommé et non élu. Il ne dispose donc pas de la légitimité démocratique. En fait, cet attribut est celui des chefs d’État et de gouvernement. Le Président de la Commission est alors dans l'obligation de légitimer son pouvoir par d'autres moyens dont le discours , la diffusion d'idées et de représentations font partie. D'une manière générale, j'aurai recours à l'analyse discursive pour rendre compte de la force de ce discours. C'est avec beaucoup d'intérêt que je me suis initiée à cette discipline qui n'est malheureusement pas dispensée à Sciences Po Rennes. Ce cadre d'analyse me permettra de construire une analyse fine du contenu du discours. Il s'agira grâce à ce cadre de déconstruire le discours donné par José Barroso. La première impression donnée par ce discours est celle de la neutralité. Ce discours est construit en effet de formes et de propositions très consensuelles. Cette impression sera déconstruite sous le prisme de la stratégie de neutralité décrite par Pierre Bourdieu. Ainsi il sera montré que dans son discours, José Barroso adopte cette stratégie, c'est-à-dire que « ne trouvant rien à redire au monde social tel qu'il est, [il] s'efforce d'imposer universellement , par un discours tout empreint de la simplicité et la transparence du bon sens, le sentiment d'évidence et de nécessité que ce monde [lui] impose ; ayant un intérêt au laisser-faire, [il] travaille à annuler la politique dans un discours politique dépolitisé, produit d'un travail de neutralisation ou, mieux, de dénégation »11. Grâce aux outils proposés par l'analyse de discours et notamment par Christian Le Bart12, la volonté de neutralité affichée par la Commission européenne sera dépassée. Il sera montré que le discours tenu est « politique» c'est-à-dire qu'il vise à maintenir voire à augmenter les pouvoirs des institutions européennes. Je reprendrai donc la définition 11 Bourdieu P., Ce que parler veut dire, Fayard, Paris, 1982, p 155 12 Le Bart Ch., Le discours politique, PUF, Que sais-je ?, 1998 2013 13/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 proposée par Max Weber à savoir : « Quand on qualifie une question de « politique », quand on dit d'un ministre ou d'un fonctionnaire qu'il est un fonctionnaire « politique » ou une décision qu'elle est conditionnée « politiquement », l'on entend toujours par là que des intérêts relatifs à la répartition du pouvoir, à sa conservation ou à son transfert interviennent de manière décisive dans la réponse à cette question, ou bien que ces intérêts conditionnent cette décision, ou encore qu'ils déterminent la sphère d'activité du fonctionnaire concerné »13. Seront donc mis en évidence les procédés rhétoriques, appartenant traditionnellement au discours politique, qui légitiment l'Union européenne dans un contexte de crise où l'on entend souvent dire qu'il y aurait des volontés de repli national. Pour compléter cette analyse et notamment pour étudier le contexte de production du discours et ses effets sociaux, la notion de leadership sera mise à profit. L'objectif étant de montrer que José Barroso construit un leadership en matière de social grâce au discours. En menant une étude en termes de leadership, j'espère dans une certaine mesure réactualiser ce concept qui a été laissé de côté depuis les années 1970 14. L'étude d'un acteur pris isolément est aujourd'hui rare. L'Histoire continue certes de produire des biographies mais les sciences sociales ont plutôt opté pour l'étude des systèmes et des structures. Le pouvoir d'un seul homme n'est donc plus accrédité. Pourtant, à des places aussi importantes que celle de la Présidence de la Commission européenne, l'homme a son importance, c'est à lui que revient d'incarner son rôle au sens où Erwing Goffman l'entend15. L'homme qui occupe la fonction de Président de la Commission européenne doit agir de façon à donner vie à l'importance de cette fonction. En d'autres mots, le Président de la Commission européenne doit ajouter au leadership formel de sa fonction un leadership informel : celui de sa personne16. 13 Weber M., Le savant et le politique, La découverte, Paris, 2003, p 119 14 Jabko N., Le leadership dans l 'Union européenne : typologie sommaire et illustration dans le cas de l'union monétaire, Politique européenne 1/2002 (n° 5), p. 85-104, www.cairn.info/revuepolitique-europeenne-2002-1-page-85.htm 15 Goffman E., La Mise en scène de la vie quotidienne, Paris, Éditions de Minuit, 1979 16 Jabko N., Le leadership dans l 'Union européenne : typologie sommaire et illustration dans le cas de l'union monétaire, Politique européenne 1/2002 (n° 5), p. 85-104, www.cairn.info/revue2013 14/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 La notion de leadership est complexe. Il existe quasiment autant de définitions de cette notion qu'il y a de personnes à avoir voulu en donner une. Cette difficulté est amplifiée du fait que l'on se situe au niveau européen. A cet échelon, les entités dotées de pouvoir sont d'autant plus difficiles à identifier que l'image généralement donnée est celle de la neutralité. Aucune instance ne revendique un pouvoir supérieur aux autres. Et les textes européens font également preuve d'un certain flou autour de la notion de pouvoir puisqu'ils peuvent facilement être interprétés de différentes manières. La difficulté à saisir qui est le détenteur du pouvoir au niveau européen se retrouve d'ailleurs dans les productions académiques où s'opposent les thèses inter-gouvernementalistes et les thèses institutionnalistes17. Le choix à donc été fait, pour définir la notion de leadership, de se resserrer sur un auteur classique : Max Weber. Ainsi, la domination sera entendue, comme le suggère l'auteur, comme « la chance de trouver des personnes déterminables prêtes à obéir à un ordre de contenu déterminé ou manifestant une volonté d'obéir »18. Le but sera de voir dans quelle mesure José Barroso parvient à ressembler au sein du Parlement autour de sa personne grâce à son discours. Pour cela, il faudra voir si les acteurs interrogés adhèrent ou non aux représentations proposées par José Barroso et notamment au « modèle social européen ». De plus, les différents modèles de leadership et les légitimités qui s'y associent proposées par ce même auteur seront également retenus. Ainsi, je m'attacherai à chercher si José Barroso relève plus de la domination traditionnelle, de la domination charismatique ou de la domination rationnelle-légale. Différents indicateurs seront pour cela utilisés. Son statut et son parcours seront notamment étudiés, ainsi que l'image que les Parlementaires ont de la Commission européenne et de son Président en particulier. Je m'appuierai également sur les travaux qui s'inspirent de Max Weber et qui prolongent ses théories. Ainsi les travaux d'Andy Smith seront-ils mis à profit pour aller plus avant politique-europeenne-2002-1-page-85.htm 17 Smith A., Le gouvernement de l'Union européenne : une sociologie politique, LGDJ, 2010 18 Weber M. cité dans Smith A., Sorbets C., Le leadership politique et le territoire, Presses universitaires de Rennes, 2002 2013 15/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 dans l'identification du leadership de José Barroso. De plus, le leadership exercé par José Barroso sera mis en perspective grâce à une comparaison avec celui exercé par Jacques Delors. Cette comparaison sera réalisé au moyen de travaux tels que l'ouvrage d'Helen Drake : Jacques Delors en Europe19 ou encore d'articles prenant en exemple Jacques Delors tels que celui de Nicolas Jabko : Le leadership dans l 'Union européenne : typologie sommaire et illustration dans le cas de l'union monétaire20. Cette comparaison est doublement justifiée. D'une part, ce Président de la Commission européenne a fait l'objet de plusieurs analyses, du fait d'un exercice du pouvoir plus poussé, plus médiatisé que celui des autres Présidents de la Commission. Il y a donc du matériau pour exercer une comparaison. Et d'autre part, les acteurs avec lesquels je me suis entretenue ont souvent comparé José Barroso à Jacques Delors. Ils ont notamment souligné que c'est sous la Présidence de Jacques Delors qu'une politique sociale européenne s'est mise en place. C'est grâce à une série de six entretiens que j'ai confronté la théorie au terrain. J'aurais souhaité pouvoir m'entretenir avec un plus grand nombre d'acteurs mais malheureusement, mes sollicitations d'entretien n'ont que rarement abouti. Sur soixantedix-huit mails envoyés, seuls dix-sept ont reçu une réponse dont sept positives. Un panel large d'acteurs a été sollicité : beaucoup de parlementaires, une dizaine d'organisations représentants les travailleurs et les employeurs participant au dialogue social européen, des membres actuels de le Commission « Emploi, affaires sociales et inclusion », des anciens membres de la Commission européenne et des universitaires. Les refus d'entretiens ont été motivés soit par un manque de temps soit par un manque d'outils pour discuter d'un discours. Il semble que le sujet ait été mal compris et cette impression a été confirmée en entretien. Un des sept entretiens obtenus a malheureusement du être annulé car la personne a eu un contre-temps. 19 Drake H., Jacques Delors en Europe, Presses universitaires de Strasbourg, 2002 20 Jabko N., Le leadership dans l 'Union européenne : typologie sommaire et illustration dans le cas de l'union monétaire, Politique européenne 1/2002 (n° 5), p. 85-104, www.cairn.info/revuepolitique-europeenne-2002-1-page-85.htm 2013 16/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 Pour conduire mes entretiens, j'ai choisi la méthode de l'entretien semi-directif. Les acteurs avaient ainsi une certaine liberté de réponse tout en étant guidés par les questions. Une grille d'entretiens avait été élaborée. Des questions avaient en effet été préparées à l'avance et avec chaque question un certain nombre de réponses attendues avaient été rappelées. Évidemment ces réponses attendues n'étaient pas des choses très précises mais plutôt des thèmes, des idées générales. La grille d'analyse était globalement axée sur l'adhésion ou non au concept de « modèle social européen » et sur la conception qu'ont les parlementaires européens des relations entre l'institution dont ils sont membres et la Commission européenne. Grâce au travail préalable, des éléments de réponse pertinents ont donc pu être recueillis. Pour commencer ce travail de terrain, j'ai rencontré la maître de conférences en Sciences économiques à l'université de Rennes 2, spécialiste des systèmes de protection sociale, Pascale Turquet. Cet entretien m'a permis d'obtenir un regard extérieur mais informé sur mon sujet et d'en vérifier la pertinence. Par la suite, je me suis rendue au Parlement européen où j'ai rencontré deux membres du Parlement européen et un conseiller politique. Les deux parlementaires que j'ai rencontrés sont membres de la commission parlementaire « Emploi, affaires sociales et inclusion » et le conseiller politique étaient proches de parlementaires travaillant dans cette même commission. Ces trois acteurs étaient donc très au fait des politiques sociales européennes et m'ont apportée des réponses assez précises. Suite à ce voyage à Strasbourg, j'ai rencontré une députée dans sa circonscription d'élection. Cette membre de la Commission « Agriculture et développement rural » m'a offert un regard non spécialiste de la question sociale qui m'a permis de mettre en perspective les propos que j'avais recueillis auparavant. Enfin, je me suis entretenue avec une autre députée par téléphone. Elle m'avait été recommandée en tant que connaisseuse de l'ensemble des politiques européennes. Elle est membre de la Commission parlementaire « Affaires économiques et monétaires ». Ce bref entretien m'a permis de confirmer les impressions que m'avaient laissées les précédents. 2013 17/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 La notion de leadership a été fortement remise en question par ces entretiens. En effet, les trois acteurs ont tenu un propos assez sévère envers José Barroso et les représentations qu'il porte dans son discours. Le Président de la Commission a été dépeint comme une homme qui « parle beaucoup mais ne fait rien »21. Il m'a plusieurs fois été suggéré de comparer l'ensemble de ses discours à ses propositions et actions en matière de social pour voir le décalage. Le crédit apporté à l'homme pour agir en matière de social auprès des acteurs rencontrés est donc faible. De plus, interrogés sur les relations entre le Parlement et la Commission, les acteurs m'ont tous répondu qu'elles étaient mauvaises. En terme de social, les membres du Parlement européen reprochent au Président de la Commission de ne pas leur accorder assez de crédit et de temps. Et ce n'est pas seulement à l'homme qu'ils ne souscrivent pas mais également aux représentations qu'il souhaite diffuser. Interrogés sur le « modèle social européen », les acteurs ont tout d'abord pris le soin de dire que cette notion n'existait pas dans la réalité en rappelant qu'il n'y avait pas d'harmonisation et que les politiques sociales européennes étaient faiblement développées puisque ce secteur était de la compétence des États. Suite aux entretiens, j'ai suivi les conseils de certaines personnes interrogées. Je me suis plongée dans la littérature produite par la Commission européenne et différentes publications de sciences sociales traitant de la politique sociale européenne. Le but étant de comparer le discours de José Barroso à l'Europe telle qu'elle se fait en matière de social. Quand on parle d'Europe sociale, il faut tout d'abord revenir sur les dispositions prises par les traités. Selon l'article 4 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, l'Union européenne dispose d'une compétence partagée avec les États membres pour la politique sociale, la cohésion économique, sociale et territoriale. Selon l'article 5, « l'Union peut prendre des initiatives pour assurer la coordination des politiques sociales des États membres ». L'article 9 énonce que « dans la définition et la mise en œuvre de ses politiques et actions, l'Union prend en compte les exigences liées à la promotion d'un 21 Entretien avec un membre du Parlement européen, 14 mars 2013 2013 18/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 niveau d'emploi élevé, à la garantie d'une protection sociale adéquate, à la lutte contre l'exclusion sociale ainsi qu'à un niveau élevé d'éducation, de formation et de protection de la santé humaine ». Le titre X intitulé « Politique sociale » précise que l'Union européenne complète l'action de ses États membres pour développer une politique favorisant la croissance et l'emploi, pour offrir une sécurité sociale et une protection sociale, pour entretenir le dialogue social, pour protéger les travailleurs, pour lutter contre l'exclusion etc. Le titre XI institue un Fonds social européen qui a pour but d'améliorer les possibilités d'emploi des travailleurs dans le marché intérieur et de contribuer ainsi au relèvement du niveau de vie »22 et dont l'administration incombe à la Commission européenne. L'Union européenne a un pouvoir d'action ainsi que de nombreux objectifs en matière de social. Cette institution a donc le statut pour être sociale. Et des politiques sociales sont effectivement menées. La plus importante mesure en matière de social est d'ailleurs le Fonds social européen énoncé dans le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Ce fonds est un instrument financier de l'Union européenne pour le soutien à l'emploi. Il représente environ 10 milliards d'euros par an soit 10% du budget de l'Union européenne. Le FSE bénéficie aux entreprises publiques et privées ayant pour projet « d'adapter les travailleurs et les entreprises aux évolutions économiques, de favoriser le retour et le maintien dans l’emploi, d'intégrer les personnes défavorisées et lutter contre les discriminations dans l’emploi, d'améliorer le système d’éducation et de formation ou de promouvoir les partenariats et renforcer la capacité des services publics, des partenaires sociaux et des ONG en matière d’accès au marché du travail »23. Les financements sont attribués aux régions et gérées par elles. Les régions sont classées en quatre catégories en fonction de leur produit intérieur brut par habitant. Chaque région reçoit ainsi des financements du FSE en fonction de son niveau de développement. Et il faut savoir également que chaque financement du FSE est 22 Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:C:2010:083:0047:0200:FR:PDF 23 Site officiel du Fonds Social Européen en France : http://www.fse.gouv.fr/qu-est-ce-que-le-fse/lefse-en-quelques-mots/presentation-generale-du-fse-en/article/presentation-generale-du-fse-en 2013 19/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 accompagné par un soutien financier public ou privé. Étant donné que le social est une compétence partagée, la majorité des politiques sociales menées au niveau européen le sont dans le cadre de la méthode ouverte de coordination que la Commission définit comme suit : « la méthode ouverte de coordination est un processus volontaire de coopération politique fondé sur l'établissement d'objectifs et d'indicateurs communs destinés à mesurer la progression vers ces objectifs. Les gouvernements traduisent les objectifs communs en plans d'action présentés sous forme de rapports stratégiques nationaux. Ces rapports sont évalués par la Commission et le Conseil […]. La méthode ouverte de coordination vise également à mettre en place un apprentissage mutuel en ce qui concerne l'examen approfondi des politiques, programmes et dispositifs institutionnels présentés comme constituant de «bonnes pratiques» dans les rapports nationaux »24. La politique sociale européenne repose donc en grande partie sur des mesures non-contraignantes. Cela explique que d'une manière générale, l'Europe ne soit pas perçue comme sociale. Et cette impression est renforcée dans la période actuelle du fait que le discours dominant des représentants nationaux attribue à l'Union européenne la conduite de politiques d'austérité qui réduisent les budgets alloués à des fins sociales. Pour appuyer son discours, José Barroso dispose donc de la légitimité des textes fondateurs. Grâce à la compétence partagée octroyée à l'Union européenne, il est fondé à vouloir créer un leadership en matière de social. Cependant, il se trouve contredit par les politiques menées. La dissonance entre ce qu'il énonce et les faits décrédibilise la volonté qu'il affiche de préserver le « modèle social européen ». En confrontant les résultats des entretiens, l'étude des politiques sociales européennes et l'analyse du discours aux différents concepts théoriques annoncés précédemment, il s'agira donc de voir dans quelle mesure la notion de modèle social européen utilisée dans le discours sur l'état de l'Union européenne par José Barroso le 12 septembre 2012 participe-t-elle de la construction du leadership de la Commission 24 Site de la Commission européenne : http://ec.europa.eu/social/main.jsp?catId=753&langId=fr 2013 20/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 européenne en matière de social. Pour répondre à cette problématique, trois hypothèses ont été développées. La première hypothèse, axée sur le contexte de production, énonce que le Président de la Commission européenne est déjà dans une position qui le rend légitime à parler de social, avant de prononcer ce discours. Le statut et la personnalité de l'homme devraient lui donner la légitimité pour discourir en matière de social. La deuxième hypothèse met en évidence que le contenu même du discours démontre une volonté de la part de José Barroso à agir dans le domaine social. La troisième hypothèse, centrée sur les effets du discours, a pour objectif de voir que cette prise de parole a découlé sur la légitimation de la Commission européenne en matière de social. Ainsi, les Parlementaires accorderaient-ils de la légitimité à la Commission pour parler de social et auraient-ils renoncé à la conception intergouvernementaliste qui fait du social une prérogative des États. Pour répondre à cette problématique et vérifier ces hypothèses, une analyse en deux axes a été conçue. Il s'agira tout d'abord de voir que ce discours, du point de vue de l'émetteur, permet de légitimer une domination de la Commission européenne en matière de social (I). Il faudra ensuite étudier le point de vue du récepteur, pour rendre compte que ce discours est avant tout perçu comme décrédibilisant l'Union européenne en matière de social (II). 2013 21/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 I. Légitimer par le discours : l'affirmation du leadership de la Commission européenne par les mots Le discours sur l'état de l'Union européenne prononcé par José Barroso le 12 septembre 2012 participe positivement de la construction du leadership du Président de la Commission européenne en matière de social. Le contenu même du discours démontre une volonté de se positionner en leader, en rassembleur. En évoquant un maximum de thèmes et de situations, José Barroso souhaite toucher chaque parlementaire et le rallier à son pouvoir. En fait, la position depuis laquelle José Barroso émet ce discours présente des avantages pour parler de social. En effet, en tant que Président d'une institution neutre, il possède la légitimité pour énoncer en quoi consiste l'intérêt général européen. Et cette position initiale se trouve, dans une certaine mesure, renforcée par le discours qui développe l'idée d'une spécificité européenne, d'un « modèle social européen » à préserver. A. Un contexte de production porteur d'opportunités José Barroso dispose d'un contexte porteur d'opportunité pour émettre son discours. Avant même de prononcer son discours, il se trouve dans une position qui le rend légitime à parler de social. La neutralité affichée de la Commission lui permet en effet de se prononcer sur l'intérêt général européen. Cette neutralité n'est cependant pas incompatible avec une volonté de maintenir une position dominante, au contraire, elle la 2013 22/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 nourrit et la légitime. 1. Président de la Commission européenne : un statut avantageux qui combine neutralité et pouvoir Avant de parler de la position de José Barroso, il est nécessaire de revenir sur l'Union européenne et son fonctionnement général. L'Union européenne (UE) est une institution sui generis. En plus du libre-échange des biens commerciaux, l'UE permet la libre circulation des capitaux, des hommes et des informations. Ce sont d'ailleurs ce que l'on appelle les « quatre libertés fondamentales ». Surtout, l'UE institue le partage de la souveraineté c'est-à-dire que les États membres ont, dans certains domaines, renoncé à l'exclusivité de leur autorité sur le territoire national et à leur indépendance dans l'ordre international. Pour coordonner les politiques nationales, l'intérêt général européen est placé au-dessus des intérêts nationaux. La Commission est notamment représentante de cet intérêt général européen. Elle est dotée d'une administration propre qui élabore des textes législatifs communs à l'ensemble des États membres et qui en vérifie la mise en application. La Commission européenne compte ainsi 32 949 25 fonctionnaires, dont la mission est non pas de représenter des intérêts nationaux mais de faire valoir les intérêts européens. La fonction publique européenne doit faire preuve de neutralité, dépasser les intérêts nationaux égoïstes. Cette volonté d'effacer les nationalités est d'ailleurs visible dans le recrutement des administrateurs européens. Ils sont recrutés en partie en fonction de leur nationalité mais de façon à ce que la Commission soit « un lieu de brassage des langues et des cultures européennes »26. La Commission européenne se veut donc neutre. Cécile Robert27 souligne d'ailleurs qu'en 25 http://ec.europa.eu/civil_service/about/who/index_fr.htm 26 ibid 27 Robert C., L'impossible « modèle social européen », Actes de la recherche en sciences sociales 1/2007 (n° 166-167), p. 94-109, www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-ensciences-sociales-2007-1-page-94.htm 2013 23/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 matière de social, elle ne saurait légitimement adopter une autre position que celle de l'application du droit et des procédures étant donné son absence de mandat politique explicite. En effet, la notion de « modèle social européen » ne fait pas encore consensus parmi les dirigeants nationaux qui souhaitent que les différences nationales soient préservées. La difficulté est que ce que recouvre la notion d'« intérêt général européen » est flou. Il existe un conflit entre État-nation et souveraineté partagée. Ainsi les textes fondateurs de l'Union européennes énoncent que les institutions européennes doivent à la fois servir l'intérêt général européen et les États membres. La confusion entre l'intérêt général européen et les intérêts des Etats membres est également visible dans la composition des institutions. Jusqu'à présent, la Commission européenne compte vingt-sept membres, soit un commissaire pour chaque nationalité de l'Union européenne. Il est également visible dans les textes qui ne s'accordent pas sur la façon dont il convient de le nommer. Le traité sur l'Union européenne parle simplement d'« intérêt général ». Le traité instituant la Communauté européenne fait mention d'un « intérêt de la Communauté ». Le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne énonce que le Comité économique et social et le Comité des régions « exercent leurs fonctions [...] dans l'intérêt général de l'Union ». L'Union européenne, au sein même de ses textes fondateurs, repose sur une ambiguïté. Le flou autour de la notion d'intérêt général est doublée d'une ambiguïté dans la distribution des pouvoirs au sein de l'UE. Il n'existe en effet aucun acteur central. Pour reprendre l'analyse de François Foret28, la Commission européenne, de par sa position supranationale, a une capacité à jouer le rôle de médiateur, à favoriser le compromis mais ne dispose pas des ressources politiques classiques que sont l'appel au vote, la maîtrise de l'agenda … Le Conseil européen, quant à lui, dispose de la légitimité démocratique, il occupe une place centrale dans les médias étant donné que les sommets européens sont simples à mettre en scène mais en tant que représentants d'une nation, les membres du 28 Foret F., Chapitre 3 / Incarner et ordonner l'Europe, in Légitimer l’Europe, Presses de Sciences Po, 2008, p. 81-115, ww.cairn.info/legitimer-l-europe--9782724610819-page-81.htm 2013 24/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 Conseil européen ne sauraient être également les représentant de l'intérêt communautaire. Pour ce qui est du Parlement, il dispose d'une grande légitimité démocratique mais cette légitimité est inversement proportionnelle à son poids dans les décisions communautaires. Étant donné le flou dans la distribution du pouvoir, il y a donc une lutte des institutions pour conserver voire augmenter le pouvoir qui lui est donné. Cette ambiguïté dans la distribution des pouvoirs est particulièrement avérée en matière de social, étant donné que la compétence pour la politique social, la cohésion économique, sociale et territoriale est partagée, selon l'article 4 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, entre l'Union européenne et les États membres . Selon l'article 5, « l'Union peut prendre des initiatives pour assurer la coordination des politiques sociales des États membres ». L'article 9 énonce que « dans la définition et la mise en œuvre de ses politiques et actions, l'Union prend en compte les exigences liées à la promotion d'un niveau d'emploi élevé, à la garantie d'une protection sociale adéquate, à la lutte contre l'exclusion sociale ainsi qu'à un niveau élevé d'éducation, de formation et de protection de la santé humaine ». Le titre X intitulé « Politique sgociale » précise que l'Union européenne complète l'action de ses États membres pour développer une politique favorisant la croissance et l'emploi, pour offrir une sécurité sociale et une protection sociale, pour entretenir le dialogue social, pour protéger les travailleurs, pour lutter contre l'exclusion etc. Le titre XI institue un Fonds social européen qui a pour but d'améliorer les possibilités d'emploi des travailleurs dans le marché intérieur et de contribuer ainsi au relèvement du niveau de vie »29 et dont l'administration incombe à la Commission européenne. On voit donc que la TFUE fournit à la Commission européenne une marge d'action en matière de social. Étant donné le flou autour de la notion d'intérêt général européen et dans l'ambiguïté de la distribution des pouvoirs, José Barroso dispose d'une fenêtre d'opportunité au sens de John Kingdom pour parler de social. Sa position supra-nationale 29 Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:C:2010:083:0047:0200:FR:PDF 2013 25/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 peut être utilisée pour défendre sa capacité à prendre des décisions. Or la définition de l'intérêt général est très liée à la défense d'un certain modèle social. Le Président peut donc tirer profit du flou qui existe entre administration et politique au niveau européen pour acquérir un pouvoir leadership en matière de social. La Commission européenne, que l'on présente comme une institution neutre comparée au Conseil européen, est en effet un très bon exemple du flou qui peut exister entre administration et politique décrit par Jacques Lagroye : « En pratique, la délimitation du domaine administratif et du domaine politique tient moins de la frontière bien matérialisée gardée par d'improbables « gardes-barrières du système politique » (pour reprendre la vieille métaphore de David Easton) que des marches incertaines, confins de deux territoires qui se compénètrent, où les escarmouches sont fréquentes sans pour autant interrompre l'activité sans relâche de « passeurs » qui chevauchent en tous sens, transportent de l'un à l'autre monde des objets, des problèmes, des requêtes, des institutions, des refus, des solutions »30. La Commission européenne dispose ainsi d'un leadership formel, au sens de Nicolas Jabko31, en matière de social. Le leadership formel étant « une façon de mener qui se fonde sur des éléments d’organisation formelle ». Les éléments d'organisation formels que sont le statut de défenseure de l'intérêt général européen et la compétence partagée pour la politique sociale, autorisent le Président de la Commission européenne à construire un leadership en matière de social. 2. José Barroso : une carrure pour incarner le rôle Le statut de Président de la Commission européenne permet de parler de social. Cependant, le statut ne suffit pas. Il faut que ce statut soit incarné, José Barroso doit jouer son rôle au sens d'Erwing Goffman. Il doit se mettre en scène pour qu'on croie et que luimême croie en la capacité du Président de la Commission européenne à effectivement 30 Lagroye J., La politisation, Belin, 2003, p 48-49 31 Jabko N., Le leadership dans l 'Union européenne : typologie sommaire et illustration dans le cas de l'union monétaire, Politique européenne 1/2002 (n° 5), p. 85-104, www.cairn.info/revuepolitique-europeenne-2002-1-page-85.htm 2013 26/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 discourir en matière de social. Nicolas Jakbo dirait que José Barroso doit ajouter au leadership formel un leadership informel. Le leadership informel désignant ce qui est au-delà de cette dimension matérielle. Cette dimension non formelle du leadership repose en partie sur une capacité à rassembler, à exercer un magnétisme. Cette incarnation du rôle, cette dimension informelle repose sur des ressources personnelles. Et José Barroso dispose d'un certain nombre de caractéristiques qui lui permettent de construire cette dimension informelle du leadership. Il convient de noter que José Barroso, en tant que membre du Parti Populaire Européen, appartient au parti politique ayant le plus de siège au sein du Parlement européen pour la législature 2009-2014. Étant du même parti que lui, on peut s'attendre à ce que les deuxcents-quatre-vingt-six députés membres du Parti Populaire Européen souscrivent aux représentations du monde social présentées par le Président de la Commission européenne, à son idéologie. Ils sont notamment susceptibles de valider la notion de « modèle social européen ». Or, en adhérant à l'idéologie de José Barroso, ils auront plus de facilité à accepter les politiques proposées. Et la notion de « modèle social européen », étant donné qu'elle est au singulier, laisse transparaître une volonté d'unification, d'harmonisation. De plus, comme tous ses prédécesseurs au poste de Président de la Commission européenne, José Barroso a, avant son élection, été le titulaire des postes clés. Il avait déjà occupé des positions de leader avant de se trouver dans son poste actuel. Il a notamment été président du Parti Social Démocrate à l'Assemblée nationale portugaise de 1999 à 2004. Pendant cette même période, il était vice-président du Parti Populaire Européen. Et en 2002, il a été nommé premier ministre du gouvernement portugais. Une sensibilité européenne peut également être légitimement attendue. José Barroso a été critiqué pour son manque d'europhilie, notamment au moment de sa réélection en 2009. Cependant, la Commission européenne est parvenue à trouver des éléments de son 2013 27/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 parcours qui démontre un intérêt pour l'Europe et à les mettre en valeur afin de lui donner la crédibilité nécessaire 32. Ainsi, le curiculum affiché sur le site internet de la Commission européenne fait mention de son diplôme en études européennes obtenu à l'institut d'études européennes de l'université de Genève avec mention ; souligne qu'en 1979, il a fondé l'Association universitaire d'études européennes à l'Université de Lusiada à Lisbonne ; ou encore rappelle qu'il a reçu le titre d'«Européen de l'année 2006» décerné par le journal European Voice. « [José Barroso] est polyglotte de surcroît et c'est très apprécié évidemment au Parlement. Ce ne sont pas des détails anecdotiques. En réalité, c'est du coup beaucoup plus facile »33 n'a pas manqué de souligner une des parlementaires rencontrés. Cette qualité est vue comme un avantage pour rassembler autour de sa personne. Sa capacité à parler le portugais, le français, l'anglais, l'espagnol et l'allemand, permet au Président de la Commission européenne de créer du lien avec les parlementaires dont il parle la langue, dans le cadre des commissions. José Barroso est par ailleurs connu pour être un homme doté d'une extraordinaire capacité d'adaptation. Le fait qu'il soit surnommé le « caméléon »34 illustre cette réputation. Cette qualité a été soulignée par les acteurs rencontrés. José Barroso a notamment été comparé à une « caisse de résonance de la pensée dominante »35. Cette métaphore a été utilisée pour imager le fait que José Barroso ne défend pas ses propres conceptions mais celles portées par d'autres acteurs. Il s'adapte donc au courant dominant afin d'être accepté dans sa position. Son cheminement politique illustre sa capacité d'évolution. En effet, de maoïste dans sa jeunesse, José Barroso est aujourd'hui membre du Parti populaire européen (PPE) qui regroupe notamment l'Union pour un 32 CV de José Barroso écrit par la Commission européenne : http://ec.europa.eu/commission_20102014/president/about/cv/index_fr.htm 33 Entretien, 15 mars 2013 34 Barroso, le caméléon de la politique européenne, Le Point du 16 septembre 2009, http://www.lepoint.fr/actualites-monde/2009-09-16/barroso-le-cameleon-de-la-politiqueeuropeenne/924/0/377648 35 Entretien, 13 mars 2013 2013 28/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 Mouvement populaire (UMP) français, l'Union Démocrate Chrétienne (UDC) allemande et le Parti Social Démocrate (PSD) portugais. Il est donc, selon la grille de lecture française, passé de l'extrême-gauche de l'échiquier politique, à la droite. Une telle position marquée par l'adaptation est qualifiée de « réserve » par Nicolas Jabko et constitue l'une des stratégies possibles pour construire le leadership informel. Cette position consiste à « rester dans l’ombre, à rechercher le consensus, voire à faire semblant de suivre les autres ». Bien que les apparences données par cette positon donnent l'impression d'un effacement, il n'en est rien. C'est un subtil jeu qui consiste à saisir les idées porteuses pour s'en emparer afin de les faire siennes. Les acteurs rencontrés disent que cette position est une spécificité de Barroso. Ils fint une opposition entre José Barroso, qui serait un suiveur, et Jacques Delors, qui serait un décideur. Or Nicolas Jabko applique la stratégie de réserve à Jacques Delors. Ce Président de la Commission européenne a conduit à l'adoption de l'Union économique et monétaire (UEM). Pourtant, ce n'est pas lui qui a pris les décisions pour en arriver à ce résultat. Il a laissé les chefs d’États et de gouvernements faire ce travail. Son influence a été décisive mais subtilement masquée. D'ailleurs, les récits de la construction de l'UEM aujourd'hui ne retiennent que le rôle des membres du Conseil européen et font peu état du leadership de Jacques Delors dans le processus. Jacques Delors a fait preuve d'adaptabilité et c'est une des caractéristiques qui lui a permis de se positionner en leader. La malléabilité de José Barroso laisse penser qu'il souhaite adopter la même stratégie que son prédécesseur. Il est permis de penser que José Barroso peut, de la même façon que Jacques Delors, construire un leadership dans le domaine social. 2013 29/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 3. Une conjecture qui appelle à de nouvelles solutions et à l'affirmation de l'Union européenne Le 12 septembre 2012, au moment où José Barroso doit prononcer son discours sur l'état de l'Union, le bilan qu'il a à réaliser n'est pas évident. L'Union européenne connaît effectivement une crise que le discours dominant dit être la plus grave depuis sa création. L'Europe, en 2008, a assisté tout d'abord à une crise financière. Puis cette crise s'est transformée en crise économique. Et aujourd'hui, la crise est sociale et politique. Ainsi, en décembre 2012, un quart de la population européenne était menacée de pauvreté ou d'exclusion sociale, l'UE comptait 25 millions de chômeurs Cette crise peut être saisie comme une fenêtre d'opportunité au sens de John Kingdom par le Président de la Commission européenne pour mettre en avant le domaine social. C'est notamment la demande de la Confédération européenne des syndicats 36. Pour le moment, cette opportunité n'a pas été saisie mais selon les acteurs rencontrés, rien n'empêche le Président de la Commission européenne de vouloir renforcer la politique sociale européenne. Certains parlementaires soutiennent qu'il faut une politique sociale générale, à l'image d'un des parlementaires européens rencontrés qui explique que la crise a montré la nécessité de parfaire l'union économique et monétaire en renforçant la coordination des politiques économiques et qu'« une politique économique c'est aussi une politique sociale »37 . Selon lui, le futur de l'UE doit être la construction d'une union sociale avec des règles minimales qui assurent l'égalité de traitement. D'autres appellent à des politiques plus ciblées telles qu'une politique d'encadrement des licenciements qui sont nombreux en cette période de crise : « We have a lot of companies closing down, relocating at the moment and we said that there must be a more sensible approach to manage that process, so we don't see tens of thousands of people thrown 36 Déclaration de la Confédération européenne des syndicats :Recherche d’urgence : leadership européen pour lutter contre la nouvelle dépression, 2009, http://www.etuc.org/a/5995 37 Entretien avec un membre du Parlement européen, 14 mars 2013 2013 30/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 out of work »38. La conduite d'une politique sociale européenne pourrait être menée afin de doter l'UE d'une nouvelle légitimité. L'Union européenne est en effet accusée par le discours dominant d'imposer des politiques d'austérité qui plongent les États membres en récession et les citoyens dans la misère. Parallèlement, l'efficacité des politiques d'austérité est remise en question et des États membres de l'Union européennes y renoncent pour mettre en place des politiques à caractère social. Le Président de la Commission européenne peut ainsi construire une légitimité par l'exercice du pouvoir grâce à une stratégie d'auto-imputation telle que décrite par Christian Le Bart. Cette stratégie se divise en trois étapes. Premièrement, José Barroso établit dans son discours qu'il est nécessaire de préserver le « modèle social européen », il construit cette nécessité en problème public européen et il se tient informé des initiatives nationales en matière de social. La seconde étape consiste en un accompagnement de ces initiatives et la troisième en une imputation des résultats positifs de ces inititiatives en matière de social. José Barroso pourrait ainsi apporter la preuve de sa capacité à satisfaire les intérêts de chacun en matière de social. B. Construire le leadership en rassemblant grâce au discours L'analyse du contenu du discours sur l'état de l'Union européenne de 2012 montre que son but premier est de rassembler. Ce discours semble vouloir tout dire, couvrir tous les sujets, il est quasiment exhaustif. Cela permet de toucher un maximum de parlementaires car tous les groupes politiques du Parlement peuvent trouver dans ce discours un sujet qui les préoccupent. De plus, José Barroso proposent des représentations sociales marquantes telles que celle de « modèle social européen ». Il montre ainsi un sens politique nécessaire à la construction du leadership. 38 Entretien avec un membre du Parlement européen, 13 mars 2013 2013 31/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 1. Le discours politique comme stratégie Si la Commission européenne adopte une stratégie de neutralité, le discours sur l'état de l'Union européenne prononcé par José Barroso le 12 septembre 2012 n'en est pas moins politique. En effet, il utilise les quatre invariants du discours politique mis en évidence par l'analyse proposée par Christian Le Bart dans Le discours politique39. Le premier invariant du discours politique consiste à présenter la réalité sociale comme transparente. José Barroso le respecte en réalisant une analyse claire de la situation. Le procédé de l'énumération est utilisé plusieurs fois tout au long du discours pour illustrer une capacité à identifier les problèmes et les solutions. Il utilise en effet deux-cents-cinquante-deux connecteurs logiques d'addition. José Barroso se présente ainsi comme l'homme qui va rendre intelligible ce que la majorité des gens a du mal à comprendre. Pour appuyer l'idée que la réalité sociale est transparente, José Barroso utilise par ailleurs des métaphores. Il compare l'Union européenne à un bateau, ce qui lui permet d'expliquer la nécessité de solidarité entre les États membres de l'Union européenne de façon très simple. Plus loin, il utilise la métaphore du combat de boxe pour imager la façon dont il ne veut pas que les sommets européens soient perçus. L'image de la violence permet de décrédibiliser les oppositions d'idées et surtout les rapports de force car la violence en politique est mal perçue. De plus, José Barroso utilise des formulations qui disent clairement son impression que la réalité sociale est transparente. L'adjectif « clair » et l'adverbe « clairement » sont utilisés cinq fois. L'adjectif « simple » et 'adverbe « simplement » sont utilisés quatre fois. Le deuxième invariant du discours politique est la présentation de l'autorité politique comme légitime. Cette légitimité de l'autorité du Président de la Commission est avant tout présumée. Il se pense légitime puisqu'il fait des propositions d'actions. S'il ne se sentait pas légitime, il dirait par exemple que c'est aux Etats membres d'agir. Le sujet 39 Le Bart Ch., Le discours politique, PUF, Que sais-je ?, 1998 2013 32/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 principalement utilisé est « l'Europe ». José Barroso va au-delà de cette présomption et s'attache à dire que l'Union européenne est l'échelon pertinent pour résoudre la crise. Les États membres isolément sont présentés comme impuissants. Les actions à l'échelon européen paraissent ainsi légitimes parce qu'elles ont un impact. L'Union européenne est ainsi légitimée par la nécessité de peser dans un monde globalisé et par la nécessité de résoudre une crise européenne par des solutions européennes. Le troisième invariant du discours politique est la prétention à la maîtrise des phénomènes sociaux. Or, le fait déjà de pouvoir expliquer la crise accrédite José Barroso d'une certaine maîtrise des phénomènes sociaux. La régulière publication d'articles de presse discutant des raisons et des causes de la crise actuelle témoigne du fait que celle-ci n'est pas comprise par tous. De plus, José Barroso montre qu'il a les solutions aux problèmes qu'il expose. Il énumère, de façon quasiment exhaustive, l'ensemble des solutions qu'il souhaite mettre en place : « une nouvelle philosophie pour l'Europe », de la croissance économique, des réformes structurelles, plus de compétitivité, une simplification de la fiscalité, « un budget de l'Union réaliste mais ambitieux », un système de protection sociale « efficace », de l'emploi, une union bancaire, une union budgétaire, une union politique, une « Europe active et influente » au niveau mondial, une révision des traités une fédération d’Étatsnations etc. Il est à noter que la majorité des verbes déterminés par « la Commission » ou un équivalent sont au futur. Cela donne l'impression que José Barroso sait où il va. Le fait qu'il ait déjà prévu le futur donne à montrer un homme organisé et déterminé. Et le dernier invariant du discours politique consiste à présenter l'addition des citoyens comme une communauté. Avant de parler des citoyens, José Barroso parle des États membres de l'Union et insiste sur leur communauté de destin comme nous l'avons vu plus haut. Il faut ajouter que le Président de la Commission européenne, pour appuyer 2013 33/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 cette idée de communauté, pour appuyer la nécessité pour les États membres d'agir en partenariat, utilise beaucoup le mot « ensemble ». Pour ce qui est d'une communauté de citoyens, le Président de la Commission y croit également puisqu'il parle des citoyens en général dans son discours. Le substantif « les citoyens » est ainsi utilisé douze fois sans jamais qu'il lui soit adossé d'adjectif précisant leur nationalité. José Barroso a cependant conscience que les enjeux européens ne sont pas assez médiatisés pour pouvoir prétendre pleinement à l'idée de communauté des citoyens européens d'aujourd'hui. Il déplore l'absence de débat européen qui pourrait créer une citoyenneté européenne. Et il sous-entend en même temps que les citoyens des États membres, s'ils étaient inclus dans un débat européen comme il le souhaite, pourraient former une communauté. Parce qu'il y présente la réalité sociale comme si elle était transparente, parce qu'il présume l'autorité politique depuis laquelle il émet son discours comme légitime, parce qu'il prétend maîtriser les phénomènes sociaux et parce qu'il présente l'ensemble des États et des citoyens comme une communauté, José Barroso respecte les critères du discours politique développé par Christian Le Bart. Et le fait de prononcer un discours politique démontre chez cet homme une volonté de garder son pouvoir, voire de l'augmenter étant donné qu'il suggère dans son discours d'accroître les domaines de compétences de institutions européennes. Comme l'explique Patrick Charaudeau, « le discours politique comme système de pensée est le résultat d'une activité discursive qui cherche à fonder une réalité politique en fonction de certains principes qui doivent servir de référence à la constructions des opinions et des positionnements »40. Autrement dit, en prononçant un discours politique, José Barroso se donnent pour objectif de construire les représentations sociales qu'ont les membres du Parlement européen. Or, si les parlementaires utilisent les mêmes 40 Charaudeau P., Le discours politique, Les masques du pouvoir, Vuibert, Paris, 2005 2013 34/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 représentations que le Président de la Commission pour décrire le présent et établir ce qu'ils souhaitent établir pour le futur, le Président de la Commission pourra instaurer un leadership sur un imaginaire collectif. Dans une certaine mesure, cette stratégie fonctionne car les parlementaires rencontrés ont validé l'analyse proposé par le Président de la Commission européenne. Cette analyse est validée par les acteurs rencontrés. Ainsi, un parlementaire confie : « j'ai été fortement impressionné en voyant qu'il a fait une bonne approche du problème de l'Europe et des racines des problèmes »41. Le parlementaire jugeait que José Barroso avait bien analysé les problèmes de l'Union européenne et que les solutions proposées étaient bonnes bien que trop vagues. Bien qu'il s'estime en opposition avec José Barroso, il reprend les représentations qu'il propose pour décrire la situation dans laquelle se trouve l'UE. 2. Rassembler en évitant le clivage politique et en visant l'exhaustivité Même s'il est politique, ce discours n'en est pas moins neutre. Dans le discours sur l'état de l'Union européenne, d'une part José Barroso ne pointe personne du doigt et d'autre part, il semble traiter tous les thèmes, tous les sujets afin de plaire à tous les membres du Parlement à qui il s'adresse. De manière générale, José Barroso entretienth un certain flou dans son discours. Le langage institutionnel qu'il emploie peut être interprété de différentes manières. Son discours revêt ainsi, selon les mots d'Alice KriegPlanque42, un caractère pluri-intéressé. La volonté de neutralité de la Commission est reflétée dans le discours sur l'état de l'Union européenne. Il n'y a pas de formule qui clive, peu de formulations normatives. Ainsi, les adjectifs les plus utilisés sont « économique » (26 fois), « politique » (23 fois), « nouveau » (17 fois), « véritable » (14 fois), « seul » (12 fois). 41 Entretien, 14 mars 2013 42 Krieg-Planque A., Analyser les discours institutionnels, Armand Colin, ICOM, 2012 2013 35/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 De plus, le contenu du discours est très éclectique. Cette caractéristique est en partie due à l'objet du discours, à savoir faire le point sur les politiques menées pendant l'année et annoncer les lignes tracées pour les futures politiques. Le premier discours sur l'état de l'Union européenne a été prononcé en 2010 par ce même homme. Ainsi, il n'est pas possible de comparer le style de différents Présidents de la Commission sur le même exercice. Mais on peut noter que les années précédentes, le discours sur l'état de l'Union européenne était moins long. Alors que celui de 2012 fait quinze pages, ceux de 2011 et de 2010 en faisaient onze. La volonté de faire un discours complet est donc amplifiée en 2012. Le conseiller politique du groupe des Verts que nous avons rencontré, en ayant pour référence le discours prononcé pour l'ouverture du deuxième mandat de José Barroso, compare l'actuel Président de la Commission à un « DJ consensuel » qui « fait de musique pour tout le monde ». Cet acteur n'est pas le seul à tenir ce discours quant à la capacité de José Barroso à faire des discours consensuels où tout le monde peut trouver quelque chose qui lui plaise. La plupart des acteurs rencontrés ont noté cette volonté d'exhaustivité. Et cette analyse peut être réutilisée pour lire le discours sur l'état de l'Union européenne de 2012. Avec le terme « croissance » utilisé dix-sept fois, le terme « compétitivité » utilisé cinq fois, José Barroso s'adresse aux membres du PPE pour qui les enjeux économiques sont prioritaires. En insistant sur la « justice et l'équité », en parlant de la nécessité d'envoyer un « message d'espoir » à la jeunesse, en affirmant sa volonté de préserver le « modèle social européen », il cherche à séduire les socialistes. Il rappelle sa volonté de développer les énergies renouvelables et parle de « croissance durable » et ainsi il s'adresse aux membres écologistes du Parlement européen. Avec le terme « réforme » qui apparaît dixneuf fois, José Barroso souhaite gagner l'approbation des libéraux. En parlant de « solidarité » et en évoquant la situation de la Grèce, il attire l'attention des membres de la Gauche unitaire européenne. Et il peut même séduire les membres conservateurs grâce au rappel du principe de subsidiarité. Il y en a pour tous les partis politiques du Parlement 2013 36/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 européen. De plus, pour rassembler, José Barroso se garde de désigner un ennemi, même quand il dit qu'il y a des responsables. Il utilise la première personne du pluriel au lieu de nommer le coupable des erreurs qu'il identifie. Il démontre sa volonté de fédérer en taisant les noms. En fait, les seuls ennemis politiques sur lequel le Président de la Commission européenne met un nom sont les eurosceptiques. Mais cet ennemi est consensuel et se trouve en général en dehors des institutions européennes. Cela explique qu'il se permette de les identifier. Par ailleurs, José Barroso insiste à plusieurs reprises sur la nécessaire coopération du Parlement européen à l'action qu'il propose et la coopération entre toutes les instances européennes en général. Il utilise pour cela l'adverbe « ensemble » à plusieurs reprises. Et il insiste sur l'importance du rôle du Parlement européen. De par l'exhaustivité et l'évitement du clivage politique, le discours sur l'état de l'Union européenne de 2012 répond au critère de la stratégie de neutralité décrite par Pierre Bourdieu. « Les dominants, faute de pouvoir restaurer le silence de la doxa (en italique dans le texte original), s'efforcent de produire par un discours purement réactionnel le substitut de tout ce que menace l'existence même du discours hérétique. Ne trouvant rien à redire au monde social tel qu'il est, ils s'efforcent d'imposer universellement, par un discours tout emprunt de la simplicité et de la transparence du bon sens, le sentiment d'évidence et de nécessité que ce monde leur impose ; ayant intérêt au laisser-faire, ils travaillent à annuler la politique dans un discours politique dépolitisé, produit d'un travail de neutralisation ou, mieux, de dénégation, qui vise à restaurer l'état d'innocence originaire de la doxa et qui, étant orienté vers la naturalisation de l'ordre social, emprunte le langage de la nature »43. Il convient de préciser que dans les termes de Pierre Bourdieu « restaurer le silence de la doxa » signifie imposer une idéologie dominante, éliminer les discours proposant une alternative. José Barroso dans son discours sur l'état de l'Union européenne applique cette logique. Parce qu'il se 43 Bourdieu P., Ce que parler veut dire, Fayard, Paris, 1982, p 155 2013 37/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 montre exhaustif, il souhaite qu'on ne puisse pas faire de proposition qui dépasse son discours. Et parce qu'il ne dénonce personne, si ce n'est les « anti-Européens », il veut n'exclure personne de ses propos. Il travaille ainsi à faire un discours acceptable par tous et si possible relayé par l'ensemble des membres du Parlement européen. On peut aussi évoquer cette idée en réutilisant le concept de « réserve » développé par Nicolas Jabko. La « réserve » étant l'une des attitudes que l'on peut adopter pour construire un leadership informel. Or cette position qui consiste à « rester dans l’ombre, à rechercher le consensus, voire à faire semblant de suivre les autres »44 est celle adoptée par José Barroso dans le discours sur l'état de l'Union européenne de 2012. 3. Montrer un sens politique grâce aux propositions phares Pour construire un leadership informel en matière de social, José Barroso ne se contente pas d'appliquer l'attitude de réserve. Il s'efforce également de faire preuve d'un sens politique que Nicolas Jabko définit comme « une certaine capacité à échafauder des paris audacieux au moment où des opportunités se présentent, de façon à infléchir le mouvement naturel des choses et donc à prendre les devants de l’histoire ». Derrière la volonté de fédérer le Parlement européen autour de son action grâce à la diffusion de représentations sociales, le Président de la Commission travaille à faire propositions phares c 'est-à-dire des propositions audacieuses qui ont vocation à éclairer, à servir de modèle. Il propose ainsi une « nouvelle philosophie pour l'Europe ». Cette proposition est remarquable car elle dépasse le champ politique. Elle permet de doter José Barroso d'une capacité à avoir une vision d'ensemble. Or cette capacité est très appréciée dans l'UE où il faut à la fois coordonner différentes politiques, différents secteurs, comme au niveau 44 Jabko N., Le leadership dans l 'Union européenne : typologie sommaire et illustration dans le cas de l'union monétaire, Politique européenne 1/2002 (n° 5), p. 85-104, www.cairn.info/revuepolitique-europeenne-2002-1-page-85.htm 2013 38/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 national et aussi penser les différences qui existent entre les différents États membres de l'Union européenne. Le Président de la Commission propose ensuite un « pacte décisif pour l'Europe ». Le vocabulaire employé dans cette proposition est fort : « pacte », « décisif », « valeurs », « confiance » … José Barroso montre une volonté de créer un rassemblement autour de quelque chose de fort. Par la suite, il s'éloigne de l'abstraction qui est de mise au début du discours sur l'état de l'Union européenne et évoque des mesures plus précises. Parmi les mesures phares qu'il énonce, il y a tout d'abord l'union bancaire et l'union budgétaire. De cette façon, José Barroso répond aux critiques qui ont pu être formulées à l'égard de l'Union lors de la résolution des crises de dette souveraine concernant un manque de coordination entre les différentes politiques économiques des Etats membres, notamment formulées par les économistes45. José Barroso avec la proposition d'union bancaire et d'union budgétaire entend répondre aux failles de l'Union européenne et se positionne en homme conscient de la situation à laquelle il a affaire. Il en va de même quand le Président de la Commission européenne propose un peu plus loin dans le discours de construire une union politique. Il est à noter cependant que José Barroso est moins à l'aise avec cette idée et ne formule pas clairement l'idée que l'Union européenne doit se doter d'une union politique. Du moins, il ne formule pas ce besoin aussi franchement que la nécessité d'une union bancaire et d'une union budgétaire. Et en évoquant « une complémentarité et une coopération entre le Parlement européen et les parlements nationaux » ainsi que la subsidiarité, il montre un respect de l'échelon national qui le garantit contre les critiques des eurosceptiques. Bien qu'il propose une union politique, José Barroso respecte donc la stratégie de neutralité adoptée par la Commission européenne. Il entretient le flou qui existe entre administration et politique 45 Jamet J.-F., L'Europe peut-elle se passer d'un gouvernement économique ?, La documentation Française, Réflexe Europe, Paris, 2011 ; Dévoluy M., L'euro est-il un échec ?, La documentation Française, Réflexe Europe, Paris, 2011 2013 39/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 décrit par Jacques Lagroye46. Enfin, dernière proposition phare du Président de la Commission européenne : une fédération d’États-nations. C'est la proposition que les acteurs interrogés, que les médias ont retenu. José Barroso se pose en homme déterminé pour apparaître comme le leader légitime de ce rassemblement et des propositions qu'il formule. Il utilise d'ailleurs la première personne du singulier pour faire ses propositions phare, alors que c'est la première personne du pluriel qu'il utilise majoritairement dans ce discours. En effet, le pronoms personnels à la première personne du pluriel (nous), avec cent trente-deux occurrences, constitue 39,6% des pronoms personnels utilisés, les pronoms personnels à la première personne du singulier (je, moi), avec quarante-deux occurrences, 12,6% et les pronoms à la troisième personne du singulier (il, elle, lui), avec soixante-dix occurrences, 21%. José Barroso fait une utilisation très habile des pronoms personnels. « Nous » est utilisé dans des phrases à connotation moins positives. Il est en effet associé aux termes « incertitude », « besoin », « crise », « effort », « mesure ». Ce pronom est utilisé de façon général pour collectiviser les responsabilités et les devoirs. Les éléments relativement plus négatifs sont reliés au « nous ». La première personne du singulier qui est moins utilisée, est toujours sujet des propositions. Il est associé aux termes « conviction » et « fédération ». Le « je » est donc utilisé par José Barroso pour se positionner en acteur, en homme qui prend des décisions, qui vérifie que les choses vont dans le sens qu'il souhaite. Il s'affiche en leader. Pour ce qui est de la troisième personne du singulier, elle est avant tout utilisée dans des formules impersonnelles telles que « il a fallu », « il est inacceptable de », « il est important de », « il s'agit de », « il est possible de » … Ce pronom personnel est ainsi utilisé dans des formules normatives qui dictent le chemin à suivre pour l'Union 46 Lagroye J., La politisation, Belin, 2003 2013 40/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 européenne à l'avenir. Le « il » permet aussi de faire reposer la contrainte sur une entité impersonnelle. Nous noterons que « elle » est surtout utilisé pour se substituer à « l'Europe » et permet de personnaliser l'Europe et de lui donner de la vie, de sortir de l'abstraction. C'est un moyen de rendre l'Europe attrayante et d'insuffler aux membres du Parlement européens de se battre aux côtés du Président de la Commission européenne pour la « défendre ». C. Consacrer l'Union européenne et sa légitimité à agir : le pouvoir des mots Ce discours sur l'état de l'Union européenne a pour effet de consacrer l'Union européenne. Les membres du Parlement européen rejoignent José Barroso quand il désigne l'Union européenne comme l'échelon le plus approprié pour résoudre la crise actuelle. L'organisation formelle de l'Union européenne est validée et la position du Président de la Commission européenne du même coup. Au-delà de ça, les membres du Parlement européen sont également d'accord avec la volonté d'approfondir l'Union européenne. L'idée d'une politique sociale européenne qui aille plus loin est approuvée par les acteurs rencontrés. José Barroso établit un terrain favorable à la mise en place d'une politique sociale. 1. Consacrer l'intégration européenne pour protéger l'Union La consécration est entendue par Pierre Bourdieu comme le fait d'attribuer « une essence indiscutable et indélébile ». Le discours sur l'état de l'UE a cet effet. L'intégration européenne, c'est-à-dire la dépendance entre l'ensemble des États membres, est établie comme un fait. La solidarité européenne est posée comme une fatalité. Les États membres sont tous sur le même « bateau », pour reprendre la métaphore utilisée par le 2013 41/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 Président de la Commission. La possibilité d'un destin national isolé de l'UE pour les États membres est écartée. Les acteurs interrogés valident cet état de fait. Les membres du Parlement européen insistent sur le fait qu'ils représentent les intérêts européens et non les intérêts particuliers nationaux. « Ici, il n'y a pas d'Etats »47 fait remarqué un membre du Parlement européen pendant l'entretien. L'intégration européenne est également présentée comme un fait par la plupart des chefs d’État et de gouvernement européens. Même les plus réticents à l'intégration européenne en font état. Ainsi David Cameron, le Premier ministre britannique, valide l'existence de cette intégration dans son discours de janvier 2013, parfois désigné sous le nom de Brexit, où il pose la question d'une possible sortie de la Grande-Bretagne de l'UE. Il montre qu'il n'y a que deux options : être membre l'UE et y être intégré ou ne pas y appartenir ; mais il n'y a pas d'appartenance modulée. Cette consécration de l'intégration européenne est doublée d'une validation de l'échelon européen comme niveau d'action pertinent. Les États membres de l'UE sont interdépendants. Il est donc logique que les politiques soient décidées au niveau communautaire. Les acteurs interrogés, les députés européens, le conseiller politique comme l'universitaire, pensent tous qu'il est nécessaire de coordonner les différentes politiques nationales. Pour cela, l'autorité de l'Union européenne leur semble légitime. Un élément formel du leadership de José Barroso se trouve validé puisque la nécessité de coopérer est consacrée. En tant que Président de la Commission européenne, il est habilité à agir. 47 Entretien avec un membre du Parlement européen, 14 mars 2013 2013 42/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 2. Accepter inconsciemment le leadership de José Barroso : réutilisation des représentations sociales Olivier Borraz48 explique que le leader est « un agent qui contribue à l'institutionnalisation d'une organisation », en définissant l'institutionnalisation comme la capacité à diffuser des valeurs, en reprenant la définition de Philip Selznick. Or tous les acteurs interrogés valident les valeurs européennes citées dans le discours sur l'état de l'UE de José Barroso : Ainsi le conseiller politique des Verts au Parlement européen souligne : « Il y a des valeurs qu'on qualifierait de sociales au niveau européen. Ça c'est indiscutable »49. De plus, José Barroso, avec son discours, offre une façon de percevoir l'Union européenne qui est reprise par différents acteurs interrogés. Autrement dit, avec les mots de Pierre Bourdieu : il réussit à « structurer la perception que les agents sociaux ont du monde social »50. Ainsi, des acteurs interrogés réutilisent la notion de « modèle social européen ». Certains parlementaires européens valident la notion en l'état tout en précisant qu'ils en ont une meilleur définition que José Barroso. C'est le cas d'un membre du Parlement européen quand il répond à une question sur l'existence d'un « modèle social européen » : « I think he firmly believes that we are a social democratic union, that social Europe is an important element of the European union. But I don't think he sees it as such primary importance as I do »51. D'autres reprennent la notion de « modèle social européen » pour lui apporter des nuances, des précisions mais en considérant dans le fond qu'elle est avérée. C'est le cas du conseiller politique des Verts : « les Européens […] partagent la même approche de la 48 Borraz O., Le leadership institutionnel in Smith A., Sorbets C., Le leadership politique et le territoire, Les cadres d'analyse en débat, Presses universitaires de Rennes, Res Publica, 2003 49 Entretien avec un conseiller politique au Parlement européen, 14 mars 2013 50 Bourdieu P., Ce que parler veut dire, Fayard, Paris, 1982, p. 100 51 Entretien avec un membre du Parlement européen, 13 mars 2013 2013 43/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 nécessité d'une intervention de la puissance publique pour la redistribution et la recherche d'une justice sociale. […] Il y a plusieurs modèles sociaux européens »52. Par ailleurs, pour discuter de la dimension sociale de l'UE, une députée européenne 53 réutilise le concept d'« économie sociale de marché », employé par José Barroso dans son discours, parce qu'il est inscrit dans les Traités. Elle estime qu'il existe effectivement au sein de l'UE une reconnaissance de la pertinence des mécanismes de marché, associée à la mise en place d'un cadre aux activités économiques et à la volonté de performance en matière de social. De même, le concept de de fédération d'Etats nations est repris par le conseiller politique des Verts pour expliquer que c'est l'idéal vers lequel l'UE tend54. Le fait de reprendre les termes employé par José Barroso n'est pas anodin. Pierre Bourdieu explique que la « nomination contribue à faire la structure de ce monde et d'autant plus profondément qu'elle est largement reconnue, c'est-à-dire autorisée »55. La nomination autrement dit contribue à établir un cadre dans lequel les acteurs se situent. En utilisant les mêmes termes que le Président de la Commission européenne, les membre du Parlement européen véhiculent des représentations du social communes qui favorisent la prise de décisions communes. Même quand les termes ne désignent qu'un idéal et non une réalité de fait, l'effet de nomination existe puisque les acteurs vont agir de façon à réaliser les propriétés qui sont assignées par la nomination. 3. La nécessité d'une politique sociale européenne approuvée La consécration de l'intégration européenne, la communauté de valeurs et le partage des représentations sociales aboutissent à la validation de la nécessité de 52 53 54 55 Entretien avec un conseiller politique au Parlement européen, 14 mars 2013 Entretien avec une membre du Parlement européen, 25 mars 2013 Entretien avec un conseiller politique au Parlement européen, 14 mars 2013 Bourdieu P., Ce que parler veut dire, Fayard, 1982, p.99 2013 44/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 renforcer le caractère social de l'UE. Ce renforcement du caractère social est décomposé en trois dimension : la prise en compte de la dimension sociale dans l'ensemble des politiques européennes, la mise en place d'une plus forte politique sociale au niveau européen et le soutien aux politiques sociales nationales. Le social est vu comme un élément à prendre en compte au-delà de la commission parlementaire « Emploi, affaires sociales et inclusion ». Les députées interrogées appartenant à la commission « Affaires économiques et monétaires » et à la commission « Agriculture et développement rural » ont toutes deux affirmé que la dimension sociale était hautement regardée au sein de leurs commissions, dans l'ensemble des textes rédigés. Ainsi la membre de la commission « Agriculture et développement rural » explique que les parlementaires européens de sa commission, dans la révision des propositions de la Commission européenne pour le « verdissement » de l'agriculture ont pris en compte la dimension sociale de la mesure : « [ils ont] tenu compte dans [leurs] amendements de la réalité sociale que vit le secteur économique qu'est l'agriculture »56. Tandis que la membre de la commission « Affaires économiques et monétaires » estime que dans l'adoption du « 6-pack », c'est-à-dire du texte renforçant le gouvernement économique de la zone euro, une dimension sociale a été prise en compte. Avant la Commission européenne pour évaluer un Etat ne regardait que les finances publiques et le « 6-pack » a introduit une nouvelle procédure qui permet de faire un constat plus macro-économique en prenant en compte le coût unitaire du travail, la productivité horaire … et « par ce biais-là, [ils ont] fait rentrer, en principe, dans le raisonnement de la Commission, sur l'euro, des critères plus larges et qui englobent des aspects sociaux »57. Par ailleurs, les acteurs interrogés sont d'accord avec la nécessité de renforcer les politiques sociales européennes. Cette politique sociale n'est pas demandée par tous au même degré. Elle n'est pas forcément synonyme d'harmonisation sociale de l'UE. Seul le conseiller politique des Verts appelle à cette harmonisation : « L'enjeu majeur c'est de [...] 56 Entretien avec une membre du Parlement européen, 15 mars 2013 57 Entretien avec une membre du Parlement européen, 25 mars 2013 2013 45/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 faire vivre avec la même vitalité, la même intensité et le même impact sur la vie de chacun, l'ensemble des droits politiques, individuels, civils, économiques et sociaux, qui ont été conquis dans le cadre de l'état-nation, dans un autre cadre supra-national »58. Les autres demandent la mise en place de « fourchettes », de « corridors »59 dans le domaine des droits sociaux. Certains appellent également à des politiques ciblées. Il faut selon eux déterminer des domaines dans lesquels il est nécessaire d'avoir des politiques communautaires afin que l'union économique fonctionne. Ainsi, il faut renforcer la politique de portabilité des droits sociaux, c'est-à-dire la garantie pour les travailleurs qui exercent en dehors de leur pays d'origine mais dans un pays de l'UE d'avoir la même retraite, les mêmes droits au chômage etc. que s'ils travaillaient dans leur pays. Enfin, la nécessité de préserver les droits sociaux acquis dans les différents États membres est validée par les acteurs interrogés. Et cela est jugé être du ressort de la Commission européenne. En effet, les acteurs soulignent que cette institution a le pouvoir d'imposer des « politiques d'assainissement budgétaire » et que ces politiques ont des conséquences négatives en matière de social. On peut donc lire en creux que la Commission européenne a la responsabilité de contrôler les effets sociaux négatifs qu'ont les politiques économiques qu'elle impose. 58 Entretien avec un conseiller politique au Parlement européen, 14 mars 2013 59 Entretien avec une membre du Parlement européen, 25 mars 2013 2013 46/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 II. Décrédibiliser par le discours : réception méfiante par les Parlementaires européens Le discours sur l'état de l'Union européenne a pour volonté de légitimer le Président de la Commission européenne. Il a le potentiel pour l'établir en leader en matière de social. Mais malgré le soin qui est apporté à lui donner du poids, ce discours manque à ses objectifs. Comme l'explique Christian Le Bart, « les stratégies de communication sont toujours marquées, en politique au moins, par une forte incertitude. L'opinion publique apparaît plus comme une « boîte noire » opaque que comme une cible docile. Il arrive que les effets produits dépassent les espérances des intéressés, ils peuvent aussi être inverses à ceux escomptés »60. En fait, la position depuis laquelle José Barroso prononce son discours n'est pas très confortable pour discourir en matière de social. Ainsi, le discours n'est pas écouté par les parlementaires. Ceux-ci ont choisi délibérément de ne pas lui prêter attention. José Barroso manque donc à construire un leadership en matière de social par le discours. De plus, ce discours n'est pas en accord avec les politiques menées au niveau européen et sous impulsion de l'Union européenne. Il existe donc une dissonance entre le discours et les faits. José Barroso travaille au sein même de son discours à réduire cette dissonance. Mais ce travail de réduction n'est pas concluant. Le discours a pour effet d'amplifier la dissonance cognitive établie par José Barroso. La capacité de leadership en matière de social du Président de la Commission européenne s'en trouve amoindrie. 60 Le Bart Ch., Le discours politique, PUF, Que sais-je ?, 1998, p. 49 2013 47/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 A. José Barroso, leader de médiation par opposition à Jacques Delors, leader charismatique Les acteurs rencontrés ont souvent fait référence à Jacques Delors pour parler d'un passé où les affaires sociales trouvaient plus de considération. Il apparaît que José Barroso ne réussit pas à incarner le rôle de leader en matière de social. La position dans laquelle il se trouve pour prononcer le discours sur l'état de l'Union, de façon générale, malgré les quelques avantages exposés dans la première partie, n'est pas favorable. 1. Un rapport de force entre la Commission européenne et le Parlement européen La distribution des pouvoirs telle qu'elle est établie aujourd'hui dans les institutions européennes amènent les membres du Parlement européen à casser le leadership formel de José Barroso. Afin d'acquérir de l'importance, ils refusent de suivre le mouvement proposé par le Président de la Commission européenne. L'un des principaux pouvoirs du Parlement européen est celui de légiférer. Cependant, cette institution n'est pas seule maîtresse de ce pouvoir. Trois institutions européennes prennent part au processus législatif européen 61 : la Commission européenne qui doit représenter les intérêts de l'Union dans son ensemble, le Conseil européen qui doit faire valoir les intérêts des États membres et le Parlement qui doit faire entendre les intérêts des citoyens européens. Ce processus est désigné dans le langage européen comme le processus de codécision. Cette procédure a été introduite par le traité de Maastricht (1992) puis renforcée par le traité d'Amsterdam (1999) et le traité de 61 Articles 289 et 294 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : http://eurlex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:C:2010:083:0047:0200:fr:PDF 2013 48/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 Lisbonne en a fait la principale procédure législative. Étant donné que le pouvoir d'initiative revient à la Commission, le pouvoir législatif du Parlement européen est largement subordonné à la Commission européenne. Grâce au pouvoir d'initiative, la Commission européenne est dotée d'une capacité d'acte politique. Elle a notamment la capacité de faire des propositions d'actes législatifs ambitieux. Elle a le pouvoir de se démarquer. Le Parlement européen a lui une mission plus technique. Il se trouve quelque peu en position de suiveur. Le Parlement européen dans ce manque d'autonomie n'a pas beaucoup d'options. Aujourd'hui, l'option qui semble être celle du Parlement européen, en matière de social, d'après les propos recueillis lors des entretiens est l'opposition avec la Commission européenne. Par son opposition aux propositions de la Commission européenne et du Conseil européen, le Parlement cherche à peser dans le jeu des institutions. Cette opposition a d'ailleurs, en quelque sorte, fonctionné au moment du vote du budget en mars 2013. Le rejet du budget a permis de médiatiser le Parlement européen en dehors des élections législatives. Il n'est pas certain que les médias auraient autant parlé de la validation du budget proposé par la Commission européenne et validé par le Conseil européen. Dans le rapport de force qui existe entre le Parlement européen et la Commission européenne, les membres du Parlement peuvent se prévaloir de la légitimité démocratique. Tous les parlementaires rencontrés ont fait mention du fait qu'ils sont élus . Certains soulignent même que le Président de la Commission lui est simplement nommé. Ils rappellent que la réélection de José Barroso a été difficile. Les acteurs rencontrés ont par ailleurs souvent fait le parallèle entre le peuple européen et le Parlement européen. Ils estiment que quand ils ne sont pas entendus par le Président de la Commission européenne, ce sont tous les citoyens européens qui sont ignorés. L'opposition de la part de certains parlementaires à la Commission européenne dans son ensemble est visible dans le fait qu'ils n'hésitent pas à critiquer les actions de la Commission européenne, à souligner le décalage entre le discours et les faits ; alors que quand il s'agit de parler des actions du Parlement, ils se montrent beaucoup plus 2013 49/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 respectueux. En effet, quand ils sont interrogés sur des propositions de lois discutées au Parlement par une autre commission que celle dont ils font partie, ils préfèrent « par respect pour [leurs] collègues »62, ne pas parler du sujet sur lequel porte la question et conseillent d'aller interroger les membres de la commission parlementaire concernée. Ainsi, ils montrent du respect pour le travail du Parlement mais sont très critiques vis-à-vis de la Commission européenne. 2. José Barroso : un Président de la Commission contesté Les éléments formels du leadership63 de José Barroso ne sont donc pas si forts. Mais au delà de ça, il existe chez les parlementaires européens rencontrés une certaine méfiance vis-à-vis de José Barroso en personne, voire un rejet. Les entretiens font ressortir que c'est plus à la Présidence de la Commission exercée par José Barroso, en tant que telle, que les membres du Parlement européen s'opposent, plus qu'à la Présidence de la Commission européenne de manière générale, ou à la Commission européenne comme un tout. Le leadership informel, au sens de Nicolas Jabko64, se trouve invalidé. Les acteurs interrogés ne valident pas les éléments d'organisation du leadership qui sont extérieurs au statut de Président de la Commission européenne. Effectivement, plus que la fonction de Président de la Commission européenne, c'est la personne de José Barroso qui est critiquée par les acteurs rencontrés. Les mots sont sévères, leurs critiques se veulent, la plupart du temps, ouvertes. Ainsi, un conseiller politique du groupe des Verts remarque que « [José Barroso] n'a jamais brillé par son impulsion politique, par sa capacité de résolution des problèmes, par sa volonté 62 Entretien avec une membre du Parlement européen, 25 mars 2013 63 Jabko N., Le leadership dans l 'Union européenne : typologie sommaire et illustration dans le cas de l'union monétaire, Politique européenne 1/2002 (n° 5), p. 85-104, www.cairn.info/revuepolitique-europeenne-2002-1-page-85.htm 64 ibid 2013 50/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 justement de dépasser les conflits entre États-nations »65. Même parmi les rangs du Parti Populaire Européen, dont fait partie José Barroso, on trouve des membres du Parlement européen pour critiquer l'action de José Barroso. Une députée de ce groupe parlementaire a confié suite à l'entretien qu'elle n'approuvait pas l'action de l'Union européenne laissée faire selon elle par José Barroso66. Une autre preuve du fait que c'est à l'organisation informelle plus qu'à l'organisation formelle du leadership, que les membres du Parlement européen s'opposent, est qu'ils ne rejettent pas tous les Présidents de la Commission européenne. Certains ont rappelé la manière dont était exercée la Présidence de la Commission européenne sous Jacques Delors pour donner un exemple de la manière dont ils voudraient qu'elle soit exercée67. Dans les propos tenus par les acteurs rencontrés, Jacques Delors apparaît comme un leader charismatique au sens de Max Weber, c'est-à-dire qu'il est considéré avoir exercé son mandat de Président de la Commission européenne grâce à « l'autorité de la grâce personnelle extra-quotidienne (charisme), l'abandon de soi tout à fait personnel et la confiance personnelle dans les révélations, l'héroïsme ou d'autres qualités propres au chef »68. Partant du même statut que José Barroso, Jacques Delors a su, selon les membres du Parlement rencontrés, peser plus fortement dans les décisions communautaires et dans le renforcement de l'intégration. 65 Entretien avec un conseiller politique au Parlement européen, 14 mars 2013 66 Propos recueillis suite à un entretien avec une membre du Parlement européen, 15 mars 2013 67 Entretien avec un membre du Parlement européen, 14 mars 2013. Jacques Delors est vu comme un grand leader : « Il y a une des années dorées dans ces relations [entre le Parlement européen et la Commission européenne], à l'époque de Jacques Delors. On [...] a travaillé avec la philosophie de Jacques Delors, c'est-à-dire dans un esprit de coopération entre les états-membres ». José Barroso comme mauvais : « La Commission […] au lieu de travailler avec le Parlement pour faire face aux gouvernements qui défendent les intérêts nationaux, la Commission pense toujours avec le Conseil, contre les avis du Parlement. [...] La Commission n'a plus de leadership [...]. [José Barroso] est toujours aligné à l'avis du Conseil. […] Il est toujours comme un émissaire. Il parle fort mais finalement, quand il est avec le Conseil, il se place dans une position subsidiaire. Nous ne voyons pas une Commission forte d'un véritable engagement[...]. Quand la Commission doit trancher entre le position du Parlement et celle du Conseil, dans 90% des cas, la Commission opte pour la position du Conseil ». 68 Weber M., Le savant et le politique, La découverte, Paris, 2003, p. 119 2013 51/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 Pourtant, José Barroso reprend le vocabulaire et les représentations du social créés par Jacques Delors. En effet, l'actuel Président de la Commission européenne appelle à la préservation du « modèle social européen » et à la création d'une « fédération d’États nations ». Comme l'explique Gaëtane Ricard-Nihoul 69, ces termes permettent de fédérer sur le plan politique aussi bien les fédéralistes que les souverainistes. José Barroso semble utiliser ces termes comme pour invoquer le leadership dont jouissait Jacques Delors. Cependant, l'usage du même vocabulaire ne suffit pas. Par opposition à Jacques Delors, au regard de ce que disent les personnes interrogées, José Barroso appuie l'exercice de son pouvoir uniquement sur son statut juridique. Il ne peut dominer qu'en vertu de la « légalité » au sens de Max Weber, c'est-àdire en se reposant sur « la croyance à la validité d'une codification légale de la « compétence » objective fondées sur l'application de règles instituées de manière rationnelle, donc en vertu de la disposition à l'obéissance et à l'accomplissement des devoirs conformément à cette codification »70. Les propos des membres du Parlement européen montrent qu'ils ne croient pas en le rôle, au sens d'Erwing Goffman, de Président de la Commission européenne tel qu'exercé par José Barroso. Il estime que José Barroso n'exploite pas assez les possibilités offertes par le statut de Président de la Commission européenne pour être crédible dans son rôle. José Barroso est, selon les acteurs interrogés, trop effacé derrière la position du Conseil européen. Ainsi, un membre du Parlement européen explique : « Quand le Conseil arrive, Cameron, Merkel et les autres, on voit clairement la situation de faiblesse de la Commission »71. En entretien, les acteurs opposent en quelque sorte José Barroso le suiveur à Jacques Delors le leader. La vision idéaliste de la Présidence de la Commission européenne est un lieu commun. Et 69 Ricard-Nihoul G., Pour une fédération européenne d’États-nations, La vision de Jacques delors revisitée, Lacier éditions, Europe, 2012 70 Weber M., Le savant et le politique, La découverte, Paris, 2003, p. 119 71 Entretien avec un membre du Parlement européen, 14 mars 2013 2013 52/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 certaines publications de science politique traitant de la Présidence de Jacques Delors appuient cette vision. Ainsi Helen Drake en titrant son ouvrage sur la Présidence de Jacques Delors Jacques Delors en Europe, Histoire d'un leadership improbable 72, accrédite l'image idéalisée de la Présidence de Jacques Delors. Elle utilise d'ailleurs l'expression « phénomène Delors ». Et elle appuie dans son développement l'idée que les relations entre le Président de la Commission européenne et le Parlement européen étaient meilleures à cette époque en expliquant que Jacques Delors faisait preuve d'une « adresse remarquable » avec le Parlement en se montrant à l'écoute, prêt à expliquer et en manifestant « des marques de respect pour le rôle du Parlement européen »73. Si les éléments recueillis en entretien ne permettent pas d'établir que José Barroso est un leader charismatique tel qu'a pu l'être Jacques Delors en son temps, il ne faut cependant pas conclure que l'actuel Président de la Commission n'est pas un leader. Être un leader charismatique n'est pas la seule façon d'en être un. José Barroso a opté pour le « leadership de médiation » tel que l'entend Andy Smith. On peut aussi parler d'« intégrateur systémique » en reprenant les mots de Jean-Claude Thoenig. Il ne souhaite être ni plus ni moins qu'un point de convergence entre les différents intérêts, ceux du Parlement européen et ceux du Conseil européen. Il se donne pour mission de les concilier afin que l'Union européenne subsiste et avance dans la crise. Cette position relève d'une forme de leadership mais elle ne permet pas spécifiquement un leadership en matière de social. Les États membres souhaitent garder leur compétence dans ce domaine. Comme en atteste l'un des parlementaires européens rencontrés74 ainsi que le conseilleur politique des Verts 75, il n'y a aucun État qui défende une politique sociale européenne. Même les États nordiques réputés pour leur système de protection sociale n'appuient pas la politique sociale européenne afin de garder leur 72 Drake H., Jacques Delors en Europe, Histoire d'un leadership improbable, Presses universitaires de Strasbourg, Collection Sociologie politique européenne, 2002 73 Drake H., Jacques Delors en Europe, Histoire d'un leadership improbable, Presses universitaires de Strasbourg, Collection Sociologie politique européenne, 2002 74 Entretien avec un membre du Parlement européen, 14 mars 2013 75 Entretien avec un conseiller politique des Verts, 14 mars 2013 2013 53/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 prérogatives. 3. La crise économique de l'Union européenne comme obstacle aux avancées en matière de politique sociale européenne L'Union européenne connaît une crise sociale et politique comme le souligne luimême José Barroso dans son discours. Or en période crise politique comme l'explique Christian Le Bart76, le droit à prendre la parole et à « parler politique » est fragilisé. Le monopole de la Commission européenne à dicter les solutions pour résoudre la crise est contesté. José Barroso n'est donc pas crédité d'une grande écoute. José Barroso n'a pas pour lui la légitimité de l'exercice du pouvoir en matière de social. Il représente la Commission européenne. Or cette institution a décidé la mise en place de « politiques d'assainissement budgétaire » et elle est en charge de leur suivi. Et les États ont renoncé aux politiques de soutien à l'activité économique afin de suivre les recommandations de la Commission européenne et pour respecter de nouveau les critères du Pacte de stabilité et de croissance à savoir un déficit budgétaire inférieur à 3% du PIB et une dette publique inférieure à 60% du PIB. Ces « politiques d'assainissement budgétaire » ne trouvent pas le soutien de tous les États membres, ni de l'opinion que le Parlement doit incarner. La crise sociale à savoir le niveau de chômage record, les difficultés grandissantes pour la population à assumer les coûts pour se chauffer, pour s'alimenter, pour se soigner ... est établie comme une conséquence directe des « politiques d'assainissement budgétaire ». Sa responsabilité est ainsi, dans une certaine mesure, imputée à la Commission européenne. Un tel contexte ne permet pas à José Barroso de produire un discours en matière de social. 76 Le Bart Ch., Le discours politique, PUF, Que sais-je ?, 1998, p. 40-41 2013 54/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 B. La méconnaissance du discours comme stratégie de décodage Les acteurs interrogés sur le discours de l'état de l'Union européenne de 2012 se sont rarement contentés de commenter ce discours en particulier. Soit ils évoquaient les discours de José Barroso en général, soit ils parlaient de l'action européenne en matière de social. Ces acteurs ne se désintéressaient pourtant pas de l'action en matière de social au niveau européen, ni des propositions faites par la Commission européenne. Les acteurs rencontrés ont tous fourni un contenu intéressant pour mon mémoire. La méconnaissance du discours sur l'état de l'Union européenne est en fait une stratégie de réception. Les acteurs montrent qu'ils ignorent le discours pour s'afficher en acteurs. Ils rejettent le discours en tant que simple parole. Leur méconnaissance du discours revient au final à un rejet du leadership du Président de la Commission européenne, en particulier en matière de social. 1. L'exhaustivité comme facteur d'illisibilité du discours Comme le montre Alice Krieg-Planque77, le vague est conçu comme une ressource pour le locuteur selon la méthode de l'analyse de discours. Il permet en effet de concilier la diversité des destinataires. Ainsi, le discours sur l'état de l'Union européenne de 2012, grâce à son effet d'équivocité permet de s'adresser à l'ensemble des membres du Parlement européen. Cependant l'équivocité a des limites. Il est rare de voir des personnes de familles politiques différentes se réjouirent d'un même discours. Cette stratégie politique réussit rarement à rassembler autant qu'elle le souhaite. Si elle peut permettre à tous les membres du Parlement européen de se retrouver dans l'action 77 Krieg-Planque A., Analyser les discours institutionnels, Armand Colin, ICOM, 2012 2013 55/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 proposée par le Président de la Commission européenne, elle peut également permettre à tous de la critiquer comme le souligne Jean Quatremer 78, journaliste à Libération, spécialiste des questions européennes. Et au contraire, elle est souvent pointée du doigt pour manque de clarté. Ainsi, Jean Quatremer estime que la ligne politique de José Barroso est « totalement illisible ». Il est intéressant sur ce point de voir comment le discours sur l'état de l'Union européenne de 2012 a été perçu par la presse. Il convient tout d'abord de noter que ce discours n'a pas été traité par beaucoup de journaux en France. Ainsi, Le Monde et Libération, deux journaux nationaux dits « de référence » en France, n'y ont consacré aucun article. Le Figaro, considéré également comme un journal « de référence » n'y a dédié qu'une petite brève d'une dizaine de lignes sur leur site internet. En GrandeBretagne, les deux quotidiens de référence que sont The Guardian et The Economist n'accordent guère plus d'attention au discours du Président de la Commission européenne devant le Parlement européen et n'y consacrent pas d'article non plus 79. En Espagne, le sort réservé au discours sur l'état de l'Union européenne de 2012 est le même : El Pais ne publie aucun article à ce propos. Il semble que le discours ne trouve pas l'écho qu'il souhaiterait avoir. On est loin du State of the Union address américain qui a inspiré le discours sur l'état de l'Union européenne. Aux Etats-Unis, le discours sur l'état de l'union est un exercice classique, attendu par les Américains et commenté par l'ensemble des éditorialistes du pays. On peut faire l'hypothèse que la stratégie d'équivocité de José Barroso montre ici ses limites. Si le Président de la Commission européenne avait énoncé un message unique et clair, peut-être que les journaux dits « de référence » y auraient porté plus d'attention. Il faut se tourner vers les journaux en ligne spécialisés et les hebdomadaires pour trouver des articles concernant ce discours. Le journal en ligne, Taurillon, publie un article, 78 La Commission, Docteur Jekyll ou Mister Hyde ?, Libération, 10/07/2007, http://bruxelles.blogs.liberation.fr/coulisses/2007/07/la-commission-d.html 79 The Guardian, une semaine après le discours, permettra à José Barroso d'écrire un article pour démentir tout volonté de mettre en place un super-État : http://www.guardian.co.uk/global/2012/sep/19/barroso-no-plans-federation 2013 56/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 écrit par le Président des jeunes européens, évoquant positivement le discours sur l'état de l'Union européenne de 201280. Le journal en ligne, spécialisé sur l'Europe, Euractiv, publie un article critique à l'encontre de José Barroso. Il commence par ses lignes : « Les belles paroles n’engagent que ceux qui les croient… Une fois de plus, le président de la Commission n’a pas été avare de grandes envolées lors de son discours sur l’état de l’Union mercredi 12 septembre ». Et à propos du début du discours sur l'état de l'Union européenne, l'article parle de « catalogue à la Prévert des actions déjà menées pour sortir la zone euro de la crise »81. Le programme proposé par le Président de la Commission européenne est ainsi vu par le journal en ligne comme un inventaire de sujets de toutes sortes sans aucun lien apparent. L'hebdomadaire à la ligne éditorial libérale, L'Express, publie un article82 mitigé sur le discours sur l'état de l'Union européenne en regrettant d'une part que le discours n'ait pas reçu plus d'écho et en décryptant, d'autre part, les objectifs du discours que nous avons exposés en première partie. L'article ne manque pas de faire part de l'ambiguïté du discours. Pour ce qui est du journal La Tribune, hebdomadaire économique et financier, l'article consacré au discours sur l'état de l'Union européenne de 201283 est enthousiaste et approbateur des mots du Président de la Commission européenne. Le Nouvel Observateur, hebdomadaire de gauche d'information générale, fait lui une analyse neutre du discours, il fait un simple résumé des propositions du Président de la Commission européenne et les confronte aux positions officielles de la France et de l'Allemagne84. 80 Discours sur l'état de l'Union : Barroso et la « fédération d'Etats-nations », Taurillon, 12 septembre 2012, http://www.taurillon.org/Discours-sur-l-etat-de-l-Union-Barroso-et-la-federation-dEtats,05161 81 Barroso se réveille, deux ans avant la fin de son mandat, Euractiv, 19 septembre 2012, http://www.euractiv.fr/institutions/barroso-reveille-ans-fin-mandat-16429.html 82 « Le discours de Barroso annonce une révolution démocratique en Europe », L'Express, 12 septembre 2012, http://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/le-discours-de-barroso-annonce-unerevolution-democratique-en-europe_1160035.html 83 Les 11 points à retenir du discours de Barroso sur l'état de l'Union, La Tribune, 12 septembre 2012, http://www.latribune.fr/actualites/economie/union-europeenne/20120912trib000719113/les-11points-a-retenir-du-discours-de-barroso-sur-l-etat-de-l-union.html 84 Barroso prône une fédération d'Etats-nations en Europe, Le Nouvel Observateur, 12 septembre 2012, http://tempsreel.nouvelobs.com/topnews/20120912.REU5703/barroso-prone-une-federation-detats-nations-en-europe.html 2013 57/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 Les différents articles qui traitent de ce discours ne retiennent pas les mêmes choses, les mêmes propositions. Il y a des divergences d'interprétation. On voit ainsi la possibilité qu'offre le discours sur l'état de l'Union européenne d'être interprété de plusieurs manières. De façon générale, parce qu'il n'est pas traité par les journaux de référence, parce qu'il est critiqué par plusieurs journaux en ligne et parce qu'il est seulement valorisé par des personnes engagé politiquement pour une fédération européenne, on peut dire que ce discours n'a pas reçu l'accueil positif qu'il souhaitait et que la stratégie d'exhaustivité a manqué à produire les effets recherchés, elle n'a pas réussi à rassembler. Cet échec de la stratégie d'exhaustivité s'est également ressenti dans les entretiens que nous avons eu avec les parlementaires européens et le conseiller politique. L'exhaustivité du discours n'a pas été appréciée par les acteurs interrogés. Elle est vue comme une indétermination, une tentative de flouer les parlementaires et les citoyens européens. Le conseiller politique du groupe des Verts a été le plus critique des acteurs interrogés. Il a beaucoup parlé de l'illisibilité de l'action du Président de la Commission européenne et de sa capacité à évoquer toutes sortes de thèmes sans en mettre un plus haut que l'autre. Il utilise une métaphore qui prête à rire afin de le décrédibiliser : « Barroso c'est une espèce de DJ consensuel qui fait un peu de la musique pour tout le monde »85. Cette critique est partagée par le groupe parlementaire de l'Alliance des démocrates et libéraux pour l'Europe. Ainsi une députée appartenant à ce groupe politique, interrogée sur la notion de « modèle social européen », une députée européenne critique la capacité de José Barroso à énoncer des catalogues exhaustifs comme il le fait dans le discours sur l'état de l'Union européenne. Elle utilise la métaphore de « politique du gaufrier » : « vous faites des gaufres et il faut avoir un trou pour chaque parti. Voilà. Il a du mettre des trucs sur la discipline pour la droite. Il met des trucs sur le 85 Entretien avec un conseiller politique au Parlement européen, 14 mars 2013 2013 58/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 modèle social pour la gauche »86. Cette « politique du gaufrier » lui semble être particulièrement employée en matière de social où beaucoup de mots valises sont utilisés (« modèle social européen », « système de protection sociale efficace », . Grâce à l'ambiguïté qui leur est propre, ces mots-valises permettent de laisser beaucoup une large place à l'interprétation personnelle en ce qui concerne la politique sociale de l'Union européenne. Un autre membre du Parlement européen, appartenant au groupe politique de l'Alliance progressiste des socialistes et démocrates, explique aussi que José Barroso parle de tout afin de satisfaire son auditoire mais qu'il manque de conviction : « He always feels obliged [...] to mention social Europe, social policy. [...] And it immediately makes the left think “ha he has ticked that box”. But that's all he is doing : ticking a box, there is nothing in his heart »87. 2. Ignorer le discours pour marquer son opposition à la Commission européenne Le sujet de ce mémoire qui est basé sur un discours a été mal compris par plusieurs acteurs. Quatre réponses négatives aux sollicitations d'entretien ont été justifiées par un manque d'outillage pour répondre à des questions à propos d'un discours. Deux des acteurs interrogés se sont dit étonnés que mon mémoire soit basé sur un discours. Aucun des acteurs interrogés ne connaissait le discours en question de façon fine. Je ne pense pas que cette incompréhension soit due à une maladresse de ma part. En fait, l'étude du discours en général déstabilise. Elle est vue comme une étude inutile. Les mots sont perçus comme de simples mots n'ayant aucun pouvoir, aucune capacité à changer les choses. Ainsi, une membre du Parlement européen dit que « le procédé rhétorique est intéressant, il est séduisant. Barroso est un très bon rhéteur […] qui 86 Entretien avec une membre du Parlement européen, 25 mars 2013 87 Entretien avec un membre du Parlement européen, 13 mars 2013 2013 59/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 masque bien souvent … je dirais pas une certaine forme de vacuité parce que le mot vacuité est quand même un terme un peu trop fort mais qui est un peu quand même de cet ordre-là. C'est-à-dire que si on enlevait à Barroso son acrobatie intellectuelle qui est avérée, si on lui enlevait sa vivacité intellectuelle [silence qui en dit long] »88. Elle explique ainsi que le discours sur l'état de l'Union n'est qu'un amas de mots vides qui n'ont aucun impact. En fait, la méconnaissance du discours de José Barroso ne révèle pas d'un manque d'implication des acteurs rencontrés mais elle est une stratégie de décodage du discours, c'est-à-dire que l'interprétation du discours, qui est une forme de langage codée, et l'affichage de cette interprétation relèvent d'une manœuvre réfléchie. Le discours est une affaire d'interaction entre l'énonciateur du discours et ses récepteurs. L'émetteur du discours a beau apporter tout le soin nécessaire à la confection d'un discours efficace, cela ne suffit pas. Les récepteurs ne sont pas passifs et ont la liberté d'interpréter le discours comme ils l'entendent. Comme l'explique Roger Chartier : « La diffusion des idées ne peut être tenue pour une simple imposition : les réceptions sont toujours des appropriations qui transforment, reformulent, excèdent ce qu'elles reçoivent. L'opinion n'est aucunement un réceptacle, une cire molle »89. Les acteurs interrogés ont conscience de leur rôle en tant que récepteurs, ils savent que le discours n'est rien s'il n'est pas écouté. Ils ignorent donc le discours pour le vider de toute sa force. C'est une stratégie de décodage parfaitement consciente. Les acteurs interrogés assument sans complexe qu'ils ne connaissent pas le discours. Ainsi, le conseiller politique des Verts nous avoue sur un ton décontracté : « Il faudrait reprendre le discours. Honnêtement, j'ai lu, j'ai écouté, j'ai laissé tomber »90. La méconnaissance du discours est également une stratégie de décodage du discours pour s'afficher en acteurs par opposition à José Barroso le faiseur de discours. Les 88 Entretien avec une membre du Parlement européen, 15 mars 2013 89 Chartier R., Les origines culturelles de la Révolution française, Seuil, 1991, cité dans Le Bart Ch., Le discours politique, PUF, Que sais-je ?, 1998, p. 109-110 90 Entretien avec un conseiller politique au Parlement européen, 14 mars 2013 2013 60/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 acteurs interrogés se disent mal à l'aise face à un discours. Ils précisent que leur travail ne consiste pas à écouter José Barroso discourir mais à agir. Une des membres du Parlement européen a ainsi plusieurs fois repoussé l'entretien au motif que ce n'était pas de sa compétence de lire et d'écouter les discours et qu'elle était plus occupée à travailler au sein de sa commission91. D'autres acteurs ont plus facilement accepté de discuter du discours sur l'état de l'Union de 2012 mais ils n'ont pas manqué cependant d'adopter cette même stratégie de décodage qui consiste à s'afficher en homme d'action. Ainsi, les députés de la commission « Emploi, affaires sociales et inclusion » soulignent le fait que José Barroso parle de social dans ces discours, emploie des formules fortes telles que « modèle social européen » etc. mais qu'il n'agit pas pour les mettre en œuvre. Et tout de suite après, ils en viennent à évoquer le travail qu'ils effectuent au sein de leur commission pour, eux, faire avancer les choses de leur côté. Ainsi, un membre du Parlement européen me demande avant de commencer l'entretien de parler un peu plus de mon sujet de mémoire, je lui explique que je travaille sur le discours sur l'état de l'UE et plus particulièrement sur son côté social et le député me précise immédiatement : « Il parle, il parle beaucoup mais c'est tout. C'est au Parlement qu'on agit »92. 3. Rejeter le leadership de la Commission par l'accusation d'immobilisme et l'appel à l'action Le leader en politique doit pouvoir se prévaloir d'une ou plusieurs actions. S'il ne s'appuie que sur le discours, il encourt le risque de passer pour un simple démagogue. Comme l'explique Andy Smith, « dans cet environnement hautement concurrentiel [que sont les institutions européennes], l'autorité légitime d'un leadership de la Commission se définit de manière simultanée autour de la production de politiques et du droit communautaire ». Étant donné que José Barroso ne bénéficie pas de la légitimité 91 Echanges par mail avec l'assistante d'une membre du Parlement européen : « L'agenda de [la députée] est très chargé. [Elle] n'attend pas grandes choses des discours sur l'Etat de l'Union ». 92 Propos recueillis avant de commencer l'entretien avec un membre du Parlement européen, 14 mars 2013 2013 61/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 démocratique de l'élection, il doit construire sa légitimité par l'exercice du pouvoir. Or en matière de social, les acteurs rencontrés lui nient cette forme de légitimité. Ils le font en expliquant que l'actuel Président de la Commission n'a permis aucun progrès en matière de social et en l'appelant à l'action. Interrogés sur le discours sur l'état de l'Union de 2012, les acteurs préfèrent se prononcer sur les actions menées en matière de social au niveau européen. Ils souhaitent démontrer qu'il n'y a eu aucune législation importante en matière de social adoptée sous la Présidence de José Barroso, qu'il y a même eu une dégradation de la situation sociale. Un député européen pose tout simplement la question des actions menées par José Barroso en matière de social : « Il parle de plein de choses, du manque d'Europe sociale, mais que fait-il ? »93. C'est avec cette même intention de montrer l'inaction voire l'action contre-productive que le conseiller politique rencontré ironise : « je ne sais pas s'il y a encore beaucoup de politiques sociales en Grèce avec les politiques d'austérité qui sont actuellement menées »94. La comparaison avec Jacques Delors est encore utilisée, pour montrer qu'un autre exercice du pouvoir et du discours est possible, pour donner un exemple de discours qui a débouché sur des actions en matière de social. Un membre du Parlement européen explique ainsi que Jacques Delors n'affichait pas l'Europe sociale comme priorité dans ses discours. C'est le cas de José Barroso aujourd'hui. La priorité de Jacques Delors était l'union économique mais il n'en oubliait pas pour autant le social. L'acteur reprend le discours de Jacques Delors tenu devant la commission parlementaire « Emploi, affaires sociales et inclusion » : « Jacques Delors came alone and he said : « our top priority is the complition of the internal market and 1992 process. And until that's completed forget social Europe. [...]”. And so was the line : we will come back to it. […] And actual fact : during the mid-1990's and through the beginning of the last decade, social Europe did pick up. That's how we got a lot of proposals coming through. »95. 93 Entretien avec un membre du Parlement européen, 14 mars 2013 94 Entretien avec un conseiller politique au Parlement européen, 14 mars 2013 95 Entretien avec un membre du Parlement européen, 13 mars 2013 2013 62/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 Les acteurs rencontrés font d'ailleurs état du fait que José Barroso n'affiche une grande volonté d'action. Ainsi une membre du Parlement européen explique qu'au sein même du discours, on ne sent pas de volonté d'agir de la part de José Barroso car il n'explique pas les moyens qu'il envisage pour mettre en œuvre les propositions qu'il énonce : « quand on dit « j'appelle », c'est de l'incantation. C'est pas de la feuille de route. C'est pas tout à fait … Vous sentez bien ce que je tarde à dire et ce que je pense assez fort malgré tout »96. Par ailleurs, les acteurs rencontrés font des suggestions d'actions en matière de social pour montrer qu'il y a encore à faire dans le domaine. Ils souhaitent montrer que, si rien n'est fait en matière de social, ce n'est pas parce qu'il n'y a rien à faire, mais parce que José Barroso ne souhaite pas agir en la matière. Par exemple, un membre du Parlement européen explique que « We have quite a big [concerning social Europe] but there could be a lot more. But, as I said earlier, the legal base that we have in the treaty for social Europe is quite narrow. It needs to be broaden some time »97. C. Un discours sur le social suivi d'actions minimales : analyse d'une dissonance cognitive Les parlementaires ne reconnaissent pas le leadership de José Barroso en matière de social. Ce rejet est visible dans la stratégie de réception qu'ils adoptent face au discours sur l'état de l'Union européenne. Les effets sociaux du discours vont plus loin qu'un refus du leadership. Ce discours a également pour effet de discréditer la capacité de leadership du Président de la Commission européenne du fait qu'il existe une situation de dissonance cognitive au sein du discours entre la volçonté de préserver le « modèle social européen » 96 Entretien avec une membre du Parlement européen, 15 mars 2013 97 Entretien avec un membre du Parlement européen, 13 mars 2013 2013 63/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 et celle d'améliorer la compétitivité de l'UE. Cette dissonance est amplifiée par le manque de cohérence entre la volonté affichée de préserver le « modèle social européen » et la réalité des fiats. Autrement dit, les représentations portées par le discours se trouvent contredites par la situation sociale et les politiques menées. José Barroso a conscience de cette dissonance cognitive et travaille au sein de son discours à la réduire . Cependant, ce travail de réduction de la dissonance est désapprouvé par les parlementaires. Le discours décrédibilise donc José Barroso dans le domaine social aux yeux des parlementaires. 1. « Préserver le modèle social européen » : une cognition en dissonance avec la réalité des faits et la volonté de « favoriser la compétitivité de l'Union européenne » En reprenant la théorie de Léon Festinger, Marie-Amélie Martinie et Pascale Larigauderie nous expliquent que « deux cognitions sont en relation de dissonance lorsque la cognition A (par exemple « je suis contre X ») implique la cognition non-B (par exemple « j’ai écrit un texte en faveur de X »). L’état de dissonance est un état psychologiquement inconfortable »98. Si José Barroso souhaite mettre en place une politique sociale européenne plus forte et être le leader de ce mouvement, la cognition qu'il met en avant, l'idée qu'il souhaite présenter comme prioritaire est donc : « Certains prétendent qu'à cause de la crise, le modèle social européen est mort. Je rejette cette idée ». Il affiche ainsi sa volonté de vouloir préserver ce « modèle social européen ». Or selon les mots de la Commission européenne, « on s'accorde généralement à dire que ce modèle se caractérise, au minimum, par une croissance économique soutenue, un niveau de vie élevé et croissant, 98 Larigauderie P. et Martinie M.-A., Coût cognitif et voies de réduction de la dissonance cognitive, Revue internationale de psychologie sociale 4/2007 (Tome 20), p. 5-30, www.cairn.info/revueinternationale-de-psychologie-sociale-2007-4-page-5.htm. 2013 64/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 des niveaux d'emploi élevés, une éducation de grande qualité, une protection sociale exhaustive, de faibles niveaux d'inégalité et des niveaux élevés de solidarité, ainsi que (point crucial dans le contexte actuel) le rôle important joué par les représentants des travailleurs et des employeurs et le dialogue noué entre eux. Le dialogue social est considéré comme partie intégrante du modèle social européen »99. Ce « modèle social européen » apparaît comme une notion exigeante, les caractéristiques qu'elle recouvre sont difficiles à accomplir et cela d'autant plus en période de crise. Cette volonté ou cette cognition si on veut utiliser les termes de la psychologie sociale, est doublement dissonante avec la réalité des faits et avec la volonté ou la cognition de « renforcer la compétitivité de l'UE ». Pour ce qui est de la réalité des faits, la politique sociale communautaire n'avance plus beaucoup et les situations nationales se dégradent sous l'effet des « politiques d'assainissement budgétaire » décidées par la Commission européenne. Il y a eu des progrès de faits en matière de social au niveau communautaire dans les années 1990. Le Sommet de Luxembourg qui s'est tenu en 1997, a abouti à la mise en place de la stratégie européenne pour l'emploi c'est-à-dire à une coordination des politiques nationales associée à la conservation par les Etats de leur compétence en matière de politique de l'emploi et de protection sociale. Puis le Conseil de Lisbonne qui s'est tenu en mars 2000 a débouché sur l'adoption de la « stratégie de Lisbonne » qui comportait notamment un certain nombre d'objectifs spécifiques en matière d'emploi : - un taux d'emploi global de 70% d'ici 2010, - un taux d'emploi de 50% chez les travailleurs seniors, - un taux de plus de 60% chez les femmes et - une croissance économique annuelle d'environ 3%. Ces objectifs devaient être atteints grâce à la procédure connue sous le nom de Méthode Ouverte de Coordination (MOC) que la DG emploi, affaires sociales et inclusion définit comme suit : « la méthode ouverte de coordination est un processus volontaire de coopération politique fondé sur l'établissement d'objectifs et 99 Commission européenne, DG emploi, affaires sociales et inclusion, Guide de l'Europe Vol 2 : Dialogue social, 2011 2013 sociale, 65/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 d'indicateurs communs destinés à mesurer la progression vers ces objectifs. Les gouvernements traduisent les objectifs communs en plans d'action présentés sous forme de rapports stratégiques nationaux. Ces rapports sont évalués par la Commission et le Conseil […]. La méthode ouverte de coordination vise également à mettre en place un apprentissage mutuel en ce qui concerne l'examen approfondi des politiques, programmes et dispositifs institutionnels présentés comme constituant de «bonnes pratiques» dans les rapports nationaux »100. C'est donc sur un processus non contraignant, sur la bonne volonté des États que repose la politique sociale européenne. On peut se dire que c'est bien peu. Mais selon les acteurs interrogés, au regard ce qui se fait actuellement, cela est beaucoup. C'est ce qu'explique un membre du Parlement européen : « even within the limits we have, Barosso has been a negative force. During his years of presidence of Commission, social progress has slowed down very considerably »101. L'échec de la stratégie de Lisbonne qui avait pour objectif de faire de l'UE « l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique au monde, capable d'une croissance économique durable accompagnée d'une amélioration quantitative et qualitative de l'emploi et d'une plus grande cohésion sociale » d'ici à 2010 illustre l'incapacité de José Barroso à conduire des changements en matière de social. Plus finement, Jean-Claude Barbier102 analyse les documents produits par la Commission européenne et le Conseil européenne depuis le début des années 2000. Il identifie dans ces années trois périodes : la Stratégie de Lisbonne, les réformes qui lui font suite entre 2005 et 2009 puis « Europe 2020 ». Il note que dans cette dernière période, qui correspond à aujourd'hui, la politique sociale subit une marginalisation et se trouve réduite à des mesures purement symboliques. La politique sociale européenne se trouve en fait effacée par rapport aux considérations macro-économiques et financières. C'est 100Site de la Commission européenne : http://ec.europa.eu/social/main.jsp?catId=753&langId=fr 101Entretien avec un membre du Parlement européen, 13 mars 2013 102Barbier J.-C., Quelle destinée pour la «politique sociale» de l'Union européenne? De la Stratégie de Lisbonne à l'Europe 2020: évolution du discours politique, Revue internationale du travail, 2012 2013 66/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 également ce dont témoigne un membre du Parlement européen, membre de la commission « Emploi, affaires sociales et inclusion », qui dit que « We had no significant proposal in the social area for the time that he has been president of the Commission »103. La volonté de préserver le « modèle social européen » se trouve également en dissonance avec la volonté de « renforcer la compétitivité de l'UE ». Cette deuxième cognition reflète le discours dominant qui existe à Bruxelles. Christian Hen et Jacques Léonard expliquent que de manière générale, «malgré la volonté des signataires du traité de Rome de promouvoir l’amélioration des conditions de vie et de travail, la construction européenne a toujours été caractérisée par un retard de la dimension sociale par rapport à la dimension économique dans le processus d’unification» 104. L'Europe libérale est privilégiée à l'Europe sociale. En fait, elles ne sont pas compatibles. La volonté libérale de « renforcer la compétitivité de l'UE » aboutit à une pression sur le coût du travail prééminente à la volonté de conserver les droits sociaux. La concurrence sociale et fiscale se traduit par une baisse des dépenses sociales. 2. La notion d'efficacité au service du travail de réduction de la dissonance Quand deux cognitions se trouvent en situation de dissonance, cela crée une situation d'inconfort psychologique. Un travail de réduction de la dissonance est donc mis en œuvre. Il existe plusieurs voies de réduction 105 : le changement d'attitude ; la rationalisation en acte c'est-à-dire la modification de ses croyances ; la trivialisation, autrement dit la réduction de l’importance des éléments impliqués dans la relation de dissonance ; et le déni de responsabilité. José Barroso est conscient de la double dissonance qu'il subit. Il sait que la volonté 103Entretien avec un membre du Parlement européen, 13 mars 2013 104 Hen Ch. et Léonard J., L’Union européenne, La Découverte « Repères », 2006, p. 82 105Larigauderie P. et Martinie M.-A., Coût cognitif et voies de réduction de la dissonance cognitive, Revue internationale de psychologie sociale 4/2007 (Tome 20), p. 5-30, www.cairn.info/revueinternationale-de-psychologie-sociale-2007-4-page-5.htm. 2013 67/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 qu'il affiche de préserver le « modèle social européen » ne correspond pas à l'action qui est menée en matière de social au niveau européen au moment où il émet son discours et qu'elle n'est pas compatible avec le souhait d'augmenter la compétitivité de l'UE. Il travaille ainsi au sein même de son discours à réduire cette dissonance. Le travail de réduction de la dissonance le plus visible est le déni de responsabilité. Comme nous l'avons vu, José Barroso fait un usage très astucieux des pronoms personnels afin de rejeter la responsabilité sur l'UE dans son ensemble et sur les Etats. A aucun moment dans son discours, il ne dit que la Commission européenne est responsable des problèmes qu'il pointe tels que la situation en Grèce, le déficit de confiance dont est victime l'Europe etc. Par ailleurs, il utilise une stratégie de trivialisation. José Barroso tente de minimiser l'importance de la volonté de préserver le « modèle social européen ». Pour cela, le thème du social est peu évoqué comparativement au thème de la croissance et de la compétitivité. Par ailleurs, il utilise la notion d'efficacité afin de réduire l'importance de sa volonté de préserver le « modèle social européen ». En effet, le groupe de mots « système de protection sociale » est systématiquement suivi de l'adjectif « efficace ». Grâce à cet adjectif, il pose une limite à l'existence de systèmes de protection sociale. La protection sociale ne saurait être trop importante. Dans le cas contraire, elle crée des « trappes à inactivité ». Une protection sociale n'encouragerait pas la population à travailler car l'activité entraînerait une perte de revenus désincitative. Or moins de personnes en activité signifie moins de force de main d’œuvre et plus de coûts sociaux à assumer pour l'Etat. Cette situation est contraire à l'efficacité, elle est sous-optimale. Le Président de la Commission, grâce à la notion d'efficacité, fait donc se rejoindre les volontés de préserver le «modèle social européen » et de « favoriser la compétitivité de l'UE ». L'importance de la volonté de préserver le « modèle social européen » est également réduite par l'affirmation de la nécessité de « moderniser nos systèmes de protection sociale ». En effet, si José Barroso affiche une volonté de préserver le « modèle social européen », il précise implicitement qu'il ne sera pas préservé en l'état. Le thème de la 2013 68/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 réforme qui apparaît à dix-huit reprises est là pour le rappeler. Or José Barroso annonce que ces réformes sont nécessaires pour améliorer la compétitivité de l'UE. Avec ce terme de réforme, José Barroso trouve un autre moyen de trivialiser la cognition qu'est la volonté de préserver le « modèle social européen ». 3. Désapprobation du leadership de la Commission et capture de la politique sociale européenne par les députés Reprenons la définition simple de ce qu'est un leader. Selon le dictionnaire le Larousse, un « leader » se définit comme une « personne qui, à l'intérieur d'un groupe, prend la plupart des initiatives, mènent les autres membres du groupe, détient le commandement » ou encore comme « [une] entreprise, [un] groupe, [un] produit etc. qui occupe la première place, un rôle de premier plan dans un domaine »106. Ainsi, un Président de la Commission européenne leader en matière de social serait un acteur de premier plan en matière de social, un homme qui prendrait la plupart des initiatives en la matière,qui mènerait le travail du Parlement européen dans le domaine. Or José Barroso n'est pas perçu comme tel par les acteurs interrogés. Les acteurs ne cautionnent pas le travail de réduction de la dissonance effectué par le Président de la Commission européenne qui a pour but de rendre compatibles la volonté de préserver le « modèle social européen » et la volonté d'améliorer la compétitivité de l'UE. Les acteurs rencontrés estiment que José Barroso ne veut pas agir en matière de social. Ainsi, un membre du Parlement européen explique : « la structure du discours reflète bien l'ordre des priorités : l'économique, le politique, réformer les traités mais rien sur le social »107. Ils estiment que le social n'est pas une préoccupation de la Commission. La dissonance cognitive qui existe dans le discours sur l'état de l'Union européenne de 106 Dict. Larousse, « leader » 107Entretien avec un membre du Parlement européen, 14 mars 2013 2013 69/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 2012, entre la volonté de préserver le « modèle social européen » et celle d'améliorer la compétitivité de l'UE, a pour effet, au final, de délégitimer José Barroso en matière de social. Le Président de la Commission européenne apparaît à leur yeux comme faisant de la démagogie. Leurs critiques sévères montrent qu'ils n'ont pas envie de lui obéir. Or le leadership défini par Max Weber est précisément « la chance de trouver des personnes déterminables prêtes à obéir à un ordre de contenu déterminé ou manifestant une volonté d'obéir »108. José Barroso n'a donc pas de capacité de leadership an matière de social. En fait, les membres du Parlement européen veulent montrer que ce sont eux les détenteurs de l'initiative en matière de social au niveau européen. Les acteurs rencontrés insistent beaucoup sur le rôle qu'ils jouent afin de faire adopter dans ce domaine. Il existe donc, dans une certaine mesure, une capture de la politique sociale européenne par certains membres du Parlement européen et notamment la commission « Emploi, affaires sociales et inclusion », au sens de George Stigler, c'est-à-dire que ces personnes parviennent à effectuer une pression assez forte sur la Commission européenne pour qu'elle adopte des textes qu'elle n'aurait pas adoptés d'elle-même. Cette capture de la politique sociale européenne par la commission « Emploi, affaires sociales et inclusion » s'effectue tout d'abord grâce à l'article 225 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : « le Parlement, statuant à la majorité de ses membres, peut, sur la base d'un rapport établi par l'une de ses commissions, demander à la Commission de soumettre toute proposition législative appropriée ». Un député européen membre de la commission « Emploi, affaires sociales et inclusion » explique ainsi que les députés de sa commission tente d'esquiver le pouvoir d'initiative quasiexclusif de la Commission européenne. « What we are doing instead : we are trying to seize these initiatives. This proposal I mentionned earlier on the industry restructuring, we have used an article of the treaty [...] that says “we the parliament can produce a 108Weber M. cité dans Smith A., Sorbets C., Le leadership politique et le territoire, Presses universitaires de Rennes, 2002 2013 70/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 legislation on initiative report [...] » and if we get an absolute majority of votes in the Parliament, the Commission has to respond […] saying “ok you pepole are not acting, we are going to push it forward ourselves” »109. Les membres du Parlement européen sont également fiers de dire qu'ils travaillent à pousser la Commission européenne à inclure des aspects sociaux dans les textes qu'elle adopte. Les députés européens s'attachent à donner une dimension sociale à l'ensemble des textes. Ainsi, un membre du Parlement européen explique qu'il fait pression pour qu'un pilier social soit ajouté à l'union éconimque et monétaire dans la nouvelle feuille de route pour l'UE : « Par exemple en juin, nous allons avoir un document du Conseil, de Van Rompuy, qui établit les bases de l'Union économique et monétaire. Pour nous, il est absolument crucial d'ajouter à cela un pilier social pour utiliser toutes les possibilités établies par les traités mais dont nous ne faisons pas usage pour le moment et aussi pour réformer les traités sur des questions majeures. Alors nous faisons pression sur la Commission et le Conseil »110. Cet acteur, ses collègues de la commission « Emploi, affaires sociales et inclusion » et les membres du groupe parlementaire socialistes et démocrates en général, soutiennent que s'ils ne faisaient pas pression pour que les enjeux sociaux soient pris en compte, rien ne serait fait en la matière. Ils pensent être les seuls à s'en préoccuper. 109 Entretien avec un membre du Parlement européen, 13 mars 2013 110 Entretien avec un membre du Parlement européen, 14 mars 2013 2013 71/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 Conclusion Dans le discours sur l'état de l'Union européenne de 2012, José Barroso affiche des ambitions en matière de social et notamment celle de préserver le « modèle social européen ». Un des objectifs de ce discours est donc, pour le Président de la Commission européenne, de s'afficher en dirigeant préoccupé par les problèmes sociaux et soucieux de les résoudre. Cependant, le discours ne produit pas les effets escomptés. Il ne parvient pas à créer un leadership du Président de la Commission européenne en matière de social. La première hypothèse développée pour vérifier dans quelle mesure le discours sur l'état de l'Union européenne de 2012 participe à la construction d'un leadership du Président de la Commission en matière de social est axée sur le contexte de production, elle énonce que le Président de la Commission européenne est déjà dans une position qui le rend légitime à parler de social, avant de prononcer ce discours. Autrement dit, son statut et sa personnalité lui donnent la légitimité pour discourir en matière de social. Cette hypothèse est en partie vérifiée seulement. Le statut juridique du Président de la Commission européenne est la seule ressource dont dispose José Barroso. Ce statut lui permet de discourir en matière de social, étant donné que la politique sociale est une compétence partagée entre les États membres et l'Union européenne. José Barroso dispose ainsi du leadership formel au sens de Nicolas Jabko111. L'apparent confort du statut juridique du Président de la Commission européenne pour parler de social est cependant à nuancer quand il s'agit pour lui de s'exprimer devant le Parlement. Du fait de l'absence d'acteur central au sein de l'Union européenne comme le relève François Foret, entraîne des oppositions pour le pouvoir entre les différentes institutions. Le Parlement européen a ainsi intérêt à s'opposer à la Commission pour avoir du poids. 111 Jabko N., Le leadership dans l 'Union européenne : typologie sommaire et illustration dans le cas de l'union monétaire, Politique européenne 1/2002 (n° 5), p. 85-104, www.cairn.info/revue-politiqueeuropeenne-2002-1-page-85.htm 2013 72/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 Le leadership formel, de plus, ne suffit pas, il faut lui ajouter une dimension informelle que José Barroso ne parvient pas à construire en matière de social. Pour reprendre les termes de Jean-Claude Thoenig, il apparaît comme un intégrateur systémique, c'est-à-dire qu'il fait en sorte que les différentes institutions fonctionnent et avancent ensemble. José Barroso est décrit par les acteurs interrogés comme un Président de la Commission européenne très proche du Conseil européen. Cette posture fait que les membres du Parlement européen ne croient pas en sa capacité à développer une politique sociale européenne. Les chefs d’État et de gouvernement, dont José Barroso est proche, souhaitent conserver leur compétence en matière de politique de l'emploi, de politique de sécurité sociale etc. Le Président de la Commission européenne ne souhaite pas aller contre cette volonté. De plus, la conjoncture politique, le contexte de crise fragilisent le droit à prendre la parole et à parler de social pour le Président de la Commission européenne. En effet, l'institution dont il est Président se fait imputer la responsabilité de la crise sociale et politique actuelle par le discours dominant des médias. La deuxième hypothèse met en évidence que le contenu même du discours démontre une volonté de la part de José Barroso à agir dans le domaine social. Cette hypothèse est invalidée. José Barroso produit un discours pluri-adressé selon les termes d'Alice Krieg-Planque112. Le discours sur l'état de l'Union européenne de 2012 est quasiment exhaustif et évite le clivage. Il montre une volonté de fédérer. Cependant cette stratégie ne fonctionne pas. Au lieu de fédérer, cette stratégie a pour conséquence d'offrir à chacun l'occasion de critiquer le discours de José Barroso. Les acteurs interrogés et une partie de la presse concluent en effet à l'illisibilité du discours. José Barroso fait un certain nombre de propositions phares dans ce discours. Il montre ainsi sa capacité à faire des « paris audacieux », une volonté à vouloir infléchir le cours de 112 Krieg-Planque A., Analyser les discours institutionnels, Armand Colin, ICOM, 2012 2013 73/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 l'histoire ; autrement dit, il affiche ainsi un certain sens politique au sens de Nicolas Jabko113. La volonté de préserver le « modèle social européen » apparaît comme l'une de ces propositions phares. Cependant la faible importance donnée au social par rapport à la compétitivité, à la croissance etc., dans ce discours, contre-carre cette proposition. Les acteurs interrogés ne retiennent pas cette proposition mais plutôt celle de créer une fédération d'Etats-nations. Les membres du Parlement européen ne croient pas en la volonté de José Barroso d'agir en matière de social. La troisième hypothèse, centrée sur les effets du discours, a pour objectif de voir que cette prise de parole a découlé sur la légitimation de la Commission européenne en matière de social. Le discours a pour effet d'accorder de la légitimité à parler de social au Président de la Commission et créer un contexte favorable à l'approfondissement de la politique sociale européenne. Cette hypothèse est partiellement validée. Le discours sur l'état de l'Union européenne de 2012 a une trop faible audience pour parvenir à ses objectifs. Le discours est affaire d'interaction entre l'émetteur et les récepteurs. Les récepteurs sont actifs, ils ne subissent pas le discours prononcé par José Barroso. Or les membres du Parlement européen utilisent la méconnaissance du discours comme stratégie de décodage et vident ainsi les mots de leur pouvoir. José Barroso au sein même de son discours se trouve dans une situation de dissonance cognitive au sens de Léon Festinger. Sa volonté affichée de préserver le « modèle social européen » entre en contradiction avec la réalité des faits et sa volonté d'améliorer la compétitivité de l'UE. Il travaille à réduire cette dissonance mais les membres du Parlement européen n'y croient pas. Cette dissonance a pour effet de décrédibiliser José Barroso en matière de social. Les membres de la commission « Emploi, affaires sociales et inclusion » capturent donc la politique sociale européenne. Néanmoins, le discours sur l'état de l'Union européenne parvient tout de même à réaliser 113 Jabko N., Le leadership dans l 'Union européenne : typologie sommaire et illustration dans le cas de l'union monétaire, Politique européenne 1/2002 (n° 5), p. 85-104, www.cairn.info/revue-politiqueeuropeenne-2002-1-page-85.htm 2013 74/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 quelques uns des effets escomptés. Tout d'abord, les représentations sociales utlisées par José Barroso telles que « modèle social européen », « économie sociale de marché » sont réemployées par les acteurs interrogés. Or selon l'analyse de Patrick Charaudeau, « le discours politique comme système de pensée est le résultat d'une activité discursive qui cherche à fonder une réalité politique en fonction de certains principes qui doivent servir de référence à la constructions des opinions et des positionnements »114. Les membres du Parlement européen, en utilisant les mêmes termes que José Barroso pour parler de social, sont dans une certaine mesure, influencés par son mode de pensée. Cela favorise l'entente entre les députés et le Président de la Commission et au final, la capacité de ce dernier à instaurer un leadership en matière de social. Les valeurs énoncées par José Barroso sont également validées par les acteurs interrogés. Le discours sur l'état de l'Union européenne de 2012 parvient ainsi à entretenir une communauté de valeurs entre les deux institutions. Ces éléments fondamentaux facilitent les relations entre elles. Dans une certaine mesure, cette diffusion des valeurs témoigne d'une forme de leadership par José Barroso puisque comme Olivier Borraz115 l'explique : le leader est « un agent qui contribue à l'institutionnalisation d'une organisation », et il définit l'institutionnalisation comme la capacité à diffuser des valeurs, en reprenant la définition de Philip Selznick. De manière générale, il contribue à consacrer l'Union européenne en tant qu'échelon pertinent d'action et comme communauté ayant une valeur en soi. Les différents acteurs européens se trouvent ainsi légitimés dans leur rôle et leur position. Pour conclure, on pourrait faire un parallèle avec le discours prononcé par François Hollande le 28 mars 2013. Au niveau du contenu, on retrouve le thème de la croissance, de l'emploi, de la compétitivité. François Hollande affiche lui aussi des ambitions en matière de social : « mon premier objectif, c'est d'inverser la courbe du chômage d'ici la 114Charaudeau P., Le discours politique, Les masques du pouvoir, Vuibert, Paris, 2005 115Borraz O., Le leadership institutionnel in Smith A., Sorbets C., Le leadership politique et le territoire, Les cadres d'analyse en débat, Presses universitaires de Rennes, Res Publica, 2003 2013 75/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 fin de l'année »116. Comme José Barroso, François Hollande subordonne les objectifs sociaux à des objectifs de croissance : « ma priorité c'est l'emploi, mon cap c'est la croissance »117. Si le contenu thématique peut paraître comparable, la position depuis laquelle ils émettent leur discours le sont moins. Pour ce qui est du statut, contrairement à José Barroso, François Hollande a pour lui la légitimité démocratique. De plus, son statut de Président de la République française l'autorise plus que le statut de Président de la Commission européenne, à parler de social, étant donné que les Etats gardent leur compétence en matière de politique pour l'emploi notamment. Pour ce qui est de l'homme, François Hollande a pour lui une étiquette « socialiste », « homme de gauche » qui créent des attentes en matière de politique de l'emploi. Pour ce qui est du contexte, François Hollande est également dans une situation difficile car les chiffres du chômage atteignent des niveaux recordsau moment où il émet son discours. Quant aux effets sociaux du discours, on peut s'attendre à ce que les effets du discours de François Hollande soient supérieurs à ceux du discours sur l'état de l'Union européenne du simple fait que son audience est plus importante. Les discours d'un Président de la République française sont effet retransmis à la télévision et ainsi suivis par des millions de téléspectateurs. Cependant, un rejet du leadership de François Hollande peut être pareillement attendu, étant donné que son discours est également dissonant avec la réalité des faits. Un sondage TNS-Sofres du 6 mai montre que 76 % des Français ayant voté pour le candidat PS jugent négativement la première année de son quinquennat. Un décalage entre les promesses et les faits est pointé du doigt. Maintenant, si le leadership de François Hollande en matière de social est rejeté de la même façon que celui de José Barroso, il reste à savoir qui va capturer le social en France. Les partis politiques non membres du gouvernement sont candidats pour cette mission. Ainsi le Front de gauche a manifesté le 5 mai 2013 pour dire « non à l'austérité » et 116 Hollande F., interview du 28 mars 2013 117 ibid 2013 76/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 appeler à une VIème République qui « redéfinisse les règles sociales et démocratiques ». Le Front national entend lui aussi répondre aux attentes des citoyens. Dans son discours du 1er mai 2013, Marine Le Pen affirme ainsi vouloir incarner « la lumière de l'espérance ». En dehors des instances politiques, il existe également un nombre grandissant d'initiatives locales qui entendent créer de la solidarité tels les systèmes d'échanges locaux (SEL), les entreprises étiquetées « économie solidaire »... Malgré sa positon plus confortable pour parler de social, François Hollande n'a pas plus de chances de voir son discours produire les effets escomptés. Il n'est pas évident que son discours construise un leadership plus fort en matière de social que celui de José Barroso. En fait, le social apparaît comme une domaine où il est difficile de monopoliser le leadership étant donné que, par définition, le social concerne l'ensemble de la société. Et plus le territoire concerné est vaste, plus le leadership en matière de social est éclaté. 2013 77/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 Bibliographie Ouvrages Bourdieu P., Ce que parler veut dire, Fayard, Paris, 1982 Campana A., Henry E., Rowell J., La construction des problèmes publics en Europe, Presses universitaires de Strasbourg, 2007 Charaudeau P., Le discours politique, Les masques du pouvoir, Vuibert, Paris, 2005 Drake H., Jacques Delors en Europe, Presses universitaires de Strasbourg, 2002 Denord F., Schwartz A., L'Europe sociale n'aura pas lieu, Liber, Raisons d'agir, 2009 Dévoluy M., L'euro est-il un échec ?, La documentation Française, Réflexe Europe, Paris, 2011 Goffman E., La Mise en scène de la vie quotidienne, Paris, Éditions de Minuit, 1979 Hassenteufel P., Sociologie politique : l'action publique, Armand Colin, Collection U Sociologie, Paris, 2008 Hen Ch. et Léonard J., L’Union européenne, La Découverte « Repères », 2006, p. 82 Jamet J.-F., L'Europe peut-elle se passer d'un gouvernement économique ?, La documentation Française, Réflexe Europe, Paris, 2011 Lagroye J., La politisation, Belin, 2003 Le Bart Ch., Le discours politique, PUF, Que sais-je ?, 1998 Krieg-Planque A., Analyser les discours institutionnels, Armand Colin, ICOM, 2012 Martens S., Révauger J.-P., Vers un modèle social européen ?, Presses universitaires de Bordeaux, Pessac, 2012 Orbie J., Tortell L., The European Union and the Social Dimension of Globalization, Routledge, 2009 Quintin O. 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Analyse de la situation C’est un honneur pour moi de prononcer aujourd’hui devant vous ce troisième discours sur l'état de l'Union. Alors que l'Union européenne est toujours en crise. Une crise financière et économique. Une crise sociale. Mais aussi une crise politique, une crise de confiance. Les racines de la crise sont à rechercher dans: • des pratiques irresponsables au sein du secteur financier; • un endettement public intenable; et aussi • un manque de compétitivité dans certains États membres. De surcroît, l’euro est aux prises avec des problèmes structurels qui lui sont propres. Son architecture s'est avérée défaillante. Les déséquilibres se sont accumulés. Ces défaillances sont en train d'être corrigées. Mais c'est au prix d'efforts pénibles et douloureux. Les citoyens sont mécontents. Ils sont inquiets. Ils ont le sentiment que leur mode de vie est menacé. Le sens de la justice et de l'équité entre États membres est mis à mal. Or, en l'absence d'équité entre les États membres, comment peut-on espérer qu'il existe une équité entre citoyens européens? Au cours des quatre dernières années, il nous a fallu prendre nombre de décisions 2013 81/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 audacieuses pour contrer cette crise systémique. Mais malgré tous les efforts que nous avons consentis, les mesures prises n'ont pas encore convaincu les citoyens, les marchés ou nos partenaires internationaux. Pourquoi? Parce que nous avons sans cesse laissé le doute se propager. Le doute quant à la volonté réelle de certains pays de mettre en œuvre des réformes et de recouvrer leur compétitivité. Des doutes quant à la volonté réelle d'autres pays de faire preuve de la solidarité nécessaire pour garantir l'irréversibilité de l'euro et du projet européen. Trop souvent, nous assistons à une spirale infernale: des décisions essentielles pour notre avenir sont d'abord prises lors de sommets européens, hypothéquées pourtant dès le lendemain par certains de ceux qui les ont prises, au motif qu'elles vont trop loin, ou pas assez. Cela crée un problème de crédibilité, un problème de confiance. Il est inacceptable de présenter ces réunions européennes comme s'il s'agissait de tournois de boxe à l'issue desquels on se vante d'avoir mis au tapis un adversaire. Nous ne pouvons pas à la fois appartenir à une même Union et agir comme si nous n'en étions pas. Nous ne pouvons pas compromettre neuf bonnes décisions par une seule mesure ou une seule déclaration faisant planer le doute sur l'ensemble des résultats obtenus. Voilà, Mesdames et Messieurs les députés, qui révèle l'essence de la crise de confiance politique dont souffre l'Europe. Comment les acteurs politiques européens peuvent-ils espérer convaincre qu'ils sont déterminés à résoudre cette crise ensemble s'ils ne respectent pas les règles qu'ils ont eux-mêmes établies et leurs propres décisions? Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, 2. Le défi – une nouvelle philosophie pour l'Europe Une crise de confiance est une crise politique. Or, et là c'est l'élément positif, dans une démocratie, il n'existe aucun problème politique qui n'ait de solution politique. C'est pourquoi je tiens aujourd'hui à aborder, ici et avec vous, les questions politiques fondamentales – où en sommes-nous et quelle direction devons-nous prendre? Je tiens à me concentrer sur le cap politique et sur la vision qui inspireront nos grandes décisions. Bien entendu, je ne vais pas énumérer toutes ces décisions. La lettre que j'ai adressée au Président du Parlement européen, qui contient les priorités immédiates de la Commission, vous est transmise en ce moment. Nous en discuterons avec vous avant l'adoption du programme de travail de la Commission, plus tard cet automne. Voici ce que j'ai à vous dire aujourd'hui: l'Europe doit prendre un nouveau cap. Elle doit pour cela s'affranchir des idées anciennes. L'Europe a besoin d'une nouvelle philosophie. 2013 82/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 Quand nous parlons de la crise, et nous en parlons tous, en avons-nous réellement tiré les conclusions qui s'imposent pour notre action? Quand nous parlons de la mondialisation, et nous en parlons tous beaucoup, avons-nous véritablement mesuré son incidence sur le rôle que doit jouer chacun de nos États membres? Adopter une nouvelle philosophie pour l'Europe, c'est d'abord prendre toute la mesure des défis qui s'imposent à nous et qui changent fondamentalement le monde qui est le nôtre. C'est d'abord arrêter de vouloir répondre aux problèmes de demain avec les solutions du passé. Depuis le début de la crise, nous avons régulièrement constaté que les marchés mondiaux interconnectés sont plus rapides et, dès lors, plus puissants que des systèmes politiques nationaux fragmentés. Ce constat sape la confiance des citoyens dans l'action politique et alimente le populisme et l'extrémisme en Europe et ailleurs. La réalité d'aujourd'hui, c'est que dans un monde interconnecté, les États membres ne sont plus en mesure de maîtriser seuls le cours des événements. Pourtant, ils n'ont pas doté leur Union - notre Union - des outils nécessaires pour affronter cette réalité nouvelle. Nous vivons actuellement une transition. Nous sommes à un tournant, qui exige des décisions et une volonté politique. Oui, la mondialisation exige un surcroît d'unité européenne. Une plus grande unité passe par plus d'intégration. Et plus d'intégration appelle un supplément de démocratie, de démocratie européenne. En Europe, cela signifie avant tout que nous devons accepter l'idée que nous sommes tous embarqués sur le même bateau. Cela signifie prendre conscience de la communauté d'intérêts qui nous lie. Cela signifie assumer l'interdépendance de nos destinées. Cela signifie aussi exiger de chacun un véritable sens des responsabilités communes et une solidarité. Parce que sur un bateau pris dans la tempête, le moins que nous puissions attendre de nos compagnons d'équipage est de faire preuve d'une loyauté sans faille. C'est le seul moyen de régler notre pas sur le rythme du changement. Ce n'est qu'ainsi que nous atteindrons l'envergure et l'efficacité requises pour assurer à l'Union un rang d'acteur mondial. Dans un monde en mutation, c'est la seule issue pour sauvegarder nos valeurs, car c’est aussi une question de valeurs. Au XXe siècle, un pays d'à peine 10 ou 15 millions d'habitants pouvait être une puissance 2013 83/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 mondiale. Au XXIe siècle, même les plus grands pays européens peuvent paraître insignifiants comparés aux géants mondiaux que sont les États-Unis ou la Chine. L'histoire s'accélère. Il a fallu à la Grande-Bretagne 155 ans pour doubler son PIB par habitant, il en a fallu 50 aux États-Unis, et seulement 15 à la Chine. Mais si l'on se souvient d'où viennent certains de nos nouveaux États membres, les transformations économiques qu'ils connaissent ne sont pas moins impressionnantes. L'Europe d'aujourd'hui possède tous les atouts nécessaires, bien davantage d'ailleurs que les générations antérieures qui ont dû faire face à des défis analogues, voire plus importants. Mais il nous faut agir en conséquence et exploiter toutes ces ressources ensemble. Le moment est venu de faire coïncider nos ambitions, nos décisions et nos actes. Le moment est venu d'en finir avec les solutions boiteuses et les demi-mesures. Le moment est venu de retenir les leçons que l'histoire nous enseigne et de dessiner un avenir meilleur pour notre Europe. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, 3. Réagir à la situation - «un pacte décisif pour l'Europe» Ce que j'appelle de mes vœux et ce que je vous soumets aujourd'hui est un pacte décisif pour l'Europe. Un pacte pour projeter nos valeurs, notre liberté et notre prospérité dans le contexte mondialisé de demain. Un pacte conciliant la nécessité de préserver nos économies sociales de marché d'une part et celle de les réformer d'autre part. Un pacte qui stabilisera l'UEM, stimulera une croissance durable et rétablira notre compétitivité. Un pacte qui créera un contrat de confiance entre nos pays, et entre les États membres et les institutions européennes, entre partenaires sociaux et entre les citoyens et l'Union européenne. Ce pacte décisif pour l'Europe entraîne les conséquences suivantes: Nous ne devons pas laisser subsister le moindre doute quant à l'intégrité de l'Union ou au caractère irréversible de l'euro. Les pays les plus vulnérables ne doivent pas laisser subsister le moindre doute quant à leur volonté de réforme, quant à leur sens des responsabilités. Mais les pays les plus forts ne doivent pas non plus laisser subsister le moindre doute quant à leur volonté de serrer les rangs, quant à leur sens de la solidarité. Tous, nous ne devons pas laisser planer le moindre doute quant à notre détermination à appliquer les réformes nécessaires, et à RÉFORMER ENSEMBLE. Il est tout simplement illusoire de croire que notre croissance peut se passer de réformes ou que nous pouvons assurer seuls notre prospérité. Nous devons nous aviser que nous 2013 84/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 partageons le même sort et que nous devons résoudre cette crise ensemble. Ce pacte décisif exige l'achèvement d'une union économique profonde et véritable, fondée sur une union politique. a) Union économique: Permettez-moi de commencer par l'économie européenne. Tout d'abord, nous avons besoin de croissance, d'une croissance durable. Notre modèle européen d'économie sociale de marché est tributaire de la croissance: elle crée des emplois et soutient notre niveau de vie. Mais nous ne pouvons maintenir la croissance que si nous améliorons notre compétitivité. Au niveau national, cela nécessite d'entreprendre des réformes structurelles qui ont été reportées pendant des décennies. Moderniser l'administration publique. Réduire les dépenses inutiles. S'attaquer aux intérêts catégoriels et aux privilèges. Réformer le marché du travail pour y créer un équilibre entre sécurité et flexibilité. Et assurer la durabilité des systèmes sociaux. Au niveau européen, il nous faut faire preuve d'une détermination accrue pour lever les obstacles, qu'ils soient physiques, économiques ou numériques. Il importe que nous parachevions le marché unique. Il importe que nous réduisions notre dépendance énergétique et que nous exploitions tout le potentiel des énergies renouvelables. Encourager la compétitivité dans des secteurs tels que l'énergie, les transports ou les télécommunications pourrait raviver la concurrence, stimuler l'innovation et faire baisser les prix pour les consommateurs et les entreprises. La Commission présentera bientôt un Acte pour le marché unique II. Afin de permettre au marché unique de prospérer, la Commission continuera à défendre avec fermeté et intransigeance ses règles de concurrence et sa réglementation commerciale. En toute franchise, si nous nous en remettions aux États membres pour les défendre, je peux vous assurer qu'ils ne résisteraient pas aux pressions exercées par les grandes entreprises et les grandes puissances extérieures. Nous devons créer un marché européen du travail et créer la possibilité pour chaque citoyen de trouver un emploi aussi facilement dans un autre pays que dans le sien. Il est important d'explorer la croissance verte et d'utiliser beaucoup plus efficacement nos ressources. Il nous faut faire preuve d'une ambition bien plus grande dans les domaines de l'enseignement, de la recherche et de l'innovation, ou encore des sciences. L'Europe est un leader mondial dans des secteurs aussi essentiels que l'aéronautique, l'automobile, les produits pharmaceutiques et l'ingénierie, où elle détient plus d'un tiers des parts 2013 85/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 du marché mondial. La productivité industrielle a augmenté de 35 % au cours de la dernière décennie, en dépit du ralentissement économique. Aujourd'hui, quelque 74 millions d'emplois dépendent de l'industrie manufacturière. Chaque année, les jeunes entreprises de l'UE créent plus de 4 millions d'emplois. Il convient de prendre appui sur ces succès en investissant dans notre nouvelle politique industrielle et en créant un environnement économique propre à encourager l'esprit d'entreprise et à soutenir les petites entreprises. Cela suppose de simplifier l'environnement fiscal pour les entreprises et de le rendre plus attrayant pour les investisseurs. Une meilleure coordination des politiques fiscales serait dans l'intérêt de tous les États membres. Il nous faut aussi instaurer une politique commerciale proactive en ouvrant de nouveaux marchés. Tel est le potentiel de l'économie européenne: une mine d'or qui attend encore d'être entièrement explorée. La mise en œuvre intégrale du pacte de croissance décidé lors du Conseil européen de juin procurera déjà de nombreux avantages. Mais nous pourrions aller plus loin encore, grâce à un budget de l'Union réaliste mais ambitieux, centré sur l'investissement, la croissance et la réforme. Soyons clairs: le budget européen est l’instrument clé pour investir dans l’Europe et dans la croissance en Europe. La Commission et le Parlement, ainsi que toutes les forces pro-européennes, car la plupart des États membres soutiennent notre proposition, doivent maintenant défendre ensemble le cadre financier pluriannuel le plus susceptible d'étayer notre action jusqu'en 2020. S'il est adopté, il n'accablera pas les États membres, grâce, notamment, au nouveau système de ressources propres que nous proposons, mais il donnera une forte impulsion à leurs économies et à leurs régions, et aidera grandement leurs chercheurs, leurs étudiants, leurs jeunes demandeurs d'emploi et leurs PME. Il s'agit d'un budget axé sur la croissance et la cohésion économique, sociale et territoriale entre les États membres et à l'intérieur des États membres. Il s'agit d'un budget qui contribuera à parachever le marché unique, en comblant les lacunes de nos infrastructures en matière d'énergie, de transports et de télécommunications, grâce au mécanisme pour l'interconnexion en Europe. Il s'agit d'un budget favorisant une agriculture moderne, axée sur la croissance, capable de concilier sécurité alimentaire et développement rural durable. Il s'agit d'un budget qui, grâce au programme Horizon 2020, encouragera une Europe innovante, à forte intensité de recherche. Car nous avons besoin de cette dimension européenne pour la recherche. Son adoption constituera un véritable test de crédibilité pour nombre de nos États 2013 86/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 membres. Je veux vérifier si les États membres qui parlent sans cesse d'investissements et de croissance soutiendront bien un budget favorable à la croissance au niveau européen. Le budget est également l’instrument par excellence de soutien aux investissements dans notre programme pour la croissance, Europe 2020, dont la nécessité se fait sentir aujourd'hui plus que jamais. Europe 2020 est la voie à suivre pour moderniser et préserver l'économie sociale de marché en Europe. Mesdames et Messieurs les députés, Notre programme de réformes structurelles nécessite un effort d'ajustement majeur. Il ne réussira que s'il est juste et équitable. Parce que l'inégalité n'est pas soutenable. Dans certaines régions d'Europe, nous observons actuellement une véritable urgence sociale. Une pauvreté croissante et un chômage massif, en particulier parmi les jeunes. Voilà pourquoi nous devons renforcer la cohésion sociale, une caractéristique qui distingue la société européenne des autres modèles. Certains prétendent qu'à cause de la crise, le modèle social européen est mort. Je rejette cette idée. Il est vrai que nous devons réformer nos économies et moderniser nos systèmes de protection sociale. Mais un système de protection sociale efficace qui aide les personnes dans le besoin ne constitue pas un obstacle à la prospérité. Il en est de fait un élément indispensable. En effet, ce sont précisément les pays européens qui disposent des meilleurs systèmes de protection sociale et au sein desquels la concertation sociale est la plus développée qui figurent parmi les économies les plus performantes et les plus compétitives du monde. La justice et l'équité imposent de donner une chance à notre jeunesse. Notre action en ce sens est déjà très importante. Et avant la fin de l'année, la Commission lancera un ensemble de mesures ciblées pour les jeunes, qui prévoit la création d'un système de garantie pour la jeunesse et l'instauration d'une politique de qualité destinée à faciliter la formation professionnelle. La justice et l'équité commandent également de mettre en œuvre des régimes fiscaux plus justes et de meilleure qualité. Mettre fin à la fraude et à l'évasion fiscales pourrait rapporter aux États européens des recettes supplémentaires de plusieurs milliards d'euros. C'est la raison pour laquelle la Commission se battra pour obtenir un accord sur la révision de la directive relative à la fiscalité de l'épargne ainsi que sur de futurs mandats pour la négociation avec les pays tiers d'accords plus stricts en la matière. Ces accords constitueraient une 2013 87/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 source considérable de recettes fiscales légitimes. La Commission poursuivra aussi ses efforts pour faire adopter une taxe juste et ambitieuse sur les transactions financières, propre à garantir que les contribuables tirent un bénéfice du secteur financier, et que ce ne soit pas uniquement ce dernier qui tire un bénéfice des contribuables. Puisqu'il apparaît clairement désormais que cet accord ne peut être obtenu qu'au moyen d'une coopération renforcée, la Commission mettra tout en œuvre pour faire avancer rapidement et efficacement ce dossier avec les États membres qui le souhaitent. Parce que c'est une question d'équité, et que l'équité est une condition essentielle pour faire accepter, sur le plan social et politique, les réformes économiques nécessaires. Et l’équité, c’est avant tout une question de justice, de justice sociale. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, Face à la crise, des décisions importantes ont été prises. Dans toute l'Union européenne, des mesures de réforme et d'assainissement sont mises en œuvre. Des mécanismes communs de soutien financier sont mis en place et les institutions européennes ont démontré sans relâche qu'elles soutenaient l'euro. La Commission mesure parfaitement que les États membres qui mettent en œuvre les réformes les plus profondes pâtissent de difficultés économiques considérables et doivent réaliser des ajustements complexes, parfois extrêmement pénibles. Mais seules ces réformes peuvent mener à un avenir meilleur. Elles auraient dû être réalisées il y a bien longtemps et il est tout simplement impossible de revenir à la situation antérieure. La Commission continuera de mettre tout en œuvre pour soutenir ces États membres et pour les aider à stimuler la croissance et l'emploi, notamment par la reprogrammation des Fonds structurels. Permettez-moi d'évoquer brièvement la situation de la Grèce. Je pense réellement que l'occasion nous est donnée, cet automne, d'arriver à un tournant. Si la Grèce écarte définitivement tous les doutes relatifs à sa volonté d'engager les réformes requises mais aussi si tous les autres pays ne laissent subsister aucun doute quant à leur détermination à maintenir la Grèce dans la zone euro, nous pouvons y parvenir. J'ai la conviction que si la Grèce respecte ses engagements, elle mérite de rester parmi nous et de conserver sa place dans la zone euro. Préserver la stabilité de la zone euro est notre défi le plus pressant. Cela relève de la responsabilité commune des États membres et des institutions communautaires. La BCE ne peut pas financer les États et elle ne le fera pas. Mais si les canaux de la politique monétaire ne 2013 88/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 fonctionnent pas correctement, la Commission estime que le mandat de la BCE impose à celle-ci de prendre les mesures nécessaires, notamment sur les marchés secondaires de la dette souveraine. La BCE n'a en effet pas seulement le droit, mais le devoir de restaurer l'intégrité de la politique monétaire. Il lui appartient bien entendu, puisqu'elle est une institution indépendante, de déterminer les actions à mener et d'en définir les conditions. Il convient cependant que tous les acteurs, et je dis bien tous les acteurs, respectent son indépendance. Mesdames et Messieurs les députés, J'ai évoqué les mesures économiques que nous devons mettre en œuvre sans délai. Elles sont indispensables, mais pas suffisantes: il nous faut aller plus loin. Il est essentiel d'achever l'union économique et monétaire. Nous devons mettre sur pied une union bancaire et une union budgétaire ainsi que les mécanismes institutionnels et politiques que cela suppose. La Commission présente aujourd'hui des propositions législatives en vue de la création d'un mécanisme unique de surveillance à l'échelle européenne. Il s'agit là de la première étape dans la création d'une union bancaire. La crise a montré que si les banques étaient devenues transnationales, la réglementation et le contrôle étaient restés, quant à eux, nationaux. Et lorsque les choses ont mal tourné, ce sont les contribuables qui ont dû passer à la caisse. Au cours de ces quatre dernières années, l’Union européenne a réformé le secteur bancaire, prenant ainsi la tête au niveau mondial de la mise en œuvre des engagements du G20. Mais la coordination, à elle seule, ne suffit plus: nous avons besoin de décisions communes en matière de surveillance, notamment au sein de la zone euro. Le mécanisme de surveillance unique proposé aujourd’hui créera une architecture renforcée, au sein de laquelle la Banque centrale européenne jouera un rôle clé, et l'interaction requise avec l’Autorité bancaire européenne, qui rétablira la confiance dans la surveillance des banques de la zone euro. Il s’agira d’assurer la surveillance de l’ensemble des banques de la zone euro. Les risques systémiques pouvant être partout, la surveillance devra porter sur toutes les banques et pas uniquement sur celles dites «d’importance systémique». Il conviendra bien sûr d’y associer pleinement les autorités nationales de surveillance. Ce train de mesures se compose de deux textes législatifs couplés, l’un concernant la BCE et l’autre l’ABE. Il va sans dire que votre assemblée aura un rôle essentiel à jouer dans l’adoption de ce nouveau mécanisme et, ensuite, dans le contrôle démocratique dont il fera l’objet. Il s’agit là d’une première étape cruciale sur la voie de l’union bancaire que j’ai proposée 2013 89/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 en juin devant cette assemblée. La création d’une autorité de surveillance européenne constitue à présent la priorité numéro un, parce qu’elle est indispensable à l’amélioration de la gestion des crises bancaires, de la résolution des défaillances bancaires jusqu'à la garantie des dépôts. Parallèlement, la Commission continuera de travailler à la réforme du secteur bancaire, afin de s’assurer que ce dernier joue bien son rôle dans le financement responsable de l’économie réelle. Cela signifie améliorer le financement à long terme des PME et des autres entreprises. Cela signifie adopter des règles en matière d’indices de référence, afin que nous n’assistions plus à une manipulation des taux d’intérêt bancaires affectant aussi bien les entreprises que les personnes ayant souscrit un prêt hypothécaire. Cela signifie légiférer de manière à ce que les banques offrent des conditions équitables aux consommateurs et revoir la structure des activités bancaires pour éliminer les risques intrinsèques. À cet égard, le rôle qui incombe à votre assemblée est essentiel. La Commission s’attachera à travailler en partenariat étroit avec vous. Mais il y a un second volet d’une union économique approfondie, qui consiste à s’engager sur la voie d’une union budgétaire. Sa justification va de soi: les décisions économiques d’un État membre ayant une incidence sur les autres, nous devons renforcer notre coordination en matière de politique économique. Nous devons absolument encadrer plus strictement et de manière plus contraignante le processus décisionnel national relatif aux éléments-clés de la politique économique, car c'est l'unique moyen de prévenir les déséquilibres. Si nous avons déjà fait beaucoup dans ce domaine, par exemple avec le paquet de six mesures législatives (le «six-pack») et les recommandations par pays, d’autres mesures sont indispensables pour faire correspondre incitations ciblées et conditions spécifiques et pour inscrire l’union économique et monétaire véritablement dans la durée. Pour obtenir des résultats durables, il nous faut nous doter d’une véritable gouvernance économique communautaire ainsi que d’une capacité budgétaire communautaire crédible. Nous n’avons pas besoin d'institutions distinctes ou de nouvelles institutions pour y parvenir. Bien au contraire, pour que les choses bougent rapidement et avec efficacité, la meilleure approche consiste à se servir des institutions existantes: la Commission européenne en tant qu’autorité européenne indépendante, sous le contrôle du Parlement européen en tant que représentation parlementaire au niveau européen. C'est dans un tel cadre que, chemin faisant, les étapes d'une véritable mutualisation de l'amortissement et de l'émission de la dette pourront être franchies. Ainsi, c’est en associant réformes économiques et véritable union économique et 2013 90/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 monétaire que nous pourrons aller de l’avant. La Commission publiera avant l'hiver un projet de renforcement de l’union économique et monétaire. Ce projet sera présenté à votre assemblée, parce que ces questions doivent être débattues avec et par les élus du peuple. Parallèlement, il alimentera le débat lors du Conseil européen de décembre que préparera le rapport que le président du Conseil européen, moi-même et les présidents de la Banque centrale européenne et de l’Eurogroupe avons été invités à établir. Notre projet définira les outils et les instruments requis, et exposera les options législatives pouvant leur donner effet, de la coordination des politiques à la capacité budgétaire, en passant par l'amortissement de la dette. Et, au besoin – en cas de dette publique garantie solidairement – il présenterait les modifications à apporter au traité, car certains de ces changements nécessiteront de modifier le traité. Ce projet englobera ainsi ce que nous devons accomplir non seulement dans les semaines et mois qui viennent, mais aussi dans les prochaines années. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, b) Union politique: En définitive, la crédibilité et le caractère durable de l’Union économique et monétaire dépendent des institutions et de la construction politique qui la sous-tendent. C’est pourquoi l’Union économique et monétaire soulève la question d’une union politique et de la démocratie européenne sur laquelle elle doit être fondée. Si nous voulons faire de l’union économique et monétaire une réussite, il nous faut alors allier ambition et planification rigoureuse. Nous devons prendre des mesures concrètes sans attendre, avec l'union politique comme ligne d'horizon. Je souhaiterais que se développe un espace public européen où les questions européennes puissent être examinées et débattues d’un point de vue européen. En effet, essayer de résoudre des problèmes européens en y apportant uniquement des solutions nationales ne rime à rien, et nous ne pouvons continuer ainsi. Ce débat doit avoir lieu dans nos sociétés et parmi nos citoyens. Mais aujourd’hui, je souhaiterais lancer un appel particulier aux intellectuels européens. Aux hommes et femmes de culture, pour les inviter à prendre part à ce débat sur l’avenir de l’Europe. Et je m’adresse à vous, à votre assemblée qui incarne la démocratie européenne. Nous devons renforcer le rôle du Parlement européen au niveau européen. 2013 91/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 Et il nous faut promouvoir une complémentarité et une coopération véritables entre le Parlement européen et les parlements nationaux. Ce qui sera également impossible sans un renforcement des partis politiques européens. En effet, il existe très souvent un véritable clivage entre les partis politiques dans les capitales et les partis politiques européens ici à Strasbourg. Voilà qui explique pourquoi, force est de le reconnaître, le débat politique semble bien trop souvent se limiter aux partis nationaux. Même lors des élections européennes, le nom des partis politiques européens ne figure pas sur l’urne, on assiste à un débat national entre partis politiques nationaux. C’est pourquoi nous devons revaloriser les partis politiques européens. Je suis fier d’annoncer que la Commission a adopté aujourd’hui une proposition en ce sens. Le débat politique paneuropéen pourrait ainsi être renforcé si les partis politiques européens présentaient leur candidat au poste de président de la Commission dès les élections du Parlement européen de 2014. Cela peut se faire sans modification du traité. Il s’agirait d’une mesure importante permettant de donner tout son poids à la possibilité d’un choix européen qu'offrent ces élections. J’invite dès lors tous les partis politiques à s’engager en ce sens et à renforcer ainsi la dimension européenne de ces élections européennes. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, Une véritable Union politique européenne exige que nous concentrions l’action européenne sur les questions réellement déterminantes qui doivent être traitées au niveau européen. Soyons francs: tous les points ne peuvent pas être traités en priorité simultanément. Une certaine dose d’autocritique est probablement la bienvenue en la matière. Une bonne intégration consiste à réexaminer sans préjugés le niveau auquel doit se situer l’action pour être la plus efficace. La subsidiarité constitue un principe démocratique essentiel et doit être mise en pratique. Une union politique exige également que nous renforcions les fondements sur lesquels repose notre Union: le respect de nos valeurs fondamentales, de l’État de droit et de la démocratie. Or, ces derniers mois, l’État de droit et la démocratie ont été mis à mal dans plusieurs de nos États européens. Le Parlement européen et la Commission ont été les premiers à tirer la sonnette d’alarme et à jouer un rôle décisif pour contenir ces développements préoccupants. Mais ces situations ont aussi mis en évidence les limites de notre système institutionnel. Il importe que nous nous dotions d’un arsenal mieux conçu qui ne se borne pas à l’alternative entre le pouvoir d'influence de la persuasion politique et l'«option nucléaire» de l'article 7 du traité. Notre attachement au respect de l’État de droit est également ce qui motive notre projet de 2013 92/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 création d’un Parquet européen, comme le prévoient les traités. Nous présenterons prochainement une proposition à cette fin. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, Une union politique implique aussi de redoubler d’efforts pour jouer notre rôle sur la scène mondiale. Partager sa souveraineté en Europe, c’est en réalité renforcer sa souveraineté dans un monde globalisé. Dans le monde d’aujourd’hui, la taille est déterminante. Et les valeurs font la différence. Voilà pourquoi le message de l’Europe doit être un message de liberté, de démocratie, de primauté du droit et de solidarité, soit nos valeurs européennes. Plus que jamais, nos citoyens et le nouvel ordre mondial ont besoin d’une Europe active et influente. Il importe que nous réussissions, pas seulement pour nous, mais pour le reste du monde. L'Europe doit se battre pour défendre ses valeurs et sa conviction que les droits de l’homme ne sont pas un luxe réservé au monde développé mais que ces valeurs ont réellement vocation universelle. La situation dramatique en Syrie nous rappelle que nous ne pouvons pas nous cantonner dans un rôle passif d’observateurs. Une nouvelle Syrie, démocratique, doit voir le jour. Et notre responsabilité commune est engagée: nous avons un rôle à jouer dans ce processus. Et nous devons travailler avec les acteurs de l’ordre mondial qui ont également besoin de coopérer à cet objectif. Le monde a besoin d’une Union européenne qui demeure en première ligne en matière de développement et d'aide humanitaire, qui défende les économies ouvertes et combatte le protectionnisme, qui soit à la pointe de la lutte contre le changement climatique. Le monde a besoin d’une Europe qui soit en mesure de déployer des missions militaires afin de stabiliser les zones de crise: nous devons pour cela entreprendre un relevé exhaustif des capacités européennes et commencer à établir des plans de défense qui soient réellement collectifs. Oui, nous devons renforcer notre politique étrangère et de sécurité commune et notre approche commune en matière de défense, car ensemble, nous avons le pouvoir et la dimension nécessaires pour peser sur le monde et tenter de le rendre plus équitable et plus respectueux des règles juridiques et des droits de l’homme Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, 4. Un nouveau traité, la dimension 17/27 et l’élargissement du débat public 2013 93/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 a) Une fédération d’États-nations – Un nouveau traité Pour parvenir à une union économique et monétaire véritable et approfondie, à une union politique dotée d’une politique étrangère et de défense cohérente, il est indispensable que l'Union européenne telle que nous la connaissons évolue. N’ayons pas peur des mots: nous devrons évoluer vers une fédération d'États-nations. Voilà de quoi nous avons besoin, tel est notre horizon politique. C’est cette ambition qui doit guider nos travaux au cours des années à venir. Aujourd’hui, j’en appelle donc à une fédération d'États-nations. Pas à un super-État, mais à une fédération démocratique d’États-nations capable de régler nos problèmes communs en partageant la souveraineté d'une manière qui permette à chaque pays et à chaque citoyen d’être mieux équipé pour maîtriser son propre destin. Une Union qui soit aux côtés des États membres, et pas une Union qui se dresse contre eux. À l’ère de la mondialisation, la mise en commun des souverainetés n’équivaut pas à une perte mais à un gain de pouvoir. J’ai parlé à dessein d’une fédération d’États-nations parce qu’en cette période troublée, angoissante, nous ne pouvons pas abandonner la défense de la nation aux seuls nationalistes et populistes. Je crois en une Europe dont les citoyens sont fiers de leur nation mais également fiers d'être Européens et fiers de nos valeurs européennes. Et pour créer cette fédération d’États-nations, nous ne pourrons pas faire l'économie d’un nouveau traité. Je ne dis pas cela à la légère. Nous savons tous combien il est devenu difficile de modifier les traités. La préparation sera cruciale. Les débats sur les modifications des traités ne doivent pas nous faire perdre de vue ce qu’il est possible et indispensable de faire dès aujourd’hui, ni nous faire prendre du retard. Il est déjà possible d'engager une union économique et monétaire véritable et approfondie dans le cadre des traités actuels, mais elle ne pourra être finalisée qu’en modifiant les traités. Alors, commençons dès à présent, mais fixons-nous l’avenir pour horizon dans les décisions que nous prenons aujourd’hui. Nous ne devons pas non plus commencer par changer les traités. Il y a lieu d’abord de définir les politiques dont nous avons besoin et les instruments qui sont nécessaires à leur mise en œuvre. Alors seulement, nous serons en mesure de dire quels outils nous manquent et quelles solutions il convient d'adopter. Il s’agira ensuite de mener un large débat à travers toute l’Europe, qui doit intervenir avant la convocation d’une convention et d’une conférence intergouvernementale: un débat de dimension authentiquement européenne. 2013 94/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 L’époque d’une construction européenne qui se faisait avec l’accord tacite des citoyens est révolue. L’Europe ne peut plus se permettre d’être technocratique, bureaucratique ou même diplomatique. L’Europe doit être toujours plus démocratique. Le rôle du Parlement européen est essentiel. Voilà pourquoi les élections européennes de 2014 peuvent se révéler décisives. D’ici aux prochaines élections européennes de 2014, la Commission présentera son ébauche pour les contours de la future Union européenne. Et nous présenterons des idées concrètes pour modifier les traités, dans un délai qui permettra d'organiser un débat. Nous exposerons les objectifs à atteindre, la manière dont les institutions peuvent rendre l’Union européenne plus ouverte et plus démocratique, les prérogatives et les instruments pour la rendre plus efficace, et le modèle à suivre pour en faire l’Union des peuples de l’Europe. Je suis persuadé que nous avons besoin d’un véritable débat et quel meilleur forum pour débattre de notre avenir et de nos objectifs que ces élections au niveau européen? b) La dimension 17/27 Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, Il ne s’agit pas d’un simple débat sur la zone euro et sa composition actuelle. Si une plus grande intégration est indispensable pour la zone euro et ses membres, le projet de la monnaie unique doit néanmoins rester ouvert à tous les États membres. Je le dis très clairement: nous n’avons pas besoin en Europe de nouveaux murs qui nous divisent! Car l’Union européenne sera plus forte dans son ensemble si elle préserve l’intégrité de son marché unique, de ses membres et de ses institutions. On n’obligera personne à embarquer et personne ne sera obligé de rester à quai. Ce ne sont pas les plus lents ou les plus réticents qui donneront le tempo. Voilà pourquoi nos propositions se fonderont sur l’Union existante, sur ses institutions et sur la méthode communautaire. Que les choses soient claires: il existe une seule Union européenne, une seule Commission et un seul Parlement européen. Si l’on veut plus de démocratie, plus de transparence et plus de responsabilité, l’on ne peut pas multiplier à l’infini les institutions au risque de rendre l’Union européenne plus complexe, moins cohérente et moins lisible qu’elle ne l’est, et d’entraver sa capacité d’action. c) L’élargissement du débat public Voilà, Mesdames et Messieurs les députés, l’ampleur des décisions que nous allons devoir prendre. C’est pourquoi je considère que nous devons mener une discussion franche avec les citoyens européens au sujet de notre avenir. Sur les conséquences éventuelles d’une fragmentation, car nos actes peuvent avoir des 2013 95/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 conséquences inattendues et, parfois, une fragmentation non désirée peut se produire. Et sur ce que nous pouvons réaliser ensemble à condition que les décideurs ne cèdent pas au localisme national. Nous devons utiliser les élections de 2014 pour mobiliser toutes les forces proeuropéennes et nous ne pouvons pas laisser les populistes et les nationalistes dicter leur agenda pessimiste. J’appelle toutes celles et tous ceux qui se reconnaissent dans l’Europe à se lever et à prendre l’initiative dans ce débat. Car si un plus grand danger encore nous guette que le scepticisme des anti-Européens, c’est bien l’indifférence ou le pessimisme des pro-Européens. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, 5. Conclusion: est-ce réaliste? Pour résumer, nous avons besoin d’un pacte décisif pour achever l’Union économique et monétaire, fondé sur un engagement politique en faveur d’une Union européenne plus forte. Je vous propose d'agir dans l’ordre suivant, très clair: Premièrement, nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour stabiliser la zone euro et accélérer la croissance dans l’ensemble de l’Union européenne. La Commission présentera toutes les propositions nécessaires pour créer une union bancaire, dans le respect des dispositions actuelles des traités. Et nous avons déjà commencé à le faire aujourd’hui avec la création de l’autorité de surveillance unique. Deuxièmement, nous présenterons, cet automne encore, notre projet détaillé pour une union économique et monétaire véritable et approfondie, y compris ses instruments politiques. Ici encore, nous présenterons toutes ces propositions dans le respect des dispositions actuelles des traités. Et troisièmement, là où il ne sera pas possible d’avancer dans le cadre des traités actuels, nous ferons des propositions concrètes pour apporter les modifications nécessaires aux traités avant les prochaines élections européennes de 2014, notamment des éléments destinés à renforcer la démocratie et la responsabilité. Voilà notre projet: un projet par étapes mais avec une vraie ambition pour l’avenir et une fédération en tant qu’horizon pour l’Europe. Nombreux sont ceux qui jugeront ce programme trop ambitieux, irréaliste. Mais je vous pose la question: est-il réaliste de poursuivre sur la voie actuelle? Est-il réaliste de voir ce à quoi nous assistons aujourd’hui dans de nombreux pays européens? Est -il réaliste de voir les contribuables payer pour les banques, puis être forcés de céder leur maison à ces mêmes banques parce qu’ ils ne peuvent plus payer leur crédit? Est-il réaliste de voir que plus 2013 96/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 de 50 % des jeunes sont au chômage dans certains de nos États membres? Est-il réaliste de continuer à vouloir éteindre les incendies et de simplement accumuler les erreurs et les solutions peu convaincantes? Est-il réaliste de penser que nous pouvons gagner la confiance des marchés lorsque nous avons si peu confiance les uns dans les autres? Pour moi, c’est cette réalité qui n’est pas réaliste et qui ne peut plus durer. La voie réaliste est celle qui va nous rendre plus forts et plus unis. Le réalisme consiste à hisser notre ambition au niveau de nos défis. Nous pouvons y arriver! Envoyons à notre jeunesse un message d'espoir. Et si parti pris il y a, que ce soit un parti pris d’espoir. Soyons fiers d’être Européens. Fiers de notre richesse et de notre diversité culturelles. En dépit de nos problèmes actuels, nos sociétés comptent parmi les plus humaines et les plus libres du monde. Nous n’avons pas à rougir de notre démocratie, de notre économie de marché sociale et de nos valeurs. En offrant un niveau de cohésion sociale élevé, en respectant les droits de l’homme, la dignité humaine et l'égalité entre les hommes et les femmes, et en protégeant l'environnement, les sociétés européennes, malgré tous leurs problèmes, comptent parmi les plus honorables de toute l’histoire de l'humanité. Je pense que la fierté est de mise. Dans nos pays, les jeunes filles ne vont pas en prison parce qu’elles critiquent leurs dirigeants dans des chansons. Dans nos pays, les citoyens sont libres et fiers de cette liberté: ils savent ce que cette liberté veut dire. Dans bon nombre de nos pays, notamment les États qui ont adhéré le plus récemment à l’Union, l’expérience de la dictature et du totalitarisme est toujours présente dans les mémoires. Les générations précédentes ont relevé de plus grand défis. Aujourd’hui, c’est à la nôtre de montrer qu’elle est à la hauteur de la tâche. Le moment est venu pour tous les pro-Européens d’oublier les bonnes vieilles recettes du passé et d’affronter l’avenir. L’Union européenne a été construite pour préserver la paix. Aujourd’hui, cela passe par l’adaptation de notre Union aux défis de la mondialisation. Voilà pourquoi nous avons besoin d’une nouvelle philosophie pour l’Europe et d’un pacte décisif pour l’Europe. Voilà pourquoi nous devons nous laisser guider par les valeurs qui sont au cœur de l’Union européenne. L’Europe, j'en ai la conviction, a une âme et cette âme peut nous donner la force et la détermination de faire notre devoir. Vous pouvez compter sur la Commission européenne. Je compte sur vous, sur le Parlement européen. Ensemble, en tant qu’institutions communautaires, nous allons bâtir une Europe meilleure, plus solide et plus soudée, une Union des citoyens pour l’avenir de l’Europe, mais aussi pour l’avenir du monde. Je vous remercie de m'avoir écouté ». 2013 97/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 Annexe 2 : liste des entretiens – Entretien avec Pascale Turquet, maître de conférences en Sciences économiques à l'université de Rennes 2, spécialiste des systèmes de protection sociale, le 7 mars 2013 – Entretien avec Stephen Hugues, membre du Parlement européen, le 13 mars 2013 – Entretien avec Edouard Gaudot, conseiller politique au Parlement européen, le 14 mars 2013 – Entretien avec Alejandro Cercas, membre du Parlement européen, le 14 mars 2013 – Entretien avec Agnès Le Brun, membre du Parlement européen, le 15 mars 2013 – Entretien téléphonique avec Sylvie Goulard, le 25 mars 2013 2013 98/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 Index Alice Krieg-Planque...................................................................................................35, 55, 73 Andy Smith...............................................................................................................15, 53, 61 Antoine Schwartz..................................................................................................................10 Bruno Pallier.........................................................................................................................10 Cécile Robert........................................................................................................................23 Christian Hen et Jacques Léonard........................................................................................67 Christian Le Bart.....................................................................................13, 31, 32, 34, 47, 54 Corinne Erhel........................................................................................................................10 Erwing Goffman........................................................................................................14, 26, 52 François Denord...................................................................................................................10 François Foret.................................................................................................................24, 72 George Stigler.......................................................................................................................70 Helen Drake....................................................................................................................16, 53 Jacques Lagroye..............................................................................................................26, 40 Jean-Claude Barbier.............................................................................................................66 Jean-Claude Thoenig......................................................................................................53, 73 John Kingdom.................................................................................................................25, 30 Leadership..............................................................................................................................9 Léon Festinger................................................................................................................64, 74 Max Weber...................................................................................................14, 15, 51, 52, 70 Nicolas Jabko..........................................................................................16, 26, 29, 38, 50, 72 Nicolas Jakbo........................................................................................................................27 Olivier Borraz..................................................................................................................43, 75 Patrick Charaudeau........................................................................................................34, 75 Pierre Bourdieu...................................................................................8, 12, 13, 37, 41, 43, 44 2013 99/100 Légitimer par le discours : Fanny Jaffrès discours sur l'état de l'UE par Barroso le 12.09.12 Roger Chartier......................................................................................................................60 Traité sur l'Union européenne..............................................................................................13 Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne..............................................18, 19, 25 2013 100/100