Thèse Takou

Transcription

Thèse Takou
2
D’après R.J. Gravel, au début de toute démarche scientifique, un inventaire critique de
tout ce qui a été écrit sur le sujet choisi s’avère nécessaire non seulement pour préciser les
grandes lignes de la question, voir leurs limitations, conceptualiser un sujet pertinent et original,
mais aussi pour déterminer un cadre théorique, définir les concepts de sa propre recherche,
identifier toutes les variables pouvant éventuellement influencer le phénomène analysé ; en un
mot pour structurer les premières étapes de la recherche.1 Notre souci présent est de satisfaire à
cette exigence.
A-Revue de la littérature
En se référant aux archives et aux études réalisées sur l’islam pendant la période coloniale
(L.W.G. Malcom, 1921 ; H. Labouret, 1935 ; A. Giuntini, 1947 ; M. Cardaire, 1949 ; Prestat,
1951 et 1952 ; P.F. Lacroix, 1952 et 1953 ; J-C. Froelich, 1954 et 1956 : J. Beyries, 1947, 1949,
1950 et 1958 ; etc.), des problèmes de lecture historique se posent car le sujet a été marqué par un
certain nombre de stéréotypes qui remontent à l’époque coloniale : préserver l’islam de tout
risque de contagion du panislamisme et des liens éventuels avec le monde musulman ; défendre
l’image d’un ‘‘islam spécifiquement africain’’2, dénué de tout fanatisme et isolé de l’islam
politique ; enfin, insister sur l’idée d’un islam intimement associé aux rôles économique, social et
religieux joués par les élites et les leaders religieux.3 Ce dernier volet prend son importance sous
1
R.J. Gravel, Guide méthodologique de la recherche, Montréal, Presses Universitaires du Québec, 1978, p.3. Pour
d’autres écrits sur la méthodologie, voir entre autres, M Beaud, L’art de la thèse. Comment rédiger une thèse de
doctorat, un mémoire de D.E.A ou de maîtrise ou tout autre travail universitaire, Paris, Guides Repères, La
Découverte, 1998 et le document intitulé ‘‘Guide méthodologique pour la rédaction des thèses, mémoires, ouvrages
et articles’’, Université de Yaoundé I, Département d’Histoire, octobre 2004.
2
A cet égard, l’islam camerounais est associé à ‘‘l’islam noir’’, expression qui prend naissance à partir des années
1910 et se constitue en théorie sous la plume de P. J. André dans son livre L’islam noir. Contribution à l’étude des
confréries en Afrique Occidentale, suivie d’une étude sur l’islam au Dahomey, Paris, P. Geuthner, 1924. Cette
expression a été reprise par J-C. Froelich dans Les musulmans d’Afrique noire, Paris, éd. de l’Oriente, 1962 et par V.
Monteil dans L’islam noir, Paris, Seuil, 1971. ‘‘L’islam noir’’ est une expression polémique qui désigne l’islam
pratiqué par les peuples africains au Sud du Sahara. Il a été un outil majeur dans l’élaboration de la politique
musulmane de la France en Afrique Sub-saharienne. Le concept d’‘‘islam noir’’ s’oppose à ‘‘l’islam blanc’’,
‘’l’islam jaune’’ et il irrite ou même exaspère les Africains qui y voient une tentative de division menée par l’excolonisateur. Pour de plus amples renseignements sur l’évolution de cette théorie, lire J-L. Triaud, ‘‘Les études en
langue française sur l’islam en Afrique Noire. Essai historiographique’’, Lettres d’Infirmation de l’Association
Française pour l’Etude du Monde Arabe et Musulman (A.F.E.M.A.M), n° 2, décembre 1987, pp. 67-68.
3
L’ensemble de ces problèmes est désigné par l’expression ‘‘question musulmane’’ ou encore ‘‘affaires
musulmanes’’ c’est-à-dire selon J-L. Triaud ‘‘Les études en langue française sur l’islam en Afrique Noire. Essai
historiographique’’, p. 65.) ‘‘ce secteur de l’administration coloniale chargée de la surveillance de l’islam’’. Ils
3
la plume des administrateurs coloniaux qui conçoivent les chefs religieux traditionnels comme
des auxiliaires de l’administration, appelés à transporter les directives coloniales auprès des
populations. Cet intérêt pour les chefs religieux ne s’est pas démenti jusqu’au lendemain des
indépendances.4
Aussi, après les indépendances, de nombreux textes seront publiés sur divers aspects de la
rencontre de l’islam avec les sociétés d’Afrique noire. Des auteurs parlent de ‘‘dynamique de
l’islam au sud du Sahara’’5 et se penchent sur la ‘‘vie intérieure des communautés’’6. Ils
s’intéressent aux réactions de certains musulmans qui contestent le pouvoir politique établi et
l’islam traditionnel. Ils s’interrogent aussi sur la portée et la signification de leurs prises de
position.7 Dans le même temps, ils étudient les nouvelles initiatives économiques et politiques
prises par les confréries.8 Il est aussi question de reconnaitre au monde musulman subsaharien sa
richesse culturelle et de montrer en quoi l’héritage islamique est ancien et multidimensionnel.
Enfin, les phénomènes religieux au sud du Sahara sont désormais associés au concept de
modernité9 et leur dynamisme culturel et social est observé10.
Au Cameroun, ces travaux ont alimenté toute une recherche pendant les décennies 1960,
70 et 80 qui ont pris leurs distances envers les études coloniales (M. Bakari, 1963 ; E.
avaient engendré la mise en place, par l’administration coloniale française, d’une philosophie politique
essentiellement basée sur les modes de vie et d’action des groupes musulmans : ‘‘la politique musulmane de la
France’’, expression de Robert Arnaud qui fut chef de la section des affaires musulmanes au gouvernement général
de l’AOF et par ailleurs maître à penser du colonialisme français. Il a publié en 1912 une étude intitulée ‘‘L’islam et
la politique musulmane française’’. Sur un plan général et pour plus de détails sur les ambiguïtés de cette politique,
on peut lire : A. Traoré, Islam et colonisation en Afrique noire, Paris, Maison neuve, 1983, pp. 108 et suivantes.
4
C. Coulon, Les musulmans et le pouvoir en Afrique noire, Paris, Karthala, 1983.
5
Voir J.S. Trimingham, Islam in West Africa, Oxford, Oxford University Press, 1962 et G. Nicolas, Dynamique de
l’islam au sud du Sahara, Paris, Publications Orientalistes de France, 1981.
6
R. L. Moreau, Africains musulmans, des communautés en mouvement, Paris, Présence africaine/ Inades, 1982, p.5.
7
R. D. Robinson et J.-L. Triaud (s.d.), Le temps des marabouts. Itinéraires et stratégies en Afrique occidentale
française v. 1880-1960, Paris, Karthala, 1997 et A. Traoré, Islam et colonisation en Afrique, 1983.
8
Se référer notamment aux articles dans la revue annuelle Islam et Sociétés au sud du Sahara publiée par les
Editions de la Maison des Sciences de l’Homme, lancée en 1987 et interrompue en 2004. Elle a repris ses activités
en début 2008 sous la forme d’une collection sur les sociétés musulmanes d’Afrique et d’une série reprenant le
même titre chez l’éditeur Les Indes Savantes. Dans cette série, le no. 1 est daté de décembre 2007. Voir aussi
l’ouvrage de J. Hanson, Migration, Jihad and Muslim Authority in West Africa, Bloomington, Indiana University
Press, 1996; la revue Politique africaine, no 4, Paris, 11/1981, consacrée entièrement à la question islamique en
Afrique noire et l’ouvrage de L. Kaba, The wahhabiyya, Islamic reform and politics in French West Africa,
Evantson, Northwestern University Press, 1974.
9
J.-F. Bayart, Religion et modernité politique en Afrique noire. Chacun pour soi Dieu pour tous, Paris Karthala,
1993, p.12 et F. Constantin et C. Coulon (s.d.), Religion et transition démocratique en Afrique, Paris, Karthala, 1997.
10
R. Otayek parle de ‘‘ nouveaux intellectuels musulmans d’Afrique noire’’, R. Otayek (s.d.), ‘‘Introduction’’, Le
radicalisme islamique au sud du Sahara. Da’wa, arabisation et critique de l’ Occident, Paris, Karthala/ MSHA,
1993, p. 7 et plus généralement D. Westerland et E.E. Rosander (éds.), African Islam and Islam in Africa, London,
Hurst, 1997 et N.Levtizion et R. L. (eds), The History of Islam in Africa, Ohio University Press, 2000.
4
Mohammadou, 1963, 1964, 1969, 1970, 1975, 1976, 1980 et 1983 ; H. Bassoro, 1965 ; J.C.
Zeltner, 1967 ; M.Z. Njeuma, 1971, 1978 et 1989 ; Abbo, 1971 ; P.F. Lacroix, 1966 et 1980 ; A.
Njiasse Njoya, 1981 et 1988 ; etc.). Les thèmes abordés pendant ces trois décennies sont la
pénétration de l’islam au Nord-Cameroun, ses caractéristiques et ses représentants, l’influence de
l’islam dans le domaine culturel, juridique et linguistique, dans la politique traditionnelle, etc.
L’accent est aussi mis sur leurs aspects ethnique, social et culturel. On insiste sur la naissance et
la construction des cités-royaumes musulmans avant la colonisation ; sur l’ampleur réelle ou
supposée accordée à l’islam au plan socio-politique dans le Nord-Cameroun et à Foumban. Ces
citées royaumes orientent la sélection des faits et des événements.
Depuis ces différentes études, l’islam au Cameroun a évolué, selon différentes démarches,
sans pour autant épuiser sa substance, ni établir une méthodologie définitive. Et sur cette base,
une historiographie récente a vu le jour. Œuvre des chercheurs nationaux et étrangers, elle essaie
de montrer la place privilégiée de l’élément Peul11 (Ph. Burnham, 1991,1992 et T.M. Bah, 1993);
le processus d’islamisation et l’acculturation des peuples convertis (K. Shilder, 1991 et 1994) ; la
problématique des confréries (M.Z. Njeuma, 1992) ; la logique et l’action des missionnaires
maghrébins au Cameroun et divers aspects de la modernité islamique (T.M. Bah, 1995 et 1996).
Elle s’intéresse aussi aux réactions de certains musulmans qui contestent le pouvoir colonial et
s’interroge sur la portée et la signification de leurs prises de position (E. Mohammadou, 1992) ;
au rôle présumé de l’administration coloniale dans l’expansion de l’islam (D. Abwa, 1997 et
A.C. Lomo Myazhiom, 2000) ; à l’enseignement arabo-islamique (H. Adama, 1993, 1997, 1998,
1999 et 2001) ; à la vieille problématique de l’opposition entre les musulmans traditionnels ou
‘‘conservateurs’’ et ceux qui sont qualifiés de ‘‘modernistes’’ ou ‘‘réformateurs’’ (G.L.Taguem
Fah, 2002 et H. Adama, 2004) ; à l’apprentissage démocratique en milieu majoritairement
musulman (H. Adama, 2002) et l’éternel question des relations entre l’islam et la politique
(l’Etat) au Cameroun (H. Adama, 2004, A.P. Temgoua, 2005 et G.L. Taguem Fah, 2005).
De ce qui précède, se dégagent des lignes de force et trois tendances distinctes. La
première est que l’espace musulman camerounais est à la fois cloisonné et structuré. Il est
cloisonné dans le sens où il épouse les réalités géopolitiques, historiques, culturelles,
linguistiques et ethniques à savoir le Nord-Cameroun.12 Si l’on voudrait lui trouver un ‘‘centre’’,
il faudrait le chercher à Maroua, Garoua, Ngaoundéré ou encore à Foumban, noms qui évoquent,
11
Les concernés se nomment eux-mêmes Fulbe (Foulbé). Le nom Peul est probablement dérivé du terme Pullo
(singulier de Fulbe)
12
M.Z. Njeuma, ‘‘Regionalisation and creation of ‘‘Northern Cameroon’’ Identity’’, disponible au lien internet
http:/www.oslo2000.uio.no/program/papers/s9-njeuma.pdf; consulté le 21 avril 2004.
5
plus que tous les autres au Cameroun, la tradition islamique. Mais cet espace est aussi structuré
par la logique de pénétration : djihâd13 et l’activité guerrière qui lui servent d’assise et par la
densité des structures sociales et politiques (sultanats, lawanats, lamidats, mosquées, etc.) qui
l’ont depuis longtemps ‘‘naturalisés’’ dans ces sociétés.
Cette première tendance fait en effet de la géographie de l’islam camerounais une bande
de territoires qui va de la région de l’Extrême-Nord (au Sud du Lac Tchad) jusqu’à la lisière de la
forêt au Sud de la région de l’Adamaoua14, avec un prolongement vers le royaume bamun, au
Sud-Est. A cette seule exception près, et si l’on fait abstraction de quelques enclaves
méridionales issues des avant-postes du djihâd peul du début du XIXe siècle, l’islam ne
dépasserait guère la ligne qui part du Nord de Bamenda dans la région du Nord-Ouest, passe dans
le Sud de Yoko et au Nord de Bertoua (région de l’Est) jusqu’à la frontière avec la République
Centrafricaine, Bouar et Berberati (voir carte no
1).15
La deuxième constatation est que la recherche historique relative à l’islam au Sud
Cameroun est restée marginale dans l’historiographie camerounaise et échappe très souvent au
regard des chercheurs plus enclins à mener des recherches sur cette thématique dans la partie
septentrionale du Cameroun, précocement reliée aux puissantes civilisations musulmanes qui
parsemaient les rives du Lac Tchad16 et au - delà, au commerce transsaharien et au Maghreb.
13
Pour une discussion de l’émergence de la notion de djihâd en islam et de ces multiples usages dans l’histoire
islamique, des moments marquants de ses réinterprétations ainsi que les débats auxquels a donné lieu la notion de
djihâd, tant au sein des sociétés musulmanes, au cours de l’histoire, que dans l’historiographie moderne, voir M.
Bonner, Le jihad. Origines, interprétations, combats (traduit de l’anglais par Alix Barreau), Paris, Téraèdre, 2004.
14
Voir glossaire.
15
Jusqu’au 22 août 1983, au Nord des départements du Donga-mantung (Nord-ouest), du Noun (Ouest), du Mbam
(Centre) et Lom et Djerem (Est), cette partie du Cameroun ne constituait qu’une seule province du Nord avec Garoua
comme capitale. Depuis cette date, un décret présidentiel l’a démembré en trois provinces de l’Adamaoua
(Ngaoundéré), du Nord (Garoua) et de l’Extrême-Nord (Maroua). De la limite méridionale de l’Adamaoua à son
extrême pointe dans les eaux du Lac Tchad, cette région s’étire du 6e au 13e parallèle sur une superficie de 166493
km 2 pour une population de plus de 3.000.000 d’habitants très inégalement répartie. Voir Démo 87, Ministère de
l’Equipement et du Plan, Yaoundé, 1987.
16
Le bassin tchadien a été très tôt visité par l’islam à travers les routes caravanières du Sahara. Ainsi le royaume
musulman Kanem, à l’Est du lac Tchad ; celui du Bornou au Sud-ouest du même lac, et qui absorba le Kanem sont
autant d’Etats musulmans qui rayonnent autour du Lac Tchad entre le XIIIe et le XVe siècle. On connaît assez-bien
le paysage et la chronique tourmentée de ces royaumes grâce notamment aux écrits d’historiens et géographes
arabophones tels qu’Ibn Battuta, Ibn Khaldun, Al Idrissi. Ces œuvres de chroniqueurs arabes ont été confrontées par
l’équipe de J.O Hunwick (Northwestern University, U.S.A) et R. Sean O’fahey (University of Bergen, Norway)
chefs de projet et éditeurs du programme Arabic Literature of Africa. Le programme a déjà édité plusieurs volumes
dans cette série. Voir aussi le numéro spécial de la revue Politique africaine cordonné par J. Roitman, Autour du Lac
Tchad : intégrations et désintégrations, Paris,, Karthala, 2004.
6
Carte no 1 p.6
7
Pour l’essentiel et en direction de notre zone d’étude, R. Gouellain, témoin de la situation
religieuse de Douala au milieu du XXe siècle, n’a pas cru nécessaire de parler de l’influence de
l’islam - à peine de son existence - dans sa thèse sur Douala.17 Etrange oblitération à l’égard
d’une religion intimement mêlée à l’histoire de certaines parties de cette ville.
A. Njiasse Njoya, dans un genre intermédiaire, voir hybride, entre sources primaires et
synthèse historique, se fait l’écho de l’implantation de l’islam dans certaines villes de la partie
méridionale du Cameroun.18 Toutefois cette étude souffre d’un déficit méthodologique et l’auteur
reste évasif notamment en ce qui concerne les données sur la côte camerounaise.
Dans ses multiples travaux, H. Adama s’est intéressé à la ville de Douala. Il a en effet
entrepris la rédaction d’une monographie sur New-Bell, en mettant l’accent sur la répartition
ethnique des fonctions religieuses islamiques et sur le système d’enseignement, fournissant ainsi
une somme de données sur certaines questions que nous étudions.19 Cependant, cette grille de
lecture un peu restreinte, ne permet pas de reprendre en profondeur l’essentiel des principales
questions qui traversent la communauté musulmane de Douala dans ses multiples rapports avec
son environnement, notamment les implications de la migration musulmane et son impact sur les
domaines aussi variés et complexes que, l’urbanisation, l’économie et la politique. Ce faisant,
bien des aspects exigent encore un certain éclairage. De même, dans son ouvrage20, il traite à
l’occasion de la religion musulmane à Douala, sans toutefois offrir une synthèse approfondie de
sa présence.
Dans la même perspective, G.L.Taguem Fah dans un article intitulé ‘‘Tendances actuelles
de l’islam au Cameroun : état des lieux et perspectives’’ opère
une rupture et tente de
décloisonner l’islam camerounais en abordant incidemment la présence musulmane dans un
environnement anthropo-géographique nouveau : l’islam solidement implanté dans l’espace
soudano-sahélien, fait désormais une incursion dans les sociétés pré-forestières et forestières.
C’est le cas de certaines cités comme Garoua Boulay, Bertoua, Sangmélima, Mbalmayo et
17
R.Gouellain, Douala, ville et histoire, Institut d’ethnologie, Paris, Musée de l’Homme, 1975, pp. 127-133.
A. Njiasse Njoya, ‘‘L’islam au Cameroun’’ in La culture arabo-islamique en Afrique au Sud du Sahara : cas de
l’Afrique de l’Ouest, Zaghouan, Publication de la Fondation Timimi pour la Recherche Scientifique et l’Information,
1997, pp. 259-273.
19
H. Adama, ‘‘Migration musulmane et enseignement arabo-islamique à Douala’’, Annales de la FALSH de
l’Université de Ngaoundéré, vol. II, 1997, pp. 37-54.
20
H, Adama, L’islam au Cameroun. Entre tradition et modernité, Paris, L’Harmattan, 2004, pp. 48-55.
18
8
Ebolowa.21 Ce faisant, il plaide ou confirme de façon implicite la nécessité de mettre l’accent sur
des monographies à l’issue desquelles on pourrait rendre compte de la singularité des expériences
de l’islam dans les cités méridionales du Cameroun.
En somme, ces articles et contributions pêchent par un certain nombre de manquements
dus à deux faits : soit ils partent d’expériences vécues dans des contextes différents, soit ils
donnent des informations très parcellaires et incomplètes sur notre sujet. En un certain sens,
l’islam au Sud-Cameroun en général fait un peu figure de ‘‘cadet’’ par rapport à son ‘‘aîné’’ dans
le Nord-Cameroun et les spécialistes lui portent peu d’intérêt. Cette manière de voir conforte les
préjugés sur l’effacement de l’islam dans la partie méridionale du Cameroun, considérée à tort
comme un bastion du christianisme. Pourtant, en dépit de sa ‘‘discrétion’’, cet islam sudcamerounais n’est pas quantité négligeable. En effet, pris dans son ensemble, les musulmans
constituent aussi bien au Nord qu’au Sud-Cameroun une minorité, mais une minorité forte, que
cette minorité numérique soit envisagée en termes absolus (par rapport à la population totale de
l’Etat) ou encore en termes relatifs (par rapport aux autres confessions)22.
21
G.L. Taguem Fah, ‘‘Tendances actuelles de l’islam au Cameroun : état des lieux et perspectives’’, Afrique
contemporaine, n° 194, 2° trimestre 2000, pp. 53-66. Se référer aussi à l’article du même auteur intitulé ‘‘Processus
politique, mutation sociale et renouveau islamique au Cameroun’’, Rupture-solidarité, nouvelle série, no.4, 2003, pp.
215-242.
22
L’importance numérique des musulmans du Cameroun est assez difficile à déterminer car la quasi-totalité des
statistiques ne donne que des chiffres globaux par groupements. Pour la période coloniale française, les estimations
faites varient de 40 000 (rapport J.Beyries 1947) à 50 000 (rapport Prestat 1950) pour les seuls musulmans au Nord.
Si nous nous basons sur ces rapports et que nous y associions les 60 000 musulmans de la région bamoun (rapport
Prestat 1950) et les 10 000 musulmans (Rapport Prestat 1950) disséminés dans les grandes villes du Sud (Douala et
Yaoundé notamment) nous aurions un chiffre approximatif d’un demi-million de musulmans au Cameroun, soit 16%
de la population totale qui s’élève environ à 3 millions au milieu des années 1950 (L. Mohaman, Journal des débats
de l’Assemblée Législative du Cameroun, 3e année, n° 9 du 21 mars 1957, p. 113 et ANY 1AC 3389, Activités
musulmanes au cours du 4e trimestre 1950, p.1). Après l’indépendance, on avait l’habitude de donner sur le plan
confessionnel des pourcentages plus ou moins approximatifs sur la répartition des populations selon les religions : 35
à 40 % de chrétiens ; 25 à 30 % de musulmans et 45 % des pratiquants des religions traditionnelles dites animistes.
Lors du deuxième recensement général de la population en 1987 (Cf. Démo 87, Ministère de l’Equipement et du
Plan, Yaoundé, 1987), A. Njasse Njoya, agissant en tant que vice-président de l’Association Culturelle Islamique du
Cameroun (ACIC) n’avait pas pu obtenir l’autorisation d’introduire une question relative aux religions. Il estimait
cependant que les musulmans représenteraient approximativement 27% de la population camerounaise, soit environ
3 millions de croyants dont 1,5 millions au Nord (Cf.A. Njiasse Njoya, ‘‘L’islam au Cameroun’’, 1997, pp. 248249).
Cependant, les musulmans revendiquent environ 7 millions de fidèles (Cf. Statuts Association Solidarité de
la Vocation Islamique du Cameroun/ Conseil National Supérieur des Affaires Islamiques au Cameroun
[(ASSOVIC/CONSAIC)] ; décret n° 92/032/92 du 21 février 92. En 2000, l’ONU avançait le chiffre de 5.144. 067
personnes musulmanes au Cameroun, soit 33% de la population. Selon le rapport du Bureau de la Démocratie, des
Droits de l’Homme et du Travail dans sa section ‘‘Démographie Religieuse’’, la population camerounaise était ainsi
composée, en 2005, d’une bonne moitié (50%) de chrétiens, d’environ un quart (25%) de musulmans
majoritairement adeptes d’un islam sunnite de rite malékite, et d’un quart (25%) d’adeptes des religions
traditionnelles. Entre ces estimations maximalistes et minimalistes, la réalité est que le poids démographique réel
des musulmans camerounais reste à déterminer.
9
La troisième et dernière constatation qui s’impose à l’évidence est que l’islam au
Cameroun comme ailleurs est bien plus visible qu’il ne l’était il y a de cela une vingtaine
d’années. De Maroua à Foumban en passant par Garoua et Ngaoundéré, et surtout tous les gros
noyaux musulmans des milieux urbains du Sud-Cameroun, les communautés musulmanes
gagnent constamment du terrain ; elles sont de plus en plus actives et agissantes. Autrement dit,
la religion islamique est aujourd’hui un facteur important de la vie humaine au Cameroun et son
impact se fait sentir non seulement dans la partie septentrionale où elle a pris naissance mais
aussi dans les autres coins du Cameroun, englobant une partie importante de la population. Des
structures nouvelles voient le jour et une élite musulmane commence à prendre la relève : des
associations islamiques se créent ; des écoles privées islamiques s’ouvrent; des mosquées
marquent de plus en plus l’espace urbain (taille et emploi des matériaux de construction) et même
rural, devenant des ‘‘lieux majeurs de la vie communautaire’’23. Dans un contexte de regain
islamique et de prosélytisme depuis l’aube des années 1980 et davantage au cours de la décennie
suivante à Douala, il est courant d’observer qu’autour de certaines mosquées du vendredi,
s’agrègent une salle de cours, ou un institut de formation, ou une salle de prière autonome pour
les femmes, ou encore le siège d’une association, etc. On peut donc parler d’une affirmation
croissante des communautés musulmanes, surtout dans les régions où elles sont nettement
minoritaires. Ce redéploiement invite aussi à s’interroger sur les acteurs, les manifestations de
cette effervescence, son impact et d’en dégager des perspectives.
Dans une contribution consacrée à l’‘‘islam politique au Sud du Sahara’’ G. L. Taguem
Fah constate que l’islam, dans la moitié Sud du Cameroun, se transforme et se diversifie du point
de vue interne et s’étend également hors de ses micros territoires traditionnels. Chaque ville de la
forêt, de l’Ouest ou du Littoral possède sa et même souvent ses mosquées.24 Ce constat suggère
des éléments de discussion. Il ne s’agit pas tant d’une augmentation spectaculaire des convertis bien que l’islam progresse dans les régions où la population adepte des religions traditionnelles
est encore importante - que d’une lisibilité plus grande de l’islam dans la sphère publique, d’un
prosélytisme plus mobilisateur pour ‘‘islamiser les mœurs’’, de demandes nouvelles envers les
autorités de l’Etat pour que l’islam soit mieux reconnu et respecté dans le domaine public : fêtes
23
C.Coulon, ‘‘Introduction. Les nouvelles voies de l’umma africaine’’, L’Afrique politique 2002. Islam d’Afrique :
entre le local et le global, Paris, Karthala et CEAN, 2002, p. 20.
24
G.L. Taguem Fah, ‘‘Pouvoir du savoir, renouveau islamique et luttes politiques au Cameroun’’, in M. GomezPerez (s.d.), L’islam politique au sud du Sahara. Identités, discours et enjeux, Paris, Karthala, 2005, pp.557-581.
10
musulmanes, éducation, pèlerinage entre autres.
Dans les zones urbaines du Sud-Cameroun où l’islam est encore plus minoritaire, H.
Adama parle des ‘‘échanges multiformes’’ ayant donné naissance à une forme islamique
influencée par le bon sens et le réalisme, dictés par une longue tradition d’échanges économiques,
caractéristique des milieux commerçants.25 Ces échanges visent à préserver dans un
environnement fortement influencé par le modèle culturel occidentalo-chrétien, les modes de vie
liés à la religion musulmane et à faire de l’islam une force vivante. Un nouvel état d’esprit est
inauguré par la ‘‘conscience islamique’’. On refuse l’effacement. On montre sa foi, parfois de
façon ostentatoire. Certains auteurs parlent d’une effervescence religieuse qui s’expliquerait
autant par les nouvelles libertés acquises avec la démocratisation que la fragilisation des
structures étatiques qui laisserait le champ ouvert à d’autres formes d’action et de mobilisations
collectives.26
De ce bilan de la littérature, il en ressort que l’islam au Nord Cameroun a été davantage
étudié notamment par des administrateurs coloniaux, des historiens, des sociologues, des
anthropologues, des politologues, des ethnologues, des témoins personnels et fait régulièrement
l’objet des publications (ouvrages et articles de revues), des thèses et des mémoires. Il en ressort
aussi que la carte islamique du Cameroun laisse apparaître une différenciation Nord/Sud, avec
une implantation de plus en plus récente et diluée de l’islam à mesure que, de l’Extrême-Nord, on
gagne le Sud du pays. Il nous semble par conséquent important d’élargir les enquêtes au-delà du
Nord et de Foumban, d’étudier d’autres groupes qui n’ont pas encore pris une place importante
dans ces investigations. C’est donc dire que la fécondité de ces immenses travaux c’est ce qu’ils
libèrent, ce qu’ils ouvrent comme perspectives de recherches utiles et fécondes chez les autres. Il
apparaît en effet que ces travaux indiquent des points d’appui, apportent des informations et
suscitent des questionnements qui enrichissent les problématiques anciennes et/ou récurrentes,
s’ajoutent aux questions en émergences et éclairent notre étude : nous posons ce principe
25
H. Adama, L’islam au Cameroun, 2004, pp.48-65.
Voir F. Eboussi Boulaga, La démocratie de transit au Cameroun, Paris, L’Harmattan, 1997, pp. 230-260. On peut
aussi se référer à P. Titi Nwel, ‘‘Les Eglises chrétiennes face à la tourmente démocratique au Cameroun’’,
Conférence de Leeds, 20-24 septembre 1993; E. Nyansako-Ninku, Cry Justice. The church in a changing Cameroon,
Buea, 1993 ; J.F. Médard, ‘‘Les Eglises protestantes au Cameroun, entre tradition autoritaire et ethnicité’’ in F.
Constantin et C. Coulon (s.d.), Religion et transition démocratique en Afrique, p. 189-220 et ‘‘Territoires, identités et
politique : le cas des Eglises protestantes au Cameroun’’, in G. Séraphin (éd.), L’effervescence religieuse en Afrique.
La diversité locale des implantations religieuses chrétiennes au Cameroun et au Kenya, Paris, Karthala, 2004, p.
171-196 et E. De Rosny, ‘‘Etudes des nouveaux mouvements religieux et philosophiques à Douala (Cameroun)’’, in
G. Séraphin, L’effervescence religieuse en Afrique, pp. 89-170.
26
11
méthodique comme un acquis définitif des sciences historiques au titre d’hypothèse heuristique, à
tout le moins.
B-Choix du sujet
Dans le cadre de cette étude, nous avons voulu porter l’éclairage sur un aspect encore mal
connu : les origines historiques de l’implantation, de diffusion et de consolidation de l’islam dans
la région côtière et notamment à Douala. Nous voulons rendre compte entre autres de son
évolution en tant que religion et culture, de sa diversité, de ses clivages internes et de son
extraordinaire complexité qui déterminent le comportement des musulmans de cette ville et
marquent leur particularité. Ce tableau de synthèse de l’islam à Douala nous paraît prometteur,
riche en potentialités et en enseignements, d’autant que la littérature est très peu abondante.
Choisir de travailler sur les communautés musulmanes de Douala permet aussi de
s’insérer dans une tendance de la recherche née ces dernières années au Département d’Histoire
de l’Université de Yaoundé I où des étudiants s’intéressent à l’élargissement du champ des
connaissances sur l’histoire des communautés musulmanes de la partie méridionale du
Cameroun.27 C’est ce sillon que nous contribuerons à creuser dans ce travail. Et, dans cette
optique, cette thèse n’en constitue qu’une partie et d’autres recherches sur d’autres localités sudcamerounaises seraient les bienvenues afin de permettre de construire une image plus complète et
plus nuancée de l’islam au Cameroun contemporain. Fort de ces idées, le travail qui est entrepris
dans le cadre de cette thèse est intitulé :
‘‘Islam et société à Douala (Littoral-Cameroun) : 1912-2006’’
Sous-jacent à cet intitulé, se profile la nécessité de situer l’intérêt et la pertinence de notre
sujet.
27
Ces recherches ont donné lieu à des thèses et des masters déjà soutenus sur cette problématique. On peut citer entre
autres : S. Mane, ‘‘Islam et société dans le Mbam : XIXe-XXe S.’’, Thèse de Doctorat/Ph D. en Histoire, Université
de Yaoundé I, 2005-2006 ; C. Tardzenyuy, Jumban, ‘‘The impact of the fulani in the Fondom of Nso’s, 1920s2004’’, Mémoire de Master en Histoire, Université de Yaoundé I, 2002-2003; B. Mijang Ndikum, ‘‘The Spread and
integration of Muslims in South-West Cameroon: 1903-1990’’, Mémoire de Master en Histoire, Université de
Yaoundé I, 2003, etc.
12
C- Intérêt de l’étude
Peu ou aucunement abordées dans les travaux, les communautés étudiées partagent depuis
leur installation tout au long du XXe siècle une histoire et un espace géographique communs ; à
la suite des contacts et des échanges multiples, des similitudes s’observent quant aux modes
d’organisation sociale et à la façon de réagir dans leur milieu d’accueil. Autant de traits de
civilisation qui font des populations concernées une et multiples, donnent l’impression d’unité
dans la diversité, et auxquels nous ne sommes pas restés insensible. Au regard de ce qui précède,
l’écriture de l’histoire des communautés musulmanes de Douala est importante à plus d’un titre.
Sur le plan scientifique, notre étude est d’abord une modeste contribution à
l’historiographie camerounaise en général et spécifiquement une participation à l’élaboration et à
la vulgarisation des recherches sur l’histoire de ces communautés qui ‘‘matérialisent les
nouvelles frontières de l’islam au Cameroun’’28. Par ce travail, non seulement nous contribuons à
élargir les enquêtes au-delà de ses foyers classiques du Nord-Cameroun et de Foumban - qui ont
été privilégiés jusqu’à maintenant dans les recherches - , mais aussi nous portons notre attention
sur les nouveaux acteurs, les nouvelles structures islamiques (associations, centres culturels,
actualisation des informations sur le fait scolaire franco- islamique à Douala, etc.) ; sur les
pratiques sociales d’ ‘‘en bas’’ ou encore sur les modes d’occupation de l’espace public, forme
tout à fait originale de prosélytisme ou d’islamisation à Douala par la diffusion et la
popularisation des modèles culturels venant du Maghreb, du Proche et du Moyen Orient. Dans la
même veine, notre travail contribue à la connaissance des différents visages de l’effervescence
islamique à Douala ; à la connaissance du phénomène de prosélytisme avec la diffusion de
brochures, de journaux, de l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la
communication et la tenue de séminaires, des causeries et de conférences, bref de la (mass)
médiatisation. Enfin, cette étude est importante aussi par la mise en évidence de la singularité
des trajectoires migratoires et les particularités des modes d’investissement des espaces dans les
‘‘marges’’ (en l’occurrence la localité de Douala) du cadre national camerounais par les
communautés musulmanes. C’est une optique qui permet le retour et une compréhension par le
‘‘local’’, dans un ancrage plus fluide, plus cohérent par rapport aux problématiques nationales ou
28
H. Adama, L’islam au Cameroun, p.9.
13
régionales qui ne prennent pas souvent en compte la singularité des dynamiques se déroulant
dans les ‘‘marges’’29.
Nous pensons en effet que les processus socio-religieux ne sont ni linéaires, ni
homogènes; chaque espace et chaque moment imprimant sa propre trajectoire de la mutation
sociale. Cette approche est essentielle pour l’analyse en profondeur des phénomènes complexes
comme les modalités d’expression de la religion islamique à Douala, dans leurs catégories
singulières et au regard des facteurs exogènes et endogènes. En tout cas, il convient de noter que
l’islam camerounais n’a rien d’un bloc identique. D’une région à une autre du Cameroun, d’une
ville à une autre, les communautés musulmanes représentent des physionomies tellement
différentes les unes des autres et parfois si complexes qu’il est difficile de les grouper dans une
seule catégorie : profondeur historique, taille démographique, l’emprise territoriale, la structure
d’autorité, la dimension culturelle, l’enracinement plus ou moins populaire, etc.
Sur le plan pratique, la connaissance de la dynamique socio-islamique à Douala participe
d’une lisibilité des rapports transculturels et peut ainsi permettre de connaître certains segments
constitutifs de cette société. Elle peut aussi contribuer à la mise en place des mécanismes et de
dispositifs visant à donner un semblant de cohérence et à gouverner politiquement,
économiquement et culturellement cette société, composée de nombreuses entités ethniques,
religieuses et culturelles distinctes. Ces éléments de réflexion peuvent enfin contribuer aux
politiques de décentralisation qui apparaissent comme le passage obligé pour un développement
socio-économique harmonieux, durable, et pour une bonne gestion politique et administrative.
Une autre raison qui justifie l’intérêt pratique de notre sujet réside dans son actualité dans
29
Il se pose ici la question fondamentale et controversée de savoir quel cadre géographique est le plus adéquat et le
plus fécond pour la production du savoir historique en Afrique (voir T.M. Bah, ‘‘Quelle cadre géographique pour
l’histoire en Afrique ? Plaidoyer pour une dimension régionale’’, Conférence commémorative du 30e anniversaire du
CODESRIA, Dakar, 08-11 décembre 2003). Si l’histoire régionale, transnationale, plus vaste, plus ouverte et dont les
problématiques sont plus conformes à l’effort d’intégration de l’Afrique (‘‘Quelle histoire pour l’Afrique de
demain ?’’, Séminaire méthodologique, UNESCO (BREDA)/CODESRIA, Ndjamena, Tchad, 1989) gagne du
terrain, on doit aussi reconnaître que, parallèlement, s’affirme de plus en plus un nouveau paradigme, celui de la
localité, qui apparaît, par rapport au modèle hégémonique étatique, comme une épistémologie alternative d’une
histoire ‘‘par le bas’’. Comme le souligne Mamadou Diouf, la région (localité) supporte une certaine historicité et
des histoires qui sans s’affirmer dans une spécialité radicale, constituent une ‘‘bibliothèque’’ particulière (M. Diouf,
‘‘Des historiens et des histoires, pourquoi faire ?’’, Table ronde Réécriture de l’histoire, 9ième Assemblée Générale du
CODESRIA, Dakar, 1998), qui permet une meilleure prise en compte des dynamiques socio-politiques profondes. La
localité apparaît ainsi comme un espace d’initiative et de liberté où opèrent des acteurs de l’histoire incarnant la
diversité des segments constitutifs des sociétés africaines. Par souci d’efficacité, notre option est donc une étude
historique sur un espace relativement restreint plutôt qu’une grande synthèse du type : Islam et société dans le
Littoral-Cameroun, où l’assiette géographique serait large, vague, hâtive et pourrait occulter des pans de l’histoire
dont la richesse et la pertinence sont avérées.
14
la mesure où il peut aider à faire reculer les images négatives que la plupart des gens, par
ignorance, ont de l’islam et des musulmans. En effet, l’islam, l’une des trois grandes religions du
Livre, est au cœur même d’une actualité brûlante et soulève débats et controverses, en rapport au
traumatisme du 11 septembre 2001, qui a déterminé une cassure et un tournant dans la
géopolitique internationale. Dans cette perspective, ce travail peut constituer une sorte d’antidote
à l’intolérance et aider à bien cerner les dissidences qui produisent l’intégrisme.
L’ensemble de ces intérêts exige un commentaire succinct sur le cadre géographique et
certaines césures chronologiques.
D- Délimitations du sujet
-Cadre géographique
L’étude des communautés musulmanes de la ville de Douala était encore à entreprendre.
Ces communautés s’installent et se développent en ville. Trois critères ont retenu notre attention :
l’histoire de la ville, sa fonction économique et son importance en fonction de la diversité de sa
population afin de cerner davantage l’homogénéité ou l’hétérogénéité des communautés étudiées.
Historiquement, c’est par la côte que le Cameroun s’est intégré à l’économie-monde,
selon le modèle de l’extraversion - traite des esclaves, impérialisme et colonisation-30. Longtemps
en contact avec les Européens pour le commerce et l’exploitation de l’hinterland, cette rencontre
a permis de créer les bases d’une accumulation interne, certes étroitement déterminée par le
capital d’une part, et les rythmes de la demande mondiale de l’autre. Au début du protectorat
allemand, Douala porte encore le nom de Kamerun et sera la capitale de 1885 à 1900. En 1901,
par décret du gouvernement colonial, la ville sera baptisée Douala.31 Ainsi, la ville de Douala est
née et s’est développée dans le contexte d’une économie de traite, dont le vecteur principal fut
l’exploitation des ressources naturelles pour l’Europe industrielle. Aussi, l’irruption du
capitalisme commercial a transformé la côte camerounaise en espace urbain. L’implantation des
30
C’est sur la côte que s’est joué et où est né le Cameroun : traité de 1840 entre les Anglais et le Roi Akwa ; traité de
1841 avec le roi Bell ; etc. Le traité Germano-Douala est conclu le 12 juillet 1884, avant l’ouverture de la
Conférence de Berlin : le Cameroun échoit à l’Allemagne. En 1885, Julius Von Soden prend ses fonctions de
premier Gouverneur allemand du Cameroun. C’est ainsi que commence la période allemande de la colonisation du
Cameroun encore à définir. Lire entre autres : E. Mveng, Histoire du Cameroun, Paris, Présence africaine, 1963 ;
Kum’a Ndumbé III (éd.), L’Afrique et l’Allemagne de la colonisation à la coopération 1884-1986. (Le cas du
Cameroun), Yaoundé, Africavenir, 1986 et V.-J. Ngoh, Cameroun 1884-1985. Cent ans d’histoire, Yaoundé,
CEPER, 1990.
31
Voir Schramm, ‘‘Les administrateurs allemands de Douala’’, note inédite, IFAN, Douala, cité par R. Gouellain,
Douala, ville et histoire, 1975, p. 127.
15
entreprises coloniales, la généralisation du commerce colonial restent à l’origine de la création de
ce centre urbain, relié par les routes, les voies fluviales, maritimes, ferroviaires aux autres
localités du Cameroun et aux pays de la sous région.32
Au plan économique, Douala constitue un espace attrayant pour les migrants, grâce au
foisonnement des activités économiques. Douala a même pendant longtemps donné, surtout dans
l’imaginaire des populations locales, l’idée selon laquelle elle était une ville ‘‘apolitique’’ par ce
que l’essentiel de son activité était économique. Il s’est consolidé depuis toujours dans les
représentations au Cameroun, une sorte d’affectation des activités des deux plus grandes villes du
Cameroun : Yaoundé pour le politique et Douala pour l’économie.33 Ses industries, ses activités
économiques (commerce, transports, banques, etc.) entretenues avec les pays géographiquement
voisins mais surtout son port qui assure 80% de l’activité industrielle du Cameroun ont fait de
Douala une région économique importante. Douala est ainsi devenu au fil du temps, la capitale
économique du Cameroun. C’est l’espace urbain le plus actif et le plus cosmopolite du
Cameroun. Il mérite plus que toute autre région du Cameroun le qualificatif d’ ‘‘Afrique en
miniature’’ ou encore d’ ‘‘Afrique dans sa diversité’’.
En effet, capitale économique et principale ouverture maritime du Cameroun, Douala a
vu affluer depuis le début du XXe siècle de nombreux travailleurs et commerçants étrangers et la
région est devenue une sorte de condensé racial, une zone cosmopolite, multiethnique,
multiconfessionnelle, voire transnationale34 ; les étrangers étant plus nombreux. Les populations
d’origines ou ‘‘autochtones’’, c’est-à-dire celles qui revendiquent le privilège du jus soli du fait
de l’immigration, devinrent minoritaires dès 1929.35 Dans les années 1950, Douala ne réunit
32
Pour plus d’amples informations sur la ville de Douala en général (climat, relief, économie et population), voir
entre autres : G. Mainet, Douala. Croissance et servitudes, Paris, L’Harmattan, 1985; ‘‘Pauvreté relative et
dynamique populaire dans l’agglomération doualaise’’, in V. Singara (éd.), Pauvreté et développement dans les pays
tropicaux. Hommage à Guy Lasserre, Talence, CNRS-CEGET, 1989, pp.487-498; Marchés Tropicaux; ‘‘Spécial
Douala’’, réalisé par F. Delaunay, 1989, pp.1062-1090; ‘‘Spécial Cameroun’’, 1992, pp.3283-3342 ; ‘‘Spécial
Cameroun’’, réalisé par Ch. Gilguy, pp.2703-2755 et G. Séraphin, Vivre à Douala. L’imaginaire et l’action dans une
ville africaine en crise, Paris, L’Harmattan, 2000.
33
‘‘L’agglomération de Douala observe G. Mainet par ses fonctions et par sa mentalité, est bien différente de la
Capitale Yaoundé’’. Cf. Douala, croissance et servitudes, 1985, p.7. Pour plus d’amples informations voir D. Abwa,
‘‘Douala et Yaoundé : deux villes, deux tempéraments, deux destins’’, in S. Eno Belinga et J.-P. Vicat (éds.),
Yaoundé : une grande métropole africaine au seuil du troisième millénaire, Yaoundé, Les Classiques Camerounais,
2001, pp. 243-253.
34
Comme un peu partout à l’époque, les principaux pôles d’attirance des étrangers dans le continent africain étaient
les villes portuaires. Voir notamment C. Coquery-Vidrovitch et al. , Etre étranger et migrant en Afrique au XXe
siècle. Enjeux identitaires et modes d’insertion, Volumes I et II, Paris, L’Harmattan, 2003 et C. D. Gondola, Villes
miroirs. Migrations et identités urbaines à Kinshasa et Brazzaville, 1930-1970, Paris, L’Harmattan, 1996, J.D.
Tover, Urbanization in Africa. A Hanbook, Westport, London, Greenwood Press, 1994.
35
J. Derrick, ‘‘Elitisme colonial au Cameroun : le cas des Douala dans les années trente’’, in M.Z. Njeuma (éd.),
Histoire du Cameroun (XIXe siècle début XXe siècle), traduit de l’anglais par J. A. Mbembe et E. Nguemattha, Paris,
L’Harmattan, 1989, p.187.
16
encore que 170.000 habitants. Le port vient d’être réaménagé pour en augmenter le trafic. Sa
croissance appelle une main-d’œuvre qu’il faut faire venir de l’extérieur. Dans le même sens, la
population des ‘‘allogènes’’ est allée si croissante qu’en 1980, on estimait que 80 % des chefs de
familles résidant à Douala étaient immigrés.36 Cette population étrangère et allogène comporte de
très fortes minorités musulmanes, qui s’installent dès le début du XXe siècle, sous l’influence de
nombreux facteurs et en raison de multiples relations avec l’arrière pays (Nord, Mbam et Noun).
Cette fraction musulmane constitue la trame de notre étude. Elle a l’avantage de présenter, en
concentré, l’essentielle des situations conflictuelles émergentes et d’être considérée par les
‘‘promoteurs du projet de la nouvelle société islamique’’37 comme l’une des plus dynamiques,
comme ‘‘la ligne du front, le lieu de prédilection pour l’accomplissement du nouveau djihâd’’38.
Douala nous semble donc constituer à cet égard une région d’étude emblématique39, étant à la
fois le lieu d’arrivée et d’installation de fortes minorités musulmanes, et celui d’un peuplement
massif et hétérogène induit par la colonisation et le facteur urbain, cadre de prédilection de
l’islam40.
Ces facteurs qui relèvent à la fois de l’histoire, de l’économie et de ce qu’on pourrait
appeler la fabrique du multiple (facteur humain) constituent le préconstruit – pour emprunter une
expression chère aux sociologues et aux anthropologues-41 qui singularise notre région d’étude
par rapport aux autres régions du pays. Son association avec les interactions, les relations
d’échanges et d’influence réciproque qu’elles entretiennent au fil du temps et des intérêts à
préserver donnent un profil très différent aux communautés musulmanes de la ville de Douala,
‘‘devenue le plus vaste foyer d’émergence d’associations et de nouvelles tendances
islamiques’’42. Ces communautés constituent une illustration éloquente du développement de
l’islam hors de ses fiefs classiques.
36
G. Lasserre, préface G. Mainet, Douala, croissance et servitudes, 1985, p.11 ; lire aussi Cameroon Tribune,
quotidien bilingue du 14-02-1996, p. 2.
37
H. Adama, ‘‘Islam et sociétés au Nord-Cameroun (fin XIXe-XXe siècle)’’, Dossier présenté en vue de
l’Habilitation à Diriger les Recherches (HDR), Rapport de Synthèse, Université de Provence, Année Académique
2003-2004, p. 37.
38
Ibid.
39
Pour illustrer notre propos, voici une phrase écrite par Guy Mainet dans la conclusion générale de son livre Douala,
croissance et servitudes : ‘‘Douala résume toutes les chances et les vicissitudes du pays dans son effort pour
s´adapter au rythme du monde moderne. C’est à Douala que se trouve l’origine principale des mutations du
Cameroun contemporain’’.
40
Voir A. Piga (éd.), Islam et ville au sud du Sahara, Paris, Karthala, 2003.
41
Voir S. Beaud et F. Weber, Guide de l’enquête de terrain, Paris, la Découverte, 1997, p. 32.
42
M. Lasseur, ‘‘Cameroun : les nouveaux territoires de Dieu’’, Afrique Contemporaine, no 215-2005/3, p. 118.
17
Carte localisation lieu d’étude, p. 17
18
- Cadre chronologique
Il aurait été utile d’examiner le phénomène plus en profondeur, dans la ‘‘longue durée’’43.
Malheureusement, les sources font défaut, pour les périodes les plus reculées. Il est cependant
évident qu’à partir des foyers religieux du bassin tchadien, des pays haoussas et de l’Adamawa44,
des musulmans ont sillonné dès la fin du XIXe siècle les zones de peuplement situées au sud de
l’Adamawa, en direction de la côte. Ils ont suivi en cela les avant-postes du djihâd installés par
les communautés islamisées, ou encore les groupes de marchands musulmans sillonnant les
régions de l’Est, du Mbam et même du Centre.45 Les sources archivistiques allemandes
exploitées par A. P. Temgoua dont les travaux et publications portent essentiellement sur la
période allemande au Cameroun et en Afrique signalent la présence des marchands musulmans à
Douala dès 1906.46 Mais, on ne peut à proprement parler, se pencher littéralement sur l’hypothèse
de la présence des communautés musulmanes en tant que telle à Douala que lorsque les
Allemands initient le premier projet d’urbanisation de la ville de Douala en 1912.47 A l’occasion,
les Allemands commencent à mettre en œuvre la politique de refoulement des populations
africaines à la périphérie de la ville. Cette politique consistait à séparer par expropriation, les
zones d’habitation européenne des quartiers africains. Entreprise par les Allemands, cette mesure
de déguerpissement inaugure en effet la colonisation de nouveaux sites dont New-Bell attribué
entre autre aux communautés musulmanes, situées à l’extérieur des quartiers autochtones.48 Le
jalon temporel inférieur est de ce fait fixé au début du XXe siècle (ou plus précisément en 1912),
lorsque l’existence des musulmans en tant que communauté humaine identifiable est attestée à
Douala.
La documentation archivistique disponible fournit des données plus fiables pour la
période de l’administration coloniale française (1916-1960). Elle fait état en effet de la présence
43
F. Braudel et d’autres historiens de l’Ecole dite des Annales ont développé le concept de ‘‘longue durée’’, qui
invalide la notion d’histoire événementielle (voir notamment F. Braudel, Les ambitions de l’histoire, Paris, Editions
de Fallois, 1997). Il s’agissait de montrer que les faits ont une mémoire et que les évènements que l’on croit
‘‘historiques’’ ont toujours une perspective diachronique et synchronique à laquelle ils s’intègrent harmonieusement.
44
Voir glossaire.
45
Ph. Burnham se fait l’écho de ce phénomène, quoique de façon vague et indirecte dans son ouvrage intitulé :
Opportunity and Constraint in Savannah Society, London, Academic Press, 1980, pp. 206 et suivantes.
46
A.P. Temgoua, ‘‘Commerçants allemands et marchands haoussa au Nord-Cameroun, 1902-1915’’, Humanitas, 3,
2004, pp.61-79.
47
Voir G.Mainet, Douala, croissance et servitudes, p.16.
48
Cette opération avait connu une violente opposition et avait entrainé la mort par pendaison de Rudolf Duala Manga
Bell et son homme de confiance Ngosso Din le 8 août 1914. Par la suite, les Bell n’occuperont jamais ce quartier
puisque les Allemands ont quitté le Cameroun deux ans plus tard. Suite aux négociations avec les Français, ils
s’installeront plutôt à Bali.
19
effective des communautés musulmanes à Douala et dans bien d’autres régions du Sud du
Cameroun. Quant à la période postcoloniale, elle est marquée par des tendances et des
dynamismes nouveaux.
A travers l’ensemble des articulations du sujet, les trois premières décennies postindépendantes (1960, 1970, et 1980) paraissent charnières. En effet, la ville de Douala
expérimente, pendant ces décennies, une nouvelle forme de reproduction du savoir et une forme
de coexistence entre les musulmans ‘‘réformateurs’’ et ceux qui sont qualifiés de
‘‘conservateurs’’ dans un contexte nouveau. Les années 1990, où s’opère une libéralisation
politique, correspondent à une progressive structuration de l’islam, à l’émergence des groupes
islamiques plus revendicatifs quant à la place à réserver à l’islam et à l’émergence de nouvelles
manières de penser et de vivre l’islam en fonction des contextes économique et socio-politique.
Le tournant des années 2000 a accéléré cette dynamique notamment en 2006, date à laquelle se
manifeste de façon officielle la communauté chiite de Douala49, marquant de ce fait une évolution
notable dans l’affirmation islamique à Douala. Cette sortie symbolique marque la borne
supérieure de notre étude.
Comme on peut le constater à travers ce cadre chronologique, nous avons le double souci
de ne pas négliger l’histoire du temps court qui permet de déterminer les changements vécus dans
la société camerounaise, et d’observer en parallèle les événements sous l’angle de la longue durée
afin de comprendre les permanences et les changements intervenus au sein des communautés
musulmanes de Douala.
Ainsi, pour la compréhension de notre sujet, les voies du temps long et du temps court
doivent se rejoindre. Le temps ‘‘moyennement long’’50 doit servir d’outil méthodologique pour
construire une dialectique entre ces deux types de temps. Nous partons d’un ou des événements,
d’un ou des faits, pour déchiffrer une structure (la logique interne de la société urbaine de
Douala). A travers ce cadre chronologique, nous pouvons nous interroger sur les ‘‘problèmes de
l’unité et de la diversité, de la continuité et de la discontinuité en histoire’’51 et défendre l’idée
49
Voir Le Messager, no 2057 du vendredi 3 février 2006.
Expression empruntée à M.Vovelle, ‘‘L’histoire et la longue durée’’, in J. Le Goff (s.d.), La nouvelle histoire,
Paris, éd. Complexes, 1988, p.98 ; ouvrage réimprimé sous le même titre en 2006.
51
J. Le Goff, Histoire et mémoire, Paris, Gallimard, 1988, p.216. ‘‘Prendre le temps en considération dans sa durée,
dans ses mouvements, tel est un des impératifs assignés à l’analyse de l’Afrique contemporaine. Le considérer dans
son oeuvre : en ce qu’il est porteur de formes inédites par ce qu’il charrie le passé, ses réalités et leurs mémoires.
Cette démarche, il faut insister sur ce point, ne s’applique pas uniquement à l’Afrique ; elle doit être mise en oeuvre
dans l’étude de toutes sociétés humaines. C’est justement la compréhension de ces ‘‘temps longs’’ qui a fait
50
20
selon laquelle
la réalité de la perception et du découpage du temps par rapport à un avant et un après ne se limite
pas, tant au niveau individuel que collectif à l’opposition présent/passé, il faut y ajouter une
troisième dimension, le futur.52
Naturellement, ces repères géographique et chronologique ne manquent pas de soulever
un certain nombre de questionnements, lesquels forment la problématique de cette thèse.
E- Problématique et objectifs
Dans cette étude, l’islam est considéré non pas comme une arme de conquête aux
tendances guerrières et militaires comme dans les sociétés islamo-peules du Nord-Cameroun
pendant le djihâd initié par Ousman Dan Fodio53 et conduit par Modibo Adama54, mais plutôt
comme un élément référentiel, un marqueur propice à la recomposition identitaire, un ferment de
solidarité transethnique, transculturel et socio-économique, un facteur important de la mobilité
sociale, comme une religion qui sert de cadre de rapprochement malgré la diversité d’approche
des adeptes. L’islam ici n’est donc pas la résultante d’une activité guerrière comme ce fut le cas
dans la partie septentrionale du Cameroun, encore moins la résultante d’une intervention
militaire à l’instar du pays bamun.55 Il s’est établi grâce aux groupes de musulmans migrants,
progresser l’analyse des sociétés occidentales. Il nous revient donc d’adopter cette perspective pour mieux discerner
les lieux et les trajectoires des inventions et recréations africaines. L’analyse des Afriques politiques contemporaines
ne saurait, en effet, se réduire à une simple sociologie des crises car celles-ci traduisent des logiques autrement plus
profondes et complexes’’, C. Coulon et D.- C. Martin, ‘‘Introduction’’, Les Afriques politiques, Paris, La
Découverte, 1991, p. 8.
52
J. Le Goff, Histoire et mémoire, p.33.
53
Commandeur des croyants (Amir Al Mouminin) Ousman Dan Fodio s’était révolté en 1804 contre le Sarkin
Younfa, souverain haoussa du Gobir dans l’actuel Nord du Nigeria. Par cette révolte, Ousman Dan Fodio souleva un
vaste mouvement insurrectionnel pour la propagation de la foi musulmane. Il fixa la capitale de l’empire qu’il venait
de fonder à Sokoto. On trouvera un bref condensé de l’action d’Ousman Dan Fodio dans l’article de M.Z. Njeuma,
‘‘Uthman Dan Fodio and the origins of Fulani jihad in Cameroon hinterland, 1804-1809’’, Afrika Zamani, no 4,
1974, pp. 64-68.
54
Modibo Adama est le héros le plus chanté de cette époque de conquête peule entreprise en principe au nom de
l’islam. Dans plusieurs études faites sur l’islam au Nord-Cameroun, il est présenté comme celui qui, dans le
Foumbina (littéralement les territoires du Sud, en fulfuldé, langue de Peul), avait reçu l’étendard du djihâd (1809)
des mains d’Ousman Dan Fodio. Cet acte ouvrit la porte au pouvoir militaire et à l’influence culturelle des Peul. Une
hypothèse plus souvent retenue est que le mot Adamaoua viendrait du nom Adama.
55
Voir D. Abwa, ‘‘Le glaive et le Coran ; deux modes de pénétration de l’islam au Cameroun (XIXème siècle)’’,
Communication présentée au ‘‘Symposium international sur la civilisation islamique en Afrique de l’Ouest’’, Dakar,
27-30 décembre 1996. Il faut cependant nuancer cette position quand on sait qu’avant cette intervention, les Haoussa
du Nigeria étaient présents en pays Bamun.
21
nationaux et non nationaux. Cet islam urbain de Douala est par conséquent le fruit d’un
mouvement d’islamisation pacifique germé par des commerçants itinérants et consolidé aussi par
la prédication des musulmans issus des conversions enregistrées localement au fil des décennies.
En d’autres termes, si une idée reçue voudrait que l’islam progresse partout et surtout au NordCameroun en vainqueur irrésistible, nous rencontrons à Douala un islam minoritaire, en situation
migratoire, véhiculé depuis ses origines par une élite marchande audacieuse, mais discrète,
humble et réservée. Leur culture savante était souvent limitée et donc l’impact religieux fut, en
conséquence, étroitement localisé et étalé dans le temps. C’est donc un islam perçu comme
périphérique, mais qui s’affirme de plus en plus et affiche sa visibilité dans un espace
cosmopolite et ouvert à diverses influences. Ici, l’islamisation s’est faite par plusieurs groupes.
Ils prenaient le relais, devenant des vecteurs de l’islam. Il faut y ajouter de nombreux convertis
locaux. Tel est, au sens large, le modèle doualais. Cet islam est représenté par une variété
d’ethnies, une fois prise en compte la fidélité à un même Livre.
L’hypothèse qui guide par conséquent ce travail est celle de l’enchevêtrement, de la
complexification du paysage islamique de Douala. Adossé à une histoire dont la profondeur
remonte au début du XXe siècle, l’islam avance à Douala vers plusieurs directions,
simultanément. Cette avancée ne se déroule pas le long d’une orbite close. Elle n’est ni lisse, ni
unilinéaire. Elle pointe vers plusieurs débouchés à la fois. Une étude sur les communautés
musulmanes de Douala impose dès lors une multiplication des axes de recherche afin de rendre
compte de leurs différences ethniques, culturelles mais aussi de leurs solidarités transethniques,
transculturelles et même politiques. Et, même si ces différences et ces solidarités sont
difficilement repérables dans une ville complexe et de grande taille comme Douala, plusieurs
idées forces seront développées dans cette recherche.
C’est l’histoire des communautés qui ont pour dénominateur commun d’appartenir à
l’islam. Ces communautés musulmanes, devenues au fil du temps presqu’incontournables au plan
économique, entretiennent des rapports privilégiés tant avec le pouvoir politico-administratif
colonial local qu’avec l’administration postcoloniale locale malgré leur hétérogénéité ethnique.
Nous voulons démontrer qu’à travers ces groupements, nous allons à la découverte des
singularités d’une communauté musulmane urbaine, minoritaire du temps colonial au temps
présent, qui détient un pouvoir économique important dans la ville, lequel pouvoir lui permet de
s’incorporer ou de s’infiltrer physiquement et/ou symboliquement dans les champs politique,
22
social et culturel de Douala. Autrement dit, après s’être ‘‘moulé’’ dans son milieu d’accueil, nous
pensons qu’au fil des circonstances, l’islam a plusieurs fonctions et est devenu un moyen de
gagner une légitimité, une identité, un statut. C’est cette configuration socio-historique qui se
trouve au cœur même de la présente étude, abordée en trois phases qui justifient naturellement le
choix de la périodisation : 1912-2006. Celles-ci se ramènent aux questions suivantes : quelles
sont les variables génératrices et motrices de l’implantation des communautés musulmanes à
Douala ? Comment les communautés musulmanes sont-elles arrivées à Douala, s’y sont
implantées et développées? Comment se socialisent-elles dans leur société d’accueil ? Vers
quelles directions avancent-elles à Douala ? Bref une fois implanté dans cette région en pleine
évolution et fortement urbanisée, au sein de laquelle des groupes sociaux et culturellement
différents se regroupent, quelle serait leur trajectoire ? La liste n’est pas exhaustive. Le terme
‘‘trajectoire’’ nous semble important. Il situe résolument notre perspective historique orientée
vers l’étude des permanences, de l’évolution et du changement selon les modalités liées aux
capacités de sélection, d’adoption/adaptation, d’assimilation dans les domaines religieux,
culturel, socio-économique et politique sous le double effet du dynamisme interne des
communautés étudiées et du dynamisme externe des communautés extérieures aux groupes
‘‘cibles’’ ; car l’histoire est par essence ‘‘l’histoire du changement, des mutations liées à des
innovations d’ordre technique, politique, social et culturel’’56.
Il s’agit alors, dans un premier temps, du début du XXe siècle à la fin de la colonisation
française (1960) de voir comment les communautés musulmanes de Douala cherchent leurs
marques : migration et implantation des communautés musulmanes à Douala ; gestion de
l’identité musulmane à Douala. Ces deux phases sont singulièrement difficiles à situer hors du
contexte colonial.
En second lieu, des années 1960 à la veille de 1990, la communauté traverse une période
de mûrissement sur plusieurs aspects sectoriels: le politique avec l’implantation de l’Union
Nationale Camerounaise (UNC), production et reproduction du savoir, participation au hajj,
multiplication des structures traditionnelles et des lieux de culte, etc. Au crédit de cette période,
la sortie de la colonisation et la canalisation dans le système monolithique jusqu’au début des
années 1990.
56
T.M.Bah, ‘‘Le rôle de l’histoire dans les sciences sociales en Afrique : passé, présent, futur’’, Africa Development,
Vol.XIX, nº1, 1994, p. 23.
23
Dans un troisième temps, de 1990 à 2006, la communauté vit au rythme des débats
contradictoires. Le militantisme islamique se manifeste avec plus de vigueur. La communauté
s’efforce d’initier la ‘‘réislamisation de la société’’ en créant des associations, des centres
culturels, des écoles, en renforçant les réseaux islamiques, et en participant de plus en plus au
hajj, surtout chez les jeunes. La société doualaise vit plutôt une recomposition progressive de son
paysage islamique. Certains acteurs islamiques s’impliquent ou prennent position dans le champ
politique. Les stratégies sont tantôt collectives, tantôt individuelles. Dans un cas comme dans
l’autre, l’islam entre dans le champ des médias, de la communication et dans le champ de la
manipulation religieuse et sociale. A travers ces discours multidimensionnels, la communauté
musulmane de Douala est en quête de nouvelles formes d’identité.57
Il apparaît dans ce développement les sources de confrontation et de compromis intracommunautaires
et
de
façon
diffuse
entre
les
musulmans
de
Douala
et
leurs
connexions/solidarités avec les autres communautés musulmanes (Oumma) du territoire national
et de la région au sens large du terme ; car l’islam ‘‘doualais’’58 ne vit pas en vase clos.
Cette perspective est le fil conducteur de notre monographie, qui ambitionne – précisonsle - de faire un tableau de synthèse de la présence musulmane dans le terroir de Douala, c’est-àdire une étude aussi complète que possible et détaillée sur la thématique de l’islam à Douala. La
vocation des monographies historiques est modeste certes ; mais, elle n’en est pas moins capitale.
Par leur fonction d’illustration, les études monographiques tiennent lieu de limon aux travaux de
grande envergure où elles participent à l’atténuation d’inévitables cas de généralisations abusives.
Dans la situation présente, il s’agit d’une étude dynamique, qui entend ressortir les spécificités de
chaque époque et les particularités de chaque séquence chronologique en tenant compte de
l’impact de celle-ci sur l’évolution des communautés étudiées. Nous nous proposons
d’appréhender et d’analyser la dynamique de l’islam dans cette ville, d’en révéler la richesse,
mais aussi les vicissitudes, en parcourant ses caractéristiques. Il s’agit de se pencher sur la vie
intérieure des communautés musulmanes de Douala, ou pour parler comme H.I. Marrou de
57
Pour une perspective purement théorique sur l’émergence des nouvelles formes d’identité islamique dans le bassin
tchadien, voir le texte de G.L. Taguem Fah, ‘‘Dynamique plurielle, regain de spiritualité et recomposition de l’espace
islamique dans le bassin du Lac Tchad’’, Saharan Studies Association Newsletter, vol. XII, number 1, june 2004, pp.
6-11.
58
Nous empruntons cette expression à G. Mainet qui a consacré de nombreuses études sur Douala (voir
bibliographie).
24
projeter ‘‘une lumière, une intelligibilité’’59 sur les communautés musulmanes de cette
importante agglomération urbaine.
En bref, cette étude aborde plusieurs sujets et thématiques qui peuvent à priori dérouter
le lecteur mais qui ne fait que traduire la variété des échelles possibles : les origines, les quartiers
d’implantation, les territoires religieux, les activités, la sociabilité, l’éducation, la vie politique et
économique, l’identité. L’enjeu principal est finalement de faire une lecture qui corresponde à
une adaptation au contexte particulier de Douala et aux pratiques islamiques liées à une société
cosmopolite, plurielle et diversifiée. Il s’agit dès lors de l’étude d’une des ‘‘minorités
urbaines’’60 de l’ ‘‘écologie urbaine’’61 de Douala dans une perspective interactionniste, sous
l’angle de plusieurs dimensions : religieuse, culturelle, économique, politique, etc.
Evidemment, il faut trouver le moyen de répondre à une telle dilatation du champ de
recherche et d’atteindre nos objectifs. Pour le faire, nous avons rassemblé une documentation et
l’avons soumise à un traitement méthodologique méticuleux.
G- Méthodologie et sources
Méthodologie
A la fois ‘‘religion et civilisation’’62, c’est-à-dire mode de vie quotidienne et permanente,
l’islam influence à des degrés divers mais de façon remarquable, tous les autres aspects de la vie
de chaque jour. La croyance en Allah et le respect des principes éthico-normatifs et autres
59
H.I. Marrou, ‘‘Comment comprendre le métier d’historien’’, in Ch. Samaran (s.d.), L’histoire et ses méthodes,
Paris, Encyclopédie de la Pléiade, 1986 (réimprimé de 1961), p. 1476.
60
Le concept ‘‘Minorités urbaines’’ a été utilisé par les anthropologies sociales américaine et britannique. La
première l’a employé pour rendre compte des multiples communautés (Américaine, Chicanos, Chinois, etc.) habitant
les grandes métropoles nord américaines mais aussi celles de l’Amérique Latine et Centrale, en particulier Mexico et
San Juan de Porto Rico. La seconde quant à elle, l’a adopté en accomplissant pendant la période coloniale,
d’importantes études sur les jeunes qui quittaient leur village pour les villes minières des Rhodésies (aujourd’hui
Zambie et Zimbabwe). Pour plus d’informations, bien vouloir se référer à R. Raulin, ‘‘Minorités urbaines’’, in P.
Bonté et M. Izarde (éds.), Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, Paris, P.U.F., 1992, p. 729.
61
L’expression ‘‘écologie urbaine’’ a été employée pour la première fois par l’anthropologue social américain,
R.M.C. Kenzie en 1925 pour parler des regroupements minoritaires issus de vagues migratoires que connaissaient les
villes américaines au début du XXe siècle. Leur fluidité spatiale et sociale a été interprétée par l’école de Chicago
comme le résultat d’un processus de sélection, de distribution, d’adaptation spécifique dans leur aire urbaine. Lire R.
MC. Kenzie, The city, Chicago, The University of Chicago Press, 1925, (version en français: Y. Grafmeyer et I.
Joseph, L’école de Chicago. Naissance de l’écologie urbaine, Paris, Aubier Montaigne, 1984).
62
Mohammet Arkoun, R. Arnaldez, R. Blachère et al, Dictionnaire de l’islam. Religion et civilisation, Paris,
Encyclopaedia Universalis et Albin Michel, 1997.
25
prescriptions juridico-théologiques63, justifie ou explique certains comportements ou prise de
position. C’est la pleine conscience de ce caractère globalisant qui donne un sens à la
pluridisciplinarité de notre approche. Ainsi, nous avons diversifié nos lectures afin de mieux
cerner notre thème et prendre en compte la multiplicité des approches et des disciplines (histoire,
sociologie, anthropologie, ethnologie, science politique, géographie, etc.) sur le sujet. Nous nous
sommes référé à l’abondante littérature sur la sociologie générale de l’islam, sur l’islam en
Afrique au Sud du Sahara en général et au Cameroun en particulier64 ; ce qui nous a permis de
mieux formuler notre problématique et de rendre plus substantielle l’analyse. Des articles de
revues spécialisées65 nous ont permis de disposer d’informations plus précises et pertinentes sur
certaines questions ; d’acquérir des outils théoriques et pratiques liés aux dernières tendances
historiographiques sur l’islam en Afrique. Nous avons également sollicité des thèses et des
mémoires récemment soutenus sur l’islam dans d’autres régions du Cameroun66 et même
d’Afrique67. Ces études qui partent d’expériences vécues dans d’autres contextes nous ont permis
d’enrichir notre propre recherche mais également d’approfondir nos connaissances et de mieux
affiner notre méthodologie. Il n’était donc pas inintéressant de conduire ce travail en portant un
regard sommairement comparatif sur les parcours de l’islam dans d’autres villes du SudCameroun et d’Afrique et les formes singulières qu’il revêt à Douala. L’idée était que la
comparaison de ces cas délivrerait des enseignements sur les constantes, les convergences, mais
aussi les divergences sur les conditions nécessaires à l’expansion de l’islam. Les principales
63
Nous empruntons ces expressions à J.-P. Charnay dans son maître livre, Sociologie religieuse de l’islam, 1994.
Ces ouvrages ont été consultés dans les instituts bibliothécaires de la ville de Yaoundé, au Centre d’Appui à la
Recherche-Laboratoire des Sciences Sociales de Ngaoundéré et à la bibliothèque centrale de l’Université Laval au
Québec (Canada). Nous avons aussi consulté des ouvrages dans la bibliothèque personnelle du Docteur A. Njiasse
Njoya.
65
C’est grâce à l’obligeance du Docteur G.L.Taguem Fah et du Professeur H. Adama tous deux du Département
d’Histoire de l’Université de Ngaoundéré; de la Professeure M. Gomez-Perez du Département d’Histoire de
l’Université Laval, de la professeure M. N. LeBlanc de l’Université de Montréal à Québec (UQAM) et de notre
directeur de thèse le professeur D. Abwa que nous avons pris connaissance de cette littérature spécialisée.
66
Par exemples, O. Moussa, ‘‘La culture arabo-islamique, les Haoussa du Sud-Cameroun (le cas de Yaoundé) et
l’intégration nationale’’, Thèse de Doctorat Nouveau Régime, Université La Sorbonne Nouvelle, Paris III, 1987 et
S. Mane, ‘‘Islam et société dans le Mbam (Centre-Cameroun) : XIXe-XXe S.’’, Thèse de Doctorat/Ph.D. en Histoire,
Université de Yaoundé I, 2005-2006.
67
Par exemples I. Cissé, ‘‘Islam et Etat au Burkina Faso : de 1960 à 1990’’, Thèse de Doctorat Nouveau Régime,
Université de Paris VII, 1994 ; M. Gomez-Perez, ‘‘Une histoire des associations islamiques sénégalaises (SaintLouis, Dakar, Thiès) : itinéraires, stratégies et prises de parole (1930-1993)’’, Thèse pour le Doctorat Nouveau
Régime en histoire, Université Paris 7 Denis Diderot, 1997 ; K. Langewiesche, ‘‘Mobilité religieuse. Changements
religieux au Burkina Faso’’, Thèse de Doctorat, EHESS, Marseille, 2003 ; H. Grandhomme, ‘‘La France et l'islam
au Sénégal. La République face à une double altérité : le colonisé et le musulman’’, Thèse de Doctorat en Histoire,
Université Cheikh Anta Diop, mai 2008
64
26
conclusions tirées de la trajectoire de l’islam sur la côte camerounaise et notamment de Douala –
puisqu’il s’agit ici surtout de cette région – s’inscrivent-elles par exemple à coté de celles des
études faites à Yaoundé, à Bafia ou dans d’autres villes comparables en Afrique? Pour l’étude du
contexte politique camerounais, nous avons consulté les travaux ayant traits aux relations entre le
pouvoir et les structures sociales et religieuses depuis la colonisation68.
Sources
Nous avons eu recours à deux catégories de source : les sources écrites et les sources orales.
- Les sources écrites
Elles sont de deux ordres : les documents d’archives (publiques et privées) et la presse.
Les documents d’archives publiques que nous avons dépouillés sont conservés aux Archives
Nationales de Yaoundé (ANY). Pour les exploiter, nous avons pris en compte trois facteurs : le
contexte politique international, le contexte politique colonial et le contexte politique africain en
général et camerounais en particulier. Ainsi, la série APA (Affaires Politiques et Administratives)
a retenu notre attention. Ce sont surtout des rapports périodiques, mensuels, trimestriels et
annuels des administrateurs locaux adressés à l’administration centrale à Yaoundé. Ces dossiers
sont d’importance inégale et concernent les faits et dits qui touchaient de près ou de loin les
communautés musulmanes et l’islam qui, au demeurant, étaient très surveillés. Ils tiennent
surtout du renseignement et de l’enquête policière et sont écrits dans une perspective politique et
non sociologique ou anthropologique.
La série AC (Affaires Culturelles) a été également consultée. Elles renferment des
rapports d’activités à caractère historique, géographique, économique et culturel et des
correspondances diverses adressés aux différentes hiérarchies. D’autres contiennent des rapports
bien élaborés sur les visites du Cherif Sidi Benamor69 à Douala.
68
Les écrits de E. Mveng, Histoire du Cameroun, 1963 ; L. Ngongo, Histoire des forces religieuses au Cameroun,
Paris, Karthala, 1982 ; J.-F. Bayart, L’Etat au Cameroun, Paris, P.F.N.S.P., 1985 ; V.J. Ngoh, Cameroun 1884-1985.
Cent ans d’histoire, 1990 ; F. Eboussi Boulaga, La démocratie de transit au Cameroun, 1997 et D. Abwa,
Commissaires et hauts-commissaires de la France au Cameroun (1916-1960). Ces hommes qui ont façonné
politiquement le Cameroun, Yaoundé, P.U.Y. et P.UCAC, 1999, sont importants.
69
Marabout originaire de l’Algérie Cherif Sidi Benamor a effectué des tournées dans les principales agglomérations
musulmanes du Cameroun en 1949, sous l’invitation des autorités coloniales françaises. Pour plus de détails sur
l’étape de Douala, voir première partie, deuxième chapitre, section B-2. Il faut cependant préciser que l’ensemble du
voyage de ce missionnaire musulman a été analysé par G.L. Taguem Fah, ‘‘Les élites musulmanes et la politique au
Cameroun de la période française à nos jours’’, Thèse de Doctorat de troisième cycle en histoire, Université de
Yaoundé I, 1997 et T.M. Bah, ‘‘Cheikhs et marabouts maghrébins prédicateurs dans l’Adamawa, 19e-20e siècle’’,
Ngaoundéré-Anthropos, no1, pp.7-28.
27
Ce dépouillement s’est révélé précieux car les rapports d’archives témoignent des
orientations politiques de l’administration coloniale, de ses aspirations et des principes de son
fonctionnement. Notons toutefois que ces documents archivistiques se sont avérés décevants (sur
les données concernant la pratique du Hajj à Douala par exemple) car parcellaires, répétitifs et
trop généraux. Bien plus, comme tous les écrits coloniaux, ils accusent le handicap majeur d’être
européocentristes : faisant fi du colonisé, ils ne présentent le plus souvent que le seul point de vue
du colonisateur, quand ils ne versent pas simplement dans l’apologie de la colonisation tenue
pour une ‘‘mission civilisatrice’’. L’administration française accordait en général peu
d’importance aux communautés musulmanes du Sud-Cameroun. Les rapports tiennent du
renseignement et sont écrits dans une perspective politique. Les autorités se montrent attentives
aux demandes des communautés musulmanes, mais elles ne changent pas radicalement de
politique musulmane : la surveillance de l’islam est la priorité. Des rapports privilégiés se tissent
entre les leaders des communautés musulmanes (chefs) et l’administration. Les administrateurs
rédigent des rapports qui mettent en exergue la ‘‘bonne disposition’’ des musulmans à l’égard de
l’administration.
Quoiqu’il en soit, la lecture patiente, minutieuse et critique des archives nous a fourni des
informations de première main, des traces qui ont en partie servi surtout à l’élaboration de la
première partie de ce travail.
L’indigence des sources pour la période des années 60, 70 et 80 ou l’impossibilité de
collecter certains matériaux70 nous a amené à centrer l’étude sur l’histoire de la politique de l’Etat
et de surestimer son pouvoir, quelque fois au détriment de l’étude des forces religieuses
musulmanes doualaises. Toute la difficulté ici était d’équilibrer la place donnée aux ‘‘structures
du centre’’71 et aux structures de la périphérie, c’est-à-dire de la vie intérieure des communautés
musulmanes de Douala.
Pour la période contemporaine de notre étude, notamment à partir des années 1990,
certains journaux d’informations générales tels que Le Messager, Mutations, La Nouvelle
Expression, Cameroon Tribune, Le Nouvel Indépendant et Aurore Plus consacrent quelques fois
des articles aux communautés musulmanes de notre région d’étude. Cependant, les informations
sont très corsetées et occupent généralement à peine une à deux colonnes en pages intérieures. En
70
Les archives de l’école franco-arabe de New-Bell et la de représentation locale de l’ACIC par exemple.
C. Coulon, ‘‘Les problèmes de l’historiographie contemporaine de l’Afrique : biais et perspectives’’, in Histoire
générale de l’Afrique, études et documents, ‘‘La méthodologie de l’histoire de l’Afrique contemporaine’’, no8, 1984,
p. 92.
71
28
revanche, El Qiblah, journal hebdomadaire puis bimensuel trilingue (français, arabe et anglais)
publié à Douala par le PIAH entre 1997 et 2004 est riche d’enseignements et relate semaine après
semaine l’actualité dans le monde musulman autant local, national qu’international. Bref
l’exploitation des journaux est apparue importante pour une nouvelle approche historique et
socio-politique des rapports entre islam et société à Douala; sans bien sûr tomber dans le piège
des somations parfois excessives de l’actualité.
D’autres sources auxiliaires de connaissance comme les références webliographiques, les
émissions culturelles et religieuses radio-télévisées consacrées à l’islam, notamment : ‘‘Islam et
Société’’, ‘‘Connaissance de l’Islam’’ et ‘‘La Vitrine de l’Islam’’, etc. vulgarisent et rendent de
plus en plus visibles les activités des communautés musulmanes locales. Dans le cadre de ces
émissions religieuses en effet, les responsables des émissions islamiques présentent des
documentaires et des reportages sur les communautés musulmanes de Douala. Sans perdre de vue
que toute mise en images d’un phénomène social est nécessairement une mise en scène72, nous
nous sommes interrogé sur les valeurs et les leçons que les réalisateurs et les invités souhaitaient
transmettre au public par le moyen des images, des propos des intervenants et les symboles. En
fait, ces sources ont souvent constitués dans notre étude de véritable baromètre d’appréciation.
Pour compléter l’ensemble de ce corpus et nuancer leur contenu, la collecte des sources
émanant des communautés étudiées devenait nécessaire : le vécu ressenti et représenté par les
acteurs eux-mêmes était ainsi pris en compte et certains faits étaient mis en relief. Nous
reprenons à nôtre compte les propos de H. Moniot :
nous voulons aujourd’hui écouter tout ce qui se dit, dans les mises en scènes instituées, sans
doute, mais aussi dans les actes prosaïques et les drames quotidiens, et dans les multiples
scénarios par lesquels les divers acteurs rendent compte d’événements et des situations, dans les
énonciations rivales et les regards portés sur soi, dans les souvenirs et leurs remaniements (…) :
des histoires d’histoires.73
Dans cette perspective, nous avons collecté quelques rapports d’activités disponibles des
associations suivantes : Programme Islamique pour l’Assistance Humanitaire (PIAH), l’Union
Islamique du Cameroun (UIC), l’Association Islamique pour la Promotion de l’Education et la
Santé (ASIPES), l’Association des Femmes Dynamiques Musulmanes de Douala (AFDMD),
72
Pour une approche des images en tant que source de connaissance, voir J. L. Triaud, ‘‘Les images comme source de
connaissance’’, séminaire doctoral, FMAM-MMSH, séance Iremam/Cemaf, novembre 2008.
73
H. Moniot, ‘‘Une mise en perspective’’, Cahier : groupe Afrique noire, nº10, 1988, p. 3 ; cité par M. GomezPerez, ‘‘Une histoire des associations islamiques sénégalaises (Saint-Louis, Dakar, Thiès) : itinéraires, stratégies et
prises de parole (1930-1993)’’, Thèse pour le Doctorat (Nouveau régime) en histoire, Université Paris 7 Denis
Diderot, 1997, p. 27.
29
l’Alliance Nationale des Jeunes Musulmans du Cameroun (ANJMC) et le Groupe de Mères
Croyantes de Douala (GMCD).74 Nous avons également consulté les registres des groupes
scolaires ‘‘Privé Islamique Ibrahim’’ et ‘‘Franco-islamique de Bibamba-Bonanloka’’.75 Cette
collecte nous a permis de constituer un ‘‘arrière-fond référentiel’’76 et d’analyser les constantes et
les évolutions des pratiques sociales et scolaires selon le contexte. La collecte de quelques
photographies et papiers personnels de jeunes musulmans nous a permis de mesurer le rôle
changeant du hajj et d’être encore plus au fait du vécu quotidien77 des musulmans de notre lieu
d’enquête.
Glanés dans des journaux, les émissions culturelles radio-télévisées et des documents
privés (rapports, registres, etc.), des éléments d’information de cette nature ont été collectés et
judicieusement exploités pour en tirer ‘‘la substantifique moelle’’78. Ch. Samaran ne nous
apprend-il pas que ‘‘l’historien, comme l’abeille, peut faire son miel des plus humbles fleurs’’79 ?
La nature de la moisson révèle à quel point ce genre de source intelligemment exploité peut être
une source inestimable pour l’historiographie récente du Cameroun en général, et celle des
groupements musulmans de Douala en particulier. Incontestablement, c’est peut-être dans
l’exploitation de cette documentation que réside aussi en partie notre contribution à
l’historiographie camerounaise.
Cependant, l’accès à l’information n’a pas été facile. Le parcours était ponctué de heurs et
de malheurs. En effet, il nous a fallu tenir compte de certaines lenteurs et lourdeurs
administratives, de certaines incohérences dans le système de communication des documents
d’archives à Yaoundé. Nous y avons perdu un temps précieux lors de la consultation
74
Il s’agit ici des associations dont les responsables nous ont montré les attestations de légalisation ou les reçus de
dépôt d’un dossier à la préfecture du Wouri; car certaines associations ont parfois une existence éphémère en raison
d’objectifs flous ou d’une organisation interne peu ou pas structurée. D’autres fonctionnent de manière pratique, sans
existence juridique.
75
Au moment où nous menions nos enquêtes, il y avait plusieurs écoles privées islamiques qui avaient reçu
l’autorisation du Ministère de l’Education de Base. Les enseignants ou les dirigeants de certaines écoles refusaient
toute collaboration en l’absence d’une autorisation écrite de leurs fondateurs, lesquels étaient parfois ‘‘injoignables’’
ou alors à l’époque hors de Douala ou du pays. C’est dire que nous n’avons pas travaillé avec les écoles que
l’administration qualifie de ‘‘clandestines’’.
76
J. Poirier et al. , Les récits de vie. Théorie et pratique, Paris, P.U.F., 3e éd., 1993, p.145 ; lire aussi Ph. Poirier, Les
enjeux de l’histoire culturelle, Paris, Seuil, 2004.
77
On trouvera un bon exemple de récit de vie dans B. Jewsiewicki et al. (s.d.), Moi, l’autre, nous autres. Vies
zaïroises ordinaires, 1930-1980. Dix récits, Paris, EHESS, Sainte-Foy, Safi et CELAT, 1990. Voir aussi F. Ferraroti,
Histoire et histoires de vie, Paris, Méridiens Klincsieck, 1990 et J. Poirier et al. , Les récits de vie.
78
Cette expression est due à F. Rabelais, auteur français du XVIe siècle.
79
Ch. Samaran, L’histoire et ses méthodes, Paris, Gallimard, 1961, préface, p. VI.
30
d’inventaires. En plus, la conservation des archives au Cameroun pose de grandes difficultés.80
Certaines archives sont illisibles et imprécises lorsqu’elles sont manuscrites. D’autres sont
conservées dans des conditions qui accélèrent la détérioration. Certains dossiers sont de temps à
autre visités par des souris et cafards au point où ils ne représentent plus que des vestiges ou des
objets de musée. Des documents sont laissés à l’abandon sur des étagères non protégées, à la
merci des intempéries. Les photocopies de documents d’archives sont assimilables au parcours de
combattant. Il faut être patient et surtout diplomate puisqu’il lui est très souvent rétorqué qu’ ‘‘on
ne sort pas avec les documents’’. Enfin, à l’ex-Institut des Sciences Humaines (ISH) et au Centre
National de l’Education (CNE), certains travaux universitaires ne peuvent être consultés en raison
du manque d’inventaire et d’endroit pour les stocker. La délivrance des documents est en
revanche rapide partout, lorsque les magasiniers sont…‘‘motivés’’81.
D’autres dossiers enregistrés au fichier n’existent plus ; certaines chemises ne contiennent
aucun document. Cela occasionne des pertes de temps, parfois importantes.
Le chercheur se voit parfois pénaliser par la délivrance limitée de chemises ; lorsque
certaines chemises sont décotées sans que cela soit notifié dans le fichier, le chercheur a la
désagréable surprise de consulter des documents sans rapport avec son sujet, alors que sa
demande est déjà enregistrée par le magasinier. Parfois, il n’est pas possible d’une part de
consulter des chemises mises en réserve pour un autre lecteur (surtout non national) alors que ce
dernier n’est pas dans la salle de lecture. D’autre part, il est impossible d’avoir accès à une
chemise qui n’a pas été définitivement rangée alors que son rangement peut prendre l’espace de
plusieurs semaines en raison non seulement d’un manque de personnel mais aussi de son
vieillissement.
La collecte des registres des associations islamiques et des papiers personnels nous a
demandé du temps, de la patience et parfois de la diplomatie. Outre la rareté des rapports
d’archives concernant les débuts de l’islam à Douala, nous n’avons pas pu rencontrer
80
Ce constat est valable pour tous les pays africains et plus généralement dans les pays en voie de développement où
le problème de la conservation des archives suscite le plus souvent une réaction s’apparentant à du fatalisme : on ne
peut rien faire contre les conditions climatiques, le manque de moyens appropriés. La question des archives semble
pourtant de plus en plus prégnante, tant elles jouent un rôle crucial dans la mémoire collective et l’identité d’une
culture. Pour une description sans concession des archives en Afrique, voir, entre autres : P. Besançon et al. , Les
sources historiques dans les tiers mondes. Approches et enjeux, Paris, L’Harmattan, 1997 et A.W. Welch, ‘‘The
National Archives of the Ivory Coast’’, History in Africa, vol. 9, 1982, pp. 377-380. Il y a certes des exceptions qui
confirment la règle, entre autres les Archives du Ghana à Accra dont la très bonne tenue a impressionné les
participants à la réunion des ‘‘Fontes Historiae Africana’’ en 2000.
81
Comprendre ‘‘motivés par des petits cadeaux’’.
31
d’interlocuteurs fiables pour répondre à nos interrogations. Les acteurs directs de l’époque étaient
rares. Cependant, leurs descendants, faute de souvenirs précis, nous ont fourni certains
renseignements sur les premiers grands groupes musulmans installés à Douala ; ceci a constitué
dans certains cas un point de départ pour nos enquêtes.
Dans l’ensemble, l’apport des sources écrites a été appréciable dans la conceptualisation
de l’appareil méthodologique, l’insertion de l’histoire des communautés étudiées dans le flux des
événements d’ampleur régionale, nationale ou mondiale. La somme d’informations recueillies
dans l’ensemble des supports écrits ne pouvait prendre toute sa signification et toute sa valeur
qu’à condition de recourir à une autre source d’information susceptible de mitiger certains propos
tout en fournissant la version endogène des évènements, les sources orales.
-Les sources orales
Pendant de longues décennies, le champ de la réflexion historique fut dominé par le
fétichisme des documents écrits. Cette manière de faire a permis une vision européocentriste de
l’histoire. L’usage des sources orales est devenu pour le chercheur en sciences humaines une
démarche indispensable. Bien dosé, il débouche sur ce que les auteurs anglo-saxons appellent
Oral History82. Ainsi, les sources orales, au-delà de compléter les sources documentaires, aident
à vérifier certains faits connus et, quelque fois, témoignent en l’absence d’informations
documentaires précises.83 De plus, elles ont l’avantage de donner la version autochtone des faits
et de fournir une version interne des sociétés étudiées.
Dans cette perspective, les entretiens se sont révélés indispensables pour la bonne marche
de notre travail. Des séjours sur le terrain nous ont permis de prendre contact et de communiquer
avec les membres des communautés musulmanes de Douala. Des dizaines d’informateurs84 ont
bien accepté de répondre à nos questions et de donner leur point de vue, ce qui nous a permis de
collecter une masse de témoignages dont la valeur, nécessairement inégale, peut être appréciée à
la lecture de cette thèse. L’apport des sources orales est donc réel.
82
On trouvera une bonne discussion des problèmes posés par les techniques de recueil dans les classiques comme
W.M. Moss, Oral History Program Manual, New-York, 1974, p.41 et suivantes; également J.Vansina, Oral
Tradition as History, London, 1985 et plus récemment encore chez les auteurs tels V.Y. Mudimbe and B.
Jewsiewicki (éds.), History making in Africa, Middletown Conn, Wesleyan University Press, 1993 et J.E. Philips
(éd.), Writing African History, Rochester, University of Rochester Press, 2005.
83
‘‘L’histoire se fait avec des documents écrits sans doute quand il y en a, mais elle peut se faire, elle doit se faire
sans documents écrits quand il n’y en pas’’ écrit Ch. Samaran, L’histoire et ses méthodes.
84
Voir la liste des principaux informateurs dans la partie consacrée aux sources, à la fin de la thèse.
32
Les premières enquêtes ont eu lieu en 200285 et 200486. En 2002, nos objectifs étaient
largement exploratoires. Ils visaient à prendre des contacts et à circonscrire les quartiers de la
ville de Douala habités par les musulmans. Ainsi, les zones de notre échantillonnage qui
regroupent le gros du contingent des communautés musulmanes à Douala ont été explorés : NewBell (Haoussa, Bamun, Bafia, Peul, Yoruba, Sénégalais, Makea), New-Town-Aéroport (quartier
haoussa I et II), Bonaberi (quartier haoussa), Ndobo, Nkompa et Mabanda, Ndogpassi (quartier
haoussa) et PK 14, Bonamoussadi (quartier haoussa).
En 2004 nous avons rencontré les responsables des communautés étudiées : chefs
traditionnels, notables, cadres de l’administration et des fonctions libérales, etc. La rencontre des
imams, surtout ceux des mosquées du vendredi nous a permis de mieux évaluer l’ampleur et la
diversité des relations sociales et des logiques de leur emplacement afin d’appréhender
l’inscription sociale de ces lieux de culte dans l’espace urbain doualais. Pour confronter leurs
propos avec des personnes ayant perçu de l’intérieur et au quotidien la vie des musulmans, nous
avons élargi notre réseau de relations, en discutant avec des responsables des associations, des
élèves, des enseignants et des promoteurs des nouvelles écoles privées islamiques, des
commerçants, des croyants ordinaires, des jeunes. Certaines personnes ont été contactées grâce
aux recommandations obtenues depuis Yaoundé87. A Douala, Aissatou Yadouko secrétaire du
Programme Islamique pour l’Assistance Humanitaire (P.I.A.H.) ; El Hadj Diallo Bakai, (imam et
président de la commission de la reconstruction de la mosquée foulbée) et El Hadj Aboubakar
Bako Mendeng (chef Bafia) nous ont permis d’élargir notre réseau. Des patriarches comme El
Hadj Moctar Aboubakar (doyen des imams de Douala), El Hadj Tanko Amadou (chef haoussa de
Bonabéri), Younouss Paraiso (chef Yoruba) et El Hadj Gaba Aoudou (pionnier de l’école francoarabe de New-Bell) ont été rencontrés en raison de la richesse de leur expérience, leurs rapports
directs avec certains faits passés répertoriés dans les archives ou dans les journaux. Enfin, nous
avons rencontré certains jeunes prédicateurs en raison de leurs prises de position répertoriés lors
des émissions culturelles radio-télévisées, lors des conférences ou dans les journaux.
85
De juillet à août 2002.
De septembre à octobre 2004.
87
Nous remercions El Hadj Oumarou Djibril, présentateur de l’émission ‘‘Islam et Société’’ sur la radio nationale
(CRTV); Dr. Cheikh Daouda Mohaman enseignant à l’Institut des Relations Internationales du Cameroun (IRIC) et
ancien secrétaire exécutif de l’ACIC; El Hadj Daouda Kouotouo, présentateur de l’émission ‘‘Connaissance de
l’Islam’’ sur la télévision nationale et le Pr. T.M. Bah du département d’histoire de l’Université de Yaoundé I pour
leurs recommandations.
86
33
Les deuxièmes missions de recherche88 nous ont permis de confronter nos hypothèses de
départ à la réalité sociale du terrain, de faire évoluer notre problématique, de confirmer nos
données en les complétant mais surtout d’éclairer, de nuancer, bref de mitiger nos conclusions
antérieures. Ces deuxièmes missions étaient nécessaires pour la simple raison que le climat de
confiance avec nos interlocuteurs pouvait être consolidé et que nous pouvions esquisser une
comparaison entre les situations post-élections au Cameroun, celles des comportements sociopolitiques suite aux élections89 et celles du contexte international (attentat du 11 septembre 2001,
guerre du Golfe de 2003, caricatures du Prophète Mahomet en 2005, etc. qui ont relancé l’intérêt
pour l’islam).
Selon le contexte, les difficultés rencontrées sur le terrain et l’identité des interlocuteurs,
aucun équilibre n’a pu être respecté. Plusieurs personnes ont ainsi été interviewées lorsque nous
abordions le social ou le politique par exemple. A l’inverse, lorsque l’entretien portait sur la
pratique et les fondements religieux90, les réponses étaient similaires. Il nous est apparu en
conséquence inutile de diversifier les entretiens.
Pour avoir la version interne des communautés étudiées, des enquêtes ont été effectuées
dans les quartiers-échantillons et parfois dans les lieux de travail, dans les domiciles, bref le cadre
de l’entretien était laissé au choix de nos interlocuteurs. Des interviews individuelles ou
collectives selon les opportunités, ont été réalisées. Pour tous les premiers contacts, nous avons
toujours pris le soin de présenter notre travail de recherche et d’expliquer ses objectifs généraux
afin que la relation débute sur des bases claires et dans un climat de confiance progressive.
Dans la plupart des cas, nous avons mené au moins deux entretiens avec la même
personne. Les entretiens ont rarement dépassé deux heures afin que l’attention respective de
l’interviewé et de l’intervieweur ne perde pas de son intensité. Presque tous nos interlocuteurs
étaient réticents à l’enregistrement de leur propos. Face à cette situation, nous avons privilégié la
88
Août-septembre 2006 et septembre-octobre 2007. Nous ne précisons ici que les séjours les plus longs sur notre
terrain d’étude car, en fonction des circonstances, nous avons souvent effectué des séjours allant de trois jours à une
semaine. Réalisées en plusieurs étapes relativement indépendantes, ces enquêtes restent cependant très
complémentaires.
89
Au cours de certaines de nos missions, nous avons pu être témoin de la tenue des campagnes législatives et
municipales de 2002 et de l’élection présidentielle de 2004.
90
Il s’agit notamment des cinq obligations rituelles, appelées les ‘‘cinq piliers’’ de la religion qui sont à la base de la
doctrine islamique : 1- la profession de foi (‘‘j’atteste qu’il n’y a pas de divinité en dehors de Dieu et que Mahomet
est l’envoyé de Dieu’’. Cette formule –shahada- est à ce point caractéristique de l’islam qu’il suffit de la prononcer
pour être considéré comme musulman) ; 2- les cinq prières quotidiennes ; 3- le jeûne une fois l’an durant le mois de
ramadan ; 4- l’aumône légale aux pauvres (zakat) ; 5- le pèlerinage aux Lieux Saints de la Mecque une fois dans la
vie.
34
prise de notes qui a, de plus, deux avantages : l’interviewé à la possibilité de prendre des temps
de réflexion et l’intervieweur détecte plus rapidement les parties à éclaircir et peut formuler des
questions complémentaires au cours de la discussion.
Après la collecte et l’analyse de plusieurs témoignages, une pause était nécessaire ; il
fallait choisir les interlocuteurs différents. La vérification de l’information est indispensable.
S’interroger sur le statut et le rôle de l’acteur dans la marche de la communauté est fondamental :
est-il témoin direct ou indirect ? Est-il une personne connue ou inconnue ? Nous tenions ainsi
compte de sa fonction afin d’évaluer sa marge de manœuvre pour retranscrire les faits et nous ne
négligions pas le contexte socio-politique camerounais et international de ces quinze dernières
années ; l’interlocuteur pouvait être toujours impliqué dans l’actualité religieuse et/ou politique
locale ou du pays. Dans ce cas, l’interlocuteur a un devoir de réserve à prendre en compte. Toute
source orale ou écrite n’est en effet pas innocente, elle vise à marquer les mentalités pour avoir
un ‘‘pouvoir sur la mémoire’’91.
Trois types d’approche ont donc été utilisés pour mener ces enquêtes : l’entretien semidirectif, l’entretien directif et l’observation participante.92 L’entretien semi-directif a été utilisé
pour interroger toute personne sur laquelle nous disposions de peu d’éléments d’information.
Nous avons notamment interrogé des enseignants sur leur pédagogie, leurs objectifs, leurs
programmes, leurs parcours, les circonstances de leur venue dans ce métier ; les présidents
d’associations sur leurs objectifs ; les imans sur leurs rôles et le contenu de leurs prêches en
période d’effervescence religieuse. Il apparaissait plus intéressant et plus fructueux de
commencer ce type d’entretien par une question de généralité, une question ouverte, assez vague
et permettant à l’interlocuteur de dire tout ce qu’il sait du sujet que nous voulons aborder. Par
exemple : ‘‘quel est le rôle de l’imam au cours de la période de jeûne de ramadan ?’’ ; ou encore
‘‘quel est le programme scolaire dans votre école ?…’’, quels sont les objectifs de votre
association ?’’, etc. Par la suite, nous avons essayé de conduire l’interlocuteur à développer des
aspects particuliers et plus précis sur le thème et au regard des faits, à travers des questions de
fond comme ‘‘notre principale préoccupation est celle de ... ’’ ou encore ‘‘vous avez parlé de tel
ou tel aspect. Je voudrai m’appesantir sur tel autre…’’. A l’inverse, les entretiens directifs ont été
menés auprès des personnes au sujet desquelles les informations étaient plus abondantes.
91
J. Le Goff, Histoire et mémoire, 1988, p. 303.
Il s’agit d’une adaptation à Douala d’une technique expérimentée à Dakar par M. Gomez-Perez. On trouvera le
déploiement complet d’une telle approche dans sa Thèse de Doctorat (Nouveau régime) déjà citée.
92
35
A travers ces entretiens, il était intéressant de constater que certains nous prenaient à
témoin en nous demandant de retranscrire fidèlement leurs propos et d’autres nous considéraient
comme un intrus, attitude somme toute compréhensible, quoi que préjudiciable à la recherche,
car, on ne ‘‘se déshabille’’ pas aisément devant un étranger.
Quelle que fût la qualité de l’entretien, nous avons souhaité conclure harmonieusement
tout entretien. Il s’agissait de signaler à notre interlocuteur que nous nous apprêtons à prendre
congé de lui à travers des formules comme : ‘‘je souhaite enfin vous demander…’’ ou ‘‘comme
nous nous acheminons vers la fin de notre entretien…’’. Lorsque l’occasion s’y est prêtée, selon
la disponibilité de l’interlocuteur, nous lui demandions s’il n’avait pas d’autres renseignements à
communiquer et s’il désirait obtenir des informations supplémentaires sur notre recherche. Après
l’avoir remercié de sa disponibilité, nous nous proposions de nous revoir. Le contact était établi
et le cadre général posé, la deuxième rencontre s’avérait en effet nécessaire.
Entre les deux entretiens, certaines personnes interviewées se sont interrogées sur certaines
de leurs réponses, ont questionné parfois leur mémoire et recherché des documents personnels
lorsque la demande leur avait été faite et nous avons repéré le contenu de nos notes pour relever
les incompréhensions, les silences, afin d’y revenir à l’entretien suivant. Au début du deuxième
entretien, nous avons résumé la première discussion. Cette démarche a trois principaux
avantages: celui de vérifier la bonne prise de notes auprès de notre interlocuteur, celui de montrer
à l’interlocuteur notre désir de rester fidèle à son discours et, celui de présenter la transcription de
ses propos afin qu’il puisse, le cas échéant, les infirmer, les confirmer ou les compléter. Dans ces
conditions, le deuxième entretien pouvait s’engager sur de nouvelles questions.
Face à un programme qui évoluait au gré des circonstances, rien ne pouvait remplacer
néanmoins la pratique sur le terrain. Suivant un contexte politique et religieux changeant, les
méthodes d’approche ont dû s’adapter. Malgré tout, l’analyse de notre sujet pour le volet
contemporain n’a pas été sans déboires. D’abord, certaines personnes rencontrées sont
demeurées méfiantes lors des entretiens. Le chercheur est parfois considéré comme un agent du
service secret de l’Etat ou même comme un envoyé, à la solde des pays étrangers et notamment
des Américains. Il y a eu aussi l’incompréhension, voire la méfiance de la part de certains
informateurs qui pensaient que nous sommes venus récolter des informations pour nous enrichir
à leur détriment. Certains informateurs exigeaient ni plus ni moins que de l’argent avant de
fournir la moindre information.
36
Ensuite, si l’apport des sources orales est réel, il faut aussi reconnaitre qu’il est
disproportionné suivant la période étudiée et les problèmes traités. De grande utilité pour cerner
l’histoire locale, la tradition orale s’est avérée de peu d’usage lorsqu’il s’est agi de situer
certains évènements dans le contexte camerounais et international, ou de traitements
chronologiques et statistiques.
Enfin, l’ignorance de l’Arabe et des langues vernaculaires fut un autre gros handicap qui
ne nous facilita pas le contact avec certains patriarches, la collecte et le traitement de leurs
témoignages oraux. Dans ce cas, nous avons eu recours aux interprètes-traducteurs recrutés sur
place. N’étant pas musulman (c’est un travail fait sur l’islam par un non musulman et un non
arabophone) et étranger à la société que nous étudions nous a été préjudiciable. Cette situation
pouvait orienter certaines réponses de nos informateurs. Ainsi, bien de choses peuvent avoir
échappé ou avoir été retenues par les informateurs.
La ‘‘volatilité’’ ou mieux la mobilité de certaines personnes sollicitées et leur dérobade
devant les entretiens a fait entrevoir dans certains cas l’inutilité de la méthode d’entretien. Face
à cette double difficulté liée d’une part à un objet de recherche instable et mouvant et d’autre
part au refus de collaboration, nous avons opté pour la méthode de l’observation participante.
-Observation Participante
L’observation participante, a été utilisée surtout pendant les cours séjours, lorsqu’une
situation sociale donnée était limitée à la fois dans le temps et dans l’espace. Ainsi, à l’aide de
cette technique, nous avons assisté à des cours dans des écoles franco-arabes, à des conférences et
causeries éducatives, à des cérémonies de rupture du jeûne de ramadan, à des réunions des
associations, etc. Cette méthode nous a permis d’évaluer en quoi les méthodes pédagogiques sont
modernes ou traditionnelles, quel est le type de savoir inculqué à ces jeunes ; les messages
délivrés lors des prêches, les attitudes de prière ; les activités des associations, l’acquisition de
connaissances lors des conférences et des séminaires ou dans les centres culturels islamiques.
Bref, il est apparu que cette méthode présentait une opérationnalité et une fécondité heuristique
supérieure. Elle semblait offrir de réelles possibilités permettant de fournir un éclairage pour une
analyse qualitative de l’objet de notre préoccupation, en nous facilitant ‘‘l’accès à l’objet sous la
forme d’un constat immédiat’’93. Pendant ces séances d’observations participantes et au cours des
93
Voir L. Pinto, ‘‘Expérience vécue et exigence scientifique d’objectivité’’, in Initiation à la pratique sociologique,
Paris, Bordas, 1990, pp. 7-52.
37
enquêtes, des photographies ont été prises. Elles sont reproduites dans certaines parties de ce
travail, comme quelques-unes des pièces à conviction, de ‘‘preuves’’ utilisées pour asseoir
certains thèmes ou certaines affirmations.
Cependant, la possibilité d’assister à des réunions, à des cours, aux séminaires et
conférences, de mener à bien des entretiens directifs ou semi-directifs, dépend essentiellement de
la qualité du dialogue engagé avec chacune des personnes, ce qui n’est pas systématique. Aussi,
l’utilisation de l’observation participante comme technique d’approche n’a pu intervenir qu’après
nos deuxièmes missions et à la suite de plusieurs entretiens. Les recommandations ou parfois la
présence d’un intermédiaire (musulman) pour expliquer dans les grandes lignes nos objectifs de
recherche nous a facilité l’accès à certaines manifestations et nous a permis plus facilement de
nous entretenir avec des personnes sollicitées car comme le rappelle A. Laperrière,
le chercheur qui a opté pour l’observation ouverte doit négocier son entrée sur le terrain,
(…) le chercheur doit repérer les personnes clés dans chacune de ces structures et le champ
qu’elles contrôlent..94
A la fin de chaque manifestation (cours, conférences, réunions, prêches, etc.) nous avons
pris soin une nouvelle fois d’expliquer nos objectifs pour qu’aucun malentendu n’apparaisse.
Pour saisir l’immédiateté des situations, l’observation participante demeure la technique
la plus appropriée. Toutefois, l’immédiateté recherchée et notre immersion dans la sphère de
l’expérience vécue pouvaient devenir pernicieuses du fait de la méthode choisie (observation
participante). En effet, le risque de sombrer dans le sens commun, la tendance à la
réappropriation des préjugés et autres stéréotypes sont grands lorsque le chercheur est lui-même
immergé dans l’objet de recherche.95 Cela pouvait conduire à une oblitération de l’observation
due à l’illusion de la transparence, au dévoiement de l’explication à cause de l’ancrage de
certains stéréotypes sociaux, de prémonitions, en un mot, à un ‘‘déficit épistémique’’. La rupture
avec le sens commun et un ‘‘recul épistémologique’’ devenaient donc impérieux pour
94
A. Laperrière, ‘‘L’observation directe’’ in B. Gauthier (s.d.), De la problématique à la collecte de données,
Québec, Presse de l’Université du Québec, 1992, p. 259.
95
Sur les débats autour de l’usage immédiat et public de l’histoire, on consultera C. Coquery-Vidrovitch ‘‘Le passé
colonial entre histoire et mémoire’’, Communication sur ‘‘Les usages publics de l’histoire. Polémiques,
commémorations, enjeux de mémoire, transmission et enseignement’’, Toulon, 4 mars 2006, disponible sur le lien
internet http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article1452, consulté le 10 septembre 2006.
38
l’objectivation de l’objet. La ‘‘posture réflexive’’96 est apparue à ce stade comme l’attitude qui
nous permettrait le mieux d’éviter ces différents écueils. Elle devrait nous aider à effectuer
d’abord un ‘‘re’’-tour sur nous même avant de saisir, dans une perspective durkheimienne, les
objets de notre préoccupation ‘‘comme des choses’’. Cette attitude apportait donc la dose de
circonspection nécessaire, de ‘‘vigilance épistémologique’’97 lors de l’utilisation de la méthode
d’observation participante.
En outre, l’observation participante rend aussi délicate la relation entre l’enquêteur et
l’enquêté dans la mesure où le chercheur est à la fois observateur et acteur. A la fin d’un cours ou
d’une réunion par exemple, alors que l’on éprouve le besoin de connaître les impressions de
l’observateur-chercheur, il s’agit à la fois, pour ce dernier, de répondre à cette demande afin
d’ébaucher un contact, de faciliter l’échange futur et, de conserver une position neutre par souci
de distanciation avec l’objet d’étude.98
Pour la période très contemporaine de notre sujet, la subjectivité et le manque de
distanciation par rapport aux événements sont difficiles à contourner. L’effervescence politique,
la géopolitique internationale99 permettent certes de capter sur le vif les prises de position,
d’interroger les acteurs sur l’actualité des événements. Néanmoins, elle ne permet pas de
distinguer l’ambivalence du discours et de lui restituer sa véritable dimension. L’écueil à éviter
est d’accorder trop d’importance au discours foisonnant et virulent en fonction de l’immédiateté
des faits et ainsi d’être ébloui par son aspect structuré et logique.100
Il faut effectivement mettre en contexte ces discours, s’interroger sur le type de public auquel ils
sont adressés101 et les décoder tant sur le plan de l’action (activités socio-caritatives et
pédagogiques) que sur le plan de la durée. Ceci est néanmoins difficile à cerner puisque
96
Voir, entre autres, P. Bourdieu et L.J.D. Wacquant, Réponse, Paris, Seuil, 1992 et L. Pinto, ‘‘Expérience vécue et
exigence scientifique d’objectivité’’, in Initiation à la pratique sociologique, Paris, Bordas, 1990.
97
Voir P. Bourdieu et Ch. Passeron, Le métier de sociologie, Paris, Mouton, 1983.
98
Sur la complexité d’une relation d’enquête, se référer à C. Lacoste-Dujardin, ‘‘Les relations d’enquête. Textes mis
en discussion’’, Hérodote, l’enquête et le terrain, nº8, 4e trimestre 1977, p. 35 ; voir aussi A. Ludtke (éd.) L’histoire
au quotidien, Paris, Maison des Sciences de l’Homme, 1994.
99
Nous pensons aux crises israélo-palestiniennes, aux guerres en Afghanistan, en Irak et aux attentats du 11
septembre 2001.
100
Voir A. Ali Mazrui, ‘‘La subjectivité et l’étude de l’histoire contemporaine : problèmes politiques, psychologiques
et méthodologiques’’, Méthodologie de l’histoire de l’Afrique contemporaine, Histoire générale de l’Afrique, Etudes
et documents, nº8, 1984, p. 39.
101
Il s’agit de différencier le contenu des prônes de celui des conférences, des débats, des discours retranscrits dans la
presse, etc. Il s’agit également de montrer dans quelle mesure le discours est différent selon qu’il est adressé aux
hommes politiques, à des musulmans ‘‘fervents’’ dans un contexte de religiosité (telle la prière à la mosquée le
vendredi, ou en période de ramadan, etc.) où on a un public hétérogène (lors de débats, de conférences, etc.).
39
l’épilogue est ignoré par l’ ‘‘immédiatiste’’ ; ainsi, notre travail consiste à donner les lignes de
force et de rupture afin de proposer certaines hypothèses tout en restant conscient des principes
suivants :
Tout ‘‘immédiatiste’’ est contraint à un lourd devoir de réserve par rapport à ses
informateurs et à ses sujets, et (…) s’il faut évaluer ce par quoi une société bouge, un
changement collectif s’opère, on constatera que l’‘‘événement’’ n’est souvent créateur que
d’émotions passagères. Le mouvement qu’il importe de décrire se situe bien souvent hors de
la grande foire aux bruits (…).102
Il est en fait nécessaire de ‘‘restituer’’ au discours ‘‘sa véritable dimension’’103. La
connaissance objective que nous avons tentée d’élaborer nous a conduit à repérer des divergences
d’intérêts, des antagonismes et donc, à nous diriger vers un type de recherche qui n’autorise pas
l’approximation ni l’imprudence.104 Toute la difficulté résulte du commentaire à donner aux
silences ou non-dits (concernant les financements extérieurs par exemple) de certains
interlocuteurs qui sont l’expression de comportements ou d’opinions. Ils doivent être analysés
comme tels sans tenter d’aller au-delà de ce que les données permettent d’affirmer ; dans le cas
contraire, ce serait tomber dans le piège de la généralisation voire même de l’erreur
d’appréciation.
Au total, nous avons eu recours à ces différentes approches. Mais à l’épreuve du terrain,
nous les avons adaptées à notre objet. Ainsi, la littérature imprimée, quelques documents
d’archives, la presse et les sources orales sont les principales sources que nous avons exploitées.
Soumise chacune à une critique rigoureuse, confrontées les unes aux autres et utilisées de façon
croisée et complémentaire, ces différentes sources nous ont permis de réaliser notre travail. Mais
cela ne s’est pas fait sans difficultés.
Ayant choisi de faire un exposé détaillé de notre démarche méthodologique, ne
risquons-nous pas de décevoir nos lecteurs en raison de la modestie de notre développement et de
nos conclusions ? En guise de réponse, nous laissons la parole à J. Poirier :
L’organisation du matériau recueilli, sa systématisation et sa condensation sont des nécessités
rarement contestées ; mais peu d’auteurs indiquent leur manière de procéder. Il serait d’ailleurs
102
J. Lacouture, ‘‘L’histoire immédiate’’, in J. Le Goff (s.d.), La nouvelle histoire, p. 241 et p. 245.
C. Coulon, ‘‘Les problèmes de l’historiographie contemporaine de l’Afrique : biais et perspectives’’,
Méthodologie de l’histoire de l’Afrique contemporaine, p. 93.
104
Voir C. Lacoste-Dujardin, ‘‘Les relations d’enquête. Textes mis en discussion’’, pp. 34-35.
103
40
intéressant d’analyser les raisons de ces lacunes : désir de conserver pour soi ses propres
méthodes ? Gêne des spécialistes de sciences humaines utilisant des procédés empiriques en une
époque où sévit l’impérialisme de la recherche quantitative dite objective ? Lassitude pour revenir
sur la méthode et ses tâtonnements lorsque le travail de recherche est terminé ? Sans doute tout
cela à la fois. Nous avons voulu ici, dans un but pédagogique, rompre ce silence qui plonge le
jeune chercheur dans un grand embarras.105
G-Les différentes articulations du travail
Etudiant un problème complexe comme la vie religieuse pendant une longue période
(1912-2006), nous avons opté pour le plan ‘‘mixte’’. C'est-à-dire un plan intégrant les aspects
chronologique et thématique. Deux inconvénients étaient alors à éviter : négliger l’évolution
historique et introduire les répétitions inutiles. La seule solution, forcément artificielle, était un
compromis entre les deux méthodes, ce qui ne manquait pas de poser des problèmes dans le
détail, dans la façon de ‘‘doser’’ les deux éléments ; chaque thème demandant sans doute une
solution différente. Ainsi, au fil de notre recherche, se sont dégagés trois grands axes structurants,
avec évidement un éclairage, une mise en place plus globale (introduction générale) et un
épilogue, une sorte de conclusion qui fait le bilan de nos recherches en revenant sur la
problématique centrale de cette recherche, les différents thèmes majeurs qui ont émergé au terme
de l’étude et met en perspective des enjeux d’hier à aujourd’hui. Nous nous bornons ici à
souligner les grands traits et les principales idées forces que nous avançons sans aborder les
détails des questions qui feront sans doute l’objet d’approfondissement tout le long de la thèse.
Aussi, ce travail est subdivisé en trois parties. Les deux premières parties comprennent
deux chapitres chacune et la troisième en comporte trois ; soit un total de sept chapitres. La
première partie fait prendre connaissance des origines, de l’arrivée des communautés
musulmanes dans le bassin de Douala et de leur composante socio-ethnique (premier chapitre) ;
des rapports avec l’administration coloniale et la gestion de leur altérité d’étranger (national ou
non national), de colonisé et de musulman par l’administration coloniale et les réactions
subséquentes (deuxième chapitre). En bref, ce chapitre se penche globalement sur ce qu’il est
convenu d’appeler ‘‘la politique musulmane de la France’’ à Douala. A l’administration coloniale
française, succède l’administration post-coloniale.
La deuxième partie appréhende ce contexte nouveau ; elle étudie l’évolution interne de la
105
J. Poirier et al. , Les récits de Vie, p. 100.
41
communauté musulmane de Douala entre 1960 et la fin des années 1980. La participation de la
communauté musulmane à la politique locale entre 1966 et 1980 lorsque le microcosme politique
doualais a à sa tête un musulman ; la première tentative de structuration moderne de la
transmission du savoir ; les facteurs qui sont à l’origine de nouvelles migrations et les modes
d’insertion en relation avec la pratique du hajj font l’objet du troisième chapitre. Le quatrième
chapitre aborde les nouveaux enjeux en perspectives et la diversité locale de la présence des
communautés musulmanes avant la libéralisation des années 1990 : l’émergence d’une nouvelle
tendance islamique, la multiplication des lieux de culte et des structures traditionnelles d’autorité
(chefferies) et la décrédibilisation du système éducatif islamique.
La troisième partie de cette thèse est consacrée à l’analyse de ce que nous avons appelé
‘‘l’islam en chantier’’, c’est à dire au nouveau paysage islamique, qui se dessine à Douala au
tournant des années 1990 ou les effets induits de l’ouverture démocratique et de la mondialisation
sur les communautés musulmanes de Douala : luttes d’intérêt, évolution de l’espace sociopolitique des musulmans. A tous les niveaux en effet, on observe une prise de conscience de plus
en plus poussée de l’état de retard de la communauté. Ainsi, le cinquième chapitre développe les
catalyseurs de l’éveil islamique à Douala. Des efforts sont déployés pour doter la communauté
d’un minimum d’infrastructures sociales notamment les centres culturels, les associations et les
nouvelles offres d’éducation franco-arabe ; efforts auxquels participent les élites intellectuelles et
économiques. Le sixième chapitre est consacré aux effets induits de cet éveil au sein de la
communauté musulmane de Douala : l’éclatement de la communauté avec l’émergence de
nouvelles tendances islamiques, les tensions religieuses, les replis identitaires et la
marchandisation du religieux ; ce qui entraine la reconfiguration des communautés musulmanes
de Douala. La participation et la prise en compte de la communauté dans la gestion publique
locale et les différentes passerelles que cette communauté développe pour se mettre en contact
avec les autres communautés musulmanes tant sur les plans national qu’international font l’objet
du septième chapitre.
Telle est l’économie de ce travail. Bien entendu, ces aspects sont de densité inégale et
inégalement abordés à cause du volume et de la nature des sources disponibles. Bien plus, ces
différents centres d’intérêt s’interpénètrent les uns avec les autres et ce n’est que pour les besoins
d’analyse qu’on a pu les séparer.
42
PREMIERE PARTIE
STRATEGIES, RESEAUX DES MIGRATIONS MUSULMANES ET GESTION DES PREMIERES
COMMUNAUTES MUSULMANES DE DOUALA PAR LES AUTORITES COLONIALES
Cette première partie s’intéresse aux origines, à l’arrivée et à l’implantation des premières
communautés musulmanes à Douala. Elle est constituée de deux chapitres. Le premier insiste sur
les premières trajectoires de l’implantation de la religion islamique à Douala, via les activités
commerciales des musulmans d’Afrique de l’Ouest en particulier. Leur avancée demeurait
cependant modeste et ne concernait que des groupes restreints.
Le second chapitre quant à lui présente le regard colonial sur la communauté musulmane
de Douala et, particulièrement, sur les relations que cette dernière entretenait avec, d’une part, les
autorités administratives coloniales locales et, d’autre part, les autochtones dualas. Autrement dit,
il analyse les liens qui furent développés entre les autochtones dualas, les autorités coloniales et
les représentants de la hiérarchie musulmane à Douala et ont contribué à renforcer l’influence de
celle-ci. Ce fut surtout le cas durant le régime colonial français. Aussi, dès les années 1920,
l’administration coloniale contraignait les musulmans de se regrouper en un seul emplacement.
Ce regroupement donna naissance à un quartier où se regroupèrent les musulmans. Ce quartier
qui vit le jour s’appelait significativement ‘‘quartier haoussa’’, en fait le quartier musulman. Y
résidaient en majorité les musulmans non nationaux et nationaux regroupés selon le seul critère
de l’appartenance ethno-religieuse. Dix ans plus tard, c’est-à-dire en 1933, ils furent organisés en
chefferie. L’administration coloniale instaura alors des liens particuliers avec ces groupes de
marchands musulmans à travers leur chef supérieur et le contrôle des réseaux islamiques
internationaux.
Pour ne pas tomber dans les redites et les sentiers battus, nous nous attachons, plus qu’à
faire une relation événementielle de faits. Le rôle des musulmans à Douala sous administration
française, les directives et réflexions administratives quant au droit de la communauté musulmane
sont traités mais aussi la politique intérieure concernant les communautés musulmanes et la
politique extérieure. Nous nous attardons par ailleurs, à établir l’analyse et la critique de ce regard
en essayant de décrire les réponses (réactions) des communautés musulmanes doualaises face à la
gestion de leur triple altérité d’étranger (immigré et allogène), de colonisé et de musulman par
l’administration coloniale française.
43
PREMIER CHAPITRE
ORIGINES, MIGRATIONS ET STRATEGIES D’IMPLANTATION DES MUSULMANS ET DE L’ISLAM
A DOUALA
Toute réflexion sur l’islam à Douala suppose la prise en compte des modalités
historiques et des logiques de l’établissement des groupes musulmans. Quelles sont les portes
d’entrées de l’islam à Douala ? Qui sont ceux qui introduisent l’islam à Douala ? Comment et
pourquoi ont-ils migré vers la côte camerounaise ? Ces questions nous autorisent à faire
quelques développements substantiels sur la problématique des origines et des voies
d’implantation des musulmans et de diffusion de l’islam à Douala. Ces développements
constituent une sorte de ‘‘décor’’ qu’il convient de planter, une étape prioritaire de notre
recherche. Ils seront liés à l’analyse des réalités historiques et de la connaissance socioethnique des différentes communautés qui ont servi de base à la migration ; ce qui nous
permettra de rechercher des révélateurs au-delà des apparences de l’actuel comme le soutient
justement J. Ziegler lorsqu’il écrit :
Tout système d’auto-interprétation, tout système culturel, toute idéologie, toute religion
masque, cache, ment et révèle tout à la fois. Ce qui est le plus caché est le plus véridique.
Ce qui est montré est à expliquer par ce qui ne se montre pas.1
Ce chapitre s’articule autour de la description et de l’explication des principales
voies par lesquelles l’islam fait son entrée sur la côte camerounaise. La première section
examine notamment la voie commerciale. La deuxième partie suggère la voie confrérique,
laquelle reste liée à la première.
A- L’islamisation par le commence
Il est question ici d’étudier la voie commerciale, qui est la principale porte d’entrée de
l’islam à Douala. Elle est la base, souvent marquante sans laquelle les autres voies n’auraient
que peu de consistance.
1
J. Ziegler, Retournez les fusils ! Manuel de sociologie d’opposition, Paris, Seuil, 1981, pp 21-22.
44
L’historiographie classique du Cameroun met l’accent sur la circulation des
marchands et/ou commerçants musulmans dans l’implantation de l’islam dans les centres
urbains du Sud-Cameroun en général.2 On entend par marchands et/ou commerçants des
personnes engagées dans les échanges à but lucratif entre le Nord-Cameroun et le SudCameroun pendant la période antécoloniale et coloniale. Ici, le cadre dans lequel s’effectuent
ces échanges est le Nord, l’arrière pays et la côte camerounaise. Les agents religieux de cette
expansion venaient aussi des régions éloignées comme les Etats soudano-sahéliens (Kano,
Katsina, Zaria, Yola, Maidougouri) du bassin tchadien pour faire des affaires et étaient
décidés à prendre pied là où dans le Cameroun, fleurissait le commerce : la côte. Nous
pouvons ainsi avancer que jusqu’au milieu du XXe siècle, l’implantation de l’islam à Douala
est presque toujours liée aux activités commerciales.3 C’est en leur qualité de marchands
qu’ils apportèrent une contribution significative à l’implantation de l’islam dans cette région
du Cameroun. Ces marchands musulmans peuvent donc être considérés à juste titre comme
les premiers islamisateurs du centre urbain de Douala.
Ils partaient de leurs régions pour atteindre, après des mois de voyage, les centres marchands
du Cameroun méridional. En direction du Sud-Cameroun, les commerçants musulmans
recevaient des graines, de l’huile de palme, des tubercules, du piment sauvage, de l’ivoire, des
peaux séchées, de la teinture rouge, des esclaves et des produits d’artisanat qu’ils
acheminaient vers la Moyenne Bénoué, les grands marchés haoussas du Nord-Nigeria tels que
Yola, Kano, Katsina, Zaria et Maidougouri et au-delà du Lac Tchad, dans le monde
méditerranéen grâce aux caravanes qui, de Tripoli gagnaient le Bornou et le Gobir. Les
trajectoires d’articulation entre ces deux zones contrastées : la savane et la forêt étaient
définies par ces produits mais surtout aussi par un produit hautement symbolique et de large
2
Dans les principales agglomérations urbaines de la partie méridionale du Cameroun, O. Moussa (‘‘La culture
arabo-islamique, les Haoussa du Sud-Cameroun (le cas de Yaoundé) et l’intégration nationale’’, Thèse de
Doctorat Nouveau Régime, Université La Sorbonne Nouvelle, Paris III, 1987) s’y est penché le premier,
l’analysant à travers le cas des Haoussa de Yaoundé. Dix ans après, D. Abwa (‘‘Impérialisme européen et
expansion de l’islam au Cameroun’’, in La culture arabo-islamique en Afrique au Sud du Sahara : cas de
l’Afrique de l’Ouest, Zaghouan, Fondation Timimi pour la Recherche Scientifique et l’Information, 1997, pp.
35-59) et A. Njiasse Njoya ( ‘‘L’islam au Cameroun’’ in La culture arabo-islamique en Afrique au Sud du
Sahara, pp. 259-273) sous des angles différents mettent respectivement en évidence les différents modes de
diffusion de l’islam dans les régions du Mbam dans le Centre et de Kumbo dans le Nord-ouest. Dans le Mbam,
l’installation des groupes musulmans a été approfondie par S. Mane, (‘‘Islam et société dans le Mbam (Centre
Cameroun) : XIXe-XXe S.’’, Thèse de Doctorat/Ph.D. en Histoire, Université de Yaoundé I, 2005-2006). H.
Adama quant à lui est le premier à proposer une vue d’ensemble sur la genèse et le développement de l’islam au
Cameroun dans son ouvrage intitulé L’islam au Cameroun. Entre tradition et modernité, Paris, L’Harmattan,
2004, pp. 13- 47.
3
Voir E. De Rosny, ‘‘Douala : les religions au cœur de la recomposition d’une société’’, Cahier de l’UCAC, no
4, 1999, pp. 67-79.
45
consommation, le cola comme le montrent les travaux de P. Lovejoy4. Ils étaient les
intermédiaires obligés de ce commerce, échangeaient ces produits contre du sel, du parfum,
des perles, des vêtements, des chevaux, des armes, des étoffes, des balles de coton, des
plaques de natrons et des produits de cueillette : karité et gomme arabique.5 Aussi, vers le
milieu du XIXe siècle, une piste commerciale fréquentée reliait le Mbam au bassin tchadien
en passant par les territoires peuls et haoussas de l’Adamawa6 et du Nord-Nigeria. Les
négociants colporteurs arrivaient dans le Mbam et transitaient vers la côte, ce qui pouvait
nécessiter la présence d’un agent et de quelques mercenaires aux principaux carrefours des ‘‘
routes commerciales’’. Banyo, Tibati et Ngaoundéré étaient alors au carrefour des grandes
routes commerciales. A partir de ces centres d’affaires en effet, partaient des pistes qui se
dirigeaient au Nord vers Garoua, Maroua et la plupart des villes qui avaient pris une grande
importance depuis la conquête peule ; au Sud vers Foumban, Bafia, Yoko ; à l’Est vers
l’Oubangui. Vers la côte, Bafia était une ville carrefour par laquelle transitaient les produits
de traite en reliant la côte au reste du territoire. L’acheminement des produits de ce type de
commerce à longue distance se faisait entre les différentes régions à dos d’animaux où à têtes
d’homme.7
Avec l’arrivée des Allemands, le trafic devait s’accroître sur le fleuve Mbam et dans
tout le pays bafia. Ces derniers orientèrent le commerce à longue distance des marchands
musulmans vers la zone côtière. Cette rencontre des marchands musulmans apparemment
anodine, marque un tournant décisif dans le commerce musulman : la route est percée et dès
lors les marchands musulmans installés dans la région du Mbam s’orientent vers la côte, où se
trouvent les firmes commerciales allemandes. C’est donc dire que le fleuve Mbam a, sur la
longue durée, constitué un axe propice aux échanges entre l’hinterland et la côte. On assiste
en effet à une réorientation du centre de gravité, avec un moment décisif, le tournant des
années 1890 qui marquent l’arrivée des Allemands, le ralentissement des activités des
métropoles économiques du bassin tchadien, au profit des comptoirs européens de la côte. Ce
4
P. Lovejoy a consacré une série d’études au cola produit dans la zone forestière et qui se retrouve dans la zone
soudano-sahélienne dans toutes les cérémonies : mariage, baptême, mort et symbolise la convivialité et la culture
de paix. Voir par exemple P. Lovejoy, Transformations in Slavery. A history in Africa, Cambridge, Cambridge
University Press, 1983.
5
A. F. Dikoume, ‘‘Du portage comme point de départ de l’économie coloniale au Cameroun’’, Annales de la
Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Séries Sciences Humaines, vol.1, n°2, Université de Yaoundé, Juillet
1985, pp.6-7.
6
Adamawa désigne l’entité géopolitique que constitua l’Emirat peul. Elle était centrée sur sa capitale Yola, au
bord de la Bénoué et s’étendait de l’actuel Gongola state au Nigeria, et au Cameroun, les régions de l’Adamaoua,
du Nord et une partie de la région de l’Extrême-Nord. Le terme Adamaoua quant à lui a une connotation
géographique et désigne le Haut Plateau qui correspond grosso modo à la région du Cameroun qui en porte le
nom, avec pour capitale Ngaoundéré (voir glossaire).
7
A. F. Dikoume, ‘‘Du portage comme point de départ de l’économie coloniale au Cameroun’’, p. 7.
46
basculement du commerce musulman de l’intérieur vers la côte est le phénomène le plus
significatif de la présence musulmane à Douala. Dans leur ouvrage, Eyongetah Tambi et R.
Brain décrivent cette réorientation en ces termes :
The Germans learnt that there was a rich hinterland of trade being carried on in the north by
Haussas. They sought to divert this trade from flowing north-wards and bring it south to the
coast, so that they could benefit by it. In 1897 the first Haussa caravan arrived at the coast via
Yaounde. In 1902, a haussa caravan with ivory arrived from Banyo to Buea after forty-two
days travelling. It was in Yaounde that the Germans eventually tapped this rich trade and this
led them into hostility with haussa.8
Cette première caravane d’environ 300 Haoussa en provenance de Banyo9 montre à
l’évidence que les Allemands ont non seulement pleine conscience du rôle hautement
stratégique des Haoussa mais aussi que ces marchands ont été en partie les instruments de la
propagation de l’islam sur la côte camerounaise, car c’est en colportant continuellement des
marchandises provenant à la fois du Soudan, des Etats Soudano-sahéliens et de la savane du
Mbam qu’ils parvinrent à bien faire comprendre aux autres peuples leur croyance. Ces
marchands cependant n’avaient pas pour intention première de propager l’islam ; ils s’étaient
rendus sur la côte avant tout pour s’enrichir et pour acheter de la marchandise à bas prix. Ils
ne se mirent en route dans le but délibéré de convertir. Ces musulmans avaient accumulé des
siècles d’expérience dans le commerce et les voyages. Cette longue tradition d’échanges
économiques très caractéristique des régions Soudano-sahéliennes diminuait au fur et à
mesure que l’on avançait vers la côte camerounaise pour laisser libre cours à l’émergence
d’une véritable économie de marché.10 C’est au cours de cette période de découverte
mutuelle entre Soudano-sahéliens et Bantou que s’effectuèrent au début du XXe siècle les
premières installations des familles musulmanes à Douala.
Les agents religieux de cette expansion sont donc des marchands qui opèrent par le
commerce porté par la parole. Il importe maintenant de savoir quelles sont les composantes
socio-ethniques de ces commerçants qui s’implantent à Douala, contribuant à la diffusion de
l’islam. Cette connaissance nous sera d’un apport considérable au cours des chapitres
suivants. En effet, d’après J.L. Amselle, ‘‘la définition de l’ethnie devrait constituer
l’interrogation épistémologique fondamentale de toute étude monographique’’11. Cependant,
8
Eyongetah Tambi and R. Brain, A history of the Cameroons, London, Longman, 1974, p. 40.
Estimation de H. Rudin, Germans in the Cameroons, A case study in modern imperialism, New York,
Greenwood Press, 1968, p. 232.
10
H. Adama, L’islam au Cameroun, p. 40.
11
J. L. Amselle, ‘‘Ethnies et espaces : pour une approche anthropologique’’, in J. L. Amselle et E. M’bokolo, Au
cœur de l’ethnie. Ethnies, tribalisme et Etat en Afrique, Paris, La Découverte, 1985, p.11.
9
47
nous n’allons pas dans le cadre de cette thèse nous appesantir sur cet aspect qui,
quoiqu’important, relève surtout d’une analyse sociologique ou ethnologique. Précisons
toutefois qu’avec le géographe R. Breton, nous définissons la notion d’ethnie dans une
acception très large. Elle renvoie à :
un groupe d’individus liés par un complexe de caractères communs – anthropologiques,
linguistiques, politico-historiques, etc. – dont l’association constitue un système propre, une
structure essentiellement culturelle : une culture.12
A cet égard, ainsi que nous allons le voir tout le long du développement, les
communautés musulmanes de Douala forment des ethnies. Pour les désigner, nous recourons
donc à ce terme, ainsi qu’aux mots et expressions : peuple, communauté et groupement dont
l’acceptation est voisine, sinon analogue.13 Le sens de ce concept ne saurait d’ailleurs être
fixé à priori. Il varie en effet selon les situations. Ainsi, sommes-nous amené à prendre
parfois en compte le facteur ‘‘nationalité’’ pour la compréhension et l’exploitation de
certains faits islamiques à Douala car la présence à Douala de nombreux musulmans
d’origine étrangère marque d’une empreinte particulière les rapports entre les membres de la
communauté musulmane doualaise. Aussi, convient-il de préciser toujours dans le cadre de
cette thèse, que nous entendons dans un sens synonymique les termes ‘‘immigré’’ et
‘‘étranger’’. Bien que désignant sur un plan strictement scientifique des réalités différentes
ou mieux, des représentations issues des constructions différentes, ils sont, dans le langage
courant, interchangeables. Dans la ville de Douala et de manière plus générale au Cameroun,
seul le terme ‘‘étranger’’ est régulièrement usité. Ici, il renvoie aux ‘‘non-nationaux’’.
Cela dit, les documents d’archives14 expliquent que l’ensemble des musulmans pour
la plupart d’origine étrangère (Afrique Occidentale française, Nigeria, etc.), étaient appelés
‘‘Haoussa’’. La communauté était divisée en deux groupes : le groupe ouest-africain d’un
côté et le groupe camerounais de l’autre.
12
R. Breton, Les ethnies, Paris, PUF, 1981, p. 8.
Ibid., pp. 9-11.
14
ANY, 2 AC 8093, Douala administration. Rapport annuel, 1923 et ANY, 2AC 8088, Wouri administration.
Rapport annuel, 1954.
13
48
A-1 Le groupe ouest-africain ou le groupe des non-nationaux
Le groupe ouest-africain était constitué par des colporteurs haoussas et des
‘‘indigènes’’15 des colonies de l’Afrique Occidentale Française (AOF) : Maliens, Sénégalais,
Nigériens, Togolais, Dahoméens, Guinéens, etc. Ainsi, il était difficile de définir avec
précision les rapports de force et les lignes de fracture qui traversaient les communautés
musulmanes de Douala.
Dans ce cas, ce qui complique encore plus la situation est le fait que les ‘‘Haoussa’’
peuvent être Nigérians, Nigériens ou même Camerounais. En effet, les personnes originaires
de l’Afrique de l’Ouest sont majoritairement des musulmans, d’ailleurs intimement mêlées à
leurs coreligionnaires camerounais avec qui ils partagent souvent l’appartenance ethnique,
certains grands groupes (Haoussa et Peul par exemples) se trouvant en Afrique de l’Ouest, au
Cameroun et, depuis la colonisation, dans d’autres pays de l’Afrique centrale.
L’histoire des Haoussa est intimement liée à celle de la pénétration et de la
consolidation de l’islam à Douala. Peuple du sahel, de nombreux auteurs16 situent leur foyer
entre le Bornou, le Niger et la Bénoué. Ils sont établis dans le Nord du Nigeria et dans le Sud
du Niger. D’importantes communautés se trouvent aussi au Nord du Benin, du Ghana et du
Cameroun. Quelques petites communautés sont éparpillées en Afrique de l’Ouest ainsi que
dans les grandes villes côtières de l’Afrique centrale depuis l’époque coloniale. Ils parlent la
langue haoussa qui appartient au groupe des langues tchadiques, un sous groupe de la famille
des langues afro-asiatiques. Convertis très tôt à l’islam (XIe siècle), ils font partie, avec les
Kanuri et les Kotoko (culturellement et historiquement proche d’eux), des groupes
musulmans les plus puissants et les plus actifs sur le plan commercial au Sud Cameroun.
Ce sont des marchands nomades, des marchands ambulants, ignorant les frontières
étatiques. Endurants comme des chameaux, ils ne trouvaient aucune distance très longue.17
C’est dans cette perspective de commerce fait sur de longues distances que des communautés
15
ANY, 1AC2575, justice indigène. Organisation 1927 ‘‘décret du 31 juillet portant réorganisation de la justice
indigène dans les territoires du Cameroun’’. L’’article premier dudit décret définit les indigènes comme ‘‘des
individus originaires des territoires sous-mandat français du Togo et du Cameroun, des possessions de l’A.O.F et
de l’A.E.F ne possédant pas la qualité de citoyen français et ceux qui sont originaires des pays limitrophes ne
possédant pas dans leur pays d’origine le statut de nationaux européens’’.
16
Voir entre autres O. Meunier, Les routes de l’islam : anthropologie politique de l’islamisation en Afrique de
l’Ouest en général et du pays hawsa en particulier, du VIIIème au XIXème siècle, Paris, 1997, G. Nicolas,
Dynamique de l’islam au Sud du Sahara, Paris, Publications orientalistes de France, 1981 ; Dynamique sociale
et appréhension du monde au sein de la société Haoussa, Paris, Institut d’Ethnologie, 1975 et I. Hrbek, ‘‘La
diffusion de l’islam en Afrique au Sud du Sahara’’, in Histoire générale de l’Afrique, T. IIII, Unesco/ Nea, 1990.
17
A.P. Temgoua, ‘‘Commerçants allemands et marchands haoussa au Nord-Cameroun, 1902-1915’’, Humanitas,
3, 2004, p. 71.
49
haoussas se retrouvent disséminées loin de leurs zones originelles. Dans l’agglomération
urbaine de Douala, les Haoussa ont réussi à s’installer, à pratiquer leur religion et à faire leur
commerce. De toutes les ethnies islamisées, c’est celle qui a largement contribué à implanter
et à faire connaître l’islam sur la côte camerounaise.
Ici, l’ethnonyme haoussa signifie aussi musulman. En effet, l’islam est tellement lié à
cette ethnie que tout musulman même étranger est appelé Haoussa. Cette idée est si bien
ancrée dans l’esprit de la population que lorsqu’une personne s’islamise, elle est souvent
considérée par les autres comme étant devenue Haoussa. De ce point de vue, on peut dire que
les premiers musulmans connus à Douala étaient des Haoussa, avec cette précision que cet
ethnonyme haoussa inclut également les Kanuri18 ou les Bornuan, ‘‘pionniers du commerce
avec le Sud’’19. En effet, ces autres ethnies islamiques originaires du bassin tchadien ont des
similarités culturelles qui permettent une intégration entre eux et les Haoussa. Ils se sont
harmonieusement mélangés et se démarquent de moins en moins.
Peuple extrêmement mobile, ‘‘météores errants’’20, les Haoussa prirent très tôt la
relève des réseaux commerciaux entretenus entre les différents royaumes soudanais et le
monde méditerranéen bien avant la colonisation. Ils se déplacèrent avec leurs marchandises
et l’islam à travers la savane et la forêt jusqu’aux extrémités de la côte camerounaise. Cette
thèse est recevable si l’on admet que les Haoussa et assimilés (Kanuri et Kotoko) se
trouvaient aussi en contact étroit avec les agents des firmes européennes qui allaient et
venaient dans le bassin tchadien pour vendre leurs marchandises à des acheteurs intéressés.
Ils étaient ainsi, à partir de 1880, en contact avec les factoreries de la compagnie à charte la
Royal Niger compagny et étaient par conséquent des intermédiaires obligés de cette firme
commerciale.21 A cette époque, les flux de marchandises et les structures commerciales sont
dominés par cette compagnie basée à Yola et qui contrôlait tout le négoce sur le Nigeria
septentrional, le Tchad et le Nord-Cameroun. Au Nord-Cameroun, elle possédait des
factoreries, des boutiques et des commerces tenus pour la plupart par des africains ou
‘‘clerks’’, par des Grecs ou par des Syro-libanais. Ces derniers servaient de rabatteurs à la
Royal Niger Compagny pour les produits de traite et dépendaient d’elle pour leur
18
Les Kanuri sont issus du métissage entre les conquérants kanembou et les populations locales du bassin
tchadien. Dans le mot Kanuri, on peut remarquer le préfixe Kan qui marque la descendance Kanembou. Les
Français les dénomment Bornuan / Bornouan.
19
H. Adama, L’islam au Cameroun, p. 50.
20
G. Nicolas, Dynamique sociale et appréhension du monde au sein de la société haoussa, p. 25.
21
D. Abwa, ‘‘Impérialisme européen et expansion de l’islam au Cameroun’’, in La culture arabo-islamique en
Afrique au Sud du Sahara : cas de l’Afrique de l’Ouest, 1997, p. 39.
50
approvisionnement en marchandises.22
C’est en ayant cet arrière plan présent à l’esprit que l’on peut émettre des hypothèses
sur le rôle des Haoussa dans la diffusion de l’islam sur la côte camerounaise. A ce titre, ils
semblent avoir été choisis par l’histoire pour porter à Douala la bannière de l’islam et cela en
raison de leur rôle historique d’intermédiaire entre les peuples soudano-sahéliens et les
Bantou de la côte camerounaise. Prenant en quelque sorte le relais des Peul principaux
propagateurs de l’islam dans l’Adamawa, les Haoussa jouent dans ce processus un rôle
primordial. En effet, comme nous l’avons précédemment démontré, l’arrivée des Allemands
dans la région du Mbam devait favoriser le développement des voies de communication dans
la région forestière. Ces voies devinrent des routes empruntées pour le commerce à courte et
à longue distance par les commerçants haoussas. H. Dominik affirme par exemple que les
commerçants haoussas des Etats musulmans du Nord-Nigeria et des lamidats du NordCameroun apportaient des chevaux, des ânes et tous les articles européens qu’ils achetaient
dans les factoreries de la Royal Niger Compagny au bord de la Bénoué. Ils échangeaient ces
articles de la zone forestière jusqu’à la côte camerounaise.23
La plupart des firmes allemandes installées sur la côte camerounaise jugeaient en effet
assez coûteuse l’installation des succursales dans le Nord, en l’absence d’une voie ferrée.
Pour cette raison, elles s’engagèrent à basculer le commerce continental haoussa pour
l’intégrer dans un nouveau circuit d’échange. Les Haoussa allaient désormais pénétrer la
zone forestière pour apporter à la côte les produits de l’hinterland, et y véhiculer, en retour,
les pacotilles allemandes.24 Afin d’attirer à la côte les marchands haoussas, et garantir ainsi,
au profit de l’Allemagne, le succès de la liaison économique entre le Nord et le Sud de la
colonie, les autorités allemandes demandèrent aux maisons de commerce allemandes de
baisser les prix de leurs marchandises qui, comparés à ceux de la Royal Niger Compagny sur
la Bénoué, paraissaient plus élevés.25 Cet appel eut le succès escompté et en 1906, le chef de
district de Douala annonçait la présence de 50 à 100 Haoussa à Douala, lesquels
annoncèrent l’arrivée de plusieurs autres centaines d’Haoussa.26 Cependant, jusqu’à la fin de
22
Voir M. Roupsard, ‘‘Evolution des échanges entre le bassin tchadien (Tchad, Nord-Cameroun) et la côte du
Golfe de Guinée pendant la période coloniale’’, in J. Boutrais (s.d.), Du politique à l’économie. Etudes
historiques dans le bassin du Lac Tchad, Paris, ORSTOM, 1991, pp. 107-118.
23
H. Dominik, cité par A. Goungui, ‘‘L’islam en pays vouté (1900-1960)’’, Mémoire de DIPES II en histoire,
Ecole Normale Supérieure (ENS), 1999-2000, p. 28. Voir aussi V. M. Curt, A travers le Cameroun du Sud au
Nord, Leipzig, 1893, (traduction de Ph. Laburthe-Tolra), Paris, Serge Fleury, 1982, p. 135.
24
Voir A. P. Temgoua, ‘‘Commerçants allemands et marchands haoussa au Nord-Cameroun, 1902-1915’’,
notamment la section II, pp. 69 -77.
25
Ibid., p.72.
26
Ibid.
51
la colonisation allemande, le trafic est faible. La nature des produits exportés vers la côte
démontre le maintien prolongé d’une économie de traite. Il s’agit essentiellement de produits
de cueillette, caoutchouc, gomme, ivoire et peaux séchées. Les marchands haoussas
achetaient et conduisaient aussi vers le Sud les bœufs, pour y ravitailler la population
européenne en viande fraîche27. A Douala, le ravitaillement fut tel qu’en 1909, une boucherie
fut ouverte.28 Dans l’autre sens, arrivaient le sel, l’alcool, le riz et des produits manufacturés
en argent et en fer dont la faible quantité s’explique par la rareté des espèces monétaires et
par le petit nombre des Européens.29 Jusqu’à l’arrivée vers 1925 des premiers véhicules
automobiles, la desserte de la région est assurée par portage grâce à ces marchands haoussas
habitués au commerce à longue distance et se contentant de mauvaises routes, si l’on excepte
bien sûr quelques transports à tête d’animaux : chevaux et ânes.30
Evidemment, les exportations et les importations étaient déterminées d’après les
intérêts des maisons de commerce allemandes, de l’administration coloniale et du marché
allemand. Elles ne faisaient pas suite à la demande des clients ou consommateurs africains, ni
aux besoins globaux ou précis d’un développement des forces productives locales.
L’Allemagne livrait aux indigènes un tas de produits inutiles, nocifs, destructifs, sans valeur :
alcools, produits en argent, produits en fer, etc.31 Les importations allemandes en provenance
de l’hinterland traduisaient quant à elles la préoccupation des Allemands de drainer vers la
côte toutes les richesses exportables qui, jusqu’alors, ne profitaient qu’aux Britanniques qui
contrôlaient les grands marchés haoussas du Nord-Nigeria et aux Français à qui revenaient
les marchés du Baguirmi et du Ouadaï.
Nous pouvons donc dire que ces musulmans étaient tous des marchands. En effet, la
principale activité économique, la plus importante chez les musulmans en général était le
commerce. Il s’agissait d’une association harmonieuse de l’islam et du commerce. I. Hrbek
écrit :
Religion née au sein de la société marchande de la Mecque et prêchée par un prophète qui
avait été lui-même pendant longtemps un commerçant, l’islam présentait un ensemble de
préceptes moraux et pratiques liées aux activités marchandes. Ce code moral aidait à
sanctionner et à contrôler les rapports sociaux et offrait aux membres des différents groupes
ethniques une idéologie unificatrice qui jouait en faveur de la sécurité et du crédit, deux
27
Dans le Sud forestier, l’humidité constante et la présence des glossines rend pratiquement impossible l’élevage
du gros bétail. Il offre par conséquent un vaste débouché aux produits d’élevage des pays septentrionaux.
28
A. P. Temgoua, ‘‘Commerçants allemands et marchands haoussa au Nord-Cameroun, 1902-1915’’, p. 77.
29
M. Roupsard, ‘‘Evolution des échanges entre le bassin tchadien (Tchad, Nord-Cameroun) et la côte du Golfe
de Guinée pendant la période coloniale’’, p. 107.
30
A. F. Dikoume, ‘‘Du portage comme point de départ de l’économie coloniale au Cameroun’’, p. 15.
31
A .P. Temgoua, ‘‘Commerçants allemands et marchands haoussa au Nord-Cameroun, 1902-1915’’, p. 74.
52
conditions essentielles à l’existence des relations marchandes entre partenaires éloignés les
uns des autres.32
A ce niveau, une question s’impose : pourquoi caractériser d’emblée les musulmans
de Douala par leur activité commerciale et leur origine ethnique alors que l’implication
généralisée des populations côtières dans une économie d’échanges laisse supposer que la
fonction commerciale se trouve largement repartie et dépend plutôt de l’initiative d’individus
sachant réunir un capital de départ ?
Il convient d’abord de rappeler ici que le commerce, en tant qu’activité spécialisée
occupant les individus à temps complet n’est apparu au Cameroun qu’avec l’économie sur
les marchés mitoyens situés aux frontières des groupes. Là, les produits vivriers en surplus,
ainsi que les spécialités artisanales, étaient offert en troc. Les produits de traite circulaient
également et parfois sur les longues distances, de la côte vers l’intérieur et vice-versa, mais
toujours selon ce même schéma. Les agriculteurs mettaient à contribution leurs relations
personnelles (oncles et neveux utérins résidant dans d’autres villages, ‘‘ amis de commerce’’,
etc.) pour s’adonner de temps à autres à ces transactions, mais il n’y avait pas, à proprement
parler, de commerçants traditionnels.33
Le pouvoir colonial, dans un premier temps, coupe court à toute ambition
commerciale de la part des populations côtières qui jusqu’alors s’arrogeaient l’exclusivité des
contacts directs avec les Européens. Plus encore, l’autorité des Duala sur les migrants n’est
qu’une autorité déléguée, sous surveillance européenne. Des expéditions militaires forcèrent
le passage vers les populations de l’intérieur, puis l’administration coloniale interdit
carrément aux
Duala toute commercialisation des produits européens. La colonisation
s’imposait avec ses commerçants attitrés européens pour la plupart, gérants des factoreries
des grandes sociétés commerciales ; Grecs et Libano-syriens, dans les régions méridionales
ou les plantations de café et/ou de cacao, contribuaient à la diffusion de l’argent34 dans les
milieux ruraux ; enfin, Haoussa déjà introduits au Cameroun jusque dans la région du Mbam
à la suite de la conquête peule et qui n’hésitèrent pas à suivre les premières colonnes
militaires récemment créées. Ces commerçants nés, Haoussa et assimilés, géraient les
32
I. Hrbek, ‘‘La diffusion de l’Islam en Afrique au Sud du Sahara’’, in Histoire générale de l’Afrique, T.III,
Unesco / Nea, 1990, p.96.
33
Le livre de P. Geschière et P. Konings (s.d.), Itinéraires d’accumulation au Cameroun / Pathways to
accumulation in Cameroon, Paris, Leyden, Afrika-Studiecentrum, Karthala, 1993 présente, entre autres, les
données sur cette forme de commerce dans les régions du Nord, de l’Ouest, de l’Est et du Nord-Ouest. Dans le
même sens, lire aussi J.- P. Warnier, L’esprit d’entreprise au Cameroun, Paris, Karthala, 1993.
34
L’introduction de la monnaie qu’il fallait à tout prix se procurer pour les multiples obligations vis-à-vis du
colonisateur, constitua un autre coup fatal porté à l’économie traditionnelle.
53
situations acquises à cette époque. En effet, sur le plan matériel, ils bénéficiaient des faveurs
particulières, obtenaient des facilités pour installer leur commerce et étaient favorisés dans les
contacts avec les Européens.35 Et comme leur commerce était prospère, on s’adressait à eux
comme fournisseurs.
Ces commerçants se réunissaient sur une base ethno-religieuse, garante d’une
solidarité et d’un recours contre les malhonnêtetés éventuelles et constituaient des groupes
d’entraide pour l’hébergement, la communication d’informations, le soutien financier, etc.
Des véritables chaînes de solidarité se nouaient entre les milieux d’origine et Douala. A
terme, des réseaux commerciaux informels couvraient la région économique la plus active du
Cameroun par le seul jeu de multiples solidarités et non par la volonté d’un centre qui
implanterait des succursales et un réseau de correspondants.
Cette forme de capitalisme, très souvent rejeté par les économistes dans le secteur
dit ‘‘informel’’ sous prétexte que ses activités ne se manifestent pas toujours nécessairement
dans le cadre d’entreprises de type moderne, reposait indéniablement sur une solidarité
ethnique qui lui fournissait une partie de ses capitaux par les mutuelles d’épargne appelées
couramment ‘‘tontines’’ ainsi qu’une partie de sa main d’œuvre grâce à l’apport appréciable
des aides familiales. Ces variables : réseaux ethniques et méthodes de financement
informelles à l’intérieur d’un réseau intra-ethnique, les poussaient à se lancer dans le
commerce. Ils mettaient ainsi à contribution cette méthode traditionnelle de mobilisation de
l’épargne : la tontine. En effet, la tontine apparaissait comme un moyen d’accès à des sources
de financement pour ces marchands qui n’avaient ni grosses économies personnelles, ni
garanties pouvant leur ouvrir l’accès au prêt bancaire lorsque les banques seront mises en
place.36 Il en résultait, et cela est particulièrement visible dans les communautés musulmanes
de Douala, l’émergence d’une bourgeoisie d’affaires à l’envergure nationale, capable d’entrer
en relation avec des entreprises et des groupes financiers étrangers dont elle devient un
partenaire non négligeable. Le commerce interne n’était plus ainsi que secondaire pour les
musulmans, ceux qui faisaient les affaires pouvaient s’appuyer sur des réseaux financiers
35
Accusés de concurrence déloyale et de continuer à drainer les richesses du Nord de la colonie vers le Nigeria
par des commerçants allemands installés au Nord, les Haoussa devaient recevoir le soutien de l’administration
allemande et des milieux économiques du Sud qui trouvaient trop coûteux l’installation des succursales dans le
Nord et qui étaient particulièrement satisfaits de voir s’établir, par le biais des marchands haoussa, une liaison
économique entre le Nord et le Sud de la colonie. La chambre de commerce de Douala attira même l’attention de
la firme Pagenstecher sur les dangers que couraient le gouvernement en compliquant davantage l’activité des
marchands houssas. En effet, étant donné l’absence de routes, ces derniers jouaient le rôle moteur de l’expansion
de la colonie. Ces vues furent soutenues par les firmes allemandes installées sur la côte. Cf. A. P. Temgoua,
‘‘Commerçants allemands et marchands haoussa au Nord-Cameroun, 1902-1915’’, p. 76.
36
G. A. Brenner et al., ‘‘Les entrepreneurs originaires du Nord à Douala et à Yaoundé’’, in Les facteurs de
performance de l’entreprise, Paris, Ed. AUPELF-UREF, 1995, p. 157.
54
familiaux ou s’inscrire dans la logique de système capitaliste occidental.
C’est de cette même façon que l’élément haoussa et assimilé, inséré au sein des
groupes bantous aura joué un rôle sans précédent dans la présence de l’islam à Douala. Dans
le sens inverse, ils étaient avec les Duala, au centre des transactions assurant la mise sur le
marché intérieur des produits européens recherchés et la maîtrise du commerce intérieur
jusqu’au Nord en passant comme nous avons déjà dit par les zones-carrefours de Bafia et le
pays bamun ; ce qui fut la principale source de leur richesse. Voici, pour corroborer notre
point de vue, le constat du Capitaine Cardaire :
(…) les musulmans soudanais s’étaient emparés de solides positions commerciales,
face au pays Bantou et aux populations de la côte du golfe de Guinée. Lorsque la guerre
éclata en Europe, un immense besoin de matières premières se fit sentir, la bataille devait être
alimentée en toutes choses. L’Afrique consentit un effort vigoureux et la traite de ces produits
connut un élan nouveau.
A partir des marchés déjà conquis, les musulmans noirs intensifièrent leurs
transactions et conquirent de nouvelles positions. Plutôt que d’aller et venir entre savane et
forêt, ils installèrent, dans le Sud, des colonies qui achetaient sans hâte et tenaient des charges
de produits toujours prêtes à être emportées. Du temps et de l’argent étaient ainsi gagnés (…).
On peut constater (…) que des va-et-vient se sont établis entre ces marchés ; sur les
routes et les pistes, la circulation est intense. Des relations suivies sont entretenues, sur le plan
commercial, entre les colonies musulmanes. Tel chef haoussa de Douala connait tous les
chefs haoussa et foulbé du Nord-Cameroun et de l’Oubangui-Chari, et conserve des liaisons
avec ses parents de Nigeria du Nord (…). Les colonies musulmanes s’enrichissent ainsi, le
plus souvent au détriment des autochtones et à un rythme étonnant.37
Cette expérience des marchands haoussas venant de l’intérieur semble cependant
avoir rencontré d’autres qui se trouvaient déjà sur place à Douala, avant la prise officielle du
Cameroun par les Allemands en 1884. A titre d’illustration, E. Mohammadou retrace
l’itinéraire d’un Haoussa originaire de Baoutchi du nom d’Iliassou qui fut recruté à Douala
en qualité de soldat sur la désignation de ‘‘Baoutchiliassou’’ (Baoutchi-Iliassou) et que
Dominik38 surnomme ‘‘Mahama’’, nom qui lui resta dans l’histoire locale sous l’appellation
haoussa de Mamnan-na-Dumiki (le Mohamman de Dominik), car les Mohamman,
Mahmman et Mamman étaient nombreux parmi les soldats haoussas de la troupe
allemande.39 Il avait séjourné à Douala pendant longtemps. Une fois recruté à Douala par
Dominik, ce Mamman, grâce à sa connaissance du métier des armes, des hommes et des
37
M. Cardaire, Contribution à l’étude de l’islam noir, Mémoire hors série des Etudes Camerounaises,
Mémorandum II du Centre IFAN Cameroun, 1949, p. 90.
38
F.W. Hans Dominik est connu dans l’histoire du Kamerun comme le plus grand conquérant allemand du
Cameroun, comme celui qui a écrasé toutes les résistances.
39
L’essentiel de ce paragraphe est emprunté à E. Mohammadou, ‘‘Les sources de l’exploration et de la conquête
de l’Adamawa et du Bornou allemands (1893-1903) : Passarge, Dominik, Baouer’’, Paideuma, n°40, 1994, pp.
37 - 66
55
régions de l’intérieur, des grandes langues véhiculaires qui y étaient pratiquées, sans
mentionner le pidgin anglais, allait devenir l’homme de confiance et le bras droit de l’officier
allemand, dont il sauva à plusieurs reprises la vie. Intelligent et avisé, il fournit à Dominik
des informations pertinentes relatives aux peuples de la région.40
Même si la difficulté de fixer un cadre chronologique précis pour cette période
impose la plus grande prudence sur leur nombre41, la version fournie par El Hadj Housseini
Adamou Labbo et El Hadj Tanko Amadou issus des deux principales chefferies haoussas de
Douala semble confirmer ce récit. Ceux-ci affirment en effet que de la côte, les Allemands
allaient se servir des Haoussa déjà installés, comme éclaireurs pour conquérir l’intérieur du
Cameroun. Pour eux, certains centres coloniaux (postes administratifs, comptoirs, garnisons)
ont été calqués sur les points de passage des commerçants haoussas qui avaient devancé les
Européens dans le commerce de l’hinterland. Ils estiment aussi qu’avant l’arrivée des
Allemands, la mode vestimentaire des Haoussa était connue à Douala et même dans la
plupart des agglomérations humaines du Sud Cameroun.42
Cela dit, on pourrait tout d’abord arguer du fait qu’au début, les Haoussa étaient
limités, non seulement en nombre mais également dans leur efficacité. Les choses
commencèrent à changer lorsque le nombre des musulmans s’accrut à Douala. Cette
tendance se renforça au lendemain de la Première Guerre mondiale. En effet, de nombreux
‘‘tirailleurs’’ venus de l’AOF et les ‘‘troupes haoussas’’ de l’Afrique de l’Ouest anglophone
étaient musulmans.43 Ils avaient été incorporés et enrôlés dans les armées franco-anglaises
qui expulsèrent les Allemands de Douala lors de la Première Guerre mondiale. En 1916,
peu après le départ des Allemands consécutif à la Première Guerre mondiale, de nombreux
tirailleurs des colonies voisines mais surtout de l’AOF ne tardèrent pas à s’installer à Douala
plutôt que de regagner leur pays. La colonie musulmane était de plus en plus importante. De
petits groupes de Sénégalais, Maliens Nigériens, Togolais, Guinéens et Dahoméens une fois
démobilisés, s’étaient ainsi installés à Douala, pour avoir acquis certaines qualifications
professionnelles civiles, comme le métier de maçon, de forgeron, de charpentier, de docker,
40
Ibid., p.51.
A.P.Temgoua (‘‘Commerçants allemands et marchands haoussa au Nord-Cameroun, 1902-1915’’, p. 75.),
affirme par exemple qu’avant l’annexion du Cameroun par les Allemands, aucune trace des Haoussa n’était
signalée sur la côte.
42
Résumé de deux témoignages concordant émanant d’El Hadj Adamou Labo, Chef Haoussa de New-Bell
(entretien du 10 juillet 2004 à la chefferie) et El Hadj Tanko Amadou chef Haussa de Bonaberi (entretien du 12
juillet 2004 à la chefferie, à côté de la mosquée de vendredi de Bonaberi).
43
P. Oleukpana Yinnon, ‘‘Plaidoyer pour les ‘‘tirailleurs dahoméens’’, Ethiopiques, 50-51, Revue trimestrielle de
culture négro-africaine, Nouvelle série, 2e et 3e trimestres 1998, Vol. 5, no 3 - 4, pp. 7- 21.
41
56
etc.44 Dans son rapport annuel de 1954, le chef de ‘‘la région du Wouri’’45 décrivait la mise
en place de ces étrangers auxquels il associait quelques cas d’‘‘allogènes’’ originaires du
Cameroun :
Les douala furent les premiers à faire venir des hommes à l’intérieur en qualité de
serviteurs ou d’employés ‘‘spécialisés’’ dans certaines tâches. Avec l’arrivée des Allemands
puis des Français, l’afflux ne cessa de s’amplifier. Jusqu’à la fin de la dernière guerre, les
apports étrangers étaient de qualité : les Aofiens que nous amenâmes dès 1918 à Douala pour
assurer le trafic ferroviaire46 ; les bouchers foulbés, les manœuvres et les commerçants
bamiléké, les ouvriers de Yaoundé étaient indispensables au développement de la ville.47
Certains musulmans d’origine ouest-africaine participaient aussi à la domination
coloniale en tant qu’agents administratifs recrutés par des Français en raison de leur
connaissance du français ou en tant que force de l’ordre. Enfin, d’autres comme les Haoussa,
s’étaient engagés dans le commerce régional (cola, bétail, sel) et revendaient les produits
manufacturés ou des produits du cru pour le compte des maisons de commerce européens ou
des Duala. Une des principales caractéristiques de cette première phase de la migration est
qu’elle est essentiellement masculine du moins à ces débuts ; ce qui suppose peu de femmes,
moins encore d’enfant et surtout un nombre relativement bas de ménages.
Ce processus de migration musulmane se poursuivit ainsi durant des années avant de se
consolider dans les années 1920 et 1930, années au cours desquelles d’autres communautés
musulmanes étrangères devaient venir s’y greffer, notamment les pécheurs et commerçants
yorubas. La zone peuplée par le peuple yoruba couvre la partie Sud-est du Nigeria et, en
partie, le Sud-est du Benin. On les retrouve aussi au Ghana et au Togo. Tout comme les
Haoussa, les Yoruba ont depuis plusieurs siècles marqués l’Afrique de l’Ouest et centrale par
leur présence dans les principaux nœuds commerciaux à travers de longs déplacements.48 Au
Nigeria, ils constituent le troisième groupe musulman le plus important après les Haoussa et
les Peul. En effet, au sein de cette communauté, la religion islamique est la plus répandue,
suivie par le christianisme et la religion traditionnelle. Dans cette communauté aussi, la
religion est un facteur de différenciation socio-économique ; les chrétiens sont mieux nantis
44
ANY, 2AC 8093, Douala administration. Rapport annuel, 1923.
Nouveau nom de l’ancienne circonscription de Douala à partir de 1935. Le contrôle du territoire par les
Français passait plus globalement aussi par la réduction géographique de la zone d’influence des Duala, en
rétrécissant la circonscription urbaine qui évolue alors du concept de Douala et sa région, soit une centaine de
kilomètres de profondeur , à Douala et ses environs, soit une dizaines de kilomètres de profondeur seulement.
La localité perdait ainsi son envergure de ‘‘circonscription’’ pour se rétrécir en simple ‘‘subdivision’’.
46
C’est nous qui mettons en exergue.
47
ANY, 2 AC 8088, Wouri administration. Rapport annuel, 1954, p. 12.
48
Pour d’amples développements, voir J. Ogunsola Igue, Les Yoruba en Afrique de l’Ouest francophone 19101980. Essai sur une diaspora, Paris, Presence africaine, 2003.
45
57
que les musulmans d’où la propension de ces derniers à toujours migrer.49
L’explication par l’héritage historique et par les facteurs exogènes que nous avons
évoquée chez les Haoussa et assimilés est valable ici, mais reste insuffisante. On peut ajouter
pour les Yoruba une hypothèse qui tient compte des problèmes auxquels chaque société devra
faire face : la pression démographique vécue par certains groupes ethniques pousse à la
multiplication des activités non agricoles dès lors que le contexte s’y prête.50 L’immigration
yoruba à Douala qui se livrait principalement aux activités commerciales et au transport,
illustre parfaitement ce genre de situation.51
Les Yoruba s’installent en effet à Douala dès le lendemain de la Première Guerre
mondiale, notamment au milieu des années 1920. Et, contrairement à la migration haoussa
essentiellement masculine, du moins dans sa première phase d’installation, les Yoruba
développent, de leur côté, une migration familiale qui accroît très rapidement leur
démographie. Entre 1931 et 1948, la majorité d’entre eux sont en contact avec la compagnie
à charte la ‘‘R.W. KING’’ filiale d’Unilever qui avait pris le relais de la Royal Niger
Compagny dès 1931. Cette compagnie importait et vendait des produits manufacturés et
exportait les arachides. Ici, les Yoruba jouent le rôle que les Haoussa jouaient auprès de la
Royal Niger Compagny. Se référant à cette expérience, M. Roupsard affirme :
La traite des peaux et des arachides et la redistribution des produits de cette compagnie
intéressent aussi les colporteurs d’origine nigérianes, notamment les Yoruba qui sont pour la
plupart des sous-traitant de la ‘‘R. W. KING’’.52
Empruntant le volet équatorial de la route de kola et la voie maritime, les commerçants
et pêcheurs yorubas de confession islamique et originaires de Lagos s’établirent autour de
49
Voir D. Laitin, ‘‘Hegemony and Religious : British Imperial Control and Political Clearages in yourubaland’’,
in P.B. Evans, Rueschemeyer, Dietrish and Skorepol Theda, Bringing the state back in, New-York, Cambridge
University Press, 1985, p. 286.
50
Lors d’un colloque organisé en 1971, Le Pr. Wande Abimbila avançait les chiffres suivants : 14 millions de
Yoruba, dont 13 au Nigeria et 0,5 au Benin sur une population de 2 millions. Cf. ‘‘The Yoruba concept of
Human personality’’, in G. Dieterlen (s.d.), La notion de personne en Afrique noire, Paris, CNRS, 1973, p.73. En
1993, selon d’autres sources, le nombre total de Yoruba se serait élevé à 20 millions, dont 18 au Nigeria. D’après
les chiffres de 2008, sur une population totale estimée à 147 millions, les Yoruba du Nigeria représenteraient
21%. Le nombre de Yoruba pourrait donc aujourd’hui dépasser les 30 millions représentant ainsi la plus grande
communauté d’Afrique. Cf. CIA, World Fact Book, 2008. Mais compte tenu de l’explosion démographique
dans ce groupe ethnique et de l’existence d’une diaspora, le nombre de Yoruba est difficile à chiffrer avec
précision. Cf. Toyin Falola et Matt D. Childs, The Yoruba Diaspora in the Atlantic world: methodology and
research, Indiana University Press, 2004.
51
Voir B.- J. Nkene, ‘‘Les immigrés nigérians à Douala : problèmes et stratégies d’insertion sociale des étrangers
en milieu urbain’’, Law and Politics in Africa, Asia and Latin America, (33)1, 2000, pp.112-132.
52
M. Roupsard, ‘‘Evolution des échanges entre le bassin tchadien (Tchad, Nord-Cameroun) et la côte du Golfe
de Guinée pendant la période coloniale’’, p. 113.
58
l’actuel marché central de Douala, précédemment connu sous l’appellation ‘‘Marché Lagos’’,
par référence à leur lieu d’origine et au quartier dit Makea.53
L’appellation ‘‘marché Lagos’’ pour désigner le centre commercial le plus populaire
de Douala rentre ainsi dans un processus d’appropriation symbolique de l’espace. Elle marque
de fait, une volonté explicite de marquage culturel de l’espace d’accueil, en termes
d’imposition de leurs mœurs et coutumes.
Sur cette base (Haoussa et Yoruba), la progression des effectifs musulmans à Douala
se renforça au tournant des années 1930. Il y eut d’abord la venue de la main d’œuvre
qualifiée ouest-africaine notamment des Sénégalais54 et des Maliens55. Ils étaient des maçons,
des chefs de chantier, des charpentiers et des mécaniciens recrutés en vue des travaux de
l’extension du port56, du chemin de fer, le développement des services publics et privés et de
la construction de la ville. Ensuite, de 1948 à 1960, c’est la période de la grande ouverture,
de nouvelles migrations en direction de Douala. Après la seconde guerre mondiale en effet, la
conjoncture économique évolue rapidement dans l’ensemble colonial français. La création
d’infrastructures nouvelles permet un essor assez rapide des échanges et une progression des
structures commerciales.57 Même si la voie fluviale reste la plus utilisée, les autres
infrastructures de transport bénéficient d’investissement et attirent une part croissante de flux
de marchandises. Deux nouveaux axes routiers seront ainsi construits et vont améliorer les
liaisons terrestres entre l’hinterland et la côte camerounaise malgré la longueur de leur
parcours : route Yaoundé-Ngaoundéré par Bertoua, aménagée pendant la guerre ; route
Douala-Ngaoundéré par Foumban, terminée en 1954.58 L’augmentation du flux migratoire des
Haoussa et assimilés venus s’installer à Douala bénéficient désormais de ces nouveaux atouts.
Ce flux s’étend sur les décennies 1940 et 1950 et s’accompagne d’un peuplement des
quartiers musulmans. Il modifie par ailleurs complètement la composante socio-ethnique des
quartiers des immigrants pour lui donner une coloration soudano-sahélienne, marquant de ce
fait une rupture avec le processus de ‘‘lagosisation’’ initié auparavant par l’importante
53
H. Adama, L’islam au Cameroun, 2004, p. 41.
Voir Cheikh Oumar Ba, ‘‘Les Sénégalaises en Afrique centrale : de la migration d’accompagnement à
l’émergence des groupes de femmes autonomes’’, in C. Coquery-Vidrovitch et al., Etre étranger et migrant en
Afrique au XXe siècle. Enjeux identitaires et modes d’insertion, Vol. II, Paris, L’Harmattan, 2003, pp. 279-291.
55
P. Cissé, ‘‘La migration malienne au Cameroun : le retour est-il possible?’’, Communication au XXVe
Congrès International de la Population, Tours, 18-23 juillet 2005.
56
La construction du port de Douala avait commencé en 1881, par les autorités allemandes.
57
Les archives restent très discrètes sur les données concernant ce sujet. Mais d’après M. Roupsard, (‘‘Evolution
des échanges entre le bassin tchadien (Tchad, Nord-Cameroun) et la côte du Golfe de Guinée pendant la période
coloniale’’, p. 113), les échanges entre le bassin tchadien, le Mbam et la côte camerounaise se développent.
58
Ibid.
54
59
démographie yoruba.59 Comme le remarque Cardaire, ces nouvelles agglomérations avaient
rapidement pris l’aspect de village soudanais, les constructions d’argile étaient typiques et
toute l’ergologie n’ en était pas moins.60
L’autre changement accompagnant le flux des musulmans vers la côte camerounaise à
cette période (1948-1960) est dans la diversification des structures commerciales. La
‘‘R.W.KING’’ perd sa situation privilégiée de monopole de fait sur la distribution des
produits du bassin tchadien vers la côte pour lequel sa filiale l’United Africa Compagny
(UAC) est concurrencée par une autre société britannique la John Holt Compagny, et par une
société française la Compagnie de Transport et de Commerce (CTC). Il en est de même pour
le commerce d’import-export avec l’arrivée, à partir de 1950, de nouvelles sociétés : la
Société Commerciale de l’Ouest Africain (SCOA), la Compagnie Française de l’Afrique
Occidentale (CFAO), la Société du Haut Ougoué (SHO), les Comptoirs Réunis du Cameroun
(CRC) qui ouvrent des succursales surtout à Garoua, secondairement à Maroua et à
Ngaoundéré. La situation de commerce de détail évolue aussi rapidement avec l’extension et
la diversification des structures. Le nombre de marchands ‘‘soudanais’’ s’accroit fortement à
Douala mais ils s’en installent aussi dans les centres secondaires de la côte camerounaise
(Nkongsamba, Mbanga, Yabassi, Edéa, Manjo, Penja, etc.). Ces commerçants-colporteurs
musulmans constituent désormais un groupe important et dynamique, prennent à leur compte
des échanges par voie routière avec le Sud-Cameroun en général. Pendant la même période,
ces marchands musulmans étendent leur activité dans le commerce de détail, mais aussi
s’imposent dans la traite des produits locaux. Ils développent leurs relations par delà les
frontières et commencent
compter.
à former une bourgeoisie musulmane avec laquelle il faut
61
Ces groupes de musulmans étaient domiciliés au pourtour des quartiers Congo, Makea
et du marché central. Certains, rompus aux pratiques foncières occidentales en vigueur en
Afrique de l’ouest, profitèrent du flou de la législation foncière et l’innocence en la matière
des propriétaires coutumiers pour acquérir les terres à très peu de frais et s’établir ainsi à leur
compte sur la place du marché. Les autres furent autorisés par les chefs de terre des villages
respectifs à s’installer à proximité du marché. D’autres commerçants attirés par l’essor
commercial de la ville, ne tardèrent pas à faire venir leurs ‘‘frères’’ pour les rejoindre .62
59
H. Adama, L’islam au Cameroun, p. 41.
M. Cardaire, Contribution à l’étude de l’islam noir, p. 90.
61
M. Roupsard, ‘‘Evolution des échanges entre le bassin tchadien (Tchad, Nord-Cameroun) et la côte du Golfe
de Guinée pendant la période coloniale’’, p. 116.
62
M. Cardaire, Contribution à l’étude de l’islam noir, p. 90.
60
60
Les Yoruba, les ‘‘Aofiens’’ et surtout les Haoussa et assimilés constituaient ainsi sur
le plan externe une base islamique à Douala. Et, leurs activités de marchand ont dû préparer le
terrain à une expansion future de leur foi, même s’ils ne s’adonnaient pas directement au
prosélytisme. Ils y arrivaient par voie terrestre et par voie maritime. A ces deux principaux
circuits d’accès qui s’offraient à ces derniers, correspondaient deux types de migrations. Une
migration horizontale, constituée d’émigrés qui arrivaient à Douala par voie terrestre après un
séjour dans les ‘‘stations’’ ou ‘‘villes relais’’ de l’arrière-pays et une migration verticale de
loin la plus importante par le volume, qui s’effectue par voie maritime. Les migrants étaient
ensuite récupérés par leurs frères ou des familles déjà installés sur la côte camerounaise.63 Il
faut ajouter qu’en raison de leurs activités de marchand et de marabout, ils étaient amenés à se
rendre dans de nombreuses autres régions de la côte car ils trouvaient dans le commerce une
occupation utile. De plus, ils monnayaient leurs savoirs religieux et maraboutiques contre
biens et services, ce qui leurs valaient l’intimité des populations locales et une influence dans
les sociétés d’accueil. Cette base islamique s’étendit progressivement aux groupes nationaux.
A-2 Le groupe des nationaux
Au niveau national, les groupes de musulmans camerounais étaient formés de deux
groupes : le groupe septentrional et le groupe méridional. Le groupe septentrional était
constitué des Kanuri, des Kotoko des Arabes Choa, des Mandara, issus des régions les plus
anciennement islamisées qui se situent à l’extrémité septentrionale du pays où l’on trouvait, à
l’époque anté-coloniale, des marges d’empires musulmans tels que le Bornou. L’islam y reste
la religion dominante sinon exclusive des Kotoko, Arabes Choa, Mandara, etc. D’autres,
notamment les Haoussa et des Peul étaient descendus du reste du Nord-Cameroun –Maroua,
Garoua et Ngaoundéré surtout, et plus généralement de l’aire d’expansion qui se calque sur la
trame de l’archipel peul à la suite du djihâd d’Ousman Dan Fodio du début du XIXe siècle.
Quant au groupe méridional, il était constitué d’abord des islamisés qui venaient des
savanes du Mbam, ‘‘résultats des invasions foulbées du XIXe siècle’’: Bafia, Batouté ou
Vouté et Tikar.64 En effet, la région du Mbam est celle qui avait connu le phénomène de la
conversion à l’islam d’une grande ampleur depuis l’époque allemande. Cette conversion
s’était faite sous l’influence des cavaliers musulmans venus du Nord, des marchands haoussas
63
I. Njoya Moubarak, ‘‘Etat des lieux de l’islam au Cameroun’’, Communication à la Réunion des Chefs
Religieux des Pays et des Communautés Musulmanes en Afrique, Istanbul (Turquie), 1996.
64
ANY, 1AC 60, Région du Wouri. Rapport annuel, 1948.
61
et surtout de fortes personnalités de la classe dirigeante locale comme Machia Anong chez les
Bafia et Mossi Gomtse chez les Vouté. Ces deux personnalités s’étaient converties à l’islam,
donnant ainsi le coup d’envoi d’une conversion massive de leurs populations.65 L’arrivée et
l’installation des Allemands à travers les exploitations agricoles et l’écoulement des produits
manufacturés devaient renforcer l’ouverture du courant migratoire de la côte atlantique,
permettant ainsi aux islamisés bafias, voutés et tikars de migrer vers Douala.
Enfin, d’autres venaient du royaume bamun. Le royaume bamun, aujourd’hui
département du Noun, est situé à l’intérieur des hauts plateaux de l’Ouest, à 300 km environ
des côtes du Golfe de Guinée. Il est formé d’un triangle limité par la rivière Mbam et son
affluent Noun. Ce département à une superficie de 7500 km2, et il était peuplé de 35 000 âmes
environ en 198766. Fortement centralisé et marqué par une grande civilisation, la pénétration
de l’islam en pays bamun remonte officiellement à 1906, date de la conversion du roi Njoya,
pour des raisons stratégiques.67 Sous le règne de ce célèbre roi, (1892 - 1933), l’islam opéra
une percée importante en pays bamun. En 1918, après le retour d’une délégation qu’il avait
envoyée auprès de l’émir de Yola, Njoya prit le titre de Sultan pour se rapprocher des
souverains musulmans. Depuis lors, le royaume bamun est un important pôle de diffusion de
l’islam au Cameroun. Grâce à sa situation stratégique – prolongement méridional des Etats
anciennement islamisés du Nord Cameroun, proximité avec les provinces de l’Ouest, du
Nord-ouest et du Centre -, Foumban , capitale du pays bamun est vraisemblablement l’une des
régions les plus islamisées, sinon la plus islamisée du Cameroun : les musulmans dépassent
75% de la population totale du royaume.
Foumban, la capitale du royaume bamun constitue donc un centre religieux important.
C’est de cette région qu’étaient parties entre 1931 et 1932, les premières communautés
bamuns pour s’installer à Douala, à côté de leur coreligionnaire des autres régions du
Cameroun et de l’étranger au quartier New-Bell.68
65
Entre 1938 et 1939, on estimait le nombre de convertis entre 20 et 30% dans les régions de Bafia et Vouté. Cf.
ANY, APA 11689, Inspection des colonies, 1938-1939. Pour plus d’amples informations sur l’islam dans le
Mbam, lire notamment S. Mane, ‘‘ Islam et société dans le Mbam (Centre-Cameroun) : XIXe - XX e S.’’, Thèse
de Doctorat/Ph.D. en histoire, Université de Yaoundé I, 2005-2006 ; A. Goungui, ‘‘Islam en pays vouté (19001960)’’, 1999-2000 et N. Mvoutsi, ‘‘Histoire des Vouté du Cameroun Central’’, document ronéoté, Yoko, 1985.
66
Démo 87, Ministère de l’Equipement et du Plan, Yaoundé, 1987.
67
Il existe une abondante littérature sur le royaume bamun. Citons, entre autres : C. Tardits, Le royaume Bamoun.
Paris, A. Colin, 1980 et A. Njiasse Njoya, ‘‘Naissance et évolution de l’islam en pays bamoun (Cameroun)’’,
Thèse de Doctorat de 3e cycle en histoire, vol. I et II, Université de Paris I, 1981 ; A. Ndam Njoya, Njoya
réformateur du royaume bamoun, Paris, Présence africaine, 1978.
68
El Hadj Nji Mefire Njoya Inoussa chef de la communauté bamun de Douala et El Hadj Moctar Aboubakar
Oumar, grand marabout, premier imam de la mosquée bamun et dignitaire de la communauté bamun, entretiens
des 4 et 5 août 2004, à la chefferie bamun (New-Bell/Bamun).
62
Au total, les migrations du Nord vers la côte, du Mbam vers la côte et du Noun vers la
côte peuvent être considérées sur le plan interne comme des fronts d’islamisation faisant
progressivement leur pénétration vers la côte atlantique. C’est de ces centres religieux que des
groupes de musulmans sont venus s’installer à Douala pour des raisons économiques et ont
propagé indirectement les traditions musulmanes sur la côte.
Les premiers groupes nationaux représentants l’islam à Douala sont ainsi multiples et
variés : les Peul, Kanuni, les Kotoko, les Arabes Choa, les Bafia, les Vouté, les Bamun,
auxquels il faut ajouter les Haoussa du Nord-Cameroun. A ces derniers, il faut surtout ajouter
les membres des communautés musulmanes étrangères ou non nationales, fortement
dépendantes de leurs pays d’origine. C’est le cas des Nigérians (Yoruba et Haoussa), des
Sénégalais, des Nigériens, des Maliens, des Tchadiens, des Dahoméens, des Togolais, etc.
Cette hétérogénéité pourrait s’expliquer par l’histoire des migrations musulmanes vers
Douala. La diversité se manifeste aussi au plan ethnique, social, culturel et linguistique.
Ici, les musulmans ont suivi principalement la voie commerciale. Cette dernière a
permis à l’islam de s’implanter à Douala. En plus de ce moyen qu’on peut qualifier de
traditionnel, on pourrai aussi évoquer le rôle joué par la confrérie musulmane Tidjanniya.
B- Une islamisation confrérique : la Tidjanniya
Comme l’indique la littérature islamologique, les confréries prirent naissance en
Orient, se répandirent petit à petit au Maghreb, puis dans la région sud-sahélienne à partir du
XVe siècle où elles jouèrent un rôle de médiation entre les cultures locales et l’islam arabe.
En réalité, les confréries ne sont pas à proprement parler des doctrines, mais des écoles de
spiritualité. Le fidèle y cherche une voie (tariqa) pour parvenir à une connaissance de Dieu
cachée au commun des mortels. Autour de ces confréries, gravitent un certain nombre de
personnages charismatiques qui représentent des éléments d’intersection avec Dieu.69 Dans
une religion sans clercs70, ils sont l’incarnation même de la religion. Ils portent le titre de
69
Pour les analyses générales sur l’islam soufi, voir entre autres : J.-L. Triaud et D. Robinson (éds.), La
Tijaniyya. Une confrérie musulmane à la conquête de l’Afrique, Paris, Karthala, 2000 et M. GauderoyDemombynes, Les institutions musulmanes, Paris, Flammarion, 1946.
70
L’islam n’est pas, contrairement au christianisme, une religion organisée, dotée de structures autonomes. Il ne
peut, en tant que communauté religieuse, agir de manière autonome et indépendante, ni parler au nom des
croyants. La communauté des croyants se confond encore largement avec le peuple, là où autrefois régnaient les
califes. Cf. Manière de voir, n° 64 spécial consacré à l’islam, juillet –août 2002, p.7. Bien plus, ‘‘Les imams du
Cameroun n’ont pas un salaire et ne peuvent pas non plus être affectés par ce qu’ils ne sont sous aucune
organisation structurée qui soit à mesure de parler de ses problèmes’’, affirme Cheikh Njoya Moubarak Ibrahim
dans Mutations, no 1412 du 12 mai 2005, p.4.
63
Malam, Modibo (pluriel : Modibe), Cheikh ou Chérif (pluriel : Chorfa) ou encore Ouléma,
chez les Maliens, les Sénégalais et les Camerounais formés au Maghreb et au Moyen Orient.
Dans le langage populaire, on l’appelle marabout71. Ces titres confèrent une hiérarchie en
matière de savoir islamique.
Quelle que soit l’appellation, ces personnages apparaissent comme un phénomène
relativement important des communautés musulmanes de Douala. Ce sont des croyants qui
ont atteint un niveau élevé dans la maîtrise des sciences religieuses. Certains sont des espèces
de personnages aux pouvoirs magiques, proches du sorcier traditionnel, c’est-à-dire à la fois
guérisseur, faiseur de miracles ou jeteur de sort. Ils sont sollicités en toute circonstance pour
donner le coup de pouce nécessaire au destin.
Grands maîtres et personnages centraux, ils orientent la communauté, bénéficient
d’une auréole toute particulière et jouent le rôle de directeur des consciences. Ils confèrent
l’initiation aux fidèles et leur dévoilent progressivement le secret qu’ils sont autorisés à
transmettre à ceux qui donnent satisfaction. En outre, ils détiennent la baraka, mot arabe qui
exprime le pouvoir charismatique, la virtus ou encore ce flux magnétique qui se transmet
notamment par la salive et l’imposition des mains aux meilleurs qui persévèrent. Ils répandent
l’islam, revivifient la foi. Cheikhs, marabouts, Modibé, etc. effectuent des tournées de ziara
(du verbe zâra, visiter), font la prédication et donnent des conférences ou animent des
séminaires et des débats. C’est aussi dans cet ordre des choses que l’islam s’est implanté à
Douala et a fait des adeptes. Leur qualité de cheikh, chérif, marabout, modibo, etc. doublée de
El Hajj pour certains leur donne une auréole spéciale et font d’eux des pôles de l’islam. Leur
grande influence leur permet de jouer un rôle de conseiller et de médiateur dans les questions
religieuses et même communautaires. Nous nous attardons ici sur la principale confrérie qui
s’est développée à Douala et y a joué un rôle dans l’implantation et la diffusion de l’islam
notamment à l’ère coloniale72 : la Tidjanniya.
71
La sémantique du terme marabout est en rapport avec le mouvement almoravide du XIe siècle. Marabout
dériverait d’al-murabitin : ceux du ribat ou couvent fortifié (voir glossaire).
72
Pour plus d’informations sur l’histoire de la Qadiriya et surtout de la Tidjaniya au Cameroun, voir, entre
autres : T. M. Bah, ‘‘Cheikhs et marabouts magrébins prédicateurs dans l’Adamaoua, 19e-20e siècles’’,
Ngaoundéré-Anthropos, no 1, pp. 7-28 ; G.L. Taguem Fah, ‘‘Les élites musulmanes et la politique au Cameroun,
de la période française à nos jours’’, Thèse de Doctorat 3e cycle en histoire, Université de Yaoundé I, 1997, pp.
34-51 et A. Njiasse Njoya, ‘‘Naissance et évolution de l’islam en pays bamun (Cameroun)’’, Thèse de Doctorat
3e cycle, Université de Paris I, 1981.
Pour ce qui concerne le Mahdisme plus spécifiquement, les travaux de référence sont de M. Z. Njeuma,
‘‘Adamawa and Mahdism : The career of Hayatu Ibn Sa’id in Adamawa, 1878-1979’’, Journal of African
History, n°1, 1971, pp. 61-77 et ‘‘The foundation of radical islam in Ngaoundéré : 1835-1907’’, in J. Boutrais
(s.d.), Peuples et cultures de l’Adamaoua (Cameroun), Paris, Orstom/Ngaoundéré-Anthropos, 1993, pp. 87101 ; complété par le travail de E. Mohammadou, ‘‘Le soulèvement madhiste de Goni Waday dans la hauteBénoué (Juillet 1907)’’, Africa, 4, Ethnological Studies, 31, Osaka, Japan, 1992, pp. 423- 464.
64
Elle est fondée en 1781 à Abù-Sanghùn près de Ayn Mâdî (en Algérie actuelle) par
Ahmed Tijani né près de Laghouat en 1737, mort en 1815. Cette confrérie a connu sa plus
grande expansion après la mort de son fondateur. Ce dernier voyageait beaucoup, mais s’était
installé définitivement à Fez au Maroc en 1798 et y est resté jusqu’à sa mort.73 Le centre de
son activité se trouve donc actuellement à Fez au Maroc. Ses successeurs orientent l’action de
propagande vers le Sahara et le Soudan. La Tidjanniya se caractérise par la simplicité et la
souplesse de ses obligations rituelles.74 Son mode de recrutement est plus ouvert. Tout
disciple, par ses qualités personnelles, peut prétendre aux destins les plus grands sans aucune
considération de son origine sociale.75 Ce sont ces ‘‘tendances démocratiques’’ qui allaient
favoriser la diffusion de la Tidjanniya en Afrique noire et notamment en Afrique occidentale.
Ses chefs et disciples ont été actifs au Soudan français76, à Kano ainsi que dans la politique
Nord-nigériane. Elle fut introduite dans le Nord-Cameroun (Adamawa) par Mohaman Bello,
Sultan de Sokoto (1817-1837) et petit fils d’Ousman Dan Fodio.77 Un centre tidjaniste fut
fondé à Ngaoundéré en 1949 par Sidi Benamor El Tidjani, grand chef de la confrérie, de
passage au Cameroun. Selon A. Njiasse Njoya, c’est surtout la branche de Fez qui se répandit
au Cameroun après avoir emprunté l’Afrique de l’Ouest et l’empire peul de Sokoto fondé par
Ousman Dan Fodio.78 Il faut souligner néanmoins qu’il existe une multitude de chaînes de
transmission qui relient les membres de la base au fondateur de la confrérie à travers de
muqadam intermédiaires.
Propagée au Sud-Cameroun par les commerçants haoussas et peuls gagnés par
l’idéologie de cette confrérie, l’introduction de la Tidjanniya sur la côte camerounaise s’est
faite par le biais des Tidjanis peuls, haoussas et bamuns, qui ont travaillé à l’y installer.
D’après H. Adama, l’un de ses principaux zélateurs était Aladji Malam Inua, marabout de
renom domicilié au quartier Lagos. Cette confrérie s’affirme de loin comme la plus
importante confrérie religieuse à Douala. Elle est solidement implantée à New-Bell et semble
73
Cf. Jillali El Adnami, Entre hagiographie et histoire. Les origines d’une confrérie maghrébine : la Tijàniyya
(1781-1880), Paris, Bouchène, 2005 et J.-L Triaud et D. Robinson (éds), La Tijànyya : une confrérie musulmane
à la conquête de l’Afrique, Paris, Karthala, 2000.
74
Voir J.-L Triaud et D. Robinson (éds), La Tijànyya : une confrérie musulmane à la conquête de l’Afrique,
2000.
75
Entretien avec A. Njiasse Njoya, islamologue, tidjaniste, Yaoundé, le 10 juillet 2003.
76
Ce fut à l’instigation des personnages d’une envergure exceptionnelle, tel El Hadj Oumar Tall qui lança le
Jihad dans le Soudan occidental dès 1854. Cf. Ly Tall Madina, Un islam militant en Afrique de l’Ouest au 19e
siècle , la Tijaniyya de Saiku Umar Futiyu , ACCT-IFAN, L’Harmattan, 1991 et C. Coulon, Renouveau
islamique et dynamique politique au Sénégal, Bordeaux, 1983.
77
J.C. Froelich, ‘‘Le commandement et l’organisation sociale chez les Foulbé de l’Adamaoua’’, Etudes
Camerounaise, n° 45- 46, 1954, p. 70.
78
Voir A. Njiasse Njoya, ‘‘Naissance et évolution de l’islam en pays bamun (Cameroun)’’, Thèse de Doctorat 3e
cycle, Université de Paris I, 1981.
65
résolument opter dans le sens de privilégier l’inculturation des pratiques religieuses
islamiques.79 Dans cette perspective, ou peut considérer que la confrérie religieuse Tidjanniya
a occupé une certaine place dans l’implantation de l’islam et des musulmans à Douala, bien
que son organisation interne soit beaucoup moins forte, moins puissante, moins active, moins
populaire et ne se manifestait pas de la même façon que dans les autres villes commerciales
africaines80. Ses relations avec la zawiya81 mère étaient assez lâches ou inexistantes.
Toutefois, il semble certain que son importance était réelle parmi les premières
généralisations de musulmans à Douala.
De même, au sein de la communauté musulmane bamun de Douala, la Tidjanniya est
la confrérie majoritaire. L’influence de la confrérie soufie de la Tdjanniya semble s’enraciner
dans le Noun en 1949, lorsque que le Sultan-Roi Seidou Njimoluh fut élevé au rang de ‘‘
Kalifati Tidjani’’82 par le Chérif Benamor Tidjani, petit-fils de Ahmed Tijani lors de son
passage à Foumban.83 Cette élévation devait faire accroître cette confrérie au sein de la
population musulmane bamun. A Douala, la figure emblématique de cette confrérie au sein de
la communauté bamun est El Hadj Moctar Aboubakar Oumar, doyen des imams de Douala,
imam de la mosquée centrale de New-Bell et président de l’Union Islamique du Cameroun
(UIC). Ce dernier participe régulièrement aux forums des adeptes de la tariqa Tidjanniya à
Fès au Maroc. Ce forum est organisé tous les ans par le roi du Maroc.
La communauté musulmane sénégalaise de Douala comptait aussi de nombreux
adeptes de la Tidjanniya parmi ses membres. Cependant, cette communauté à l’origine était
partagée entre deux obédiences tidjanes : la Tidjanniya niassène qui a son foyer et son lieu de
pèlerinage à Kaolack et la Tidjanniya héritière d’El Hajj Malick Sy (m. 1922) et son
pèlerinage de Tivaouane en plein pays wolof où son souvenir est encore vivant. Ces deux
obédiences restaient cependant attachées à la zawiya de Fez et ce, malgré les concurrences et
les divisions qui secouent les deux tendances.
79
Voir H. Adama, ‘‘Migration musulmane et enseignement arabo-islamique à Douala : 1963-1993’’, Annales de
la FALSH de l’Université de Ngaoundéré, vol. II, 1997, pp. 45-47. Lire aussi Y. Isah, ‘‘Coverage of Islam in the
English Language Edition of Cameroon Tribune in 1980 and 1990’’, Research Project, Advanced School of
Mass Communication, 1991, p. 29.
80
Nous pensons aux villes comme Kano et Maidougouri au Nigeria, Dakar, Touba, Kaolack ou Tivaouane au
Sénégal, Bamako au Mali, Abidjan ou Bouaké en Côte d’Ivoire, etc.
81
Voir glossaire.
82
Déformation du mot Calife, dignité jouissant d’un pouvoir de délégation dans la chaîne de transmission issue
du fondateur.
83
Voir A. Njiasse Njoya et al, De Njoya à Njimoluh : cent ans d’histoire bamoun, Foumban, Editions du Palais,
1984, p, 89.
66
Outre la Tidjanniya, une minorité de Sénégalais de Douala appartenaient aussi à la
Mouridiya, confrérie fondée par Amadou Bamba (1853-1927)84. Les adeptes Sénégalais de
ces deux confréries (Tidjanniya et Mouridiya) entretiennent de multiples relations avec leurs
coreligionnaires restés au pays. Ces relations reposent sur des réseaux familiaux, à
l’appartenance à une même dahira85 ou la fidélité à un même marabout. Ce sont des relations
économiques, de solidarité, de confiance et de sécurité propice à la vie en communauté. Dans
une grande ville de migration comme Douala, les migrants sénégalais ne possèdent pas de
quartier spécifique et la dahira sert de lieu de rencontre. Les dahiras correspondent donc à un
mode d’implantation sénégalaise des membres de la confrérie à Douala. Elles permettent aux
talibés ayant fait allégeance au même marabout ou tout simplement vivant ou travaillant
dans des quartiers proches, non seulement de se regrouper pour les séances de prières mais
aussi d’avoir une organisation qui permette de réunir de l’argent pour organiser des
événements religieux : visite de Cheikh ou participation à l’élaboration d’infrastructures dans
les villes saintes de Kaolack, Tivaouane et Touba.86
En somme, le principal appui de la Tidjanniya à Douala était la classe traditionnelle
des commerçants, dont les habitudes sociales, les systèmes de groupement et d’entraide ainsi
que les références culturelles étaient réglées, orientées et centrées sur le syncrétisme entre les
traditions et l’islam. Toutefois, l’appartenance à cette confrérie était l’affaire d’une élite, des
marabouts qui cherchaient à se positionner par rapport à la hiérarchie musulmane locale.
Pour la majorité des musulmans, il s’agissait de faire ses prières et rites quotidiens. On doit
donc modérer le rôle de cette confrérie dans l’enracinement de l’islam à Douala et nuancer
son emprise sur la vie des musulmans de Douala à cette époque dans la mesure où la plupart
vivait leur religion sans se sentir appartenir à telle ou telle tendance. En outre, les idées
laïques avaient fait leurs chemins doublées de la multiplicité ethnique et socio-culturelle de
Douala.
84
Il existe une copieuse bibliographie sur le Mouridisme. On peut notamment consulter le maître ouvrage de
D.C. O’Brien, The Mourides of Senegal. The Political and Economic Organisation of an Islamic Brotherhood,
Oxford, Clarendon Press, 1971, et du même auteur les nombreux articles en français qui l’ont accompagné.
Bien que cet ouvrage et ces articles soient les études les plus à jours et les plus complètes sur la confrérie
mouride, on peut aussi consulter d’autres, récemment publiés : J.-P. Mulago, ‘‘Les mourides d’Ahmadou
Bamba. Un cas de réception de l’islam en terre négro-africaine’’, Théologie et Philosophie, Laval, vol. 61, no 2,
2005, pp. 291-303 ; F. R. Allen et M. R. Nester, ‘‘L’aura d’Amadou Bamba. Photographie et fabulation dans le
Sénégal urbain’’, Anthropologie et Sociétés, vol. 22, no 1, 1998, pp.15- 40 et O. Ba, Ahmadou Bamba face aux
autorités coloniales (1889-1927), Abbeville, France, 1982.
85
Voir glossaire.
86
Hassan Moustapha, chef de la ‘‘Dahira Touba’’ du marché central de Douala, entretien du 20 septembre 2006
à son atelier de couture au marché central de Douala.
67
L’introduction de l’islam dans l’espace géographique de Douala remonte au début du
XXe siècle. Elle est en rapport avec la nature des relations commerciales entretenues entre les
différentes communautés musulmanes de l’intérieur et la côte camerounaise et surtout les
différentes vagues de migrants ouest-africains. Mais c’est surtout la rencontre AllemandHaoussa dans les stations relais des pays vouté et bafia dans la zone du Mbam qui marque le
début de la destruction du réseau commercial traditionnel et impose un autre, dominé par
l’extérieur. Les Haoussa perdent leur rôle d’initiateur du commerce Nord-Sud pour devenir
des simples auxiliaires du commerce européen. C’est d’abord à travers cette principale ‘‘route
commerciale’’ débouchant sur la côte camerounaise que l’islam commence à gagner les
abords du Littoral camerounais (Victoria, Buea, Yabassi, Edéa) et de Douala en particulier.
L’ouverture faite pendant la période allemande en direction de la côte se renforce et perdure
pendant la présence française. C’est donc dire que le fleuve Mbam a, sur la longue durée,
constitué un axe propice aux échanges entre l’hinterland et la côte. Les marchands
musulmans rencontraient de nouvelles opportunités qui leur étaient offertes dans les centres
de l’économie coloniale. Ils tiraient de leurs activités tous les avantages qu’elles pouvaient
procurer. On peut ainsi distinguer deux grandes phases consécutives dans l’établissement des
courants migratoires musulmans à Douala. La première s’étend du début du début du XXe
siècle jusqu’à la veille des années 1920. Elle est dominée par des marchands haoussas et
assimilés, originaires du bassin tchadien et des stations relais de l’hinterland camerounais. La
seconde période, des années 1920 au début des années 1950 est marquée par la présence
yoruba, des soldats ‘‘Aofiens’’ et des colonies anglaises, des musulmans nationaux et le
renforcement de l’immigration haoussa. La première moitié du XXe siècle peut par
conséquent être considérée comme la période qui voit l’arrivée et l’implantation des
communautés musulmanes non nationales et nationales à Douala.
Outre les activités commerciales qui ont permis à l’islam de s’implanter à Douala,
nous avons également évoqué le rôle joué par la confrérie Tidjanniya. Celle-ci trouve ses
origines avec l’arrivée et l’implantation des premiers groupes musulmans à Douala dans la
première moitié du XXe siècle. Grâce à ses réseaux, des musulmans pouvaient migrer vers
Douala, réconfortés de savoir qu’ils trouveront des ‘‘frères’’ et un abri au-delà de leurs pays
ou de leur environnement immédiat. Cette confrérie a aussi bénéficié à Douala de deux
conjonctures : la politique d’accommodation de ses dignitaires avec le système administratif
colonial et l’action de Sidi Benamor, fils et héritier du Calife, en visite à Douala pendant la
période coloniale. Les musulmans de l’intérieur du pays, gagnés à cette idéologie vont ainsi
migrer vers Douala pour espérer rencontrer ce grand imam tidjanis de passage à Douala
pendant la période coloniale.
68
DEUXIEME CHAPITRE
CONTROLE DU TERRITOIRE ET GESTION DES COMMUNAUTES MUSULMANES DE
DOUALA PAR L’ADMINISTRATION COLONIALE
L’avènement de l’Etat bureaucratique a partout posé le problème de ses rapports avec
d’autres entités sociales susceptibles d’être autant de lieux de pouvoirs concurrents. Parmi ces
entités, les groupes religieux occupent une place particulière, eu égard, d’une part, à l’emprise
idéologique, sociale et même économique qu’ils exercent sur les fidèles et, d’autre part, à la
tendance générale à la sacralisation du pouvoir politique soucieux de suprématie.1
Empiriquement, ceci se traduit par la compétition endémique des appareils religieux en matière
d’encadrement social. Même s’ils prétendent se situer sur des terrains différents, les appareils
politiques et religieux visent à assurer un ordre social et/ou politique par le contrôle des masses.
Parmi ces dernières, les musulmans constituent dans notre région d’investigation, une
minorité certes, mais influente. Il importe de connaître les rapports que ceux-ci entretenaient
avec le pouvoir2 local moderne qui s’institutionnalise avec la colonisation sous la forme d’un
appareil à gouverner et le pouvoir traditionnel autochtone dont l’influence se trouve diluée. Il
s’agit concrètement d’expliquer les différentes étapes de la politique musulmane de la France à
Douala, de voir quels sont les rapports des autorités coloniales locales avec la communauté
musulmane et l’impact de ces rapports. Ces rapports permettent de conclure que cette politique
marque la logique des relations entre représentants de la communauté musulmane et autorités
coloniales. Bref comment l’administration coloniale a-t-elle géré les modes de vie et l’action
des groupes musulmans à Douala ? La réponse à cette question passe par l’étude du
cantonnement des musulmans à New-Bell ; l’analyse de la gestion des réseaux islamiques et
des premières tentatives de construction d’une identité musulmane à Douala. En arrière plan de
notre développement, il y a le problème d’expropriation des terres dualas par les Allemands,
1
Lire, entre autres S. Mappa, Pouvoirs traditionnels et pouvoir d’Etat en Afrique : l’illusion universaliste, Paris
Karthala, 1998 et G. Balandier, Anthropologie politique, Paris, PUF, 1969.
2
Le pouvoir ici est considéré non pas dans ses institutions, mais plutôt dans les méthodes administratives de
gestion des affaires de la cité par les administrateurs locaux. Autrement dit, le pouvoir s’identifie ici à l’acte posé
par l’administrant : deux notions entièrement liées donc, mais qu’il convient de dissocier en vue de leur meilleure
compréhension. Dans le cadre de notre approche, seule l’administration doualaise retient notre attention.
69
celui de la gestion de l’identité/altérité musulmane et étrangère3 tant par les administrateurs
coloniaux français que les Duala eux-mêmes.
A- Du zoning colonial au cantonnement des musulmans à New-Bell : années 1920-1930
Dans les débuts de la présence européenne, Blancs, Noirs, employeurs et employés,
maîtres et serviteurs partageaient les mêmes zones d’habitation, à proximité du plateau Joss.
Dans les années 1910, l’administration coloniale allemande allait mettre un terme à cette
cohabitation. Sous prétexte de salubrité publique, l’administration allemande procéda à
l’expropriation et au déguerpissement de certains quartiers indigènes, pour les réserver aux
Européens dans le cadre d’une logique ‘‘d’apartheid résidentiel’’4 qui se solda par une
résistance duala farouche et une répression meurtrière en 1914. Les motifs invoqués ne
laissaient donc pas de doute sur la volonté coloniale de transférer une réserve de travailleurs
sur des sites peu favorables. Ces travailleurs restaient à portée de main, mais suffisamment
repoussés pour ne pas entraver le développement de la ‘‘ville européenne’’5, la ville blanche.
Cette politique prendra effectivement corps pendant l’administration française sous la forme
d’une décision prise en 1920 et appliquée en 1923. Cette mesure stipulait en effet que:
Toutes les cases indigènes ou paillotes habitées par les noirs ont été transférées hors du
périmètre urbain...Ce périmètre, largement établi, permet une ségrégation sérieuse et efficace.
La population européenne a été invitée à ne pas laisser se former de villages indigènes aux
alentours de ses maisons d’habitations.6
3
On trouvera un bon déploiement de ces concepts dans l’excellente synthèse de Nsame Mbongo, ‘‘Identité et
altérité en Afrique : étude de la contradiction autochtone-étranger, le cas de Douala’’ in C. Coquery-Vidrovitch et
al., Etre étranger et migrant en Afrique au XXe siècle. Enjeux identitaires et mode d’insertion, Volume I, Paris,
L’Harmattan, 2003, pp. 281-305. Dans cette contribution, l’auteur dresse une typologie de l’étranger dans les cités
africaines et notamment à Douala :
-L’étranger national de même nationalité officielle que les natifs de la ville de référence mais proviennent d’autres
régions, quantitativement dominant;
-L’étranger blanc ou extra-africain dont l’hégémonie culturelle officielle et la supériorité politique et économique
en font en même temps un étranger dominant. Cette notion d’étranger dominant, bien que paradoxale, est bien
caractéristique de la situation urbaine africaine où une histoire séculaire a privé l’élément national des ses
prérogatives politiques au profit du colonisateur.
-L’étranger africain : ce troisième grand type d’étranger des mégalopoles africaines provient d’un autre Etat
africain et s’avère souvent vulnérable au point de servir de bouc émissaire à l’étranger national dans les
conjonctures difficiles qui incitent à la xénophobie interafricaine et à sa mise à l’index.
4
Ibid., p. 287.
5
J. Poinsot et al. , Les villes d’Afrique noire entre 1650 et 1950. Politiques et opérations d’urbanisme et d’habitat,
Documentation française/ Ministère de la Coopération et du Développement, 1989, p.77. Voir aussi les écrits de
C. Coquery-Vidrovitch, notamment : Histoire des villes d’Afrique noire des origines à la colonisation, Paris,
Albin Michel, 1993; ‘‘The process of urbanization in Africa from the origins to independance : an overview
paper’’, African Studies Review, Vol. 33, no 4, 1991, pp.1- 99 et Processus d’urbanisation en Afrique, Tomes I et
II, Paris, L’Harmattan, 1988.
6
ANY, 2AC 8093, Wouri, rapport annuel, 1923.
70
Cette mesure dite d’hygiène était ségrégationniste en ce sens qu’elle instituait de fait
une ségrégation résidentielle fondée sur la race7. Toutes les populations non européennes
étaient concernées par cette mesure. Cette volonté d’éloigner les indigènes sans débat ni
compromis entre les autorités traditionnelles dualas et les colons inaugura la colonisation de
nouveaux sites parmi lesquels New-Akwa, New-Deido et New-Bell situés aux extrémités de la
ville. La ségrégation européenne se mettait en place avec ce plan et marquait ainsi la principale
rupture dans l’histoire urbaine de Douala. Elle jetait les bases de l’urbanisation accélérée de
Douala. A l’image de nombreuses villes de l’AOF et de l’AEF, Douala était désormais marqué
par une séparation physique entre ville européenne et ville indigène, la ville noire.8 La ville de
Douala était ainsi répartie en plusieurs zones : le plateau Joss, quartier européen, administratif
et résidentiel ; Akwa, quartier du port, commercial et résidentiel ; Bali, de plus en plus
résidentiel ; Deido, Akwa-Nord, Ngodi, quartiers principaux des autochtones et New-Bell le
quartier des Africains étrangers.9 Chaque zone urbaine était ainsi conçue comme un espace
social homogène.
A-1 De la naissance d’un territoire musulman à New-Bell ou le cantonnement des
musulmans à New-Bell
Site marécageux et situé à la périphérie des quartiers autochtones, New-Bell fut
attribué entre autres aux communautés musulmanes, ‘‘allogènes’’ et étrangères c’est - à- dire
nationales et non nationales africaines. L’installation de ces communautés à New-Bell avait été
autorisée dès les années 1920 car ici, ‘‘la place manquait si peu que le futur chef supérieur
Paraiso10 dut en 1918 se frayer un chemin à la machette pour atteindre l’emplacement de sa
case’’11. Ce cantonnement/rejet des musulmans à New-Bell marqua un tournant décisif dans
l’implantation de l’islam dans la ville de Douala. C’est en effet à partir de cette période que
naît le ‘‘quartier haoussa’’, véritable foyer de peuplement de musulmans. Par la suite, d’autres
villages ou quartiers musulmans allaient naître et se développer, alimentés progressivement par
7
Ceci est un trait caractéristique de la politique ethnique et raciale française au Sud du Cameroun.
Pour un ouvrage qui s’efforce de couvrir l’ensemble de l’histoire urbaine africaine subsaharienne, voir D. M.
Aderson et R. Rathbone (eds.), Africa’s Urban Past, Oxford, James Currey, Portsmouth (NH), Heinemann, 2000.
Lire aussi entre autres : L. Fouchard, De la ville coloniale à la cour africaine. Espaces, pouvoirs et sociétés à
Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso (Haute-Volta) fin XIXe siècle-1960, Paris, L’Harmattan, 2001; R. Home, Of
Planting and Planing. The making of british colonial cities, London, E and Fn Spon, 1997; C.D. Gondolo, Villes
miroirs. Migrations et identités urbaines à Kinshasa et Brazzaville, 1930-1970, Paris, L’Harmattan, 1996, P.
Gervais-Lambony, De Lomé à Harare. Le fait citadin, Paris, Karthala, 1994 et S. Hino, African Urban Studies,
Tokyo, Institute for the study o Language and Cultures of Asia and Africa, 1992.
9
ANY, APA 10005/A, Rapport annuel de Douala, 1923, pp. 23-24.
10
Nous reviendrons amplement sur ce chef qui a joué un rôle important au sein de la communauté musulmane de
Douala dans la section A-2 de ce chapitre.
11
ANY, 2AC 8088, Wouri, administration. Rapport annuel 1954, p.12.
8
71
les migrations successives en direction de cette ville.
Pour créer ces groupements musulmans, l’autorité coloniale tenait compte de deux
principaux facteurs : l’importance démographique des migrants et leur capacité d’intégration
dans les structures existantes. Les raisons de la création de ces groupements allogènes ou
étrangers variaient d’ailleurs au gré des convictions personnelles des administrateurs qui
géraient cette situation ou en fonction des évènements locaux. En 1920, dans son rapport, le
chef de la circonscription de Douala affirmait déjà avoir pris cette décision pour protéger les
allogènes victimes des exactions de la part des autochtones dualas et pour soustraire les
Africains non autochtones de l’influence des Duala et de leurs chefs. Il le dit en ces termes :
Je me suis attaché à soustraire les nombreux étrangers qui habitaient Douala à l’influence
Douala. Il y avait autrefois en vigueur une pratique qui donnait lieu à de nombreux abus. Les
étrangers comptaient dans le quartier où ils s’établissaient. Des coins de case leur étaient loués
à des taux onéreux et le chef exigeait d’eux le paiement de l’impôt. Il ne résultait de ce
versement aucun contrôle supplémentaire. C’était un revenu supplémentaire pour le chef auquel
s’ajoutaient de nombreuses amendes infligées en vertu des prétendus droits de justice sur les
étrangers.
Je suis arrivé à grouper tous les étrangers par villages suivant leur origine. Ils ont un chef de
leur pays qui recueille l’impôt, tient leurs contrôles, les assiste auprès du chef de subdivision,
assure la bonne tenue du village.12
Cette ségrégation résidentielle, car c’est là le terme qui convient le mieux, répondait
également à un souci de contrôle administratif, d’organisation sanitaire de cette population et à
une volonté de contrôler les réseaux commerciaux musulmans dans la ville. En fait, en
regroupant l’ensemble des commerçants musulmans, l’objectif de l’administration coloniale
visait à se constituer un outil stratégique efficace permettant de contrôler la population, de
mieux lever les multiples taxes sur le commerce africain : patente, taxe, impôt de capitation
plus élevé pour les commerçants. Plus généralement, le regroupement devait permettre
d’opérer un contrôle social étroit sur cette population de voyageurs musulmans à
caractère ‘‘fortement instable’’13 et qui ‘‘avait tendance à créer des établissements mobiles et
dont beaucoup sont indigènes de l’AOF’’14.
En 1923, le chef de la circonscription trouvait son explication dans la nécessité de
combattre l’orgueil démesuré des Duala qui avaient profité de ‘‘l’ignorance des Allemands
pour s’octroyer des privilèges au détriment de ces populations allogènes’’15. Cette décision
voulait aussi conjuguer des logiques sécuritaires, hygiéniques et/ou sanitaires. Il fallait d’abord,
12
ANY, APA 11873, Circonscription de Douala. Rapport annuel, 1920.
Ibid.
14
Ibid.
15
ANY, 2AC 8093, Wouri, rapport annuel, 1923.
13
72
instituer aux abords de la ‘‘ville blanche’’ un périmètre destiné à l’établissement des villages
exclusivement affectés aux indigènes en rejetant toutes les cases ou paillotes habitées par les
Noirs hors du périmètre urbain.16 Elle invitait d’autre part, pour des raisons de ségrégation, les
populations européennes à ne pas laisser se former des villages indigènes et des concentrations
de ‘‘prolétariat vagabond’’ aux alentours de ses maisons d’habitation en essayant de
circonscrire la zone de migrants pour éviter qu’elle ne débordât pas la partie européenne de la
ville.17
Par la suite, l’arrivée de nouveaux migrants africains allogènes et étrangers musulmans
augmenta et leur autonomie vis-à-vis des autochtones ne fit que s’accroître.18 En effet, si les
migrations pionnières évoquées dans le chapitre précédent avaient contribué à constituer à
Douala une densité relativement importante de musulmans, entre 50 et 100 marchands
musulmans en 190619, leur nombre devait rapidement grossir pendant l’entre deux guerres. Il y
eut en effet une croissance à peu près continue : 3.400 en 1927; 3.900 en 1929 ; 4174 en 1930
et 4.454 musulmans en 1932, sur une population comprise entre 16 et 40.000 habitants.20 Cette
forte proportion de commerçants musulmans traduite par la constitution de nouveaux villages
ou quartiers musulmans fit passer ainsi les préoccupations hygiénistes/sanitaires au premier
plan des autorités locales. Ces prescriptions furent très souvent une des bases fondamentales à
la mise en place de zones d’habitats séparés dans les villes africaines.21 Voici une description
de la catastrophe urbaine de New-Bell, le mythique quartier des étrangers et ses problèmes
hygiéniques faite en 1930 par l’administrateur local :
New- Bell le quartier des Africains étrangers est un quadrilatère irrégulier de 250
hectares croquant de tous les bords dans toutes ses limites trop étroites. New-Bell est une
ville, dans une ville, et quelle ville. Un chevauchement désordonné de cases en ‘‘carabottes’’,
16
Ibid.
ANY, APA 11/29-30, au sujet de l’expropriation des terrains des Douala, 22 avril 1920.
18
J. Derrick, ‘‘Elitisme colonial au Cameroun : le cas des Douala dans les années trente’’, in M.Z. Njeuma (s.d.),
Histoire du Cameroun (XIXe s. – XXe s.), Paris, L’Harmattan, 1989, p.188.
19
A.P. Temgoua, ‘‘Commerçants allemands et marchands haoussa au Nord-Cameroun, 1902-1915’’, Humanitas,
3, p. 72.
20
Statistiques compulsées à partir du Rapport annuel de la circonscription de Douala, 1935, cité par R. Gouellain,
Douala, ville et histoire, Paris, Institut d’ethnologie, 1975, p. 239.
21
Plusieurs historiens et géographes ont montré les corrélations entre les principes hygiénistes hérités du XIXe
siècle et les mesures ségrégatives prises dès le tournant du XXe siècle dans de nombreuses villes côtières de
l’Afrique occidentale. Voir par exemple dans une abondante bibliographie P. Curtin, ‘‘Medical Knowledge and
Urban Planning in Tropical Africa’’, African Historical Review, vol. 90, 3, 1985, pp. 594-613 ; T.S. Gale, ‘‘
Segregation in British West Africa’’, CEA, 80, XX, 4, 1980, pp. 495-507 et plus récemment dans une perspective
comparatiste entre régime colonial anglais et français : O. Goerg, Pouvoir colonial, municipalités et espaces
urbain. Conakry-Freetown des années 1880 à 1914, 2 tomes, Paris, L’Harmattan, 1992. Voir aussi, entre autres C.
D. Gondola, Villes et miroirs. Migrations et identités urbaines à Kinshassa et Brazzaville, 1930-1970, 1996 et
J.D.Tower, Urbanization in Africa. A Hanbook, Westport, London, Greenwood Press, 1994 ou J. Soulillou (éd.),
Rives coloniales. Architecture de Saint Louis à Douala, Marseille, Editions Parenthèses, ORSTOM, 1993.
17
73
en nattes, en tôles, en poto-poto, traversé par deux grands artères, percées dans tous les sens
d’innombrables petites ruelles s’élargissant en placettes ou fondant en cloaques…Sous les pas
du visiteur distrait, des puits traîtres et des WC malodorants. Déci de là (sic) un décor de
masures sordides que le propriétaire préfère recevoir sur la tête plutôt que de réparer. Des
échoppes minuscules où l’on vend les cigarettes à la pièce, des bars bruyants et des bouges
inquiétants. Le tout surpeuplé d’une faune bigarrée parlant toutes les langues de l’Afrique ou
presque. A 17h 30, une cohue invraisemblable de vélos, de femmes, d’enfants, et en fin de
mois, d’ivrognes, la nuit d’innombrables petits lampions éclairent autant d’inventaires, des
enseignes au néon, et de curieux commerces ; sand-sand boys, filles tire-laines et oisifs de
toutes sortes aux métiers imprévus. Voilà New-Bell.22
Les Yoruba et les Haoussa furent les premiers occupants musulmans des espaces
alloués aux étrangers africains dans le nouveau quartier New-Bell.23 Les autres immigrants
musulmans qui venaient trouvaient sur place ces deux peuples qui s’y étaient installés les
premiers, notamment aux quartiers New-Bell/Congo et New-Bell/Makea. Les musulmans de
Douala étaient donc à l’origine regroupés à New-Bell, base la plus importante des musulmans
et ‘‘ prototype des quartiers des étrangers’’24. Il constituait le plus important quartier
musulman,
situé à l’écart de la ville. Les autres communautés musulmanes (Sénégalais,
Maliens, Tchadiens, Togolais, Dahoméens, Guinéens) qui venaient étaient donc accueillies par
les Haoussa et les Yoruba qui avaient modelé l’espace selon leurs cultures. Mais elles restaient
toujours étrangères dans le milieu de leurs hôtes pour raison de culture, peut-être ce qui
encourageait la création de quartiers portant des noms des ‘‘tribus’’ étrangères qui y habitent.
Autrement dit, ces communautés musulmanes, qui arrivaient dans le centre urbain de Douala,
choisissaient de rester côte à côte, dans une même partie de la ville et préservaient ainsi leur
identité culturelle exprimée par la langue. En 1931, la position de New-Bell, en tant que
réceptacle des migrations croissantes d’étrangers qui s’installaient à Douala, se confirma. A
l’époque, de nouveaux groupements avaient été créés à leur intention, qu’il s’agisse des
étrangers venant des autres régions du Cameroun ou des autres territoires de l’Afrique. Leur
morphologie résidentielle était ainsi en étroite congruence avec les appartenances ethniques et
autres formes de replis identitaires. New-Bell apparaissait alors comme le lieu de
regroupements sociaux et d’identification des ethnies musulmanes. Aussi, parlait-on de NewBell/haoussa, New-Bell/yoruba, New-Bell/bafia, New-Bell/sénégalais, New-Bell/foulbé, NewBell/bamun, etc. pour ne citer que ces communautés, qui représentaient en majorité l’islam à
Douala. L’adhésion à l’islam, l’origine géographique de nombreux habitants des différents
villages musulmans de New-Bell, le commerce régional et les métiers qui s’y rattachaient
22
ANY, APA 10 005/A, Circonscription de Douala. Rapport annuel, 1930, pp. 46- 47.
G. Mainet, ‘‘New-Bell : population, emplois et moyens d’existence’’, Revue de Géographie du Cameroun,
Université de Yaoundé, vol.1, no 1, 1980, pp.63-93.
24
G. Mainet, ‘‘New-Bell, Prototype des quartiers des étrangers’’, Université de Yaoundé I, ronéoté, 1979.
23
74
devinrent les principales caractéristiques de cet espace. Et de tous les ‘‘villages’’ créés à NewBell par l’administration coloniale, seuls ceux du quartier des étrangers Africains avaient cette
relative unité professionnelle et confessionnelle dès 1933. Depuis lors, l’imaginaire populaire a
retenu que les musulmans habitent à New-Bell. Ainsi, la pratique et la diffusion de l’islam à
Douala furent pendant longtemps intimement liées à ce quartier communément appelé
‘‘quartier haoussa’’.
Cette nouvelle organisation faisait suite à l’évolution démographique continue de la
communauté musulmane. De 4.454 musulmans en 1932, ils auraient atteint 6000 personnes au
lendemain de la Seconde Guerre mondiale, notamment en 1947, sur une population totale
d’environ 50.000 personnes.25 Précisons que ce chiffre ne tenait pas compte des populations
musulmanes non évaluées de Bonabéri, sur la rive droite du fleuve Wouri et qui étaient
comptés parmi ‘‘les étrangers de toutes races’’ (3642 personnes). Il ne tenait pas non plus
compte de la population musulmane du quartier dit Basséké.26 Cependant, elles demeuraient
de loin moins importantes que celles de New-Bell. Sur toute cette période, les musulmans
représentaient entre 11% et 12% de la population urbaine. Le recensement de 1947 donnait les
chiffres suivants pour ce qui était de la population musulmane de New-Bell : hommes 2234,
femmes 1454, garçons 550, filles 526 ; ce qui faisait un total de 4764 âmes.27 New-Bell
concentrait alors pratiquement toute la minorité musulmane de Douala. Ici, tous cohabitaient
sur un même espace qui avait le marché pour centre. Leur profession (le commerce et ses
dérivés), avait tendance à les regrouper. De plus, la situation du quartier à côté du nouveau
marché28 fut un élément important.
Les chiffres ci-dessus doivent cependant être considérés seulement comme des ordres
de grandeur, ils sont loin d’être fiables. Les recensements de la population, réalisés par les
différentes administrations locales, pouvaient faire l’objet de nombreuses critiques. Ces chiffres
étaient parfois incohérents. Bien plus, les populations musulmanes n’étaient pas
systématiquement recensées. Dans les séries statistiques que nous avons relevées aux ANY,
cette incohérence ressort nettement. Entre 1947 et 1950, les statistiques étaient les mêmes pour
25
ANY, APA 10739, Wouri, rapport annuel, 1947.
ANY, 2AC 224/C, Douala. Rapports annuels 1950- 1953, pp. 9-10.
27
Ibid.
28
L’ancien marché (en fait une halle commerciale) construit en 1920 se trouvait à l’endroit stratégique que
représente le confluent de la Basseké avec le Wouri, à proximité de la gare, le long de la ‘‘Voie Decauville’’ qui
reliait le port au plateau Joss (centre administratif et résidentiel) et tout près d’Akwa. Les pirogues venaient
ravitailler la ville en vivre et en poisson frais sur place en pénétrant le cœur du marché. Afin de mieux prélever les
taxes et impôts, instaurer les patentes et contrarier les points commerciaux (éviter la dispersion des commerçants
dans la ville), l’administration coloniale française décida de son déguerpissement et de la concentration des
boutiques en un seul endroit : le ‘‘marché Lagos’’ est créé vers les années 1925 sur un terrain cédé par la
communauté yoruba et entouré de lots destinés uniquement au commerce.
26
75
les musulmans : 6000. De même, pendant la même période, les chiffres étaient répétitifs,
toutes populations comprises. Ils apparaissaient comme une compilation de divers
recensements précédents. Cependant, ce sont les seuls chiffres disponibles pour les périodes de
mandat et de tutelle.
Quoiqu’il en soit, la période de l’administration française est l’époque qui voit d’une
façon générale, l’islam se consolider et faire une croissance quantitative à Douala. Cette
croissance pouvait être attribuée à la facilité de circulation qui existait entre les populations de
l’intérieur du territoire et même des pays voisins, notamment dans l’ensemble colonial français
de l’Afrique centrale. En effet, en multipliant les infrastructures nécessaires au transport des
matières premières vers Douala le grand port29, le colonisateur ouvrait aussi des voies à la
pénétration de la religion musulmane. L’accroissement du réseau routier et la modernisation
des moyens de transport semblent donc avoir apporté de nouvelles facilités dans ce domaine.
En d’autres termes, avec l’irruption de cette modernité coloniale, le voyage à pied ou à dos
d’animaux était progressivement remplacé par des voyages dans de gros véhicules qui
effectuaient les trajets entre l’intérieur du pays et la côte.
En confiant aussi des positions stratégiques et influentes30 à des musulmans dans la
ville de Douala, l’administration coloniale participait sans le savoir et peut être sans s’en
apercevoir au développement de l’islam. Bien plus, la mise en place et le renforcement des
infrastructures portuaires et ferroviaires à Douala respectivement par les Allemands et les
Français avaient renforcé la migration malienne et sénégalaise à Douala entre 1930 et 1940.31
Par ailleurs, l’aménagement des industries et de grandes plantations agricoles, bref la ‘‘mise en
valeur’’ des terres dans sa périphérie (Penja, Manjo, Mbandjock, Nkongsamba), renforçaient
aussi la motivation de plusieurs Soudano-sahéliens à migrer vers la côte. Si on y ajoute
l’hostilité du climat sahélien (brûlant et sec) et le sol pauvre par nature, on comprend aussi la
propension des populations soudano-sahéliennes à effectuer des déplacements en direction de
Douala, première région économique de l’Afrique centrale, c'est-à-dire le lieu où ‘‘l’aventure
29
A. F. Dikoume, ‘‘Intégration et désintégration des transports en Afrique Centrale’’, Enjeux, Revue Internationale
de Géopolitique, no 10, janvier-mars 2002, (version électronique, consultée le 8 mai 2003).
30
‘‘Les immigrants venus des autres parties de l’Afrique occupaient d’éminentes positions dans la ville. A la
différence des immigrants camerounais (dont la plupart furent d’abord des manœuvres, petits commerçants ou
‘‘sans travail’’), les Nigérians, Dahoméens, Sénégalais, Ghanéens, Guinéens, etc., étaient de grands commerçants
ou artisans, ou alors occupaient de hautes fonctions dans l’administration. Bien que leur importance sociologique
fût pratiquement égale à celle des élites douala proprement dites, ils n’étaient cependant pas nombreux’’. Cf. J.
Derrick, ‘‘Elitisme colonial au Cameroun : le cas des Douala dans les années trente’’, pp.188-189.
31
Voir Cheikh Oumar Ba, ‘‘Les Sénégalaises en Afrique centrale : de la migration d’accompagnement à
l’émergence des groupes de femmes autonomes’’, in C. Coquery-Vidrovitch et al., Etre étranger et migrant en
Afrique au XXe siècle. Enjeux identitaires et modes d’insertion, Vol. II, Paris, L’Harmattan, 2003, pp. 279-291 et
P. Cissé, ‘‘La migration malienne au Cameroun : le retour est-il possible?’’, Communication au XXVe Congrès
International de la Population, Tours, 18-23 juillet 2005.
76
vaut la peine’’32,
la ville où le capitalisme en tant que réalité économique était le plus
développé.
On peut enfin émettre une hypothèse, à savoir que l’installation des musulmans à
Douala avait conduit à l’intermariage et à une certaine fusion culturelle qui eut lieu entre
certains groupes de musulmans et les populations allogènes non musulmanes. Ce processus
d’‘‘inculturation’’ pouvait exister à la suite de l’exode des tribus venues des autres localités du
Cameroun et regroupées aussi à New-Bell, comme les musulmans. Bon nombre de ces tribus
s’étaient installées dans les mêmes zones que les musulmans et des mariages pouvaient avoir
lieu entre leurs membres. Si nul ne pouvait épouser leurs filles s’il n’adopte leur foi, les filles
du terroir qui les épousaient voyaient leurs fils embrasser l’islam. En effet, l’argent dont ils
disposaient et leur ‘‘comportement de musulmans orgueilleux conféraient aux musulmans
nouvellement installés un prestige souverain’’33. Pour certaines personnes issues de
communautés non musulmanes, devenir musulman c’était se donner un moyen d’être riche.34
Ici, le prosélytisme est parfaitement involontaire. Autrement dit, la conversion à la religion
n’est pas recherchée par les nouveaux venus. Il n’y a pas d’orchestration qui conduise le
mouvement ; c’est surtout l’appât du gain qui pousse à la conversion.35 Cette intégration des
familles musulmanes et autres tribus permettait à l’islam de se renforcer et de se propager. En
effet, en se ‘‘métissant’’ aux populations allogènes non musulmanes, un certain nombre de
celles-ci se convertit à l’islam et vint grossir la communauté. Quelques-uns, parmi les
autochtones dualas et bassas et des allogènes, se sont ainsi convertis à l’islam. Et, ce mélange
des peuples et cultures avait aussi préparé le terrain à une pénétration graduelle de l’islam à
Douala. Pour tous ces motifs (mariage, mouvements internes des populations musulmanes,
conversions, mimétisme, etc.), l’islam avait fait, à Douala, un bond quantitatif en avant, assez
irréversible. Le regroupement et la pression démographique musulmane à New-Bell avaient
nécessité la mise en place d’une chefferie supérieure particulière, destinée au contrôle des
musulmans.
32
J. M. Ela, La ville en Afrique, Paris, Karthala, 1983, p. 30. Pour des données sociales plus récentes sur cette ville,
voir, entre autres, G. Séraphin, Vivre à Douala. L’imaginaire et l’action dans une ville africaine en crise, Paris,
L’Harmattan, 2000 et P. Canel et al., Construire la ville africaine, Paris, Karthala, 1990, pp. 99 et suivantes.
33
M. Cardaire, Contribution à l’étude de l’islam noir, pp. 91.
34
Voir ‘‘L’islam en Afrique’’, Pirogue, no 56, mars 1985, p. 8.
35
M. Cardaire, Contribution à l’étude de l’islam noir, pp. 91-92.
77
A-2 De la création de la chefferie supérieure des étrangers au Cameroun
Comme nous l’avons mentionné plus haut, le début de la légitimation de
l’immigration musulmane dans la ville de Douala par les autorités publiques locales datait du
début des années 1910 lorsque les Allemands commençaient à mettre en place leur politique de
ségrégation physique. On ne pouvait cependant pas parler véritablement d’une politique
musulmane allemande en tant que telle dans la ville de Douala bien que, par endroit, des
familles musulmanes soient déjà installées. Toutefois, la présence allemande (1884-1916)
marque un changement important, puisque l’hégémonie des Duala, pluriséculaire, va être
submergée par les développements de l’impérialisme européen, dont les aspirations sont
beaucoup plus totales et affectent alors en profondeur l’ensemble des formations sociales
coloniales.36 L’arrivée des Français en 1916 nécessite la prise en main de plus en plus directe
de l’autorité politique. Cette prise en main peut s’appréhender à partir du moment où est créée
la chefferie supérieure en 1933, signe de la reconnaissance des communautés musulmanes. Au
plan juridique, cette reconnaissance constituait le point de départ d’un processus d’inféodation
multiforme au sein des instances politiques locales.
Pour aller à l’essentiel, on retiendra que le contrôle politique et administratif des
chefferies traditionnelles sous l’administration coloniale commence avec les décisions
gouvernementales. En effet, l’arrêté du 4 février 1933, texte le plus illustratif de l’altération des
chefferies traditionnelles fixait un statut hiérarchisé des chefs traditionnels. Son article premier
les classait en trois catégories : les chefs supérieurs, les chefs de groupement et les chefs de
village. Cet arrêté est complété par celui du 8 mars 1933 qui répartit les subdivisions
administratives comme suit : les chefferies supérieures, les groupements ou cantons, les
villages ou quartiers. A ces catégories correspondaient trois degrés de commandement
traditionnel : le chef supérieur au premier degré, le chef de groupement ou de canton au
deuxième degré et le chef de village au troisième degré.37 L’article 6 de l’arrêté du 10 mars
1933 fixant le statut des chefs indigènes soumettait la qualité de chef traditionnel à la
nomination par l’administration. Ainsi, les chefs traditionnels, de par leur nomination, se
trouvaient rattachés à l’administration coloniale devenant de ce fait des exécuteurs de sa
36
D. Abwa a très bien éclairé le problème de la rencontre de deux conceptions différentes (européenne et
camerounaise) du pouvoir politique. Voir sa Thèse de Doctorat d’Etat en Histoire intitulée ‘‘ ‘‘Commandement
européen’’- ‘‘ commandement indigène’’ au Cameroun sous administration française’’, Université de Yaoundé I,
1994, pp. 692-718. Voir aussi S. Mappa, Pouvoirs traditionnels et pouvoir d’Etat en Afrique et J. Lombard,
Autorités traditionnelles et pouvoirs européens en Afrique Noire, PFNSP, 1967, p. 50.
37
Pour une meilleure compréhension de cet arsenal juridique, voir B. Momo, ‘‘ L’inaccessibilité des chefferies
traditionnelles camerounaises à la rationalité juridique’’, Lex Lata, n°22 janvier 1996, pp.10 et suivantes.
78
volonté : soumis et dociles, ils conservent leurs titres ; faisant preuve d’insubordination,
manifestant quelques velléités d’indépendance, ils étaient déposés et remplacés.38
Intégrés dans l’administration française, les chefs étaient considérés comme des
auxiliaires des administrateurs, représentants du pouvoir central. En fait, le chef était : une
personne privée dont l’administration consacrait et utilisait l’autorité en vue d’une gestion des
services publics locaux.39 Ils étaient considérés comme des notables et couverts d’honneurs,
d’autant plus que leur autorité en dernier ressort de par sa nature religieuse, ne pouvait être
bureaucratisée. Mais l’alliance avec les chefs et autres dignitaires était avant tout un mariage de
raison qui cachait d’un côté comme de l’autre une suspicion profonde et permanente. Ainsi, les
Français, tout en manifestant extérieurement un respect pour les chefs religieux les plus vénérés
et les plus loyaux à la cause française, ne cesseront jamais d’exercer une surveillance et un
contrôle vigilants sur leurs activités.
A Douala, les musulmans ne pouvaient pas en tant que tels entretenir des relations
avec les autorités coloniales, rôle dévolu à leurs chefs. Ces derniers pouvaient exercer une
grande influence sur les populations dans un sens forcément favorable à la France. En effet,
leur statut de chefs ‘‘étrangers’’ pour les nons nationaux ou ‘‘allogènes’’ pour les nationaux
leur rappelait d’une façon constante qu’il ne devait en aucun cas contrecarrer les actes de
l’autorité administrative.40 Il était d’ailleurs assez curieux de voir comment les percevaient les
administrateurs coloniaux. Parallèlement aux auxiliaires de l’administration confinés aux
tâches subalternes d’exécution, les administrateurs coloniaux entendaient avoir en ces chefs
musulmans de simples auxiliaires. Ils se montraient donc toujours bien disposés à l’égard de
l’administration. Celle-ci se servait à son tour de ces chefs pour asseoir sa présence. Les
rapports étaient donc excellents, car ‘‘ l’islam est une religion qui aide le gouvernement à
maintenir l’ordre et la loi’’41.
Aussi, à Douala, une exception fut faite, s’agissant de la nouvelle politique à l’égard des
chefferies non traditionnelles, c’est-à-dire non autochtones. Elle concernait particulièrement les
chefferies supérieures des étrangers. C’était une création d’un type nouveau42 non prévue par le
texte de 1933. En plus des ‘‘chefferies autochtones’’ ou de groupement propres aux Duala, il
s’agissait de créer des ‘‘chefferies allogènes’’ et des ‘‘chefferies des étrangers’’ au Cameroun.
38
Ibid.
Ibid.
40
H. Adama, L’islam au Cameroun, p.153.
41
ANY, APA 11298/A, Affaires musulmanes, 1947-1949, p. 7.
42
Ces chefferies étaient adaptées selon D. Abwa aux réalités sociopolitiques des agglomérations urbaines
importantes telles que Douala et Yaoundé et des zones de peuplement telles que le Moungo et le Mbam. Cf.
‘‘‘‘Commandement européen’’ – ‘‘commandement indigène’’ au Cameroun sous administration française’’, pp.
692-693.
39
79
C’est ainsi que le 24 décembre 1933, un arrêté regroupa les groupements étrangers, au sein de
deux chefferies supérieures : ‘‘New-Bell étrangers’’ à Douala pour les nationaux et ‘‘New-Bell
étrangers’’ au Cameroun
pour les non-nationaux. Les communautés musulmanes furent
placées sous la responsabilité de la chefferie supérieure des étrangers au Cameroun.43 La ville
de Douala fut d’ailleurs la seule au Cameroun où des étrangers non originaires du Cameroun
furent pris en compte et organisés. Les musulmans étaient placés sous l’autorité des chefferies
supérieures. A l’échelon inférieur, venaient plusieurs autres chefferies de village dirigées par
les sous-chefs en conformité avec les réalités tribales de leurs zones d’origine comme le
montre le tableau ci-dessous :
Tableau no I : Populations musulmanes placées sous l’autorité des chefferies supérieures des
étrangers pendant la période de l’administration française
Chefferie supérieure des étrangers
au Cameroun
Chef supérieur : Paraiso Joseph
Villages
Chefs
Lagossiens (Yoruba)
Yacoubo Abdounal
Sénégalais
Badiane Tbou
Haoussa
Adamou Labbo
Arabes Tchad
Maïbornou
Dahoméens
Paraiso Joseph
Sara
Mova Bouba
Foulbé
Alcali Mohamed
Pécheurs étrangers nigériens
Paraiso Joseph
et Sierra-Léonais
Momo Salé
Chef supérieur Yaoundé à Douala : Bafia
Baneka Garba
Fouda Ignace
Bamun
Chef du groupement des étrangers de Haoussa de Bonabéri
Issa Njoya
Malam Mbako
Bonaberi : Tchakounté Messak
Source : Synthèse des dossiers ANY, 2 AC 224/D, Wouri, administration, rapport annuel, 1950 et
ANY, 1 AC 224/D, Douala, rapport annuel, 1951.
43
ANY, APA 11757, Douala. Rapport annuel, 1933, p. 23. Voir aussi la circulaire du 28 octobre 1932 signée du
Gouverneur Bonnecarrère (1932-1934) à tous les chefs de circonscriptions, reproduite dans le Rapport annuel de
la SDN, 1932 : ‘‘Comme vous le savez, notre action administrative dans ce pays repose sur l’autorité indigène ;
notre politique a eu pour objectif, depuis plusieurs années et en tout cas pour les régions du Sud, de réorganiser et
de consolider cette autorité’’.
80
En regroupant les étrangers au Cameroun dans une chefferie supérieure indépendante
des chefferies autochtones existantes, les Français donnaient à ces nouveaux arrivants les
moyens de s’émanciper de l’autorité de ceux qui les avaient accueillis. C’est ainsi que les
communautés musulmanes de Douala relevaient pour les nationaux (Bamun et Bafia) des
chefferies supérieures allogènes (Yaoundé et Bonabéri). Les islamisés bafias par exemple
avaient pour chef de village Baneka Garba et étaient sous l’autorité de Fouda Ignace, chef
supérieur Yaoundé à Douala alors que les Bamun avaient pour chef de village Issa Njoya et
étaient sous l’autorité du même chef Yaoundé.44 Ces musulmans nationaux étaient comptés
parmi les populations ayant quitté leurs régions d’origine pour migrer vers Douala où elles
étaient susceptibles de trouver, soit un travail rémunérateur auprès des sociétés européennes,
soit pour faire du commerce, soit pour travailler comme manœuvres dans les plantations et les
commerces des bourgeois dualas et européens.45
Les musulmans, pour la plupart haoussa de la rive droite du fleuve Wouri (secteur
Bonabéri), avaient pour chef de village Malam Mbako et étaient placés sous l’autorité de
Tchakounté Messak, chef du groupement des étrangers de Bonabéri. Quant aux musulmans
étrangers et allogènes de la zone New-Bell, tous furent, pendant toute la période française,
placés sous l’autorité de la chefferie supérieure des étrangers à Douala. Pour commander ces
villages et bien d’autres non musulmans (Gabonais, Congolais, Cameroun britannique,
Bamenda), il fallait trouver un homme susceptible de se faire accepter à la fois par la plupart de
ces étrangers et par l’autorité coloniale. L’administration française trouva en Joseph Paraiso
devenu Youssouf Paraiso après sa conversion à l’islam46 son plus grand collaborateur
musulman, l’homme idoine et lui confia la direction de la chefferie supérieure des étrangers au
Cameroun pendant toute leur présence au Cameroun. Plusieurs raisons militaient en faveur de
son choix : le chef supérieur Youssouf Paraiso semblait en effet jouer un rôle essentiel dans la
communauté puisqu’il était le logeur de grands commerçants de passage ou en séjour à Douala.
De même, il connaissait à fond les populations musulmanes qui du reste étaient ses frères de
l’Afrique de l’Ouest.47 De par ce rôle, ce personnage pouvait intercéder auprès de
44
ANY, 2 AC 8089, Wouri, administration. Rapport annuel 1950, p. 13.
R. Gouellain, Douala, Ville et Histoire, Paris, Institut d’ethnologie, 1975, p. 239.
46
Les sources écrites disponibles ne contiennent aucun document pouvant fournir des renseignements sur la date
de sa conversion à l’islam. L’enquête orale non plus n’apporte aucun éclairage à ce sujet. Toutefois, on peut dire
qu’une fois placé à la tête de la chefferie supérieure des étrangers au Cameroun, Joseph Paraiso se serait converti à
l’islam pour gagner la confiance des musulmans et surtout avoir plus de légitimité aux yeux des musulmans qui
constituaient par ailleurs la tranche la plus importante de la population de sa chefferie. Son pèlerinage à la Mecque
en 1949 rentrerait dans la même logique.
47
Entretien avec Younouss Paraiso, fils et successeur de Youssouf Paraiso à la chefferie yoruba de New-Bell/
Congo le 10 avril 2004.
45
81
l’administration pour faire concéder un lot aux commerçants désirant s’installer dans son
quartier et ce avec la bénédiction de l’administration coloniale qui voyait par ce système un
moyen efficace de contrôler la population ‘‘flottante’’. Mais la puissance de Youssouf Paraiso,
chef des villages dahoméens, des pêcheurs nigériens et chef supérieur des étrangers au
Cameroun venait fondamentalement de sa fonction économique. Il était aussi depuis plusieurs
décennies un éminent citoyen de Douala, de par ses propres mérites. Aussi, sa position
équivalait officiellement à celle des Kings48 traditionnels dualas dont il partageait le rang.
Autrement dit, le rang du chef des étrangers équivalait à celui d’un King autochtone duala. Il
devait prétendre aux mêmes égards qu’un chef autochtone puisqu’ils étaient tous deux astreints
aux mêmes tâches.
Sur le plan hiérarchique, les autorités autochtones locales n’avaient donc pas
supplanté les chefs des villages. Ils s’équivalaient en rang. Dès 1919, le Commissaire de la
République Carde, en parlant des chefs installés à Douala, exprima clairement cette prise de
position :
(…) il ne doit y avoir ni individus, ni castes privilégiés. Le chef du quartier Yaoundé
par exemple doit pouvoir prétendre à autant d’égards que le chef d’Akwa ou de Bell et ses
ressortissants ne doivent pas être soumis à des obligations plus lourdes que celles qui
pèsent sur les ressortissants de ses collègues.49
La position de Youssouf Paraiso était aussi à l’image de sa formation intellectuelle et
de son parcours professionnel. Il parlait le français, le yoruba, le haoussa et l’anglais.50 Son
aisance financière, sa participation aux institutions locales coloniales faisaient de lui une
référence morale, intellectuelle et religieuse et cela lui permettait d’être présent sur les
principales scènes de la ville. A ce titre, il joua pendant toute la présence française un rôle
politique important. Le 8 janvier 1939 par exemple, les jeunes générations, entraînées par
Soppo Priso, écrivain interprète au service des mines et les chefs supérieurs51, parmi lesquels
Youssouf Paraiso, lançaient officiellement le mouvement des Jeunesses Camerounaises
Françaises (Jeucafra) qui, grâce à une ardente propagande et le soutien de l’administration
48
C’est aussi ainsi qu’on désignait les chefs des principaux clans autochtones dualas à savoir les Bell, les Akwa,
les Deido et les Bonabéri. Cf. J. Derrick, ‘‘Elitisme colonial au Cameroun : le cas des Douala dans les années
trente’’, 1989, p. 188.
49
D. Abwa, ‘‘ ‘‘ Commandement européen’’ – ‘‘Commandement indigène’’ au Cameroun sous administration
française’’, p.759.
50
Entretien avec Younouss Paraiso, chef yoruba à New-Bell/ Congo le 10 avril 2004.
51
En dehors de lui, la participation des autres chefs est relevée par l’administration coloniale : Lobe Bell, Betote
Akwa, Mbappe Bwanga, Eboa Epée, Moussango Isaac, Ndokat et Marius Eteme.
82
coloniale, s’était étendu dans le territoire.52 Le choix du chef musulman
de nationalité
étrangère pour le lancement de la Jeucafra, premier mouvement à caractère politique au
Cameroun53, participait entre autre de la volonté d’intégrer les communautés musulmanes dans
le processus politique au Cameroun. En somme, Youssouf Paraiso était l’une des personnalités
les plus en vue du microcosme politique doualais sous administration française.
Mais vers la fin de la présence française, la position de Youssouf Paraiso considéré
par l’administration française comme un chef dynamique, entrepreneur et excellent collecteur
d’impôts commençait à faiblir, comme en témoigne ce rapport de l’administrateur de la région
du Wouri en 1951 :
Paraiso continue à assurer avec autorité et efficacité le commandement difficile des
étrangers au Cameroun et des musulmans. Très dévoué, passablement hâbleur et
‘‘raconteur de coup’’, il commence à subir les atteintes de l’âge et résiste de plus en plus
difficilement à l’attrait de la spéculation sur les terrains et les cases de New-Bell (…)
Quoi qu’il en soit, Paraiso est un des rares chefs efficaces et sera difficilement
remplaçable. Sa disparition ouvrira une crise délicate à New-Bell (…).54
Ce témoignage faisait une réputation incontestable du rôle de chef.
Son intérêt
résidait aussi dans le fait que l’organisation résidentielle et sociale de cette personnalité devenu
chef des étrangers commençait à se modifier. La vente des terrains lui permettait de maintenir
son rang, une relative clientèle et une unité résidentielle de dépendants autour de sa chefferie.
Comme on le constate aussi, l’administration coloniale usait du chef supérieur Youssouf
Paraiso comme une véritable courroie de transmission sur laquelle elle s’appuyait pour
contrôler les populations musulmanes au niveau local. De fait, il était chargé de percevoir
l’impôt, de contrôler les habitants et de veiller au maintien du bon ordre parmi les populations
musulmanes. Ceci avait aussi pour effet de réactiver la position du chef des étrangers qui
utilisait le pouvoir institutionnel pour développer son propre pouvoir.
Sous administration française, le contrôle géographique des communautés
musulmanes de Douala s’était effectué de deux façons essentielles : leur regroupement dans
une même zone géographique et leur organisation en chefferie supérieure ou de villages
52
ANY, APA 10097/6. Rapport semestriel. Région Wouri (Délégation de Douala), p. 2.
Le mouvement nationaliste camerounais dont l’UPC devint l’incarnation la plus vigoureuse à partir de 1948,
était déjà en germination une dizaine d’année plus tôt à travers la Jeucafra créée en 1938 et ses avatars que furent
l’Union Camerounaise Française (Unicafra) et le Rassemblement des Camerounais (Racam). Cf. E. Tchumtchoua,
De la Jeucafra à l’UPC : l’éclosion du nationalisme camerounais, Yaoundé, Clé, 2006. Voir aussi R. Joseph, Le
mouvement nationaliste au Cameroun. Les origines sociales de l’UPC (1946-1958), Paris, Karthala, 2000
(réimprimé de 1986) et J.-F. Bayart, ‘‘L’Union des populations du Cameroun et la décolonisation de l’Afrique
‘‘française’’ ’’, Cahiers d’Etudes Africaines, Vol. XVIII, MCMLXXVIII, pp.447-458.
54
ANY, 1AC 224/D, Douala, rapport annuel, 1951, p. 27.
53
83
propres aux musulmans. Mais d’autres voies de gestion et de contrôle de l’identité des
communautés musulmanes de Douala s’offraient au colonisateur français. Il convient à cet
égard, d’analyser l’enjeu des visites des prédicateurs étrangers et du pèlerinage aux Lieux
Saints de l’islam.
B- Du contrôle social des communautés musulmanes ou contrôle des réseaux islamiques
extérieurs (fin des années 1940 début des années1950)
Un autre mode de gestion et de contrôle de l’identité musulmane à Douala résultait
de l’utilisation de certaines valeurs religieuses par l’administration coloniale, en l’occurrence
les marabouts/missionnaires étrangers et le Hajj. C’est un mode de contrôle et de politisation
‘‘ par le haut’’55 induit par des représentations issues du rôle de ces derniers et qui entraînent
de nouvelles perceptions de l’islam.
B-1 Rappel des principes et axes généraux de la politique musulmane de la France face
aux réseaux islamiques extérieurs
Il faut d’emblée souligner que l’islam avait toujours été un cauchemar pour le colon
français. On connait l’histoire de Samory en Afrique de l’Ouest, de Rabah autour du Lac
Tchad, des lamibe du Nord Cameroun56 ou encore du Sultan Njoya au Cameroun57. C’est en
réaction à la résistance de ces leaders musulmans que les Français avaient adopté une politique
propre à l’administration des communautés placées sous la bannière de l’islam et connue sous
le nom de ‘‘politique
musulmane’’ de la France. Formulée au singulier, l’expression
‘‘politique musulmane’’ souligne l’originalité d’un système décrété comme étant adapté aux
populations musulmanes ; une politique qui avait placé la surveillance et l’accommodation
avec les chefs religieux au centre des préoccupations coloniales, et qui était apparue comme un
enjeu du maintien des relations entre la France et les communautés musulmanes. Eminemment
pragmatique, les liens entre la France et l’islam ne reposaient cependant pas exclusivement sur
55
J.F. Médard, ‘‘Politics from Above, Politics from Below’’, in E. Masst Hylland and H.Valle (eds.), State and
Locality, Oslo, NFU and SVM, 1994. On lira aussi avec intérêt la situation inverse ‘‘par le bas’’ décrite par J.F.
Bayart, J.A. Mbembe et C. Toulabor, La politique par le bas. Contribution à une problématique de la démocratie,
Paris, Karthala, 1992.
56
Voir à titre d’illustration A. P. Temgoua, ‘‘L’islam et le pouvoir colonial allemand au Nord Cameroun (18991916)’’, in M. Gomez-Perez (s.d.), L’islam politique au sud du Sahara. Identités, discours et enjeux, Paris,
Karthala, pp. 375-394.
57
Il existe de nombreux écrits sur ce personnage central du royaume bamun. Voir à titre d’illustration A. Njiasse
Njoya et al, De Njoya à Njimoluh : cent ans d’histoire bamoun, Foumban, Editions du Palais, 1984 ; C. Tardits, Le
royaume Bamoun. Paris, A. Colin, 1980 ; A. Ndam Njoya, Njoya réformateur du royaume bamoun, Paris,
Présence africaine, 1978 et A. Njiasse Njoya, ‘‘Naissance et évolution de l’islam en pays bamoun (Cameroun)’’,
Thèse de Doctorat de 3e cycle en histoire, vol. I et II, Université de Paris I, 1981.
84
la notion d’intérêt ; on ne peut objecter qu’ils ont créé des discours, un savoir, une culture et
une vision de l’autre. Son étude s’intéresse aux mécanismes institutionnels, autant qu’à
l’administration quotidienne, et aux modes de représentation.58
De fait, la France n’avait pas une politique musulmane clairement définie. La
colonisation française en Afrique noire avait en effet donné naissance à une politique
musulmane complexe, parfois confuse, souvent interventionniste, qui oscillait entre les idéaux
républicains et le réalisme colonial. Mais les objectifs étaient les mêmes durant toute la
colonisation, à savoir contenir l’islam, soit en l’étouffant, soit en l’ ‘‘apprivoisant’’59 selon
les ‘‘exigences’’60 de l’ordre colonial. En fait, sans combattre ouvertement l’islam en Afrique,
il ne fallait pas non plus l’encourager. Il s’agit là d’une stratégie adoptée partout au Cameroun
par l’administration coloniale française, comme l’indique cette déclaration de Beyries :
...là où l’islam imprègne considérablement les esprits, le mieux est d’observer, à son endroit,
une neutralité complète et que, là où il n’est que vernis, là où ses sectateurs ne forment qu’une
minorité, là où il n’a pas encore pénétré, il convient non seulement de s’abstenir de tout geste
qui pourrait contribuer à son implantation ou à son expansion, mais encore de diriger les
Africains à qui le laïcisme est inconnu et semble devoir l’être longtemps encore, vers des
concepts religieux plus favorables aux progrès humains : vers le Christianisme, essence de la
civilisation occidentale et dont les propagateurs sont à pieds d’œuvres.61
Cette politique variait au gré des convictions personnelles des administrateurs mais
surtout en fonction des évènements extérieurs ou locaux.
Sur le plan extérieur et à des époques différentes, elle était marquée par des
orientations successives pour faire face aux idéologies considérées comme subversives, telles le
panislamisme et le panarabisme entre autres. En général, l’administration coloniale française se
méfiait de l’islam parce que considéré comme véhicule possible d’influences étrangères. En
58
Sur cette question au Cameroun, on lira avec intérêt les travaux de G.L. Taguem Fah, notamment ‘‘Le facteur
peul, l’islam et le processus politique au Cameroun’’, Islam et Sociétés au Sud du Sahara, no 14-15, 2000-2001,
pp. 81-98 ; ‘‘Les formations politiques au Nord-Cameroun : l’exemple de la Médiafrancam’’, Annales de la
FALSH, Université de Ngaoundéré, Vol. 2, 1998, pp. 55-76 et ‘‘Les élites musulmanes et la politique au
Cameroun : de la période française à nos jours’’, Thèse de Doctorat 3e cycle en histoire, Université de Yaoundé I,
juin 1997. Pour les récentes études sur cette politique dans d’autres régions d’Afrique, lire D. Robinson, Sociétés
musulmanes et pouvoir colonial français au Sénégal et en Mauritanie 1880-1920, Paris, Karthala, 2004
(traduction de Paths of Accomodation : Muslim Societies and French Colonial Authorities in Senegal and
Mauritania, 1880-1920, Athens, Ohio University Press, James Currey, 2000); D. Robinson et J.L. Triaud (éds.),
Le temps des marabouts. Itinéraires et stratégies islamiques en Afrique occidentale française V.1880-1960, Paris,
Karthala, 1997 (chapitres 7, 10, 12, 21 et 23) et H. Grandhomme, ‘‘La France et l’islam au Sénégal. La
République face à une double altérité : le colonisé et le musulman’’, Thèse de Doctorat en Histoire, Université
Cheikh Anta Diop, mai 2008.
59
D. Abwa, ‘‘Le lamidat de Ngaoundéré et l’administration coloniale française’’, Thèse de Master Degree en
Histoire, Université de Yaoundé, 1985, p. 108. Il faut cependant préciser qu’on n’apprivoisait pas l’islam en tant
que religion mais le musulman, le leader politique musulman, d’ou une politique ‘‘de charme’’ à son endroit.
60
A. Traoré, Islam et colonisation en Afrique, Paris, Maison neuve et Larose, 1983, p. 103.
61
ANY, Affaires Musulmans 12247, Ecoles franco-musulmanes.
85
effet, l’alliance éventuelle du panislamisme et du panarabisme avec l’islam africain semble
avoir été l’obsession62 des tenants de l’empire colonial français. En effet, cette alliance n’était
pas faite pour rassurer les tenants de l’empire français. Après la Seconde Guerre mondiale, le
panarabisme et le panislamisme sont des sujets qui reviennent de temps en temps dans les
correspondances officielles concernant les ‘‘affaires musulmanes au Cameroun’’63.
L’administration coloniale craignait donc que l’islam local ne suive quelque idéologie
venue de l’extérieur. Elle s’efforçait de diminuer les contacts de ‘‘l’islam noir’’ avec l’islam
maghrébin ou moyen oriental ‘‘réputé être travaillé de vagues aspirations panarabes’’64. De
façon schématique, cette politique s’articulait autour de deux principes : d’un côté, une
méfiance vis-à-vis de l’islam qu’il importe de surveiller, de l’autre une volonté manifeste de
contrôler l’islam, en associant les leaders religieux dans une stratégie globale devant favoriser
l’émergence d’un ‘‘islam officiel’’ conforme aux conceptions philosophiques et sociales
favorables à l’œuvre de la colonisation française.
Au plan intérieur, ces inquiétudes et considérations relevant de la conjoncture
politique internationale avaient décidé l’autorité coloniale au Cameroun à soumettre le voyage
à la Mecque à des conditions draconiennes. Pour cette raison, le principe de l’organisation
officielle du Hajj fut adopté et le départ pour la Mecque fut désormais soumis à des formalités
diverses.65
Les territoires de l’AEF et le Cameroun étaient appelés à s’associer pour organiser
ensemble un seul pèlerinage par an. Ce qui signifie que chaque territoire avait un quota de
pèlerins préfixé et les postulants devaient se faire enregistrer longtemps avant pour permettre
au Commissaire du Gouvernement au pèlerinage de vérifier leur régularité.66 Pour se faire, une
autorisation de voyage était exigée et n’était délivrée que de manière parcimonieuse, au regard
de la fortune, mais aussi et surtout en fonction de l’attitude du postulant envers les intérêts
français. Chaque pèlerin devait se faire établir un passeport très loin de son lieu de résidence et
avec toutes les formalités administratives visant à le décourager ; subir un examen médical à
62
D.C. O’ Brien révèle en ces termes cette ‘‘hantise’’ du panislamisme : ‘‘A traditional subjet of French
Administrative Paranoïa’’. Lire notamment ‘‘Towards an ‘‘Islamic politic’’ in French West Africa (1854-1914)’’,
Journal of African History, VIII (2), p. 309; voir aussi D. Robinson, Sociétés musulmanes et pouvoir colonial
français au Sénégal et en Mauritanie 1880-1920 ; D. Robinson et J. L. Triaud (éds.), Le temps des marabouts.
Itinéraires et stratégies islamiques en Afrique occidentale française V.1880-1960.
62
Voir ANY, APA 11390/A, Pèlerinage à la Mecque, 1950-1951.
63
Pour alléger l’appareil de références, voir dossiers d’archives cités dans cette section et intitulés ‘‘Affaires
musulmanes’’ ou ‘‘Pèlerinage à la Mecque’’.
64
A. Traoré, Islam et colonisation en Afrique, p. 261.
65
Voir ANY, APA 11390/A, Pèlerinage à la Mecque, 1950-1951.
66
ANY, 1AC 3392, Pèlerinage à la Mecque, 1941-1957. Circulaire n°1226/CF/APA/1 à travers laquelle le Haut
Commissaire nomme le Commissaire du Gouvernement au pèlerinage.
86
l’issue duquel il devait se faire vacciner. La capitale (Yaoundé) était le seul lieu
d’établissement des passeports. Ces difficultés ne contribuaient qu’à décourager le candidat au
pèlerinage. On peut donc dire que toutes les mesures restrictives: tarif de voyage élevé,
procédures administratives pour passeport, examen médical et vaccination ne contribuèrent
qu’à réduire ou à limiter le nombre de pèlerins et à le rendre élitiste.67
Dès 1952, l’administration coloniale au Cameroun avait demandé au département des
Affaire Musulmanes du Ministère des Colonies de lui accorder l’organisation autonome du
pèlerinage pour les musulmans camerounais.68 Pour des raisons politiques, le département
s’était catégoriquement opposé à une telle initiative. Dans l’ensemble, l’immixtion de
l’administration coloniale dans les voyages à la Mecque n’a été en grande partie qu’une entrave
à cette pratique religieuse prescrite par le Coran. Ainsi, le problème du pèlerinage devenait de
plus en plus une préoccupation politique de première importance. L’administration coloniale en
était attentive au point de récupérer cette pratique religieuse pour en faire une arme au service
de sa politique.
Toujours au plan intérieur, cette politique intervient à un moment où la vie politique
commençait à se libéraliser, préparant l’indépendance. Le mouvement nationaliste camerounais
né à Douala et incarné par l’Union des Populations du Cameroun (UPC) manifestait en effet
des velléités indépendantistes difficilement maîtrisables et recrutait aussi parmi les couches
populaires où la question de la confession apparaissait comme accessoire par rapport au
problème de la fin de l’exploitation. Et même si on ne trouvait que rarement des musulmans
parmi les cadres dirigeants du mouvement nationaliste camerounais69, ils pouvaient constituer
une bonne part de la troupe anticolonialiste dans les années 1950. Pour El Hadj Moctar
Abubakar,
la Mecque était considérée comme un lieu de subversion. Les autorisations de sortie pour le
pèlerinage était refusées durant toute la période de la guerre et de trouble causé par l’UPC (…).
Même en temps de paix, il n’était pas déjà facile d’obtenir une autorisation pour se rendre aux
Lieux Saints.70
67
Pour une étude exhaustive de toutes ces conditions, voir la thèse de G.L. Taguem Fah, ‘‘Les élites musulmanes
et la politique ’’.
68
ANY, APA 11390/A, Pèlerinage à la Mecque 1950-1951.
69
Pour une idée sur le mouvement nationaliste camerounais symbolisé par l’Union des Populations du Cameroun
(UPC), on peut lire utilement R. Joseph, Le mouvement nationaliste au Cameroun, 2000 et J.-A. Mbembe, La
naissance du maquis dans le Sud Cameroun 1920-1960, Paris, L’Harmattan, 1996.
70
El Hadj Moctar Aboubakar, entretien des 8 et 9 novembre 2006 à son domicile à New-Bell, derrière la mairie de
Douala IIe.
87
Les visites des prédicateurs étrangers et le pèlerinage étaient aussi, pour les
administrateurs coloniaux, l’un des moyens de guider l’islam vers l’œuvre colonisatrice de la
France. Les activités propagandistes et prosélytes de ces marabouts et pèlerins étaient
cependant surveillées par l’administration coloniale, surveillance menée avec beaucoup de
subtilité, mais parfois avec intransigeance pour ceux qui ne suivaient pas la ligne voulue par la
France.71
B-2 Logique et impact de la visite des marabouts étrangers à Douala
Il serait peut être accessoire de parler d’une politique maraboutique coloniale à
Douala dans la mesure où tous les musulmans doualais ne sont pas membres d’une confrérie.
Ce rappel72 sert de balisage pour faciliter et alléger notre analyse afin de la rendre utile et
féconde. De ce fait, pour parler du rôle des marabouts dans la politique coloniale française à
Douala, nous focaliserons notre attention sur les marabouts/missionnaires étrangers qui avaient
effectué une tournée à Douala pendant la période de l’administration française.
La communauté musulmane doualaise avait été de temps à autre visitée par des
marabouts étrangers sous la demande de l’administration coloniale. Véritables ‘‘chargés de
mission’’ du gouvernement français, ils étaient envoyés en tournée dans les communautés
musulmanes pour faire de la propagande en faveur de la France. Au nombre de ces érudits
missionnaires qui ont visité Douala pendant la période coloniale française, les archives
signalent deux cas : ceux de Chérif El Hadj Sidi Benamor Tidjani et de Chérif El Hadj Moulay
Ismail Aidara.73 Les séjours du premier, bien documentés par des rapports précis et
circonstanciés auront eu un certain retentissement au sein des communautés musulmanes du
Cameroun en général et des communautés musulmanes de Douala en particulier.
71
Ces marabouts, minoritaires, étaient coupables aux yeux de l’administration coloniale de leur indifférence à
l’égard du pouvoir. Leur exemple était selon la terminologie coloniale consacrée ‘‘dangereux et de nature à semer
le trouble dans l’esprit des indigènes’’. Qualifiés de ‘‘no compromising’’ par M. Z. Mjeuma (‘‘Muslim
Intellectuals and Politic’’ the Bernard Fonlon Society Symposium, University of Yaoundé (18th november), 1988)
et difficilement identifiables, ils parcouraient les localités isolées, évitant soigneusement les centres européens. Ils
distribuaient brochures et tracts ‘‘subversifs’’ et tenaient des réunions secrètes. Au plan politique, ces marabouts
clandestins diffusaient une idéologie de contestation de l’ordre colonial par les adeptes du panislamisme. Ils
tenaient des propos anti-français et incitaient la population à la révolte. Cf. T.M. Bah et G.L. Taguem Fah, ‘‘Les
élites musulmanes et la politique au Cameroun sous administration française : 1945-1960’’, in J. Boutrais (éd.),
Peuples et Cultures de l’Adamaoua (Cameroun), Paris, Orstom / Ngaoundéré- Anthropos, 1993, p. 110.
72
Voir premier chapitre, section B. Lire aussi A.C. Lomo Myazhiom, ‘‘Administration française et islam au
Cameroun (1916-1958)’’, Histoire et Anthropologie, no. 21, Strasbourg, 2000, pp. 161-182.
73
L’absence de rapports sur les marabouts clandestins ne signifie pas nécessairement qu’il n’en a pas existé à
Douala. En effet, à travers des rapports d’archives, l’administration française, toutes périodes historiques
confondues, se focalise sur des personnes ‘‘suspectes’’ dans les communautés musulmanes du Cameroun sans
jamais avoir une idée précise de leurs origines et de leurs rôles. Ainsi, le manque de rapports sur les missionnaires
clandestins à Douala ne signifie pas obligatoirement qu’il n’y en a pas existé.
88
Les séjours du Chérif El Hadj Sidi Benamor Tidjani et du Chérif El Hadj Moulay Ismail
Aidara à Douala
El Hadj Sidi Benamor Tidjani est originaire de Laghouat en Algérie où il naquit vers
1905. Il est l’un des descendants directs du fondateur de la Tidjaniyya. Khalifat (Lieutenant) de
son cousin Si Tayeb Ben Ali, Grand Maître de l’ordre, Sidi Benamor est en fait le véritable
animateur de la Tidjaniyya. Sur le plan du dogme, il s’évertue à renforcer l’attachement des
musulmans aux doctrines de la confrérie et les met en garde contre les tendances wahhabi
véhiculées à partir du Proche-Orient. Sous son impulsion, la Tidjaniyya semble se rapprocher
de plus en plus de l’autorité française, pour des raisons diverses liées à une fidélité
traditionnelle ou guidée par le réalisme et /ou l’opportunisme74. Il avait effectué deux tournées
à Douala en 1949.
Préparant le passage de Sidi Benamor, le haut commissaire de la République
Française au Cameroun écrivait aux chefs des régions en ces termes : ‘‘ Le Gouverneur Général
de l’Algérie (…) le ministre de la FOM l’ont signalé à notre bienveillance attention’’75. Il
demandait par ailleurs aux chefs des régions visitées d’accorder à Sidi Benamor toutes les
facilités au cours de ses déplacements. Quant à son séjour proprement dit,
C’est le 21 avril 1949 que Cheikh Tidjani Sidi Benamor arriva par avion à Douala avec
une suite de dignitaires musulmans parmi lesquels Dohssi Ahmed Ben Lanayo et Senghoni
Mohammed Ben Mohammed tous deux originaire de Laghouat, Mohamed Ali Oul Féten,
marabout mauritanien domicilié à Dakar et Omar Ousman, marabout nigérien domicilié à
Cotonou.76
Venu au Cameroun pour recueillir des dons et ‘‘porter la bonne parole chez les
musulmans’’77, Sidi Benamor fut l’objet d’une attention bienveillante de la part des autorités
locales qui avaient reçu à son sujet, des instructions spéciales de la part du ministère de la
France d’Outre-mer et du gouverneur général de l’Algérie. C’est ainsi qu’il fut officiellement
reçu par le délégué du haut commissaire qui mit à sa disposition des véhicules. Durant son
premier séjour à Douala, Sidi Benamor réunit les musulmans de Douala autour du chef des
étrangers El Hadj Youssouf Paraiso pour une causerie. Il se rendit ensuite à Yaoundé, puis
visita les territoires de l’AEF et du Congo Belge.
74
Nous empruntons ces éléments biographiques à l’excellent article de T.M. Bah, ‘‘Cheikhs et Marabouts
maghrébins prédicateurs dans l’Adamaoua, XIXe-XXe siècles’’, Ngaoundéré–Anthropos, revue de Sciences
Sociales, n°1, 1996, pp.7-28.
75
ANY, 2AC 3655, Lettre n°1218 bis datée du 13 juillet 1948 adressée au chef de la Région Bénoué par le Haut
Commissaire.
76
ANY, 1AC 165, Rapports divers sur Arabes musulmans et leurs activités, 1949. Ce document nous renseigne sur
la délégation et le séjour de Sidi Benamor dans les différentes localités du Cameroun.
77
A. Traoré, Islam et colonisation en Afrique, p. 110.
89
Le second séjour du Chérif El Hadj Sidi Benamor Tidjani fut le plus long. Il dura
quatre mois, de juin à septembre 1949. Lors de ce second séjour au Cameroun à partir du
premier juin 1949, Sidi Benamor effectua une longue tournée qui le conduisit dans toutes les
villes du Sud-Cameroun susceptibles d’abriter une importante communauté musulmane :
Douala, Nkongsamba, Foumban, Bafia et dans le Nord-Cameroun (Banyo, Ngaoundéré,
Garoua, Rey Bouba, Meiganga, Bibemi, Mbé, Tchéboa, Mokolo et Maroua). Dans toutes ces
localités, Sidi Benamor fut reçu par des dignitaires musulmans.
Nous nous appesantissons pour ce qui nous concerne plus particulièrement sur l’étape
de Douala à la fois mouvementée et riche d’enseignements. Pour son second séjour, Sidi
Benamor arriva à Douala le premier juin 1949. Devant l’assistance, il tint une conférence en
arabe, traduite par des interprètes en haoussa et en pidgin-English. Il distribua des brochures
imprimées en Sierra Leone et dont il était l’auteur notamment ‘‘Réponse claire’’ où il
définissait le dogme et précisait les prières et le wird de la confrérie.78 Le passage de Sidi
Benamor lui permit aussi de recruter des adeptes. Il nomma certains dignitaires Moqadem de la
Tidjaniyya et leur donna l’investiture sur place.79 Devant les foules impressionnées et
enthousiastes, Sidi Benamor devait pendant ses prêches aborder divers thèmes d’ordre
religieux, politique et social. Ces prêches furent aussi l’occasion pour Sidi Benamor de
développer la théorie de l’attachement à la France. A Douala et dans toutes les autres localités
où il séjourna, le Chérif se fit un devoir de remettre à chaque fidèle une prière manuscrite
signée de sa propre main et portant son sceau. Il avait par la même occasion noté les noms et
les adresses des principaux Malams auxquels il avait donné procuration pour continuer la
chaîne de la confrérie tidjane.80 Il repartit du Cameroun à la mi-septembre 1949 pour le Tchad.
Cette visite fut suivie de celle de chérif El Hadj Moulay Ismail Aidara en 1950.
Chérif El Hadj Moulay Ismail Aidara de la confrérie Qadiriya séjourna à Douala en
1950. Cependant son séjour est très peu documenté. Originaire de la Côte d’Ivoire, il était muni
de multiples lettres de recommandation et d’autorisation délivrées par le haut commissaire de
l’AOF, le gouverneur de Côte d’Ivoire, du Dahomey et du Togo.81 Chérif Ismail Aidara tenait
le même langage que son prédécesseur Sidi Benamor, bien que les deux marabouts fussent de
confréries différentes. Pendant son séjour, il assista au départ des pèlerins camerounais en
78
79
ANY, 1AC 165, Rapports divers sur arabes musulmans. Visites du Chérif Sidi Benamor, 1949.
ANY, 1AC 165. Rapport sur les communautés musulmanes, p. 4.
80
T. M. Bah, ‘‘Cheikhs et Marabouts maghrébins prédicateurs dans l’Adamaoua, XIXe-XXe siècles’’, p. 22.
81
ANY, 2AC 3655, Rapport sur les activités musulmanes au cours du 3e trimestre 1950.
90
septembre 1950 pour la Mecque et selon le rapport du gouverneur Soucadaux, il tint à les
exhorter ‘‘à prier pour la France et à ne pas oublier ce qu’ils lui doivent’’82.
Comme on peut le constater à travers les déclarations, les tournées de ces deux
marabouts étaient beaucoup plus motivées par des raisons politiques. En effet, Sidi Benamor et
Moulay Ismail Aidara avaient à maintes occasions, rendu hommage à la France lors de leurs
passages respectifs en 1949 et 1950, tout en soulignant avec insistance sa générosité et sa
sympathie vis-à-vis de la religion de Mahomet. A travers ces ‘‘chargés de missions’’, le
phénomène confrérique et maraboutique a été un enjeu déterminant de la politique coloniale
française à Douala. Ces deux personnalités étaient devenues pendant leurs différents séjours de
fidèles porte- parole de la politique coloniale française et de précieux intermédiaires entre les
populations islamisées et l’administration coloniale. Ils ont contribué peu ou prou, compte tenu
de la période et des évènements locaux et extérieurs, à la définition ou tout au moins à
l’application de la politique musulmane de la France à Douala. En fait, des étapes parcourues
par Benamor et Aidara nous n’en avons retenu que celles de Douala et nous constatons que
leurs déclarations se confondaient avec la politique de la France. On peut maintenant se
demander quel était l’impact de ces visites au sein de populations musulmanes doualaises.
Dimension des visites des missionnaires au sein des communautés musulmanes de
Douala
Les sources sont muettes sur la dimension et la réaction des musulmans doualais suite
à la venue des missionnaires. Cette absence de rapport signifie-t-il nécessairement que
l’utilisation des missionnaires n’avait pas été concluante à Douala ? Nous pensons,
comparativement aux autres régions que Sidi Benamor visita dans le Littoral et notamment
Nkongsamba, que sa visite ne suscita que peu d’engouement chez les musulmans locaux au vu
du nombre (300 à Nkongsamba par exemple) de personnes qui assistaient aux prêches.83 Ce qui
nous amène à dire que l’intérêt de ces séjours se situait dans la droite ligne de la politique
musulmane de la France favorable à la promotion d’un islam confrérique et maraboutique
garant de l’ordre établi et de sa présence sur le sol camerounais. Autrement dit, au plan
politique, ces visites auront renforcé au profit de la France, la fidélité des Moqadem et par delà
de tous les adeptes de l’ordre.
Au plan strictement religieux, le phénomène a eu un effet. En effet, la seule présence
de ces missionnaires, dont certains sont auréolés du titre de Cheikh, entraînait pour les
82
83
Ibid.
T. M. Bah, ‘‘Cheikhs et Marabouts maghrébins prédicateurs dans l’Adamaoua, XIXe-XXe siècles’’, p. 26.
91
musulmans locaux une grande ferveur religieuse84. Ces interventions de ‘‘sages étrangers’’85
invités par l’administration coloniales provoquaient une fermentation des idées religieuses qui
ne se passait pas en vase clos. Le ferment venait d’ailleurs, et surtout du Maghreb qui a la
réputation d’être éclairé ; et, avec ce savoir nouveau, venait le désir de mieux connaitre.86 Bien
que leur séjour ait souvent été bref, ces missionnaires ont pu expliquer la doctrine de leur
confrérie, distribuer des opuscules et au sein de l’élite musulmane locale, recruter des
Moqadem qui eurent à charge de continuer leur œuvre.87 De ce point de vue, on peut dire que
ces visites avaient ouvert une ère nouvelle à l’islam à Douala :
Lorsque El Hajj Sidi Tidjani ben Omar, fils de Mohammed el Kébir, lui-même arrière petit-fils
du grand Tidjani, vint en Afrique occidentale et équatoriale pendant les années 1948 et 1949, il
fut reçu dans la plupart de ses villes d’escale par la communauté musulmane au grand complet.
On reconnaissait dans la foule de ses auditeurs le Qadiriyin, le Tidjaniste, le fidèle non affilié et
le Ahmadiyin qui écoutaient tous en bons croyants la parole du Maghrébin.88
Le processus de contrôle des musulmans de Douala pendant la période coloniale fut
aussi rendu possible par la surveillance et la sélection des pèlerins.
B-3 Du contrôle et de l’impact du pèlerinage à Douala
Nous avons vu que des autorités musulmanes et quelques marabouts gagnés à la cause
française ont contribué plus ou moins à la définition et à l’application de la politique
musulmane de la France à Douala. Venons-en maintenant à l’enjeu politique du pèlerinage.
Quelle appréciation l’administration coloniale faisait-elle du Hajj à Douala ?
Bien que l’insuffisance des sources ne nous permette pas d’appréhender avec précision
cette question, on peut dire que pendant la période de l’administration française, le pèlerinage
ne semblait pas être un rite suffisamment développé au sein de la population musulmane du
Sud-Cameroun en général et de Douala en particulier pour faire l’objet d’une étude spécifique.
Les archives ne traitent pas suffisamment de cette question. Néanmoins, une synthèse des
84
Ibid. Voir aussi H. Adama, ‘‘Migration musulmane et enseignement arabo-islamique à Douala : 1963-1993’’,
Annales de la FALSH de l’Université de Ngaoundéré, Vol. II, 1997, p. 44.
85
M. Cardaire, Contribution à l’étude de l’islam noir, p. 92.
86
Ibid.
87
T.M. Bah, ‘‘Cheikhs et Marabouts maghrébins prédicateurs dans l’Adamaoua, XIXe-XXe siècles’’, p. 26.
88
M. Cardaire, Contribution à l’étude de l’islam noir, p. 103.
92
dossiers d’archives89 pour la période allant de 1949 à 1954 donne les chiffres suivants pour la
partie Sud du Cameroun en général90 :
Tableau no II: Récapitulatif des pèlerins du Sud-Cameroun de 1949 à 1954
Années
Nombre de pèlerins
1949
2
1950
2
1951
3
1952
2
1953
4
1954
6
Ces chiffres sont globaux et ne comportent pas de répartition par agglomération
urbaine. Ils auraient aussi pu être complétés si les données chiffrées étaient disponibles pour les
périodes du Mandat et de fin de Tutelle. Toutefois, ils indiquent le nombre de pèlerins officiels
dans le Sud-Cameroun par année et se situe dans le cadre d’une évaluation et d’une évolution
du pèlerinage officiel entre 1949 et 1954. On constate que le Sud est représenté bien que le taux
officiel de participation soit assez faible.91 Comment expliquer un tel phénomène ?
La faible représentativité du Sud peut s’expliquer par le fait que les musulmans de cette
partie du territoire (Bamum, Wouri, Nyong et Sanaga) étaient peu nombreux par rapport à ceux
du Nord et que la seule compagnie chargée de transporter les pèlerins était basée à Ngaoundéré
au Nord. Par contre leur fréquence peut s’expliquer par ‘‘la sollicitude de l’administration
coloniale française’’92. Ces chiffres sont cependant très insignifiants par rapport à l’ensemble
de la population musulmane du Sud : 6 000 à Douala en 194793 et 60 000 en pays Bamun en
195194, pour ne citer que ces deux localités du Sud-Cameroun.
89
Il existe un dossier important sur l’organisation officielle du pèlerinage à la Mecque aux ANY sous les
références ANY, APA 10991/A, pèlerins 1949 ; APA 111390 /A, pèlerinage à la Mecque 1950-1951 ; APA
10992/A, pèlerinage à la Mecque 1952-1953 ; APA 10992/B, pèlerinage à la Mecque 1954 ; 1AC 3392,
pèlerinage à la Mecque1941 ; APA 3979, correspondance du ministre des colonies au Gouverneur du Cameroun,
relative au pèlerinage à la Mecque, 1951 ; etc.
90
Sud-Cameroun : Bamum, Wouri, Nyong et Sanaga.
91
Pour la même période (1949-1954), le Nord (Adamaoua, Bénoué et Maroua) donne les chiffres suivants 19, 20,
21, 18, 57 et 45. cf. G.L. Taguem Fah, ‘‘Les élite musulmanes et la politique au Cameroun’’, p. 32.
92
Ibid.
93
ANY, APA10739, Wouri. Rapport annuel 1947.
94
ANY, Rapport Prestât, 1950.
93
A Douala, le premier pèlerinage officiel est effectué en 1949 par Youssouf Paraiso, à
qui l’administration coloniale avait confié l’organisation du Hajj. En 1951 et en 1952, les
archives mentionnent, sans d’amples renseignements les cas respectifs d’Ousman Zaranda et
de Hamed Bella. On peut toutefois se demander quel fut l’impact de cette politique au sein des
communautés musulmanes de Douala.
L’enthousiasme du chef Youssouf Paraiso était manifeste. Dans son ‘‘serment de
fidélité’’ à la France rédigé en 1949 à son retour du pèlerinage à la Mecque, le chef supérieur
musulman de Douala, Youssouf Paraiso vantait la ‘‘paix française’’, la ‘‘grandeur de la
France’’ et appelait les musulmans à se soumettre au pouvoir colonial.95 Il montrait par ailleurs
comment les pèlerins de l’empire français furent accompagnés par un officiel français du pays
de départ, à la Mecque et jusqu’au retour. Il les aidait par des prêts quand leurs ressources
étaient épuisées.96 Youssouf Paraiso mentionne que :
Les pèlerins de l’Empire français ont été fiers de ce qu’a fait la France au point de vue
hygiène pour ses pèlerins, une ambulance du Maroc, portant les marques tricolores et escortée
de médecins, Sages-femmes, pharmaciens, se rendit sans cesse dans tous les points où les
pèlerins français étaient susceptibles de se trouver.97
L’administration coloniale subventionnait le pèlerinage. Elle payait aussi les frais de
transport de certains pèlerins.98 C’est à ce titre que les frais de transport du chef Youssouf
Paraiso de Douala, ‘‘Délégué Officiel pour le Pèlerinage Centre Afrique’’ en 1949 étaient à la
charge du territoire.99 A son retour de la Mecque, Youssouf Paraiso, dans son rapport n’avait
pas tari d’éloges à l’endroit de l’administration coloniale française. Il relevait dans son rapport
les actes et autres gestes de sympathie manifestés par la France à l’égard des populations
musulmanes. Il remerciait aussi en sa qualité de ‘‘Délégué Officiel du Pèlerinage’’ et
représentant de la France à la Mecque, la France pour la confiance dont elle témoigne en toutes
circonstances envers les populations musulmanes camerounaises.100
Toutes ces innovations : transports savamment aménagés, docteurs, pharmaciens,
sages-femmes, voitures ambulances, sollicitude de la puissance protectrice en voyage comme
sur les Lieux Saints avaient profondément frappé l’esprit des pèlerins issus des colonies
françaises et militaient en faveur d’une administration coloniale soucieuse d’encourager l’islam
95
ANY, APA 10991/A, Pèlerinage, 1949.
Ibid.
97
Ibid.
98
ANY, APA 10992/B, Pèlerinage 1954. En 1954, l’Assemblée Territoriale du Cameroun (ATCAM) vota un
budget d’un million de francs comme subvention au pèlerinage.
99
Ibid.
100
ANY, APA 10991/A Pèlerinage 1949.
96
94
et de promouvoir la foi islamique. Toutefois, il semble qu’il y avait des buts inavoués et que
l’administration coloniale avait d’autres intérêts à préserver à travers ces gestes de charité et de
générosité à l’égard des pèlerins.
Quand on considère que l’administration coloniale française s’était opposée au départ
à la Mecque d’un Ahmadou Bamba101 au Sénégal et qu’au Cameroun elle se soit considéré
comme le mandataire du voyage de certains dignitaires religieux, on peut être d’accord avec G.
L. Taguem Fah lorsqu’il affirme que l’attitude de l’administration française n’était qu’une ruse
visant à préserver les pèlerins des ‘‘idées subversives’’ du monde arabe. Elle avait pour finalité
de rallier à la politique coloniale des hautes personnalités religieuses et à travers elles le
ralliement de toute la population musulmane dans un contexte où la vie politique commençait à
se libéraliser, préparant l’indépendance.102
Plusieurs éléments nous permettent de cautionner cette thèse. Car si Youssouf
Paraiso, chef supérieur musulman de Douala estime que l’accompagnement des pèlerins et leur
regroupement par race étaient des actes de sympathie de la France, il n’en demeure pas moins,
que cette politique visait à limiter les contacts entre les musulmans arabes plus radicaux,
orthodoxes et par conséquent susceptible d’être anti-français. La durée du séjour à la Mecque
était fixée à l’avance et des dispositions spéciales étaient prises pour qu’aucun pèlerin noir ne
s’entretienne longtemps avec un musulman arabe.
Il importe en tout cas de distinguer à ce niveau de l’analyse, la différence qu’il y avait
entre la sympathie véritable et les intérêts coloniaux que les Français voulaient préserver car au
retour de chaque pèlerinage, le ‘‘Délégué Officiel’’ qui avait bénéficié en outre de la gratuité
des frais de transport était tenu de rendre compte à sa population de la largesse, de la charité et
de la générosité de la France vis-à-vis des pèlerins. Ce compte rendu s’achevait généralement
par l’appel que lançait le Délégué à la population afin qu’elle aide la France à mieux
l’administrer et à mieux poursuivre son entreprise coloniale. Autrement dit, une petite phrase à
la fin du pèlerinage soulignait toujours leur reconnaissance des pouvoirs publics.
Tout compte fait, le pèlerinage à la Mecque fut, pendant la période coloniale, l’un des
problèmes qui figuraient en bonne place dans la hiérarchie des préoccupations politiques. Ce
fut un point sur lequel l’administration coloniale exerça une vigilance attentive. Nous avons
analysé plus haut les multiples craintes que suscitaient les contacts avec le monde arabe. Ces
101
Il existe de nombreux écrits sur Ahmadou Bamba. Voir notamment: J.-P. Mulago, ‘‘Les mourides d’Ahmadou
Bamba. Un cas de réception de l’islam en terre négro-africaine’’, Théologie et Philosophie, Laval, vol. 61, no 2,
2005, pp. 291-303 ; F. R. Allen et M. R. Nester, ‘‘L’aura d’Amadou Bamba. Photographie et fabulation dans le
Sénégal urbain’’, Anthropologie et Sociétés, vol. 22, no 1, 1998, pp.15-40 et O. Ba, Ahmadou Bamba face aux
autorités coloniales (1889-1927), Abbeville, France, 1982.
102
G.L. Taguem Fah, ‘‘Les élites musulmanes et la politique au Cameroun’’, pp. 29 et suivantes.
95
craintes justifient le fait que l’administration coloniale française se soit efforcée de contrôler et
surveiller rigoureusement le pèlerinage au point d’en faire une arme au service de sa politique
musulmane. A l’égard des pèlerins officiels, le gouvernement n’était pas avare en facilités.
Pour maintenir la collaboration, une grande possibilité était faite pour faire connaître ceux qui
œuvraient dans le sens des intérêts de la France. Au demeurant, le pèlerinage à la Mecque a, à
certains égards, servi les intérêts du colonisateur français. Initialement perçu comme un danger,
il a été transformé de plus en plus en un instrument dont pouvait se servir l’administration
coloniale pour réaliser sa politique de domination.
Au total, la collaboration – recherchée et appréciée – des communautés musulmanes à
la politique coloniale à travers le loyalisme de leur chef et les visites des marabouts était
indéniable. L’administration s’appuyait sur eux. Elle les ralliait et les utilisait avec succès
comme porte-parole auprès des populations afin de promouvoir ainsi un islam proche de ses
intérêts. Dans cette perspective, les visites des prédicateurs étrangers et le pèlerinage
apparaissaient comme des facteurs de ralliement à la politique française.
La politique missionnaire et du pèlerinage nous montrent aussi qu’une alliance de fait
s’était instaurée entre pouvoir colonial et autorités religieuses musulmanes à Douala. Celles-ci
constituaient des relais indispensables pour asseoir le pouvoir colonial français par les
‘‘indigènes’’. Au-delà de cette politique de contrôle, d’autres réactions/réponses se dessinaient,
face à la politique de cantonnement des musulmans.
C-Une identité musulmane en construction : la structuration d’une réponse face à la
gestion de l’altérité musulmane et les premières configurations cultuelles
Le regroupement des musulmans à New-Bell et la création d’une chefferie supérieure
avaient engendré deux types de problèmes : les problèmes domaniaux entre les musulmans et
les autochtones et les problèmes intracommunautaires de leadership.
C-1 Différend domanial entre autochtones dualas et musulmans (1947-1951)
La période de lotissement/déguerpissement avait donné naissance à une division de la
ville entretenue par deux régimes fonciers différents : la zone résidentielle où le contrôle de la
terre était entre les mains des colons et les nouvelles zones où il passa théoriquement entre les
mains des chefs coutumiers autochtones dualas et pratiquement entre les mains des particuliers
c’est-à- dire des nouveaux chefs nommés par l’administration coloniale. Cette rupture dans
96
l’histoire foncière de la ville de Douala commença dès 1927. A cette date, une réglementation
foncière vint déterminer les droits des zones européennes et indigènes.103 Cette réglementation
est complétée par les décrets de 1932 réglementant les conditions d’aliénation des terrains
domaniaux en distinguant les lots des quartiers susceptibles d’être vendus (quartiers
administratifs et résidentiels) des quartiers réservés exclusivement à l’habitation
‘‘indigènes’’.
104
des
Dans la partie de la ville lotie, c’est l’administration qui gérait l’attribution
officielle des parcelles au fur et à mesure des lotissements réalisés. Le lotissement put ainsi
jouer un rôle d’attraction ou de répulsion foncière selon les groupes et les périodes
envisagés.105 Après 1932, tout comme auparavant, quelques propriétaires fonciers s’y sont
soumis, mais la plupart d’entre eux ne s’en préoccupèrent point dans la mesure où cette
formalité n’était pas vitale. L’administration française manifestait peu d’intérêt pour les terres
des zones indigènes. En effet, les terrains des Africains continuaient à être les leurs, pour toute
sorte de besoins pratiques, le bail inclus.106 Ce n’est qu’en 1934 qu’un autre décret prévint
une immatriculation de toute propriété foncière selon les lois françaises. Seuls quelques Duala
l’appliquèrent dans les années qui suivirent.107
Ce nouveau régime foncier allait donner à la terre une valeur qu’elle n’avait pas avant,
surtout dans les parties de la ville allouées aux étrangers et aux allogènes. Peu de travaux
existent sur cette question pour la période coloniale.108 Deux documents d’archives permettent
cependant de cerner en partie quelques uns des problèmes qui se posaient entre les Duala
autochtones notamment les Bell et les étrangers musulmans. Ces sources permettent
d’entrevoir notamment le problème foncier qui apparaissait entre ces deux communautés à
l’échelle du quartier ou du voisinage. Dans la ville de Douala en effet, et précisément dans les
quartiers où les étrangers avaient été cantonnés, le contrôle de la terre était le plus souvent
passé aux mains du chef de quartier ou du village : il décidait de l’installation des gens de son
quartier ou dans sa chefferie. Ce contrôle fut de temps en temps remis en question par le clan
Bell à New-Bell qui estimait être propriétaire de cet espace de la ville que l’Allemagne leur
avait attribué en dédommagement de l’expropriation du plateau Jos.
103
Voir Journal Officiel du Cameroun (JOC), août 1927, p. 122.
Voir JOC, juillet 1932, p. 98.
105
Voir J. Derrick, ‘‘Elitisme colonial au Cameroun : le cas des Douala dans les années trente’’, p.189.
106
Ibid., p. 66.
107
ANY, APA 11757, Douala. Rapport annuel, 1934.
108
Cf. les travaux de G. Mainet et P. Haeringer, ‘‘Propriétés foncières et politiques urbaines à Douala’’, CEA, 13,
pp. 469-496 s’intéressent aux modalités d’accès au logement et à la propriété sous différents angles. Mais ces
travaux sont plutôt d’un intérêt considérable pour la connaissance de la ville de Douala pendant la période
contemporaine. Pour une approche historique de la question foncière dans les villes africaines, lire l’ouvrage d’O.
Goerg, Pouvoirs locaux et gestion foncière dans les villes d’Afrique de l’Ouest, Paris, Karthala, 2004.
104
97
La réclamation des droits fonciers à New-Bell par les Bell se manifestait par de
mouvements d’humeur permanents des chefs supérieurs autochtones à l’endroit de leurs
homologues étrangers et allogènes. En 1947 par exemple, profitant de l’absence du chef de
région qui se trouvait à Yaoundé, les chefs autochtones Akwa et Bell vinrent indiquer aux
populations du quartier Congo – majoritairement musulmanes - que les terrains sur lesquels
elles étaient établies leur appartenaient par droits coutumiers. Il fallut l’intervention de
l’autorité coloniale pour résoudre la crise ainsi ouverte. Dans son rapport annuel de 1947, le
chef de région relate ce fait de la manière suivante :
Le groupement des étrangers a été vivement ému par l’initiative prise, alors que j’étais à
l’ARCAM109 à Yaoundé, par des Douala des groupements de Bali et Akwa, consistant à
implanter des piquets au quartier Congo en vue de prendre possession du terrain. A mon retour,
j’ai donné l’ordre d’ôter immédiatement ces jalons et interdit formellement toute nouvelle
entreprise de ce genre.110
Il en fut de même en 1951, lorsque ces mêmes chefs autochtones entreprirent de
réclamer les redevances aux populations étrangères installées dans les criques du Wouri au
détriment de leur chef Paraiso. En effet, des pêcheurs en provenance de la zone anglaise
s’installaient dans ces criques et payaient des redevances au chef des étrangers. Les chefs
Douala ne s’accommodaient pas de cette situation et de temps en temps, ils poussaient leurs
populations à s’en prendre à ces étrangers. C’est ce qui ressort du rapport du chef de la région
Wouri en 1951 :
Périodiquement, un accès de mauvaise humeur des Douala jette un peu de troubles ; les
pêcheurs autochtones réclament, ce que les étrangers ne leur contestent pas, la propriété des
pêcheries et se considèrent, ce que les autres n’acceptent pas, comme fondés à réclamer des
redevances et à percevoir des dîmes. Tant que ces exigences restent modérées, tout va bien.111
La pression démographique et la croissance urbaine devaient ainsi transformer
rapidement le régime foncier. Désormais, la terre était appropriée et mise en valeur de manière
individuelle et entrait dans les patrimoines. Le différend domanial entre les musulmans et les
autochtones témoignait de cette transformation rapide et profonde. En effet, la dynamique de
la question foncière permettait de nouer des rapports marchands entre acheteurs et vendeurs de
terrains. Elle alimentait aussi la tension entre les partenaires. Rappelons la spécificité de ce
109
Assemblée Représentative du Cameroun.
ANY, APA 10739, Wouri, rapport annuel, 1947.
111
ANY, 1AC 224/D, Douala, rapports annuels, incidents divers, ravitaillement 1950-1953. Rapport annuel 1951,
pp. 27-28.
110
98
conflit dans la zone sans lotissement : l’administration coloniale avait exproprié sans
compensation les populations autochtones (les Bell) et contre leur volonté. Neu-Bell (devenu
New-Bell), le nom du quartier est d’ailleurs lié au clan Bell. Ce nom est composé de deux
termes séparés par une différence de nature : un mot allemand (neu : nouveau) et un mot duala
(Bell). Ce qui signifie nouveau Bell. Ce quartier supposé accueillir les ‘‘indigènes’’ déguerpis
était destiné à ce clan après leur expropriation du plateau Jos (Bonanjo) par les Allemands.
Cela dit, la terre était devenue essentiellement un bien marchand, voire une source
d’accumulation pour ses propriétaires coutumiers et aussi un bien d’investissement immobilier
ou économique pour les potentiels acquéreurs. L’enjeu économique de la question foncière
était donc de taille et c’est ce qui explique que la terre soit un facteur générateur de conflits
entre les anciens propriétaires coutumiers et les nouveaux propriétaires terriens.
C-2 Au sein de la communauté musulmane : la contestation de l’autorité du chef des
étrangers par Alcali Mohamed, chef des Foulbé (1951)
Malgré la grande complicité qui existait entre Youssouf Paraiso et l’administration
coloniale, le groupement des villages musulmans interférait quelque fois avec les logiques
individuelles ou ethniques, ce qui ne manquait pas de susciter des contestations. En effet,
mythes et réalités des origines pouvaient entretenir des distinctions entre Peul (Foulbé),
Haoussa et Yoruba, sans parler des hiérarchies de clans et des rivalités ethniques entre les
musulmans camerounais. Ce morcellement n’était cependant pas vécu avec suffisamment
d’intensité. L’unique cas de ‘‘rébellion’’ fut celui de l’Alcali Mohamed, chef des Foulbé. Ce
dernier voulait en effet se détacher de l’importante chefferie supérieure des étrangers au
Cameroun où trônait l’irremplaçable Youssouf Paraiso pour créer sa propre chefferie. Pour
atteindre son objectif, il s’opposa ouvertement au chef supérieur afin de convaincre l’autorité
coloniale de la justesse de ses revendications. C’est ce qui ressort de ce rapport que fait le chef
de région du Wouri en 1951 :
Il (Paraiso) est aux prises, dans une querelle congénitale avec Alcali, chef des Foulbé, vieux
renard, retors, épaulé par l’imam foulbé qui voudrait voir ériger en groupement autonome ‘‘les
populations foulbées’’ de Douala qui atteignent péniblement femmes et enfants compris 300
personnes.112
La lecture du même rapport permet de savoir que la demande d’Alcali Mohamed
n’a pas été satisfaite. En effet, compte tenu des complicités et des rapports privilégiés qui
112
Ibid.
99
existaient entre Youssouf Paraiso chef supérieur et l’autorité coloniale, la réponse de cette
dernière fut un non catégorique aux prétentions de cet ‘‘ambitieux’’113 et un renouvellement de
sa confiance au chef en place. Ce faisant, les Français soutenaient à tout prix l’autorité du chef
Paraiso contre les contestations de ses sujets ou de celles de leurs subordonnées.
La nouvelle législation foncière au plan local à travers les textes précités dans le cadre
des plans d’aménagement urbain et l’insubordination du chef des Foulbé donnaient ainsi une
autre originalité aux relations entre musulmans, autochtones et autorité coloniale française.
Qu’en était-il des premières organisations cultuelles?
C-3 Les premières configurations cultuelles
Du retour de la Mecque, le chef supérieur des étrangers allait trouver un compromis
et s’atteler à organiser le mécanisme scolaire qui est partout lié à la présence des communautés
musulmanes : l’école coranique ; ce qui devait permettre à la communauté dans son ensemble
d’ouvrir les premières écoles coraniques traditionnelles pour véhiculer les valeurs qu’elle
souhaitait transmettre de génération en génération. Aussi, l’ouverture et l’évolution des écoles
coraniques à Douala étaient tributaires d’une double migration à la fois nationale et régionale
des musulmans. A cet égard, les Haoussa et surtout les Yoruba jouèrent un rôle important dans
la mise en place de cette éducation. Les premières écoles coraniques étaient tout naturellement
localisées dans la zone marquée par l’influence musulmane à savoir New-Bell. Ici, les écoles
coraniques qu’elle abritait formaient une des singularités des communautés islamisées qui les
différenciaient grandement de l’environnement chrétien prédominant depuis les premières
heures de la colonisation.114 Ces écoles coraniques, qui véhiculaient les valeurs des différentes
communautés s’ouvrent au cours de la décennie 1950.115 Elles étaient basées sur le Coran et
113
Ibid.
L’œuvre missionnaire chrétienne fait son entrée sur le sol camerounais par la côte quand le métis Jamaïcain
Joseph Merrick fonde la mission protestante de Douala, en 1813 avant de s’en aller créer celle de Bimbia, l’année
suivante. Son œuvre est cependant moins connue que celle d’Alfred Saker qui arriva à Douala en 1845 où il fonda
une mission, celle de Béthel, ouvrit le premier hôpital, la première école, traduisit la Bible en langue duala ; en
1858, il fonda Victoria qui devint Limbé. Cf. E. Mveng, Histoire du Cameroun, Paris, présence africaine, 1963, p.
168 ou V.- J. Ngo, Cameroun 1884-1985, cent ans d’histoire, Yaoundé, Ceper, 1990.
115
Pour les détails sur l’école coranique au Cameroun, voir H. Adama, ‘‘Naissance et évolution de l’enseignement
franco-arabe au Cameroun’’, Thèse de Doctorat en Histoire, Université de Bordeaux III, octobre 1993 et pour les
raisons de l’ouverture tardive des écoles coraniques à Douala, voir H. Adama, ‘‘Migration musulmane et
enseignement arabo-islamique à Douala : 1963-1993’’, Annales de la FALSH de l’Université de Ngaoundéré,
Vol. II, 1997, p. 42. En outre, avant l’ouverture des écoles coraniques, l’enseignement avait lieu dans des
domiciles. En effet, à Douala, on pouvait voir ‘‘sur le seuil d’une case quelconque une bande de garçonnets de 8 à
14 ans, rassemblés autour d’un vieillard et qui griffonnaient sur une ardoise des caractères arabes. Tout ce petit
monde épelait à haute voix et chantait les versets du Coran à la façon de nos enfants d’Europe lorsqu’ils chantent
leur table de multiplication’’. Cf. M. Cardaire, Contribution à l’étude de l’islam noir, p. 90.
114
100
fonctionnaient en marge de l’enseignement officiel. A cette époque, elles étaient marginalisées,
sans doute à cause de leur opposition à l’école d’essence judéo-chrétienne. La première fut
ouverte au domicile d’El-Hadj Youssouf Paraiso sis au quartier New-Bell/Congo. Son initiateur
était Hassan Afolabi de l’ethnie yoruba par ailleurs premier imam de la mosquée centrale de
Douala. Son choix était dicté par sa maîtrise de la langue arabe et du dogme musulman.116 A
partir de 1953, il existait plusieurs écoles coraniques traditionnelles à Douala.117
Selon toute vraisemblance, il était difficile à l’origine, de trouver sur place à Douala
des marabouts118 vraiment compétents pour exercer l’enseignement coranique. Deux
hypothèses sont souvent émises sur les foyers de formation des maîtres coraniques en exercice
dans les écoles de Douala au cours des années 1950. Selon El-Hadji Hamidou Paraiso, les
maîtres coraniques en exercice dans les écoles coraniques nouvellement créées seraient
originaires du Nord-Cameroun.119
Se fondant sur les noms patronymiques portés par les instructeurs haoussas de cette
époque, H. Adama pense que la région susmentionnée (Nord-Cameroun) n’a pas connu, à
proprement parler, une migration des prédicateurs en direction du Littoral camerounais pendant
la décennie 1950. Pour lui en effet, les maîtres dont il est question seraient tout simplement des
commerçants itinérants qui traversaient l’Adamawa pour rejoindre Douala, principal pôle
économique d’attraction.120
De ce point de vue, les Haoussa seraient les principaux formateurs. C’est eux qui
initient, encadrent et plus généralement s’occupent de la formation religieuse de la
communauté. Ce rôle leur est confié par El Hadj Youssouf Paraiso, dès son retour du
pèlerinage à la Mecque en 1949, pour la simple raison que dans cette communauté originaire
du bassin tchadien, l’enseignement de l’arabe bénéficie d’un préjugé favorable. En effet, le
Nord-Cameroun est, à cette époque, en relation avec Kano, Yola, Sokoto et autres villes
islamiques situées tout près, au Nord-Nigeria, le lieu privilégié de la connaissance, le modèle
par excellence de la transmission organisée et structurée du savoir.
Un groupe de lettrés choisis au sein de cette ethnie et assimilés notamment Kanuri et
Kotoko surgit ainsi progressivement sur la côte et se spécialise dans la reproduction du savoir,
116
H. Adama, ‘‘Migration musulmane et enseignement arabo-islamique à Douala : 1963-1993’’, pp.42- 45
Voir ANY, 2AC224/C Douala. Rapports annuels 1950-1953.
118
Voir glossaire.
119
Propos d’El-Hadji Hamidou Paraiso (fils de Youssouf Paraiso), recueillis le 8 Février 1997 à Douala par H.
Adama. Cf. ‘‘Migration musulmane et enseignement arabo-islamique à Douala : 1963-1993’’, note 12, p.52.
120
Ibid., p. 44. Comme nous avons vu dans le premier chapitre, l’administration allemande facilitait leur
installation dans l’objectif d’affaiblir les relations anciennes et privilégiées que ces derniers entretenaient avec les
représentants des firmes anglaises de l’Afrique de l’Ouest.
117
101
structure de façon mieux organisée la diffusion et l’enseignement de l’islam. La classe cléricale
se forme donc par des voyages d’études dont les éléments cherchent un enrichissement de leurs
sciences au Nord-Cameroun et dans les hauts lieux du savoir islamique que sont Kano et Zaria
au Nord du Nigeria ; ce qui pourrait signifier l’existence d’un faible pourcentage de musulmans
lettrés à Douala au début du XXe siècle.121
Cependant, leur niveau de connaissance de la langue arabe était en général insuffisant.
En effet, si l’arabe n’a jamais constitué un médium d’usage courant, elle a toujours gardé, par
contre, sa place en tant que langue de culture. L’enseignement coranique se faisait par
conséquent en langue vernaculaire c’est-à-dire en Haoussa, en Fulfulde (langue des Peul), en
Bamun et surtout en Pidgin English. Cette dernière langue était et est encore considérée
comme une langue supra ethnique dans la partie méridionale du Cameroun. Elle est la lingua
franca dans le domaine des relations interethniques. C’est la langue du commerce, celle des
voyageurs qui s’aventuraient au-delà de leur horizon clanique. Elle concurrençait valablement
le français, langue officielle du Cameroun sous l’administration française. Le recours à ces
langues (haoussa, fulfulde, bamun et pidgin english) pour expliquer le contenu des Hadiths et
du Coran était d’autant plus louable mais contestable que cela encourageait la création des
écoles coraniques sur des bases ethniques.
Ces écoles empruntaient un modèle pédagogique semblable à bien des égards à celui
qui était utilisé par des écoles de la savane camerounaise. Ce modèle d’enseignement se décline
dans les travaux de H. Adama122 et de E. Iya123 qui, comparativement à ceux de R. Santerre et
S. Genest124 ont le mérite d’apporter un nouveau regard initié de l’intérieur. Il se résumait à la
121
H. Adama explique le manque d’empressement de la part de la communauté Yoruba (principaux pionniers dans
l’éducation) par leur double appartenance religieuse, traditionnelle et islamique malgré l’éloignement de leur
terroir. Cf. ‘‘Migration musulmane et enseignement arabo-islamique à Douala : 1963-1993’’, Annales de la
FALSH de l’Université de Ngaoundéré, Vol. II, 1997, p. 42.
122
H. Adama, ‘‘ L’enseignement privé islamique dans le Nord-Cameroun’’, Islam et Sociétés au Sud du Sahara,
Revue de la Maison des Sciences de l’Homme, Paris, n° 13, 1999, pp. 7- 40 ; H. Adama et A. Moddibo Ahmadou,
‘‘ Itinéraire d’acquisition du savoir arabo-islamique dans le Nord-Cameroun’’, Annales de la FALSH de
l’Université de Ngaoundéré, vol III, 1998, pp. 7-38.
123
E. Iya, ‘‘L école franco-arabe : facteur d’adaptation des valeurs socioculturelles des populations islamisées du
Cameroun septentrional’’, Mémoire de Maitrise ès arts (M.A), Ecole de Gradués, Université Laval, 1993 et ‘‘La
possibilité de l’insertion des valeurs positives de la pédagogie coranique dans la réforme du système
d’enseignement au Cameroun’’, Yaoundé, Centre National d’Education, Série I, no 16, 1980.
124
R. Santerre, Pédagogie musulmane d’Afrique noire : l’école coranique peule du Cameroun, Montréal, Presses
de l’Université de Montréal, 1973 ; R. Santerre et S. Genest, ‘‘L’école franco-arabe au Nord-Cameroun’’, Revue
Canadienne des Etudes Africaines, vol. VIII, n°3, 1974, pp. 589-605; R Santerre et C. Mercier Tremblay (éds.), La
quête du savoir : Essais pour une anthropologie de l’éducation camerounaise, Montréal, Presses de l’Université
de Montréal, 1982.
102
création au sein de l’école coranique traditionnelle de deux niveaux d’enseignement à savoir
l’élémentaire et le complémentaire125.
Le niveau élémentaire donnait une éducation basée essentiellement sur une
connaissance basique du Coran, sur son écriture, sur l’arabe, sur le respect du maître et des
proches. Voici ce qu’en dit R. Santerre :
C’est le manuel de base. Tous les autres ouvrages s’appuient sur lui ou n’en constituent que
des commentaires. C’est la source d’inspiration, la référence continuelle126… C’est le livre
qui informe toutes les autres matières127.
En effet, au niveau élémentaire, le maître de l’école enseignait les 28 lettres de
l’alphabet aux enfants, puis il leur montrait l’utilisation de la plume et de l’encre pour écrire
sur la planchette. Il entamait en fin de compte, la mémorisation de quelques versets du Coran.
En somme, le niveau élémentaire était entièrement consacré à la lecture et à l’écriture et/ou
copie du Coran, sans effort de compréhension aucune, si ce n’était pour apprendre la première
et les toutes dernières sourates qui sont brèves et fréquemment utilisées dans la prière. C’était
le seul acquis définitif de l’enseignement élémentaire, puisqu’il n’y avait à ce niveau ni
explication ni traduction ni commentaire d’aucune sorte sur le texte coranique recopié
mécaniquement par l’élève.128
L’enseignement complémentaire qui voit le jour bien après les écoles islamiques de
base consistait selon Malam Koni, dans la plupart des cas, à l’apprentissage de la traduction
orale des ouvrages par l’élève qui a achevé la formation de base. Sur le plan pédagogique, le
niveau complémentaire était caractérisé par la presque absence de cours ‘‘magistral’’. Le
maître distribuait des traductions et commentaires à chacun de ses élèves.129
L’initiative appartenait non au maître mais aux élèves qui intervenaient à tour de rôle.
Les élèves prononçaient d’abord en arabe le début d’une phrase d’un feuillet qu’ils tiennent en
main. Ensuite, le maître continuait, récitant de mémoire la suite et ajoutant éventuellement ses
commentaires. Enfin, les élèves le relançaient par le début d’une autre phrase si le maître
125
Cette classification se retrouve dans tous les groupes islamisés du Cameroun. Cependant, certains
administrateurs coloniaux tels que J.-C. Froelich (1954), Prestat (1953), P.F. Lacroix (1953) et Beyries (1947) leur
attribuent les épithètes de primaire et supérieur.
126
R. Santerre, Pédagogie musulmane d’Afrique noire, p. 29.
127
Ibid., p.123.
128
Synthèse de nos entretiens avec Malam Koni, enseignant dans des écoles coraniques de New-Bell entre 1955
et 1967, les 11et 12 avril 2004 à Douala, New-Bell/Congo. Il affirme avoir été enseignant dans les écoles
coraniques de New-Bell entre 1955 et 1967.
129
Ibid.
103
venait à s’arrêter. On peut donc dire qu’il s’agissait d’un dialogue sur le mode récitatif ; et,
quand le maître estimait la leçon suffisamment longue pour le travail d’une séance, il
arrêtait.130
Au niveau complémentaire, les élèves exerçaient ainsi leur mémoire en mémorisant
des textes tout en se souvenant de la traduction et des commentaires donnés par le Malam. Il
s’agissait de passer de la phase de la lecture du Coran à la traduction et à l’interprétation des
textes sacrés. En effet, le programme de ce deuxième niveau consistait à étudier des disciplines
variées telles que la langue arabe, la jurisprudence, les Hadith, l’explication et le commentaire
du Coran.131 Certains se spécialisaient plus tard dans l’étude des traditions prophétiques
(Hadith) et des livres de droit (fiqh) ou l’exégèse et commentaire coranique (tafsir).132 Telles
étaient les options que les élèves du niveau complémentaire prenaient. Certes, quelques uns
choisissaient la mémorisation totale du texte sacré. Dans ce cas, ils devenaient des Hafiz133.
Dans ces conditions, il était compréhensible que les élèves moins doués passent des
mois, parfois des années à l’étude d’un seul ouvrage. Il n’existait pas de classe puisqu’il n’y a
pas de programme annuel précis. Chaque maître commençait par le livre qu’il voulait, pour
poursuivre comme il l’entendait.134 Les premières tentatives de contrôle administratif et de
modernisation des écoles islamiques à Douala s’amorceront en 1963, au lendemain de
l’indépendance. Le nouveau contexte nécessitait des accommodations pour conférer à
l’enseignement coranique une signification et une nature nouvelle. Une fois l’organisation de la
transmission du savoir amorcée, le chef des étrangers s’attela par la suite à l’organisation du
culte au sein de la communauté musulmane.
De la gestion du culte à Douala pendant la période coloniale
A l’origine, les musulmans n’entretenaient que des relations commerciales avec les
autochtones. Ils ne tenaient nullement à tomber sous la coupe des chefs dualas. Des coins des
maisons leur étaient loués pour les besoins du culte. Et, au fil du temps, ils devenaient
indispensables par leur argent, leur négoce, leur achat et leur échange. Leur nombre
augmentait, puis, une case plus haute et plus vaste que les autres était érigée, la Mosquée.135
Entre 1937 et 1939, les musulmans regroupés en communauté priaient, chacune dans sa propre
130
Voir E Iya, ‘‘La possibilité de l’insertion des valeurs positives de la pédagogie coranique dans la reforme du
système d’enseignement au Cameroun’’, p. 21.
131
Malam Koni, entretien du 12 avril 2004 à Douala, New-Bell/Congo.
132
Ibid.
133
Selon Malam Koni, cette catégorie était très rare au sortir des écoles coraniques de Douala à leurs débuts.
134
Voici quelques ouvrages qui étaient utilisés à l’école coranique de Douala : Al Muhtasar de Halîl Ibn IshâqalGundî ; La Risâla de Ibn Abi Zayd Qayrawani ; Lâmiya al-af’ âl d’Ibn Mâlik et diverses études des Hadiths et du
Coran. Liste fournie par Malam Koni lors de nos entretiens des 7 et 6 avril 2004.
135
M. Cardaire, Contribution à l’étude de l’islam noir, p. 90.
104
mosquée, de taille modeste, faite en matériaux provisoires : mosquée haoussa, mosquée yoruba,
mosquée sénégalaise, mosquée foulbée, mosquée bamun, etc.136 La première mosquée
transcommunautaire de Douala est construite à coté du marché Lagos en 1955, grâce à un
financement de l’administration coloniale française.137 Cette mosquée est construite selon le
plan gothique (voir photographie no 1). Née en France et en Angleterre au début du XIIe siècle,
l’architecture gothique s’impose dans presque toute l’Europe jusqu’au XVIe siècle. Son essor
est dû à l’emploi, pour les voûtes des édifices religieux, de la croisée d’ogives. Le style
gothique se caractérise aussi par l’emploi de l’arc brisé, la hauteur des supports, l’importance
des ouvertures, garnies de vitraux. Le style architectural de la mosquée principale de la ville de
Douala, avec ses colonnades, ses arcades, ses nombreuses ouvertures, et ses chapiteaux,
rappelle l’empreinte gothique. Cette mosquée, construite sur un terrain cédé par la communauté
Yoruba, rappelle, à bien des égards le style architectural gothique, caractéristique des
monuments publics en pays yoruba, un legs d’une ancienne présence européenne dans la baie
de Lagos.138
Comme l’école coranique, l’organisation de cette mosquée fut confiée au chef supérieur
Youssouf Paraiso. Au sein de la communauté musulmane, ce dernier désigna un autre
dignitaire, Hassan Afolabi de l’ethnie yoruba et premier imam de la mosquée centrale de
Douala sise au marché Lagos pour l’organisation des prières. Des principales composantes
ethniques représentatives de la majorité des musulmans à Douala, les Peul dirigeaient, selon
son plan de répartition, la prière hebdomadaire du vendredi à la grande mosquée centrale. Les
Yoruba dirigeaient les prières journalières à la même mosquée.139
L’unanimité s’était faite autour de Hassan Afolabi parce qu’il entretenait des relations
très personnelles avec le chef supérieur des étrangers au Cameroun, Youssouf Paraiso. A ce
titre, l’imam Ibrahim de l’ethnie peule a dirigé les prières hebdomadaires à partir de
1955140. Quant à l’organisation et la direction des prières journalières, elles étaient marquées
par des personnalités de la communauté yoruba telles que Moussa Guiwa Salvador, Aladji
Ibrahim, Anjona, Aladji et Yakini Awaïso.141 Selon H. Adama, cette répartition ethnique
photographie, mosquée centrale de Douala des fonctions religieuses au sein de la communauté
des musulmans de Douala était dans l’ensemble respectée par tous les croyants.142
136
ANY, APA 10.005/D, Douala, rapports annuels, 1937-1939, pp.14-15.
Cette autorisation avait été accordée en même temps que plusieurs autres dans le territoire, Voir ANY, AP 2AC
1439, Affaires musulmanes, 1951-1955, pp. 21-24.
138
H. Adama, L’islam au Cameroun, p.73.
139
H. Adama, ‘‘Migration musulmane et enseignement arabo-islamique à Douala : 1963-1993’’, p. 47.
140
Il est resté à ce poste d’imam du vendredi de 1955 à 1967.
141
Nous empruntons cette liste à H. Adama. Voir ‘‘Migration musulmane et enseignement arabo-islamique à
Douala : 1963-1993’’, p. 47.
142
Ibid.
137
105
106
L’amélioration des pratiques cultuelles, notamment l’enseignement et les prières
communautaires, sont la conséquence de l’enrichissement humain des colonies musulmanes et
du voyage à la Mecque du chef supérieur Youssouf Paraiso. Ce dernier, revenu surpris de ce
qu’il y a vu et chargé d’une gloire nouvelle, il ne tarde pas alors à appeler auprès de lui de
pieux hommes pour former la première école coranique transcommunautaire et à organiser le
culte. La part du snobisme dans le comportement de Youssouf Paraiso est certainement
importante à l’origine, mais le résultat n’en est pas moins important pour autant et la
connaissance des textes pouvait s’améliorer.
A l’évidence, on pouvait voir dans la politique de regroupement ou de lotissement des
musulmans à New-Bell un instrument de contrôle social et fiscal des commerçants et des
musulmans de Douala. Cette séparation résidentielle des populations en fonction de leur ethnie,
de leur profession et leur religion fut proposée par Lord Lugard à Kano (Nigeria du Nord) dans
les années 1910. Son objectif était de préserver l’autorité des Native Authority (Chefferies
indigènes) des communautés étrangères et des chrétiens du Sud supposés plus ‘‘évolués’’. A
Douala, ces logiques coloniales d’aménagement de l’espace devaient plutôt permettre de mener
une politique indigène à plusieurs vitesses : dilution de l’autorité des chefs autochtones,
contrôle géographique, social et administratif des populations ‘‘flottantes’’143 et surtout la
collaboration avec un chef africain pour les migrants. Cette politique d’égards envers les
communautés musulmanes de Douala s’est accompagnée tout au long de la présence française
d’une surveillance du culte musulman, surveillance d’ordre politique et d’ordre religieux.
Les témoignages de loyalisme du chef musulman de Douala n’ont jamais fait défaut.
Des raisons objectives expliquent cette attitude : les autorités administratives soutiennent le
chef, donnent des signes d’ouverture (participation au hajj, financement de la construction de la
mosquée, etc.) et ceci représente une aubaine pour la communauté musulmane. Ces raisons ne
suffisent toutefois pas à expliquer complètement cette attitude. Les renseignements sur
l’identité de Youssouf Paraiso, au statut privilégié, permettent de comprendre pourquoi il a
toujours fait confiance à l’ordre établi, auquel il est intimement lié.
Ceci étant dit, par la voix de cette personnalité, la communauté musulmane est
partenaire privilégié des autorités coloniales. A travers Youssouf Paraiso, la communauté se
rapproche de la France ; il guide la communauté vers les options françaises.
143
ANY, 2AC 224/C Douala. Rapports annuels 1950-1953, p. 10.
107
Une certaine audace est néanmoins identifiable dans la construction de la mosquée et la
mise en place de l’école coranique traditionnelle. Ces actions dérangent l’administration
d’autant plus que Youssouf Paraiso demeure loyaliste et choisit d’axer les activités de la
communauté sur le religieux et sur les us et coutumes des musulmans. Ces choix expliquent
pourquoi nous n’assistons pas à l’émergence d’une véritable personnalité contestataire. La
communauté est plutôt guidée sur les voies du colonisateur.
Enfin, à travers les informations sur le parcours de Youssouf Paraiso, il apparaît que la
communauté ne s’exclut pas du contexte politique local et qu’à travers des revendications
religieuses, c’est aussi bien la structuration d’une vie religieuse que politique qui est en marche.
L’accession à l’indépendance va-t-elle prolonger ce timide réveil ?
108
DEUXIEME PARTIE
LA COMMUNAUTE MUSULMANE DE DOUALA ET LE POUVOIR
NATIONAL/CAMEROUNAIS ENTRE 1960 ET LA FIN DES ANNEES 1980 : CONTINUITE ET
CHANGEMENT
Avec la proclamation de l’indépendance, les différentes actions des dirigeants
de la communauté musulmane de Douala confirment l’idée qu’ils suivent la même
logique que pendant la période coloniale, c’est-à-dire la collaboration et le loyalisme avec
l’autorité politico-administrative locale, sans créer d’incidents susceptibles de raviver des
images d’un passé peu défendable lorsqu’il se réduit à la compromission avec le colon.
C’est dans ce contexte politique nouveau que les communautés musulmanes de Douala
sont amenées à se situer et à agir. Les décennies 1960 et 1970 représentent moins une
rupture que le prolongement des pratiques antérieures. La dynamique collective de ces
communautés est consolidée par la défense de leurs intérêts et le sentiment
d’appartenance à la même religion. On note en général une certaine homogénéité ethnoreligieuse et une forme de communautarisme.
Cette seconde partie s’interroge davantage sur l’héritage de l’administration
coloniale par l’administration post-coloniale. Elle sera par conséquent plus attentive aux
nouveaux appuis implicites et aux soins accordés par les autorités politico-administratives
post-coloniales aux musulmans de Douala pour l’amélioration des aspects extérieurs de
l’islam tels la mise en place de l’école franco-arabe et surtout ce que représentait cette
nouvelle forme d’éducation à ces débuts et à la fin des années 1980 au sein de la
communauté musulmane de Douala ; le nouvel essor pris par la pratique du hajj; la
création de nouvelles chefferies musulmanes et la multiplication des lieux de culte. Mais
une exception s’impose : à la fin des années 1970 et surtout pendant les années 1980,
différents enjeux devaient révéler l’importance d’une nouvelle génération de musulman
109
qualifiée de ‘‘réformiste’’1. Certains voulaient comprendre leur religion, d’autres avaient
obtenu de bourses pour poursuivre des études à l’étranger, quelques-uns voulaient le
renforcement de l’enseignement afin que l’arabe prenne une place importante. Les
aspirations de cette nouvelle génération entrainent une première division de la
communauté. Cette première cassure de la communauté n’était cependant pas encore
vécue avec beaucoup d’intensité. Autrement dit la tension n’est pas encore importante.
Mais, malgré les garde-fous que l’Etat a dressés l’Etat, où pressions et intimidations se
mêlent et le souci des chefs traditionnels de défendre un islam conservateur, des signes
dans la communauté musulmane doualaise montrent qu’une petite fraction aspire à
l’autonomie et à l’assouplissement de l’Etat.
1
Certains auteurs parlent de ‘‘nouveaux Ulémas’’. Cf. C. Coulon, ‘‘Les nouveaux Ulamas et la résurgence
islamique au Nord Nigeria’’, Islam et Sociétés au Sud du Sahara, no 1, 1987, pp. 27-48 et O. Kane,
‘‘Réforme musulmane au Nigeria du Nord’’, in J.L. Triaud et O. Kane (s.d.), Islam et islamisme au Sud du
Sahara, Paris, Ireman-Karthala-MSH, 1998, pp.117-135 et ‘‘zala : the rise of Muslim reformism in
Nigeria’’, in M. Marty and Scott Appeby (eds.), Accounting for fundamentalism : the dynamic character of
movements, Chicago, the University of Chicago Press, 1994, pp. 490-512.
110
TROISIEME CHAPITRE
LA COMMUNAUTE MUSULMANE DE DOUALA ET L’ETAT
:
DE 1960 A LA FIN DES ANNEES 1970
Dans le contexte de l’accession à l’indépendance, la religion musulmane s’était
imposée petit à petit à Douala tout en se transformant et se diversifiant du point de vue
interne et externe. Dans ce chapitre, il s’agit d’appréhender dans un premier temps et au plan
interne la participation politique de la communauté musulmane à Douala et la nécessaire
adaptation de l’école coranique et son orientation au niveau de l’acquisition des
connaissances islamiques pour cadrer avec les besoins essentiels de la communauté
musulmane de Douala. En effet, face à l’expansion fulgurante de l’école de type occidental,
l’expérience des premières formes d’éducation islamique traditionnelle commencée sous
l’administration française était menacée de sombrer dans l’insignifiance. Elle fut par
conséquent obligée de chercher un mode d’adaptation à la situation en rapide évolution. Pour
cela, la communauté créa, à côté des multiples écoles coraniques traditionnelles, une nouvelle
structure dite ‘‘école franco-arabe’’ dont l’organisation et la gestion furent confiées à
l’Association Culturelle Islamique du Cameroun (ACIC)1. Il s’agit concrètement d’étudier
dans la première partie de ce chapitre l’implication des populations musulmanes de Douala
dans le processus politique au lendemain de l’indépendance et cette nouvelle forme
d’éducation confessionnelle privée islamique à Douala : finalité et philosophie éducatives de
l’ordre confessionnel islamique, formation des formateurs, scolarisation des fidèles,
financement, place de la religion dans la formation et sa capacité à surpasser le système de
l’école coranique traditionnelle.
Dans un deuxième mouvement, il est question d’analyser au plan externe,
l’évolution du Hajj qui a pris une certaine ampleur à Douala dès les années 1972, sous
1
Créée en 1963, l’ACIC est reconnue et enregistrée sous la loi no 67/LF/19 du 12/06/1967. Sur son statut, son
rôle et sa gestion des écoles franco-arabes, voir H. Adama, ‘‘Naissance et évolution de l’enseignement francoarabe au Cameroun’’, Thèse de Doctorat Nouveau Régime, Université de Bordeaux III, octobre 1993.
111
l’impulsion de l’Etat, du dynamisme interne de la communauté et de la conjugaison de
plusieurs autres facteurs exogènes.
A-Participation des populations musulmanes de Douala dans le processus politique local
au lendemain de l’indépendance et début de la scolarisation franco-arabe à Douala
A-1 La participation politique
Par participation politique des communautés musulmanes à Douala, nous voulons
essentiellement savoir quel est le degré d’implication des populations musulmanes de Douala
dans le processus politique local au lendemain de l’indépendance. Cette approche met
l’accent sur la notion d’influence et insiste aussi sur la gestion de la chose publique locale.
Le premier septembre 19662, le multipartisme disparaît au Cameroun avec la création
d’un parti unifié à savoir l’Union Nationale Camerounaise (UNC) dont le dirigeant est le
président Ahmadou Ahidjo. Après le remplacement du président Ahidjo par son dauphin
constitutionnel en 1982 et au cours du dernier congrès de l’UNC tenu à Bamenda en 1985,
l’UNC est transformée en Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC).
Depuis lors, le RDPC était resté le seul cadre d’expression politique au Cameroun jusqu’en
1990.
A Douala, ce monolithisme politique instauré à l’aube du Cameroun post-colonial
élimine ou du moins atténue les turbulences politiques.3 Un musulman, en l’occurrence
Tanko Hassan est choisi pour diriger l’UNC. Originaire de Ngaoundéré dans la région de
l’Adamaoua, Tanko Hassan, qui est aussi un proche du président Ahmadou Ahidjo, est un
homme d’affaire prospère. Il est demeuré de 1966 à 1984, l’inamovible président de la
section UNC du Wouri. Grand opérateur économique, Tanko Hassan est ‘‘associé au projet
de société du pouvoir politique’’4 à travers le montage de centaines entreprises para-étatiques.
Il est en effet inséré dans les noyaux durs d’actionnaires de certaines ‘‘joint ventures’’
comme la Société Camerounaise de Sacherie (SCS) ou la Société des Tanneries et de
Peausseries du Cameroun (STPC).5 A la suite des difficultés liées à la passation de pouvoir
entre le président Paul Biya et son prédécesseur Ahmadou Ahidjo qui aboutissent au coup
2
Après des débuts pluralistes au lendemain de l’indépendance, le régime du président Ahmadou Ahidjo se durcit
à la suite des mouvements insurrectionnels qui agitent le Cameroun (pays bassa et bamiléké) dans les années qui
suivent. En septembre 1966, un régime de parti unique est instauré.
3
Pour les tensions et les émeutes sanglantes qui balayent Douala et ses environs à la veille de l’indépendance,
lire à toutes fins utiles J. Joseph, Le mouvement nationaliste au Cameroun. Les origines sociales de l’UPC
(traduit de l’anglais par D. Michel-Chich), Paris, Karthala, 1986, pp. 279-280.
4
E. M. Owona Nguini, ‘‘L’Etat et les milieux d’affaires au Cameroun : autoritarisme, ajustement au marché et
démocratie (1986-1996)’’, CEAN-IEP de Bordeaux et GRAP, 2000.
5
Ibid.
112
d’Etat manqué du 6 avril 19846, le président Tanko Hassan est arrêté et détenu pendant près
de sept ans.7 Il devient donc indisponible. Le premier Vice-Président de la section est Levis
Koloko, homme d’affaires bamiléké, originaire de Babouantou, dans le département du Haut
- Nkam. Il est installé dans la ville de Douala depuis les années 1940. Il y a fait souche.8 Il
assure la présidence de la section, puisque de nouvelles élections ne sont pas organisées afin
de pourvoir le poste vacant. Le statuquo perdure dans la ‘‘section pilote’’ de Douala
jusqu’au prochain renouvellement organisé du 12 janvier au 10 mars 1986.9 Un compromis
est trouvé au cours de ces opérations : chaque groupe ethnique est associé à la gestion. La
présidence de la section du RDPC revient à un Duala, celle de l’Organisation des Femmes du
RDPC à une Bamiléké, et celle de l’Organisation des Jeunes du RDPC à un Beti. Ainsi, JeanJacques Ekindi, Françoise Foning et Marius Onana sont élus et reconduits dans leurs
fonctions respectives en 1990.10
Cela dit, le contexte monolithique peut-être un prélude à l’importance du facteur
ethno-religieux dans l’explication du leadership de Tanko Hassan à la tête de la plus grande
section (pilote) de l’UNC. Cependant, durant cette période de parti unique, les Duala ont le
monopole presque exclusif des postes stratégiques ou électifs tant pour les municipales que
pour les députations.11 C’est ainsi que pour leur participation au conseil municipal, les
communautés musulmanes n’ont qu’un seul conseiller en 1962, 3 en 1967, 5 en 1977, encore
5 en 1982 et 13 en 1987.12 En terme absolu, elles totalisent 27 conseillers de 1962 à 1987.
En 1987, date de la création de 4 mairies d’arrondissements à Douala13, Diallo Bakai
Mamoudou (Peul) est premier adjoint au maire de Douala IIe; Moluh Idriss (Bamun) est
deuxième adjoint au maire à Douala Ier et Tanko Amadou (Haoussa) est maire de Douala IVe.
En dehors de leur commune appartenance à l’islam, les participants appartiennent à centaines
catégories sociales : ils sont principalement agents du secteur privé, de sexe masculin. Diallo
6
La Gazette, no 503, du 17 mai 1984, spécial ‘‘Du pouvoir à deux têtes aux tentatives de déstabilisation, 19821984’’.
7
Cf. Le Messager, no 380, du 1er août 1994, pp. 9-11.
8
Ibid.
9
Marchés Tropicaux et Méditerranéens, n° 2106 du 21 mars 1986, p. 749.
10
Pour suivre les événements politiques importants ayant en cours en 1990, consulter notamment le quotidien
Cameroon Tribune et l’hebdomadaire Le Messager.
11
Y. Moluh, ‘‘La participation politique en milieu urbain de 1946 à 1992 : le cas de Douala’’, Thèse de
Doctorat 3e cycle en Science Politique, Université de Yaoundé II, 1997, p. 128.
12
Statistiques fournies par Y. Moluh, ‘‘La participation politique en milieu urbain de 1946 à 1992 : le cas de
Douala’’, pp. 95-114.
13
Voir Loi n° 87/015 du 15 juillet 1987 portant création des communes urbaines.
113
Bakai Mamoudou et Moluh Idriss sont par exemple des cadres privés; Tanko Amadou est
directeur de société14 et Garba Aoudou est homme d’affaires, président du Syndicat des
Commerçants importateur du Cameroun.
Quant à leur participation aux députations, un seul musulman doualais parvient à se
faire élire député de cette circonscription. Il s’agit précisément d’El Hadj Garba Aoudou, élu
au scrutin de 1988.
Au total, malgré la présence d’un musulman à la tête de l’UNC, la participation des
groupements
musulmans
dans
les
arcanes
du
gouvernement
local
reste
donc
réduite/négligeable pendant la période du parti unique. Ils ont même pour principale
caractéristique leur exclusion presque totale de la participation au parlement. En sera-t-il
autant pour l’éducation ?
A-2 Début et évolution de la scolarisation franco-arabe à Douala : une idée de la
communauté réappropriée par l’ACIC
L’école franco-arabe voit le jour au Cameroun pendant l’administration française,
notamment en 1935, dans la ville de Garoua.15 Mais contrairement au Nord du Cameroun où
les premières écoles franco-arabes furent des créations coloniales, la naissance et la gestion
des écoles confessionnelles privées islamiques dans le Sud Cameroun datent de la période
post-coloniale et sont toujours exprimées et concrétisées par les minorités musulmanes.16 Il
s’agit des communautés qui créent des établissements de ce genre pour donner à leurs enfants
un cadre éducatif géré et contrôlé par les musulmans. De ce qui précède, il va sans dire que,
au sortir de la colonisation, les communautés musulmanes urbaines du Sud Cameroun
n’avaient pas, du point de vue occidental, une tradition scolaire à cycle complet dispensée par
elles-mêmes. Dans cette perspective, la première école franco-arabe dans la partie
méridionale du Cameroun est l’œuvre d’un musulman d’origine mauritanienne, instituteur,
diplômé de la faculté des lettres d’Al Azhar, El Hadj Mahmoud Ba. Il créa, le 30 juillet 1962,
‘‘l’école islamique de Yaoundé’’; création qui, selon O. Moussa, précipita un an plus tard en
14
Lire ‘‘Tanko Amadou, le ‘‘Baobab’’ de Bonabéri’’, Cameroon Tribune, quotidien bilingue, n° 410 du 12
novembre 1987, p.11.
15
Voir H. Adama, ‘‘L’enseignement privé islamique dans le Nord-Cameroun’’, Islam et Sociétés au Sud du
Sahara, no 13, 1999, p. 2. Mais pour plus de détails sur l’école franco-arabe au Cameroun en général, voir sa
thèse de Doctorat intitulée ‘’Naissance et évolution de l’enseignement franco-arabe au Cameroun’’, H. Adama a
par ailleurs consacré de nombreux travaux à l’analyse de la dynamique de l’école franco-arabe au Cameroun.
Voir entre autres ‘‘L’école franco-arabe camerounaise : bilan et perspectives’’, in G.L. Taguem Fah, Cameroun
2001, Paris, L’Harmattan, pp.90-135 et ‘‘Migration musulmane et enseignement arabo-islamique à Douala :
1963-1993’’, Annales de la FALSH de l’Université de Ngaoundéré, Vol. II, 1997, pp. 37-54. Ces travaux n’ont
pas cependant diminué l’intérêt de l’analyse et nous en avons tiré grand profit.
16
H. Adama, ‘‘L’école franco-arabe camerounaise : bilan et perspectives’’, pp. 89-94.
114
1963, la mise en place de l’ACIC.17 Celle-ci récupéra l’œuvre du Mauritanien, la rebaptisa en
‘‘école franco-arabe’’ et inscrivit dans son statut la priorité de la développer. De là un conflit
de compétence ou de propriété avait amené l’initiateur de l’institution à Yaoundé à s’en aller,
amenant avec lui tous les documents importants.18
Les années 1960 ouvrent donc une nouvelle phase dans le développement de
l’éducation islamique au Cameroun. Pour participer au fonctionnement de l’appareil
administratif naissant, la scolarisation devient une priorité au sein de la communauté
musulmane. En la matière, la communauté musulmane de Douala s’inspire de l’exemple de
Yaoundé, des principes du pluralisme scolaire, de la laïcité, de la neutralité et de la liberté
d’enseignement de la loi de 196419 et d’autres textes qui furent initiés par la suite pour
organiser, cadrer et consolider l’enseignement privé islamique au sein de l’ACIC. Cette
association exerçait sous le contrôle pédagogique et administratif de l’Etat de qui elle
percevait des subventions comme appui aux charges financières afférentes au fonctionnement
de ces initiatives.
Finalité et philosophie de l’éducation confessionnelle islamique
Derrière tout projet éducatif se profile une visée idéologique et philosophique avouée
ou inavouée, de même que toute intention éducative est fondamentalement liée à un idéal de
société et d’homme à former. On peut dans cette perspective se demander à quelles finalités
la communauté musulmane de Douala avait ouvert une école et quel rapport elle entretenait
avec l’Etat. Il s’agit d’une école privée autonome où les matières laïques et religieuses sont
enseignées à leurs enfants. La communauté souhaitait ainsi satisfaire une demande de la part
des parents d’élèves, soucieux de donner à leurs enfants une ‘‘éducation moderne’’20, qui
allie à la fois la tradition coranique et le programme ‘‘officiel français’’21.
Dans cette perspective, c’est en 1962 que la communauté musulmane de Douala
sollicite et obtient du maire de la ville, Rudolph Tokoto, le déblocage d’un budget et un site
destiné à la construction d’un établissement scolaire qui devient officiellement l’école francoarabe de New-Bell.22
17
O. Moussa, ‘‘La culture arabo-islamique, les Haoussa du Sud-Cameroun (le cas de Yaoundé) et l’intégration
nationale’’, Thèse de Doctorat Nouveau Régime, Université La Sorbonne Nouvelle, Paris III, 1987, p. 78.
18
Ibid., p. 275.
19
Ces principes avaient été hérités de la période coloniale. Voir Loi no 064/LF/11 juin 1964 : contrôle et
fonctionnement de l’enseignement privé.
20
El Qiblah, ‘‘Dossiers Spécial Education islamique à Douala’’, n° 14 du mercredi 25 octobre 2000, p 8.
21
Cette définition est extraite de la description de S. Genest et R. Santerre, ‘‘L’école franco-arabe au Nord
Cameroun’’, in R. Santerre et C. Mercier Tremblay, La quête du savoir. Essai pour une anthropologie de
l’éducation camerounaise, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1982, pp. 387 et suivantes.
22
El Qiblah, ‘‘Dossiers Spécial Education islamique à Douala’’, p 8.
115
Pour la communauté musulmane de Douala, cette école est un moyen de moderniser
l’ancienne école coranique afin de promouvoir une instruction islamique ‘‘moderne’’
parallèle à la formation dispensée dans les écoles publiques. Autrement dit, assurer un niveau
convenable à l’étude de la langue du Coran face au poids grandissant de l’enseignement
‘‘moderne en français’’ et rattraper ainsi son retard sur le plan éducatif.23 En effet, la mise en
place de réseaux d’éducation séculiers et missionnaires protestants et catholiques conduisait,
depuis l’époque coloniale, à la relève dans l’administration24, l’accès aux fonctions de
pouvoir, d’autorité, même subordonnées, passait par l’‘‘occidentalisation’’. La création de
l’école franco-arabe avait en définitive un double objectif : celui d’occuper une position
mitoyenne -entre tradition et modernité- en sauvegardant la foi des enfants tout en instaurant
les conditions pour que ceux-ci puissent devenir fonctionnaires.25 Pour en arriver là, ce
processus connut à peu près le cheminement suivant : 1-existence des écoles coraniques; 2influence grandissante de l’école moderne ; 3-formation de nouveaux cadres ; 4-déclin des
écoles coraniques ; 5-attachement à une éducation religieuse ; 6-création de l’école francoarabe. Bien que ce schéma soit simpliste et peu approprié, d’autant que l’attachement à une
éducation religieuse est un attachement permanent et ne peut venir en étapes déterminées, ces
différentes phases qui ont conditionné sa création ont néanmoins façonné sa double nature.
D’après ce cheminement, on peut constater que les objectifs de l’école franco-arabe
découlaient de la situation de marginalisation subie par l’école coranique traditionnelle.
Selon Malam Faroukou26, l’école franco-arabe de Douala à cycle complet ouvre
effectivement
ses portes à la rentrée scolaire 1962-1963 au quartier New-Bell. Elle
fonctionne sur la base d’un programme double : la section francophone et la section
arabophone. C’est par la suite, à la rentrée scolaire 1963-196427 que l’ACIC est sollicitée
23
Voir entre autres, H. Adama, ‘‘ Naissance et évolution de l’enseignement franco-arabe au
Cameroun’’;‘‘L’école franco-arabe camerounaise : bilan et perspective’’, pp.90-135 et E. Iya, ‘‘L’école francoarabe, facteur d’adaptabilité des valeurs socioculturelles des populations islamisées du Cameroun
septentrional’’, Maîtrise ès Art, Ecoles des Gradués, Université Laval, 1993.
24
Sur la participation des missions chrétiennes à cette entreprise depuis l’époque coloniale, lire entre autres J.
Charre, Le positionnement de l’œuvre scolaire. Vers un nouveau collège protestant. Yaoundé, Clé, 2005 ;
SENECA, L’enseignement catholique au Cameroun (1890-1990), Yaoundé, Publication du Centenaire, 1992 ;
R. Mballa Owono, L’école coloniale au Cameroun : approche historico-sociologique, Yaoundé, Imprimerie
nationale, 1986; L. Ngongo, Histoire des forces religieuses au Cameroun, Paris, Karthala, 1982 et C. Marchand,
La scolarisation française au Cameroun, 1920-1970, T. I et II, Québec, Université Laval, 1975.
25
Voir S. Genest et R. Santerre, ‘‘L’école franco-arabe au Nord Cameroun’’, 1982, pp. 387.
26
Malam Faroukou est le second directeur de l’école franco-arabe de Douala. Au cours de nos entretiens des 13
et 14 avril 2003 à son domicile au quartier Nkololoun, il nous a présenté entre autres papiers privés, une copie
de l’acte juridique de création de cette école qui porte le n0 85/ MINEDUC/ DAB/ 1961.
27
Cf. Loi No 64/11 juin 1964 : contrôle et fonctionnement de l’enseignement privé.
116
pour la reconnaissance officielle de l’école par le gouvernement et ‘‘pour envoyer des
enseignants qualifiés’’28.
L’ACIC était alors représentée dans la région du Littoral par El Hadj Garba Aoudou
(voir photographie no 2).29 Homme pluridimensionnel, il était vice président national de
l’ACIC et homme d’affaires. A ce titre, il avait œuvré pour la fondation de l’école francoarabe de Douala et n’avait cessé de déployer des efforts pour sa promotion. Pour ce patriarche
de la communauté musulmane de Douala, la concurrence de l’école officielle avait dépossédé
sur le plan local les parents musulmans de leur rôle d’éducateurs. Par ailleurs, la dispersion
des enfants dans les écoles laïques ou même confessionnelles chrétiennes ne permettait pas
de leur enseigner les fondements de la religion quand ils n’étaient pas tout simplement
obligés de suivre d’autres doctrines, d’autres croyances.30 La volonté communautaire était
donc soutenue par El Hadj Garba Aoudou, puissante personnalité générée par la diaspora
musulmane à Douala, comparable au self-made-man américain qui, par ses propres efforts
réussit à se hisser au dessus du lot. Bénéficiant d’une ‘‘ grande renommée’’31, son statut
social différent lui conférait une audience toute particulière parmi ses pairs. Il était aussi
convaincu de la nécessité d’asseoir ou de perpétuer les idéaux islamiques à travers le
financement de l’éducation. Jusqu’à sa mort survenue en 2006, il avait œuvré pour la
fondation et la marche de l’école franco-arabe de New-Bell. : ‘‘il déployait de nombreux
efforts financiers et matériels pour la promotion de l’école franco-arabe de New-Bell (…) et
s’investissait en multipliant des initiatives pour sa survie’’32. Mais ce soutien ne relevait-il
pas de la logique et de la stratégie de contrôle de la communauté musulmane ou d’une
stratégie de positionnement individuelle?
L’ACIC et l’école franco-arabe de Douala
Pour conférer à l’enseignement coranique une signification et nature nouvelle, pour
le soutenir et lui permettre d’étendre son réseau, il est créé en 1963, avec siège à Garoua,
l’ACIC. Cette association, unique à l’époque et reconnue en 196733, disposait en principe du
monopole légal de la représentation et donc du statut d’interlocuteur privilégié des autorités.34
28
El Qiblah, ‘‘Dossier Spécial Education islamique à Douala’’, p. 8.
De 1963 jusqu’à sa mort en 2006.
30
Synthèse des propos d’El Hadj Garba Aoudou, recueillis lors de notre entretien du 12 mai 2004 à son domicile
à New-Bell/Nkololoun.
31
J.F.Médard, ‘‘ ‘‘Le big man’’ en Afrique : esquisse d’analyse du politicien entrepreneur’’, L’Année
Sociologique, n° 42, 1992, p.169.
32
Le Messager, no 2326, p. 3.
33
Cf. Loi n° 67 /LF/19 du 12/06/1967.
34
Cette situation n’était pas spécifique au Cameroun et pouvait s’observer notamment en Guinée, même si
l’homogénéisation du paysage islamique ou la ‘‘mise au pas des musulmans fut plus brutal’’ (Cf. M. GomezPerez, L. Audet-Gosselin et J. Leclerc, ‘‘Itinéraires de réformistes musulmans au Sénégal et en Guinée : regards
croisés (des années 1950 à nos jours)’’, in Ndaywel Nziem, E. I., et Mudimbe-Boyi, E. (éds), Images, mémoires
29
117
Photographie no 2(El Hadj Garba Aoudou) p. 123 ou 124 ?
et savoirs. Une histoire en partage avec Bogumil Koss Jewsiewicki, Paris, Karthala, 2009, pp. 435-460.) et au
Mali avec la création de l’Association malienne pour l’unité et le progrès de l’islam (AMUPI) sous le contrôle
du gouvernement. Cf. L. Brenner, ‘‘Constructing Muslim Identities in Mali’’, in L. Brenner (éd.), Muslim
Identity and Social Change in Sub-Saharian Africa, London, Hurst, pp. 59-78.
118
L’article premier du statut de cette association fait mention expresse qu’elle est
créée ‘‘pour promouvoir le développement des activités culturelles islamiques au Cameroun,
développer l’enseignement franco-arabe, diffuser la doctrine musulmane35, resserrer les
liens entre les croyants’’36. Cette tâche lui est confiée par l’Etat. Et, pour l’accomplir, l’ACIC
procède à un quadrillage territorial national par la constitution de trois secrétariats à
l’éducation, sorte de commissions scolaires islamiques qui contrôlaient les écoles francoarabes du territoire. Les programmes37 étaient conçus par le Secrétariat à l’Education de
l’ACIC. Chaque secrétariat s’occupait de la gestion et de l’administration des établissements
chargés de l’enseignement islamique : secrétariat à l’éducation de la zone Nord ; secrétariat à
l’éducation de la zone Ouest et Secrétariat à l’éducation de la zone Sud. La province
administrative du Littoral se trouvait dans la zone Sud. Et, pour des raisons de présence et de
densité de la population musulmane, deux écoles franco-arabes y seront ouvertes : une à
Nkongsamba38 et une autre à Douala39.
Pour remplir sa tâche, l’ACIC s’entoure tant au niveau de la direction exécutive à
Yaoundé que de ses démembrements au niveau des zones
(Nord, Ouest et Sud), des
responsables arabophones fidèles aux options de la politique du président Ahmadou Ahidjo.
Les plus célèbres étaient El Hadj Banoufe Hamadou, El Hadj Aminou Oumarou, Cheikh
Daouda Mohaman (bureau exécutif) ; Aboubakar, Abdallah Moussa, Garba Oumarou,
Abdourahman Abdoulkarim (secteur Nord) ; El Hadj Garba Aoudou (Littoral) ; El Hadj
Malam Kouotouo Atam, Malam Innua Wirba, Ahmed Ibrahim Nzube Epie (secteur Ouest). Il
s’agissait très souvent des personnalités dépourvues de titres religieux et qui étaient en
majorité de hauts fonctionnaires, de grands commerçants, etc. Les objectifs sont clairs.
Officiellement, il s’agit, pour les leaders qui animent cette politique unificatrice, de
promouvoir entre autre l’enseignement de l’arabe et, par la représentativité de l’organisation,
de mener une action de groupe de pression plus efficace au service de la cause musulmane.
En fait, ils ne mettaient pas à mal la politique centralisatrice de l’Etat et s’inscrivaient dans la
politique de ‘‘sécularisation’’ de l’islam.
35
C’est nous qui soulignons.
Statut de l’ACIC, 1963, p.1.
37
Voir les tableaux du programme officiel tel que conçu par l’ACIC, de la 1ère année (SIL) en 6e année (CM2)
dans E. Iya, ‘‘L’école franco-arabe, facteur d’adaptabilité des valeurs socioculturelles des populations
islamisées du Cameroun septentrional’’, pp.69-75. Il faut cependant préciser que ces programmes étaient à titre
indicatif. Chaque enseignant dispensait des cours qu’il jugeait utile par rapport à son itinéraire, son cursus et
surtout le niveau de sa classe.
38
L’école franco-arabe de Nkongsamba ferme ses portes en 1988.
39
Les autres provinces administratives qui ressortissaient de la zone Sud étaient : le Centre, le Sud et l’Est. Il
existait une école franco-arabe à Yaoundé. Jusqu’en 1990, il n’existait pas encore d’écoles franco-arabes au Sud
et à l’Est.
36
119
Cette initiative était d’autant plus heureuse pour le pouvoir politique qu’il y était
souvent impliqué par leaders interposés. Cette institutionnalisation introduisait en effet la
rationalisation de la gestion des relations entre l’Etat et les fidèles. Il disposait désormais d’un
interlocuteur unique, avec lequel il était possible de négocier plus efficacement des dossiers
éducatifs et bien d’autres concernant la communauté. Cette démarche n’était pas innocente,
car, en donnant aux notables musulmans le statut d’interlocuteurs privilégiés du pouvoir
politique à travers l’ACIC, l’Etat tendait à renforcer leur image et leur autorité auprès des
fidèles et en contrepartie, il attendait des notables musulmans qu’ils contrôlent les faits et
gestes des fidèles. L’officialisation de la communauté musulmane apparaissait pour ainsi dire
comme l’instrument de promotion d’un groupe et du renforcement du contrôle de l’Etat, ce
dernier pouvant toujours, en cas de non soumission, destituer les notables trop indépendants
ou tout simplement retirer l’agrément. La création de l’ACIC en 1963, sa reconnaissance
tardive en 1967 et l’absence de fondement juridique40 de cette association participait aussi
d’une stratégie du pouvoir de contrôler l’islam et ses notables. De même, la restructuration
tardive de l’ACIC, en 198841, faisait partie de cette stratégie et témoignait aussi des luttes de
positionnement dans cette association. Bien plus, l’ACIC était placée sous la surveillance de
la présidence de la République et ses membres étaient systématiquement contrôlés dans la
mesure où elle apparaissait également comme un partenaire incontournable des pays arabes.42
Pour gérer et administrer l’école franco-arabe, l’ACIC avait besoin d’un personnel enseignant
qualifié francophone et arabophone. Disposait-elle des moyens de sa politique ?
Le personnel enseignant : formation et recrutement
Comme l’école franco-arabe avait un double programme, le corps enseignant était
aussi bilingue (arabophone et francophone) et bi-confessionnel (musulman et chrétien) .43 A
sa création, on trouvait uniquement des enfants musulmans ; puis avec le temps, des élèves
non-musulmans s’y sont intéressés.44 L’ACIC recrutait avec l’aide de l’Etat des maîtres
francophones pour l’enseignement des matières en français en alternance avec les maîtres
40
En droit camerounais, il n’existe pas, en effet, de notion de représentant d’un culte. En fonction du principe de
‘‘neutralité’’ ou de ‘‘laïcité’’ de l’Etat camerounais, le législateur ne peut reconnaitre un ou des cultes, pas plus
qu’il ne peut intervenir dans leur organisation. Il ne lui est possible, afin de soutenir leurs activités sociales, que
de subvenir aux déficits des associations chargées de la gestion des biens d’une communauté telles que les
écoles reconnues par la loi. Mais aucune reconnaissance ou aide à une instance représentative n’est autorisée.
41
Cf. ‘‘Statuts de l’ACIC’’, décret n° 88/319 du 7 mars 1988. Voir aussi le Tableau Confessionnel légal de la
République du Cameroun dans Cameroon Tribune, quotidien bilingue du 31 mars 2006, pp. 21-22.
42
G. L. Taguem Fah, ‘‘Processus politique, mutation sociale et renouveau islamique au Cameroun’’,
Rupture/Solidarité, no 4, Paris, Karthala, 2003, p. 223.
43
Malam Faroukou, entretien du 13 avril 2003 à son domicile au quartier New-Bell/Nkololoun.
44
Ibid.
120
arabophones. Ces derniers, laissés à la charge de l’ACIC, s’occupaient de l’encadrement
coranique des enfants. Quant aux enseignants de français, ils étaient délégués dans l’école par
l’inspection départementale de l’enseignement primaire et maternel, étaient des
fonctionnaires et leurs salaires leur étaient versés indépendamment du lieu d’exercice de leur
fonction. La rareté des brevetés au sein de la communauté musulmane à cette période
obligeait les responsables des écoles franco-arabes à rechercher des maîtres francophones non
musulmans, le plus souvent de confession chrétienne.45
Les enseignants de l’arabe étaient, au début de la mise en place de l’école, recrutés
sur place, selon les
méthodes traditionnelles de sélection.
Le maître d’arabe
(marabout/malam) était alors recruté au sein de la communauté et ce recrutement était validé
par la section locale de l’ACIC.46 La communauté recourait à cette méthode à cause d’un
manque de personnel arabophone qualifié.
Parallèlement à cela, au lendemain de l’indépendance et notamment au cours des
années 1970, les Camerounais bénéficient de multiples bourses octroyées par l’Egypte et
surtout l’Arabie Saoudite.47 H. Adama souligne à ce propos que le nombre de bourses
d’études allouées dépassait d’ailleurs celui des étudiants envoyés.48 Entre 1962 et 1986 par
exemple, près de 200 bourses d’études ont été proposées par seulement trois pays : l’Arabie
Saoudite, l’Egypte et la Libye.49 C’est ainsi qu’à partir des années 1970 et, grâce au retour au
Cameroun des premiers boursiers envoyés par le gouvernement camerounais pour se
spécialiser en matières religieuses et littéraires, l’ACIC recrutait de plus en plus de ces
diplômés dans les écoles franco-arabes.50
Cette politique obéissait au souci de contribuer à mettre en place une nouvelle
pédagogie censée être plus ouverte aux réalités de la communauté musulmane avec le
recrutement de maîtres formés dans les pays arabes à la tête des écoles franco-arabes. On
pensait ainsi améliorer ‘‘les choses en relevant la qualité des prestations pédagogiques’’51
45
Voir H. Adama, ‘‘L’école franco-arabe camerounaise : bilan et perspectives’’, p. 99.
Entretiens avec El Hadj Garba Aoudou, les 12 et 14 mai 2004 à son domicile à New-Bell/Nkololoun.
47
Les relations entre le Royaume de l’Arabie Saoudite et la République du Cameroun existent depuis1966.
Depuis lors, l’Arabie Saoudite apporte un appui considérable aux étudiants camerounais grâce aux bourses qui
leur sont consenties et qui leur permettent d’étudier dans de différentes universités saoudiennes. Mais sur un
plan global, cette politique entrait dans un cadre général de prosélytisme en direction de l’Afrique au Sud du
Sahara. Voir R. Otayek (s.d.), Le radicalisme islamique au Sud du Sahara. Dawa’a, arabisation et critique de
l’Occident, Paris, Karthala-MSHA, 1993.
48
H. Adama, ‘‘Naissance et évolution de l’enseignement franco-arabe au Cameroun’’.
49
G.L. Taguem Fah, ‘‘Processus politique, mutation sociale et renouveau islamique au Cameroun’’, note 45, p.
241.
50
H. Adama, ‘‘L’école franco-arabe camerounaise : bilan et perspective’’, p. 95.
51
Ibid.
46
121
dans la mesure où qualitativement, les nouveaux maîtres arabophones étaient à priori mieux
qualifiés pour ne plus se contenter de la ‘‘simple copie du Coran sur la tablette comme c’est
l’habitude dans les écoles coraniques traditionnelles’’52. Cette nouvelle approche qu’on peut
qualifier de ‘‘réformiste’’53 faisait donc recours aux matières et méthodes d’enseignement
radicalement différentes de celles des maîtres coraniques.
Toujours à partir du milieu des années 1970, la section arabophone avait aussi un
personnel constitué d’une part, des Camerounais formés dans les trois ‘‘cours normaux
d’arabe’’, sorte d’écoles normales des instituteurs arabophones créées respectivement en
1970 (Garoua), 1971 (Maroua) et 1972 (Ngaoundéré) dans la partie septentrionale du
Cameroun54 et d’autre part, des enseignants de l’assistance technique marocaine, égyptienne
et même mauritanienne, dont la présence de temps en temps était à mettre sur le compte de
l’initiative prise conjointement par l’ACIC et le ministère des Relations Extérieures auprès de
ces différentes pays.55
Les salaires des enseignants arabophones étaient en partie fournis par les
subventions annuelles de l’Etat56 et les ressources de l’ACIC par ailleurs alimentées
presqu’intégralement par les fonds publics.57 A Douala, les enseignants étaient rétribués sur
une base de 26 à 29.000f CFA par mois au moment de leur recrutement.58 Par la suite,
l’accroissement de solde était fonction du nombre d’années d’études en pays arabes et,
éventuellement, des diplômes obtenus.59 En plus de cette aide financière, le gouvernement
fournissait aussi du personnel qualifié grâce à des formations, dotait en mobilier et matériel
didactique nécessaires. Les enseignants étrangers étaient rémunérés par leur coopération
respective.
52
Ibid., p. 105.
Ibid.
54
L’ACIC en avait pris l’initiative à la suggestion d’un maître égyptien d’arabe à Garoua, qui enseignait
auparavant dans une école normale égyptienne. Les deux autres responsables de ces ‘‘cours normaux’’ étaient
des Camerounais originaires du Nord, qui, boursiers de l’Arabie Saoudite, avaient étudié sept ans à Médine et en
avaient rapporté l’un une licence en arabe et l’autre en droit. Leur salaire de 45.000f CFA était payé par l’ACIC
alors que le titulaire de Garoua appartenait à la coopération égyptienne qui le rémunérait. Cf. S. Genest et R.
Santerre, ‘‘L’école franco-arabe au Nord-Cameroun’’, Revue Canadienne des Etudes Africaines, Vol.8, No 3,
1974, p. 603. L’admission au cours normal requérait l’équivalent d’un CEPE en arabe et la formation durait
deux ans et donnait droit à un diplôme d’arabe.
55
H. Adama, ‘‘L’école franco-arabe camerounaise : bilan et perspective’’, p. 95.
56
El Hadj Garba Aoudou, entretien du 14 mai 2004 à son domicile à New-Bell/ Nkolouloun.
57
Ibid.
58
Ce salaire restait inférieur à celui de leurs collègues instituteurs adjoints francophones. Cf. El Qiblah, no 15,
novembre 2000, p. 3.
59
Aurore Plus, no 531, octobre 2002, p. 10.
53
122
Comme on peut le constater, pour donner de l’impulsion à la toute jeune école,
l’ACIC faisait d’abord appel aux services d’un personnel formé sur le tas, ‘‘au niveau très
bas et sans diplôme officiel’’60 ; ce qui ne manquait pas de poser des problèmes de différence
et d’inégalité au sein du corps enseignant. Par la suite, elle avait fait appel à un personnel
local formé sur place dans les écoles normales et à l’étranger. Ce personnel bénéficiait pour
les enseignements des matières religieuses de l’aide des conseils pédagogiques étrangers.
Outre de participer à la reconnaissance et à la mise en place de cette école, l’ACIC concevait
les programmes et orientait la formation.
Programmes et orientation de la formation ou savoir dispensé
A l’origine, les deux enseignements français et arabe tels que conçus par l’ACIC se
donnaient tous les jours du lundi au vendredi. La journée d’étude était divisée en deux parties
d’inégale importance. La première partie, la matinée, était consacrée à raison de 25 heures
hebdomadaires, à l’enseignement en français des matières du programme officiel c’est-à-dire
le programme des écoles publiques. A l’école franco-arabe de Douala par exemple, les cours
se déroulaient entre 7h30 et 12h20. L’après midi était réservée, de 14h30 à 17h, à
l’enseignement en arabe. Comme le montrent les tableaux no 3 et no 4, sept domaines
d’activités scolaires se répartissent ce temps. Ce sont les matières de maîtrise de la langue
française (lecture, conjugaison, dictée préparée, grammaire, orthographe, vocabulaire,
rédaction, récitation et chant) qui, avec un total de 9h 15 représentent 37% des 25 heures ; les
différentes matières d’initiation aux mathématiques (calcul, arithmétique, géométrie et
système métrique) totalisent 5 heures (20%). Puis viennent les matières de connaissance de
l’environnement national et international (histoire, géographie, instruction civique, morale,
actualité/information) avec 2h45 (11%), les activités pratiques et sportives (dessin, éducation
physique, travail manuel et écriture) pour 1h45 (7%), les sciences et l’hygiène disposent de
1h30 (6%). Le contrôle de ces connaissances (évaluation formative) nécessite 2h15 (9%) et
enfin la recréation compte un temps cumulé de 2h30 (10%). Les manuels utilisés étaient les
mêmes que ceux utilisés dans le secteur public.
60
S. Genest et R. Santerre, ‘‘L’école franco-arabe au Nord-Cameroun’’, p. 594.
123
Tableau no III : Emploi du temps des classes du cours moyen 1ere et 2e année de l’école
franco-arabe de Douala
Le programme officiel français
Jours/Matières
Lundi
Mardi
Mercredi
Jeudi
Vendredi
Morale
Instruction
Morale
Instruction
Actualités
civique
(information,
Horaires
7h30 à 7h45
civique
gouvernement,
création)
7h45 à 8h15
Arithmétique
Géométrie
Système
Arithmétique
métrique
Problèmes
pratiques
(arithmétique)
8h15 à 8h45
Grammaire
Conjugaison
Grammaire
Conjugaison
Orthographe
d’usage
8h45 à 9h15
Géographie
Hygiène
Dessin
Science
Calcul
9h15 à 9h30
Ecriture
Récitation
Chant
Récitation
Contrôle
9h30 à 10h
Travail
Education
Histoire
Exercices,
Contrôle
manuel
physique et
conjugaison
sportive
10h à 10h30
10h30 à 11h
R é c r é a t i o n
Orthographe
Préparation de
Vocabulaire
Rédaction
Dictée-
grammaticale
dictée
11h à 11h30
Science
Calcul écrit
Dictée préparée
Histoire
Contrôle
11h30 à 12h
Calcul écrit
Lecture
Calcul
Calcul écrit
Contrôle
Vocabulaire
Lecture
Lecture
Contrôle
question
(exercices)
12h à 12h30
Lecture
Source : Archives de Malam Faroukou
124
Tableau n° IV : La répartition du temps scolaire par domaine d’activités (matière en français)
I) Matières de maîtrise de la langue française :
lecture 2h ; conjugaison 1h30 ; dictée préparée
1h30 ; grammaire 1h ; orthographe 1h ;
vocabulaire 1h ; rédaction 0h30mn ; récitation
37%
= 9h 15hn (555mn)
0h30mn ; chant 0h15mn.
II) Matières de connaissances mathématiques :
calcul 2h30mn ; arithmétique 1h30mn ;
géométrique 0h30mn ; système métrique
20%
= 5h (300mn)
0h30mn.
III) Matières de connaissance de
l’environnement national et international :
histoire 1h ; géographie 0h30mn ; instruction
civique 0h30mn ; morale 0h30mn ;
11%
= 2h45mn (165mn)
actualité-information 0h15mn.
VI) Activités pratiques et sportives : dessin
0h30mn ; éducation physique 0h30mn ; travail
07%
manuel 0h30mn et écriture 0h30mn.
= 1h45mn (105mn)
V) Sciences et hygiène : sciences 1h ; hygiène
= 1h30mn (90mn)
0h30mn.
06%
VI) Contrôle des connaissances : évaluation
formative (0h30mn x 4) + 0h15mn.
= 2h 15mn (135mn)
VII) Récréation (0h30mn x 5).
= 2h 30mn (150mn)
09%
10%
Total
Source : Synthèse de l’auteur
= 25h
100%
125
L’après midi était réservée, de 14h30 à 17h, à l’enseignement des matières en arabe
(voir tableau no 5). Le temps hebdomadaire de 12h30 est de la moitié de celui de
l’enseignement officiel. On pouvait voir à travers la priorité accordée à l’enseignement en
français dans cette école le souci de faciliter l’insertion de la jeunesse dans un environnement
dominé par la langue française et l’enseignement de type occidental. Cependant, placer les
cours d’arabe dans l’après midi, après 5 heures de cours en français posait deux problèmes
importants : le manque d’attention des élèves et la tentation d’un certain nombre d’élèves de
pratiquer l’école buissonnière.61 En outre, cette inégalité de temps entraînait un déséquilibre
dans la formation des élèves qui étaient toujours plus à l’aise en français qu’en arabe. Les
principales matières qui se partagent cet horaire sont les disciplines de maîtrise de la langue
arabe (grammaire, conjugaison, dictée, langage ou vocabulaire, lecture et récitation) et les
matières religieuses (la prière et les interdictions, traduction, Coran, histoire de l’islam et
religion), qui, avec chacune 5h15 occupent 84% du temps de l’enseignement coranique. Le
reste de ce temps se répartit entre la récréation pour 1h15 (10%) et le calcul et l’écriture
45mns (6%) (voir tableau no 6).
Tableau n° V : Emploi du temps des classes de cours moyens 1er et 2e année de l’école
franco-arabe de Douala
Programme en arabe
Semaine
Lundi
Mardi
Mercredi
Jeudi
Vendredi
horaire
14h à 15h15
Coran
Grammaire
histoire de l’islam
Religion
Traduction
15h15 à 15h30
r
15h30 à 16h15
Récitation
e
Conjugaison
c
r
é
a
Langage ou
t
i
o
n
Lecture
vocabulaire
16h15 à 17h
La prière et
Traduction
Dictée
interdictions
Grammaire
les
interdictions
Sources : Archives de Malam Faroukou
61
La prière et les
Cette préoccupation s’observe dans plusieurs autres pays d’Afrique noire francophones. Voir S. Cissé,
L’enseignement islamique en Afrique Noire, Paris, L’Harmattan, 1992.
Calcul et
écriture
126
Tableau n° VI : Répartition du temps scolaire par domaines d’activité (matières en arabe)
I) Matières de maîtrise de la langue arabe : grammaire 1h30mn ;
5h15mn
conjugaison 0h45mn ; dictée 0h45mn ; langage ou vocabulaire
(42%)
0h45mn ; lecture 0h45mn ; récitation 0h45m.
II) Matières religieuses : la prière et les interdictions 1h30mn ;
5h15mn
traduction 1h30mn ; coran 0h45mn ; histoire de l’islam
(42%)
0h45mn ; religion 0h45mn.
III) Recréation
1h15mn
0h15mn x 5
(10%)
IV) Calcul et écriture
0h45mn
(6%)
Total
12h30mn
100%
Source : Synthèse de l’auteur
En embrassant l’étude du Coran, l’histoire de l’islam, la grammaire, les aspects de la
religion dans ses différentes formes comme la prière et les interdictions, etc. (voir tableau no
7), le programme visait à la fois les deux niveaux élémentaires et complémentaires de l’école
coranique traditionnelle62. L’élève musulman subissait, à cause de cet enseignement mixte,
un horaire hebdomadaire de 37h30. Il ne s’en libérait que les samedis et les dimanches selon
le calendrier de l’école officielle laïque contrairement à la tradition islamique qui ne place les
congés qu’à partir de mercredi soir jusqu’au vendredi à midi63. Ce temps était parfois plus
long pour les élèves de la 6e année (CM 2) qui devaient préparer les concours dans les
collèges publics et le CEPE.64 L’ACIC par ce programme, était engagée dans une logique
d’accumulation de savoirs en arabe, à la fois religieux et linguistique.
Les enseignements s’étalaient sur six ans. La fin des études était sanctionnée par un
‘‘Certificat d’études Arabes’’, équivalent au CEPE du système francophone.
Dans les
papiers privés de Malam Faroukou, nous avons trouvé un exemplaire de ‘‘Certificat d’Etudes
Arabes’’ daté de 1969. Il comportait les matières suivantes : Divinité, Rites religieux,
Grammaire, Prononciation, Abréviation, Sens de l’Abréviation, Rédaction, Doctrine, Dictée
et Ecriture.
62
Rappelons que l’enseignement coranique traditionnel distingue nettement deux niveaux, dont le premier se
résume à apprendre à lire et à écrire le Coran, tandis que le l’autre débouche sur les sciences coraniques. Cf. R.
Santerre, Pédagogie musulmane d’Afrique noire, l’école coranique peule au Cameroun, p. 31.
63
Ibid., p.79.
64
Cheikh Daouda Mohaman, ancien secrétaire exécutif de l’ACIC, propos recueillis le 17 août 2003 à son
domicile au quartier Mendong à Yaoundé.
127
Tableau n° VII : Enseignement en arabe programme des cours moyen 1ere et 2e année
de l’école franco-arabe de Douala dicté par Malam Faroukou
Matières
Détail
I) Coran
De la sourate al-mulk (la royauté) à la sourate alqiyamah (la résurrection) (8s) ; de la sourate la
mujadilah (le protestataire) à la sourate al-mulk
(9s)
II) Parole du Prophète
Enseignement des cinq piliers de l’islam : le
serment ; les cinq prières ; l’aumône ; le jeûne ; le
pèlerinage.
III) Instruction religieuse
Détail des cinq piliers : conditions et interdictions.
IV) Langue arabe
Lecture et explication des textes : échange entre
maître et élèves.
V) Dictée
A partir des textes de littérature arabe et des
versets du Coran.
VI) Lecture
Prononciation et explication des mots difficile ou
étrangers des dictées.
VII) Grammaire (nah’ou)
Les différentes sortes de mots : le nom, le verbe, le
pronom.
VIII) Calcul
Compter de 1 à 30 ; addition, soustraction,
multiplication, exercices, calcul mental.
IX) Instruction civique et morale
X) Ecriture arabe
Conseils ; respect des parents et amis ; visite et
aide aux malades ; salutation des parents ; maîtres ;
etc.
- Nosrah : écriture en majuscule ;
-Rih’a : écriture en minuscule avec ponctuation
XI) Chant et récitation
XII) Dessin
Au choix ou reproduction autorisée
XIII) Copie
A partir de 1973, il était essentiellement question pour l’ACIC de changer
l’organisation des programmes islamiques pour un meilleur équilibre entre français et arabe.
Les disciplines telles que l’histoire, le calcul, la mémorisation, dispensées en arabe, seront
supprimées pour ‘‘alléger la tâche aux jeunes élèves qui devaient simultanément cumuler et
assimiler le programme francophone’’65. En quelque sorte, on donnait moins de place aux
enseignements religieux tout en mettant l’accent sur les matières de la langue arabe. On
65
Ibid.
128
faisait alterner désormais d’une semaine à l’autre l’enseignement du français et de l’arabe le
matin (4 heures) et l’après midi (2 heures). On obtenait ainsi un juste équilibre du français et
l’arabe avec 15 heures chacun par semaine au lieu de 25 heures pour le français et 12 heures
30 pour l’arabe dispensées dans les années 1960. Le programme de français restait calqué sur
celui de l’école officielle, mais l’accent s’était déplacé en arabe du Coran à l’apprentissage de
la langue.
Les épreuves de CEPE étaient désormais identiques à celles auxquelles étaient
soumis tous les finissants du CM2 des autres écoles primaires (publiques et privées
chrétiennes) de la partie francophone du Cameroun. La seule exception, celle qui faisait la
particularité des écoles franco-arabes, résidait dans le fait que, les élèves inscrits au ‘‘CEPE
mention arabe’’ devaient composer seulement une épreuve en option de langue arabe qui
permettait aux élèves reçus d’obtenir leur CEPE avec la ‘‘mention arabe’’. Cette modification
du programme avait surtout pour objectif d’améliorer les performances d’une jeunesse
généralement confrontée à l’échec scolaire lors des examens officiels, notamment le CEPE et
les concours d’entrée en sixième et/ou de première année des collèges d’enseignement
technique publics.66
Sur la voie d’une modernisation pédagogique après une timide réforme
L’approche nouvelle initiée par les enseignants formés était une relative adaptation
des méthodes traditionnelles d’enseignement. Dans cette nouvelle école en effet, les élèves
participaient ensemble au cours, contrairement aux élèves des écoles coraniques traditionnels.
La réussite des apprenants ne dépendait plus de leur capacité de mémorisation et de leurs
facultés personnelles mais était la conséquence de ‘‘l’enseignement de groupe’’. Les
enseignants traitaient tous les apprenants de la même manière au cours de leur évolution
scolaire ; il contribuait aussi à la formation de leur caractère. Son approche pédagogique se
basait sur le ‘‘raisonnement cartésien’’ et non pas sur la ‘‘récitation mécanique’’.
De même lorsqu’il s’agissait de sanctions, il faisait appel plutôt à des réprimandes
légères, le châtiment corporel étant en voie de disparition ou même interdit67. Les élèves
66
A la question de clarté des résultats (données statistiques) de cette école, aucune source ne nous a donné de
réponse satisfaisante. Les anciens dirigeants ne disposent pas d’archives. Les nouveaux se dérobent, prétextant
qu’ils viennent d’être installer et nous réfèrent à l’ACIC, qui se réduit à son tour au domicile d’El Hadj Garba
Aoudou. A l’inspection départementale de l’enseignement primaire, le bureau de la statistique donne
invariablement cette réponse désinvolte du genre ‘‘(…) cette école là (…) on ne connait pas exactement son
fonctionnement (...) elle n’envoie pas ses rapports (…)’’.
67
Résumé des propos d’Aboubakar Woussi, ancien boursier du gouvernement saoudien et diplômé de
l’université de Médine. Il a dirigé l’école franco-arabe de Douala de 2000 à 2004. Entretien du 14 avril 2003
dans son bureau à l’école franco-arabe de New-Bell, Douala.
129
étaient soumis au régime des devoirs quotidiens, que les maîtres corrigeaient le lendemain.
Les anciens boursiers de l’Arabie et de l’Egypte avaient rapporté quelques usages des pays
arabes et affichaient le souci d’un certain modernisme68. Le système éducatif dans cette école
pouvait ainsi se définir comme un effort formel par rapport à l’école ancienne, un effort
professionnel sous la direction des maîtres formés par rapport aux marabouts /malam et un
effort systématique grâce aux programmes préparés pour les établissements par l’ACIC.
Analysant cette structure au milieu de la décennie 1970, S. Genest et R. Santerre arrivaient,
sous un ton apologétique, à la conclusion que :
L’école franco-arabe apparaît comme une tentative fructueuse de moderniser et d’adapter
les deux niveaux élémentaire et complémentaire de l’école coranique traditionnelle (…)
qui allie à la fois la tradition arabe et le modernisme.69
La décennie 1970 apparaît véritablement comme celle de l’adaptation de l’école
franco-arabe : recrutements des anciens boursiers et des enseignants formés, équilibre entre
français et arabe, création des ‘‘cours normaux d’arabe’’, etc. C’est dans ces conditions que
l’école franco-arabe de Douala avait survécu jusqu’à la fin des années 1980, grâce à la bonne
volonté de la communauté et au soutien de l’Etat à travers l’ACIC, créée au même moment
que la mise en place des premières écoles franco-arabes. Cette école constituait ainsi l’unique
source qui alliait la scolarisation ‘‘moderne’’ et la
formation religieuse des enfants
musulmans de Douala .
Théoriquement privée, l’école franco-arabe de Douala vivait de l’ACIC dont le
budget s’alimentait presque totalement des fonds publics. Association politisée, dirigée par
des hommes proches du pouvoir, l’ACIC participait à la mise en forme de l’éducation au sein
de la communauté, en envoyant des maîtres formés, en définissant les programmes et en
subventionnant. Et, contrairement à l’Afrique de l’Ouest où les écoles de même nature sont
autonomes et délivrent des diplômes70, l’école franco-arabe au Cameroun est un appendice du
68
Ibid.
S. Genest et R. Santerre, ‘‘L’école franco-arabe au Nord Cameroun’’, in R. Santerre et C. Mercie Tremblay,
La quête du savoir. Essai pour une anthropologie de l’éducation camerounaise, Montréal, Presses de
l’Université de Montréal, 1982, pp. 372-395.Dans le même sens, voir T. M. Bah, ‘‘Etude sur l’éducation
traditionnelle coranique et son incidence sur l’éducation de type moderne. Problématique et objectifs’’, Rapport
de mission effectuée à Ngaoundéré et Garoua du 22 au 29 juin 1978, Yaoundé, Institut des Sciences Humaines,
Centre National d’Education, 1978.
70
Voir dans ce sens M. Gomez-Perez, ‘‘Bilan et perspectives de l’enseignement de l’arabe dans les écoles
franco-arabes à Dakar et à Thiès : vers la marginalisation d’une jeunesse?’’, in M. Gomez-Perez et V.
Lacabanne (textes rassemblés par), La diffusion des savoirs dans les Tiers-Mondes. Contraintes et perspectives,
Paris, Publications Universitaires Denis Diderot, 1999, pp. 41-69 et S. Cissé, L’enseignement islamique en
Afrique Noire, 1992.
69
130
système officiel d’enseignement public. C’est l’Etat qui délivre et reconnaît le diplôme
(CEPE). La communauté musulmane restait ainsi par le canal de l’ACIC dépendante du
pouvoir.
On peut donc dire que dans le sillage de l’école coranique, le soutien apporté par le
pouvoir public à travers l’ACIC, à l’école franco-arabe procédait de la volonté de soutenir et
de promouvoir un type d’enseignement susceptible d’intégrer la tradition arabe musulmane et
la modernité. Ainsi cadrer dans ses finalités, l’école franco-arabe a constitué une pomme de
discorde entre les traditionalistes qui y voyaient un moyen de propagande islamique et les
modernistes chez qui elle a suscité l’espoir d’ouverture et d’adaptabilité des valeurs
musulmanes dans un contexte en pleine mutation qui annonçait déjà ce qui allait se produire
les années à venir.
En parallèle à la dynamisation de l’enseignement de l’arabe et des matières
islamiques à Douala, se développait la pratique du Hajj sous le double effet du dynamisme
intérieur de la communauté et du soutien toujours implicite de l’administration.
B- Du soutien implicite des pouvoirs publics à une demande musulmane de plus en plus
forte pour le Hajj à Douala entre 1972 et 1987
Les décennies 1970 et 1980 ouvrent une nouvelle phase dans le développement du
Hajj à Douala. Et, comme pendant la période de l’administration française, les Bamun
continuaient de se distinguer dans l’organisation du pèlerinage en occupant des
responsabilités importantes. Un dignitaire comme El Hadj Moctar Aboubakar Oumar qui
s’occupait du pèlerinage pendant la période coloniale avait été mandaté par le ministère de
l’Intérieur pour continuer sa tâche. Il avait rendu le pèlerinage de plus en plus dynamique et
des fidèles musulmans venaient même des autres régions du Littoral notamment
de
Nkongsamba et d’Edéa s’en remettre à ce personnage pour le Hajj. La tâche de cette cheville
ouvrière qui avait mis sur pied une équipe de travail appropriée71consistait à mener des
démarches auprès des compagnies aériennes Air Afrique d’abord, puis Cameroon Airline
71
Cette équipe était constituée du chef de la communauté haoussa de New-Bell, El Hadj Ousseini Adamou Labo
et des dignitaires comme El Hadj Garba Aoudou (décédé), El Hadj Ballah Mohaman (décédé) et El Hadj Tanko
Amadou, homme d’affaires et chef de la communauté haoussa de Bonabéri
131
(Camair) dès 1972. De même, cette équipe s’occupait des réservations sur des lieux
d’hébergement sur place en Terre Sainte de l’islam.72
Si moins de deux pèlerins partaient à la Mecque chaque année avant l’indépendance
du Cameroun, entre 1972 et 1987, le pèlerinage avait pris une certaine importance au sein de
la communauté musulmane de Douala. Leur nombre variait, pendant cette période, entre 60
et 120 voyageurs comme l’indique le tableau ci-dessous :
Tableau no VIII : Nombre estimatif des pèlerins de Douala entre 1972 et 1987.73
Nombre de pèlerins
Année
Prix total en Franc
CFA/par pèlerin
Total Camerounais
Douala
862
60
1972
170 000
1206
98
1978
360 000
1300
65
1979
360 000
978
42
1980
510 000
1327
104
1982
512 400
1170
94
1983
512 400
1384
80
1984
512 400
1878
110
1985
512 400
2376
111
1986
711 705
2448
120
1987
730 000
Entre 1972 et 1978, le prix total du voyage a plus que doublé, passant de 170 000
Francs CFA à 360 000Francs CFA. Cependant, le nombre de pèlerins croit d’un peu plus de
25 % seulement. Entre 1979 et 1980, le nombre de pèlerins de Douala baisse brusquement de
72
Toutes les informations relatives à ce paragraphe nous ont été fournies par Cheik El Hadj Moctar Aboubakar
Oumar, lors de nos entretiens des 8 et 9 Septembre 2006 à son domicile à New-Bell, derrière la marie de
Douala IIe.
73
Les chiffres sont des archives privées de A. Njiasse Njoya, vice-président de l’ACIC, président de
l’Association Mondiale pour l’Amélioration de l’Image de l’Islam, consultant UNESCO ; des dignitaires El
Hadj Moctar Aboubakar Oumar et El Hadj Ballah Mohaman. Comme les autres chiffres, ils sont tout aussi
relatifs. En effet, des personnes venaient de Nkongsamba ou d’Edéa ‘‘confier la gestion de leur dossier pour le
hajj’’ à l’équipe de El Hadj Moctar Aboubakar Oumar.
132
20 % en passant de 65 à 42 voyageurs. Cet infléchissement peut être attribué au prix total du
voyage qui passe de 360 000 Francs CFA à 510 000Francs CFA. Toutefois, la situation se
redresse aussitôt après car les pèlerins de Douala sont 104 en 1982 soit plus du double, sans
que le prix du voyage ait été modifié.
Le nombre des pèlerins doualais croît depuis 1984 pendant que le prix du voyage
augmente énormément aussi. Il est passé de 512 400 Francs CFA en 1984 à 730 000 Francs
en 1987 tandis qu’à la même période le nombre des voyageurs a crû de 80 à 120 pèlerins, soit
une augmentation globale de 40 personnes malgré le prix croissant aussi du voyage à la
Mecque. Quelles étaient les causes de cette augmentation du nombre de pèlerin à Douala ?
B-1 Soutien de l’Etat et nouvelles migrations
Plusieurs raisons se conjuguaient et semblaient déterminer une grande participation au
Hajj à Douala entre 1972 et 1987 et justifier aussi l’augmentation de la démographie
musulmane à Douala. D’abord, Le Cameroun crée sa propre compagnie de transport aérien
(Cameroon Airlines) en novembre 1971. Après sa création, la Camair menait des campagnes
publicitaires dans les milieux musulmans pour développer le pèlerinage et devenait le
‘‘transporteur exclusif’’ des pèlerins camerounais vers les Lieux saints de l’islam. Ensuite,
au début des années 1970, on assista à un début de ‘‘libéralisation’’ du pèlerinage,
conséquence d’un certain relâchement par rapport à la lutte contre l’UPC. L’étau s’était donc
desserré autour du pèlerinage. Enfin, la logique du pèlerinage pouvait aussi s’expliquer de
manière générale par le souci d’accorder des largesses en termes de titres de transport lors de
pèlerinage à la Mecque aux dignitaires musulmanes ou aux membres de leur entourage. Cette
politique qualifiée de ‘‘générosité’’ et héritée de la période coloniale s’appliquait aussi en
termes d’attribution de bourses d’études dans les pays du Golfe persique ou de marque de
sympathie lors des entrevues au ‘‘Palais’’.74
Mais l’augmentation du nombre de pèlerins était surtout liée à une croissance
démographique diversifiée de la communauté musulmane de Douala et à leur succès dans le
domaine économique. Jusqu’à la fin des années 1960 l’islam qui passait aux yeux des autres
populations pour une religion étrangère et lointaine et ne manifestait qu’une présence
circonscrite à Douala allait recevoir un coup d’accélérateur au cours des décennies 1970 et
1980 pour des raisons à la fois endogènes et exogènes. Au plan endogène, il y avait d’abord
74
Voir H. Adama, L’islam au Cameroun. Entre tradition et modernité, Paris, L’Harmattan, 2004, pp. 156-157.
133
l’établissement en 1974 d’une ligne de chemin de fer entre le Nord et le Sud doublée d’une
amélioration des infrastructures routières dans le Sud du pays. Les mouvements de
population allaient s’intensifier. Des musulmans allaient de plus en plus descendre du NordCameroun, du Nord-Nigeria et de la région de Foumban, régions où l’islam est puissamment
établi pour rejoindre Douala. Dès lors, les cultures devaient s’imbriquer et l’islam allait
trouver de nouvelles opportunités dans le Sud Cameroun en général75 et à Douala en
particulier.
Par ailleurs, au cours de cette même décennie, un bon nombre d’islamisés venaient du
Nord-Ouest, notamment des régions de Kumbo et de Bamenda. D’après N. Fru Awasom76, C.
Tardzenyuy Jumbam77 et T. Bonyi78, ce sont les pasteurs haoussas et bororos qui
introduisirent l’islam dans le Nord-Ouest au début du XXe siècle. La proximité du Nigeria et
les beaux
pâturages des hauts plateaux du Nord-Ouest favorisèrent l’immigration des
pasteurs monades. Par la suite, quelques groupements musulmans se fixèrent sur les terres
que les Fon leur attribuèrent. Ils y bâtirent des maisons, des écoles coraniques et des
mosquées. C’est ainsi que certains jeunes devinrent musulmans et les mosquées se
multiplièrent dans certaines villes du Nord-Ouest comme Kumbo, Bamenda, Jakiri, etc.
Toutefois, c’est en 1963 que le Fon Binkar Binglow, dont les prosélytes bamuns avaient
gagné la confiance au préalable, se convertit à l’islam, suivi des conversions en masse des
populations,
notamment chez les Nso. C’est aussi de cette région que sont venus des
musulmans pour s’installer à Douala au cours des années 197079.
On peut y ajouter dans une certaine mesure le phénomène de conversion à l’islam des
années 1970.80 Au lendemain de l’indépendance en effet, les musulmans devaient exploiter
l’ascension politique de l’un des leurs au pouvoir pour s’inscrire dans la dynamique
économique, politique et sociale du Cameroun. En effet, sous le règne du président Ahmadou
Ahidjo, nombreux sont les auteurs qui pensent que les musulmans bénéficiaient de soutiens
75
G.L.Taguem Fah, ‘‘Processus politique, mutation sociale et renouveau islamique au Cameroun’’, pp.230-231.
N. Fru Awasom, ‘‘From Migrants to Nationals and From Nationals to ‘‘Undesirable Elements’’: The Case of
the Fulani (Mbororo) in the North West Province of Cameroon’’, in C. Coquery-Vidrovitch et al., Etre étranger
et migrant en Afrique au XXe siècle. Enjeux identitaires et modes d’insertion, Vol. I, Paris, L’Harmattan, 2003,
pp. 403-414 et du même auteur, ‘‘Hausa and Fulani in the Bamenda Grass land : 1903-1960’’, Thèse de
Doctorat de 3e cycle en Histoire, Université de Yaoundé, 1984.
77
C. Tardzenyuy Jumbam, ‘‘The impact of the Fulani in the Fondom of Nso’s, 1920s-2004’’, Mémoire de
Master en Histoire, Université de Yaoundé I, 2002-2003.
78
T. Bonyi, ‘‘Islam in Nso since 1990’’, Mémoire de DIPES II en Histoire, ENS, 1999.
79
I. Njoya Moubarak, ‘‘Etat des lieux de l’islam au Cameroun’’, Communication à la Réunion de Chefs
Religieux des Pays et des Communautés Musulmanes en Afrique, Istanbul, 1996.
80
Voir G.L.Taguem Fah, ‘‘Processus politique, mutation sociale et renouveau islamique au Cameroun’’, pp.
223-225.
76
134
implicites81 et que l’islam enregistrait pour cette raison de nombreux néophytes82. La
politique du président Ahidjo avait ainsi permis aux musulmans de participer aux logiques du
marché et à profiter des facilités financières que l’Etat avait instituées. Pour J.A.Mbembé par
exemple, sous Ahidjo,
Dans les faits, les musulmans avaient la priorité en ce qui concernait l’admission dans les
concours administratifs, l’attribution des grades dans l’armée, les nominations dans les
structures de commandement et les sociétés parapubliques, l’octroi des bourses, l’octroi des
licences import – export, la distribution du crédit, etc.83
Même s’il est difficile de dire si cette politique était préalablement bien définie et
conçue avec des axes d’application, on peut constater qu’elle poussait certaines personnes qui
voulaient réussir dans ‘‘les affaires’’ à Douala à s’islamiser préalablement. Pendant nos
enquêtes de terrain, de nombreuses personnes nous ont affirmé que plusieurs chefs de
familles bamilékés et bassas se sont convertis, du moins nominalement à l’islam au cours de
la décennie 1970, par intérêt économique. Les exemples d’Emmanuel Petou et de Paul Nong
sont à ces titres éloquents. Ils montrent comment leur succès était lié en partie à leur
conversion à l’islam. Né en 1945 à New-Bell-Douala dans une famille catholique, Emmanuel
Petou avait exercé comme vendeur de vivres. Il se convertit à l’islam en 1972, à l’âge de 37
ans sous le nom de Petou Mama et monte une petite unité d’ ‘‘import-export’’ et commence à
‘‘gagner des marchés publics’’84. Paul Nong quant à lui est un Bassa né en 1947 à
Douala/Bonabéri dans une famille baptiste. Il exerçait comme cheminot jusqu’en 1975, date à
laquelle il se convertit à l’islam sous le nom de Nong Ousmane. Après sa conversion, il
démissionne de son service, crée ‘‘une petite unité de travaux publics et commence à
sillonner les bureaux à la recherche des marchés’’85. La promotion sociale et économique de
ces deux convertis semblait résulter, de leurs propres aveux, du double jeu de leur conversion
81
Voir H.Adama, L’islam au Cameroun, p.155-157 et J. A. Mbembé, ‘‘Dossier Cameroun / 12, novembre 1992,
Nord-Sud’’, Expert Consultant, Paris, 1992.
82
Au Nord-Cameroun, ce phénomène était officieusement mené et encouragé par le zèle de certaines autorités
administratives. Voir K. Shilder, Quest for self-esteem : State, Islam and the Mundang ethnicity in Northern
Cameroon, Leiden, African Studies Center, 1994; ‘‘Local rulers in North Cameroon : The interplay of politics
and conversion’’, Afrika Focus, 9 :1/2, pp. 43-72; ‘‘Etat et islamisation au Nord Cameroun (1960-1982)’’,
Politique Africaine, no 41, mars 1991, pp. 144-148 ; G.L.Taguem Fah, ‘‘Processus politique, mutation sociale et
renouveau islamique au Cameroun’’, pp. 223-226 et D. Abwa, ‘‘ Peut-on parler de la revanche des Kirdi du
Nord-Cameroun aujourd’hui ?’’, Annales de la FALSH, Université de Yaoundé I, volume 1, no 6, nouvelle
série, 2007, premier semestre, 2007, pp. 41-65.
83
Cf. J.-A. Mbembe, ‘‘Dossier Cameroun / 12, novembre 1992, Nord-Sud’’. Pour un argumentaire semblable,
voir aussi, H. Adama, L’islam au Cameroun, p. 156.
84
Résumé des propos de Petou Mama, entretien du 20 octobre 2004 à son domicile à Douala au quartier
Bonamoussadi /Koto.
85
Résumé des propos de Nong Ousmane, entretien du 21 octobre 2004 à son domicile à Douala, au quartier
Makepè.
135
à l’islam et de leurs relations personnelles avec les milieux musulmans.
Par cette stratégie, l’islam semblait gagner ainsi du terrain à Douala. En plus de
l’adoption des noms musulmans, il était aussi question d’un snobisme vestimentaire marqué
par le port du boubou ou de la gandoura86. Le caractère éminemment intéressé de ces
conversions ainsi que les enjeux de l’islam dans les stratégies de positionnement vis-à-vis du
pouvoir et des avantages qu’il procure nous amènent à tempérer, en l’absence de chiffre,
l’ampleur de cette islamisation. Bien qu’apparemment convertis, beaucoup montraient peu
d’enthousiasme face à l’islam et demeuraient ancrés dans leurs pratiques anciennes. Cette
islamisation apparente n’était pour certains qu’un moyen de mobilité sociale permettant à un
non musulman d’intégrer la catégorie musulmane dominante et de changer sa condition
sociale87. Autrement dit, ce mouvement de conversion était limité pour remettre radicalement
en cause les identités ethnoculturelles et, finalement, l’élargissement de l’espace de l’islam
rendait d’abord compte de la dissémination des groupes musulmans traditionnels.88
C’est dans ce contexte que de nombreuses familles, parmi les premières générations
des musulmans étrangers à Douala, notamment les Haoussa du quartier Congo et Yoruba du
quartier Makea, seront naturalisés ou assimilés Camerounais. Il faut en effet dire que leurs
multiples mariages avec les Camerounaises musulmanes ou non allaient leur permettre de se
naturaliser Camerounais, de renforcer leur insertion sociale et de faciliter ainsi leur
intégration dans la ville de Douala.89 Par leurs mariages avec les autochtones musulmanes ou
non et leurs investissements immobiliers à Douala, tout laisse croire que de nombreuses
familles avaient choisi de s’installer quasi définitivement dans leur espace d’accueil.
Toujours dans les années 1970, le premier président du Cameroun, Ahmadou Ahidjo
devait accorder aux Haoussa et assimilés le droit de se faire établir un certificat de nationalité
qui leur servait de pièce d’identité et les dispensait de la carte de séjour exigée aux étrangers.
Ils pouvaient ainsi militer dans le parti et se présenter aux élections législatives ou locales.
Les raisons invoquées pour la reconnaissance des ‘‘Haoussa’’ divergent : ‘‘on ne peut
s’empêcher de faire un rapprochement entre ce geste du chef de l’Etat et le pouvoir
économique que les Haoussa détiennent (...) il fallait les maintenir sur place pour animer
86
Ibid.
G.L.Taguem Fah, ‘‘Processus politique, mutation sociale et renouveau islamique au Cameroun’’, p. 237.
88
L. Maud, ‘‘Cameroun : les nouveaux territoires de Dieu’’, Afrique Contemporaine, 2005-3, no 215, p.103.
89
Nous reprenons ici les développements de B.-J. Nkene, ‘‘Les immigrés nigérians à Douala : problèmes et
stratégies d’insertion sociale des étrangers en milieu urbain’’, Afrique et Développement, Vol. XXVIII, nos 3 et
4, 2003, pp. 142-167.
87
136
l’économie’’90. Dans cette perspective, la décision de leur octroyer la nationalité participait
de la reconnaissance de leur importance économique. Pour d’autres, l’attachement du
président Ahidjo à la communauté ‘‘haoussa’’ s’expliquait par leur appartenance commune à
la religion musulmane. D’ailleurs, ‘‘au cours des années 1970, on a vu des dignitaires comme
Tanko Amadou, Garba Aoudou, Balla Mohamed, Tanko Hassan et bien d’autres faire leur
entrée au comité central de l’UNC’’91.
Ceci étant, ces communautés furent continuellement grossies de migrations
nationales ainsi que de flots de fonctionnaires, commerçants, chefs d’entreprise originaires
des régions anciennement islamisées du Cameroun.
Au plan exogène, l’accroissement du nombre de pèlerins à Douala venait aussi de
l’arrivée récente de divers vagues de ressortissants de l’Afrique de l’Ouest. A partir des
années 1980 en effet, de nouvelles communautés maliennes,
sénégalaises et même
nigériennes s’installent à Douala. Ces nouvelles migrations s’inscrivaient dans le
prolongement des déplacements des primo-migrants du premier tiers du XXe siècle (19201930). Le renforcement de la migration malienne, sénégalaise et nigérienne dans la ville de
Douala s’expliquait par la sécheresse des années 1970, 1980 et 1984 qui ont touché les pays
de l’Afrique de l’Ouest, surtout la Côte d’Ivoire, destination privilégiée des jeunes migrants
ouest-africains, devenue moins rémunérateur particulièrement pour les jeunes92. Il pouvait
aussi être lié à l’expulsion de leurs ressortissants du Congo en 1977 et du Nigeria en 198593.
La raison la plus évoquée par les migrants pour le choix de Douala à l’époque était qu’ ‘‘on
pouvait se débrouiller facilement pour avoir un petit travail en attendant de jours
meilleurs’’94 ; cette migration s’insérait dans une diversification des opportunités migratoires,
c’est-à-dire des possibilités de travail que n’offraient plus les pays de l’Afrique de
l’Ouest tels que le Ghana et plus particulièrement la Côte d’Ivoire95.
Cette nouvelle migration était aussi communautaire dans la mesure où elle s’était
développée en intégrant de nouvelles formes. Jusque là, les stratégies étaient individuelles,
90
Entretien avec Ratib El Hadj Ouba, un des imams de vendredi de la mosquée Cité de Palmiers à Douala, le 20
mars 2004.
91
Entretien avec El Hadj Moussa, un des imams de vendredi de la mosquée Cité de Palmiers à Douala, le 20
mars 2004.
92
V. Petit, Migration et société Dogon, Paris, Karthala, 1998.
93
S. Bredeloup, ‘‘Les migrants du fleuve Sénégal : à quand la ‘‘Diaspora’’?’’, Revue européenne des Migrations
Internationales, Vol.9, 3, pp. 205-232.
94
Propos de Yao. Youssouf, commerçant d’origine malienne au marché central de Douala, recueilli par P. Cissé,
‘‘La migration malienne au Cameroun : le retour est-il possible? ’’, 2005.
95
On lira à toutes fins utiles S. Traoré (s.d.), Migration et insertion socio-économique dans les villes en Afrique
de l’Ouest, Etudes et Travaux du CERPOD-No 16, octobre 2001.
137
les hommes partaient seuls à la recherche du numéraire et laissaient femmes et enfants sous
la tutelle de leurs parents. A partir des années 1980, non seulement les femmes partaient
aussi, mais leur départ ne s’inscrivait plus systématiquement dans le cadre de la migration
d’accompagnement (regroupement familial). La migration des femmes seules, indépendantes
ou libres, devenaient relativement importante.96 Comme nous l’avons dit précédemment,
cette migration a été plus importante à la suite de la crise des années 1980 en Côte d’Ivoire.
Elle était une migration de travail de main-d’œuvre non qualifiée, basée sur des conditions
économiques, d’accès aux ressources, de savoir faire et sur une intégration à caractères
familial et social. La colonie malienne au Cameroun par exemple, était estimée à 5000
personnes en 1989. Elle regroupait plusieurs familles dans les villes de Yaoundé et Douala.
Douala, avec ses potentialités économiques, connaissaient la plus forte implantation des
Maliens au Cameroun avec 3013 personnes97.
A la même période, la communauté sénégalaise était estimée à environ 1500
âmes98, travaillant pour certains dans les entreprises sénégalaises de travaux publics en
particulier qui s’installaient au Cameroun et notamment à Douala. Pour Marène Samba
Mallong, consul du Sénégal à Douala de 1982 à 1992, ‘‘le visage même de la communauté
sénégalaise, largement composée d’artisans autrefois, changeait avec la présence de
nombreux opérateurs économiques’’99.
Ainsi, avec des postes d’encadrement dans plusieurs entreprises et monopoles dans
le travail de l’orfèvrerie, les hommes renvoyaient souvent l’image d’une communauté
dynamique et parfaitement intégrée dans la société locale. Les femmes du groupe n’étaient
pas en reste. On les retrouvait derrière la floraison des restaurants et maisons de confection,
vendant les spécialités sénégalaises.100
Quant à la communauté nigérienne de Douala, elle devenait aussi de plus en plus
nombreuse. Fortement apparentés aux Haoussa, les Nigériens monopolisent le commerce
ambulant et se déplacent à pieds d’un coin à l’autre de la ville, à la recherche de la
clientèle101. A Douala, ils sont aussi partagés entre la gestion des échoppes et des activités
96
C. Oumar Ba, ‘‘Les Sénégalaises en Afrique centrale : de la migration d’accompagnement à l’émergence des
groupes de femmes autonomes’’, in C. Coquery-Vidrovitch et al., Etre étranger et migrant en Afrique au XXe
siècle. Enjeux identitaires et modes d’insertion, Vol. II, Paris, L’Harmattan, 2003, pp. 279 et E. Findley Sally,
‘‘Les femmes aussi s’en vont’’, Population Sahel, no 4, 1987, pp. 20-22, repris in Etudes et Travaux du
CERPOD, No 16, 1991 sous le titre ‘‘Les femmes aussi partent’’.
97
P. Cissé, ‘‘La migration malienne au Cameroun : le retour est-il possible?’’, 2005.
98
Estimation faite par Marème Samba Mallong, consul du Sénégal à Douala de 1982 à 1992. Voir le lien
internet http://www.lepotentiel.com/afficher_rubrique.php?id_rubrique. Site consulté le 27 avril 2004.
99
Ibid.
100
Ibid.
101
On les appelle affectueusement Aboki, ce qui signifie ami en langue haoussa.
138
telles que la petite restauration, le cirage des chaussures, la coupe des ongles, le lavage des
habits, la viande grillée, etc. Bien qu’ils soient moins nombreux que les autres communautés,
les Nigériens constituent un maillon non négligeable de l’économie locale. A la différence
des autres communautés, beaucoup parmi eux regagnent leur pays une fois leur objectif
économique atteint.
Longtemps une migration d’hommes seuls, cette nouvelle migration s’organisait
désormais aussi autour des femmes. Ce changement de comportement fait que les femmes
étaient de plus en plus nombreuses pour les migrations ouest-africaines à Douala. Ayant
échoué sur la route de l’Arabie Saoudite à la recherche d’une connaissance et d’un savoir
religieux, les migrants sénégalais et maliens s’étaient d’abord installés dans les villes de
Maroua, Garoua et Ngaoundéré dans la partie septentrionale du Cameroun. Vers la fin des
années 1970, ils ont commencé à venir et à descendre vers le Centre et le Littoral. D’autres,
négociants de l’ivoire et des pierres précieuses qui n’ont pas réussi au Congo, au Zaïre (actuel
République Démocratique du Congo)102, et certains pour faire prospérer leurs affaires, sont
venus s’installer dans la capitale économique du Cameroun. En s’y installant, un grand
nombre de Sénégalais et Maliens célibataires ou sans femmes ont fondé plus d’un ménage et
les premiers regroupements familiaux d’hommes et de femmes sénégalais et maliens à
Douala se seraient effectués après 1980 dans un contexte difficile. A titre d’illustration, P.
Cissé estimait en 1989 les mariages au sein de la communauté malienne à 78% endosethniques, des unions d’époux et d’épouses du Mali et 22% issus de rencontres et d’unions
avec une autochtone ou d’une autre étrangère.
Le nombre élevé de pèlerins résulte aussi de l’agrandissement de la ville. En effet,
en cinquante ans, la ville n’a pas moins que septuplé. Le trafic du port est passé d’un million
de tonnes en 1960 à sept millions en 1985, avec un net fléchissement entre 1987 et 1990 du
fait de la crise économique. Selon les statistiques établies par des entreprises privées, la ville
comptait en 1989 plus d’un million et demi d’habitants, cinq fois plus qu’en 1950.
L’occupation des terrains est sept fois plus étendue qu’en 1950. Tout ‘‘a grandi à la
proportion du port’’103. Et, du seul fait de la croissance de la population et d’une forte
natalité, le nombre des musulmans a sans doute augmenté au même rythme.
L’importance numérique des musulmans de Douala est cependant difficile à
déterminer. On doit en effet dire que malgré les recensements de populations effectuées au
102
103
Voir S. Bredeloup, ‘‘L’aventure des diamantaires sénégalais’’, Politique africaine, no 56, 1994, pp. 77-93.
Cf. G. Mainet, Douala, croissance et servitudes, Paris, L’Harmattan, 1985.
139
Cameroun en 1976104 et en 1987105, il n’est pas aujourd’hui possible d’évaluer avec précision
le nombre de musulmans ou de chrétiens encore moins le nombre d’étrangers comme c’est le
cas du Recensement Général de la Population et de l’Habitat (RGPH) de 1986 où les
étrangers n’ont pas été pris en compte dans la ville de Douala.106 Néanmoins, on peut
aisément penser que la majorité des immigrés Ouest-africains, nombreux à Douala, sont de
religion musulmane et beaucoup d’entre eux résident dans les quartiers où leurs
coreligionnaires camerounais sont nombreux. Cette situation leur permet de se fondre dans
un univers qui leur est souvent hostile.
En l’absence de données statistiques exactes, certains responsables procèdent par
ordre de grandeur. Aussi, A. Njiasse Njoya, agissant en tant que vice-président de l’ACIC,
avance, dans son étude intitulée ‘‘L’islam au Cameroun’’107, quelques chiffres de statistiques
relatives à la présence des musulmans dans les principales villes du Cameroun méridional :
Yaoundé, Bafia, Kumba, Douala, Nkongsamba, etc. Ces évaluations plus ou moins
approximatives donnaient un pourcentage de 5% de musulmans à Douala. En 1988, la
population doualaise serait de 1.500.000 âmes, selon le RGPH de 1987. En considérant le
chiffre de 5%, on peut retenir qu’il y avait environ 75.000 musulmans à Douala. Mais on se
rend compte que ces chiffres datent déjà de 19 ans108 et il importe d’en renouveler les
contours. Mais il faut toujours dire qu’il y a une grande divergence dans les données
statistiques pour cette ville.
Les chiffres du Programme Islamique pour l’Assistance Humanitaire (PIAH), bien
que récents, sont encore plus relatifs et approximatifs. Dans une enquête publiée en 2000,
cette association attribuait pour l’année 1990, 3.000.000 d’habitants à la ville de Douala
pour 30 % de musulmans, ce qui donnerait 900.000 musulmans environ à Douala.109
Si A. Njiasse Njoya estime à 75.000 le nombre de musulmans à Douala en 1988 –
104
Selon l’Annuaire Statistique de l’Institut National de la Statistique et du bureau du Recensement Général de
la Population et de l’Habitat (RGPH) de 1976 (p. 38), Douala comptait 453.700 habitants.
105
Selon les mêmes sources, Douala comptait en 1987, 801.700. Voir aussi Démo 87, Ministère de
l’Equipement et du Plan, Yaoundé, 1987. Précisons aussi que pendant les deux recensements, les limites
territoriales de la ville de Douala s’identifiaient à celles du département du Wouri sauf l’arrondissement de
Manoka.
106
Cette absence des données démographiques récentes et précises sur le nombre de musulmans au Cameroun en
général et à Douala en particulier, a du limiter de manière significative la dimension quantitative initialement
projetée dans ce travail et justifie inversement la tendance forte vers une analyse largement qualitative du
phénomène de l’islam à Douala. C’est donc faute de mieux que nous avons utilisé les chiffres ci-dessus comme
orientation statistique pour cette section.
107
A. Njiasse Njoya, ‘‘ L’islam au Cameroun’’, pp. 237-258.
108
L’étude a été faite en 1988 et publiée en 1997, soit plus de 10 ans après.
109
PIAH, “Information Technology at the service of Islam Telecommunication Project”, Douala, février 2000,
p.16. Pour l’année 2000, cette association attribuait 5.000.000 d’habitants à la ville de Douala pour 30 % de
musulmans, ce qui donnerait 1.500.000 musulmans environ à Douala !!!
140
ce qui est tout à fait vraisemblable – il y a lieu de remarquer que celui servi par le PIAH le
grossirait énormément au regard de la population totale de Douala qu’il évalue à 3.000.000
d’habitants en 1990. En effet, d’après le schéma directeur d’aménagement urbain, ce chiffre
s’évaluait à 674.000 habitants en 1982110. Avec une croissance annuelle d’environ 7%,
Douala ne pouvait atteindre que 1.082.297 en 1989 et 1.158.057 habitants en 1990111,
chiffres inférieurs à ceux du RGPH de 1987. De plus, si l’on admet avec les responsables
municipaux que, chaque année, la population de la ville augmentent de 100.000 habitants
sous les effets conjugués de l’accroissement naturel et du flux migratoire, Douala devrait
compter environ 3.000.000 d’habitants en l’an 2000.
Quel que soit leur nombre, les migrations et nouvelles structurations (mariage et
regroupement) devaient modifier les modes d’insertion professionnelle des groupements
musulmans, lesquels ont aussi permis à un plus grand nombre de musulmans de faire le
pèlerinage.
B-2 Le succès de l’insertion socio-économique des musulmans de Douala comme facteur
de développement du Hajj
A l’origine, les musulmans doualais étaient essentiellement désignés par leurs
activités commerciales.112 Peu après l’indépendance, l’islam va solidement s’ancrer dans des
traditions de libre commerce et d’entreprise privée. Suivant les catégories sociales, il y eut
des gros commerçants, des industriels, des entrepreneurs fortunés. Ils contrôlèrent une grande
partie de l’économie ; ils figurèrent parmi les entrepreneurs les plus industrieux, constituant
de ce fait des concurrents de taille aux communautés commerçantes européennes, gréco-syrolibanaises et aux Bamiléké. Et même si leurs activités économiques présentent souvent des
itinéraires difficilement maîtrisables113, on peut percevoir leur poids économique à travers de
fortes personnalités du monde des affaires telles que : Tanko Amadou, Adamou Souley, Zra
Doua, Alhadji Bala Mohamed (ABAMO), Tanko Hassan, Mohamadou Bayero Fadil, Garba
Aoudou, etc. La plupart des entrepreneurs musulmans à Douala sont des Haoussa et des Peul,
islamisés depuis des siècles ; ils forment les 64% des entrepreneurs originaires du Nord à
110
Cameroon Tribune, quotidien bilingue du 4 décembre 1993.
Soit 3.400.000 habitants en 2006.Voir P. Canel et al. , Construire la ville, Paris, Karthala/ACCT, 1990.
112
Rappelons que toute la littérature et les archives coloniales les présentent comme des commerçants, des
marchands, des colporteurs.
113
Voir B.-J. Nkene, ‘‘Les immigrés nigérians à Douala : problèmes et stratégies d’insertion sociale des
étrangers en milieu urbain’’, pp. 142-167. Plus généralement, voir E. Grégoire et P. Labazée, Grands
commerçants d’Afrique de l’Ouest. Logiques et pratiques d’un groupe d’hommes d’affaires contemporains,
Paris, Karthala-ORSTOM, 1993.
111
141
Douala.114 De plus, ils ne sont pas de nouveaux venus à Douala. Au sein de ces deux
groupes, les femmes sont peu représentées, moins de 2%, ce qui peut se justifier par le fait
que dans ces ethnies, les femmes sont beaucoup moins actives que dans les groupes
christianisés.115 Certains sont concentrés dans un certain nombre de secteurs d’activités, en
l’occurrence le textile, les détergents, le commerce de gros, les transports et les pièces
détachées. La proximité avec le Nigeria, les raisons à la fois culturelles et religieuses
expliquent probablement l’intensification du commerce avec ce pays et l’existence de
créneaux tels que la vente des pièces détachées en provenance du Nigeria chez les
‘‘nordistes’’. Ils se livrent aussi aux transports inter-urbains et sous-régionaux avec des gros
porteurs qui transportent des marchandises de Douala vers l’arrière pays et l’Afrique
centrale. L’importance de ce type d’activité tient probablement à la nécessité de ravitailler la
partie septentrionale du pays en produits d’importation entrés par le port de Douala. Les
habitudes vestimentaires des groupes originaires du Nord (en l’occurrence le port du pagne
chez les femmes) expliquent le choix de cet autre créneau qu’est le textile.
Le succès du Hajj à Douala était aussi lié à l’action de certains de ces richissimes
entrepreneurs tels El Hadj Mohamadou Bayero Fadil et El Hadj Tanko Amadou qui
convoyaient plusieurs dizaines de croyants à la Mecque à l’occasion du pèlerinage. Pour El
Hadj Diallo Bakai,
Des relations familiales et d’affaires sont à la base du choix de ces croyants. Pour la
famille, il s’agit surtout des femmes dont les revenus sont liés à ceux des hommes. Très
souvent, ce sont les hommes fortunés qui prennent en charge tous les frais de voyage de leurs
meilleurs employés, de leurs épouses, de leurs belles sœurs et de leurs propres sœurs. Parfois,
c’est un fils généreux qui fait voyager sa mère. .. De toute façon, l’accomplissement du Hajj
par une femme est très souvent lié à la participation financière de l’homme.116
Les Bamun quant à eux s’étaient spécialisés dans le commerce des objets
artisanaux ; certains d’entre eux ayant même une envergure internationale dans ce trafic. Les
Haoussa qui avaient, depuis l’époque coloniale, le quasi monopole de l’abattage du gros
bétail et de son découpage pour l’approvisionnement en viande des marchés urbains et
mêmes périphériques étaient partiellement concurrencés par des commerçants bornuans,
kotokos et arabes choa. Les Peul aussi s’étaient initiés à l’école du commerce des Haoussa et
en mettant à profit leur position dans l’appareil de l’Etat. De même, pendant la décennie
114
Statistiques fournies par G. A. Brenner et al., ‘‘Les entrepreneurs originaires du Nord à Douala et à
Yaoundé’’, in Les facteurs de performances de l’entreprise, Paris, Ed. AUPELF-UREF, 1995, p. 158.
115
Ibid.
116
Propos de El Hadj Diallo Bakai, recueillis le 3 septembre 2007 à son domicile à New-Bell/ Congo.
142
1970, l’Etat camerounais en accordant des autorisations officielles, en distribuant du crédit,
etc., n’était non plus sans jouer un rôle sélectif. En effet,
Les entrepreneurs originaires du Nord ont été favorisés dans la période qui a suivi
l’indépendance par le fait que le premier président du Cameroun était lui-même originaire
de cette région. (... ) Ses attitudes et comportements face au monde des affaires et de
l’entrepreneuriat ont été influencés par sa culture musulmane.117
Cependant, depuis l’arrivée de la dernière vague de migrants ouest-africains dans
les années 1980, quelques touches complémentaires étaient venues nuancer ce schéma
général. En effet, les nouvelles migrations ouest-africaines et celles du Nord Cameroun
avaient mis en place un marché de transaction de bétail entre le Nord et le Littoral. Les
réseaux de commerçants ouest-africains, fondus à leurs homologues du Cameroun, sont
comparables à ceux des Soudanais commerçants de bétail au Togo118, à ceux des Peul
transhumants du triangle Mali-Burkina Faso-Côte d’Ivoire119. Ils achètent des animaux au
Nord-Cameroun et les vendent aux bouchers à Douala ou exportent une part importante des
animaux vers le Gabon par le train et la route.
Cette vignette des activités économiques des musulmans de Douala ne doit
cependant pas faire perdre de vue que certains parmi eux se livrent aussi au transport urbain
(taxi) ; on en trouve et ils sont nombreux. Sur le marché des oignons et des arachides, les
communautés musulmanes sont très organisées. Elles créent des associations pour gérer le
marché et éviter les contradictions liées au communautarisme.120 Mais en même temps on
trouve une masse de petites gens, de petits bouchers, ‘‘sauveteurs’’, de boutiquiers ou encore
des vendeurs ambulants de statuettes africaines, de vêtements et des lunettes de soleil, etc.
Le secteur artisanal est très poussé par eux : travail du cuir, de l’ivoire, de l’ébène, de l’or, de
la couture et autres. Certains travaillent comme main d’œuvre familiale qui, en dépit de
rémunération souvent dérisoire, réussissent à développer leur propre commerce.121 Il y a
enfin ceux qui travaillent comme des veilleurs de nuit, boys, blanchisseurs, petits travailleurs
indépendants infatigables, ‘‘sous - prolétaires’’, ceux qui ont la vie très dure et n’ont même
pas les rituels religieux pour éprouver le sentiment d’unité.
117
G. A. Brenner et al., ‘‘Les entrepreneurs originaires du Nord à Douala et à Yaoundé’’, in Les facteurs de
performance de l’entreprise, Paris, Ed. AUPELF-UREF, 1995, p.157.
118
Voir M. Agier, Commerce et sociabilité. Les négociants soudanais du quartier Zongo de Lomé (Togo), Paris,
ORSTOM, 1983.
119
Voir V. Ancey, ‘‘Les Peul transhumants du Nord de la Côte d’Ivoire. L’Etat et les paysans : la mobilité en
réponse aux crises’’, in Crise, Ajustements et Recompositions en Côte d’Ivoire : la remise en cause d’un modèle,
Colloque International, Séance no 6, GISDI-CI, ORSTOM-Abidjan, 1994, pp. 1-12.
120
Voir E. Hatcheu Tchawe, Marchés et marchands de vivres à Douala, Paris, L’Harmattan, 2006.
121
G. A. Brenner et al., ‘‘Les entrepreneurs originaires du Nord à Douala et à Yaoundé’’, pp.155-165.
143
En somme, les nouvelles vagues de migrations ouest-africaines et nationales étaient
constituées en majorité de travailleurs indépendants dans le commerce et dans l’artisanat
depuis leur arrivée dans les années 1980. Parmi les anciens migrants qui résidaient dans
d’autres pays africains, certains arrivaient à Douala avec leurs propres fonds de commerce122.
Par contre, elles diffèrent des migrations des années 1930 composées des employés de
l’administration coloniale, de tirailleurs reconvertis en employés dans les commerces
européens et dualas. Comme leurs aînés, ils entretiennent des réseaux marchands
d’approvisionnement dans divers secteurs commerciaux. Ces réseaux d’approvisionnement
marchands à Douala sont basés sur les relations de confiance (capital social), la religion
(solidarité co-religionnaire) et les structures familiales (parentés, ethnies, villages, régions
d’origine) qui jouent un rôle important.
Le nombre élevé de pèlerins à Douala entre les années 1970 et 1980 pouvait ainsi se
justifier par la conjonction de plusieurs facteurs : la naissance d’une compagnie aérienne
nationale en 1971, la structuration du Hajj autour d’un démarcheur facilitateur comme El
Hadj Moctar Aboubakar chargé d’organiser le pèlerinage depuis l’époque coloniale, la
‘‘libéralisation’’ du pèlerinage, conséquence d’un certain relâchement par rapport à la lutte
contre l’UPC, le flot de fonctionnaires musulmans, commerçants et chefs d’entreprise
originaires du nord ainsi que diverses vagues de nouveaux migrants tant de l’intérieur que de
l’extérieur et la diversification de leurs activités allaient leur donner les moyens de participer
de plus en plus au Hajj. Et, même si le Hajj permettait une meilleure identification et faisait
partir d’une stratégie communautaire pour s’attacher à l’Oumma, à Douala, il restait lié à
l’évolution démographique et aux activités socioprofessionnelles de la communauté
musulmane de Douala. L’Etat était aussi présent dans la mesure où il n’y avait aucune
association à cette période pour organiser le pèlerinage. Sa présence se faisait ressentir
surtout à travers le Ministère de l’Administration Territoriale qui délivrait des autorisations
aux encadreurs impliqués dans l’organisation du Hajj et la Compagnie Nationale des
Transports Aériens (Camair), transporteur exclusif à partir de 1971.
En définitive, les décennies 1960 et 1970 ouvrent une nouvelle phase dans le
développement de l’éducation confessionnelle islamique et la pratique du Hajj à Douala.
Toutes ces initiatives prises par la communauté musulmane de Douala (articulation de
122
P. Cissé, ‘‘La migration malienne au Cameroun’’, p. 11.
144
l’éducation et la pratique du Hajj au plan local) ne pouvaient fonctionner sans un minimum
de soutien et de contrôle des autorités administratives. L’Etat intervenait de manière directe
ou indirecte dans les activités éducatives, à travers ses excroissances que sont l’ACIC pour
l’enseignement ou, l’administration intérieure et la Camair pour le Hajj. A leur tour, ces
structures étaient travaillées par des dirigeants à la cause de la politique gouvernementale. De
ce point de vue on peut dire que les questions de l’éducation et du hajj n’étaient pas
seulement culturelles ou cultuelles mais aussi politiques. Leurs dirigeants étaient
instrumentalisés et mis en avant par l’Etat. Ces fidèles allaient par leur grande prudence et
surtout faute de moyens paralyser l’école et toutes les initiatives culturelles que l’ACIC avait
la charge d’animer et de développer. Et, à la fin des années 1970 et surtout au cours de la
décennie suivante, des bouleversements font émerger les premières lignes de fractures au
sein de la communauté musulmane de Douala.
145
QUATRIEME CHAPITTRE
LES COMMUNAUTES MUSULMANES DE DOUALA AVANT LA LIBERALISATION
DES ANNEES 1990
Entre la décennie 1970 et la fin des années 1980, des changements ont lieu au sein
de la communauté musulmane et ont conduit à un regain islamique qui met la prédication au
centre du dispositif religieux à Douala. Outre le retour des étudiants formés dans les
universités moyen-orientales qui ne se déroulent pas sans provoquer une certaine
frustration/contrariété de la part des marabouts traditionnels qui commencent à voir leur
influence diminuer au profit des ‘‘jeunes intellectuels fiers de leurs maîtrise de l’arabe et
conscients de leur pureté littéraire’’1, Douala a vu se multiplier la construction des mosquées.
Au plan administratif, la création d’autres chefferies musulmanes suit d’ailleurs
cette évolution, comme nous le verrons. Par ailleurs, au plan éducatif, l’école franco-arabe
après l’enthousiasme de départ tarde à connaitre l’engouement populaire escompté. Elle
s’essouffle et présente des signes de décadence. La communauté, ethnologiquement et
sociologiquement hétérogène, ne trouve pas de solutions idoines.
Toutes ces réalités s’enracinaient évidemment dans la géographie sociale et religieuse
de la ville de Douala. Le propos de ce chapitre est de dresser les grandes lignes des
changements qui s’amorcent au sein des communautés musulmanes de Douala à partir de la
fin des années 1970 ; de s’interroger sur l’attitude des musulmans militants de cette tendance
qui basculent de l’hostilité à l’égard des autorités, qu’elles soient traditionnelles ou politicoadministratives. Nous nous interrogeons aussi sur quelques ruptures entre les autorités
traditionnelles et l’appareil politico-administratif ; sur la cohérence et la réaction des autorités
et de l’ACIC face à cette attitude et sur les raisons de la perte de vitesse de l’école francoarabe de Douala à la fin des années 1980. Cette dialectique actions/réactions subséquentes
constitue le fil conducteur de ce chapitre. Bref, notre objectif est d’analyser en quoi les
années 1970 et surtout 1980 constituent une parenthèse qui conduit à un début de
remaniements dans le paysage islamique doualais. Avec l’émergence d’une nouvelle
tendance, la stratégie du pouvoir de modeler selon ses propres principes ne lui donne-t-elle
1
G.L.Taguem Fah, ‘‘Processus politique, mutation sociale et renouveau islamique au Cameroun’’,
Rupture/Solidarité, no 4, Paris, Karthala, 2003, p. 234.
146
pas la sensation d’être corsetée, bâillonnée ? Il s’agit de montrer qu’à la fois le paysage
islamique est figé mais qu’en dépit de la surveillance du pouvoir politique, quelques signes
de résistance s’opèrent dans la communauté.
A-L’éveil d’une nouvelle tendance islamique à Douala
A l’origine, dans la ville de Douala, l’islam était influencé par la confrérie soufie de
la Tidjaniyya. La plupart des écoles islamiques qui se développaient alors au sein des
communautés musulmanes étaient tidjanistes et les grands marabouts qui étaient à leur tête
étaient vénérés par la population. Mais, sous le règne du président Ahmadou Ahidjo (19601982), la Tidjanniya sera interdite à cause de son refus de reconnaître toute autorité autre que
celle de Dieu. De même, la confrérie Qadiriya sera dissoute pour avoir soutenu les opposants
au régime.2 Ces deux confréries ne vivaient plus que de façon souterraine. Cette répression
politique réduisait sans cesse le champ d’action et la cartographie des confréries musulmanes
traditionnelles à Douala. Et, jusqu’au milieu des années 1970, la communauté musulmane
doualaise demeurait groupée autour d’un islam officiel qui officiait pour les prières de
vendredi et pour les principales fêtes musulmanes. Mais, au milieu des années 1970 une autre
tendance devait voir le jour et contribuer à son tour à l’enracinement de l’islam à Douala. Il
importe de considérer le cas de cette nouvelle tendance qui avait acquis droit de cité et qui
connaît depuis la fin des années 1970 une implantation appréciable à Douala. Quelles sont les
grandes lignes de son évolution ? Quelle est sa base sociale ? Que représente-t-elle ? Mais
avant, tentons de donner une délimitation à la catégorie dont il est question dans ce chapitre.
A-1 Entre wahhabites, fondamentalistes, réformistes et intégristes qui sont-ils
réellement ? Essai de définition de la nouvelle tendance
Dans la littérature islamologique africaine, on utilise une diversité lexicale pour
définir les stratégies culturelles et politiques islamiques depuis le retour des premiers
étudiants africains ayant fait des études dans les pays arabes. Les mots tels que wahhabisme,
fondamentalisme, réformisme et depuis une vingtaine d’années l’intégrisme sont utilisés sans
distinction, surtout par un vocabulaire occidental et la presse internationale ayant tendance à
évoluer avec rapidité. En Occident, ces termes évoquent généralement des images de barbus
enturbannés et de femmes en tchador noir. Ils désignent certains mouvements qui comptent
parfois des éléments réactionnaires ou violents dans leurs rangs. Pour eux, la religion ne
2
M. Oumarou, ‘‘La culture arabo-islamique. Les Haoussa du Sud-Cameroun (le cas de Yaoundé) et l’intégration
nationale’’, Thèse de Doctorat en Histoire, Université de Paris III, 1987, P.71.
147
saurait être confinée au domaine de la loi personnelle et la vie privée : l’islam a un point de
vue sur la société et sur l’ordre ‘‘juste’’3. Cependant, ces stéréotypes ne doivent pas
empêcher de voir qu’il existe de puissantes forces modernisatrices en leur sein. En d’autres
termes, ce sont ces islamistes dits radicaux, ultraminoritaires dans l’océan du milliard de
musulman du monde qui fournissent le prétexte à un déferlement de haine contre l’ensemble
des fidèles de l’islam.4 En tenant compte du contexte socio-historique camerounais, quelle
signification peut-on donner à ces termes ? Quelle est l’expression qui permettrait de se
rapprocher le plus de la réalité observée à Douala au cours des décennies 1970 et 1980? Par
ailleurs, il est intéressant de savoir d’abord comment nos interlocuteurs se désignent euxmêmes.
Le courant wahhabite est d’origine saoudienne. Il est fondé par Muhammad Ibn Addel
Wahhab (1703-1732). Ainsi, certains historiens5 l’ont appelé ‘‘wahhabiya’’ par
rapprochement avec la doctrine de son fondateur. Il existe cependant un débat sur la
pertinence de l’emploi de ce terme. D’une part, son emploi sous-entend une identité entre le
mouvement saoudien et les mouvements africains. D’autre part, le terme de wahhabiya n’est
pas employé par ses partisans qu’ils soient Saoudiens6 ou Camerounais. Ainsi, tous nos
interlocuteurs partisans de ce mouvement récusent en général ce terme et se désignent comme
des ‘‘Salafis’’, en référence à ceux qui suivent l’islam des ‘‘prédécesseurs’’, c'est-à-dire les
compagnons du Prophète et les quatre califes dits bien guidés.7 Ils se désignent aussi comme
les ‘‘gens de la Sunna’’8, les ‘‘sunnites’’, par opposition à toute pratique fut-elle à l’intérieur
du camp sunnite, qualifiée d’innovation ; ignorant ainsi que l’islam doualais comme
d’ailleurs l’islam camerounais est essentiellement venu de l’Ouest par les Etats soudanosahéliens et de l’Adamawa et est donc de tradition sunnite dont le rituel est celui de la plupart
les musulmans camerounais. En fait, ils disent n’appliquer que le Coran et la Sunna et
adoptent des comportements faisant ressortir leur attachement à ces principales sources. Ils se
3
Voir Y. Lacoste, Dictionnaire de géopolitique, Paris, Flammarion, 1993.
Ibid. Voir aussi I. Ramonet, ‘‘Plus qu’une religion’’, Manière de Voir, Bimestriel, juillet-août 2002, no 64, pp.
6- 7.
5
Ainsi, L. Kaba revendique l’appellation ‘‘Wahhabiya’’ dans son ouvrage The wahhabiyya. Islamic reform
and politics in French West Africa, Evantson, Northwestern University Press, 1974, pp. 21- 45 et pp. 95-133. Se
référer aussi à J.-L. Triaud, ‘‘Le mouvement réformiste en Afrique de l’Ouest dans les années 1950’’, Sociétés
africaines, monde arabe et culture islamique, Paris, Mémoires du Germaa, no 1, 1979, pp. 195-212.
6
Les Wahhabi saoudiens se qualifient de ‘‘Muwahhidum’’ (unitaristes). Cf. R. Schulze, ‘‘La da’wa saoudienne
en Afrique de l’Ouest’’, in R. Otayek (s.d.), Le radicalisme islamique au Sud du Sahara Da’awa, arabisation et
critique de l’Occident, Paris, Karthala, 1993, p. 21.
7
La principale figure de la Salafiya ou du retour aux sources est le Cheikh Mohamed Abdou (1849-1905), grand
Mufti d’Egypte. Il s’efforça de présenter et de développer l’aspect ‘‘intérieur de la religion’’, débarrassée des
additions fallacieuses, et de ramener à la pureté et à la simplicité originelle. Cf. J.-C. Froelich, Les musulmans
d’Afrique Noire, Paris, Ed. de l’Orente, 1962, p. 271.
8
Voir glossaire.
4
148
considèrent comme les véritables Sunnites, rejetant implicitement les autres musulmans dans
l’hétérodoxie. Ces derniers les appellent les ‘‘fondamentalistes’’. Il ne s’agit donc pas ici
d’un mouvement structuré, mais d’une vision de l’islam qui donne la primauté à une lecture
littéraliste et puritaine du Coran. Ce mouvement cherche le retour aux textes d’où les
qualificatifs de fondamentaliste, que les ‘‘autres’’9 utilisent pour les désigner.
Mais ce terme de ‘‘fondamentalisme’’ doit être manié avec prudence et précision. Le
fondamentalisme à la saoudienne est une interprétation littéraliste et ‘‘fixiste’’ de
l’enseignement islamique. Il ne vise pas, pour autant, à la conquête des pouvoirs d’Etat.10 Il
recherche plutôt le contrôle des communautés, des mosquées et des écoles. La rigueur de ses
représentants les plus militants - qui créent des mosquées distinctes comme les cas des
mosquées de New-Bell que nous verrons et qui représentaient les meilleurs ‘‘laboratoires’’ de
cette tendance à Douala - limite son audience à des milieux de jeunes en quête de légitimité
sociale et quelques fois privés d’éducation occidentale. C’est le cas notamment d’une partie
des jeunes musulmans de New-Bell que nous verrons. Mais cette sensibilité ‘‘wahhabite’’
était le lieu des transformations significatives de l’islam à Douala.
Malgré quelques nuances, l’emploi des termes réformiste et fondamentaliste par les
‘‘autres’’ pour regrouper tous ceux qui faisaient partie de la nouvelle tendance, qu’ils soient
formés en Arabie Saoudite ou non nous semble justifié dans la mesure où cette tendance met
l’accent sur ce qu’elle ‘‘considère comme le retour à l’essentiel’’11. Par réformisme ici, il
était fait référence aux campagnes menées par des religieux et des enseignants d’arabe de
retour des pays arabes, qui sillonnaient les communautés musulmanes nationales et dont
l’ennemi n’était pas la modernité mais la tradition, ou plutôt dans le contexte musulman tout
ce qui n’est pas la tradition du Prophète.12
On pouvait aussi qualifier nos interlocuteurs de réformistes par ce que sur le plan
éducatif notamment, ils avaient, à leur retour, revisiter les méthodes d’enseignement et
faisaient constamment recours aux matières tout à fait différentes de celles des maîtres
coraniques formés sur place.13 Ce terme semble donc mieux résumer ces étudiants issus
d’horizons divers. En effet, l’utilisation de ce terme pour désigner la naissance et l’avancée
d’une nouvelle tendance islamique au Cameroun pendant les décennies 1970 et 1980 sont des
9
Sous entendu les autres confréries. Cf. O. Carre et P. Dumont (éds.), Radicalismes islamiques, Paris,
L’Harmattan, 1986, T. 2, p. 166.
10
Voir J. L. Triaud, ‘‘Introduction’’, in O. Kane et J.L. Triaud (s.d.), Islam et islamismes au Sud du Sahara,
Paris, Kathala et IREMMAM, 1998, p. 16.
11
Voir J. Sourdel et D. Sourdel, Dictionnaire historique de l’islam, Paris, Puf, 2004, p. 301.
12
Voir les travaux d’O. Roy, notamment ‘‘Les voies de la réislamisation’’, Pouvoirs, no 62, 1992, p. 85 et
‘‘Les apories de l’islam politique’’, La règle du jeu, 2è année, mai 1991, no 4, p.199.
13
Voir troisième chapitre, section A.
149
phénomènes que les études de H. Adama confirment. Il a en effet constaté l’émergence d’une
génération de ‘‘réformistes’’ plus autonomes par rapport à l’Etat dès la fin des années 1970 à
Douala.14 Outre ce terme, G.L. Taguem Fah utilise les expressions suivantes : ‘‘renouveau
islamique’’, ou encore ‘‘moderniste’’ pour désigner cette nouvelle tendance née au milieu des
années 1970.15 Dans cette perspective, nous pouvons dire que ces termes (réformiste et
moderniste) désignent à Douala, tous ceux qui avaient effectué leurs études au Proche et au
Moyen Orients et notamment en Egypte et en Arabie Saoudite au lendemain de
l’indépendance du Cameroun.
Quant au terme intégriste, il est d’utilisation récente et désigne à l’origine un
phénomène propre à la religion chrétienne. Il ne cherche pas à rendre compte d’un problème
d’interprétation, mais d’un problème pratique : le refus d’adaptation de l’Eglise en matière
liturgique et sociale. Il sert de plus en plus à désigner les fondamentalistes ayant la lecture la
plus rigide de la religion, sans possibilité d’exégèse. Dans les études sur l’islam en Afrique au
Sud du Sahara, l’emploi de ce terme prête à confusion.16 Si en effet, on assistait au sein des
communautés musulmanes du Cameroun, à une percée du mouvement réformiste qui
s’attachait à stigmatiser l’islam jugé rétrograde et obscurantiste des traditionalistes, le
passage manifeste au politique qui nous semble caractériser les idéologies des mouvements
‘‘intégristes et/ou islamistes’’17 à proprement parler, étaient eux bien absents. On a parfois
l’impression ou le sentiment que ce terme intégrisme était utilisé sans grande précaution pour
qualifier tout activisme musulman lorsque l’on veut opposer celui-ci à l’islam tranquille et
tolérant voir débonnaire des musulmans traditionnels ; mais la prudence s’impose, car dans le
climat de renouveau religieux que connaissait Douala à l’époque, le terme intégrisme ne
pouvait être retenu pour la simple raison qu’en plus de ce qu’il a de commun avec les autres
- retour aux textes fondamentaux tout en acceptant la modernité -, il traduit un projet
14
Voir notamment H. Adama, L’islam au Cameroun. Entre tradition et modernité, Paris, L’Harmattan, 2004, p.
164; ‘‘Islam et société au Nord- Cameroun (fin du XIXe siècle – XXe siècle)’’, Dossier présenté en vue de
l’Habilitation à Diriger les Recherches, Rapport de Synthèse, Université de Provence, 2003-2004, p. 37 et
‘‘L’école franco-arabe camerounaise : bilan et perspectives’’, in G.L. Taguem Fah (s.d.), Cameroun 2001 :
politique, langues, économie et santé, Paris, L’Harmattan, p. 95.
15
Voir notamment G.L.Taguem Fah, ‘‘Tendances actuelles de l’islam au Cameroun : état des lieux et
perspectives’’, Afrique Contemporaine, no 194, 2e trimestre 2000, pp.53-66 et ‘‘ Processus politique, mutation
sociale et renouveau islamique au Cameroun’’, pp. 215-242.
16
Pour une discussion sur la montée de ce mouvement au Sud du Sahara, on consultera le livre de O.Kane Et
J.L. Triaud (s.d.), Islam et islamismes au Sud du Sahara, Paris, Kathala et IREMMAM, 1998 et D. Westerland
et E. Evers Rosander (éds.), African Islam and Islam in Africa, Londres, Hurst and Compagny, 1997.
17
I. Ramonet, ‘‘Plus qu’une religion’’, 2002, p. 7.
150
politique.18 Or au Cameroun, les étudiants formés dans les pays arabes s’impliquaient surtout
dans la réislamisation des communautés musulmanes (enseignement, prêche), travaillant la
communauté de l’intérieur, sans donner la priorité à l’islamisation de l’Etat. Ce terme nous
semble -du moins à cette période- loin de la réalité locale.
Au total, nous utilisons invariablement les termes wahhabites ou réformistes
pour
désigner le même groupe ou la même catégorie ; car, de fait, il existait diverses sensibilités au
sein de ce groupe formé dans divers pays arabes. Leur point commun semblait, en fin de
compte, être les modalités d’acquisition du savoir (à l’extérieur), de reconversion de ce savoir
sur le plan local (manière de vivre leur religion-comportement) et leur accueil mitigé par les
dignitaires de l’ACIC, considérés comme conservateurs, traditionalistes et proches des
autorités politico-administratives.
A-2 Problèmes d’insertion et voies de sensibilisation au mouvement wahhabite
Il n’est pas aisé de mener une étude sur le mouvement dit réformiste au Cameroun en
général et à Douala en particulier car, comparée aux autres villes d’Afrique de l’Ouest, son
émergence est récente et aucune étude approfondie sur ce courant n’a été faite. En outre, les
réformistes ne s’étaient pas très tôt constitués en association comme dans d’autres villes
ouest-africaines.19 Ils n’avaient pas non plus ouvert des écoles d’enseignement islamique qui
leur étaient propres, permettant ainsi de les identifier plus simplement. De plus, nombreux
parmi les réformistes étaient écartés des responsabilités importantes par ‘‘les partisans d’un
islam conservateur’’20 qui dirigeaient l’ACIC, seule association représentant l’ensemble des
musulmans du Cameroun à l’époque. En effet, le dynamisme, la forte personnalité et les vues
progressistes de quelques réformistes qui ‘‘pouvaient contribuer à moderniser l’islam au
Cameroun dérangeaient plus d’un’’21. A titre d’illustration, le Dr. Adamou Ndam Njoya,
fondateur de l’Institut Islamique et d’Etudes Religieuses du Cameroun et directeur-fondateur
18
La littérature sur l’intégrisme et l’islamisme est abondante. On peut lire à ce sujet F. Burgat, L’islamisme en
face, Paris, La Découverte, 2002 (réédition de 1995); O. Roy, Généalogie de l’islamisme, Paris, Hachette, 1995
et B. Etienne, L’islamisme radical, Paris, Hachette, 1987.
19
Sur la diffusion des mouvements réformistes en Afrique de l’Ouest, voir entre autres, M. Miran, ‘‘Le
wahhabisme à Abidjan : dynamisme urbain d’un islam réformiste en Côte d’Ivoire contemporaine (19601996)’’, Islam et sociétés au sud du Sahara, no 12, 1998, pp. 5-74 ; A. Souley Niandou and G. Alzouma,
‘‘Islamic Renewal in Niger : from Monolith to Plurality’’, Social Compass, 43 (2), 1996, pp. 249-265 ; M.
Gomez-Perez, ‘‘Généalogie de l’islam réformiste au Sénégal des années 50 à nos jours : figures, savoirs et
enjeux’’, in L. Fouchard et al. (éds.), Entreprises religieuses transnationales en Afrique de l’Ouest, Paris,
Karthala, 2005, pp. 1993-222.
20
E. Iya, ‘‘L’école franco-arabe : facteur d’adaptation des valeurs socioculturelles des populations islamisées du
Cameroun septentrional’’, Mémoire de Maîtrise es arts (M.A), Ecole de Gradués, Université Laval, 1993, p.255.
21
Ibid., note 53, p. 275.
151
de la revue culturelle Al Houda et de l’hebdomadaire Les Feuilles Islamiques Al Houda, vit
ses conférences interdites par ‘‘les pouvoirs publics sous la pression des dirigeants de l’ACIC
à cause de l’affluence qu’elles suscitaient’’22. Certains voyaient donc en ce retour un ‘‘cheval
de Troie’’ au Cameroun, susceptible d’apporter les ‘‘germes d’un fanatisme islamique dont le
Nigeria voisin en donne maints exemples meurtriers peu rassurants’’23.
En outre, ‘‘la politique du retour des diplômés des universités arabes n’était pas
pensée et n’était pas une priorité pour l’Etat’’24. Et, lorsqu’ils revenaient au Cameroun, ils
étaient tous sous-employés ou même ignorés par la communauté musulmane locale qui
n’était pas bien organisée.25 Certes il y avait quelques postes d’enseignants d’arabe à
pourvoir dans les écoles franco-arabes mais après, ‘‘il n’y avait plus rien et les salaires
étaient bas (…) on donnait des cours pour avoir juste un peu d’argent pour survivre’’26. Par
ailleurs, ‘‘la possibilité d’être recruté dans la fonction publique était mince à cause de la non
reconnaissance de nos diplômes’’27. Seuls quelques-uns furent intégrés à des postes
administratifs symboliques, parfois grâce à leurs propres relations.28 Mais dans l’ensemble,
leurs diplômes arabes n’avaient pas été reconnus à leur juste équivalence et ‘‘l’administration
publique nourrissait une attitude de méfiance et de réserve à leur égard’’29, surtout à l’heure
où, certains évènements tels que la révolution islamique en Iran en 1979 et l’instauration de
la République Islamique confortaient les islamistes et inquiétaient ou rassuraient peu le
pouvoir. La grande majorité souffrait donc d’un réel manque de reconnaissance et se trouvait
de fait exclue du champ politico-administratif. Cette stratégie devait aboutir à la continuation
de la politique d’homogénéisation officiel du paysage religieux islamique. Mais sur le plan
strictement religieux, le réformisme se frayait une voie.
Le courant réformiste a connu deux périodes à Douala. Une phase de latence et une
phase qu’on peut qualifier de banalisation. Sa propagation commence en effet au milieu des
22
Ibid, p. 255.
Ibid.
24
Notre informateur a souhaité conserver l’anonymat lors de notre entretien du 4 mai 2004 à Akwa.
25
A. Njiasse Njoya, ‘‘L’islam au Cameroun’’, in La culture arabo-islamique en Afrique au Sud du Sahara : cas
de l’Afrique de l’Ouest, Publication de la Fondation Temimi pour la Recherche Scientifique et l’Information,
Zaghouan, août 1997, p. 256.
26
Propos de Oumarou Malam Yasser, ancien boursier de l’Arabie Saoudite, recueillis à Douala le 2 mai 2004 à
son domicile à New-Bell/Nkolmitag.
27
Ibid. Relevons que cette situation était générale en Afrique Noire. Voir S. Cissé, L’enseignement islamique en
Afrique Noire, Paris, L’Harmattan, 1992, p. 132 et suivantes. Voir aussi les écrits de L. Brenner, notamment :
Controlling Knowledge. Religion, Power and Schooling in a West African Muslim Society, Bloomington and
Indianapolis, Indiana University Press, 2001 et ‘‘Medersas au Mali. Transformation d’une institution
islamique’’, in B. Sanakoua et L. Brenner (s.d.), L’enseignement islamique au Mali, Ed. Jaman, Bamako, 1991,
pp. 63-85.
28
Entretien du 16 août 2003 avec Cheikh Daouda Mohaman, enseignant à l’IRIC et ancien secrétaire exécutif de
l’ACIC à son domicile au quartier Mendong à Yaoundé.
29
H. Adama, L’islam au Cameroun, p. 164.
23
152
années 1970 et se manifeste essentiellement par la présence des personnes appelées
‘‘réformistes’’, les Wahhabites. Malgré quelques difficultés pour prendre une place, cette
tendance prend de l’importance au cours de la décennie 1980.
Etudiant le contexte historique du début de ce mouvement, H. Adama constate qu’il
correspond à la période du retour des premiers étudiants ayant fait leurs études dans les pays
arabes.30 G. L. Taguem Fah pense plutôt qu’il correspond à une période d’offensive
islamique, marquée dans de nombreux pays de l’espace musulman par une production
pétrolière de plus en plus abondante. Grâce aux revenus pétroliers, les pays arabes devenaient
de nouveaux bailleurs de fonds.31 Mais en revisitant l’histoire sociale de Douala, on peut
affirmer avec H. Adama que le retour des étudiants formés dans les pays arabes et qui ne
parvenaient pas à s’insérer dans l’administration constitue le premier facteur explicatif de la
dynamique islamique en émergence à la fin des années 1970 ; le prosélytisme des pays arabes
et la manne pétrolière ne constituant de fait qu’un facteur facilitant de la dynamique
islamique à Douala. Autrement dit, les changements s’opèrent d’abord au Cameroun et
conduisent à un début de contestation dont les militants islamiques ont été des témoins
passifs ou actifs. Dans un second temps, l’actualité internationale et les revenus pétroliers ont
joué un rôle d’accélérateur dont ceux-ci ont su profiter. Cette époque est donc celle des
pionniers, de la première génération des ‘‘gens de la Sunna’’, des musulmans
‘‘réformateurs’’ qui font l’expérience de la cœxistence et non de la collaboration et de la
cohabitation avec ceux qui sont qualifiés de ‘‘conservateurs’’32.
Au cours de la décennie suivante (1980-90), Douala est véritablement influencé par
le courant réformiste. Sur le terrain, il s’affirme et se structure à travers la construction de
deux mosquées : la mosquée Alhu-Sunna Wal-Jamaa33 et la mosquée Al-Rahmah toutes deux
situées au quartier New-Bell/Congo, à la Rue Njoya. Ces adeptes vivaient d’après malam
Awalou selon les habitudes culturelles du monde arabe. Se disant ‘‘gens de la Sunna’’,
quelques-uns laissaient pousser leur barbe et adoptaient des pantalons qui s’arrêtent au dessus
de la cheville. Ils refusaient de serrer la main aux femmes et exigeaient quelques fois qu’elles
portent le voile.34
30
H. Adama, ‘‘Islam et société au Nord-Cameroun (fin du XIXe siècle – XXe siècle)’’, p. 37.
C. L. Taguem Fah, ‘‘Pouvoir du savoir, renouveau islamique et luttes politiques au Cameroun’’, in M. GomezPerez (s.d.), L’islam politique au sud du Sahara. Identités, discours et enjeux, Paris, Karthala, pp. 564-566.
32
H. Adama, ‘‘Islam et société au Nord-Cameroun (fin du XIXe siècle – XXe siècle)’’, p. 37.
33
Littéralement, les gens de la tradition et de la communauté. De nos jours, ils se nomment eux-mêmes
‘‘laboratoire des mosquées salafistes de Douala’’.
34
Synthèse des propos de Malam Awalou, imam de la mosquée de Bonanloka, lors de notre entretien du 7
novembre 2006 à Bonanloka.
31
153
Les individus qui se déclarent adeptes du courant réformiste ont pu être sensibilisés
de plusieurs manières. La piste la plus évidente est, comme nous avons vu ci-dessus, le
contact avec des pays arabes. Les pionniers du mouvement ont en effet fait leurs études dans
les pays arabes, notamment l’Egypte et l’Arabie Saoudite. A la suite de nos enquêtes de
terrain, on peut dire que leur séjour dans ces pays leur donnait une vision de l’islam autre que
celle qu’ils avaient laissée au terroir avant leur départ. Malam Ouba témoigne :
Le wahhabisme a été introduit chez nous par de jeunes musulmans qui sont allés étudier en
Arabie saoudite (...) Les imams wahhabites de Douala étaient tous des hommes de moins de
40 ans (...) Ils prêchaient en de termes très durs.35
Ce mode de sensibilisation est essentiel. En effet, ce sont les connaissances acquises
dans les pays arabes qui permettaient aux membres de ce courant de proposer un nouveau
type d’islam basé sur le respect strict du Coran, de la Sunna, des Hadiths et de la
connaissance de la langue arabe. De là, sont issus des diplômés qui sont appelés par les
communautés locales pour devenir prédicateurs ou enseignants.
Deux hypothèses sont aussi à envisager sur les voies de sensibilisation au mouvement
réformiste à Douala. La première est que les immigrés des années 1980 d’origine ouestafricaine, notamment les Haoussa, les Sénégalais et les Maliens ont pu être sensibilisés au
sunnisme avant leur migration dans le bassin de Douala, celle-ci constituant une période de
latence. En effet, l’apparition récente des réformistes à Douala fut établie en Afrique de
l’Ouest pendant les années 1950. Les vrais débuts de ce courant islamique dans cette région
de l’Afrique peuvent ainsi se situer vers les années 1950 lorsque par le truchement du
commerce, des étudiants d’Al-Azhar et du pèlerinage à la Mecque, l’Afrique fait sa
connaissance.36 Au lendemain des indépendances, plusieurs villes ouest-africaines sont
touchées par le mouvement sunnite/wahhabi.37 Réformisme religieux, radicalisme
anticolonial et bourgeoisie commerçante constituaient alors les principales caractéristiques de
35
Propos de Malam Ouba, imam de la mosquée d’Akwa, entretien du 8 novembre 2007 à Akwa.
Voir entre autres, O. Kane et J.-L. Triaud (s.d.), Islam et islamisme au sud du Sahara, Paris, Iremam-KarthalaMsh, 1998 ; J.-L. Triaud, ‘‘Le mouvement réformiste en Afrique de l’Ouest dans les années 1950’’, Mémoires
du Germaa, no 1, 1979, pp. 195-212 ; L. Brenner (éd.), Muslim identity and social change in sub-saharan
Africa, Bloomington and Indianapolis, Indiana University Press, 1993 et L. Kaba, The wahhabiyya. Islamic
reform and politics in French West Africa, p. 270 et J.-C. Froelich, Les musulmans d’Afrique Noire, p. 274.
37
Voir entre autres M. Gomez-Perez, ‘‘Généalogie de l’islam réformiste au Sénégal des années 1950 à nos
jours : figures, savoirs et réseaux’’, in A. Mary, L. Fouchard et R. Otayek (éds.), Entreprises religieuses et
réseaux transnationaux en Afrique de l’Ouest, Paris, Karthala, 2005, pp.193-222, ‘‘Itinéraires de réformistes
musulmans au Sénégal et en Guinée : regards croisés (des années 1950 à nos jours)’’ , in E. I. Ndaywel Nziem,
et E. Mudimbe-Boyi (éds), Images, mémoires et savoirs. Une histoire en partage avec Bogumil Koss
Jewsiewicki, Paris, Karthala, 2009, pp. 435-460 et B.F. Soares, Islam and the Prayer Economy. History and
Authority in Malian Town, Edinburgh University Press, London, 2005.
36
154
ce mouvement.38 Dans cette perspective, certains musulmans, d’origine ouest-africaine et
surtout les Haoussa du Nord du Nigeria, les Maliens et les Sénégalais étaient des sunnites et
ont introduit le sunnisme à Douala.39 En effet, ce courant qui existe en AOF et au Nigeria
depuis l’époque coloniale et s’est constitué en plusieurs associations : l’association des
Subbanu al-muslimin qui prend forme en 1949 à Bamako40 ; le mouvement Al Falah (le
salut) au Sénégal qui trouve ses origines dans les années 195041 ; la Jama’atu Izalatu bid’awa
Iqamat al-Suna (ceux qui rejettent les innovations et prônent la Sunna) fondée en 1978 à Jos
au Nord du Nigeria par Abubacar Gumi (m.1992) qui se présentait lui-même comme le digne
héritier de Ousman Dan Fodio. Cette dernière association est la plus populaire de ces
mouvements en Afrique de l’ouest et centrale.42 Son impact est direct sur le Cameroun.
La seconde hypothèse est que les migrants ouest-africains et les musulmans venant de
l’intérieur du Cameroun ont été mis en présence du sunnisme et ce pour la première fois, à
leur arrivée sur la côte camerounaise. En effet, suite au retour des premiers étudiants formés
en Arabie Saoudite et en Egypte, le gouvernement saoudien avait financé la construction des
mosquées au Cameroun. A Douala par exemple,
Grâce aux financements saoudiens, ils (les Wahhabites) avaient érigé deux mosquées au
quartier New-Bell/Congo43, sur une surface de moins d’un kilomètre carré. Ces mosquées
servaient de lieu de perfectionnement religieux et au recrutement des fidèles et des jeunes (...)
Le conflit entre Wahhabites et Tidjanites était un problème de positionnement. Les
38
Voir L. Kaba, The wahhabiya. Islamic reform in French West Africa et J.-L. Triaud, ‘‘Le mouvement
réformiste en Afrique de l’Ouest dans les années 1950’’, pp. 195-212.
39
Voir entre autres, P. Cissé, ‘‘La migration malienne au Cameroun : le retour est-il possible?’’, Communication
au XXVème Congrès International de la Population, Tours, 18-23 juillet 2005 et S. Traoré, Migration et
insertion socio-économique dans les villes en Afrique de l’Ouest, Etudes et travaux du CERPOD-no16, octobre
2001.
40
L. Kaba, The wahhbiya Islamic Reform in French West Africa, p.139. Voir aussi du même auteur ‘‘Notes in
the study of islam in Africa’’, Afrika Zamani, n°4, 1975, p. 4.
41
Voir, entre autres M. Mouhamed Kane, ‘‘La vie et l’œuvre d’Al-Hajj Mahmoud Ba Diowol (1905-1978). Du
pâtre au patron de la ‘‘Révolution Al-Falah’’ ’’, in D, Robinson et J.L. Triaud (éds), Le temps des marabouts.
Itinéraires et stratégies islamiques en Afrique occidentale française v. 1880-1960, Paris, Karthala, 1997, pp.
431-465. R. Lomeier, ‘‘Chiekh Touré du réformisme à l’islamisme, un musulman sénégalais dans le siècle’’,
Islam et sociétés au sud du Sahara, no 8, novembre 1994, pp. 55-66 et M. Gomez-Perez, ‘‘Associations
islamiques à Dakar’’, Islam et Sociétés au Sud du Sahara, n°5, 1991, pp. 137-152.
42
Ce mouvement a fait l’objet d’une remarquable synthèse par Muhammad S. Umar, ‘‘Education and Islamic
trends in Northern Nigeria : 1970s-1990s’’, Africa Today, vol. 18, no 2, 2001, pp. 127-150. Voir aussi entre
autres, O. Kane, ‘‘Réforme musulmane au Nigeria du Nord’’, in J.-L. Triaud et O. Kane (s.d.), Islam et
islamisme au Sud du Sahara, Paris, Ireman-Karthala-MSH, 1998, pp.117-135; ‘‘Izala : the rise of Muslim
reformism in Nigeria’’, in M. Marty and Scott Appeby (eds.), Accounting for fundamentalism : the dynamic
character of movements, Chicago, the University of Chicago Press, 1994, pp. 490-512 et le chapitre écrit par C.
Coulon, ‘‘Les nouveaux oulémas et le renouveau islamique au Nord Nigeria’’, in R. Otayek (s.d.), Le
radicalisme islamique au Sud du Sahara : da’wa, arabisation et critique de l’Occident, Paris, Karthala, 1993,
pp.123-149.
43
Il s’agit des mosquées Al-Ramah et Alhu-Sunna Wal-Jamaa.
155
Wahhabites nouvellement arrivés voulaient maintenant prendre le devant de la scène afin de
bénéficier de plus en plus des dons de l'Arabie Saoudite.44
La Wahhabiya pouvait ainsi, par ces deux mosquées, se développer par les
musulmans nouvellement venus, et chez ceux dont l’appartenance communautaires faisait
obstacle à leur insertion dans la hiérarchie confessionnelle locale. Aussi, sans avoir à se
déplacer, à voyager à l’extérieur, les musulmans doualais étaient en contact avec d’autres
interprétations du Coran. Il était enfin possible que l’introduction du réformisme soit le fait
de quelques individus isolés, dû à l’essor des voyages individuels qui jouent un rôle dans le
changement religieux ; phénomène qui n’est pas propre à Douala.45
Sur plusieurs aspects, la présence des réformistes à Douala devait entraîner des
oppositions entres eux et les tenants des confréries traditionnelles, notamment la Tidjaniyya,
considérée comme traditionnelle et plutôt modérée.
A-3 Vers des tiraillements entre Wahhabites et Tidjanistes : opposition doctrinale,
multiplication des mosquées et réponse de l’ACIC
Divergence doctrinale
Avant l’arrivée des réformistes, la majorité des musulmans du Cameroun en général et
de Douala en particulier priait selon la posture de prière la plus répandue au Cameroun,
celle dite Siderou, c'est-à-dire les bras tendus le long du corps, recommandée par l’école
malikite46. Toutefois, depuis la fin de la décennie 1970, le nouveau courant que les autres
regroupent sous le terme de ‘‘wahhabiya ‘’ s’était caractérisé par un trait particulier sur le
plan de la prière. Il avait introduit une posture de prière particulière dite Cabdou. Cette
dernière consistait à croiser les bras sur le torse - et non pas le long du corps - entre chaque
prosternation de la prière rituelle. Malam Ouba témoigne :
Dans leurs mosquées, le muezzin ainsi que la plupart des fidèles portaient le turban et de
longues barbes pointues. Pendant le prêche, toutes les mains étaient croisées sur la poitrine.
44
Entretien avec Malam Ouba le 8 novembre 2007. D’après les responsables des services de renseignements de
la Préfecture du Wouri, les autorités suivaient cette situation avec beaucoup d’intérêt. La crainte ici était de voir
se développer des tensions entre communautés comme au Nigeria tout proche. A la préfecture du Wouri, ce
dossier est classé ‘‘notes confidentielles’’. Par ailleurs, G.L.Taguem Fah parle d’une ‘‘véritable guerre froide’’
entre Saoudien et Egyptien qui, dotés d’importants moyens financiers, organisaient de véritables compagnes
missionnaires vers le Cameroun. L’Arabie Saoudite, plus riche et plus dynamique, s’appuyait sur la Ligue
Islamique Mondiale, l’Assemblée Mondiale de la Jeunesse Islamique et l’Université de Médine pour organiser
ces campagnes. Cf. ‘‘Processus politique, mutation sociale et renouveau islamique au Cameroun’’, p. 231.
45
Voir par exemple A. Mary, L. Fouchard et R. Otayek (éds.), Entreprises religieuses et réseaux transnationaux
en Afrique de l’Ouest, pp.193-222.
46
Le malékisme est issu de l’imam médinois Malek Ibn Anas, mort en 795. Il est dominant au Maghreb (Tunisie,
Maroc, Algérie) et en Afrique centrale. Cf. M.G. Demonbynes, Les institutions musulmanes, Paris, Flammarion,
1953 ; notamment le chapitre V, pp. 63-72.
156
Tout fidèle qui, comme le font souvent les musulmans modérés, laissait les bras le long du
corps, était traité de ‘‘Satan’’ et chassé de la mosquée (...) n’entraient dans leurs mosquées
que les musulmans du mouvement wahhabite.47
Cette posture de prière n’était d’ailleurs pas spécifique aux seuls réformistes
wahhabites. Ainsi, certains Sénégalais ‘‘niassènes’’48 et mourides de Douala priaient
également de cette façon. Pendant les prières, ils faisaient référence exclusivement au Coran
et à la Sunna et s’opposaient non seulement à toutes les formes de piété populaire mais aussi
à l’égard des autres.
Les Tidjanistes ou les traditionalistes reprochaient aux ‘‘jeunes intellectuels’’ non
seulement leur ‘‘corruption’’ dans les universités moyen-orientales, mais aussi un irrespect
du savoir de leurs parents et du pouvoir traditionnel. Pour les Tidjanistes en effet, ces jeunes
n’auraient ramené des pays arabes que des pratiques non musulmanes. En d’autres termes, les
Tidjanistes plus nombreux, reprochaient aux Wahhabites d’avoir introduit une nouvelle
pratique de l’islam dans la ville ; leur rigorisme religieux basé sur une interprétation littérale
des textes sacrés, le fait de s’opposer à la vénération des savants, la pratique du Wird et la
célébration du Maouloud ou naissance du Prophète. Les Tidjanistes reprochaient surtout aux
Wahhabites d’être parfois irrespectueux à l’égard de leurs aînés et de mépriser tous ceux qui
n’ont pas le même niveau d’instruction qu’eux. : ‘‘une fois de retour, ils contestaient notre
manière de pratiquer l’islam (...) Ils avaient remplacé disaient-ils l’islam des pères par l’islam
de dieu’’49.
Interrogés, les Wahhabites répondent qu’ils reprochaient aux traditionalistes le fait de
pratiquer un islam syncrétique50 c’est à dire un islam magico-religieux ; d’associer les
croyances coutumières amalgamées au cours du temps à l’islam populaire; d’ignorer la
langue du Coran et d’enseigner des choses qu’ils ne comprennent pas. La génération de
musulmans inspirés par le salafisme reprochaient aussi aux Tidjanites d’avoir
‘‘occidentalisé’’ l’islam, notamment en accordant trop de libertés aux femmes à qui ils
laissent le choix de porter ou non le voile. Les Wahhabites interdisaient à leurs adeptes de
47
Malam Ouba, entretien du 8 novembre 2007 à Akwa.
Branche de la confrérie tidjane.
49
Regret de Malam Ouba exprimé lors de notre entretien du 8 novembre 2007 à Akwa.
50
Le syncrétisme apparaît ici comme un mélange des apports de l’islam et des croyances locales lesquelles
selon J.-P. Dozon, comme d’autres syncrétismes africains, s’expriment sous trois paliers : 1- la réaffirmation
(éléments perpétuant la tradition) ; 2- le renouvellement (la tradition est insuffisante) ; 3- l’accaparement des
cultures musulmanes (ou chrétiennes). Ainsi le syncrétisme est à la fois sur les fronts de la ‘‘conservation’’ et de
‘‘l’adaptation’’ et vu de l’intérieur, le syncrétisme opère à différents niveaux : ‘‘matériel (forme des temples,
objets rituels) ; organisation (systèmes hiérarchisés) ; symboles (chapelets) ; mythe et dogme’’. Cf. J.-P Dozon,
‘‘Les mouvements politico-religieux : syncrétismes, messianismes, néonationalisme’’, in M. Augé (s.d.), La
construction du monde : religion, représentation, idéologie, Paris, Maspero, 1974, pp.75-108.
48
157
décaler dans le temps certaines des cinq prières quotidiennes en cas d’empêchement à l’heure
prévue.51 Pour eux, tout musulman qui ne respectait pas les principes religieux à la lettre
devait être sanctionné. Alors que, les Tidjanistes estimaient, eux, que seul Allah est en droit
de punir les manquements des croyants. En somme, les Wahhabites accusaient les Tidjanistes
d’introduire dans l’islam des innovations. Il s’agit des pratiques qui ne sont pas authentiques,
c’est-à-dire ne reposant pas sur les principales sources de l’islam à savoir le Coran et la
Sunna. Les jeunes Wahhabites critiquaient en effet les cadres religieux établis, assimilant la
Tidjaniyya à une ‘‘secte hérétique’’52. Ils refusaient de prier derrière un imam
‘‘innovateur’’53 et répugnaient donc à se rendre pour les prières du vendredi dans les
mosquées tenues par les traditionalistes.
Ainsi, ce tiraillement entre Wahhabites et Tidjanistes faisait qu’à l’occasion des
prêches, on notait des différences entre eux et les guides religieux de formation ancienne
c’est à dire ceux qui n’ont pas suivi une formation à l’extérieur, donnant ainsi lieu à quelques
oppositions au sein de la communauté musulmane de Douala. Ces rivalités sont en général
caractéristiques de ce type de mouvements puisqu’ils cherchent une rupture symbolique avec
le reste de la communauté musulmane.54
Le fait de s’opposer aux ‘‘ainés’’ ou le fait
d’observer des tensions entre les deux groupes de musulmans au sujet des rites de prière par
exemple indique aussi que chaque tendance cherchait à gagner une légitimité et d’accentuer
son influence au sein de la communauté musulmane. Ces tensions conduisaient à des crises
socio-religieuses et forçaient les acteurs politico-administratifs à intervenir.
Comme dans toutes les villes du Sud Cameroun, le conflit entre Sunnites et Tidjanistes
a commencé à se dessiner précisément à la fin des années 1980.55 A Douala, c’est en 1986,
qu’un groupe de jeunes musulmans commence à se réunir à New-Bell/Bandjoun, au rez-dechaussée d’un immeuble afin d’étudier le Coran et la Sunna. ‘‘On utilisait des Corans et des
51
Entretien avec Malam Ouba, le 8 novembre 2007 à Akwa. Voir aussi G.L. Taguem Fah, ‘‘Tendances
actuelles de l’islam au Cameroun : état des lieux et perspectives’’, p. 65.
52
Voir L. Maud, ‘‘Cameroun : les nouveaux territoires de Dieu’’, Afrique contemporaine, 2005-3 (no 215), p.
102.
53
Ibid.
54
Il importe de noter que ces tensions intracommunautaires s’étaient aussi manifestées à la même époque à
Foumban, dans le royaume bamun. Voir L. Maud, ‘‘Cameroun : les nouveaux territoires de Dieu’’, qui parle de
‘‘l’islam du Noun sous tension’’ dès 1988, pp.105-109 et surtout I. Mouiche, ‘‘Islam, mondialisation et crise
identitaire dans le royaume bamoun, Cameroun’’, Africa, 75 :3, 2005, pp. 378-420.
55
Pour des détails sur les villes de Yaoundé et Foumban par exemples, lire respectivement S. Emboussi,
‘‘L’implantation et l’évolution de l’islam à Yaoundé (1889-1993) : le cas du quartier Briqueterie’’, Mémoire de
DIPES II, ENS, Yaoundé, 1994 et I. Mouiche, ‘‘Islam, mondialisation et crise identitaire dans le royaume
bamoun, Cameroun’’, pp. 378-420.
158
ouvrages sur l’islam écrits en arabe et même en français (…) A l’époque, on avait peur (…)
de la réaction des anciens et de l’administration’’56.
Cet usage de la langue française et du libre questionnement, loin des autorités
religieuses traditionnelles, en vue d’approfondir la connaissance apparaît comme une
démarche originale sinon révolutionnaire. Un vent de ‘‘liberté religieuse’’ soufflait alors sur
Douala, quelques années avant les lois de libéralisation de 1990.
En 1988, soit deux ans après l’initiative de quelques jeunes musulmans du quartier
New-Bell, les chefs musulmans de Douala ‘‘étouffent dans l’œuf une tentative de
déstabilisation interne venant d’un groupuscule d’activistes nigérians formés à l’Université
de Médine (Arabie Saoudite), représentant un courant intégriste’’57. Le contrôle que le milieu
musulman traditionnel de Douala exerçait sur lui-même à l’époque avait ainsi permis
d’étouffer le conflit.58 Les autorités publiques à leur tour semblaient inquiètes de voir des
jeunes gens prêcher sans autorisation ni tutelle de la seule organisation reconnue : l’ACIC.
Des plaintes des dignitaires musulmans de la ville leurs parviennent également. L’émergence
de ce groupe réformiste est apparemment autant freinée par les autorités musulmanes que par
les autorités administratives. Il est clair que les autorités ont craint le développement d’une
tendance islamique diffuse et difficilement contrôlable. Toutefois, le phénomène le plus
remarquable était l’apparition, au milieu des années 1980, d’un certain nombre de mosquées
dédoublées sunnites/tidjanistes, réformateurs/ conservateurs.
Le dédoublement des mosquées
En raison de leur opposition à un islam traditionnel, les réformistes s’identifiaient
aussi comme des militants et comme de nouveaux guides spirituels. Tout ceci conduisait à
créer une certaine homogénéité dans les rangs de cette nouvelle génération, accentuée par le
fait que les modalités d’acquisition du savoir connaissaient des points communs. Néanmoins,
cette homogénéité est à nuancer dans la mesure où de nouvelles mosquées aux styles
architecturaux différents étaient construites. En effet, outre leur volonté de changement, les
réformistes construisaient des mosquées qui permettaient à leurs partisans de venir prier et
donc d’affirmer leur identité. Ceci signifie que le ‘‘combat’’ était tant culturel que social et
représentait une rupture.
56
Propos de Brahim Sarr, iman de nationalité sénégalaise, recueillis lors de notre entretien du 5 mai 2004 dans
son atelier de couture à New-Bell/Congo.
57
Information donnée à E. de Rosny par El Hadj Mohammadou Katché, chef traditionnel des Foulbé à Douala.
Cf. ‘‘Douala, les religions au cœur de la recomposition d’une société’’, Cahier de l’UCAC, no 4, 1999, note 6,
pp. 70-71.
58
Ibid., p.71.
159
Le processus de dédoublement de mosquées n’était pas propre à Douala, ni aux autres
grandes villes camerounaises. Il était plus perceptible et significatif ailleurs et
particulièrement dans les pays de l’Afrique de l’Ouest. De nombreuses études montrent en
effet que des villes de tailles similaires comme Dakar au Sénégal59, Ouagadougou au Burkina
Faso60, Bamako au Mali61, Abidjan en Côte d’Ivoire62 et Maidougouri ou Kano au Nigeria63
avaient connu au lendemain des indépendances ce phénomène de renouvellement de
mosquées doublé d’une vague d’islamisation. Dans ces pays, l’islam, démographiquement
majoritaire, se caractérisait d’une part par l’existence de nombreuses tendances. Malgré ce
morcellement, les relations entre l’islam et le politique sont très étroites (Sénégal et Nord du
Nigeria), relâché (Mali) ou marginalisé (Côte d’Ivoire et Burkina Faso). D’autre part, l’islam
connaissait dans ces pays des divergences doctrinales entre traditionalistes et réformistes
depuis le lendemain des indépendances. Critiques vis-à-vis des marabouts et des chefs
traditionnels, les réformistes commençaient par bouder les mosquées et se retrouvaient dans
des lieux de prières isolés. Par la suite, ils construisaient de nouvelles mosquées. Ces doublets
de mosquées apparaissaient suivant une logique immuable : on édifiait, à proximité d’une
ancienne mosquée, un édifice flambant neuf. Officiellement, il s’agissait de rénover le parc
des édifices religieux. L’entreprise participait en fait d’une logique de renouvellement des
cadres islamiques, la nouvelle mosquée étant toujours dirigée par des imams et prédicateurs
sélectionnés parmi les réformistes. De tels dédoublements commençaient déjà à traduire une
compétition sur le marché religieux africain, dont pâtissaient les autorités religieuses
traditionnelles (émirs, sultans, lamibé) et les marabouts de formation traditionnelle.
59
Voir, entre autres, M. Gomez-Perez, ‘‘Un mouvement culturel vers l’indépendance. Le réformisme musulman
au Sénégal (1956-1960)’’, in D. Robinson et J.-L. Triaud (s.d.), Le temps des marabouts. Itinéraires et
stratégies islamiques en Afrique occidentale française v. 1880-1960, Paris, Karthala, 1997, pp.521-538; M.
Magassouba, L’islam au Sénégal. Demain les Mollahs?, Paris, Karthala, 1985.
60
Voir M. Koné-Dao, ‘‘Implantation et influence du wahhâbisme au Burkina Faso de 1963 à 2002’’, in M.
Gomez-Perez (s.d.), L’islam politique au sud du Sahara : identités, discours et enjeux, Paris, Karthala, 2005,
pp.449- 539 et R. Otayek, ‘‘Introduction : du Burkina du changement social et de la démocratie’’, in R. Otayek
et al. (éds.), Le Burkina entre révolution et démocratie (1983-1993), Paris, Karthala, 1996, pp. 7-19; ‘‘La crise
de la communauté musulmane de Haute-Volta. L’islam voltaïque entre réformisme et tradition, autonomie et
subordination’’, Cahiers d’études africaines, vol. 24, no 3, p. 299-320.
61
Voir, entre autres, B.F.Soares, Islam and the Prayer Economy. History and Authority in Malian Town, 2005,
pp. 181-243; L. Brenner, ‘‘La culture arabo-islamique au Mali’’, in R. Otayek (dir.), Le radicalisme islamique
au sud du Sahara, 1993, pp. 161-195 et J.-L. Amselle, ‘‘A case of Fundamentalism in West Africa : Wahhabism
in Bamako’’, in L. Caplan (éd.), Studies in Religieous Fundamentalism, Basingstoke, Macmillan, 1987, pp. 7994.
62
Voir M. Miran, Islam, histoire et modernité en Côte d’Ivoire, Paris, Karthala, 2006 ; ‘‘Vers un nouveau
prosélytisme islamique en Côte d’Ivoire : une révolution discrète’’, Autre Part, no 16, 2000, pp.139-160 et ‘‘Le
wahhabisme à Abidjan : dynamisme urbain d’un islam réformiste en Côte d’Ivoire contemporaine (19601996)’’, 1998, pp. 5-74.
63
Voir O.Kane, Muslim Modernity in Postcolonial Nigeria : A Study of the Society for the Removal of
Innovation and Reinstatement of Tradition, Leiden, Brill, 2003 et R. Lomeier, Islamic Reform and Political
Change in Northern Nigeria, Evanston, Northwestern University Press, 1997.
160
A Douala, ce nouvel état d’esprit parmi les jeunes ne manquait pas aussi de creuser le
fossé avec la plupart des représentants de l’islam traditionnel. Selon deux de nos
informateurs,
les anciens (représentants l’islam traditionnel) perdaient des disciples au profit des
mosquées récemment construites, ce qui occasionnait une tension entre les deux groupes et
une politique de surveillance de la part de l’administration, car les chefs traditionnels et leurs
imams perdaient des fidèles pour nos nouvelles mosquées et ils n’étaient pas contents (…)
donc l’administration n’était pas contente en raison des relations complices entre les chefs
traditionnels et l’administration64.
Bien plus, ‘‘l’imam de la mosquée centrale de Douala et les chefs traditionnels
étaient les pièces maîtresses de la lutte contre nous’’65. Ils étaient devenus des agents fidèles
de l’administration. Ils étaient dotés d’importantes sommes d’argent à l’occasion des fêtes
religieuses, lors du pèlerinage à la Mecque et des manifestations officielles66.
Nous n’avons pas obtenu de renseignements sur les sources de financement des
nouvelles mosquées qui étaient construites par et pour les réformistes. Mais on peut penser
que ‘‘l’expérience de la solidarité confraternelle acquise en terre d’islam doublée de la
maîtrise de la langue arabe et de la connaissance du circuit administratif et financier des
bailleurs arabes’’67 leur permettaient de drainer des fonds. Et, même si tous affirment ne
compter que sur la ‘‘solidarité’’ du groupe, les dimensions et surtout les styles
architecturaux68 de ces mosquées ne manquent d’ailleurs pas de rappeler l’origine et
64
Entretien avec deux informateurs qui ont souhaité conserver l’anonymat, le 10 mai 2004, à Douala, NewBell/Congo.
65
Ibid.
66
Pour défendre leur position, nos deux informateurs nous montrent une liste de la délégation des chefs
traditionnels et dignitaires religieux de Douala appelés à rencontrer le président de la République lors de sa
visite de 1983 à Douala. On pouvait lire les noms suivants : El Hadj Ousseni Adamou Labo, chef musulman ;
El Hadj Mohamadou Midjinywa, imam de la mosquée centrale de Douala; El Hadj Moctar Aboubakar Omar,
imam mosquée centrale de New-Bell/Douala; Bako Ibrahim, chef Bafia; El Hadj Moussa Garba, notable; El
Hadj Soule Adjoudji, adjoint imam mosquée centrale de Douala; El Hadj Inoua Labaran, notable; El Hadj Baba,
notable et Malam Iya Dahirou, adjoint imam mosquée centrale de Douala. Pour eux, ‘‘il n’y avait aucun
représentant de la tendance moderniste de l’islam à Douala’’.
67
H. Adama, ‘‘La mosquée au Cameroun : espace privé ou espace public ?’’, Communication présentée à la 12e
Assemblée générale du CODESRIA sur le thème ‘‘Administrer l’espace public africain’’, Yaoundé, 0711/12/2008.
68
Pour de plus amples renseignements sur l’ensemble des aspects de l’art islamique, on peut trouver les clefs
nécessaires ente autres dans les écrits de : A. Donckier de Donceel, ‘‘L’art musulman’’, Les Cahiers du CeDoP
(Centre de Documentation Pédagogique), Université Libre de Belgique, 2002, pp.1-7 ; Musée sans Frontières,
Les Omeyyades : naissance de l’art islamique, Jordanie, Edisud, 2001, chapitre III ; Grabar Oleg, La formation
de l’art islamique (traduction de Y. Thoraval), Paris, Flammarion, 2000, pp. 193-236 ; R. Hillenbrand, Islamic
architecture, form, function and meaning, New-York, 2001, p. 20, p. 39, et pp. 384-390 et H. Stierlin,
L’architecture islamique, Paris, PUF, 1993, p. 9 et suivantes.
161
l’importance des financements69. Celles de Bonamoussadi, de Bonabéri et du lieu dit
‘‘KDD’’ à côté du service social de New-Bell étaient construites selon le plan ottoman, avec
des grandes salles de prière sous une immense coupole contournée de demi coupoles. On
pouvait y déceler une influence byzantine, de Sainte Sophie notamment. Celles dites AlhuSunna Wal- Jamaa et Al-Rahmah (voir photographie no 3), bâties au quartier NewBell/Congo à la ‘‘Rue Njoya’’ et animées respectivement par les prêcheurs sunnites d’origine
guinéenne et malienne; de même que les mosquées Touka à Nkololoun, Salam à NewBell/Makea et Ittiha à New-Bell/Bamun privilégièrent le plan arabe ou plan hypostyle. Elles
se composent de grandes cours à portique et de salles de prières à colonnes, les nerfs étant
dirigés parallèlement ou perpendiculairement à la Qiblah. Elles sont flanquées d’un ou de
deux grands minarets, aux formes variantes, qui servent surtout à marquer leur emplacement,
car on les voit de loin.
Dans la plupart de ces mosquées, une importance particulière était donnée à
l’apprentissage du message religieux. L’adjonction d’une ou deux salles de cours pour
enfants et les adultes actifs a était faite pour permettre de dispenser en effet des cours
coraniques le soir. D’après la dénomination de certaines de ces mosquées aussi, on constate
qu’elles n’étaient plus seulement liées aux groupes ethniques, aux nationalités ou à la tutelle
des bâtisseurs. Elles intégraient désormais les registres religieux et/ou historiques et optaient
pour des filiations spirituelles affichées, traduisant ainsi l’expression de l’universalité du lieu
de culte. En baptisant les mosquées Al-Ramah, Touka, Salam, Ittihad, etc, les réformistes
exprimaient leur volonté de se soustraire à la logique étatique et leur réticence à concéder une
autre présence que la leur dans ces mosquées.70
Entre 1980 et 1990, ces mosquées qui se multipliaient à Douala, du fait de
l’installation des réformistes mais aussi de la croissance de la population musulmane, des
migrations et de la création de nouvelles chefferies, ‘‘accueillaient des imams de passage qui
venaient prêcher en des termes très durs (…) formant ainsi un embryon de réseau, dans
lequel on ne circulait qu’avec des recommandations’’71. En fait, ces mosquées formaient le
lieu de regroupement quotidien pour les musulmans du quartier ou du voisinage. Leur
nombre était passé pendant la même période d’une seule grande mosquée au quartier Lagos
69
Selon G. L.Taguem Fah (‘‘Processus politique, mutation sociale et renouveau islamique au Cameroun’’, p.
231) par exemple, les financements venaient généralement des pays du Golfe via des associations et fondations
spécialisées dans la collecte de dons.
70
Cette analyse s’inspire de la communication de H. Adama, ‘‘La mosquée au Cameroun : espace privé ou
espace
public ?’’,
07-11/12/2008,
Disponible
aussi
sur
le
lien
internet
http://www.codesria.org/links/conferences/general assembly-12/papers/hamadou-adama.pdf.
71
Le Monde du 28 octobre 2004.
162
163
pour la prière du vendredi à plus d’une trentaine (32) de mosquées de ce type dans les
quartiers (voir carte no 3, qui illustre cette multiplication des mosquées à Douala). Ce sont les
lieux de culte qui ont été répertoriés par E. de Rosny72. Ils sont construits sur des terrains
privés ou appartenant à l’Etat. En effet, en dehors du Nord Cameroun et du pays bamun où
l’autorité traditionnelle concentre entre ses mains les pouvoirs spirituel et temporel et peut à
ce titre céder des terrains sur lesquels les mosquées peuvent être construites, les terrains sur
lesquels les mosquées sont bâties à Douala et plus généralement dans les centres urbains de la
partie méridionale du Cameroun appartiennent aux individus ou relèvent du domaine public.
Ici, l’articulation de la législation foncière à travers les organismes étatiques comme la
Société Immobilière du Cameroun (SIC)73 ; la Mission d’Aménagement et de Gestion des
Zones Industrielles (MAGZI)74 ; la Mission d’Aménagement et d’Equipement des Terrains
Urbains et Ruraux (MAETUR)75 et les communes dans le cadre des plans d’aménagement
urbain pose de nombreux problèmes aux communautés musulmanes. L’accès à la propriété
foncière dans les villes s’effectue à travers les organismes d’Etat ci-dessus. Ils sont chargés
de la promotion immobilière comme le stipulent les missions à eux assignées dans les décrets
de création. En principe, le régime foncier camerounais distingue deux types de terre. Les
terres immatriculées, faisant l’objet d’un droit de propriété et le domaine national. Le
domaine national est constitué des terres libres de toutes exploitations mais aussi, des terres
mises en valeur par les collectivités coutumières.76 Selon les textes, les membres des
collectivités coutumières77 peuvent obtenir des titres fonciers après bornage et inscription au
cadastre78. Mais depuis l’indépendance, l’Etat avait déclaré ‘‘d’utilité publique’’ les terres
préalablement attribuées aux ‘‘étrangers’’ par les administrateurs coloniaux79, soit plus du
tiers de l’espace urbain de l’arrondissement de Douala IIe. Dans les faits, il s’agissait des
principaux quartiers habités par les musulmans : Congo, Lagos, Mbam, Nkololoun, Bamun,
Marché plantain, PK5, Kassalafam I et II ; Bonanloka I et II soit une superficie de 257
hectares était concernée.80 Les contestations des autochtones dualas pendant la période
coloniale81, la ‘‘montée des revendications identitaires’’ et la ‘‘chasse aux allogènes’’ au
72
E. de Rosny, ‘‘Douala : les religions au cœur de la recomposition d’une société’’, p. 70.
Crée en 1958.
74
Voir Décret no 71 DF du 1er mars 1971 portant création de la MAGZI.
75
Voir Décret no 77/193 du 23 juin 1977 portant création de la MAETUR.
76
Voir les ordonnances no 74/1, 74/2 et 74/3 du 06 juillet fixant le régime foncier national ainsi que de leurs
trois décrets d’application, décrets no 76/165, 76/166 et 76/167 du 27 avril 1976.
77
Pour le cas de Douala, il s’agit des quatre grands clans Duala et des Bassa qui sont les autochtones.
78
Ordonnance 74/1 du 06/7/1974.
79
Voir décret n0 68-32 du 2 avril 1968.
80
Ibid. Lire aussi El Qiblah, ‘‘Enquête sur les litiges fonciers à Douala’’, no 20, p. 4.
81
Voir première partie, deuxième chapitre, section C.
73
164
165
début des années 1990 viennent conforter l’Etat dans cette logique82. Ainsi, les différents
sites choisis pour la construction des mosquées, les œuvres sociales de même que les
cimetières musulmans ou les sites régulièrement investis pour la célébration des fêtes
musulmanes appartiennent aux privés ou à l’Etat. Ces sites se rétrécissent d’ailleurs au fil des
années, suite aux nouvelles constructions réalisées par les propriétaires légaux83. Vue dans ce
sens, la question foncière dans les quartiers lotis de Douala pose de sérieux problèmes aux
communautés musulmanes.
Néanmoins, la géographie des mosquées à Douala montrait une implantation dans
tous les quartiers et /ou blocs musulmans avec une prédominance à New-Bell. Ces mosquées
produisaient un double impact au plan local : l’introduction dans l’habitat de nouveaux
édifices avec des minarets et l’appel à la prière émis constamment dans ces mosquées
venaient rappeler la présence de l’islam dans la localité. Certaines de ces nouvelles mosquées
étaient l’œuvre des réformistes. L’influence des imams pouvaient se limiter ou s’étendre au
voisinage ou à tout le quartier en fonction de la réputation de l’imam. Nombreux étaient en
même temps maître de l’école coranique, située dans leur mosquée. Saïd Abdou donne
l’exemple d’une sphère d’influence socio-religieuse étroite du quartier : ‘‘Après mes études
en Syrie, j’étais devenu commerçant et maître coranique avant de devenir imam de mon
quartier de 1985 à 1988’’84. Son influence religieuse était circonscrite : il enseignait le Coran
à une quinzaine d’enfants du quartier. Il était aussi imam de la mosquée du quartier,
(mosquée du lieu dit KDD). Mais précise-t-il,
nous n’allions plus à New-Bell, au marché central pour les prières du vendredi (…) nous
avons commencé les prières du vendredi ici, quand notre mosquée était encore en chantier
(…) chaque imam faisait trois ans et cédait sa place à un autre (…) c’est en 1990 lorsque
notre mosquée est devenue une mosquée importante que nous avons voté un collège de trois
imams pour les prières du vendredi``85.
Les fidèles pouvaient ainsi se rassembler derrière ces grands imams de la mosquée
KDD tous les vendredis. Comme on peut aussi le constater, l’imam ne faisait pas partie d’une
82
Voir, entre autres, Nsame Mbongo, ‘‘Identité et altérité en Afrique : étude de la contradiction autochtoneétranger, le cas de Douala’’, in C. Coquery-Vidrovitch et al., Etre étranger et migrant en Afrique au XXe siècle.
Enjeux identitaires et modes d’insertion, Vol. I, Paris, L’Harmattan, 2003, pp. 281-305 et G. Ekambi Dibongue
et S. Kolle, ‘‘La problématique autochtones-allogènes à Douala : contribution à la recherche d’une culture de
paix en milieu urbain’’, Communication présentée au 30e anniversaire du CODESRIA, Douala/Cameroun, 5-4
octobre 2003.
83
Ce n’est qu’en 1995 que l’Etat va octroyer un terrain -encore litigieux- à la communauté musulmane de
Douala pour la réalisation des œuvres sociales. Voir El Qiblah, ‘‘Enquête sur les litiges fonciers à Douala’’, no
20, p. 4.
84
Propos de Saïd Abdou, entretien du 12 septembre 2006 à New-Bell.
85
Ibid.
166
structure hiérarchique. Il était désigné par la communauté elle-même et ne prétendait à aucun
lien privilégié avec Dieu. Il pouvait être licencié s’il n’accomplissait pas sa mission. Le
critère de sélection chez les réformistes semblait ainsi être la connaissance des textes86 et non
l’âge comme chez les traditionalistes/tidjanistes dont le choix de l’imam était par ailleurs
entériné par le chef de la communauté ; ce dernier étant en outre imam honorifique.
L’existence de l’opposition doctrinale et le contrôle de l’espace à travers les
mosquées, quelle que soit leur ampleur, témoignaient de l’importance de l’enjeu. Chaque
partie cherchait à s’approprier la Sunna et accusait l’autre d’introduire les facteurs de division
au sein de la communauté musulmane. Les marabouts traditionnels n’étaient plus les seuls
juges à même d’interpréter les textes religieux. Le courant réformiste impliquait aussi par la
construction de nouvelles mosquées, une réorganisation de la communauté musulmane. Il
remettait en cause le système de domination des marabouts traditionnels et certaines charges
comme l’imamat. Cette organisation de la société, hiérarchisée était petit à petit remise en
cause par ‘‘les cadets sociaux’’87. Ils s’improvisaient imam, prêcheur, ils créaient leurs lieux
de prière.
L’étude de la communauté musulmane de Douala à cette époque invite à émettre
plusieurs hypothèses quant aux raisons de l’adhésion au mouvement réformateur. Les
‘‘cadets sociaux’’ avaient pu le rejoindre dans l’espoir d’une modification de l’organisation
communautaire. Ainsi, le courant réformiste qui a une tradition de contestation, pouvait être
rapproché des clivages traversant la société : entre aînés et cadets, entre ruraux et urbains.
On ne saurait d’ailleurs les réduire à des simples contestataires puisque cela impliquait aussi
la gestion du savoir islamique que possède chaque tendance et une proximité générationnelle.
En effet, le courant réformiste incitait à la construction de mosquées distinctes et offrait donc
des places d’imams supplémentaires. Or, dans plusieurs mosquées de Douala, l’imamat était
détenu par les traditionalistes. Ainsi, les jeunes étaient aussi attirés par cet islam enseigné par
les réformistes, par ce qu’ils considéraient être la ‘‘vraie religion’’. Ils rejetaient alors
‘‘l’islam des vieux’’, fondé sur le respect à la hiérarchie dans l’accès au savoir.88
La multiplication des mosquées pendant cette période témoignait donc de
l’affirmation des réformistes et d’autres imams sur une portion plus ou moins importante de
la ville. Elle agrandissait le fossé entre les traditionnalistes et les réformistes. De façon
86
Pour une idée sur la force et l’influence de la connaissance, voir par exemple L. Holtedahl et M. Djingui, ‘‘Le
pouvoir du savoir : la vie de Alhaji Ibrahim Goni, juge traditionnel de Ngaoundéré’’, in L. Holtedahl et al.
(éds.), Le pouvoir du savoir : de l’Arctique aux Tropiques, Paris, Karthala, 1999, pp. 197-230.
87
Pour une intelligence de ce concept, voir l’article de J.F. Bayart, ‘‘La politique par le bas en Afrique noire,
Questions de méthode’’, Politique Africaine, n°1, 1981, p.74.
88
L. Maud, ‘‘Cameroun : les nouveaux territoires de Dieu’’, pp.93-116.
167
passive, les réformistes s’étaient opposés à toute instrumentalisation de la part des autorités.
Il faut cependant relativiser la portée de ces oppositions entre les deux tendances. Tous les
musulmans d’un même quartier ne se solidarisaient pas nécessairement avec les tendances
religieuses de ses notables. Plusieurs variables influençaient les croyants. Dans le vieux NewBell, par exemple, le contrôle social et religieux des traditionalistes était particulièrement
marqué. Ici, les premières mosquées communautaires (yoruba, haoussa, sénégalaise, peule,
malienne, bamun, etc.) furent construites dans les années 1930 par les migrants de la
première heure qui étaient majoritairement des Tidjanes. Bien que construites en matériaux
provisoires, ces mosquées offraient aux différentes communautés des espaces dont la
vocation première était d’être un lieu de culte et d’apprentissage du Coran pour les enfants
des migrants. Elles étaient aussi des espaces de rencontre où l’on s’informait sur les
évènements communautaires et où l’on tranchait les différends qui pouvaient opposer les
membres de chaque communauté. Les relations qui se tissaient à partir des mosquées
favorisaient la solidarité entre les ressortissants des différentes communautés et dans
différents secteurs d’activité professionnelle. Principaux points de ralliement, elles restaient
l’endroit idéal pour s’informer sur le sort d’un migrant ou sur la vie de la communauté. Elles
constituaient aussi des espaces de communion et de rencontre.
Mais, l’expansion spatiale de la ville et la surcharge des ‘‘cours’’ communautaires du
centre-ville ont contribué à réduire le rôle prépondérant de ces premiers réseaux de solidarité
dans l’encadrement communautaire, les rendant inaptes au contexte des années 1980. Dans la
communauté sénégalaise par exemple, l’arrivée des mourides contribua au déclassement de la
mosquée communautaire sénégalaise. Les mourides mirent en place des dahira
qui
regroupent les nouveaux venus. Ainsi, l’affirmation du mouridisme, à partir de 1980
notamment, a contribué à réduire l’influence de la grande mosquée sénégalaise sur la gestion
des affaires communautaires. De même, de nombreux petits commerçants, bouchers,
porteurs, etc. nouaient des relations avec des Haoussa, Foulbé et des Maliens, patrons de
commerce de tendance sunnite. Dans la même logique, le nombre d’imams et de maîtres
coraniques qui reconnaissaient l’allégeance aux imams maliens Oumar Soumaré
et Abdoulaye Guindo des mosquées Al-Rahmah et Alhu-Sunna Wal-Jamaa par ailleurs
directeurs de deux grandes écoles coraniques situées dans leurs mosquées respectives étaient
autant de facteurs qui favorisaient l’adhésion des croyants à la tendance ‘‘réformiste’’ de
leurs imams. Dans son étude, P. Cissé met l’accent sur le fait que la plupart de Maliens qui
arrivaient à Douala pendant la décennie 1980 étaient des sunnites/wahhabisants89 et à l’image
89
P. Cissé, ‘‘La migration malienne au Cameroun : le retour est-il possible?’’.
168
des Maliens ‘‘jula’’ en Côte d’Ivoire, cela laissait croire que ‘‘pour être commerçant et
réussir dans le commerce, il fallait être musulman sunnite’’90.
En réponse à des arguments exposés par les réformistes, quelle stratégie
l’administration/ACIC va-t-elle adopter? N’assistons-nous pas à un affrontement entre d’un
côté une administration qui veut garder ses prérogatives de pouvoir décisionnel et de l’autre
des réformistes soucieux d’être autonomes?
L’attitude
de
l’ACIC/administration
face
à
la
montée/influence
des
Sunnites/Wahhabisants
Pour contrer entre autre la montée des réformistes, l’ACIC, association voulue par les
autorités politiques et subordonnée à celles-ci, tente de rénover ses structures en 1988, soit 25
ans après sa création.91 D’après ce nouveau statut, elle concentre désormais ses énergies sur
la promotion de la doctrine islamique et le renforcement des lieux de solidarité, de paix, de
tolérance et de fraternité entre les croyants musulmans. Parmi ses objectifs, figurait en
priorité le développement de l’enseignement et l’éducation islamique au Cameroun, la
promotion des activités culturelles et islamiques ainsi que l’encadrement et la recherche du
financement des établissements d’enseignement modernes.
Pour atteindre ces objectifs, la nouvelle équipe de l’ACIC rénove ses structures
administratives : l’Assemblée générale est l’organe suprême ; le Conseil d’administration
représente le pouvoir exécutif ; le Comité de direction assure le Secrétariat permanent et le
Conseil des Oulémas coordonne les activités extérieures de l’ACIC en relation avec ses
représentations provinciales et départementales92. Tous ces organes sont confiés ‘‘aux
arabisants expérimentés’’93.
Il est intéressant de noter que le comité des Oulémas94 est l’organe représentatif de
l’ACIC au niveau provincial et départemental. Dans ces circonscriptions respectives, les
différents comités ont pour rôle d’expliquer et de diffuser la doctrine islamique afin de faire
reculer les pratiques maraboutiques qui, à leurs yeux, abrutissent le croyant. En outre, ils se
chargent de superviser au sein des comités scientifiques et techniques pluridisciplinaires, les
travaux de recherche touchant soit au droit islamique, soit aux autres activités de l’ACIC.95
Dans ses nouvelles activités, l’ACIC en dépit de ses problèmes financiers et humains,
veut devenir un instrument d’encadrement, de réflexion, d’animation et de documentation.
90
Cf. V. Petit, Migration et société Dogon, Paris, Karthala, 1998.
Voir Statut rénové de l’ACIC, décret no 88/319 du 7 mars 1988.
92
Ibid.
93
H. Adama, L’islam au Cameroun, p. 167.
94
Voir glossaire.
95
Résumé des propos d’El Hadj Aminou Oumarou, membre dirigeant de l’ACIC au moment de sa réforme. Ces
propos ont été recueillis en mars 1995 par G.L.Taguem Fah. Voir ‘‘Processus politique, mutations sociales et
renouveau islamique au Cameroun’’, p. 233.
91
169
Dans cette perspective, elle organise des conférences, met en place une bibliothèque, crée une
revue appelée Al Huda. A ce titre, elle se présente comme ‘‘une structure opérationnelle
qu’on peut comparer à un véritable appareil religieux’’96.
Au plan infrastructurel, l’ACIC s’engage, sur la base de ses structures rénovées et à
travers les subventions gouvernementales et les accords bilatéraux inter-étatiques conclus au
niveau gouvernemental avec le monde arabo-musulman, à construire des mosquées à l’instar
de celle de Garoua au Nord et du Complexe Islamique de Tsinga à Yaoundé.97 L’ACIC
restait donc un partenaire important des pays arabes. C’est à travers cette structure que la
communauté s’engage dans un processus de modernisation et de construction de nouvelles
mosquées qui sont toujours dirigées par des imams et des prédicateurs ‘‘sélectionnés parmi
les réformistes formés dans les pays donateurs’’98.
De ce qui précède, il va sans dire que, entre le soutien à l’ACIC et la cooptation des
réformistes au sein des structures de l’ACIC rénovée, l’attitude des autorités
gouvernementales restait ambiguë. Sans prendre fait et cause pour les modernistes, elles
cherchaient, à travers la cooptation de quelques modernistes dans les nouvelles structures de
l’ACIC, à intensifier les échanges avec le monde arabo-musulman. Autrement dit, il
s’agissait pour ces autorités de contrôler à travers l’ACIC certains de ces ‘‘arabisants’’
susceptibles de créer un foyer d’‘‘arabisme’’ nécessairement défavorable à la classe
dirigeante et influencé par l’extérieur99 ; de se doter des ‘‘instruments’’ du pouvoir politique
désireux de se construire une légitimité musulmane auprès des pays arabes. Ainsi, le régime
se montrait volontiers généreux à l’égard de la direction de l’ACIC en multipliant des actes
symboliques destinés à marquer son ancrage dans le monde arabo-musulman.
Dans la même conjoncture à savoir l’influence des réformistes et la restructuration de
l’ACIC, l’Etat reconnait en 1985 et en 1988 deux autres associations islamiques fondées par
les réformistes. Il s’agit de la Jeunesse Islamique du Cameroun (JIC) et de l’Association de
Solidarité pour la Vocation Islamique du Cameroun/Conseil National Supérieur des Affaires
96
Propos d’El Hadj Aminou Oumarou, recueillis par G.L. Taguem Fah en mars 1995 à Ngaoundéré. Voir
‘‘Tendances actuelles de l’islam au Cameroun : état des lieux et perspectives’’, 2000, p. 59.
97
Les deux plus grandes Mosquées d’Afrique Centrale ; celle de Yaoundé et celle de Garoua par exemple ont été
financées en partie par l’Arabie Saoudite. La mosquée de Yaoundé, dénommée ‘‘Complexe Islamique du
Serviteur de Deux Saintes Mosquées’’ abrite une école, et l’ensemble est dirigé par un imam saoudien.Voir le
lien internet http://www. mofa.gov.sa/detail.asp? in SectionID=504 et News Item ID- 48926; consulté le 20 juin
2003.
98
L. Maud, ‘‘Cameroun : les nouveaux territoires de Dieu’’, pp. 93-116.
99
Cf. E. Iya, ‘‘L’école franco-arabe, facteur d’adaptabilité des valeurs socioculturelles des populations
islamisées du Cameroun septentrional’’, note 43, p. 270.
170
Islamiques au Cameroun (ASSOVIC/CONSAIC)100. La reconnaissance de ces associations
par l’Etat témoignait entre autres d’une volonté des pouvoirs publics de contrôler
indirectement les mouvements islamiques, en s’assurant un droit de regard sur les activités
des réformistes. Le revirement de la politique gouvernementale à l’égard des réformistes
pouvait ainsi s’interpréter comme une volonté de récupération et d’instrumentalisation des
forces émergentes afin de désamorcer, éventuellement, leur capacité de nuisance ; stratégie
somme toute efficace à court terme.101
En somme, la tension entre Wahhabites et Tidjanistes se cristallisait autour des
mosquées, des diverses manières d’interpréter les textes et de vivre sa religion. L’expansion
du nouveau mouvement était freinée par le pouvoir, souvent pour satisfaire les clergés établis.
Qu’en est-il pour ce qui est des changements observés dans l’administration traditionnelle ?
B-L’autorité traditionnelle musulmane : entre autonomie et subordination : 1977-1990
L’administration postcoloniale avait récupéré dans les grandes lignes, les principes de
l’administration
coloniale,
en
associant
les
chefs
traditionnels
à
l’exercice
du
commandement, mais à un niveau relâché. En effet, d’après le décret no77/245 du 15 juillet
1977 portant organisation des chefferies traditionnelles, décret complétant celui de 1960 et
les dispositions de l’Etat unitaire de 1972 sur la même question, les chefs traditionnels sont
désormais considérés comme des ‘‘auxiliaires de l’administration’’. A ce titre, ils relèvent du
Ministère de l’Administration Territoriale qui participe à leur nomination, les protège,
contrôle leurs activités et peut les destituer en cas de non observance des lois publiques.
Quelle que soit leur importance ou leur influence au regard de la population et de l’extension
territoriale de la chefferie, ils dépendent avant tout des sous-préfets, préfets et gouverneurs
des circonscriptions administratives où ils sont installés. Ils perçoivent de l’Etat des
allocations mensuelles fixes, calculées en fonction de l’importance numérique des
populations administrées, ainsi que des remises sur les impôts forfaitaires collectés par euxmêmes. Bref, ils ont été assimilés à des agents de l’Etat au sens plein du terme et peuvent
militer dans des organisations politiques. Classés en 1er, 2e et 3e degré suivant les critères
100
L’ASSOVIC/CONSAIC est créée en 1985. Mais elle ne sera légalisée qu’en 1992 (décret n° 92/032/92 du 21
février 92) conformément aux dispositions de la loi n, 90/053/du 19 décembre 1990 portant liberté
d’association.
101
Voir dans le même sens H. Adama, ‘‘La mosquée au Cameroun : espace privé ou espace public ?’’.
171
démographiques et territoriaux, leur pouvoir de décision est assez limité. Leur autonomie est
désormais réduite.
B-1 Création de nouvelles chefferies musulmanes à Douala
Pour rendre intelligible notre analyse, nous commencerons par un bref aperçu du
processus juridique qui a conduit à ‘‘administrativer’’102, la chefferie traditionnelle.
La mise en forme juridique de la chefferie traditionnelle date du décret du 15 juillet
1977 fixant le statut de la chefferie traditionnelle. Ce texte apporte deux séries de précisions :
l’une sur la chefferie, l’autre sur le rôle du chef.103
La chefferie traditionnelle : un relais de l’administration
La principale innovation apportée par le décret de 1977 réside dans la délimitation
territoriale de la chefferie traditionnelle. L’article 3 donne des précisions sur la territorialité
de la chefferie. Ainsi, les limites territoriales de la chefferie traditionnelle sont les suivantes :
-
La chefferie du 1er degré correspond au département ;
-
La chefferie du 2e degré correspond à l’arrondissement ;
-
La chefferie du 3e degré correspond au village en milieu rural ou au quartier en
milieu urbain.
Seule l’étendue territoriale détermine le degré de l’unité administrative.
Contrairement à la période coloniale, les considérations ethniques sont reléguées au second
rang, notamment au niveau des agglomérations urbaines où par arrêté, le ministre de
l’Administration Territoriale peut, compte tenu des exigences d’encadrement, organiser les
agglomérations en zones, quartiers, blocs à la tête desquels sont placés des chefs
traditionnels104. Ainsi se trouve en principe abandonnée la pratique coloniale consacrant dans
un même quartier un chef des Bamiléké, un chef des Haoussa, un chef des Peul, un chef des
Bamun, etc. A travers le statut de 1977, il est question de la chefferie traditionnelle en tant
que circonscription administrative. On assiste en principe à une confusion des tribus, seule
l’étendue territoriale détermine le degré de la chefferie. Aussi doit-elle être perçue comme
étant une des structures devant assurer la stabilité de l’organisation administrative. Reflet de
la présence permanente de l’administration au sein des communautés locales, la position de la
chefferie dans l’édifice administratif reste ambiguë. A quelque degré qu’elle soit, la chefferie
102
Nous empruntons ce terme à B. Momo, ‘‘L’inaccessibilité des chefferies traditionnelles camerounaises à la
rationalité juridique’’, Lex Lata, no 22, 1996, p. 12.
103
Voir Décret 77/245 du 15 juillet 1977 portant organisation des chefferies traditionnelles.
104
Cf. article 31 du décret 77/245.
172
traditionnelle ne bénéficie que d’un positionnement par assimilation aux structures
administratives suivantes : le département, l’arrondissement, le village ou le quartier.
La notion de territorialité de la chefferie se trouve renforcée par l’effectivité de la
résidence. C’est dire que le chef traditionnel d’une chefferie de 1er degré, 2e ou 3e degré doit
effectivement résider en permanence dans son unité administrative. L’article 17 al.1 du décret
de 1977 ajoute que :
Les fonctions de chef traditionnel sont incompatibles avec toute fonction publique.
Toutefois, l’autorité investie du pouvoir de désignation peut autoriser le cumul des
fonctions, notamment lorsque la personne intéressée réside sur le territoire de la chefferie
concernée.105
L’obligation créée par cette disposition ne pèse cependant pas sur les chefs de zones,
de quartiers ou de blocs106. Le rôle des chefs musulmans de Douala sera tributaire de cette
évolution.
Le chef musulman : un auxiliaire de l’administration pour sa communauté
La publication du texte de 1977 marque ainsi une nouvelle approche entre la
chefferie et le politique. Mais cette nouvelle approche est vécue différemment selon que l’on
est en pays musulman où le personnage du chef traditionnel est au centre du fonctionnement
de la communauté107 ou dans une grande ville comme Douala. A Douala, les chefs
traditionnels musulmans, nommés en réalité par l’administration, sont condamnés à se
soumettre ou courir le risque d’être démis. Cette attitude du reste compréhensible, peut se
justifier par leur statut d’ ‘‘étrangers’’ pour les non nationaux et d’‘‘allogènes’’ pour les
nationaux. Ils n’ont pas les mêmes prérogatives comme ceux du Nord Cameroun et celui de
Foumban ou même les chefs autochtones dualas. On peut ainsi les appeler des ‘’chefs du
décret’’108.
105
Cf. Article 17, al.1 du décret 77/245.
Article 32, alinéa 2 du décret 77/245.
107
Dans les régions fortement islamisées, l’adoption de cette nouvelle approche dans les rapports des chefs à la
politique sera comme pendant la période coloniale, parsemée d’obstacles (Pour une idée sur les rapports entre
les chefs et les autorités coloniales au Cameroun, voir D. Abwa, ‘‘‘‘Commandement européen’’‘‘ commandement indigène’’ au Cameroun sous administration française’’, Thèse de Doctorat d’Etat en
Histoire, Université de Yaoundé I, 1994). Le texte sera pourfendu et décrié par les autorités musulmanes
traditionnelles. Le chef perdra ses prérogatives domaniales, tribunitiennes, fiscales et protocolaires (Voir, entre
autres, G.L.Taguem Fah, ‘‘Crise d‘autorité, regain d‘influence et problématique de la pérennité des lamidats
peuls du Nord-Cameroun : étude comparée de Ray Bouba et Ngaoundéré’’, in C.-H. Perrot et F.X. Fauvelle
Aymar (s.d.), Le retour des rois. Les autorités traditionnelles en Afrique contemporaine, Paris, Karthala, 2003,
pp. 267-288 et H. Adama, L’islam au Cameroun, p. 157).
108
En réalité, ils sont nommés par ‘‘ arrêté’’. La population les appelle ‘‘chefs par décret’’ pour signifier que
leur choix n’émane pas d’elle.
106
173
Quoi qu’il en soit, les chefferies musulmanes de la période coloniale étaient restées
les mêmes à Douala. D’autres ont été mises en place. De neuf (09) chefferies musulmanes de
village en 1950, Douala comptait en 1990 seize (16) chefferies musulmanes de 3e degré
assimilables aux quartiers urbains. Leur nombre avait augmenté par rapport à la période
coloniale de 77,78%. Elles sont répertoriées dans le tableau suivant :
Tableau no IX: Récapitulatif des chefferies musulmanes de Douala de 1933 à 1990.
Chefferies
Noms des chefs
Communauté haoussa de New-Bell /Haoussa
El Hadj Adamou Labo Ousseini
Communauté bafia de New-Bell / Congo
El Hadj Aboubakar Backo Mendeng
Communauté haoussa de Douala / Bonabéri
El Hadj Tanko Amadou
Communauté peule de New-Bell / Congo
El Hadj Nassire Mohammadou Katché
Communauté Bornuane de New-Bell / Congo
El Hadj Ali Abba
Communauté musulmane de Douala/ BonanlokaBibamba
Communauté musulmane de Douala / New-Town
Aéroport I
Communauté musulmane de Douala / New-Town
Aéroport II
Communauté bamun de Douala/New-Bell-bamun
El Hadj Shouaïbou Oumara
El Hadj Bouba Abakoura
El Hadj Abdou Rhamanou
El Hadj Nji Mefiré Njoya Inoussa
Communauté vouté et tikar de Douala / Cité des Aboubakar
Palmiers
Communauté musulmane de Douala/ Bonamoussadi
Abdoul Karim Aman
Communauté yoruba de New-bell / Makea
Paraïso Younouss
Communauté malienne de Douala / New-Bell/Congo
Ahmed
Communauté
Bell/Congo
sénégalaise de Douala / New- Addel Nasr
Communauté musulmane de Ngodi/Bakoko
Bell Mahmoud
Communauté musulmane de Mabanda (Bonabéri)
Assar Yendé
Ce tableau a été réalisé à partir de nos enquêtes de terrain et de l’aide d’El Hadj
Aboubabar Backo Mendeng, chef de la communauté bafia de Douala et vice-président de
l’amicale des chefs musulmans du département du Wouri109. Jusqu’en 1990, il existait seize
chefferies de communautés musulmanes à Douala. Comme on peut le constater à travers ce
109
El Hadj Aboubakar Backo Mendeng, entretiens des 6 et 7 Août 2006 dans son bureau, à chefferie bafia de
New-Bell /Congo.
174
tableau, à Douala, l’islam était en progression. La mainmise de la communauté yoruba sur
l’islam à New-Bell pendant la période coloniale, du fait de leur ancienneté mais surtout de la
collaboration du chef Youssouf Paraiso avec les autorités coloniales n’était plus visible.110
Autrement dit, le chef de la communauté yoruba, qui se sentait pendant l’époque coloniale
chef de l’ensemble des musulmans avait perdu ces prérogatives, du fait que la sociologie de
la communauté musulmane s’était considérablement diversifiée avec la croissance urbaine.
En outre, si pendant la colonisation les chefs conservaient en tant que ‘‘chefs traditionnels’’
le contrôle d’un espace, celui de leur quartier respectif, ils ne parvenaient plus, à étendre ce
contrôle sur les musulmans non originaires de leur quartier et même de leur groupe ethnique.
Certaines de ces chefferies urbaines musulmanes étaient aussi les produits des autochtones
convertis au contact des musulmans, à l’instar des chefferies musulmanes de Mabanda et de
Ngodi/Bakoko. Cette situation expliquait aussi l’implantation inégale des chefferies dans les
différents arrondissements de la ville de Douala.
Comme pour les mosquées, la géographie des chefferies musulmanes à Douala
restait beaucoup plus marquée à New-Bell que dans le reste de la ville. En effet, d’après la
concentration des chefferies, les différences entre les quartiers apparaissaient nettement
tranchées. L’islam restait encore en situation dominante dans les vieux quartiers musulmans
de New-Bell : Haoussa, Makea, Congo, Bafia, Peul et Bamun. Là, le réseau de chefferies
auquel il fallait associer les mosquées et les écoles coraniques traditionnelles y était le plus
serré qu’ailleurs.
Mais l’implantation de l’islam gagnait certains quartiers neufs de la ville, Mabanda,
Nkompa, Ngodi/Bakoko, Bonamoussadi, Cité des palmiers, New-Town I et II, etc, où les
communautés musulmanes se regroupaient autour des chefferies et/ou des mosquées. Ce
déplacement géographique des chefferies et des mosquées s’accompagnait aussi d’une
mutation du profil des fidèles musulmans dans les quartiers administratifs et résidentiels, ce
qui donnait aussi un autre rayonnement à l’islam. Les fidèles n’étaient plus seulement vus à
travers le prisme du commerce. On pouvait trouver parmi eux des cadres fonctionnaires:
administrateurs, inspecteurs des services financiers, directeurs des sociétés, enseignants,
médecins, etc. et de professions libérales : avocats, entrepreneurs et financiers.111
L’existence des communautés musulmanes dans d’autres quartiers de Douala, se
110
Rappelons que le chef yoruba était en même temps ‘‘Chef supérieur’’ du groupement des étrangers au
Cameroun. Toutes les chefferies musulmanes de village dépendaient de cette chefferie (voir première partie,
deuxième chapitre, section A-2.
111
M.B. Savadogo a fait les mêmes observations à Abidjan en Côte d’Ivoire. Voir ‘‘L’intervention des
associations musulmanes dans le champ politique et social en Côte d’Ivoire depuis 1990’’, in M. Gomez-Perez
(s.d.), L’islam politique au sud du Sahara. Identités, discours et enjeux, pp. 583-600.
175
faisait au gré des migrations et n’était plus le résultat d’une volonté de regroupement
systématique. En effet, l’islam débordait désormais ce site marécageux (New-Bell) situé à
l’extérieur des quartiers autochtones et qui leur était attribué à l’origine pour toucher les
quartiers chics et résidentiels : Bonapriso, Bonanjo, Akwa, Bonamoussadi, Makepe, Kotto,
etc. Bref, on trouvait les musulmans dans presque tous les quartiers de cette ville et même
dans les agglomérations humaines périphériques, où ils s’organisaient en chefferies
musulmanes ou autour des mosquées pour renchérir leurs valeurs culturelles, chacune selon
sa tribu ou son ethnie. Même si ces chefferies musulmanes ne sont pas aussi organisées et
puissantes - elles sont en réalité des chefferies administratives – comme les lamidats et
sultanats du Nord-Cameroun ou encore du royaume bamun, on peut tout simplement
constater que ces groupes socioculturels aussi notoirement multiples que divers et variés,
n’étaient pas nécessairement marqués par une ‘‘amnésie’’112, au sens de l’oubli de leurs
origines. Ce sentiment de rattachement au groupe d’origine était matérialisé comme nous
avons vu par la création sur place des structures traditionnelles parallèles à celles des Duala
déjà existantes113. Ainsi, parle-t-on de chefferie bamun, de chefferie foulbée, de chefferie
haoussa, chefferie bafia, pour nous limiter à ces quelques catégories musulmanes nationales
de Douala, afin de continuer à se sentir chez soi. On peut se demander maintenant quels
rapports entretenaient les chefs musulmans de Douala avec les autorités politicoadministratives locales?
B-2 Autorités traditionnelles musulmanes et autorités politico-administratives de
Douala : vers un compromis réaliste
Ces chefferies qui expriment par ailleurs l’identité collective des musulmans à
l’échelle urbaine, regroupent les musulmans sur la base de l’appartenance ethnique ou
régionale. Quoique le droit camerounais ne reconnaisse en elle que des valeurs culturelles, il
faut cependant dire qu’elles jouissaient d’une influence sur le plan local.114 A ce titre, les
112
J. Crowley, ‘‘Minorités ethniques et ghettos aux Etats –Unis’’, Esprit, juin 1992, p.92.
Les Duala sont regroupés autour des chefferies traditionnelles elles mêmes issues des quatre principaux clans
autochtones à savoir les Bell, les Bonabéri, les Akwa et les Deido. Ces différents clans sont regroupés au sein de
l’ensemble socioculturel ‘‘Sawa’’ plus large, qui est une sorte d’assemblée supra lignagère qui réunit les Duala
et apparentés autour du Ngondo. Voir Y. Moluh, ‘‘La participation politique en milieu urbain de 1946 à 1992 :
le cas de Douala’’, Thèse de Doctorat de 3e cycle en Science Politique, Université de Yaoundé II, 1997.
114
Pour une approche globale de l’influence des chefs en Afrique au sud du Sahara, on lira avec profit l’ouvrage
déjà cité de C.-H. Perrot et F.X. Fauvelle Aymar (s.d.), Le retour des rois. Les autorités traditionnelles en
Afrique contemporaine. Au plan local, on lira aussi avec intérêt P. Nkwi Nchofi and F. Nyamnjoh, Regional
Balance an National Integration in Cameroon : Lesson Learn and the Uncertain Future, Leiden-Yaoundé/ASCICASSRX et J.-P. Fogui, L’intégration politique au Cameroun : une approche centre-périphérie, Paris, LGDJ,
1990.
113
176
autorités locales recherchaient leur collaboration dans la réalisation de certaines œuvres
publiques : leur assistance a ainsi été régulièrement requise par les maires des
arrondissements de Douala IIe, Douala IIIe et Douala IVe pendant les premières années de
leur mise en place en 1987115, en terme, d’aide à la réalisation des missions communales,
telle la viabilisation des canalisations des caniveaux et rivières qui traversent les quartiers
occupés par certaines communautés musulmanes. Selon Diallo Bakaï Mamoudou, viceoprésident de l’ACIC, imam principal de la mosquée foulbé du marché Congo et un des
adjoints au maire de Douala IIe en 1987, les communautés musulmanes quelles que soient
leurs origines, ne sauraient rester en marge des activités de salubrité de leurs quartiers,
puisqu’elles en sont également bénéficiaires.116
La pratique s’écartait aussi des dispositions de l’article précité du texte de 1977 dans
la mesure où dans certains quartiers de Douala (New-Bell/Congo, New-Town I et II), on
pouvait compter plusieurs chefferies musulmanes de 3e degré, chacune représentant avant
tout la valeur culturelle d’un village, d’une tribu ou d’une ethnie : chefferie bamun, haoussa
et foulbé de tel ou tel quartier. Ce qui est bien sûr contradictoire à l’objectif principal des
dirigeants camerounais à savoir la construction d’un Etat-nation.
Le rôle du chef : auxiliaire de l’administration
Le choix des chefs opéré après consultation des notables locaux ne devient définitif
qu’après l’approbation des autorités administratives qui se matérialise sous forme d’arrêté. Il
convient de souligner que les réunions au cours desquelles ont lieu les consultations de
notabilités sont selon la loi, présidées par les Sous-préfets pour les chefferies de 3e degré117
dont relèvent les chefferies musulmanes de Douala. Ces chefs sont donc en général désignés
par leurs congénères pour représenter leur groupe. Ils sont, certes, toujours choisis au sein des
familles appelées à exercer coutumièrement le pouvoir traditionnel, mais ils doivent remplir
les conditions d’aptitude physique et morale requises et savoir lire et écrire autant que
possible118. Par ailleurs, ils sont désignés suivant deux principaux critères : l’ancienneté ou la
fortune, étant entendu que les deux critères peuvent très bien se combiner. Les compétences
de ces chefs telles que prévues par le décret de 1977 privilégient la tendance à la
fonctionnarisation du chef. ‘‘Auxiliaire de l’Administration’’, les chefs traditionnels sont
notamment chargés de :
115
Voir Loi no 87/015 du 15 juillet 1987 portant création des communes urbaines.
El Hadj Diallo Bakaï, entretien du 4 septembre 2007 à son domicile au quartier New-Bell/Congo.
117
Pour les chefferies de 1er et 2e degrés, les consultations sont présidées par le Préfet.
118
Article 8 du décret 77/245. Cette disposition reprend d’ailleurs l’article 1er de l’arrêté du 4 février 1933 en la
matière. Voir première partie, deuxième chapitre, section A-2.
116
177
1- transmettre à la population les directives des autorités administratives et d’en
mesurer l’exécution ;
2- concourir, sous la direction des autorités administratives compétentes, au
maintien de l’ordre public et au développement économique, social et culturel
de leur unité de commandement ;
3- recouvrer les impôts et des taxes de l’Etat et des autres activités publiques dans
les conditions fixées par la réglementation.
Indépendamment des tâches qui précèdent, les chefs traditionnels doivent accomplir
toute autre mission qui peut leur être confiée par l’autorité administrative locale119. Telle est
l’expression juridique de la perte d’autonomie du chef traditionnel esquissée dès 1960 : ‘‘les
chefferies traditionnelles intégrées à l’appareil administratif ne peuvent prétendre jouer un
rôle autonome’’120.
Ainsi vidée de son autonomie, la chefferie traditionnelle fait l’objet de récupération
politique. Elle constituait pendant la période de monopartisme (1966-1990) une structure
d’encadrement politique des populations.121 Tous les chefs traditionnels étaient d’office
membres du parti-Etat, l’Union Nationale Camerounaise (UNC) de 1966 à 1985 d’abord puis
le Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC) de 1985 à 1990 et par
ailleurs membres des organes dirigeants des comités de base de leur ressort territorial.
En réalité, les autorités traditionnelles investies par leurs communautés sont
chargées au quotidien de répercuter les doléances des membres auprès des instances locales,
de parler en leur lieu et place en cas de besoin. Mais confrontée à l’action, cette fonction de
représentation se pervertit très vite, notamment pour les communautés musulmanes
étrangères, dans un milieu urbain ou l’affairisme et le désordre priment. A titre d’exemple,
les problèmes de titres de séjour étaient les moments où les immigrés musulmans -pour ce qui
nous préoccupe- étaient en constant rapports avec les pouvoirs publics, puisqu’ils sont sensés
représenter les membres de leur communauté. Mais dans leur pratique, il s’agit d’une tâche
ardue, car ils doivent concilier les intérêts contradictoires d’une immigration parfois
clandestine et les intérêts des autorités locales pour qui ces droits constituent d’importantes
ressources fiscales. Voilà qui justifierait aussi les stratégies de l’auxiliarisation des chefs des
communautés musulmanes étrangères par les autorités locales. L’auxiliarisation de ces
119
Article 20 du décret 77/245.
Cité par P.F. Gonidec, ‘‘Le président Ahidjo. Congrès de l’UNC à Maroua en 1960’’, in La République
Fédérale du Cameroun, Paris, Berger Levraut, 1969, p. 181.
121
Cette situation n’était pas particulière au Cameroun. Cf. C.-H. Perrot et F.X. Fauvelle Aymar (s.d.), Le retour
des rois. Les autorités traditionnelles en Afrique contemporaine.
120
178
membres de l’immigration musulmane par les autorités locales est un moment important du
processus de leur politisation, leur intervention se situant dorénavant dans les sites d’action
politique saillants observés dans la ville de Douala. Les campagnes de recouvrement des
impôts qui concernent également les étrangers122 permettaient de voir qu’ils étaient les
interlocuteurs principaux et privilégiés des autorités locales à ces moments cruciaux. Les
chefs, alors mieux placés pour les déceler, étaient régulièrement consultés par les autorités
administratives et municipales pour la ‘‘conscientisation’’ des membres de leurs
communautés. Cette médiation constituait l’instrument ou le vecteur assurant le passage de la
sphère privée immigrée dans le champ politique. C’est également dans cette optique qu’il est
possible, eu égard à la position qu’ils occupaient d’observer la relation clientéliste et
tribunicienne qu’ils ont avec les autorités de la place : faisant semblant d’agir exclusivement
pour le compte des membres qu’ils étaient sensés représenter, les chefs s’appropriaient très
souvent les positions de domination sociale qui étaient les leurs, à leur propre compte. Ainsi,
les voyait-on bénéficier des grâces des autorités locales lors des rafles ou bénéficiant de
moratoires dans le payement de quittances pour leurs maisons de commerce, ou alors
toujours acquittés devant les commissariats en cas de différends avec leurs ressortissants ou
même avec les populations locales123.
Au total et par rapport à la période coloniale, la légitimité des chefs traditionnels
était de plus en plus battue en brèche par la mise en place de nouvelles procédures de gestion
de la cité, inspirées du droit positif camerounais. Ceux-ci restaient néanmoins accrocher à
leurs fonctions honorifiques en attendant ‘‘le regain d’influence’’124 des années 1990. Le
compromis Etat/conservateur à travers l’ACIC et les chefferies traditionnelles sera-t- il à la
hauteur des espoirs placés en lui sur le plan éducatif ?
C- Difficultés diverses de l’école franco-arabe de Douala de 1987 -1990
Au milieu des années 1980, le Cameroun commence à ressentir les effets de la crise
économique. Cette période apparaît d’un intérêt certain dans la compréhension de la crise du
système scolaire et des réformes qui vont être engagées au cours des années à venir. La crise
122
Sur la législation camerounaise en matière d’immigration, se référer au travail de S. Tchounkoué, ‘‘Crise
économique et immigration au Cameroun’’, Communication au colloque ‘‘Etre étranger et migrant en Afrique’’,
Paris, décembre 1999.
123
Voir B.-J. Nkene, ‘‘Les immigrés Nigérians à Douala : problèmes et stratégies d’insertion sociale des
étrangers en milieu urbain’’, Law and politics in Africa, Asia and Latin America (33) 1, 2000, p. 57.
124
G.L. Taguem Fah, ‘‘Crise d‘autorité, regain d‘influence et problématique de la pérennité des lamidats peuls
du Nord-Cameroun : étude comparée de Ray Bouba et Ngaoundéré’’, 2003, pp. 267-288.
179
sociétale qui se dessine dès les années 1980 est surtout économique. Ce contexte conduit à un
bouleversement tumultueux du paysage social. Pour s’adapter à la situation nouvelle, le
Cameroun accède dès la fin des années 1980 au Programme d’Ajustement Structurel (PAS)
imposé par le Fonds Monétaire International (FMI) et de la Banque Mondiale. En matière de
politiques publiques, on assiste alors à des interactions heurtées entre les idéaux locaux et les
modèles transnationaux de gestion.125 Comme conséquence de cette conjoncture, le
déséquilibre entre la demande et l’offre d’éducation s’accroît. En somme, l’ampleur de la
crise, par ses effets sociaux, finit par fragiliser la crédibilité de la perception de l’image de
l’école auprès des populations126 au point où l’école franco-arabe de Douala ne représentait
plus rien ou presque au sein de la communauté musulmane de Douala. De fait, cette école,
seule source officielle de scolarisation en arabe des enfants musulmans, allait traverser une
crise qui a failli littéralement l’emporter. Il faut en effet préciser que suite aux effets induits
de la crise économique127, l’Etat avait pris une loi en 1987 qui préconisait la ‘‘libéralisation’’
des frais de scolarité et un ‘‘octroi éventuel’’ des subventions de l’Etat.128 L’octroi des
subventions devenait ainsi une éventualité et non plus une juste obligation.129 Par conséquent,
les subventions étaient devenues rares, irrégulières et surtout insignifiantes par rapport à la
demande. Ainsi, l’école franco-arabe de Douala n’avait par exemple reçu pour l’année
scolaire 1988-1989 qu’un montant de 2 399 212 francs CFA au titre de sa subvention
annuelle et, pour le compte de l’exercice 1989-1990, cette subvention s’élevait à 2 400 000
francs Cfa130. Ces subventions étaient selon le représentant local de l’ACIC pour le Littoral
125
Dès le milieu des années 1980, le Cameroun est touché par une profonde crise économique. Il voit tous ses
indicateurs économiques ‘‘au rouge’’. Le pays subit dès lors une crise sociale qui se solde en tout premier lieu
par l’arrêt des recrutements dans la fonction publique. Se reporter entre autres à, R. Nyom, La crise économique
du Cameroun. Essai d’analyse socio-politique, Yaoundé, Atlantic-Editions, 2003; Touna Mama (s.d.), Crise
économique et politique de dérèglementation au Cameroun, Paris, L’Harmattan, 2000 et P. Gubry, Le retour au
village. Une solution à la crise économique au Cameroun, Paris, L’Hamattan, 2002.
126
Pour un développement substantiel de ce contexte et son impact sur l’école au Cameroun en général, voir P.
M. Njiale, ‘‘Entre héritage et globalisation : l’urgence d’une réforme de l’école au Cameroun’’, Communication
au colloque international ‘‘Un seul monde, une seule école? Les modèles scolaires à l’épreuve de la
mondialisation’’, Sèvres-France, 12-14 mars 2009.
127
Sur les rapports entre la crise économique et l’éducation au Cameroun, voir entre autres M. PapillonDauveau, ‘‘Cameroun. L’éducation malmenée par la crise économique’’, Impact Campus, Université Laval,
Septembre 2007, pp. 2-11 et P.M. Njiale, ‘‘Les confessions religieuses et l’offre d’éducation au Cameroun’’,
Communication au Colloque International d’Education Comparée (CIEP), sur le thème ‘‘Education, religion,
laïcité. Quels enjeux pour les politiques éducatives? Quels enjeux pour l’éducation comparée’’, Sèvres-France,
19-21 octobre 2005.
128
Voir Loi No 87/022/du 17 décembre 1987 : activités des établissements scolaires privés.
129
Cette question provoqua des accrochages répétés avec les différents ordres de l’enseignement privé et
notamment les catholiques. Pour l’Archevêque Jean Zoa de Yaoundé par exemple, par de tels principes, on
faisait de l’enseignement privé confessionnel ‘‘une entreprise à but lucratif (…) les catholiques se voyaient
victimes d’une injustice’’. Les témoignages des incidents de ce genre et des réactions subséquentes abondent
dans le journal catholique L’effort camerounais, no oo6, juin 1988 et no 033/975, avril 1991.
130
El Qiblah, n°14 du mercredi 25 octobre 2000, p.8.
180
en la personne d’El Hadj Garba Aoudou largement inférieures à celles que l’école recevait
avant.131
Cette situation de crise devait d’abord contraindre les dirigeants de l’école
franco-arabe à ‘‘réajuster’’132 les salaires des enseignants, ensuite à les payer de façon
intermittente et enfin à les suspendre pendant plusieurs mois. A Douala particulièrement,
l’ACIC avait cumulé des arriérés de salaire de plus de 12 mois entre 1988 et 1990133. Cette
irrégularité dans le paiement des salaires des enseignants bien que n’étant pas propre à
Douala,134 devait susciter des mécontentements, entraîner le manque de motivation des
enseignants et finalement leur départ.
A la suite de nos enquêtes de terrain, d’autres raisons pouvaient être avancées pour
expliquer cette situation d’abandon. On peut ainsi retenir entre autres le taux élevé d’échec et
de déperdition des élèves ; ce qui entraînait la baisse des effectifs et un sentiment de laisser
aller. D’autant que comme au Sénégal135, au Mali136 ou encore au Burkina Faso137, le
critère d’âge à l’entrée n’était pas très fixe : ‘‘ l’âge de recrutement était un peu plus élastique
que celui de l’école formelle et allait de 7 ans à 11 ans’’138. Cette souplesse faisait que même
les élèves qui n’avaient pas pu rester, par inconscience ou par incapacité intellectuelle au
départ, dans les écoles laïques étaient acceptés dans l’école franco-arabe. Le redoublement
n’y était pas un problème aussi grave puisque l’exclusion y était très rare. C’est ainsi que l’on
trouvait des élèves assez âgés qui traînaient toujours dans les basses classes. La présence de
ces élèves âgés n’était pas de nature à améliorer les résultats et à redorer l’image de
l’enseignement franco-arabe. Bien plus, les maîtres étaient constamment confrontés à des
disparités de niveau très importantes entre les élèves. Ils étaient par conséquent obligés de
naviguer entre plusieurs langues et plusieurs registres de vocabulaires.
131
Ibid.
Comprendre baisser, réduire. Cette baisse avait eu lieu dans toutes les zones scolaires couvertes par l’ACIC.
133
El Qiblah, n° 14, p. 8. Voir aussi Aurore Plus, no 351, p. 10. En outre, au cours des exercices budgétaires
1988-1989, 1989-1990 et 1990-1991, les enveloppes financières allouées à l’enseignement privé laïc et
confessionnel ont accusé une baisse due à la diminution générale des avoirs de l’Etat.
134
S. Mane dans sa thèse de Doctorat/Ph.D en histoire (‘‘Islam et société dans le Mbam (Centre-Cameroun) :
XIXe- XXe siècles’’, Université de Yaoundé I, 2005-2006, pp. 154-155) décrit des situations similaires à l’école
franco-arabe de Bafia.
135
M.Gomez-Perez, ‘‘Bilan et perspectives de l’enseignement de l’arabe dans les écoles franco-arabes à Dakar et
à Thiès : vers la marginalisation d’une jeunesse?’’, in M. Gomez-Perez et V. Lacabane (textes rassemblés par),
La diffusion des savoirs dans les tiers mondes, Paris, Presse Universitaire Denis Diderot, 1999, pp. 41-69.
136
S. Cissé, L’enseignement islamique en Afrique Noire, Paris, L’Harmattan, 1992, p. 137.
137
I. Cissé, ‘‘Les medersas au Burkina : l’aide arabe et l’enseignement arabo-islamique’’, Islam et Sociétés au
Sud du Sahara, no 4, 1990, pp. 57-72.
138
Aboubakar Woussi, entretien du 14 avril 2003 dans son bureau, à l’école franco-arabe de New-Bell, Douala.
132
181
Les responsables de cette école étaient confrontés à un flux continu de jeunes,
rejetés par le système public ; ceci rendait la situation de plus en plus inextricable et posait la
question centrale du devenir de cet enseignement et de cette jeunesse. En effet, cet
enseignement a-t-il pour rôle de colmater les brèches, autrement dit s’assigne-t-il comme
fonction de faire un travail d’intégration d’une partie de la jeunesse en quête d’activités et
repères ? Plus d’une décennie après l’analyse de S. Genest et R. Santerre, voici le jugement
pour le moins sévère que H. Adama faisait de l’école franco-arabe de Douala :
Suite à une désaffection des parents d’élèves à l’endroit de ce système
d’enseignement, le privé confessionnel musulman se transforme très vite en un dépotoir des
redoublants chroniques incapables de s’intégrer dans le secondaire laïc ou confessionnel
quand bien même ils arriveraient à terminer le cycle primaire dans leur propre école.139
Dans le même sens, l’inefficacité de l’école franco-arabe de Douala pouvait aussi
s’expliquer selon l’ancien secrétaire permanent de l’ACIC, Cheikh Daouda Mohaman, par
‘‘l’enseignement au rabais’’ qu’elle dispensait.140 En effet, ceux qui avaient suivi cet ordre
d’enseignement n’avaient pas eu de grandes possibilités d’épanouissement auxquelles son
savoir donnait droit141. Le problème de débouchés se posait.
Même avec les
timides
réformes survenues au cours de la décennie 1970142, l’école franco-arabe n’avait pas à la
longue résolu le problème des débouchés. Pour les finissants, le CEPE n’était plus un gage
assuré pour le petit fonctionnarisme. Il fallait aller au-delà, entrer dans le secondaire ou
s’orienter vers l’enseignement. Le chemin conduisait alors au cours normal dans
l’enseignement secondaire pour ceux qui parvenaient à terminer.
Une fois remplis les postes de maîtres d’arabe dans les écoles franco-arabes, les
finissants qui étaient allés aux ‘‘cours normaux’’ étaient réduits au chômage. Par ailleurs,
cette école restait marginalisée : la langue arabe n’était pas reconnue comme langue vivante à
part entière comme le Français, l’Anglais, l’Allemand ou l’Espagnol. Il n’y avait pas
d’inspecteurs provinciaux, départementaux ou encore d’arrondissements chargés de
l’enseignement de l’Arabe comme c’est le cas pour les autres langues.143 On notait aussi
l’absence de structures de concertation pédagogique ou de formation continue du genre
139
H. Adama, ‘‘Migration musulmane et enseignement arabo-islamique à Douala : 1963-1993’’, p.48.
Entretien du 16 août 2003 avec Cheikh Daouda Mohaman, à son domicile au quartier Mendong à Yaoundé.
141
Voir H. Adama, ‘‘L’école franco-arabe camerounaise : bilan et perspectives’’, pp. 89-136.
142
Sur ces réformes, se référer au troisième chapitre, section A.
143
Synthèse de nos entretiens des 16 et 17 août 2003 avec Cheikh Daouda Mohaman, à son domicile au quartier
Mendong à Yaoundé.
140
182
‘‘journées pédagogiques visant à améliorer leur maîtrise de l’arabe et surtout à leur inculquer
quelques notions de pédagogie moderne’’144.
L’observation de la situation des immigrés haoussas, foulbés et yorubas à Douala en
rapport avec la question de l’éducation nous conduit à penser que la prévalence de la langue
française à Douala était aussi à l’origine de la non adhésion de certaines composantes
sociologiques musulmanes à l’école franco-arabe de Douala dès ses origines. En effet, par
rapport à la situation des autres étrangers musulmans, vivant à Douala (Sénégalais, Maliens,
Nigériens, Guinéens, Tchadiens) qui partagent le Français avec les populations locales, les
immigrés haoussas, foulbés et yorubas (essentiellement anglophones et de loin les plus
nombreux au sein de la communauté) font face à un obstacle lié à la communication. Le
handicap de la langue était un frein important à l’insertion de leurs progénitures à l’école
franco-arabe. Autrement dit, l’usage massif du Français par les populations locales et dont
leurs enfants ne comprennent très souvent un traître mot à leur entrée à l’école, en constituait
un obstacle sérieux. Avec l’Anglais, le Français est l’une des langues officielles au
Cameroun. Mais du point de vue de la pratique le Français est, à tous égards, l’instrument de
communication le plus usité dans la ville de Douala. Or, à leur entrée à l’école, les enfants
des immigrés haoussas, foulbés et yorubas ne l’ont presque jamais utilisée145, raison pour
laquelle le processus d’adaptation et d’insertion dans le tissu scolaire urbain pour leurs
progénitures passait par son apprentissage qui n’est guère un exercice facile146.
A cela, il faut ajouter l’éducation des enfants nés de l’immigration. En effet, les
migrations musulmanes étrangères à Douala, toutes générations confondues, sont prises en
étau dans une ambivalence : inculquer les valeurs du pays d’origine (école coranique
traditionnelle communautaire) ou favoriser leur intégration dans la société d’accueil (école
franco-arabe). Tel est le dilemme auquel étaient confrontés les parents. Très souvent, au sein
de ces communautés, on se demande jusqu’à quel point l’intégration doit être synonyme
d’assimilation ou de multiculturalisme. La situation est plus compliquée pour les enfants
issus des ménages mixtes à Douala. Ils sont confrontés à une discrimination accordant la
144
Ibid.
Ils ne parlent pour la plupart que leur langue d’origine ou au mieux l’Anglais ou le pidgin-english. Par
ailleurs, d’autres groupes étrangers et notamment les Ibo du Nigeria en majorité chrétiens rencontrent les mêmes
problèmes linguistiques dans leur insertion sociale. Cf.J.-B. Nkene, ‘‘Les immigrés nigérians à Douala :
problèmes et stratégies d’insertion sociale des étrangers en milieu urbain’’, Afrique et Développement, vol.
XXVIII, nos 3 et 4, 2003, pp. 142-147.
146
Cette situation n’est pas la même dans le Sud-ouest du Cameroun où l’anglais et le pidgin-english ont cours.
Dans cette partie du Cameroun, leur insertion sociale semble plus facilitée par le partage de ces langues. Cf.
T.L. Weiss, Migrants nigérians. La diaspora dans le Sud-Ouest du Cameroun, Paris, L’Harmattan, 1998.
145
183
préférence à l’origine et à la culture du père par les différentes communautés147. Les
mosquées communautaires devenaient dans ce cas, les seuls espaces d’apprentissage du
Coran pour les enfants de ces migrants.
Le délaissement de l’école franco-arabe de Douala était enfin à mettre en rapport avec
l’ignorance des parents d’élèves qui évitaient ou refusaient de payer la scolarité pour leurs
enfants et les disputes que se livraient la communauté et les associations dès les années 1990
pour la représentativité de cet ordre d’enseignement148 ; lesquelles disputent devaient
conduire à de nouvelles offres d’éducation religieuse, dans un cadre beaucoup plus large de
réforme structurelle.
Par rapport à la formulation de l’intitulé de ce chapitre, il nous est apparu qu’au
regard des soubresauts qui ont eu lieu à l’intérieur de la communauté musulmane de Douala,
de nouveaux enjeux étaient effectivement en perspective avec surtout l’entrée en scène des
réformistes, plus autonomes. En effet, la naissance de la nouvelle tendance ne s’est pas faite
sans soubresauts et difficultés étant donné que le climat politique était dominé par le parti
unique. Malgré ce contexte politique rigide, la plupart cherchent à se construire une identité
et signifier leur appartenance religieuse. Ainsi, dans la pratique des habitudes des populations
islamisées et dans les expériences des nouveaux venus (réformistes), il a pu y avoir des
lectures différentes des textes sacrés que chaque camp a voulu exploiter à son avantage. La
multiplication des mosquées et des chefferies a suivi cette évolution. Restait alors la question
de l’école franco-arabe de New-Bell prise d’abord en ‘‘otage’’ entre les traditionalistes et les
modernistes et ensuite délaissée et décrédibilisée du fait de la crise économique mais surtout
des causes internes à la communauté.
Cependant, si le contrôle étroit qu’exerçait le milieu traditionnel musulman avec le
soutien de l’administration sur l’évolution de l’islam en atténuait les à-coups, le clivage entre
tidjanistes et sunnites/wahhabites devait prendre en revanche un tournant plus offensif au
cours de la décennie 1990 et les années suivantes, lorsque la da’awa149 menée par une autre
147
Voir P. Cissé, ‘‘La migration malienne au Cameroun : le retour est-il possible?’’, et S. Traoré, Migration et
insertion socio-économique dans les villes en Afrique de l’Ouest, Etudes et travaux du CERPOD-no16, octobre
2001.
148
La lecture de la ‘‘une’’ de certains numéros du journal El Qiblah permet de se faire une idée des problèmes
qui minaient la communauté musulmane de Douala. Exemple : ‘‘Communauté musulmane de Douala. La
grogne pousse… qui est le fondateur de l’école franco-arabe ?’’, El Qiblah, n° 14, pp. 4-8 (voir annexe no 1). A
Yaoundé, O. Moussa, ‘‘La culture arabo-islamique, les Haoussa du Sud-Cameroun (le cas de Yaoundé) et
l’intégration nationale’’, p. 274 signale les mêmes dissensions entre modernistes et traditionalistes à propos de
l’école franco-arabe de Yaoundé à partir de 1986.
149
Voir glossaire.
184
génération de réformistes et les pays du Golfe se fit de plus en plus visible. Les
dédoublements de mosquées et les ‘‘querelles de minaret’’150 dégénèrent d’autant plus vite
qu’en sous-main, les luttes d’influences dogmatiques se doublèrent de rivalités pour capter
les financements extérieurs même si chaque communauté affirme ne compter que sur la
solidarité de ses membres; de nouveaux acteurs venaient s’y greffer et le marché religieux
allait se complexifier. Quelle était alors la composition du panorama islamique de Douala en
rapport avec le processus démocratique enclenché au début de la décennie 1990 ?
150
Le Monde du 28 octobre 2004.
185
TROISIEME PARTIE
UN ISLAM EN CHANTIER (1990-2006) :
PROGRESSION ET MUTATION DE L’ISLAM A DOUALA
Depuis le début des années 1990, le paysage/champ islamique de Douala
connait un véritable transformation/mutation.1 Cette transformation ou ce regain de
l’islam se caractérise, entre autres, par la restructuration de la communauté musulmane
sur les plans religieux, associatif, politique, éducatif et la lente décomposition de
l’équilibre ethno-religieux que s’étaient approprié les différentes communautés
musulmanes de Douala. Apparue dans un contexte de mondialisation, une telle évolution
provient, pour l’essentiel, du développement urbain (accroissement de la surface de la
ville, du volume de l’espace bâti et de la démographie), de l’accroissement des ‘‘élites’’
musulmanes de plus en plus formées, de la libéralisation du champ religieux dans le
pays, des lois sur les libertés publiques du début des années 1990, de l’appauvrissement
de l’Etat, du développement des migrations2 et des communications qui favorisent
l’entrée de mouvements religieux opérant sur la ‘‘scène globale’’3 et provoquent l’essor
1
On sait d’ailleurs - et il convient d’insister sur ce point - que l’islam est loin d’avoir le monopole de ce
regain des religieux à Douala. La transformation du paysage religieux de Douala vient aussi de l’afflux des
nouvelles communautés, appelées par le sociologue des religions J. Séguy ‘‘des mouvements religieux non
conformistes’’ pour éviter l’amalgame que représente le mot ‘‘secte’’. Millénaristes, pentecôtistes,
syncrétistes, gnostiques, ils sont tous aujourd’hui représentés à Douala, comme presque partout ailleurs
dans les grandes villes du Cameroun (voir, entre autres L. Maud, ‘‘Cameroun : les nouveaux territoires de
Dieu’’, Afrique contemporaine, 2005-3 (no 215), pp.93-116 et la revue Enjeux, no 34-35, consacrée au
même thème). Les dénombrer serait aventureux car chaque mois, un nouveau groupe apparait qui a une
affinité avec les précédents mais s’en différencie. En 2000, le père E. de Rosny a décompté 315 lieux de
prières appartenant à 109 dénominations différentes, admettant du reste que ces appellations sont en réalité
bien plus nombreuses. Cf. E. De Rosny, Etude panoramique des nouveaux mouvements religieux et
philosophiques à Douala, Douala, Ed. Centre spirituel de rencontre, 2000.
2
Sur l’importance des flux démographiques transnationaux en Afrique et dans le monde, voir, entre autres :
L. Sindjoun (s.d.), Etat, individus et réseaux dans les migrations africaines, Paris, Karthala, 2005; G.
Dumont, Les migrations internationales. Les nouvelles logiques migratoires, Paris, SEDES, 1995; B. Badié
et C. Withol de Wenden, Le défi migratoire, Paris, FNSP, 1994 et B. Badié et M.C. Smouts, Le
retournement du monde, Paris, FNSP/Dalloz, 1992.
3
Les transformations religieuses dans le contexte contemporain de la globalisation ont fait l’objet de
plusieurs publications récentes. Parmi les plus importantes, on trouve notamment les livres de J.-P. Bastian,
186
d’un marché islamique des biens spirituels, remettant en cause d’anciens équilibres
ethno-religieux et transcommunautaires plus ou moins modelés par des décennies de
gouvernance autoritaire. Cette évolution apparaît aussi comme le résultat d’une précarité
galopante, d’un tissu social en pleine désintégration et d’une ‘‘négociation’’ des rapports
entre individu et communauté, individu et religion, individu et politique, etc.
Dans le prolongement des analyses précédentes, cette troisième et dernière partie
se focalise sur les tendances novatrices de l’islam à Douala : la nouvelle visibilité de
l’islam doualais, islam et transition démocratique à Douala, le nouveau paysage de
l’Oumma. Cette évolution récente se passe dans le cadre d’un climat politique
mouvementé, c’est à dire la période qu’il est convenu d’appeler la ‘‘démocratisation’’ ou
le retour à la pluralité, au multipartisme et ses effets induits sur les communautés
musulmanes de Douala. Plus que toutes les autres parties, celle-ci s’appuie sur les
sources orales, l’observation participante et les sources journalistiques. La presse, les
enregistrements radiophoniques, les références webliographiques et les reportages des
télévisions se sont ainsi avérés d’un apport important.4 Notre objectif ne consiste pas à
décortiquer toutes les composantes de cette effervescence islamique mais de montrer
quelles sont les différentes tendances suivant le contexte local et international. Aussi,
notre objectif est d’évaluer ici les manifestations, les causes et d’analyser leurs
conséquences dans ce contexte de pluralité et de liberté : nous étudions la nouvelle donne
islamique en abordant plus spécifiquement la revitalisation et la reconfiguration des
dynamiques islamiques qui se sont manifestées pendant la dernière décennie du XXe
siècle (1990-2000) et le tout début du XXIe siècle (2000-2006) à Douala et qui
permettent de montrer la mise en place d’une multitude de stratégies collectives et
individuelles qui fait émerger des lignes de fracture parmi les communautés
F. Champion et K. Rousselet, La globalisation du religieux, Paris, L’Harmattan, 2001, et de K. Poewe
Charismatic Christianity as a Global Culture, Columbia, University of South Carolina Press, 1994, ainsi
qu’un numéro de la revue Ethnologie française, XXX, 4 portant sur ‘‘Les nouveaux mouvements
religieux’’, 2000 et le volume 27, no 1, de la revue canadienne Anthropologie et Sociétés, sur ‘‘La mobilité
du religieux à l’ère de la globalisation’’, 2003.
4
Il s’agit surtout des ‘‘médias de télédiffusion’’ ou encore de la communication audio-visuelle. C’est dans
cette catégorie que se trouvent la radio et la télévision qui nous intéressent dans le cadre du présent travail
en tant que sources de connaissance. Cf. F. Balle et G. Eymery, Les nouveaux médias, Paris, PUF, 1999.
187
musulmanes.5 Pour le faire, nous articulons notre propos autour de trois axes. Dans un
premier temps nous portons notre attention sur les principaux aspects qui permettent de
considérer que l’islam vit une nouvelle dynamique à Douala : les centres culturels, les
associations et l’enseignement confessionnel privé islamique. Dans un second
mouvement, nous abordons les orientations que la communauté musulmane de Douala
tente de donner actuellement aux manifestations de la dynamique islamique et comment
elle la ressent, c’est à dire son impact au sein de la communauté. Nous tentons enfin de
saisir le délicat sujet du rapport entre les musulmans doualais et les soubresauts de la
politique locale depuis le retour au multipartisme, de même que les différentes
passerelles qui leurs permettent d’être en connexion avec leur environnement immédiat,
régional et global.
5
La transformation récente de la communauté islamique n’est pas propre à la ville de Douala, ni au
Cameroun. Elle est plus significative ailleurs au sud du Sahara, tout particulièrement dans les pays comme
le Sénégal, le Niger, le Mali, le Burkina Faso, le Tchad et surtout le Nigeria, qui ont connu ces dernières
décennies une importante vague d’islamisation. Voir, entre autres R. Otayek et B. Soares (s.d.), Islam and
Muslim Politics in Africa, New York, Palgrave, 2007; Islam, globalisation et désengagement de l'Etat en
Afrique , Leiden, CEAN-ASC Leiden à paraître; M. Gomez-Perez (s.d.), L’islam politique au sud du
Sahara. Identités, discours et enjeux, Paris, Karthala, 2005; L. Brenner, (éd.), Muslim Identity and Social
Change in Sub-Saharan Africa, London, Hurst, 1993, R. Otayek (s.d.), Le radicalisme islamique au sud du
Sahara. Da’wa, arabisation et critique de l’Occident, Paris, Karthala, 1993 et les différents numéros de la
revue Islam et Sociétés en Afrique au Sud du Sahara.
188
CINQUIEME CHAPITRE
LA RESURGENCE ISLAMIQUE A DOUALA OU LES ONDULATIONS INTERNES DU PAYSAGE
ISLAMIQUE DOUALAIS : ESSAI DE PRESENTATION DES MANIFESTATIONS D’UN ISLAM DE
PLUS EN PLUS DYNAMIQUE
A partir du milieu des années 1990, la communauté musulmane de Douala cède
à la pression croissante d’un islam de plus en plus offensif: le débat islamique prend
progressivement de nouvelles formes. Rappelons que plusieurs facteurs ont présagé cette
évolution : le travail actif, depuis près de trente ans, du courant réformiste qui mettait la
prédication et l’enseignement au centre du dispositif religieux et son souci de voir l’islam
s’affranchir du pouvoir coercitif et pesant; l’éclatement des quartiers périphériques suivi
de l’édification de certaines mosquées ; l’aggravation de la crise économique qui devient
par ailleurs multi-sectorielle (précarité, tissu social désintégré, paupérisation de la
population, etc.). Tout ceci se traduit sur le terrain par une pratique religieuse
grandissante, avec des méthodes très variées.
Ces facteurs ont présagé cette évolution qui perdurait et qui s’accélère à partir
de 1990 et ceci pour plusieurs raisons. Douala voit ainsi se multiplier la création des
associations et des centres culturels islamiques qui s’impliquent dans l’espace urbain,
d’écoles privées islamiques, etc. Tout ceci permet de dire que l’islam à Douala connaît
une réelle dynamique. On observe aussi que les femmes et les jeunes participent à cette
effervescence religieuse et y contribuent.1 Bien plus, les acteurs qui fondent ces
structures souhaitent s’octroyer une place sur l’échiquier politico-religieux local. A
travers ces nouvelles structures en effet, émergent des revendications d’une partie de la
société doualaise, les musulmans issus de la ville de Douala. L’analyse de ces structures
1
Sur l’importance des jeunes et des femmes dans le ‘‘new-deal’’ islamique dans les autres régions
d’Afrique, on peut lire S. Mahood, Politics of Piety. The Islamic Revival and the Feminist Subject,
Princeton and London, Princeton University Press, 2005 pour le cas égyptien et M.N. LeBlanc et M.
Gomez-Perez, ‘‘Jeunes musulmans et citoyenneté cultuelle en Afrique de l’Ouest francophone’’, Sociologie
et société, numéro spécial coordonné par A.E. Calvès et R. Marcoux ‘‘Sociétés africaines en mutation :
entre individualisme et communautarisme’’, vol. 39, no 2, 2008, pp. 39-59.
189
permet d’étudier un groupe social à la fois sous un angle confessionnel, social,
économique et même politique.
Il s’agit dans ce chapitre de présenter quelques aspects qui participent à cette
effervescence islamique qui s’accélère depuis les années 1990 à Douala, en donnant la
priorité à :
- la création des centres culturels islamiques et les relations qu’ils entretiennent
avec les centres islamiques extérieurs ; ce qui débouchera sur la situation récurrente des
diplômés des universités arabes à leur retour au Cameroun ;
- outre les centres culturels islamiques, nous nous intéressons à la création des
associations islamiques et leur implication dans l’espace urbain;
- enfin, nous avons considéré qu’étudier les manifestations de la nouvelle
dynamique islamique à Douala ne peut être mené à bien sans tenir compte de la
rénovation de l’enseignement privé islamique. L’étude des nouvelles écoles privées
confessionnelles islamiques nous amène à nous interroger sur les infrastructures, les
méthodes d’enseignement de l’arabe et de la culture islamique et la formation. Nous
terminons par un bilan provisoire de cet ordre d’enseignement à Douala.
A- Les centres culturels islamiques à Douala
Cette section contribue à étudier les centres culturels islamiques, tels que ceux-ci
se reproduisent sur le sol de Douala. La création de ces centres culturels a aussi donné
lieu à une augmentation du mouvement d’échange des musulmans doualais entre les
centres islamiques étrangers et Douala. Ici, le mode d’expression du changement dans la
communauté se définit aussi par l’utilisation de la langue arabe. L’arabisation peut ainsi
être définie par la position importante qu’y occupent la langue arabe et les méthodes
reformées de son enseignement. Cette version révisée de l’éducation à travers les centres
culturels peut être considérée comme une autre voie d’apprentissage de l’Arabe qui
s’offre aux musulmans de Douala. Elle est principalement liée à l’émergence d’une
190
nouvelle ‘‘élite’’ intellectuelle islamique qui a suivi ou a continué sa formation au Proche
ou au Moyen Orient.
Nous présentons ici trois de ces centres culturels. Il s’agit du centre de formation
aux études islamiques, Al Axa créé en 1991, de l’Institut Islamique de Douala créé en
1995 et qui est un secteur d’activité du Programme Islamique pour l’Assistance
Humanitaire (PIAH) et du centre culturel chiite2 Ahl Ul Bayt créé en 1999. Evidemment,
ce choix est tout naturellement porté sur les centres qui tiennent une place prépondérante
ou encore le ‘‘haut du pavé’’ à Douala.
A-1 Présentation des centres culturels
-Le centre de formation aux études islamiques Al Axa
Le centre de formation aux études islamiques Al Axa est créé en 1991 par les
anciens diplômés de l’école de Médine en Arabie Saoudite. Situé à Bonapriso, Al Axa a
commencé en cours du soir en 1991. Depuis 1997, il fonctionne en cours du jour. Al Axa
est une ‘‘association’’ à but non lucratif. Elle vit de la contribution de ses membres
fondateurs et des dons de bonnes volontés. Selon son directeur Cheikh Housseini
Hamadou le centre remet des attestations de langue arabe équivalentes au BEPC du sous
système éducatif francophone.3 A la fin de chaque session de formation, le centre de
formation Al Axa trouve aussi des inscriptions à ses meilleurs élèves dans le secondaire à
Dakar au Sénégal, d’où ils reviennent avec un niveau équivalent au baccalauréat du sous
système francophone camerounais.4
-Le Centre de Recherche, d’Etudes Islamiques et d’informatique de Douala
Créé en 1995, le Centre de Recherches, d’Etudes Islamiques et d’informatique de
Douala est le plus grand, le plus connu et le plus réussi des centres culturels islamiques à
Douala. D’abord situé au premier étage de l’immeuble de la ‘‘Boulangerie Rond Point
2
On écrit aussi chi’ite ou shi’ite.
Le système éducatif camerounais, de par les textes qui l’instituent et l’organisent, reconnait l’existence de
trois sous systèmes : le sous système éducatif francophone, le sous système éducatif anglophone et le sous
système éducatif arabophone.
4
Cheikh Housseini et Dr. Yahouba enseignants d’arabe et des traditions islamiques au centre culturel Al
Axa entretien du 17 août 2005 à Bonapriso, Douala.
3
191
Deido’’, il est aujourd’hui établi au quartier New-Town aéroport dans un important
immeuble de quatre niveaux, nouveau siège du PIAH. Il est l’œuvre de Cheikh Ibrahim
Njoya Moubarak. Né en 1969 à Mayo Darlé, son éducation primaire se fait à Douala et
notamment à l’école CEBEC Béthel des ‘‘Deux Eglises’’, de la SIL au CE1 et à l’école
franco-arabe de New-Bell, du CE2 au CM2. Entre temps, il suit ses études coraniques
auprès de son père, El Hadj Moctar Aboubakar, marabout de grande renommée à Douala.
Après son BEPC en 1986 et son probatoire en 1988 au Collège Franco-arabe
Ibrahim Njifon de Foumban, il est envoyé par son père en République Arabe d’Egypte. Il
y séjourne pendant un an et obtient en 1999 un ‘‘Certificat de la Radio diffusion du
Caire’’. De 1990 à 1992, il est en Arabie Saoudite où il fait des études à l’Université
Islamique de Médine et obtient le ‘‘Diplôme d’Etudes Universitaires en Lettres Arabes et
Sciences Islamiques’’. Il est de retour au Cameroun en 1993 et crée son ‘‘ Institut’’ en
1995. Grâce à ses séjours au Moyen Orient, sa parfaite connaissance du milieu arabe et à
son niveau supérieur en sciences islamiques, il bénéfice d’une grande réputation auprès
des musulmans de la ville.
Son centre dispose d’une grande salle qui sert de site pour l’école d’apprentissage
de l’Arabe Dar-ul-Hadith5 et en même temps de salle de conférence, de vidéothèque, de
bibliothèque (de consultation et/ou de prêt) et du service de documentation. La
bibliothèque et le centre de documentation comptaient en 2003 plus de 537 volumes,
documents, cours audios et vidéos de savants musulmans sur CDMP3 et cassettes ; des
brochures de questions réponses sur l’islam et des livres d’apprentissage de l’Arabe
accessibles par un fichier. Parmi les livres en arabe, il y avait : Riya Salihin Charch al
Othaymin, Aqidat Salaf, Shih al adkar, Kitab Tawhid, etc. Toujours en 2003, on comptait
2000 visiteurs ou lecteurs
dont 70 % de jeunes (élèves et étudiants) et 30% des
fonctionnaires et cadres.6
Homme patient qui a su faire face à toutes sortes de difficultés, il garde toujours
des relations prudentes avec l’administration7, mais reste ouvert à tout visiteur. Il garde
5
Avant la construction de l’immeuble siège du PIAH, cette école avait deux sites : l’école publique de
Makea et une résidence au quartier Bayangi.
6
Statistiques fournies par la secrétaire générale du PIAH, Aïssatou Yadouko, entretien du 15 août 2003
dans son bureau au rond point Deïdo, Douala. Voir aussi le document intitulé ‘‘Le Programme Islamique
pour l’Assistance Humanitaire en quelques mots’’, archives du PIAH.
7
Nous y reviendrons ultérieurement, notamment au septième chapitre.
192
beaucoup d’amis dans des pays arabes : Egypte, Arabie, Saoudite, Syrie et surtout la
Turquie ; qui lui envoient des aides8 qui ont aussi servi à la construction de son nouveau
siège. Il est par ailleurs représentant en Afrique centrale des ‘‘Editions Tawhid’’9 qui
publient des livres aidant à la connaissance de l’islam.
Le Centre de Recherches, d’Etudes Islamiques et d’informatique de Douala rend
un service apprécié par les musulmans de Douala dans le contexte contemporain. La
bibliothèque et le service de la documentation sont dirigés par un bibliothécaire, secondé
d’un documentaliste. Les deux sont des permanents. Des bénévoles prêtent leurs
concours pour des tâches diverses : classement des ouvrages, photocopie, etc.
La mission éducative du Centre de Recherches, d’Etudes Islamiques et
d’informatique de Douala se décline en plusieurs objectifs :
-promotion de l’enseignement de la langue arabe qui est une langue à double emploi
(religieux et relations internationales) ;
-
promotion de l’alphabétisation de masse ;
-
vulgarisation des idéaux de formation des jeunes musulmans par
l’éducation et la promotion culturelle prônées par les organismes spécialisés ;
-
facilitation à l’accès aux nouvelles sciences et techniques de gestion et de
recherche tel l’outil informatique ;
-
le suivi culturel et éducationnel des nouveaux convertis ;
-
le soutien financier à la da’awa (appel à l’islam) ;
-
assistance financière dans la formation des frères et sœurs musulmans à la
profession médicale ;
-
création et amélioration d’un cadre d’éducation et d’épanouissement
culturel adapté à la formation du jeune musulman compte tenu de l’orientation
pédagogique en vigueur dans le pays.10
8
Les informations sur cet aspect ne sont pas données par les intéressés. Les montants restent secrets et nous
n’avons pas pu obtenir des informations à ce sujet. Nos interlocuteurs sont restés dans le vague, très
certainement par méfiance. Mais en faisant référence aux statuts et spécifiquement aux colonnes sur les
fonds de roulement, on peut lire que l’argent vient des contributions des membres, des dons et des ventes
des produits de leurs activités.
9
Tawhid : dogme, ensemble des connaissances qui constituent le crédo de l’islam, et qui permettent aux
musulmans de veiller à l’unicité de Dieu.
10
Voir Statut du PIHA, section objectifs, annexe no 2.
193
-Le Centre Culturel Chiite Ahl Ul Bayt
Ce centre ouvre ses portes en novembre 1999 au quartier Bonapriso à l’initiative
de Mohamadou III Salissou et de Cheikh Hassan Nsangou.11 A la fois bibliothèque et
centre culturel, les rayonnages sont couverts de livres qui sont pour la plupart reliés et
classés par thèmes. En lettres blanches sur fond vert, les intitulés simples : ‘‘Initiation’’,
‘‘famille du Prophète’’, ‘‘ les compagnons du Prophète’’, ‘‘Islam/Occident (Coran et
Bible)’’, ‘‘Jurisprudence (Halal-Haram)’’, etc. Le sol est recouvert des tapis. Le centre
Ahl Ul Bayt bénéficie d’une opulence qui détonne dans la ville. Dans la bibliothèque, des
ordinateurs à peine sortis de leur emballage, des ventilateurs flambant neufs voisinent
avec des rayonnages bien garnis, sous les photos de l’Ayatollah Khomeyni ou d’Ali
Khamenei, guide suprême de la révolution iranienne.
Ahl Ul Bayt peut se traduire par ‘‘ les gens de la maison’’. Le concept est essentiel
dans la tradition chiite, qui se réfère en permanence à ceux que le Prophète a distingués
parmi ses proches -Ali, Fatima, Hassan et Hussein - auxquels sont venus s’ajouter les
neuf imams descendant d’Hussein. Il existe d’ailleurs une assemblée mondiale Ahl Ul
Bayt, née en 1980 en Iran et dont le secrétaire général, Ali Akbar Velayati, ancien
ministre des affaires étrangères de la République Islamique d’Iran définit ainsi la mission
principale :
Revivifier et développer la culture d’un islam mohammadien pur, sauvegarder et
défendre le Saint Coran et les traditions du saint Prophète de façon à protéger
l’existence et les droits des musulmans.12
C’est à cette association mondiale qu’appartiennent les aumôniers iraniens qui
séjournent régulièrement à Douala et spécialement pendant les mois de jeûne du
ramadan. Ils sont entièrement pris en charge par cette association. Quant à Cheick Hassan
Nsangou, imam chiite de Douala, il bénéficie d’une aide mensuelle de 70.000 francs Cfa,
11
Nous reviendrons ultérieurement sur leurs brèves biographies, notamment dans le chapitre suivant.
Cf. Syfia International (Cameroun), repris par Le Messager du 25 mai 2003. Voir aussi le lien internet
http://www.syfia.info/index.php5?view-article et action=voir et id article=4670-22k ; consulté le 13 janvier
2004.
12
194
assurée par le Khums, la contribution volontaire basée sur le surplus net des revenus
annuels de chaque fidèle.13
Ainsi brièvement présentés, on peut se demander quelle est la nature de
l’enseignement dispensé par ces centres culturels.
A-2 Un enseignement moderne ?
Dans le cadre de Douala, ces centres culturels proposent un nouveau type
d’éducation et peuvent contribuer à l’évolution des mentalités. On y enseigne
principalement la langue arabe. Les personnes ayant suivit ce type d’enseignement
mettent en avant le fait qu’on leur apprend la langue arabe et qu’elles peuvent donc
comprendre le Coran. Même les élèves allant dans ces centres seulement pendant les
vacances de l’école ‘‘française’’ ou en cours du soir arrivent ainsi à acquérir des bases en
langue arabe. En d’autres termes, les apprenants sont libres en fonction de leurs
occupations, de fréquenter les centres culturels en cours du jour ou du soir.
Le point important est que ces centres sont ouverts à tous, enfants, jeunes et
adultes qui veulent apprendre l’arabe ou approfondir leur connaissance en arabe ; alors
qu’auparavant l’éducation islamique était le fait des marabouts traditionnels. Autrement
dit, les marabouts ne sont plus les seuls détenteurs du savoir islamique. Ils sont même
parfois dépassés par d’autres composantes de la société. Ainsi, aujourd’hui, certains
cheikhs ont fait des études à l’étranger, notamment au Proche et au Moyen Orient et
veulent diffuser leurs connaissances à leurs compatriotes. C’est d’ailleurs la constante qui
se dégage à l’issu de l’étude du profil des promoteurs de ces centres. D’Hassan Nsangou
à Housseini Hamadou en passant par Njoya Moubarak, tous ont fait des études à
l’extérieur du Cameroun avec cet avantage que ce dernier est issu d’une famille
maraboutique qui appartient à une élite du savoir islamique. Il a bénéficié d’une solide
formation auprès de son père et du réseau de ce dernier. Pour reprendre l’expression
d’Hamadou Adama, on assiste à une ‘‘démocratisation du savoir islamique’’14. C’est là
qu’est la véritable révolution proposée par les centres islamiques, dans l’accès à
l’éducation islamique pour tous. Ce phénomène dépasse le cadre de ces ‘‘ rénovateurs’’
13
Ibid.
H. Adama, ‘‘Migration musulmane et enseignement arabo-islamique à Douala : 1963-1997’’, Annales de
la FALSH de l’Université de Ngaoundéré, vol. II, 1997, p.45.
14
195
puisque des parents qui n’y appartiennent pas placent leurs enfants dans ces centres. Cette
soif de connaissance se retrouve dans toutes les couches de la société musulmane.
A cette démocratisation de l’accès au savoir s’ajoute un autre bouleversement : les
promoteurs interrogés estiment avoir bénéficié d’une meilleure éducation religieuse que
leurs aînés. De plus, cet enseignement est proposé par des personnes relativement jeunes.
En fait, les promoteurs des centres culturels sont ce qu’on peut appeler les nouveaux
intellectuels arabisants. Plus décidés, ils sont parfois allés chercher un enrichissement de
la connaissance en Orient. Même si cet enseignement n’est pas uniforme dans ses
attitudes et ses stratégies on peut remarquer que ce groupe d’élites s’est constitué dans le
contexte de ce qu’Eickelman et Piscatori15, à la suite de Bourdieu16, ont appelé
‘‘l’objectivation du savoir religieux’’.
En effet, à une certaine époque, le savoir islamique n’était l’apanage que d’un
nombre restreint de personnes. Le contexte actuel, lui-même caractérisé par un
développement de l’éducation populaire (dans les mosquées et au sein des associations),
par une émergence d’un vaste marché de littérature islamique abordable ainsi que la
création des médias électroniques17, suscite au contraire un engouement accru pour le
savoir et les pratiques islamiques dans un bassin de population plus large.
Ce groupe est composé de jeunes hommes auxquels on associe une notion
arabisante de l’islam, c’est-à-dire, la capacité de lire le Coran en langue arabe. Ceci
implique donc qu’ils ont effectué des études supérieures dans les écoles islamiques à
l’étranger : Arabie Saoudite, Soudan, Egypte, Libye, etc. Ces jeunes dispensent des cours
en arabe dans les mosquées, les écoles islamiques, les centres culturels et dans diverses
associations islamiques de niveau local. Ce lien avec les associations islamiques, les
mosquées et les écoles est important car les jeunes musulmans ne fréquentant pas les
écoles ou ne militant pas au sein des associations ont très fréquemment une conception
bien différente de l’éducation. Elle ne dépasse pas les notions véhiculées à l’école
coranique traditionnelle. Toutefois il faut noter que, bien que d’un point de vue macrosocial, ce groupe ne représente pas une majorité de musulmans à Douala, il constitue
15
D.F. Eickelman and J. Piscatori, Muslim politics, Princeton, Princeton University Press, 1996.
P. Bourdieu, La noblesse d’Etat, Paris, Editions Minuit, 1989.
17
Dans les centres islamiques de Douala, les medias satellitaires arabes à l’instar d’Al Jazira, Iqra ou Al –
Hiwâr sont assez suivis par l’élite intellectuelle arabophone. Voir aussi la section médiatisation de l’islam
et la marchandisation du religieux à Douala dans le chapitre suivant.
16
196
néanmoins un groupe significatif de par son statut d’élite intellectuel et son rôle
(enseignant, conférencier, prêcheur, animateur des émissions culturelles radio-télévisées,
etc.) au sein de la société.18
On note aussi que les promoteurs de ces centres culturels et les apprenants sont
beaucoup plus préoccupés par la possibilité de pouvoir maîtriser l’expression écrite et
orale de la langue arabe et de la compréhension de la religion islamique que l’obtention
d’un diplôme d’arabe dans la mesure où les nombreux élèves ressortent sans attestations :
A l’école traditionnelle, soutient Ahmad Muhammad, je ne savais ni lire ni écrire
l’arabe, je récitais ce que je ne comprenais pas. Mais par le biais de ma formation au
nouveaux cours d’arabe, je rédige des correspondances en arabe pour mes amis vivant en
Egypte.19
Formés pratiquement tous à l’étranger, les promoteurs des centres culturels et
les enseignants desdits centres sont influencés par les programmes qui étaient en vigueur
dans leur pays de formation. Par conséquent, les programmes de l’arabe mis en place
dans ces centres sont largement inspirés de ceux de ces écoles étrangères. Et même si la
plupart de ces anciens boursiers rencontrent de nombreux problèmes d’insertion, la
demande reste toujours forte.
La situation de la majorité de ces anciens boursiers reste cependant précaire à
cause ‘‘des filières inadaptées’’20. En effet, orientés vers les études de théologie, de
littérature ou de droit plutôt que vers des disciplines techniques (médecine, agronomie,
informatique, etc.), la plupart d’anciens boursiers des universités arabes peinent à trouver
du travail à leur retour.
18
Voir dans le même sens R. Otayek, ‘‘L’affirmation élitaire des arabisants au Burkina Faso : enjeux et
contradictions’’, in R. Otayek (éd.), Le radicalisme islamique au sud du Sahara, 1993, pp. 229-252.
19
Ahmad Muhammad, propos recueillis le 29 septembre 2006 au centre culturel Al Axa.
20
Ch.Nforgang, ‘‘ Cameroun : désillusion des anciens boursiers des pays arabes’’, Syfia International
(Cameroun), repris par Info Sud Belgique Agence de Presse du 28 décembre 2005 ; disponible aussi sur le
lien internet http://www.infosud-belgique.info/article.php3? Id-article=131, consulté le 9 mars 2006.
197
Pour Cheick Mahamat Al Bachir, 35 ans, la reconversion est rude. Au chômage,
ce titulaire d’un Doctorat en étude coranique et en littérature arabe est aujourd’hui
médium et guérisseur21 dans une pièce mal éclairée du quartier Akwa.
Bénéficiaire d’une bourse de l’Arabie Saoudite après son baccalauréat, il a
étudié huit ans à l’université de Médine. De retour, il a enseigné pendant quelques années
au Complexe Islamique de Tsinga à Yaoundé, où il percevait un modeste salaire payé un
mois sur deux. Installé à Douala depuis 2004, il vit désormais de l’argent que lui
rapportent les cours d’apprentissage de l’arabe et du Coran qu’il donne en cours du soir à
la mosquée d’Akwa pour moins de 50 000 francs Cfa par mois. Pour joindre les deux
bouts, Cheick Mahamat Al Bachir est aussi un médium et guérisseur, des dons qu’il
affirme avoir hérité de son grand père.
Nous sommes, regrette Cheick Mahamat Al Bachir, comme un chauffeur au
volant d’une voiture qui a subitement perdu la route. Nous avons l’impression d’avoir
beaucoup étudié pour rien.22
Ce sentiment de Cheihk Maqamat Al Bachir est partagé par Cheikh Malicki. Cet
imam et enseignant à domicile revendiquent une maîtrise en droit et Charia obtenu à
l’université Al-Azhar du Caire. Mais à son retour d’Egypte, il n’a trouvé aucun poste à
occuper.23
L’Arabie Saoudite, le Koweït, la Tunisie, la Libye, le Maroc, et le Soudan et
encore plus régulièrement l’Egypte offrent depuis des décennies des bourses d’études à
des musulmans camerounais, de 15 ans et plus. Autrefois sélectionnés par l’ACIC, les
boursiers étaient les fils de dignitaires musulmans. Depuis une dizaine d’années, ils sont
recrutés par les pays donateurs à travers leur représentation diplomatique sur place ou via
des émissaires. Ces derniers sillonnent les communautés musulmanes du pays pour
s’entretenir avec les jeunes musulmans, leur donner des cours d’arabe, parler avec eux du
21
Voir dans le même sens A. Soubeiga, ‘‘Syncrétisme et pratiques thérapeutiques des marabouts au
Burkina Faso’’, Sociologie, Santé 9, pp.54-64.
22
Cheikh Mahamat Al Bachir, entretien du 26 septembre 2006 à Douala, à son domicile au quartier Akwa.
23
Cheikh Malicki, entretien du 28 septembre 2006 à la mosquée de Bonamoussadi, Douala.
198
Coran et les soumettre à un test de sélection.24 Ceux qui sont retenus, intègrent un lycée
ou une université arabe. Tout dépend de leur niveau du départ :
Quand nous quittons le Cameroun, nous ne savons rien des filières d’études.
Une fois sur place, on nous propose d’en choisir trois qui ont en général un rapport
avec l’islam. La décision finale revient de toute façon à l’école, qui se charge de nous
orienter en fonction des critères qu’elle est la seule à maîtriser.25
Le choix est donc la plupart du temps limité, Cheikh Malicki explique :
Notre niveau en arabe est généralement si bas que nous n’avons pas d’autre
aptitude que d’étudier la théologie, la littérature arabe ou le droit.26
Pour El Hadj Moctar Aboubakar Oumar, imam de la mosquée principale de
New-Bell/Bamun, président de l’Union Islamique du Cameroun (UIC) et doyen des
imams de Douala, les bourses seraient dès le départ orientées vers la théologie par les
pays donateurs. Un cursus inadapté aux besoins du marché du travail local :
(…) Nos frères qui donnent les bourses ne pensent pas au développement, regrette
l’imam. Je souhaite que nos enfants reviennent avec des connaissances théologiques
mais aussi techniques pour devenir médecins, ingénieurs, (…).27
Face à des universités arabes de plus en plus tournées vers la seule promotion de
l’islam et des sciences islamiques, certains promoteurs ont réussi à obtenir des bourses
qui envisagent en parallèle d’autres formations : informatique, médecine, ingénierie, etc.
Aussi grâce à un accord signé en 2003 entre le Centre de Recherches, d’Etudes
Islamiques et d’Informatique de Douala et l’Université Sheikh Ahmad Kuftaro de Syrie,
sept étudiants dudit centre bénéficient chaque année des bourses pour faire des études
24
Ce test est aussi connu dans les communautés musulmanes sous le nom de ‘‘concours de meilleur lecteur
du Coran’’.
25
Cette révélation a été faite sous anonymat par un ancien boursier que nous avons rencontré au centre
islamique El Hijal de Bonabéri, Douala.
26
Cheikh Malicki, entretien du 28 septembre 2006 à la mosquée de Bonamoussadi.
27
Ch.Nforgang, ‘‘ Cameroun : désillusion des anciens boursiers des pays arabes’’, Syfia International,
(Cameroun), repris par Info Sud Belgique Agence de Presse du 28 décembre 2005.
199
supérieures dans plusieurs domaines en Syrie.28 De même cinq étudiants du même centre
ont quitté Douala en 2005 pour la Turquie, afin de continuer leurs études à l’Ecole
Supérieure Imam-Hatip d’Anatolie à Kayseri et à l’Institut Mustapha Germinli. Cette
bourse est le fruit du développement de la coopération entre le Centre de Recherches,
d’Etudes Islamiques et d’Informatique de Douala et la Turquie. En effet, au mois de
novembre 2005, le ministère des Affaires Religieuses de Turquie avait organisé à
Istanbul l’assemblée des leaders religieux des pays et des communautés musulmanes
d’Afrique. C’est au cours de cette réunion que la Turquie et le Centre représenté par son
recteur, Cheikh Ibrahim Njoya Moubarak se sont accordées pour œuvrer pour la paix et la
mise en œuvre de la coopération au profit des populations dans les domaines de
l’éducation, de la santé, de l’informatique et de la presse.29
Au-delà de la recherche de la connaissance, l’envoie d’étudiants en direction
des centres religieux et universitaires du monde arabe marque aussi l’insertion de l’islam
doualais dans la Oumma global. Ils sont souvent le fer de lance de ce qu’on pourrait
appeler l’islam sous sa forme rigoriste30. D’après Doubla Avaly secrétaire national à
l’éducation et à l’organisation de l’enseignement scolaire privé islamique au ministère de
l’Education de Base31, près du tiers des quelques 150 à 200 ‘‘diplômés’’ des centres
culturels islamiques implantés au Cameroun obtiennent une bourse universitaire arabe.32
Pour l’heure, les possibilités de reconversion restent encore très réduites. En
dehors du prêche, les anciens boursiers enseignent l’Arabe ou le Coran dans les centres
d’apprentissage privés, dans les écoles franco-islamiques, au sein des associations ou
encore aux domiciles des musulmans huppés. Leur salaire mensuel y atteint péniblement
50 000 francs Cfa. D’autres s’installent dans le secteur informel. Les plus déçus finissent
cependant par retourner dans les pays arabes dans l’espoir d’y trouver facilement un
emploi correspondant à leur formation.
Malgré les difficultés rencontrées par leurs aînés, les jeunes musulmans veulent
toujours partir dans les pays arabes pour continuer leurs études malgré le chômage une
28
Voir Cameroon Tribune, Quotidien bilingue, n° 7937 / 4225 du 24 septembre 2003, p.13.
Lire le quotidien Le Messager, n° 2474 du mercredi 10 octobre 2006, p. 3.
30
‘‘L’intégrisme au porte du Cameroun’’, La Nouvelle Expression, 5 mai 2004, pp.8-9.
31
Voir sa biographie dans la section C de ce chapitre.
32
Doubla Avaly, propos recueillis lors de nos entretiens des 12 et 13 novembre 2008.
29
200
fois le diplôme en poche. Cet enrichissement de leur connaissance a, au sein de la
communauté, une valeur symbolique importante. A leurs yeux en effet, celui qui parle,
écrit l’Arabe ou dirige des prières est quelqu’un de respecter :
Etudier soutient Cheikh Moukara33, c’est remplir un principe de l’islam. On ne va
pas à l’école dans le but d’avoir du travail, mais de faire la volonté de Dieu. Il saura
nous pourvoir du minimum vital.34
Les autres sources de motivation sont liées aux avantages liés aux bourses
proposées. En effet, des pays arabes comme l’Arabie Saoudite offre entre 500 000 et
1. 000. 000 de francs Cfa par mois à chaque boursier.35 Cet argent lui est remis en totalité
au terme de ses études. Ainsi grâce aux économies réalisées sur sa bourse de l’Université
de Médine, Cheikh Mahamat Al Bachir a pu prendre femme et construire une villa de
8. 000. 000 de francs Cfa à ses parents.36
En parallèle à la création des centres culturels, l’espace religieux musulman de
Douala enregistrait la création des associations qui expliquent également la dynamique
islamique à Douala.
B- Les associations islamiques de Douala : raison d’être et mode de fonctionnement
Les associations islamiques au Cameroun naissent dans le contexte de la
démocratisation suite à la loi sur la liberté d’association.37 L’émergence de ces nouvelles
associations a encouragé une restructuration de la communauté autour de plusieurs types
d’associations : les associations nationales qui incluent les démembrements provinciaux
33
Cheikh Moukara est diplômé de l’Institut Islamique de Louga au Sénégal, enseignant au Groupe Scolaire
Privée Islamique Ibrahim, au Centre de Formation aux Etudes Islamiques Al Axa et imam.
34
Cheikh Moukara, entretien du 29 septembre 2006 au Centre de Formation aux Etudes Islamiques Al Axa à
Bonapriso, Douala. Pour des situations similaires en Afrique de l’ouest, lire, M. Gomez-Perez et V.
Lacabanne (textes rassemblés par), La diffusion des savoirs dans les Tiers-Mondes. Contraintes et
perspectives, Paris, Publications Universitaires Denis Diderot, 1999, pp. 41-69.
35
Estimations de Doubla Avaly lors de notre entretien du 13 novembre 2008.
36
Entretien avec Cheikh Mahamat Al Bachir le 30 septembre 2006 à la mosquée d’Akwa.
37
Voir Loi n° 90/53 du 19 décembre 1990 portant sur la liberté d’association.
201
et départementaux ; les associations provinciales et enfin les associations indépendantes
liées aux arrondissements et aux quartiers urbains.38
Depuis lors, Douala voit fleurir sur son territoire de multiples associations
islamiques. En dresser une typologie est une tâche difficile voire impossible ; leur
nombre ne cesse d’augmenter régulièrement, leur existence est parfois éphémère39 et
certaines n’ont pas de statut officiel40. Plus que les chefferies, ces associations islamiques
offrent aux musulmans un important cadre pour la manifestation de leur identité
collective, un cadre d’insertion et d’intervention sociales. Elles sont d’autant plus
intéressantes à étudier qu’elles sont source de débats dans la communauté islamique. La
question de la place de l’islam dans la société est posée, les valeurs de l’islam sont
défendues, les cours d’arabe sont dispensés, la solidarité est développée, etc. Les
dirigeants de ces associations ne cessent d’organiser des rencontres, des causeries, des
compagnes de sensibilisation, etc., dans l’un et l’autre lieu de Douala et parfois hors de la
ville de Douala. L’objet des rencontres ne manquent pas de références économiques,
socio-culturelles et politiques intéressant leurs peuples respectifs. Prosélytisme et actions
socio-religieuses vont ainsi désormais de pair dans la mesure où la lecture attentive des
statuts et des comptes rendus de fin de travaux révèle surtout des préoccupations relatives
aux problèmes socio-économico-culturels et quelques fois politiques, surtout en ces
temps ou ceux-ci se trouvent dramatiquement aggravés par ce qu’il est désormais
convenu d’appeler la ‘‘paupérisation’’41. Quelle est la raison d’être et le mécanisme de
38
L’étude des associations religieuses et plus particulièrement islamiques, n’a pas encore pris une place
importante dans le champ de la recherche au Cameroun. On peut cependant se référer aux écrits de H.
Adama, ‘‘Islamic Associations in Cameroon : Betwen the Umma and the State’’, in B. Soares et R. Otayek
(éds.), Islam and Muslim in Africa, Palgrave, Macmillan, 2007, pp. 227-241 et Islam au Cameroun. Entre
tradition et modernité, Paris, L’Harmattan, 2004, pp. 165-177.
39
En raison d’objectifs flous, d’une organisation interne peu ou pas structurée ou tout simplement parce que
l’association a été créée pour une action précise : la construction d’une mosquée de quartier ou le soutien
politique, etc.
40
De nombreuses associations fonctionnent de manière pratique (informelle), sans existence juridique
légale. D’ ailleurs la plupart des fondateurs des associations ne nous ont pas montré les attestations de
légalisation au cours de nos enquêtes. Et, à notre connaissance, aucune source officielle (Préfecture, Souspréfecture, Ministère de l’administration territoriale) n’a dénombré les associations islamiques, ni sur
l’ensemble du territoire camerounais, ni en zone urbaine. Cependant les statuts des associations enregistrées
(légalisées) à Douala se trouvent dans les ‘‘Registres des associations au régime de déclaration’’ de la
préfecture du Wouri, Bureau des associations.
41
Pour une meilleure intelligence de l’ampleur de la paupérisation au Cameroun en général et à Douala en
particulier, lire entre autres E. de Rosny, ‘‘L’Afrique des migrations : les échappées de la jeunesse à
Douala’’, Etudes, 2002-5, pp. 623-633; disponible aussi sur le lien internet, http:/www.cain.info/article-
202
fonctionnement de ce genre de regroupement ? Pour répondre à cette question, nous
ferons la présentation de quelques associations en retenant plus particulièrement celles
qui sont symboliques d’une nouvelle dynamique islamique Douala.
B-1 Présentation des associations
-L’Association Islamique pour la Promotion de l’Education et la Santé (ASIPES)
Créée en 1994, la mutuelle de santé ASIPES comptait 1700 adhérents. Elle
bénéficie depuis sa création de l’expertise et de l’appui financier de la Direction du
Développement et de la Coopération (DDC) à Berne en Suisse, dans le cadre de ses
soutiens au Réseau Dynamiques Africaines (DAF).42 En 2004, elle regroupait environ
8000 membres plus ou moins actifs.43 Au début, seuls les musulmans habitant la zone
Nylon44 pouvaient être membres de l’association et bénéficier de ses services.45 Mais
‘‘Aujourd’hui, toute personne, quelle que soit son appartenance religieuse, peut adhérer,
mais les membres non musulmans restent néanmoins l’exception (…). Les chefs
traditionnels musulmans sont membres d’honneur. Ils assistent à l’assemblée
générale’’46.
De 25 francs CFA initialement, la cotisation est passée à 50 francs CFA par tête et
par semaine. Cette somme est collectée tous les vendredis à la sortie de la mosquée par
l’imam lui-même.47 L’association vit grâce à ces contributions des membres mais aussi
des dons venant des membres d’honneur et de l’appui financier de la coopération suisse.
php, consultée le 20 avril 2003; E. Mveng, ‘‘Paupérisation et développement en Afrique’’, Terroirs, Revue
africaine de sciences sociales, no 001, mai 1992, pp. 111-119.
42
Voir Bulletin Von Medicus Mundi Schweiz, Nr. 79, Dezember 2000; disponible sur le lien internet
http://www.medicusmundi.ch/nms/services/bulletin/bulletin200004/kap 02/09 boock.htm/-24; consulté le
22 juin 2003.
43
Estimations faite par Alphonse Um Boock, médecin-chef du district de santé de Nylon, Douala,
Cameroun. Voir le lien internet http://www.medicusmundi.ch/nms/services/bulletin/bulletin200004/kap
02/09 boock.htm/-24; consulté le 22 juin 2003.
44
Avec près de 380.000 habitants, la zone Nylon est un des quartiers les plus peuplés de Douala. C’est un
bidonville situé dans la banlieue de Douala. ‘‘La pauvreté y est très frappante, mais l’instinct de survie
demeure fort. La couverture sanitaire reste très faible et les populations se déplacent sur de longues
distances pour résoudre leurs problèmes de santé’’. Extrait du préambule du statut de l’ASIPES.
45
Article 8, statuts de l’ASIPES.
46
Voir Bulletin Von Medicus Mundi Schweiz, Nr. 79, Dezember 2000.
47
Voir le lien internet http://www.medicusmundi.ch/nms/services/bulletin/bulletin200004/kap 02/09
boock.htm/-24; consulté le 22 juin 2003.
203
La gestion des fonds est assurée par un ‘‘comité formé de membres importants’’48 de
l’association. Afin de faciliter ses activités, l’ASIPES s’est dotée d’un statut légal ainsi
que d’un règlement intérieur. Une convention de collaboration a été signée avec un centre
de santé intégré, dans un premier temps, puis avec l’hôpital du district de Nylon. Cette
convention prévoit entre autres un contrôle de la facturation des soins par l’association.49
Pour mieux répondre aux obligations de la mutuelle, des efforts importants ont été
consentis pour adapter les soins dans toutes les structures sanitaires impliquées. Par
exemple, les autorités sanitaires ont garanti que les femmes adhérentes ne peuvent être
examinées que par un personnel médical féminin.50 D’une façon générale, des
dispositions ont été prises pour assurer la disponibilité des médicaments essentiels. Les
cotisations mensuelles sont ainsi passées de 170.000 francs CFA à 1.600.000 francs CFA
par mois, traduisant de fait une forte adhésion de la population. Par contre, l’évolution du
coût mensuel des factures est moins favorable, passant de 157.000 francs CFA pendant la
première année (1994) à 2.800.000 francs CFA à la fin de l’année 1999.51 Selon le
médecin-chef du district de santé de Nylon, environ 30% des adhérents utilisent
mensuellement la mutuelle pour leurs problèmes de santé. Les maladies aigües telles que
le paludisme qui constitue la première cause de consultation, consomment environ 70%
des recettes de l’association, alors que les cas chroniques tels que la tuberculose absorbe
moins de 10% des recettes. Ce qui montre bien que la mutuelle répond aux besoins réels
de ses adhérents, pour lesquels la préoccupation majeure concerne les maladies aigües.
D’autres maladies chroniques comme le diabète et l’hypertension concernent surtout les
populations aisées, qui préfèrent se prendre en charge elles-mêmes.52
Si l’on compare l’évolution des recettes à celles des charges, la mutuelle est
largement déficitaire malgré une augmentation de 50% de la cotisation par adhérent et
l’accroissement du nombre de ces derniers. Mais comme les leaders communautaires, en
48
Extrait du statut de l’ASIPES.
Voir Bulletin Von Medicus Mundi Schweiz, Nr. 79, Dezember 2000.
50
Voir aussi E. Kouokam Magne, ‘‘Identités religieuses et offre de soins privés: étude de deux centres de
santé islamique’’, Communication au colloque international de l’Association Euro-Africaine pour
l’Anthropologie du Changement Social et du Développement (APAD), Yaoundé, 11-14 octobre 2005.
51
Voir le lien internet http://www.medicusmundi.ch/nms/services/bulletin/bulletin200004/kap 02/09
boock.htm/-24; consulté le 22 juin 2003.
52
Voir le lien internet http://www.medicusmundi.ch/nms/services/bulletin/bulletin200004/kap 02/09
boock.htm/-24; consulté le 22 juin 2003.
49
204
particulier le chef haoussa du quartier -un homme d’affaires très aisé-, garantissent les
déficits de trésorerie avec leurs propres ressources, les membres de cette association
avaient entamé en 2004, une réflexion sur la vitalité de l’approche. Plusieurs possibilités
étaient alors envisageables :
-laisser le système fonctionner comme tel, le chef de quartier continuant à couvrir
les déficits de trésorerie et/ou identifiant d’autres sources financières ;
- augmenter la cotisation hebdomadaire, mesure qui n’est pas évidente car les
capacités économiques des gens sont assez limitées ;
-renforcer les activités promotionnelles et préventives pour réduire l’utilisation
excessive des services de santé ;
- redéfinir le type de prestations à couvrir par la mutuelle en excluant par exemple
certaines prestations non vitales (circoncision) ;
-les autorités sanitaires devraient poursuivre leurs efforts de rationalisation des soins afin
de faire face aux maladies chroniques qui, jusqu’à présent, ne sont pas encore
entièrement prises en charge.53
-Le Programme Islamique pour l’Assistance Humanitaire (PIAH)
Créée en 1995 à Douala par Cheikh Mbombo Njoya Moubarak54, le sigle
PIAH recouvre en réalité plusieurs secteurs d’activités qui ont une parenté d’esprit et
d’objectifs, mais des applications différentes : le PIAH-formation et le PIAHpublication.
PIAH-Formation
Il s’agit essentiellement de causeries-débats. L’équipe d’animation propose en
moyenne huit thèmes par an qui touchent aux problèmes de la communauté musulmane
camerounaise en général et de Douala en particulier. Chaque série voit 150 à 200
participants, ou plus.55 Quelques thèmes abordés : le ‘‘séminaire de sensibilisation des
ONGs du Littoral et du Sud-ouest sur les substances appauvrissant la couche d’ozone’’,
tenu à Douala du 29 au 30 juin 199556 ; l’ ‘‘atelier sur le transfert de technologie pour les
53
Extrait du procès verbal de la ‘‘réunion annuelle du Comité de l’ASIPES’’ tenue le 27 juillet 2003 à la
salle de conférence de la sous-préfecture de Douala IIIe.
54
Il porte aussi le titre de ‘‘Président du Directoire’’ ou ‘‘Recteur’’, qui couvre l’ensemble des activités du
PIAH. Il est secondé par une secrétaire. Mais chaque secteur d’activité a un responsable qui lui est propre.
55
Entretien avec Aissatou Yadouko, journaliste, secrétaire permanente du PIAH le 7 mai 2004 à son
bureau, au ‘‘Rond Point Deido’’ à Douala (lieu du premier siège du PIAH).
56
Voir le document intitulé ‘‘Le PIAH en quelques mots’’, archives du PIAH.
205
pays africains francophones’’ à l’hôtel Sawa du 27 au 29 février 1996 en collaboration
avec la Caisse Française de Développement57 ; ‘‘les mariages précoces comme facteur de
sous-développement’’58 ; ‘‘le mariage religieux en milieu laïc et le sida’’59, ‘‘examens
prénuptiaux et VIH/Sida’’60, ‘‘Hommes et Femmes du XXIème siècle : pour une société
camerounaise plus juste et plus harmonieuse’’61 ; ‘‘la dégradation des mœurs en milieu
musulmans’’62, etc. Pour offrir un tel éventail de sujets à l’opinion, le PIAH fait appel
aux conférenciers et des cadres arabophones, francophones musulmans et chrétiens. De
part la constitution des membres qui animent souvent ces activités, on assure l’approche
pluraliste et libre du PIAH.
Le centre assure aussi la formation des jeunes musulmans en informatique. Les
moniteurs sont des différents quartiers de Douala, des élèves et universitaires choisis
parmi les meilleurs de l’Association des clubs islamiques des lycées et collèges de
Douala. Tous sont formés en stage accéléré. Pour l’année 1999 par exemple, plus de 200
jeunes, filles et garçons ont fréquenté le centre.63 De ce point de vue, le PIAH est aussi un
remède à un fléau social : la délinquance juvénile.
PIAH-Publications
Dans l’effort d’amener les fidèles musulmans vers des réalités quotidiennes, les
résultats des débats, des séminaires, des conférences, etc. sont rendus publics et
commentés par l’hebdomadaire El Qiblah du PIAH, journal placé sous la responsabilité
directe du recteur qui est par ailleurs directeur de publication. Cet hebdomadaire
d’investigation, d’information et de débat sur le monde musulman autant national
qu’international est publié en Français, en Anglais et en Arabe. Il est enregistré et légalisé
conformément à la législation camerounaise sur la presse privée. A l’aide de sa page
centrale, ce journal effectue l’enseignement de l’Arabe à distance. D’autres journaux
nationaux commentent, à l’occasion, certaines activités du PIAH. Il s’agit aussi souvent
des brochures allant de 20 à 50 pages et des CDs vidéo. Ces publications jouissent d’une
57
Ibid.
Ibid.
59
Conférence donnée au siège du PIAH le 10 septembre 2003.
60
Conférence donnée le 12 novembre 2003 à l’hôtel Hilton à Yaoundé.
61
Conférence du 6 mars 2000 dans la salle de fête d’Akwa/Douala en préparation de la ‘‘Journée
Internationale de la Femme’’ du 8 mars 2000. Voir le texte de la conférence en annexe no 3.
62
Conférence donnée le 8 février 2005 à l’hôtel Akwa-Palace, en préparation à la fête de la jeuneuse
célébrée chaque 11 février au Cameroun. Voir le compte-rendu de cette conférence dans Cameroon
Tribune, quotidien bilingue du 9 février 2005, p. 12.
63
Voir le discours du Président du Directoire lors de la remise des attestations aux lauréats du premier
séminaire d’imprégnation des jeunes à l’outil informatique en annexe no 4.
58
206
large diffusion et publicité, surtout au sein de la communauté musulmane. Des comptes
rendus sont faits sur son site web (www.geocities.com/ipdhas), dans les radios et les
télévisions privées locales mais aussi à la télévision nationale, lors des émissions
spécialisées sur l’islam.
Entre 1995 et 2006, le PIAH a connu un progrès constant. Le contexte national
n’a pas toujours permis de réaliser leurs objectifs au rythme fixé. Mais une évolution est
discernable dans le sens d’une meilleure appréhension des problèmes de la communauté
musulmane de Douala dans le souci d’une prise de responsabilité.
Vu dans son ensemble, le travail du PIAH est porté par l’idéal ‘‘musulman et le
bénévolat de tous les collaborateurs du recteur’’64, auquel il faut ajouter le but visé qui est
de :
relever le musulman au rang de ceux qui participent efficacement à la construction d’une
nation pacifique et prospère mais aussi un monde de solidarité sans limite. Un monde
dépouillé des velléités tels que le terrorisme, la corruption, le grand banditisme,
l’analphabétisme, etc.65
Une nouvelle étape arrive de promouvoir une qualité professionnelle en rapport
avec des actions de développement à la base, et l’installation des structures plus
opérationnelles en coopération avec la Fondation d’Aide Humanitaire Islamique (IHH)
basée en Turquie. En effet, cette dernière procède grâce à la ‘‘charité turque’’ à la
réalisation des projets qui correspondent aux besoins sociaux des musulmans doualais :
-un imposant immeuble-siège du PIAH qui occupe une superficie de 450 m2 au
quartier New-Town/aéroport (voir photographie no 4) et où sont logés le Centre de
Recherche, d’Etudes Islamiques et d’Informatique et une nouvelle bibliothèque ;
-l’école ‘‘Serefoglu Kulliyyah’’ en construction sur une superficie de 2048 m2 et
va fournir aux jeunes un nouvel établissement d’enseignement franco-islamique ;
-l’IHH assure également la construction d’un hôpital nommé ‘‘Hôpital Islamique
de Douala’’ pour fournir aux croyants des services médicaux modernes, en conformité
avec les pratiques islamiques ;
64
Propos de Aissatou Yadouko, journaliste, secrétaire permanente du PIAH, recueillis le 7 mai 2004 à son
bureau, au ‘‘Rond Point Deido’’.
65
Voir le document intitulé ‘‘Le PIAH en quelques mots’’, archives du PIAH.
207
208
-la fondation IHH a enfin été sollicitée pour la construction d’un orphelinat et
d’une nouvelle mosquée nommée ‘‘Mosquée Osman Gazi’’. Cette mosquée, une fois
terminée, procurera aux musulmans de la ville une salle de prière supplémentaire.
En matière de réalisations et comparativement aux autres associations islamiques
basées à Douala, le PIAH constitue un exemple de dynamisme enviable. Cette
organisation possède en effet ses propres installations infrastructurelles. Celles-ci abritent
plusieurs services qui interviennent dans plusieurs domaines (éducation, santé, formation,
communication, etc.)
-L’Association des Femmes Dynamiques Musulmanes de Douala (AFDMD)
Cette association est créée en 1996 à l’initiative de quelques femmes musulmanes
de Douala. Son siège est à Bonapriso et sa devise est : ‘‘Entente-Entraide-Solidarité’’.
Elle siège le dernier samedi de chaque mois. Elle a pour but d’aider en cas d’évènement
heureux (mariage, baptême, naissance, etc.) ou malheureux (maladie, décès, etc.). A cet
effet, cette association anime à travers des chansons les cérémonies funéraires, les
baptêmes et surtout la célébration du Maouloud. L’AFDMD à aussi pour rôle de
promouvoir la femme selon les normes musulmanes, de balayer les préjugés et les images
inexactes véhiculées sur la femme musulmane car selon sa présidente Hawa Safia,
‘‘l’image véhiculée sur la femme musulmane n’est pas exacte (…) trop de préjugés sur la
place de la femme dans l’islam (…) préjugés alimentés par les médias qui ignorent euxmêmes tout de l’islam’’66. Mais, ‘‘la réalité quotidienne détermine elle-même les projets
et nous adoptons les méthodes et les voies appropriées pour les atteindre’’67. Son
implantation à Bonapriso au cœur d’un quartier chic l’a rendu élitiste. De 12 membres au
départ, elle ne comptait que 32 membres en 2005. Pourtant, dans les dispositions de son
statut, elle rassemble ‘‘toutes les femmes musulmanes camerounaises et étrangères de
Douala’’68. L’accord de l’époux est un préalable pour adhérer à l’association et le port du
voile est obligatoire lors des réunions.
Dans la rubrique réalisation, l’AFDMD a ouvert une boutique de vente de pagnes
au quartier New-Bell depuis 1998. Elle accorde des prêts sans intérêt d’une valeur
66
Extrait d’un entretien accordé Par madame Hawa Safia au journaliste El Hadj Daouda Kouotouo et
diffusé à la CRTV-télévision, le 25 novembre 2003 dans le cadre de l’émission ‘‘Connaissance de l’islam’’.
67
Ibid.
68
Article 3 du statut de l’AFDMD.
209
nominale de 500.000 francs CFA à ses membres remboursables à partir du cinquième
mois après le prêt. Elle a aussi participé financièrement à la construction de la mosquée
de Mabanda dans l’arrondissement de Douala IVe et de celle de Bonamoussadi dans
l’arrondissement de Douala Ve; elle a en outre fait des dons de tables-bancs à l’école
franco-arabe de New-Bell. A l’occasion de la fête du ramadan 2004, cette association
avait organisé une conférence sur ‘‘La place de la femme dans l’Islam’’ à la salle des
fêtes d’Akwa. Depuis sa création, elle fait des dons de nourriture à la prison centrale de
New-Bell à l’occasion de chaque fête de ramadan.
-Association Nationale des Jeunes Musulmans du Cameroun (ANJMC)
L’ANJMC comme son nom l’indique est une association de jeunes musulmans
basée à Douala. Créée en 1998 elle a pour ambition de ‘‘prendre en charge d’autres
jeunes, promouvoir l’éducation des musulmans, encadrer le citoyen de demain’’69 et de
sortir ‘‘les jeunes musulmans camerounais des geôles de l’analphabétisme’’70. Depuis sa
création, cette association organise à chaque rentrée scolaire une cérémonie de remise de
prix aux élèves et étudiants musulmans les plus méritants de la capitale économique du
Cameroun. Constitués des fournitures scolaires et des espèces sonnantes, ces prix sont
‘‘généreusement offerts par les élites musulmanes qui ne ménagent aucun effort pour la
réussite de nos évènements’’71. De 145 lauréats au lancement de cette opération en 2002,
les lauréats étaient au nombre de 200 en 2003 ; de 237 en 2004 et de 331 en 2005. Le 4
septembre 2005, la cérémonie de remise de prix s’était déroulée devant l’esplanade du
service social de New-Bell, en présence ‘‘de nombreux invités, du chef haoussa de NewBell et du chef de la division administrative et juridique de la province du Littoral, Didier
Bidia’’72. Ce dernier avait ‘‘exhorté les participants à s’unir autour de cet idéal de
solidarité’’ et souhaiter ‘‘que cette initiative des élites originaires du septentrion fasse
tache d’huile’’73. Selon Mohammadou Yacoubou président de l’ANJMC,
69
Propos de Mohammadou Yacoubou, président de l’ANJMC recueillis le 16 septembre 2004 à New-Bell.
Expressions de Ma’azu Daihiru, membre du bureau national de l’ANJMC. Voir le lien internet
htt://www.fr.allafrica.com/stories/20040829093.htm, consulté le 16 septembre 2004.
71
Ibid.
72
Le Messager, no 1966 du 16 septembre 2005, p.7.
73
Ibid.
70
210
C’est une façon pour nous de lutter contre l’analphabétisme et la pauvreté au sein de
nos populations. Nous voulons par ces actes, que l’éduction rentre jusque dans nos
réflexes (…) nous exhortons les parents à envoyer leurs enfants à l’école, notamment les
jeunes filles lorsqu’on pense au sort qui leur est souvent réservé dès leur plus jeune âge.74
Quant aux bénéficiaires, ils s’estiment toujours heureux. Aminatou Yaya, lauréate
au baccalauréat 2005 déclarait par exemple : ‘‘je suis heureuse de recevoir ces prix. C’est
une bouffée d’oxygène pour mes parents’’75. Dans la même logique, l’ANJMC organise
depuis 2004, à la salle de conférence du parti (RDPC) de New-Bell/Makéa, un coin du
quartier New-Bell à Douala IIe ‘‘une foire contre la vie chère’’ pendant la période de
Ramadan. Des denrées alimentaires tels que le riz, l’huile, le savon, des boissons
hygiéniques, etc. sont exposés. Des clients viennent faire des emplettes. Les raisons de
l’organisation de cette foire sont essentiellement économiques : ‘‘nous avons constaté
qu’à la veille et pendant le Ramadan, une flambée des prix est pratiquée sur les produits
alimentaires de première nécessité’’76.
A ces occasions, des hôtesses, actives dans les stands revêtus aux couleurs des
entreprises partenaires n’hésitent pas à proposer leurs produits aux personnes qui ont
investi les lieux :
Ici on trouve des sacs de riz de 50 kilogrammes dont les prix oscillent entre 15.000
Francs et 17.000 Francs Cfa. Le même produit varie entre 16.500 et 22.000 frs sur le
marché. Des paquets de sucres sont vendus à 500frs Cfa alors qu’ils coûtent 700 à 750 sur
les marchés. Des huiles végétales, des pattes alimentaires en plusieurs gammes, sont
également proposées.77
Comme on le constate, les prix pratiqués durant ces foires organisées en
partenariat avec certaines entreprises basées à Douala ne sont pas toujours homologués
par les services du commerce. Les clients qui font des achats bénéficient ainsi, en plus
des prix promotion, de quelques réductions.
74
Ibid.
Ibid.
76
Ma’azu Daihiru, membre du bureau national de l’ANJMC. Voir le lien internet
htt://www.fr.allafrica.com/stories/20040829093.html, consulté le 16 septembre 2004.
77
Propos d’Abdoul Aziz, un des responsables marketing de ces foires. Voir le lien internet
htt://www.fr.allafrica.com/stories/20040829093.html, consulté le 16 septembre 2004.
75
211
Enfin, pendant les vacances scolaires, l’ANJMC organise des activités sportives et
culturelles. Les membres se déplacent aussi pour aller rencontrer et fraterniser avec
d’autres jeunes musulmans. Aussi, sont-ils souvent allés à Nkongsamba et à Ngaoundéré.
-Le Groupe de Mères Croyantes de Douala (GMCD)
Créé en 2002, le GMCD a son siège au quartier ‘‘BP Cité’’. Il regroupe les
femmes musulmanes, mariées et célibataires. Elles siègent tous les dimanches chez l’une
des membres. Ses objectifs sont : spirituels (piété et dévouement à Allah) ; socio-culturel
(solidarité, éducation et promotion de la femme musulmane) et économique (entraide et
rôle de la femme musulmane dans le processus de développement). Selon la présidente
du GMCD, ‘‘les femmes musulmanes ne sont pas indépendantes, beaucoup sont mariées
et leurs maris sont toujours réticents, d’où des descentes sur le terrain pour la
sensibilisation des femmes et leurs maris’’78. Cette association a participé aux
manifestations de la ‘‘journée internationale de la femme’’ en mars 2003 et a organisé en
novembre 2004 une ‘‘soirée de prière et de sensibilisation de la femme musulmane contre
les MST/Sida’’. En simplifiant, les statuts du GMCD expriment les opinions
fondamentales qui sous-tendent ses activités en trois mots : Développement, Rencontre et
Dialogue.
-Développement veut dire que les femmes musulmanes agissent pour un ‘‘progrès
global et participé’’ ; le ‘‘progrès’’ indiquant la transformation des mentalités qui
s’exprime dans ‘‘un changement des méthodes et des modes de vie’’ ; ‘‘global’’ parce
que le progrès recherché est celui de tous ‘‘les Hommes’’ et accompli dans toutes ces
dimensions ‘‘économiques, sociales et humaines’’ alors que ‘‘participé’’ signifie que
tous, hommes et femmes assument eux-mêmes la responsabilité de cette transformation.79
-Rencontre parce que l’association se veut être un lieu de contacts, de réflexions
autour des problèmes concrets de la femme musulmane du Cameroun en général et de
celle de Douala en particulier. Elle favorise les ‘‘relations entres femmes musulmanes de
professions différentes, d’origine diverses, les mettant à même de confronter leurs vues et
d’élargir leurs perspectives’’80.
78
Extrait d’un entretien accordé par madame Hawa Safia au journaliste El Hadj Daouda Kouotouo et
diffusé à la CRTV-télévision le 25 novembre 2003, dans le cadre de l’émission ‘‘Connaissance de l’islam’’.
79
Synthèse des statuts de l’AFDMD.
80
Ibid.
212
-Dialogue parce que l’association est ouverte à toutes les femmes, adultes et
jeunes, célibataires ou mariées, intéressées par les objectifs de l’association, ‘‘dépassant
les particularismes et les frontières ethniques étroites pour se mettre au service de la
femme musulmane’’. L’association se veut un lieu de dialogue entre générations, entre
les personnes, ‘‘un arbre à palabres parmi les femmes musulmanes’’81.
Nous avons, à dessein, cité ces exemples d’associations pour présenter les
associations islamiques basées à Douala dans leur agir quotidien. Elles participent à
déterminer et à cristalliser la conscience islamique à Douala et permettent d’évaluer leur
influence dans la sphère sociale.
B-2 Les associations musulmanes de Douala : entre réformes sociales et
prosélytisme
Il ressort de la présentation qui précède que l’intervention
des associations
islamiques dans le champ social est marquée par des activités d’éducation à travers des
conférences, des séminaires, des causeries éducatives, des réunions sur des thèmes
divers ; le financement des services de santé, de l’éducation et de la construction des
mosquées etc. Il s’agit, pour ces associations, d’élever aussi le niveau de connaissance
religieuse et morale de leurs membres, de s’entraider, de venir en aide aux pauvres, aux
démunis, etc.
Bien que le phénomène associatif ne soit ni spécifique à Douala82 ni même au
Cameroun83, La création de ces nouvelles associations présage aussi de la volonté de
leurs fondateurs de mettre sur pied des structures représentatives, en faisant fi des
barrières liées au genre et à l’âge, en intégrant surtout des jeunes musulmans et les
femmes. Elles offrent par ailleurs des solutions proprement islamiques. Il s’agit de
s’occuper de la gestion des problèmes liés à la pratique et à l’observation des principes
81
Ibid.
Sur d’autres études de ce phénomène dans d’autres régions du Cameroun, voir entre autres, H. Adama,
‘‘Islamic Associations in Cameroon : Betwen the Umma and the State’’, 2007, pp. 227-241; L’Islam au
Cameroun, 2004, pp. 165-177 et la Thèse/Ph.D de S. Mane, ‘‘Islam et société dans la région Mbam (Centre
Cameroun), XIXe-XXe siècles’’, Université de Yaoundé, 2005-2006, pp. 192-205.
83
Pour les cas de la Côte D’ivoire et du Sénégal par exemple, voir la thèse publiée de M. Miran, Islam,
histoire et modernité en Côte d’Ivoire, Paris, Karthala, 2006 et M. Gomez-Perez, ‘‘Les associations
islamiques à Dakar’’, in O. Kane et J.L. Triaud (s.d.), Islam et islamisme au Sud du Sahara, Paris, IremamKarthala-MSH, 1998, pp. 137-153.
82
213
islamiques, des problèmes socio-économiques des musulmans. Elles inscrivent comme
priorité l’éducation, l’entre aide, la solidarité, la lutte contre la pauvreté, etc. Les leaders
de ces associations ont ainsi combiné la démarche intellectuelle et populaire dans leurs
solutions.84
Sous leur impulsion, les communautés locales liées aux mosquées et/ou centres de
santé se développent dans les quartiers de Douala. Ces communautés vont prendre des
initiatives pour ‘‘sensibiliser’’ leur coreligionnaire. A la différence de l’ACIC longtemps
restée prisonnière de ses structures et minée par les hommes politiques, elles sont fondées
sur des organisations de quartier ou d’arrondissement et ont un contact étroit avec la
population. Elles interviennent de près dans les affaires locales. Elles gèrent des
programmes locaux tout à fait indépendants de l’Etat qui offrent des services sociaux,
notamment une assistance sociale : dons dans les prisons, les hôpitaux, les écoles, les
orphelinats, entretien des cimetières musulmans, etc. surtout pendant les périodes de fêtes
religieuses. Ces activités qui se substituent dans certains cas à l’Etat défaillant, sont
généralement financées par les contributions des membres actifs, des sympathisants, des
‘‘membres d’honneur’’ auxquelles s’ajoutent la vente des produits issus de diverses
activités menées au sein de ces structures associatives. Là aussi, elles sont beaucoup plus
proches des besoins des pauvres que les politiques. Elles sont animées par la foi et
l’idéologie musulmane.
Les regroupements des femmes et des jeunes ont tout à la fois pour but de
permettre à ces deniers de se retrouver mais également sur les plans économique et social
de ‘‘s’entraider et de se soutenir’’. C’est aussi dans cette sociabilité musulmane que
certains retrouvent un minimum de protection, de direction intellectuelle et spirituelle, de
solidarité. C’est là que ceux qui en l’absence des moyens institutionnels, les ‘‘gens d’en
bas’’ peuvent se faire entendre de quelque manière. Ces associations permettent aussi aux
femmes de trouver un espace de liberté qui est à la frontière entre le public et le privé, un
espace d’action en organisant des conférences, des causeries éducatives, etc., un espace
84
Cette démarche n’est pas spécifique à Douala. Voir par exemple A. Piga, ‘‘Trajectoires et tendances des
associations islamistes au Sénégal contemporain’’, in A. Piga (s.d.), Les voies du soufisme au sud du
Sahara. Parcours historiques et anthropologiques, Paris, Karthala, 2006, pp. 279-311 et M. Miran, ‘‘Les
associations islamiques en Côte d’Ivoire’’, communication présentée aux journées d’études
internationales : ‘‘L’islam politique en Afrique subsaharienne d’hier à aujourd’hui : discours, trajectoires et
réseaux’’, Laboratoire Sedet, Université Paris-7-Denis-Diderot/CNRS, Paris, 28-29 octobre 2002.
214
de solidarité en zone urbaine en organisant des tontines, en définitive un espace qui
confère à ces femmes une légitimité sociale et religieuse.85 A travers ces associations, les
femmes deviennent des actrices à part entière de la société et non plus des ‘‘sujets’’86.
Elles participent tout comme les hommes à la dynamique sociale et culturelle de l’islam.
Au sein des associations féminines musulmanes, la femme est aussi au centre du
prosélytisme, du processus de formation spirituelle et de l’apprentissage de la langue
arabe. En effet, au plan éducatif, les associations féminines mettent l’accent sur la
formation spirituelle et temporelle de leurs membres. Pendant les réunions
hebdomadaires ou mensuelles qu’elles tiennent, des cours de religion et d’alphabétisation
sont dispensés à leurs membres. Ces initiatives sont doublement bénéfiques pour les
femmes musulmanes : elles leur permettent de mieux connaître leur religion pour mieux
la pratiquer et d’être alphabétisées pour mieux s’insérer dans la société. Il s’agit par
conséquent des enseignements qui assurent à ces femmes un équilibre vital. Ainsi, la
croyante moderne ne peut plus justifier son ignorance en matière islamique. Dans cette
perspective, les anciens discours conservateurs qui appelaient à l’obéissance et à la
soumission de la femme musulmane et mettaient l’accent sur la place réservée aux
femmes dans la société en tant que responsable du foyer, de l’éducation des enfants, de la
préservation et de la transmission des valeurs morales deviennent de plus en plus
dépassés.87 Les femmes elles-mêmes étudient le Coran et la loi islamique à travers les
associations. Elles sont dynamiques dans les différentes organisations. Elles conduisent
des voitures ; certaines, lettrées, travaillent. A partir de ces quinze dernières années, un
85
Pour une approche comparative sur femmes et associations, le lecteur pourra se référer aux travaux de E.
Augis, ‘‘Dakar’s Sunnite Women : the Politics of Person’’, in M.Gomez-Perez (s.d.), L’islam politique au
sud du Sahara. Identités, discours et enjeux, Paris, Karthala, 2005, pp. 209-326 et C. Cantone, ‘‘
‘‘Radicalisme’’ au féminin ? Les filles voilées et l’appropriation de l’espace dans les mosquées de Dakar’’,
in M. Gomez-Perez (s.d.), L’islam politique au sud du Sahara, pp. 120-130 pour le Sénégal ; de M.N.
LeBlanc, ‘‘Imaniya and Young Muslim Women in Côte d’Ivoire’’, Anthropologica, 49, 2007, pp. 35-50
pour la Côte d’Ivoire.
86
Voir G.L.Taguem Fah, ‘‘Pouvoir du savoir, renouveau islamique et luttes politiques au Cameroun’’, in M.
Gomez-Perez (s.d.), L’islam politique au sud du Sahara, 2005, pp. 557-581.
87
Le rôle des femmes est l’un des aspects de la pensée islamique les plus critiques. L’islam est engagé de
fait dans un grand débat sur cette question, même si une vision conservatrice continue de dominer. Une
partie du dilemme provient non pas tant des principes de l’islam que de certaines interprétations
extrêmement conservatrices considérées à dessein comme des ‘‘coutumes islamiques’’. Voir, entre autres
Mansour Fahmy, La condition de la femme dans l’islam, Paris, Editions Allia, 2002; Asma Lamrabet,
Musulmane tout simplement, Lyon, 2002 et Nifuler Golfe, Musulmanes et modernes, Paris, La Découverte,
1993 et O. Reveyrand-Coulon, ‘‘Les énoncés féminins de l’islam’’, in J.F. Bayart (éd.), Religion et
modernité en Afrique noire, Paris, Karthala, 1993, pp. 63-100.
215
nombre grandissant de ‘‘féministes musulmanes’’ a émergé à Douala, souhaitant que
l’islam soit appliqué en conformité avec l’évolution de la société et non de la coutume.
Le niveau d’éducation ainsi que la maîtrise des principes ‘‘éthico-normatifs de l’islam’’88
par certaines musulmanes leaders d’associations font qu’elles organisent parfois des
débats et conférences qu’elles animent avec sagacité. Le 16 mai 2006 par exemple,
l’Association des Femmes de l’Union Islamique du Cameroun (AFUIC), section
féminine de l’UIC avait organisé en partenariat avec l’Association Camerounaise des
Femmes Juristes (ACAFEJ) une conférence à New- Bell sur le thème ‘‘Le mariage
islamique : la part de la femme et de la jeune fille dans l’héritage’’89. Bien plus, les
témoignages de certaines femmes que nous avons recueillis au cours de nos enquêtes
montrent comment elles sont tiraillées entre préceptes religieux et principes de la vie
moderne, entre polygamie et le fait d’essayer de concilier maternité, travail et foi.90 Il y a
bien là une certaine évolution du statut de la femme, résultat d’une maturation et d’une
dynamique lente, mais qui sont à l’œuvre.
En outre, les dons faits par certaines de ces associations à l’occasion de la rupture
du jeûne du mois de ramadan s’apparentent aussi à une autre forme d’aumône à caractère
charitable. Des actions concrètes sont ainsi posées en faveur des plus démunis et des
nécessiteux : dons des produits alimentaires dans les prisons ; des médicaments de
premier soin dans les dispensaires et les orphelinats ; du matériel didactique dans les
écoles franco-arabes, etc. Dans les quartiers, des démarches populaires ayant un contact
étroit avec la population sont engagées tels que le nettoyage des rues et des caniveaux,
l’entretien des mosquées, des cimetières, etc. De ce point de vue, ces actions concrètes
constituent une forme de zakât à l’échelle du local. Elle est encore timide, mais prend de
plus en plus de l’ampleur.
Ce côté créatif et innovateur des musulmans traduit aussi leur aptitude à
transcender la logique individualiste pour développer des structures d’entraide comme les
associations, les tontines et sur sa réinterprétation des traditions. On peut aussi identifier
88
Nous empruntons cette expression à J.P. Charnay, dans son maître-livre Sociologie religieuse de l’islam,
1994.
89
Voir Cameroon Tribune, quotidien bilingue du 17 mai 2006.
90
Voir dans le même sens M.N. LeBlanc, ‘‘Imaniya and Young Muslim Women in Côte d’Ivoire’’,
Anthropologica, no 29, 2007, pp. 35-50 et M.B. Savadogo, ‘‘L’intervention des associations musulmanes
dans le champ politique et social en Côte d’Ivoire depuis 1990’’, in M. Gomez-Perez (s.d.), L’islam
politique au sud du Sahara, 2005, pp. 583-600.
216
dans l’imaginaire de solidarité, d’entraide qui se manifeste dans ces actes, les signes et les
langages, une manière autre d’être qui se déploie et transforme la société en la
réinventant.91
Ainsi,
la forme essentielle de l’inscription des associations musulmanes de
Douala dans la sphère publique relève de l’activisme social. Elles multiplient des
initiatives sur le terrain de l’éducation, de la santé, de la charité, de la vie de la famille et
du quartier, etc. Cet investissement dans la vie quotidienne de Douala a à voir avec de
nouvelles formes de citoyenneté que la démission de l’Etat à la base a suscitée.
Autrement dit, l’analyse de l’élargissement du panel des activités des associations
islamiques pallient quelque fois la déficience de l’Etat. Le cas des associations
musulmanes qui ont retenu notre attention dans cette section est de ce point de vue très
significatif, d’autant plus quelles permettent à leurs adhérents de base d’être de plus en
plus autonomes. On peut donc y voir une certaine liberté individuelle. Toutefois,
l’existence des associations ne suffit pas à elle seule. Il faut surtout des personnes
dynamiques, disponibles et intègres pour les faire marcher.
Au demeurant, la dynamique de la communauté musulmane de Douala ne peut
être saisie dans son évolution récente que si l’on accorde aussi un rôle déterminant aux
nouvelles offres d’éducation privée islamique.
C- ISLAM
ET SCOLARISATION A DOUALA
COMMENT NE PAS ETRE MARGINALISE
:
UN ENJEU TOUJOURS D’ACTUALITE OU
L’enseignement arabo-islamique tient toujours une place importante au sein de la
communauté musulmane de Douala. Cette section contribue à étudier l’éducation privée
islamique, telle que celle-ci se reproduit sur le sol de Douala depuis la nouvelle loi sur
l’éducation de 199092.
91
Cf.J.M. Ela, Innovation sociale et renaissance de l’Afrique. Les défis du monde d’en bas, Paris,
L’Harmattan, 1998.
92
Cf. Décret no 90/1461 du 09 novembre 1990 portant création, ouverture et fonctionnement des
établissements privés
217
C-1 Emergence d’une nouvelle organisation
On sait maintenant que l’ACIC n’a pas été à la hauteur des espoirs placés en elle
pour le développement de l’enseignement islamique, du moins à Douala.93 Ainsi, à
l’ancienne structure chargée de la gestion des écoles privées islamiques (ACIC), s’étaient
greffées d’autres, notamment l’Organisation Nationale de l’Enseignement Privé
Islamique (ONEPI) créée en 1997 et l’Organisation des Etablissements Scolaires Privés
Islamiques (OESPI) créée en 1999. Cependant, entre 1999 et 2003, il existait dans la
pratique une querelle de leadership entre Doubla Avaly, président de l’OESPI et Nji
Pepeme Njifon Moussa de l’ONEPI. La communauté éducative islamique et les pouvoirs
publics étaient tout aussi désemparés de voir dans les médias publics et privés, chacune
des deux personnalités parler à tour de rôle au nom de l’enseignement privé islamique.
En effet, ces organisations se révélaient souvent moins des lieux de promotion des
activités éducationnelles communes que comme des nouveaux lieux de lutte pour le
pouvoir et surtout le contrôle des ressources stratégiques -les fonds d’origine arabe et des
lobbies musulmans internationaux par exemple- :
Selon des sources de la cellule juridique du Minéduc, Nji Pepeme avait été
reconnu coupable des malversations financières avec la distraction d’une somme de 210
millions de francs Cfa libérée par la Banque Islamique de Développement (BID) pour
soutenir l’enseignement islamique au Cameroun. En sa qualité de responsable de
l’époque à qui revenait la gestion des subventions des établissements privées islamiques,
cet argent avait été décaissé et détourné de sa finalité originelle pour une destination non
encore élucidée par l’accusé.94
Ces deux associations étaient donc traversées par des luttes fonctionnelles et
faisaient l’objet de griefs de la part des musulmans de base qui s’estimaient mis à l’écart,
considéraient que ces organisations ne défendaient pas l’intérêt général de l’islam mais
les intérêts de ceux qui les dirigent, que la gestion n’était pas honnête dans la mesure où
les aides des pays arabes étaient détournées au profit des intérêts privés, etc. A la longue,
ces accusations ont eu un impact négatif sur l’esprit des musulmans et le fonctionnement
93
94
Voir quatrième chapitre, section C.
Voir Mutations, no 975 du jeudi 28 août 2003, p. 4.
218
des écoles privées islamiques si bien que l’Etat a dû, le 27 août 2003, prendre position en
faveur de l’OESPI de Doubla Avaly, sous la forme d’une décision prise par le ministre de
l’Education Nationale, Joseph Owona qui désavouait l’ONEPI en ces termes:
NJi Pememe Njifon Moussa, ainsi que la prétendue Organisation Nationale de
l’Enseignement Privé Islamique, en abrégé ONEPI, dont il exige de la qualité de
président, ne représente légalement rien, ni personne.95
La décision du ministre soulignait par ailleurs que :
L’Organisation des Etablissements Scolaires Privés Islamiques (OESPI), est la seule
organisation chargée de défendre les intérêts de cet ordre d’enseignement, représenté dans
les actes de la vie civile par Doubla Avaly.96
N’ayant pas pu justifier l’utilisation des fonds débloqués par le BID97, ce
communiqué venait ainsi mettre un terme à la querelle de leadership au sein de la
communauté musulmane sur la question de l’éducation. H. Adama résume fort bien le
choix porté sur Doubla Avaly et son organisation comme le désormais représentant de
l’enseignement islamique reconnu comme tel par le ministère de l’Education Nationale.
Pour lui en effet, ce choix s’explique par l’impulsion que Doubla Avaly donne à
l’enseignement privé islamique, son franc-parler et par son engagement personnel et
constant au redressement, à l’assainissement et à la rénovation des structures de gestion
de l’ACIC, la plus ancienne et la plus représentative de la communauté musulmane
camerounaise. A plusieurs occasions, cet enseignant de chimie inorganique à l’Université
de Yaoundé I s’était fait remarquer à travers un réquisitoire sans appel sur les dérives et la
mégalomanie des responsables en charge tant de la gestion des établissements scolaires
95
Lire le texte intégral dans le quotidien Mutations, n° 975 du jeudi 28 août 2003, p.4. Et pour une brève
notice biographique de Doubla Avaly et son rôle dans la reforme des écoles franco-arabes au Cameroun,
voir H. Adama, L’islam au Cameroun, pp. 132-138.
96
Ibid.
97
Le ministère de l’Education Nationale avait par ailleurs porté plainte contre Nji Pepeme Moussa pour
‘‘détournement des fonds publics’’. L’affaire était encore pendante devant les tribunaux de première et de
grande instance de Yaoundé. Cf. Mutations, no 975 du jeudi 28 août 2003, p. 4.
219
que de celle des lieux de cultes musulmans. Dans sa lutte contre les apparatchiks, il
s’était entouré de cadres musulmans arabophones, francophones et anglophones.98
Une fois la victoire acquise, l’OESPI se positionne comme la seule et unique
structure habilitée à gérer le secteur de l’enseignement privé islamique au Cameroun.99
L’ACIC perdait ainsi l’une de ses plus importantes prérogatives et se trouvait de fait,
placée sous la tutelle de l’OESPI. En stimulant la mise en place de l’OESPI et en confiant
la gestion de celle-ci à de jeunes intellectuels musulmans, le gouvernement camerounais
cherchait ainsi à mettre de l’ordre dans un secteur éducatif qui commençait déjà à
s’émanciper de son autorité en développant ses propres programmes.100 C’est cette
‘‘nouvelle équipe non issue du milieu des arabisants’’101 qui fut chargée entre autre de la
réhabilitation de l’enseignement franco-arabe qui se trouvait dans une situation pour le
moins chaotique. L’école franco-arabe de Douala particulièrement se trouvait dans un
état défectueux, de délabrement assez avancé102 et plongée dans une profonde crise
éducative103. La nouvelle équipe coordonnée par Doubla Avaly s’engage donc à rectifier
l’incapacité de l’ACIC et de l’ONEPI. Pour le faire, la nouvelle équipe de l’OESPI
procède à un nouveau découpage des secrétariats à l’éducation islamique : Adamaoua ;
Extrême-Nord ; Centre, Sud et Est ; Nord-Ouest ; Littoral et Sud-ouest ; Nord et Ouest.
On passe ainsi de 03 zones à 07 secrétariats à l’éducation islamique.
98
Ibid. Voir aussi les différents numéros du mensuel d’obédience islamique An-Nour que Doubla Avaly
avait créé et dont le thème central se focalisait autour de la gestion de l’éducation au sein de la communauté
musulmane.
99
Voir Statut de l’OESPI en annexe no 6.
100
H. Adama, L’islam au Cameroun, pp. 132-138.
101
Ibid.
102
L’hebdomadaire Aurore Plus no 531, p. 10, parle d’une école ‘‘aux allures d’écurie’’ alors que le
bimensuel El Qiblah no 14, p. 8 parle ‘‘des bâtiments en état de délabrement avancé, d’une cour digne
d’offrir une multitude de repas à des bovins affamés, des toilettes impraticables, d’une image lugubre’’.
103
Nous avons voulu savoir pendant nos enquêtes l’attitude des musulmans de Douala à l’endroit de cette
école. Elle variait du positif à l’extrême négativité, selon que nous avions affaire aux responsables
traditionnels, aux femmes mariées, à des personnes d’un âge avancé ou à des lettrés (lycéens, collégiens,
universitaires et même les élèves de cette école). Ce dernier groupe (les lettrés) voyait même dans
l’éducation franco-arabe un système en vue de retarder sciemment certaines catégories de musulmans!!!
Nous avons aussi observé qu’aucune élite musulmane n’avait son enfant dans cette école. Ils placent leurs
enfants dans les écoles et les collèges réputés pour leur rigueur dans l’enseignement et leur haut taux de
réussite et recrutent des maitres d’arabe à domicile.
220
C-2 Les nouvelles offres d’éducation confessionnelle privée islamique à Douala
Evidemment, Douala se retrouve dans le secrétariat de l’éducation islamique pour
le Littoral et le Sud-ouest. Depuis lors, les écoles franco-islamiques se sont multipliées à
Douala, comme l’indique le tableau suivant :
Tableau no X: effectifs des écoles, des élèves et des enseignants du privé
islamique à Douala à la rentrée scolaire 2005-2006
SECRETARIATS
A
ELEVES
ENSEIGNANTS
L’EDUCATION
ISLAMQUE DU LITTORAL
G
F
T
%G
%F
H
F
T
%H
%F
240
192
432
55,55
44,44
04
04
08
50
50
64
69
133
48,12
51,87
02
03
05
40
60
30
20
53
56,60
37,73
01
02
03
39
46
85
45,88
54,11
04
01
05
320
98
418
76,55
23,44
04
03
07
138
146
284
48,59
51,40
06
02
120
134
254 47,24
52,75
05
07
ET DU SUD-OUEST
Franco-arabic primary
Cité des Palmiers
Douala III
Franco-arabic primary
New-Bell/Affaire
Sociale
Franco-arabic primary
33,33 66,66
Bonaberi/Komba
Franco-arabic primary
80
20
Bonaberi/Mabanda
Franco-arabic primary
57,14 42,85
Bona-Lika Douala III
Franco-arabic-primary
08
75
25
Bonanloka Douala III
Franco-arabic primary
Congo Douala II
12
41,66 58,33
221
Franco-arabic
433
180
613
70,63
29,36
06
04
10
60
40
324
77
401
80,79
19,20
O5
03
08
62,5
37,5
113
128
241
46,88
53,11
03
06
09
33,33 66,66
57
65
122
47,5
53,27
06
03
09
66,66 33,33
85
72
157
54,14
45,85
03
01
04
75
25
77
63
140
55
45
01
03
04
25
75
354
300
654
54,12
48,87
02
04
06
33,33 66,66
2394
1590
3984
60,09
39,90
52
46
98
53,06 46,93
primary Douala II
Franco-arabic
primary Makea
Douala II
Franco-arabic
primary NewBell/Makea Douala
II
Franco-arabic
primary New-Bell
Douala II
Franco-arabic
primary New-Bell
Douala II
Franco-arabic
primary New-Bell
Douala II
Groupe scolaire
Ibrahim
NewTown/Aéroport
Total
Source : Organisation des Etablissements Scolaires Privés Islamiques (OESPI) et
synthèse personnelle (les pourcentages sont de l’auteur).
222
Lorsqu’on parcourt ce tableau, on ne peut qu’être frappé par la multiplicité des
établissements scolaires dits islamiques entre 1990 et 2006.104 D’une école franco-arabe
jusqu’au début des années 1990, on en était à 14 en 2006, soit une augmentation de
1300%. Ces établissements sont créés par la dévotion et la piété de certains musulmans
qui évoluent en marge de toute responsabilité communautaire et à la conviction religieuse
de certaines communautés qui ont été témoins de l’échec de la première école francoarabe de Douala. Autrement dit, les nouvelles écoles privées islamiques sont des
initiatives individuelles et communautaires. Cependant, nous ne devons pas perdre de vue
les enjeux économiques qui se cachent derrière la création de certains de ces
établissements. Autrement dit, certains créateurs sont tout simplement réalistes et la
création d’une école représente pour eux un certain itinéraire d’accumulation.
On peut dire, au regard du nombre d’établissements ouverts, des effectifs et des
niveaux d’enseignement, que l’enseignement privé islamique connait du point de vue de
l’offre de formation une progression remarquable et contrastée. En effet, l’implantation
scolaire islamique s’est faite beaucoup plus dans les zones/quartiers musulmans de la
ville, précisément à New-Bell et ses environs avec 08 écoles sur 14 soit 57,14% d’écoles
franco-islamiques concentrées à New-Bell. A la lumière de ce tableau, force est aussi
d’apprécier les effectifs scolaires de l’enseignement privé islamique à Douala. Les
statistiques font ressortir que les musulmans interviennent seulement au niveau primaire.
L’importance des effectifs et l’accroissement du nombre d’écoles indiquent fort bien
qu’ils représentent pour les parents un cadre idéal de formation de leurs enfants.
Dans la pratique, la mixité n’est pas interdite en contexte scolaire; ainsi dans les
écoles, garçons et filles ne sont pas séparés. Le tableau donne d’ailleurs une allure des
effectifs féminins et masculins en 2005-2006. D’autres données concernant tous les
secteurs d’enseignement permettent d’observer une différence d’accès à la scolarisation
selon le sexe et en faveur des garçons.
Ces nouvelles écoles vident les écoles coraniques traditionnelles qui, réduites à
la portion congrue, quittent progressivement les lieux publics pour les domiciles
privés.105 Elles représentent ainsi à Douala une adaptation de nouvelles méthodes
104
La création de ces écoles découle du décret précité no 90/1461 du 09 novembre 1990 portant création,
ouverture et fonctionnement des établissements privés.
105
Voir Info sud Belgique, Agence de Presse, ‘‘Cameroun : succès des nouvelles écoles privées
islamiques’’, disponible sur le lien internet http://www.infosud-belgique.info/article.php3? Id_article=131 ;
consulté le 9 mars 2004.
223
d’enseignement par les nouveaux promoteurs musulmans ayant fait des études tant à
l’intérieur qu’à l’extérieur du Cameroun. Ayant été témoins de l’échec de l’école francoarabe de Douala ces nouveaux promoteurs tentent de reformer l’enseignement de l’arabe
et des matières islamiques en créant des écoles franco-islamiques adaptées à l’évolution
contemporaine. Les méthodes nouvelles consistent ici à organiser les écoles de la
maternelle au cours moyen deuxième année ; avec différentes salles de classes, des
programmes et volumes horaires bien définis au cours d’une année scolaire structurée.
Comme à l’école franco-arabe, il y a utilisation du tableau noir, de la craie et de tous les
autres matériels didactiques similaires à ceux de l’école ‘‘française’ et/ou publique. Les
programmes des écoles, en plus de la théologie et des traditions islamiques, comportent
les disciplines comme les sciences naturelles, l’histoire, la géographie, les calculs ou
mathématiques, bref toutes les matières du programme officiel du Ministère de
l’Education de Base. D’après Doubla Avaly,
Ces méthodes et programmes permettent à l’enfant d’acquérir une mentalité
moderne, un raisonnement rationnel et de ne plus se contenter de réciter comme à l’école
coranique traditionnelle où on tente d’expliquer tous les phénomènes par Dieu (…) Le
jeunes font très vite la différence avec les écoles islamiques traditionnelles où les
apprenants sont assis à même le sol, subissent des châtiments atroces et condamnés à aller
demander l’aumône.106
Dans ces écoles musulmanes nouvelles, l’arabe n’est que la langue des matières
religieuses et des traditions islamiques. Le contexte francophone fait que le français y est
utilisé pour l’enseignement des matières profanes. L’enfant peut avoir en fonction de son
intelligence, prétendre au bilinguisme (français-arabe) et être en mesure de rivaliser avec
les élèves des écoles publiques ou privées laïques. Tel est l’un des objectifs d’un
fondateur d’école privée islamique rénovée qui s’explique en ces termes :
106
Propos de Doubla Avaly secrétaire national à l’éducation et à l’organisation de l’enseignement scolaire
privé islamique, recueillis lors de nos entretiens des 12 et 13 novembre 2008 dans son bureau au
département de chimie inorganique de la faculté des sciences de l’université de Yaoundé I. Lire aussi, pour
complément d’information, Y. Hamadou Bello, ‘‘Cameroun : succès des nouvelles écoles coraniques’’,
Syfia International, (Cameroun), 2002 ; disponible sur le lien internet http://www.infosudbelgique.info/article.php3? Id_article=131 ; consulté le 9 mars 2004.
224
Je veux que mes élèves, dit El Hadj Ibrahim Tchindé discutent d’égal à égal avec
leurs camarades qui fréquentent l’école ‘‘française’’. C’est pourquoi nous appliquons
le programme officiel, avec en plus les traditions islamiques.107
-Les nouvelles écoles privées islamiques et les fondateurs : étude comparée de deux
écoles
Au prix de nouvelles données recueillies essentiellement sur le terrain lors de
nos enquêtes et de quelques actualisations suite à nos observations participantes, nous
avons choisi ici de retenir deux cas d’études qui conduisent à évaluer précisément la
situation actuelle de l’enseignement privé islamique à Douala. Il s’agit du groupe scolaire
privé islamique Ibrahim et de l’école primaire franco-islamique de Bibamba-Bonanloka.
Le Groupe Scolaire Privé Islamique Ibrahim
Situé à New-Town/aéroport, le Groupe Scolaire Privé Islamique Ibrahim ouvre
ses portes en 2002. Il est une initiative d’El Hadj Ibrahim Tchindé. Âgé de 50 ans,
Ibrahim Tchindé est né à Douala, de père Haoussa et de mère Bamiléké (voir
photographie no 5). Il fréquente l’école franco-arabe de New-Bell avant d’obtenir son
Certificat d’Aptitude Professionnel (CAP) en froid et climatisation au Lycée Polyvalent
de Bonabéri en 1979. Après son CAP, il exerce comme cadre à l’ancienne Régie
Nationale des Chemins de Fer du Cameroun (Regifercam) avant de prendre une retraite
anticipée en 2000. Il justifie la création de son école par deux raisons : le constat d’échec
de l’unique école franco-arabe de Douala qui n’arrivait pas toujours à s’adapter au
nouveau contexte et la tendance des écoles missionnaires chrétiennes à vouloir
‘‘christianiser’’ tous les enfants qui y entrent. Pour lui, le problème majeur qui se posait
était l’achat d’une bible que l’on exigeait à tous ses enfants et l’obligation de se rendre au
culte les dimanches : ‘‘La bible et la fréquentation de l’église étaient un peu plus
impératives que les autres fournitures scolaires’’108 affirme-t-il. Cette situation qu’il
comprenait difficilement relevait en réalité de l’ignorance des réalités des institutions
scolaires religieuses chrétiennes. Se rendant compte que ‘‘ quand on entre chez
quelqu’un, on est obligé de manger ce qu’il a préparé’’109, l’idée lui est venue de créer
son école. Il tient cependant à préciser la spécificité de son école par rapport au contexte
107
El Hadj Ibrahim Tchindé, entretien des 4 et 5 octobre 2007 à son bureau, au groupe scolaire privé
islamique Ibrahim de New-Town/Aéroport à Douala.
108
Ibid.
109
Ibid.
225
Photographie no 5
226
dans lequel elle a été fondée et qui en fait une institution de nature un peu différente. Pour
lui, il ne faut pas assimiler son école à une école franco-arabe: ‘‘Franco-arabe et francoislamique ne sont pas similaires et interchangeables : franco –arabe renvoie à l’arabe, or
tout ce qui est arabe n’est pas islam ; franco-islamique renvoie à l’islam tout court’’110.
L’école Primaire Franco-Islamique de Bibamba-Bonanloka
Comme
son
nom
l’indique,
l’école
Primaire
Franco-Islamique
Bibamba/Bonanloka est située au quartier Bonanloka, à côté de la grande mosquée de
New-Town/aéroport I. Elle est l’œuvre de l’Association pour l’Education et le
Développement Islamique (ASEDI). Cette école ouvre ses portes à la rentrée scolaire
2001-2002. Sa direction est assurée par Bilal Balery Sadjo. Né en 1968 à Tcholiré dans la
province du Nord, Balery Sadjo fréquente l’école primaire et le Collège d’Enseignement
Secondaire (CES) de Tcholiré. Après l’obtention de son BEPC en 1988, il est envoyé à
Garoua pour y effectuer le second cycle du secondaire, au collège Lamido Hayatou d’où
il obtient un baccalauréat série D en 1992. Après deux ans en faculté des sciences de
l’Université de Douala, il bénéficie d’une bourse offerte par l’Organisation de la
Conférence Islamique (OCI) au gouvernement camerounais pour une formation en
mécanique au Bangladesh en 1994. Quatre années après, il obtient le Bachelor of Science
in Engineering avant de suivre une formation d’une année en science de l’éducation
sanctionnée par un Post Graduate en enseignement technique.
De retour au Cameroun en 2000, il est recruté en qualité d’enseignant de
mécanique et affecté au lycée Technique d’Edéa, dans la Sanaga Maritime. Il dirige de
façon bénévole l’Ecole Primaire Franco-Islamique de la Bibamba-Bonanloka car
‘‘l’association n’a pas assez de moyen pour me payer’’111.
Le but de l’école selon son directeur, est de ‘‘lutter contre l’analphabétisme
chronique des enfants musulmans en conciliant l’école coranique et l’école
occidentale’’112. Le programme est celui du ministère de l’Education de Base. La seconde
110
Ibid.
Bilal Balery Sadjo, entretiens des 27 et 28 septembre 2007 dans son bureau, à l’Ecole Primaire FrancoIslamique de Bibamba-Bonanloka, à Douala.
112
Ibid.
111
227
langue est l’arabe qu’on ‘‘ utilise pour inculquer l’éducation islamique aux enfants telle
que les parents le souhaitent’’113.
Ibrahim Tchindé et Bilal Sadjo ont suivi une formation islamique de base sur
place au Cameroun. Bilal Balery Sadjo n’a pas poursuivi des études spécifiquement
islamiques à l’extérieur. Il a suivi une formation presque complète à l’école ‘‘française’’
avant d’aller au Bangladesh. L’organisation et les infrastructures à la disposition de ces
écoles ne sont pas sans rencontrer quelques difficultés.
Infrastructures et méthodes d’enseignement
L’appropriation des locaux pour le démarrage des nouvelles écoles n’a pas été
facile pour les fondateurs. Celle de New-Town aéroport a l’avantage de bénéficier d’un
bâtiment en matériaux définitifs. En effet, le bâtiment du Groupe Scolaire Privé
Islamique Ibrahim est un immeuble de deux niveaux. Celui de l’École Franco-Islamique
de Bibamba-Bonanloka est à l’image de la faiblesse financière de son propriétaire (voir
photographie no 6). C’est ainsi qu’il est bâti sur un terrain offert par un musulman
généreux, Ousman Ndelé, un Bamiléké islamisé. Transféré à l’ASEDI, les salles de classe
sont construites en matériaux provisoires grâce à un effort collectif. Sa devise est : ‘‘le
temps de l’idolâtrie est tout à fait terminé’’.
L’organisation de ces écoles varie d’un fondateur à un autre. Comportant des
lacunes au début, elles connaissent une amélioration progressive. Au sein de ces écoles,
le groupe scolaire privé islamique Ibrahim se remarque. Il a un cycle primaire complet et
présente une structuration assez sérieuse. Les effectifs varient entre 250 élèves en 2002 et
654 élèves en 2006. Les programmes de l’enseignement de l’arabe et des traditions
islamiques dans les écoles islamiques de Douala ne sont pas structurés. Ils connaissent
des modifications d’une école à une autre en fonction de la capacité organisationnelle114,
du niveau des enseignants disponibles et des moyens financiers. L’importance de la
langue arabe est due à son usage comme moyen de communication et de compréhension
essentiel de la religion musulmane. Elle garde donc sa place en tant que langue de
culture.
113
114
Ibid.
Voir par exemple le programme des deux écoles en annexes.
228
229
Dans ces deux écoles, l’enseignement de l’arabe et des traditions islamiques va de
la SIL au CM2. Au Groupe Scolaire Privé Islamique Ibrahim, ces cours sont assurés par
deux anciens boursiers camerounais, Cheikh Abdoulaye Youssouf et Cheikh Moukara
qui ont fait des études respectivement en Egypte et au Sénégal. Les documents utilisés
viennent principalement du Nigeria et se présentent sous plusieurs volumes : Language
Text : a new arabic course of Nigeria. Pupils book, Revised Edition. Book 1, 2, 3, 4.115
Le volume horaire varie entre 30 minutes, 45 minutes et une heure selon les
matières et les classes par jour. Les matières dispensées sont les suivantes : Coran,
Dictée, Jurisprudence, Histoire, Grammaire, Lecture (Alphabet), Morale, Ecriture et
Compassion. L’accent est mis sur l’alphabet, la grammaire en vue de la maîtrise
progressive du Coran, de la théologie et de la culture du monde musulman en général. Au
cours moyen, l’enseignant insiste sur les hadiths, la biographie du Prophète et la
littérature à partir des textes religieux choisis par l’enseignant.116 El Hadj Ibrahim
Tchindé justifie ainsi ses choix :
Je veux enseigner un islam qui colle avec nos réalités. C’est pourquoi je ne
voudrais pas que mes maîtres utilisent les livres édités dans le monde arabe. Etre
arabe ne veut pas dire islam. De plus, les traditions arabes ne sont pas nécessairement
des traditions islamiques. C’est pourquoi le terme arabe n’apparaît pas dans la
dénomination de mon école… Il faut intégrer les enfants musulmans dans la société
islamique et dans les autres sociétés. Dans une ville complexe comme Douala, il faut
accepter les autres et vivre son temps.117
Nous avons assisté, en guise d’exemple, à un cours de Coran et de Hadith au
CE2 à l’école privée islamique Ibrahim. Un texte de cinq lignes est écrits au tableau par
l’enseignant. Les élèves doivent recopier le texte dans leurs cahiers. Plusieurs élèves sont
interrogés pour la lecture et pour le cour suivant, il sont censés apprendre par cœur le
texte après que l’enseignant se soit arrêté sur quelques mots pour en améliorer la
compréhension. A la fin de l’année, les élèves sont interrogés sur l’ensemble des textes
vus en classe pendant l’année. L’ensemble des cours dans les autres niveaux se déroulent
115
Entretien du 5 octobre 2007 avec Cheikh Moukara, enseignant d’arabe à l’école privée islamique
Ibrahim de New-Town/Aéroport, à l’école, après son cours en classe de CE2.
116
Ibid.
117
El Hadj Ibrahim Tchindé, entretiens des 4 et 5 octobre 2006 à son bureau, au groupe scolaire privé
Islamique Ibrahim Tchindé à New-Town à l’aéroport.
230
de la même manière, à la SIL, au CP et au CE1. Au niveau moyen (CM1 et CM2), la
technique pédagogique change. Le texte en arabe n’est pas écrit au tableau. L’enseignant
le lit une première fois, à une vitesse modérée afin que les élèves puissent l’inscrire sur
les cahiers. A la fin du cours, il le lit une nouvelle fois à vitesse normale. Quand un
problème de prononciation se pose, l’enseignant écrit le terme au tableau. Au cours d’une
deuxième séance, il explique le texte.118
A l’école Primaire Franco-Islamique de Bibamba-Bonanloka, les cours d’arabe
et des traditions islamiques sont assurés par deux maîtres formés sur place au Cameroun.
Les cours sont repartis en trois niveaux : le premier niveau correspond à la SIL et au CP ;
le second niveau correspond au CE1 et au CE2 et le troisième niveau qui correspond au
CM1 et au CM2. Les livres utilisés sont les suivants : Al Ouloumoul-Arabyat119, Al
Ouloumoul Achchara-iyat120. Tous les deux livres sont édités par l’Institut Des
Connaissances Préparatoires et Développement des Programmes situé à Médine en
Arabie Saoudite, édition 1424-1425 de l’année hégirienne qui équivaut à 2003-2004 de
l’année grégorienne.
Malam Mbouombou Soulé est l’un des deux maîtres d’arabe et des traditions
islamiques de l’Ecole Primaire Franco-Islamique de Bibamba-Bonanloka. Voici sa
biographie telle qu’il nous l’a donnée en septembre 2006. De six à dix ans, il fréquente
l’école coranique traditionnelle à Bafoussam auprès de Cheikh Mohamed Nouridine,
imam de la mosquée bamun de Bafoussam. Après l’obtention d’un certificat de fin
d’étude coranique, il part à Foumban où il obtient respectivement son CEPE mention
arabe en 1982 à l’école franco-arabe de Foumban et son CAP en 1986 au CETIC de la
même ville.
En 1987, il dépose ses valises à Douala, à la recherche du travail. C’est ici qu’il
adhère à la Jeunesse Islamique du Cameroun (JIC), branche de Douala. Grâce à l’appui
de la JIC, il reçoit dès 1996 une formation complémentaire en arabe au Centre de
Formation aux Etudes Islamiques Al Axa de Douala. Ce recyclage est sanctionné par un
118
Observation participante en classe de CE2 et CM2 de l’école privée islamique Ibrahim, les 8 et 9 octobre
2006.
119
Connaissance de la langue arabe (la traduction est du maître).
120
Connaissance des lois islamiques (la traduction est du maître).
231
diplôme de fin d’étude du premier cycle du secondaire en arabe (Achcha Hadatou AlIdadiyat) équivalent du BEPC des francophones. Il enseigne l’arabe et les traditions
islamiques depuis 2002.
Selon malam Mbouombouo Soulé, l’objectif global du programme est de former
des enfants musulmans avec la conscience de la foi, de la purification, de la fraternité, des
prières rituelles, de quelques notions de lecture du Coran, notamment la troisième partie
appelée Jouz-Ou Amma et quelques notions de jurisprudence islamique : moral, bon
comportement, etc121.
Aux CM1 et CM2, il résume la leçon au tableau et donne oralement des
explications. A l’examen, il peut proposer un sujet qui consiste à donner des éléments de
la vie du Prophète ou d’un de ses compagnons.122
Comme on peut le constater, les méthodes pédagogiques utilisées dans les deux
écoles visitées insistent davantage sur la capacité de mémorisation de l’élève que sur son
aptitude à la compréhension. L’apprentissage du Coran et des Hadiths se fait uniquement
par la mémorisation :
De la SIL au CE2, il est demandé aux élèves un effort de mémorisation des textes
appris pendant l’année ; la partie explication et compréhension ne prend que peu de place
dans l’enseignement. Aux CM1 et CM2, bien qu’un effort de réflexion leur soit demandé
à l’examen en fin d’année, la lecture et la dictée des textes demeurent essentielles au
cours de l’année d’enseignement.123
L’organisation administrative et les cours de ces deux établissements islamiques
prêtent aussi le flanc à la critique. Les deux écoles comportent un cycle primaire complet,
avec une classe par niveau d’étude. Les enseignants de Bibamba sont pris en charge par
la communauté musulmane locale de Bonanloka. La remarque qui s’impose pour cette
école est qu’elle véhicule selon Mala Mboumbouo ‘‘uniquement de bons principes en
matière de dogme musulman’’124.
121
Malam Mboumbouo Soulé, entretiens des 27 et 28 septembre 2006 à l’Ecole Franco-Islamique de BibambaBonanloka à Douala après le cours.
122
Ibid.
123
124
Entretien avec Cheikh Moukara enseignant d’arabe à l’école privée islamique Ibrahim, le 9 octobre 2006.
Malam Mboumbouo Soulé, entretien du 28 septembre 2006 à l’Ecole Franco-Islamique de BibambaBonanloka à Douala après le cours.
232
Ceux de New-Town aéroport sont pris en charge par le fondateur. Sa bonne
organisation lui vaut la sympathie de nombreux musulmans et de l’Egypte qui lui propose
de l’aide en personnel enseignant et en documents.125
Le niveau des enseignants titulaires c’est-à-dire ceux qui enseignent les matières
profanes varie aussi d’une école à l’autre. Tandis que le directeur du groupe scolaire
privé islamique Ibrahim exige presque toujours des enseignants ayant au moins le BEPC
et musulmans dans la mesure du possible et une formation pédagogique dans une école
professionnelle, celui de l’école franco-islamique de Bibamba se contente d’éducateurs
de toute confession titulaire du BEPC, du Probatoire ou du Bac.
L’école de New-Town est selon son directeur, la seule à offrir à ses enseignants
des salaires un peu élevés dans le contexte camerounais : 55.000 à 60.000 francs CFA.
Les enseignants sont également inscrits à la Caisse Nationale de Prévoyance sociale
(CNPS) ; les retraites sont alors assurées pour ceux qui y resteront jusqu’à la fin de leur
carrière126. Cet effort fourni pour la satisfaction des enseignants est possible non
seulement grâce aux frais de scolarité, mais aussi à une caisse de parents d’élèves
alimentée par les cotisations.
L’école de Bibamba se contente d’une rémunération faible. Et lorsqu’on les
interroge, ils accusent soit le faible taux, soit l’irrégularité des élèves dans le payement
des frais de scolarité. La grille salariale est la suivante :
-
niveau BEPC 25 000 francs Cfa ;
-
niveau Probatoire 35 000 francs Cfa ;
-
niveau Bac 40 000 francs Cfa127.
Cette grille salariale ne comporte aucune sécurité sociale. Dans la pratique, le
recrutement du personnel enseignant par la communauté musulmane de Bonanloka
s’effectue par contrat verbal : le futur enseignant ne signe aucun document.
125
El Hadj Ibrahim Tchindé, entretien du 5 octobre 2007 dans son bureau. Au cours de cet entretien, il a affirmé
qu’il était opposé à cette proposition, estimant que la coopération égyptienne avait échoué à l’école franco-arabe
de Douala. De plus, pour lui, les enseignants arabes originaires d’Egypte qui venaient au Cameroun étaient le
plus souvent les militaires retraités et non des pédagogues.
126
Puisqu’il emploie des enseignants formés dans des écoles professionnelles, certains sont souvent recrutés
comme contractuels par le ministère de l’Enseignement de Base qui offre des plans de carrières plus
alléchants.
127
Entretien avec le directeur de cette école le 5 octobre 2007 dans son bureau.
233
Cette injustice sociale entretenue au mépris des réglementations étatiques est
paradoxale ; car il s’agit bien d’un groupe de population qui se dit musulman. Et pourtant
les dogmes musulmans n’acceptent pas ces pratiques indignes d’un croyant convaincu.
Le Coran prône bien la justice, la solidarité, le respect d’autrui, etc. pour les adhérents de
l’islam.
Dans cette situation la rémunération des enseignants, la qualité des cours
comporte encore des défaillances en ce qui concerne cette école. Autrement dit, ce
manque de moyens ne peut exister sans porter préjudice à la formation des enfants,
malgré la volonté et la détermination des enseignants.
Dans tous les cas, la conviction personnelle, l’amour du métier d’enseignant
existent autant chez ces maîtres des matières profanes que chez les ‘‘maîtres d’arabe’’
comme on les appelle dans ces écoles.
En définitive, on peut affirmer que c’est l’empirisme, l’absence de coordination
au niveau des programmes d’études arabes et des traditions islamiques dans ces deux
écoles privées islamiques de Douala. Aucune harmonie ne peut se constater quant à
l’usage des documents et des matières enseignées. Un accent particulier devrait être mis
sur l’harmonisation des programmes d’enseignement de l’arabe et des traditions
islamiques dans ces écoles.128 C’est dire aussi qu’avec une telle situation, la formation
varie qualitativement selon la crédibilité de l’école.
Formation
A l’intérieur, l’évolution des classes par niveaux d’étude est possible selon la
disponibilité des locaux et la compétence des enseignants suivant les écoles. On peut dire
que celle de New-Town aéroport, à son ouverture en 2000, ne comportait que deux salles
de classe pour la maternelle. Ces salles sont passées à trois en 2003 puis neuf en 2006.
On y rencontre les cycles suivants :
128
-
Maternelle : première section ; deuxième section et troisième section ;
-
Primaire : SIL, CP, CE1, CE2, CM1 et CM2.
Lors de notre entretien du 12 novembre 2008, monsieur Doubla Avaly nous avait dit que l’OESPI
envisageait l’organisation des séminaires d’harmonisation des programmes d’arabe et des matières
islamiques au cours de l’année scolaire 2008-2009.
234
A la fin de l’année scolaire 2005 – 2006, l’école avait présenté 23 candidats au
129
CEP
pour 20 reçus et 15 au concours d’entrée en sixième pour 8 reçus.130
L’école islamique de la Bibamba se limitait aux cours du soir jusqu’en 2001, date
de son ouverture en cours du jour. Elle comportait alors les classes de la SIL, du CP, du
CE1, du CE2 et du CM1. Les classes du CM2 et de la maternelle seront ouvertes en 2002.
A la maternelle, les élèves, toutes promotions confondues, sont groupés dans une seule
salle ; les rangées servant à distinguer le niveau d’étude. Son registre présente les
statistiques suivantes :
Tableau no XI: Performances académiques de L’École Franco-Islamique de BibambaBonanloka lors des examens officiels de 2001 à 2006.
Année
scolaire
Nombre
Nature de L’examen
Candidats
Admis
d’élèves
%
d’admis
2001-2002
94
/
/
/
/
2002-2003
160
CEP
29
24
85
Entrée en 6e/ 1ère
Année
10
CEP
42
Entrée en 6e/ 1ère
Année
18
CEP
36
Entrée en 6e/ 1ère
Année
16
CEP
45
2003-2004
2004-2005
2005-2006
250
270
310
e
ère
Entrée en 6 / 1
Année
15
31
36
87
25
28
78
15
45
41
15
Source : Registre des lauréats de l’École Primaire Franco-Islamique de Bibamba de
2001 à 2006.
129
Le Certificat d’Etudes Primaires (CEP) remplace le CEPE en 1995.
Statistiques délivrées par El Hadj Ibrahim Tchindé au cours de notre entretien du 5 octobre 2007 dans
son bureau.
130
235
A la lumière de ce tableau, force nous est d’apprécier les effectifs scolaires de
cette école et ses performances aux concours et au CEP. Le nombre d’élèves au CM2 ne
correspond pas au nombre de candidats présentés par l’école aux examens officiels
notamment les concours. Plusieurs raisons expliquent cette situation131 :
-
dans les écoles primaires, seuls les élèves qui n’ont pas dépassé l’âge requis
peuvent se présenter au concours d’entrée en sixième dans les collèges publiques (CES et
Lycées) ; et / ou à celui du collège d’enseignement technique industrielle et commerciale
(CETIC). Les âges sont respectivement de 14 et 15 ans ;
-
certains directeurs de CES et CETIC exigent depuis quelques années le CEP
au moment de l’admission définitive au collège de l’enseignement public. Dans ces
conditions, une partie des élèves ne peuvent obtenir une inscription que dans les collèges
privées laïcs ;
-
les épreuves pour le concours d’entrée en 6e et en 1ere année des collèges
techniques ne comportent pas d’épreuves arabes, ce qui ne manque pas de handicaper les
élèves issus des écoles islamiques.
Au total, l’écart entre les effectifs au CM2 et le nombre des candidats présentés
aux examens s’explique par le fait que les élèves du CM2 ne préparent pas les mêmes
examens et les mêmes concours. De plus, certains parents inscrivent leurs enfants plutôt
au diplôme de CEP français132. Cette stratégie leur permet par la suite de poursuivre leur
scolarité dans le secondaire du public ou du privé laïc.
Le fonctionnement de cette école de communauté, différent de celui de l’école
privée de New-Town, est basé sur les frais de scolarité. Pour l’année scolaire 2005-2006,
les frais de scolarité étaient repartis comme suit :
131
Ces explications sont inspirées par l’article de H. Adama., ‘‘L’école franco-arabe camerounaise : bilan
et perspectives’’, pp.89-136.
132
Le diplôme de CEP français ou anglais, contrairement au CEP d’arabe est un diplôme national, quelque
soit l’école dans laquelle on l’a obtenu.
236
Tableau no XII: Frais de scolarité à l’Ecole Primaire Franco-Islamique de BibambaBonanloka
Division
Inscription
1ere Tranche
2e tranche
Total
Maternelle
10.000 Fcfa
12.000 Fcfa
8.000 Fcfa
30.000 Fcfa
Primaire
1.500 Fcfa
12.000 Fcfa
5.500 Fcfa
19.000 Fcfa
1.500 Fcfa
12.000 Fcfa
4.500 Fcfa
20.000 Fcfa
SIL/CM1
Primaire
CM2
Source : Prospectus de l’Ecole Primaire Franco-Islamique de Bibamba- Bonanloka,
année scolaire 2005-2006.
Au Groupe Scolaire Privé Islamique Ibrahim, il fallait compter 40.000 francs
CFA de frais de scolarité pour la maternelle et 22.000 francs CFA pour le primaire, tout
niveau d’étude confondu.133
Le modèle de la tenue de classe est le même dans les deux établissements mais
diffère selon le sexe : un pantalon et un long boubou de couleur vert citron pour les
garçons et un pantalon et une robe de couleur vert citron et un foulard blanc pour les
filles. Les deux écoles ouvrent leurs portes tous les matins de lundi à jeudi à 7h et les
referment à 15h30 minutes de la SIL au CM2 et de 7h à 13h pour les enfants de la
maternelle. Le vendredi, ces écoles ouvrent leurs portes à 7h et les referment à 12h pour
tout le monde. Les heures de pause sont les mêmes : de 9h 30 minutes à 10h et de 12h à
12h 30 minutes pour la maternelle ; de 10h à 10h 30 minutes et de 12h 30 minutes à 13h
pour le primaire. Dans les deux écoles, filles et garçons fréquentent les mêmes classes,
contrairement à la tradition islamique qui voudrait que les filles et les garçons soient
séparés. Enfin, elles recrutent leurs élèves dès la maternelle.
133
Fiche de renseignements adressée aux parents d’élèves par la direction de l’école pour la rentrée scolaire
2005/2006.
237
Au vue de cette comparaison, on peut dire enfin que le niveau de
l’enseignement est plus bas au groupe scolaire franco-islamique de Bibamba-Bonanloka
que dans celui d’El Hadj Ibrahim Tchindé. L’exploitation des enseignants se fait aussi
beaucoup ressentir au groupe scolaire de Bibamba. Tous ces maux s’expliquent par un
manque de contrôle administratif de ces établissements confessionnels par la
communauté musulmane.
Un tour d’horizon des programmes permet de constater des différences. Ce
manque d’harmonie peut se remarquer aussi bien au niveau des matières religieuses
enseignées qu’à celui des documents utilisés. C’est ainsi qu’à Douala, la formation est
plus consistante dans l’école privée islamique bien organisée de New-Town aéroport que
dans celle de Bibamba.
Dans tous les cas, l’Etat s’est montré libéral en matière d’ouverture de nouvelles
écoles islamiques. Même si une petite fraction de l’opinion musulmane reste réticente à
ce genre d’initiative ‘‘ moderniste’’; refusant de se satisfaire d’un enseignement du Coran
dans ces écoles privées islamiques en supplément des cours normaux. L’intérêt de l’Etat
n’est pas en la matière simplement matériel, les écoles privées islamiques participant au
même titre que les écoles privées laïques et chrétiennes à la limitation de la surcharge des
effectifs des écoles publiques.
Il est aussi à plus long terme et se situe dans la perspective de la stabilité sociale
et politique. Si la reconnaissance de l’école franco-arabe avait pour contrepartie un droit
de regard de l’Etat sur les programmes et sur le personnel enseignant, celles des écoles
privées islamiques sans nécessairement imposer ses hommes, il a les moyens de pression
(fermeture administrative) pour faire écarter des promoteurs indélicats.134
La scolarité dispensée par les nouvelles écoles privées islamiques est perceptible
dans la société musulmane de Douala et au cours des années à venir, le mouvement va
prendre des proportions.135 Chaque école conserve d’une manière ou d’une autre les traits
caractéristiques, selon l’itinéraire de son fondateur. Mais le plus gros problème se
134
Voir Décret No 90/1461 du 09 novembre 1990 : création, ouverture et fonctionnement des
établissements privés.
135
Voir dans le même sens G. Etienne, ‘‘Les medersas : un élément de mutation des sociétés ouestafricaines’’, Politique étrangère, 62 :4, pp.613-627.
238
poserait au sortir de ces écoles primaires dans la mesure où il n’existe pas encore dans la
ville de Douala de collège secondaire islamique, suite logique de la formation primaire.
La mise en place d’un institut de ce genre constituerait sans nul doute une œuvre salutaire
surtout que les élèves musulmans s’inscrivent avec beaucoup de difficultés dans les
collèges protestants et catholiques de Douala qui sont, et de loin, les plus performants. De
fait, La prédominance des collèges privés confessionnels (chrétiens et protestants) pose
des problèmes à la communauté musulmane. Elles n’acceptent que très rarement les
enfants qui ne feraient pas la religion d’après les règlements intérieurs régissant leurs
fonctionnements. Certains musulmans de leur côté ne peuvent pas confier leurs
progénitures à des établissements dont la mission essentielle est de produire des
chrétiens. Cet état de choses est une source de confrontation et de compromis permanent
entre musulmans et chrétiens à Douala. Il est par exemple courant que des élèves
musulmans soient exclus ou menacés d’exclusion dans des collèges chrétiens pour ‘‘refus
d’acheter la Bible et d’assister au culte’’136.
A Douala, pour apprendre la langue de culture islamique qu’est l’arabe, les
enfants ont d’autres choix que les écoles coraniques traditionnelles et l’école francoarabe. D’autres voies s’ouvrent à eux : les nouvelles écoles privées islamiques. Cette voie
essaie de garder sa position, s’adapte aux grandes mutations et à la société musulmane.
L’accent est mis sur la formation des enfants musulmans ayant dans le cœur toutes les
vertus islamiques, et dans l’esprit la science commune indispensable à l’éducation
religieuse de la société. En somme, les nouvelles écoles telles qu’elles sont, semblent
répondre aux besoins éducatifs les plus généraux de la communauté musulmane.
C-3 Bilan provisoire
A travers la comparaison de ces deux écoles, nous voyons en quoi les musulmans
doualais ont un attachement pour leur identité musulmane et nous comprenons pour
quelles raisons un rôle central est donné à l’apprentissage de la langue arabe et aux
136
Le Bimensuel El Qiblah, no 14 du 25 octobre 2000, p. 8 et l’hebdomadaire Aurore Plus, no 531, 2002,
p.10 rapportent le cas des élèves musulmans du collège Evangélique de New-Bell/Douala exclus pour
refus d’acheter la Bible et d’assister au culte. Voir aussi le dossier y relatif en annexe no 7.
239
préceptes fondamentaux de l’islam, sans que soit négligée la langue française ou anglaise
dans les écoles primaires.
De plus, quelque soit sa forme, le savoir islamique dispensé dans ces structures
contribue à la formation du caractère par la connaissance des valeurs de la société. Il
permet au moins de lire le Coran et assure aussi la formation intellectuelle et religieuse de
la population musulmane. On y apprend la langue arabe, verbalement ou par écrit et
acquière des pratiques et règles de l’islam : prières, ablutions, jeûne, aumône, etc., pour
les plus jeunes. Ainsi, grâce aux efforts ces écoles confessionnelles, les valeurs morales,
religieuses et sociales, bref les valeurs positives ou supposées telles sont transmises aux
jeunes. Et cette démarche constitue une garantie de la foi et de la morale islamique des
communautés musulmanes, gage d’une bonne pratique cultuelle.
La réflexion sur les données collectées, dans le cadre des écoles d’enseignement
islamique à Douala incline ainsi à tirer un certain nombre de conclusions. Si on tentait de
faire un bilan provisoire, force serait de constater que :
- l’impact de l’action de la communauté musulmane dans son entièreté sur le
développement de l’éducation est de plus en plus considérable à Douala. Ces œuvres
scolaires permettent à la communauté musulmane de se constituer de plus en plus une
assise importante. Toute la communauté affirme la nécessité de la scolarisation dans la
mesure où il s’agit d’un instrument de leur propagande. Ces initiatives dérivent de la
méfiance que les musulmans ont à l’égard de l’école moderne ‘‘française’’. Comme les
autres confessions, les musulmans veulent une institution capable de dispenser à la fois
l’enseignement officiel et les matières de la foi islamique ;
-Financement : Comme les autres ordres d’enseignement confessionnel (catholique
et protestant), les écoles islamiques ne sont pas gratuites. Leurs ressources financières
proviennent des frais de scolarité qu’assument les parents et les subventions octroyées par
l’Etat. S’il ya bien un problème qui oppose l’autorité administrative aux forces
religieuses, c’est bien celui du financement et des subventions accordées aux institutions
privées d’enseignement ;
-La place de la religion : La raison d’être de ces écoles est l’évangélisation. Et
comme tel l’enseignement est dispensé sur deux registres : le respect des programmes
officiels et l’inclusion dans les tranches horaires des matières islamo- arabes. Ces écoles
240
confessionnelles ont donc pour vocation d’assurer une éducation musulmane. Cette
exigence pastorale implique une référence constante à la doctrine de Mahomet.
Enfin, on note le développement des écoles confessionnelles musulmanes. Ce
développement tient à des raisons d’ordre pastoral, historique, politique et économique.
De la fresque dégagée, on observe que l’œuvre d’éducation, hier et aujourd’hui, est
fonction du contexte et du pouvoir financier. Indubitablement, la présence des privés dans
le champ de l’éducation islamique à Douala a abouti à une dynamique de l’offre de
scolarisation. De la vitalité de cette initiative dépendra leur sollicitation par les parents.
Par un cadre juridique bien défini où l’Etat, l’ordre privé islamique et les fondateurs
collaboreraient en matière d’éducation comme des partenaires, dépendront leurs
performances scolaires à venir.
Au total, que retenir de ce chapitre ? A l’échelle locale de Douala, en observant
les différentes aspirations des centres culturels, des associations, des nouvelles écoles,
etc. on constate qu’une nouvelle demande religieuse et sociale s’est exprimée parmi les
musulmans notamment à partir de 1990 et encore davantage au début des années 2000.
Aux plans
social et religieux, plusieurs faits dominent cette nouvelle dynamique
islamique à Douala. Nous avons retenu, à titre illustratif, l’émergence des centres
culturels, des associations à caractères islamiques et des écoles privées islamiques. C’est
avec ces créations que les manifestations du dynamisme islamique se révèlent le mieux à
Douala, du moins dans leur volonté progressive d’être au centre des préoccupations de
leur peuple respectif et d’une jeunesse laissée à elle même et généralement confrontée
aux échecs scolaires. Et, fort de cette effervescence, les responsables des associations
islamiques prennent la parole avec plus d’audace, se font les chantres de la moralisation
de la société. Certains s’attellent comme nous avons vu au projet de construction des
écoles privées islamiques. Ils tentent ainsi d’être incontournables tant sur le front social
que religieux. De ce qui précède, il va sans dire qu’on peut maintenant se demander
comment une telle effervescence est-elle ressentie au sein de la communauté musulmane
de Douala. Autrement dit quels sont ses enjeux et ses contradictions?
241
SIXIEME CHAPITRE
ENJEUX ET CONTRADICTIONS DE L’AFFIRMATION/DYNAMIQUE ISLAMIQUE A DOUALA
ECLATEMENT RELIGIEUX, MOBILISATION ISLAMIQUE ET MARCHANDISATION DU
RELIGIEUX
:
Parallèlement à la dynamique islamique qui nait au cours des années 1990, le
précaire équilibre qui existait au sein de la communauté musulmane doualaise allait
éclater au cours de la même décennie et encore davantage au début des années 2000. La
puissance de la communauté musulmane de la ville et son apparente cohésion seront
ainsi influencées par des tensions internes, sous fond de renforcement du courant
rigoriste et de rivalités ethniques. De nouveaux courants islamiques devaient aussi voir le
jour et contribuer à leur tour à la complexification du paysage islamique de Douala,
entraînant parfois de véritables scissions au sein de la communauté musulmane. Là où les
réformistes et les traditionnalistes s’affrontaient uniquement sur le terrain religieux et
‘‘cohabitaient’’ sous l’effet conjugué de la prépondérance des traditionalistes et de la
surveillance serrée de l’administration, des tensions parfois violentes apparaissent
notamment entre les sunnites (Tidjaniste et Wahhabites) et les chiites, derniers arrivés. A
l’échelle de la ville, toutes obédiences confondues, l’argent afflue, parfois en provenance
des pays arabes, destiné au financement des activités islamiques, à la réfection des
mosquées ou à en mettre en place de nouvelles, à l’architecture imposante.
Il s’agit dans ce chapitre d’étudier les différentes tendances qui participent à
l’effervescence islamique à Douala ; de voir comment cette effervescence islamique est
ressentie au sein de la communauté musulmane doualaise et quelle signification on peut
donner aux différents aspects de la manifestation de cette effervescence dès lors qu’ils
investissent l’espace social doualais. Pouvons-nous alors considérer que l’effervescence
islamique ouvre la voie à un islam éclaté, à une conception de l’islam plus contestataire,
novatrice et mobilisatrice ?
242
A- L’islam sous tension à Douala : éclatement de la communauté et remise en cause
religieuse
A-1 Divergences idéologiques et entrée en scène de nouveaux acteurs : les Tabligh et
les chiites
A Douala, on rencontrait, jusqu’au début des années 1990, essentiellement deux
confréries: la Tidjaniya qui est la confrérie la plus grande, la plus répandue et la plus
ancrée dans la communauté musulmane et la Wahhabiya, introduite à Douala surtout au
cours de la décennie 1970. En dehors de ces deux confréries qui font partie de l’islam
sunnite, il faut aussi noter la présence depuis le milieu des années 1990 du chiisme et du
Tabligh. Qu’est ce que ces nouvelles tendances et que représentent-elles à Douala : des
groupuscules minoritaires ? Ou des mouvements répandus ? Il convient de préciser que la
présence de ces deux courants s’est faite sous fond de nouvelles conversions des jeunes à
un islam de plus en plus rigoriste, toutes tendances confondues. Il s’agit ici de montrer
que de façon diffuse, l’ensemble de ces divergences idéologiques expliquent en partie la
fragmentation de la communauté.
Le courant rigoriste : de plus en plus répandu
Le courant rigoriste islamique, fait de plus en plus d’adeptes à Douala. La
cohabitation avec les autres musulmans n’est pas facile.1 On se souvient que cette
incompréhension a été à l’origine des tiraillements entre fidèles lorsque les
‘‘réformateurs’’ et les ‘‘traditionalistes’’ partageaient encore à Douala les mêmes
mosquées au cours des années 1980. Depuis les années 1990, d’autres intérêts expliquent
cette tension :
Le conflit entre les nouveaux Wahhabites (sic) et Tidjanistes est un problème de
positionnement. Les intégristes (sic) nouvellement arrivés veulent maintenant prendre le
devant de la scène afin de bénéficier de plus en plus des dons de l’Arabie Saoudite.2
On sait par ailleurs que l’Arabie Saoudite fournit une assistance financière, matérielle et
pédagogique à un grand nombre d’écoles franco-arabes et aux mosquées au Cameroun. Il
1
‘‘Querelles entre les musulmans à Douala’’, lien internet http://www.cameroon-info.net/cmi_show_news.
php? id=962, consulté le 20 septembre 2000.
2
Explication donnée par Malam Ouba, un des imams de la mosquée haoussa de New-Bell le 24 janvier
2004
243
convient aussi de souligner l’apport significatif de certaines ONG ou des personnes
physiques du Proche et du Moyen Orients qui financent la construction d’écoles et des
mosquées au Cameroun.3 Sur cette base, de nombreux jeunes se convertissent à l’islam
de tendance rigoriste.
Au cours de nos enquêtes de terrains, nous avons rencontré trois jeunes,
nouvellement islamisés. Hervé, Richard et Martial ont tronqué leurs prénoms de
naissance contre des prénoms musulmans. Ils sont désormais Abdoulaye, Abdourazak et
Mohammet. Autrefois friands de jeans et de tee-shirts, ils abhorrent désormais des
saillons qui couvrent l’ensemble du corps jusqu’aux chevilles. Leurs joues soigneusement
rasée par le passé portent une barbe bien entretenue. Déterminé à respecter les
commandements du Coran, ils ont cessé de manger ouvertement la viande de porc et de
consommer de la bière en public. Des interdits qu’ils disent violer quelques fois, une fois
en aparté.4
De nombreux chrétiens ou non quittent de plus en plus leur religion d’origine pour
intégrer l’islam. ‘‘Plusieurs sont guidés par la foi. Certains intègrent l’islam plus ou
moins par conviction. D’autres entrent plutôt par stratégie, pour faire leur affaires’’5.
Abdourazak qui achète les marchandises à Dubaï pour les revendre à Douala confirme ce
point de vue. ‘‘Pour bien faire le marché avec eux (les musulmans), il faut être
musulman. Ils font beaucoup confiance à leurs frères et il faut passer par la religion pour
maintenir le contact’’6.
De nouveaux islamisés se sont ainsi présentés et baptisés de prénoms islamiques
tous les vendredis dans les différentes mosquées de Douala avant le début du prêche. Il
reste pourtant difficile d’en estimer le nombre total ainsi enregistré tous les vendredis.
Cependant, Julia Ako, islamisée et baptisée Zeinabou depuis son union avec un
musulman pense que ‘‘des personnes non issues des familles musulmanes qui choisissent
3
M. Nieves San, ‘‘Growing Concern in Cameroon Over Wahhabite Muslim’’, Zenit, March 19, 2004,
disponible sur le lien internet http://www.jihadwatch.org/archives/025324.php; consulté le 2 avril 2004.
4
Résumé de notre entretien avec Abdoulaye, Abdourazak et Mohammed le 23 janvier 2004, devant la
mosquée de Bonamoussadi
5
Affirmation d’El Hadj Moctar Aboubakar Oumar, doyen des imams de Douala, imam de la mosquée
centrale de New-Bell (principale mosquée bamun de Douala) et président de l’UIC, à New-Bell/bamun le
25 janvier 2004 à son domicile à New-Bell.
6
Abdourazak, entretien du 23 janvier 2004, devant la mosquée d’Akwa.
244
de s’islamiser sont d’ailleurs très sincères et suivent parfois mieux les consignes du
Coran. Ils deviennent de très bons musulmans’’7.
En effet, de nombreux islamisés gardent la barbe et s’efforcent d’être identifiés à
première vue comme musulmans. Ils se couvrent généralement la tête d’une chéchia,
s’habillent en saillons et chaussent des babouches.8 Les arguments avancés par certains
islamisés comportent un certain degré de pertinence. Pour l’essentiel, ces derniers
affirment, à travers un échantillon des réponses obtenues, que l’islam est une religion de
partage et soulignent sa particularité : ‘‘les musulmans sont tous frères, sont généreux et
partagent tout avec les autres. Ce qui est loin d’être le cas chez les chrétiens’’. Cette
position est soutenue par Gustave Ngossie, ancien protestant, islamisé depuis 15 ans et
baptisé Mohammed. Il s’exprime en arabe, sillonne les associations pour des prédications
et vend des compacts disques, des vêtements pour musulmans, des Coran et livres
islamiques. Tout islamisé est ainsi le bienvenu parmi les musulmans et s’intègre
facilement car ‘‘Le Coran dit que tout le monde naît musulman. Il n’y a donc pas de
nouveaux venus parmi nous’’9.
La communauté musulmane multiplie des actions pour séduire davantage de
fidèles et faciliter leur intégration. Le Coran déjà commercialisé en français et en anglais
a été ainsi traduit en bassa’ a, une des principales langues locales, pour satisfaire les
attentes des nouveaux venus. Les prêches dans les mosquées et lieux de prière se font
aussi bien en arabe qu’en français et en anglais, les deux langues officielles du pays.
L’une des particularités de l’islam est cette obligation de mettre immédiatement
sous terre tout musulman décédé et cela sans cercueil. ‘‘Cela évite au mort le châtiment
de la conservation dans les morgues, le transport jusque dans le village d’origine du
défunt, des cérémonies inutiles qui occasionnent de grosses dépenses pour la famille
comme c’est le cas chez les chrétiens’’10. Cette différence autant que la non soumission
aux coutumes locales sont avancées par plusieurs islamisés pour justifier leur choix en
faveur de l’islam de tendance rigoriste. En effet, la plupart des nombreuses ethnies du
7
Zeinabou, entretien du 26 janvier 2004 devant la mosquée de Bonamoussadi.
Voir ‘‘Cameroun: les intégristes musulmans font des adeptes’’, disponible sur le lien internet
http//www.syfia.info/index.php5?view=articles et action=voir et id article=2954, consulté le 21 janvier
2003.
9
Entretien avec Razzack, musulman depuis la naissance, le 23 janvier 2004 devant la mosquée d’Akwa.
10
Affirmation de Mohammed, pour relever quelques qualités de l’islam lors de notre entretien du 26 janvier
2004 au marché plantain, à New-Bell/nouveau terrain
8
245
Cameroun vouent un culte aux morts. Des funérailles qui donnent droit à des grandes
réjouissances populaires sont organisées après le décès d’un proche. Des obligations
auxquelles se soumettent même les chrétiens mais pas les musulmans : ‘‘je ne suis plus
concerné par tout ce folklore. Le jour où je mourrai, mes frères musulmans vont
m’enterrer immédiatement et tout sera fini. Pas question de me transporter dans mon
village natal pour organiser un quelconque rite funéraire’’11.
L’islam aurai également un côté mystique qui peut combler le pratiquant de
nombreux bienfaits à la suite des prières : ‘‘il faut être très pieux, bon pratiquant pour
bénéficier des récompenses, des bienfaits que Dieu procure’’12.
Ainsi, intéressés par toutes sortes d’arguments qu’offrirait l’islam à ses fidèles, de
nombreuses personnes se sont converties à l’islam à Douala. Cet essor récent de l’islam
est indéniable. Le taux de personnes qui deviennent musulmanes ‘‘dans cette tendance
qui exalte l’islam est plus élevée chaque année’’13. Mais de nouvelles tendances ou
idéologies expliquent aussi la diversité du paysage islamique et l’adhésion à l’islam à
Douala.
-De nouvelles tendances islamiques: Les Chiites et les Tabligh
Les Chiites
L’islam chiite se localise essentiellement au Proche Orient, avec des foyers
importants en Iran et en Irak. C’est avec la révolution iranienne de 1979 que l’islam chiite
commence à faire véritablement parler de lui dans les mass médias du monde14. La
deuxième guerre d’Irak en 2003 est venue replacer cet islam au devant de l’actualité
internationale. Selon Cheik Hassan Nsangou,
Le renversement de Saddam Hussein, l’ancien président irakien, aura permis à bon
nombre de personnes, à travers le monde, de découvrir qu’il existe en fait deux grandes
communautés musulmanes dans le monde, à savoir : les Sunnites et les Chiites.15
11
Gabriel Dossi, islamisé depuis 10 ans, entretien du 26 janvier 2004 au marché Congo.
El Hadj Moussa Ladan, imam principal de la mosquée de Douala-Bassa. Voir le lien internet http://
www.cameroon-online.com/actualité, actu-6270.html-37k, consulté le 25 septembre 2005.
13
Lire entre autres, la revue catholique Esprit et Vie, no 54, mai 2006, 2e quinzaine, pp.8-12, T. Takou,
‘‘Compte rendu d’ouvrage Seeti Kwami Sidza et Komi Dzinyefa Adrake, Islam et Christianisme en
Afrique, Yaoundé, Edition Clé ,143 pages’’, Terroirs, Revue Africaine de Sciences Sociales et de
Philosophie, n°1/2, 1007, pp.302 - 305.
14
Voir J.P. Ngoupande, L’Afrique face à l’islam, Paris, Albin Michel, 2003.
15
Cheikh Hassan Nsangou, entretien du 20 Avril 2005 à la mosquée chiite de New-Bell/ dispensaire.
12
246
L’islam chiite se caractérise par un certain nombre de pratiques et
d’enseignements qui le distingue de l’islam sunnite qui se veut orthodoxe. En effet, le
terme ‘‘chî ‘a’’ ou schisme indique des circonstances imprévues et spécifiques, le ‘‘parti
pris’’ et le sectarisme par un groupe déterminé. Il s’oppose au terme ‘‘sunnah’’, indiquant
une ligne de conduite constante parmi les musulmans et signifiant ‘‘l’observance de la
voie du Prophète’’16. Il désigne aussi la doctrine des musulmans qui considèrent que la
succession d’Abu Bakr, d’Omar et d’Ousmane était illégale et devait revenir à Ali,
quatrième khalife et surtout membre de la famille du Prophète.17
Le mot ‘‘chî’ a’’ est devenu aujourd’hui le signe d’une faction indépendante des
gens de la sunna en ce qui concerne la croyance, les fondements, la jurisprudence et
l’opinion. Le schisme fit son apparition suite au différend entre Ali Abu Tâlib, quatrième
et dernier khalife orthodoxe de l’islam et Muâwiyya, gouverneur de Syrie en rébellion.18
Ce différend aboutit à la bataille de Ciffine (en Irak) sur le bord de l’Euphrate en
l’an 37 de l’Hégire (659 de l’ère chrétienne). Pour arrêter cette guerre qui avait
commencé à faire de nombreuses victimes, les deux camps acceptèrent de déposer les
armes et de trouver une solution à cette guerre dans le Coran. Un groupe minoritaire
parmi les partisans d’Ali rejeta cette proposition et entra en dissidence. D’où le nom de
Khawarej, c’est- à – dire les dissidents. Ceux-ci furent combattus et défaits par Ali. Les
rescapés de ce groupe s’isolèrent et commencèrent leur propre culte. C’est de cette
dissidence que naquit la ‘‘Chî’a’’.19
Aujourd’hui, l’islam chiite s’implante petit à petit en Afrique20, y compris au
Cameroun. La ville de Douala en constitue le foyer le plus important. Ici en effet, les
Chiites ont pris pied depuis quelques années et se font de plus en plus de fidèles.21 Nous
parlerons ici principalement de la branche du chiisme qui existe dans cette ville, celle qui
voit dans Ali, cousin et gendre du Prophète, et ses onze descendants directs, les héritiers
16
I.S.A.J. Abdallah, Dialogue constructif entre Sunnites et Chi’ite, Riyadh, Dâr al-Qur’ân wa as Sunnah,
1998, p. 9.
17
Voir Y. Richard, ‘‘La révolution des imams’’, Manière de Voir, no 64, Bimestriel, juillet-août 2002,
pp.78-84 et notamment L’islam chi’ite. Croyances et idéologie, Paris, Fayard, 1991.
18
I.S.A.J. Abdallah, Dialogue constructif entre Sunnites et Chi’ite, Riyadh, Dâr al-Qur’ân wa as Sunnah,
1998, p. 9.
19
Ibid.
20
J.P. Ngoupande, L’Afrique face à l’islam, 2003.
21
‘‘Communauté musulmane de Douala : quand s’élève la voix des chiites’’, Le Messager, no 2057 du
vendredi 3 février 2006, p. 3.
247
de Mahomet, c'est-à-dire les chefs légitimes de la communauté après lui. On l’appelle
pour cette raison le chiisme duodécimain c'est-à-dire des ‘‘douze imams’’. La
description que nous faisons de cette communauté s’appuie sur le dépouillement de la
presse et les témoignages des Cheikhs Hassan Nsangou et Mahamadou III Salissou,
éminents théologiens chiites à Douala. Ces deux personnalités nous ont permis de jauger
l’articulation du chiisme depuis son introduction récente dans la ville de Douala.
Constituée en 1999, la communauté chiite de Douala est le fruit de la rencontre de
ces deux musulmans qui furent d’abord sunnites et dont les parcours parallèles finirent
par se croiser. Mahamadou III Salissou, cadre supérieur dans une grande banque de
Douala, a longtemps été une personnalité reconnue de la communauté sunnite. Ses
recherches personnelles lui font découvrir, en 1998, la voie chiite. Séduit par le chiisme,
le banquier se convertit en secret au chiisme.
Cheikh Hassan Nsangou, imam de la communauté chiite, a lui aussi grandi dans
l’islam sunnite. De 1993 à 1997, il suit, à l’Université Internationale d’Afrique de
Khartoum au Soudan, un cursus d’étude comparée des religions qui lui donne une bonne
connaissance du christianisme autant que des différentes branches de l’islam. Il embrasse
la nouvelle foi en 1997, ‘‘après avoir rencontré des Iraniens’’22 pendant ces études à
Khartoum, la capitale du Soudan. Une fois ses connaissances approfondies à Téhéran en
1998, il est rentré au Cameroun pour réunir, dans la clandestinité, les premiers convertis
au chiisme de Douala, recrutés dans son entourage : ‘‘Dix-sept personnes, à l’origine, qui
venaient chez moi secrètement et avec lesquelles je m’enfermais à clé’’23.
Lors d’une conférence à l’Hôtel Akwa-Palace, il rencontre un aumônier iranien
qui lui remet une vingtaine de livres d’inspiration chiite, tout en lui recommandant la plus
grande discrétion quant à leur contenu, les tenants du sunnisme voyant rarement d’un bon
œil les thèses chiites se propager. Est-ce cette mise en garde qui l’influence ? Toujours
est-il que lorsqu’il emménage en face de chez Mohamadou III Salissou, Cheikh Hassan
se méfie d’abord de lui avant de constater que comme lui-même désormais, le banquier
22
J.-P. Rémy, ‘‘Au Cameroun, de nouvelles religions prospèrent sur fond de crise économique’’, Le Monde,
29 octobre 2004, pp. 2-3. Voir aussi les liens internet http:// www.bostani.com/cameroun.htm-13k et http://
Atheisme.free.fr/Revue_presse/international_afrique.htm-23k; consultés le 3 novembre 2004.
23
Cheikh Hassan Nsangou, entretien du 20 Avril 2005 à la bibliothèque attenante à la mosquée chiite de
New-Bell/ dispensaire.
248
est véritablement convaincu par le chiisme. Soucieux de ne plus garder, pour eux, ce
qu’ils tiennent pour vrai, ils font le premier pas en organisant en mars 1999, une
‘‘rencontre des musulmans de toute la province du Littoral’’24. Dix soirs de suite, une
quarantaine de responsables, dignitaires et imams débattent. Les discussions sont
houleuses. Convaincus d’avoir trouvé la bonne voie, Salissou et Hassan persistent. Mais
la naissance de la communauté est douloureuse. Selon Cheikh Hassan Nsangou, les
premières réactions au sein de la communauté musulmane furent violentes : ‘‘on nous
attaquait avec des pierres, on recevait des menaces de mort en permanence. Pendant huit
mois, nous avons été protégés par l’armée’’25 -probablement avec le conseil de
l’administration-. L’objectif ici n’est pas un quelconque soutient aux Chiites mais
sécuritaire ; il s’agit d’éviter des affrontements entre les différents groupes. Bien plus,
‘‘notre communauté a été longtemps fustigée, voire persécutée au Cameroun par ce que
certains la présentaient comme une secte de l’islam’’26. C’est donc dans ce climat de
méfiance, voire de violence que s’est créée la jeune communauté chiite. Mais,
Au Cameroun, pays laïc, il y a de la place pour toutes les religions, à condition
que chacun respecte les lois de la République. Cela n’a pas été compris par certains
compatriotes qui se voyaient avoir le monopole du label de l’islam. Actuellement, une
bonne entente règne entre les autres musulmans et nous. Maintenant, on ne nous crache
plus dessus quand nous sortons (…) mais nous avons notre propre sécurité, qui veille
discrètement dehors (…) Aussi, je préfère ne pas revenir sur ce passé.27
Ensemble, ils ont fait le second pas en ouvrant une bibliothèque, puis une
mosquée. Au départ, ‘‘je payais seul les factures d’eau et de lumière, précise
Mohamadou III Salissou’’28. La communauté chiite formée en 1999 à Douala comptait
plus de 1000 fidèles en 2003 répartis en deux implantations : Bonapriso, à la rue Njo Njo,
où se trouve leur centre culturel et New-Bell / dispensaire où se trouve leur mosquée,
construite sur le modèle iranien. Comme son nom l’indique, la mosquée chiite de New24
A. Poissonnier, ‘‘Cameroun : prière chiite à Douala’’, disponible au lien internet http://
www.rfi.fr/acturfr/ariticles/041/article-2199.asp; consulté le 25 mai 2003.
25
Ibid.
26
‘‘Communauté musulmane de Douala : quand s’élève la voix des chiites’’, Le Messager, no 2057 du
vendredi 3 février 2006, p. 3.
27
Cheikh Hassan Nsangou, entretien du 20 Avril 2005 à la mosquée chiite de New-Bell/ dispensaire et du
21 avril 2005 au centre culturel chiite de Bonapriso.
28
Mohamadou III Salissou, entretien du 20 avril 2005 à la bibliothèque attenante à la mosquée chiite de
New-Bell/dispensaire.
249
Bell est construite selon un modèle moyen oriental. Ce modèle se rencontre très souvent
dans le Grand Iran, c'est-à-dire dans une région comprenant l’Iran, une partie de
l’Afghanistan et du Pakistan et une partie de l’Irak. Cependant, c’est aussi le plan utilisé
en Inde avant la dynastie moghole et dans l’actuel territoire de l’Ouzbékistan sous la
dynastie des Chaybannides. Il apparaît au Xe siècle avec la dynastie seldjoukide et se
caractérise par l’emploi d’iwans29, d’un pishtak30 et une salle de prière sans coupole31.
Stylistiquement, la mosquée chiite de New-Bell /dispensaire présente des caractéristiques
qui privilégient la décoration et annoncent architecturalement son orientation doctrinale.
C’est le plus bel exemple de plan iranien connu à Douala (voir photo no 7).
L’adhésion au chiisme à Douala viendrait aussi des commerçants libanais, syriens
et iraniens ; hypothèse suggérée par un informateur appartenant à la Tidjanniya.32 Elle
paraît recevable dans la mesure où de nombreux musulmans se sont convertis au chiisme
contre recrutement dans les sociétés ou les magasins tenus par les Iraniens, les Libanais
et les Syriens à Douala. En effet, avec l’aggravation de la crise économique au début de
la décennie 1990, les entreprises ferment, l’Etat réduit son train de vie avec comme
conséquences de fortes compressions de fonctionnaires et agents de l’Etat, la baisse des
salaires dans la fonction publique, la dévaluation du franc CFA, la fermeture des voies
d’entrée dans les grandes écoles garantissant aux jeunes un prochain emploi, la
suppression des bourses d’études accordées aux étudiants ; pire ces derniers doivent
désormais s’acquitter des frais de scolarité. Les prix d’achat des produits de rente (café,
coton, cacao, etc.) fortement dépendants de l’extérieur baissent de façon drastique. Tout
ci conduit la population à la paupérisation.33 Dans ce contexte de crise que vivent les
populations doualaises, la religion a servi de refuge aux jeunes qui ne pouvaient plus
compter sur le soutien familial. En effet, en ces années de difficultés économiques, de
29
Un iwan est une salle voûtée ouverte sur un côté par un grand arc inclus dans un encadrement
rectangulaire.
30
Un pishtak est un portail formant une avancée, souvent surmontée de deux minarets et ouvert par un
grand arc.
31
Voir R. Hillenbrand, Islamic architecture, form, function and meaning, New-York, 2001, p. 20, p. 39, pp.
384-390 et H. Stierlin, L’architecture islamique, Paris, PUF, 1993, p. 9 et suivantes.
32
Notre informateur (imam tidjaniste) a requis l’anonymat lors de notre entretien du 18 avril 2005 à NewBell.
33
F. Anoukaha et al., La lutte contre la pauvreté et les exclusions par les institutions et les pouvoirs publics
en Afrique à travers le concept de « Gouvernance Partagée », Yaoundé, Presses universitaires d’Afrique,
2003.
250
251
misère et de ‘‘chômage massif des jeunes’’34, c’est une filière certes peu visible, mais
rentable pour les prosélytes chiites :
Le chiisme profite à Douala de la fragilité économique et morale qui entraîne à
son tour la fragilité spirituelle pour attirer les jeunes et les adultes. Tout est fait pour
attirer les fidèles : distribution des bouteilles d’huile, du lait, du pain, et même de l’argent
à ceux qui viennent prier dans la mosquée chiite. Bref, le chiisme bénéficie à Douala de
l’appui des Camerounais convertis, des hommes d’affaires ou des prédicateurs iraniens,
syriens ou libanais vivants ou en séjour à Douala. Ces derniers ont pris d’importantes
parts dans les sociétés à Douala : banques, coopératives, commerces, infrastructures
portuaires, (…) et recrutent contre conversion. Ils positionnent les chiites à des postes de
responsabilité très élevés dans ces entreprises. Ils infiltrent les associations musulmanes
grâce à leur pouvoir financier. Pour mieux attirer des fidèles, le gouvernement iranien
offre même des bourses à de jeunes camerounais. Cette action discrète est très efficace et
fait des adeptes.35
Dans ce sens, Douala est un chantier ouvert pour le mouvement islamique chiite
qui s’implante d’autant plus facilement que la situation sociale est favorable à cette
nouvelle dynamique islamique. De même, les différentes foires commerciales organisées
à Douala sont aussi l’occasion pour les religieux iraniens de vendre avec l’aide des
musulmans camerounais, des livres religieux chiites.36 A l’observation, il n’est pas facile
de faire un portrait type de musulman chiite car, quoi qu’on dise, ce qui le rapproche de
son frère sunnite/wahhabi est beaucoup plus fort que ce qui l’en distingue. La profession
de foi rappelle en effet, pour tous les musulmans la croyance en l’unicité de Dieu. Pour
tous, le Coran est le dernier et le plus parfait des livres révélés. Lors de la sortie officielle
des Chiites à douala le 31 janvier 2006 qui marquait en même temps la commémoration
du discours d’adieu du Prophète Mahomet dans l‘oasis de Ghadeer Kum, le 18e jour du
mois de Hajj au retour de son dernier pèlerinage à la Mecque, Cheikh Hassan Nsangou,
imam de la communauté chiite affirmait devant les autorités et autres invités que:
34
Voir E. de Rosny, ‘‘L’Afrique des migrations : les échappées de la jeunesse à Douala’’, Etudes, 2002-5,
pp. 623-633 ; disponible aussi sur le lien internet http://www.Cain.info/article-php; consultée le 20 avril
2003.
35
El Hadj Daouda Kououtouo, présentateur de l’émission ‘‘Connaissance de l’Islam’’ sur la télévision
nationale, entretien du 6 septembre 2007 au siège du PIAH à New-Town/aéroport. Information confirmée
par d’autres informateurs notamment El Hadj Moussa Ladan, imam de la mosquée de ‘‘PK 14’’ à Douala
IIIe et Cheikh Yaya Sandou, imam de la mosquée de Song Mahop. Iire aussi La Nouvelle Expression du 5
mai 2004 qui barre sa ‘‘une’’ avec le titre suivant : ‘‘L’intégrisme aux portes du Cameroun’’.
36
Voir le lien internet http://www.jounalducameroun.com/article.php?aid=219; consulté le 6 juin 2006.
252
(...) nous, communauté chiite, accomplissons nos rites suivant les enseignements
exclusifs des gens de la maison du Prophète. (...) nous sommes et serons les représentants
du Prophète de l’islam par l’entremise de sa famille. Ce Prophète qui nous a enseigné
l’humanisme, la sincérité, la recherche permanente de la paix, de l’amour, la solidarité,
la justice, l’humilité, le sens du partage l’altruisme, la recherche permanente de la
connaissance, la lutte contre la pauvreté, l’intégrité sociale, repousser le mal par ce qui
est meilleur.37
Cependant, ce qui distingue extérieurement le chiisme du wahhabisme n’a en effet
rien d’essentiel : culte des imams, notamment le grand deuil de Husayn (troisième
imam) ; appel à la prière sensiblement différent ; législation originale pour l’héritage ou
le mariage38, la non reconnaissance de l’autorité califale. Sur le plan physique, on peut
reconnaître les femmes chiites par leurs silhouettes noires encapuchonnées dans des
tchadors, de la tête aux pieds. Le port de ce type de voile constitue une sorte de da’awa
et, en quelque sorte leur identité servant à se reconnaitre entre elles. Mais ce ‘‘signal
silencieux’’ sert également à les distinguer de leurs sœurs des autres obédiences39.
Lorsqu’on discute avec ces femmes, elles se montrent convaincues. Elles insistent sur le
caractère plus concret, plus simple du chiisme par rapport au sunnisme ou sur la place
que la voie chiite réserve aux femmes :
La notion de genre, redécouverte par les organismes internationaux de développement,
existe déjà dans le chiisme (…) on compte sur les femmes, qu’on encourage à étudier
(…)40.
37
‘‘Communauté musulmane de Douala : quand s’élève la voie des chiites’’, interview de Cheikh Hassan
Nsangou parue dans le quotidien Le Messager, n°2057, vendredi 3 février 2003, p.3.
38
Pour une idée sur l’héritage et le mariage de tradition sunnite et de rite malékite au Cameroun, On lira
utilement A. Njiasse Njoya et L. Zouya Mimbang, ‘‘Contribution à l’étude du droit islamique appliqué au
tribunal coutumier de NGaoundéré : Les affaires matrimoniales et successorales chez les Peul’’, Revue
Science et Technique (Séries Sciences Humaines), Vol. v, n° 1-2/3-4, 1987-1988, pp.59-76.
39
C. Cantone a fait les mêmes observations à Dakar au Sénégal. Voir notamment ses écrits suivants;
‘‘‘‘Radicalisme’’ au féminin? Les filles voilées et l’appropriation de l’espace dans les mosquées à Dakar’’,
in M. Gomez-Perez (s.d.), L’islam politique au sud du Sahara. Identités, discours et enjeux, Paris, Karthala,
2005, pp.119-130 et ‘‘Women claiming space in mosques’’, ISM Newsletter, no 11, p.29.
40
Khadifa, Halima et Mariam, entretien du 7 septembre 2007 à la mosquée chiite de New-Bell/ dispensaire.
En outre, à propos de la littérature sur genre et islam en Afrique, voir par exemple les écrits de E. Augis, ‘‘
Dakar’s Sunnite Women : the Politics of Person’’, in M. Gomez-Perez (s.d.), L’islam politique au sud du
Sahara. Identités, discours et enjeux, 2005, pp. 209-326 et C. Cantone, ‘‘ ‘‘Radicalisme’’ au féminin ? Les
filles voilées et l’appropriation de l’espace dans les mosquées de Dakar’’, in M. Gomez-Perez (s.d.),
L’islam politique au sud du Sahara, 2005, pp. 120-130 pour le Sénégal ; de M.N. LeBlanc, ‘‘Imaniya and
Young Muslim Women in Côte d’Ivoire’’, Anthroplogica, 49, 2007, pp. 35-50 pour la Côte d’Ivoire.
253
Les jeunes hommes quant à eux sont reconnaissables par leur barbe, avec des
pantalons au dessus de la cheville, à l’allure sportive. L’image de barbus enturbannés
renvoie aux quelques vieux que l’on trouve parmi eux. Cheikh Hassan
Nsangou
soulignait le 31 janvier 2006 lors de la première sortie officielle des chiites à Douala que :
Dans la forme, les chiites et les sunnites ont le même Prophète, donc utilisent le
même Coran, ont le même nombre de prières canoniques, observent le carême pendant le
même mois, la même période de pèlerinage à la Mecque, et chaque groupe
s’autoproclame de l’islam authentique.41
Dans le cadre de nos observations participantes, nous avons assisté à une séance
de prière à la mosquée chiite de New-Bell/dispensaire, ce qui nous a permis de constater
un autre aspect de leur particularité. Les membres de la communauté chiite de Douala
prient dans leur bibliothèque/salle de prière sise à New-Bell, à côté du dispensaire. Au
sol, des tapis sur lesquels les fidèles qui arrivent par petits groupes déroulent des nattes.
En arrivant, nul ne s’est attardé dans les rues avoisinantes. A quelques mètres seulement,
à l’extérieur, les tapis de prière qui jonchent les trottoirs sont ceux d’une mosquée sunnite
(mosquée du lieu dit KDD) et les deux groupes se tournent résolument le dos. Dans la
salle, chacun dépose à ses pieds nus un morceau d’argile séché42. Pendant la prière,
quand il incline le front, le contact avec la terre est ainsi, malgré le ciment,
symboliquement maintenu.43
La salle est rafraîchie par des ventilateurs flambant neufs. Au mur, encadré de
baguettes dorées, des photos représentent Jérusalem, Médine et la Mecque ainsi que la
maison de l’imam Ali à Kufa, la tombe d’Hussein, petit fils d’Ali, à Kerbala (Irak) ou la
mosquée Mashad (Iran). Au fond de la salle, il y a un espace réservé aux femmes. Au
regard de sa voisine, la mosquée chiite bénéficie d’une opulence qui détonne dans le
quartier. La prière est suivie de la Do’a, ‘‘supplication adressée à Dieu pour qu’il
satisfasse nos besoins, accorde ses bienfaits et pardonne nos péchés’’, ainsi que
41
‘‘Communauté musulmane de Douala : quand s’élève la voie des chiites’’, interview de Cheikh Hassan
Nsangou parue dans le quotidien Le Messager, n°2057, vendredi 3 février 2003, p.3.
42
D’après S.Mane (‘‘Islam et société dans la région du Mbam (Centre-Cameroun) : XIXe-XXe siècles’’,
2005-2006, p. 185), il s’agit de la terre husaynite issue de Kerbala, terre sur laquelle l’imam Al husayn est
tombé martyr. C’est sur cette terre que les chiites se prosternent pendant la prière, où qu’ils soient dans le
monde.
43
Observation participante à la mosquée chiite de New-Bell-/dispensaire, prière du Vendredi le 14
septembre 2005.
254
l’explique le petit livre didactique distribué aux fidèles. Pour chaque phrase, le fascicule
propose la version phonétique, la version arabe et une traduction en français. Il permet
ainsi aux non arabisants de suivre la prière déclamée par l’aumônier iranien Cheikh Alavi
Payan, qui a séjourné à Douala de 1999 à 2005. Au milieu des récitations, il y a des
brèves interruptions : l’aumônier prêche. Ses propos sont traduits par l’imam
camerounais, cheikh Hassan Nsangou, francophone parlant couramment l’arabe. Après ce
partage spirituel, vient le partage temporel. En effet, la prière une fois terminée, un repas
offert par les fidèles est distribué et immédiatement consommé.44
A Douala, les Chiites sont minoritaires au milieu des Tidjannis et des autres qu’ils
désignent par le terme ‘‘Sunnite’’. Mais le chiisme a largement trouvé preneur dans la
communauté bamun de Douala au point où à la veille de la fête de la Tabaski 2003,
Ibrahim Mbombo Njoya, le Sultan-Roi des Bamun inaugurait solennellement à Douala
New-Bell /dispensaire la toute première mosquée chiite.45 Deux raisons peuvent
expliquer pourquoi les Bamun ont servi de tête de pont au chiisme à Douala : ils sont
moins profondément imprégnés de l’islam et culturellement proches des Bantou du Sud
Cameroun, pour la plupart chrétiens et adeptes des religions traditionnelles. Pour cette
raison, ils sont susceptibles de faire plus d’adeptes dans ces milieux. En outre, le doute
émis par la coalition haoussa-peule envers leurs coreligionnaires ‘‘récemment islamisés’’
(Bamun, Bafia, convertis, etc.) et le regard porté sur eux par la même coalition sont pour
quelque chose dans leur adhésion à ce nouveau mouvement.46 En dehors du chiisme, on
rencontre aussi à Douala une nouvelle tendance religieuse appelée Tabligh.
44
Ibid.
Le Messager, n°2057, du 3 février 2003, p.3. C’est d’ailleurs à Koumboo, un petit village du département
du Noun qu’à ‘‘essaimé’’ une communauté équivalente au nombre à celle de Douala. C’est là, dans une
zone à faible scolarisation, qu’à été construite en 2003 la première école chiite du Cameroun : ‘‘Il s’agit,
précise Mahamadou III Salissou, d’une école ayant comme programme celui de l’éducation nationale et de
l’islam, comme il en existe pour les cathodiques ou les protestants. Nous nous conformons aux
dispositions légales en matière d’ouverture d’établissement scolaire, et le projet est favorablement accueilli.
Les villageois ont d’ailleurs donné deux des quatre hectares du terrain sur lequel le premier bâtiment de
trois classes a été construit. Le sultan des Bamun a également réagi positivement. Cette école primaire
confessionnelle inaugurée en septembre 2003, accueillait 50 élèves par classe. Elle a été financée pour
partie par le Khums (contribution volontaire basée sur le surplus net des revenus annuels de chaque fidèle)
le reste venant des contributions spéciales des membres : avocats, cadres du secteur privé, hommes
d’affaires, cultivateurs, etc.’’. (Entretien du 7 septembre 2007 à New-Bell/ dispensaire).
46
Nous reviendrons sur cet aspect de la question à la section B.
45
255
Les Tabligh
Le terme Tabligh signifie transformation. Il s’agit d’un mouvement islamique né
en Inde en 1926. Son fondateur est Cheikh Mohammed Ilyas al-Kandahlaoui né vers
1880 à Kandahla, en Inde dans une famille de savants et de pieux.47 Le Tabligh est un
mouvement informateur dont l’idée de base est de basculer du système d’école au
système de stage, ouvert à tous avec beaucoup d’apprentissage pratique et un minimum
de théorie. Tout en se formant, les individus prêchent dans les mosquées où ils résident,
dans les environs et même à l’étranger, et motivent les fidèles à constituer des groupes
pour entreprendre le même travail.48
Le but du Tabligh est d’acquérir la religion entière et de la propager dans le
monder entier, un peu comme les témoins de Jéhovah. Mais comme la religion est vaste,
on a délimité des objectifs clés qui facilitent l’accès à la religion entière. Il s’agit des six
qualités suivantes :
-L’attestation de la foi, celle-ci est interprétée comme suit : ‘‘Nul n’est digne
d’adoration en dehors d’Allah’’. En outre, il faut se défaire de la certitude et de la
confiance dans les choses et dans les créatures et placer sa confiance uniquement en
Allah. Quant à l’attestation ‘‘Mahomet est le Messager d’Allah’’, les fidèles doivent
avoir la certitude que leur réussite ici-bas et dans l’au-delà est uniquement dans
l’obéissance aux ordres d’Allah et le suivi du chemin tracé par le Prophète ;
-La prière constitue la relation avec Allah, l’ascension du croyant au ciel et la clé
des richesses d’Allah. La prière amène la religion dans la vie ;
-La science et l’évocation d’Allah, tandis que l’évocation permet à ce que sa
grandeur pénètre dans le cœur ;
-Le respect des musulmans. Il faut les honorer pour que viennent la valeur et
l’amour. Il est ainsi recommandé de vénérer les savants, de respecter les aînés et d’être
bon avec les plus jeunes ;
-Corriger l’intention pour que les actions soient faites sincèrement pour Allah afin
qu’elles soient acceptées ;
47
48
B.H. Abdouraouf, Tabligh : étape IV, Saint Etienne, Le Figuier, 1995, p. 27.
Ibid., p. 28.
256
-Enfin, prêcher Allah et sortir dans la voie d’Allah pour se corriger, pour faire
revivre l’effort du Prophète et pour propager la religion.49
L’ordre des priorités chez les Tabligh est le suivant : le prêche d’Allah, la science
ensuite, puis l’adoration, enfin le travail.50 Mouvement religieux à l’échelle mondiale, les
prédicateurs tablighs sillonnent le monde en petits groupes, entrent dans les villes et les
villages d’Afrique et d’ailleurs pour faire revivre l’islam chez les musulmans. C’est dans
cette perspective que ce mouvement s’est infiltré au Cameroun au début des années 1990.
C’est précisément en 1994 que le Tabligh s’infiltre à Douala, par le biais d’un
groupe de sept prédicateurs pakistanais issus du mouvement transnational, originaire du
Pakistan, des Jama’at at-tabligh.51 A leur arrivée à Douala, ils se rendent à la mosquée
‘‘KDD’’ au quartier New-Bell/service social. Ils y passent une semaine avant d’aller
passer quatre jours à la mosquée de Bonamoussadi et trois dans celle de Bonabéri.52
Pendant leur séjour dans ces mosquées, leurs activités se résument en trois points :
prêcher après chacune des cinq prières quotidiennes ; activités d’apprentissage entre les
membres du groupe et les nouveaux membres qui se sont joints à eux ; enfin, visites de
courtoisie aux autorités religieuses musulmanes et d’autres fidèles dans le but de les
exhorter à se joindre à eux, non seulement pour continuer leurs œuvres mais aussi pour
les accompagner dans les étapes suivantes.53 Après l’étape de Douala, le groupe s’est
dirigé, accompagné de quelques fidèles vers la ville de Nkongsamba. Avant de quitter
Douala pour se rendre dans les autres villes du Cameroun54, ce premier groupe de
Tabligh avait constitué dans chaque mosquée, des groupes de fidèles qui devaient
continuer leur prêche. C’est ainsi que peu à peu, le mouvement Tabligh s’est implanté à
Douala. Si au départ, les populations regardaient avec beaucoup de curiosité et de
49
Ibid., p.30.
Ibid.
51
M. Lasseur se fait l’écho dans son article ‘‘Cameroun : les nouveaux territoires religieux’’, p. 93.
52
Entretien avec Moussa Oumar, un des imams de la mosquée de Bonamoussadi, devant la mosquée de
Bonamoussadi, le 21 avril 2004.
53
Ibid.
54
S. Mane signale leur présence à Bafia, au cours de la même période. Voir sa Thèse de Doctorat/Ph.D,
‘‘Islam et société dans la région du Mbam (Centre-Cameroun) XIX-XXe siècles’’, Université de Yaoundé
I, 2005-2006, pp. 188-192.
50
257
méfiance ces musulmans barbus et enturbannés qui sillonnaient les mosquées,
aujourd’hui leur présence à défaut d’être banale, suscite moins de curiosité.55
Les membres du Tabligh se déplacent avec leurs propres moyens, dorment sans
distinction dans toutes les mosquées et font leur cuisine. La discipline est de règle
pendant les sorties. A l’intérieur de chaque groupe il y a un Amir (chef), un porte-parole
et un guide. L’un des imams de la mosquée d’Akwa, Yaya Abdoulaye explique les
raisons de l’adhésion à ce courant par plusieurs raisons : ce sont des vieillards venus de
très loin, avec leurs propres moyens, en laissant toutes leurs occupations, rien que pour
encourager les gens à pratiquer la religion. Ils prêchent dans toutes les mosquées. Leurs
prédications sont pratiques et touchent à la vie quotidienne. Les Tabligh sont aujourd’hui
presque les seuls musulmans nationaux et internationaux à sillonner sans distinction
toutes les mosquées de Douala pour propager l’islam. Ils ont réussi à renforcer la foi de
beaucoup de fidèles, à travailler pour la religion comme on travaille pour le bureau, pour
le champ ou le commerce.56
En dernier ressort, le Tabligh introduit à Douala au cours de l’année 1994
constitue un mouvement religieux moins important que les autres. Il se manifeste au
niveau des individus et s’est pas encore structuré en un mouvement visible et identifiable.
Ce mouvement participe néanmoins à l’éveil islamique dans la ville de Douala. Mais les
tournées des missionnaires Tabligh ont tendance à diminuer sensiblement depuis la
première ‘‘Guerre du Golfe’’ et s’amoindrissent davantage après les attentats du 11
septembre 2001. On peut donc dire que ce mouvement est en perte de vitesse aussi bien
au Cameroun que sur le plan international. En effet, les Indo-pakistanais qui constituent
les piliers de ce mouvement57 n’arrivent plus à sillonner le monde comme dans le passé, à
cause du contexte international dominé par la ‘‘lutte contre le terrorisme’’. C’est surtout
les adeptes locaux qui essaient de faire vivre ce mouvement.
Comme on peut le constater, les autres tendances islamiques présentes à Douala
depuis le retour au pluralisme sont les Tabligh et les Chiites. Mais le principal de ces
deux mouvements est le chiisme, clairement représenté et localisé. Son implantation a
55
Entretien avec Moussa Oumar un des imams supléants de la mosquée de Bonamoussadi, le 21 avril 2004,
à la mosquée de Bonamoussadi.
56
Entretien avec Yaya Abdoulaye, un des imams suppléants de la mosquée d’Akwa, le 22 avril 2004, à la
mosquée d’Akwa.
57
L. Maud, ‘‘Cameroun : les nouveaux territoires de Dieu’’, p. 93.
258
donné lieu à des affrontements. Mais ces affrontements n’avaient pas encore atteint
l’ampleur de ceux que certaines études décrivent à Foumban58 ou encore à Yaoundé59 à
la même période. Par la suite, le courant chiite s’est structuré autour de sa mosquée et de
son centre culturel alors que le Tabligh s’est diffusé auprès des fidèles grâce aux prêches,
sans tenir compte des appartenances idéologiques. Ce dernier courant apparaît comme
une association spécialisée dans la prédication, vers l’appel aux musulmans. On retrouve
ainsi dans ce mouvement transnational, originaire du Pakistan un trait commun avec le
christianisme : les nouvelles tendances religieuses sont le plus souvent des mouvements
de réforme, de reconversion et de remoralisation de la communauté cultuelle. Ceci étant
dit quel sens peut-on donner à ces nouveaux mouvements de l’islam à Douala ?
Ces courants, le chiisme et le tabligh, semblent s’inscrire dans la dynamique
musulmane qui traverse Douala depuis la décennie 1970 et qui a par ailleurs continué à
s’implanter avec le vent de libéralisation. Mais à la différence du premier mouvement des
années 1970 et 1980, ces deux mouvements comptent dans leurs rangs un certain nombre
de traditionalistes. Le paradoxe apparent veut aussi que ce soient certains membres de
cette même classe traditionnelle qui propagent les idées rénovatrices. C’est ainsi que les
Tabligh ont été accueillis dans toutes les mosquées doualaises notamment tidjanistes et
wahhabites. Soucieux de leurs prérogatives et de ne pas être en marge de la nouvelle
tendance, des dignitaires/traditionalistes que nous appelons affairistes60 posent des actes
qui les rapprochent des réformistes. Ils contribuent financièrement à la construction des
mosquées, et d’autres infrastructures, aux activités des associations tant à Douala qu’à
l’intérieur du pays. Le quotidien La Nouvelle Expression souligne le cas d’El Hadj Tanko
Amadou (chef de la communauté musulmane de Bonaberi) qui a financé en partie les
travaux de construction des nouvelles mosquées des quartiers Mabanda et Ndobo tenues
58
Ibid., pp. 93-116 mais surtout I. Mouiche, ‘‘Islam, mondialisation et crise identitaire dans le royaume
bamoun, Cameroun’’, Africa, 75 :3, 2005, pp. 378- 420. De même, le journal El Qiblah en a fait
largement écho au début des années 2000.
59
Voir S. Emboussi, ‘‘L’implantation et l’évolution de l’islam à Yaoundé (1889-1993) : le cas du quartier
Briqueterie’’, Mémoire de DIPES II, ENS, Yaoundé, 1994 et aussi Nzana Seme, ‘‘ Guerre de musulmans à
Yaoundé’’, Le Nouvel Indépendant, no 53, 10-17 avril 1995.
60
La plupart de ces dignitaires sont difficilement joignables, non seulement en raison de leurs activités
multiples qui les conduisent la plupart de temps à voyager, mais aussi à cause de leur refus de
communiquer sur leurs carrières. Qualifiés par tous de ‘‘grands commerçants’’ ou d’ ‘‘hommes
d’affaires’’, ils refusent d’évoquer leurs itinéraires et leurs contacts en hauts lieux, c’est à dire leurs
relations privilégiées avec les autorités.
259
par des prédicateurs de tendances wahhabites.61 Le quotidien Le Messager de son côté
affirme notamment que la présence de El Hadj Moctar Abubakar Oumar et du Prince
René Bell, chef supérieur du canton Bell était remarquée lors de la sortie officielle du
chiisme à Douala en 2006 (voir photographie no 8). Et il ajoute, ‘‘pendant la Tabaski, El
Hadj Moctar Abubakar a la possibilité de distribuer des moutons, en guise de zakât. Il a
toujours apporté sa part de contribution à la réfection des mosquées et aux activités des
jeunes (...) il a créé l’Union Islamique du Cameroun (...) il avait amassé une grande
richesse depuis la fin des années cinquante (...) il gérait le pèlerinage à Douala’’62. Cette
présence d’éléments traditionnels au près des nouveaux mouvements islamiques- même
s’ils restent avant tout préoccupés par la sauvegarde de leurs intérêts économiques et de
leur autorité - amène à (relativiser) nuancer l’affirmation selon laquelle le ‘‘renouveau
islamique’’63 serait un mouvement anti-traditionnel. Pourquoi certains traditionalistes
sont-ils sensibles au courant réformiste qu’il soit sunnite, chiite ou tabligh? Bien sûr tous
les traditionalistes ne sont pas proches de ces courants, loin de là. Certains et notamment
les chefs traditionnels sont même de farouches adversaires de ces mouvements dans la
mesure où ceux-ci remettent en cause leurs prérogatives.
Quatre hypothèses sont envisageables. La première est que les traditionalistes
utilisent l’adhésion aux courants réformateurs dans leurs luttes d’influence à travers les
financements des activités réformistes (construction des mosquées, financement des
activités des associations, etc.). La deuxième est que ce mouvement touche l’ensemble de
la communauté musulmane et traverse donc les distinctions de ‘‘classes’’. La troisième
hypothèse est à relier au fait que les traditionalistes sont aussi des commerçants. Or, nous
avons vu le rôle des réseaux commerciaux dans la propagation du sunnisme à travers
l’exemple des migrants ouest-africains des années 1980. La quatrième est que les
traditionalistes cherchent à ne pas être exclus d’un mouvement qui les remet en cause.
En effet, ils ont intérêt à être partie prenante de ce ‘‘nouveau clergé’’ qui est en train de
se former et qui menace leur influence fut-elle positionnelle, symbolique ou économique.
61
La Nouvelle Expression no 1194 du mercredi 26 novembre 2003, p. 5.
‘‘Le mouvement chiite en plein essor au Cameroun’’, Le Messager no 2057 du vendredi 3 février 2006, p.
3.
63
Voir G.L.Taguem Fah, ‘‘Pouvoir du savoir, renouveau islamique et luttes politiques au Cameroun’’, in
M. Gomez-Perez (s.d.), L’islam politique au sud du Sahara. Identités, discours et enjeux, Paris, Karthala,
pp.557-581.
62
260
261
Enfin, le nouveau courant réformiste ne constitue pas un bouleversement radical
de l’organisation de la communauté musulmane. Il ne vise pas la remise en cause de la
structuration de la société. En effet, l’évolution de la société accompagne le mouvement,
mais n’en découle pas. En tout cas, ce serait une erreur de voir les choses de façon
tranchée, une simple dichotomie ‘‘traditionalistes/ modernistes’’64. Les
modernistes
n’ont pu exister que par ce que des pionniers leurs avaient ouvert le chemin. Ainsi, les
courants intellectuels/idéologiques naissent d’un processus de sédimentation d’idées. De
même ce courant réformiste procède d’un aggiornamento, c’est-à-dire d’une adaptation
silencieuse à l’évolution du monde, au progrès. C’est pour cela que les identités des
musulmans de Douala sont surtout mutantes et multiples, et qu’ils y a en permanence
une modernité des ‘‘traditions’’.
Deux choses se passeraient dans les groupements musulmans de Douala depuis
environ quinze ans. La première est que, au plan de la religiosité --c’est-à-dire le contexte
dans lequel s’énonce la religion, les savoirs auxquels elle renvoie, ses discours, ses
significations– l’éclosion des tendances depuis le début des années 1990 est remarquable.
Il y a quelques décennies, on opposait les traditionalistes à ceux qu’on appelait les
modernistes.65 Cette lecture un peu schématique suffisait pour offrir un bon panorama des
communautés musulmanes. Depuis les années 1990, elle ne suffirait plus à restituer la
profusion et l’explosion de la créativité qui secouent les communautés musulmanes de
Douala. Désormais il est presque impossible d’esquisser une typologie cohérente des
musulmans de Douala. Les clivages et les parcours ne sont toujours pas une affaire de
génération. D’ailleurs, les traditionalistes ont davantage de facilité à créer et à faire vivre
des activités à caractère islamique. Il est difficile de réconcilier ce que font des dignitaires
et les jeunes.
A titre d’exemple, El Hadj
Bell Mahmoud, imam, chef de la communauté
musulmane de Ngodi/Bakoko et président de la JIC (association spécialisée dans la
prédication auprès de jeunes des lycées et collèges) de Douala est probablement
l’épicentre de cette nouvelle religiosité. Né en 1960 à Mbanda, arrondissement de Dibang
dans le Nyong et Kellé, Bell Luc de son nom originel est issue d’une famille chrétienne
64
G.L. Taguem fah, ‘‘Tendances actuelles de l’islam au Cameroun ; étant des lieux et perspectives’’,
Afrique contemporaine, n°194, 2e trimestre 2000, p. 57.
65
Ibid., pp.55-57.
262
de l’église presbytérienne. Il est rebaptisé Bell Mahmoud en 1982 lorsqu’il se convertit à
l’islam. Comment est-il entré dans l’islam ? Bell Mahmoud raconte :
C’est une longue histoire qui peut se résumer ainsi : j’ai été un adepte très fervent
du christianisme, notamment à l’église presbytérienne du Cameroun. C’est dans ce cadre
que je fais beaucoup de recherche sur la religion. Surtout que j’étais en fin de formation
des études qui devait faire de moi un pasteur. Nous étions dans les années 1981 et 1982.
C’est alors que j’ai des contacts avec des amis musulmans qui me permettent d’avoir des
informations exactes sur la religion musulmane. Surtout que je croyais que cette religion
était la propriété exclusive d’un peuple qu’on appelait le peuple Haoussa. Il faut dire
aussi qu’on m’avait inculqué des informations pas exactes sur cette religion. Par exemple
que les musulmans ne se lavent pas, c’est ce qu’on m’avait enseigné et qu’avant
d’enterrer un des leur décédé, ils l’égorgent. Lorsque je commence à faire la
connaissance de l’islam avec des amis tels que Njiku Nji Salifou, mon frère du Noun ;
Daoudou Baldré, un exilé tchadien ; Youssef Abachir, un coopérant tunisien et de jeunes
Egyptiens, il y avait à Yaoundé Dr. Ndam Njoya alors ministre de l’Education Nationale
et son ami le prêtre Engelbert Mveng. Ces deux avaient coutume d’organiser des forums
de dialogue qu’ils appelaient dialogue islamo-chrétien. Cela a été pour moi une aubaine
puisque je participais en posant beaucoup de questions pour connaître ce que c’est que
l’islam. C’est ainsi que je suis entré à l’islam. C’est alors que j’ai compris qu’il y’avait
un peu plus de vérité à l’islam.66
Après son baccalauréat, il entre dans la fonction publique en 1984 et est affecté au
centre des chèques postaux de Douala. Une fois à Douala, il est élu à la tête de la jeunesse
islamique du Cameroun (JIC), branche de Douala. Convertisseur infatigable, il sillonne
les milieux bassa et fait des adeptes. En 1999, il initie la traduction du Coran en langue
bassa’a 67. L’imam Bell Mahmoud justifie son initiative en ces termes :
Jusqu’au XVIIIe siècle, l’église chrétienne en général, a pénétré les zones les plus
reculées du monde parce que les missionnaires mettaient l’accent sur la traduction de la
Bible en langue locale. La langue étant un important véhicule de la communication, elle
suscite la sympathie du peuple vers la religion. Et aujourd’hui, l’islam est resté dans un
carcan par ce que le Coran est écrit en arabe, qui n’est pas compris par tout le monde. Et
j’ai pensé qu’avec la traduction française qui a un peu ouvert la compréhension de
l’islam aux francophones et francophiles, le peuple Bassa peut aussi accéder à la
compréhension de cette religion qui n’est pas l’apanage ou la propriété des arabes. C’est
pourquoi, j’ai œuvré à la traduction du coran en langue bassa pour que le peuple bassa,
dans ses limites naturelles, accède à la connaissance de l’islam68.
66
Le Messager du 12 septembre 2006.
Le Coran est traduit en plusieurs langues dans le monde : anglais, français, latin, italien, allemand,
néerlandais, hébreu, haoussa (Nigeria), urdu (Pakistan) et depuis 2005 en bassa’a (Cameroun). Ce n’est
cependant pas la première initiative au Cameroun, la première a été le fulfulde.
68
Le Messager du 12 septembre 2006.
67
263
L’équipe de traduction, quant à elle, était constituée de Idrissa Traoré et Dr.
Ndiara de nationalité malienne ; Abdou Karim Abbo, Peul de l’Extrême Nord ; Moumin
Ibrahim, Peul de Garoua ; Mbatkom du Noun. C’est dire que cette traduction n’était pas
une affaire de Bassa, même si à un certain niveau du travail, l’équipe de Bell Mahmoud
avait fait appel aux Bassa et pas seulement aux Bassa islamisés. A plus de cinq reprises
en effet, Bell Mahmoud avait réuni des anciens du peuple bassa qui étaient souvent partis
de leurs villages pour corriger la forme littéraire.69
En 2005, la première mouture est disponible. Une centaine d’exemplaires sont
tirés puis placés à la Bibliothèque Nationale où ils sont conservés. A brève échéance,
confie l’imam Bell Mahmoud, ‘‘nous envisageons de le produire en millions
d’exemplaires, car la demande est grande. A cet effet, il a été envoyé en Arabie Saoudite
pour étude et multiplication’’70.
Comme on peut le constater, les activités (conférences, prédications,
enseignement et encadrement des convertis) de l’imam Bell Mahmoud sont à mi-chemin
entre le modernisme et le traditionalisme. Elles empruntent à tous les registres et
rencontrent d’énormes succès tant en milieux jeunes, adultes que chez les aînés et même
hors de la province du Littoral. Il conçoit en effet des programmes de vulgarisation de
mosquées et de conversion jusqu’ aux confins de l’Est du Cameroun. Il est membre de
l’équipe rédactionnelle du mensuel islamique d’information An-Nour publié à Yaoundé.
Tout ceci traduit la complexité à établir une barrière nette où plutôt à définir ce qu’on
appelle tradition et surtout la modernité. Il s’agit ici d’une nouvelle voie entre tradition et
modernité, laquelle n’est pas linéaire ou verticale. Ainsi, des passerelles se construisent
entre les différents protagonistes.
En suivant la définition d’Hamadou Adama, on pourrait dire que celle-ci ‘‘est
sinueuse et réversible, mais surtout animée par des liens d’enchevêtrement,
d’interdépendance et d’imbrication permanente, sans que l’une n’arrive vraiment à
prendre le dessus sur l’autre’’71. Ainsi, les traditionalistes tout comme les modernistes
recrutent selon les formes modernes de religiosité. Il demeure cependant que l’islam
69
Ibid.
Ibid.
71
H. Adama, L’islam au Cameroun, p. 9.
70
264
réformiste ou ‘‘néo fondamentale’’72 semble au regard de nos enquêtes progresser à
Douala, porté par l’éducation et les jeunes, dans un contexte de désintégration sociale
(urbanisation, migration, chômage, paupérisation). Ainsi, comme dans les années 1980,
plusieurs raisons ont continué à jouer un rôle prépondérant dans les motivations des
adhésions des jeunes au nouveau courant réformiste. De plus, le développement, par
l’instruction, de la connaissance du français, de l’anglais ou de l’arabe et l’accès plus aisé
aux ouvrages sur l’islam et aux médias électroniques, expliquent que les jeunes soient de
plus en plus attirés par ce qu’ils considèrent être la ‘‘vraie religion’’. Ils rejettent alors
‘‘l’islam des vieux’’, fondé sur l’oral et le respect de la hiérarchie dans l’accès au savoir.
La deuxième chose est que, au plan de la religion – ensemble de croyances ou de
dogmes et pratiques cultuelles qui constituent les rapports du croyant avec la puissance
divine ou foi, piété, croyance – la diversité des démarches est tout aussi évidente : il
suffit, pour cela, de comparer les approches des réformistes sunnites/wahhabites, des
simples croyant désireux de vivre de façon moderne leur religion, des chiites et des ‘‘
cadets sociaux’’ à celles de leurs aînés et on comprendra. Autrement dit, la contestation
religieuse a pris des formes très élaborées.
Depuis bientôt 15 ans, des clivages socio-religieux émergent entre notamment les
tendances islamiques à Douala. D’autres tendances islamiques sont venues en effet se
greffer aux anciennes : aux sunnites Tidjanites et Wahhabites, il faut ajouter désormais
parmi les derniers arrivés, les Tabligh et en bonne place les Chiites, dont les membres
peuvent être des fonctionnaires, des membres des professions libérales, des lettrés, etc.,
ce qui aboutit à différents ‘‘conflits’’ religieux. Ces divisions au sein des communautés
musulmanes de Douala semblent s’accentuer. C’est donc dire que cette démultiplication
des tendances est aussi due aux différences des formations et à l’accès aux réseaux
islamiques. Cette nouvelle demande religieuse s’impose véritablement dans les
mentalités urbaines de Douala à partir du milieu des années 1990, parmi les jeunes, parmi
une nouvelle élite de lettrés en arabe, en français, en anglais. Ils sont désireux de remettre
en valeur les fondements du message islamique comme valeurs modernes adaptées aux
besoins de la vie quotidienne.
72
Voir O. Roy, L’échec de l’islam politique, pp. 102-103.
265
En parallèle à cet éclatement religieux sur des bases idéologiques, l’espace
religieux
musulman de Douala enregistrait par ailleurs des tensions intra-
communautaires autour du leadership religieux ; lesquelles seront aussi à l’origine de la
parcellisation de la communauté, suivie en outre de la construction et/ou réfection des
mosquées.
A-2 Complexification des lignes de clivage et contestation/remise en cause religieuse
L’un des effets de la manifestation de la dynamique islamique à Douala tient aussi
à la complexification des lignes de clivage qui traversent et parcellisent la communauté
musulmane.
En
témoigne
l’éclatement
des
lieux
de
cultes
qui
favorisent
l’épanouissement de mosquées ethniques émergentes, souvent nées en vue de régler un
problème de langue ou de leadership au sein des grandes mosquées du vendredi.73 De
fait, depuis l’époque coloniale, la mainmise des Haoussa sur l’islam dans les grandes
cités urbaines du Sud-Cameroun en général indispose, en particulier, fréquemment les
Bamun et les Bafia. Fort de leur ancienneté dans la ville de Douala, les Haoussa se
sentent guides spirituels de l’ensemble des musulmans de la ville. Ils ont, les premiers,
contribué à l’islamisation de la ville de Douala du fait de leur mobilité et de leur activité
commerçante. De plus, les communautés musulmanes de Douala n’ont pas la même
densité historique et le facteur islam n’a pas la même importance dans la formation de
leur ethnicité. Les Peul, les Haoussa et assimilés74, de ce point de vue, s’estiment
supérieurs aux autres : Bafia, Bamum et autres convertis. A ce sujet, A. Njiasse Njoya
écrit par exemple: ‘‘entre les Haoussa et les Bamun, les rapports sont demeurés ceux du
73
A Yaoundé par exemple, l’ouverture de l’immense complexe islamique de Tsinga, financé par l’Arabie
Saoudite, a été repoussée de deux ans en raison d’une lutte intense pour l’accès à l’imamat entre les
différentes composantes ethniques de la communauté musulmane de Yaoundé. Le chef haoussa n’a pu
finalement s’assurer le contrôle du superbe édifice et, face à une situation inextricable, la gestion de la
mosquée a dû être confiée à une organisation saoudienne. Pur plus de détails, lire, entre autres, T. Takou,
‘‘L’islam au Cameroun : progression et mutation’’, in F. Eboussi Boulaga (s.d.), L’état du Cameroun 2008,
Yaoundé, Editions Terroirs, 2009, p. 622 et L. Maud, ‘‘Cameroun : les nouveaux territoires de Dieu’’,
2005, p. 93.
74
Les similarités culturelles ont permis une intégration entre les deux groupes et les Ouest Africains
(Sénégalais, Maliens, Nigériens, etc.) qui se sont harmonieusement mélangés et se démarquent de moins en
moins.
266
maître et de l’élève ; les marabouts qui ont été à l’école coranique des Haoussa jouissent
d’un grand prestige’’75.
Les Bamun, les Bafia musulmans et plus généralement tous les convertis
expriment des sentiments de frustration devant les anciens maîtres Haoussa ou Peul,
accusés –à tort ou à raison- de développer un sentiment de supériorité et ce en dépit de
leur appartenance commune à la même foi islamique. Ici, l’imbrication des domaines
religieux et ethno-culturels génère très souvent de doute à l’encontre des ‘‘nouveaux’’
convertis qui s’attellent difficilement à surmonter ces obstacles culturels et à éviter de
nouvelles situations conflictuelles aussi bien avec leur culture d’origine qu’avec leur
culture d’adoption. Toutes ces frustrations et ce sentiment d’être mis à l’écart ont suscité,
depuis la décennie 1990, une hostilité souterraine, voire renforcé la multiplication des
mosquées distinctes et l’ethnicisation de l’islam.
Musulmans depuis des siècles, les Haoussa-Peul et assimilés estiment de leur
côté qu’ils ont un mode de vie plus proche de la civilisation arabo-islamique. Ils refusent
de ‘‘prier derrière’’ un imam Bamum, un imam Bafia, etc.76 qui ont été islamisés par eux.
Ils se considèrent comme les seuls vrais musulmans. Comme on peut le constater, ici,
l’ancienneté de l’islamisation accorde un droit de préséance au sein de la communauté.
On tente de faire de Dieu l’objet d’une propriété exclusive, lié à son degré d’ancienneté.
Tout ceci débouche sur la constitution des lieux de prière distincts, à forte coloration
ethnique. Aussi, trouve-t-on, de plus en plus, à Douala des mosquées dont les
identifications sont essentiellement attachées à des regroupements ethniques. Il faut
cependant préciser que ce processus n’est pas brusque. Il est évolutif et date de l’époque
coloniale. Ainsi, existe-il une mosquée haoussa de tel ou tel quartier, une mosquée
Bamun de tel ou tel quartier, une mosquée foulbée de tel ou tel quartier, etc. Bref, dans
chaque quartier, chaque communauté possède sa ou ses mosquées. De même, lorsque le
sultan-Roi des Bamun inaugure en 2003 la mosquée chiite de Douala et reçoit peu après
la communauté bamun à l’église protestante bamun de New-Bell, en tant que ‘‘Père de
75
A. Njiasse Njoya, ‘‘L’islam au Cameroun’’, in La culture arabo-islamique en Afrique au Sud du
Sahara : cas de l’Afrique de l’Ouest, Publication de la Fondation Temimi pour la Recherche Scientifique et
l’Information, Zaghouan, août 1997, p. 260.
76
Ibid.
267
tous les Bamun’’ les
musulmans du Grand Nord77 disent, non sans mépris pour ces
‘‘islamisés récents’’ que ‘‘les Bamun ont un pied de chaque côté : le vendredi à la
mosquée, le dimanche à l’église’’. Ce type de raccourci en dit long sur la manière dont
est généralement considéré le lien entre identité ethnique et identité religieuse, le
pluralisme confessionnel étant souvent perçu comme ‘‘un paganisme déguisé’’78.
Par ailleurs, les imams haoussas et assimilés reprochent aux Bamun leur
accommodation avec le ‘‘fétichisme’’79, leur manque de savoir et de ne considérer
l’islam que comme un soutien à la royauté bamun.80 De fait, le camp haoussa-fulani
(peul) islamisé de longue date et installé à Douala bien avant les Bamun, repose aussi sur
une solide alliance entre les Nigérians, les Nigériens, les Sénégalais et les Maliens avec
qui il partage des similitudes culturelles et professionnelles. Cette différenciation connaît
depuis peu un phénomène de remise en cause, lié à l’affirmation d’un islam bamun
dynamique et prosélyte. Les musulmans bamun comblent en effet depuis peu leur retard
sur ceux du Grand Nord, s’émancipant, en même temps, du pouvoir peul-haoussa qui
entendait conserver sa domination sur la sphère islamique et dirigerait effectivement,
depuis l’indépendance, les associations islamiques nationales, à l’instar de l’ACIC. Ainsi,
les Bamun jouent, ces dernières années, un rôle au moins aussi important dans la
diffusion de l’islam, amplifié par leur proximité culturelle avec les autres populations
méridionales du Cameroun. Ils constituent un groupe religieux de plus en plus important
et le prosélytisme de leurs marabouts et imams fait de plus en plus d’adeptes. Ces
derniers acquièrent progressivement une visibilité et une influence croissante dans le
champ social. Ils tiennent des prêches populaires.81
77
Le Grand Nord désigne les trois régions septentrionales du Cameroun (Adamaoua, Nord et ExtrêmeNord).
78
Voir L. Maud, ‘‘Cameroun : les nouveaux territoires de Dieu’’, p. 97.
79
A Foumban, l’islam a fait une synthèse profonde avec la religion coutumière ou ‘‘agraire’’ pour reprendre
l’expression de D. Dejeux (‘‘Les religions agraires en Afrique noire’’, Le Mois en Afrique, no 223-224,
août-septembre 1984, pp. 134-145) ; Cf. C. Tardits, ‘‘Passage d’une religion traditionnelle (culte des
ancêtres à l’islam : le cas Bamoum)’’, Sociétés africaines, monde arabe et culture islamique, (mémoires de
Germaa, T.1), Paris, INALCO, 1981, pp. 135-152.
80
Pour d’amples informations, se référer à l’étude I. Mouiche, ‘‘Islam, mondialisation et crise Identitaire
dans le Royaume Bamoun, Cameroun’’, pp. 378-420.
81
VoirT.M. Bah, ‘‘Islam et modernité au Cameroun’’, in M.Michel et P. Soumille, Etudes
Africaines l’Afrique Noire à l’IHPOM (1964-1994), Paris, l’Harmattan, pp.249-262.
268
Suite au même constat selon lequel les solidarités ethniques transcendent ou
supplantent les solidarités religieuses, l’imam Ouba Oumarou de la mosquée de Bonabéri
devait, à l’occasion de la fête de tabaski82 de 2005, condamner le fait que ‘‘plusieurs
mosquées sont en train de naître avec une coloration ethnique. L’on retrouve ainsi des
mosquées haoussa, foulbé, bamun dans tous les quartiers (…) ce qui n’est pas admissible
dans l’islam qui est une religion d’intégration’’83.
Et, El Hadj Tanko Amadou, chef traditionnel de la communauté devait au cours
de la même cérémonie, revenir à son tour sur le message passé par l’imam à savoir le
danger que présente le tribalisme dans l’islam, en précisant que : “ Tous les musulmans
sont des frères, il n’est donc pas question que des gens se regroupent parce qu’ils sont
d’une même tribu. C’est aller à l’encontre des dispositions de l’Islam”84.
Au sein de la communauté, la bataille autour du leadership religieux et de la
maîtrise des connaissances islamiques devait parfois se transporter sur le terrain
infrastructurel. Ainsi, certains édifices religieux sont détruits pour être reconstruits, afin
d’en augmenter la capacité d’accueil, marquer les esprits et surtout de répondre aux
nouvelles normes techniques et architecturales imposées par les promoteurs des nouvelles
mosquées. D’autres sont rénovées, suivant une architecture imposante. A titre
d’illustration, la mosquée foulbée de New-Bell/Congo sera détruite en octobre 2005. La
cérémonie de lancement des travaux de reconstruction a lieu en novembre de la même
année, en présence du Lamido de Tignère, localité située dans la région de l’Adamaoua.
La présence du lamido de Tignère est révélatrice de l’origine du chef de la communauté
peule de New-Bell/Congo et d’El Hadj Diallo Bakaï Mamoudou, un des imams de ladite
communauté. A cette occasion, ce dernier déclara :
Cette mosquée n’est que la première étape. Elle nécessite l’effort de tous les
membres de la communauté. Nous envisagerons pour le futur l’école, le dispensaire et
bien d’autres choses.85
82
Voir glossaire
La Nouvelle Expression du 25 janvier 2005. p.6.
84
Ibid. p.12.
85
Extrait de l’interview accordée par Diallo Bakaï imam titulaire de la mosquée foulbée de Douala à la
chaîne de télévision privée ‘‘Canal 2 International’’ et diffusée le 27 Novembre 2005 dans le cadre de
l’émission ‘‘Vitrine de l’Islam’’.
83
269
La langue utilisée (le fulfulde, langue des Peul) par le lamido de Tignère lors de
son discours circonstanciel et l’origine de l’imam Diallo Bakai Mamoudou de même que
la dénomination de la mosquée (mosquée foulbée de New-Bell/Congo) constituent des
indicateurs de la division ethno-cultuelle, accentuée par l’ethnicisation des mosquées.
Pendant le même mois, c’est-à-dire en novembre 2005, la mosquée haoussa de
New-Bell qui avait subi des travaux de réfection au cours de l’année 2004 (voir
photographie no 9) était inaugurée, en présence du Gouverneur de la province du Littoral,
Gounoko Haounnaye, lui même musulman originaire de la région de l’Extrême-Nord. A
cette occasion, il avait fait la mise au point suivante :
Cette mosquée est une maison de Dieu. Elle n’appartient ni à New-Bell ni à
aucune tribu. Tout musulman quelque soit son origine peut venir prier ici (…) Il n’y a
pas deux mosquées centrales à Douala. La mosquée du marché central de Douala reste
jusqu’à nouvel avis l’unique mosquée principale de Douala.86
Cette mise au point résulte des luttes souterraines que se livrent les communautés
musulmanes de Douala, notamment lorsqu’il s’agit du contrôle des principales mosquées.
Ainsi, l’ouverture de cette mosquée était l’occasion pour le gouverneur de dénoncer les
luttes pour l’accès à l’imamat entre les différentes composantes ethniques de la
communauté musulmane de Douala. En effet, dans cette communauté à base sociospatiale large, de fortes tensions opposent les trois principales factions d’adeptes et
d’autorités religieuses du ‘‘tripode’’ géo-islamique camerounais. La compétition entre
musulmans peuls (Grand-Nord), bamun (Ouest) et haoussa (villes du Sud) pour l’accès à
l’imamat dans les principales mosquées de la ville de Douala reste particulièrement vive.
Face à des situations parfois inextricables, la gestion des principales mosquées est
souvent confiée à un collège d’imams, représentants la diversité ethnique de la
communauté musulmanes de la ville. Et, bien que les collèges des imams des grandes
mosquées soient multi-ethniques, les groupes haoussa et peul se comportent encore
souvent comme s’ils étaient les seuls imams légitimes.
Une autre réalité s’impose aux yeux de tout observateur tant soit peu attentif au
quartier New-Bell/Congo. Dans leur contexte migratoire, les Ouest-africains
86
Extrait de l’interview accordée par le gouverneur de la région du Littoral à la chaîne de télévision privée
‘‘Canal 2 International’’ et diffusée le 27 Novembre 2005 dans le cadre de l’émission ‘‘Vitrine de l’Islam’’.
270
271
(les Sénégalais, les Maliens et Yoruba) à Douala, ont aussi amélioré les aspects extérieurs
et intérieurs de leurs mosquées (voir photographie no 10), surtout en raison d’une
politique migratoire qui conduit ces migrants à réfléchir sur le statut de l’islam dans leur
communauté et dans leur lieu d’accueil.87 Ce débat est à mettre en parallèle avec
l’évolution des conditions de vie de ces Ouest-africains, de leur éloignement et de leur
prise de conscience de leur installation durable voire définitive à Douala, lequel les
conduit à créer des structures de cohésion socio-culturelle (mosquée et dahira pour les
Sénégalais), des espaces de prière propres à leur communauté, auxquels sont adossées des
écoles coraniques (mosquée malienne, mosquée yoruba, mosquée guinéenne, etc.). Tout
ceci contribue à un éveil culturel islamique qui débouche sur une plus grande
structuration ‘‘ethnique’’ et religieuse des musulmans non nationaux.
Ainsi, la technique de prosélytisme observée dans les années 1980 qui consistait à
construire de nouvelles mosquées a perduré mais en s’amplifiant, depuis le tournant des
années 1990, sur des bases ethniques et entraînant une division plus poussée de la
communauté. Cette division est surtout liée aux complexes ethno-culturels et à des
inégalités dans l’accès aux réseaux islamiques et donnent par ailleurs des indices sur des
ressorts cachés.
En outre, la multiplication des lieux de culte s’est renforcée dans les espaces
publics, au point où il est désormais impossible de les répertorier. Dans les hôtels, les
agences de voyage, les restaurants, les marchés, etc. des espaces délimités sont réservés à
la prière des musulmans. Dans les lieux de service, sur les trottoirs des rues encombrées
de Douala et partout ailleurs (parkings, hangars, etc.) où l’heure de la prière atteint les
musulmans de Douala, ils prient, le visage en direction de la Mecque. A l’heure de la
prière, sont étalées quelques nattes et tapis qui sont repliées après la célébration de
l’office. Cette pratique qui s’appuie par ailleurs sur le Coran88 participe aussi d’une
volonté de rendre publique/visible l’islam et d’une islamisation tout azimut.
87
Pour affiner sa réflexion sur l’islam en situation migratoire, le lecteur pourra consulter les écrits de S.
Bava, ‘‘Les mourides entre utopie et capitalisme’’, Manière de Voir, Bimestriel, juillet-août 2002, pp. 4851 ; V. Ebin, ‘‘A la recherche de nouveaux ‘‘poisons’’ : stratégies commerciales mourides par temps de
crise’’, Politique Africaine, no 45, 1992, 90-120 et C.A. Babou, ‘‘Brotherhood Solidarity, Education and
Migration : The Role of the Dahiras Among the Murid Muslim Community of New York’’, African Affairs,
2002, no 101, pp. 151-170
88
Selon le Coran, la prière doit se faire n’importe où, car tout endroit est saint puisqu’il a été créé par Allah.
272
273
Les manifestations de la foi doivent se montrer et être partout. Ces territoires religieux
font émerger aussi des modes différentiés de sociabilité, c’est à dire l’ensemble de ces
relations sociales qui se jouent dans et autour des mosquées et des lieux de grandes
prières. Ils forment finalement un patchwork complexe de territoires musulmans se
recouvrant sur leurs marges.
L’ensemble de ces facteurs explique l’éclatement de la communauté suivi par
ailleurs de nouvelles constructions et/ou le renouvellement des mosquées de plus en plus
belles et qui résistent à l’usure du temps. Ils montrent aussi que ces constructions
s’associent à des rivalités ethniques et/ou nationales, qu’elles centralisent des oppositions
sous jacentes et les placent sur un plan supérieur. En somme, d’un point de vue
géopolitique, Douala présente un clivage musulmans anciennement islamisés (Houssa et
assimilés, Peul) et ouest-africains (en raison de la perpétuation d’une alliance et des liens
trans-ethniques et trans-culturels entre populations musulmanes originaires du
septentrion et le musulmans ouest-africains Nigérians, Maliens, Sénégalais, Nigériens,
etc.) /musulmans récemment islamisés (Bamun, Bafia et autres convertis). Dès lors, ces
différentes communautés n’échappent pas toujours aux dérives du tribalisme. Mais les
nouveaux fondements de la communication/publicisation de l’islam constituent
également l’un des enjeux de la transformation islamique à Douala.
B-Médiatisation et/ou marchandisation du religieux à Douala : un marché local du
religieux en construction
Depuis la décennie 1990, de nouveaux entrepreneurs religieux se sont engagés
dans une pastorale urbaine. Sous l’effet des nouveaux moyens de la communication89, la
ville de Douala devient davantage un enjeu social pour les nouveaux prosélytes. Il s’agit
de forger un mode de vie musulman, des femmes, des hommes et des jeunes qu’il faut
89
Pour une approche générale et comparative entre religion et communication en Afrique, se référer aux
différents thèmes proposés pour le colloque international ‘‘New Media and Religions Transformations in
Africa’’, organisé par le Center for Study of African Culture and Communication (CESACC) Abuja,
Nigeria, July, 10-12, 2008 ; l’ouvrage de B. Soares et R. Otayek (eds.), Islam and Muslim in Africa,
Palgrave, Macmillan, 2007, notamment la troisième partie intitulée ‘‘New Ways of Being Muslim’’ et M.
Birgit and A. Moors, Religion, Media and the Public Sphere, Bloomington and Indianapolis, Indiana
University Press, 2006
274
former dans le respect des préceptes de l’islam. Telles sont les tendances révélées par les
communications islamiques, les prêches, les marchés, etc. organisés par des
entrepreneurs religieux dans un contexte toujours pluriel.
B-1 La médiatisation de l’islam à Douala : contraintes et challenges
Une mode tout à fait récente de prosélytisme de l’islam à Douala résulte du
rôle des medias entendu comme vecteur de communication islamique et de publicisation
de l’islam. En effet, l’observation de la production des médias locaux en rapport avec la
question de prosélytisme/publicisation de l’islam à Douala montre une évolution quasiparallèle avec le comportement et les attitudes des musulmans. Cette attitude varie
également en fonction des périodes, c’est-à-dire suivant que l’on soit en périodes
d’intenses activités religieuses (ramadan par exemple) ou non. Des ‘‘rubriques sociétés et
cultures’’ sur l’islam à Douala sont alors régulièrement confectionnées par les médias
locaux, rendant par-là même populaire l’islam auprès de l’opinion publique et, son
glissement sur la scène publique.
De manière plus concrète encore, la prise en compte de l’islam dans les
programmes des radios gouvernementales et privées locales, des télévisions locales90 ou
la création des journaux locaux à caractère islamique91 de même que la tenue des
conférences, causeries et séminaires publics ouvrent la voie à une audience locale voire
provinciale ou nationale. Par le biais d’intervenants : ‘‘entrepreneurs religieux’’92,
prédicateurs télé, coachs spirituels, imams, etc. dont le choix et le statut dépendent de
leurs connaissances, de leur richesse culturelle, de leur expérience et de l’agrément des
90
Sur les antennes des télévisions privées locales (S.T.V., Equinoxe T.V et Canal 2 International, etc.) et
des radios privées de proximités (FM) des émissions telles que ‘‘connaissances de l’islam’’, ‘‘Lumière sur
l’islam’’, ‘‘Vitrine de l’islam’’ etc. sont hebdomadairement diffusées.
91
Par exemple l’hebdomadaire El Qiblah d’obédience islamique qui est publié à Douala par le PIAH.
92
Les marxistes croyaient que la religion est l’opium du peuple. Les économistes néo-classiques qui
dominent la discipline aujourd’hui analysent le champ religieux comme un simple marché. Ils y voient d’un
côté des ‘‘entrepreneurs religieux’’ et de l’autre des ‘‘consommateurs’’ qui, inconsciemment, examinent les
bénéfices et les coûts des différentes religions et cherchent les meilleurs rendements à leurs investissements
spirituels. Cette approche choque beaucoup de non-économistes. Mais Gary Becker a eu un Prix Nobel
avec celle-ci même si c’est parfois caricatural et mécanique. Son postulat de base est celui-ci : les êtres
humains sont des agents rationnels qui maximisent leur satisfaction et leur bien-être spirituel en réagissant à
des systèmes d’incitation. Il serait fort intéressant de voir des économistes africains travailler sur cette
question.
275
fidèles ou de leurs notables, des messages sont directement adressés au public et aux
fidèles. Si avant 1990 les réformistes répliquaient face aux traditionalistes en construisant
de nouvelles mosquées, depuis 1990,
en plus des mosquées, ils défient les
‘‘conservateurs’’ à des colloques, réunions, séminaires, conférences ou débats radiotélévisés où ils peuvent les surclasser facilement grâce à leur connaissance et à leur
instruction en français, en anglais, en arabe. Pour l’imam Bell Mahmoud de
Ngodi/Bakoko un de ceux qui animent très souvent ces rubriques à Douala, l’islam est
une religion au dogme facile à comprendre, à la pratique simple et qui s’adapte assez
facilement aux réalités locales, aux différentes situations de vie de personnes, en
acceptant même les compromissions avec les pratiques locales, en vue de son expansion :
Durant les quelques années que j’ai passé au village Bakoko notamment à
Ngodi/Bakoko déclare l’imam Bell Mahmoud initiateur de la traduction du Coran en
langue bassa’a, tous ceux que j’ai côtoyé se sont imprégnés de l’islam et peuvent parler
de cette religion parce qu’ils en ont entendu parler. Il est de mon devoir et de tous les
musulmans de transmettre le message de la manière la plus courtoise. J’espère que nos
auditeurs pourront suivre la même voie.93
Dans cette stratégie, l’adhésion religieuse se fait plus fluide, plus nomade, et de
façon individuelle.94 Ainsi, les volontaires mus par un choix individuel, sont susceptibles
de changer d’obédience religieuse pour adhérer à l’islam même si cette individualisation
de la foi favorise ce que O. Roy appelle ‘‘relation relâchée à l’autorité’’95, c’est-à-dire
une indépendance du ‘‘fidèle’’ par rapport au responsable. Ces changements ne signifient
pas que les musulmans de Douala sont moins religieux. Mais indique que l’expérience
religieuse connaît de nouveaux fondements.
Comme on le constate, cette liberté de choix est en relation avec la
diversification de la production et donc de l’offre religieuse. L’accès aux médias,
l’abondance des émissions islamiques, l’Internet, les migrations, la multiplication des
centres culturels islamiques et des associations mettent le fidèle en présence de multiples
paroles musulmanes dont il a le loisir de ‘‘ bricoler’’.
On doit cependant relever avec H. Adama que les difficultés de communication
93
Propos de Bell Mahmout, recueilli lors de l’entretien du 7 août 2005 à Ngodi/Bakoko.
On lira utilement M. André (éd.), L’Afrique des individus, Paris, Karthala, 1997 et R. Otayek, Identité et
démocratie dans le monde global, Paris, Presses de Sciences Po, 2000.
95
O. Roy, L’islam mondialisé, Paris, Seuil, 2002, p.89.
94
276
de certains intervenants en français et/ou en anglais, langues officielles du Cameroun
engendrent très souvent un déficit de communication dans la mesure où il s’agit
d’échanges, de dialogue, de communication, de se faire comprendre. De même, l’emploi
de l’arabe limite leur audience car cette langue n’est pas aisément accessible. Parfois, on
a recours à un interprète (le plus souvent le modérateur ou le journaliste qui est lui-même
musulman) ;
ce
qui
encourage
nécessairement
la
rétention
d’information,
l’approximation, l’autocensure et entrave la compréhension subtile de certains détails
dont l’articulation dans un langage claire et soutenu aurait renforcé la contenance et la
portée. Leur passage dans les télévisions ou dans les radios prend alors souvent une
tournure pathétique, manquant de ce fait, de la pertinence, de l’originalité, de
l’attractivité.96 Des efforts sont certes consentis dans le sens de l’utilisation du français
et/ou de l’anglais mais dans l’ensemble, ils restent timides, exception faite des cas de
quelques uns qui sont universitaires, enseignants du secondaire ou formés en milieux
scolaires et universitaires francophones ou anglophones.
B-2 L’islam de marché, l’autre forme de mise en public de l’islam
La semaine qui précède les fêtes musulmanes (ramadan et tabaski) est aussi l’un
des moments privilégiés pour observer la publicisation de l’islam à Douala. Cette
semaine est dominée par d’intenses activités économiques. Des jouets, des bijoux aux
modes vestimentaires, musicales, audio-visuelles, en somme les ‘‘produits islamiques’’
basés sur le respect de l’éthique musulmane connaissent un franc succès auprès des
musulmans. C’est un marché qui commence à intéresser même les noms musulmans.
Ainsi, la poupée voilée mate aux cheveux bruns et vêtue comme les femmes arabes, se
vend en plusieurs exemplaires. La norme islamique devient un sérieux argument de
vente dans nombre de secteurs : textile, bijoux musique, jouets, etc. et permet à bien
nombre de commerçants de se faire une place dans le marché.
96
H. Adama, ‘‘Islam et christianisme dans le bassin du Lac Tchad : dialogue des religions ou dialogue des
religieux?’’, Recherches Africaines, Revue électronique internationale publiée par la FLASH de
l’Université de Bamako, en partenariat avec l’Université de Gaston Berger de Saint Louis (Sénégal),
l'Université Cheick Anta Diop de Dakar (Sénégal) et la FALSH de l’Université de NGaoundéré
(Cameroun) avec le soutien de l'Agence universitaire de la Francophonie (AUF), no 4, 2005, disponible sur
le lien internet http://www.recherches-africaines.net/document.php?id=59, consulté le 20 juillet 2006.
277
Dans les prêts-à-porter, des enseignes locales jusque là inconnues ont réussi à se
faire un nom auprès de la clientèle féminine en proposant une gamme de vêtements de
mode jugée conforme à la pudeur islamique. Robes longues dernière tendance, hauts de
corps sophistiqués et voiles aux couleurs très chatoyantes remplacent le long voile
traditionnel de couleur sombre dans les rues des quartiers musulmans de la capitale
économique du Cameroun.97
L’industrie musicale n’est pas en reste. Aux côtes de chansons légères de la
variété camerounaise, trônent aussi en bonne place dans les ventes des chansons aux
rythmes et sonorités inhabituels, où les références religieuses sont légions. Ces chansons
rendent hommage à la vie et au modèle de conduite du Prophète. Ils valorisent aussi
l’image au parfait homme musulman fidèle à sa famille, pieux, sensible et généreux. Des
casettes audio et vidéo de chanteurs étrangers sont aussi proposées aux fidèles.98 De
même, devant les mosquées, des casettes et des disques compacts contenant des versets
du Coran en arabe ou en français, en haoussa, en fulfulde, en bamun, etc. sont vendus en
grand nombre. Des émissions animées par les théologiens sur l’importance du jeûne se
succèdent dans les chaînes de radio et des télévisions publiques et privées locales. Dans
des domiciles, des chaînes de télévision satellitaire en provenance des pays arabes
(Egypte, Koweit, etc.) diffusent à longueur de journée des séries spéciales sur le ramadan.
Ces émissions sont entrecoupées de publicités des produits islamiques.
Dans L’islam de marché, l’autre révolution conservatrice, le sociologue suisse
Patrick Haenni99 lie ce nouveau marché à l’émergence d’une nouvelle bourgeoisie pieuse
qui n’a cessé de s’enrichir ces deux dernières décennies. Véhiculant des valeurs à la fois
modernes et de réussite sociale et personnelle, elle reste tout autant traditionaliste sur les
sujets de bonnes mœurs et de l’identité religieuse. Cette nouvelle classe tente, par ses
comportements, d’allier les principes dynamiques du capitalisme à des valeurs issues de
l’éthique musulmane, telle que la charité et la redistribution sociale.100
97
Cette forme d’habillement récente à Douala est classique en Afrique du Nord. Voir H. Lehmici,
‘‘Egypte : les produits musulmans ont le vent en poupe’’, Syfia International, repris par Le Messager no
2133 du mercredi 24 mai 2006, p. 12.
98
Le succès du chanteur Egyptien Sami Yusuf est fulgurant auprès des musulmans, grâce à son album Al
mu’ahim (le maître).
99
P. Haenni, L’islam de marché, l’autre révolution conservatrice, Paris, Seuil, 2005.
100
Pour une approche comparative, lire les écrits de D. Schulze, ‘‘Promises of (im)mediate salvation :
Islam, broadcast media, and the remaking of religious experience in Mali’’, American Ethnologist, vol. 33,
278
On peut cependant dénoncer une utilisation de la symbolique religieuse à des fins
purement mercantiles, qui ne remettrait en rien en cause le caractère injuste et inégalitaire
du capitalisme. On peut ainsi juger le principe même de l’économie islamique
incompatible avec les canons de l’économie capitaliste. La norme éthique ne serait dès
lors qu’un argument de marketing.
A l’inverse, Cheikh Njoya Moubourak est pour sa part persuadé que :
l’islam associe la spiritualité et la recherche des moyens. C’est la raison pour
laquelle lorsqu’on entre dans les cinq piliers de l’islam, on trouve que les 4/5 sont
économiques, en dehors du premier pilier qui est l’unicité de Dieu. Le deuxième pilier
qui est la prière indique que pour prier, il faut être pur, or la pureté suppose qu’il faut se
laver. Et l’eau, ca s’achète ; s’il faut prier, ce n’est pas dans le noir, il faut le faire dans la
lumière et la lumière est énergétique et donc se paye. Il ne faut pas prier étant affamé,
donc la prière nécessite un minimum de moyens. Les synagogues, les églises et les
mosquées doivent se construire : tout cela demande des moyens financiers. Le troisième
pilier est l’aumône obligatoire annuelle que le riche doit donner au pauvre (il faut
prélever 2,5% de sa richesse épargnée annuellement pour donner aux pauvres) et le
quatrième pilier qui est le jeûne du ramadan. Avec les fêtes qu’il comporte, le ramadan
est aussi un élément économique. Le pèlerinage à la Mecque pour celui qui a les moyens
est un rite économique. Donc, le musulman est celui qui est appelé à l’intégration
économique, sociale, culturelle et même politique. Mais le pauvre a sa place dans l’islam.
Parce que dans la gestion de l’aumône obligatoire annuelle, il est question, non pas de
l’émietter pour la donner à plusieurs pauvres, mais le riche doit choisir un pauvre qu’il
doit sauver. Ce pauvre qui doit recevoir des centaines de mille est appelé à son tour à
devenir riche, c’est-à-dire le futur donateur de l’aumône. La zakat est donc un moyen de
lutte contre le chômage et la pauvreté.101
Bien plus, pour lui, on ne peut pas vivre dans un monde loin du monde (…) mais
dans un monde avec le monde. Nous devons, dit-il, participer à la vie de la nation dans la
mesure où nous (les musulmans) vivons dans le même environnement politique,
économique et social que les Camerounais des autres confessions religieuses.102
La rencontre à succès entre cette offre des produits islamiques et la demande du
public musulman inspire de plus en plus les commerçants. Pendant la période de jeûne,
le commerce de certains produits prospère. Les cours des mosquées et les alentours sont
no 2, 2006, pp. 210-229; ‘‘Charisma and Brotherhood revisited : Mass-mediated forms of spirituality in
Urban Mali’’, Journal of Religion in Africa, no 33, 2, 2003, pp. 146-171 et plus généralement N. Gôle,
‘‘Islam in Public: New Visibilities and New Imaginaries’’, Public Culture, 14, 1, 2002, pp. 173-190.
101
Extrait de l’interview accordée par Cheikh Njoya Moubarak au quotidien Mutations, n°1412, du
vendredi 27 mars 2005, p.4.
102
Ibid. Il rejoignait là les banques qui pensent qu’islam et capitalisme peuvent aller de pair. Et puisque le
premier interdit l’intérêt sur l’argent et prévoit l’obligation de redistribution sociale, une banque comme
‘‘Afriland First Bank’’ ou un établissement de micro finance comme ‘‘Crédit du Sahel’’ proposent, depuis
quelques années déjà, des produits financiers adaptés aux musulmans.
279
envahis par des petites commerçantes, lors de la dernière prière du soir. Elles proposent
différentes denrées alimentaires : beignets à base de maïs ou de riz, de la banane, de la
bouillie et des fruits. Les acheteurs ne sont pas que musulmans. Les habitudes
alimentaires et les coûts diffèrent ainsi selon que l’on soit en plein ramadan ou pas.
Moussa Rabiou, célibataire, affirme par exemple : ‘‘Ce n’est pas la même chose que je
dépense pendant les jours ordinaires car, il faut prévoir l’argent de trois repas par jour.
Alors que pendant le ramadan, je mange une seule fois et ca me coûte 1000 francs CFA
au lieu de 2000 francs CFA par jour’’103. D’autres personnes, pensent, par contre,
qu’elles dépensent plus pendant le ramadan. Sani Mama, père d’une famille de huit
personnes souligne : ‘‘Je dépense plus par rapport aux exigences de l’heure. Il faut
l’argent pour les fruits, la bouillie, les beignets qu’on n’a pas l’habitude de manger les
jours ordinaires sans compter les plats consistants. En ce moment, je donne 4000 à 5000
francs CFA pour la ration chez moi alors que d’habitude 3000 francs CFA c’est
suffisant’’104.
De même, la célébration des fêtes islamiques n’est pas que l’affaire des fidèles.
C’est aussi l’occasion pour quelques futés de
faire des affaires. Des photographes
envahissent ainsi les lieux de prière, captant les fidèles en prière. Le petit commerce
prospère aussi : beignets, bonbons, biscuits, crèmes et sucettes se vendent ; surtout que
les fidèles viennent en masse : hommes, femmes et enfants. Dans ce contexte, des
territoires musulmans se construisent aussi à Douala et montrent bien que la rupture, sur
certains points, est consommée. Autrement dit, dans ce paysage religieux, les fêtes
islamiques présentent encore une série de spécificités. Elles rendent bien plus visibles les
mobilisations populaires et la reconfiguration sociale de la communauté.
A l’évidence, un fait domine aux plans religieux et social, l’impact et les
manifestations du dynamisme islamique au sein de la communauté musulmane de
Douala: les compétitions à l’intérieur même de la grande communauté musulmane. Les
oppositions entre Tidjanistes, Sunnites et Chiites ont été plus vives. On peut aussi dire
103
Moussa Rabiou, entretien du 2 octobre 2005, devant la mosquée sénégalaise, au quartier NewBell/Makea.
104
Sani Mama, entretien du 2 octobre 2005, devant la mosquée sénégalaise, au quartier New-Bell/Makea.
280
que la division de la communauté s’est poursuivie après 1990 en s’amplifiant, sur une
opposition ethno-religieuse. Les tendances chiites et wahhabites accueillent
régulièrement des imams de passage qui ‘‘viennent prêcher en des termes très durs’’105 et
leurs mosquées forment des embryons de réseaux, dans lesquels ‘‘on ne circule qu’avec
des recommandations’’106. L’autre camp, c’est à dire les traditionalistes/tidjanistes
représente, et de loin, la majorité des musulmans de Douala.
En outre, on peut dire que ces dernières années, les divergences liées aux
idéologies, au complexe ethno-tribal et à la connaissance sous-tendaient une volonté de
reconquête religieuse et cachaient un prosélytisme belliqueux entre les différentes
tendances et différents groupes ethniques. Elles permettaient par ailleurs d’affirmer
symboliquement un territoire musulman en expansion sur ces marges urbaines. Dans les
années 1970-1980 en effet, l’islam était parti à la conquête de nouveaux quartiers. A
Douala, les ‘‘réformistes’’ de retour étaient les acteurs de l’affirmation d’un espace
religieux beaucoup plus vaste. Dans les quartiers, les mosquées marquaient de plus en
plus l’espace. Elles devenaient des œuvres de proximité et familiarisaient des citadins à
une présence musulmane demeurée jusque là à New-Bell. Ce mouvement manifestait une
emprise sur la ville, et, corrélativement le recul du quartier New-Bell comme espace
privilégié des musulmans. Plus discrète jusqu’à la fin des années 1980, cette position
devient cependant plus ostentatoire au lendemain de la décennie 1990.
Il existait désormais des imams de quartier plus ou moins influents à la fin de
la décennie 1980. Mais les cérémonies consensuelles à l’échelle de la ville masquaient
alors quelque peu les différentes tendances. Dans les années 1990, la communauté
musulmane éclate. Les oppositions, à la fois religieuse et sociale épousent une certaine
réalité ethnique, idéologique et géographique même si elles ne peuvent pas se réduire à
cette division. Les débuts des années 2000 n’ont pas remis en cause ce modèle
commencé entre la fin des années 1980 et les années 1990 : l’islam se divise en de
multiples tendances rivales dans la ville de Douala. Au-delà de ces divisions, toutes les
communautés musulmanes de Douala vont développer diverses stratégies pour une
meilleure représentation et prise en compte dans l’espace politique local et global. En
d’autres termes, tous ces développements ont des implications politiques, locales et
globales.
105
106
Le Monde, 28 octobre 2004, pp.2-3.
Ibid.
281
SEPTIEME CHAPITRE
LES RAPPORTS DE LA COMMUNAUTE MUSULMANE DE DOUALA A LA/AU POLITIQUE
LOCALE ET A LA OUMMA : NOUVELLES FORMES D’EXPRESSION ET DEFIS
La transition démocratique, la décompression autoritaire n’a absolument pas, au
Cameroun pas plus qu’à ailleurs, entraîné un effacement du rôle social de la religion.
Bien au contraire, la libéralisation s’est accompagnée d’une grande liberté religieuse qui
a favorisé les initiatives des organisations islamiques. Pour ce qui nous concerne, en plus
du boom des associations musulmanes et de l’effervescence islamique déjà mentionnées
à Douala, on remarque une politisation de l’islam, les musulmans commençant à poser
certaines exigences aux autorités politico-administratives locales, comme une meilleure
représentation dans les institutions locales.1
Politisation de la religion aussi dans la mesure où l’ouverture démocratique a
amené les leaders politiques à rechercher le soutien des figures qui comptent/influencent
dans la marche des communautés musulmanes, qu’il s’agisse des notabilités religieuses
et traditionnelles, des responsables des associations et des musulmans ayant un certain
poids économique. Cet appui est recherché par ce que ces imams, dignitaires religieux et
chefs constituent des leaders d’opinion, car écoutés et respectés et disposant donc de
ressources politiques non négligeables. Appui recherché aussi par ce que certains
musulmans ont un certain poids économique de nature à aider des partis politiques dans
leur campagne électorale. Dans ce contexte, certains leaders religieux et des associations
prendront la parole lors des campagnes électorales. Cependant, la participation de la
communauté musulmane à la politique doualaise n’est pas univoque pour l’ensemble de
ces catégories. Soulignons d’emblée qu’il n’y a pas à Douala, de politisation de l’islam
tel qu’on le voit et le connaît ailleurs, dans d’autres villes d’Afrique : Zaria, Kano, Dakar,
1
Voir Y. Moluh, ‘‘Cosmopolitisme et démocratie urbaine : essai d’explication des comportements
politiques post-municipales du 21 janvier 1996 à Douala’’, Revue Africaine d’Etudes Politiques et
Stratégiques, no 1, 2001, pp. 153- 164.
282
Abidjan, Bamako.2 Il convient également de souligner que la politisation de l’islam n’a
pas abouti ici à l’émergence d’un parti religieux, qu’il soit local ou national, avant et
après l’indépendance et que c’est à leur corps défendant et contre les textes qui les
régissent que les associations islamiques par exemple prendront la parole dans le débat
politique.3 Quelles sont alors les modalités/stratégies d’entrée de la communauté
musulmane dans le champ politique doualais?
Outre l’analyse de ces modalités, nous nous intéressons dans ce chapitre aux
nouvelles politique et conception du Hajj, à l’importance de plus en plus grande de la
participation des jeunes musulmans doualais à ce cinquième pilier de l’islam; et enfin
aux connexions/solidarités de l’islam doualais avec la Oumma, c’est -à- dire les
modalités de l’inscription de l’islam doualais dans la sphère nationale et internationale ;
ce qui leur confère par ailleurs de nouvelles identités.
A- Les positions prises par les ‘‘vétérans’’ : les notabilités religieuses, les chefs
musulmans et les grands commerçants
Depuis 1990, le Cameroun a renoué avec le multipartisme, comme ce fut le cas
pendant les années 1950 et au début des années 1960.4 Durant la période du parti unique
(1966-1990), la coexistence entre les groupements humains à Douala n’avait pas été
manifestement ‘‘conflictuelle’’. Le parti unique exerçait d’office une fonction de
protection des ‘‘minorités’’, en leur accordant prioritairement ses investitures - qui
valaient élection - et en leur octroyant tout aussi prioritairement les positions
2
Pour une idée sur le dynamisme politique des associations musulmanes dans ces villes, on lira utilement
l’ouvrage de M. Gomez-Perez (s.d.), L’islam politique au Sud du Sahara. Identités, discours et enjeux,
Paris, Karthala, 2005 et notamment les pages 159-176 ; 449-460 et 583-600.
3
Dans leur dénomination, leur but, leur organisation et leur fonctionnement, ces associations se disent
‘‘apolitique’’.
4
Sur la question de la démocratisation et du retour du multipartisme au Cameroun, voir entre autres, M.
Bannock, Le processus de démocratisation en Afrique : le cas camerounais, Paris, L’Harmattan, 1992 ; V.
Ndi Barga, Rupture et continuité au Cameroun, Paris, L’Harmattan, 1993 ; D. Oyono, ‘‘Du parti unique au
multipartisme’’, Afrique 2000, no 6, 1991, pp. 23-37 ; P. Moukoko Mbondjo, ‘‘Le retour au multipartisme
au Cameroun’’, in G. Conac (s.d.), L’Afrique en transition vers le pluralisme politique, Paris, Economia,
1993, pp. 237-250 et S. Nkainfon Pefura, Le Cameroun, du multipartisme au multipartisme, Paris,
L’Harmattan, 1996.
283
influentes de pouvoir.5 Avec l’avènement du multipartisme au début des années 1990,
plusieurs formations politiques voient le jour. Cette ouverture démocratique et ce
pluralisme politique offrent aux musulmans doualais, comme d’ailleurs à toutes les autres
communautés, de nouvelles perspectives au marché politique local jusque-là fermé et
restreint. Il devient de plus en plus compétitif. En outre, ce relâchement autoritaire pose
le problème de la
représentation en termes de positionnement des différentes
communautés locales. En somme, le retour au pluralisme politique complexifie davantage
la situation politique à Douala, en déstructurant les cadres d’exercice du pouvoir et en
brouillant les modalités usuelles ou opérationnelles de la participation des composantes
sociales à la gestion publique locale.6 L’impact de cette nouvelle donne aura un écho sur
les communautés musulmanes de Douala.
On note en effet l’irruption des notabilités religieuses, des chefs traditionnels
musulmans et des élites économiques musulmanes dans l’arène politique de Douala. Les
deux dernières catégories à savoir les chefs et les grands commerçants préfèrent se
positionner le plus souvent sous la bannière du parti au pouvoir, le RDPC. Bien qu’il
s’agisse en réalité de la continuation d’une politique pré-existante sous les anciens partis
uniques (UNC/RDPC), cette nouvelle ouverture de la classe politique RDPC aux chefs et
à certains hommes d’affaires, véritables big-men dans leur terroir commence entre 1990
et 19937; une mutation horizontale. Cette coalition hégémonique entre le RDPC, les
notabilités religieuses et traditionnelles et les hommes d’affaires avait assuré dans
certains cas le succès électoral du premier, verrouillant ainsi le ‘‘changement’’ prôné par
l’opposition. De leur côté, ces entrepreneurs économiques étaient prompts à engranger les
5
Voir P. Ngueken Dongo, ‘‘Cameroun : la démocratie représentative malade du ‘‘parachutage’’ politique’’,
Annales de la Faculté des Sciences juridiques et Politiques, Université de Dschang, Tome 4, 2000, pp. 97106.
6
Voir C. Abé, ‘‘Multiculturalisme, cosmopolitisme et intégration politique en milieu urbain : les défis de la
citoyenneté de type républicain à Douala et à Yaoundé’’, Polis, revue camerounaise de science politique,
vol.12, 2004, pp. 43-73.
7
Ces années sont celles au cours desquelles le Cameroun a connu ce qu’on pourrait qualifier de crise
d’adolescence, laquelle a failli littéralement l’emporter. Ces années dites de ‘‘braise’’ ont secoué le paysage
socio-politique national au point où l’opinion internationale déchantait sur les perspectives de redressement
du Cameroun, à moyenne échéance.
284
rentes électorales que de par leurs investissements dans leurs terroirs, ils constituent un
palliatif au déficit de régulation étatique en ce temps de crise économique.8
A-1 Des notabilités religieuses et traditionnelles : suppôt du RDPC ?
En tant que leaders religieux, les imams sont parfois de porte-parole pour
transmettre des messages de la communauté religieuse, car écoutés et respectés des
fidèles. Il faut dire qu’à partir des années 1990, années dites de braise, scandées par le
mot d’ordre populaire de ‘‘villes mortes’’9, s’est introduit un autre champ politique au
Cameroun. En effet, au cours des manifestations et des émeutes issues des opérations
‘‘villes mortes’’ de 1991 et des tensions survenues à la suite des différentes consultations
électorales (double scrutin législatif du 11 février et présidentiel du 11 octobre) de 1992
par exemple, les imams, sollicités par l’administration locales, se sont illustrés à Douala
par des messages d’apaisement qu’ils inséraient dans leurs sermons du vendredi.10 Il en
allait de même pour les chefs traditionnels, constamment sollicités par les autorités
politico-administratives locales.
Vidée de son autonomie par le texte de 1977, la chefferie traditionnelle, cadre
naturelle de mobilisation des masses pour les actions de développement constituait sous
le parti unique une structure d’encadrement politique des populations.11 Tous les chefs
traditionnels étaient d’office membres du parti-Etat, UNC d’abord et puis RDPC et
membres des organes dirigeants des comités de base de leur ressort territorial. A la faveur
de la nouvelle donne politique impulsée par le vent de libéralisation politique, ils feront
de plus en plus l’objet de récupération politique. Les périodes pré-électorales marquent
alors une ‘‘reconsidération de la fonction et du rôle des autorités traditionnelles dans la
8
Voir I. Mouiche, Autorités traditionnelles et démocratisation au Cameroun. Entre centralité de l’Etat et
logiques de terroir, Munster-Berlin-Hamburg-London-Wien, 2005.
9
Phénomène politique sans précédent au Cameroun, ‘‘Les villes mortes’’ désignent une grève générale de
cinq mois sans résultat politique pour ses initiateurs, mais entrainant l’appauvrissement de la population.
On trouvera une analyse substantielle de ce phénomène dans F. Eboussi Boulaga, La démocratie de transit
au Cameroun, pp.63-86 et G. Séraphin, Vivre à Douala. L’imaginaire et l’action dans une ville africaine en
crise, Paris, L’Harmattan, 2000.
10
Entretien avec l’imam Aboubakar de la mosquée haoussa du marché Congo, le 30 septembre 2006, au
marché Congo.
11
Cette situation n’était pas particulière au Cameroun. Cf. C.-H. Perrot et F.X. Fauvelle Aymar (s.d.), Le
retour des rois. Les autorités traditionnelles en Afrique contemporaine, Paris, Karthala, 2003.
285
nouvelle configuration politique’’12. C’est le regain d’influence, le retour des rois ou des
autorités traditionnelles13 sur la scène politique. De nouvelles formes de relations
‘‘centre-périphérie’’14 se nouent. Des chefs traditionnels issus de la communauté
musulmane de Douala choisissaient leur camp, parfois de façon ostentatoire. D’autres
prenaient la parole dans le champ politique local. Quoi qu’il en soit, il fallait se soumettre
ou prendre le risque de se voir démettre de ses fonctions si jamais le choix opéré n’était
pas celui du vainqueur.
Ainsi, l’un des moments qui donne une originalité à la politisation et au
contrôle de l’autorité traditionnelle musulmane par les autorités locales à Douala est la
période de libéralisation politique qui s’est ouverte au Cameroun en 1990. Pendant cette
période, et notamment pendant la période très mouvementée des ‘‘villes mortes’’ qui a
secoué le Cameroun et notamment entre 1990 et 1992, les chefs des communautés
musulmanes étaient régulièrement convoqués par les autorités locales aux fins de
résoudre le problème de la fermeture de maisons de commerce au marché Congo, selon le
mot d’ordre de grève qui paralysait les activités de la ville. Ils étaient aussi sollicités pour
participer à l’implémentation de la politique gouvernementale.15
Absent au sein du personnel dirigeant16, les chefs utiliseront le pouvoir
institutionnel dérivé. Ils disposeront de l’appareil de l’administration locale et des
facilités qu’il procure.17 Bien qu’à la périphérie, les chefs traditionnels voudront se faire
valoir comme les gardiens des prérogatives du centre, contestant par ce fait même toute
initiative locale qui aurait pour but d’invalider le contrôle qu’exerce le maître sur la
périphérie. Les communautés qui ne respectent pas ce schéma seront marginalisées et
tenues à l’écart des questions essentielles de la construction de la cité. Il en sera de même
pendant les campagnes électorales.
12
H. Adama, L’islam au Cameroun. Entre tradition et modernité, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 160.
Voir C.-H. Perrot et F.X. Fauvelle Aymar (s.d.), Le retour des rois. Les autorités traditionnelles en
Afrique contemporaine, 2003.
14
Voir J.-P. Fogui, L’intégration politique au Cameroun : une analyse centre-périphérie, Paris, LGDJ,
1990.
15
B.-J. Nkene, ‘‘Les immigrés nigérians à Douala : problèmes et stratégies d’insertion sociale des étrangers
en milieu urbain’’, Afrique et Développement, vol. XXVIII, nos 3 et 4, 2003, pp. 142-167.
16
Dans son ouvrage intitulé Cameroun : qui gouverne? D’Ahidjo à Biya, l’héritage et enjeu, Paris,
L’Harmattan, 1983, P.F. Ngayap refuse de classer la chefferie traditionnelle parmi les catégories
dirigeantes de la société politico-administrative du Cameroun.
17
Voir E.-M. Mbonda, ‘‘Autorité sacrée du chef et droits de l’homme en Afrique’’, Rupture/Solidarité, no
3, Paris, Karthala, pp. 61-90.
13
286
L’autre forme d’intervention des chefs traditionnels musulmans dans le champ
politique a lieu lors des manifestations publiques. Ainsi, à l’occasion des cérémonies de
remise des dons et autres cadeaux (activisme social), les leaders traditionnels se font
l’écho ou prennent position en faveur du parti au pouvoir. Autrement dit, pour les chefs
traditionnels, ces cérémonies servent de rame de lancement, de tremplin pour défendre
non seulement leur position en leur qualité de prolongement du système en place mais
surtout pour prendre position dans les campagnes électorales, en faveur du RDPC, qui sur
ce plan, semble avoir pris de l’avance sur ses principaux concurrents à Douala : Union
Nationale pour la Démocratie et Progrès (UNDP), Union Démocratique du Cameroun
(UDC) et le Social Democratic Front (SDF). Pour illustrer nos propos, nous prenons
l’exemple du conseil des chefs traditionnels des musulmans de Douala qui, lors de la
cérémonie de remise des prix aux meilleurs élèves musulmans le 20 septembre 2003 à
Douala, son président El Hadj Tanko Amadou et par ailleurs président de la section
RDPC de Douala IVe avait servi à l’assistance venue nombreuse ce qu’il avait qualifié d’
‘‘appel de Douala’’18 qui était en fait une exhortation à Paul Biya, Chef de l’Etat et
président national du RDPC, à solliciter un nouveau septennat à la tête de l’Etat à la
faveur de la présidentielle du 11 octobre 2004. Lors de cette cérémonie, les lauréats
musulmans des examens de l’année scolaire 2002-2003 avaient reçu des livres au
programme, des cahiers, des stylos et autres matériels didactiques, pour ‘‘soutenir et
encourager leurs efforts’’19. L’école franco-arabe de New-Bell en état de délabrement
avait reçu à la même occasion 25 sacs de ciment et 30 tôles. Ces dons étaient évalués par
le président de l’amicale des chefs musulmans de Douala à la somme de trois millions de
francs CFA.
Les invités de marques étaient entre autres, le secrétaire général de la province du
Littoral, les dignitaires dualas, les chefs des communautés haoussas des régions du
Littoral, de l’Ouest et du Nord-Ouest.
Au cours d’une autre réunion semblable tenue le 18 septembre 2004 à Douala
sous le thème ‘‘Agir ensemble pour le développement’’, le conseil des chefs traditionnels
des chefs musulmans de Douala avait une fois de plus remis des prix aux meilleurs élèves
18
19
On peut lire l’intégralité de cet ‘‘appel’’ dans le quotidien Le Messager, n° 1564, p.8.
Ibid.
287
musulmans et n’avait pas manqué l’occasion d’apporter son soutien au RDPC et de
demander à l’assistance de plébisciter les listes du RDPC lors des élections municipales
et législatives à venir.20
De même, pendant la période pré-électorale de l’élection présidentielle du 11
octobre 2004, le chef haoussa de New-Bell El Hadj Housseini Adamou Labbo (voir
photographie no 11) avait au cours d’un meeting organisé en juillet 2003 par l’ANJMC
affirmé que sa communauté entendait apporter au chef de l’Etat Paul Biya ‘‘un soutien
digne de notre tradition pour la présidentielle de l’année prochaine’’21 avant de prier
‘‘infiniment le président à se porter candidat’’22. Pour lui, l’arrondissement de Douala IIe
et les musulmans en particulier souhaitaient ‘‘la candidature du président national du
RDPC qui reste le seul candidat crédible et le seul à présenter le profil digne de ce
rang’’23.
L’esplanade de la chefferie haoussa de New-Bell servait à l’occasion d’arène
politique pour la caravane de l’ANJMC. Le chef haoussa avait affirmé à l’occasion son
alliance avec le parti au pouvoir. En recommandant à ses ‘‘sujets’’ le vote du parti au
pouvoir, celui-ci leur assurait implicitement l’adhésion de toute la communauté
musulmane de sa circonscription administrative.
L’action des chefs devenait ainsi une ressource porteuse. Celle-ci était amplifiée,
instrumentalisée par les autorités politico-administratives locales et la presse
gouvernementale pour la diffusion de leurs idéologies et pour la mobilisation, le
ralliement des militants en périodes électorales. Elles encourageaient les chefs à battre
campagne pour le RDPC. Dès lors, l’instrumentalisation n’est pas à sens unique. Elle est
mutuelle. Mais le militantisme politique des chefs, notamment le soutien qu’ils apportent
au parti au pouvoir depuis le retour au multipartisme, leur incursion dans les arènes
électorales, bref cet opportunisme conduit à l’observation à l’affaiblissement de leur
position dans une ville comme Douala, au dysfonctionnement des chefferies et même
plus grave, à la criminalisation de la politique. Dans ce cas, le gage d’une bonne
gouvernance dans leur terroir semble passé par leur neutralité qui ne signifie nullement
20
Observation participante à Douala, le 18 septembre 2004 au quartier New-Bell/Haoussa
‘‘RDPC : les jeunes musulmans de Douala derrière Paul Biya’’, Cameroon Tribune du 24 juillet 2003, p.
5.
22
Ibid.
23
Ibid.
21
288
289
dé-participation ou ‘‘non engagement’’ politique. Et, par ce que les chefs seront neutres,
ils gagneront en dignité et la cohésion des chefferies renforcées et ne seront plus exposés
à l’indocilité de leurs populations.24 L’autre moment de la politisation de l’islam à Douala
est la cooptation des élites économiques musulmanes dans le jeu politique local.
A-2 La cooptation des élites économiques musulmanes dans le microcosme politique
Doualais
Cette cooptation relève de la logique et de la stratégie de contrôle des
musulmans fortunés dont le poids financier peut éventuellement être déterminant pour les
activités de partis ou même pour l’administration locale. Cette catégorie nouvelle
d’acteurs générée par la diaspora musulmane constitue à certains égards, dans le cas de la
ville de Douala, un type comparable au self – made – man américain qui, par ses propres
efforts réussi à se hisser au dessus du lot commun. Bénéficiant d’une ‘‘grande
renommée’’25, il voit son statut social se différencier, ce qui lui confère une audience
toute particulière parmi ses pairs. Ces types de profils sont recherchés par des autorités
locales à des fins électoralistes lors des campagnes politiques, et notamment pour leur
apport financier comme on peut l’observer dans les arrondissements de Douala IIe,
Douala IIIe et Douala IVe où leur poids financier est devenu déterminant au fils des
années. Mais le processus d’incorporation des riches musulmans dans le jeu politique
local est plus visible avec la cooptation des agents économiques dits incontournables ;
ainsi de El hadj Tanko Amadou et de El Hadj Garba Aoudou.
El Hadj Tanko Amadou est un important homme politique de la ville de Douala.
Son itinéraire est typique de ceux des immigrés haoussas du Nord du Nigeria arrivés à
Douala avant les indépendances et installés dans les petits métiers. Ayant débuté comme
tailleur à New-Bell, il s’est ensuite converti dans le commerce où il s’est imposé comme
un ténor de la filière ‘‘ import – export’’26, ce qui lui a permis de gravir rapidement les
strates sociales. Il fut pendant longtemps vice-président de la section UNC (parti-Etat) du
24
Voir I. Mouiche, ‘‘Autorités traditionnelles, multipartisme et gouvernance démocratique au Cameroun’’,
Africa Development, vol. 30 (4), 2005, pp. 221-249.
25
J.F.Médard, ‘‘‘‘Le big man’’ en Afrique : esquisse d’analyse du politicien entrepreneur’’, L’Année
Sociologique, n° 42, 1992, p.169.
26
Voir A. Adepoju, ‘‘Linkages Between International Migration : the African Situation’’, International
Social Journal, n° 18-1, 1984, pp.35-57.
290
Wouri avant d’être élu premier maire de la commune urbaine de l’arrondissement de
Douala IVe en 1987 lors de sa création27 et président de la section RDPC de Douala IVe28
à Bonabéri, sur la rive droite du Wouri.29
Cette nouvelle position sociale conquise et son appartenance à la religion
islamique ont fait de lui un pôle ‘‘ naturel’’ de convergence de nouveaux immigrants de
même obédience religieuse ; il en va de même de ceux en bute aux tracasseries policières
quotidiennes. Sa situation d’established sert donc de refuge pour les nouveaux venus.
Parallèlement, c’est une position qui sert aussi aux autorités locales, surtout lorsqu’il
s’agit de résolution des litiges nés de la difficile cohabitation entre immigrés et locaux à
Bonabéri. Dès lors El Hadj Tanko Amadou apparaît auprès des autorités locales comme
une personne ressource qu’il faut consulter aux fins de la maximisation des gains dans un
jeu politique où les communautés musulmanes sont directement partie prenante. Les
élections sont les moments importants d’observation de cette cooptation.
Il en était de même d’El Hadj Garba Aoudou30 qui jouait un rôle similaire à
New-Bell/Congo et à Nkolouloun, autre quartier populaire et cosmopolite de Douala IIe.
Homme pluridimensionnel, il était vice président national de l’ACIC, représentant
régional de cette association dans la province du Littoral et homme d’affaires. Au plan
politique, il était cité parmi les pontes du parti au pouvoir (RDPC). De l’Union
Camerounaise (UC) au RDPC, en passant par l’UNC, il était toujours membre du comité
central, instance suprême du parti. Membre du conseil municipal de la mairie de New-
27
Loi n° 87/015 du 15 juillet 1987 portant création des communes urbaines.
Voir ‘‘Tanko Amadou, le ‘‘Baobab’’ de Bonabéri’’, Cameroon Tribune, quotidien bilingue, n° 410 du 12
novembre 1987, p.11.
29
Rappelons que la ville de Douala s’est très tôt développée sur les deux rives du Wouri. A l’origine,
Bonaberi, sur la rive droite, était un village vivant de pêche et, par la suite, du commerce avec les
européens. De nos jours, Bonabéri désigne tout le IVe arrondissement de la ville (créé en 1987) et couvre
une surface qui s’étend le long de la Route Nationale no 3-communément appelée ‘‘Nouvelle Route’’- sur
plus d’une dizaine de kilomètres. Faute de recensement récent de la population, les chiffres avancés pour la
population, de Bonabéri varient dans la fourchette 200.000-400.000 habitants sur les deux millions que
compterait l’agglomération doualaise. La présence d’une zone industrielle, d’usines et d’entrepôts le long
de la ‘‘Nouvelle Route’’ fait de Bonabéri un important pôle d’emplois formels pour la ville et ses environs.
En comparaison des quartiers centraux tels qu’Akwa ou New-Bell, Bonabéri est pauvre en équipements
urbains, obligeant ses habitants à se rendre régulièrement sur la rive opposée du fleuve. Toutefois, les
déplacements entre les deux rives du Wouri sont motivés essentiellement par le travail ou les études. Cf.
SITRASS, Pauvreté et mobilité urbaine à Douala. Rapport final, Programme de politiques et de Transport
en Afrique Sub-saharienne, Recherche financée par la Banque mondiale et la Commission Economique
pour l’Afrique, SITRASS, Lyon, 2004.
30
Décédé le 7 mars 2007.
28
291
Bell dans l’arrondissement de Douala IIe depuis 1987, il est élu député du même
arrondissement en 1988 et de 1996 à 200131. A New-Bell, il était très respecté dans la
communauté musulmane pour laquelle il manifestait une générosité sans limite : ‘‘à NewBell, il participait à hauteur de 50% au moins aux préparatifs de toutes les fêtes’’32.
Même si cette stratégie de contrôle est beaucoup plus globale et intègre tous
les notables économiques indépendamment de leur appartenance religieuse33, on peut
penser que l’investiture et l’enrôlement d’El Hadj Garba Aoudou dans les structures du
parti au pouvoir participent aussi de cette logique de contrôle des musulmans de haute
stature sociale et économique. La popularité d’Aladji Garba dans l’arrondissement de
Douala IIe était telle qu’il constituait, aux yeux des autorités locales, un maillon essentiel
à partir duquel on pouvait contrôler la frange musulmane de la population, qu’elle soit
nationale ou étrangère.
La recherche du contrôle des riches musulmans par les autorités locales se
traduit alors par l’inféodation dans le jeu politique local de certaines ‘‘pontes’’ ayant
acquis une notoriété dans la ville. En fait, la cooptation des élites musulmanes dans le jeu
politique de Douala obéit aux logiques de recrutement politique rendu nécessaire par le
contexte nouveau, marqué par la compétition politique, où les ‘‘représentants’’ et les
‘‘élites’’ apparaissent de plus en plus comme des ressources pour les instances locales. Le
charisme de certains est à la base de l’engouement que l’on observe de la part des
autorités politico-administratives pour leur cooptation dans le jeu politique local. La
réputation et la position sociale permettent d’entretenir les logiques qui fondent cette
inféodation : ils doivent pouvoir représenter quelque chose – communauté – ou avoir
quelque chose – fortuné –aux yeux des autorités locales. Mais l’observation de la scène
politique locale de Douala fait entrevoir une dynamique inverse d’entrée dans le champ
politique, impulsée cette fois par les communautés elles-mêmes à travers les associations.
31
Le Messager, n°2326, mars 2007, p.3
Ibid.
33
Lire à toutes fins utiles M. E. Owona Nguini, ‘‘L’Etat et les milieux d’affaires au Cameroun :
autoritarisme, ajustement au marché et démocratie (1986-1996)’’, CEAN-IEP de Bordeaux et GRAP, 2000
32
292
B- Type de discours adopté par les responsables des associations proches du
pouvoir : les associations islamiques et la prise de parole dans le champ politique
Si les mouvements associatifs sont classés par la législation en la matière dans la
catégorie d’associations culturelles, il faut cependant dire qu’elles jouissent d’une
certaine influence sur le plan politique. En effet, dans un espace social fortement urbanisé
comme Douala, marqué par la politique, l’émergence du fait ethnique, et la pauvreté, les
actions des associations islamiques ne manquent pas de références politiques. Leur entrée
dans le champ politique survient à partir du glissement de leur vocation
culturelle/économique à un rôle politique. Elles prennent alors position dans les débats
politiques et les luttes électorales. Leur intervention dans le champ politique a ainsi pris
généralement la forme de réunions publiques, mais les discours diffèrent en fonction de
l’époque, des enjeux et des questions.
Comme chez les chefs issus de la communauté musulmane de Douala, la
principale forme d’intervention des associations dans le champ politique est constituée en
plus de l’activisme social des
manifestations publiques au cours desquelles les
responsables des associations interviennent de façon plus ou moins directe dans la
compétition politique. En effet, à l’occasion des meetings et réunions publiques, des
leaders de certaines associations adhèrent aux positions défendus par le pouvoir. Ainsi,
l’ANJMC et l’Alliance des Femmes de l’Union Islamique du Cameroun (AFUIC) section
féminine de l’UIC34, de Douala que nous présentons ici ont agi à découvert dans le
champ politique.
D’abord, le 6 novembre 2002, à l'initiative de l’ANJMC, une ‘‘ prière de soutien’’
dite pour le ‘‘renouveau’’ et le 20e anniversaire de l’accession du président Paul Biya au
pouvoir avait été organisée à la mosquée haoussa, située au carrefour du lieu dénommé
‘‘ancien étage’’ au quartier New-Bell. Quatre temps forts avaient ponctué ladite prière. Il
s’agissait de la lecture coranique, des interventions des autorités politiques et religieuses,
de la prière proprement dite et la clôture de la prière.
A l’occasion le coordonnateur des activités du RDPC dans le département du
Wouri, Thomas Tobbo Eyoum, devait féliciter l’Amicale des Jeunes Musulmans pour le
34
L’UIC est une association à vocation nationale, représentée dans les régions, les départements et les
arrondissements. Voir les statuts de cette association en annexe.
293
Soutien du Renouveau35 et inviter tous les Camerounais à prier ‘‘Dieu afin qu’il continue
d’inspirer sagesse et doigté au Président de la République dans la direction du pays’’36.
Outre le coordonnateur des activités du RDPC dans le département du wouri, la prière
spéciale du 6 novembre 2002 avait été dite en présence du conseiller aux affaires
économiques auprès du gouverneur de la province du Littoral, Antoine Ngati ; de la
personnalité ressource du RDPC pour la section du Wouri II, Basile Atangana Kouna ; du
président de la section RDPC du Wouri II, Abraham Tchato ; du député du Wouri sud,
Joseph Owona Kono ; du chef du quartier haoussa de Bibamba-Bonanloka, sa majesté
Shouaïbou Oumara et du chef haoussa du quartier New-Bell, sa majesté El Hadj
Housseni Adamou Labbo.
Quand au président de l’ANJMC, Mohamadou Yakoubou, il avait relevé que la
prière spéciale du 6 novembre ‘‘vise à implorer la bénédiction divine sur notre pays’’37. Il
avait aussi saisi cette occasion pour porter à la connaissance des autorités administratives
et politiques le choix des jeunes musulmans du renouveau pour le candidat Paul Biya à
l’occasion de prochaine élection présidentielle38.
Dans son sermon, le premier adjoint à l’imam de la mosquée centrale de Douala,
Cheik Farouk, avait noté que tout pouvoir vient de Dieu. Il avait par conséquent demandé
aux fidèles musulmans de respecter ‘‘le choix porté sur le président Paul Biya en ce début
du mois du ramadan qui est le mois le plus important dans le calendrier musulman’’39.
Cette prière avait également connu la participation des dix imams des différentes
mosquées de Douala qui avaient invoqué ‘‘Dieu pour la paix et la prospérité du pays’’.40
Dans la même logique, l’ANJMC avait organisé un meeting le 24 juillet 2003
dans la cour de la chefferie haoussa de New-Bell. Quatre membres du gouvernement
avaient effectivement pris part à ce meeting : Philippe Mbarga Mboa, ministre chargé de
mission à la présidence de la République ; Adji Abdoulaye Haman, Ministre de
l’Urbanisme et de l’Habitat ; Haman Adama Halimatou, Secrétaire d’Etat à l’Education
35
C’est une autre appellation de l’ANJMC.
Voir le lien internet http://www.cameroon-info.net/cmForumNG/viewtopic.php?f=3&t=6326&start=15,
consulté le 20 septembre 2003.
37
Ibid.
38
Il s’agit des élections présidentielles de novembre 2004.
39
Voir le lien internet http://www.cameroon-info.net/cmForumNG/viewtopic.php?f=3&t=6326&start=15,
consulté le 20 septembre 2003.
40
Ibid.
36
294
Nationale ; Seyni Katchala, Secrétaire d’Etat au Ministère des Affaires Economiques et
de la Programmation. A côté de ces personnalités politiques venues de Yaoundé, les
principaux dirigeants du parti au pouvoir dans la capitale économique, le sous-préfet de
l’arrondissement de Douala IIe Mouhamadou Bachirou, le président de la section RDPC
du Wouri Sud,
El Hadj Relouanou Charaboutou par ailleurs président des élites
musulmanes de New-Bell et les autorités traditionnelles musulmanes et dualas avaient
pris part au meeting.41
Mohammadou Yacoubou président de l’ANJMC, entre hymne national et prières
‘‘pour que Dieu accorde longue vie à Paul Biya’’42, avait édifié le public sur l’objectif du
meeting porté par ailleurs par des banderoles sur lesquelles on pouvait lire ‘‘L’ANJMC et
les élites musulmanes de la capitale économique soutiennent S.E. Paul Biya candidat
naturel du RDPC en 2004’’43. En outre, Mohamadou Yacoubou avait affirmé que ses
‘‘troupes’’ et lui s’ingéniaient ‘‘à contrecarrer les manœuvres déstabilisatrices d’où
qu’elles viennent’’44, des ‘‘troupes’’ que l’ANJMC ‘‘mobilisera toujours en faveur du
président Biya et quelque soit son adversaire à la prochaine élection présidentielle, elle
conduira son candidat à la victoire’’45.
Enfin, l’ANJMC avait organisé une séance de prière le 17 juin 2004 à New-Bell.
Pendant cette prière faite en présence de dignitaires musulmans de la ville de Douala,
Mahammadou Yacoubou président de ladite association avait invité Paul Biya à se porter
candidat à la présidence de la république, pour son second septennat. Pendant la même
cérémonie, on avait prié pour ‘‘la paix au Cameroun’’, pour que ‘‘Allah accorde longue
vie à Paul Biya’’, surtout que le 3 juin 2004, une rumeur persistante avait annoncé que le
chef de l’Etat serait décédé à Genève en Suisse.
Les cérémonies organisées par Mohammadou Yacoubou appellent un certain
nombre d’observations. La qualité des personnalités présentes aux différentes réunions
donne une idée du tissu de relations de Mohammadou Yacoubou. A côté de fortes
délégations de personnalités politiques parfois venues de Yaoundé et constituée
essentiellement de ministres dont la plupart étaient des musulmans originaires du Nord,
41
‘‘RDPC : les jeunes musulmans de Douala derrière Paul Biya’’, Cameroon Tribune du 24 juillet 2003, p. 5.
Ibid.
43
Ibid.
44
Ibid.
45
Ibid.
42
295
se sont déployés les ‘‘élites musulmanes intérieures et extérieurs de New-Bell’’46 et de
Douala, les notables de la cour des chefs haoussa de New-Bell et de Bibamba-Bonanloka
mais aussi une foule d’amis et de connaissances. Ces grandes mobilisations témoignent
de la popularité dont jouit le président de l’ANJMC, de son capital relationnel - qu’il
importe d’étendre -. Autrement dit, l’étendue du réseau de relation confère la notoriété
politique et la puissance sociale. Plus Mohammadou Yacoubou diversifie le réseau de ses
relations, plus il étend son influence et renforce sa capacité de mobilisation des masses.
En outre, son appartenance à plusieurs réseaux de relations diversifie son champ
d’intervention et fait de lui un dépositaire de capital relationnel. Il peut donc ‘‘intervenir
en faveur’’ de tel ou tel. L’amplification des cérémonies organisées par l’ANJMC et le
déploiement spectaculaire de ce capital de relation dont dispose le président de l’ANJMC
constitue un mode privilégié d’insertion politique.
Une rencontre presque analogue caractérise aussi l’AFUIC Présidée par madame
Tanko. Cette branche féminine de l’UIC avait, au cours d’une réunion publique organisée
dans l’arrondissement de Douala IIe devant la grande mosquée de Bonanloka le 22
septembre 2004, exhorté la communauté musulmane de Bonanloka ‘‘à voter Paul Biya
lors de l’élection présidentielle à venir du 11 octobre 2004’’47. Lors de cette même
réunion, des lauréats musulmans reçus aux examens de l’année scolaire 2002/2003 et
résidants au quartier Bonanloka avait reçu des livres au programme, des cahiers, des
stylos et autres matériels didactiques.48
Au cours d’une autre réunion tenue par la même association le 29 du même mois
au quartier Mabanda dans l’arrondissement de Douala IVe, madame Tanko avait, en
présence du sous-préfet de Douala IVe, du maire de Douala IVe, de la communauté
musulmane du même arrondissement et de son chef El Hadj Tanko Amadou, appelé les
musulmans ‘‘à plébisciter son excellence Paul Biya, Président du Cameroun, président
national du RDPC et candidat naturel du RDPC lors de l’élection présidentiel du 11
octobre’’49. Il est courant que pendant ces manifestations à caractères politico-religieux,
des responsables musulmans prennent
46
à témoins les autorités administratives et
A la tête de ces élites (Tser), se trouve El Hadj Relwanou.
Le Messager, no 1718, septembre 2004, p.7.
48
Ibid.
49
Ibid.
47
296
traditionnelles de Douala quant à leur volonté d’œuvrer pour la paix et d’apporter leur
contribution au respect des lois de la République.
Une autre forme d’intervention des associations dans le champ politique est
l’interpellation, la sensibilisation, cette fois en direction de tous les partis politiques.
Cette forme s’opère de manière permanente. Ainsi, certains leaders d’associations et
notabilités religieuses dans le cadre de leurs activités décident d’appeler d’une part leurs
membres à se comporter en citoyens responsables en prenant leur carte d’électeur.
D’autre part, ils appellent les différents partis en compétition tant pour les législatives que
pour les communales à tenir compte lors des investitures des équilibres socio-culturel et
géo-démographique qui commandent la concordance inter-communautaire dans un
espace aussi cosmopolite que Douala.50 Autrement dit, les musulmans réclament que leur
identité sociologique soit reconnue lors de la constitution des listes électorales et de la
désignation des maires et/ou députés dans les arrondissements où ils constituent une
démographie importante. On peut donc dire que certains leaders des associations
prennent part au débat politique local dans la mesure où leur identité et leur statut social
ne sont pas toujours pris en compte dans la gestion publique locale. En effet, ces postes
font de leurs détenteurs des acteurs déterminants au sein de la hiérarchie sociale et
politique locale.
Lors de ces meetings, des consultations et échanges sont en général organisés
entre les personnalités désignées par la hiérarchie du RDPC et les leaders de la
communauté musulmane de la ville de Douala qui promettent, à l’occasion, leur soutient
‘‘à la délégation qui a pris en compte leur existence d’une part et d’autre part pour les
avoir sollicité afin qu’ils puissent contribuer en apportant leurs appuis à la victoire du
RDPC à Douala’’51. Cela dit, la présence des chefs dualas et surtout des autorités
administratives et politiques (gouverneur, préfet, sous-préfets, maires, députés, délégué
50
Le même phénomène a été observé chez le peuple sawa qui descendait dans la rue et protestait avec une
grande vigueur et beaucoup de ‘‘bruits’’ (marches, pétitions, memoranda, etc.) et intervenait dans les
médias contre la désignation des maires non-sawa dans les arrondissements remportés par le SDF après les
élections du 21 janvier 1996. Par ces méthodes, ils revendiquaient une appropriation des rôles politiques
majeurs au sein des exécutifs des municipalités locales. Pour plus de détails, se référer à Y. Moluh,
‘‘Cosmopolitisme et démocratie urbaine : essai d’explication des comportements politiques post
municipales du 21 janvier 1996 à Douala’’, pp. 153-164.
51
Voir interview de El Hadj Relouanou Charaboutou, président de la section RDPC du Wouri II au le lien
internet http://www.camerounlink.net/fr/pers-news.php, consulté le 12 mai 2006.
297
du gouvernement et autres invités) à ces cérémonies est très recherchée par les différentes
communautés musulmanes de Douala. Cet engagement public de la chefferie et des
autorités politico-administratives est cependant plus stratégique que spontané. Il semble
effectivement que la participation des chefs autochtones dualas et des autorités
administratives se traduit surtout par des actes de civilité administrative pour paraphraser
J.A. Mbembe52. Autrement dit, ils se font bien voir sans nécessairement adhérer au
message délivré lors des prêches ou des réunions. Il est effectivement frappant de
constater que le gouverneur de la province du Littoral de 2004 à 2006 participait
davantage aux cérémonies politico-religieuses à Douala, sans doute par ce que lui-même
était musulman.
Au total, l’attitude des leaders des associations est indicatrice du passage au
politique des acteurs musulmans. Ceux-ci ne se contentent plus des ‘‘rôles traditionnels
de moralisateurs et de modérateurs’’53. Ils veulent une participation accrue au jeu
politique. Ils revendiquent une appropriation des rôles politiques au sein des exécutifs
des municipalités locales, surtout dans les zones où ils sont sociologiquement et
économiquement dominants comme les communes urbaines des arrondissements de
Douala IIe et de Douala IIIe. Ils veulent une distribution égale des biens politiques et la
‘‘reconnaissance à parts égales’’54 entendue comme une égalité de chance à participer à
la gestion publique locale. Ces revendications posent un problème plus général, celui de
la gestion politique et démocratique des espaces cosmopolites et plurielles teintés de
luttes intenses et parfois ouvertes entre les identités ethno-régionales qui placent par
ailleurs les populations minoritaires dans une situation de déficit permanent, de minorité
perpétuelle synonyme d’éclipse politique.55 Aussi, les attaques contre la marginalisation
politique dont ils font l’objet sont-ils au centre de leurs langages politiques.56 Ainsi, dans
ces associations s’affirme un projet politique qui n’entend pas se substituer au projet
52
J.A. Mbembe parle de ‘‘civilité coloniale’’, cf. La naissance du maquis au Sud Cameroun (1920-1960),
Karthala, 1996, p. 10.
53
H. Adama, L’islam au Cameroun. Entre tradition et modernité, Paris, L’Harmattan, 2004, p.165.
54
J. Cesari, ‘‘Marseille face à ses communautés’’, Esprit, Juin 1994, p.77.
55
Voir Y. Moluh, ‘‘Cosmopolitisme et démocratie urbaine : essai d’explication des comportements
politiques post municipales du 21 janvier 1996 à Douala’’, pp. 158; lire aussi sa thèse intitulée ‘‘La
participation politique en milieu urbain de 1946 à 1992 : le cas de Douala’’, Thèse de Doctorat 3e cycle en
Science Politique, Université de Yaoundé II, 1997.
56
H. Adama, L’islam au Cameroun, p.165.
298
étatique ni s’y réduire. Son rapprochement vis-à vis de celui-ci s’exprime par des
discours laudatifs, des prières, etc., sans distance critique, ni conduites d’évitement ou
encore de rejet violent. Plus fréquemment, presque toutes les rencontres publiques sont
pour les responsables de ces associations et autres invités, l’occasion de proclamer leur
loyalisme et leur dévouement au gouvernement et à la personne du président de la
République, avant de louer les ‘‘ bienfaits’’ de la ‘‘paix’’ au Cameroun, sous le régime
du ‘‘renouveau’’. Ces serments de fidélité au chef de l’Etat vantent la ‘‘paix’’ sous le
renouveau ; on
‘‘ prie’’ pour
le président de la République, on l’appelle à se
‘‘représenter à l’élection présidentielle’’, etc.
Depuis le retour au multipartisme, il est de plus en plus fréquent -et c’est la
principale modalité de politisation très relative des associations islamiques à Douala- que
des responsables d’associations islamiques interviennent de façon plus ou moins directe
dans la compétition politique. C’est le cas de certains responsables d’associations que
nous avons étudiés ici et que la démocratisation et notamment la compétition électorale, a
contribué à mettre en scène dans le jeu politique. Comme chez les chefs traditionnels, on
peut parler d’une instrumentalisation réciproque entre autorités politiques et responsables
d’associations. Les premiers s’appliquant à chercher soutien et légitimité auprès des
seconds pour gagner des voix, les seconds visant à tirer profit de ce soutien pour avoir
une plus grande visibilité sociale. Ainsi, des élites économiques aux responsables
d’associations en passant par les chefs traditionnels, on peut parler de à chacun son islam
instrumentalisé.
En définitive, certaines associations musulmanes de Douala
ont opéré une
mutation dans la gestion de la pratique de leur religion. Cette mutation coïncide avec
l’arrivée sur la scène politique de plusieurs partis. Aussi, certains leaders musulmans en
plus des difficultés cultuels et socio-économiques propres à leurs communautés ont dû
prendre des positions dans les débats politiques qui ont lieu dans le pays et surtout au
niveau local. Moins virulents que les leaders religieux chrétiens57, ils ont dû trouver les
57
Pour une idée sur le rôle des leaders chrétiens dans les sphères sociale et politique au Cameroun pendant
les années 1990, lire entre autres A. Moukouri, ‘‘Le rôle des églises protestantes dans le processus de
transition démocratique’’, Yaoundé, 1994 ; E. Messi ‘‘ Le rôle de l’Eglise catholique dans le processus
démocratique au Cameroun (1990-1992)’’, Yaoundé ; P. Titi Nwel, ‘‘Les églises chrétiennes locales face à
la tourmente démocratique au Cameroun’’, conférence de Leeds 20-24 septembre 1993 ; F. Eboussi
Boulaga, La démocratie de transit au Cameroun, Paris, L’Harmattan, 1997, pp.230-260 ; J.F. Médard,
299
formes les mieux adaptées pour faire passer leurs messages et leurs points de vue. Ils
expriment un vif désir de reconnaissance et de participation à la vie locale.
La présence des associations islamiques de bienfaisance sur la scène politique
permet aussi de banaliser la figure du musulman. Elles essaient de faire valoir leurs
droits sociaux et politiques. Les dons et les différentes manifestations publiques
constituent un moyen d’accéder à la visibilité. Les supports médiatiques de masse tels
que la presse écrite, la radio et surtout la télévision apportent plus de visibilité à leurs
actions. Mais souvent aussi, le verbe prime sur l’action. Finalement, l’étude des
associations islamiques à Douala et l’appréciation de leur rôle dans la sphère politique
amène l’observateur à beaucoup de nuances, à beaucoup de pondération dans le
jugement, du fait de la complexité, de la variabilité de leurs actions (les faits et gestes
n’ont pas un sens unique) et surtout aussi de leur caractère relativement récent.
Les activités des associations ne sont du reste pas l’unique mode de politisation de
l’islam induite par les communautés musulmanes. Bien d’autres stratégies sont mises en
œuvre par les dignitaires locaux
C- Informalité58 politique et conversion du capital
L’entrée des communautés musulmanes dans le jeu politique local est entendu
ici comme celle de leurs activités qui interfèrent de manière incidente avec les instances
du pouvoir local ou alors celles de leurs activités qui prennent de manière rationnelle
naissance directement dans le champ politique local. Ce processus fait entrevoir une
stratégie importante : les stratégies intentionnelles d’interventions dans le jeu politique
‘‘Les Eglises protestantes au Cameroun, entre tradition autoritaire et ethnicité’’, in F. Constantin et C.
Coulon (éds.), Religion et transition démocratique en Afrique, Paris, Karthala, p. 189-220 et ‘‘Territoires,
identités et politique : le cas des Eglises protestantes au Cameroun’’, in G. Séraphin (éd.), L’effervescence
religieuse en Afrique. La diversité locale des implantations religieuses chrétiennes au Cameroun et au
Kenya, Paris, Karthala, 2004, p. 171-196.
58
Le concept d’informalité que nous utilisons dans cette section est dérivé de l’économique standard où il
est perçu comme des ‘‘résidus’’ de l’économie formelle ou même comme des effets pervers des politiques
économiques construites par l’Etat. Par informelle dans le domaine politique, nous voulons désigner celle
des activités qui se situent en marge de la légalité du jeu politique local. Dans la réalité, la politique ne se
fait pas seulement dans les conseils municipaux ou dans les enceintes de partis politiques. Des tractations,
coalitions et alliances secrètes ont régulièrement cours hors de cet univers officiel. Beaucoup d’entre elles
contournent régulièrement les cadres normatifs appropriés, pour emprunter des trajectoires non
conventionnelles. C’est dans cette informalité politique qu’opèrent au principal les immigrés musulmans,
notamment non nationaux à Douala.
300
local qui s’analysent en une conversion du capital économique en capital relationnel ; le
passage de politique s’observant au moment du basculement de ces motivations
économiques au champ politique. La nature occulte de ce type de stratégies est une
caractéristique importante du séjour des immigrés musulmans à Douala et une
particularité de leur mode d’insertion dans le jeu politique. Cette diaspora musulmane est
incorporée par les pouvoirs publics suivant deux principales modalités, qui sont
communautaires ou individuelles.
Comme nous avons dit plus haut59, l’immigration musulmane n’a pas seulement
produit des agents économiques incontournables dans la ville de Douala. Elle a
également généré une catégorie d’entrepreneurs politiques60 dont le fonctionnement et le
comportement apparaissent à tout égard atypique des modes classiques d’entrée en
politique. Il s’agit d’agents sociaux nationaux et/ou étrangers qui investissent
discrètement et sournoisement les sphères de pouvoir aux fins de tirer partie des soutiens
ou appuis politiques. Une observation de leur fonctionnement montre qu’ils n’affichent
réellement aucune prétention à exercer le pouvoir politique au niveau local, mais plutôt
‘‘collaborent’’61 discrètement avec ce dernier aux fins de réaliser leur projet. Sans doute
la situation et la condition d’‘‘étranger’’ de certains d’entre eux justifie-t-elle les nuances
observées dans le mode de déploiement des stratégies de conversion de capital chez les
musulmans de Douala, ceci en comparaison avec les stratégies des ‘‘nationaux’’.
C-1 L’entrée clandestine sur la scène et dans le jeu politique local
Le repérage de la diaspora musulmane étrangère dans le jeu politique local de
la ville de Douala n’est pas aisé, du fait du camouflage habituel de leurs activités pendant
leur séjour.62 L’infiltration des réseaux fermés yorubas, haoussas et maliens des quartiers
New-Bell/Haoussa, New-Bell/Congo et New-Bell/Makea nous a permis d’appréhender
les mécanismes et surtout les motivations d’une occultation devenue obsessionnelle :
59
Voir section A de ce chapitre.
J. Schumpeter, Capitalisme et Démocratie, Paris, Payot, 1983.
61
Comprendre aussi ‘‘Corrompre’’.
62
Sur le camouflage et l’illégalité des activités des immigrés, lire M. Den Boer, ‘‘Crime et immigration
dans l’Union Européenne’’, Culture et Conflits, n°31-32, 1998, pp.101-123.
60
301
c’est qu’en réalité, la situation de clandestinité63 qui est la leur et surtout leur statut
d’‘‘étranger’’ les amènent à adopter des stratégies essentiellement occultes pour pénétrer
les milieux politiques. Cela expliquerait largement ce pseudo absence64 dans un univers
politique traditionnellement considéré comme relevant du domaine exclusif des
nationaux.
En effet, leur dynamisme, l’ardeur et la persévérance au travail des immigrés
nigérians, leur ethos d’accumulation se soldent souvent par une réussite en termes de
pouvoir financier. Cela ne semble guère plaire aux populations locales qui les trouvent
‘‘orgueilleux’’ et ‘‘vantards’’.65 De plus, le monopole dont certains musulmans jouissent
dans certains secteurs d’activités économiques n’est pas forcément du goût des autres
populations locales qui s’en accommodent à défaut de pouvoir les remplacer.66 Une
présence ostentatoire dans la sphère politique comme c’est le cas dans le secteur
économique serait insoutenable pour les populations locales. Pour ce faire, les immigrés
musulmans évoluant dans la délicate sphère du politique se doivent d’être discrets aux
fins de ne pas en rajouter à une susceptibilité avérée. Par exemple, à la question relative
au rapport qu’ils entretiendraient avec la politique, ceux-ci presque sans exclusive,
répondent de manière systématique. ‘‘Je ne fais pas la politique’’, pour exprimer leur
indifférence par rapport à ce sujet67 et surtout le statut d’apolitique qu’ils assumeraient en
terre étrangère. En réalité, il n’en est rien. Il y a plutôt camouflage et occultation de
l’activité politique pour les raisons évoquées plus haut. Il s’agit d’une stratégie de
diversion et de contournement de la présomption d’incompétence politique qui leur est
accolée, c’est-à-dire le refus ou l’interdiction socialement reconnue comme habilités à
s’occuper des affaires politiques.68 Dans cette perspective, ils choisissent conséquemment
63
Voir A. Bamillon, ‘‘Immigrés africains francophones et Sud-Africains’’, in Immigration africaine en
Afrique du Sud, Paris, IFAS et Karthala, 1999, et G. Mefouna, ‘‘Les immigrés clandestins au Cameroun’’,
Rapports de stage diplomatique, IRIC, 1991.
64
On lira avec intérêt la situation inverse décrite par S. Abdelmalek, La double absence. Des illusions de
l’immigré aux souffrances de l’immigré, Paris, Seuil, 1999.
65
Le Messager, no 557 du 4 novembre 1996 et Mutation, no 107 du 13 avril 1998 stigmatisent les immigrés
nigérians en ces termes. Pour une étude exhaustive des constructions liées à une représentation péjorative
des Nigérians dans la ville de Douala, voir B.-J. Nkene, ‘‘Les immigrés nigérians à Douala’’, pp. 152-158.
66
Voir les écrits de B.-J.Nkene, notamment ‘‘Les immigrés nigérians à Douala’’, p.156 et ‘‘Les étrangers
acteurs de la vie politique camerounaise : l’expérience des immigrés nigérians à Douala’’, Revue Africaine
d’Etudes Politiques et Stratégiques, no 1, 2001, pp.85-117.
67
P. Bourdieu, Propos sur le champ politique, Paris, Presses Universitaires de Lyon, 2000, p.8.
68
P. Bourdieu, Question de sociologie, Paris, Editions de Minuit, p.466.
302
les modes d’actions occultes à l’exemple des financements des partis politiques ou de
corruption des autorités publiques locales pour la réalisation de leur projet migratoire.69
Ces milieux commerçants ont d’ailleurs la capacité de se faire écouter dans les
dynamiques politiques locales, grâce surtout au contrôle qu’ils exercent sur les ressources
économiques. Cette prédilection pour l’informalité politique à Douala renvoie à d’autres
types de comportement déviants d’immigrés non musulmans dans les milieux
économiques – contrebande et surtout sociaux iconoclastes70 – au Cameroun.
Les lobbies haoussas du quartier Congo apparaissent ici comme les plus
influents. Ils sont à créditer d’une influence politique importante. Leur redoutable
dynamisme en fait un lobby particulièrement craint dans certains milieux d’affaires de
Douala. Leur ancienneté et surtout le monopole de certains secteurs d’activités les placent
comme des interlocuteurs de premiers plans avec les autorités locales.
Dérivé des rapports religieux qu’ils entretiennent avec leurs homologues camerounais du
quartier Congo, les lobbies haoussas tirent leur efficacité de leur insertion et leur longue
familiarisation avec les milieux nordistes très impliqués dans le commerce ‘‘importexport’’. D’un point de vue politique, les immigrés haoussas, sont dans leur majorité
inféodés aux Camerounais originaires du ‘‘ Grand Nord’’ et s’alignent à tort ou à raison,
sur les choix politiques de ces derniers. Leurs choix au départ allait pour l’UNDP, parti
politique dirigé par Bello Bouba Maigari, ancien dignitaire du régime d’Ahmadou Ahidjo
et ancien premier ministre du président Paul Biya et ceci malgré le fait qu’ils n’admettent
ne pas faire de la politique. Ce choix était lié au fait que le président de l’UNDP, Bello
Bouba Maigari est un musulman originaire de la partie septentrionale du Cameroun et
supposé - à tord ou à raison -incarner les intérêts des communautés musulmanes.
L’UNDP apparaissait ainsi pour beaucoup de musulmans haoussas et peuls de Douala
69
Pour le cas des Haoussa dans la ville de Libreville au Gabon, où désormais légalement reconnus comme
des Gabonais à part entière, ils ne sont toujours pas acceptés par leurs compatriotes de ‘‘souche’’ qui
continuent à les considérer comme des étrangers. Voir I. De Bilanga, ‘‘Les Haoussas du Gabon : des
Sahéliens chez les Bantous ’’, Syfia Gabon, 03-02-2006. On pourrait aussi glaner les informations sur ce
phénomène dans d’autres villes africaines en lisant C. Coquery-Vidrovitch et al., Etre étranger et migrant
en Afrique au XXe siècle. Enjeux identitaires et modes d’insertion, vol. II, Paris, L’Harmattan, 2003 ou
Insertion des migrants en milieu urbain en Afrique, Actes du séminaire CRDI-ORSTOM-URD, Lomé 1014 février 1987, Paris, ORSTOM, 1989.
70
Voir les écrits de L.T.Weiss, Migrants Nigérians. La diaspora dans le Sud-ouest du Cameroun, Paris,
L’Harmattan, 1998 et ‘‘Migrations et conflits frontaliers. Une relation Cameroun Nigeria contrariée’’,
Afrique contemporaine, no 180, octobre-décembre, Paris, 1996, pp. 18-39.
303
comme une nouvelle vitrine qui leur permettrait de s’affirmer au plan politique. Certains
n’hésitent pas à voir en cette formation politique un prolongement des idéaux du régime
d’Ahmadou Ahidjo. Tanko Hassan par exemple va se rapprocher de cette formation
d’opposition créée par des acteurs politiques autrefois loyaux à l’égard du président
Ahidjo. Ce fut aussi le cas d’un autre entrepreneur musulman important comme
Mohammadou Catche (chef de la communauté peule de Douala) qui aporta son son
soutien à l’UNDP.71
Or, nous avons déjà vu les privilèges qui s’offraient aux musulmans sous ce
régime. Mais suite à l’arrivée en tête de l’opposition (regroupée autour du SDF) au
scrutin présidentielle d’octobre 1992 à Douala et la victoire de celle-ci aux élections
municipales de février 1996 à Douala, le gouvernement augmenta la pression fiscale et
modifia la loi de finance dès le même mois (février 1996) pour centraliser au niveau de
l’Etat les recettes municipales de Douala.72 Ainsi, entre 1996 et 2001, les commerçants de
la ville de Douala sont victimes d’une grande pression fiscale, des ‘‘représailles du
pouvoir’’73. Par réalisme politique et pour protéger leurs intérêts économiques, leurs
choix sont depuis lors portés sur le RDPC, parti au pouvoir.74 Ce parti est perçu comme
bénéficiant des largesses des immigrés musulmans, notamment haoussas du quartier
Congo. Mais l’essentiel de leur lobbying s’effectue en direction des autorités
administratives de leurs circonscriptions directes. Ces alliances avec l’élite politicoadministrative locales sont importantes pour le déploiement, la protection et
l’encadrement de leurs activités qui se déroulent aussi souvent dans la fraude et la
contrebande.75
71
E. M. Owona Nguini, ‘‘ L’Etat et les milieux d’affaires au Cameroun : autoritarisme, ajustement au
marché et démocratie’’, CEAN-IEP de Bordeaux et GRAP, 2000.
72
Voir Bulletin du GICAM, no 28, du 4 avril 2008.
73
Voir Mutations du 8 novembre 2006 et le Bulletin du GICAM, no 28, du 4 avril 2008. Dans le même sens,
le 27 février 1996, un décret présidentiel érigeait une dizaine des plus grandes villes en ‘‘Communes à
Régime Spécial’’, dont la plupart avaient été gagnées par l’opposition afin de confisquer le pouvoir des
maires.
74
Voir Y. Moluh, ‘‘Cosmopolitisme et démocratie urbaine : essai d’explication des comportements
politiques post municipales du 21 janvier 1996 à Douala’’, pp.153-164.
75
Lire E. M. Owona Nguini, ‘‘ L’Etat et les milieux d’affaires au Cameroun : autoritarisme, ajustement au
marché et démocratie’’, CEAN-IEP de Bordeaux et GRAP, 2000. Lire aussi dans le même sens A.
Pezzano, ‘‘Développement de l’entreprise informelle en Afrique subsaharienne’’, in C. Coquery –
Vidrovich (éd.), Développement dans les villes du Sud, Paris VII, SEDET, 1999 ; également Mac. J.
304
La constitution de lobbies commerçants musulmans agissant dans le secret
traduit ce penchant pour un jeu politique occulte. Au départ, ce sont des regroupements
ethniques ou professionnels qui se rencontrent dans les mosquées pour s’informer sur les
évènements communautaires. Au fur et à mesure qu’ils prennent de l’envergure, ils se
retrouvent dans la nécessité de collaborer avec les instances politiques locales76 ou se
muent selon les opportunités en défendeurs des intérêts de leurs communautés
respectives. Ce glissement de nature ou de vocation apparaît lorsque les intérêts
grandissent, lorsque la coalition avec le pouvoir local devient un gage de la pérennité des
affaires. A ce moment les lobbies financent les organes politiques locaux en échange de
protection, de passe-droits, etc.
L’observation peut également s’étendre aux lobbies commerçants yorubas
regroupés autour de la mosquée yoruba et de l’association des vendeurs de pagnes
yorubas au marché Congo77 ; sénégalais organisés autour de la mosquée sénégalaise, des
daïras et de l’Association des Sénégalais de Douala78 et même maliens organisés autour
de la mosquée malienne et des associations comme l’Association des Jeunes du Mali à
Douala créée en 1994 et la Communauté Malienne du Cameroun à Douala (COMACAD)
créée en 199779 qui utilisent la même stratégie. Encore discrets, ils sont à créditer d’une
influence politique grandissante. Encadrés par de réseaux opaques dont les manifestations
s’étalent en dehors du pays d’accueil80 leur métier de commerçant et d’artisan les place
comme des interlocuteurs de premiers plans avec les autorités locales. Ils ont par exemple
financé secrètement le candidat RDPC de Douala IIe leur ‘‘fief naturel’’ pendant les
législatives de 1997, en même temps que le candidat du SDF, par le biais de leur
Gaffey, Entrepreneurs and parasites : the struggle for indigenous capitalism in Zaïre, Cambridge,
Cambridge University Press, 1987.
76
Voir dans le même sens R. Lemarchand, ‘‘Political clientelism and ethnicity in Tropical Africa :
Competing solidarities on Nations – Building’’, The American Political Science Review, n°66-1, 1972,
pp.42-72.
77
Lire T.L.Weiss, ‘‘L’Union nigériane du Cameroun. Le pouvoir d’une communauté acéphale dans la
diaspora’’, in Le voyage inachevé, Paris, ORSTOM/PRODIG, 1998.
78
Voir, entre autres N. Kavira, ‘‘Sénégalaise du Cameroun. A Douala comme à Dakar’’, Le Potentiel, no
3813, du 30 août 2006 et Ch. Oumar Ba, ‘‘Les Sénégalaises en Afrique centrale : de la migration
d’accompagnement à l’émergence des groupes de femmes autonomes’’, in C. Coquery-Vidrovitch et al.,
Etre étranger et migrant en Afrique au XXe siècle. Enjeux identitaires et modes d’insertion, pp. 279-291.
79
Cf. P. Cissé, ‘‘La migration malienne au Cameroun : le retour est-il possible?’’, Communication
présentée au XXVème Congrès International de la Population, Tours, 18-23 juillet 2005.
80
Dans le même sens lire A. Adepofu, ‘‘Linkages between internal and international migration’’, pp. 35-57.
305
représentant.81 Le jeu consistait ici à subventionner aux mêmes moyens tous les candidats
potentiellement éligibles aux élections. Cela permettait de se prémunir contre
d’éventuelles surprises. Cette attitude, du reste dispendieuse, n’était pas inconnue des
milieux d’affaires camerounais, comme en témoignait le plaidoyer à la télévision
camerounaise pendant les ‘‘villes mortes’’ de Kadji Defosso, accusé de financer un parti
d’opposition -SDF-. Celui-ci déclara qu’il finançait aussi le parti au pouvoir -RDPC- et
ne trouvait aucune incompatibilité à ‘‘aider’’ les deux partis.82 Le comportement des
lobbies yorubas, sénégalais et maliens étaient à beaucoup de points de vue identiques. En
finançant tous les partis susceptibles de gagner les élections, ils se plaçaient dans un jeu à
somme variable où ils étaient assurés quels qu’en furent les résultats, d’avoir la
‘‘confiance’’ de nouveaux élus.
L’observation attentive de la scène politique de Douala montre que les immigrés
musulmans se posent comme des acteurs déterminants dans le jeu politique de Douala IIe
et se trouvent ainsi, du fait de leur activité politique occulte, dans une situation atypique
par rapport à la ‘‘discrétion’’ des autres étrangers y résidents.83 Ils contrôlent
parfaitement depuis le retour au multipartisme les députés et les maires de cette
circonscription administrative quelle que soit leur obédience politique. Mais on retiendra
surtout que l’occultation et la diversion caractérisent les modes d’entrée en politique de la
frange non nationale des immigrés musulmans à Douala IIe. Ceci est aussi favorisé par
l’‘‘affaiblissement relatif’’ de la souveraineté de l’Etat dans les ‘‘périphéries’’84 ; ce qui
entraîne l’investissement des ‘‘marges’’ sous des formes très diverses par des nouveaux
acteurs, à l’instar des immigrés musulmans dont la présence et les activités clandestines,
frauduleuses et informelles pour l’essentiel, leurs interactions avec les instances
81
B.-J. Nkene, ‘‘Les étrangers, acteurs de la vie politique camerounaise : l’expérience des immigrés
nigérians dans la ville de Douala’’, p. 107 ; (Cet article a été aussi publié dans la revue Polis, Vol. 8,
numéro spécial, 2001).
82
Voir M. E. Owona Nguini, ‘‘L’Etat et les milieux d’affaires au Cameroun : autoritarisme, ajustement au
marché et démocratie (1986-1996)’’, CEAN-IEP de Bordeaux et GRAP, 2000
83
La communauté béninoise par exemple est historiquement l’une des communautés étrangères la plus
ancienne. Leur présence à Douala date de la présence allemande lorsque esclaves promis à la liberté, ils
sont enrôlés de force par la troupe coloniale allemande pour conquérir le Cameroun. Moins influente, elle
ne fait l’objet d’aucune convoitise particulière par les autorités locales. Pour plus de détails sur l’ancienneté
de la communauté béninoise à Douala, lire P.Oleukpana Yinnon, ‘‘Plaidoyer pour les ‘‘tirailleurs
dahoméens’’’’, Ethiopiques, 50-51, Revue trimestrielle de culture négro-africaine, Nouvelle série, 2e et 3e
trimestres 1998, Vol. 5, no 3-4, pp. 17-33.
84
L. Sindjoun, ‘‘L’Afrique dans la Science des Relations Internationales : notes introductives et provisoires
pour une sociologie de la connaissance internationaliste’’, Revue Africaine de Sociologie, 1999, pp.48-68.
306
politiques locales, ont acquis une visibilité inhabituelle et engendré des nouvelles
‘‘figures du politique’’85, sans commune mesure avec la configuration des espaces
centralisés traditionnels.
Si l’opposition86 regroupée autour du SDF souhaitait vivement pendant les
‘‘villes mortes’’ que les membres de ces lobbies par ailleurs détenteurs de la plupart des
maisons de commerce suivent le mot d’ordre de grève, le RDPC, par les autorités
politiques locales qui lui étaient fidèles ramaient en sens inverse et ce faisant, légitimaient
cette migration musulmane à Douala. Leur présence dans ces instances de crise et de
prise de décision n’est pas fortuite dans la ville de Douala : c’est qu’en réalité, ils
détiennent un important rôle sur le plan économique, par le biais du monopole de certains
secteurs d’activités vitaux qui font d’eux des acteurs presqu’incontournables à la fois sur
le plan économique et sur le plan politique. Cela permet de comprendre les logiques
d’enserrement de ces lobbies et les tentatives récurrentes de rapprochement initiées par
les autorités politiques locales. Ce qui est important à faire entrevoir dans cette relation,
ce sont les rapports clientélistes qu’entretiennent les lobbies et les autorités locales. La
réciprocité des intérêts et des gains fondant cette relation s’inscrit dans une logique de
complémentarité où ces communautés autant que les autorités trouvent un intérêt à
collaborer.
Le statut d’étranger qui habituellement indiquerait une position de faiblesse par
rapport aux nationaux87 est dans ce cas supplée par le pouvoir économique et en fait un
partenaire politique décisif à rallier.88 Les luttes sourdes entre partis politiques à Douala
IIe visant à ramener dans leur bastions les immigrés yorubas, sénégalais, haoussas et
même maliens démontrent amplement cet état de chose.
Ces lobbies apparaissent donc comme des acteurs/facteurs déterminants dans
certaines localités de la ville de Douala et notamment à Douala IIe où la visibilité de ce
phénomène est d’une forte prégnance. De ce point de vue, on peut dire qu’une certaine
collusion d’intérêts s’est opérée entre l’administration locale et certains milieux
85
M. Coumba et M. Diouf 1999, cités par B.-J. Nkene, ‘‘Les étrangers, acteurs de la vie politique
camerounaise : l’expérience des immigrés nigérians dans la ville de Douala’’, Polis, Vol. 8, numéro
spécial, 2001, p. 2.
86
L’Union pour le Changement.
87
Voir C. de W. Withol, Citoyenneté, Nationalité et Immigration, Paris, Arcantère Editions, 1987.
88
Pour plus d’amples connaissances, on peut lire C. de W. Withol, ‘‘Expression privée et politique dans les
groupes issus de l’immigration’’, Etudes Tsiganes, no2, 1993, pp. 17-43.
307
musulmans à la faveur du retour au multipartisme. Certains groupes par réalisme
politique et économique, ont opté pour la carte de l’instrumentalisation réciproque. Audelà de ces stratégies buissonnières, la technique de conversion de capital apparaît
comme une autre modalité de leur entrée dans le champ politique.
C-2 La conversion du capital économique en capital politique
Une fois de plus, on est dans un chapitre peu transparent de l’activité politique
des musulmans dans la ville de Douala qui a trait à l’arrimage des musulmans dans le
champ politique via l’économique.
L’entrée des musulmans dans le jeu politique de la ville de Douala par leur
propre initiative obéit à une logique de conversion d’un capital économique en capital
relationnel89. En effet, les musulmans dans leur majorité sont dans les ‘‘affaires’’ –
comprendre ici les activités commerciales – et jouissent dans cette ville d’une réputation
d’habiles commerçants, ce qui justifierait la fortune qu’ils réussissent très souvent à
amasser.90 Une des catégories socio-économiques produites par la présence musulmane à
Douala est ce qu’on désigne ici par big massa ou plus communément njim tété91 ou
encore baobab. Le njim tété ou le baobab musulman est en général un self-made-man qui
arrive à se positionner comme un membre du groupe financièrement influent. L’idée
sous-jacente ici est la réussite sociale individuelle, elle-même bâtie sur une réussite
économique.92 Mais dans la ville de Douala, cette dernière ne peut réellement être
efficiente sans des soutiens politiques et c’est ce qui expliquera que l’on les décèle
également dans ce champ. L’action politique individuelle des musulmans dans la ville de
Douala s’inscrit dans une alliance dyadique où le secret est de mise. Ce sont en général
89
P. Bourdieu, ‘‘The Forms of Capital’’, in J.G. Richardson (s.d.), Handbook of theory of research for the
sociology of education, New-York, Greenwood Press, 1983, pp.241-258.
90
Voir G.A. Brenner, M. Lipeb et J.M. Toulouse, ‘‘Les entrepreneurs originaires du Nord à Douala et à
Yaoundé’’, in Les facteurs de performance de l’entreprise, Paris, Ed. AUPELF-UREF, John Libey
Eurotext, 1995, pp. 155-165 et A. Tarrius, Les fourmis d’Europe, Migrants riches, Migrants pauvres et
Nouvelles Villes Internationales, Paris, L’Harmattan, 1992.
91
Le terme Njim tété est une expression tirée du pidgin –english local et qui signifie grand patron. Baobab a
le même sens que grand patron. Pour une idée sur l’utilisation des nouveaux mots dans la façon de parler au
Cameroun, on lira avec intérêt L. Nzesse, ‘‘Discours politiques : nouveaux mots, nouveaux sens. Vitalité
de la langue française au Cameroun’’, in J. Fumtim (s.d.), Cameroun mon pays, Yaoundé, Ed. Ifrikiya,
2008, pp. 133-139.
92
Voir P. Geshire et P. Konings, Itinéraires d’accumulation au Cameroun, Paris, Karthala, 1993.
308
des élites dont la position est rehaussée par leurs succès dans le gros commerce et
l’exploitation industrielle qui entretiennent ce commerce avec le parti politique au
pouvoir (RDPC) et/ou avec les autorités administratives. L’itinéraire du ‘‘Groupe Fadil’’
conduit à penser que certaines élites de la communauté musulmane sont dans cette
situation.
‘‘Le Groupe Fadil’’
El Hadj Mohamadou Bayero Fadil, patron du ‘‘Groupe Fadil’’ et El Hadj
Oumarou Fadil directeur administratif du même groupe, puissants hommes d’affaires
peuls originaires de Garoua, au Nord-Cameroun, installés à Douala IIIe sont des
prototypes des Njim tété musulmans à Douala. Réputés dans les milieux d’affaires et dans
les milieux politiques de la ville de Douala, ils appartiennent à la catégorie des personnes
‘‘intouchables’’ de la place. Leur réputation de riche fait d’eux des hommes craints et
respectés dans la ville. Leur trajectoire d’entrée dans les instances du pouvoir local est
d’abord passée par une accumulation héritée de leur père.93 Ce dernier, El Hadj Fadil
Abdoulaye Hassoumai est décédé le 26 septembre 1996, à 67 ans. En héritage à ses
enfants, il laisse un nom et un patrimoine industriel considérable : dans le domaine
industriel, il y’a le Complexe Chimique Camerounais (CCC) qui est aussi la plus
ancienne unité du groupe ; il y’a aussi la Société Camerounaise de Production et de
Diffusion de Boissons Hygiénique (Socaprod), sous licence Pepsi-Cola. Le secteur de
l’agro-industrie est représenté par l’unité de raffinage de sel (Selcam). L’élevage est
dominé par la Compagnie Pastorale Africaine (CPA), ‘‘le plus important élevage
d’Afrique qui symbolise, en quelque sorte, la tradition familiale, les Fadil étant des
Peul’’94. Et puis, il y a l’Hôtel Méridien qui est une insertion réussie dans le secteur des
services. Sous la conduite du fils aîné, Mohamadou Fadil, quelques années plus tard, les
entreprises de El Hadj Fadil Abdoulaye Hassoumai ont été réunies au sein du ‘‘Groupe
Fadil’’, jouant ainsi sur les complémentarités des différentes branches d’activités en
amont et en aval. Toujours sous sa conduite, le ‘‘Groupe Fadil’’ se diversifie aussi avec
la Société Générale de Distribution (SGD), la Camerounaise de Transit (Catrans),
93
Voir, entre autres le magasine Recréation, no 13 du vendredi 8 février 2008, pp.8-9 ; La lettre du
Continent du 7 janvier 1999, pp.6-9 et surtout Jeune Afrique Economie, numéro spécial ‘‘Sommet OUA de
Yaoundé’’, 1997, pp. 282-299.
94
Cf. Jeune Afrique Economie, numéro spécial ‘‘Sommet OUA’’, pp.287-293.
309
Cameroon Bottling Company (CBCo), la Société Laitière du Cameroun (Solaic) et
l’informatique (Sojescam).95
Dans le domaine de la presse, le groupe s’enrichit en rachetant les hebdomadaires
Chalenge Hebdo et Dikalo qui faisaient partie de la vague des premiers journaux privés
fondés au Cameroun en 1991, au lendemain du retour au multipartisme. Ce groupe de
presse a à sa tête El Hadj Oumarou Fadil en qualité d’administrateur directeur général.
Journaux d’informations générales, Dikalo et Chalenge Hebdo sont situés au ‘‘Carrefour
CCC’’, précisément dans les locaux du ‘‘Groupe Fadil’’.
Au cœur de cette mécanique, la logique de conversion d’un capital économique
en capital relationnel dans la mesure où ce qui est aussi visé par ces derniers, c’est la
sécurité de leurs activités. L’entrée dans le jeu politique ici est indirecte et obéit à
d’autres choses que la conquête ou l’exercice du pouvoir. Il ne s’agit pas d’une recherche
du pouvoir à exercer mais davantage de la quête d’un capital relationnel qui les sécurisent
dans leurs objectifs d’enrichissement. Il s’agit moins encore, en ce qui concerne les Njim
tété musulmans, d’une professionnalisation politique96 puisque leur rapport avec les
instances dirigeantes obéit à autre chose que la quête du pouvoir politique. Ainsi, le
passage de l’économique au politique caractérise les stratégies d’enrichissement des élites
musulmanes et se traduits concrètement par une forme de chevauchement fonctionnel
avec ces deux champs97. Pour mieux saisir ce mécanisme, il faudrait surtout mettre en
exergue les rapports d’échange qui existent entre les Njim tété et les autorités locales. On
empruntera encore volontiers ici les instruments d’analyse du paradigme clientéliste98
pour décrypter les rapports d’‘‘instrumentalisation’’ réciproque entre élites économiques
et autorités politiques locales. L’adoption d’un ‘‘profil bas’’ illustré par le clientélisme ne
signifie nullement que le subordonné soit totalement impuissant. Au contraire, le
clientélisme ne peut exister que dans la mesure où le client contrôle des ressources utiles
au patron, en l’occurrence aux hommes politiques99 ou aux administrateurs locaux.
95
Ibid.
D. Gaxie, Les professionnels de la politique, Paris, PUF, 1973.
97
J.F. Médard, ‘‘Le Big-man’’ en Afrique, p.185.
98
Voir sur ce paradigme J.P. Médard, ‘‘Le rapport de clientèle : du phénomène social à l’analyse
politique’’, Revue Française de Sciences Politiques, n°26 (1), 1976, pp.31-103.
99
Ibid.
96
310
Or, confronté à l’affaiblissement politique et matériel du système étatique dans
la ville de Douala depuis le début des années 90, ceux-ci vont s’efforcer de mobiliser tous
les potentiels disponibles. Ils découvrent ainsi tout l’intérêt des réseaux où se trouvent
impliqués des musulmans. La situation de crise économique, politique et sociale apporte
la preuve par l’absurde de l’importance décisive des acteurs économiques dont bon
nombre sont musulmans. Elle confirme ce que l’on savait, c’est-à-dire qu’ils contrôlent
une part importante du système de production (notamment dans le secteur industriel) et
des réseaux de distribution (commerce de gros et de détail), entrepreneurs et
intermédiaires indispensables non seulement aux yeux des masses en quête d’emploi et
pour qui le petit magasin ou l’échoppe constitue le pivot de la vie quotidienne. Qu’ils
soient peu aimés ou que l’un soit suspicieux à leur égard est une chose que leur caractère
‘‘étranger’’ et/ou ‘‘allogène’’ rappelle. Mais l’essentiel est qu’ils sont indispensables
pour la classe politico-administrative.
En fait, leur situation économique les place dans une position sociale enviable.
Pour réaliser leurs objectifs d’enrichissement, ils se positionnent comme des alliés
indispensables dans le jeu politique local, par exemple en ce qui concerne le financement
du parti au pouvoir ou par une entrée directe dans la scène politique.
Aussi, El Hadj Oumarou Fadil, directeur administratif et financier du ‘‘Groupe
Fadil’’ est très actif dans la politique depuis le retour au multipartisme. Il est membre du
comité central du RDPC et s’investit dans de multiples activités au sein du Parti. Il a
régulièrement fait partie des diverses commissions mises sur pied à l’occasion des
évènements ayant jalonné la vie du RDPC.100 Enfin, il est maire de la commune de
l’arrondissement de Douala IIIe depuis les élections municipales de janvier 1996.
Observés sous cette grille de lecture, les rapports entre les autorités locales et les
élites musulmanes montrent que l’entrée dans le champ politique est pour partie tributaire
de différentes transactions, de coalitions politiques fondées sur les intérêts réciproques
existant entre les deux premiers. La réussite du processus d’accumulation des Njim tété
est étroitement liée aux relations dont ils disposent au sein des instances dirigeantes qui
les couvrent en cas de besoin.101 Ils sont reconnus comme ‘‘intouchables’’ dans la ville
100
101
Voir le site web officiel du RDPC : http:/www.rdpc.cm, consulté le 20 août 2006.
J.F. Médard, ‘‘Le Big man’’ en Afrique, p.185.
311
du fait de leurs attaches avec les autorités administratives ou politiques qui en retour
obtiennent d’eux des prébendes. En somme, il s’agit d’une sorte ‘‘d’alliance dyadique
verticale entre deux personnes de [catégories ou groupes sociaux] statut, de pouvoir et de
ressources inégaux, dont chacune considère utile d’avoir un allié supérieur ou inférieur à
elle-même’’102.
On doit aussi faire observer que l’entrée individuelle en politique des Njim tété
musulmans induit souvent celle de leurs groupes politiques, économiques ou socioprofessionnels qu’ils représentent. Mais en général, ce type d’activités des élites
musulmanes prend dans la majeure partie de temps, les trajectoires d’une participation
politique non conventionnelle.103
La présence musulmane à Douala a, par une dynamique coproduite par les
autorités administratives et les communautés musulmanes irradié le champ politique
local. On se trouve ainsi devant un cas singulier de rapports politiques entre une
communauté et l’appareil politico-administratif à Douala où cette communauté, par ses
activités, détermine dans certaines conditions le jeu politique local.
Dans les arrondissements de Douala IIe et Douala IIIe où les immigrés
musulmans sont nombreux, cet enjeu est encore nettement perceptible. Ici leur nombre
important a des incidences directes sur les suffrages de ces circonscriptions
administratives. Véritables enjeux électoraux, ils pèsent d’un poids remarquable sur les
résultats des élections, comme le montre les élections législatives,
municipales et
présidentielles organisées entre 1992 et 2006 où ils participèrent visiblement à déterminer
la victoire du RDPC. Celles-ci sont aussi le reflet des participations ou non des
communautés musulmanes. Leur contrôle est alors un gage important pour l’expression
des suffrages. Leurs consignes de vote peuvent déterminer le sens des votes.
Au-delà, l’insertion des musulmans dans le champ politique de la ville de
Douala traduirait bien un aspect de la dynamique silencieuse d’intégration politique qui
s’effectue dans cette région mais dont les autorités de part et d’autre ne nous semblent
pas suffisamment en contrôler les mécanismes.
102
J. Leca et Y Schemeil, ‘‘Clientélisme et néo-patrimonialisme dans le monde arabe’’, International
Political Review, 1989, pp.17-39.
103
Cf.N. Mayer et P. Perrineau, Les comportements politiques, Paris, Armand Colin, 1992, p.11.
312
En parallèle à tous ces développements politiques, les communautés
musulmanes de Douala développent des nouvelles stratégies qui montrent leurs
implications/ancrages dans la sphère islamique globale.
D- Les nouvelles implications/conceptions du Hajj chez les jeunes musulmans de
Douala : pouvoir public, pèlerinage, identité et culture matérielle
Au début des années 1990, avec le vent de libéralisation, les organisations et les
encadreurs du pèlerinage vont se multiplier.104 Ces organisateurs/facilitateurs officiels
joueront désormais un grand rôle dans l’organisation, le voyage et le suivi des pèlerins,
tant à l’aller qu’au retour. Le Ministre de l’Administration Territoriale et de la
Décentralisation leur accordera des agréments pour une période de trois ans, lesquels
peuvent être renouvelés pour une période de deux ans. Certains en font une spécialité
tandis que d’autres ont des mandats plus généraux mais veillent également à
l’organisation et à la coordination de cet événement. Leur nombre ne cesse de croître. En
2003 par exemple, le Cameroun comptait 42 encadreurs officiels.105 Ils se sont souvent
livrés concurrence pour le contrôle des pèlerins.
Il est essentiel de noter que les rapports entre le gouvernement camerounais et les
divers encadreurs impliqués dans l’organisation du Hajj ont été très fluctuants depuis le
début de la décennie 2000. En effet, le 7 janvier 2003, le Ministre de l’Administration
Territoriale et de la Décentralisation avait mis en place une Commission Nationale du
Hajj (CNH) dont il était le président.106 En s’arrogeant la prérogative d’organisation du
pèlerinage, l’Etat voulait officiellement mettre un terme au désordre qui avait cours dans
ce secteur, lequel secteur commençait déjà à s’émanciper de son autorité, surtout en
développant ses propres voies portant par ailleurs atteinte à son image.107 En effet, lors du
104
Voir décision 005 D/MINATD/DAP/SDLP/SAC portant agrément des encadreurs des pèlerins
musulmans.
105
Lire l’interview d’El Hadj Mama Zamou Ahmadou, représentant des encadreurs à la Commission
Nationale du Hadj dans le quotidien Le Messager, n° 1572 du Vendredi 10 Octobre 2003.
106
Voir arrêté n° 280A/ MINATD/DAP/SCLP/SAC constatant la composition de la Commission Nationale
du Hajj présidé par Marafa Haminou Yaya et comprenant entre autre le Ministre Délégué auprès du
Ministre des Relations Extérieures chargé de la coopération avec le monde islamique Adoum Garoua,
Mohamadou Labarang, ambassadeur du Cameroun en Arabie Saoudite et Alioum Moussa, le Consul du
Cameroun a Djeddah.
107
Voir le lien internet http://www.camer.be/index.php? Act=3002, consulté le 10 avril 2004.
313
pèlerinage de l’année 2002 par exemple, un pèlerin camerounais s’était suicidé ; en 2005,
le Cameroun avait enregistré quatre décès parmi ses pèlerins. Depuis lors, beaucoup
d’autres avaient souffert d’un amateurisme organisationnel du Hajj.108 L’Etat souhaitait
éviter ou tout au moins limiter tous ces manquements.
Comme il fallait s’y attendre, beaucoup d’anciens encadreurs de la communauté
musulmane pour le Hajj avaient réagi en remettant en cause cette ‘‘intrusion’’ de l’Etat
dans leurs ‘‘affaires’’. Toujours du coté des encadreurs, ils estimaient que depuis
quelques années, le Hajj était organisé par Aliou Moussa, Consul Général du Cameroun
à Djedah, par ailleurs très proches du Ministre Marafa Amidou Yaya. Pour eux, c’est
suite à cette intrusion intempestive que le Hajj, enregistre depuis quelques années des
échecs. Pour A. Njiassé Njoya par exemple, ‘‘le problème des musulmans au Cameroun
est que les politiciens tentent de bloquer toute organisation de cette communauté et de
vouloir tout contrôler’’109.
Les difficultés du voyage sont aussi liées à l’incapacité de la Camair à transporter
à temps tous les pèlerins camerounais vers les Lieux Saints. Malgré une publicité
tapageuse, elle est incapable d’honorer ses engagements faute de moyens financiers et
surtout d’inconsistance de sa flotte. Le phénomène est récurrent depuis quelques années,
du fait du monopole accordé à la Camair par les pouvoirs publics pour le transport des
futurs pèlerins.110 Enfin,
le comportement malsain de certains
encadreurs qui ont
transformé le Hajj en business n’est pas de nature à donner une belle image d’eux :
‘‘beaucoup sont malhonnêtes et profitent de la naïveté de certains pèlerins, surtout ceux
qui effectuent le Hajj pour la première fois pour les arnaquer’’111.
Malgré toutes ces difficultés, le nombre de pèlerins semble avoir augmenté ces
dernières années. Par ailleurs, on note un changement important : la pratique du Hajj a
108
Pour une petite idée des problèmes liés à l’organisation du Hajj au Cameroun, lire ‘‘Tout sur le
pèlerinage à la Mecque’’ El Qiblah, n° 20, février 2001, pp.9-11 ; ‘‘Le pèlerinage de toutes les
tracasseries’’, El Qiblah, no 28, avril 2001, pp.11-12 ; ‘‘700 pèlerins du Hadj bloqués à Douala depuis 4
jours’’, Le Messager no 2270, décembre 2006, p.3 et ‘‘Pèlerinage : pourquoi l’organisation du Hadj coince
au Cameroun’’, Le Messager, no 2271, décembre 2006, pp.7-10.
109
Voir le lien internet http://www.camer.be/index.php? Act=3002, consulté le 10 avril 2004.
110
Voir dossier relatif à l’incapacité de la Camair à transporter les pèlerins en annexe no 9, document 1.
111
‘‘Encadrement des pèlerins : un marché de dupe ?’’, El Qiblah, n° 20, Février 2001, p.9. Voir aussi
l’annexe no 9, document 2.
314
pris une nouvelle connotation, surtout auprès des jeunes112. En effet, le Hajj acquière de
nouveaux rôles et confère de nouveau processus d’identification, surtout chez la plupart
des jeunes musulmans. Il importe de noter que la transformation récente du Hajj en
relation avec les jeunes et la mobilité religieuse à fait l’objet d’études dans d’autres villes
d’Afrique113. S’inscrivant dans la continuité de ces travaux, cette section tente de rendre
compte de l’évolution récente du Hajj dans le contexte de Douala.
Contrairement à leurs aînés pour qui le Hajj était un événement parfois unique au
cours d’une vie, il devient, pour le groupe de jeunes, un périple se répétant parfois même
sur une base annuelle. Dans certains cas, la fréquence du Hajj s’avère même une
condition dans l’expression de l’identité islamique. Plusieurs changements d’ordre
qualitatif au sein de la communauté musulmane ont découlé de ce nouveau rôle du Hajj.
Ce changement du rôle du Hajj a également donné lieu à une augmentation du
mouvement transnational de musulmans entre l’Arabie Saoudite et Douala114 tout en
donnant naissance à de nouveaux processus d’identification chez les musulmans. Ici le
mode d’expression de ces changements identitaires se définit par le code vestimentaire et
les différents éléments de la culture matérielle.
Il ne s’agit pas de minimiser la signification du rôle tenu par le Hajj dans le passé
mais celui-ci était toutefois davantage associé à un groupe plus âgé de la population.
Dans les deux contextes, le Hajj reste une obligation religieuse. Il implique aussi dans les
112
Ici, nous ne saurions évidemment pas nous étendre sur la définition de la catégorie jeune. Dès lors,
disons seulement que sans entrer dans les considérations académiques et théoriques, nous nous référons à
notre vécu concret et à nos enquêtes de terrain pour situer la jeunesse musulmane entre vingt et quarante
ans. Au demeurant ‘‘tant que le cœur est jeune, l’homme est jeune’’ dit le proverbe tchèque. Il y a
cependant lieu de parler de diverses catégories de jeunesse : jeunesse ouvrière, jeunesse intellectuelle,
jeunesse chrétienne, jeunesse musulmane, etc. A cet égard, les ouvrages de M. Gauthier et J.F. Guillaume,
Définir la jeunesse ? D’un bout à l’autre du monde, Paris, L’Harmattan, 1999 ; H. d’Almeida-Topor et al.
(éds.), Les jeunes en Afrique. La politique et la ville, Paris, L’Harmattan, Tome 2, 1992 ainsi que les écrits
de D. C. O’Brien, ‘‘A Lost Generation ? Youth Identity and State Decay in West Africa’’, in R. Wesrbner
and T. Ranger (eds.), Postcolonial Identities in Africa, London and New Jersey, Zed Books Ltd, 1996, pp.
55-74, de J. et J. Comaroff, ‘‘Réflexions sur la jeunesse. Du passé à la postcolonie’’, Politique Africaine,
no 80, décembre 2000, pp. 80-109 et de M. Diouf, ‘‘Engaging Postcolonial Cultures : African Youth and
Public Space’’, African Studies Review, 46 (1), 2003, pp. 1-12, sont remarquables.
113
Voir par exemple M.N. Le Blanc, ‘‘Proclaiming Indididual Piety : Pilgrims and Religious Renewal in
Côte d’Ivoire’’, in A. Vered and N. Dyck (eds.), Claiming Individuality : the Cultural Politics of
Distinction, Pluto Press, 2006, pp. 173-200 et ‘‘Hadj et changements identitaires : les jeunes musulmans
d’Abidjan et de Bouaké, en Côte d’Ivoire, dans les années 1990’’, in M. Gomez-Perez (s.d.), L’islam
politique au sud du Sahara. Identités, discours et enjeux, pp. 131-157.
114
Lors du pèlerinage 2006 par exemple, près de 700 pèlerins étaient partis de Douala pour l’Arabie
Saoudite. Cf. Le Messager, no 2270, décembre 2006, p.3.
315
deux cas plusieurs changements dans le style de vie, notamment davantage de piété dans
la vie quotidienne, de nouvelles règles vestimentaires. Par rôle changeant du Hajj, il faut
entendre que le Hajj ne revêt plus, pour les jeunes, le sens d’événement unique dans une
vie. Il n’est non plus un événement religieux particulier à un certain groupe d’âge mûr. Il
devient véritablement une condition de la pratique religieuse dès l’âge adulte. Aussi, le
pèlerinage devient plus fréquent, certains individus l’ayant, en effet, déjà effectué de
deux à trois reprises entre 1996 et 2006.
Depuis le début le milieu des années 1990, la mouvance d’individus et de biens
matériels associés au Hajj semble avoir augmentée. Cette hausse serait due, en grande
partie, au fait que les jeunes participent plus fréquemment au Hajj. Le dépouillement de
quelques numéros de l’hebdomadaire El Qiblah115 et la rencontre de deux
‘‘démarcheurs’’, notamment El Hadj Chintouo Mohamed Awal et El Hadj Nsangou
Moctar Mohammed khadhafi nous ont permis de mesurer le rôle changeant du hajj.116
El Hadj Chintouo Mohamed Awal encadre les pèlerins depuis 1992. Il travaille en
collaboration avec l’Association de Regroupement des Démarcheurs pour le Pèlerinage
au Lieux Saints de l’Islam (ARDMC). Quant à El Hadj Nsangou Moctar Mohammed
Kadhafi, il est le fils d’El Hadj Moctar Aboubakar Oumar, cheville ouvrière de
l’organisation du pèlerinage pendant la période coloniale et les décennies 60, 70 et 80. El
Hadj Nsangou a appris auprès de son père. A la retraite de ce dernier, il lui revenait de
prendre la relève. Il bénéficie des relations personnelles de son père en Arabie Saoudite.
Cela s’explique par la longue présence de son père dans l’organisation du pèlerinage et la
parfaite connaissance des milieux pèlerins à La Mecque par son père. En conséquence,
cette longue présence engendre une confiance entre les futurs pèlerins et lui.
Selon les deux encadreurs, ils avaient encadré en 1995, 160 pèlerins à partir de
Douala alors qu’en 1997, ils dénombraient 180 et 200 en 1999 pour 240 en 2001. En
2004, ils avaient encadré 300 et 320 en 2005. Toujours d’après nos deux interlocuteurs,
ces pèlerins se caractérisaient aussi par la diversification de leurs catégories
socioprofessionnelles : ils étaient pour la plupart des fonctionnaires moyens, des cadres
115
Notamment le no 20, février 2001et le no 28, avril 2001. Lire aussi leurs interviews en annexe no 9,
documents 2 et 3.
116
L’ensemble des informations présentées ci-dessus sur ces deux encadreurs est issu d’entretiens réalisés
avec les intéressés le 12 Septembre 2006 au siège de l’Union Islamique du Cameroun (UIC) à New-Bell,
derrière la mairie de l’arrondissement de Douala IIe. et du dépouillement de la presse.
316
dans les sociétés privées, commerçants, des artisans et même des ménagères. En outre,
selon les mêmes sources, la tranche de 25 voire 30-35 ans et plus fournissait un nombre
important de pèlerins. Même s’il est difficile d’avancer une explication catégorique à ce
rajeunissement, on peut y voir le fait que la majorité des pèlerins jeunes appartiennent à
la catégorie des cadres, des commerçants et des artisans.
Contrairement aux premiers pèlerins qui étaient pour la plupart des dirigeants et
des notabilités religieuses, les pèlerins des années 1990 et 2000 sont pour la plupart des
commerçants (54,5%), artisans (17,5%), ménagères (10,8%), pasteurs (4,3%),
cultivateurs (4,3%), autres (8,6%). Ces pourcentages sont tirés des chiffres de l’année
1999. Pour l’année 2004, on constate une augmentation des d’artisans (25%) et
ménagères (15%) au détriment des commerçants (40%), des cultivateurs (o%) et des
pasteurs (0%).
Ces données statistiques faites à partir des listes de pèlerins -plus ou moins bien
tenues- restent approximatives et discontinues. Ces données ne disent pas par ailleurs s’il
s’agit des pèlerins au départ de Douala ou résidents à Douala. Mais elles correspondent
néanmoins au changement de perception du hajj chez les jeunes et à leur participation
accrue au pèlerinage. En effet, au niveau du discours, la description du Hajj est passée de
la ‘‘nécessité pour les personnes plus âgés’’ à une ‘‘obligation si l’on en a les moyens’’.
Le Hajj participe aussi désormais de la définition de sa qualité de musulman, de son
statut et de la construction de soi en tant que croyant.
La recrudescence de la participation au Hajj est également accompagnée des
changements au niveau de la culture matérielle dans la mesure où le pèlerinage est aussi
une occasion pour la consommation d’objets sacro-religieux : chapelets, tapis de prière,
etc. Cette consommation comprend aussi des objets profanes, mais à caractère religieux,
entraîne un changement du code vestimentaire, ainsi qu’une modification de l’esthétique
corporelle et domestique.
Le rapport entre pèlerinage et commerce est très ancien en Afrique. A l’origine, le
commerce transsaharien a entraîné un processus d’islamisation au sein des populations
sub-sahariennes.117 Ces constats historiques impliquent que le mouvement d’objets dans
117
Voir par exemple Jillali El Adnani, ‘‘Entre visite et pèlerinage : le cas des pèlerins ouest africains’’, AlMaghrib al-Ifrîqî, Revue spécialisée dans le patrimoine et les études africaines, no 6, 2005, pp.7-36.
317
le contexte du Hajj n’est pas associé aux échanges démographiques dans la participation
au pèlerinage depuis les années 1990. Toutefois, les objets, leurs catégories et les
caractères, et les modalités de la consommation semblent avoir changé au cours des
années 1990 et 2000, grâce à la libéralisation du marché du pèlerinage.118
Il existe
aussi deux catégories d’objets soit, d’une part, les objets rituels,
considérés comme porteurs d’un pouvoir spirituel : eau puisée dans le puits zamzam, tapis
de prière, encens, chapelets, livres de prières, etc. Ces objets étaient achetés auparavant
pour la consommation personnelle. D’autres part des objets achetés pour la
consommation personnelle ou destinés à la revente : tableaux, vêtements, mobiliers,
parfums, appareils électroniques, et ainsi de suite. Ces objets profanes, achetés pour la
consommation personnelle ou destinées à la revente, revêtent aussi une dimension sacrée
dans la mesure où ils symbolisent une transformation identitaire au niveau de la religion.
Ces objets, mis à la vue de tous dans les maisons et sur les lieux de travail, deviennent
des signes extérieurs de la foi de chacun. Les gens exhibent également des photographies
d’eux-mêmes durant le hajj. Par exemple, Ismaël Oumarou119 a fait le Hajj deux fois
depuis 1999. Il enseigne la biologie dans un lycée de Douala. En 2004, il avait 35 ans. Il a
construit un album photos de ses pèlerinages : à l’aéroport au moment de se rendre à la
Mecque, la participation aux différents rites liés au Hajj et l’accueil par leur famille au
moment du retour. Ces albums comprennent surtout ses photographies, comme dans les
cas des albums personnels fréquemment constitués par des jeunes femmes et les jeunes
hommes. Avant son premier pèlerinage, Ismaël Oumarou avait l’impression de ne pas
bien connaître sa religion et de manquer de sérieux. Depuis son deuxième pèlerinage, il a
appris à lire la langue arabe, s’est engagé dans les associations et commencé à prononcer
des prêches au sein du club islamique de son lycée en 2004.
La logique du pèlerinage chez les jeunes peut s’expliquer aussi par sa dimension
sociale. Cette dimension se traduit, après coup par un sentiment de prestige perceptible au
plan individuel et social. De retour de la Mecque, le pèlerin devient Aladji, ‘‘titre à
118
Lire à toutes fins utiles H. Adama, ‘‘Pèlerinage musulman et stratégies d’accumulation au Cameroun’’,
Afrique Contemporaine, no 231, 2009, pp. 119-138.
119
Afin de préserver l’anonymat de ce jeune interviewé, ce nom est fictif. Pour les mêmes raisons, nous
avons choisi de ne pas identifier le lieu de résidence de ce jeune.
318
double connotation de richesse, de responsabilité et de piété’’120. Le séjour sur les Lieux
Saints de l’islam confère aussi une respectabilité qui accroît l’attrait et le prestige liés au
titre d’Aladji. Ce titre revalorise celui qui le porte. Au sein de la communauté musulmane
camerounaise, les Aladji constituent une catégorie sociale supérieure. Ce titre est accolé
au nom du fidèle qui a effectué le pèlerinage, comme marque honorifique, quand on
s’adresse à lui. Il confère un statut symbolique d’adulte, même si le pèlerin demeure
jeune. Un jeune Aladji, désireux d’accroître sa renommée et de se faire un nom
respectable dans les milieux islamiques donnera un peu de snobisme à son geste et une
publicité supplémentaire qui en augmentera encore la portée. C’est ainsi que Mohamadou
Yacoubou, président de l’ANJMC revenu de la Mecque avait organisé les 13 et 14 juillet
2006 une grande cérémonie de ‘‘remerciement à Dieu’’ pour ‘‘la réussite de son
pèlerinage à la Mecque’’ à New-Bell. Pendant ces deux jours, il avait offert à manger aux
fidèles venus nombreux et des prières furent dites par plusieurs imams.121 Le pèlerinage
participe dans ce cas de la stratégie de construction d’un individu à travers les autres
(fête, prière) mais le statut demeure celui de l’organisateur de la fête. En somme, on vente
la réussite de soi.
Comme nous l’avons dit précédemment, le pèlerinage à la Mecque requiert
d’office une transformation identitaire, chez les jeunes et chez les gens plus âgés, dans la
mesure où l’individu qui a participé au Hajj doit altérer son mode de vie afin d’adhérer
plus aux prescriptions de la religion (les quatre autres obligations). Il implique aussi des
modifications au niveau de la tenue vestimentaire. Par exemple, le style vestimentaire
d’une personne, jeune ou âgée est habituellement modifié à son retour du Hajj : le port
d’un foulard blanc (blanc rafé de rouge) ceint d’une cordelette noire ou dorée autour de la
tête. Chez les femmes, ceci implique généralement la nécessité de porter un châle en tout
temps. C’est à ce niveau que la participation des jeunes au pèlerinage est significative.
Elle correspond à une nouvelle conception de la religion, ainsi que la pratique religieuse,
une conception qu’on peut qualifier d’arabisante.
Chez les individus plus âgés, la transformation vestimentaire requise par la
participation au Hajj ne correspondait pas nécessairement à l’affirmation d’un islam
120
121
H. Adama, L’islam au Cameroun, p.87.
Voir La Nouvelle Expression du 15 juillet 2006, p. 6.
319
arabisant. Tandis que chez les jeunes qui n’ont pas encore effectué le Hajj, l’esthétique
corporelle et la décoration domestique est souvent la seule expression possible de cet
islam arabisant dans la mesure où les bribes de la langue arabe et le savoir islamique
ramené par les pèlerins ne sont pas aussi aisément accessibles.
Certains musulmans estiment cependant que les jeunes ne sont pas nécessairement
prêts à un tel changement au niveau de leur mode de vie. On relève en effet quelques
excès dans l’accomplissement de cette recommandation divine : ‘‘certains vont aux Lieux
Saints trop jeunes et quand ils reviennent, ils ne s’efforcent pas d’avoir la conduite
morale impeccable qu’exige l’état d’un Hadj’’122. Bien plus, ‘‘d’autres s’endettent
énormément pour y aller alors que le pèlerinage n’est obligatoire que pour celui qui est
capable ; d’autres enfin n’y vont que pour le prestige lié au titre de Aladji et ils
multiplient les voyage par orgueil pour qu’on sache qu’ils sont allés plusieurs fois à la
Mecque fois’’123.
La mode féminine est également un exemple pour illustrer ces changements, ainsi
que leur portée chez les jeunes arabisants.124 Il suffit d’aller et venir dans les quartiers
musulmans de Douala ou d’assister aux réunions des associations de femmes
musulmanes, pour prolonger par l’observation, cette pratique nouvelle. Ainsi, Halimatou
Lah125, 27 ans, a une maitrise en économie obtenue à l’Université de Douala. Au moment
où nous l’avons rencontré pour la première fois en 2004, elle travaillait comme caissière
en chef dans une multinationale hollandaise à Douala. Elle a voyagé deux fois à La
Mecque, en 2001 et 2003. En 1999, elle est devenue membre fondatrice d’une association
qui rassemble les femmes musulmanes originaires du Nord-Cameroun à Douala. Elle ne
porte plus de jupes et de robes courtes comme auparavant, lorsqu’elle était à l’université.
Depuis son premier pèlerinage, elle couvre ses cheveux, même au travail. Elle a aussi
changé ses fréquentations ; elle fréquente principalement les membres de l’association
122
El Hadj Shouaibou Oumara, chef de la communauté musulmane de Bibamba-Bonanloka, entretien du 13
septembre 2007 à la chefferie.
123
Entretiens avec El Hadj Bouba Abakoura, chef de la communauté musulmane de New-Town/Aéroport I
le 13 septembre 2007 à la chefferie et Ratib El Hadj Ouba, un des imams de la mosquée Cité des Palmiers
le 14 septembre 2007 à la mosquée.
124
Dans le même sens voir M-N.LeBlanc, ‘‘from ethnicity to Islam: social change and processes of
identification among Muslim youth in Bouake, Côte d’Ivoire’’, Paideumia, n°46, Mai 2006 et ‘‘The
production of Islamic identities through knowledge claims in Bouake, Côte d’Ivoire’’, African Affairs, n°
393, 1998, pp.485-508.
125
Par souci de respect de l’anonymat de l’informatrice, ce nom est fictif.
320
qu’elle à contribué à mettre en place. Scolarisée dans le milieu laïque, Halimatou Lah suit
des cours en langue arabe, offert au sein de son association. En fait, depuis les années
1990, on assiste à une modification de l’habillement islamique des femmes musulmanes,
modification associée en partie à la pratique du Hajj et aux échanges commerciaux qu’il
permet. Elles adoptent des vêtements de style djellaba, appelée encore robe marocaine.
Le port du voile qui recouvre toute la tête est de plus en plus perceptible.
Ce nouveau phénomène est lié à la croissance des femmes pèlerins. A l’époque
coloniale, la tâche n’était pas facile pour les femmes peu nombreuses et contraintes de
s’isoler surtout quand il s’agit de voyages où tous les musulmans sont ensembles. Des
musulmanes (employées de bureau, commerçantes, enseignantes) recouvrent de plus en
plus leur tête d’un foulard de type de l’hijab en Afrique du Nord et portent souvent des
vêtements occidentaux sobres. Elles le font aussi en couple avec le port des vêtements
typiquement africains, tels que le boubou ou le ‘‘complet trois pagnes’’. Toutefois, le
port des robes à connotation islamique s’apparente davantage à une djellaba qu’à un
‘‘boubou’’. En effet, du point de vue de la mode, le changement dans le code
vestimentaire depuis la seconde moitié des années 1990 est manifeste chez les jeunes,
mais il a aussi atteint d’autres groupes de la société musulmane, spécialement celui des
femmes qui portent plus fréquemment une robe de style ‘‘djellaba’’. Avant les années
1990, ce type de tenue était plutôt rare et était le privilège des ‘‘Adja’’, c’est-à-dire des
femmes qui avaient effectué le pèlerinage.126
Le rôle changeant du Hajj soulève aussi la question de l’homogénéisation
culturelle et religieuse dans la mesure où l’arabisation pourrait correspondre à l’adoption
d’idéaux sociaux et religieux provenant de l’Arabie Saoudite. Cette analyse va dans le
même sens que l’analyse de la globalisation à partir de la culture de consommation
américanisée. Une analyse qui a produit de nombreux débats quant au phénomène de
l’homogénéisation culturelle.127
126
Aissatou Yaya, président de l’Association des Femmes Musulmanes du Septentrion à Douala (AFMSD),
entretien du 6 septembre 2007 à son bureau à l’agence Camair de Douala à Bonanjo. Lire aussi l’interview
de ‘‘Adja’’ Balkissou, belle fille de Tanko Amadou, chef haoussa de Bonabéri et participante au Hajj 2001
dans El Qiblah, no 28 du jeudi 5 avril 2001, p. 11.
127
Voir J.L. Amselle, Branchements anthropologiques de l’universalité de cultures, Paris, Flammarion,
2001. Dans cet ouvrage, J.L.Amselle développe la thématique métaphorique du ‘‘branchement’’ comme
interconnexion constante des ‘‘cultures’’, sur un ‘‘réseau de signifiants planétaires’’, toujours ‘‘déjà-là’’,
321
En rapport avec ces débats, et afin de cerner l’impact culturel du Hajj dans le
contexte de Douala, on peut conclure en soutenant que le nouveau rôle du hajj chez les
jeunes dans le contexte de Douala n’est pas
un cas d’homogénéisation et de
standardisation des pratiques islamiques suivant les lignes directrices moyen orientales et
surtout saoudiennes. Une telle standardisation impliquerait une forte filiation religieuse
avec l’Arabie Saoudite, gardienne des Lieux Saints.
En somme, les visites de jeunes pèlerins doualais à la Mecque ont revêtu depuis le
milieu des années 1990 un impact considérable. Elles constituent un aspect fort
intéressant d’histoire et de sociologie religieuses. En effet, le phénomène revêt une
dimension multiple, portant à la fois sur les migrations humaines, la diffusion des
idéologies et des pratiques sociales, avec en perspective un processus d’acculturation.
Au plan religieux, le Hajj constitue un puissant facteur de suscitation vers plus
d’adhésion à l’islam et une plus grande ferveur religieuse malgré un séjour souvent bref.
L’impact culturel de ces visites est également remarquable : l’augmentation du nombre
pèlerins, la production et la reproduction d’une élite musulmane locale dont les éléments
les plus doués se sont imposés comme des pôles de savoir, maîtrisant la langue, l’écriture
arabe et prêches populaires. On pourrait citer, entre autres Cheikh Yaya Sandou, imam de
la mosquée de Song Mahop ; Cheikh Aboubakar Sidick Mouchili, journaliste ; Cheikh
Mahaman Baboule, imam d’Akwa et les promoteurs des centres culturels islamiques que
sont : Cheikh Housseini Hamadou, Cheikh Ibrahim Njoya Moubarak, Cheikh
Mohamadou III Salissou et Cheikh Hassan Nsangou. Par-delà leur rôle de propagateurs
ou d’animateurs de l’islam à Douala, les jeunes pèlerins sont aussi directement ou
indirectement, les vecteurs de modèles d’influence ‘‘arabe’’ à Douala. On pourrait citer
dans le domaine vestimentaire l’attrait des modèles inspirés du monde arabe qui
apparaissent comme des signes extérieurs manifeste de l’adhésion à l’islam.
C’est donc dire que l’évolution du pèlerinage à la Mecque tient au fait qu’il ne se
résume plus seulement à l’accomplissement d’un rite religieux, mais il révèle aussi une
signification et une portée qui dépassent le domaine de la religion. Au niveau de Douala,
la construction des identités sociales autour du Hajj s’imprime à travers l’étirement entre
résultat de toutes les globalisations historiques, antérieures à celle de l’islam, de la colonisation européenne
ou de l’actuelle ‘‘mondialisation’’.
322
les groupes d’âges et les groupes socio-économiques et professionnels. Ces oppositions
prennent aussi forme dans la tension existant entre la religion et la dichotomie
modernité/tradition, d’où certaines nouvelles pratiques que nous avons qualifiées
d’arabisantes. Autrement dit, il semblerait que les identités et les pratiques religieuses se
construisent selon un sens ou l’autre de la polarité entre tradition et modernité. On peut
aussi relever la corrélation entre la consommation les objets sacro-religieux et profanes et
la fréquentation de la Mecque.
De ce point de vue, la dynamique islamique extérieure s’exprime aussi à Douala
par une nouvelle conception de l’Oumma, qui permet de faire sortir de l’ombre de
nouvelles élites, alors que leurs ainés dans les années 1950-1980 avaient subi les
contrôles de l’Etat colonial et nouvellement indépendant. En effet, par un jeu subtil
d’interaction, un réseau informel parfois plus efficace de celui de la politique
institutionnelle, l’islam à Douala réussit ce que C. Coulon appelle sa ‘‘connexion
musulmane’’. Il serait ici, intéressant de voir comment certains acteurs religieux de
Douala entrent dans la sphère internationale.
E-Les musulmans doualais et la Oumma nationale et transnationale
L’établissement des liens avec le monde arabe, restreints ou découragés par
l’administration coloniale, constitue, autours des années 1980 et surtout depuis les années
1990, un tournant dans l’évolution de l’islam contemporain à Douala. En effet le groupe
religieux n’est plus l’unique référence de l’appartenance religieuse, le représentant local
de la communauté des croyants. Les musulmans de Douala sont en contact avec des
corpus et des institutions islamiques plus larges. A l’ère de la mondialisation, l’Oumma
devient ‘‘imagée’’128. En suivant l’approche de l’anthropologue Arjun Appadurai on
pourrait qualifier cette nouvelle Oumma d’ ‘‘ethnoscape’’, c’est-à-dire d’un ‘‘paysage’’
formé des individus qui partagent la vision d’un monde transnational, mouvant et
déterritorialisé inscrit dans de vastes réseaux de flux culturels qui donnent sens à leur
128
O. Roy parle d’une Oumma ‘‘virtuelle’’, induite par la révolution de l’information. Cf. L’islam
mondialisé, Paris, Seuil, 2002, pp. 165-183.
323
identité129; ce qui ne veut pas dire que cet islam globalisé ne puisse pas être interprété et
approprié selon des logiques locales, et donc participer à la ‘‘production de la
localité’’130. Il n’est pour s’en convaincre que de voir de quelles manières certains
évènements ont été interprétés par les musulmans de Douala.
E-1 La communauté musulmane de Douala, la deuxième guerre du Golfe et le
colloque des imams du Cameroun
L’histoire récente de l’islam à Douala est aussi marquée par deux évènements
qui, permettent de savoir qu’il est conscient de la nécessité de l’unité des croyants tant sur
les plans national qu’international. D’abord la deuxième guerre d’Irak. Celle-ci a été
menée sous l’impulsion des Etats-Unis. Après avoir lancé une offensive en Afghanistan,
lieu où Ben Laden se serait réfugié, et suspectant des liens entre l’Irak et Al Qaeda,
George W. Bush charge son équipe de défense de constituer un plan d’attaque contre
l’Irak : c’est le plan d’ ‘‘opération 1003V’’, qui est une ‘‘évolution’’ du plan de guerre de
la première guerre du Golfe (1990-1991).
Cette guerre, également connue sous le nom de la deuxième guerre du Golfe ou de
l’Occupation de l’Irak, a débuté le 20 mars 2003 avec l’invasion de l’Irak (dite Operation
Iraqi Freedom) par la coalition menée par les Etats-Unis contre le Parti Baas de Saddam
Hussein. Le président George W. Bush a officiellement déclaré son achèvement le 1er mai
2003, sous la bannière ‘‘Mission accomplie’’. L’invasion a conduit à la défaite rapide de
l’armée irakienne, et à la capture et l’exécution de Saddam Hussein. La coalition et l’Irak
occupé ont tenté d’établir un nouveau gouvernement démocratique. Toutefois, la violence
contre les forces de la coalition ont rapidement conduit à une guerre asymétrique entre les
insurgés, l’armée américaine et le nouveau gouvernement irakien.
Les raisons invoquées officiellement pour cette guerre étaient principalement : la
‘‘lutte contre le terrorisme’’, l’Irak étant présenté comme un Etat soutenant Al-Qaïda,
responsable entre autres de l’attentat contre les Etats-Unis et notamment des attentats du
11 septembre 2001 ; l’élimination des armes de destruction massive qu’était censé détenir
129
Voir A. Appadurai, Après le colonialisme. Les conséquences culturelles de la globalisation, Paris, Payot,
2001.
130
Ibid., pp. 248-273.
324
l’Irak ; l’arrestation de Saddam Hussein, l’instauration d’une démocratie et la pacification
de la région par un effet d’exemple.131
Certains observateurs ont suggéré d’autres raisons, officieuses : les liens entre les
néo-conservateurs au pouvoir à Washington et des entreprises d’exploitation pétrolière et
sous-traitantes de l’armée ; la décision de l’Irak de ne plus faire valoir son pétrole contre
des devises en dollars, mais en euros.
D’autres suggèrent également que la guerre en Irak peut être considérée comme
une guerre préventive contre la Chine dont le développement est compromis par sa
faiblesse énergétique, les Etats-Unis voulant encercler la Chine par le contrôle de
gisements pétroliers mais aussi par le biais d’évolutions démocratiques (Mongolie,
Kirghizistan, etc.).132
On peut donc distinguer deux sortes d’objectifs, les objectifs/enjeux officiels,
énoncés lors des discours des représentants de la Maison Blanche et relatés dans la
presse, et l’avis de la doctrine qui s’exprime par des objectifs/enjeux officieux. Quoi qu’il
en soit, cette guerre a eu des répercussions au sein de la communauté musulmanes de
Douala.
Ainsi, des jeunes musulmans ont organisé une marche à Douala, le 28 mars 2003
contre la guerre en Irak. Comme toujours, la querelle des chiffres est habituelle dans ce
genre de circonstance133; mais, les rues de l’arrondissement de Douala IIe ont été le
théâtre d’une marche sur cinq kilomètres, animée par des jeunes musulmans d’origine
diverse, contre ce qu’ils avaient qualifié eux mêmes de ‘‘campagne anti-guerre en Irak’’.
Cette marche de jeunes musulmans doualais qui avaient pour ambition de s’opposer à la
guerre en Irak s’était soldée par l’arrestation de quatre manifestants :
Nous avions l’intention de marquer notre opposition à cette guerre irakienne
longtemps avant le début de l’offensive anglo-américaine. En début de la semaine, nous
avons décidé de passer à l’acte. La marche s’est effectivement déroulée dans la
tranquillité après la grande prière de vendredi. C’est à la fin de la marche, que j’ai été
131
Ces accusations ont depuis été démontrées comme non fondées, y compris par le sénat américain. Cf.
‘‘Les justifications de la guerre en Irak battues en brèche par le Sénat américain’’, Le Monde, 09 septembre
2006..
132
Ibid.
Par exemple, le quotidien Le Messager no 1492 du lundi 31 mars 2003, p.5 parle de 50 participants; Le
quotidien national Cameroon Tribune du 29 mars 2003 et les sources policières parlent de ‘‘quelques
manifestants’’ alors que les organisateurs parlent de 250 à 300 personnes.
133
325
interpellé avec un autre frère musulman et deux enfants, qui nous accompagnaient134 par
trois antigangs135 déguisés en musulmans.136
Malgré les menaces des autorités administratives et des hiérarchies musulmanes de
la capitale économique qui avaient refusé toute implication dans la préparation et/ou la
gestion de cette marche137, les jeunes musulmans de Douala avaient décidé, disaient-ils
de prendre leurs responsabilités citoyennes :
Nous allons introduire une demande d’autorisation à manifester dès ce lundi (31 mars
2003); que l’administration accède ou non à notre demande, nous allons marcher tous les
vendredis jusqu’à la fin de la guerre en Irak.138
En somme, la marche des jeunes musulmans de Douala lors de la deuxième guerre
du Golfe illustre bien cette tendance qui s’adresse effectivement à une universalité vécue
par des musulmans qui ne s’identifient ni à un territoire ni à une nation donnée. Cette
manifestation était
aussi symptomatique de la division de la communauté
(ainés/jeunes)139 mais surtout de la naissance d’une frange ‘‘radicale’’ qui contribue à
complexifier encore le paysage islamique à Douala et qui a conscience de la nécessité de
l’unité des musulmans sur le plan international.
En effet, par cette marche, les jeunes musulmans démontraient leur poids dans
l’opinion publique, faisaient preuve d’un certain sens de l’organisation et surtout de
sympathie et de solidarité avec les musulmans irakiens. La deuxième guerre du Golfe
134
Les quatre manifestants arrêtés étaient : Dimo, Aboubakar Abdel Aziz, Mouchili Moussa, Souleymane
Mougambè.
135
Sur instruction du Sous-préfet de l’arrondissement de Douala IIe ces ‘‘antigangs’’ avaient d’abord
conduit les manifestants dans les bureaux de ce dernier avant de les escorter plus tard dans les locaux
voisins du commissariat de sécurité publique où ils ont été soumis à un interrogatoire. Au cours de cet
interrogatoire, le commissaire de sécurité publique de l’arrondissement de Douala IIe aurait déclaré que
leur marche était illégale, en l’absence d’une autorisation délivrée par les autorités publiques : ‘‘La guerre
en Irak n’intéresse pas le Cameroun. Nous ne pouvons pas vous permettre de marcher pour troubler l’ordre
public. L’enjeu de la guerre est essentiellement pétrolier et non religieux (...). Si vous voulez sympathiser
avec vos frères irakiens, faites-le chez vous ou prenez l’avion pour aller combattre auprès d’eux’’ Cf. Le
Messager, no 1492 du lundi 31 mars 2003, p.5.
136
‘‘Guerre en Irak. Des jeunes musulmans marchent à Douala’’, Le Messager, no 1492 du lundi 31 mars
2003, p.5.
137
Des sources musulmanes, les dignitaires musulmans avaient justifié leur refus par la peur d’entrer en
conflit avec les autorités administratives et politiques de la ville.
138
Le Messager, no 1492 du lundi 31 mars 2003, p.5.
139
Voir dans le même sens M. Gomez-Perez, M.N. LeBlanc et M. Savadogo, ‘‘Young Men and Islam in the
1990s: Rethinking an Intergenerational Perspective’’, Journal of Religion in Africa, vol. 39, no 2, 2009, pp.
186-218.
326
avait joué un rôle de révélateur. La participation des jeunes musulmans à cette
manifestation avait permis de montrer la puissance du moment.
Le colloque de tous les imams du Cameroun
Au plan national, le promoteur du PIAH, Cheikh Njoya Ibrahim Moubarak avait
initié une ‘‘rencontre de tous les imams du Cameroun’’. Tenue à l’hôtel Arcade de
Douala le 8 février 2005, cette réunion avait pour thème ‘‘Le discours cultuel au
Cameroun : défis et attentes’’ et devait s’articuler sur trois axes : l’état des lieux de
l’islam au Cameroun, l’intérêt actuel du message culturel ainsi que les défis et les
différentes attentes. Près de 80 imams et dignitaires religieux venants de toutes les
régions du Cameroun avaient assisté à la cérémonie d’ouverture. Abdoulaye Djibril, de la
mosquée de New-Bell, Kouotou Mama, représentant de l’imam de la mosquée centrale de
Bonamoussadi et Alim Daouda, membre de la délégation des participants venus du
département du Noun disaient leurs espoirs en ces termes :
L’islam doit évoluer avec son temps. Actuellement, nous avons des divergences au
sein de la communauté, entre les ``Anciens`` qui ne lisent plus, ne font plus d’effort pour
la recherche, l’actualisation de notre philosophie et les jeunes imams qui sont plus ouverts
sur le monde. Internet n’arrive pas encore aux confins de certains villages les plus reculés
du Cameroun. Un colloque comme celui-ci peut faciliter la communication entre les
diverses communautés musulmanes et leur rapprochement. Nous attendons donc qu’une
direction à suivre nous soit clairement donnée pour éviter les divisions du style Chiites et
Sunnites.140
Malheureusement, la réunion de ‘‘tous les imams du Cameroun’’ qui avait
pourtant été autorisée sera interdite le matin même par les autorités administratives, en
l’occurrence le
Sous-préfet de Douala IIe alors que ‘‘les choses avaient si bien
commencé ... à l’ouverture’’141.
Plusieurs raisons étaient avancées pour justifier cette interdiction. Tout d’abord la
‘‘personnalité controversée’’142 de Cheikh Ibrahim Moubarak accusée à tort ou à raison
de ‘‘ créer le désordre au sein de la communauté musulmane du Cameroun en prenant des
initiatives qui vont à l’encontre du dogme islamique’’143. Il nous a d’ailleurs affirmé au
140
Le Messager, no 1815, février 2005, p. 4.
Ibid. L’organisateur avait obtenu depuis le 26 janvier 2005 un récépissé de déclaration de cette réunion
signé du Sous-préfet de Douala IIe, lequel tenait lieu d’autorisation.
142
Ibid.
143
Ibid.
141
327
cours de nos multiples entretiens qu’il est l’objet d’une surveillance discrète de la part des
services secrets de l’Etat : on lui demande l’origine de son financement. Au sein de la
communauté musulmane en effet, sa voie est très souvent considérée comme un son
discordant dans un paysage où les dignitaires musulmans et le pouvoir administratif ont
des rapports privilégiés. Pour lui, c’est pour cette raison que certaines de ces activités
sont souvent interdites. On comprend dès lors, que des dignitaires musulmans, les
autorités administratives locales –gouverneur, préfet, maires, etc.- et les chefs
traditionnels dualas n’étaient pas présents à ce premier colloque des imams du Cameroun.
Evoquant la décision de suspension, le sous-préfet soutenait la nécessité de ‘‘l’ordre
public’’ :
J’ai exécuté des instructions reçues de ma hiérarchie, qui doit avoir une bonne
connaissance des activités de ce mouvement. Une telle décision ne peut être prise que sur
la base de bonnes raisons, et ma hiérarchie doit certainement savoir en quoi ce
regroupement peut-être gênant.144
D’autres parlaient ensuite d’ ‘‘incompréhension’’145. Pour savoir en effet les
motivations de la hiérarchie qui avait attendu le jour même du colloque pour interdire sa
tenue, des membres de l’organisation à la tête desquels se trouvait l’imam du Camp
Bertaud, s’étaient transportés dans les locaux des services du gouverneur du Littoral,
Gounoko Haounaye, avec qui des discussions ont été ouvertes. Certains y voyaient déjà
les effets de la lutte pour le leadership, qui oppose depuis quelques années dans la
communauté musulmane Cheikh Ibrahim Moubarak, Bamun, imam du Camp Bertaud à
Modibo Iya Dahirou, Foulbé, imam de la mosquée centrale de Douala. Selon les
organisateurs en effet, ce dernier serait allé, dès la veille du colloque (7 février 2005), en
compagnie du président du Ngondo, rencontrer le gouverneur de la province du Littoral
au sujet du colloque. Les organisateurs l’exprimaient en ces termes :
Ils disent que la rencontre n’a pas reçu l’assentiment de tous les imams du
Cameroun, et celui des chefs supérieurs dualas, c’est pour cela qu’elle est illégale (...)
Contrairement à certaines mauvaises langues qui voient en nous un instrument
144
145
Mutations du mercredi 9 février 2005, p. 7.
Ibid.
328
d’allumage des foyers de tension et de division, nous œuvrons plutôt pour l’union du
monde musulman camerounais.146
Même si la rencontre n’a pas effectivement eu lieu, on peut lire une intention
derrière celle-ci : à travers les différents objectifs, de nature cultuelle, socio-politique et
intellectuelle de cette rencontre, il apparaît que le mode relationnel s’inscrit non plus
seulement à l’échelle de la ville, mais aussi et surtout à l’échelle du pays malgré les luttes
intestines, l’intervention de l’administration et l’implication des chefs duala. D’autres
éléments conduisent à penser que les musulmans de Douala s’inscrivent dans le ‘‘local
globalisé’’147, qui les placent entre à l’intersection entre le local et l’international.
E-2 La communauté musulmane de Douala et ‘‘l’affaire de la caricature du
Prophète Mahomet’’
Les faits remontent au 30 septembre 2005 quand le quotidien danois Jyllands
Posten avait publié douze dessins satiriques sur le Prophète Mahomet. Un dessin
représentait le Prophète coiffé d’un turban d’où émergeait une mèche allumée, comme
celle d’une bombe. Un autre le montrait comme un vieillard hirsute et agressif, les yeux
masqués, armé d’un poignard, entouré de deux femmes. Ces caricatures avaient fait
couler encre et salive dans le monde musulman. Comme une trainée de poudre en effet,
une flambée de colère avait fait le tour des communautés musulmanes du monde,
multipliant des réactions diverses. En d’autres termes, la publication par un journal
danois de dessins attentatoires au Prophète Mahomet avait soulevé un tollé général dans
le monde musulman. De simple polémique, elle s’était carrément transformée en affaire
diplomatique.148
146
Ibid. Voir aussi le lien internet htt://www.camerounlink : le portail du cameroun/cameroon portal,
consulté le 9 juin 2006.
147
N.G. Canclini, ‘‘Mexico : la globalisation d’une ville traditionnelle’’, in J.-P. Deler, E. Le Bris et G.
Schneier (éds.), Les métropoles du Sud au risque de la culture planétaire, Paris, Karthala, 1998, p. 24, pp.
13-31
148
Par exemple, les 12 caricatures, publiées dans le quotidien danois avaient été reprises par de nombreux
journaux de par le monde. Les conséquences ne s’étaient pas fait attendre dans certains cas. Jacques
Lefranc, directeur de France Soir avait été limogé par l’actionnaire, le Franco-égyptien Raymond Lakah.
Alors que le gouvernement danois avançait l’argument de la liberté de la presse, dans les pays
arabes et la communauté musulmane c’était l’indignation. L’Organisation de la conférence islamique (OCI)
et la Ligue arabe avaient affirmé, qu’elles envisageaient de demander à l’ONU l’adoption d’une résolution
interdisant les atteintes aux religions. Le secrétaire général de l’OCI, Ekmeleddin Ihsanoglu, avait déclaré
329
Au Cameroun, c’est à Douala, le 16 février 2005 que El Hadj Aboubakar Moctar,
cette fois en tant que président de l’UIC faisait une déclaration concernant ‘‘la caricature
diffamatoire sur le Prophète Mouhammad, Messager de Dieu’’149. Ce document livré aux
médias de Douala précisait que :
Conformément aux dispositions de son statut, en son article 14, l’UIC se doit de
donner son avis sur les problèmes de l’heure. Notre religion, l’islam est une religion
d’équité et de modération dans sa clairvoyance et sa législation, sa moralité et son
adoration. Ses desseins sont purs et dénués de tout abus et violence. Nous avons saisi
que l’organisation allait ‘‘demander à l’Assemblée générale de l’ONU d’adopter une résolution interdisant
toute atteinte aux religions’’.Voir entre autres,Wikipedia, l’Encyclopédie libre; M. Lotfi, journaliste et
réalisateur radio (Québec-Canada), ‘‘SVP, appelez-le par son nom !’’, 16 février 2006.et J. Lanctôt,
‘‘Liberté d’expression, vraiment ?’’, Le Devoir, 14 février 2006.
Pour sa part, le secrétaire général adjoint de la Ligue arabe, Ahmed Ben Helli, avait affirmé que la
Ligue menait ‘‘actuellement des contacts au plus haut niveau avec les pays arabes et l’OCI pour demander
à l’ONU d’adopter une résolution contraignante, interdisant le mépris des religions et prévoyant des
sanctions contre les pays ou les institutions qui enfreindraient cette résolution’’. Le Parlement jordanien
avait estimé dans un communiqué que ces caricatures ‘‘constituaient un crime lâche et condamnable’’. Le
Bahreïn avait dénoncé les caricatures ‘‘portant atteinte’’ au prophète Mohamed et des activistes et
associations islamistes bahreïnis avaient lancé une campagne pour le boycott des produits danois. De son
côté, la Syrie avait également appelé le Danemark à ‘‘sanctionner’’ ceux qui portent atteinte aux religions
après la publication de caricatures du prophète Mohamed, avait indiqué l’agence officielle Sana. ‘‘La Syrie
appelle le gouvernement danois à prendre les mesures nécessaires pour punir les fautifs’’, avait affirmé un
responsable au ministère des Affaires étrangères. Considérant ces dessins comme une insulte, les chefs
religieux musulmans au Danemark avaient demandé au quotidien, le 6 octobre, le retrait des caricatures et
des excuses officielles du journal. Les responsables du journal avaient refusé, déclarant ‘‘vivre dans une
démocratie où la satire et la caricature sont généralement bien acceptées et où la religion ne doit pas fixer
de limites à cela’’. Le 14 octobre, environ 5000 musulmans avaient manifesté dans les rues de Copenhague
contre
ces
dessins
jugés
‘‘provocants’’
et
‘‘arrogants’’.
Voir
le
lien
internet
http://www.emarrakech.info/Publication-de-caricatures-du-Prophete-Condamnation-du-Conseil-Superieurdes-Oulema_a6570.html, consulté le 30 janvier 2006.
A la mi-octobre, onze ambassadeurs de pays musulmans demandaient une entrevue avec le chef du
gouvernement libéral. Rasmussen déclinait, mettant en avant l’attachement de son pays à la liberté de la
presse, il encourageait plutôt les diplomates à se tourner vers les tribunaux. Une fin de non-recevoir
considérée par beaucoup comme un affront. Le 19 décembre, 22 anciens ambassadeurs danois, aujourd’hui
à la retraite, fustigeaient cette attitude du gouvernement. Ils mettaient en garde contre ‘‘une surenchère, qui
pourrait être interprétée comme une persécution à l’encontre de la minorité’’ des quelque 200.000
musulmans vivant au Danemark. Sur la scène internationale, les critiques abondaient.
Début décembre, le Haut commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Louise Arbour, chargeait
plusieurs experts d’étudier les dessins publiés par Jyllands Posten. S’exprimant à titre personnel dans les
pages du journal Politiken, Franco Frattini, le commissaire européen chargé des questions de justice et
d’immigration, stigmatisait pour sa part les caricatures, qui risquaient, selon lui, d’ ‘‘entraîner une poussée
de l’islamophobie en Europe’’. Il convient de noter que la question des images demeure un sujet débattu
chez les religieux musulmans, certains les refusant en bloc, d’autres limitant les interdictions à certains
types de représentations dans un souci d’éviter l’idolâtrie. Voir le lien internet et
http://www.orientalement.com/p1048-caricatures-du-prophete-mahomet--mohamed-mohammad--journalfrance-soir.htmlt, consulté le 22 décembre 2005.
149
‘‘Caricature de Mahomet: l’Union Islamique du Cameroun condamne’’; voir le lien internet
htt://www.cameroun-info.net/cmi_show_news.php? id=17309, consulté le 24 février 2006 et Le Messager
World Edition du 20 février 2006, consulté le 24 février 2006.
330
plusieurs occasions solennelles pour démontrer aux yeux du monde que l’islam n’est pas
une religion terroriste. Il existe des gens qui cherchent coûte que coûte à coller le
terrorisme et la violence à la religion islamique. Ces accusations aussi dures qu’injustes
portent atteinte au message même de l’islam qui interdit ce genre de pratiques dans ses
versets coraniques, les enseignements du Prophète (qu’Allah le bénisse et le salue) et le
comportement des sages.150
Pour lui, le Prophète Mahomet en caricature n’était pourtant pas la première fois.
En 2002, Charlie Hebdo151 avait publié un dessin de cabus montrant Mahomet cigare au
bec, un verre de whisky à la main, et un rideau de femmes voilées derrière lui, avec cette
légende : ‘‘Election de Miss Sac-à patates : je choisit la Belle-de- Fontenay’’152. Face à
ses caricatures du Prophète Mahomet, le président El Hadj Moctar Aboubakar était
formel :
Nous, leaders religieux avons toujours condamné la violence sous toutes ses formes
dans nos sermons et nos prêches. Lorsqu’on s’attaque aux sacrés d’une religion, le
Prophète et le livre saint des musulmans (Coran), c’est une déclaration de guerre contre
les musulmans du monde.153
Diffamer le nom d’un Prophète ne peut être conforme à la liberté d’expression
avait-il affirmé avant de s’interroger : ‘‘où commence donc la liberté de culte qui
implique la laïcité?’’154. En réalité, cette situation déplaisait à la communauté musulmane
du Cameroun qui par la voix de El Hadj Moctar Aboubakar, condamnait ‘‘avec la
dernière énergie ces images caricaturales sur (Leur) Prophète (paix de Dieu sur lui)
publiées par une presse danoise et relayées par certains médias occidentaux’’155.
Malgré le fait que cet acte regrettable ne contribuait pas à apaiser les différents
foyers de tensions dans le monde, causés par ‘‘l’incompréhension, la haine, le manque de
dialogue et l’injustice’’156, le président El Hadj Aboubakar Moctar prenait exemple sur la
150
Ibid.
Charlie Hebdo un hebdomadaire français indépendant, polémique, satirique, politique et social illustré
tous les mercredis par les meilleurs dessinateurs de presse. Voir le lien internet htt://www.charliehebdo.fr/,
consulté le 22 décembre 2005.
152
Voir le lien internet http://www.soninkara.com/forums/religion/france-caricatures-du-prophetemohamed-ouverture-du-proces-contre-charlie-hebdo-893.html, consulté le 22 mars 2006
153
‘‘Caricature de Mahomet: l’Union Islamique du Cameroun condamne’’; voir le lien internet
htt://www.cameroun-info.net/cmi_show_news.php? id=17309, consulté le 24 février 2006 et Le Messager
World Edition du 20 février 2006, consulté le 24 février 2006.
154
Ibid.
155
Ibid.
156
Ibid.
151
331
cohabitation pacifique entre les confessions religieuses du Cameroun pour lancer un
vibrant appel à ses frères et sœurs dans la foi :
Il faut tranchait-il multiplier plus de prières, être vigilants et ne pas céder à la
provocation. Dieu est témoin de tous nos actes. Il règlera le compte de ceux qui
s’attaquent à ses élus sans rien omettre.157
Deux mois après la sortie médiatique de El Hadj Aboubakar Moctar, c’était au
tour de Cheikh Ibrahim Njoya Moubarak de donner son ‘‘point de vue’’ lors d’une
conférence de presse sur ‘‘La publication de la caricature du Prophète Mahomed,
l’homosexualité, la lutte contre la corruption’’158.
Pour ce qui motivait l’organisation de la conférence de presse qui lui permettait de
revenir sur les faits qui défrayaient la chronique au sein de l’actualité nationale et
internationale, ce haut dignitaire musulman de Douala affirmait :
Je dois dire qu’en temps que patriote et citoyen camerounais qui œuvre dans le cadre
du bien être social de ce pays, et en temps que religieux c’est- à- dire celui qui se veut de
joindre la vie active et la vie spirituelle au service non seulement de l’humanité, mais de
son propre pays, ces choses qui nous interpellent à l’échelon international comme la
caricature est venu susciter à l’homme du 3e millénaire la notion du respect, et rappeler
aux hommes de médias mais aussi à l’homme tout court, qu’il est question de se servir de
la liberté d’expression comme un moyen de communication, d’information et d’éducation
morale de l’opinion. La publication de la caricature du Prophète Mahomed est tout à fait
blasphématoire pour nous. Ce travail a foulé aux pieds la foi musulmane. Mais toujours
est-il qu’il faut que le musulman réagisse en sachant que ceux là ne connaissent pas les
réalités de leur religion, et ont simplement travaillé en fonction de leur contexte. Ce qui
revient à dire qu’il faut simplement leur rappeler les méfaits de telles productions.
L’intelligence religieuse nous demande de porter une telle situation à la connaissance des
Nations Unies et toutes autres instances spécialisées. Pour éviter que cela ne fasse l’objet
d’une guerre contre les chrétiens et les religions comme ca a été le cas au Nigeria. Ce que
je condamne fermement par ce que les chapelles de Dieu sont faites pour que le nom de
celui-ci y soit invoqué. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons vu d’autres
confessions religieuses réagir. Donc, nous avons voulu à travers cette conférence de
presse, dire qu’en même temps que nous condamnons aussi les réactions négatives et
luttons de manière ferme contre l’importation des discours réactionnaires pouvant
installer la haine entre des humains.159
157
Ibid.
L’Autre Journal, no 34 du 11 mai 2006, p.8.
159
Ibid.
158
332
Ces deux prises de position participent aussi des contacts de l’islam doualais avec
l’ ‘‘extérieur’’, et de l’essor du propagandisme religieux islamique. Même s’il est difficile
d’évaluer dans ces cas l’efficacité de ces diverses actions, on peut penser que ce que
disent ou veulent dire les divers acteurs et participants, bref la manière dont ils tiennent
leurs discours contribue à l’action et représente en lui-même une action. Enfin, rappelons
qu’outre la marche des jeunes musulmans et la caricature du Prophète, un autre
phénomène vient marquer cette insertion de l’islam doualais dans l’Oumma global. Il
s’agit du financement de la construction des mosquées par l’Arabie Saoudite, l’Iran et la
Turquie que nous avons analysé dans les chapitres précédents de même que les visites des
équipes médicales saoudiennes.
E-3 Financement des mosquées et des compagnes de santé
En ordre dispersé, certains pays, notamment l’Arabie Saoudite, l’Iran et la
Turquie apportent depuis une quinzaine d’années, un soutien religieux multiforme à
Douala. Les retombées concrètes sur ce plan sont visibles dans le paysage islamique de
Douala: mosquées, centres culturels islamiques et école en chantier (cas du PIAH qui
entretient sur ce plan des liens avec la Turquie). Rappelons que des bourses sont
attribuées à des élèves qui mènent des études à dominance religieuse et littéraire dans
différentes universités arabes.160 Certains de ces élèves, de retour à Douala, ouvrent à leur
tour des structures et contribuent au développement de l’arabophonie non seulement pour
des raisons idéologiques, mais aussi par ce que la reproduction du système leur assure un
moyen
de subsistance. L’envoie d’étudiants en direction des centres religieux et
universitaires du monde arabe sont aussi souvent le tremplin du ‘‘néofondamentalisme’’
pour reprendre l’expression d’O. Roy161.
La santé n’est pas en marge de cette connexion à Douala. Des équipes médicales
saoudiennes composées de dentistes, d’ophtalmologues, chirurgiens, anesthésistes,
pédiatres, gynécologues, etc. séjournent souvent à Douala162. Entre 2000 et 2003, par
160
Voir cinquième chapitre, section A-2.
O. Roy, L’échec de l’islam politique, Paris, Seuil, 1992, pp. 102-103.
162
Il est important de signaler que ces équipes médicales parcourent également les autres importantes
‘‘villes musulmanes’’ du Cameroun : Maroua, Garoua, Ngaoundéré, Foumban, Bafia, etc. Cf. émission
‘‘Connaissance de l’islam’’, diffusée sur la télévision nationale (CRTV), le 27 juin 2003.
161
333
exemple, elles étaient à leur quatrième séjour.163 Ils consultaient selon les préceptes du
Coran : les hommes se font consulter par les hommes et les femmes se font consulter par
les femmes.
Ces visites de médecins saoudiens sont des signes de l’influence saoudienne mais
sous de tels auspices, des contacts se nouent entre les musulmans doualais et l’Arabie
Saoudite. C’est donc dire que les communautés musulmanes de Douala sont par ces liens
qu’elles entretiennent avec l’ ‘‘extérieur’’ de plus en pus intégrées au monde musulman,
venant ainsi atténuer le caractère minoritaire de cet islam local.
Au vu de ce petit tour des évènements qui mettent l’islam doualais en relation
avec la Oumma nationale et transnationale: le renouveau du Hajj, la marche des jeunes
musulmans de Douala et le colloque des imams du Cameroun, la caricature du Prophète
Mahomet, le financement des mosquées et des compagnes de santé, on peut dire que les
musulmans doualais ont une nouvelle conception de la Oumma :
- aussi, la vogue des pèlerinages à La Mecque consolide à d’autres niveaux, ces
liens entre musulmans doualais et ceux du monde arabe. L’Arabie Saoudite occupe, dans
ce dispositif, une place centrale et, à ce titre, pays d’accueil des pèlerins, elle représente
pour l’islam doualais un pôle d’attraction naturel ;
- de même, les vicissitudes des musulmans des autres parties du monde trouveront
des échos favorables chez les musulmans doualais. C’est ce qui justifie ces différentes
prises de position et d’attitude que nous avons exposé ici, à titre illustratif. Ces raisons
relatives au contexte international ont joué un rôle d’accélérateur dans le
‘‘branchement’’164 ou la ‘‘mondialisation’’165 de l’islam sur la côte camerounaise.
Au terme de ce chapitre, on peut dire que, dans le contexte contemporain, le
musulman doualais veut être acteur de son temps, de son quotidien. Il est ‘‘mondialisé’’,
s’ouvre et rencontre. Pour construire sa modernité, il recherche la cohérence, la symbiose
et l’interactivité entre sa religion et son environnement immédiat et global.
Aussi, dans la ville de Douala, la question de la participation politique des
communautés musulmanes se pose différemment, selon qu’elles soient nationales ou
163
Emission ‘‘Connaissance de l’islam’’, diffusée sur la télévision nationale (CRTV), le 27 juin 2003.
O. Roy, L’échec de l’islam politique, 1992, pp. 102-103.
165
Ibid.
164
334
étrangères, selon les statuts des membres. Ainsi, dans sa composante étrangère, les
rapports sociaux avec les populations locales ne sont pas toujours sereins et les stratégies
de séjours s’articulent en gros autour de l’occultation et de la dissimulation. Leur
participation aux activités politiques emprunte ici les trajectoires légales ou celle des
structures ou cadres conventionnels. Elle opère aussi par contournement des cadres
agréés et, ce faisant, les introduit dans la sphère d’une participation politique non
conventionnelle. Celle-ci inclut des actions individuelles ou collectives qui utilisent
parfois ‘‘des moyens refusant la légalité ou totalement illégaux’’166.
Selon des modalités et des rythmes différents, les communautés musulmanes
sont ainsi prises en compte dans la gestion de la ville compte tenu du nombre de fidèles
toujours croissant et surtout de leur poids économique. Les relations des communautés
musulmanes avec le pouvoir politico-administratif local à travers leurs responsables
déterminent aussi leur attitude, dans la mesure où la plupart d’entre eux appartiennent à
la bourgeoisie commerçante ou industrielle et ont besoin de l’Etat dans leur ‘‘business’’.
Cela étant, nous avons constaté que la dialectique avec le pouvoir se réduit à une sorte de
relations de subordination-collusion167 qui unissent les élites islamiques et politiques et à
un double jeu d’instrumentalisation. Ainsi, les multiples participations passives ou
actives sont à prendre en compte dès lors qu’elles rythment des stratégies et qu’elles
rendent compte de la complexité des rapports entre le religieux le politique. Bien plus, les
différentes stratégies montrent qu’au delà du marché politique, il s’agit aussi du
marchandage politique, d’un jeu dans lequel les différents protagonistes s’adaptent. On
remarque enfin que la gestion politique et démocratique des espaces cosmopolites
requiert un minimum de consensus, qu’on peut obtenir en réalisant des micro-dosages au
sein des structures de représentation locale.
Enfin, le fait pour les musulmans doualais de se référer à la notion d’Oumma est
aussi significatif d’une prise de conscience, d’un point de vue strictement intellectuel, de
l’internationalisation des relations en dépit de la dimension religieuse connue de tous. La
mise en avant de la religion pour se définir signifie que s’opère aussi une abstraction de
toute appartenance ethnique, à la base locale, nationale ou continentale pour afficher une
166
D. Chagnollaud, Introduction à la politique, Paris, Editions de septembre 1996, p.79.
Nous empruntons cette expression à R. Otayek, ‘‘Religion et politique : concilier Dieu et César’’,
Marchés tropicaux, no 3000, 2003, pp. 1042-1044.
167
335
citoyenneté de type universel et contemporaine qui tient compte d’une certaine manière
des relations mondialisées. Ainsi, les considérations locales sont liées à des
considérations d’ordre plus international. Ces militants de l’islam mondialisé sont
sensibles, quel que soit leur milieu social, leur âge, leur militantisme religieux, et/ou leurs
parcours scolaire et religieux à ce qui se passe dans le monde islamique. L’islam doualais
n’est donc pas insensible au grand remue-ménage que connait le monde musulman ces
dernières années. Nous avons bien entendu mis en avant certains faits d’actualité comme
cette sensibilité à l’actualité internationale qui a conduit certains groupes à marquer
bruyamment leur désaccord et à organiser une manifestation dans les rues de Douala.
Mais à Douala, cette marche mise à part, ni les grandes prières du vendredi ni les
conférences de presse organisées ici et là n’ont donné lieu à des débordements. Des
leaders, dans leurs prises de paroles ont fait preuve de beaucoup de retenu.
Outre donc que ce genre de fait est rarissime, il convient de le replacer dans le
contexte propre de la vie socio-religieuse de la capitale économique du Cameroun, ville
cosmopolite, où l’islam est peu confrérique et maraboutique et que l’on ne peut étendre à
tout le Cameroun. Ce qui ne veut pas dire toutefois que l’islam ne soit pas présent sur la
scène globale. Il l’est, nous semble-t-il et de plusieurs façons. Il ne faut pas pour autant
exagérer l’action de cet islam mondialisé et/ou connecté à Douala. En effet, il ne fait pas
encore tâche d’huile au point de conduire à une déstabilisation ou à des troubles à
‘‘l’ordre public’’ comme on le constate dans certaines agglomérations urbaines
(Foumban et Yaoundé par exemple) du Sud-Cameroun168,
au Nord du Nigéria, au
Soudan, en Somalie, etc.169. Il n’en reste pas moins que l’avancée de la mondialisation de
l’islam est à Douala, un phénomène que tout observateur averti peut confirmer. Certains
168
Si les mêmes comportements avaient été étouffés à Yaoundé au Cameroun (Le Messager, no 1492 du
lundi 31 mars 2003, p.5.) d’autres effets induits de la mondialisation de l’islam furent encore plus violentes
dans la même ville (voir S. Emboussi, ‘‘L’implantation et l’évolution de l’islam à Yaoundé (1889-1993) :
le cas du quartier Briqueterie’’, Mémoire de DIPES II, ENS, Yaoundé, 1994 et aussi Nzana Seme,
‘‘Guerre de musulmans à Yaoundé’’, Le Nouvel Indépendant, no 53, 10-17 avril 1995) et plus encore à
Foumban dans le Noun , entraînant même la fermeture de la mosquée centrale de la ville. Cf. M. Lasseur,
‘‘Cameroun : les nouveaux territoires de Dieu’’, Afrique contemporaine, no 215, 2005/3, pp. 93-116 mais
surtout I. Mouiche, ‘‘ Islam, mondialisation et crise identitaire dans le royaume bamoun, Cameroun’’,
Africa, 75 :3, 2005, pp. 378- 420. De même, le journal El Qiblah en a fait largement écho au début des
années 2000. Hors du Cameroun, des cas similaires avaient été signalés par les médias internationaux en
Tunisie (don du sang), Libye, Maroc, Nigeria, Palestine, etc.
169
Voir à ce point les nombreuses études publiées par la revue Islam et Sociétés en Afrique au Sud du
Sahara.
336
apports occidentaux qui facilitent la communication à l’échelle internationale tels que
l’ordinateur, Internet, la parabole, téléphone portable, bref les ‘‘instruments de
modernité’’ sont utilisés pour s’inscrire aussi dans la logique de la communication
mondialisée, à des fins cultuelles ou culturelles. Il demeure néanmoins que le discours
donne finalement la sensation de ne pas être achevé mais en perpétuelle construction au
gré de nouvelles données circonstancielles. Et, comme le souligne très justement R.
Otayek,
On est plutôt en présence d’un discours polymorphe, constitué de l’assemblage de
fragments plus ou moins disparates (prônes, communications présentées à des séminaires
de réflexion, entretiens, etc.), plus ou moins dictés par les circonstances (...) et la
référence constante au code divin énoncé dans le Coran. Ce discours dessine en pointillé
l’esquisse de l’ordre transcendantal comme projet alternatif à l’ordre imposé.170
170
R. Otayek, ‘‘Une lecture du projet révolutionnaire de Thomas Sankara’’, in J.-F. Bayart, Religion et
modernité politique en Afrique Noire, Paris, Karthala, 1993, pp. 112-113.
337
CONCLUSION GENERALE
338
Tout au long de nos développements, nous avons abordé sous plusieurs
paramètres (migration, religion, économie, politique, urbanisation, etc.), l’arrivée,
l’implantation et le développement des communautés musulmanes à Douala. Ainsi, la
présence de l’islam dans l’espace géographique de Douala remonte au début du XXe
siècle. Elle est à mettre en corrélation avec les variables immigrants ouest-africains, le
développement du commerce avec l’hinterland, la ‘‘mise en valeur’’ des terres dans les
zones du Mbam et la périphérie de Douala et enfin les migrations internes des musulmans
camerounais vers la côte camerounaise. De ce fait, la carte et la chronologie de l’islam à
Douala ‘‘scandent’’ plusieurs périodes : c’est d’abord un islam de marchands, introduit
lentement et surtout pacifiquement, c’est à dire sans recourir au ‘‘glaive’’ comme ce fut
le cas dans la partie septentrionale du Cameroun sous l’impulsion du djihâd initié par
Ousman Dan Fodio et relayé dans l’Adamawa par Modibo Adama. Une fois introduite,
la religion musulmane était appelée à se diffuser en s’appuyant sur des marchands de plus
en plus occupés par le négoce et le bénéfice qu’il engendre. A Douala, l’islam se présente
d’abord sur cette facette c’est- à- dire comme une religion de la victoire par le commerce.
Ce qualificatif lui est resté à travers de décennies et a favorisé sa progression à Douala.
Et, plus d’un siècle après sa pénétration sur le territoire doualais, l’islam progresse, avec
il est vrai, des méthodes très variées.
Dans les années vingt, les communautés musulmanes de Douala sont
reconnues par les autorités coloniales françaises et regroupées à New-Bell. Et, au début
des années trente, Youssouf Paraiso, Chef Supérieur des étrangers est l’interlocuteur
privilégié. Il représente les notables musulmans qui demeurent soucieux de collaborer
avec le système colonial et qui admettent, voire défendent la place de la France en tant
que puissance coloniale et ‘‘mère patrie’’. A cette époque, ce sont les ‘‘indigènes’’/
étrangers de la ville de Douala, qui prouvent leur dynamisme en matière économique.
Dès les années 1940, la transformation des structures commerciales pose les bases de
l’organisation future des échanges régionaux et du rôle des musulmans dans la hiérarchie
des ces échanges. Ils établissent leur suprématie sur les relations économiques
régionales ; leur rôle leur vient de leur situation historique ‘‘d’intermédiaire’’ et de
l’installation des compagnies commerciales contrôlant le négoce ‘‘officiel’’. Les
339
commerçants musulmans ont ainsi contribué à faire de Douala une ville de
‘‘transbordement’’ des marchandises vers l’arrière pays, développé aussi grâce aux
différents moyens de transport. Ils participaient ainsi à organiser des flux commerciaux
entre Douala, le Sud du Cameroun et le bassin tchadien. L’affirmation des valeurs
islamiques est cependant absente de leurs activités. Ainsi, le chef des étrangers cherche à
mener la communauté musulmane vers le chemin du colonisateur en se cantonnant à
l’organisation de cérémonies religieuses et d’éducation qui seraient conformes aux règles
établies par l’islam et l’équilibre socio-ethnique des musulmans. Pour l’essentiel, les
communautés musulmanes façonnent
leur milieu d’accueil sur le plan culturel et
économique.
La présence de l’islam et l’augmentation de la population musulmane amènent
la communauté à être de plus en plus agissante, au fils des décennies. Elle tient alors une
place de choix sur l’échiquier économique, sociale et religieux. A travers le commerce,
les chefferies, le culte et l’enseignement islamique traditionnel, qui sont ces premières
formes d’expression à Douala, l’islam est un instrument à la fois de reconnaissance et de
légitimité.
Au lendemain de l’indépendance, le loyalisme envers les autorités locales
garde la même logique. Les musulmans doualais se mettent aux côtés des autorités
politico-administratives locales. En d’autres termes, ils font confiance aux hommes
politiques qui conduisent le pays à l’indépendance. Aucune rupture ne s’amorce sur le
plan politique. C’est la conduite de soumission aux autorités locales. La communauté
musulmane nationale, dans son entièreté est représentée par l’ACIC. De nouveaux
besoins se créent. Ce n’est pas sans mal que l’école franco-arabe de Douala s’était mise
en route ainsi qu’en témoigne ses débuts pendant la décennie 1960, avec ses heurts et ses
malheurs qui sont aujourd’hui connus. De fait, la création de l’école franco-arabe de
Douala n’a résolu que partiellement les problèmes liés à l’éducation des enfants
musulmans de Douala. Et, plus généralement, la situation de l’éducation islamique à
Douala représente une infinie partie des efforts d’éducation à consentir en milieu
musulman. Loin d’être négligeable, elle illustre quelques uns des problèmes cruciaux que
pose l’adaptation de l’enseignement au Cameroun en général.
340
Certes, cette éducation qui allie à la fois tradition arabe ou islamique et le
modernisme a franchi de nouveaux obstacles et essayé de faire du chemin. Il faudra aller
plus loin, en procédant à véritable changement des mentalités. Ce changement consiste à
réformer l’éducation islamique aussi bien dans le fond que dans la forme. Autrement dit,
il faut la professionnaliser et la rendre plus opérationnelle et mieux adaptée à l’évolution
du temps et aux nouveaux besoins auxquels font face les musulmans doualais. C’est ce
que tente de faire les nouveaux promoteurs de l’éducation privée islamique à Douala.
Mais on ne peut esquiver une question fondamentale, celle de savoir le rôle que peut
jouer cette forme d’éducation dans le Cameroun d’aujourd’hui et de demain.
Sur le plan cultuel, islam et ethnicité sont toujours imbriqués pour faire de la
pratique cultuelle un ensemble consensuel. Politiquement, cette religion apportait son
soutien aux autorités politico-administratives locales, représentants du pouvoir central.
Cet islam doualais, majoritairement Tidjaniyya est reste replier sur lui-même pendant
longtemps, contrairement aux autres régions d’Afrique dominées par les traditions soufis
(Sénégal, Nord-Nigeria, etc.).
Or au cours des décennies 1970 et 1980, la diversification professionnelle et
l’enrichissement démographique de la communauté entraine une augmentation de
pèlerins. Pendant les mêmes décennies, le retour des étudiants formés au Proche et au
Moyen Orients entraine l’émergence d’une nouvelle génération de musulmans qualifiée
de ‘‘réformateurs’’. Minoritaire de retour des pays arabes, arabophone, elle a reçu une
formation en arabe. Le redressement de l’éducation est leur préoccupation. L’islam rime
progressivement avec ‘‘le retour aux textes’’. Ils s’arrogent le rôle d’initiateurs du
changement. En raison de leurs itinéraires, de leurs formations et leurs activités - la
réforme des programmes d’écoles franco-arabes essentiellement- et de leurs critiques
envers ceux que l’on qualifiait de ‘‘traditionalistes’’, les ‘‘réformateurs’’ placent l’islam
au centre de la gestion des affaires communautaires (éducation, prêches, etc.). L’islam
devient une arme pour éveiller la conscience des nouvelles générations. Rigueur dans la
pratique et savoir religieux sont liés.
Entre temps, le décret de 1977 entraine la multiplication des chefferies
musulmanes à Douala. Ainsi, en plus des chefferies créées pendant la période coloniale
341
et maintenues au lendemain de l’indépendance, d’autres sont créées et ‘‘intégrées dans un
processus visant le rapprochement de l’administration des administrés’’1. Cependant, le
sort des chefs ne s’améliore guère. Leur enrôlement administratif continue. Ainsi, les
chefs musulmans allaient continuer d’être utilisés comme ils le furent pendant la
colonisation, c’est-à-dire comme des ‘‘instruments utiles’’2. Par eux, les autorités locales
pouvaient faire exécuter leur volonté, réaliser les objectifs qu’elles se sont fixées avec
l’aide des populations contrôlées par les chefs. Dans cette optique, le pouvoir utilisera à
bon escient l’‘‘audience’’ des chefs auprès des populations qu’ils encadraient. En cela
aussi, l’islam continue à être un instrument de pouvoir
Or, des signes de résistance interne à la politique d’homogénéisation de l’islam se
font sentir dès la fin des années 1980. La crise économique n’est pas l’unique facteur qui
fait émerger le mouvement ‘‘contestataire’’ islamique. En revanche, la révolte ‘‘étouffée
dans l’œuf en 1988’’ et le souci des jeunes de défendre un islam dynamique et
moderniste puis l’ouverture démocratique, à partir des années 1990, conduisent à un
nouveau climat. Certains musulmans, aînés et jeunes, profitent de ce nouveau contexte
pour s’affranchir du silence dans lequel l’Etat les avait figés et pour conquérir des
espaces. L’islam leur permet progressivement de s’affirmer et à certains aînés de sortir de
leur retraite. Les jeunes affirment leur multiculturalisme et n’appartiennent pas
obligatoirement aux classes subalternes de la société, certains conduisent des carrières
dans l’enseignement, les métiers de la communication, le public, le privé, etc.
La Tidjaniyya subit les contrecoups de la libéralisation politique et de la
modernité islamique consécutive à l’infiltration, à Douala, des Tabligh et surtout des
Chiites ; sous fond de renforcement du courant réformateur présent depuis la fin des
années 1970. En conséquence, le dispositif du relatif équilibre ethno-régional sur lequel
reposaient les bases religieuses et l’unité des musulmans s’est trouvé miné et sabordé. Il
en résulte une crise identitaire avec d’une part, la politisation de l’islam en faveur du parti
au pouvoir, des réformes et une fragilisation de la position dominante tidjaniyya et,
d’autre part l’éclatement de la communauté et la complexification des lignes de clivages.
1
B. Momo, ‘‘L’inaccessibilité des chefferies traditionnelles camerounaises à la rationalité juridique’’, Lex
Lata, no 22, 1996, p.10.
2
P.F. Gonidec, La République Fédérale du Cameroun, Paris, Berger Levraut, 1969, p.86.
342
La multitude d’itinéraires qui cohabitent au gré des conjonctures politique et
socio-économique complexes, les associations musulmanes, les lieux de culte, les centres
culturels islamiques et des écoles franco-islamiques se multiplient. Les discours, les
prêches et les actes des associations sont fonctions des données politiques et économiques
bien que leurs auteurs s’efforcent d’être dans la logique d’un raisonnement dans lequel
l’islam est une religion de ‘‘partage’’ et de paix. A travers les écoles islamiques, les
centres culturels, les associations et les autres formes d’expression, l’islam revêt plusieurs
dimensions et est plus que par le passé, un instrument à la fois de reconnaissance et de
légitimité. En cela, l’islam devient de plus en plus un instrument de pouvoir.
Les intellectuels musulmans se positionnent comme des porte-paroles investis
de fait par la communauté musulmane, de par leur maîtrise du savoir islamique et de
l’ordre religieux. Ils se présentent en conséquence à travers différentes tribunes
(associations, émissions radio-télévisées, animations des causeries et débats, interviews
dans la presse, etc.) comme les seuls interlocuteurs crédibles face aux autorités
administratives. Mais, la double méfiance nourrie à leur égard, celle des musulmans et
des autorités politico-administratives, du fait justement de leur principal atout-la maîtrise
de la langue arabe- reste encore bien présente dans les esprits. Dès lors, la logique des
trajectoires individuelles semble prendre le pas sur la cohésion du groupe dans la quête
d’une respectabilité vénale. L’engagement en politique devient alors une étape
incontournable. Elle devient une rampe de lancement. Les causeries, les débats, les
communications, l’animation des émissions dans les télévisions et les radios de proximité
constituent ici des cadres idoines d’expression et de dénonciation pour les jeunes
intellectuels musulmans.
L’accent mis sur l’enseignement moderne de la langue arabe et la connaissance
de la religion montre par ailleurs que la population, dans ses différentes strates ‘‘résiste’’
devant des autorités qui souhaiteraient une société passive et dominée. Cette résistance
n’aboutit toutefois ni à la violence ni à l’intolérance religieuse. Le conflit est intracommunautaire.3 Les associations islamiques peuvent être comprises comme des relais
des décisions politiques, soit comme des écrans à la politique d’homogénéisation de
3
‘‘Querelles entre les musulmans à Douala’’, disponible sur le lien internet http://www.cameroon-info.net/
cmi_show_news. Php ? id = 962 ; consulté le 26 octobre 2000.
343
l’Etat soit comme des tremplins économiques et politiques. L’islam à travers elles et ses
autres formes d’expression est en tout cas multifonctionnel. Il est un instrument de
reconnaissance statutaire, culturel et identitaire.4 Si l’ACIC était un instrument de
légitimation de la politique étatique, tant sur les plans local qu’international, l’islam à
travers ses multiples formes d’expression des années 1990 et du début des années 2000
est à l’intersection du politique, du culturel, de l’identitaire, du social et de l’économique.
Cela signifie que nous n’assistons pas à une révolution idéologique mais plutôt
à une mutation idéologique. Le militantisme islamique est le produit d’une élaboration
religieuse nouvelle. Le dynamisme culturel et social de l’islam ou mieux, l’expression
‘‘renouveau islamique’’ ou encore ‘‘regain islamique’’ parait dès lors recevable ou peu
discutable. Les modes d’action des militants de l’islam ont changé depuis le début de la
décennie 1990. Des conférences, des séminaires et des causeries islamiques sont
organisées, des journaux sont publiés, des prônes médiatisées sont prononcées, des écoles
et des centres culturels sont construits, etc. Les modes de transmission du savoir diffèrent
de ceux des ‘‘traditionalistes’’, même si la mémorisation est encore au centre de certains
pédagogues. Ceci montre à quel point les relations avec les ‘‘ainés’’ et les ‘‘cadets’’ sont
complexes en raison de leur ambivalence. Elles oscillent entre entente et répulsion. Ces
rapports ne sont pas exceptionnels lorsque nous observons les rapports décrits entre les
autorités locales et les élites musulmanes doualaises. La stratégie de contestation du
‘‘leadership’’ religieux est claire et déroule puisqu’elle ‘‘brouille les cartes’’ et permet à
leurs auteurs d’être au centre des débats. C’est pourquoi cette réflexion de R. L. Moreau
nous parait toujours d’actualité :
malgré les rivalités, il ne faut donc pas croire à deux courants exclusifs, le second
finalement est amené à se substituer purement et simplement au premier. On peut plutôt
penser que l’avenir sera fait d’une subtile dialectique entre eux, même si l’évolution
connaît des-à-coups plus ou moins violents, des incohérences durables.5
4
Voir L. Brenner (s.d.), Muslim identity and Social Change in Sub-Saharan Africa, London, Hurst and
company, 1993.
5
R.L. Moreau, Africains musulmans, Paris, Présence africaine, 1982, p. 39.
344
Cette stratégie porte ses fruits mais jusqu’à quand ? Du point de vue de
l’enseignement, la démocratisation du savoir s’est mise en place mais une ‘‘élite’’
arabisée est contrainte de se ‘‘débrouiller’’ dans des secteurs économiques très
circonscrits (commerce, enseignement dans les écoles franco-arabes ou coraniques, au
sein des associations et dans les domiciles des particuliers). Cette nouvelle génération, en
dépit de son multiculturalisme (arabe, françaiset/ou anglais), demeure exclue ‘‘de la
gestion directe du pouvoir’’6. Les centres culturels islamiques, les nouvelles écoles
franco-arabes et les associations islamiques cherchent encore leur chemin. Nos
interlocuteurs sont encore éloignés d’une stratégie de régulation totale de la vie collective
malgré certaines actions caritatives. Ils sont en tout cas des guides pour une partie de la
société communautaire qui est à la recherche de ‘‘sens’’, c’est-à-dire à la recherche
d’identité. Cette quête n’est pas simplement synonyme de repli mais aussi d’une
restructuration de la société avec la libéralisation des années 1990. Ainsi, nous avons à
faire à un foisonnement islamique de moins en moins marginal. Pouvons-nous pour
autant conclure que les écoles franco-arabes et les associations islamiques par exemple
peuvent devenir un mouvement7 social ? Jusqu’à maintenant les associations se
contentent d’actions ponctuelles, sans grande envergure. Nous sommes loin de la
constitution d’un tel mouvement et loin de l’activisme de certaines associations
islamiques en Egypte par exemple qui organisent des activités sanitaires, sociales et
caritatives.8 La situation dans les deux pays connaît pourtant des points communs : l’Etat
s’est désengagé dans ces deux pays, le système de financement est le même (des dons de
la population et des institutions étrangères, etc.) et tout comme en Egypte, ‘‘l’attraction
des ces dons dépend très étroitement de la personnalité des leaders de l’association (…)
de la richesse de leurs réseaux de connaissances’’9. Plusieurs faits peuvent néanmoins
expliquer cette situation. Les pays arabes, et notamment du Golfe ont pour premier souci
6
J. F. Bayart, ‘‘La revanche des sociétés africaines’’, Politique africaine, no 11, 1983, p. 100.
D’après un recensement des articles portant sur le social (sur la crise économique, sur la situation sanitaire
de la communauté, etc.) le sujet n’est pas en priorité au centre des préoccupations des communautés
musulmanes.
8
S. Ben Nafissa, ‘‘Les ligues régionales et les associations islamiques en Egypte. Deux formes de
regroupements à vocation sociale et caritative’’, Tiers-Monde, tome XXXVI, no 141, janvier-mars 1995,
pp. 169-170 et 173.
9
Ibid., p. 171. En revanche nous ne sommes pas si catégorique que l’auteure lorsqu’elle parle de la ‘‘
réputation d’honnêteté’’ des leaders.
7
345
de faire de certaines communautés musulmanes de Douala une tête de pont pour
l’implantation de l’islam. C’est pourquoi au sein de la communauté musulmane bamun
de Douala par exemple, les propagandistes chiites ont mis l’accent surtout sur la
construction d’un centre culturel, d’une mosquée et d’une école (en pays bamun).
Les jeunes arabophones ont, pendant des décennies, préféré suivre des études
littéraires ou théologiques et non scientifiques, ce qui ne pouvait permettre de construire
des complexes à vocation sociale ou caritative dès l’instant qu’il n’y a pas de personnel
formé pour ce genre d’activités ; le principal but est de mettre en place soit des écoles
franco-arabes, soit des écoles coraniques. En cela, ils répondent parfaitement à la
stratégie culturelle des pays arabes.10 De plus, le but d’une grande partie des militants de
ces associations islamiques à Douala se résume à décrocher des financements extérieurs
sans qu’il y ait de projet d’autofinancement. Enfin, certains responsables d’associations
(le PIAH par exemple) se préoccupent de l’avenir de leurs diplômés pour que ces derniers
se forment dans des domaines scientifiques et deviennent des futurs cadres.
Les leaders musulmans doualais, à travers leurs discours et surtout leurs actes,
peuvent-ils révolutionner le champ politique de Douala ? Nous avons vu que certaines
associations proches des autorités telles que l’ANJMC et l’AFUIC, les chefs traditionnels
musulmans en général, l’élite économique et certains imams n’hésitent pas à se
rapprocher de prises de position (officielle) de l’Etat. Autrement dit, tout cet ensemble ne
refuse pas d’avoir des relations avec l’Etat parfois pour des actions ponctuelles. L’Etat est
aussi obligé de donner des gages de bonne volonté aux communautés musulmanes en les
intégrant à la gestion politique locale. Au vu de cette nouvelle donne, les militants
islamiques de tous bords cherchent à se constituer des espaces d’investigation de plus en
plus étendus.11 La victoire d’un des trois principaux protagonistes (les traditionalistes, les
réformistes/modernistes et l’Etat) n’est pas encore écrite mais il est certains que s’établit
progressivement un certain équilibre entre ces différentes forces. La mouvance islamiste
moderniste pourrait gagner du terrain si elle était unifiée, ce qui est encore loin d’être le
10
‘‘(…) la demande d’islam (des musulmans africains) s’accompagne fréquemment d’une demande
d’apprentissage de l’arabe’’, R. Otayek (s.d.), Le radicalisme au sud du Sahara. Da’awa, arabisation et
critique de l’Occident, Paris, Karthala-MSHA, 1993, p. 9.
11
Voir M. Bennani-Chraïbi et O. Fillieule (s.d.), Résistances et protestations dans les sociétés musulmanes,
Paris, Presse de Sciences Politiques, 2003.
346
cas. La multiplication des associations, des centres culturels et des territoires religieux
nuit à leur dynamisme et les associations qui sont les plus en vue, au-delà de leurs
déclarations publiques, souhaitent préserver leur marge de manœuvre. Cependant, les
micro-portraits mosaïques des leaders musulmans de Douala que nous avons évoqué dans
ce travail sont représentatifs de leur temps et de leur milieux. Ils correspondent à bien des
égards à l’esprit de leur époque, cristallisent les espérances ou incarnant les intérêts de
leurs peuples.
Jusqu’à maintenant, l’engagement sur la scène politique des communautés
musulmanes de Douala permet de conclure qu’il constitue un groupe de pression. Ainsi,
l’évolution des évènements observés depuis le début des années 1990 montre qu’elles
sont à la recherche d’une identité. La mouvance islamique réformatrice (moderniste) sert
d’accélérateur à cette quête d’identité. Même si les revendications de cette mouvance ne
sont pas clairement identifiées, elles sont les signes d’une société musulmane qui cherche
ses marques, mue par la volonté d’appartenir à la communauté islamique dans son
ensemble et de briser le carcan du modèle hégémonique mondial. L’islam, à travers ses
différentes formes d’expression, en zone urbaine joue le rôle d’exutoire.
347
ANNEXES
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C-4 Rapports reliés, documents de presses et sonores
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3-Cameroon Tribune, du 17 mai 2006.
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5-Cameroon Tribune, n° 7937 / 4225, septembre 2003.
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12-El Qiblah, no 26, mars 2001.
13-El Qiblah, no 23, février 2001.
14- El Qiblah, n° 20, février 2001.
15- El Qiblah, no 15, novembre 2000.
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22-La Nouvelle Expression no 1194, novembre 2003.
23-L’Autre Journal, no 34, mai 2006.
L’effort camerounais, no 033/975, avril 1991.
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25-Le Monde du 28 octobre 2004.
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27-Le Messager , n°2326, mars 2007.
28-Le Messager , no 2057, février 2006.
29-Le Messager, n° 2474, octobre 2006
30-Le Messager no 2270, décembre 2006.
31-Le Messager, no 2271, décembre 2006.
32-Le Messager du 12 septembre 2006.
33-Le Messager no 1801, janvier 2005.
34-Le Messager, n° 1815, février 2005.
35-Le Messager, no 1966, septembre 2005
36-Le Messager, no 1718, septembre 2004.
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448
38-Le Messager no 1492, mars 2003.
40-Le Messager, no 557, novembre 1996.
41-Mutations du mercredi 11 janvier 2006.
42-Mutations du 8 novembre 2006.
43-Mutations du 17 janvier 2005.
44-Mutations du mercredi 9 février 2005.
45-Mutations, n°1412, mai 2005.
46-Mutations, no 1412, mai 2005.
47-Mutations, n°845, janvier 2003.
48-Mutations, n° 848, février 2003.
49-Mutations, no 975, août 2003.
50-Mutation, no 107, 1998.
51-Recréation, no 13, février 2008.
Sources sonores et visuelles
1-Emission ‘‘Connaissance de l’Islam’’, diffusée à la CRTV-télévision, le 25 novembre
2003.
2-Emission ‘‘Connaissance de l’Islam’’, diffusée sur la télévision nationale (CRTV), le
27 juin 2003.
3-Emission ‘‘Vitrine de l’Islam’’ diffusée sur la chaine de télévision privée ‘‘Canal 2
International’’ le 27 Novembre 2005.
4- Emission ‘‘ Islam et Société’’, diffusée sur la CRTV-poste nationale
D- Documents des Archives Nationales de Yaoundé (ANY)
D-1 Archives Coloniales (AC)
1-ANY, 1AC 3392, Pèlerinage à la Mecque, 1941-1957. Circulaire n°1226/CF/APA/1.
2-ANY, 1AC 1970, Conclusion de la Conférence Interministérielle de Fort – Lamy du 2
au 7 mai 1956 sur les problèmes musulmans dans les T.O.M.
3-ANY, 1AC 224/D, Douala, rapports annuels, incidents divers, ravitaillement 19501953. Rapport annuel 1951.
4-ANY, 1AC 3389, Activités musulmanes au cours du 4e trimestre 1950.
449
5-ANY, 1AC 224/D, Douala, rapport annuel, 1951.
6-ANY, 1AC 165, Rapports divers sur Arabes musulmans et leurs activités, 1949.
7-ANY, 1AC 165, Rapports divers sur arabes musulmans. Visites du Chérif Sidi
Benamor, 1949.
8-ANY, 1AC 60, Région du Wouri. Rapport annuel, 1948.
9-ANY, 1AC2575, justice indigène. Organisation 1927.
10-ANY, 1AC 165, Rapport sur les communautés musulmanes.
11-ANY, 2AC 1439, Affaires musulmanes, 1951-1955.
12-ANY, 2AC 8088, Wouri administration. Rapport annuel, 1954.
13-ANY, 2AC 224/C, Douala. Rapports annuels 1950-1953.
14-ANY, 2 AC 8089, Wouri, administration. Rapport annuel 1950.
15-ANY, 2AC 3655, Rapport sur les activités musulmanes au cours du 3e trimestre 1950.
16-ANY, 2AC 3655, Lettre n°1218 bis datée du 13 juillet 1948 adressée au chef de la
Région Bénoué par le Haut Commissaire.
17-ANY, 2 AC 8093, Douala administration. Rapport annuel, 1923.
18-ANY, 2AC 8093, Douala administration. Rapport annuel, 1923.
19-ANY, 2AC 8093, Wouri, rapport annuel, 1923.
D-2 Affaires Politiques et Adminitatives (APA)
1-ANY, APA 10992/B, Pèlerinage 1954.
2-ANY, APA10992/A, pèlerinage à la Mecque 1952-1953.
3-ANY, APA 11390/A, Pèlerinage à la Mecque 1950-1951.
4-ANY, APA 10991/A, Pèlerinage, 1949.
5-ANY, APA 12247, culte islamique 1949-1951. Lettre de J. Beyries datée du 31 janvier
1950 répondant à la circulaire n° 644 CF/CC/APA/1 adressée par le Gouverneur le
30 décembre 1949.
6-ANY, APA 11298/A, Affaires musulmanes, 1947-1949.
7-ANY, APA 10991/A, pèlerins 1949.
8-ANY, APA10739, Wouri. Rapport annuel 1947.
9-ANY, APA10992/B, pèlerinage
à la Mecque 1954 ; 1AC3392, pèlerinage à
Mecque1941.
10-ANY, APA 11689, Inspection des colonies, 1938-1939.
12-ANY, APA 10.005/D, Douala, rapports annuels, 1937-1939.
la
450
13-ANY, APA 11757, Douala. Rapport annuel, 1933.
14-ANY, APA 10 005/A, Circonscription de Douala. Rapport annuel, 1930.
15-ANY, APA 10005/A, Rapport annuel de Douala, 1923
16-ANY, APA 11/29-30, au sujet de l’expropriation des terrains des Douala, 22 avril
1920.
17-AN ANY, APA 11873, Circonscription de Douala. Rapport annuel, 1920.
18-ANY, APA 10097/6, Rapport semestriel. Région Wouri Délégation de Douala.
19-ANY, APA 11180/C, Affaires musulmanes. Marchand, ‘’Islam au Cameroun``.
20-ANY, Affaires Musulmans 12247, Ecoles franco-musulmanes.
D-3 Rapports
1-ANY, Rapport du gouvernement français à l’ONU, 1951.
2-ANY, Rapport Prestat, 1950.
3-ANY, Rapport J.Beyries 1947.
D-4 Arrêtés, décrets, lois, etc.
1-Arrêté n° 280A/ MINATD/DAP/SCLP/SAC constatant la composition de la
Commission Nationale du Hadj.
2-Décret n° 92/032/92 du 21 février 92 portant légalisation de l’ASSOVIC/CONSAIC.
3-Décret no 90/1461 du 09 novembre 1990 portant création, ouverture et fonctionnement
des établissements privés.
4-Décret n° 88/319 du 7 mars 1988, ‘‘Statuts de l’ACIC’’.
5-Décret no 77/193 du 23 juin 1977 portant création de la MAETUR.
6-Décret 77/245 du 15 juillet 1977 portant organisation des chefferies traditionnelles.
7-Décret no 71 DF du 1er mars 1971 portant création de la MAGZI.
8-Décret n0 68-32 du 2 avril 1968.
9-Décision 005 D/MINATD/DAP/SDLP/SAC portant agrément des encadreurs des
pèlerins musulmans.
10-Loi n° 90/53 du 19 décembre 1990 portant sur la liberté d’association.
11-Loi n° 87/015 du 15 juillet 1987 portant création des communes urbaines.
12-Loi No 64/11 juin 1964 : contrôle et fonctionnement de l’enseignement privé.
13-Loi no 67/LF/19 du 12/06/1967.
451
14-Ordonnances no 74/1, 74/2 et 74/3 du 06 juillet 1974 fixant le régime foncier national
ainsi que de leurs trois décrets d’application, décrets no 76/165, 76/166 et 76/167 du
27 avril 1976.
E-Sources orales
Professions ou titres
Âges
Lieux des enquêtes
Date des
enquêtes
Noms et prénoms
1-AzaharYende
Moustaha
Imam
33
ans
Douala/
Bonamoussadi
26/10/2003
2-Abdoulaye
Commerçant (islamisé)
27 ans
23/01/2004
3-Abdourazak
4-Aboubakar
_____//_______
Imam
30 ans
50 ans
Douala/
Bonamoussadi
_______//_______
Douala/MarchéCongo
Douala/NewBell/Marché-Congo
06 et
07/08/2006
22 ans
Douala/Bonapriso
29/09/ 2006
50 ans
Douala/NgodiBakoko
07/08/2005
5-Aboubakar Backo -Chef de la
Mendeng (El
communauté Bafia de
Hadj)
Douala;
-Vice-président de
l’amicale des chefs
musulmans de Douala;
-Secrétaire d’Etat Civil
6-Ahmad
Élève au centre culturel
Muhammad
Al Axa
7-Bell Mahmoud
-Prédicateur
-Animateur des
émissions islamiques
-Chef de la
communauté
musulmane de
Ngodi/Bakoko
8-Bilal Balery
-Enseignant au
Sadjo
secondaire;
-Directeur d’école
franco-arabe
9-Bouba Abakoura Chef de la communauté
(El Hadj)
musulmane de NewTown/Aéroport
10-Brahim Sarr
Imam sénégalais
11-Daouda
Mohaman
(Cheikh)
-Enseignant à l’IRIC;
-Ancien secrétaire de
l’ACIC
50 ans
_______//_____
30/09/2006
32 ans Douala/Bonaloka
27 et
28/09/2007
52 ans
Douala/New-Town
13/09/2007
47 ans
Douala/NewBell/Congo
Yaoundé
05/05/2004
49 ans
16 et
17/08/ 2003
452
12-Diallo Bakai
68 ans
Douala/NewBell/Congo
50 ans
-Yaoundé
-10/09/2006
-Douala/New-Town -06/09/2007
52 ans
Yaoundé
12 et 13
novembre 2008
71 ans
Douala/New-BelNkoloulun
12 et
14/05/2004
47
ans
17-Halima
Ménagère
38
ans
18-Hassan
-Chef ‘‘Daïra Touba’’ 47 ans
Moustapha
du marché central;
-Commerçant
19-Hassan Nsangou Prédicateur
44 ans
(Cheikh)
Douala/New-Bell
26/10/2003
Douala/New-BellDispensaire
Douala/New-BellMarché-central
O7/09/2007
13-Douada
Kououtouo
(El Hadj)
14-Doubla Avaly
15-Garba Aoudou
(El Hadj)
16-Gourbe Ali
-Commerçant;
-Homme politique;
-Imam;
-président du comité de
reconstruction de la
mosquée peule de
New-Bell et viceprésident de l’ACICLittoral
-Journaliste;
-Présentateur de
l’émission
connaissance de l’islam
-Enseignant
d’université; -président
de l’OESPI;
-Secrétaire Nationale à
‘enseignement francoarabe
-Président de l’ACICLittoral/Sud-ouest;
-Homme politique;
-Homme d’affaires
Imam
20/09/2006
36 ans
Douala/Bonapriso
20/04/20
05
- 12/09/20
06
17/08/2005
-Chef Haoussa de New- 76 ans
Bell;
-Homme politique
-Directeur d’école
50 ans
Douala/New-Bell
10/07/2004
Douala/New-Town
26/01/2004
Douala/New-BellDispensaire
Douala/Akwa
07/09/2007
20-Housseini
(Cheikh)
21-Ousseini
Adamou Labo
(El Hadj)
22-IbrahimTchindé
(El)
23-Khafa
Enseignant d’arabe
Ménagère
30 ans
24-Mahamat Al
Bachir
(Cheikh)
Prédicateur
35 ans
Douala/New-Bell/
Dispensaire
03 et 04
/09/2007
-
26/09/2006 et
30/09/2006
453
25-Malam Awalou
26-Malam
Faroukou
39 ans
60 ans
Douala/Bonanloka
Douala/NewBell/Nkoloulun
07/11/2006
13 et
14/04/2003
68 ans
Douala/New-Bell
28-Malam Ouba
Imam
Ancien directeur de
l’école franco-arabe de
New-Bell
Enseignant
école
coranique traditionnelle
Imam
37 ans
29-Maliki (Cheikh)
Prédicateur
32 ans
30-Mariam
Ménagère
26 ans
31-Mboumbouo
Soulé
(Malam)
32-Moctar
Aboubakar
Oumar (El
Hadj)
Enseignant d’arabe
35 ans
-Douala/New-Bell
-Douala/Akwa
Douala/Bonamouss
adi
Douala/NewBell/Dispensaire
Douala/Bonaloka
11 et
12/04/2004
-24/01/2004
-08/11/2007
28/09/2006
-Imam;
80 ans
-Président de l’UIC;
-Ancien démarcheur du
Hajj
Douala/New-Bell
33-Mohamadou III
Salissou
34-Mohammadou
Yacoubou (El
Hadj)
35-Mohammed
36-Moukara
(Cheikh)
37-Moussa (El
Hadj)
38-Moussa Ladan
(El Hadj)
39-Moussa Oumar
-Banquier;
-Prédicateur
Président de l’AJMC
38 ans
Douala/New-BellDispensaire
Douala/New-Bell
Commerçant (islamisé)
Enseignant d’arabe
39 ans
35 ans
Douala/New-Bell
Douala/Bonapriso
Imam
40 ans
Imam
63 ans
Douala/Cité
Palmiers
Douala/PK-14
Imam
45 ans
40-Moussa Rabiou
Commerçant
42 ans
41-Ndossi Gabriel
Commerçant (islamisé)
29 ans
42-Njiasse Njoya
Aboubakar
-Enseignant
d’université;
-Islamologue;
-Vice président de
l’ACIC;
-Président de l’AMAII
58 ans
27-Malam Koni
42 ans
07/09/2007
27et28/09/2007
-25/01/2004
04et05/08/2004
-08et
09/11/2006
-20/04/2005
-12/09/2006
16/09/2004
26/01/2004
09/09/2006
05/10/2007
des 11
12/04/2004
20/04/2004
Douala/Bonamouss
adi
Douala/New-BellMakéa
Douala/NewBell/Congo
Yaoundé
21/04/2004
02/10/2005
26/01/2004
10 et
11/07/2003
et
et
454
43-Nji Mefire
Njoya (El
Hadj)
-Chef de la
communauté bamun de
Douala;
-Homme politique
44-Nong Ousmane Homme d’affaires
(islamisé)
45-Oumarou
-Ancien boursier de
Malam Yasser l’Arabie Saoudite;
-Enseignant de l’arabe
46 – Njoya Ibrahim Fondateur du PIAH
Moubarak
47-Petou Mama
Homme
d’affaires
(islamisé)
48-Ratib Ouba (El
Imam
Hadj)
49-Razzack
commerçant
50-Saibou Abdou
Imam
51-Sani Mama
Commerçant
52-Shouibou
Oumara
53-Tanko Amadou
54-Woussi
Aboubakar
Chef de la communauté
musulmane de
BibambaBonanloka
-Chef haoussa de
Bonaberi;
-Homme politique
-Ancien directeur de
l’école franco-arabe de
New-Bell
Secrétaire PIAH
55-Yadouko
Aissatou
56-Yahouba
Enseignant d’arabe
(Cheikh)
57-Yaya Abdoulaye Imam
58-Yaya Aissatou
Présidente
de
l’AFMSD
59-Yaya Sandou
Imam
60-Younouss
-Chef
de
la
Paraiso
communauté Yoruba
61-Zeinabou
Commerçante
(islamisée)
68 ans
Douala/New-Bell
04 et
05/08/2005
54 ans
Douala/Makèpè
21/10/2004
34 ans
Douala/New-Bell
02/05/2004
38 ans
Douala/New-town
62 ans
Douala/Bonamouss
adi
Douala/Cité
des
Palmiers
Douala/Akwa
Douala/New-Bell
Douala/NewBell/Makéa
Douala/Bonanloka
43 ans
33 ans
49 ans
27 ans
46 ans
72 ans Douala/Bonaberi
enviro
n
57 ans Douala/New-Bell
24 ans
Douala/Deido
31 ans
Douala/Bonamouss
adi
Douala/Akwa
Douala/Bonajo
40 ans
39 ans
41 ans
67 ans
enviro
n
26 ans
20/10/2004
-20/03/2004
-14/09/2007
23/01/2004
12/09/2006
02/10/2005
13/09/2007
12/07/2004
14/03/2003
07/05/2004
et29/09/2006
17/08/2005
22/04/2004
06/09/2007
Douala/PK14
Douala/NewBell/Congo
20/04/2004
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Douala/Bonamouss
adi
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459
ANNEXE
.
., 2, 3, 4, 5, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33,
34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48,
55, 56, 57, 60, 61, 63, 66, 70, 71, 73, 74, 75, 76, 78,
79, 81, 82, 83, 85, 86, 87, 88, 92, 94, 96, 97, 99,
100, 102, 103, 104, 106, 109, 111, 112, 115, 118,
120, 126, 128, 132, 134, 137, 141, 142, 147, 149,
151, 152, 154, 155, 156, 157, 158, 159, 160, 163,
165, 167, 168, 169, 170, 172, 173, 174, 175, 176,
177, 179, 180, 181, 183, 185, 187, 190, 191, 192,
196, 197, 198, 200, 201, 202, 203, 204, 205, 206,
208, 209, 211, 213, 214, 216, 218, 219, 224, 226,
230, 232, 235, 242, 243, 244, 245, 248, 249, 251,
252, 254, 259, 262, 267, 268, 269, 274, 275, 277,
279, 282, 284, 285, 290, 297, 299, 300, 304, 305,
314, 320, 321, 324, 325, 329, 335, 344, 345
A
Abdallah, 118, 246, 415
Abdelmalek, 301, 415
Abdou Rhamanou, 173
Abdoul Karim Aman, 173
Abdoulaye, 167, 229, 243, 257, 293, 308, 326, 451,
454
Abdourahman Abdoulkarim, 118
Abdouraouf, 255, 415
Abdourazak, 243, 451
Abé, 283, 425
Abimbila Wande, 433
Aboubakar, 32, 61, 65, 86, 118, 128, 130, 131, 143,
160, 173, 180, 191, 198, 243, 284, 315, 321, 325,
329, 330, 331, 451, 453, 454
Abu Bakr, 246
Abubacar Gumi, 154
Abwa, 4, 15, 20, 25, 26, 44, 49, 77, 78, 81, 84, 134,
172, 415, 425, 433, 441, 443
ACIC, 8, 27, 32, 110, 113, 114, 115, 116, 118, 119,
120, 121, 122, 126, 127, 128, 129, 130, 131, 139,
144, 145, 150, 151, 155, 158, 168, 169, 176, 178,
179, 180, 181, 197, 213, 217, 218, 219, 267, 290,
339, 343, 450, 451, 452, 453
Adama, 4, 7, 10, 12, 16, 20, 25, 44, 46, 49, 58, 59, 64,
65, 78, 91, 99, 100, 101, 104, 110, 113, 115, 120,
121, 132, 134, 149, 151, 152, 160, 161, 168, 170,
172, 181, 194, 201, 212, 218, 219, 235, 263, 275,
276, 285, 293, 297, 317, 318, 338
Adamaoua, 5, 20, 45, 63, 64, 87, 88, 89, 90, 91, 92,
111, 219, 267, 268, 426, 427, 434, 439
Adamawa, 18, 26, 45, 50, 54, 63, 64, 100, 147, 338,
430, 431
Adamou Labbo, 55, 79, 287, 293
Adamou Souley, 140
Addel Nasr, 173
Adepoju, 289, 425
Aderson, 70, 415
AFDMD, 28, 208, 211
Afghanistan, 38, 249, 323
Afrique, 2, 3, 7, 8, 9, 10, 13, 14, 15, 16, 18, 19, 20, 22,
25, 27, 28, 30, 38, 39, 42, 44, 46, 47, 48, 49, 52, 54,
55, 56, 57, 58, 59, 60, 62, 64, 68, 69, 72, 73, 75, 76,
77, 80, 82, 83, 84, 85, 88, 91, 93, 96, 100, 101, 102,
116, 120, 125, 126, 129, 130, 133, 135, 136, 137,
140, 141, 147, 149, 150, 151, 153, 154, 155, 157,
159, 165, 166, 169, 172, 175, 177, 178, 180, 182,
183, 185, 187, 188, 192, 199, 200, 201, 213, 214,
216, 245, 246, 247, 249, 251, 252, 256, 261, 266,
267, 273, 275, 277, 281, 282, 284, 285, 289, 290,
299, 301, 302, 303, 304, 305, 308, 309, 310, 314,
316, 317, 320, 335, 336, 340, 415, 416, 417, 418,
419, 420, 421, 422, 423, 424, 425, 426, 427, 428,
429, 430, 431, 432, 433, 434, 435, 436, 437, 438,
439, 440, 441, 443, 444, 445, 446, 455
Agier, 142, 415
Ahidjo, 111, 118, 133, 135, 146, 177, 285, 302, 422,
437
Ahl Ul Bayt, 190, 193
Ahmad Kuftaro, 198
Ahmadou, 66, 94, 101, 111, 118, 133, 135, 146, 302,
312, 415, 428, 430
Ahmadou Bamba, 66, 94, 415, 430
Ahmed, 64, 65, 88, 118, 173, 329
Ahmed Tijani, 64, 65
Aissatou Yadouko, 32, 204, 206
Ako, 243
Akwa, 14, 70, 74, 81, 97, 151, 153, 156, 157, 175, 197,
200, 205, 209, 243, 244, 247, 257, 290, 321, 452,
453, 454
Akwa-Nord, 70
Al Axa, 190, 196, 200, 230, 451
Al Azhar, 113
Al Bachir, 197
Al Falah, 154
Al Houda, 151
Al Huda, 169
Al Ouloumoul Achchara-iyat, 230
Al Ouloumoul-Arabyat, 230
Alavi Payan, 254
Alcali Mohamed, 79, 98
Alhu-Sunna Wal-Jamaa, 152, 154, 167
Ali, 38, 88, 173, 193, 246, 253
Ali Abba, 173
Ali Akbar Velayati, 193
Allah, 24, 157, 211, 255, 256, 271, 294, 330
460
Allemagne, 14, 50, 51, 96, 420
Allemands, 18, 45, 46, 50, 51, 54, 55, 56, 61, 68, 71,
75, 77, 98
Allen, 66, 94, 425
Al-Rahmah, 152, 161, 167
Al-Ramah, 154, 161
Alzouma, 150, 432
Amadou Bamba, 66, 94, 425
Amselle, 46, 159, 320, 415, 434
Ancey, 142, 434
Andre, 415
André, 2, 275, 415
An-Nour, 219, 263
Anoukaha, 249, 415
AOF, 3, 48, 55, 70, 71, 89, 154
Appadurai, 322, 323, 415
Aqidat Salaf, 191
Arabes Choa, 60, 62
Arabie, 120, 121, 129, 138, 148, 149, 151, 153, 154,
155, 158, 169, 190, 191, 192, 195, 197, 200, 230,
242, 263, 265, 312, 314, 315, 320, 321, 332, 333,
454
Arkoun, 24, 455
Arnaldez, 24, 455
ASIPES, 28, 202, 203, 204
Asma Lamrabet, 214, 415
Assar Yendé, 173
Augé, 156, 436
Augis, 214, 252, 434
Awalou, 152
AzaharYende, 451
B
Ba, 58, 66, 75, 94, 113, 137, 154, 304, 415, 438, 439
Babou, 271, 425
Babouantou, 112
Bac, 232
Badiane Tbou, 79
Badié, 185, 415
Bafia, 26, 32, 45, 54, 60, 61, 62, 79, 80, 89, 139, 160,
174, 180, 254, 256, 265, 266, 273, 332, 451
Bafoussam, 230
Baguirmi, 51
Bah, 4, 13, 22, 26, 32, 63, 87, 88, 89, 90, 91, 129, 267,
426, 434, 444, 445
Bakaï Mamoudou, 176, 268
Bako Mendeng, 32
Bakoko, 173, 174, 261, 275, 451
Bala Mohamed, 140
Balandier, 68, 415
Bali, 18, 70, 97
Balle, 186, 416
Bamako, 65, 151, 154, 159, 276, 282, 434, 435, 456
Bamenda, 5, 80, 111, 133, 442
Bamiléké, 112, 140, 171
Bamillon, 301, 434
bamun, 5, 20, 54, 61, 63, 64, 65, 73, 83, 101, 104, 157,
163, 167, 173, 175, 176, 230, 243, 254, 266, 267,
268, 269, 277, 345, 454
Bamun, 20, 32, 61, 62, 79, 80, 92, 101, 112, 130, 141,
161, 163, 171, 174, 198, 254, 265, 266, 267, 273,
327
Bandjoun, 157
Baneka Garba, 79, 80
Bannock, 282, 416
Banyo, 45, 46, 89
Baoutchi, 54
baraka, 63
Bassa, 134, 163, 245, 262, 263, 456
Basséké, 74
Bastian, 185, 416
Batouté, 60
Bayart, 3, 26, 82, 83, 166, 214, 336, 344, 416, 426,
440
Beaud, 2, 16, 416
Bell, 14, 18, 70, 72, 73, 74, 76, 81, 96, 97, 98, 100,
102, 116, 148, 161, 173, 174, 175, 209, 210, 215,
222, 243, 249, 253, 259, 261, 262, 263, 268, 275,
280, 291, 294, 295, 300, 451
Bell Luc, 261
Bell Mahmoud, 173, 261, 262, 263, 275, 451
Benin, 48, 56, 57
Bennani-Chraibi, 416
Bénoué, 44, 45, 48, 50, 63, 88, 92, 430, 449
BEPC, 190, 191, 226, 231, 232
Berberati, 5
Bertoua, 5, 7, 58
Besançon, 30, 416
Beyries, 2, 8, 84, 102, 449, 450
Bibamba, 29, 173, 224, 226, 227, 230, 231, 232, 234,
236, 237, 293, 295, 319
Bibemi, 89
Bignoumbe-Bi-Moussavou, 416
Bilal Balery Sadjo, 226, 227, 451
Birgit, 273, 416
Biya, 111, 285, 286, 287, 292, 293, 294, 295, 302, 422
Blachère, 24, 455
Blancs, 69
Bonaberi, 32, 55, 79, 220, 258, 290, 454
Bonabéri, 32, 74, 79, 80, 81, 113, 130, 134, 161, 173,
175, 198, 224, 256, 268, 290, 320
Bonamoussadi, 32, 134, 161, 173, 174, 175, 197, 198,
209, 243, 244, 256, 257, 326, 451, 453, 454
Bonanjo, 98, 175, 320
Bonanloka, 29, 152, 163, 173, 220, 224, 226, 227, 230,
231, 232, 234, 236, 237, 293, 295, 319, 453, 454
Bonapriso, 175, 190, 193, 200, 208, 248, 451, 452,
453
Bonner, 5, 416
Bonyi, 133, 443
Bornou, 5, 44, 48, 54, 60, 430
Bornuan, 49
Bouar, 5
Bouba Abakoura, 173, 319, 451
461
Bourdieu, 38, 195, 301, 307, 416, 435
Brahim Sarr, 451
Braudel, 18, 416
Bredeloup, 136, 138, 426
Brenner, 53, 117, 141, 142, 151, 153, 159, 187, 307,
343, 417, 435
Breton, 47, 417
Buea, 10, 46, 67, 422
Burgat, 150, 417
Burkina Faso, 25, 142, 159, 180, 187, 196, 197, 431,
432, 437, 439, 442
Burnham, 4, 18, 417
C
Cabdou, 155
Camair, 131, 132, 143, 144, 313, 320
Cameroon Tribune, 16, 27, 65, 112, 113, 119, 140,
199, 205, 215, 287, 290, 294, 324, 443, 446, 447
Cameroun, 3, 4, 5, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16,
18, 19, 20, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 32, 33, 44, 45, 46,
47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60,
61, 62, 63, 64, 65, 70, 72, 73, 75, 76, 77, 78, 79, 80,
81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 91, 92, 93, 94, 96,
97, 98, 99, 100, 101, 102, 103, 104, 110, 111, 113,
114, 115, 116, 118, 119, 120, 121, 122, 126, 128,
129, 131, 132, 133, 134, 135, 136, 137, 138, 139,
142, 143, 145, 146, 148, 149, 150, 151, 152, 154,
155, 157, 160, 161, 163, 165, 166, 167, 168, 169,
170, 172, 174, 175, 177, 178, 179, 180, 182, 183,
185, 187, 189, 191, 193, 194, 196, 198, 199, 200,
201, 202, 205, 209, 211, 212, 214, 215, 217, 218,
219, 222, 223, 224, 226, 227, 230, 232, 242, 244,
245, 246, 247, 248, 251, 252, 253, 254, 256, 257,
258, 259, 261, 262, 263, 265, 266, 267, 276, 277,
281, 282, 283, 284, 285, 286, 289, 291, 292, 294,
295, 297, 298, 301, 302, 303, 304, 305, 307, 308,
309, 312, 313, 315, 317, 318, 319, 323, 325, 326,
327, 329, 330, 331, 332, 333, 335, 338, 339, 340,
341, 415, 416, 417, 418, 419, 420, 421, 422, 424,
425, 426, 427, 428, 429, 430, 431, 432, 433, 434,
435, 436, 437, 438, 439, 440, 441, 442, 443, 444,
445, 446, 450, 455, 456, 457, 458
Camerounais, 15, 48, 63, 82, 120, 121, 131, 135, 147,
251, 278, 293, 302, 308, 433
Canel, 76, 140, 417
Cantone, 214, 252, 426, 435
CAP, 224, 230
Caplan, 159, 434
Cardaire, 2, 54, 59, 76, 91, 99, 103, 417
Carre, 148, 417
CEPE, 121, 126, 128, 130, 181, 230, 234
Cesari, 297, 426
CETIC, 230, 235
CFAO, 59
Chagnollaud, 334, 417
Chamboredon, 416
Champion, 186, 416
Charch al Othaymin, 191
Charnay, 25, 215, 417
Charre, 115, 417
Chaybannides, 249
Chérif Sidi Benamor, 89, 449
chiisme, 242, 246, 247, 248, 249, 251, 252, 254, 257,
258
chiisme duodécimain, 247
Ciffine, 246
Cissé, 25, 58, 75, 125, 129, 136, 137, 138, 143, 151,
154, 167, 180, 183, 304, 417, 442, 444
Cité des palmiers, 174
CNE, 30
CNPS, 232
CODESRIA, 13, 160, 165, 444, 445, 456
cola, 45, 56
Comaroff, 314, 426
communautés musulmanes, 9, 11, 12, 13, 14, 16, 18,
19, 21, 22, 23, 26, 27, 28, 31, 32, 40, 41, 42, 47, 48,
53, 56, 62, 63, 67, 70, 73, 77, 79, 80, 82, 83, 87, 89,
90, 93, 95, 99, 106, 108, 111, 112, 113, 142, 145,
146, 148, 149, 163, 165, 173, 174, 176, 177, 185,
186, 197, 198,跨199, 239, 245, 261, 264, 265, 269,
281, 283, 285, 290, 297, 299, 302, 311, 312, 326,
328, 333, 334, 338, 344, 345, 346, 436, 449
Congo, 59, 73, 80, 81, 88, 97, 100, 102, 103, 135, 136,
138, 141, 152, 154, 158, 160, 161, 163, 173, 174,
176, 220, 245, 268, 269, 284, 285, 290, 300, 302,
303, 304, 451, 452, 453, 454
Constantin, 3, 10, 299, 417, 438
Coquery-Vidrovitch, 15, 37, 58, 69, 75, 133, 137, 165,
302, 304, 417, 426, 436, 439, 455
Coran, 20, 86, 99, 101, 102, 103, 115, 121, 125, 126,
127, 128, 147, 153, 155, 156, 157, 165, 167, 183,
193, 197, 198, 214, 229, 231, 233, 237, 243, 244,
246, 251, 253, 262, 271, 275, 277, 330, 333, 336,
443
Cosmopolitisme, 281, 296, 297, 303, 430
Côte d’Ivoire, 65, 89, 136, 137, 142, 150, 159, 168,
174, 212, 213, 214, 215, 252, 314, 319, 421, 428,
429, 430, 434, 438, 440, 444
Coulon, 3, 9, 10, 20, 27, 39, 64, 109, 154, 214, 299,
322, 417, 426, 435, 438, 440
Crowley, 175, 426
Cruise O’ Brien, 427
Cruise O’Brien, 418, 435
Curt, 50, 417
Curtin, 72, 427
D
d’Almeida-Topor, 314, 417
da’awa, 183, 192, 252
dahira, 66, 167, 271
Dahoméens, 48, 55, 62, 73, 75, 79
Daïra Touba’’, 452
Daouda Mohaman, 32, 118, 126, 151, 181, 451
DDC, 202
462
De Rosny, 10, 44, 185, 418, 427, 435, 455
Deido, 70, 81, 175, 191, 204, 206, 454
Dejeux, 267, 427
Demonbynes, 155, 418
Den Boer, 300, 427
Derrick, 15, 72, 75, 81, 96, 435
Diallo Bakai, 32, 112, 141, 269, 452
Diallo Bakai Mamoudou, 113
Dibang, 261
Dieu, 3, 16, 33, 62, 135, 146, 157, 166, 169, 185, 192,
200, 223, 245, 251, 253, 257, 265, 266, 267, 269,
278, 293, 294, 318, 329, 330, 331, 334, 335, 416,
428
Dikoume, 45, 51, 75, 427, 455
Diouf, 13, 306, 314, 427, 444
djihâd, 5, 16, 18, 20, 60, 338
Do’a, 253
Dominik, 50, 54, 430
Donckier de Donceel, 160, 427
Douada Kououtouo, 452
Douala, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 18, 19, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 34, 40, 41,
42, 43, 44, 46, 47, 48, 49, 50, 52, 53, 54, 55, 56, 57,
58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71,
72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 86, 87,
88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97, 98, 99, 100,
101, 102, 103, 104, 106, 108, 110, 111, 112, 113,
114, 115, 116, 118, 121, 122, 123, 125, 127, 128,
129, 130, 131, 132, 133, 134, 135, 136, 137, 138,
139, 140, 141, 142, 143, 145, 146, 147, 148, 149,
150, 151, 152, 153, 154, 155, 156, 157, 158, 159,
160, 161, 163, 165, 166, 167, 171, 172, 173, 174,
175, 176, 178, 179, 180, 181, 182, 183, 184, 185,
186, 187, 188, 189, 190, 191, 192, 193, 194, 195,
197, 198, 200, 201, 202, 204, 205, 206, 208, 209,
210, 211, 212, 213, 215, 216, 217, 219, 220, 221,
222, 224, 226, 227, 229, 230, 231, 232, 233, 237,
238, 239, 240, 241, 242, 243, 245, 246, 247, 248,
249, 251, 252, 253, 254, 256, 257, 258, 261, 262,
264, 265, 266, 267, 268, 269, 271, 273, 274, 275,
276, 277, 279, 280, 281, 282, 283, 284, 285, 286,
287, 289, 290, 291, 292, 293, 294, 295, 296, 297,
298, 299, 300, 301, 302, 303, 304, 305, 306, 307,
308, 310, 311, 312, 313, 314, 315, 316, 317, 319,
320, 321, 322, 323, 324, 325, 326, 327, 328, 329,
331, 332, 333, 335, 338, 339, 340, 341, 342, 345,
346, 418, 419, 421, 424, 425, 427, 428, 430, 431,
433, 435, 439, 442, 444, 445, 446, 448, 449, 450,
451, 452, 453, 454, 455, 456, 457, 458
Doubla Avaly, 199, 200, 217, 218, 219, 223, 233, 452
Dozon, 156, 436
Duala, 18, 52, 54, 56, 69, 71, 77, 78, 96, 112, 163, 175
Dumont, 148, 185, 417, 418
E
Ebin, 271, 427
Ebolowa, 8
Eboussi Boulaga, 10, 26, 265, 284, 298, 418, 440
Edéa, 59, 67, 130, 131, 226
Egypte, 120, 129, 147, 149, 153, 154, 191, 192, 195,
196, 197, 229, 232, 277, 344, 429
Eickelman, 195, 418
Ekambi Dibongue, 165, 444
Ekindi, 112
El Qiblah, 28, 114, 116, 121, 163, 165, 179, 183, 205,
219, 238, 258, 274, 313, 315, 320, 335, 447
Ela, 76, 216, 418
Emboussi, 157, 258, 335, 443
Etats Soudano-sahéliens, 46
ethnicisation, 266, 269
Etienne, 150, 237, 255, 415, 418, 427
Européens, 14, 51, 52, 55, 69
Extrême-Nord, 5, 10, 45, 219, 267, 269
Eymery, 186, 416
Eyongetah Tambi, 46, 418
F
fanatisme, 2, 151
femmes, 9, 56, 58, 73, 74, 75, 93, 98, 137, 138, 141,
146, 152, 156, 188, 203, 208, 211, 212, 213, 214,
219, 252, 253, 273, 276, 279, 304, 317, 318, 319,
320, 328, 330, 333, 427, 439
Ferraroti, 29, 418
Fez, 64, 65
Findley Sally, 137, 427
fiqh, 103
FMI, 179
Fogui, 175, 285, 418
Fon, 133
fondamentalisme, 146, 148
Fondation d’Aide Humanitaire Islamique, 206
Foning, 112
Fouchard, 70, 150, 153, 155, 418, 436
Fouda, 79, 80
Foulbé, 4, 64, 79, 98, 99, 158, 167, 327, 427
Foumban, 4, 9, 10, 12, 45, 58, 61, 65, 83, 89, 133, 157,
172, 191, 230, 258, 267, 332, 335, 422
France, 2, 3, 25, 26, 40, 48, 66, 68, 78, 83, 84, 87, 88,
89, 90, 91, 93, 94, 95, 104, 106, 179, 328, 338,
415, 422, 442, 445
Francophonie, 276, 456
Froelich, 2, 64, 102, 147, 153, 418, 427
Fru Awasom, 133, 436, 442
G
Gaffey, 304, 418
Gale, 72, 427
Garba Aoudou, 113, 116, 117, 118, 120, 121, 128,
130, 136, 140, 180, 289, 290, 291, 452
Garba Oumarou, 118
Garoua, 4, 5, 7, 9, 45, 59, 60, 89, 113, 116, 121, 129,
138, 169, 226, 263, 308, 312, 332, 446
463
Garoua Boulay, 7
Gauderoy-Demombynes, 62, 418
Gauthier, 37, 314, 418, 438
Gaxie, 309, 418
Genest, 101, 114, 115, 121, 122, 129, 181, 432, 436
Géopolitique, 75, 455
Gervais-Lambony, 70, 418
Geschire, 418
Ghadeer Kum, 251
Ghana, 30, 48, 56, 136
Gobir, 20, 44
Goerg, 72, 96, 419, 436
Gôle, 278, 427
Golfe de Guinée, 50, 51, 57, 58, 59, 61, 440
Gomez-Perez, 9, 25, 28, 34, 83, 116, 129, 150, 152,
153, 154, 159, 174, 180, 187, 188, 200, 212, 214,
215, 252, 259, 282, 314, 325, 419, 427, 428, 429,
434, 435, 436, 437, 438, 440, 442
Gondolo, 70, 419
Goni Waday, 63, 430
Gonidec, 177, 341, 419, 437
Gouellain, 7, 14, 72, 80, 419
Goungui, 50, 61, 443
Gourbe Ali, 452
Gouvernement, 85
Grabar Oleg, 160, 419
Grandhomme, 25, 84, 442
Gravel, 2, 419
Grecs, 49
Grégoire, 140, 419
Gubry, 179, 419
Guillaume, 314, 418
Guinéens, 48, 55, 73, 75, 182
H
Hadith, 103, 191, 229
Haenni, 277, 419
Haeringer, 96, 428
Hafiz, 103
hajj, 22, 23, 29, 41, 106, 108, 131, 144, 315, 316, 317,
321
Hajj, 27, 63, 65, 83, 85, 91, 93, 110, 130, 132, 140,
141, 143, 154, 251, 282, 312, 313, 314, 315, 316,
317, 318, 320, 321, 333, 438, 453
Halal-Haram, 193
Halima, 252, 452
Hamadou Adama, 194, 263, 419, 428, 437, 442, 456
Hanson, 3, 419
Haoussa, 20, 25, 32, 44, 46, 47, 48, 49, 50, 52, 53, 54,
55, 56, 57, 58, 60, 62, 67, 73, 79, 98, 99, 100, 101,
112, 114, 135, 137, 140, 141, 146, 153, 167, 171,
173, 174, 183, 262, 265, 266, 287, 300, 302, 422,
442, 443, 452
Hassan Afolabi, 100, 104
Hassan Moustapha, 66, 452
Hassan Nsangou, 193, 194, 245, 247, 248, 251, 252,
253, 254, 321, 452
Hatcheu Tchawe, 142, 419
Haut - Nkam, 112
Haute-Volta, 70, 159, 418, 431, 434, 435
Hawa Safia, 208
Hégire, 246
Hillenbrand, 160, 249, 419
Hino, 70, 420
Holtedahl, 166, 437
Holtedhal, 420
Home, 70, 420
homogénéisation, 116, 151, 320, 321, 341, 342
hôtel Sawa, 205
Housseini, 55, 190, 194, 287, 321, 452
Hrbek, 48, 51, 52, 437
Husayn, 252
Hussein, 193, 245, 253, 323, 324
I
Ibn Addel Wahhab, 147
Ibrahim, 29, 62, 104, 118, 160, 166, 191, 199, 200,
221, 224, 227, 229, 230, 231, 232, 234, 236, 237,
254, 263, 321, 326, 327, 331, 437, 454
Ibrahim Tchindé, 224, 229
IbrahimTchindé, 452
Iliassou, 54
Inde, 249, 255
Innua Wirba, 118
Isah, 65, 443
ISH, 30
Islam, 3, 9, 11, 13, 16, 25, 28, 32, 44, 52, 61, 65, 84,
85, 88, 101, 109, 113, 131, 133, 134, 139, 148,
149, 150, 152, 153, 154, 157, 159, 180, 187, 193,
201, 209, 212, 216, 245, 251, 253, 256, 258, 267,
268, 269, 273, 276, 277, 315, 319, 325, 335, 420,
421, 423, 424, 425, 426, 427, 428, 429, 430, 432,
434, 437, 440, 441, 442, 443, 446, 448, 450, 456
islamisation, 4, 12, 21, 43, 48, 62, 134, 135, 150, 159,
187, 265, 266, 271, 316, 421, 432
Ittiha, 161
Ittihad, 161
Iya, 101, 103, 115, 118, 150, 160, 169, 327, 443, 446
J
Jakiri, 133
Jama’at at-tabligh, 256
Jéhovah, 255
Jewsiewicki, 29, 31, 117, 153, 420, 421, 436
Jillali El Adnami, 64, 420
Jillali El Adnani, 316, 428
John Holt Compagny, 59
Jos, 96, 98, 154, 445
Joss, 69, 70, 74
464
K
Kaba, 3, 147, 153, 154, 420, 428
Kandahla, 255
Kane, 109, 148, 149, 153, 154, 159, 212, 420, 437,
438, 440
Kano, 44, 64, 65, 100, 101, 106, 159, 281
Kanuri, 48, 49, 60, 100
Kaolack, 65, 66
Kassalafam, 163
Katsina, 44
Kavira, 304, 457
KDD, 161, 165, 253, 256
Kenzie, 24, 420
Kerbala, 253
Khafa, 452
Khartoum, 247
Khawarej, 246
Khums, 194, 254
Kings, 81
Kitab Tawhid, 191
Kolle, 165, 444
Koloko, 112
Koné-Dao, 159, 437
Konings, 52, 307, 418
Kotoko, 48, 49, 60, 62, 100
Kotto, 175
Kouokam Magne, 203, 444
Kouotouo Atam, 118
Kum’a Ndumbé, 14, 420
Kumbo, 44, 133
L
l’école malikite, 155
L’effort camerounais, 179, 447
l’enseignement islamique, 118
La Nouvelle Expression, 27, 199, 251, 258, 259, 268,
318, 447
Labazée, 140, 419
Lac Tchad, 5, 23, 44, 50, 83, 276, 432, 440, 456
Lacoste, 38, 39, 147, 428, 455
Lacoste-Dujardin, 38, 39, 428
Lacouture, 39, 437
Lacroix, 2, 4, 102
Laghouat, 64, 88
Lagos, 57, 58, 64, 74, 104, 161, 163
Laitin, 57, 437
lamibe, 83
Lamido Hayatou, 226
Lanctôt, 329, 457
Langewiesche, 25, 442
Laperrière, 37, 438
Lasseur, 16, 256, 335, 428
Le Goff, 19, 20, 34, 39, 420, 437, 440
Le Messager, 19, 27, 112, 116, 193, 209, 246, 248,
252, 253, 254, 259, 262, 277, 286, 291, 295, 301,
312, 313, 314, 324, 325, 326, 329, 330, 335, 447,
448
Le Monde, 161, 184, 247, 280, 324, 447, 457
LeBlanc, 25, 188, 214, 215, 252, 319, 325, 428, 429,
438
Leca, 311, 429
Lehmici, 277, 429
Lemarchand, 304, 429
Levtizion, 3, 420
Libye, 120, 195, 197, 335
Littoral, 9, 11, 13, 67, 90, 100, 116, 118, 130, 138,
142, 179, 204, 209, 219, 220, 248, 263, 269, 286,
290, 293, 297, 327, 445, 452
Lomeier, 154, 159, 421, 429
Lomo Myazhiom, 4, 87, 429
Lotfi, 329, 457
Lovejoy, 45, 421
Ludtke, 38, 421
M
Mabanda, 32, 173, 174, 209, 220, 258, 295
Machia Anong, 61
MAETUR, 163, 450
Magassouba, 159, 421
Maghreb, 5, 12, 62, 91, 155
MAGZI, 163, 450
Mahama, 54
Mahamat Al Bachir, 197, 200, 452
Mahomet, 33, 90, 240, 247, 251, 255, 328, 329, 330,
333, 455
Mahood, 188, 421
Maïbornou, 79
Maidougouri, 44, 65, 159
Mainet, 15, 16, 18, 23, 73, 96, 138, 421, 429, 438, 446
Makea, 32, 58, 59, 73, 135, 161, 173, 174, 191, 221,
279, 300
Makepe, 175
Mala Mboumbouo, 231
Malam, 63, 64, 79, 80, 102, 103, 115, 118, 119, 123,
125, 126, 127, 151, 152, 153, 155, 156, 157, 160,
230, 231, 242, 453, 454
Malam Awalou, 152, 453
Malam Faroukou, 115, 119, 123, 125, 126, 127, 453
Malam Koni, 102, 103, 453
Malam Ouba, 153, 155, 156, 157, 242, 453
Mali, 65, 117, 138, 142, 151, 159, 180, 187, 277, 304,
432, 435
Malick Sy, 65
Maliens, 48, 55, 58, 62, 63, 73, 137, 138, 153, 167,
182, 265, 267, 271, 273
Maliki, 453
Mamnan-na-Dumiki, 54
Mandara, 60
Manjo, 59, 75
Mansour Fahmy, 214, 421
Maouloud, 156, 208
Mappa, 68, 77, 421
465
Marchand, 115, 421, 450
marchandisation, 41, 195, 241, 273
Mariam, 252, 453
Maroc, 64, 65, 93, 155, 197, 335
Maroua, 4, 5, 9, 45, 59, 60, 89, 92, 121, 138, 177, 332,
433, 437
Marrou, 23, 24, 438
Marseille, 25, 72, 297, 424, 426, 442
Matt Childs, 424
Maud, 135, 157, 166, 169, 185, 257, 265, 267
Mayer, 311, 421
Mazrui, 38, 434
Mballa Owono, 115, 421
Mbalmayo, 7
Mbam, 5, 11, 16, 18, 25, 44, 45, 46, 50, 52, 58, 60, 61,
62, 67, 78, 163, 180, 212, 253, 256, 338, 442
Mbanda, 261
Mbandjock, 75
Mbanga, 59
Mbé, 89
Mbembe, 15, 83, 86, 134, 297, 416, 421, 436, 446
Mbonda, 285, 429
Mboumbouo Soulé, 231, 453
Mecque, 33, 51, 80, 85, 86, 90, 92, 93, 94, 99, 100,
106, 131, 132, 141, 153, 160, 251, 253, 271, 278,
313, 315, 317, 318, 319, 321, 333, 433, 448, 449
Médard, 10, 83, 116, 289, 298, 309, 310, 429, 438
Médine, 121, 128, 155, 158, 190, 191, 197, 200, 230,
253
Mefouna, 301, 443
Meiganga, 89
Mengueme, 443
Mercier Tremblay, 101, 114, 423
Messi, 298, 444
Meunier, 48, 421
Mijang Ndikum, 11, 443
Miran, 150, 159, 212, 213, 421, 430, 444
Moctar Aboubakar, 32, 131
Moctar Abubakar, 86, 259
Mohamadou Bayero Fadil, 140, 141, 308
Mohamadou III, 193, 247, 248, 321, 453
Mohammadou, 4, 54, 63, 158, 173, 209, 294, 303,
430, 453
Mohammed, 88, 91, 243, 244, 255, 315, 453
Mokolo, 89
Moluh, 112, 175, 281, 296, 297, 303, 430, 442
Moluh Idriss, 113
Momo, 77, 79, 171, 341, 430
mondialisation, 41, 157, 179, 185, 258, 267, 321, 322,
333, 335, 430, 445
Moniot, 28, 430
Monteil, 2, 421
Moqadem, 89, 90, 91
Moreau, 3, 343, 421
mosquées, 5, 9, 32, 133, 145, 148, 152, 154, 155, 157,
158, 159, 160, 161, 163, 165, 166, 167, 169, 170,
174, 175, 183, 184, 188, 195, 212, 213, 214, 215,
241, 242, 243, 244, 252, 255, 256, 257, 258, 259,
263, 265, 266, 268, 269, 271, 273, 275, 277, 278,
280, 293,跨304, 332, 333, 435, 436
Moss, 31, 421
Mossi Gomtse, 61
Mouiche, 157, 258, 267, 284, 289, 335, 421, 430
Moukara, 200, 229, 231, 453
Moukoko Mbondjo, 282, 438
Moukouri, 298, 444
Moulay Ismail Aidara, 87, 88, 89, 90
mourides, 66, 94, 156, 167, 271, 426, 427, 430
Mouridiya, 66
Moussa, 25, 44, 104, 113, 114, 118, 136, 160, 183,
217, 218, 245, 251, 256, 257, 279, 312, 313, 325,
442, 453, 456
Mova Bouba, 79
Moyen Orient, 12, 63, 190, 191, 194
Muâwiyya, 246
Mudimbe, 31, 116, 153, 421, 436
Muhammad, 147, 154, 196, 430, 451
Mulago, 66, 94, 430
multipartisme, 111, 186, 282, 287, 289, 298, 305, 307,
309, 310, 422, 430, 431, 438
muqadam, 64
Musée sans Frontières, 160, 422
Mustapha Germinli, 199
Mutations, 27, 62, 217, 218, 278, 303, 327, 448
Mveng, 14, 26, 99, 202, 262, 422, 430
N
Native Authority, 106
Ndam Njoya, 61, 83, 150, 262, 422
Ndi Barga, 282, 422
Ndobo, 32, 258
Ndogpassi, 32
Ndossi Gabriel, 453
Nester, 66, 94, 425
New-Akwa, 70
New-Bell, 7, 18, 27, 32, 55, 61, 64, 65, 68, 69, 70, 72,
73, 74, 76, 79, 80, 81, 82, 86, 95, 96, 97, 98, 99,
102, 103, 106, 114, 115, 116, 119, 120, 121, 128,
130, 131, 134, 141, 148, 151, 152, 154, 157, 158,
160, 161, 165, 167, 173, 174, 175, 176, 180, 183,
191, 198, 208, 209, 210, 220, 221, 222, 224, 238,
242, 243, 244, 245, 247, 248, 249, 252, 253, 254,
256, 266, 268, 269, 279, 280, 286, 287, 289, 290,
292, 293, 294, 295, 300, 315, 318, 326, 338, 429,
446, 451, 452, 453, 454
New-Deido, 70
New-Town, 32, 173, 174, 176, 191, 206, 221, 224,
226, 227, 229, 232, 233, 235, 237, 251, 319, 451,
452
Nforgang, 196, 198, 457
Ngaoundéré, 4, 5, 7, 9, 25, 26, 45, 58, 59, 60, 63, 64,
65, 84, 87, 88, 89, 91, 92, 99, 101, 111, 113, 121,
129, 138, 166, 169, 172, 178, 194, 211, 332, 426,
428, 434, 437, 439, 440, 442, 446
NGaoundéré, 252, 276, 431, 456
466
Ngati, 293
Ngayap, 285, 422
Ngodi, 70, 173, 174, 261, 275, 451
Ngoh, 14, 26, 422
Ngongo, 26, 115, 422
Ngossie, 244
Ngosso Din, 18
Ngoupande, 245, 246, 422
Ngueken Dongo, 283, 430
Nicolas, 3, 48, 49, 422
Nieves San, 243, 458
Nifuler Golfe, 214, 422
Niger, 48, 49, 50, 57, 150, 187, 432
Nigeria, 20, 44, 45, 47, 48, 49, 50, 51, 53, 54, 56, 57,
65, 100, 101, 106, 109, 133, 136, 141, 151, 154,
155, 159, 182, 187, 229, 262, 273, 289, 302, 331,
335, 340, 420, 421, 426, 430, 433, 435, 437, 444
Nigériens, 48, 55, 62, 137, 182, 265, 267, 273
Njeuma, 4, 15, 20, 63, 72, 431, 435, 439, 444, 458
Nji Mefire Njoya, 61, 454
Njiale, 179, 444
Njiasse Njoya, 4, 7, 8, 25, 44, 61, 63, 64, 65, 83, 131,
139, 151, 265, 266, 422, 439, 442, 453
Njo Njo, 248
Njoya, 8, 60, 61, 62, 65, 79, 80, 83, 133, 152, 161, 173,
191, 194, 199, 204, 252, 254, 278, 313, 321, 326,
331, 422, 431, 445, 454
Njoya Ibrahim Moubarak, 326, 454
Njoya Moubarak, 60, 62, 133, 191, 194, 199, 204, 278,
321, 331, 445
Nkainfon Pefura, 282, 422
Nkene, 57, 135, 140, 178, 182, 285, 301, 305, 306,
431
Nkompa, 32, 174
Nkongsamba, 59, 75, 89, 90, 118, 130, 131, 139, 211,
256
Nkwi Nchofi, 175, 422
Noirs, 69, 72
Nong, 134, 454
Nong Ousmane, 134, 454
Nord-Cameroun, 4, 8, 12, 44, 49, 84, 89, 101, 134,
142, 172
Noun, 5, 16, 61, 62, 65, 157, 254, 262, 263, 326, 335
Nsame Mbongo, 69, 165, 439
Nso, 11, 133, 443
Nyansako-Ninku, 10, 422
Nylon, 202, 203
Nyom, 179, 422
Nzesse, 307, 439
O
OESPI, 217, 218, 219, 221, 233, 452
Ogunsola Igue, 56, 422
Oleukpana Yinnon, 55, 305, 431
Omar, 88, 91, 160, 246
Onana, 112
ONEPI, 217, 218, 219
ONU, 8, 328, 329, 450
Orient, 62, 195, 245
Otayek, 3, 120, 147, 153, 154, 155, 159, 187, 196,
201, 273, 275, 334, 336, 345, 422, 423, 424, 431,
435, 436, 437, 439, 440
Ouadaï, 51
Ouagadougou, 70, 159, 418, 434, 435, 436
Oubangui, 45, 54
Ouléma, 63
Oulémas, 168
Oumar, 58, 61, 64, 65, 75, 130, 131, 137, 167, 198,
243, 256, 257, 259, 304, 315, 439, 453
Oumarou Malam Yasser, 151, 454
Oumma, 23, 143, 186, 199, 282, 322, 332, 333, 334
Ousman Dan Fodio, 20, 60, 64, 154, 338
Ousseini Adamou Labo, 130, 452
Ouzbékistan, 249
Owona Nguini, 111, 291, 303, 305, 445
Oyono, 282, 431
P
Pakistan, 249, 256, 258, 262
panarabisme, 84
panislamisme, 2, 84, 85, 87
Papillon-Dauveau, 179, 431
Paraiso Joseph, 79
Paraïso Younouss, 173
PAS, 179
Passarge, 54, 430
Passeron, 38, 416
Paupérisation, 202, 430
Penja, 59, 75
Perrineau, 311, 421
Perrot, 172, 175, 177, 284, 285, 423, 440
Petit, 136, 168, 423
Petou, 134, 454
Petou Mama, 134, 454
Peul, 4, 20, 32, 48, 50, 56, 60, 62, 98, 101, 104, 112,
140, 141, 142, 171, 174, 252, 263, 265, 266, 269,
273, 308, 431, 434
Pezzano, 303, 439
Philips, 31, 423
PIAH, 28, 139, 140, 190, 191, 204, 205, 206, 208, 251,
274, 326, 332, 345, 446, 454
Pidgin English, 101
Piga, 16, 213, 423, 439
Pinto, 36, 38, 440
Piscatori, 195, 418
PK 14, 32, 251
Poewe, 186, 423
Poinsot, 69, 423
Poirier, 29, 39, 40, 423
Poissonnier, 248, 458
Première Guerre mondiale, 55
Probatoire, 232
Proche-Orient, 88
467
Q
Qadiriya, 63, 89, 146
Qiblah, 161, 180, 183, 313
R
radicalisme, 3, 120, 147, 153, 154, 159, 187, 196, 345,
423, 435, 439, 440
Ramonet, 147, 149, 431
Rassemblement Démocratique du Peuple
Camerounais, 111, 177
Rathbone, 70, 415
Ratib Ouba, 454
Ray Bouba, 172, 178, 440
Razzack, 244, 454
RDPC, 111, 112, 177, 210, 283, 284, 286, 287, 290,
292, 294, 295, 296, 303, 304, 306, 308, 310, 311,
456
réformisme, 146, 148, 151, 154, 155, 159, 429, 431,
437
Relouanou Charaboutou, 294, 296, 456
Renouveau, 64, 293
République Centrafricaine, 5
Rey Bouba, 89
Richard, 243, 246, 423, 431
Riya Salihin, 191
Robinson, 3, 62, 64, 84, 85, 154, 159, 423, 425, 437,
438
Rosny, 158, 163, 185, 201, 251
Roupsard, 50, 51, 57, 58, 59, 440
Rousselet, 186, 416
Roy, 148, 150, 264, 275, 322, 332, 333, 423, 432
Rudin, 46, 423
Rudolph Tokoto, 114
S
Sahara, 2, 3, 5, 7, 9, 16, 25, 44, 48, 49, 52, 64, 83, 84,
101, 109, 113, 120, 147, 148, 149, 150, 151, 152,
153, 154, 159, 174, 175, 180, 187, 196, 212, 213,
214, 215, 252, 259, 266, 282, 314, 335, 345, 419,
420, 422, 423, 426, 427, 428, 429, 430, 432, 434,
435, 437, 438, 439, 440, 441
Saibou Abdou, 454
Saïd Abdou, 165
Salam, 161
Samaran, 24, 29, 31, 423, 438
Samba Mallong, 137
Sangmélima, 7
Sangou Njoya, 456
Sani Mama, 279, 454
Santerre, 101, 102, 114, 115, 121, 122, 126, 129, 181,
423, 424, 432, 436
Savadogo, 174, 215, 325, 428, 440
Schemeil, 311, 429
Schulze, 147, 277, 432, 440
Schumpeter, 300, 424
SCOA, 59
scolarisation, 110, 111, 113, 114, 115, 129, 179, 216,
222, 239, 240, 254, 421
SCS, 111
SDF, 286, 296, 303, 304, 306
Seconde Guerre mondiale, 74, 85
Seidou Njimoluh, 65
sel, 45, 51, 56, 308
SENECA, 115, 424
Sénégalais, 32, 48, 55, 58, 62, 63, 66, 73, 75, 79, 138,
153, 156, 182, 265, 267, 271, 273, 304
Séraphin, 10, 15, 76, 284, 299, 424, 435, 438
Serefoglu Kulliyyah, 206
Shih al adkar, 191
Shilder, 4, 134, 424, 432
SHO, 59
Shouibou Oumara, 454
Si Tayeb Ben Ali, 88
Siderou, 155
Sidi Benamor, 26, 64, 67, 87, 88, 89, 90
Sierra Leone, 89
Sindjoun, 185, 305, 424, 432
Smouts, 185, 415
Soares, 153, 159, 187, 201, 273, 424, 437, 441
Sokoto, 20, 64, 100
Soppo Priso, 81
Soubeiga, 197, 432
Soudan, 46, 64, 195, 197, 247, 335
Souley Niandou, 150, 432
Soulillou, 72, 424
Sourdel, 148, 455
Stierlin, 160, 249, 424
STPC, 111
Subbanu al-muslimin, 154
Sud Cameroun, 48, 55, 86, 113, 133
Sultan, 61, 64, 65, 83, 254
Sunna’’, 147, 152
sunnisme, 153, 154, 247, 252, 259
Sunnite, 214, 252, 254, 434
sunnites, 147, 154, 158, 161, 167, 183, 241, 247, 253,
264
Syrie, 165, 192, 198, 246, 329
T
Tabaski, 254, 259
Tabligh, 242, 245, 254, 255, 256, 257, 258, 264, 341,
415
tafsir, 103
Taguem Fah, 4, 7, 8, 9, 23, 25, 26, 63, 84, 86, 87, 92,
94, 113, 119, 120, 133, 134, 135, 145, 149, 152,
155, 161, 168, 169, 172, 178, 214, 259, 432, 434,
437, 440, 443
Takou, 245, 265, 440, 441, 445
Tall Madina, 64, 424
Tanko Amadou, 32, 55, 112, 113, 130, 136, 140, 141,
173, 258, 268, 286, 289, 290, 295, 320, 454
468
Tanko Hassan, 111, 112, 136, 140, 303
Tardits, 61, 83, 267, 424, 433
Tardzenyuy Jumbam, 133, 443
tariqa, 62, 65
Tarrius, 307, 424
Tawhid, 192
Tchadiens, 62, 73, 182
Tchéboa, 89
Tchounkoué, 178, 445
Tchumtchoua, 82, 424
Téhéran, 247
Temgoua, 4, 18, 48, 50, 51, 53, 55, 72, 83, 433, 440
Thys, 433
Tibati, 45
Tidjanistes, 155, 156, 157, 170, 242, 279
Tidjanniya, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 146, 249
Tikar, 60
Titi Nwel, 10, 298, 445
Tivaouane, 65, 66
Tobbo Eyoum, 292
Togo, 48, 56, 89, 142, 415
Togolais, 48, 55, 62, 73
Touba, 65, 66, 452
Touka, 161
Touna Mama, 179, 424
Tover, 15, 424
Toyin Falola, 57, 424
Traoré, 3, 84, 85, 88, 136, 154, 183, 263, 425
Triaud, 2, 3, 28, 62, 64, 84, 85, 109, 147, 148, 149,
153, 154, 159, 212, 420, 423, 425, 433, 437, 438,
440, 445
tribalisme, 46, 268, 273, 434
Trimingham, 3, 425
Tripoli, 44
Tsinga, 169, 197, 265
U
UDC, 286
UNC, 22, 111, 112, 113, 136, 177, 283, 284, 289, 290,
437
Uthman Dan Fodio, 20, 431
W
wahhabisme, 146, 150, 153, 159, 252, 430
Wahhabites, 152, 154, 155, 156, 157, 170, 241, 242,
264
wahhabiya, 147, 154, 155
Warnier, 52, 425
Weiss, 182, 302, 304, 425, 433, 441
Welch, 30, 433
Westerland, 3, 149, 425
Wird, 156
Withol, 185, 306, 415, 425, 433
Wouri, 29, 47, 56, 60, 69, 70, 71, 74, 79, 80, 82, 92,
97, 98, 111, 139, 155, 173, 201, 290, 292, 294,
296, 449, 450
Y
Yabassi, 59, 67
Yacoubo Abdounal, 79
Yadouko Aissatou, 454
Yahouba, 190, 454
Yakini Awaïso, 104
Yaoundé, 2, 5, 8, 11, 14, 15, 25, 26, 29, 32, 44, 45, 53,
56, 58, 61, 63, 64, 73, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 84, 86,
87, 88, 97, 99, 101, 112, 113, 114, 115, 118, 126,
129, 133, 134, 137, 139, 141, 142, 146, 151, 157,
160, 169, 172, 175, 179, 180, 181, 183, 197, 203,
205, 212, 218, 223, 245, 249, 256, 258, 262, 263,
265, 283, 294, 297, 298, 307, 308, 335, 415, 417,
420, 421, 422, 424, 425, 427, 429, 433, 435, 439,
440, 441, 442, 443, 444, 446, 448, 451, 452, 453,
456
Yaya Aissatou, 454
Yaya Sandou, 251, 321, 454
Yoko, 5, 45, 61
Yola, 44, 45, 49, 61, 100
Yoruba, 32, 56, 57, 58, 60, 62, 73, 79, 98, 99, 101,
104, 135, 271, 422, 424, 433, 454
Younouss Paraiso, 32, 80, 81, 454
Youssouf Paraiso, 80, 81, 82, 88, 93, 94, 98, 99, 100,
104, 106, 107, 174, 338
V
Van Duc, 433
Vansina, 31, 425
Victoria, 67, 99
VIH/Sida, 205
Vouté, 60, 61, 62
Vovelle, 19, 440
Z
zakât, 215, 259
Zaria, 44, 101, 281
zawiya, 65
Zeinabou, 243, 244, 454
ziara, 63
Ziegler, 43, 425
Zra Doua, 140