Les nouvelles figures de migrants en Espagne

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Les nouvelles figures de migrants en Espagne
REVUE BIMESTRIELLE
CENTRE D'INFORMATION
ET D'ÉTUDES
SUR LES MIGRATIONS
INTERNATIONALES
L'immigration arabe
dans le monde
Les nouvelles
figures de migrants
en Espagne
Vol. 21, n° 125
septembre - octobre 2009
La situation migratoire en Espagne
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ÉVOLUTION DE LA SITUATION
MIGRATOIRE DE L’ESPAGNE DE 1991
À NOS JOURS
Juan David SEMPERE SOUVANNAVONG *
Au début de l’année 2000, un rapport publié par la Division de la
population de l’ONU indiquait que l’Espagne aurait besoin, entre 2000
et 2050, d’environ 12 millions d’immigrés (240 000 par an) pour assurer
le maintien de sa force de travail1. Or, dans les années 1990, le nombre
de permis de séjour délivrés2 s’étant accru d’environ 40 000 par an
en moyenne, ces estimations semblaient absolument extravagantes. Et
pourtant, entre le 31 décembre 1999 et le 30 juin 2009 le nombre de
permis de séjour a augmenté de 402 512 unités par an, en moyenne
annuelle (voir tableau 1). Les estimations qui semblaient exagérées se
sont avérées insuffisantes face à une croissance sans précédent dans l’histoire de l’immigration de travail.
La modernisation politique, socioéconomique et démographique de
l’Espagne s’est déroulée en à peine une génération. C’est dans le contexte d’une transition extrêmement rapide que nous devons comprendre
le changement vertigineux qui s’opère dans la mobilité et les migrations.
*
Enseignant chercheur, Département de géographie humaine, Université d’Alicante (Espagne) ;
chercheur associé à MIGRINTER, Université de Poitiers.
Cette recherche est réalisée dans le cadre du projet “La reagrupación familiar de los inmigrantes
africanos y latinoamericanos en la España mediterránea” (Ref. CSO2008-01796/GEOG) financé
entre 2009 et 2011 par le ministère espagnol des Sciences et de l’Innovation et dirigé par
Vicente Gozálvez Pérez.
1.
Cf. PIQUER, Isabel, “España necesitará 12 millones de inmigrantes de aquí al año 2050, según
la ONU”, El País du 7-1-2000.
2.
Sauf indication contraire, les chiffres se réfèrent toujours au nombre de permis de séjour (étrangers
en situation régulière) publiés par le secrétariat d’État à l’Immigration et l’Émigration dans
l’Anuario estadístico de inmigración (http://extranjeros.mtin.es/es/InformacionEstadistica) qui contient
aussi des données sur les travailleurs, les étudiants, les visas, les demandeurs d’asile et les naturalisations. D’autres sources statistiques importantes aussi bien en termes de stock que de flux
sont le padrón (voir note 27), les recensements de 1991 et 2001, les Encuestas de Variaciones
Residenciales et l’enquête nationale sur les immigrés de 2007, accessibles sur le site de l’Instituto Nacional de Estadística (http://www.ine.es/inebmenu). Enfin, mentionnons les nombreuses statistiques du ministère espagnol du Travail et de l’Immigration accessibles sur http://www.mtin.es/
es/estadisticas
Migrations Société
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Dossier : Les nouvelles figures de migrants en Espagne
Depuis 19593, l’Espagne est passée d’une société vivant en autarcie et
isolée sur le plan international à une société extraordinairement ouverte où
cohabitent des Espagnols de plus en plus dynamiques en ce sens, des
millions de touristes, des retraités occidentaux, des étudiants étrangers
ainsi que des travailleurs et leur famille en provenance aussi bien des
pays occidentaux4 que de pays plus pauvres.
La présente contribution porte sur l’aspect le plus frappant de ce processus, c’est-à-dire l’immigration de travail, en articulant deux moments
où elle s’accélère, le début et la fin des années 1990.
Les antécédents
Contrairement à une partie de l’Europe, au cours des décennies qui
suivent la Deuxième Guerre mondiale, l’Espagne ne devient pas un pays
d’accueil et d’immigration. L’accueil se limite à quelques milliers d’Espagnols, ou d’étrangers d’origine espagnole, qui entre 1955 et 1970 retournent dans leur pays après le processus de décolonisation, notamment d’Algérie et du protectorat espagnol du Maroc, ainsi qu’à l’arrivée
de plusieurs milliers de Latino-Américains, majoritairement exilés, qui
après le retour de la démocratie en 1975 s’installent ou transitent par
l’Espagne fuyant les dictatures latino-américaines. Telle est, avec l’afflux
des travailleurs qualifiés occidentaux et des millions de touristes européens, la réalité visible et prédominante de la présence étrangère au
cours de ces décennies.
Mais cette réalité doit être nuancée car dans les années 1980, des
dizaines, voire des centaines de milliers de travailleurs non déclarés
contribuent à sortir le pays de la crise économique de la décennie
1975-1985 : des milliers de Portugais dans les provinces de l’Ouest,
les aides ménagères philippines qui deviennent une mode au sein de la
bourgeoisie urbaine et surtout des dizaines de milliers de Maghrébins
et d’Africains qui, après la fermeture des frontières européennes en
1973-1974, s’installent progressivement à Madrid et en Catalogne, notamment dans les régions littorales au nord de Barcelone où ils se consacrent à l’agriculture. N’ayant pas besoin de visa, la plupart de ces tra-
3.
En 1959 le gouvernement approuve le Plan national de stabilisation économique qui marque le
début de l’ouverture économique de l’Espagne ainsi que la reprise de l’émigration économique
après 20 ans d’isolement.
4.
Par pays occidentaux nous entendrons dans ce texte les pays d’Europe centrale et d’Europe de
l’Ouest, ainsi que les États-Unis, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande.
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vailleurs détenteurs d’un passeport résident en Espagne en tant que touristes et quittent le pays tous les trois mois5.
Malgré cette réalité, il n’y a pas de conscience sociale, politique ou
médiatique de l’existence d’une immigration de travail puisque les travailleurs, qui passent leur temps entre le domicile et le lieu de travail, sont
trop peu visibles. La presse n’en parle pas, et jusqu’en 1991 il n’y avait
pas de chiffres accessibles, fiables et systématiques relatifs aux étrangers
dont le nombre, d’après des rapports et des études divergents, varie
entre 250 000 et 750 000, avec une majorité d’Occidentaux. Aucune
politique de gestion des flux migratoires n’est par ailleurs envisagée, la
circulation étant relativement libre, limitée seulement pour des raisons
politiques et diplomatiques aux ressortissants des pays socialistes. Les
priorités accordées pour l’accès à la résidence, au travail ou à la nationalité dépendent quant à elles des liens historico-culturels entre l’Espagne
et les pays d’origine.
Les années 1970 et 1980 sont marquées par une forte diminution
de l’exode rural vers les zones économiquement plus dynamiques, le
retour de centaines de milliers d’émigrés espagnols, l’intégration de la
femme sur le marché du travail et une situation sociodémographique qui
n’exige en rien de la main-d’œuvre étrangère. Les différentes lois promulguées relatives aux étrangers6 révèlent une préoccupation centrée sur
la concurrence des travailleurs qualifiés occidentaux et les problèmes
éventuels d’ordre public générés par les mafias, des touristes ivres ou
des résidents étrangers.
Dans le contexte de l’entrée de l’Espagne dans la Communauté économique européenne le 1er janvier 1986, une nouvelle loi relative aux ressortissants étrangers — loi organique 7/1985 du 1er juillet 1985 — entre
en vigueur. Elle comporte une procédure de régularisation (d’autres avaient
déjà eu lieu en 1968 et en 1978) au cours de laquelle sont présentées,
après trois prolongations, 43 815 demandes dont 38 181 sont acceptées.
Bien que les Marocains soient les plus nombreux, l’image de l’étranger
continue d’être celle du touriste ou du travailleur qualifié occidental.
5.
Cf. RIUS SANT, Xavier, El libro de la inmigración en España, Córdoba : Editorial Almuzara, 2007,
412 p. (voir p. 41).
6.
Plusieurs lois relatives à l’immigration se succèdent depuis les années 1960 : le décret
1870/1968 du 27 juillet 1968, le décret 522/1974 du 14 février 1974, le décret royal 1874/1978 du
2 juin 1978 et le décret royal 1031/1980 du 3 mai 1980. Tous les textes indiqués sont
accessibles en espagnol sur internet sur le site http://www.boe.es
Migrations Société
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Dossier : Les nouvelles figures de migrants en Espagne
La rupture des années 1990
Le début des années 1990 marque une rupture dans le nombre et la
typologie des étrangers résidant en Espagne. Après un écrémage statistique, les chiffres indiquent une nouvelle tendance, le nombre de permis
de séjour augmentant d’année en année7. Bien que les variations dans les
politiques d’octroi des permis de séjour8 aient une influence sur cette
évolution, il est évident qu’au cours de cette période s’opère un changement de rythme, puisqu’il n’est plus question de dizaines mais de
centaines de milliers de travailleurs étrangers. Toutefois, la rupture décisive est qualitative : la prise de conscience politique et médiatique (mais
aussi académique) du phénomène ainsi que des événements qui en découlent. Au milieu des années 1990, un débat a lieu au Congrès à l’issue
duquel il est demandé au gouvernement de présenter un rapport relatif aux immigrés en situation irrégulière et aux demandeurs d’asile. Après
la présentation du rapport et des mesures qu’il propose, le Congrès
approuve une proposition de résolution9 qui deviendra la feuille de route
de la politique d’immigration et d’intégration des années suivantes10.
Sur le plan administratif et institutionnel, la proposition de résolution
comporte des modifications importantes avec la création, en octobre
1991, des Bureaux uniques pour les ressortissants étrangers et d’une
commission interministérielle : la Direction générale des migrations.
À un autre niveau, il faut souligner l’évolution de la politique des visas
qui, depuis les années 1960, était marquée par des considérations politiques et non migratoires11. À partir de 1991, dans la perspective de l’adhésion de l’Espagne à l’accord de Schengen (5 juin 1991), le visa est imposé à un nombre croissant de ressortissants étrangers, à commencer par
les Maghrébins (15 mai 1991), qui constituent de loin le principal groupe
7.
Nombre de permis de séjour délivrés en Espagne (Européens entre parenthèses) d’après
l’Anuario de migraciones de 2000 : 163 469 (102 702) en 1975, 180 559 (118 372) en 1980,
240 173 (158 126) en 1985, 405 550 (270 022) en 1990, 358 916 (180 735) en 1991, 400 676
(197 522) en 1992, 483 457 (250 007) en 1993, 460 511 (238 837) en 1994, 498 704 (255 702) en
1995. Pour les années postérieures, voir le tableau 1, pp. 56-57.
8.
Entre les procédures de régularisation de 1985-1986 et de 1991, le nombre de permis de séjour
délivrés augmente peu car il n’existe aucun moyen ordinaire d’obtenir des papiers. En revanche,
l’exemption de visa facilite l’entrée en tant que touriste, d’où un nombre important de personnes en
situation irrégulière.
9.
En Espagne, la proposición no de ley est une recommandation proposée au vote par un groupe
parlementaire en vue de demander au gouvernement d’agir dans une certaine direction. Il s’agit
de l’équivalent des “résolutions” dans le système français (article 34-1 de la Constitution).
10. Cf. RIUS SANT, Xavier, El libro de la inmigración en España, op. cit., p. 91.
11. L’obligation de visa concernait plutôt les pays dits “socialistes”.
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d’étrangers en Espagne en termes numériques12. Au moyen des visas,
l’Espagne prend en main le contrôle des entrées, décision suivie par l’apparition des pateras13 dans le détroit de Gibraltar. La comparaison des
chiffres montre que cette forme d’arrivées n’a jamais été le vecteur principal des entrées d’étrangers en Espagne, mais qu’elles sont devenues un
facteur de sensibilisation, voire d’alerte sociale pour certains avec les
images choquantes des pateras et d’immigrés morts qui font leur apparition dans les médias.
Par ailleurs, suivant la proposition de résolution, une régularisation
extraordinaire est organisée entre le 10 juin et le 10 décembre 1991. Les
candidats à la régularisation doivent disposer d’une promesse d’embauche
et être arrivés en Espagne avant le 15 mai 1991. Sur les 135 393 demandes présentées, 128 068 sont prises en compte dont 109 135 sont acceptées14. Ce processus, plus rodé, a fait l’objet d’une plus grande publicité que le précédent et a constitué un pas de plus dans la prise de
conscience des Espagnols face au phénomène et dans la “normalisation” de l’image de l’étranger puisque les Marocains sont à nouveau
les premiers concernés par cette régularisation. Entre le 23 avril et le
23 août 1996, en pleine transition entre le gouvernement du Parti socialiste et celui du Parti populaire (PP) conservateur, l’entrée en vigueur du
nouveau texte d’application de la loi 7/1985 (décret royal 155/1996
du 2 février 1996) donne lieu à une nouvelle régularisation, limitée aux
étrangers présents en Espagne avant le 1er janvier 1996 et ayant déjà eu
auparavant un permis de séjour.
Une autre nouveauté décisive découlant de la proposition de résolution est la mise en place d’une politique visant à canaliser et à organiser les flux d’immigration légale en fonction des besoins de maind’œuvre et de la capacité d’absorption de la société. C’est le système
des quotas (ou contingents) qui commence à s’appliquer à partir de 1993.
L’Espagne devient le premier pays d’Europe qui instaure une procédure
ordinaire d’entrée légale de travailleurs. Chaque année, syndicats et entrepreneurs se réunissent pour définir les quotas de travailleurs étrangers
autorisés à entrer en Espagne par province et par secteur économique.
Les travailleurs font une demande depuis leur pays d’origine puis solli12. Cf. LÓPEZ GARCÍA, Bernabé (bajo la dirección de), Atlas de la inmigración marroquí en España,
Madrid : Ministerio de Asuntos Sociales, 2004, 527 p.
13. Petites embarcations à fond plat et sans quille. Le terme est devenu un symbole pour désigner
les embarcations de fortune utilisées par les migrants.
14. Cf. ARAGÓN BOMBÍN, Raimundo ; CHOZAS PEDRERO, Juan, La regularización de los inmigrantes
durante 1991-1992, Madrid : Ministerio de Trabajo y Seguridad Social, 1993, 471 p. (voir p. 80).
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Dossier : Les nouvelles figures de migrants en Espagne
citent le visa d’entrée lorsqu’ils sont admis. Une fois en Espagne, ils obtiennent un permis de travail. Pourtant, le manque d’expérience entraîne
l’échec de cette mesure visant à faire venir des travailleurs puisque seuls
5 220 emplois sur les 10 500 proposés sont pourvus. À partir de 1994,
les quotas peuvent être remplis par des immigrés en situation irrégulière déjà présents en Espagne. S’ils ne sont pas exemptés de visa, il
leur est demandé, pour sauver les apparences, d’en faire la demande
dans leur pays d’origine ou, occasionnellement, auprès des consulats espagnols au Portugal ou en France. De ce fait, le système des quotas fonctionne de facto comme une régularisation annuelle et fait de l’Espagne
le seul pays européen à offrir une possibilité annuelle de régularisation
in situ. Jusqu’en 1999, 143 161 personnes obtiennent leur permis de
séjour15. Nombre d’entre elles sont entrées de manière irrégulière et travaillent déjà en Espagne.
En raison de l’essor économique, des difficultés à contrôler les frontières, des régularisations et du système des quotas utilisé pour procéder à des “mini-régularisations”, l’Espagne devient un pays accessible,
où il y a du travail et où il est possible d’être régularisé. Le gouvernement
ne peut ni ne veut durcir les mesures en raison de leur coût économique et
politique. En effet, ce système intéresse les entrepreneurs, tandis que
les syndicats et la société civile, par le biais des ONG, soutiennent cette
politique discrétionnaire et du fait accompli.
Le fond de la question est que l’économie continue d’être basée sur
des secteurs d’activité (agriculture, bâtiment, services aux personnes,
tourisme...) qui requièrent une main-d’œuvre à bas coût et flexible, ne
serait-ce que pour pourvoir les emplois que les Espagnols, en pleine
ascension sociale, laissent vacants. Aux questions économiques aussi bien
conjoncturelles que structurelles s’ajoute la situation démographique. À
partir de 1973-1975 le nombre de naissances dégringole d’année en
année, ce qui à partir des années 1990 se traduit mécaniquement par
un effondrement du nombre de jeunes nés en Espagne qui arrivent sur
le marché du travail (voir le graphique 1). Cette certitude, qui se maintiendra jusqu’en 2015, conjuguée avec l’ascension socioéconomique de
la population et la spirale de la concurrence, expliquent le besoin structurel de travailleurs étrangers dans un nombre croissant de secteurs
d’activité et de régions. Dans un premier temps, il s’agit de régions et
de niches d’emploi spécifiques telles que l’agriculture intensive ou les
15. D’après les Anuarios de migraciones du ministère espagnol du Travail et des Affaires sociales
de l’époque.
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services ménagers, auxquelles s’ajoutent très vite des secteurs tels que les
transports, la restauration, le bâtiment, la petite industrie...
Graphique 1 : Pyramide des âges de l’Espagne en 2009
Âge
Années
80
1929
70
1939
60
1949
50
1959
40
1969
30
1979
20
1989
10
1999
0
2009
500 000 400 000 300 000 200 000 100 000
N o m b r e
0
d e
100 000
200 000
300 000
400 000
500 000
p e r s o n n e s
Source : Instituto Nacional de Estadística (INE), Padrón municipal de habitantes au 1er janvier 2009,
http://www.ine.es/inebmenu/indice.htm
Dans les années 1990, les travailleurs étrangers se répartissent dans
les grandes villes et sur le littoral méditerranéen suivant un schéma qui
se renforcera avec le temps mais qui ne changera pas trop à l’échelle de
l’État. Le paradoxe apparent est celui d’une forte présence d’étrangers dans beaucoup de zones rurales16, notamment les régions d’agriculture intensive du littoral, qui sont précisément un symbole des migrations
actuelles.
16. Cf. PEDREÑO CÁNOVAS, Andrés, Ruralidad globalizada, sociología de los territorios, de las factorías vegetales, Murcia : Ed. Diego Marín, 2000, 159 p.
Migrations Société
Dossier : Les nouvelles figures de migrants en Espagne
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Tableau 1: Évolution du nombre de permis de séjour au 31 décembre de chaque
année par nationalité (1996-2009)
Pays d’origine
1996
1998
1999
2000
2001
2002
2003
Maroc
77 189
111 100
140 896
161 870
199 782
234 937
282 432
333 770
Roumanie
1 386
2 385
3 543
5 082
10 983
24 856
33 705
54 688
Équateur
2 913
4 112
7 046
12 933
30 878
84 699
115 301
174 289
Colombie
1997
7 865
8 412
10 412
13 627
24 702
48 710
71 238
107 459
Royaume- Uni
68 359
68 271
74 419
76 402
73 983
80 183
90 091
105 479
Italie
21 362
22 638
26 514
29 871
30 862
35 647
45 236
59 745
Allemagne
45 898
49 890
58 089
60 828
60 575
62 506
65 823
67 963
Chine
10 816
15 754
20 695
24 701
28 710
36 161
45 837
56 119
Pérou
18 023
21 233
24 879
27 263
27 888
33 758
39 013
57 593
Portugal
38 316
38 229
42 310
44 038
41 997
42 634
43 309
45 614
Argentine
18 246
17 188
17 007
16 290
16 610
20 412
27 937
43 347
France
33 134
34 308
39 504
43 265
42 316
44 798
46 986
49 196
973
1 673
2 336
3 013
5 244
9 953
15 495
24 369
17 845
20 381
24 256
26 854
26 481
29 314
32 412
36 654
3 172
5 496
6 651
6 517
8 143
11 342
12 817
15 814
Bolivie
955
999
1 148
1 283
1 748
3 344
4 995
7 053
Ukraine
240
434
599
1 077
3 537
9 104
14 861
21 579
7 814
10 507
13 214
16 556
19 165
21 467
24 226
27 323
23 785
Bulgarie
République
Dominicaine
Pologne
Cuba
Algérie
3 706
5 801
7 043
9 943
13 847
15 240
20 081
Brésil
5 694
6 263
7 012
8 120
10 034
10 910
12 902
14 598
Pays-Bas
13 925
14 467
16 144
17 243
16 711
17 488
18 722
20 551
Pakistan
2 471
3 354
4 238
5 126
7 843
14 322
15 584
17 645
Sénégal
3 575
5 328
6 657
7 744
11 051
11 553
14 765
16 889
13 162
Venezuela
6 634
6 188
6 911
7 323
7 986
9 067
10 634
Philippines
11 770
11 357
13 553
13 765
13 160
14 716
15 344
16 589
Étrangers
538 984
609 703
719 647
801 329
895 720 1 109 060
1 324 001
1 647 011
Padrón*
Nés à
l’étranger**
dont
Espagnols
dont
étrangers
Acquisition
de nationalité
542 314
-
637 085
748 954
923 879 1 370 657
1 977 946
2 664 168
1 067 478
-
1 173 767
1 259 054
1 472 458 1 969 270
2 594 052
3 302 440
566 500
-
593 573
594 404
640 832
671 136
704 036
749 073
500 978
-
580 195
664 650
831 626 1 298 133
1 890 017
2 553 367
10 311
13 177
16 384
21 810
26 556
8 433
11 999
16 743
Source : Anuario estadístico de inmigración (de 1996 à 2008) et Rapport trimestriel relatif aux étrangers
munis d’un permis de séjour au 30 juin 2009, Secretaría de Estado de Inmigración y Emigración,
http://extranjeros.mtas.es/es/InformacionEstadistica/
* Le padrón correspond à la situation au 1er janvier, sauf en 1996 où il correspond au 1er mai.
** Ces données proviennent des statistiques du padrón.
Vol. 21, n° 125
septembre – octobre 2009
La situation migratoire en Espagne
57
Variation
386 958
493 114
543 721
648 735
717 416
Roumanie
83 372
192 134
211 325
603 889
718 844
700 618
318 536
19,04
Équateur
221 549
357 065
376 233
395 808
421 527
442 114
224 550
6,50
4,88
Colombie
137 369
204 348
225 504
254 301
274 832
287 417
160 218
8,07
4,58
Royaume- Uni
- 1,20
2004
2005
2006
2007
2008
Maroc
30 juin
2009
Variation
Femmes au 2007-2008 2008-2009
30 juin 2009
(%)
(%)
748 953
288 937
10,59
4,40
Pays d’origine
- 2,54
128 283
149 071
175 870
198 638
219 738
217 097
107 885
10,62
Italie
72 032
84 853
98 481
124 936
139 132
142 298
57 735
11,36
2,28
Allemagne
69 719
71 513
77 390
91 670
102 202
103 707
52 745
11,49
1,47
Chine
71 928
85 745
99 526
119 859
138 558
148 253
68 534
15,60
7,00
Pérou
71 245
82 533
90 906
116 202
130 900
142 975
72 001
12,65
9,22
Portugal
50 955
59 787
72 505
101 818
121 918
122 728
40 459
19,74
0,66
Argentine
56 193
82 412
86 921
96 055
97 277
102 363
49 852
1,27
5,23
France
49 918
52 255
56 170
68 377
78 934
80 851
39 919
15,44
2,43
Bulgarie
République
Dominicaine
Pologne
32 244
56 329
60 174
127 058
144 401
138 426
63 087
13,65
- 4,14
42 928
50 765
58 126
70 775
80 973
84 958
49 538
14,41
4,92
23 617
34 600
48 031
70 850
86 995
85 135
38 584
22,79
- 2,14
Bolivie
11 467
50 738
52 587
69 109
85 427
105 931
60 802
23,61
24,00
9,11
Ukraine
27 461
49 812
52 760
62 409
65 795
71 792
38 219
5,43
Cuba
30 738
36 142
39 755
45 068
49 553
50 829
27 585
9,95
2,58
Algérie
27 532
35 437
39 433
45 825
48 919
51 490
15 966
6,75
5,26
11,36
Brésil
17 524
26 866
30 242
39 170
47 229
52 595
34 534
20,57
Pays-Bas
21 397
23 040
25 958
30 055
33 604
34 156
16 576
11,81
1,64
Pakistan
18 072
28 707
29 668
36 384
39 562
42 703
8 775
8,73
7,94
Sénégal
19 343
27 678
28 560
33 217
34 013
36 742
8 472
2,40
8,02
Venezuela
16 622
25 372
28 188
33 262
36 616
38 977
22 650
10,08
6,45
Philippines
18 185
18 735
21 190
25 051
29 103
30 308
17 917
16,18
4,14
Étrangers
1 977 291 2 738 932
3 021 808
3 979 014
4 473 499
4 625 191
2 143 162
12,43
3,39
Padrón*
Nés à
l’étranger**
dont
Espagnols
dont
étrangers
Acquisition
de nationalité
3 034 326 3 730 610
4 144 166
4 519 554
5 268 762
5 598 691
2 973 707
16,58
6,26
3 693 806 4 391 484
4 837 622
5 249 993
6 044 528
6 418 100
-
-
-
827 287
881 747
942 218
1 037 663
1 126 125
-
-
-
2 906 948 3 564 197
3 955 875
4 307 775
5 006 865
5 291 975
-
-
-
62 339
71 810
84 170
-
-
-
-
786 858
38 335
42 829
Source : Anuario estadístico de inmigración (de 1996 à 2008) et Rapport trimestriel relatif aux étrangers
munis d’un permis de séjour au 30 juin 2009, Secretaría de Estado de Inmigración y Emigración,
http://extranjeros.mtas.es/es/InformacionEstadistica/
* Le padrón correspond à la situation au 1er janvier, sauf en 1996 où il correspond au 1er mai.
** Ces données proviennent des statistiques du padrón.
Migrations Société
58
Dossier : Les nouvelles figures de migrants en Espagne
Les Marocains, qui dépassent définitivement en nombre de permis
de séjour délivrés les Britanniques et les Allemands, enregistrent une
croissance forte et soutenue depuis les années 1980. À la fin des années
1990, avec 199 782 permis de séjour délivrés, ils sont le premier
groupe d’étrangers, suivi de loin par les cinq principales nationalités
communautaires, puis par des nationalités extracommunautaires dont
aucune n’atteint 30 000 permis de séjour délivrés (tableau 1). En raison
de leur situation économique, de leur proximité géographique et de la
connaissance du pays, qu’ils traversent depuis des décennies pour se
rendre en France, les Marocains deviennent l’image de l’immigré par
excellence, s’imposant de loin parmi les étrangers et s’affirmant comme
une altérité visible et logique en Espagne.
Entre-temps, le nombre de résidents européens (retraités ou en activité) continue de croître, tout comme l’entrée de touristes, qui passent de
34,085 millions en 1990 à 47,898 millions en 2000 et 59,193 millions en
200717.
Une nouvelle accélération à la fin des années 1990
Une nouvelle accélération survient fin 1999, un saut qualitatif et
quantitatif qui rend l’expérience migratoire espagnole unique à l’échelle
européenne. Entre novembre 1999 et août 2001, le traitement de la problématique de l’immigration dépasse les scandales estivaux des pateras
et l’on entre dans une période de grande convulsion législative, politique et sociale.
Il y a d’abord l’épisode controversé de la nouvelle loi relative aux
étrangers qui scelle l’entrée de l’immigration dans le débat politique et
médiatique d’une manière particulière. Au milieu de l’année 1998, le gouvernement du PP décide de réviser l’ancienne loi 7/1985. Lorsqu’en
novembre 1999 le ministère du Travail et des Affaires sociales présente
un projet de loi consensuel, plusieurs ministres, surpris, critiquent la proposition. Ce sera l’un des rares conflits médiatisés entre des responsables
du PP au fil de ses huit ans au gouvernement. En effet, considérant la
proposition comme trop permissive et contraire aux résolutions adoptées
le 16 octobre 1999 lors du Conseil européen de Tampere, le PP, qui gouverne depuis 1996 avec une majorité simple au Parlement, tente de la
modifier en proposant 112 amendements concernant 51 des 63 articles.
Mais le climat préélectoral conduit les autres partis à imposer des con17. Selon l’Organisation mondiale du tourisme, http://unwto.org/facts/eng/ITA&TR.htm
Vol. 21, n° 125
septembre – octobre 2009
La situation migratoire en Espagne
59
ditions telles qu’elles empêcheront finalement tout accord. C’est ainsi que
lors de la dernière session parlementaire de la législature, la loi organique 4/2000 du 11 janvier 2000 est approuvée, bien que le parti au
pouvoir, qui en a été l’instigateur, ait voté contre. Après la victoire du
PP à la majorité absolue lors des élections de mars 2000, la loi est modifiée dans un sens plus restrictif (loi organique 8/2000 du 22 décembre
2000).
Cette polémique traduit crûment le choc entre l’obligation de contrôler
les entrées (exigée par les ministères de l’Intérieur, des Affaires étrangères et la présidence du Conseil) et le manque de main-d’œuvre ainsi
que le besoin d’une politique plus “humaine” prônée par des entrepreneurs, des syndicats et des ONG, et défendue par le ministère espagnol du Travail et des Affaires sociales. Par ailleurs, elle illustre par la
péripétie qui aboutit à l’embarrassante adoption de la loi l’esprit qui
règne encore en 1999 en matière d’immigration. Le fait que la rédaction de la loi traîne sur plusieurs mois sans débat, sans suivi ni de la
part du gouvernement ni des responsables politiques ou des médias,
révèle l’absence de conscience qui subsiste à l’égard d’une réalité qui
se développe à une vitesse vertigineuse, bien plus vite que ne veulent
le voir les responsables politiques, la société et l’administration.
Au-delà de cet épisode, la loi 4/2000 inclut des nouveautés importantes dont certaines seront modifiées de façon restrictive, sans être
supprimées lors des réformes suivantes18. Parmi ces dernières figure
l’accès au système scolaire et de santé garanti pour tous les étrangers,
et ce quelle que soit leur situation administrative (jusqu’alors, seules les
urgences étaient garanties). Pour ce qui est de la politique migratoire,
il faut noter qu’elle inclut des possibilités de régularisation permanente
(ordinaire et extraordinaire)19 ainsi que la confirmation des quotas annuels.
Ultérieurement, un mécanisme de recrutement dans le pays d’origine
sera mis en place pour les activités saisonnières20.
18. En 2003, une nouvelle modification intervient avec la loi organique 14/2003 du 20 novembre
2003 et son texte d’application (décret royal 2393/2004 du 30 décembre 2004). Une nouvelle loi
relative aux étrangers est prévue pour la fin de l’année 2009.
19. Régularisation pour cause d’enracinement social ou professionnel (arraigo social o laboral),
pour des raisons humanitaires ou de collaboration avec la justice. La régularisation pour cause
d’enracinement requiert un extrait de casier judiciaire vierge, un contrat de travail, trois ans de
séjour continu en Espagne et/ou avoir des parents en situation régulière ou disposer d’une attestation délivrée par la mairie certifiant d’une insertion sociale (art. 45 du décret royal 2393/2004).
Cette régularisation est informellement appelée le “permis de résistance”.
20. Les “contrats en origine”. Voir à cet égard dans ce même numéro la contribution de Chadia
Arab, page 175 [NDLR].
Migrations Société
60
Dossier : Les nouvelles figures de migrants en Espagne
Quelques semaines plus tard, en février 2000, un grave conflit ethnique
éclate à El Ejido21 entre autochtones et Marocains. L’assassinat de trois
Espagnols par des Marocains en à peine deux semaines brise l’équilibre
socioethnique extrêmement fragile de la zone et donne lieu à une
“chasse au Maure” qui dure plusieurs jours, sous le regard stupéfait de
tout un pays qui ne s’était jamais considéré comme raciste. Il n’y aura pas
d’autres décès, mais les dégâts matériels sont considérables et les
images de cette razzia feront le tour du monde révélant pour la première fois les grandes lacunes de l’“intégration” en Espagne.
Un autre aspect clé au cours de ces années est la série désorganisée
de régularisations avec lesquelles culmine cette période de va-et-vient politique. La première procédure, prévue et centralisée, découle de l’application de la première disposition transitoire de la loi 4/2000. Entre le
21 mars et le 31 juillet 2000 peuvent présenter leur demande les ressortissants extracommunautaires arrivés en Espagne avant le 1er juin 1999
et ayant déjà fait auparavant une demande de permis de séjour ou de
travail. Ces critères seront allégés pendant la période de présentation
des demandes. Alors que le gouvernement s’attendait à quelque
80 000 demandes et les ONG à environ 100 00022, 246 392 demandes
sont déposées dont 229 874 sont étudiées et 138 490 acceptées.
Après cette procédure de régularisation, qui devait être unique, débute la période de plus grande agitation. Début 2001, le gouvernement,
dans sa volonté de faire en sorte que l’entrée des étrangers s’effectue
de façon régulière, propose un plan rocambolesque de retour volontaire
aux Équatoriens en situation irrégulière consistant à subventionner le
billet aller-retour en Équateur pour qu’ils demandent dans leur pays un
visa d’entrée en Espagne. Le succès inattendu que remporte ce plan,
auquel s’inscrivent 24 544 Équatoriens, le rend inenvisageable et pousse
le gouvernement à opter pour une régularisation in situ. Cela met en
évidence sa méconnaissance de la réalité migratoire et contredit le
principe fondamental consistant à ne pas régulariser les étrangers déjà
présents en Espagne afin de ne pas provoquer le dénommé “effet
d’appel” de l’immigration.
21. El Ejido est la capitale du Poniente Almeriense, une région du littoral située à l’ouest d’Almería qui a
cessé d’être un pôle d’émigration endémique pendant les dernières décennies du XXe siècle,
pour devenir l’une des zones les plus riches du pays grâce à la réussite extraordinaire de l’agriculture ultraintensive sous serre ainsi que des industries auxiliaires que celle-ci génère. Voir
GIOVANELLA, Myrna, “Le débat sur l’immigration en Espagne” (revue de presse), Migrations
Société, vol. 12, n° 68, mars-avril 2000, pp. 107-118 [NDLR].
22. “La cifra de inmigrantes acogidos a la Ley de Extranjería desborda todas las previsiones”, El País
du 26-5-2000.
Vol. 21, n° 125
septembre – octobre 2009
La situation migratoire en Espagne
61
L’entrée en vigueur de la loi 8/2000, le 23 janvier 2001, accroît la
tension entre les immigrés, les associations et l’administration, alors que
se multiplient dans tout le pays les occupations de lieux par des étrangers qui demandent à être régularisés. C’est alors que démarrent de
manière presque parallèle deux processus : d’une part, en application
de la quatrième disposition transitoire de la loi 8/2000, les demandes
refusées lors de la régularisation de l’année 2000 sont réexaminées ;
d’autre part, le gouvernement négocie dans les cas des nombreuses
occupations de lieux une régularisation pour cause humanitaire ou
d’enracinement. Pour ne pas porter préjudice aux immigrés qui n’ont pas
participé aux occupations, un nouveau délai de régularisation pour cause
d’enracinement est accordé à ceux qui sont arrivés en Espagne avant le
23 janvier 2001. Ce processus spontané et décentralisé se terminera
le 31 juillet 2001, avec l’entrée en vigueur du texte d’application de la
loi 8/2000 (décret royal 864/2001 du 20 juillet 2001) : près de
322 761 demandes de régularisation seront déposées23.
Ainsi, en l’espace de 15 mois, plusieurs procédures de régularisation
se sont succédé de manière chaotique, avec près de 600 000 demandes
déposées, ce qui dépassait toute attente. On arrive à la fin d’une décennie
de “non-politique” migratoire au cours de laquelle le gouvernement a
pratiquement toujours cédé. Les régularisations, les quotas, la politique des
visas et le manque de contrôle font que, au cours de cette période,
l’Espagne est de loin le pays d’Europe le plus ouvert à l’entrée et à la
régularisation des ressortissants extracommunautaires.
À partir de janvier 2002, le gouvernement déclare catégoriquement
— et il s’y tiendra pendant quelques années — qu’il n’y aura plus de
régularisation en Espagne (il interrompt même les régularisations pour
cause d’enracinement)24 et que les quotas et le regroupement familial
seront les seules manières d’obtenir des papiers. Mais malgré le discours
et le chaos, il faut noter que depuis la fin de cette décennie la progression du nombre de permis de séjour délivrés augmente pour répondre
mécaniquement à la situation démographique et aux exigences d’un
nombre croissant de secteurs d’activité.
23. “La regularización de inmigrantes por motivos de arraigo acumula 322 761 solicitudes”, El País
du 2-8-2001.
24. D’après le quotidien El País du 31 janvier 2002, le 14 janvier 2002 la Direction générale des migrations du ministère du Travail et des Affaires sociales transmet aux Délégations du gouvernement
de toutes les Communautés autonomes l’ordre de refuser les demandes de permis de travail et
de séjour présentées en marge des quotas. Plus aucune demande d’un immigré déjà présent en
Espagne n’est acceptée, même si l’intéressé dispose d’une promesse d’embauche ferme. Voir
http://www.elpais.com/articulo/espana/veto/Gobierno/nuevas/regularizaciones/desata/rechazo/i
zquierda/sindicatos/elpepiesp/20020131elpepinac_5/Tes/
Migrations Société
62
Dossier : Les nouvelles figures de migrants en Espagne
Élargissement et bouleversements dans le panorama
migratoire espagnol
Les facilités pour entrer en Espagne auxquelles nous avons fait référence ci-dessus, ajoutées aux besoins structurels, se traduisent par une
croissance de l’immigration sans précédent en Europe occidentale (voir
le tableau 1). Les étrangers passent de plusieurs centaines de milliers à
des millions. Dès la fin des années 1990 on assiste à une multiplication
du nombre d’immigrés pour les nationalités les plus représentées (Européens occidentaux, Marocains et certains Latino-Américains). En même
temps, d’autres groupes nationaux qui n’avaient par tradition jusqu’alors
pratiquement pas émigré vers l’Espagne voient le nombre de leurs représentants s’envoler selon une évolution qui bouleverse la situation migratoire existante depuis les années 1980.
Le cas le plus spectaculaire est celui de l’Équateur, un pays lointain dont
les ressortissants ne sont que des milliers à résider en Espagne dans les
années 1990. Après une grave crise financière, économique et institutionnelle (1998-2000) qui appauvrit brusquement l’ensemble de sa classe
moyenne, le pays connaît une vague migratoire vers l’Espagne25 qui est
alors perçue comme une destination idéale26. Entre la fin de l’année 1998
et 2005, le nombre d’Équatoriens ayant un permis de séjour est multiplié par 50, passant de 7 046 à 357 065. À compter de 2001 ils
deviennent le deuxième groupe national d’après les chiffres du padrón27
de 2003 et 2004. L’Union européenne leur impose l’obligation de visa le
1er août 2003, et à partir de 2006 le rythme de croissance du nombre
des Équatoriens ralentit, avec moins d’entrées mais d’avantage d’acquisitions de la nationalité.
25. Citant des sources policières, le quotidien El País du 10 juillet 2003 indique que, en 2002,
l’Espagne a enregistré 550 000 entrées et 86 000 sorties de ressortissants de 17 pays latinoaméricains, dont l’Argentine (128 312 entrées et 18 742 sorties) et l’Équateur (101 432 entrées et
874 sorties).
26. Un exemple de cette idéalisation est l’“effet Totana”. En août 1998 démarre le processus d’expulsion
de 17 Équatoriens sans papiers travaillant à Totana, une commune agraire de la région de Murcie.
Des entrepreneurs, les autorités locales et des associations organisent une manifestation qui
entraînera l’interruption des expulsions. La nouvelle selon laquelle un village s’est manifesté en
faveur des immigrés en Espagne fera le tour du monde et deviendra l’une des étincelles qui déclenchera l’arrivée massive d’Équatoriens.
27. Le padrón municipal est le registre où sont enregistrés, depuis 1858, tous les habitants d’une
commune. Le permis de séjour n’est pas requis pour s’inscrire au padrón. Depuis la loi 4/2000,
l’inscription au padrón est nécessaire pour accéder au système de santé, à la scolarisation et à
la régularisation pour cause d’enracinement. À partir de ce moment les ressortissants extracommunautaires cessent d’être sous-représentés dans le padrón pour être désormais surreprésentés. C’est pour cette raison qu’en 2003 une ordonnance est publiée selon laquelle ces
derniers doivent renouveler leur inscription tous les deux ans sous peine d’être radiés de ce
registre.
Vol. 21, n° 125
septembre – octobre 2009
La situation migratoire en Espagne
63
Parallèlement, et malgré l’obligation de visa, les ressortissants des
autres pays andins (Colombiens, Péruviens et Boliviens) voient leur nombre
augmenter fortement dès le début de la décennie, en proportion moindre
toutefois que les Équatoriens. Il faut en outre mentionner le cas des
Argentins présents traditionnellement en Espagne. La crise financière,
politique et sociale de 2001-2002 suscite une vague migratoire qui
est sous-représentée dans les statistiques car beaucoup d’Argentins ont
la nationalité espagnole ou italienne ou ont acquis celle de leurs parents
ou grands-parents.
Équatoriens en tête, le nombre de permis de séjour délivrés à des
Latino-Américains décuple en dix ans (1 333 886 en 2008), auxquels
s’ajoutent 295 777 naturalisés28 entre 1998 et 2008 et ceux qui ont acquis
une des nationalités de l’espace Schengen. Les Latino-Américains — dont
la présence était presque symbolique et inférieure aux attentes étant
donné l’étroite relation historique et culturelle — sont clairement favorisés
par la culture espagnole et considèrent désormais l’Espagne comme une
destination privilégiée, notamment depuis que les États-Unis ont imposé des
restrictions aux entrées sur leur territoire suite aux attentats du 11 septembre 2001.
À partir de 2002 on assiste à une augmentation encore plus frappante du nombre des permis de séjour délivrés aux Roumains, passant de
3 543 en 1998 à 718 844 en 2008 dans le cadre d’une expansion sans
précédent de la diaspora roumaine dans différents pays de l’Union
européenne. Comme en témoignent les chiffres, l’augmentation s’accélère
entre 2002 et 2007, année de l’entrée de la Roumanie dans l’Union
européenne, et ce malgré le moratoire sur la libre circulation des travailleurs qui s’est terminé le 1er janvier 2009. C’est ainsi que fin 2008,
les Roumains se positionnent en tête de manière éphémère pour connaître ensuite la baisse que traduisent les chiffres de 2009 et qui est
due à la “crise” et à l’absence d’une réelle restriction de leur mobilité,
ce qui leur permet de rentrer chez eux en sachant qu’ils pourront facilement revenir en Espagne une fois la crise passée.
Pour leur part, les Marocains continuent d’enregistrer une croissance
soutenue. Avec 748 953 permis de séjour délivrés au milieu de l’année
28. Les Latino-Américains peuvent demander la nationalité après deux ans de résidence en Espagne.
De ce fait, ils disparaissent des statistiques puisque ce pays ne publie pas de données sur les
Espagnols par nationalité d’origine. L’augmentation des naturalisations est, quelques années
plus tard, proportionnelle à celle de l’immigration (tableau 1). Selon l’Anuario estadístico de inmigración de ces années, entre 2004 et 2008, 82 785 Équatoriens et 232 352 Latino-Américains
acquièrent la nationalité espagnole.
Migrations Société
64
Dossier : Les nouvelles figures de migrants en Espagne
2009, ils sont confortés dans leur position de minorité marocaine la
plus importante à l’étranger, après la France.
Le dernier élément à prendre en compte est la forte croissance des
principaux groupes originaires d’Europe occidentale (Britanniques, Allemands, Français et Portugais), bien que leur nombre n’ait été multiplié
que par deux ou trois entre 1998 et 2008. L’évolution des deux premières nationalités traduit la consolidation du tourisme résidentiel. Ce
phénomène est très répandu sur le littoral méditerranéen depuis les
années 1960 et se consolide, à l’image du tourisme, avec l’ouverture
des frontières, les vols à faible coût et l’urbanisation à outrance. Étant
donné le nombre d’Européens fortement concentrés dans certaines zones
littorales, les étrangers dépassent 50 % de la population inscrite au
padrón dans beaucoup de communes de provinces telles que Málaga ou
Alicante29. Les difficultés de cohabitation entre les autochtones et ces
groupes nationaux, pour la plupart composés de retraités, sont importantes et peu connues.
Avec cette évolution, beaucoup d’espaces, urbains et agricoles, affichent
un cosmopolitisme et une diversité ethnique et culturelle qui étaient complètement inconnus en Espagne depuis l’expulsion des Maures et des Sépharades à la fin du XVe siècle. Le regroupement familial et l’accès à
la nationalité garantissent, malgré la “crise”, la poursuite de cette évolution et consacrent, non sans conflits graves, un extraordinaire changement de l’image sociale du pays.
L’émergence d’une politique migratoire cohérente
Après des années marquées par des politiques peu rodées et peu
efficaces en matière de contrôle réel des entrées, à partir de 2002 le
gouvernement ferme les voies de régularisation et prend des mesures
contre l’immigration irrégulière. Pourtant cette dernière poursuit sa progression en raison des besoins structurels d’une économie en pleine expansion, des difficultés de contrôle aux frontières et des filières migratoires déjà établies grâce à 1,3 million d’étrangers présents dans le
pays. À partir de 2004, avec le retour des socialistes au gouvernement
central, la politique migratoire revêt une importance nouvelle, devient
prioritaire et des moyens lui sont consacrés.
29. Exemple : le 1er janvier 2008, 76,9 % des 11 594 habitants de San Fulgencio (Alicante) sont
étrangers, dont 7 261 Allemands et Britanniques.
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La situation migratoire en Espagne
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La première mesure importante consiste à organiser, en application
de la troisième disposition transitoire du texte d’application de la loi
14/2003 (décret royal 2393/2004) récemment pris, une nouvelle régularisation à laquelle peuvent se présenter entre le 7 février et le 7 mai
2005 les étrangers ayant été inscrits au padrón avant le 8 août 2004,
sur présentation d’un extrait de casier judiciaire vierge et d’un contrat de
travail d’au moins six mois. Ce processus, qui engendre 691 655 demandes dont 572 961 ont reçu une réponse positive, permet au gouvernement socialiste de critiquer la politique restrictive du PP, de s’attribuer
un profil humanitaire en sortant des centaines de milliers de personnes
de l’exploitation, ainsi que d’augmenter sensiblement le volume des cotisations à la Sécurité sociale, ce qui permet de reporter de plusieurs
années le lancement d’une réforme de cette institution nécessaire en raison
de la situation démographique du pays.
Hormis la procédure de régularisation, les mesures prises depuis 2004
sont dans la lignée de la tendance antérieure, bien que marquées par
un effort accru visant à la gestion des flux migratoires (quotas, recrutement sur le lieu d’origine) ou au contrôle des entrées par voie maritime, aérienne ou terrestre des migrants en situation irrégulière. Alors que
les deux dernières voies d’accès citées qui concernent essentiellement
des Américains et des Européens ont été peu touchées, la grande bataille politique et médiatique se livre en mer avec le verrouillage de la
frontière Sud, exclusivement africaine.
Jusqu’à la fin des années 1990, il suffisait aux Africains, presque tous
Maghrébins, d’arriver sur les côtes de la Péninsule et de s’y égailler. À
partir de 1999, du fait d’un contrôle croissant du détroit de Gibraltar,
la méthode classique consiste à atteindre Ceuta, Melilla ou les Canaries
et de se déclarer originaire d’un pays en guerre (pour demander l’asile)
n’ayant pas de convention de rapatriement avec l’Espagne ou, simplement, à tenir les 40 jours définis par la loi sans être identifié, souvent
par manque de moyens. Après cette période, l’immigré est libéré avec un
ordre d’expulsion non exécutoire. C’est ainsi que des milliers de personnes
sont entrées dans le pays au su du gouvernement30.
30. Pour éviter que les Africains restent aux Canaries, à Ceuta et à Melilla, dès les années 1990 les
autorités locales imposent l’adoption d’un programme de déplacement, financé par le gouvernement, consistant à les répartir par groupes dans différentes villes de la péninsule. Après
15 jours d’hébergement, encadrés par des ONG, ils reçoivent 30 € et un billet pour se rendre où
ils le souhaitent. S’ils tiennent trois ans, ils pourront déposer une demande de régularisation
pour cause d’enracinement (le “permis de résistance”).
Migrations Société
66
Dossier : Les nouvelles figures de migrants en Espagne
Cette situation donne lieu à la construction d’un triple blindage technologique, diplomatique et juridique des frontières. Le blindage technologique correspond au rehaussement des barrières de Ceuta et Melilla31
et au développement du Sistema integrado de vigilancia exterior (SIVE),
le système intégré de surveillance extérieure aux Canaries, en Andalousie orientale, à Ceuta, dans le Levant et les Baléares qui ferme, en
théorie, l’accès direct au territoire espagnol. Le blindage diplomatique,
consiste à impliquer l’Union européenne par l’intermédiaire de l’agence
32
FRONTEX et les gouvernements africains, notamment les autorités marocaines, dans la gestion du problème et à créer une “politique migratoire” africaine33. Le blindage juridique porte sur l’allongement du temps
de rétention (qui passe de 40 à 60 jours), la signature et l’application
effective des conventions bilatérales avec différents pays africains34
relatives à l’identification et à la réadmission des migrants en situation
irrégulière et des pressions via l’Union européenne pour que les pays
du Maghreb approuvent des lois contre la migration irrégulière à
travers leur territoire35.
Pourtant, malgré les coûteuses ressources technologiques et diplomatiques mises au service d’une telle politique migratoire, les entrées
irrégulières ont certes diminué, mais n’ont pas disparu. Il convient également de rappeler que la majorité des migrants entrent en Espagne
soit légalement en tant que touristes, étudiants ou dans le cadre d’un
regroupement familial, soit illégalement à partir de l’espace Schengen.
Les outils de contrôle sont créés, appliqués, perfectionnés, mais la réalité est que, jusqu’à la crise de 2008, ces moyens ont servi à freiner, ou
31. C’est l’annonce de ce rehaussement pendant l’été 2005 qui a provoqué les assauts pendant
plusieurs semaines des barrières par des milliers d’Africains qui campaient dans les forêts marocaines alentours. Cet épisode très médiatisé a provoqué plusieurs morts par balle et a ébranlé
l’opinion publique espagnole et l’image du pays. Voir CONSEIL CONSULTATIF DES DROITS DE
L’HOMME, Rapport sur l’établissement des faits relatifs aux évènements de l’immigration illégale,
Évènements de Ceuta et Melilla durant l’automne 2005, Rabat : Conseil Consultatif des Droits de
l’Homme, 2006, 44 p., http://www.cdifdh.org.ma/article.php3?id_article=255. Sur les campements en question, se reporter à PIAN, Anaïk, “Aux portes de Ceuta et Melilla : regard sociologique sur les campements informels de Bel Younes et de Gourougou”, Migrations Société,
vol. 20, n° 116, mars-avril 2008, pp. 11-24 [NDLR].
32. Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures.
33. Avec la multiplication des ambassades, le déploiement d’agents et l’augmentation du budget dédié
à la coopération, à condition toutefois d’accepter les rapatriements et le contrôle aux frontières.
34. À partir de 2004, l’Espagne a signé des conventions bilatérales relatives à la migration avec la
Gambie et la Guinée (2006), le Mali, le Cap-Vert et la Mauritanie (2007), le Niger (2008) et la GuinéeBissau (2009). Toutes sont accessibles sur le site http://extranjeros.mtas.es/
35. Avec le verrouillage du détroit de Gibraltar et de la route des Canaries, les stratégies migratoires
deviennent plus complexes et la pression risque de se déplacer vers l’est de la Méditerranée. À
ce sujet, se reporter à RODIER, Claire, “Conséquences des restrictions du droit à la mobilité sur
les droits des migrants”, Migrations Société, vol. 21, n° 121, janvier-février 2009, pp. 61-66.
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La situation migratoire en Espagne
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plutôt à filtrer l’immigration irrégulière. Beaucoup de personnes sont en
effet arrêtées, fichées et discrètement relâchées pour différents motifs,
allant des difficultés d’identification à la saturation des centres de rétention, en passant par la demande d’asile, une grossesse, voire des potsde-vin ou des décisions purement discrétionnaires. Cela s’explique car
les rapatriements ont été, comme le contrôle aux frontières, difficiles à
mettre en œuvre dans un contexte d’essor économique et de faible tradition migratoire.
Face à l’indifférence d’avant, le contrôle et une application discrétionnaire de la législation sont désormais de rigueur. Cela ressemble à
la régularisation “au cas par cas” et sans publicité de milliers de personnes qui s’opère dans toute l’Europe. Loin de l’“innocence” et de la
“non-politique” qui caractérisaient les mesures jusqu’en 2001, on assiste
depuis à une double politique : celle du discours destiné à la société et
celle du pragmatisme face aux besoins de l’économie.
“Crise” et migration
À partir du milieu de l’année 2007, la “crise économique” frappe
durement l’Espagne ; elle se manifeste discrètement pendant la première année, mais depuis l’été 2008 la crise des emprunts freine l’économie tandis que le chômage s’emballe et franchit la barrière psychologique des 4 millions de chômeurs (17,3 % de la population active),
alors qu’ils étaient au nombre de 1 760 000 (7,9 %) en août 2007.
Malgré les efforts fournis pour s’orienter vers l’“économie du savoir”,
le “miracle économique” espagnol est toujours fondé sur des secteurs
vulnérables, anciens et demandeurs d’une main-d’œuvre à bas coût
comme le tourisme, l’agroalimentaire et surtout le bâtiment. Une grande
partie des travailleurs étrangers est doublement touchée par la crise
de leur secteur (effondrement du bâtiment36) et parce que beaucoup
d’Espagnols reprennent l’activité qu’ils avaient abandonnée pendant leur
ascension sociale, et ce même dans le secteur de l’agriculture. Précarité et chômage montent en flèche, et de nombreux étrangers qui avaient
adhéré trop rapidement au mode de vie espagnol, par exemple en
achetant un appartement et en contractant un prêt immobilier à faible
taux, se retrouvent dans une situation difficile, sans le soutien familial dont
36. En Espagne, entre 1994 et 2008, le conseil de l’Ordre des architectes enregistre des projets
pour un total de 8 191 337 habitations : 812 294 en 2005, 920 199 en 2006, 603 312 en 2007 et
252 916 en 2008.
Migrations Société
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Dossier : Les nouvelles figures de migrants en Espagne
bénéficient les Espagnols. Ils deviennent dépendant des allocations chômage qui sont limitées dans le temps. On constate même des cas de
“dégroupement familial” : la famille rentre dans le pays d’origine tandis
que le chef de famille reprend une colocation.
Au cours des deux crises antérieures (1975-1985 et 1993-1995)
on constate une augmentation de l’économie informelle et une baisse
de la “mobilité”, certaines personnes rentrant même dans leur village
d’origine. Avec la “crise” actuelle, il est probable que certains processus
se répètent. En 2009, très peu d’embarcations arrivent sur les côtes des
Canaries37, alors que l’évolution du nombre de permis de séjour pour
les principales nationalités est très claire (voir tableau 1). Jusqu’en 2008
toutes ces nationalités sont en forte augmentation ; alors qu’entre le
1er janvier et le 30 juin 2009 le nombre de permis de séjour délivrés aux
ressortissants des pays de l’Union européenne et des États-Unis est en
baisse ou indique une faible croissance, celui relatif aux ressortissants
extracommunautaires — ceux qui ont le plus de difficulté pour entrer
sur le territoire — continue d’augmenter fortement, quoiqu’à un rythme
plus modéré38. Le gouvernement, quant à lui, durcit sa politique migratoire avec, d’une part, une diminution notoire des quotas et des contrats
de travail signés dans les pays d’origine et, d’autre part, une augmentation des contrôles d’identité et des rapatriements. Par ailleurs, conscient
que le regroupement familial est le principal vecteur d’entrée, la nouvelle
loi relative aux étrangers le limite aux conjoints, aux descendants mineurs
et aux ascendants dépendants âgés de plus de 65 ans.
Enfin, en novembre 2008, un « plan de retour » (décret royal 4/2008
du 19 septembre 2008) est mis en œuvre : les chômeurs extracommunautaires en situation régulière ont la possibilité de percevoir la totalité de leurs allocations chômage en deux fois (40 % en Espagne et
60 % dans leur pays d’origine) à condition de repartir dans leur pays,
de s’engager à ne pas revenir avant trois ans et de rendre leur permis
de séjour. Ce plan n’a pas obtenu le succès escompté : alors que le
gouvernement avait prévu qu’un million d’étrangers choisiraient cette
option, quatre mois après le lancement de l’opération ils ne sont que
4 000 à l’avoir fait. C’est un chiffre sans doute bien inférieur à celui de
37. Alors qu’il y a 4 718 arrivées en 2005, 31 859 en 2006, 11 747 en 2007 et 8 300 en 2008 d’après
le rapport du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Voir UNITED NATIONS HIGH
COMMISSIONER FOR REFUGEES, Refugee protection and international migration: a review of
UNHCR’s role in the Canary Islands, avril 2009, http://www.unhcr.org/4a1d2d7d6.html
38. Dans le padrón les départs de 2009 ne seront donc visibles qu’à partir de 2011, puisque les
ressortissants extracommunautaires n’en sont radiés que s’ils renouvellent leur inscription tous
les deux ans.
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La situation migratoire en Espagne
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ceux qui ont préféré repartir sans cet avantage, mais avec leur permis
de séjour en poche et en faisant les démarches nécessaires par le
biais d’internet et d’amis restés en Espagne pour garder des chances
de renouveler leurs papiers le moment venu.
En guise de conclusion
Depuis les mesures prises au cours des années 1973-1974 et les
mutations qu’elles ont entraînées dans le système migratoire européen,
l’Espagne a connu trois étapes marquées par deux accélérations. La
première période (1975-1991) se caractérise par la méconnaissance
du phénomène, qui reste encore limité et peu visible ; l’étape suivante
(1992-2001) est marquée par les contradictions et les réticences à
adopter une politique migratoire de réel contrôle des entrées sur le
territoire espagnol ; la troisième étape, qui commence en 2002, se caractérise par une poussée migratoire sans précédent, mais aussi par
des contrôles et des politiques beaucoup plus organisés, bien que leur
mise en œuvre soit parfois aléatoire en raison du bras de fer constant
entre le social et l’économique.
Une longue étape d’essor économique et de prospérité sociale se
déroule de 1993 à 2008. Les pays riches entrent dans une spirale
concurrentielle qui impose une optimisation des ressources humaines et
justifie le recours à la main-d’œuvre étrangère. Cependant, il s’agit en
Espagne d’une main-d’œuvre peu ou moyennement qualifiée qui vient
travailler dans les secteurs anciens et peu spécialisés. Le ralentissement de
l’économie, la diminution — voire l’effondrement — de certains secteurs
d’activité entraînent une hausse du taux de chômage, ce qui ne provoque
pas le départ de centaines de milliers d’étrangers espéré par le gouvernement mais une croissance plus faible de leur nombre, voire une
baisse du nombre de permis délivrés aux ressortissants communautaires
alors que le nombre de permis délivrés aux étrangers extracommunautaires continue d’augmenter, mais à un rythme moins soutenu.
Cependant, “crise” ou pas, la politique migratoire à moyen et à long
terme sera peaufinée et élargie aussi bien sur le plan sécuritaire que
sur celui de la sélection des migrants. La spirale de compétitivité dans
laquelle se trouve engagée l’Espagne exige une politique migratoire au
service de l’économie. Cette situation sera particulièrement aggravée
dans le cas de l’Espagne par le vieillissement plus accéléré de sa population “autochtone” dû aussi bien à l’effondrement de la natalité depuis
Migrations Société
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Dossier : Les nouvelles figures de migrants en Espagne
les années 1970 qu’à la situation, dès à présent prévisible, qui interviendra lorsque la génération du baby boom atteindra les 70 ans. Le
pays a désormais besoin d’une migration économique à court terme et
d’une migration économique et démographique à long terme.
Avec une très forte augmentation de l’immigration régulière — plus de
4 millions de permis de séjour supplémentaires entre 1998 et 2008 — il
semble que l’Espagne ait déjà fait le choix d’une realpolitik migratoire très
ouverte en dépit des discours de contrôle, ce qui la rangerait sur le modèle “libéral” des États-Unis en matière de migrations.
Toutefois, contrairement aux vieux pays d’immigration, la situation des
deux dernières décennies n’est que l’étape initiale d’une métamorphose
en profondeur de la société espagnole. Une transformation et un défi
difficiles dans un pays qui a certes des différences internes, mais qui
n’a jamais eu à gérer la différence culturelle et ethnique.
R
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septembre – octobre 2009
SOMMAIRE
ÉDITORIAL
Les autochtones viennent-ils toujours d’ailleurs ? ................................... Pedro Vianna
ARTICLE
L’immigration arabe dans le monde ......................................................... Salah Ferhi
DOSSIER : Les nouvelles figures de migrants en Espagne : parcours et stratégies dans le
premier pays d’immigration européen
(coordonné par Chadia Arab et Juan David Sempere Souvannavong)
Parcours et stratégies dans le premier pays d’immigration européen..... Chadia Arab
Juan David Sempere Souvannavong
Évolution de la situation migratoire de l’Espagne de 1991 à nos jours ... Juan David Sempere Souvannavong
L’immigration subsaharienne en Espagne vue du Sud : entre appel
économique et protectionnisme politique................................................. Nelly Robin
Des pateras aux cayucos : dangers d’un parcours, stratégies en
Mohammed Charef
réseau et nécessité de passeurs ............................................................. Juan A. Cebrián
Évolution des migrations roumaines en Espagne : vers une circulation
rurale ? ..................................................................................................... Vincent Maisongrande
Les déterminants de l’insertion résidentielle d’une immigration
récente : les Andins à Barcelone ............................................................. Naïk Miret
La figure du migrant commerçant à Salamanque .................................... Gunhild Odden
Mineurs isolés étrangers en Espagne : une réponse juridique et
institutionnelle conforme à la Convention internationale des droits de
l’enfant ?................................................................................................... Daniel Senovilla Hernández
Les Marocaines à Huelva sous “contrat en origine” : partir pour mieux
revenir ...................................................................................................... Chadia Arab
Les jeunes harragas maghrébins se dirigeant vers l’Espagne :
Chadia Arab
des rêveurs aux “brûleurs de frontières” .................................................. Juan David Sempere Souvannavong
Bibliographie sélective ............................................................................. Christine Pelloquin
NOTES DE LECTURE
Atlas mondial des migrations (de Catherine Wihtol de Wenden)
L’atlas des migrations. Les routes de l’humanité (collectif)
Atlas des migrations en Europe. Géographie critique des politiques
migratoires (Migreurop)............................................................................ Luca Marin
Europe’s fight against human trafficking (de Stefano Bertozzi) ............... Pedro Vianna
DOCUMENTATION ................................................................................................Christine Pelloquin
Impression : Corlet, Imprimeur, S.A.
Z.I. route de Vire - 14110 Condé-sur-Noireau
Dépôt légal : octobre 2009 - N° d’ordre : XXXXX
Commission paritaire : n° 0111 G 87447
ISSN : 0995 - 7367