Publicité grand public pour les médicaments de

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Publicité grand public pour les médicaments de
LA REVUE PRESCRIRE NOVEMBRE 2006/TOME 26 N° 277
• PAGES 777-778
Éditorial
Publicité grand public pour les médicaments
de prescription : abus et confusion
Aux États-Unis d’Amérique, la publicité pharmaceutique destinée au grand public a connu un développement considérable dans la dernière décennie, notamment pour les médicaments de prescription. Cette
publicité utilise tous les médias, des journaux à la télévision en passant par internet (1).
des consommateurs (DG Sanco) de la Commission ont
chargé en 2005 un groupe de travail “information des
patients” du “Pharmaceutical Forum” de faire des suggestions en matière de “partenariats public-privé pour
l’information des patients” (5). Tout porte à craindre une
large part faite aux firmes et à leurs stratégies d’”information” des patients (b).
Une interdiction confirmée en Europe. Les firmes pharmaceutiques réclament avec insistance d’avoir ce droit dans d’autres pays, notamment en Europe, même si l’interdiction légale est déjà largement
détournée dans les faits. Dans le cadre de la révision
d’une Directive-clé pour la politique pharmaceutique
européenne, la Commission européenne (Direction
Générale Entreprises) a proposé en 2001 de lever l’interdiction de la publicité auprès du grand public pour
les médicaments qui ne peuvent être obtenus que sur
prescription (2). Sous la pression des citoyens, dont le
Collectif Europe et Médicament, les députés européens
et les ministres de la Santé ont heureusement maintenu
cette interdiction (a)(3).
Les États-Unis sont déjà au stade d’un retour
en arrière. Alors que certains s’agitent en Europe pour
abolir l’interdiction de la publicité grand public pour les
médicaments de prescription, sous couvert de “partenariats public-privé pour l’information des patients”,
cette publicité est de plus en plus remise en cause aux
États-Unis.
Les conséquences néfastes de cette publicité grand
public, en termes de santé publique, ont été établies à
partir de nombreuses enquêtes (6,7,8). Cette remise en
question grandissante se nourrit notamment de la crise
de confiance généralisée dans les firmes pharmaceutiques, aggravée par l’affaire Vioxx°. Des responsa- La Commission européenne et les firmes s’activent pour autoriser cette publicité. La Commission
a obtenu d’être chargée d’élaborer un rapport sur les
« pratiques actuelles en matière de communication d’information - notamment par internet - et sur leurs risques
et leurs avantages pour les patients ». La Commission a
été chargée de formuler des propositions définissant une
stratégie d’information sur les médicaments (3,4).
Dans cette optique, la Délégation générale Entreprises (DGE) et la Direction générale Santé et protection
a- En France, en 2006, le Code de la santé publique précise que « La publicité auprès du
public pour un médicament n’est admise qu’à la condition que ce médicament ne soit pas
soumis à prescription médicale, qu’il ne soit pas remboursable par les régimes obligatoires
d’assurance maladie et que l’autorisation de mise sur le marché ou l’enregistrement ne comporte pas de restrictions en matière de publicité auprès du public en raison d’un risque possible pour la santé publique. Toutefois, les campagnes publicitaires pour des vaccins ou les
médicaments mentionnés à l’article L. 5121-2 [produits présentés comme supprimant
l’envie de fumer ou réduisant l’accoutumance au tabac] peuvent s’adresser au public
» (réf. 17). Cette publicité grand public est soumise actuellement à une autorisation préalable de l’Afssaps (réf. 18).
b- Le Pharmaceutical Forum a été mis en place par la Commission européenne en 2005. Il
comprend un comité d’orientation et trois groupes de travail (information des patients,
prix des médicaments, efficacité comparée). Le Pharmaceutical Forum devait rendre ses
premières conclusions à l’automne 2006 (réf. 5). À suivre.
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Ouvertures
bles politiques et professionnels de santé ont demandé l’interdiction de cette publicité (9,10).
Les firmes pharmaceutiques ont été contraintes de
réagir, et leur syndicat Pharmaceutical Research and
Manufacturers of America (PhRMA) a publié en août
2005 un “code de bonne conduite” en matière de publicité grand public (11).
“Code de bonne conduite”, ou nuage de
fumée ? Le Code comprend 15 principes et des commentaires sous forme de questions-réponses, dont certains trahissent les limites de la volonté des firmes de
vraiment corriger leurs pratiques promotionnelles (11).
Par exemple, les firmes s’engagent à ne pas démarrer
de campagne de publicité auprès du public avant d’avoir passé « un laps de temps approprié à éduquer les
professionnels de santé sur un nouveau médicament
ou une nouvelle indication » (principe 6), mais restent
libres de déterminer ce que représente un temps
“approprié” (11). Les firmes s’engagent à mentionner
des alternatives à leurs médicaments, telles qu’un régime ou un changement de style de vie (principe 9), mais
sans obligation de mentionner un médicament ayant la
même indication (11). Etc.
Pour l’association de consommateurs étatsunienne
Public Citizen, ces principes sont insuffisants et toute la
publicité faite autour du guide de PhRMA est « une tentative dérisoire pour faire croire aux gens que les principes sont plus forts qu’ils ne sont en réalité » (12,13).
L’association Prescription Access Litigation a délivré à
PhRMA, pour son code de bonne conduite, l’une de ses
“Pilules amères 2006” : la récompense “Le renard gardien du poulailler” (14). Par ailleurs, des responsables
politiques continuent de réclamer l’interdiction de la
publicité pour des médicaments de prescription auprès
du grand public, ou le renforcement de son contrôle
par l’agence du médicament étatsunienne, la Food and
Drug Administration (FDA) (12,13).
En Nouvelle-Zélande : marche arrière également. Après quelques années d’expérience de publicité grand public pour des médicaments de prescription,
la Nouvelle-Zélande a entamé un processus de révision
de sa réglementation, sur la base d’un rapport universitaire montrant toutes les conséquences négatives d’une telle publicité pour la relation professionnel de santé
- patient et surtout pour la qualité des soins (c)(1,15).
Rester vigilant en Europe. Comme dans beaucoup
d’autres domaines, l’Europe est dans le sillage des ÉtatsUnis, avec plusieurs années de retard. Dans le domaine
de la publicité sur les médicaments, la Commission euro-
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péenne cherche encore à donner plus de libertés aux firmes pharmaceutiques, alors même que celles-ci sont
obligées de renoncer à une partie de leur liberté aux
États-Unis, pour éviter un plus grand contrôle par l’État.
Professionnels de santé et citoyens doivent rester
vigilants en Europe pour que la publicité grand public
pour les médicaments de prescription ne devienne
autorisée, insidieusement et progressivement, sous
couvert d’information sur les pathologies, de partenariat public-privé pour l’“information” sur les médicaments, ou encore de programmes d’“aide à l’observance” des traitements (lire dans ce numéro page 779) (16).
Les patients ont un droit indéniable à l’information
sur la santé, les maladies et les différentes options thérapeutiques. Mais ce n’est pas en autorisant les firmes à
“communiquer” auprès des patients en vue de développer les ventes, que l’on servira au mieux ce droit.
La revue Prescrire
c- Le ministère de la santé néo-zélandais a finalement lancé en 2006 une consultation
publique sur l’opportunité de réviser la réglementation sur la publicité, consultation à la
laquelle ont participé de nombreux individus et associations du monde entier, dont le Collectif Europe et Médicament (réf. 19). La décision du ministère, qui s’inscrit dans le contexte d’un rapprochement des agences du médicament néo-zélandaise et australienne, n’était
pas connue à la date du 25 septembre 2006.
Extraits de la veille documentaire Prescrire.
1- Prescrire Rédaction “Redresser le cap de la politique du médicament (suite).
Publicité directe au public : la désastreuse expérience américaine” Rev Prescrire
2002 ; 22 (232) : 703-706.
2- Prescrire Rédaction “Euphémismes et faux-semblants en Europe” Rev Prescrire 2002 ; 22 (232) : 704.
3- Prescrire Rédaction “Europe et médicament : les succès obtenus par les
citoyens” Rev Prescrire 2004 ; 24 (252) : 542-548.
4- “Article 63 de la Directive 2004/27/CE du Parlement européen et du Conseil
du 31 mars 2004 modifiant la directive 2001/83/CE instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain” Journal Officiel de l’Union
européenne du 30 avril 2004 : L 136-51.
5- “Pharmaceutical Forum”. Site internet http://ec.europa.eu/health consulté le
17 septembre 2006 : 5 pages.
6- Hollon MF “Direct-to-Consumer Advertising - A haphazard approach to
health promotion” JAMA 2005 ; 293 (16) : 2030-2033.
7- “Taking a closer look at drug advertisements“ Lancet 2005 ; 366 : 522.
8- Mansfield PR et coll. “Direct to consumer advertising” BMJ 2005 ; 330 : 5-6.
9- Lenzer J “Professors speak out against advertising directly to consumers”
BMJ 2005 ; 331 : 1040.
10- Lenzer J “FDA investigates direct to consumer adverts” BMJ 2005 ; 331 :
1102.
11- “PhRMA Guiding Principles - Direct to consumer advertisements about
prescription medicines”. Site internet http://www.phrma.org consulté le
27 février 2006 : 11 pages.
12- Macilwain C “Drug firms back-pedal on direct advertising” Nature 2005 ;
436 : 910-911.
13- “Companies agree to PhRMA’s voluntary DTC guidelines” Scrip 2005 ;
(3078) : 12.
14- PAL “The fox guarding the henhouse award : for pushing toothless “guiding
principles” on drug advertising”. Site internet http://www.bitterpillawards.org
consulté le 24 août 2006 : 2 pages.
15- Toop L et coll. “Direct to consumer advertising of prescription drugs in New
Zealand : for health or for profit ?” Christchurch, Dunedin, Wellington and
Auckland schools of medicine 2003 : 95 pages.
16- “Programmes des firmes pharmaceutiques d’”aide à l’observance” : l’imposture” Rev Prescrire 2006 ; 26 (271) : 300.
17- Article L. 5122-6 du Code de la Santé publique.
18- Article L. 5122-8 du Code de la Santé publique.
19- Ministère néo-zélandais de la santé “Direct-to-consumer advertising of prescription medicines in New Zealand : consultation document”. Site internet
http://www.moh.govt.nz consulté le 17 septembre 2006 : 2 pages.