J`aimerais vraiment que ma photo puisse aider à changer le

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J`aimerais vraiment que ma photo puisse aider à changer le
« J’aimerais vraiment que ma photo puisse aider à changer le cours des choses »
Le Monde.fr | 03.09.2015 à 17h52 • Mis à jour le 04.09.2015 à 10h01 | Propos recueillis par Claire
Guillot
Nilufer Demir, 29 ans, travaille depuis douze ans pour l’agence turque DHA et elle est
correspondante pour la région de Bodrum. Dans cette petite ville balnéaire et touristique plutôt
chic, à l’Ouest de la Turquie, les réfugiés affluent, qui tentent la traversée vers l’île grecque de
Kos, située à moins de cinq kilomètres. L’arrivée des réfugiés a changé le cours des choses –
et son travail de photographe. La photographe turque ne s’attendait pas, cependant, à ce que
sa photo d’un enfant syrien noyé, Aylan Kurdi, sur la plage, fasse le tour des réseaux sociaux
et soit publiée par tous les grands journaux du monde. Nous l’avons jointe au téléphone, en
Turquie.
Où se trouve la plage où a été trouvé le petit garçon ?
La plage de Ali Hoca Burnu est une plage à l’écart de Bodrum. C’est un endroit d’où partent souvent
les migrants, donc avec d’autres photographes, on y va chacun son tour pour voir ce qui se passe.
Hier, c’était mon tour… Quand je suis arrivée le matin, vers 6 ou 7 heures, il y avait un groupe de
Pakistanais. Je les ai rejoints et nous avons aperçu, un peu plus loin, quelque chose échoué sur la
plage.
En nous approchant, nous avons vu que c’était le corps d’un enfant. Il y avait d’autres corps, mais
plus loin, à 100 ou 200 mètres. On a tout de suite vu qu’il était mort et qu’il n’y avait plus rien à faire.
Avez-vous hésité à prendre cette photo ?
J’ai été très choquée au départ, mais je me suis reprise très vite. Je me suis dit que je pouvais
témoigner du drame que vivent ces gens. Il fallait que je prenne cette photo et je n’ai plus hésité. J’en
ai même pris toute une série. J’étais triste car c’est le corps d’un enfant, mais ça aurait pu être le
corps d’un adulte, et j’en ai photographié déjà plusieurs fois.
L’homme qui tient l’enfant dans ses bras sur la photo est un gendarme, qui fait les premières
constatations quand ce genre de choses arrive. Sur les premières images, on voit l’enfant tout seul,
car le gendarme est arrivé quelques minutes après.
Avez-vous eu conscience, au moment où vous l’avez prise, que c’était une photo si forte ?
Non, pas du tout. Et aujourd’hui, j’ai un mélange de tristesse et de satisfaction… Je suis contente
d’avoir pu montrer cette image à autant de gens, d’avoir témoigné, mais d’un autre côté, je préférerais
que ce petit garçon soit encore en vie et que cette image ne fasse pas le tour du monde.
Le retentissement de cette photo a été énorme, poussant François Hollande et Angela Merkel à
faire des propositions à l’Union européenne sur l’accueil des réfugiés en Europe.
Je n’aurais jamais cru qu’une photo puisse avoir de tels effets. J’aimerais vraiment qu’elle puisse aider
à changer le cours des choses. Ces gens ont quitté un pays en guerre. Pour ma part, j’aimerais que
tout le monde puisse vivre en paix chez soi, et que les gens ne soient pas forcés de fuir leur pays…
Pourquoi cette photo, selon vous, a-t-elle pu autant émouvoir les gens, par rapport à toutes
celles publiées avant sur le sujet ?
Je ne sais pas. Peut-être que le monde, en fait, attendait une image qui puisse changer les choses,
faire bouger. Peut-être que ma photo a été le déclic que le monde attendait. Et sans le faire exprès, j’y
ai contribué, en étant au bon moment au bon endroit.
TRADUCTION : Gül Düzyol
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