Thèse Takou
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Thèse Takou
2 D’après R.J. Gravel, au début de toute démarche scientifique, un inventaire critique de tout ce qui a été écrit sur le sujet choisi s’avère nécessaire non seulement pour préciser les grandes lignes de la question, voir leurs limitations, conceptualiser un sujet pertinent et original, mais aussi pour déterminer un cadre théorique, définir les concepts de sa propre recherche, identifier toutes les variables pouvant éventuellement influencer le phénomène analysé ; en un mot pour structurer les premières étapes de la recherche.1 Notre souci présent est de satisfaire à cette exigence. A-Revue de la littérature En se référant aux archives et aux études réalisées sur l’islam pendant la période coloniale (L.W.G. Malcom, 1921 ; H. Labouret, 1935 ; A. Giuntini, 1947 ; M. Cardaire, 1949 ; Prestat, 1951 et 1952 ; P.F. Lacroix, 1952 et 1953 ; J-C. Froelich, 1954 et 1956 : J. Beyries, 1947, 1949, 1950 et 1958 ; etc.), des problèmes de lecture historique se posent car le sujet a été marqué par un certain nombre de stéréotypes qui remontent à l’époque coloniale : préserver l’islam de tout risque de contagion du panislamisme et des liens éventuels avec le monde musulman ; défendre l’image d’un ‘‘islam spécifiquement africain’’2, dénué de tout fanatisme et isolé de l’islam politique ; enfin, insister sur l’idée d’un islam intimement associé aux rôles économique, social et religieux joués par les élites et les leaders religieux.3 Ce dernier volet prend son importance sous 1 R.J. Gravel, Guide méthodologique de la recherche, Montréal, Presses Universitaires du Québec, 1978, p.3. Pour d’autres écrits sur la méthodologie, voir entre autres, M Beaud, L’art de la thèse. Comment rédiger une thèse de doctorat, un mémoire de D.E.A ou de maîtrise ou tout autre travail universitaire, Paris, Guides Repères, La Découverte, 1998 et le document intitulé ‘‘Guide méthodologique pour la rédaction des thèses, mémoires, ouvrages et articles’’, Université de Yaoundé I, Département d’Histoire, octobre 2004. 2 A cet égard, l’islam camerounais est associé à ‘‘l’islam noir’’, expression qui prend naissance à partir des années 1910 et se constitue en théorie sous la plume de P. J. André dans son livre L’islam noir. Contribution à l’étude des confréries en Afrique Occidentale, suivie d’une étude sur l’islam au Dahomey, Paris, P. Geuthner, 1924. Cette expression a été reprise par J-C. Froelich dans Les musulmans d’Afrique noire, Paris, éd. de l’Oriente, 1962 et par V. Monteil dans L’islam noir, Paris, Seuil, 1971. ‘‘L’islam noir’’ est une expression polémique qui désigne l’islam pratiqué par les peuples africains au Sud du Sahara. Il a été un outil majeur dans l’élaboration de la politique musulmane de la France en Afrique Sub-saharienne. Le concept d’‘‘islam noir’’ s’oppose à ‘‘l’islam blanc’’, ‘’l’islam jaune’’ et il irrite ou même exaspère les Africains qui y voient une tentative de division menée par l’excolonisateur. Pour de plus amples renseignements sur l’évolution de cette théorie, lire J-L. Triaud, ‘‘Les études en langue française sur l’islam en Afrique Noire. Essai historiographique’’, Lettres d’Infirmation de l’Association Française pour l’Etude du Monde Arabe et Musulman (A.F.E.M.A.M), n° 2, décembre 1987, pp. 67-68. 3 L’ensemble de ces problèmes est désigné par l’expression ‘‘question musulmane’’ ou encore ‘‘affaires musulmanes’’ c’est-à-dire selon J-L. Triaud ‘‘Les études en langue française sur l’islam en Afrique Noire. Essai historiographique’’, p. 65.) ‘‘ce secteur de l’administration coloniale chargée de la surveillance de l’islam’’. Ils 3 la plume des administrateurs coloniaux qui conçoivent les chefs religieux traditionnels comme des auxiliaires de l’administration, appelés à transporter les directives coloniales auprès des populations. Cet intérêt pour les chefs religieux ne s’est pas démenti jusqu’au lendemain des indépendances.4 Aussi, après les indépendances, de nombreux textes seront publiés sur divers aspects de la rencontre de l’islam avec les sociétés d’Afrique noire. Des auteurs parlent de ‘‘dynamique de l’islam au sud du Sahara’’5 et se penchent sur la ‘‘vie intérieure des communautés’’6. Ils s’intéressent aux réactions de certains musulmans qui contestent le pouvoir politique établi et l’islam traditionnel. Ils s’interrogent aussi sur la portée et la signification de leurs prises de position.7 Dans le même temps, ils étudient les nouvelles initiatives économiques et politiques prises par les confréries.8 Il est aussi question de reconnaitre au monde musulman subsaharien sa richesse culturelle et de montrer en quoi l’héritage islamique est ancien et multidimensionnel. Enfin, les phénomènes religieux au sud du Sahara sont désormais associés au concept de modernité9 et leur dynamisme culturel et social est observé10. Au Cameroun, ces travaux ont alimenté toute une recherche pendant les décennies 1960, 70 et 80 qui ont pris leurs distances envers les études coloniales (M. Bakari, 1963 ; E. avaient engendré la mise en place, par l’administration coloniale française, d’une philosophie politique essentiellement basée sur les modes de vie et d’action des groupes musulmans : ‘‘la politique musulmane de la France’’, expression de Robert Arnaud qui fut chef de la section des affaires musulmanes au gouvernement général de l’AOF et par ailleurs maître à penser du colonialisme français. Il a publié en 1912 une étude intitulée ‘‘L’islam et la politique musulmane française’’. Sur un plan général et pour plus de détails sur les ambiguïtés de cette politique, on peut lire : A. Traoré, Islam et colonisation en Afrique noire, Paris, Maison neuve, 1983, pp. 108 et suivantes. 4 C. Coulon, Les musulmans et le pouvoir en Afrique noire, Paris, Karthala, 1983. 5 Voir J.S. Trimingham, Islam in West Africa, Oxford, Oxford University Press, 1962 et G. Nicolas, Dynamique de l’islam au sud du Sahara, Paris, Publications Orientalistes de France, 1981. 6 R. L. Moreau, Africains musulmans, des communautés en mouvement, Paris, Présence africaine/ Inades, 1982, p.5. 7 R. D. Robinson et J.-L. Triaud (s.d.), Le temps des marabouts. Itinéraires et stratégies en Afrique occidentale française v. 1880-1960, Paris, Karthala, 1997 et A. Traoré, Islam et colonisation en Afrique, 1983. 8 Se référer notamment aux articles dans la revue annuelle Islam et Sociétés au sud du Sahara publiée par les Editions de la Maison des Sciences de l’Homme, lancée en 1987 et interrompue en 2004. Elle a repris ses activités en début 2008 sous la forme d’une collection sur les sociétés musulmanes d’Afrique et d’une série reprenant le même titre chez l’éditeur Les Indes Savantes. Dans cette série, le no. 1 est daté de décembre 2007. Voir aussi l’ouvrage de J. Hanson, Migration, Jihad and Muslim Authority in West Africa, Bloomington, Indiana University Press, 1996; la revue Politique africaine, no 4, Paris, 11/1981, consacrée entièrement à la question islamique en Afrique noire et l’ouvrage de L. Kaba, The wahhabiyya, Islamic reform and politics in French West Africa, Evantson, Northwestern University Press, 1974. 9 J.-F. Bayart, Religion et modernité politique en Afrique noire. Chacun pour soi Dieu pour tous, Paris Karthala, 1993, p.12 et F. Constantin et C. Coulon (s.d.), Religion et transition démocratique en Afrique, Paris, Karthala, 1997. 10 R. Otayek parle de ‘‘ nouveaux intellectuels musulmans d’Afrique noire’’, R. Otayek (s.d.), ‘‘Introduction’’, Le radicalisme islamique au sud du Sahara. Da’wa, arabisation et critique de l’ Occident, Paris, Karthala/ MSHA, 1993, p. 7 et plus généralement D. Westerland et E.E. Rosander (éds.), African Islam and Islam in Africa, London, Hurst, 1997 et N.Levtizion et R. L. (eds), The History of Islam in Africa, Ohio University Press, 2000. 4 Mohammadou, 1963, 1964, 1969, 1970, 1975, 1976, 1980 et 1983 ; H. Bassoro, 1965 ; J.C. Zeltner, 1967 ; M.Z. Njeuma, 1971, 1978 et 1989 ; Abbo, 1971 ; P.F. Lacroix, 1966 et 1980 ; A. Njiasse Njoya, 1981 et 1988 ; etc.). Les thèmes abordés pendant ces trois décennies sont la pénétration de l’islam au Nord-Cameroun, ses caractéristiques et ses représentants, l’influence de l’islam dans le domaine culturel, juridique et linguistique, dans la politique traditionnelle, etc. L’accent est aussi mis sur leurs aspects ethnique, social et culturel. On insiste sur la naissance et la construction des cités-royaumes musulmans avant la colonisation ; sur l’ampleur réelle ou supposée accordée à l’islam au plan socio-politique dans le Nord-Cameroun et à Foumban. Ces citées royaumes orientent la sélection des faits et des événements. Depuis ces différentes études, l’islam au Cameroun a évolué, selon différentes démarches, sans pour autant épuiser sa substance, ni établir une méthodologie définitive. Et sur cette base, une historiographie récente a vu le jour. Œuvre des chercheurs nationaux et étrangers, elle essaie de montrer la place privilégiée de l’élément Peul11 (Ph. Burnham, 1991,1992 et T.M. Bah, 1993); le processus d’islamisation et l’acculturation des peuples convertis (K. Shilder, 1991 et 1994) ; la problématique des confréries (M.Z. Njeuma, 1992) ; la logique et l’action des missionnaires maghrébins au Cameroun et divers aspects de la modernité islamique (T.M. Bah, 1995 et 1996). Elle s’intéresse aussi aux réactions de certains musulmans qui contestent le pouvoir colonial et s’interroge sur la portée et la signification de leurs prises de position (E. Mohammadou, 1992) ; au rôle présumé de l’administration coloniale dans l’expansion de l’islam (D. Abwa, 1997 et A.C. Lomo Myazhiom, 2000) ; à l’enseignement arabo-islamique (H. Adama, 1993, 1997, 1998, 1999 et 2001) ; à la vieille problématique de l’opposition entre les musulmans traditionnels ou ‘‘conservateurs’’ et ceux qui sont qualifiés de ‘‘modernistes’’ ou ‘‘réformateurs’’ (G.L.Taguem Fah, 2002 et H. Adama, 2004) ; à l’apprentissage démocratique en milieu majoritairement musulman (H. Adama, 2002) et l’éternel question des relations entre l’islam et la politique (l’Etat) au Cameroun (H. Adama, 2004, A.P. Temgoua, 2005 et G.L. Taguem Fah, 2005). De ce qui précède, se dégagent des lignes de force et trois tendances distinctes. La première est que l’espace musulman camerounais est à la fois cloisonné et structuré. Il est cloisonné dans le sens où il épouse les réalités géopolitiques, historiques, culturelles, linguistiques et ethniques à savoir le Nord-Cameroun.12 Si l’on voudrait lui trouver un ‘‘centre’’, il faudrait le chercher à Maroua, Garoua, Ngaoundéré ou encore à Foumban, noms qui évoquent, 11 Les concernés se nomment eux-mêmes Fulbe (Foulbé). Le nom Peul est probablement dérivé du terme Pullo (singulier de Fulbe) 12 M.Z. Njeuma, ‘‘Regionalisation and creation of ‘‘Northern Cameroon’’ Identity’’, disponible au lien internet http:/www.oslo2000.uio.no/program/papers/s9-njeuma.pdf; consulté le 21 avril 2004. 5 plus que tous les autres au Cameroun, la tradition islamique. Mais cet espace est aussi structuré par la logique de pénétration : djihâd13 et l’activité guerrière qui lui servent d’assise et par la densité des structures sociales et politiques (sultanats, lawanats, lamidats, mosquées, etc.) qui l’ont depuis longtemps ‘‘naturalisés’’ dans ces sociétés. Cette première tendance fait en effet de la géographie de l’islam camerounais une bande de territoires qui va de la région de l’Extrême-Nord (au Sud du Lac Tchad) jusqu’à la lisière de la forêt au Sud de la région de l’Adamaoua14, avec un prolongement vers le royaume bamun, au Sud-Est. A cette seule exception près, et si l’on fait abstraction de quelques enclaves méridionales issues des avant-postes du djihâd peul du début du XIXe siècle, l’islam ne dépasserait guère la ligne qui part du Nord de Bamenda dans la région du Nord-Ouest, passe dans le Sud de Yoko et au Nord de Bertoua (région de l’Est) jusqu’à la frontière avec la République Centrafricaine, Bouar et Berberati (voir carte no 1).15 La deuxième constatation est que la recherche historique relative à l’islam au Sud Cameroun est restée marginale dans l’historiographie camerounaise et échappe très souvent au regard des chercheurs plus enclins à mener des recherches sur cette thématique dans la partie septentrionale du Cameroun, précocement reliée aux puissantes civilisations musulmanes qui parsemaient les rives du Lac Tchad16 et au - delà, au commerce transsaharien et au Maghreb. 13 Pour une discussion de l’émergence de la notion de djihâd en islam et de ces multiples usages dans l’histoire islamique, des moments marquants de ses réinterprétations ainsi que les débats auxquels a donné lieu la notion de djihâd, tant au sein des sociétés musulmanes, au cours de l’histoire, que dans l’historiographie moderne, voir M. Bonner, Le jihad. Origines, interprétations, combats (traduit de l’anglais par Alix Barreau), Paris, Téraèdre, 2004. 14 Voir glossaire. 15 Jusqu’au 22 août 1983, au Nord des départements du Donga-mantung (Nord-ouest), du Noun (Ouest), du Mbam (Centre) et Lom et Djerem (Est), cette partie du Cameroun ne constituait qu’une seule province du Nord avec Garoua comme capitale. Depuis cette date, un décret présidentiel l’a démembré en trois provinces de l’Adamaoua (Ngaoundéré), du Nord (Garoua) et de l’Extrême-Nord (Maroua). De la limite méridionale de l’Adamaoua à son extrême pointe dans les eaux du Lac Tchad, cette région s’étire du 6e au 13e parallèle sur une superficie de 166493 km 2 pour une population de plus de 3.000.000 d’habitants très inégalement répartie. Voir Démo 87, Ministère de l’Equipement et du Plan, Yaoundé, 1987. 16 Le bassin tchadien a été très tôt visité par l’islam à travers les routes caravanières du Sahara. Ainsi le royaume musulman Kanem, à l’Est du lac Tchad ; celui du Bornou au Sud-ouest du même lac, et qui absorba le Kanem sont autant d’Etats musulmans qui rayonnent autour du Lac Tchad entre le XIIIe et le XVe siècle. On connaît assez-bien le paysage et la chronique tourmentée de ces royaumes grâce notamment aux écrits d’historiens et géographes arabophones tels qu’Ibn Battuta, Ibn Khaldun, Al Idrissi. Ces œuvres de chroniqueurs arabes ont été confrontées par l’équipe de J.O Hunwick (Northwestern University, U.S.A) et R. Sean O’fahey (University of Bergen, Norway) chefs de projet et éditeurs du programme Arabic Literature of Africa. Le programme a déjà édité plusieurs volumes dans cette série. Voir aussi le numéro spécial de la revue Politique africaine cordonné par J. Roitman, Autour du Lac Tchad : intégrations et désintégrations, Paris,, Karthala, 2004. 6 Carte no 1 p.6 7 Pour l’essentiel et en direction de notre zone d’étude, R. Gouellain, témoin de la situation religieuse de Douala au milieu du XXe siècle, n’a pas cru nécessaire de parler de l’influence de l’islam - à peine de son existence - dans sa thèse sur Douala.17 Etrange oblitération à l’égard d’une religion intimement mêlée à l’histoire de certaines parties de cette ville. A. Njiasse Njoya, dans un genre intermédiaire, voir hybride, entre sources primaires et synthèse historique, se fait l’écho de l’implantation de l’islam dans certaines villes de la partie méridionale du Cameroun.18 Toutefois cette étude souffre d’un déficit méthodologique et l’auteur reste évasif notamment en ce qui concerne les données sur la côte camerounaise. Dans ses multiples travaux, H. Adama s’est intéressé à la ville de Douala. Il a en effet entrepris la rédaction d’une monographie sur New-Bell, en mettant l’accent sur la répartition ethnique des fonctions religieuses islamiques et sur le système d’enseignement, fournissant ainsi une somme de données sur certaines questions que nous étudions.19 Cependant, cette grille de lecture un peu restreinte, ne permet pas de reprendre en profondeur l’essentiel des principales questions qui traversent la communauté musulmane de Douala dans ses multiples rapports avec son environnement, notamment les implications de la migration musulmane et son impact sur les domaines aussi variés et complexes que, l’urbanisation, l’économie et la politique. Ce faisant, bien des aspects exigent encore un certain éclairage. De même, dans son ouvrage20, il traite à l’occasion de la religion musulmane à Douala, sans toutefois offrir une synthèse approfondie de sa présence. Dans la même perspective, G.L.Taguem Fah dans un article intitulé ‘‘Tendances actuelles de l’islam au Cameroun : état des lieux et perspectives’’ opère une rupture et tente de décloisonner l’islam camerounais en abordant incidemment la présence musulmane dans un environnement anthropo-géographique nouveau : l’islam solidement implanté dans l’espace soudano-sahélien, fait désormais une incursion dans les sociétés pré-forestières et forestières. C’est le cas de certaines cités comme Garoua Boulay, Bertoua, Sangmélima, Mbalmayo et 17 R.Gouellain, Douala, ville et histoire, Institut d’ethnologie, Paris, Musée de l’Homme, 1975, pp. 127-133. A. Njiasse Njoya, ‘‘L’islam au Cameroun’’ in La culture arabo-islamique en Afrique au Sud du Sahara : cas de l’Afrique de l’Ouest, Zaghouan, Publication de la Fondation Timimi pour la Recherche Scientifique et l’Information, 1997, pp. 259-273. 19 H. Adama, ‘‘Migration musulmane et enseignement arabo-islamique à Douala’’, Annales de la FALSH de l’Université de Ngaoundéré, vol. II, 1997, pp. 37-54. 20 H, Adama, L’islam au Cameroun. Entre tradition et modernité, Paris, L’Harmattan, 2004, pp. 48-55. 18 8 Ebolowa.21 Ce faisant, il plaide ou confirme de façon implicite la nécessité de mettre l’accent sur des monographies à l’issue desquelles on pourrait rendre compte de la singularité des expériences de l’islam dans les cités méridionales du Cameroun. En somme, ces articles et contributions pêchent par un certain nombre de manquements dus à deux faits : soit ils partent d’expériences vécues dans des contextes différents, soit ils donnent des informations très parcellaires et incomplètes sur notre sujet. En un certain sens, l’islam au Sud-Cameroun en général fait un peu figure de ‘‘cadet’’ par rapport à son ‘‘aîné’’ dans le Nord-Cameroun et les spécialistes lui portent peu d’intérêt. Cette manière de voir conforte les préjugés sur l’effacement de l’islam dans la partie méridionale du Cameroun, considérée à tort comme un bastion du christianisme. Pourtant, en dépit de sa ‘‘discrétion’’, cet islam sudcamerounais n’est pas quantité négligeable. En effet, pris dans son ensemble, les musulmans constituent aussi bien au Nord qu’au Sud-Cameroun une minorité, mais une minorité forte, que cette minorité numérique soit envisagée en termes absolus (par rapport à la population totale de l’Etat) ou encore en termes relatifs (par rapport aux autres confessions)22. 21 G.L. Taguem Fah, ‘‘Tendances actuelles de l’islam au Cameroun : état des lieux et perspectives’’, Afrique contemporaine, n° 194, 2° trimestre 2000, pp. 53-66. Se référer aussi à l’article du même auteur intitulé ‘‘Processus politique, mutation sociale et renouveau islamique au Cameroun’’, Rupture-solidarité, nouvelle série, no.4, 2003, pp. 215-242. 22 L’importance numérique des musulmans du Cameroun est assez difficile à déterminer car la quasi-totalité des statistiques ne donne que des chiffres globaux par groupements. Pour la période coloniale française, les estimations faites varient de 40 000 (rapport J.Beyries 1947) à 50 000 (rapport Prestat 1950) pour les seuls musulmans au Nord. Si nous nous basons sur ces rapports et que nous y associions les 60 000 musulmans de la région bamoun (rapport Prestat 1950) et les 10 000 musulmans (Rapport Prestat 1950) disséminés dans les grandes villes du Sud (Douala et Yaoundé notamment) nous aurions un chiffre approximatif d’un demi-million de musulmans au Cameroun, soit 16% de la population totale qui s’élève environ à 3 millions au milieu des années 1950 (L. Mohaman, Journal des débats de l’Assemblée Législative du Cameroun, 3e année, n° 9 du 21 mars 1957, p. 113 et ANY 1AC 3389, Activités musulmanes au cours du 4e trimestre 1950, p.1). Après l’indépendance, on avait l’habitude de donner sur le plan confessionnel des pourcentages plus ou moins approximatifs sur la répartition des populations selon les religions : 35 à 40 % de chrétiens ; 25 à 30 % de musulmans et 45 % des pratiquants des religions traditionnelles dites animistes. Lors du deuxième recensement général de la population en 1987 (Cf. Démo 87, Ministère de l’Equipement et du Plan, Yaoundé, 1987), A. Njasse Njoya, agissant en tant que vice-président de l’Association Culturelle Islamique du Cameroun (ACIC) n’avait pas pu obtenir l’autorisation d’introduire une question relative aux religions. Il estimait cependant que les musulmans représenteraient approximativement 27% de la population camerounaise, soit environ 3 millions de croyants dont 1,5 millions au Nord (Cf.A. Njiasse Njoya, ‘‘L’islam au Cameroun’’, 1997, pp. 248249). Cependant, les musulmans revendiquent environ 7 millions de fidèles (Cf. Statuts Association Solidarité de la Vocation Islamique du Cameroun/ Conseil National Supérieur des Affaires Islamiques au Cameroun [(ASSOVIC/CONSAIC)] ; décret n° 92/032/92 du 21 février 92. En 2000, l’ONU avançait le chiffre de 5.144. 067 personnes musulmanes au Cameroun, soit 33% de la population. Selon le rapport du Bureau de la Démocratie, des Droits de l’Homme et du Travail dans sa section ‘‘Démographie Religieuse’’, la population camerounaise était ainsi composée, en 2005, d’une bonne moitié (50%) de chrétiens, d’environ un quart (25%) de musulmans majoritairement adeptes d’un islam sunnite de rite malékite, et d’un quart (25%) d’adeptes des religions traditionnelles. Entre ces estimations maximalistes et minimalistes, la réalité est que le poids démographique réel des musulmans camerounais reste à déterminer. 9 La troisième et dernière constatation qui s’impose à l’évidence est que l’islam au Cameroun comme ailleurs est bien plus visible qu’il ne l’était il y a de cela une vingtaine d’années. De Maroua à Foumban en passant par Garoua et Ngaoundéré, et surtout tous les gros noyaux musulmans des milieux urbains du Sud-Cameroun, les communautés musulmanes gagnent constamment du terrain ; elles sont de plus en plus actives et agissantes. Autrement dit, la religion islamique est aujourd’hui un facteur important de la vie humaine au Cameroun et son impact se fait sentir non seulement dans la partie septentrionale où elle a pris naissance mais aussi dans les autres coins du Cameroun, englobant une partie importante de la population. Des structures nouvelles voient le jour et une élite musulmane commence à prendre la relève : des associations islamiques se créent ; des écoles privées islamiques s’ouvrent; des mosquées marquent de plus en plus l’espace urbain (taille et emploi des matériaux de construction) et même rural, devenant des ‘‘lieux majeurs de la vie communautaire’’23. Dans un contexte de regain islamique et de prosélytisme depuis l’aube des années 1980 et davantage au cours de la décennie suivante à Douala, il est courant d’observer qu’autour de certaines mosquées du vendredi, s’agrègent une salle de cours, ou un institut de formation, ou une salle de prière autonome pour les femmes, ou encore le siège d’une association, etc. On peut donc parler d’une affirmation croissante des communautés musulmanes, surtout dans les régions où elles sont nettement minoritaires. Ce redéploiement invite aussi à s’interroger sur les acteurs, les manifestations de cette effervescence, son impact et d’en dégager des perspectives. Dans une contribution consacrée à l’‘‘islam politique au Sud du Sahara’’ G. L. Taguem Fah constate que l’islam, dans la moitié Sud du Cameroun, se transforme et se diversifie du point de vue interne et s’étend également hors de ses micros territoires traditionnels. Chaque ville de la forêt, de l’Ouest ou du Littoral possède sa et même souvent ses mosquées.24 Ce constat suggère des éléments de discussion. Il ne s’agit pas tant d’une augmentation spectaculaire des convertis bien que l’islam progresse dans les régions où la population adepte des religions traditionnelles est encore importante - que d’une lisibilité plus grande de l’islam dans la sphère publique, d’un prosélytisme plus mobilisateur pour ‘‘islamiser les mœurs’’, de demandes nouvelles envers les autorités de l’Etat pour que l’islam soit mieux reconnu et respecté dans le domaine public : fêtes 23 C.Coulon, ‘‘Introduction. Les nouvelles voies de l’umma africaine’’, L’Afrique politique 2002. Islam d’Afrique : entre le local et le global, Paris, Karthala et CEAN, 2002, p. 20. 24 G.L. Taguem Fah, ‘‘Pouvoir du savoir, renouveau islamique et luttes politiques au Cameroun’’, in M. GomezPerez (s.d.), L’islam politique au sud du Sahara. Identités, discours et enjeux, Paris, Karthala, 2005, pp.557-581. 10 musulmanes, éducation, pèlerinage entre autres. Dans les zones urbaines du Sud-Cameroun où l’islam est encore plus minoritaire, H. Adama parle des ‘‘échanges multiformes’’ ayant donné naissance à une forme islamique influencée par le bon sens et le réalisme, dictés par une longue tradition d’échanges économiques, caractéristique des milieux commerçants.25 Ces échanges visent à préserver dans un environnement fortement influencé par le modèle culturel occidentalo-chrétien, les modes de vie liés à la religion musulmane et à faire de l’islam une force vivante. Un nouvel état d’esprit est inauguré par la ‘‘conscience islamique’’. On refuse l’effacement. On montre sa foi, parfois de façon ostentatoire. Certains auteurs parlent d’une effervescence religieuse qui s’expliquerait autant par les nouvelles libertés acquises avec la démocratisation que la fragilisation des structures étatiques qui laisserait le champ ouvert à d’autres formes d’action et de mobilisations collectives.26 De ce bilan de la littérature, il en ressort que l’islam au Nord Cameroun a été davantage étudié notamment par des administrateurs coloniaux, des historiens, des sociologues, des anthropologues, des politologues, des ethnologues, des témoins personnels et fait régulièrement l’objet des publications (ouvrages et articles de revues), des thèses et des mémoires. Il en ressort aussi que la carte islamique du Cameroun laisse apparaître une différenciation Nord/Sud, avec une implantation de plus en plus récente et diluée de l’islam à mesure que, de l’Extrême-Nord, on gagne le Sud du pays. Il nous semble par conséquent important d’élargir les enquêtes au-delà du Nord et de Foumban, d’étudier d’autres groupes qui n’ont pas encore pris une place importante dans ces investigations. C’est donc dire que la fécondité de ces immenses travaux c’est ce qu’ils libèrent, ce qu’ils ouvrent comme perspectives de recherches utiles et fécondes chez les autres. Il apparaît en effet que ces travaux indiquent des points d’appui, apportent des informations et suscitent des questionnements qui enrichissent les problématiques anciennes et/ou récurrentes, s’ajoutent aux questions en émergences et éclairent notre étude : nous posons ce principe 25 H. Adama, L’islam au Cameroun, 2004, pp.48-65. Voir F. Eboussi Boulaga, La démocratie de transit au Cameroun, Paris, L’Harmattan, 1997, pp. 230-260. On peut aussi se référer à P. Titi Nwel, ‘‘Les Eglises chrétiennes face à la tourmente démocratique au Cameroun’’, Conférence de Leeds, 20-24 septembre 1993; E. Nyansako-Ninku, Cry Justice. The church in a changing Cameroon, Buea, 1993 ; J.F. Médard, ‘‘Les Eglises protestantes au Cameroun, entre tradition autoritaire et ethnicité’’ in F. Constantin et C. Coulon (s.d.), Religion et transition démocratique en Afrique, p. 189-220 et ‘‘Territoires, identités et politique : le cas des Eglises protestantes au Cameroun’’, in G. Séraphin (éd.), L’effervescence religieuse en Afrique. La diversité locale des implantations religieuses chrétiennes au Cameroun et au Kenya, Paris, Karthala, 2004, p. 171-196 et E. De Rosny, ‘‘Etudes des nouveaux mouvements religieux et philosophiques à Douala (Cameroun)’’, in G. Séraphin, L’effervescence religieuse en Afrique, pp. 89-170. 26 11 méthodique comme un acquis définitif des sciences historiques au titre d’hypothèse heuristique, à tout le moins. B-Choix du sujet Dans le cadre de cette étude, nous avons voulu porter l’éclairage sur un aspect encore mal connu : les origines historiques de l’implantation, de diffusion et de consolidation de l’islam dans la région côtière et notamment à Douala. Nous voulons rendre compte entre autres de son évolution en tant que religion et culture, de sa diversité, de ses clivages internes et de son extraordinaire complexité qui déterminent le comportement des musulmans de cette ville et marquent leur particularité. Ce tableau de synthèse de l’islam à Douala nous paraît prometteur, riche en potentialités et en enseignements, d’autant que la littérature est très peu abondante. Choisir de travailler sur les communautés musulmanes de Douala permet aussi de s’insérer dans une tendance de la recherche née ces dernières années au Département d’Histoire de l’Université de Yaoundé I où des étudiants s’intéressent à l’élargissement du champ des connaissances sur l’histoire des communautés musulmanes de la partie méridionale du Cameroun.27 C’est ce sillon que nous contribuerons à creuser dans ce travail. Et, dans cette optique, cette thèse n’en constitue qu’une partie et d’autres recherches sur d’autres localités sudcamerounaises seraient les bienvenues afin de permettre de construire une image plus complète et plus nuancée de l’islam au Cameroun contemporain. Fort de ces idées, le travail qui est entrepris dans le cadre de cette thèse est intitulé : ‘‘Islam et société à Douala (Littoral-Cameroun) : 1912-2006’’ Sous-jacent à cet intitulé, se profile la nécessité de situer l’intérêt et la pertinence de notre sujet. 27 Ces recherches ont donné lieu à des thèses et des masters déjà soutenus sur cette problématique. On peut citer entre autres : S. Mane, ‘‘Islam et société dans le Mbam : XIXe-XXe S.’’, Thèse de Doctorat/Ph D. en Histoire, Université de Yaoundé I, 2005-2006 ; C. Tardzenyuy, Jumban, ‘‘The impact of the fulani in the Fondom of Nso’s, 1920s2004’’, Mémoire de Master en Histoire, Université de Yaoundé I, 2002-2003; B. Mijang Ndikum, ‘‘The Spread and integration of Muslims in South-West Cameroon: 1903-1990’’, Mémoire de Master en Histoire, Université de Yaoundé I, 2003, etc. 12 C- Intérêt de l’étude Peu ou aucunement abordées dans les travaux, les communautés étudiées partagent depuis leur installation tout au long du XXe siècle une histoire et un espace géographique communs ; à la suite des contacts et des échanges multiples, des similitudes s’observent quant aux modes d’organisation sociale et à la façon de réagir dans leur milieu d’accueil. Autant de traits de civilisation qui font des populations concernées une et multiples, donnent l’impression d’unité dans la diversité, et auxquels nous ne sommes pas restés insensible. Au regard de ce qui précède, l’écriture de l’histoire des communautés musulmanes de Douala est importante à plus d’un titre. Sur le plan scientifique, notre étude est d’abord une modeste contribution à l’historiographie camerounaise en général et spécifiquement une participation à l’élaboration et à la vulgarisation des recherches sur l’histoire de ces communautés qui ‘‘matérialisent les nouvelles frontières de l’islam au Cameroun’’28. Par ce travail, non seulement nous contribuons à élargir les enquêtes au-delà de ses foyers classiques du Nord-Cameroun et de Foumban - qui ont été privilégiés jusqu’à maintenant dans les recherches - , mais aussi nous portons notre attention sur les nouveaux acteurs, les nouvelles structures islamiques (associations, centres culturels, actualisation des informations sur le fait scolaire franco- islamique à Douala, etc.) ; sur les pratiques sociales d’ ‘‘en bas’’ ou encore sur les modes d’occupation de l’espace public, forme tout à fait originale de prosélytisme ou d’islamisation à Douala par la diffusion et la popularisation des modèles culturels venant du Maghreb, du Proche et du Moyen Orient. Dans la même veine, notre travail contribue à la connaissance des différents visages de l’effervescence islamique à Douala ; à la connaissance du phénomène de prosélytisme avec la diffusion de brochures, de journaux, de l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication et la tenue de séminaires, des causeries et de conférences, bref de la (mass) médiatisation. Enfin, cette étude est importante aussi par la mise en évidence de la singularité des trajectoires migratoires et les particularités des modes d’investissement des espaces dans les ‘‘marges’’ (en l’occurrence la localité de Douala) du cadre national camerounais par les communautés musulmanes. C’est une optique qui permet le retour et une compréhension par le ‘‘local’’, dans un ancrage plus fluide, plus cohérent par rapport aux problématiques nationales ou 28 H. Adama, L’islam au Cameroun, p.9. 13 régionales qui ne prennent pas souvent en compte la singularité des dynamiques se déroulant dans les ‘‘marges’’29. Nous pensons en effet que les processus socio-religieux ne sont ni linéaires, ni homogènes; chaque espace et chaque moment imprimant sa propre trajectoire de la mutation sociale. Cette approche est essentielle pour l’analyse en profondeur des phénomènes complexes comme les modalités d’expression de la religion islamique à Douala, dans leurs catégories singulières et au regard des facteurs exogènes et endogènes. En tout cas, il convient de noter que l’islam camerounais n’a rien d’un bloc identique. D’une région à une autre du Cameroun, d’une ville à une autre, les communautés musulmanes représentent des physionomies tellement différentes les unes des autres et parfois si complexes qu’il est difficile de les grouper dans une seule catégorie : profondeur historique, taille démographique, l’emprise territoriale, la structure d’autorité, la dimension culturelle, l’enracinement plus ou moins populaire, etc. Sur le plan pratique, la connaissance de la dynamique socio-islamique à Douala participe d’une lisibilité des rapports transculturels et peut ainsi permettre de connaître certains segments constitutifs de cette société. Elle peut aussi contribuer à la mise en place des mécanismes et de dispositifs visant à donner un semblant de cohérence et à gouverner politiquement, économiquement et culturellement cette société, composée de nombreuses entités ethniques, religieuses et culturelles distinctes. Ces éléments de réflexion peuvent enfin contribuer aux politiques de décentralisation qui apparaissent comme le passage obligé pour un développement socio-économique harmonieux, durable, et pour une bonne gestion politique et administrative. Une autre raison qui justifie l’intérêt pratique de notre sujet réside dans son actualité dans 29 Il se pose ici la question fondamentale et controversée de savoir quel cadre géographique est le plus adéquat et le plus fécond pour la production du savoir historique en Afrique (voir T.M. Bah, ‘‘Quelle cadre géographique pour l’histoire en Afrique ? Plaidoyer pour une dimension régionale’’, Conférence commémorative du 30e anniversaire du CODESRIA, Dakar, 08-11 décembre 2003). Si l’histoire régionale, transnationale, plus vaste, plus ouverte et dont les problématiques sont plus conformes à l’effort d’intégration de l’Afrique (‘‘Quelle histoire pour l’Afrique de demain ?’’, Séminaire méthodologique, UNESCO (BREDA)/CODESRIA, Ndjamena, Tchad, 1989) gagne du terrain, on doit aussi reconnaître que, parallèlement, s’affirme de plus en plus un nouveau paradigme, celui de la localité, qui apparaît, par rapport au modèle hégémonique étatique, comme une épistémologie alternative d’une histoire ‘‘par le bas’’. Comme le souligne Mamadou Diouf, la région (localité) supporte une certaine historicité et des histoires qui sans s’affirmer dans une spécialité radicale, constituent une ‘‘bibliothèque’’ particulière (M. Diouf, ‘‘Des historiens et des histoires, pourquoi faire ?’’, Table ronde Réécriture de l’histoire, 9ième Assemblée Générale du CODESRIA, Dakar, 1998), qui permet une meilleure prise en compte des dynamiques socio-politiques profondes. La localité apparaît ainsi comme un espace d’initiative et de liberté où opèrent des acteurs de l’histoire incarnant la diversité des segments constitutifs des sociétés africaines. Par souci d’efficacité, notre option est donc une étude historique sur un espace relativement restreint plutôt qu’une grande synthèse du type : Islam et société dans le Littoral-Cameroun, où l’assiette géographique serait large, vague, hâtive et pourrait occulter des pans de l’histoire dont la richesse et la pertinence sont avérées. 14 la mesure où il peut aider à faire reculer les images négatives que la plupart des gens, par ignorance, ont de l’islam et des musulmans. En effet, l’islam, l’une des trois grandes religions du Livre, est au cœur même d’une actualité brûlante et soulève débats et controverses, en rapport au traumatisme du 11 septembre 2001, qui a déterminé une cassure et un tournant dans la géopolitique internationale. Dans cette perspective, ce travail peut constituer une sorte d’antidote à l’intolérance et aider à bien cerner les dissidences qui produisent l’intégrisme. L’ensemble de ces intérêts exige un commentaire succinct sur le cadre géographique et certaines césures chronologiques. D- Délimitations du sujet -Cadre géographique L’étude des communautés musulmanes de la ville de Douala était encore à entreprendre. Ces communautés s’installent et se développent en ville. Trois critères ont retenu notre attention : l’histoire de la ville, sa fonction économique et son importance en fonction de la diversité de sa population afin de cerner davantage l’homogénéité ou l’hétérogénéité des communautés étudiées. Historiquement, c’est par la côte que le Cameroun s’est intégré à l’économie-monde, selon le modèle de l’extraversion - traite des esclaves, impérialisme et colonisation-30. Longtemps en contact avec les Européens pour le commerce et l’exploitation de l’hinterland, cette rencontre a permis de créer les bases d’une accumulation interne, certes étroitement déterminée par le capital d’une part, et les rythmes de la demande mondiale de l’autre. Au début du protectorat allemand, Douala porte encore le nom de Kamerun et sera la capitale de 1885 à 1900. En 1901, par décret du gouvernement colonial, la ville sera baptisée Douala.31 Ainsi, la ville de Douala est née et s’est développée dans le contexte d’une économie de traite, dont le vecteur principal fut l’exploitation des ressources naturelles pour l’Europe industrielle. Aussi, l’irruption du capitalisme commercial a transformé la côte camerounaise en espace urbain. L’implantation des 30 C’est sur la côte que s’est joué et où est né le Cameroun : traité de 1840 entre les Anglais et le Roi Akwa ; traité de 1841 avec le roi Bell ; etc. Le traité Germano-Douala est conclu le 12 juillet 1884, avant l’ouverture de la Conférence de Berlin : le Cameroun échoit à l’Allemagne. En 1885, Julius Von Soden prend ses fonctions de premier Gouverneur allemand du Cameroun. C’est ainsi que commence la période allemande de la colonisation du Cameroun encore à définir. Lire entre autres : E. Mveng, Histoire du Cameroun, Paris, Présence africaine, 1963 ; Kum’a Ndumbé III (éd.), L’Afrique et l’Allemagne de la colonisation à la coopération 1884-1986. (Le cas du Cameroun), Yaoundé, Africavenir, 1986 et V.-J. Ngoh, Cameroun 1884-1985. Cent ans d’histoire, Yaoundé, CEPER, 1990. 31 Voir Schramm, ‘‘Les administrateurs allemands de Douala’’, note inédite, IFAN, Douala, cité par R. Gouellain, Douala, ville et histoire, 1975, p. 127. 15 entreprises coloniales, la généralisation du commerce colonial restent à l’origine de la création de ce centre urbain, relié par les routes, les voies fluviales, maritimes, ferroviaires aux autres localités du Cameroun et aux pays de la sous région.32 Au plan économique, Douala constitue un espace attrayant pour les migrants, grâce au foisonnement des activités économiques. Douala a même pendant longtemps donné, surtout dans l’imaginaire des populations locales, l’idée selon laquelle elle était une ville ‘‘apolitique’’ par ce que l’essentiel de son activité était économique. Il s’est consolidé depuis toujours dans les représentations au Cameroun, une sorte d’affectation des activités des deux plus grandes villes du Cameroun : Yaoundé pour le politique et Douala pour l’économie.33 Ses industries, ses activités économiques (commerce, transports, banques, etc.) entretenues avec les pays géographiquement voisins mais surtout son port qui assure 80% de l’activité industrielle du Cameroun ont fait de Douala une région économique importante. Douala est ainsi devenu au fil du temps, la capitale économique du Cameroun. C’est l’espace urbain le plus actif et le plus cosmopolite du Cameroun. Il mérite plus que toute autre région du Cameroun le qualificatif d’ ‘‘Afrique en miniature’’ ou encore d’ ‘‘Afrique dans sa diversité’’. En effet, capitale économique et principale ouverture maritime du Cameroun, Douala a vu affluer depuis le début du XXe siècle de nombreux travailleurs et commerçants étrangers et la région est devenue une sorte de condensé racial, une zone cosmopolite, multiethnique, multiconfessionnelle, voire transnationale34 ; les étrangers étant plus nombreux. Les populations d’origines ou ‘‘autochtones’’, c’est-à-dire celles qui revendiquent le privilège du jus soli du fait de l’immigration, devinrent minoritaires dès 1929.35 Dans les années 1950, Douala ne réunit 32 Pour plus d’amples informations sur la ville de Douala en général (climat, relief, économie et population), voir entre autres : G. Mainet, Douala. Croissance et servitudes, Paris, L’Harmattan, 1985; ‘‘Pauvreté relative et dynamique populaire dans l’agglomération doualaise’’, in V. Singara (éd.), Pauvreté et développement dans les pays tropicaux. Hommage à Guy Lasserre, Talence, CNRS-CEGET, 1989, pp.487-498; Marchés Tropicaux; ‘‘Spécial Douala’’, réalisé par F. Delaunay, 1989, pp.1062-1090; ‘‘Spécial Cameroun’’, 1992, pp.3283-3342 ; ‘‘Spécial Cameroun’’, réalisé par Ch. Gilguy, pp.2703-2755 et G. Séraphin, Vivre à Douala. L’imaginaire et l’action dans une ville africaine en crise, Paris, L’Harmattan, 2000. 33 ‘‘L’agglomération de Douala observe G. Mainet par ses fonctions et par sa mentalité, est bien différente de la Capitale Yaoundé’’. Cf. Douala, croissance et servitudes, 1985, p.7. Pour plus d’amples informations voir D. Abwa, ‘‘Douala et Yaoundé : deux villes, deux tempéraments, deux destins’’, in S. Eno Belinga et J.-P. Vicat (éds.), Yaoundé : une grande métropole africaine au seuil du troisième millénaire, Yaoundé, Les Classiques Camerounais, 2001, pp. 243-253. 34 Comme un peu partout à l’époque, les principaux pôles d’attirance des étrangers dans le continent africain étaient les villes portuaires. Voir notamment C. Coquery-Vidrovitch et al. , Etre étranger et migrant en Afrique au XXe siècle. Enjeux identitaires et modes d’insertion, Volumes I et II, Paris, L’Harmattan, 2003 et C. D. Gondola, Villes miroirs. Migrations et identités urbaines à Kinshasa et Brazzaville, 1930-1970, Paris, L’Harmattan, 1996, J.D. Tover, Urbanization in Africa. A Hanbook, Westport, London, Greenwood Press, 1994. 35 J. Derrick, ‘‘Elitisme colonial au Cameroun : le cas des Douala dans les années trente’’, in M.Z. Njeuma (éd.), Histoire du Cameroun (XIXe siècle début XXe siècle), traduit de l’anglais par J. A. Mbembe et E. Nguemattha, Paris, L’Harmattan, 1989, p.187. 16 encore que 170.000 habitants. Le port vient d’être réaménagé pour en augmenter le trafic. Sa croissance appelle une main-d’œuvre qu’il faut faire venir de l’extérieur. Dans le même sens, la population des ‘‘allogènes’’ est allée si croissante qu’en 1980, on estimait que 80 % des chefs de familles résidant à Douala étaient immigrés.36 Cette population étrangère et allogène comporte de très fortes minorités musulmanes, qui s’installent dès le début du XXe siècle, sous l’influence de nombreux facteurs et en raison de multiples relations avec l’arrière pays (Nord, Mbam et Noun). Cette fraction musulmane constitue la trame de notre étude. Elle a l’avantage de présenter, en concentré, l’essentielle des situations conflictuelles émergentes et d’être considérée par les ‘‘promoteurs du projet de la nouvelle société islamique’’37 comme l’une des plus dynamiques, comme ‘‘la ligne du front, le lieu de prédilection pour l’accomplissement du nouveau djihâd’’38. Douala nous semble donc constituer à cet égard une région d’étude emblématique39, étant à la fois le lieu d’arrivée et d’installation de fortes minorités musulmanes, et celui d’un peuplement massif et hétérogène induit par la colonisation et le facteur urbain, cadre de prédilection de l’islam40. Ces facteurs qui relèvent à la fois de l’histoire, de l’économie et de ce qu’on pourrait appeler la fabrique du multiple (facteur humain) constituent le préconstruit – pour emprunter une expression chère aux sociologues et aux anthropologues-41 qui singularise notre région d’étude par rapport aux autres régions du pays. Son association avec les interactions, les relations d’échanges et d’influence réciproque qu’elles entretiennent au fil du temps et des intérêts à préserver donnent un profil très différent aux communautés musulmanes de la ville de Douala, ‘‘devenue le plus vaste foyer d’émergence d’associations et de nouvelles tendances islamiques’’42. Ces communautés constituent une illustration éloquente du développement de l’islam hors de ses fiefs classiques. 36 G. Lasserre, préface G. Mainet, Douala, croissance et servitudes, 1985, p.11 ; lire aussi Cameroon Tribune, quotidien bilingue du 14-02-1996, p. 2. 37 H. Adama, ‘‘Islam et sociétés au Nord-Cameroun (fin XIXe-XXe siècle)’’, Dossier présenté en vue de l’Habilitation à Diriger les Recherches (HDR), Rapport de Synthèse, Université de Provence, Année Académique 2003-2004, p. 37. 38 Ibid. 39 Pour illustrer notre propos, voici une phrase écrite par Guy Mainet dans la conclusion générale de son livre Douala, croissance et servitudes : ‘‘Douala résume toutes les chances et les vicissitudes du pays dans son effort pour s´adapter au rythme du monde moderne. C’est à Douala que se trouve l’origine principale des mutations du Cameroun contemporain’’. 40 Voir A. Piga (éd.), Islam et ville au sud du Sahara, Paris, Karthala, 2003. 41 Voir S. Beaud et F. Weber, Guide de l’enquête de terrain, Paris, la Découverte, 1997, p. 32. 42 M. Lasseur, ‘‘Cameroun : les nouveaux territoires de Dieu’’, Afrique Contemporaine, no 215-2005/3, p. 118. 17 Carte localisation lieu d’étude, p. 17 18 - Cadre chronologique Il aurait été utile d’examiner le phénomène plus en profondeur, dans la ‘‘longue durée’’43. Malheureusement, les sources font défaut, pour les périodes les plus reculées. Il est cependant évident qu’à partir des foyers religieux du bassin tchadien, des pays haoussas et de l’Adamawa44, des musulmans ont sillonné dès la fin du XIXe siècle les zones de peuplement situées au sud de l’Adamawa, en direction de la côte. Ils ont suivi en cela les avant-postes du djihâd installés par les communautés islamisées, ou encore les groupes de marchands musulmans sillonnant les régions de l’Est, du Mbam et même du Centre.45 Les sources archivistiques allemandes exploitées par A. P. Temgoua dont les travaux et publications portent essentiellement sur la période allemande au Cameroun et en Afrique signalent la présence des marchands musulmans à Douala dès 1906.46 Mais, on ne peut à proprement parler, se pencher littéralement sur l’hypothèse de la présence des communautés musulmanes en tant que telle à Douala que lorsque les Allemands initient le premier projet d’urbanisation de la ville de Douala en 1912.47 A l’occasion, les Allemands commencent à mettre en œuvre la politique de refoulement des populations africaines à la périphérie de la ville. Cette politique consistait à séparer par expropriation, les zones d’habitation européenne des quartiers africains. Entreprise par les Allemands, cette mesure de déguerpissement inaugure en effet la colonisation de nouveaux sites dont New-Bell attribué entre autre aux communautés musulmanes, situées à l’extérieur des quartiers autochtones.48 Le jalon temporel inférieur est de ce fait fixé au début du XXe siècle (ou plus précisément en 1912), lorsque l’existence des musulmans en tant que communauté humaine identifiable est attestée à Douala. La documentation archivistique disponible fournit des données plus fiables pour la période de l’administration coloniale française (1916-1960). Elle fait état en effet de la présence 43 F. Braudel et d’autres historiens de l’Ecole dite des Annales ont développé le concept de ‘‘longue durée’’, qui invalide la notion d’histoire événementielle (voir notamment F. Braudel, Les ambitions de l’histoire, Paris, Editions de Fallois, 1997). Il s’agissait de montrer que les faits ont une mémoire et que les évènements que l’on croit ‘‘historiques’’ ont toujours une perspective diachronique et synchronique à laquelle ils s’intègrent harmonieusement. 44 Voir glossaire. 45 Ph. Burnham se fait l’écho de ce phénomène, quoique de façon vague et indirecte dans son ouvrage intitulé : Opportunity and Constraint in Savannah Society, London, Academic Press, 1980, pp. 206 et suivantes. 46 A.P. Temgoua, ‘‘Commerçants allemands et marchands haoussa au Nord-Cameroun, 1902-1915’’, Humanitas, 3, 2004, pp.61-79. 47 Voir G.Mainet, Douala, croissance et servitudes, p.16. 48 Cette opération avait connu une violente opposition et avait entrainé la mort par pendaison de Rudolf Duala Manga Bell et son homme de confiance Ngosso Din le 8 août 1914. Par la suite, les Bell n’occuperont jamais ce quartier puisque les Allemands ont quitté le Cameroun deux ans plus tard. Suite aux négociations avec les Français, ils s’installeront plutôt à Bali. 19 effective des communautés musulmanes à Douala et dans bien d’autres régions du Sud du Cameroun. Quant à la période postcoloniale, elle est marquée par des tendances et des dynamismes nouveaux. A travers l’ensemble des articulations du sujet, les trois premières décennies postindépendantes (1960, 1970, et 1980) paraissent charnières. En effet, la ville de Douala expérimente, pendant ces décennies, une nouvelle forme de reproduction du savoir et une forme de coexistence entre les musulmans ‘‘réformateurs’’ et ceux qui sont qualifiés de ‘‘conservateurs’’ dans un contexte nouveau. Les années 1990, où s’opère une libéralisation politique, correspondent à une progressive structuration de l’islam, à l’émergence des groupes islamiques plus revendicatifs quant à la place à réserver à l’islam et à l’émergence de nouvelles manières de penser et de vivre l’islam en fonction des contextes économique et socio-politique. Le tournant des années 2000 a accéléré cette dynamique notamment en 2006, date à laquelle se manifeste de façon officielle la communauté chiite de Douala49, marquant de ce fait une évolution notable dans l’affirmation islamique à Douala. Cette sortie symbolique marque la borne supérieure de notre étude. Comme on peut le constater à travers ce cadre chronologique, nous avons le double souci de ne pas négliger l’histoire du temps court qui permet de déterminer les changements vécus dans la société camerounaise, et d’observer en parallèle les événements sous l’angle de la longue durée afin de comprendre les permanences et les changements intervenus au sein des communautés musulmanes de Douala. Ainsi, pour la compréhension de notre sujet, les voies du temps long et du temps court doivent se rejoindre. Le temps ‘‘moyennement long’’50 doit servir d’outil méthodologique pour construire une dialectique entre ces deux types de temps. Nous partons d’un ou des événements, d’un ou des faits, pour déchiffrer une structure (la logique interne de la société urbaine de Douala). A travers ce cadre chronologique, nous pouvons nous interroger sur les ‘‘problèmes de l’unité et de la diversité, de la continuité et de la discontinuité en histoire’’51 et défendre l’idée 49 Voir Le Messager, no 2057 du vendredi 3 février 2006. Expression empruntée à M.Vovelle, ‘‘L’histoire et la longue durée’’, in J. Le Goff (s.d.), La nouvelle histoire, Paris, éd. Complexes, 1988, p.98 ; ouvrage réimprimé sous le même titre en 2006. 51 J. Le Goff, Histoire et mémoire, Paris, Gallimard, 1988, p.216. ‘‘Prendre le temps en considération dans sa durée, dans ses mouvements, tel est un des impératifs assignés à l’analyse de l’Afrique contemporaine. Le considérer dans son oeuvre : en ce qu’il est porteur de formes inédites par ce qu’il charrie le passé, ses réalités et leurs mémoires. Cette démarche, il faut insister sur ce point, ne s’applique pas uniquement à l’Afrique ; elle doit être mise en oeuvre dans l’étude de toutes sociétés humaines. C’est justement la compréhension de ces ‘‘temps longs’’ qui a fait 50 20 selon laquelle la réalité de la perception et du découpage du temps par rapport à un avant et un après ne se limite pas, tant au niveau individuel que collectif à l’opposition présent/passé, il faut y ajouter une troisième dimension, le futur.52 Naturellement, ces repères géographique et chronologique ne manquent pas de soulever un certain nombre de questionnements, lesquels forment la problématique de cette thèse. E- Problématique et objectifs Dans cette étude, l’islam est considéré non pas comme une arme de conquête aux tendances guerrières et militaires comme dans les sociétés islamo-peules du Nord-Cameroun pendant le djihâd initié par Ousman Dan Fodio53 et conduit par Modibo Adama54, mais plutôt comme un élément référentiel, un marqueur propice à la recomposition identitaire, un ferment de solidarité transethnique, transculturel et socio-économique, un facteur important de la mobilité sociale, comme une religion qui sert de cadre de rapprochement malgré la diversité d’approche des adeptes. L’islam ici n’est donc pas la résultante d’une activité guerrière comme ce fut le cas dans la partie septentrionale du Cameroun, encore moins la résultante d’une intervention militaire à l’instar du pays bamun.55 Il s’est établi grâce aux groupes de musulmans migrants, progresser l’analyse des sociétés occidentales. Il nous revient donc d’adopter cette perspective pour mieux discerner les lieux et les trajectoires des inventions et recréations africaines. L’analyse des Afriques politiques contemporaines ne saurait, en effet, se réduire à une simple sociologie des crises car celles-ci traduisent des logiques autrement plus profondes et complexes’’, C. Coulon et D.- C. Martin, ‘‘Introduction’’, Les Afriques politiques, Paris, La Découverte, 1991, p. 8. 52 J. Le Goff, Histoire et mémoire, p.33. 53 Commandeur des croyants (Amir Al Mouminin) Ousman Dan Fodio s’était révolté en 1804 contre le Sarkin Younfa, souverain haoussa du Gobir dans l’actuel Nord du Nigeria. Par cette révolte, Ousman Dan Fodio souleva un vaste mouvement insurrectionnel pour la propagation de la foi musulmane. Il fixa la capitale de l’empire qu’il venait de fonder à Sokoto. On trouvera un bref condensé de l’action d’Ousman Dan Fodio dans l’article de M.Z. Njeuma, ‘‘Uthman Dan Fodio and the origins of Fulani jihad in Cameroon hinterland, 1804-1809’’, Afrika Zamani, no 4, 1974, pp. 64-68. 54 Modibo Adama est le héros le plus chanté de cette époque de conquête peule entreprise en principe au nom de l’islam. Dans plusieurs études faites sur l’islam au Nord-Cameroun, il est présenté comme celui qui, dans le Foumbina (littéralement les territoires du Sud, en fulfuldé, langue de Peul), avait reçu l’étendard du djihâd (1809) des mains d’Ousman Dan Fodio. Cet acte ouvrit la porte au pouvoir militaire et à l’influence culturelle des Peul. Une hypothèse plus souvent retenue est que le mot Adamaoua viendrait du nom Adama. 55 Voir D. Abwa, ‘‘Le glaive et le Coran ; deux modes de pénétration de l’islam au Cameroun (XIXème siècle)’’, Communication présentée au ‘‘Symposium international sur la civilisation islamique en Afrique de l’Ouest’’, Dakar, 27-30 décembre 1996. Il faut cependant nuancer cette position quand on sait qu’avant cette intervention, les Haoussa du Nigeria étaient présents en pays Bamun. 21 nationaux et non nationaux. Cet islam urbain de Douala est par conséquent le fruit d’un mouvement d’islamisation pacifique germé par des commerçants itinérants et consolidé aussi par la prédication des musulmans issus des conversions enregistrées localement au fil des décennies. En d’autres termes, si une idée reçue voudrait que l’islam progresse partout et surtout au NordCameroun en vainqueur irrésistible, nous rencontrons à Douala un islam minoritaire, en situation migratoire, véhiculé depuis ses origines par une élite marchande audacieuse, mais discrète, humble et réservée. Leur culture savante était souvent limitée et donc l’impact religieux fut, en conséquence, étroitement localisé et étalé dans le temps. C’est donc un islam perçu comme périphérique, mais qui s’affirme de plus en plus et affiche sa visibilité dans un espace cosmopolite et ouvert à diverses influences. Ici, l’islamisation s’est faite par plusieurs groupes. Ils prenaient le relais, devenant des vecteurs de l’islam. Il faut y ajouter de nombreux convertis locaux. Tel est, au sens large, le modèle doualais. Cet islam est représenté par une variété d’ethnies, une fois prise en compte la fidélité à un même Livre. L’hypothèse qui guide par conséquent ce travail est celle de l’enchevêtrement, de la complexification du paysage islamique de Douala. Adossé à une histoire dont la profondeur remonte au début du XXe siècle, l’islam avance à Douala vers plusieurs directions, simultanément. Cette avancée ne se déroule pas le long d’une orbite close. Elle n’est ni lisse, ni unilinéaire. Elle pointe vers plusieurs débouchés à la fois. Une étude sur les communautés musulmanes de Douala impose dès lors une multiplication des axes de recherche afin de rendre compte de leurs différences ethniques, culturelles mais aussi de leurs solidarités transethniques, transculturelles et même politiques. Et, même si ces différences et ces solidarités sont difficilement repérables dans une ville complexe et de grande taille comme Douala, plusieurs idées forces seront développées dans cette recherche. C’est l’histoire des communautés qui ont pour dénominateur commun d’appartenir à l’islam. Ces communautés musulmanes, devenues au fil du temps presqu’incontournables au plan économique, entretiennent des rapports privilégiés tant avec le pouvoir politico-administratif colonial local qu’avec l’administration postcoloniale locale malgré leur hétérogénéité ethnique. Nous voulons démontrer qu’à travers ces groupements, nous allons à la découverte des singularités d’une communauté musulmane urbaine, minoritaire du temps colonial au temps présent, qui détient un pouvoir économique important dans la ville, lequel pouvoir lui permet de s’incorporer ou de s’infiltrer physiquement et/ou symboliquement dans les champs politique, 22 social et culturel de Douala. Autrement dit, après s’être ‘‘moulé’’ dans son milieu d’accueil, nous pensons qu’au fil des circonstances, l’islam a plusieurs fonctions et est devenu un moyen de gagner une légitimité, une identité, un statut. C’est cette configuration socio-historique qui se trouve au cœur même de la présente étude, abordée en trois phases qui justifient naturellement le choix de la périodisation : 1912-2006. Celles-ci se ramènent aux questions suivantes : quelles sont les variables génératrices et motrices de l’implantation des communautés musulmanes à Douala ? Comment les communautés musulmanes sont-elles arrivées à Douala, s’y sont implantées et développées? Comment se socialisent-elles dans leur société d’accueil ? Vers quelles directions avancent-elles à Douala ? Bref une fois implanté dans cette région en pleine évolution et fortement urbanisée, au sein de laquelle des groupes sociaux et culturellement différents se regroupent, quelle serait leur trajectoire ? La liste n’est pas exhaustive. Le terme ‘‘trajectoire’’ nous semble important. Il situe résolument notre perspective historique orientée vers l’étude des permanences, de l’évolution et du changement selon les modalités liées aux capacités de sélection, d’adoption/adaptation, d’assimilation dans les domaines religieux, culturel, socio-économique et politique sous le double effet du dynamisme interne des communautés étudiées et du dynamisme externe des communautés extérieures aux groupes ‘‘cibles’’ ; car l’histoire est par essence ‘‘l’histoire du changement, des mutations liées à des innovations d’ordre technique, politique, social et culturel’’56. Il s’agit alors, dans un premier temps, du début du XXe siècle à la fin de la colonisation française (1960) de voir comment les communautés musulmanes de Douala cherchent leurs marques : migration et implantation des communautés musulmanes à Douala ; gestion de l’identité musulmane à Douala. Ces deux phases sont singulièrement difficiles à situer hors du contexte colonial. En second lieu, des années 1960 à la veille de 1990, la communauté traverse une période de mûrissement sur plusieurs aspects sectoriels: le politique avec l’implantation de l’Union Nationale Camerounaise (UNC), production et reproduction du savoir, participation au hajj, multiplication des structures traditionnelles et des lieux de culte, etc. Au crédit de cette période, la sortie de la colonisation et la canalisation dans le système monolithique jusqu’au début des années 1990. 56 T.M.Bah, ‘‘Le rôle de l’histoire dans les sciences sociales en Afrique : passé, présent, futur’’, Africa Development, Vol.XIX, nº1, 1994, p. 23. 23 Dans un troisième temps, de 1990 à 2006, la communauté vit au rythme des débats contradictoires. Le militantisme islamique se manifeste avec plus de vigueur. La communauté s’efforce d’initier la ‘‘réislamisation de la société’’ en créant des associations, des centres culturels, des écoles, en renforçant les réseaux islamiques, et en participant de plus en plus au hajj, surtout chez les jeunes. La société doualaise vit plutôt une recomposition progressive de son paysage islamique. Certains acteurs islamiques s’impliquent ou prennent position dans le champ politique. Les stratégies sont tantôt collectives, tantôt individuelles. Dans un cas comme dans l’autre, l’islam entre dans le champ des médias, de la communication et dans le champ de la manipulation religieuse et sociale. A travers ces discours multidimensionnels, la communauté musulmane de Douala est en quête de nouvelles formes d’identité.57 Il apparaît dans ce développement les sources de confrontation et de compromis intracommunautaires et de façon diffuse entre les musulmans de Douala et leurs connexions/solidarités avec les autres communautés musulmanes (Oumma) du territoire national et de la région au sens large du terme ; car l’islam ‘‘doualais’’58 ne vit pas en vase clos. Cette perspective est le fil conducteur de notre monographie, qui ambitionne – précisonsle - de faire un tableau de synthèse de la présence musulmane dans le terroir de Douala, c’est-àdire une étude aussi complète que possible et détaillée sur la thématique de l’islam à Douala. La vocation des monographies historiques est modeste certes ; mais, elle n’en est pas moins capitale. Par leur fonction d’illustration, les études monographiques tiennent lieu de limon aux travaux de grande envergure où elles participent à l’atténuation d’inévitables cas de généralisations abusives. Dans la situation présente, il s’agit d’une étude dynamique, qui entend ressortir les spécificités de chaque époque et les particularités de chaque séquence chronologique en tenant compte de l’impact de celle-ci sur l’évolution des communautés étudiées. Nous nous proposons d’appréhender et d’analyser la dynamique de l’islam dans cette ville, d’en révéler la richesse, mais aussi les vicissitudes, en parcourant ses caractéristiques. Il s’agit de se pencher sur la vie intérieure des communautés musulmanes de Douala, ou pour parler comme H.I. Marrou de 57 Pour une perspective purement théorique sur l’émergence des nouvelles formes d’identité islamique dans le bassin tchadien, voir le texte de G.L. Taguem Fah, ‘‘Dynamique plurielle, regain de spiritualité et recomposition de l’espace islamique dans le bassin du Lac Tchad’’, Saharan Studies Association Newsletter, vol. XII, number 1, june 2004, pp. 6-11. 58 Nous empruntons cette expression à G. Mainet qui a consacré de nombreuses études sur Douala (voir bibliographie). 24 projeter ‘‘une lumière, une intelligibilité’’59 sur les communautés musulmanes de cette importante agglomération urbaine. En bref, cette étude aborde plusieurs sujets et thématiques qui peuvent à priori dérouter le lecteur mais qui ne fait que traduire la variété des échelles possibles : les origines, les quartiers d’implantation, les territoires religieux, les activités, la sociabilité, l’éducation, la vie politique et économique, l’identité. L’enjeu principal est finalement de faire une lecture qui corresponde à une adaptation au contexte particulier de Douala et aux pratiques islamiques liées à une société cosmopolite, plurielle et diversifiée. Il s’agit dès lors de l’étude d’une des ‘‘minorités urbaines’’60 de l’ ‘‘écologie urbaine’’61 de Douala dans une perspective interactionniste, sous l’angle de plusieurs dimensions : religieuse, culturelle, économique, politique, etc. Evidemment, il faut trouver le moyen de répondre à une telle dilatation du champ de recherche et d’atteindre nos objectifs. Pour le faire, nous avons rassemblé une documentation et l’avons soumise à un traitement méthodologique méticuleux. G- Méthodologie et sources Méthodologie A la fois ‘‘religion et civilisation’’62, c’est-à-dire mode de vie quotidienne et permanente, l’islam influence à des degrés divers mais de façon remarquable, tous les autres aspects de la vie de chaque jour. La croyance en Allah et le respect des principes éthico-normatifs et autres 59 H.I. Marrou, ‘‘Comment comprendre le métier d’historien’’, in Ch. Samaran (s.d.), L’histoire et ses méthodes, Paris, Encyclopédie de la Pléiade, 1986 (réimprimé de 1961), p. 1476. 60 Le concept ‘‘Minorités urbaines’’ a été utilisé par les anthropologies sociales américaine et britannique. La première l’a employé pour rendre compte des multiples communautés (Américaine, Chicanos, Chinois, etc.) habitant les grandes métropoles nord américaines mais aussi celles de l’Amérique Latine et Centrale, en particulier Mexico et San Juan de Porto Rico. La seconde quant à elle, l’a adopté en accomplissant pendant la période coloniale, d’importantes études sur les jeunes qui quittaient leur village pour les villes minières des Rhodésies (aujourd’hui Zambie et Zimbabwe). Pour plus d’informations, bien vouloir se référer à R. Raulin, ‘‘Minorités urbaines’’, in P. Bonté et M. Izarde (éds.), Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, Paris, P.U.F., 1992, p. 729. 61 L’expression ‘‘écologie urbaine’’ a été employée pour la première fois par l’anthropologue social américain, R.M.C. Kenzie en 1925 pour parler des regroupements minoritaires issus de vagues migratoires que connaissaient les villes américaines au début du XXe siècle. Leur fluidité spatiale et sociale a été interprétée par l’école de Chicago comme le résultat d’un processus de sélection, de distribution, d’adaptation spécifique dans leur aire urbaine. Lire R. MC. Kenzie, The city, Chicago, The University of Chicago Press, 1925, (version en français: Y. Grafmeyer et I. Joseph, L’école de Chicago. Naissance de l’écologie urbaine, Paris, Aubier Montaigne, 1984). 62 Mohammet Arkoun, R. Arnaldez, R. Blachère et al, Dictionnaire de l’islam. Religion et civilisation, Paris, Encyclopaedia Universalis et Albin Michel, 1997. 25 prescriptions juridico-théologiques63, justifie ou explique certains comportements ou prise de position. C’est la pleine conscience de ce caractère globalisant qui donne un sens à la pluridisciplinarité de notre approche. Ainsi, nous avons diversifié nos lectures afin de mieux cerner notre thème et prendre en compte la multiplicité des approches et des disciplines (histoire, sociologie, anthropologie, ethnologie, science politique, géographie, etc.) sur le sujet. Nous nous sommes référé à l’abondante littérature sur la sociologie générale de l’islam, sur l’islam en Afrique au Sud du Sahara en général et au Cameroun en particulier64 ; ce qui nous a permis de mieux formuler notre problématique et de rendre plus substantielle l’analyse. Des articles de revues spécialisées65 nous ont permis de disposer d’informations plus précises et pertinentes sur certaines questions ; d’acquérir des outils théoriques et pratiques liés aux dernières tendances historiographiques sur l’islam en Afrique. Nous avons également sollicité des thèses et des mémoires récemment soutenus sur l’islam dans d’autres régions du Cameroun66 et même d’Afrique67. Ces études qui partent d’expériences vécues dans d’autres contextes nous ont permis d’enrichir notre propre recherche mais également d’approfondir nos connaissances et de mieux affiner notre méthodologie. Il n’était donc pas inintéressant de conduire ce travail en portant un regard sommairement comparatif sur les parcours de l’islam dans d’autres villes du SudCameroun et d’Afrique et les formes singulières qu’il revêt à Douala. L’idée était que la comparaison de ces cas délivrerait des enseignements sur les constantes, les convergences, mais aussi les divergences sur les conditions nécessaires à l’expansion de l’islam. Les principales 63 Nous empruntons ces expressions à J.-P. Charnay dans son maître livre, Sociologie religieuse de l’islam, 1994. Ces ouvrages ont été consultés dans les instituts bibliothécaires de la ville de Yaoundé, au Centre d’Appui à la Recherche-Laboratoire des Sciences Sociales de Ngaoundéré et à la bibliothèque centrale de l’Université Laval au Québec (Canada). Nous avons aussi consulté des ouvrages dans la bibliothèque personnelle du Docteur A. Njiasse Njoya. 65 C’est grâce à l’obligeance du Docteur G.L.Taguem Fah et du Professeur H. Adama tous deux du Département d’Histoire de l’Université de Ngaoundéré; de la Professeure M. Gomez-Perez du Département d’Histoire de l’Université Laval, de la professeure M. N. LeBlanc de l’Université de Montréal à Québec (UQAM) et de notre directeur de thèse le professeur D. Abwa que nous avons pris connaissance de cette littérature spécialisée. 66 Par exemples, O. Moussa, ‘‘La culture arabo-islamique, les Haoussa du Sud-Cameroun (le cas de Yaoundé) et l’intégration nationale’’, Thèse de Doctorat Nouveau Régime, Université La Sorbonne Nouvelle, Paris III, 1987 et S. Mane, ‘‘Islam et société dans le Mbam (Centre-Cameroun) : XIXe-XXe S.’’, Thèse de Doctorat/Ph.D. en Histoire, Université de Yaoundé I, 2005-2006. 67 Par exemples I. Cissé, ‘‘Islam et Etat au Burkina Faso : de 1960 à 1990’’, Thèse de Doctorat Nouveau Régime, Université de Paris VII, 1994 ; M. Gomez-Perez, ‘‘Une histoire des associations islamiques sénégalaises (SaintLouis, Dakar, Thiès) : itinéraires, stratégies et prises de parole (1930-1993)’’, Thèse pour le Doctorat Nouveau Régime en histoire, Université Paris 7 Denis Diderot, 1997 ; K. Langewiesche, ‘‘Mobilité religieuse. Changements religieux au Burkina Faso’’, Thèse de Doctorat, EHESS, Marseille, 2003 ; H. Grandhomme, ‘‘La France et l'islam au Sénégal. La République face à une double altérité : le colonisé et le musulman’’, Thèse de Doctorat en Histoire, Université Cheikh Anta Diop, mai 2008 64 26 conclusions tirées de la trajectoire de l’islam sur la côte camerounaise et notamment de Douala – puisqu’il s’agit ici surtout de cette région – s’inscrivent-elles par exemple à coté de celles des études faites à Yaoundé, à Bafia ou dans d’autres villes comparables en Afrique? Pour l’étude du contexte politique camerounais, nous avons consulté les travaux ayant traits aux relations entre le pouvoir et les structures sociales et religieuses depuis la colonisation68. Sources Nous avons eu recours à deux catégories de source : les sources écrites et les sources orales. - Les sources écrites Elles sont de deux ordres : les documents d’archives (publiques et privées) et la presse. Les documents d’archives publiques que nous avons dépouillés sont conservés aux Archives Nationales de Yaoundé (ANY). Pour les exploiter, nous avons pris en compte trois facteurs : le contexte politique international, le contexte politique colonial et le contexte politique africain en général et camerounais en particulier. Ainsi, la série APA (Affaires Politiques et Administratives) a retenu notre attention. Ce sont surtout des rapports périodiques, mensuels, trimestriels et annuels des administrateurs locaux adressés à l’administration centrale à Yaoundé. Ces dossiers sont d’importance inégale et concernent les faits et dits qui touchaient de près ou de loin les communautés musulmanes et l’islam qui, au demeurant, étaient très surveillés. Ils tiennent surtout du renseignement et de l’enquête policière et sont écrits dans une perspective politique et non sociologique ou anthropologique. La série AC (Affaires Culturelles) a été également consultée. Elles renferment des rapports d’activités à caractère historique, géographique, économique et culturel et des correspondances diverses adressés aux différentes hiérarchies. D’autres contiennent des rapports bien élaborés sur les visites du Cherif Sidi Benamor69 à Douala. 68 Les écrits de E. Mveng, Histoire du Cameroun, 1963 ; L. Ngongo, Histoire des forces religieuses au Cameroun, Paris, Karthala, 1982 ; J.-F. Bayart, L’Etat au Cameroun, Paris, P.F.N.S.P., 1985 ; V.J. Ngoh, Cameroun 1884-1985. Cent ans d’histoire, 1990 ; F. Eboussi Boulaga, La démocratie de transit au Cameroun, 1997 et D. Abwa, Commissaires et hauts-commissaires de la France au Cameroun (1916-1960). Ces hommes qui ont façonné politiquement le Cameroun, Yaoundé, P.U.Y. et P.UCAC, 1999, sont importants. 69 Marabout originaire de l’Algérie Cherif Sidi Benamor a effectué des tournées dans les principales agglomérations musulmanes du Cameroun en 1949, sous l’invitation des autorités coloniales françaises. Pour plus de détails sur l’étape de Douala, voir première partie, deuxième chapitre, section B-2. Il faut cependant préciser que l’ensemble du voyage de ce missionnaire musulman a été analysé par G.L. Taguem Fah, ‘‘Les élites musulmanes et la politique au Cameroun de la période française à nos jours’’, Thèse de Doctorat de troisième cycle en histoire, Université de Yaoundé I, 1997 et T.M. Bah, ‘‘Cheikhs et marabouts maghrébins prédicateurs dans l’Adamawa, 19e-20e siècle’’, Ngaoundéré-Anthropos, no1, pp.7-28. 27 Ce dépouillement s’est révélé précieux car les rapports d’archives témoignent des orientations politiques de l’administration coloniale, de ses aspirations et des principes de son fonctionnement. Notons toutefois que ces documents archivistiques se sont avérés décevants (sur les données concernant la pratique du Hajj à Douala par exemple) car parcellaires, répétitifs et trop généraux. Bien plus, comme tous les écrits coloniaux, ils accusent le handicap majeur d’être européocentristes : faisant fi du colonisé, ils ne présentent le plus souvent que le seul point de vue du colonisateur, quand ils ne versent pas simplement dans l’apologie de la colonisation tenue pour une ‘‘mission civilisatrice’’. L’administration française accordait en général peu d’importance aux communautés musulmanes du Sud-Cameroun. Les rapports tiennent du renseignement et sont écrits dans une perspective politique. Les autorités se montrent attentives aux demandes des communautés musulmanes, mais elles ne changent pas radicalement de politique musulmane : la surveillance de l’islam est la priorité. Des rapports privilégiés se tissent entre les leaders des communautés musulmanes (chefs) et l’administration. Les administrateurs rédigent des rapports qui mettent en exergue la ‘‘bonne disposition’’ des musulmans à l’égard de l’administration. Quoiqu’il en soit, la lecture patiente, minutieuse et critique des archives nous a fourni des informations de première main, des traces qui ont en partie servi surtout à l’élaboration de la première partie de ce travail. L’indigence des sources pour la période des années 60, 70 et 80 ou l’impossibilité de collecter certains matériaux70 nous a amené à centrer l’étude sur l’histoire de la politique de l’Etat et de surestimer son pouvoir, quelque fois au détriment de l’étude des forces religieuses musulmanes doualaises. Toute la difficulté ici était d’équilibrer la place donnée aux ‘‘structures du centre’’71 et aux structures de la périphérie, c’est-à-dire de la vie intérieure des communautés musulmanes de Douala. Pour la période contemporaine de notre étude, notamment à partir des années 1990, certains journaux d’informations générales tels que Le Messager, Mutations, La Nouvelle Expression, Cameroon Tribune, Le Nouvel Indépendant et Aurore Plus consacrent quelques fois des articles aux communautés musulmanes de notre région d’étude. Cependant, les informations sont très corsetées et occupent généralement à peine une à deux colonnes en pages intérieures. En 70 Les archives de l’école franco-arabe de New-Bell et la de représentation locale de l’ACIC par exemple. C. Coulon, ‘‘Les problèmes de l’historiographie contemporaine de l’Afrique : biais et perspectives’’, in Histoire générale de l’Afrique, études et documents, ‘‘La méthodologie de l’histoire de l’Afrique contemporaine’’, no8, 1984, p. 92. 71 28 revanche, El Qiblah, journal hebdomadaire puis bimensuel trilingue (français, arabe et anglais) publié à Douala par le PIAH entre 1997 et 2004 est riche d’enseignements et relate semaine après semaine l’actualité dans le monde musulman autant local, national qu’international. Bref l’exploitation des journaux est apparue importante pour une nouvelle approche historique et socio-politique des rapports entre islam et société à Douala; sans bien sûr tomber dans le piège des somations parfois excessives de l’actualité. D’autres sources auxiliaires de connaissance comme les références webliographiques, les émissions culturelles et religieuses radio-télévisées consacrées à l’islam, notamment : ‘‘Islam et Société’’, ‘‘Connaissance de l’Islam’’ et ‘‘La Vitrine de l’Islam’’, etc. vulgarisent et rendent de plus en plus visibles les activités des communautés musulmanes locales. Dans le cadre de ces émissions religieuses en effet, les responsables des émissions islamiques présentent des documentaires et des reportages sur les communautés musulmanes de Douala. Sans perdre de vue que toute mise en images d’un phénomène social est nécessairement une mise en scène72, nous nous sommes interrogé sur les valeurs et les leçons que les réalisateurs et les invités souhaitaient transmettre au public par le moyen des images, des propos des intervenants et les symboles. En fait, ces sources ont souvent constitués dans notre étude de véritable baromètre d’appréciation. Pour compléter l’ensemble de ce corpus et nuancer leur contenu, la collecte des sources émanant des communautés étudiées devenait nécessaire : le vécu ressenti et représenté par les acteurs eux-mêmes était ainsi pris en compte et certains faits étaient mis en relief. Nous reprenons à nôtre compte les propos de H. Moniot : nous voulons aujourd’hui écouter tout ce qui se dit, dans les mises en scènes instituées, sans doute, mais aussi dans les actes prosaïques et les drames quotidiens, et dans les multiples scénarios par lesquels les divers acteurs rendent compte d’événements et des situations, dans les énonciations rivales et les regards portés sur soi, dans les souvenirs et leurs remaniements (…) : des histoires d’histoires.73 Dans cette perspective, nous avons collecté quelques rapports d’activités disponibles des associations suivantes : Programme Islamique pour l’Assistance Humanitaire (PIAH), l’Union Islamique du Cameroun (UIC), l’Association Islamique pour la Promotion de l’Education et la Santé (ASIPES), l’Association des Femmes Dynamiques Musulmanes de Douala (AFDMD), 72 Pour une approche des images en tant que source de connaissance, voir J. L. Triaud, ‘‘Les images comme source de connaissance’’, séminaire doctoral, FMAM-MMSH, séance Iremam/Cemaf, novembre 2008. 73 H. Moniot, ‘‘Une mise en perspective’’, Cahier : groupe Afrique noire, nº10, 1988, p. 3 ; cité par M. GomezPerez, ‘‘Une histoire des associations islamiques sénégalaises (Saint-Louis, Dakar, Thiès) : itinéraires, stratégies et prises de parole (1930-1993)’’, Thèse pour le Doctorat (Nouveau régime) en histoire, Université Paris 7 Denis Diderot, 1997, p. 27. 29 l’Alliance Nationale des Jeunes Musulmans du Cameroun (ANJMC) et le Groupe de Mères Croyantes de Douala (GMCD).74 Nous avons également consulté les registres des groupes scolaires ‘‘Privé Islamique Ibrahim’’ et ‘‘Franco-islamique de Bibamba-Bonanloka’’.75 Cette collecte nous a permis de constituer un ‘‘arrière-fond référentiel’’76 et d’analyser les constantes et les évolutions des pratiques sociales et scolaires selon le contexte. La collecte de quelques photographies et papiers personnels de jeunes musulmans nous a permis de mesurer le rôle changeant du hajj et d’être encore plus au fait du vécu quotidien77 des musulmans de notre lieu d’enquête. Glanés dans des journaux, les émissions culturelles radio-télévisées et des documents privés (rapports, registres, etc.), des éléments d’information de cette nature ont été collectés et judicieusement exploités pour en tirer ‘‘la substantifique moelle’’78. Ch. Samaran ne nous apprend-il pas que ‘‘l’historien, comme l’abeille, peut faire son miel des plus humbles fleurs’’79 ? La nature de la moisson révèle à quel point ce genre de source intelligemment exploité peut être une source inestimable pour l’historiographie récente du Cameroun en général, et celle des groupements musulmans de Douala en particulier. Incontestablement, c’est peut-être dans l’exploitation de cette documentation que réside aussi en partie notre contribution à l’historiographie camerounaise. Cependant, l’accès à l’information n’a pas été facile. Le parcours était ponctué de heurs et de malheurs. En effet, il nous a fallu tenir compte de certaines lenteurs et lourdeurs administratives, de certaines incohérences dans le système de communication des documents d’archives à Yaoundé. Nous y avons perdu un temps précieux lors de la consultation 74 Il s’agit ici des associations dont les responsables nous ont montré les attestations de légalisation ou les reçus de dépôt d’un dossier à la préfecture du Wouri; car certaines associations ont parfois une existence éphémère en raison d’objectifs flous ou d’une organisation interne peu ou pas structurée. D’autres fonctionnent de manière pratique, sans existence juridique. 75 Au moment où nous menions nos enquêtes, il y avait plusieurs écoles privées islamiques qui avaient reçu l’autorisation du Ministère de l’Education de Base. Les enseignants ou les dirigeants de certaines écoles refusaient toute collaboration en l’absence d’une autorisation écrite de leurs fondateurs, lesquels étaient parfois ‘‘injoignables’’ ou alors à l’époque hors de Douala ou du pays. C’est dire que nous n’avons pas travaillé avec les écoles que l’administration qualifie de ‘‘clandestines’’. 76 J. Poirier et al. , Les récits de vie. Théorie et pratique, Paris, P.U.F., 3e éd., 1993, p.145 ; lire aussi Ph. Poirier, Les enjeux de l’histoire culturelle, Paris, Seuil, 2004. 77 On trouvera un bon exemple de récit de vie dans B. Jewsiewicki et al. (s.d.), Moi, l’autre, nous autres. Vies zaïroises ordinaires, 1930-1980. Dix récits, Paris, EHESS, Sainte-Foy, Safi et CELAT, 1990. Voir aussi F. Ferraroti, Histoire et histoires de vie, Paris, Méridiens Klincsieck, 1990 et J. Poirier et al. , Les récits de vie. 78 Cette expression est due à F. Rabelais, auteur français du XVIe siècle. 79 Ch. Samaran, L’histoire et ses méthodes, Paris, Gallimard, 1961, préface, p. VI. 30 d’inventaires. En plus, la conservation des archives au Cameroun pose de grandes difficultés.80 Certaines archives sont illisibles et imprécises lorsqu’elles sont manuscrites. D’autres sont conservées dans des conditions qui accélèrent la détérioration. Certains dossiers sont de temps à autre visités par des souris et cafards au point où ils ne représentent plus que des vestiges ou des objets de musée. Des documents sont laissés à l’abandon sur des étagères non protégées, à la merci des intempéries. Les photocopies de documents d’archives sont assimilables au parcours de combattant. Il faut être patient et surtout diplomate puisqu’il lui est très souvent rétorqué qu’ ‘‘on ne sort pas avec les documents’’. Enfin, à l’ex-Institut des Sciences Humaines (ISH) et au Centre National de l’Education (CNE), certains travaux universitaires ne peuvent être consultés en raison du manque d’inventaire et d’endroit pour les stocker. La délivrance des documents est en revanche rapide partout, lorsque les magasiniers sont…‘‘motivés’’81. D’autres dossiers enregistrés au fichier n’existent plus ; certaines chemises ne contiennent aucun document. Cela occasionne des pertes de temps, parfois importantes. Le chercheur se voit parfois pénaliser par la délivrance limitée de chemises ; lorsque certaines chemises sont décotées sans que cela soit notifié dans le fichier, le chercheur a la désagréable surprise de consulter des documents sans rapport avec son sujet, alors que sa demande est déjà enregistrée par le magasinier. Parfois, il n’est pas possible d’une part de consulter des chemises mises en réserve pour un autre lecteur (surtout non national) alors que ce dernier n’est pas dans la salle de lecture. D’autre part, il est impossible d’avoir accès à une chemise qui n’a pas été définitivement rangée alors que son rangement peut prendre l’espace de plusieurs semaines en raison non seulement d’un manque de personnel mais aussi de son vieillissement. La collecte des registres des associations islamiques et des papiers personnels nous a demandé du temps, de la patience et parfois de la diplomatie. Outre la rareté des rapports d’archives concernant les débuts de l’islam à Douala, nous n’avons pas pu rencontrer 80 Ce constat est valable pour tous les pays africains et plus généralement dans les pays en voie de développement où le problème de la conservation des archives suscite le plus souvent une réaction s’apparentant à du fatalisme : on ne peut rien faire contre les conditions climatiques, le manque de moyens appropriés. La question des archives semble pourtant de plus en plus prégnante, tant elles jouent un rôle crucial dans la mémoire collective et l’identité d’une culture. Pour une description sans concession des archives en Afrique, voir, entre autres : P. Besançon et al. , Les sources historiques dans les tiers mondes. Approches et enjeux, Paris, L’Harmattan, 1997 et A.W. Welch, ‘‘The National Archives of the Ivory Coast’’, History in Africa, vol. 9, 1982, pp. 377-380. Il y a certes des exceptions qui confirment la règle, entre autres les Archives du Ghana à Accra dont la très bonne tenue a impressionné les participants à la réunion des ‘‘Fontes Historiae Africana’’ en 2000. 81 Comprendre ‘‘motivés par des petits cadeaux’’. 31 d’interlocuteurs fiables pour répondre à nos interrogations. Les acteurs directs de l’époque étaient rares. Cependant, leurs descendants, faute de souvenirs précis, nous ont fourni certains renseignements sur les premiers grands groupes musulmans installés à Douala ; ceci a constitué dans certains cas un point de départ pour nos enquêtes. Dans l’ensemble, l’apport des sources écrites a été appréciable dans la conceptualisation de l’appareil méthodologique, l’insertion de l’histoire des communautés étudiées dans le flux des événements d’ampleur régionale, nationale ou mondiale. La somme d’informations recueillies dans l’ensemble des supports écrits ne pouvait prendre toute sa signification et toute sa valeur qu’à condition de recourir à une autre source d’information susceptible de mitiger certains propos tout en fournissant la version endogène des évènements, les sources orales. -Les sources orales Pendant de longues décennies, le champ de la réflexion historique fut dominé par le fétichisme des documents écrits. Cette manière de faire a permis une vision européocentriste de l’histoire. L’usage des sources orales est devenu pour le chercheur en sciences humaines une démarche indispensable. Bien dosé, il débouche sur ce que les auteurs anglo-saxons appellent Oral History82. Ainsi, les sources orales, au-delà de compléter les sources documentaires, aident à vérifier certains faits connus et, quelque fois, témoignent en l’absence d’informations documentaires précises.83 De plus, elles ont l’avantage de donner la version autochtone des faits et de fournir une version interne des sociétés étudiées. Dans cette perspective, les entretiens se sont révélés indispensables pour la bonne marche de notre travail. Des séjours sur le terrain nous ont permis de prendre contact et de communiquer avec les membres des communautés musulmanes de Douala. Des dizaines d’informateurs84 ont bien accepté de répondre à nos questions et de donner leur point de vue, ce qui nous a permis de collecter une masse de témoignages dont la valeur, nécessairement inégale, peut être appréciée à la lecture de cette thèse. L’apport des sources orales est donc réel. 82 On trouvera une bonne discussion des problèmes posés par les techniques de recueil dans les classiques comme W.M. Moss, Oral History Program Manual, New-York, 1974, p.41 et suivantes; également J.Vansina, Oral Tradition as History, London, 1985 et plus récemment encore chez les auteurs tels V.Y. Mudimbe and B. Jewsiewicki (éds.), History making in Africa, Middletown Conn, Wesleyan University Press, 1993 et J.E. Philips (éd.), Writing African History, Rochester, University of Rochester Press, 2005. 83 ‘‘L’histoire se fait avec des documents écrits sans doute quand il y en a, mais elle peut se faire, elle doit se faire sans documents écrits quand il n’y en pas’’ écrit Ch. Samaran, L’histoire et ses méthodes. 84 Voir la liste des principaux informateurs dans la partie consacrée aux sources, à la fin de la thèse. 32 Les premières enquêtes ont eu lieu en 200285 et 200486. En 2002, nos objectifs étaient largement exploratoires. Ils visaient à prendre des contacts et à circonscrire les quartiers de la ville de Douala habités par les musulmans. Ainsi, les zones de notre échantillonnage qui regroupent le gros du contingent des communautés musulmanes à Douala ont été explorés : NewBell (Haoussa, Bamun, Bafia, Peul, Yoruba, Sénégalais, Makea), New-Town-Aéroport (quartier haoussa I et II), Bonaberi (quartier haoussa), Ndobo, Nkompa et Mabanda, Ndogpassi (quartier haoussa) et PK 14, Bonamoussadi (quartier haoussa). En 2004 nous avons rencontré les responsables des communautés étudiées : chefs traditionnels, notables, cadres de l’administration et des fonctions libérales, etc. La rencontre des imams, surtout ceux des mosquées du vendredi nous a permis de mieux évaluer l’ampleur et la diversité des relations sociales et des logiques de leur emplacement afin d’appréhender l’inscription sociale de ces lieux de culte dans l’espace urbain doualais. Pour confronter leurs propos avec des personnes ayant perçu de l’intérieur et au quotidien la vie des musulmans, nous avons élargi notre réseau de relations, en discutant avec des responsables des associations, des élèves, des enseignants et des promoteurs des nouvelles écoles privées islamiques, des commerçants, des croyants ordinaires, des jeunes. Certaines personnes ont été contactées grâce aux recommandations obtenues depuis Yaoundé87. A Douala, Aissatou Yadouko secrétaire du Programme Islamique pour l’Assistance Humanitaire (P.I.A.H.) ; El Hadj Diallo Bakai, (imam et président de la commission de la reconstruction de la mosquée foulbée) et El Hadj Aboubakar Bako Mendeng (chef Bafia) nous ont permis d’élargir notre réseau. Des patriarches comme El Hadj Moctar Aboubakar (doyen des imams de Douala), El Hadj Tanko Amadou (chef haoussa de Bonabéri), Younouss Paraiso (chef Yoruba) et El Hadj Gaba Aoudou (pionnier de l’école francoarabe de New-Bell) ont été rencontrés en raison de la richesse de leur expérience, leurs rapports directs avec certains faits passés répertoriés dans les archives ou dans les journaux. Enfin, nous avons rencontré certains jeunes prédicateurs en raison de leurs prises de position répertoriés lors des émissions culturelles radio-télévisées, lors des conférences ou dans les journaux. 85 De juillet à août 2002. De septembre à octobre 2004. 87 Nous remercions El Hadj Oumarou Djibril, présentateur de l’émission ‘‘Islam et Société’’ sur la radio nationale (CRTV); Dr. Cheikh Daouda Mohaman enseignant à l’Institut des Relations Internationales du Cameroun (IRIC) et ancien secrétaire exécutif de l’ACIC; El Hadj Daouda Kouotouo, présentateur de l’émission ‘‘Connaissance de l’Islam’’ sur la télévision nationale et le Pr. T.M. Bah du département d’histoire de l’Université de Yaoundé I pour leurs recommandations. 86 33 Les deuxièmes missions de recherche88 nous ont permis de confronter nos hypothèses de départ à la réalité sociale du terrain, de faire évoluer notre problématique, de confirmer nos données en les complétant mais surtout d’éclairer, de nuancer, bref de mitiger nos conclusions antérieures. Ces deuxièmes missions étaient nécessaires pour la simple raison que le climat de confiance avec nos interlocuteurs pouvait être consolidé et que nous pouvions esquisser une comparaison entre les situations post-élections au Cameroun, celles des comportements sociopolitiques suite aux élections89 et celles du contexte international (attentat du 11 septembre 2001, guerre du Golfe de 2003, caricatures du Prophète Mahomet en 2005, etc. qui ont relancé l’intérêt pour l’islam). Selon le contexte, les difficultés rencontrées sur le terrain et l’identité des interlocuteurs, aucun équilibre n’a pu être respecté. Plusieurs personnes ont ainsi été interviewées lorsque nous abordions le social ou le politique par exemple. A l’inverse, lorsque l’entretien portait sur la pratique et les fondements religieux90, les réponses étaient similaires. Il nous est apparu en conséquence inutile de diversifier les entretiens. Pour avoir la version interne des communautés étudiées, des enquêtes ont été effectuées dans les quartiers-échantillons et parfois dans les lieux de travail, dans les domiciles, bref le cadre de l’entretien était laissé au choix de nos interlocuteurs. Des interviews individuelles ou collectives selon les opportunités, ont été réalisées. Pour tous les premiers contacts, nous avons toujours pris le soin de présenter notre travail de recherche et d’expliquer ses objectifs généraux afin que la relation débute sur des bases claires et dans un climat de confiance progressive. Dans la plupart des cas, nous avons mené au moins deux entretiens avec la même personne. Les entretiens ont rarement dépassé deux heures afin que l’attention respective de l’interviewé et de l’intervieweur ne perde pas de son intensité. Presque tous nos interlocuteurs étaient réticents à l’enregistrement de leur propos. Face à cette situation, nous avons privilégié la 88 Août-septembre 2006 et septembre-octobre 2007. Nous ne précisons ici que les séjours les plus longs sur notre terrain d’étude car, en fonction des circonstances, nous avons souvent effectué des séjours allant de trois jours à une semaine. Réalisées en plusieurs étapes relativement indépendantes, ces enquêtes restent cependant très complémentaires. 89 Au cours de certaines de nos missions, nous avons pu être témoin de la tenue des campagnes législatives et municipales de 2002 et de l’élection présidentielle de 2004. 90 Il s’agit notamment des cinq obligations rituelles, appelées les ‘‘cinq piliers’’ de la religion qui sont à la base de la doctrine islamique : 1- la profession de foi (‘‘j’atteste qu’il n’y a pas de divinité en dehors de Dieu et que Mahomet est l’envoyé de Dieu’’. Cette formule –shahada- est à ce point caractéristique de l’islam qu’il suffit de la prononcer pour être considéré comme musulman) ; 2- les cinq prières quotidiennes ; 3- le jeûne une fois l’an durant le mois de ramadan ; 4- l’aumône légale aux pauvres (zakat) ; 5- le pèlerinage aux Lieux Saints de la Mecque une fois dans la vie. 34 prise de notes qui a, de plus, deux avantages : l’interviewé à la possibilité de prendre des temps de réflexion et l’intervieweur détecte plus rapidement les parties à éclaircir et peut formuler des questions complémentaires au cours de la discussion. Après la collecte et l’analyse de plusieurs témoignages, une pause était nécessaire ; il fallait choisir les interlocuteurs différents. La vérification de l’information est indispensable. S’interroger sur le statut et le rôle de l’acteur dans la marche de la communauté est fondamental : est-il témoin direct ou indirect ? Est-il une personne connue ou inconnue ? Nous tenions ainsi compte de sa fonction afin d’évaluer sa marge de manœuvre pour retranscrire les faits et nous ne négligions pas le contexte socio-politique camerounais et international de ces quinze dernières années ; l’interlocuteur pouvait être toujours impliqué dans l’actualité religieuse et/ou politique locale ou du pays. Dans ce cas, l’interlocuteur a un devoir de réserve à prendre en compte. Toute source orale ou écrite n’est en effet pas innocente, elle vise à marquer les mentalités pour avoir un ‘‘pouvoir sur la mémoire’’91. Trois types d’approche ont donc été utilisés pour mener ces enquêtes : l’entretien semidirectif, l’entretien directif et l’observation participante.92 L’entretien semi-directif a été utilisé pour interroger toute personne sur laquelle nous disposions de peu d’éléments d’information. Nous avons notamment interrogé des enseignants sur leur pédagogie, leurs objectifs, leurs programmes, leurs parcours, les circonstances de leur venue dans ce métier ; les présidents d’associations sur leurs objectifs ; les imans sur leurs rôles et le contenu de leurs prêches en période d’effervescence religieuse. Il apparaissait plus intéressant et plus fructueux de commencer ce type d’entretien par une question de généralité, une question ouverte, assez vague et permettant à l’interlocuteur de dire tout ce qu’il sait du sujet que nous voulons aborder. Par exemple : ‘‘quel est le rôle de l’imam au cours de la période de jeûne de ramadan ?’’ ; ou encore ‘‘quel est le programme scolaire dans votre école ?…’’, quels sont les objectifs de votre association ?’’, etc. Par la suite, nous avons essayé de conduire l’interlocuteur à développer des aspects particuliers et plus précis sur le thème et au regard des faits, à travers des questions de fond comme ‘‘notre principale préoccupation est celle de ... ’’ ou encore ‘‘vous avez parlé de tel ou tel aspect. Je voudrai m’appesantir sur tel autre…’’. A l’inverse, les entretiens directifs ont été menés auprès des personnes au sujet desquelles les informations étaient plus abondantes. 91 J. Le Goff, Histoire et mémoire, 1988, p. 303. Il s’agit d’une adaptation à Douala d’une technique expérimentée à Dakar par M. Gomez-Perez. On trouvera le déploiement complet d’une telle approche dans sa Thèse de Doctorat (Nouveau régime) déjà citée. 92 35 A travers ces entretiens, il était intéressant de constater que certains nous prenaient à témoin en nous demandant de retranscrire fidèlement leurs propos et d’autres nous considéraient comme un intrus, attitude somme toute compréhensible, quoi que préjudiciable à la recherche, car, on ne ‘‘se déshabille’’ pas aisément devant un étranger. Quelle que fût la qualité de l’entretien, nous avons souhaité conclure harmonieusement tout entretien. Il s’agissait de signaler à notre interlocuteur que nous nous apprêtons à prendre congé de lui à travers des formules comme : ‘‘je souhaite enfin vous demander…’’ ou ‘‘comme nous nous acheminons vers la fin de notre entretien…’’. Lorsque l’occasion s’y est prêtée, selon la disponibilité de l’interlocuteur, nous lui demandions s’il n’avait pas d’autres renseignements à communiquer et s’il désirait obtenir des informations supplémentaires sur notre recherche. Après l’avoir remercié de sa disponibilité, nous nous proposions de nous revoir. Le contact était établi et le cadre général posé, la deuxième rencontre s’avérait en effet nécessaire. Entre les deux entretiens, certaines personnes interviewées se sont interrogées sur certaines de leurs réponses, ont questionné parfois leur mémoire et recherché des documents personnels lorsque la demande leur avait été faite et nous avons repéré le contenu de nos notes pour relever les incompréhensions, les silences, afin d’y revenir à l’entretien suivant. Au début du deuxième entretien, nous avons résumé la première discussion. Cette démarche a trois principaux avantages: celui de vérifier la bonne prise de notes auprès de notre interlocuteur, celui de montrer à l’interlocuteur notre désir de rester fidèle à son discours et, celui de présenter la transcription de ses propos afin qu’il puisse, le cas échéant, les infirmer, les confirmer ou les compléter. Dans ces conditions, le deuxième entretien pouvait s’engager sur de nouvelles questions. Face à un programme qui évoluait au gré des circonstances, rien ne pouvait remplacer néanmoins la pratique sur le terrain. Suivant un contexte politique et religieux changeant, les méthodes d’approche ont dû s’adapter. Malgré tout, l’analyse de notre sujet pour le volet contemporain n’a pas été sans déboires. D’abord, certaines personnes rencontrées sont demeurées méfiantes lors des entretiens. Le chercheur est parfois considéré comme un agent du service secret de l’Etat ou même comme un envoyé, à la solde des pays étrangers et notamment des Américains. Il y a eu aussi l’incompréhension, voire la méfiance de la part de certains informateurs qui pensaient que nous sommes venus récolter des informations pour nous enrichir à leur détriment. Certains informateurs exigeaient ni plus ni moins que de l’argent avant de fournir la moindre information. 36 Ensuite, si l’apport des sources orales est réel, il faut aussi reconnaitre qu’il est disproportionné suivant la période étudiée et les problèmes traités. De grande utilité pour cerner l’histoire locale, la tradition orale s’est avérée de peu d’usage lorsqu’il s’est agi de situer certains évènements dans le contexte camerounais et international, ou de traitements chronologiques et statistiques. Enfin, l’ignorance de l’Arabe et des langues vernaculaires fut un autre gros handicap qui ne nous facilita pas le contact avec certains patriarches, la collecte et le traitement de leurs témoignages oraux. Dans ce cas, nous avons eu recours aux interprètes-traducteurs recrutés sur place. N’étant pas musulman (c’est un travail fait sur l’islam par un non musulman et un non arabophone) et étranger à la société que nous étudions nous a été préjudiciable. Cette situation pouvait orienter certaines réponses de nos informateurs. Ainsi, bien de choses peuvent avoir échappé ou avoir été retenues par les informateurs. La ‘‘volatilité’’ ou mieux la mobilité de certaines personnes sollicitées et leur dérobade devant les entretiens a fait entrevoir dans certains cas l’inutilité de la méthode d’entretien. Face à cette double difficulté liée d’une part à un objet de recherche instable et mouvant et d’autre part au refus de collaboration, nous avons opté pour la méthode de l’observation participante. -Observation Participante L’observation participante, a été utilisée surtout pendant les cours séjours, lorsqu’une situation sociale donnée était limitée à la fois dans le temps et dans l’espace. Ainsi, à l’aide de cette technique, nous avons assisté à des cours dans des écoles franco-arabes, à des conférences et causeries éducatives, à des cérémonies de rupture du jeûne de ramadan, à des réunions des associations, etc. Cette méthode nous a permis d’évaluer en quoi les méthodes pédagogiques sont modernes ou traditionnelles, quel est le type de savoir inculqué à ces jeunes ; les messages délivrés lors des prêches, les attitudes de prière ; les activités des associations, l’acquisition de connaissances lors des conférences et des séminaires ou dans les centres culturels islamiques. Bref, il est apparu que cette méthode présentait une opérationnalité et une fécondité heuristique supérieure. Elle semblait offrir de réelles possibilités permettant de fournir un éclairage pour une analyse qualitative de l’objet de notre préoccupation, en nous facilitant ‘‘l’accès à l’objet sous la forme d’un constat immédiat’’93. Pendant ces séances d’observations participantes et au cours des 93 Voir L. Pinto, ‘‘Expérience vécue et exigence scientifique d’objectivité’’, in Initiation à la pratique sociologique, Paris, Bordas, 1990, pp. 7-52. 37 enquêtes, des photographies ont été prises. Elles sont reproduites dans certaines parties de ce travail, comme quelques-unes des pièces à conviction, de ‘‘preuves’’ utilisées pour asseoir certains thèmes ou certaines affirmations. Cependant, la possibilité d’assister à des réunions, à des cours, aux séminaires et conférences, de mener à bien des entretiens directifs ou semi-directifs, dépend essentiellement de la qualité du dialogue engagé avec chacune des personnes, ce qui n’est pas systématique. Aussi, l’utilisation de l’observation participante comme technique d’approche n’a pu intervenir qu’après nos deuxièmes missions et à la suite de plusieurs entretiens. Les recommandations ou parfois la présence d’un intermédiaire (musulman) pour expliquer dans les grandes lignes nos objectifs de recherche nous a facilité l’accès à certaines manifestations et nous a permis plus facilement de nous entretenir avec des personnes sollicitées car comme le rappelle A. Laperrière, le chercheur qui a opté pour l’observation ouverte doit négocier son entrée sur le terrain, (…) le chercheur doit repérer les personnes clés dans chacune de ces structures et le champ qu’elles contrôlent..94 A la fin de chaque manifestation (cours, conférences, réunions, prêches, etc.) nous avons pris soin une nouvelle fois d’expliquer nos objectifs pour qu’aucun malentendu n’apparaisse. Pour saisir l’immédiateté des situations, l’observation participante demeure la technique la plus appropriée. Toutefois, l’immédiateté recherchée et notre immersion dans la sphère de l’expérience vécue pouvaient devenir pernicieuses du fait de la méthode choisie (observation participante). En effet, le risque de sombrer dans le sens commun, la tendance à la réappropriation des préjugés et autres stéréotypes sont grands lorsque le chercheur est lui-même immergé dans l’objet de recherche.95 Cela pouvait conduire à une oblitération de l’observation due à l’illusion de la transparence, au dévoiement de l’explication à cause de l’ancrage de certains stéréotypes sociaux, de prémonitions, en un mot, à un ‘‘déficit épistémique’’. La rupture avec le sens commun et un ‘‘recul épistémologique’’ devenaient donc impérieux pour 94 A. Laperrière, ‘‘L’observation directe’’ in B. Gauthier (s.d.), De la problématique à la collecte de données, Québec, Presse de l’Université du Québec, 1992, p. 259. 95 Sur les débats autour de l’usage immédiat et public de l’histoire, on consultera C. Coquery-Vidrovitch ‘‘Le passé colonial entre histoire et mémoire’’, Communication sur ‘‘Les usages publics de l’histoire. Polémiques, commémorations, enjeux de mémoire, transmission et enseignement’’, Toulon, 4 mars 2006, disponible sur le lien internet http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article1452, consulté le 10 septembre 2006. 38 l’objectivation de l’objet. La ‘‘posture réflexive’’96 est apparue à ce stade comme l’attitude qui nous permettrait le mieux d’éviter ces différents écueils. Elle devrait nous aider à effectuer d’abord un ‘‘re’’-tour sur nous même avant de saisir, dans une perspective durkheimienne, les objets de notre préoccupation ‘‘comme des choses’’. Cette attitude apportait donc la dose de circonspection nécessaire, de ‘‘vigilance épistémologique’’97 lors de l’utilisation de la méthode d’observation participante. En outre, l’observation participante rend aussi délicate la relation entre l’enquêteur et l’enquêté dans la mesure où le chercheur est à la fois observateur et acteur. A la fin d’un cours ou d’une réunion par exemple, alors que l’on éprouve le besoin de connaître les impressions de l’observateur-chercheur, il s’agit à la fois, pour ce dernier, de répondre à cette demande afin d’ébaucher un contact, de faciliter l’échange futur et, de conserver une position neutre par souci de distanciation avec l’objet d’étude.98 Pour la période très contemporaine de notre sujet, la subjectivité et le manque de distanciation par rapport aux événements sont difficiles à contourner. L’effervescence politique, la géopolitique internationale99 permettent certes de capter sur le vif les prises de position, d’interroger les acteurs sur l’actualité des événements. Néanmoins, elle ne permet pas de distinguer l’ambivalence du discours et de lui restituer sa véritable dimension. L’écueil à éviter est d’accorder trop d’importance au discours foisonnant et virulent en fonction de l’immédiateté des faits et ainsi d’être ébloui par son aspect structuré et logique.100 Il faut effectivement mettre en contexte ces discours, s’interroger sur le type de public auquel ils sont adressés101 et les décoder tant sur le plan de l’action (activités socio-caritatives et pédagogiques) que sur le plan de la durée. Ceci est néanmoins difficile à cerner puisque 96 Voir, entre autres, P. Bourdieu et L.J.D. Wacquant, Réponse, Paris, Seuil, 1992 et L. Pinto, ‘‘Expérience vécue et exigence scientifique d’objectivité’’, in Initiation à la pratique sociologique, Paris, Bordas, 1990. 97 Voir P. Bourdieu et Ch. Passeron, Le métier de sociologie, Paris, Mouton, 1983. 98 Sur la complexité d’une relation d’enquête, se référer à C. Lacoste-Dujardin, ‘‘Les relations d’enquête. Textes mis en discussion’’, Hérodote, l’enquête et le terrain, nº8, 4e trimestre 1977, p. 35 ; voir aussi A. Ludtke (éd.) L’histoire au quotidien, Paris, Maison des Sciences de l’Homme, 1994. 99 Nous pensons aux crises israélo-palestiniennes, aux guerres en Afghanistan, en Irak et aux attentats du 11 septembre 2001. 100 Voir A. Ali Mazrui, ‘‘La subjectivité et l’étude de l’histoire contemporaine : problèmes politiques, psychologiques et méthodologiques’’, Méthodologie de l’histoire de l’Afrique contemporaine, Histoire générale de l’Afrique, Etudes et documents, nº8, 1984, p. 39. 101 Il s’agit de différencier le contenu des prônes de celui des conférences, des débats, des discours retranscrits dans la presse, etc. Il s’agit également de montrer dans quelle mesure le discours est différent selon qu’il est adressé aux hommes politiques, à des musulmans ‘‘fervents’’ dans un contexte de religiosité (telle la prière à la mosquée le vendredi, ou en période de ramadan, etc.) où on a un public hétérogène (lors de débats, de conférences, etc.). 39 l’épilogue est ignoré par l’ ‘‘immédiatiste’’ ; ainsi, notre travail consiste à donner les lignes de force et de rupture afin de proposer certaines hypothèses tout en restant conscient des principes suivants : Tout ‘‘immédiatiste’’ est contraint à un lourd devoir de réserve par rapport à ses informateurs et à ses sujets, et (…) s’il faut évaluer ce par quoi une société bouge, un changement collectif s’opère, on constatera que l’‘‘événement’’ n’est souvent créateur que d’émotions passagères. Le mouvement qu’il importe de décrire se situe bien souvent hors de la grande foire aux bruits (…).102 Il est en fait nécessaire de ‘‘restituer’’ au discours ‘‘sa véritable dimension’’103. La connaissance objective que nous avons tentée d’élaborer nous a conduit à repérer des divergences d’intérêts, des antagonismes et donc, à nous diriger vers un type de recherche qui n’autorise pas l’approximation ni l’imprudence.104 Toute la difficulté résulte du commentaire à donner aux silences ou non-dits (concernant les financements extérieurs par exemple) de certains interlocuteurs qui sont l’expression de comportements ou d’opinions. Ils doivent être analysés comme tels sans tenter d’aller au-delà de ce que les données permettent d’affirmer ; dans le cas contraire, ce serait tomber dans le piège de la généralisation voire même de l’erreur d’appréciation. Au total, nous avons eu recours à ces différentes approches. Mais à l’épreuve du terrain, nous les avons adaptées à notre objet. Ainsi, la littérature imprimée, quelques documents d’archives, la presse et les sources orales sont les principales sources que nous avons exploitées. Soumise chacune à une critique rigoureuse, confrontées les unes aux autres et utilisées de façon croisée et complémentaire, ces différentes sources nous ont permis de réaliser notre travail. Mais cela ne s’est pas fait sans difficultés. Ayant choisi de faire un exposé détaillé de notre démarche méthodologique, ne risquons-nous pas de décevoir nos lecteurs en raison de la modestie de notre développement et de nos conclusions ? En guise de réponse, nous laissons la parole à J. Poirier : L’organisation du matériau recueilli, sa systématisation et sa condensation sont des nécessités rarement contestées ; mais peu d’auteurs indiquent leur manière de procéder. Il serait d’ailleurs 102 J. Lacouture, ‘‘L’histoire immédiate’’, in J. Le Goff (s.d.), La nouvelle histoire, p. 241 et p. 245. C. Coulon, ‘‘Les problèmes de l’historiographie contemporaine de l’Afrique : biais et perspectives’’, Méthodologie de l’histoire de l’Afrique contemporaine, p. 93. 104 Voir C. Lacoste-Dujardin, ‘‘Les relations d’enquête. Textes mis en discussion’’, pp. 34-35. 103 40 intéressant d’analyser les raisons de ces lacunes : désir de conserver pour soi ses propres méthodes ? Gêne des spécialistes de sciences humaines utilisant des procédés empiriques en une époque où sévit l’impérialisme de la recherche quantitative dite objective ? Lassitude pour revenir sur la méthode et ses tâtonnements lorsque le travail de recherche est terminé ? Sans doute tout cela à la fois. Nous avons voulu ici, dans un but pédagogique, rompre ce silence qui plonge le jeune chercheur dans un grand embarras.105 G-Les différentes articulations du travail Etudiant un problème complexe comme la vie religieuse pendant une longue période (1912-2006), nous avons opté pour le plan ‘‘mixte’’. C'est-à-dire un plan intégrant les aspects chronologique et thématique. Deux inconvénients étaient alors à éviter : négliger l’évolution historique et introduire les répétitions inutiles. La seule solution, forcément artificielle, était un compromis entre les deux méthodes, ce qui ne manquait pas de poser des problèmes dans le détail, dans la façon de ‘‘doser’’ les deux éléments ; chaque thème demandant sans doute une solution différente. Ainsi, au fil de notre recherche, se sont dégagés trois grands axes structurants, avec évidement un éclairage, une mise en place plus globale (introduction générale) et un épilogue, une sorte de conclusion qui fait le bilan de nos recherches en revenant sur la problématique centrale de cette recherche, les différents thèmes majeurs qui ont émergé au terme de l’étude et met en perspective des enjeux d’hier à aujourd’hui. Nous nous bornons ici à souligner les grands traits et les principales idées forces que nous avançons sans aborder les détails des questions qui feront sans doute l’objet d’approfondissement tout le long de la thèse. Aussi, ce travail est subdivisé en trois parties. Les deux premières parties comprennent deux chapitres chacune et la troisième en comporte trois ; soit un total de sept chapitres. La première partie fait prendre connaissance des origines, de l’arrivée des communautés musulmanes dans le bassin de Douala et de leur composante socio-ethnique (premier chapitre) ; des rapports avec l’administration coloniale et la gestion de leur altérité d’étranger (national ou non national), de colonisé et de musulman par l’administration coloniale et les réactions subséquentes (deuxième chapitre). En bref, ce chapitre se penche globalement sur ce qu’il est convenu d’appeler ‘‘la politique musulmane de la France’’ à Douala. A l’administration coloniale française, succède l’administration post-coloniale. La deuxième partie appréhende ce contexte nouveau ; elle étudie l’évolution interne de la 105 J. Poirier et al. , Les récits de Vie, p. 100. 41 communauté musulmane de Douala entre 1960 et la fin des années 1980. La participation de la communauté musulmane à la politique locale entre 1966 et 1980 lorsque le microcosme politique doualais a à sa tête un musulman ; la première tentative de structuration moderne de la transmission du savoir ; les facteurs qui sont à l’origine de nouvelles migrations et les modes d’insertion en relation avec la pratique du hajj font l’objet du troisième chapitre. Le quatrième chapitre aborde les nouveaux enjeux en perspectives et la diversité locale de la présence des communautés musulmanes avant la libéralisation des années 1990 : l’émergence d’une nouvelle tendance islamique, la multiplication des lieux de culte et des structures traditionnelles d’autorité (chefferies) et la décrédibilisation du système éducatif islamique. La troisième partie de cette thèse est consacrée à l’analyse de ce que nous avons appelé ‘‘l’islam en chantier’’, c’est à dire au nouveau paysage islamique, qui se dessine à Douala au tournant des années 1990 ou les effets induits de l’ouverture démocratique et de la mondialisation sur les communautés musulmanes de Douala : luttes d’intérêt, évolution de l’espace sociopolitique des musulmans. A tous les niveaux en effet, on observe une prise de conscience de plus en plus poussée de l’état de retard de la communauté. Ainsi, le cinquième chapitre développe les catalyseurs de l’éveil islamique à Douala. Des efforts sont déployés pour doter la communauté d’un minimum d’infrastructures sociales notamment les centres culturels, les associations et les nouvelles offres d’éducation franco-arabe ; efforts auxquels participent les élites intellectuelles et économiques. Le sixième chapitre est consacré aux effets induits de cet éveil au sein de la communauté musulmane de Douala : l’éclatement de la communauté avec l’émergence de nouvelles tendances islamiques, les tensions religieuses, les replis identitaires et la marchandisation du religieux ; ce qui entraine la reconfiguration des communautés musulmanes de Douala. La participation et la prise en compte de la communauté dans la gestion publique locale et les différentes passerelles que cette communauté développe pour se mettre en contact avec les autres communautés musulmanes tant sur les plans national qu’international font l’objet du septième chapitre. Telle est l’économie de ce travail. Bien entendu, ces aspects sont de densité inégale et inégalement abordés à cause du volume et de la nature des sources disponibles. Bien plus, ces différents centres d’intérêt s’interpénètrent les uns avec les autres et ce n’est que pour les besoins d’analyse qu’on a pu les séparer. 42 PREMIERE PARTIE STRATEGIES, RESEAUX DES MIGRATIONS MUSULMANES ET GESTION DES PREMIERES COMMUNAUTES MUSULMANES DE DOUALA PAR LES AUTORITES COLONIALES Cette première partie s’intéresse aux origines, à l’arrivée et à l’implantation des premières communautés musulmanes à Douala. Elle est constituée de deux chapitres. Le premier insiste sur les premières trajectoires de l’implantation de la religion islamique à Douala, via les activités commerciales des musulmans d’Afrique de l’Ouest en particulier. Leur avancée demeurait cependant modeste et ne concernait que des groupes restreints. Le second chapitre quant à lui présente le regard colonial sur la communauté musulmane de Douala et, particulièrement, sur les relations que cette dernière entretenait avec, d’une part, les autorités administratives coloniales locales et, d’autre part, les autochtones dualas. Autrement dit, il analyse les liens qui furent développés entre les autochtones dualas, les autorités coloniales et les représentants de la hiérarchie musulmane à Douala et ont contribué à renforcer l’influence de celle-ci. Ce fut surtout le cas durant le régime colonial français. Aussi, dès les années 1920, l’administration coloniale contraignait les musulmans de se regrouper en un seul emplacement. Ce regroupement donna naissance à un quartier où se regroupèrent les musulmans. Ce quartier qui vit le jour s’appelait significativement ‘‘quartier haoussa’’, en fait le quartier musulman. Y résidaient en majorité les musulmans non nationaux et nationaux regroupés selon le seul critère de l’appartenance ethno-religieuse. Dix ans plus tard, c’est-à-dire en 1933, ils furent organisés en chefferie. L’administration coloniale instaura alors des liens particuliers avec ces groupes de marchands musulmans à travers leur chef supérieur et le contrôle des réseaux islamiques internationaux. Pour ne pas tomber dans les redites et les sentiers battus, nous nous attachons, plus qu’à faire une relation événementielle de faits. Le rôle des musulmans à Douala sous administration française, les directives et réflexions administratives quant au droit de la communauté musulmane sont traités mais aussi la politique intérieure concernant les communautés musulmanes et la politique extérieure. Nous nous attardons par ailleurs, à établir l’analyse et la critique de ce regard en essayant de décrire les réponses (réactions) des communautés musulmanes doualaises face à la gestion de leur triple altérité d’étranger (immigré et allogène), de colonisé et de musulman par l’administration coloniale française. 43 PREMIER CHAPITRE ORIGINES, MIGRATIONS ET STRATEGIES D’IMPLANTATION DES MUSULMANS ET DE L’ISLAM A DOUALA Toute réflexion sur l’islam à Douala suppose la prise en compte des modalités historiques et des logiques de l’établissement des groupes musulmans. Quelles sont les portes d’entrées de l’islam à Douala ? Qui sont ceux qui introduisent l’islam à Douala ? Comment et pourquoi ont-ils migré vers la côte camerounaise ? Ces questions nous autorisent à faire quelques développements substantiels sur la problématique des origines et des voies d’implantation des musulmans et de diffusion de l’islam à Douala. Ces développements constituent une sorte de ‘‘décor’’ qu’il convient de planter, une étape prioritaire de notre recherche. Ils seront liés à l’analyse des réalités historiques et de la connaissance socioethnique des différentes communautés qui ont servi de base à la migration ; ce qui nous permettra de rechercher des révélateurs au-delà des apparences de l’actuel comme le soutient justement J. Ziegler lorsqu’il écrit : Tout système d’auto-interprétation, tout système culturel, toute idéologie, toute religion masque, cache, ment et révèle tout à la fois. Ce qui est le plus caché est le plus véridique. Ce qui est montré est à expliquer par ce qui ne se montre pas.1 Ce chapitre s’articule autour de la description et de l’explication des principales voies par lesquelles l’islam fait son entrée sur la côte camerounaise. La première section examine notamment la voie commerciale. La deuxième partie suggère la voie confrérique, laquelle reste liée à la première. A- L’islamisation par le commence Il est question ici d’étudier la voie commerciale, qui est la principale porte d’entrée de l’islam à Douala. Elle est la base, souvent marquante sans laquelle les autres voies n’auraient que peu de consistance. 1 J. Ziegler, Retournez les fusils ! Manuel de sociologie d’opposition, Paris, Seuil, 1981, pp 21-22. 44 L’historiographie classique du Cameroun met l’accent sur la circulation des marchands et/ou commerçants musulmans dans l’implantation de l’islam dans les centres urbains du Sud-Cameroun en général.2 On entend par marchands et/ou commerçants des personnes engagées dans les échanges à but lucratif entre le Nord-Cameroun et le SudCameroun pendant la période antécoloniale et coloniale. Ici, le cadre dans lequel s’effectuent ces échanges est le Nord, l’arrière pays et la côte camerounaise. Les agents religieux de cette expansion venaient aussi des régions éloignées comme les Etats soudano-sahéliens (Kano, Katsina, Zaria, Yola, Maidougouri) du bassin tchadien pour faire des affaires et étaient décidés à prendre pied là où dans le Cameroun, fleurissait le commerce : la côte. Nous pouvons ainsi avancer que jusqu’au milieu du XXe siècle, l’implantation de l’islam à Douala est presque toujours liée aux activités commerciales.3 C’est en leur qualité de marchands qu’ils apportèrent une contribution significative à l’implantation de l’islam dans cette région du Cameroun. Ces marchands musulmans peuvent donc être considérés à juste titre comme les premiers islamisateurs du centre urbain de Douala. Ils partaient de leurs régions pour atteindre, après des mois de voyage, les centres marchands du Cameroun méridional. En direction du Sud-Cameroun, les commerçants musulmans recevaient des graines, de l’huile de palme, des tubercules, du piment sauvage, de l’ivoire, des peaux séchées, de la teinture rouge, des esclaves et des produits d’artisanat qu’ils acheminaient vers la Moyenne Bénoué, les grands marchés haoussas du Nord-Nigeria tels que Yola, Kano, Katsina, Zaria et Maidougouri et au-delà du Lac Tchad, dans le monde méditerranéen grâce aux caravanes qui, de Tripoli gagnaient le Bornou et le Gobir. Les trajectoires d’articulation entre ces deux zones contrastées : la savane et la forêt étaient définies par ces produits mais surtout aussi par un produit hautement symbolique et de large 2 Dans les principales agglomérations urbaines de la partie méridionale du Cameroun, O. Moussa (‘‘La culture arabo-islamique, les Haoussa du Sud-Cameroun (le cas de Yaoundé) et l’intégration nationale’’, Thèse de Doctorat Nouveau Régime, Université La Sorbonne Nouvelle, Paris III, 1987) s’y est penché le premier, l’analysant à travers le cas des Haoussa de Yaoundé. Dix ans après, D. Abwa (‘‘Impérialisme européen et expansion de l’islam au Cameroun’’, in La culture arabo-islamique en Afrique au Sud du Sahara : cas de l’Afrique de l’Ouest, Zaghouan, Fondation Timimi pour la Recherche Scientifique et l’Information, 1997, pp. 35-59) et A. Njiasse Njoya ( ‘‘L’islam au Cameroun’’ in La culture arabo-islamique en Afrique au Sud du Sahara, pp. 259-273) sous des angles différents mettent respectivement en évidence les différents modes de diffusion de l’islam dans les régions du Mbam dans le Centre et de Kumbo dans le Nord-ouest. Dans le Mbam, l’installation des groupes musulmans a été approfondie par S. Mane, (‘‘Islam et société dans le Mbam (Centre Cameroun) : XIXe-XXe S.’’, Thèse de Doctorat/Ph.D. en Histoire, Université de Yaoundé I, 2005-2006). H. Adama quant à lui est le premier à proposer une vue d’ensemble sur la genèse et le développement de l’islam au Cameroun dans son ouvrage intitulé L’islam au Cameroun. Entre tradition et modernité, Paris, L’Harmattan, 2004, pp. 13- 47. 3 Voir E. De Rosny, ‘‘Douala : les religions au cœur de la recomposition d’une société’’, Cahier de l’UCAC, no 4, 1999, pp. 67-79. 45 consommation, le cola comme le montrent les travaux de P. Lovejoy4. Ils étaient les intermédiaires obligés de ce commerce, échangeaient ces produits contre du sel, du parfum, des perles, des vêtements, des chevaux, des armes, des étoffes, des balles de coton, des plaques de natrons et des produits de cueillette : karité et gomme arabique.5 Aussi, vers le milieu du XIXe siècle, une piste commerciale fréquentée reliait le Mbam au bassin tchadien en passant par les territoires peuls et haoussas de l’Adamawa6 et du Nord-Nigeria. Les négociants colporteurs arrivaient dans le Mbam et transitaient vers la côte, ce qui pouvait nécessiter la présence d’un agent et de quelques mercenaires aux principaux carrefours des ‘‘ routes commerciales’’. Banyo, Tibati et Ngaoundéré étaient alors au carrefour des grandes routes commerciales. A partir de ces centres d’affaires en effet, partaient des pistes qui se dirigeaient au Nord vers Garoua, Maroua et la plupart des villes qui avaient pris une grande importance depuis la conquête peule ; au Sud vers Foumban, Bafia, Yoko ; à l’Est vers l’Oubangui. Vers la côte, Bafia était une ville carrefour par laquelle transitaient les produits de traite en reliant la côte au reste du territoire. L’acheminement des produits de ce type de commerce à longue distance se faisait entre les différentes régions à dos d’animaux où à têtes d’homme.7 Avec l’arrivée des Allemands, le trafic devait s’accroître sur le fleuve Mbam et dans tout le pays bafia. Ces derniers orientèrent le commerce à longue distance des marchands musulmans vers la zone côtière. Cette rencontre des marchands musulmans apparemment anodine, marque un tournant décisif dans le commerce musulman : la route est percée et dès lors les marchands musulmans installés dans la région du Mbam s’orientent vers la côte, où se trouvent les firmes commerciales allemandes. C’est donc dire que le fleuve Mbam a, sur la longue durée, constitué un axe propice aux échanges entre l’hinterland et la côte. On assiste en effet à une réorientation du centre de gravité, avec un moment décisif, le tournant des années 1890 qui marquent l’arrivée des Allemands, le ralentissement des activités des métropoles économiques du bassin tchadien, au profit des comptoirs européens de la côte. Ce 4 P. Lovejoy a consacré une série d’études au cola produit dans la zone forestière et qui se retrouve dans la zone soudano-sahélienne dans toutes les cérémonies : mariage, baptême, mort et symbolise la convivialité et la culture de paix. Voir par exemple P. Lovejoy, Transformations in Slavery. A history in Africa, Cambridge, Cambridge University Press, 1983. 5 A. F. Dikoume, ‘‘Du portage comme point de départ de l’économie coloniale au Cameroun’’, Annales de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Séries Sciences Humaines, vol.1, n°2, Université de Yaoundé, Juillet 1985, pp.6-7. 6 Adamawa désigne l’entité géopolitique que constitua l’Emirat peul. Elle était centrée sur sa capitale Yola, au bord de la Bénoué et s’étendait de l’actuel Gongola state au Nigeria, et au Cameroun, les régions de l’Adamaoua, du Nord et une partie de la région de l’Extrême-Nord. Le terme Adamaoua quant à lui a une connotation géographique et désigne le Haut Plateau qui correspond grosso modo à la région du Cameroun qui en porte le nom, avec pour capitale Ngaoundéré (voir glossaire). 7 A. F. Dikoume, ‘‘Du portage comme point de départ de l’économie coloniale au Cameroun’’, p. 7. 46 basculement du commerce musulman de l’intérieur vers la côte est le phénomène le plus significatif de la présence musulmane à Douala. Dans leur ouvrage, Eyongetah Tambi et R. Brain décrivent cette réorientation en ces termes : The Germans learnt that there was a rich hinterland of trade being carried on in the north by Haussas. They sought to divert this trade from flowing north-wards and bring it south to the coast, so that they could benefit by it. In 1897 the first Haussa caravan arrived at the coast via Yaounde. In 1902, a haussa caravan with ivory arrived from Banyo to Buea after forty-two days travelling. It was in Yaounde that the Germans eventually tapped this rich trade and this led them into hostility with haussa.8 Cette première caravane d’environ 300 Haoussa en provenance de Banyo9 montre à l’évidence que les Allemands ont non seulement pleine conscience du rôle hautement stratégique des Haoussa mais aussi que ces marchands ont été en partie les instruments de la propagation de l’islam sur la côte camerounaise, car c’est en colportant continuellement des marchandises provenant à la fois du Soudan, des Etats Soudano-sahéliens et de la savane du Mbam qu’ils parvinrent à bien faire comprendre aux autres peuples leur croyance. Ces marchands cependant n’avaient pas pour intention première de propager l’islam ; ils s’étaient rendus sur la côte avant tout pour s’enrichir et pour acheter de la marchandise à bas prix. Ils ne se mirent en route dans le but délibéré de convertir. Ces musulmans avaient accumulé des siècles d’expérience dans le commerce et les voyages. Cette longue tradition d’échanges économiques très caractéristique des régions Soudano-sahéliennes diminuait au fur et à mesure que l’on avançait vers la côte camerounaise pour laisser libre cours à l’émergence d’une véritable économie de marché.10 C’est au cours de cette période de découverte mutuelle entre Soudano-sahéliens et Bantou que s’effectuèrent au début du XXe siècle les premières installations des familles musulmanes à Douala. Les agents religieux de cette expansion sont donc des marchands qui opèrent par le commerce porté par la parole. Il importe maintenant de savoir quelles sont les composantes socio-ethniques de ces commerçants qui s’implantent à Douala, contribuant à la diffusion de l’islam. Cette connaissance nous sera d’un apport considérable au cours des chapitres suivants. En effet, d’après J.L. Amselle, ‘‘la définition de l’ethnie devrait constituer l’interrogation épistémologique fondamentale de toute étude monographique’’11. Cependant, 8 Eyongetah Tambi and R. Brain, A history of the Cameroons, London, Longman, 1974, p. 40. Estimation de H. Rudin, Germans in the Cameroons, A case study in modern imperialism, New York, Greenwood Press, 1968, p. 232. 10 H. Adama, L’islam au Cameroun, p. 40. 11 J. L. Amselle, ‘‘Ethnies et espaces : pour une approche anthropologique’’, in J. L. Amselle et E. M’bokolo, Au cœur de l’ethnie. Ethnies, tribalisme et Etat en Afrique, Paris, La Découverte, 1985, p.11. 9 47 nous n’allons pas dans le cadre de cette thèse nous appesantir sur cet aspect qui, quoiqu’important, relève surtout d’une analyse sociologique ou ethnologique. Précisons toutefois qu’avec le géographe R. Breton, nous définissons la notion d’ethnie dans une acception très large. Elle renvoie à : un groupe d’individus liés par un complexe de caractères communs – anthropologiques, linguistiques, politico-historiques, etc. – dont l’association constitue un système propre, une structure essentiellement culturelle : une culture.12 A cet égard, ainsi que nous allons le voir tout le long du développement, les communautés musulmanes de Douala forment des ethnies. Pour les désigner, nous recourons donc à ce terme, ainsi qu’aux mots et expressions : peuple, communauté et groupement dont l’acceptation est voisine, sinon analogue.13 Le sens de ce concept ne saurait d’ailleurs être fixé à priori. Il varie en effet selon les situations. Ainsi, sommes-nous amené à prendre parfois en compte le facteur ‘‘nationalité’’ pour la compréhension et l’exploitation de certains faits islamiques à Douala car la présence à Douala de nombreux musulmans d’origine étrangère marque d’une empreinte particulière les rapports entre les membres de la communauté musulmane doualaise. Aussi, convient-il de préciser toujours dans le cadre de cette thèse, que nous entendons dans un sens synonymique les termes ‘‘immigré’’ et ‘‘étranger’’. Bien que désignant sur un plan strictement scientifique des réalités différentes ou mieux, des représentations issues des constructions différentes, ils sont, dans le langage courant, interchangeables. Dans la ville de Douala et de manière plus générale au Cameroun, seul le terme ‘‘étranger’’ est régulièrement usité. Ici, il renvoie aux ‘‘non-nationaux’’. Cela dit, les documents d’archives14 expliquent que l’ensemble des musulmans pour la plupart d’origine étrangère (Afrique Occidentale française, Nigeria, etc.), étaient appelés ‘‘Haoussa’’. La communauté était divisée en deux groupes : le groupe ouest-africain d’un côté et le groupe camerounais de l’autre. 12 R. Breton, Les ethnies, Paris, PUF, 1981, p. 8. Ibid., pp. 9-11. 14 ANY, 2 AC 8093, Douala administration. Rapport annuel, 1923 et ANY, 2AC 8088, Wouri administration. Rapport annuel, 1954. 13 48 A-1 Le groupe ouest-africain ou le groupe des non-nationaux Le groupe ouest-africain était constitué par des colporteurs haoussas et des ‘‘indigènes’’15 des colonies de l’Afrique Occidentale Française (AOF) : Maliens, Sénégalais, Nigériens, Togolais, Dahoméens, Guinéens, etc. Ainsi, il était difficile de définir avec précision les rapports de force et les lignes de fracture qui traversaient les communautés musulmanes de Douala. Dans ce cas, ce qui complique encore plus la situation est le fait que les ‘‘Haoussa’’ peuvent être Nigérians, Nigériens ou même Camerounais. En effet, les personnes originaires de l’Afrique de l’Ouest sont majoritairement des musulmans, d’ailleurs intimement mêlées à leurs coreligionnaires camerounais avec qui ils partagent souvent l’appartenance ethnique, certains grands groupes (Haoussa et Peul par exemples) se trouvant en Afrique de l’Ouest, au Cameroun et, depuis la colonisation, dans d’autres pays de l’Afrique centrale. L’histoire des Haoussa est intimement liée à celle de la pénétration et de la consolidation de l’islam à Douala. Peuple du sahel, de nombreux auteurs16 situent leur foyer entre le Bornou, le Niger et la Bénoué. Ils sont établis dans le Nord du Nigeria et dans le Sud du Niger. D’importantes communautés se trouvent aussi au Nord du Benin, du Ghana et du Cameroun. Quelques petites communautés sont éparpillées en Afrique de l’Ouest ainsi que dans les grandes villes côtières de l’Afrique centrale depuis l’époque coloniale. Ils parlent la langue haoussa qui appartient au groupe des langues tchadiques, un sous groupe de la famille des langues afro-asiatiques. Convertis très tôt à l’islam (XIe siècle), ils font partie, avec les Kanuri et les Kotoko (culturellement et historiquement proche d’eux), des groupes musulmans les plus puissants et les plus actifs sur le plan commercial au Sud Cameroun. Ce sont des marchands nomades, des marchands ambulants, ignorant les frontières étatiques. Endurants comme des chameaux, ils ne trouvaient aucune distance très longue.17 C’est dans cette perspective de commerce fait sur de longues distances que des communautés 15 ANY, 1AC2575, justice indigène. Organisation 1927 ‘‘décret du 31 juillet portant réorganisation de la justice indigène dans les territoires du Cameroun’’. L’’article premier dudit décret définit les indigènes comme ‘‘des individus originaires des territoires sous-mandat français du Togo et du Cameroun, des possessions de l’A.O.F et de l’A.E.F ne possédant pas la qualité de citoyen français et ceux qui sont originaires des pays limitrophes ne possédant pas dans leur pays d’origine le statut de nationaux européens’’. 16 Voir entre autres O. Meunier, Les routes de l’islam : anthropologie politique de l’islamisation en Afrique de l’Ouest en général et du pays hawsa en particulier, du VIIIème au XIXème siècle, Paris, 1997, G. Nicolas, Dynamique de l’islam au Sud du Sahara, Paris, Publications orientalistes de France, 1981 ; Dynamique sociale et appréhension du monde au sein de la société Haoussa, Paris, Institut d’Ethnologie, 1975 et I. Hrbek, ‘‘La diffusion de l’islam en Afrique au Sud du Sahara’’, in Histoire générale de l’Afrique, T. IIII, Unesco/ Nea, 1990. 17 A.P. Temgoua, ‘‘Commerçants allemands et marchands haoussa au Nord-Cameroun, 1902-1915’’, Humanitas, 3, 2004, p. 71. 49 haoussas se retrouvent disséminées loin de leurs zones originelles. Dans l’agglomération urbaine de Douala, les Haoussa ont réussi à s’installer, à pratiquer leur religion et à faire leur commerce. De toutes les ethnies islamisées, c’est celle qui a largement contribué à implanter et à faire connaître l’islam sur la côte camerounaise. Ici, l’ethnonyme haoussa signifie aussi musulman. En effet, l’islam est tellement lié à cette ethnie que tout musulman même étranger est appelé Haoussa. Cette idée est si bien ancrée dans l’esprit de la population que lorsqu’une personne s’islamise, elle est souvent considérée par les autres comme étant devenue Haoussa. De ce point de vue, on peut dire que les premiers musulmans connus à Douala étaient des Haoussa, avec cette précision que cet ethnonyme haoussa inclut également les Kanuri18 ou les Bornuan, ‘‘pionniers du commerce avec le Sud’’19. En effet, ces autres ethnies islamiques originaires du bassin tchadien ont des similarités culturelles qui permettent une intégration entre eux et les Haoussa. Ils se sont harmonieusement mélangés et se démarquent de moins en moins. Peuple extrêmement mobile, ‘‘météores errants’’20, les Haoussa prirent très tôt la relève des réseaux commerciaux entretenus entre les différents royaumes soudanais et le monde méditerranéen bien avant la colonisation. Ils se déplacèrent avec leurs marchandises et l’islam à travers la savane et la forêt jusqu’aux extrémités de la côte camerounaise. Cette thèse est recevable si l’on admet que les Haoussa et assimilés (Kanuri et Kotoko) se trouvaient aussi en contact étroit avec les agents des firmes européennes qui allaient et venaient dans le bassin tchadien pour vendre leurs marchandises à des acheteurs intéressés. Ils étaient ainsi, à partir de 1880, en contact avec les factoreries de la compagnie à charte la Royal Niger compagny et étaient par conséquent des intermédiaires obligés de cette firme commerciale.21 A cette époque, les flux de marchandises et les structures commerciales sont dominés par cette compagnie basée à Yola et qui contrôlait tout le négoce sur le Nigeria septentrional, le Tchad et le Nord-Cameroun. Au Nord-Cameroun, elle possédait des factoreries, des boutiques et des commerces tenus pour la plupart par des africains ou ‘‘clerks’’, par des Grecs ou par des Syro-libanais. Ces derniers servaient de rabatteurs à la Royal Niger Compagny pour les produits de traite et dépendaient d’elle pour leur 18 Les Kanuri sont issus du métissage entre les conquérants kanembou et les populations locales du bassin tchadien. Dans le mot Kanuri, on peut remarquer le préfixe Kan qui marque la descendance Kanembou. Les Français les dénomment Bornuan / Bornouan. 19 H. Adama, L’islam au Cameroun, p. 50. 20 G. Nicolas, Dynamique sociale et appréhension du monde au sein de la société haoussa, p. 25. 21 D. Abwa, ‘‘Impérialisme européen et expansion de l’islam au Cameroun’’, in La culture arabo-islamique en Afrique au Sud du Sahara : cas de l’Afrique de l’Ouest, 1997, p. 39. 50 approvisionnement en marchandises.22 C’est en ayant cet arrière plan présent à l’esprit que l’on peut émettre des hypothèses sur le rôle des Haoussa dans la diffusion de l’islam sur la côte camerounaise. A ce titre, ils semblent avoir été choisis par l’histoire pour porter à Douala la bannière de l’islam et cela en raison de leur rôle historique d’intermédiaire entre les peuples soudano-sahéliens et les Bantou de la côte camerounaise. Prenant en quelque sorte le relais des Peul principaux propagateurs de l’islam dans l’Adamawa, les Haoussa jouent dans ce processus un rôle primordial. En effet, comme nous l’avons précédemment démontré, l’arrivée des Allemands dans la région du Mbam devait favoriser le développement des voies de communication dans la région forestière. Ces voies devinrent des routes empruntées pour le commerce à courte et à longue distance par les commerçants haoussas. H. Dominik affirme par exemple que les commerçants haoussas des Etats musulmans du Nord-Nigeria et des lamidats du NordCameroun apportaient des chevaux, des ânes et tous les articles européens qu’ils achetaient dans les factoreries de la Royal Niger Compagny au bord de la Bénoué. Ils échangeaient ces articles de la zone forestière jusqu’à la côte camerounaise.23 La plupart des firmes allemandes installées sur la côte camerounaise jugeaient en effet assez coûteuse l’installation des succursales dans le Nord, en l’absence d’une voie ferrée. Pour cette raison, elles s’engagèrent à basculer le commerce continental haoussa pour l’intégrer dans un nouveau circuit d’échange. Les Haoussa allaient désormais pénétrer la zone forestière pour apporter à la côte les produits de l’hinterland, et y véhiculer, en retour, les pacotilles allemandes.24 Afin d’attirer à la côte les marchands haoussas, et garantir ainsi, au profit de l’Allemagne, le succès de la liaison économique entre le Nord et le Sud de la colonie, les autorités allemandes demandèrent aux maisons de commerce allemandes de baisser les prix de leurs marchandises qui, comparés à ceux de la Royal Niger Compagny sur la Bénoué, paraissaient plus élevés.25 Cet appel eut le succès escompté et en 1906, le chef de district de Douala annonçait la présence de 50 à 100 Haoussa à Douala, lesquels annoncèrent l’arrivée de plusieurs autres centaines d’Haoussa.26 Cependant, jusqu’à la fin de 22 Voir M. Roupsard, ‘‘Evolution des échanges entre le bassin tchadien (Tchad, Nord-Cameroun) et la côte du Golfe de Guinée pendant la période coloniale’’, in J. Boutrais (s.d.), Du politique à l’économie. Etudes historiques dans le bassin du Lac Tchad, Paris, ORSTOM, 1991, pp. 107-118. 23 H. Dominik, cité par A. Goungui, ‘‘L’islam en pays vouté (1900-1960)’’, Mémoire de DIPES II en histoire, Ecole Normale Supérieure (ENS), 1999-2000, p. 28. Voir aussi V. M. Curt, A travers le Cameroun du Sud au Nord, Leipzig, 1893, (traduction de Ph. Laburthe-Tolra), Paris, Serge Fleury, 1982, p. 135. 24 Voir A. P. Temgoua, ‘‘Commerçants allemands et marchands haoussa au Nord-Cameroun, 1902-1915’’, notamment la section II, pp. 69 -77. 25 Ibid., p.72. 26 Ibid. 51 la colonisation allemande, le trafic est faible. La nature des produits exportés vers la côte démontre le maintien prolongé d’une économie de traite. Il s’agit essentiellement de produits de cueillette, caoutchouc, gomme, ivoire et peaux séchées. Les marchands haoussas achetaient et conduisaient aussi vers le Sud les bœufs, pour y ravitailler la population européenne en viande fraîche27. A Douala, le ravitaillement fut tel qu’en 1909, une boucherie fut ouverte.28 Dans l’autre sens, arrivaient le sel, l’alcool, le riz et des produits manufacturés en argent et en fer dont la faible quantité s’explique par la rareté des espèces monétaires et par le petit nombre des Européens.29 Jusqu’à l’arrivée vers 1925 des premiers véhicules automobiles, la desserte de la région est assurée par portage grâce à ces marchands haoussas habitués au commerce à longue distance et se contentant de mauvaises routes, si l’on excepte bien sûr quelques transports à tête d’animaux : chevaux et ânes.30 Evidemment, les exportations et les importations étaient déterminées d’après les intérêts des maisons de commerce allemandes, de l’administration coloniale et du marché allemand. Elles ne faisaient pas suite à la demande des clients ou consommateurs africains, ni aux besoins globaux ou précis d’un développement des forces productives locales. L’Allemagne livrait aux indigènes un tas de produits inutiles, nocifs, destructifs, sans valeur : alcools, produits en argent, produits en fer, etc.31 Les importations allemandes en provenance de l’hinterland traduisaient quant à elles la préoccupation des Allemands de drainer vers la côte toutes les richesses exportables qui, jusqu’alors, ne profitaient qu’aux Britanniques qui contrôlaient les grands marchés haoussas du Nord-Nigeria et aux Français à qui revenaient les marchés du Baguirmi et du Ouadaï. Nous pouvons donc dire que ces musulmans étaient tous des marchands. En effet, la principale activité économique, la plus importante chez les musulmans en général était le commerce. Il s’agissait d’une association harmonieuse de l’islam et du commerce. I. Hrbek écrit : Religion née au sein de la société marchande de la Mecque et prêchée par un prophète qui avait été lui-même pendant longtemps un commerçant, l’islam présentait un ensemble de préceptes moraux et pratiques liées aux activités marchandes. Ce code moral aidait à sanctionner et à contrôler les rapports sociaux et offrait aux membres des différents groupes ethniques une idéologie unificatrice qui jouait en faveur de la sécurité et du crédit, deux 27 Dans le Sud forestier, l’humidité constante et la présence des glossines rend pratiquement impossible l’élevage du gros bétail. Il offre par conséquent un vaste débouché aux produits d’élevage des pays septentrionaux. 28 A. P. Temgoua, ‘‘Commerçants allemands et marchands haoussa au Nord-Cameroun, 1902-1915’’, p. 77. 29 M. Roupsard, ‘‘Evolution des échanges entre le bassin tchadien (Tchad, Nord-Cameroun) et la côte du Golfe de Guinée pendant la période coloniale’’, p. 107. 30 A. F. Dikoume, ‘‘Du portage comme point de départ de l’économie coloniale au Cameroun’’, p. 15. 31 A .P. Temgoua, ‘‘Commerçants allemands et marchands haoussa au Nord-Cameroun, 1902-1915’’, p. 74. 52 conditions essentielles à l’existence des relations marchandes entre partenaires éloignés les uns des autres.32 A ce niveau, une question s’impose : pourquoi caractériser d’emblée les musulmans de Douala par leur activité commerciale et leur origine ethnique alors que l’implication généralisée des populations côtières dans une économie d’échanges laisse supposer que la fonction commerciale se trouve largement repartie et dépend plutôt de l’initiative d’individus sachant réunir un capital de départ ? Il convient d’abord de rappeler ici que le commerce, en tant qu’activité spécialisée occupant les individus à temps complet n’est apparu au Cameroun qu’avec l’économie sur les marchés mitoyens situés aux frontières des groupes. Là, les produits vivriers en surplus, ainsi que les spécialités artisanales, étaient offert en troc. Les produits de traite circulaient également et parfois sur les longues distances, de la côte vers l’intérieur et vice-versa, mais toujours selon ce même schéma. Les agriculteurs mettaient à contribution leurs relations personnelles (oncles et neveux utérins résidant dans d’autres villages, ‘‘ amis de commerce’’, etc.) pour s’adonner de temps à autres à ces transactions, mais il n’y avait pas, à proprement parler, de commerçants traditionnels.33 Le pouvoir colonial, dans un premier temps, coupe court à toute ambition commerciale de la part des populations côtières qui jusqu’alors s’arrogeaient l’exclusivité des contacts directs avec les Européens. Plus encore, l’autorité des Duala sur les migrants n’est qu’une autorité déléguée, sous surveillance européenne. Des expéditions militaires forcèrent le passage vers les populations de l’intérieur, puis l’administration coloniale interdit carrément aux Duala toute commercialisation des produits européens. La colonisation s’imposait avec ses commerçants attitrés européens pour la plupart, gérants des factoreries des grandes sociétés commerciales ; Grecs et Libano-syriens, dans les régions méridionales ou les plantations de café et/ou de cacao, contribuaient à la diffusion de l’argent34 dans les milieux ruraux ; enfin, Haoussa déjà introduits au Cameroun jusque dans la région du Mbam à la suite de la conquête peule et qui n’hésitèrent pas à suivre les premières colonnes militaires récemment créées. Ces commerçants nés, Haoussa et assimilés, géraient les 32 I. Hrbek, ‘‘La diffusion de l’Islam en Afrique au Sud du Sahara’’, in Histoire générale de l’Afrique, T.III, Unesco / Nea, 1990, p.96. 33 Le livre de P. Geschière et P. Konings (s.d.), Itinéraires d’accumulation au Cameroun / Pathways to accumulation in Cameroon, Paris, Leyden, Afrika-Studiecentrum, Karthala, 1993 présente, entre autres, les données sur cette forme de commerce dans les régions du Nord, de l’Ouest, de l’Est et du Nord-Ouest. Dans le même sens, lire aussi J.- P. Warnier, L’esprit d’entreprise au Cameroun, Paris, Karthala, 1993. 34 L’introduction de la monnaie qu’il fallait à tout prix se procurer pour les multiples obligations vis-à-vis du colonisateur, constitua un autre coup fatal porté à l’économie traditionnelle. 53 situations acquises à cette époque. En effet, sur le plan matériel, ils bénéficiaient des faveurs particulières, obtenaient des facilités pour installer leur commerce et étaient favorisés dans les contacts avec les Européens.35 Et comme leur commerce était prospère, on s’adressait à eux comme fournisseurs. Ces commerçants se réunissaient sur une base ethno-religieuse, garante d’une solidarité et d’un recours contre les malhonnêtetés éventuelles et constituaient des groupes d’entraide pour l’hébergement, la communication d’informations, le soutien financier, etc. Des véritables chaînes de solidarité se nouaient entre les milieux d’origine et Douala. A terme, des réseaux commerciaux informels couvraient la région économique la plus active du Cameroun par le seul jeu de multiples solidarités et non par la volonté d’un centre qui implanterait des succursales et un réseau de correspondants. Cette forme de capitalisme, très souvent rejeté par les économistes dans le secteur dit ‘‘informel’’ sous prétexte que ses activités ne se manifestent pas toujours nécessairement dans le cadre d’entreprises de type moderne, reposait indéniablement sur une solidarité ethnique qui lui fournissait une partie de ses capitaux par les mutuelles d’épargne appelées couramment ‘‘tontines’’ ainsi qu’une partie de sa main d’œuvre grâce à l’apport appréciable des aides familiales. Ces variables : réseaux ethniques et méthodes de financement informelles à l’intérieur d’un réseau intra-ethnique, les poussaient à se lancer dans le commerce. Ils mettaient ainsi à contribution cette méthode traditionnelle de mobilisation de l’épargne : la tontine. En effet, la tontine apparaissait comme un moyen d’accès à des sources de financement pour ces marchands qui n’avaient ni grosses économies personnelles, ni garanties pouvant leur ouvrir l’accès au prêt bancaire lorsque les banques seront mises en place.36 Il en résultait, et cela est particulièrement visible dans les communautés musulmanes de Douala, l’émergence d’une bourgeoisie d’affaires à l’envergure nationale, capable d’entrer en relation avec des entreprises et des groupes financiers étrangers dont elle devient un partenaire non négligeable. Le commerce interne n’était plus ainsi que secondaire pour les musulmans, ceux qui faisaient les affaires pouvaient s’appuyer sur des réseaux financiers 35 Accusés de concurrence déloyale et de continuer à drainer les richesses du Nord de la colonie vers le Nigeria par des commerçants allemands installés au Nord, les Haoussa devaient recevoir le soutien de l’administration allemande et des milieux économiques du Sud qui trouvaient trop coûteux l’installation des succursales dans le Nord et qui étaient particulièrement satisfaits de voir s’établir, par le biais des marchands haoussa, une liaison économique entre le Nord et le Sud de la colonie. La chambre de commerce de Douala attira même l’attention de la firme Pagenstecher sur les dangers que couraient le gouvernement en compliquant davantage l’activité des marchands houssas. En effet, étant donné l’absence de routes, ces derniers jouaient le rôle moteur de l’expansion de la colonie. Ces vues furent soutenues par les firmes allemandes installées sur la côte. Cf. A. P. Temgoua, ‘‘Commerçants allemands et marchands haoussa au Nord-Cameroun, 1902-1915’’, p. 76. 36 G. A. Brenner et al., ‘‘Les entrepreneurs originaires du Nord à Douala et à Yaoundé’’, in Les facteurs de performance de l’entreprise, Paris, Ed. AUPELF-UREF, 1995, p. 157. 54 familiaux ou s’inscrire dans la logique de système capitaliste occidental. C’est de cette même façon que l’élément haoussa et assimilé, inséré au sein des groupes bantous aura joué un rôle sans précédent dans la présence de l’islam à Douala. Dans le sens inverse, ils étaient avec les Duala, au centre des transactions assurant la mise sur le marché intérieur des produits européens recherchés et la maîtrise du commerce intérieur jusqu’au Nord en passant comme nous avons déjà dit par les zones-carrefours de Bafia et le pays bamun ; ce qui fut la principale source de leur richesse. Voici, pour corroborer notre point de vue, le constat du Capitaine Cardaire : (…) les musulmans soudanais s’étaient emparés de solides positions commerciales, face au pays Bantou et aux populations de la côte du golfe de Guinée. Lorsque la guerre éclata en Europe, un immense besoin de matières premières se fit sentir, la bataille devait être alimentée en toutes choses. L’Afrique consentit un effort vigoureux et la traite de ces produits connut un élan nouveau. A partir des marchés déjà conquis, les musulmans noirs intensifièrent leurs transactions et conquirent de nouvelles positions. Plutôt que d’aller et venir entre savane et forêt, ils installèrent, dans le Sud, des colonies qui achetaient sans hâte et tenaient des charges de produits toujours prêtes à être emportées. Du temps et de l’argent étaient ainsi gagnés (…). On peut constater (…) que des va-et-vient se sont établis entre ces marchés ; sur les routes et les pistes, la circulation est intense. Des relations suivies sont entretenues, sur le plan commercial, entre les colonies musulmanes. Tel chef haoussa de Douala connait tous les chefs haoussa et foulbé du Nord-Cameroun et de l’Oubangui-Chari, et conserve des liaisons avec ses parents de Nigeria du Nord (…). Les colonies musulmanes s’enrichissent ainsi, le plus souvent au détriment des autochtones et à un rythme étonnant.37 Cette expérience des marchands haoussas venant de l’intérieur semble cependant avoir rencontré d’autres qui se trouvaient déjà sur place à Douala, avant la prise officielle du Cameroun par les Allemands en 1884. A titre d’illustration, E. Mohammadou retrace l’itinéraire d’un Haoussa originaire de Baoutchi du nom d’Iliassou qui fut recruté à Douala en qualité de soldat sur la désignation de ‘‘Baoutchiliassou’’ (Baoutchi-Iliassou) et que Dominik38 surnomme ‘‘Mahama’’, nom qui lui resta dans l’histoire locale sous l’appellation haoussa de Mamnan-na-Dumiki (le Mohamman de Dominik), car les Mohamman, Mahmman et Mamman étaient nombreux parmi les soldats haoussas de la troupe allemande.39 Il avait séjourné à Douala pendant longtemps. Une fois recruté à Douala par Dominik, ce Mamman, grâce à sa connaissance du métier des armes, des hommes et des 37 M. Cardaire, Contribution à l’étude de l’islam noir, Mémoire hors série des Etudes Camerounaises, Mémorandum II du Centre IFAN Cameroun, 1949, p. 90. 38 F.W. Hans Dominik est connu dans l’histoire du Kamerun comme le plus grand conquérant allemand du Cameroun, comme celui qui a écrasé toutes les résistances. 39 L’essentiel de ce paragraphe est emprunté à E. Mohammadou, ‘‘Les sources de l’exploration et de la conquête de l’Adamawa et du Bornou allemands (1893-1903) : Passarge, Dominik, Baouer’’, Paideuma, n°40, 1994, pp. 37 - 66 55 régions de l’intérieur, des grandes langues véhiculaires qui y étaient pratiquées, sans mentionner le pidgin anglais, allait devenir l’homme de confiance et le bras droit de l’officier allemand, dont il sauva à plusieurs reprises la vie. Intelligent et avisé, il fournit à Dominik des informations pertinentes relatives aux peuples de la région.40 Même si la difficulté de fixer un cadre chronologique précis pour cette période impose la plus grande prudence sur leur nombre41, la version fournie par El Hadj Housseini Adamou Labbo et El Hadj Tanko Amadou issus des deux principales chefferies haoussas de Douala semble confirmer ce récit. Ceux-ci affirment en effet que de la côte, les Allemands allaient se servir des Haoussa déjà installés, comme éclaireurs pour conquérir l’intérieur du Cameroun. Pour eux, certains centres coloniaux (postes administratifs, comptoirs, garnisons) ont été calqués sur les points de passage des commerçants haoussas qui avaient devancé les Européens dans le commerce de l’hinterland. Ils estiment aussi qu’avant l’arrivée des Allemands, la mode vestimentaire des Haoussa était connue à Douala et même dans la plupart des agglomérations humaines du Sud Cameroun.42 Cela dit, on pourrait tout d’abord arguer du fait qu’au début, les Haoussa étaient limités, non seulement en nombre mais également dans leur efficacité. Les choses commencèrent à changer lorsque le nombre des musulmans s’accrut à Douala. Cette tendance se renforça au lendemain de la Première Guerre mondiale. En effet, de nombreux ‘‘tirailleurs’’ venus de l’AOF et les ‘‘troupes haoussas’’ de l’Afrique de l’Ouest anglophone étaient musulmans.43 Ils avaient été incorporés et enrôlés dans les armées franco-anglaises qui expulsèrent les Allemands de Douala lors de la Première Guerre mondiale. En 1916, peu après le départ des Allemands consécutif à la Première Guerre mondiale, de nombreux tirailleurs des colonies voisines mais surtout de l’AOF ne tardèrent pas à s’installer à Douala plutôt que de regagner leur pays. La colonie musulmane était de plus en plus importante. De petits groupes de Sénégalais, Maliens Nigériens, Togolais, Guinéens et Dahoméens une fois démobilisés, s’étaient ainsi installés à Douala, pour avoir acquis certaines qualifications professionnelles civiles, comme le métier de maçon, de forgeron, de charpentier, de docker, 40 Ibid., p.51. A.P.Temgoua (‘‘Commerçants allemands et marchands haoussa au Nord-Cameroun, 1902-1915’’, p. 75.), affirme par exemple qu’avant l’annexion du Cameroun par les Allemands, aucune trace des Haoussa n’était signalée sur la côte. 42 Résumé de deux témoignages concordant émanant d’El Hadj Adamou Labo, Chef Haoussa de New-Bell (entretien du 10 juillet 2004 à la chefferie) et El Hadj Tanko Amadou chef Haussa de Bonaberi (entretien du 12 juillet 2004 à la chefferie, à côté de la mosquée de vendredi de Bonaberi). 43 P. Oleukpana Yinnon, ‘‘Plaidoyer pour les ‘‘tirailleurs dahoméens’’, Ethiopiques, 50-51, Revue trimestrielle de culture négro-africaine, Nouvelle série, 2e et 3e trimestres 1998, Vol. 5, no 3 - 4, pp. 7- 21. 41 56 etc.44 Dans son rapport annuel de 1954, le chef de ‘‘la région du Wouri’’45 décrivait la mise en place de ces étrangers auxquels il associait quelques cas d’‘‘allogènes’’ originaires du Cameroun : Les douala furent les premiers à faire venir des hommes à l’intérieur en qualité de serviteurs ou d’employés ‘‘spécialisés’’ dans certaines tâches. Avec l’arrivée des Allemands puis des Français, l’afflux ne cessa de s’amplifier. Jusqu’à la fin de la dernière guerre, les apports étrangers étaient de qualité : les Aofiens que nous amenâmes dès 1918 à Douala pour assurer le trafic ferroviaire46 ; les bouchers foulbés, les manœuvres et les commerçants bamiléké, les ouvriers de Yaoundé étaient indispensables au développement de la ville.47 Certains musulmans d’origine ouest-africaine participaient aussi à la domination coloniale en tant qu’agents administratifs recrutés par des Français en raison de leur connaissance du français ou en tant que force de l’ordre. Enfin, d’autres comme les Haoussa, s’étaient engagés dans le commerce régional (cola, bétail, sel) et revendaient les produits manufacturés ou des produits du cru pour le compte des maisons de commerce européens ou des Duala. Une des principales caractéristiques de cette première phase de la migration est qu’elle est essentiellement masculine du moins à ces débuts ; ce qui suppose peu de femmes, moins encore d’enfant et surtout un nombre relativement bas de ménages. Ce processus de migration musulmane se poursuivit ainsi durant des années avant de se consolider dans les années 1920 et 1930, années au cours desquelles d’autres communautés musulmanes étrangères devaient venir s’y greffer, notamment les pécheurs et commerçants yorubas. La zone peuplée par le peuple yoruba couvre la partie Sud-est du Nigeria et, en partie, le Sud-est du Benin. On les retrouve aussi au Ghana et au Togo. Tout comme les Haoussa, les Yoruba ont depuis plusieurs siècles marqués l’Afrique de l’Ouest et centrale par leur présence dans les principaux nœuds commerciaux à travers de longs déplacements.48 Au Nigeria, ils constituent le troisième groupe musulman le plus important après les Haoussa et les Peul. En effet, au sein de cette communauté, la religion islamique est la plus répandue, suivie par le christianisme et la religion traditionnelle. Dans cette communauté aussi, la religion est un facteur de différenciation socio-économique ; les chrétiens sont mieux nantis 44 ANY, 2AC 8093, Douala administration. Rapport annuel, 1923. Nouveau nom de l’ancienne circonscription de Douala à partir de 1935. Le contrôle du territoire par les Français passait plus globalement aussi par la réduction géographique de la zone d’influence des Duala, en rétrécissant la circonscription urbaine qui évolue alors du concept de Douala et sa région, soit une centaine de kilomètres de profondeur , à Douala et ses environs, soit une dizaines de kilomètres de profondeur seulement. La localité perdait ainsi son envergure de ‘‘circonscription’’ pour se rétrécir en simple ‘‘subdivision’’. 46 C’est nous qui mettons en exergue. 47 ANY, 2 AC 8088, Wouri administration. Rapport annuel, 1954, p. 12. 48 Pour d’amples développements, voir J. Ogunsola Igue, Les Yoruba en Afrique de l’Ouest francophone 19101980. Essai sur une diaspora, Paris, Presence africaine, 2003. 45 57 que les musulmans d’où la propension de ces derniers à toujours migrer.49 L’explication par l’héritage historique et par les facteurs exogènes que nous avons évoquée chez les Haoussa et assimilés est valable ici, mais reste insuffisante. On peut ajouter pour les Yoruba une hypothèse qui tient compte des problèmes auxquels chaque société devra faire face : la pression démographique vécue par certains groupes ethniques pousse à la multiplication des activités non agricoles dès lors que le contexte s’y prête.50 L’immigration yoruba à Douala qui se livrait principalement aux activités commerciales et au transport, illustre parfaitement ce genre de situation.51 Les Yoruba s’installent en effet à Douala dès le lendemain de la Première Guerre mondiale, notamment au milieu des années 1920. Et, contrairement à la migration haoussa essentiellement masculine, du moins dans sa première phase d’installation, les Yoruba développent, de leur côté, une migration familiale qui accroît très rapidement leur démographie. Entre 1931 et 1948, la majorité d’entre eux sont en contact avec la compagnie à charte la ‘‘R.W. KING’’ filiale d’Unilever qui avait pris le relais de la Royal Niger Compagny dès 1931. Cette compagnie importait et vendait des produits manufacturés et exportait les arachides. Ici, les Yoruba jouent le rôle que les Haoussa jouaient auprès de la Royal Niger Compagny. Se référant à cette expérience, M. Roupsard affirme : La traite des peaux et des arachides et la redistribution des produits de cette compagnie intéressent aussi les colporteurs d’origine nigérianes, notamment les Yoruba qui sont pour la plupart des sous-traitant de la ‘‘R. W. KING’’.52 Empruntant le volet équatorial de la route de kola et la voie maritime, les commerçants et pêcheurs yorubas de confession islamique et originaires de Lagos s’établirent autour de 49 Voir D. Laitin, ‘‘Hegemony and Religious : British Imperial Control and Political Clearages in yourubaland’’, in P.B. Evans, Rueschemeyer, Dietrish and Skorepol Theda, Bringing the state back in, New-York, Cambridge University Press, 1985, p. 286. 50 Lors d’un colloque organisé en 1971, Le Pr. Wande Abimbila avançait les chiffres suivants : 14 millions de Yoruba, dont 13 au Nigeria et 0,5 au Benin sur une population de 2 millions. Cf. ‘‘The Yoruba concept of Human personality’’, in G. Dieterlen (s.d.), La notion de personne en Afrique noire, Paris, CNRS, 1973, p.73. En 1993, selon d’autres sources, le nombre total de Yoruba se serait élevé à 20 millions, dont 18 au Nigeria. D’après les chiffres de 2008, sur une population totale estimée à 147 millions, les Yoruba du Nigeria représenteraient 21%. Le nombre de Yoruba pourrait donc aujourd’hui dépasser les 30 millions représentant ainsi la plus grande communauté d’Afrique. Cf. CIA, World Fact Book, 2008. Mais compte tenu de l’explosion démographique dans ce groupe ethnique et de l’existence d’une diaspora, le nombre de Yoruba est difficile à chiffrer avec précision. Cf. Toyin Falola et Matt D. Childs, The Yoruba Diaspora in the Atlantic world: methodology and research, Indiana University Press, 2004. 51 Voir B.- J. Nkene, ‘‘Les immigrés nigérians à Douala : problèmes et stratégies d’insertion sociale des étrangers en milieu urbain’’, Law and Politics in Africa, Asia and Latin America, (33)1, 2000, pp.112-132. 52 M. Roupsard, ‘‘Evolution des échanges entre le bassin tchadien (Tchad, Nord-Cameroun) et la côte du Golfe de Guinée pendant la période coloniale’’, p. 113. 58 l’actuel marché central de Douala, précédemment connu sous l’appellation ‘‘Marché Lagos’’, par référence à leur lieu d’origine et au quartier dit Makea.53 L’appellation ‘‘marché Lagos’’ pour désigner le centre commercial le plus populaire de Douala rentre ainsi dans un processus d’appropriation symbolique de l’espace. Elle marque de fait, une volonté explicite de marquage culturel de l’espace d’accueil, en termes d’imposition de leurs mœurs et coutumes. Sur cette base (Haoussa et Yoruba), la progression des effectifs musulmans à Douala se renforça au tournant des années 1930. Il y eut d’abord la venue de la main d’œuvre qualifiée ouest-africaine notamment des Sénégalais54 et des Maliens55. Ils étaient des maçons, des chefs de chantier, des charpentiers et des mécaniciens recrutés en vue des travaux de l’extension du port56, du chemin de fer, le développement des services publics et privés et de la construction de la ville. Ensuite, de 1948 à 1960, c’est la période de la grande ouverture, de nouvelles migrations en direction de Douala. Après la seconde guerre mondiale en effet, la conjoncture économique évolue rapidement dans l’ensemble colonial français. La création d’infrastructures nouvelles permet un essor assez rapide des échanges et une progression des structures commerciales.57 Même si la voie fluviale reste la plus utilisée, les autres infrastructures de transport bénéficient d’investissement et attirent une part croissante de flux de marchandises. Deux nouveaux axes routiers seront ainsi construits et vont améliorer les liaisons terrestres entre l’hinterland et la côte camerounaise malgré la longueur de leur parcours : route Yaoundé-Ngaoundéré par Bertoua, aménagée pendant la guerre ; route Douala-Ngaoundéré par Foumban, terminée en 1954.58 L’augmentation du flux migratoire des Haoussa et assimilés venus s’installer à Douala bénéficient désormais de ces nouveaux atouts. Ce flux s’étend sur les décennies 1940 et 1950 et s’accompagne d’un peuplement des quartiers musulmans. Il modifie par ailleurs complètement la composante socio-ethnique des quartiers des immigrants pour lui donner une coloration soudano-sahélienne, marquant de ce fait une rupture avec le processus de ‘‘lagosisation’’ initié auparavant par l’importante 53 H. Adama, L’islam au Cameroun, 2004, p. 41. Voir Cheikh Oumar Ba, ‘‘Les Sénégalaises en Afrique centrale : de la migration d’accompagnement à l’émergence des groupes de femmes autonomes’’, in C. Coquery-Vidrovitch et al., Etre étranger et migrant en Afrique au XXe siècle. Enjeux identitaires et modes d’insertion, Vol. II, Paris, L’Harmattan, 2003, pp. 279-291. 55 P. Cissé, ‘‘La migration malienne au Cameroun : le retour est-il possible?’’, Communication au XXVe Congrès International de la Population, Tours, 18-23 juillet 2005. 56 La construction du port de Douala avait commencé en 1881, par les autorités allemandes. 57 Les archives restent très discrètes sur les données concernant ce sujet. Mais d’après M. Roupsard, (‘‘Evolution des échanges entre le bassin tchadien (Tchad, Nord-Cameroun) et la côte du Golfe de Guinée pendant la période coloniale’’, p. 113), les échanges entre le bassin tchadien, le Mbam et la côte camerounaise se développent. 58 Ibid. 54 59 démographie yoruba.59 Comme le remarque Cardaire, ces nouvelles agglomérations avaient rapidement pris l’aspect de village soudanais, les constructions d’argile étaient typiques et toute l’ergologie n’ en était pas moins.60 L’autre changement accompagnant le flux des musulmans vers la côte camerounaise à cette période (1948-1960) est dans la diversification des structures commerciales. La ‘‘R.W.KING’’ perd sa situation privilégiée de monopole de fait sur la distribution des produits du bassin tchadien vers la côte pour lequel sa filiale l’United Africa Compagny (UAC) est concurrencée par une autre société britannique la John Holt Compagny, et par une société française la Compagnie de Transport et de Commerce (CTC). Il en est de même pour le commerce d’import-export avec l’arrivée, à partir de 1950, de nouvelles sociétés : la Société Commerciale de l’Ouest Africain (SCOA), la Compagnie Française de l’Afrique Occidentale (CFAO), la Société du Haut Ougoué (SHO), les Comptoirs Réunis du Cameroun (CRC) qui ouvrent des succursales surtout à Garoua, secondairement à Maroua et à Ngaoundéré. La situation de commerce de détail évolue aussi rapidement avec l’extension et la diversification des structures. Le nombre de marchands ‘‘soudanais’’ s’accroit fortement à Douala mais ils s’en installent aussi dans les centres secondaires de la côte camerounaise (Nkongsamba, Mbanga, Yabassi, Edéa, Manjo, Penja, etc.). Ces commerçants-colporteurs musulmans constituent désormais un groupe important et dynamique, prennent à leur compte des échanges par voie routière avec le Sud-Cameroun en général. Pendant la même période, ces marchands musulmans étendent leur activité dans le commerce de détail, mais aussi s’imposent dans la traite des produits locaux. Ils développent leurs relations par delà les frontières et commencent compter. à former une bourgeoisie musulmane avec laquelle il faut 61 Ces groupes de musulmans étaient domiciliés au pourtour des quartiers Congo, Makea et du marché central. Certains, rompus aux pratiques foncières occidentales en vigueur en Afrique de l’ouest, profitèrent du flou de la législation foncière et l’innocence en la matière des propriétaires coutumiers pour acquérir les terres à très peu de frais et s’établir ainsi à leur compte sur la place du marché. Les autres furent autorisés par les chefs de terre des villages respectifs à s’installer à proximité du marché. D’autres commerçants attirés par l’essor commercial de la ville, ne tardèrent pas à faire venir leurs ‘‘frères’’ pour les rejoindre .62 59 H. Adama, L’islam au Cameroun, p. 41. M. Cardaire, Contribution à l’étude de l’islam noir, p. 90. 61 M. Roupsard, ‘‘Evolution des échanges entre le bassin tchadien (Tchad, Nord-Cameroun) et la côte du Golfe de Guinée pendant la période coloniale’’, p. 116. 62 M. Cardaire, Contribution à l’étude de l’islam noir, p. 90. 60 60 Les Yoruba, les ‘‘Aofiens’’ et surtout les Haoussa et assimilés constituaient ainsi sur le plan externe une base islamique à Douala. Et, leurs activités de marchand ont dû préparer le terrain à une expansion future de leur foi, même s’ils ne s’adonnaient pas directement au prosélytisme. Ils y arrivaient par voie terrestre et par voie maritime. A ces deux principaux circuits d’accès qui s’offraient à ces derniers, correspondaient deux types de migrations. Une migration horizontale, constituée d’émigrés qui arrivaient à Douala par voie terrestre après un séjour dans les ‘‘stations’’ ou ‘‘villes relais’’ de l’arrière-pays et une migration verticale de loin la plus importante par le volume, qui s’effectue par voie maritime. Les migrants étaient ensuite récupérés par leurs frères ou des familles déjà installés sur la côte camerounaise.63 Il faut ajouter qu’en raison de leurs activités de marchand et de marabout, ils étaient amenés à se rendre dans de nombreuses autres régions de la côte car ils trouvaient dans le commerce une occupation utile. De plus, ils monnayaient leurs savoirs religieux et maraboutiques contre biens et services, ce qui leurs valaient l’intimité des populations locales et une influence dans les sociétés d’accueil. Cette base islamique s’étendit progressivement aux groupes nationaux. A-2 Le groupe des nationaux Au niveau national, les groupes de musulmans camerounais étaient formés de deux groupes : le groupe septentrional et le groupe méridional. Le groupe septentrional était constitué des Kanuri, des Kotoko des Arabes Choa, des Mandara, issus des régions les plus anciennement islamisées qui se situent à l’extrémité septentrionale du pays où l’on trouvait, à l’époque anté-coloniale, des marges d’empires musulmans tels que le Bornou. L’islam y reste la religion dominante sinon exclusive des Kotoko, Arabes Choa, Mandara, etc. D’autres, notamment les Haoussa et des Peul étaient descendus du reste du Nord-Cameroun –Maroua, Garoua et Ngaoundéré surtout, et plus généralement de l’aire d’expansion qui se calque sur la trame de l’archipel peul à la suite du djihâd d’Ousman Dan Fodio du début du XIXe siècle. Quant au groupe méridional, il était constitué d’abord des islamisés qui venaient des savanes du Mbam, ‘‘résultats des invasions foulbées du XIXe siècle’’: Bafia, Batouté ou Vouté et Tikar.64 En effet, la région du Mbam est celle qui avait connu le phénomène de la conversion à l’islam d’une grande ampleur depuis l’époque allemande. Cette conversion s’était faite sous l’influence des cavaliers musulmans venus du Nord, des marchands haoussas 63 I. Njoya Moubarak, ‘‘Etat des lieux de l’islam au Cameroun’’, Communication à la Réunion des Chefs Religieux des Pays et des Communautés Musulmanes en Afrique, Istanbul (Turquie), 1996. 64 ANY, 1AC 60, Région du Wouri. Rapport annuel, 1948. 61 et surtout de fortes personnalités de la classe dirigeante locale comme Machia Anong chez les Bafia et Mossi Gomtse chez les Vouté. Ces deux personnalités s’étaient converties à l’islam, donnant ainsi le coup d’envoi d’une conversion massive de leurs populations.65 L’arrivée et l’installation des Allemands à travers les exploitations agricoles et l’écoulement des produits manufacturés devaient renforcer l’ouverture du courant migratoire de la côte atlantique, permettant ainsi aux islamisés bafias, voutés et tikars de migrer vers Douala. Enfin, d’autres venaient du royaume bamun. Le royaume bamun, aujourd’hui département du Noun, est situé à l’intérieur des hauts plateaux de l’Ouest, à 300 km environ des côtes du Golfe de Guinée. Il est formé d’un triangle limité par la rivière Mbam et son affluent Noun. Ce département à une superficie de 7500 km2, et il était peuplé de 35 000 âmes environ en 198766. Fortement centralisé et marqué par une grande civilisation, la pénétration de l’islam en pays bamun remonte officiellement à 1906, date de la conversion du roi Njoya, pour des raisons stratégiques.67 Sous le règne de ce célèbre roi, (1892 - 1933), l’islam opéra une percée importante en pays bamun. En 1918, après le retour d’une délégation qu’il avait envoyée auprès de l’émir de Yola, Njoya prit le titre de Sultan pour se rapprocher des souverains musulmans. Depuis lors, le royaume bamun est un important pôle de diffusion de l’islam au Cameroun. Grâce à sa situation stratégique – prolongement méridional des Etats anciennement islamisés du Nord Cameroun, proximité avec les provinces de l’Ouest, du Nord-ouest et du Centre -, Foumban , capitale du pays bamun est vraisemblablement l’une des régions les plus islamisées, sinon la plus islamisée du Cameroun : les musulmans dépassent 75% de la population totale du royaume. Foumban, la capitale du royaume bamun constitue donc un centre religieux important. C’est de cette région qu’étaient parties entre 1931 et 1932, les premières communautés bamuns pour s’installer à Douala, à côté de leur coreligionnaire des autres régions du Cameroun et de l’étranger au quartier New-Bell.68 65 Entre 1938 et 1939, on estimait le nombre de convertis entre 20 et 30% dans les régions de Bafia et Vouté. Cf. ANY, APA 11689, Inspection des colonies, 1938-1939. Pour plus d’amples informations sur l’islam dans le Mbam, lire notamment S. Mane, ‘‘ Islam et société dans le Mbam (Centre-Cameroun) : XIXe - XX e S.’’, Thèse de Doctorat/Ph.D. en histoire, Université de Yaoundé I, 2005-2006 ; A. Goungui, ‘‘Islam en pays vouté (19001960)’’, 1999-2000 et N. Mvoutsi, ‘‘Histoire des Vouté du Cameroun Central’’, document ronéoté, Yoko, 1985. 66 Démo 87, Ministère de l’Equipement et du Plan, Yaoundé, 1987. 67 Il existe une abondante littérature sur le royaume bamun. Citons, entre autres : C. Tardits, Le royaume Bamoun. Paris, A. Colin, 1980 et A. Njiasse Njoya, ‘‘Naissance et évolution de l’islam en pays bamoun (Cameroun)’’, Thèse de Doctorat de 3e cycle en histoire, vol. I et II, Université de Paris I, 1981 ; A. Ndam Njoya, Njoya réformateur du royaume bamoun, Paris, Présence africaine, 1978. 68 El Hadj Nji Mefire Njoya Inoussa chef de la communauté bamun de Douala et El Hadj Moctar Aboubakar Oumar, grand marabout, premier imam de la mosquée bamun et dignitaire de la communauté bamun, entretiens des 4 et 5 août 2004, à la chefferie bamun (New-Bell/Bamun). 62 Au total, les migrations du Nord vers la côte, du Mbam vers la côte et du Noun vers la côte peuvent être considérées sur le plan interne comme des fronts d’islamisation faisant progressivement leur pénétration vers la côte atlantique. C’est de ces centres religieux que des groupes de musulmans sont venus s’installer à Douala pour des raisons économiques et ont propagé indirectement les traditions musulmanes sur la côte. Les premiers groupes nationaux représentants l’islam à Douala sont ainsi multiples et variés : les Peul, Kanuni, les Kotoko, les Arabes Choa, les Bafia, les Vouté, les Bamun, auxquels il faut ajouter les Haoussa du Nord-Cameroun. A ces derniers, il faut surtout ajouter les membres des communautés musulmanes étrangères ou non nationales, fortement dépendantes de leurs pays d’origine. C’est le cas des Nigérians (Yoruba et Haoussa), des Sénégalais, des Nigériens, des Maliens, des Tchadiens, des Dahoméens, des Togolais, etc. Cette hétérogénéité pourrait s’expliquer par l’histoire des migrations musulmanes vers Douala. La diversité se manifeste aussi au plan ethnique, social, culturel et linguistique. Ici, les musulmans ont suivi principalement la voie commerciale. Cette dernière a permis à l’islam de s’implanter à Douala. En plus de ce moyen qu’on peut qualifier de traditionnel, on pourrai aussi évoquer le rôle joué par la confrérie musulmane Tidjanniya. B- Une islamisation confrérique : la Tidjanniya Comme l’indique la littérature islamologique, les confréries prirent naissance en Orient, se répandirent petit à petit au Maghreb, puis dans la région sud-sahélienne à partir du XVe siècle où elles jouèrent un rôle de médiation entre les cultures locales et l’islam arabe. En réalité, les confréries ne sont pas à proprement parler des doctrines, mais des écoles de spiritualité. Le fidèle y cherche une voie (tariqa) pour parvenir à une connaissance de Dieu cachée au commun des mortels. Autour de ces confréries, gravitent un certain nombre de personnages charismatiques qui représentent des éléments d’intersection avec Dieu.69 Dans une religion sans clercs70, ils sont l’incarnation même de la religion. Ils portent le titre de 69 Pour les analyses générales sur l’islam soufi, voir entre autres : J.-L. Triaud et D. Robinson (éds.), La Tijaniyya. Une confrérie musulmane à la conquête de l’Afrique, Paris, Karthala, 2000 et M. GauderoyDemombynes, Les institutions musulmanes, Paris, Flammarion, 1946. 70 L’islam n’est pas, contrairement au christianisme, une religion organisée, dotée de structures autonomes. Il ne peut, en tant que communauté religieuse, agir de manière autonome et indépendante, ni parler au nom des croyants. La communauté des croyants se confond encore largement avec le peuple, là où autrefois régnaient les califes. Cf. Manière de voir, n° 64 spécial consacré à l’islam, juillet –août 2002, p.7. Bien plus, ‘‘Les imams du Cameroun n’ont pas un salaire et ne peuvent pas non plus être affectés par ce qu’ils ne sont sous aucune organisation structurée qui soit à mesure de parler de ses problèmes’’, affirme Cheikh Njoya Moubarak Ibrahim dans Mutations, no 1412 du 12 mai 2005, p.4. 63 Malam, Modibo (pluriel : Modibe), Cheikh ou Chérif (pluriel : Chorfa) ou encore Ouléma, chez les Maliens, les Sénégalais et les Camerounais formés au Maghreb et au Moyen Orient. Dans le langage populaire, on l’appelle marabout71. Ces titres confèrent une hiérarchie en matière de savoir islamique. Quelle que soit l’appellation, ces personnages apparaissent comme un phénomène relativement important des communautés musulmanes de Douala. Ce sont des croyants qui ont atteint un niveau élevé dans la maîtrise des sciences religieuses. Certains sont des espèces de personnages aux pouvoirs magiques, proches du sorcier traditionnel, c’est-à-dire à la fois guérisseur, faiseur de miracles ou jeteur de sort. Ils sont sollicités en toute circonstance pour donner le coup de pouce nécessaire au destin. Grands maîtres et personnages centraux, ils orientent la communauté, bénéficient d’une auréole toute particulière et jouent le rôle de directeur des consciences. Ils confèrent l’initiation aux fidèles et leur dévoilent progressivement le secret qu’ils sont autorisés à transmettre à ceux qui donnent satisfaction. En outre, ils détiennent la baraka, mot arabe qui exprime le pouvoir charismatique, la virtus ou encore ce flux magnétique qui se transmet notamment par la salive et l’imposition des mains aux meilleurs qui persévèrent. Ils répandent l’islam, revivifient la foi. Cheikhs, marabouts, Modibé, etc. effectuent des tournées de ziara (du verbe zâra, visiter), font la prédication et donnent des conférences ou animent des séminaires et des débats. C’est aussi dans cet ordre des choses que l’islam s’est implanté à Douala et a fait des adeptes. Leur qualité de cheikh, chérif, marabout, modibo, etc. doublée de El Hajj pour certains leur donne une auréole spéciale et font d’eux des pôles de l’islam. Leur grande influence leur permet de jouer un rôle de conseiller et de médiateur dans les questions religieuses et même communautaires. Nous nous attardons ici sur la principale confrérie qui s’est développée à Douala et y a joué un rôle dans l’implantation et la diffusion de l’islam notamment à l’ère coloniale72 : la Tidjanniya. 71 La sémantique du terme marabout est en rapport avec le mouvement almoravide du XIe siècle. Marabout dériverait d’al-murabitin : ceux du ribat ou couvent fortifié (voir glossaire). 72 Pour plus d’informations sur l’histoire de la Qadiriya et surtout de la Tidjaniya au Cameroun, voir, entre autres : T. M. Bah, ‘‘Cheikhs et marabouts magrébins prédicateurs dans l’Adamaoua, 19e-20e siècles’’, Ngaoundéré-Anthropos, no 1, pp. 7-28 ; G.L. Taguem Fah, ‘‘Les élites musulmanes et la politique au Cameroun, de la période française à nos jours’’, Thèse de Doctorat 3e cycle en histoire, Université de Yaoundé I, 1997, pp. 34-51 et A. Njiasse Njoya, ‘‘Naissance et évolution de l’islam en pays bamun (Cameroun)’’, Thèse de Doctorat 3e cycle, Université de Paris I, 1981. Pour ce qui concerne le Mahdisme plus spécifiquement, les travaux de référence sont de M. Z. Njeuma, ‘‘Adamawa and Mahdism : The career of Hayatu Ibn Sa’id in Adamawa, 1878-1979’’, Journal of African History, n°1, 1971, pp. 61-77 et ‘‘The foundation of radical islam in Ngaoundéré : 1835-1907’’, in J. Boutrais (s.d.), Peuples et cultures de l’Adamaoua (Cameroun), Paris, Orstom/Ngaoundéré-Anthropos, 1993, pp. 87101 ; complété par le travail de E. Mohammadou, ‘‘Le soulèvement madhiste de Goni Waday dans la hauteBénoué (Juillet 1907)’’, Africa, 4, Ethnological Studies, 31, Osaka, Japan, 1992, pp. 423- 464. 64 Elle est fondée en 1781 à Abù-Sanghùn près de Ayn Mâdî (en Algérie actuelle) par Ahmed Tijani né près de Laghouat en 1737, mort en 1815. Cette confrérie a connu sa plus grande expansion après la mort de son fondateur. Ce dernier voyageait beaucoup, mais s’était installé définitivement à Fez au Maroc en 1798 et y est resté jusqu’à sa mort.73 Le centre de son activité se trouve donc actuellement à Fez au Maroc. Ses successeurs orientent l’action de propagande vers le Sahara et le Soudan. La Tidjanniya se caractérise par la simplicité et la souplesse de ses obligations rituelles.74 Son mode de recrutement est plus ouvert. Tout disciple, par ses qualités personnelles, peut prétendre aux destins les plus grands sans aucune considération de son origine sociale.75 Ce sont ces ‘‘tendances démocratiques’’ qui allaient favoriser la diffusion de la Tidjanniya en Afrique noire et notamment en Afrique occidentale. Ses chefs et disciples ont été actifs au Soudan français76, à Kano ainsi que dans la politique Nord-nigériane. Elle fut introduite dans le Nord-Cameroun (Adamawa) par Mohaman Bello, Sultan de Sokoto (1817-1837) et petit fils d’Ousman Dan Fodio.77 Un centre tidjaniste fut fondé à Ngaoundéré en 1949 par Sidi Benamor El Tidjani, grand chef de la confrérie, de passage au Cameroun. Selon A. Njiasse Njoya, c’est surtout la branche de Fez qui se répandit au Cameroun après avoir emprunté l’Afrique de l’Ouest et l’empire peul de Sokoto fondé par Ousman Dan Fodio.78 Il faut souligner néanmoins qu’il existe une multitude de chaînes de transmission qui relient les membres de la base au fondateur de la confrérie à travers de muqadam intermédiaires. Propagée au Sud-Cameroun par les commerçants haoussas et peuls gagnés par l’idéologie de cette confrérie, l’introduction de la Tidjanniya sur la côte camerounaise s’est faite par le biais des Tidjanis peuls, haoussas et bamuns, qui ont travaillé à l’y installer. D’après H. Adama, l’un de ses principaux zélateurs était Aladji Malam Inua, marabout de renom domicilié au quartier Lagos. Cette confrérie s’affirme de loin comme la plus importante confrérie religieuse à Douala. Elle est solidement implantée à New-Bell et semble 73 Cf. Jillali El Adnami, Entre hagiographie et histoire. Les origines d’une confrérie maghrébine : la Tijàniyya (1781-1880), Paris, Bouchène, 2005 et J.-L Triaud et D. Robinson (éds), La Tijànyya : une confrérie musulmane à la conquête de l’Afrique, Paris, Karthala, 2000. 74 Voir J.-L Triaud et D. Robinson (éds), La Tijànyya : une confrérie musulmane à la conquête de l’Afrique, 2000. 75 Entretien avec A. Njiasse Njoya, islamologue, tidjaniste, Yaoundé, le 10 juillet 2003. 76 Ce fut à l’instigation des personnages d’une envergure exceptionnelle, tel El Hadj Oumar Tall qui lança le Jihad dans le Soudan occidental dès 1854. Cf. Ly Tall Madina, Un islam militant en Afrique de l’Ouest au 19e siècle , la Tijaniyya de Saiku Umar Futiyu , ACCT-IFAN, L’Harmattan, 1991 et C. Coulon, Renouveau islamique et dynamique politique au Sénégal, Bordeaux, 1983. 77 J.C. Froelich, ‘‘Le commandement et l’organisation sociale chez les Foulbé de l’Adamaoua’’, Etudes Camerounaise, n° 45- 46, 1954, p. 70. 78 Voir A. Njiasse Njoya, ‘‘Naissance et évolution de l’islam en pays bamun (Cameroun)’’, Thèse de Doctorat 3e cycle, Université de Paris I, 1981. 65 résolument opter dans le sens de privilégier l’inculturation des pratiques religieuses islamiques.79 Dans cette perspective, ou peut considérer que la confrérie religieuse Tidjanniya a occupé une certaine place dans l’implantation de l’islam et des musulmans à Douala, bien que son organisation interne soit beaucoup moins forte, moins puissante, moins active, moins populaire et ne se manifestait pas de la même façon que dans les autres villes commerciales africaines80. Ses relations avec la zawiya81 mère étaient assez lâches ou inexistantes. Toutefois, il semble certain que son importance était réelle parmi les premières généralisations de musulmans à Douala. De même, au sein de la communauté musulmane bamun de Douala, la Tidjanniya est la confrérie majoritaire. L’influence de la confrérie soufie de la Tdjanniya semble s’enraciner dans le Noun en 1949, lorsque que le Sultan-Roi Seidou Njimoluh fut élevé au rang de ‘‘ Kalifati Tidjani’’82 par le Chérif Benamor Tidjani, petit-fils de Ahmed Tijani lors de son passage à Foumban.83 Cette élévation devait faire accroître cette confrérie au sein de la population musulmane bamun. A Douala, la figure emblématique de cette confrérie au sein de la communauté bamun est El Hadj Moctar Aboubakar Oumar, doyen des imams de Douala, imam de la mosquée centrale de New-Bell et président de l’Union Islamique du Cameroun (UIC). Ce dernier participe régulièrement aux forums des adeptes de la tariqa Tidjanniya à Fès au Maroc. Ce forum est organisé tous les ans par le roi du Maroc. La communauté musulmane sénégalaise de Douala comptait aussi de nombreux adeptes de la Tidjanniya parmi ses membres. Cependant, cette communauté à l’origine était partagée entre deux obédiences tidjanes : la Tidjanniya niassène qui a son foyer et son lieu de pèlerinage à Kaolack et la Tidjanniya héritière d’El Hajj Malick Sy (m. 1922) et son pèlerinage de Tivaouane en plein pays wolof où son souvenir est encore vivant. Ces deux obédiences restaient cependant attachées à la zawiya de Fez et ce, malgré les concurrences et les divisions qui secouent les deux tendances. 79 Voir H. Adama, ‘‘Migration musulmane et enseignement arabo-islamique à Douala : 1963-1993’’, Annales de la FALSH de l’Université de Ngaoundéré, vol. II, 1997, pp. 45-47. Lire aussi Y. Isah, ‘‘Coverage of Islam in the English Language Edition of Cameroon Tribune in 1980 and 1990’’, Research Project, Advanced School of Mass Communication, 1991, p. 29. 80 Nous pensons aux villes comme Kano et Maidougouri au Nigeria, Dakar, Touba, Kaolack ou Tivaouane au Sénégal, Bamako au Mali, Abidjan ou Bouaké en Côte d’Ivoire, etc. 81 Voir glossaire. 82 Déformation du mot Calife, dignité jouissant d’un pouvoir de délégation dans la chaîne de transmission issue du fondateur. 83 Voir A. Njiasse Njoya et al, De Njoya à Njimoluh : cent ans d’histoire bamoun, Foumban, Editions du Palais, 1984, p, 89. 66 Outre la Tidjanniya, une minorité de Sénégalais de Douala appartenaient aussi à la Mouridiya, confrérie fondée par Amadou Bamba (1853-1927)84. Les adeptes Sénégalais de ces deux confréries (Tidjanniya et Mouridiya) entretiennent de multiples relations avec leurs coreligionnaires restés au pays. Ces relations reposent sur des réseaux familiaux, à l’appartenance à une même dahira85 ou la fidélité à un même marabout. Ce sont des relations économiques, de solidarité, de confiance et de sécurité propice à la vie en communauté. Dans une grande ville de migration comme Douala, les migrants sénégalais ne possèdent pas de quartier spécifique et la dahira sert de lieu de rencontre. Les dahiras correspondent donc à un mode d’implantation sénégalaise des membres de la confrérie à Douala. Elles permettent aux talibés ayant fait allégeance au même marabout ou tout simplement vivant ou travaillant dans des quartiers proches, non seulement de se regrouper pour les séances de prières mais aussi d’avoir une organisation qui permette de réunir de l’argent pour organiser des événements religieux : visite de Cheikh ou participation à l’élaboration d’infrastructures dans les villes saintes de Kaolack, Tivaouane et Touba.86 En somme, le principal appui de la Tidjanniya à Douala était la classe traditionnelle des commerçants, dont les habitudes sociales, les systèmes de groupement et d’entraide ainsi que les références culturelles étaient réglées, orientées et centrées sur le syncrétisme entre les traditions et l’islam. Toutefois, l’appartenance à cette confrérie était l’affaire d’une élite, des marabouts qui cherchaient à se positionner par rapport à la hiérarchie musulmane locale. Pour la majorité des musulmans, il s’agissait de faire ses prières et rites quotidiens. On doit donc modérer le rôle de cette confrérie dans l’enracinement de l’islam à Douala et nuancer son emprise sur la vie des musulmans de Douala à cette époque dans la mesure où la plupart vivait leur religion sans se sentir appartenir à telle ou telle tendance. En outre, les idées laïques avaient fait leurs chemins doublées de la multiplicité ethnique et socio-culturelle de Douala. 84 Il existe une copieuse bibliographie sur le Mouridisme. On peut notamment consulter le maître ouvrage de D.C. O’Brien, The Mourides of Senegal. The Political and Economic Organisation of an Islamic Brotherhood, Oxford, Clarendon Press, 1971, et du même auteur les nombreux articles en français qui l’ont accompagné. Bien que cet ouvrage et ces articles soient les études les plus à jours et les plus complètes sur la confrérie mouride, on peut aussi consulter d’autres, récemment publiés : J.-P. Mulago, ‘‘Les mourides d’Ahmadou Bamba. Un cas de réception de l’islam en terre négro-africaine’’, Théologie et Philosophie, Laval, vol. 61, no 2, 2005, pp. 291-303 ; F. R. Allen et M. R. Nester, ‘‘L’aura d’Amadou Bamba. Photographie et fabulation dans le Sénégal urbain’’, Anthropologie et Sociétés, vol. 22, no 1, 1998, pp.15- 40 et O. Ba, Ahmadou Bamba face aux autorités coloniales (1889-1927), Abbeville, France, 1982. 85 Voir glossaire. 86 Hassan Moustapha, chef de la ‘‘Dahira Touba’’ du marché central de Douala, entretien du 20 septembre 2006 à son atelier de couture au marché central de Douala. 67 L’introduction de l’islam dans l’espace géographique de Douala remonte au début du XXe siècle. Elle est en rapport avec la nature des relations commerciales entretenues entre les différentes communautés musulmanes de l’intérieur et la côte camerounaise et surtout les différentes vagues de migrants ouest-africains. Mais c’est surtout la rencontre AllemandHaoussa dans les stations relais des pays vouté et bafia dans la zone du Mbam qui marque le début de la destruction du réseau commercial traditionnel et impose un autre, dominé par l’extérieur. Les Haoussa perdent leur rôle d’initiateur du commerce Nord-Sud pour devenir des simples auxiliaires du commerce européen. C’est d’abord à travers cette principale ‘‘route commerciale’’ débouchant sur la côte camerounaise que l’islam commence à gagner les abords du Littoral camerounais (Victoria, Buea, Yabassi, Edéa) et de Douala en particulier. L’ouverture faite pendant la période allemande en direction de la côte se renforce et perdure pendant la présence française. C’est donc dire que le fleuve Mbam a, sur la longue durée, constitué un axe propice aux échanges entre l’hinterland et la côte. Les marchands musulmans rencontraient de nouvelles opportunités qui leur étaient offertes dans les centres de l’économie coloniale. Ils tiraient de leurs activités tous les avantages qu’elles pouvaient procurer. On peut ainsi distinguer deux grandes phases consécutives dans l’établissement des courants migratoires musulmans à Douala. La première s’étend du début du début du XXe siècle jusqu’à la veille des années 1920. Elle est dominée par des marchands haoussas et assimilés, originaires du bassin tchadien et des stations relais de l’hinterland camerounais. La seconde période, des années 1920 au début des années 1950 est marquée par la présence yoruba, des soldats ‘‘Aofiens’’ et des colonies anglaises, des musulmans nationaux et le renforcement de l’immigration haoussa. La première moitié du XXe siècle peut par conséquent être considérée comme la période qui voit l’arrivée et l’implantation des communautés musulmanes non nationales et nationales à Douala. Outre les activités commerciales qui ont permis à l’islam de s’implanter à Douala, nous avons également évoqué le rôle joué par la confrérie Tidjanniya. Celle-ci trouve ses origines avec l’arrivée et l’implantation des premiers groupes musulmans à Douala dans la première moitié du XXe siècle. Grâce à ses réseaux, des musulmans pouvaient migrer vers Douala, réconfortés de savoir qu’ils trouveront des ‘‘frères’’ et un abri au-delà de leurs pays ou de leur environnement immédiat. Cette confrérie a aussi bénéficié à Douala de deux conjonctures : la politique d’accommodation de ses dignitaires avec le système administratif colonial et l’action de Sidi Benamor, fils et héritier du Calife, en visite à Douala pendant la période coloniale. Les musulmans de l’intérieur du pays, gagnés à cette idéologie vont ainsi migrer vers Douala pour espérer rencontrer ce grand imam tidjanis de passage à Douala pendant la période coloniale. 68 DEUXIEME CHAPITRE CONTROLE DU TERRITOIRE ET GESTION DES COMMUNAUTES MUSULMANES DE DOUALA PAR L’ADMINISTRATION COLONIALE L’avènement de l’Etat bureaucratique a partout posé le problème de ses rapports avec d’autres entités sociales susceptibles d’être autant de lieux de pouvoirs concurrents. Parmi ces entités, les groupes religieux occupent une place particulière, eu égard, d’une part, à l’emprise idéologique, sociale et même économique qu’ils exercent sur les fidèles et, d’autre part, à la tendance générale à la sacralisation du pouvoir politique soucieux de suprématie.1 Empiriquement, ceci se traduit par la compétition endémique des appareils religieux en matière d’encadrement social. Même s’ils prétendent se situer sur des terrains différents, les appareils politiques et religieux visent à assurer un ordre social et/ou politique par le contrôle des masses. Parmi ces dernières, les musulmans constituent dans notre région d’investigation, une minorité certes, mais influente. Il importe de connaître les rapports que ceux-ci entretenaient avec le pouvoir2 local moderne qui s’institutionnalise avec la colonisation sous la forme d’un appareil à gouverner et le pouvoir traditionnel autochtone dont l’influence se trouve diluée. Il s’agit concrètement d’expliquer les différentes étapes de la politique musulmane de la France à Douala, de voir quels sont les rapports des autorités coloniales locales avec la communauté musulmane et l’impact de ces rapports. Ces rapports permettent de conclure que cette politique marque la logique des relations entre représentants de la communauté musulmane et autorités coloniales. Bref comment l’administration coloniale a-t-elle géré les modes de vie et l’action des groupes musulmans à Douala ? La réponse à cette question passe par l’étude du cantonnement des musulmans à New-Bell ; l’analyse de la gestion des réseaux islamiques et des premières tentatives de construction d’une identité musulmane à Douala. En arrière plan de notre développement, il y a le problème d’expropriation des terres dualas par les Allemands, 1 Lire, entre autres S. Mappa, Pouvoirs traditionnels et pouvoir d’Etat en Afrique : l’illusion universaliste, Paris Karthala, 1998 et G. Balandier, Anthropologie politique, Paris, PUF, 1969. 2 Le pouvoir ici est considéré non pas dans ses institutions, mais plutôt dans les méthodes administratives de gestion des affaires de la cité par les administrateurs locaux. Autrement dit, le pouvoir s’identifie ici à l’acte posé par l’administrant : deux notions entièrement liées donc, mais qu’il convient de dissocier en vue de leur meilleure compréhension. Dans le cadre de notre approche, seule l’administration doualaise retient notre attention. 69 celui de la gestion de l’identité/altérité musulmane et étrangère3 tant par les administrateurs coloniaux français que les Duala eux-mêmes. A- Du zoning colonial au cantonnement des musulmans à New-Bell : années 1920-1930 Dans les débuts de la présence européenne, Blancs, Noirs, employeurs et employés, maîtres et serviteurs partageaient les mêmes zones d’habitation, à proximité du plateau Joss. Dans les années 1910, l’administration coloniale allemande allait mettre un terme à cette cohabitation. Sous prétexte de salubrité publique, l’administration allemande procéda à l’expropriation et au déguerpissement de certains quartiers indigènes, pour les réserver aux Européens dans le cadre d’une logique ‘‘d’apartheid résidentiel’’4 qui se solda par une résistance duala farouche et une répression meurtrière en 1914. Les motifs invoqués ne laissaient donc pas de doute sur la volonté coloniale de transférer une réserve de travailleurs sur des sites peu favorables. Ces travailleurs restaient à portée de main, mais suffisamment repoussés pour ne pas entraver le développement de la ‘‘ville européenne’’5, la ville blanche. Cette politique prendra effectivement corps pendant l’administration française sous la forme d’une décision prise en 1920 et appliquée en 1923. Cette mesure stipulait en effet que: Toutes les cases indigènes ou paillotes habitées par les noirs ont été transférées hors du périmètre urbain...Ce périmètre, largement établi, permet une ségrégation sérieuse et efficace. La population européenne a été invitée à ne pas laisser se former de villages indigènes aux alentours de ses maisons d’habitations.6 3 On trouvera un bon déploiement de ces concepts dans l’excellente synthèse de Nsame Mbongo, ‘‘Identité et altérité en Afrique : étude de la contradiction autochtone-étranger, le cas de Douala’’ in C. Coquery-Vidrovitch et al., Etre étranger et migrant en Afrique au XXe siècle. Enjeux identitaires et mode d’insertion, Volume I, Paris, L’Harmattan, 2003, pp. 281-305. Dans cette contribution, l’auteur dresse une typologie de l’étranger dans les cités africaines et notamment à Douala : -L’étranger national de même nationalité officielle que les natifs de la ville de référence mais proviennent d’autres régions, quantitativement dominant; -L’étranger blanc ou extra-africain dont l’hégémonie culturelle officielle et la supériorité politique et économique en font en même temps un étranger dominant. Cette notion d’étranger dominant, bien que paradoxale, est bien caractéristique de la situation urbaine africaine où une histoire séculaire a privé l’élément national des ses prérogatives politiques au profit du colonisateur. -L’étranger africain : ce troisième grand type d’étranger des mégalopoles africaines provient d’un autre Etat africain et s’avère souvent vulnérable au point de servir de bouc émissaire à l’étranger national dans les conjonctures difficiles qui incitent à la xénophobie interafricaine et à sa mise à l’index. 4 Ibid., p. 287. 5 J. Poinsot et al. , Les villes d’Afrique noire entre 1650 et 1950. Politiques et opérations d’urbanisme et d’habitat, Documentation française/ Ministère de la Coopération et du Développement, 1989, p.77. Voir aussi les écrits de C. Coquery-Vidrovitch, notamment : Histoire des villes d’Afrique noire des origines à la colonisation, Paris, Albin Michel, 1993; ‘‘The process of urbanization in Africa from the origins to independance : an overview paper’’, African Studies Review, Vol. 33, no 4, 1991, pp.1- 99 et Processus d’urbanisation en Afrique, Tomes I et II, Paris, L’Harmattan, 1988. 6 ANY, 2AC 8093, Wouri, rapport annuel, 1923. 70 Cette mesure dite d’hygiène était ségrégationniste en ce sens qu’elle instituait de fait une ségrégation résidentielle fondée sur la race7. Toutes les populations non européennes étaient concernées par cette mesure. Cette volonté d’éloigner les indigènes sans débat ni compromis entre les autorités traditionnelles dualas et les colons inaugura la colonisation de nouveaux sites parmi lesquels New-Akwa, New-Deido et New-Bell situés aux extrémités de la ville. La ségrégation européenne se mettait en place avec ce plan et marquait ainsi la principale rupture dans l’histoire urbaine de Douala. Elle jetait les bases de l’urbanisation accélérée de Douala. A l’image de nombreuses villes de l’AOF et de l’AEF, Douala était désormais marqué par une séparation physique entre ville européenne et ville indigène, la ville noire.8 La ville de Douala était ainsi répartie en plusieurs zones : le plateau Joss, quartier européen, administratif et résidentiel ; Akwa, quartier du port, commercial et résidentiel ; Bali, de plus en plus résidentiel ; Deido, Akwa-Nord, Ngodi, quartiers principaux des autochtones et New-Bell le quartier des Africains étrangers.9 Chaque zone urbaine était ainsi conçue comme un espace social homogène. A-1 De la naissance d’un territoire musulman à New-Bell ou le cantonnement des musulmans à New-Bell Site marécageux et situé à la périphérie des quartiers autochtones, New-Bell fut attribué entre autres aux communautés musulmanes, ‘‘allogènes’’ et étrangères c’est - à- dire nationales et non nationales africaines. L’installation de ces communautés à New-Bell avait été autorisée dès les années 1920 car ici, ‘‘la place manquait si peu que le futur chef supérieur Paraiso10 dut en 1918 se frayer un chemin à la machette pour atteindre l’emplacement de sa case’’11. Ce cantonnement/rejet des musulmans à New-Bell marqua un tournant décisif dans l’implantation de l’islam dans la ville de Douala. C’est en effet à partir de cette période que naît le ‘‘quartier haoussa’’, véritable foyer de peuplement de musulmans. Par la suite, d’autres villages ou quartiers musulmans allaient naître et se développer, alimentés progressivement par 7 Ceci est un trait caractéristique de la politique ethnique et raciale française au Sud du Cameroun. Pour un ouvrage qui s’efforce de couvrir l’ensemble de l’histoire urbaine africaine subsaharienne, voir D. M. Aderson et R. Rathbone (eds.), Africa’s Urban Past, Oxford, James Currey, Portsmouth (NH), Heinemann, 2000. Lire aussi entre autres : L. Fouchard, De la ville coloniale à la cour africaine. Espaces, pouvoirs et sociétés à Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso (Haute-Volta) fin XIXe siècle-1960, Paris, L’Harmattan, 2001; R. Home, Of Planting and Planing. The making of british colonial cities, London, E and Fn Spon, 1997; C.D. Gondolo, Villes miroirs. Migrations et identités urbaines à Kinshasa et Brazzaville, 1930-1970, Paris, L’Harmattan, 1996, P. Gervais-Lambony, De Lomé à Harare. Le fait citadin, Paris, Karthala, 1994 et S. Hino, African Urban Studies, Tokyo, Institute for the study o Language and Cultures of Asia and Africa, 1992. 9 ANY, APA 10005/A, Rapport annuel de Douala, 1923, pp. 23-24. 10 Nous reviendrons amplement sur ce chef qui a joué un rôle important au sein de la communauté musulmane de Douala dans la section A-2 de ce chapitre. 11 ANY, 2AC 8088, Wouri, administration. Rapport annuel 1954, p.12. 8 71 les migrations successives en direction de cette ville. Pour créer ces groupements musulmans, l’autorité coloniale tenait compte de deux principaux facteurs : l’importance démographique des migrants et leur capacité d’intégration dans les structures existantes. Les raisons de la création de ces groupements allogènes ou étrangers variaient d’ailleurs au gré des convictions personnelles des administrateurs qui géraient cette situation ou en fonction des évènements locaux. En 1920, dans son rapport, le chef de la circonscription de Douala affirmait déjà avoir pris cette décision pour protéger les allogènes victimes des exactions de la part des autochtones dualas et pour soustraire les Africains non autochtones de l’influence des Duala et de leurs chefs. Il le dit en ces termes : Je me suis attaché à soustraire les nombreux étrangers qui habitaient Douala à l’influence Douala. Il y avait autrefois en vigueur une pratique qui donnait lieu à de nombreux abus. Les étrangers comptaient dans le quartier où ils s’établissaient. Des coins de case leur étaient loués à des taux onéreux et le chef exigeait d’eux le paiement de l’impôt. Il ne résultait de ce versement aucun contrôle supplémentaire. C’était un revenu supplémentaire pour le chef auquel s’ajoutaient de nombreuses amendes infligées en vertu des prétendus droits de justice sur les étrangers. Je suis arrivé à grouper tous les étrangers par villages suivant leur origine. Ils ont un chef de leur pays qui recueille l’impôt, tient leurs contrôles, les assiste auprès du chef de subdivision, assure la bonne tenue du village.12 Cette ségrégation résidentielle, car c’est là le terme qui convient le mieux, répondait également à un souci de contrôle administratif, d’organisation sanitaire de cette population et à une volonté de contrôler les réseaux commerciaux musulmans dans la ville. En fait, en regroupant l’ensemble des commerçants musulmans, l’objectif de l’administration coloniale visait à se constituer un outil stratégique efficace permettant de contrôler la population, de mieux lever les multiples taxes sur le commerce africain : patente, taxe, impôt de capitation plus élevé pour les commerçants. Plus généralement, le regroupement devait permettre d’opérer un contrôle social étroit sur cette population de voyageurs musulmans à caractère ‘‘fortement instable’’13 et qui ‘‘avait tendance à créer des établissements mobiles et dont beaucoup sont indigènes de l’AOF’’14. En 1923, le chef de la circonscription trouvait son explication dans la nécessité de combattre l’orgueil démesuré des Duala qui avaient profité de ‘‘l’ignorance des Allemands pour s’octroyer des privilèges au détriment de ces populations allogènes’’15. Cette décision voulait aussi conjuguer des logiques sécuritaires, hygiéniques et/ou sanitaires. Il fallait d’abord, 12 ANY, APA 11873, Circonscription de Douala. Rapport annuel, 1920. Ibid. 14 Ibid. 15 ANY, 2AC 8093, Wouri, rapport annuel, 1923. 13 72 instituer aux abords de la ‘‘ville blanche’’ un périmètre destiné à l’établissement des villages exclusivement affectés aux indigènes en rejetant toutes les cases ou paillotes habitées par les Noirs hors du périmètre urbain.16 Elle invitait d’autre part, pour des raisons de ségrégation, les populations européennes à ne pas laisser se former des villages indigènes et des concentrations de ‘‘prolétariat vagabond’’ aux alentours de ses maisons d’habitation en essayant de circonscrire la zone de migrants pour éviter qu’elle ne débordât pas la partie européenne de la ville.17 Par la suite, l’arrivée de nouveaux migrants africains allogènes et étrangers musulmans augmenta et leur autonomie vis-à-vis des autochtones ne fit que s’accroître.18 En effet, si les migrations pionnières évoquées dans le chapitre précédent avaient contribué à constituer à Douala une densité relativement importante de musulmans, entre 50 et 100 marchands musulmans en 190619, leur nombre devait rapidement grossir pendant l’entre deux guerres. Il y eut en effet une croissance à peu près continue : 3.400 en 1927; 3.900 en 1929 ; 4174 en 1930 et 4.454 musulmans en 1932, sur une population comprise entre 16 et 40.000 habitants.20 Cette forte proportion de commerçants musulmans traduite par la constitution de nouveaux villages ou quartiers musulmans fit passer ainsi les préoccupations hygiénistes/sanitaires au premier plan des autorités locales. Ces prescriptions furent très souvent une des bases fondamentales à la mise en place de zones d’habitats séparés dans les villes africaines.21 Voici une description de la catastrophe urbaine de New-Bell, le mythique quartier des étrangers et ses problèmes hygiéniques faite en 1930 par l’administrateur local : New- Bell le quartier des Africains étrangers est un quadrilatère irrégulier de 250 hectares croquant de tous les bords dans toutes ses limites trop étroites. New-Bell est une ville, dans une ville, et quelle ville. Un chevauchement désordonné de cases en ‘‘carabottes’’, 16 Ibid. ANY, APA 11/29-30, au sujet de l’expropriation des terrains des Douala, 22 avril 1920. 18 J. Derrick, ‘‘Elitisme colonial au Cameroun : le cas des Douala dans les années trente’’, in M.Z. Njeuma (s.d.), Histoire du Cameroun (XIXe s. – XXe s.), Paris, L’Harmattan, 1989, p.188. 19 A.P. Temgoua, ‘‘Commerçants allemands et marchands haoussa au Nord-Cameroun, 1902-1915’’, Humanitas, 3, p. 72. 20 Statistiques compulsées à partir du Rapport annuel de la circonscription de Douala, 1935, cité par R. Gouellain, Douala, ville et histoire, Paris, Institut d’ethnologie, 1975, p. 239. 21 Plusieurs historiens et géographes ont montré les corrélations entre les principes hygiénistes hérités du XIXe siècle et les mesures ségrégatives prises dès le tournant du XXe siècle dans de nombreuses villes côtières de l’Afrique occidentale. Voir par exemple dans une abondante bibliographie P. Curtin, ‘‘Medical Knowledge and Urban Planning in Tropical Africa’’, African Historical Review, vol. 90, 3, 1985, pp. 594-613 ; T.S. Gale, ‘‘ Segregation in British West Africa’’, CEA, 80, XX, 4, 1980, pp. 495-507 et plus récemment dans une perspective comparatiste entre régime colonial anglais et français : O. Goerg, Pouvoir colonial, municipalités et espaces urbain. Conakry-Freetown des années 1880 à 1914, 2 tomes, Paris, L’Harmattan, 1992. Voir aussi, entre autres C. D. Gondola, Villes et miroirs. Migrations et identités urbaines à Kinshassa et Brazzaville, 1930-1970, 1996 et J.D.Tower, Urbanization in Africa. A Hanbook, Westport, London, Greenwood Press, 1994 ou J. Soulillou (éd.), Rives coloniales. Architecture de Saint Louis à Douala, Marseille, Editions Parenthèses, ORSTOM, 1993. 17 73 en nattes, en tôles, en poto-poto, traversé par deux grands artères, percées dans tous les sens d’innombrables petites ruelles s’élargissant en placettes ou fondant en cloaques…Sous les pas du visiteur distrait, des puits traîtres et des WC malodorants. Déci de là (sic) un décor de masures sordides que le propriétaire préfère recevoir sur la tête plutôt que de réparer. Des échoppes minuscules où l’on vend les cigarettes à la pièce, des bars bruyants et des bouges inquiétants. Le tout surpeuplé d’une faune bigarrée parlant toutes les langues de l’Afrique ou presque. A 17h 30, une cohue invraisemblable de vélos, de femmes, d’enfants, et en fin de mois, d’ivrognes, la nuit d’innombrables petits lampions éclairent autant d’inventaires, des enseignes au néon, et de curieux commerces ; sand-sand boys, filles tire-laines et oisifs de toutes sortes aux métiers imprévus. Voilà New-Bell.22 Les Yoruba et les Haoussa furent les premiers occupants musulmans des espaces alloués aux étrangers africains dans le nouveau quartier New-Bell.23 Les autres immigrants musulmans qui venaient trouvaient sur place ces deux peuples qui s’y étaient installés les premiers, notamment aux quartiers New-Bell/Congo et New-Bell/Makea. Les musulmans de Douala étaient donc à l’origine regroupés à New-Bell, base la plus importante des musulmans et ‘‘ prototype des quartiers des étrangers’’24. Il constituait le plus important quartier musulman, situé à l’écart de la ville. Les autres communautés musulmanes (Sénégalais, Maliens, Tchadiens, Togolais, Dahoméens, Guinéens) qui venaient étaient donc accueillies par les Haoussa et les Yoruba qui avaient modelé l’espace selon leurs cultures. Mais elles restaient toujours étrangères dans le milieu de leurs hôtes pour raison de culture, peut-être ce qui encourageait la création de quartiers portant des noms des ‘‘tribus’’ étrangères qui y habitent. Autrement dit, ces communautés musulmanes, qui arrivaient dans le centre urbain de Douala, choisissaient de rester côte à côte, dans une même partie de la ville et préservaient ainsi leur identité culturelle exprimée par la langue. En 1931, la position de New-Bell, en tant que réceptacle des migrations croissantes d’étrangers qui s’installaient à Douala, se confirma. A l’époque, de nouveaux groupements avaient été créés à leur intention, qu’il s’agisse des étrangers venant des autres régions du Cameroun ou des autres territoires de l’Afrique. Leur morphologie résidentielle était ainsi en étroite congruence avec les appartenances ethniques et autres formes de replis identitaires. New-Bell apparaissait alors comme le lieu de regroupements sociaux et d’identification des ethnies musulmanes. Aussi, parlait-on de NewBell/haoussa, New-Bell/yoruba, New-Bell/bafia, New-Bell/sénégalais, New-Bell/foulbé, NewBell/bamun, etc. pour ne citer que ces communautés, qui représentaient en majorité l’islam à Douala. L’adhésion à l’islam, l’origine géographique de nombreux habitants des différents villages musulmans de New-Bell, le commerce régional et les métiers qui s’y rattachaient 22 ANY, APA 10 005/A, Circonscription de Douala. Rapport annuel, 1930, pp. 46- 47. G. Mainet, ‘‘New-Bell : population, emplois et moyens d’existence’’, Revue de Géographie du Cameroun, Université de Yaoundé, vol.1, no 1, 1980, pp.63-93. 24 G. Mainet, ‘‘New-Bell, Prototype des quartiers des étrangers’’, Université de Yaoundé I, ronéoté, 1979. 23 74 devinrent les principales caractéristiques de cet espace. Et de tous les ‘‘villages’’ créés à NewBell par l’administration coloniale, seuls ceux du quartier des étrangers Africains avaient cette relative unité professionnelle et confessionnelle dès 1933. Depuis lors, l’imaginaire populaire a retenu que les musulmans habitent à New-Bell. Ainsi, la pratique et la diffusion de l’islam à Douala furent pendant longtemps intimement liées à ce quartier communément appelé ‘‘quartier haoussa’’. Cette nouvelle organisation faisait suite à l’évolution démographique continue de la communauté musulmane. De 4.454 musulmans en 1932, ils auraient atteint 6000 personnes au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, notamment en 1947, sur une population totale d’environ 50.000 personnes.25 Précisons que ce chiffre ne tenait pas compte des populations musulmanes non évaluées de Bonabéri, sur la rive droite du fleuve Wouri et qui étaient comptés parmi ‘‘les étrangers de toutes races’’ (3642 personnes). Il ne tenait pas non plus compte de la population musulmane du quartier dit Basséké.26 Cependant, elles demeuraient de loin moins importantes que celles de New-Bell. Sur toute cette période, les musulmans représentaient entre 11% et 12% de la population urbaine. Le recensement de 1947 donnait les chiffres suivants pour ce qui était de la population musulmane de New-Bell : hommes 2234, femmes 1454, garçons 550, filles 526 ; ce qui faisait un total de 4764 âmes.27 New-Bell concentrait alors pratiquement toute la minorité musulmane de Douala. Ici, tous cohabitaient sur un même espace qui avait le marché pour centre. Leur profession (le commerce et ses dérivés), avait tendance à les regrouper. De plus, la situation du quartier à côté du nouveau marché28 fut un élément important. Les chiffres ci-dessus doivent cependant être considérés seulement comme des ordres de grandeur, ils sont loin d’être fiables. Les recensements de la population, réalisés par les différentes administrations locales, pouvaient faire l’objet de nombreuses critiques. Ces chiffres étaient parfois incohérents. Bien plus, les populations musulmanes n’étaient pas systématiquement recensées. Dans les séries statistiques que nous avons relevées aux ANY, cette incohérence ressort nettement. Entre 1947 et 1950, les statistiques étaient les mêmes pour 25 ANY, APA 10739, Wouri, rapport annuel, 1947. ANY, 2AC 224/C, Douala. Rapports annuels 1950- 1953, pp. 9-10. 27 Ibid. 28 L’ancien marché (en fait une halle commerciale) construit en 1920 se trouvait à l’endroit stratégique que représente le confluent de la Basseké avec le Wouri, à proximité de la gare, le long de la ‘‘Voie Decauville’’ qui reliait le port au plateau Joss (centre administratif et résidentiel) et tout près d’Akwa. Les pirogues venaient ravitailler la ville en vivre et en poisson frais sur place en pénétrant le cœur du marché. Afin de mieux prélever les taxes et impôts, instaurer les patentes et contrarier les points commerciaux (éviter la dispersion des commerçants dans la ville), l’administration coloniale française décida de son déguerpissement et de la concentration des boutiques en un seul endroit : le ‘‘marché Lagos’’ est créé vers les années 1925 sur un terrain cédé par la communauté yoruba et entouré de lots destinés uniquement au commerce. 26 75 les musulmans : 6000. De même, pendant la même période, les chiffres étaient répétitifs, toutes populations comprises. Ils apparaissaient comme une compilation de divers recensements précédents. Cependant, ce sont les seuls chiffres disponibles pour les périodes de mandat et de tutelle. Quoiqu’il en soit, la période de l’administration française est l’époque qui voit d’une façon générale, l’islam se consolider et faire une croissance quantitative à Douala. Cette croissance pouvait être attribuée à la facilité de circulation qui existait entre les populations de l’intérieur du territoire et même des pays voisins, notamment dans l’ensemble colonial français de l’Afrique centrale. En effet, en multipliant les infrastructures nécessaires au transport des matières premières vers Douala le grand port29, le colonisateur ouvrait aussi des voies à la pénétration de la religion musulmane. L’accroissement du réseau routier et la modernisation des moyens de transport semblent donc avoir apporté de nouvelles facilités dans ce domaine. En d’autres termes, avec l’irruption de cette modernité coloniale, le voyage à pied ou à dos d’animaux était progressivement remplacé par des voyages dans de gros véhicules qui effectuaient les trajets entre l’intérieur du pays et la côte. En confiant aussi des positions stratégiques et influentes30 à des musulmans dans la ville de Douala, l’administration coloniale participait sans le savoir et peut être sans s’en apercevoir au développement de l’islam. Bien plus, la mise en place et le renforcement des infrastructures portuaires et ferroviaires à Douala respectivement par les Allemands et les Français avaient renforcé la migration malienne et sénégalaise à Douala entre 1930 et 1940.31 Par ailleurs, l’aménagement des industries et de grandes plantations agricoles, bref la ‘‘mise en valeur’’ des terres dans sa périphérie (Penja, Manjo, Mbandjock, Nkongsamba), renforçaient aussi la motivation de plusieurs Soudano-sahéliens à migrer vers la côte. Si on y ajoute l’hostilité du climat sahélien (brûlant et sec) et le sol pauvre par nature, on comprend aussi la propension des populations soudano-sahéliennes à effectuer des déplacements en direction de Douala, première région économique de l’Afrique centrale, c'est-à-dire le lieu où ‘‘l’aventure 29 A. F. Dikoume, ‘‘Intégration et désintégration des transports en Afrique Centrale’’, Enjeux, Revue Internationale de Géopolitique, no 10, janvier-mars 2002, (version électronique, consultée le 8 mai 2003). 30 ‘‘Les immigrants venus des autres parties de l’Afrique occupaient d’éminentes positions dans la ville. A la différence des immigrants camerounais (dont la plupart furent d’abord des manœuvres, petits commerçants ou ‘‘sans travail’’), les Nigérians, Dahoméens, Sénégalais, Ghanéens, Guinéens, etc., étaient de grands commerçants ou artisans, ou alors occupaient de hautes fonctions dans l’administration. Bien que leur importance sociologique fût pratiquement égale à celle des élites douala proprement dites, ils n’étaient cependant pas nombreux’’. Cf. J. Derrick, ‘‘Elitisme colonial au Cameroun : le cas des Douala dans les années trente’’, pp.188-189. 31 Voir Cheikh Oumar Ba, ‘‘Les Sénégalaises en Afrique centrale : de la migration d’accompagnement à l’émergence des groupes de femmes autonomes’’, in C. Coquery-Vidrovitch et al., Etre étranger et migrant en Afrique au XXe siècle. Enjeux identitaires et modes d’insertion, Vol. II, Paris, L’Harmattan, 2003, pp. 279-291 et P. Cissé, ‘‘La migration malienne au Cameroun : le retour est-il possible?’’, Communication au XXVe Congrès International de la Population, Tours, 18-23 juillet 2005. 76 vaut la peine’’32, la ville où le capitalisme en tant que réalité économique était le plus développé. On peut enfin émettre une hypothèse, à savoir que l’installation des musulmans à Douala avait conduit à l’intermariage et à une certaine fusion culturelle qui eut lieu entre certains groupes de musulmans et les populations allogènes non musulmanes. Ce processus d’‘‘inculturation’’ pouvait exister à la suite de l’exode des tribus venues des autres localités du Cameroun et regroupées aussi à New-Bell, comme les musulmans. Bon nombre de ces tribus s’étaient installées dans les mêmes zones que les musulmans et des mariages pouvaient avoir lieu entre leurs membres. Si nul ne pouvait épouser leurs filles s’il n’adopte leur foi, les filles du terroir qui les épousaient voyaient leurs fils embrasser l’islam. En effet, l’argent dont ils disposaient et leur ‘‘comportement de musulmans orgueilleux conféraient aux musulmans nouvellement installés un prestige souverain’’33. Pour certaines personnes issues de communautés non musulmanes, devenir musulman c’était se donner un moyen d’être riche.34 Ici, le prosélytisme est parfaitement involontaire. Autrement dit, la conversion à la religion n’est pas recherchée par les nouveaux venus. Il n’y a pas d’orchestration qui conduise le mouvement ; c’est surtout l’appât du gain qui pousse à la conversion.35 Cette intégration des familles musulmanes et autres tribus permettait à l’islam de se renforcer et de se propager. En effet, en se ‘‘métissant’’ aux populations allogènes non musulmanes, un certain nombre de celles-ci se convertit à l’islam et vint grossir la communauté. Quelques-uns, parmi les autochtones dualas et bassas et des allogènes, se sont ainsi convertis à l’islam. Et, ce mélange des peuples et cultures avait aussi préparé le terrain à une pénétration graduelle de l’islam à Douala. Pour tous ces motifs (mariage, mouvements internes des populations musulmanes, conversions, mimétisme, etc.), l’islam avait fait, à Douala, un bond quantitatif en avant, assez irréversible. Le regroupement et la pression démographique musulmane à New-Bell avaient nécessité la mise en place d’une chefferie supérieure particulière, destinée au contrôle des musulmans. 32 J. M. Ela, La ville en Afrique, Paris, Karthala, 1983, p. 30. Pour des données sociales plus récentes sur cette ville, voir, entre autres, G. Séraphin, Vivre à Douala. L’imaginaire et l’action dans une ville africaine en crise, Paris, L’Harmattan, 2000 et P. Canel et al., Construire la ville africaine, Paris, Karthala, 1990, pp. 99 et suivantes. 33 M. Cardaire, Contribution à l’étude de l’islam noir, pp. 91. 34 Voir ‘‘L’islam en Afrique’’, Pirogue, no 56, mars 1985, p. 8. 35 M. Cardaire, Contribution à l’étude de l’islam noir, pp. 91-92. 77 A-2 De la création de la chefferie supérieure des étrangers au Cameroun Comme nous l’avons mentionné plus haut, le début de la légitimation de l’immigration musulmane dans la ville de Douala par les autorités publiques locales datait du début des années 1910 lorsque les Allemands commençaient à mettre en place leur politique de ségrégation physique. On ne pouvait cependant pas parler véritablement d’une politique musulmane allemande en tant que telle dans la ville de Douala bien que, par endroit, des familles musulmanes soient déjà installées. Toutefois, la présence allemande (1884-1916) marque un changement important, puisque l’hégémonie des Duala, pluriséculaire, va être submergée par les développements de l’impérialisme européen, dont les aspirations sont beaucoup plus totales et affectent alors en profondeur l’ensemble des formations sociales coloniales.36 L’arrivée des Français en 1916 nécessite la prise en main de plus en plus directe de l’autorité politique. Cette prise en main peut s’appréhender à partir du moment où est créée la chefferie supérieure en 1933, signe de la reconnaissance des communautés musulmanes. Au plan juridique, cette reconnaissance constituait le point de départ d’un processus d’inféodation multiforme au sein des instances politiques locales. Pour aller à l’essentiel, on retiendra que le contrôle politique et administratif des chefferies traditionnelles sous l’administration coloniale commence avec les décisions gouvernementales. En effet, l’arrêté du 4 février 1933, texte le plus illustratif de l’altération des chefferies traditionnelles fixait un statut hiérarchisé des chefs traditionnels. Son article premier les classait en trois catégories : les chefs supérieurs, les chefs de groupement et les chefs de village. Cet arrêté est complété par celui du 8 mars 1933 qui répartit les subdivisions administratives comme suit : les chefferies supérieures, les groupements ou cantons, les villages ou quartiers. A ces catégories correspondaient trois degrés de commandement traditionnel : le chef supérieur au premier degré, le chef de groupement ou de canton au deuxième degré et le chef de village au troisième degré.37 L’article 6 de l’arrêté du 10 mars 1933 fixant le statut des chefs indigènes soumettait la qualité de chef traditionnel à la nomination par l’administration. Ainsi, les chefs traditionnels, de par leur nomination, se trouvaient rattachés à l’administration coloniale devenant de ce fait des exécuteurs de sa 36 D. Abwa a très bien éclairé le problème de la rencontre de deux conceptions différentes (européenne et camerounaise) du pouvoir politique. Voir sa Thèse de Doctorat d’Etat en Histoire intitulée ‘‘ ‘‘Commandement européen’’- ‘‘ commandement indigène’’ au Cameroun sous administration française’’, Université de Yaoundé I, 1994, pp. 692-718. Voir aussi S. Mappa, Pouvoirs traditionnels et pouvoir d’Etat en Afrique et J. Lombard, Autorités traditionnelles et pouvoirs européens en Afrique Noire, PFNSP, 1967, p. 50. 37 Pour une meilleure compréhension de cet arsenal juridique, voir B. Momo, ‘‘ L’inaccessibilité des chefferies traditionnelles camerounaises à la rationalité juridique’’, Lex Lata, n°22 janvier 1996, pp.10 et suivantes. 78 volonté : soumis et dociles, ils conservent leurs titres ; faisant preuve d’insubordination, manifestant quelques velléités d’indépendance, ils étaient déposés et remplacés.38 Intégrés dans l’administration française, les chefs étaient considérés comme des auxiliaires des administrateurs, représentants du pouvoir central. En fait, le chef était : une personne privée dont l’administration consacrait et utilisait l’autorité en vue d’une gestion des services publics locaux.39 Ils étaient considérés comme des notables et couverts d’honneurs, d’autant plus que leur autorité en dernier ressort de par sa nature religieuse, ne pouvait être bureaucratisée. Mais l’alliance avec les chefs et autres dignitaires était avant tout un mariage de raison qui cachait d’un côté comme de l’autre une suspicion profonde et permanente. Ainsi, les Français, tout en manifestant extérieurement un respect pour les chefs religieux les plus vénérés et les plus loyaux à la cause française, ne cesseront jamais d’exercer une surveillance et un contrôle vigilants sur leurs activités. A Douala, les musulmans ne pouvaient pas en tant que tels entretenir des relations avec les autorités coloniales, rôle dévolu à leurs chefs. Ces derniers pouvaient exercer une grande influence sur les populations dans un sens forcément favorable à la France. En effet, leur statut de chefs ‘‘étrangers’’ pour les nons nationaux ou ‘‘allogènes’’ pour les nationaux leur rappelait d’une façon constante qu’il ne devait en aucun cas contrecarrer les actes de l’autorité administrative.40 Il était d’ailleurs assez curieux de voir comment les percevaient les administrateurs coloniaux. Parallèlement aux auxiliaires de l’administration confinés aux tâches subalternes d’exécution, les administrateurs coloniaux entendaient avoir en ces chefs musulmans de simples auxiliaires. Ils se montraient donc toujours bien disposés à l’égard de l’administration. Celle-ci se servait à son tour de ces chefs pour asseoir sa présence. Les rapports étaient donc excellents, car ‘‘ l’islam est une religion qui aide le gouvernement à maintenir l’ordre et la loi’’41. Aussi, à Douala, une exception fut faite, s’agissant de la nouvelle politique à l’égard des chefferies non traditionnelles, c’est-à-dire non autochtones. Elle concernait particulièrement les chefferies supérieures des étrangers. C’était une création d’un type nouveau42 non prévue par le texte de 1933. En plus des ‘‘chefferies autochtones’’ ou de groupement propres aux Duala, il s’agissait de créer des ‘‘chefferies allogènes’’ et des ‘‘chefferies des étrangers’’ au Cameroun. 38 Ibid. Ibid. 40 H. Adama, L’islam au Cameroun, p.153. 41 ANY, APA 11298/A, Affaires musulmanes, 1947-1949, p. 7. 42 Ces chefferies étaient adaptées selon D. Abwa aux réalités sociopolitiques des agglomérations urbaines importantes telles que Douala et Yaoundé et des zones de peuplement telles que le Moungo et le Mbam. Cf. ‘‘‘‘Commandement européen’’ – ‘‘commandement indigène’’ au Cameroun sous administration française’’, pp. 692-693. 39 79 C’est ainsi que le 24 décembre 1933, un arrêté regroupa les groupements étrangers, au sein de deux chefferies supérieures : ‘‘New-Bell étrangers’’ à Douala pour les nationaux et ‘‘New-Bell étrangers’’ au Cameroun pour les non-nationaux. Les communautés musulmanes furent placées sous la responsabilité de la chefferie supérieure des étrangers au Cameroun.43 La ville de Douala fut d’ailleurs la seule au Cameroun où des étrangers non originaires du Cameroun furent pris en compte et organisés. Les musulmans étaient placés sous l’autorité des chefferies supérieures. A l’échelon inférieur, venaient plusieurs autres chefferies de village dirigées par les sous-chefs en conformité avec les réalités tribales de leurs zones d’origine comme le montre le tableau ci-dessous : Tableau no I : Populations musulmanes placées sous l’autorité des chefferies supérieures des étrangers pendant la période de l’administration française Chefferie supérieure des étrangers au Cameroun Chef supérieur : Paraiso Joseph Villages Chefs Lagossiens (Yoruba) Yacoubo Abdounal Sénégalais Badiane Tbou Haoussa Adamou Labbo Arabes Tchad Maïbornou Dahoméens Paraiso Joseph Sara Mova Bouba Foulbé Alcali Mohamed Pécheurs étrangers nigériens Paraiso Joseph et Sierra-Léonais Momo Salé Chef supérieur Yaoundé à Douala : Bafia Baneka Garba Fouda Ignace Bamun Chef du groupement des étrangers de Haoussa de Bonabéri Issa Njoya Malam Mbako Bonaberi : Tchakounté Messak Source : Synthèse des dossiers ANY, 2 AC 224/D, Wouri, administration, rapport annuel, 1950 et ANY, 1 AC 224/D, Douala, rapport annuel, 1951. 43 ANY, APA 11757, Douala. Rapport annuel, 1933, p. 23. Voir aussi la circulaire du 28 octobre 1932 signée du Gouverneur Bonnecarrère (1932-1934) à tous les chefs de circonscriptions, reproduite dans le Rapport annuel de la SDN, 1932 : ‘‘Comme vous le savez, notre action administrative dans ce pays repose sur l’autorité indigène ; notre politique a eu pour objectif, depuis plusieurs années et en tout cas pour les régions du Sud, de réorganiser et de consolider cette autorité’’. 80 En regroupant les étrangers au Cameroun dans une chefferie supérieure indépendante des chefferies autochtones existantes, les Français donnaient à ces nouveaux arrivants les moyens de s’émanciper de l’autorité de ceux qui les avaient accueillis. C’est ainsi que les communautés musulmanes de Douala relevaient pour les nationaux (Bamun et Bafia) des chefferies supérieures allogènes (Yaoundé et Bonabéri). Les islamisés bafias par exemple avaient pour chef de village Baneka Garba et étaient sous l’autorité de Fouda Ignace, chef supérieur Yaoundé à Douala alors que les Bamun avaient pour chef de village Issa Njoya et étaient sous l’autorité du même chef Yaoundé.44 Ces musulmans nationaux étaient comptés parmi les populations ayant quitté leurs régions d’origine pour migrer vers Douala où elles étaient susceptibles de trouver, soit un travail rémunérateur auprès des sociétés européennes, soit pour faire du commerce, soit pour travailler comme manœuvres dans les plantations et les commerces des bourgeois dualas et européens.45 Les musulmans, pour la plupart haoussa de la rive droite du fleuve Wouri (secteur Bonabéri), avaient pour chef de village Malam Mbako et étaient placés sous l’autorité de Tchakounté Messak, chef du groupement des étrangers de Bonabéri. Quant aux musulmans étrangers et allogènes de la zone New-Bell, tous furent, pendant toute la période française, placés sous l’autorité de la chefferie supérieure des étrangers à Douala. Pour commander ces villages et bien d’autres non musulmans (Gabonais, Congolais, Cameroun britannique, Bamenda), il fallait trouver un homme susceptible de se faire accepter à la fois par la plupart de ces étrangers et par l’autorité coloniale. L’administration française trouva en Joseph Paraiso devenu Youssouf Paraiso après sa conversion à l’islam46 son plus grand collaborateur musulman, l’homme idoine et lui confia la direction de la chefferie supérieure des étrangers au Cameroun pendant toute leur présence au Cameroun. Plusieurs raisons militaient en faveur de son choix : le chef supérieur Youssouf Paraiso semblait en effet jouer un rôle essentiel dans la communauté puisqu’il était le logeur de grands commerçants de passage ou en séjour à Douala. De même, il connaissait à fond les populations musulmanes qui du reste étaient ses frères de l’Afrique de l’Ouest.47 De par ce rôle, ce personnage pouvait intercéder auprès de 44 ANY, 2 AC 8089, Wouri, administration. Rapport annuel 1950, p. 13. R. Gouellain, Douala, Ville et Histoire, Paris, Institut d’ethnologie, 1975, p. 239. 46 Les sources écrites disponibles ne contiennent aucun document pouvant fournir des renseignements sur la date de sa conversion à l’islam. L’enquête orale non plus n’apporte aucun éclairage à ce sujet. Toutefois, on peut dire qu’une fois placé à la tête de la chefferie supérieure des étrangers au Cameroun, Joseph Paraiso se serait converti à l’islam pour gagner la confiance des musulmans et surtout avoir plus de légitimité aux yeux des musulmans qui constituaient par ailleurs la tranche la plus importante de la population de sa chefferie. Son pèlerinage à la Mecque en 1949 rentrerait dans la même logique. 47 Entretien avec Younouss Paraiso, fils et successeur de Youssouf Paraiso à la chefferie yoruba de New-Bell/ Congo le 10 avril 2004. 45 81 l’administration pour faire concéder un lot aux commerçants désirant s’installer dans son quartier et ce avec la bénédiction de l’administration coloniale qui voyait par ce système un moyen efficace de contrôler la population ‘‘flottante’’. Mais la puissance de Youssouf Paraiso, chef des villages dahoméens, des pêcheurs nigériens et chef supérieur des étrangers au Cameroun venait fondamentalement de sa fonction économique. Il était aussi depuis plusieurs décennies un éminent citoyen de Douala, de par ses propres mérites. Aussi, sa position équivalait officiellement à celle des Kings48 traditionnels dualas dont il partageait le rang. Autrement dit, le rang du chef des étrangers équivalait à celui d’un King autochtone duala. Il devait prétendre aux mêmes égards qu’un chef autochtone puisqu’ils étaient tous deux astreints aux mêmes tâches. Sur le plan hiérarchique, les autorités autochtones locales n’avaient donc pas supplanté les chefs des villages. Ils s’équivalaient en rang. Dès 1919, le Commissaire de la République Carde, en parlant des chefs installés à Douala, exprima clairement cette prise de position : (…) il ne doit y avoir ni individus, ni castes privilégiés. Le chef du quartier Yaoundé par exemple doit pouvoir prétendre à autant d’égards que le chef d’Akwa ou de Bell et ses ressortissants ne doivent pas être soumis à des obligations plus lourdes que celles qui pèsent sur les ressortissants de ses collègues.49 La position de Youssouf Paraiso était aussi à l’image de sa formation intellectuelle et de son parcours professionnel. Il parlait le français, le yoruba, le haoussa et l’anglais.50 Son aisance financière, sa participation aux institutions locales coloniales faisaient de lui une référence morale, intellectuelle et religieuse et cela lui permettait d’être présent sur les principales scènes de la ville. A ce titre, il joua pendant toute la présence française un rôle politique important. Le 8 janvier 1939 par exemple, les jeunes générations, entraînées par Soppo Priso, écrivain interprète au service des mines et les chefs supérieurs51, parmi lesquels Youssouf Paraiso, lançaient officiellement le mouvement des Jeunesses Camerounaises Françaises (Jeucafra) qui, grâce à une ardente propagande et le soutien de l’administration 48 C’est aussi ainsi qu’on désignait les chefs des principaux clans autochtones dualas à savoir les Bell, les Akwa, les Deido et les Bonabéri. Cf. J. Derrick, ‘‘Elitisme colonial au Cameroun : le cas des Douala dans les années trente’’, 1989, p. 188. 49 D. Abwa, ‘‘ ‘‘ Commandement européen’’ – ‘‘Commandement indigène’’ au Cameroun sous administration française’’, p.759. 50 Entretien avec Younouss Paraiso, chef yoruba à New-Bell/ Congo le 10 avril 2004. 51 En dehors de lui, la participation des autres chefs est relevée par l’administration coloniale : Lobe Bell, Betote Akwa, Mbappe Bwanga, Eboa Epée, Moussango Isaac, Ndokat et Marius Eteme. 82 coloniale, s’était étendu dans le territoire.52 Le choix du chef musulman de nationalité étrangère pour le lancement de la Jeucafra, premier mouvement à caractère politique au Cameroun53, participait entre autre de la volonté d’intégrer les communautés musulmanes dans le processus politique au Cameroun. En somme, Youssouf Paraiso était l’une des personnalités les plus en vue du microcosme politique doualais sous administration française. Mais vers la fin de la présence française, la position de Youssouf Paraiso considéré par l’administration française comme un chef dynamique, entrepreneur et excellent collecteur d’impôts commençait à faiblir, comme en témoigne ce rapport de l’administrateur de la région du Wouri en 1951 : Paraiso continue à assurer avec autorité et efficacité le commandement difficile des étrangers au Cameroun et des musulmans. Très dévoué, passablement hâbleur et ‘‘raconteur de coup’’, il commence à subir les atteintes de l’âge et résiste de plus en plus difficilement à l’attrait de la spéculation sur les terrains et les cases de New-Bell (…) Quoi qu’il en soit, Paraiso est un des rares chefs efficaces et sera difficilement remplaçable. Sa disparition ouvrira une crise délicate à New-Bell (…).54 Ce témoignage faisait une réputation incontestable du rôle de chef. Son intérêt résidait aussi dans le fait que l’organisation résidentielle et sociale de cette personnalité devenu chef des étrangers commençait à se modifier. La vente des terrains lui permettait de maintenir son rang, une relative clientèle et une unité résidentielle de dépendants autour de sa chefferie. Comme on le constate aussi, l’administration coloniale usait du chef supérieur Youssouf Paraiso comme une véritable courroie de transmission sur laquelle elle s’appuyait pour contrôler les populations musulmanes au niveau local. De fait, il était chargé de percevoir l’impôt, de contrôler les habitants et de veiller au maintien du bon ordre parmi les populations musulmanes. Ceci avait aussi pour effet de réactiver la position du chef des étrangers qui utilisait le pouvoir institutionnel pour développer son propre pouvoir. Sous administration française, le contrôle géographique des communautés musulmanes de Douala s’était effectué de deux façons essentielles : leur regroupement dans une même zone géographique et leur organisation en chefferie supérieure ou de villages 52 ANY, APA 10097/6. Rapport semestriel. Région Wouri (Délégation de Douala), p. 2. Le mouvement nationaliste camerounais dont l’UPC devint l’incarnation la plus vigoureuse à partir de 1948, était déjà en germination une dizaine d’année plus tôt à travers la Jeucafra créée en 1938 et ses avatars que furent l’Union Camerounaise Française (Unicafra) et le Rassemblement des Camerounais (Racam). Cf. E. Tchumtchoua, De la Jeucafra à l’UPC : l’éclosion du nationalisme camerounais, Yaoundé, Clé, 2006. Voir aussi R. Joseph, Le mouvement nationaliste au Cameroun. Les origines sociales de l’UPC (1946-1958), Paris, Karthala, 2000 (réimprimé de 1986) et J.-F. Bayart, ‘‘L’Union des populations du Cameroun et la décolonisation de l’Afrique ‘‘française’’ ’’, Cahiers d’Etudes Africaines, Vol. XVIII, MCMLXXVIII, pp.447-458. 54 ANY, 1AC 224/D, Douala, rapport annuel, 1951, p. 27. 53 83 propres aux musulmans. Mais d’autres voies de gestion et de contrôle de l’identité des communautés musulmanes de Douala s’offraient au colonisateur français. Il convient à cet égard, d’analyser l’enjeu des visites des prédicateurs étrangers et du pèlerinage aux Lieux Saints de l’islam. B- Du contrôle social des communautés musulmanes ou contrôle des réseaux islamiques extérieurs (fin des années 1940 début des années1950) Un autre mode de gestion et de contrôle de l’identité musulmane à Douala résultait de l’utilisation de certaines valeurs religieuses par l’administration coloniale, en l’occurrence les marabouts/missionnaires étrangers et le Hajj. C’est un mode de contrôle et de politisation ‘‘ par le haut’’55 induit par des représentations issues du rôle de ces derniers et qui entraînent de nouvelles perceptions de l’islam. B-1 Rappel des principes et axes généraux de la politique musulmane de la France face aux réseaux islamiques extérieurs Il faut d’emblée souligner que l’islam avait toujours été un cauchemar pour le colon français. On connait l’histoire de Samory en Afrique de l’Ouest, de Rabah autour du Lac Tchad, des lamibe du Nord Cameroun56 ou encore du Sultan Njoya au Cameroun57. C’est en réaction à la résistance de ces leaders musulmans que les Français avaient adopté une politique propre à l’administration des communautés placées sous la bannière de l’islam et connue sous le nom de ‘‘politique musulmane’’ de la France. Formulée au singulier, l’expression ‘‘politique musulmane’’ souligne l’originalité d’un système décrété comme étant adapté aux populations musulmanes ; une politique qui avait placé la surveillance et l’accommodation avec les chefs religieux au centre des préoccupations coloniales, et qui était apparue comme un enjeu du maintien des relations entre la France et les communautés musulmanes. Eminemment pragmatique, les liens entre la France et l’islam ne reposaient cependant pas exclusivement sur 55 J.F. Médard, ‘‘Politics from Above, Politics from Below’’, in E. Masst Hylland and H.Valle (eds.), State and Locality, Oslo, NFU and SVM, 1994. On lira aussi avec intérêt la situation inverse ‘‘par le bas’’ décrite par J.F. Bayart, J.A. Mbembe et C. Toulabor, La politique par le bas. Contribution à une problématique de la démocratie, Paris, Karthala, 1992. 56 Voir à titre d’illustration A. P. Temgoua, ‘‘L’islam et le pouvoir colonial allemand au Nord Cameroun (18991916)’’, in M. Gomez-Perez (s.d.), L’islam politique au sud du Sahara. Identités, discours et enjeux, Paris, Karthala, pp. 375-394. 57 Il existe de nombreux écrits sur ce personnage central du royaume bamun. Voir à titre d’illustration A. Njiasse Njoya et al, De Njoya à Njimoluh : cent ans d’histoire bamoun, Foumban, Editions du Palais, 1984 ; C. Tardits, Le royaume Bamoun. Paris, A. Colin, 1980 ; A. Ndam Njoya, Njoya réformateur du royaume bamoun, Paris, Présence africaine, 1978 et A. Njiasse Njoya, ‘‘Naissance et évolution de l’islam en pays bamoun (Cameroun)’’, Thèse de Doctorat de 3e cycle en histoire, vol. I et II, Université de Paris I, 1981. 84 la notion d’intérêt ; on ne peut objecter qu’ils ont créé des discours, un savoir, une culture et une vision de l’autre. Son étude s’intéresse aux mécanismes institutionnels, autant qu’à l’administration quotidienne, et aux modes de représentation.58 De fait, la France n’avait pas une politique musulmane clairement définie. La colonisation française en Afrique noire avait en effet donné naissance à une politique musulmane complexe, parfois confuse, souvent interventionniste, qui oscillait entre les idéaux républicains et le réalisme colonial. Mais les objectifs étaient les mêmes durant toute la colonisation, à savoir contenir l’islam, soit en l’étouffant, soit en l’ ‘‘apprivoisant’’59 selon les ‘‘exigences’’60 de l’ordre colonial. En fait, sans combattre ouvertement l’islam en Afrique, il ne fallait pas non plus l’encourager. Il s’agit là d’une stratégie adoptée partout au Cameroun par l’administration coloniale française, comme l’indique cette déclaration de Beyries : ...là où l’islam imprègne considérablement les esprits, le mieux est d’observer, à son endroit, une neutralité complète et que, là où il n’est que vernis, là où ses sectateurs ne forment qu’une minorité, là où il n’a pas encore pénétré, il convient non seulement de s’abstenir de tout geste qui pourrait contribuer à son implantation ou à son expansion, mais encore de diriger les Africains à qui le laïcisme est inconnu et semble devoir l’être longtemps encore, vers des concepts religieux plus favorables aux progrès humains : vers le Christianisme, essence de la civilisation occidentale et dont les propagateurs sont à pieds d’œuvres.61 Cette politique variait au gré des convictions personnelles des administrateurs mais surtout en fonction des évènements extérieurs ou locaux. Sur le plan extérieur et à des époques différentes, elle était marquée par des orientations successives pour faire face aux idéologies considérées comme subversives, telles le panislamisme et le panarabisme entre autres. En général, l’administration coloniale française se méfiait de l’islam parce que considéré comme véhicule possible d’influences étrangères. En 58 Sur cette question au Cameroun, on lira avec intérêt les travaux de G.L. Taguem Fah, notamment ‘‘Le facteur peul, l’islam et le processus politique au Cameroun’’, Islam et Sociétés au Sud du Sahara, no 14-15, 2000-2001, pp. 81-98 ; ‘‘Les formations politiques au Nord-Cameroun : l’exemple de la Médiafrancam’’, Annales de la FALSH, Université de Ngaoundéré, Vol. 2, 1998, pp. 55-76 et ‘‘Les élites musulmanes et la politique au Cameroun : de la période française à nos jours’’, Thèse de Doctorat 3e cycle en histoire, Université de Yaoundé I, juin 1997. Pour les récentes études sur cette politique dans d’autres régions d’Afrique, lire D. Robinson, Sociétés musulmanes et pouvoir colonial français au Sénégal et en Mauritanie 1880-1920, Paris, Karthala, 2004 (traduction de Paths of Accomodation : Muslim Societies and French Colonial Authorities in Senegal and Mauritania, 1880-1920, Athens, Ohio University Press, James Currey, 2000); D. Robinson et J.L. Triaud (éds.), Le temps des marabouts. Itinéraires et stratégies islamiques en Afrique occidentale française V.1880-1960, Paris, Karthala, 1997 (chapitres 7, 10, 12, 21 et 23) et H. Grandhomme, ‘‘La France et l’islam au Sénégal. La République face à une double altérité : le colonisé et le musulman’’, Thèse de Doctorat en Histoire, Université Cheikh Anta Diop, mai 2008. 59 D. Abwa, ‘‘Le lamidat de Ngaoundéré et l’administration coloniale française’’, Thèse de Master Degree en Histoire, Université de Yaoundé, 1985, p. 108. Il faut cependant préciser qu’on n’apprivoisait pas l’islam en tant que religion mais le musulman, le leader politique musulman, d’ou une politique ‘‘de charme’’ à son endroit. 60 A. Traoré, Islam et colonisation en Afrique, Paris, Maison neuve et Larose, 1983, p. 103. 61 ANY, Affaires Musulmans 12247, Ecoles franco-musulmanes. 85 effet, l’alliance éventuelle du panislamisme et du panarabisme avec l’islam africain semble avoir été l’obsession62 des tenants de l’empire colonial français. En effet, cette alliance n’était pas faite pour rassurer les tenants de l’empire français. Après la Seconde Guerre mondiale, le panarabisme et le panislamisme sont des sujets qui reviennent de temps en temps dans les correspondances officielles concernant les ‘‘affaires musulmanes au Cameroun’’63. L’administration coloniale craignait donc que l’islam local ne suive quelque idéologie venue de l’extérieur. Elle s’efforçait de diminuer les contacts de ‘‘l’islam noir’’ avec l’islam maghrébin ou moyen oriental ‘‘réputé être travaillé de vagues aspirations panarabes’’64. De façon schématique, cette politique s’articulait autour de deux principes : d’un côté, une méfiance vis-à-vis de l’islam qu’il importe de surveiller, de l’autre une volonté manifeste de contrôler l’islam, en associant les leaders religieux dans une stratégie globale devant favoriser l’émergence d’un ‘‘islam officiel’’ conforme aux conceptions philosophiques et sociales favorables à l’œuvre de la colonisation française. Au plan intérieur, ces inquiétudes et considérations relevant de la conjoncture politique internationale avaient décidé l’autorité coloniale au Cameroun à soumettre le voyage à la Mecque à des conditions draconiennes. Pour cette raison, le principe de l’organisation officielle du Hajj fut adopté et le départ pour la Mecque fut désormais soumis à des formalités diverses.65 Les territoires de l’AEF et le Cameroun étaient appelés à s’associer pour organiser ensemble un seul pèlerinage par an. Ce qui signifie que chaque territoire avait un quota de pèlerins préfixé et les postulants devaient se faire enregistrer longtemps avant pour permettre au Commissaire du Gouvernement au pèlerinage de vérifier leur régularité.66 Pour se faire, une autorisation de voyage était exigée et n’était délivrée que de manière parcimonieuse, au regard de la fortune, mais aussi et surtout en fonction de l’attitude du postulant envers les intérêts français. Chaque pèlerin devait se faire établir un passeport très loin de son lieu de résidence et avec toutes les formalités administratives visant à le décourager ; subir un examen médical à 62 D.C. O’ Brien révèle en ces termes cette ‘‘hantise’’ du panislamisme : ‘‘A traditional subjet of French Administrative Paranoïa’’. Lire notamment ‘‘Towards an ‘‘Islamic politic’’ in French West Africa (1854-1914)’’, Journal of African History, VIII (2), p. 309; voir aussi D. Robinson, Sociétés musulmanes et pouvoir colonial français au Sénégal et en Mauritanie 1880-1920 ; D. Robinson et J. L. Triaud (éds.), Le temps des marabouts. Itinéraires et stratégies islamiques en Afrique occidentale française V.1880-1960. 62 Voir ANY, APA 11390/A, Pèlerinage à la Mecque, 1950-1951. 63 Pour alléger l’appareil de références, voir dossiers d’archives cités dans cette section et intitulés ‘‘Affaires musulmanes’’ ou ‘‘Pèlerinage à la Mecque’’. 64 A. Traoré, Islam et colonisation en Afrique, p. 261. 65 Voir ANY, APA 11390/A, Pèlerinage à la Mecque, 1950-1951. 66 ANY, 1AC 3392, Pèlerinage à la Mecque, 1941-1957. Circulaire n°1226/CF/APA/1 à travers laquelle le Haut Commissaire nomme le Commissaire du Gouvernement au pèlerinage. 86 l’issue duquel il devait se faire vacciner. La capitale (Yaoundé) était le seul lieu d’établissement des passeports. Ces difficultés ne contribuaient qu’à décourager le candidat au pèlerinage. On peut donc dire que toutes les mesures restrictives: tarif de voyage élevé, procédures administratives pour passeport, examen médical et vaccination ne contribuèrent qu’à réduire ou à limiter le nombre de pèlerins et à le rendre élitiste.67 Dès 1952, l’administration coloniale au Cameroun avait demandé au département des Affaire Musulmanes du Ministère des Colonies de lui accorder l’organisation autonome du pèlerinage pour les musulmans camerounais.68 Pour des raisons politiques, le département s’était catégoriquement opposé à une telle initiative. Dans l’ensemble, l’immixtion de l’administration coloniale dans les voyages à la Mecque n’a été en grande partie qu’une entrave à cette pratique religieuse prescrite par le Coran. Ainsi, le problème du pèlerinage devenait de plus en plus une préoccupation politique de première importance. L’administration coloniale en était attentive au point de récupérer cette pratique religieuse pour en faire une arme au service de sa politique. Toujours au plan intérieur, cette politique intervient à un moment où la vie politique commençait à se libéraliser, préparant l’indépendance. Le mouvement nationaliste camerounais né à Douala et incarné par l’Union des Populations du Cameroun (UPC) manifestait en effet des velléités indépendantistes difficilement maîtrisables et recrutait aussi parmi les couches populaires où la question de la confession apparaissait comme accessoire par rapport au problème de la fin de l’exploitation. Et même si on ne trouvait que rarement des musulmans parmi les cadres dirigeants du mouvement nationaliste camerounais69, ils pouvaient constituer une bonne part de la troupe anticolonialiste dans les années 1950. Pour El Hadj Moctar Abubakar, la Mecque était considérée comme un lieu de subversion. Les autorisations de sortie pour le pèlerinage était refusées durant toute la période de la guerre et de trouble causé par l’UPC (…). Même en temps de paix, il n’était pas déjà facile d’obtenir une autorisation pour se rendre aux Lieux Saints.70 67 Pour une étude exhaustive de toutes ces conditions, voir la thèse de G.L. Taguem Fah, ‘‘Les élites musulmanes et la politique ’’. 68 ANY, APA 11390/A, Pèlerinage à la Mecque 1950-1951. 69 Pour une idée sur le mouvement nationaliste camerounais symbolisé par l’Union des Populations du Cameroun (UPC), on peut lire utilement R. Joseph, Le mouvement nationaliste au Cameroun, 2000 et J.-A. Mbembe, La naissance du maquis dans le Sud Cameroun 1920-1960, Paris, L’Harmattan, 1996. 70 El Hadj Moctar Aboubakar, entretien des 8 et 9 novembre 2006 à son domicile à New-Bell, derrière la mairie de Douala IIe. 87 Les visites des prédicateurs étrangers et le pèlerinage étaient aussi, pour les administrateurs coloniaux, l’un des moyens de guider l’islam vers l’œuvre colonisatrice de la France. Les activités propagandistes et prosélytes de ces marabouts et pèlerins étaient cependant surveillées par l’administration coloniale, surveillance menée avec beaucoup de subtilité, mais parfois avec intransigeance pour ceux qui ne suivaient pas la ligne voulue par la France.71 B-2 Logique et impact de la visite des marabouts étrangers à Douala Il serait peut être accessoire de parler d’une politique maraboutique coloniale à Douala dans la mesure où tous les musulmans doualais ne sont pas membres d’une confrérie. Ce rappel72 sert de balisage pour faciliter et alléger notre analyse afin de la rendre utile et féconde. De ce fait, pour parler du rôle des marabouts dans la politique coloniale française à Douala, nous focaliserons notre attention sur les marabouts/missionnaires étrangers qui avaient effectué une tournée à Douala pendant la période de l’administration française. La communauté musulmane doualaise avait été de temps à autre visitée par des marabouts étrangers sous la demande de l’administration coloniale. Véritables ‘‘chargés de mission’’ du gouvernement français, ils étaient envoyés en tournée dans les communautés musulmanes pour faire de la propagande en faveur de la France. Au nombre de ces érudits missionnaires qui ont visité Douala pendant la période coloniale française, les archives signalent deux cas : ceux de Chérif El Hadj Sidi Benamor Tidjani et de Chérif El Hadj Moulay Ismail Aidara.73 Les séjours du premier, bien documentés par des rapports précis et circonstanciés auront eu un certain retentissement au sein des communautés musulmanes du Cameroun en général et des communautés musulmanes de Douala en particulier. 71 Ces marabouts, minoritaires, étaient coupables aux yeux de l’administration coloniale de leur indifférence à l’égard du pouvoir. Leur exemple était selon la terminologie coloniale consacrée ‘‘dangereux et de nature à semer le trouble dans l’esprit des indigènes’’. Qualifiés de ‘‘no compromising’’ par M. Z. Mjeuma (‘‘Muslim Intellectuals and Politic’’ the Bernard Fonlon Society Symposium, University of Yaoundé (18th november), 1988) et difficilement identifiables, ils parcouraient les localités isolées, évitant soigneusement les centres européens. Ils distribuaient brochures et tracts ‘‘subversifs’’ et tenaient des réunions secrètes. Au plan politique, ces marabouts clandestins diffusaient une idéologie de contestation de l’ordre colonial par les adeptes du panislamisme. Ils tenaient des propos anti-français et incitaient la population à la révolte. Cf. T.M. Bah et G.L. Taguem Fah, ‘‘Les élites musulmanes et la politique au Cameroun sous administration française : 1945-1960’’, in J. Boutrais (éd.), Peuples et Cultures de l’Adamaoua (Cameroun), Paris, Orstom / Ngaoundéré- Anthropos, 1993, p. 110. 72 Voir premier chapitre, section B. Lire aussi A.C. Lomo Myazhiom, ‘‘Administration française et islam au Cameroun (1916-1958)’’, Histoire et Anthropologie, no. 21, Strasbourg, 2000, pp. 161-182. 73 L’absence de rapports sur les marabouts clandestins ne signifie pas nécessairement qu’il n’en a pas existé à Douala. En effet, à travers des rapports d’archives, l’administration française, toutes périodes historiques confondues, se focalise sur des personnes ‘‘suspectes’’ dans les communautés musulmanes du Cameroun sans jamais avoir une idée précise de leurs origines et de leurs rôles. Ainsi, le manque de rapports sur les missionnaires clandestins à Douala ne signifie pas obligatoirement qu’il n’y en a pas existé. 88 Les séjours du Chérif El Hadj Sidi Benamor Tidjani et du Chérif El Hadj Moulay Ismail Aidara à Douala El Hadj Sidi Benamor Tidjani est originaire de Laghouat en Algérie où il naquit vers 1905. Il est l’un des descendants directs du fondateur de la Tidjaniyya. Khalifat (Lieutenant) de son cousin Si Tayeb Ben Ali, Grand Maître de l’ordre, Sidi Benamor est en fait le véritable animateur de la Tidjaniyya. Sur le plan du dogme, il s’évertue à renforcer l’attachement des musulmans aux doctrines de la confrérie et les met en garde contre les tendances wahhabi véhiculées à partir du Proche-Orient. Sous son impulsion, la Tidjaniyya semble se rapprocher de plus en plus de l’autorité française, pour des raisons diverses liées à une fidélité traditionnelle ou guidée par le réalisme et /ou l’opportunisme74. Il avait effectué deux tournées à Douala en 1949. Préparant le passage de Sidi Benamor, le haut commissaire de la République Française au Cameroun écrivait aux chefs des régions en ces termes : ‘‘ Le Gouverneur Général de l’Algérie (…) le ministre de la FOM l’ont signalé à notre bienveillance attention’’75. Il demandait par ailleurs aux chefs des régions visitées d’accorder à Sidi Benamor toutes les facilités au cours de ses déplacements. Quant à son séjour proprement dit, C’est le 21 avril 1949 que Cheikh Tidjani Sidi Benamor arriva par avion à Douala avec une suite de dignitaires musulmans parmi lesquels Dohssi Ahmed Ben Lanayo et Senghoni Mohammed Ben Mohammed tous deux originaire de Laghouat, Mohamed Ali Oul Féten, marabout mauritanien domicilié à Dakar et Omar Ousman, marabout nigérien domicilié à Cotonou.76 Venu au Cameroun pour recueillir des dons et ‘‘porter la bonne parole chez les musulmans’’77, Sidi Benamor fut l’objet d’une attention bienveillante de la part des autorités locales qui avaient reçu à son sujet, des instructions spéciales de la part du ministère de la France d’Outre-mer et du gouverneur général de l’Algérie. C’est ainsi qu’il fut officiellement reçu par le délégué du haut commissaire qui mit à sa disposition des véhicules. Durant son premier séjour à Douala, Sidi Benamor réunit les musulmans de Douala autour du chef des étrangers El Hadj Youssouf Paraiso pour une causerie. Il se rendit ensuite à Yaoundé, puis visita les territoires de l’AEF et du Congo Belge. 74 Nous empruntons ces éléments biographiques à l’excellent article de T.M. Bah, ‘‘Cheikhs et Marabouts maghrébins prédicateurs dans l’Adamaoua, XIXe-XXe siècles’’, Ngaoundéré–Anthropos, revue de Sciences Sociales, n°1, 1996, pp.7-28. 75 ANY, 2AC 3655, Lettre n°1218 bis datée du 13 juillet 1948 adressée au chef de la Région Bénoué par le Haut Commissaire. 76 ANY, 1AC 165, Rapports divers sur Arabes musulmans et leurs activités, 1949. Ce document nous renseigne sur la délégation et le séjour de Sidi Benamor dans les différentes localités du Cameroun. 77 A. Traoré, Islam et colonisation en Afrique, p. 110. 89 Le second séjour du Chérif El Hadj Sidi Benamor Tidjani fut le plus long. Il dura quatre mois, de juin à septembre 1949. Lors de ce second séjour au Cameroun à partir du premier juin 1949, Sidi Benamor effectua une longue tournée qui le conduisit dans toutes les villes du Sud-Cameroun susceptibles d’abriter une importante communauté musulmane : Douala, Nkongsamba, Foumban, Bafia et dans le Nord-Cameroun (Banyo, Ngaoundéré, Garoua, Rey Bouba, Meiganga, Bibemi, Mbé, Tchéboa, Mokolo et Maroua). Dans toutes ces localités, Sidi Benamor fut reçu par des dignitaires musulmans. Nous nous appesantissons pour ce qui nous concerne plus particulièrement sur l’étape de Douala à la fois mouvementée et riche d’enseignements. Pour son second séjour, Sidi Benamor arriva à Douala le premier juin 1949. Devant l’assistance, il tint une conférence en arabe, traduite par des interprètes en haoussa et en pidgin-English. Il distribua des brochures imprimées en Sierra Leone et dont il était l’auteur notamment ‘‘Réponse claire’’ où il définissait le dogme et précisait les prières et le wird de la confrérie.78 Le passage de Sidi Benamor lui permit aussi de recruter des adeptes. Il nomma certains dignitaires Moqadem de la Tidjaniyya et leur donna l’investiture sur place.79 Devant les foules impressionnées et enthousiastes, Sidi Benamor devait pendant ses prêches aborder divers thèmes d’ordre religieux, politique et social. Ces prêches furent aussi l’occasion pour Sidi Benamor de développer la théorie de l’attachement à la France. A Douala et dans toutes les autres localités où il séjourna, le Chérif se fit un devoir de remettre à chaque fidèle une prière manuscrite signée de sa propre main et portant son sceau. Il avait par la même occasion noté les noms et les adresses des principaux Malams auxquels il avait donné procuration pour continuer la chaîne de la confrérie tidjane.80 Il repartit du Cameroun à la mi-septembre 1949 pour le Tchad. Cette visite fut suivie de celle de chérif El Hadj Moulay Ismail Aidara en 1950. Chérif El Hadj Moulay Ismail Aidara de la confrérie Qadiriya séjourna à Douala en 1950. Cependant son séjour est très peu documenté. Originaire de la Côte d’Ivoire, il était muni de multiples lettres de recommandation et d’autorisation délivrées par le haut commissaire de l’AOF, le gouverneur de Côte d’Ivoire, du Dahomey et du Togo.81 Chérif Ismail Aidara tenait le même langage que son prédécesseur Sidi Benamor, bien que les deux marabouts fussent de confréries différentes. Pendant son séjour, il assista au départ des pèlerins camerounais en 78 79 ANY, 1AC 165, Rapports divers sur arabes musulmans. Visites du Chérif Sidi Benamor, 1949. ANY, 1AC 165. Rapport sur les communautés musulmanes, p. 4. 80 T. M. Bah, ‘‘Cheikhs et Marabouts maghrébins prédicateurs dans l’Adamaoua, XIXe-XXe siècles’’, p. 22. 81 ANY, 2AC 3655, Rapport sur les activités musulmanes au cours du 3e trimestre 1950. 90 septembre 1950 pour la Mecque et selon le rapport du gouverneur Soucadaux, il tint à les exhorter ‘‘à prier pour la France et à ne pas oublier ce qu’ils lui doivent’’82. Comme on peut le constater à travers les déclarations, les tournées de ces deux marabouts étaient beaucoup plus motivées par des raisons politiques. En effet, Sidi Benamor et Moulay Ismail Aidara avaient à maintes occasions, rendu hommage à la France lors de leurs passages respectifs en 1949 et 1950, tout en soulignant avec insistance sa générosité et sa sympathie vis-à-vis de la religion de Mahomet. A travers ces ‘‘chargés de missions’’, le phénomène confrérique et maraboutique a été un enjeu déterminant de la politique coloniale française à Douala. Ces deux personnalités étaient devenues pendant leurs différents séjours de fidèles porte- parole de la politique coloniale française et de précieux intermédiaires entre les populations islamisées et l’administration coloniale. Ils ont contribué peu ou prou, compte tenu de la période et des évènements locaux et extérieurs, à la définition ou tout au moins à l’application de la politique musulmane de la France à Douala. En fait, des étapes parcourues par Benamor et Aidara nous n’en avons retenu que celles de Douala et nous constatons que leurs déclarations se confondaient avec la politique de la France. On peut maintenant se demander quel était l’impact de ces visites au sein de populations musulmanes doualaises. Dimension des visites des missionnaires au sein des communautés musulmanes de Douala Les sources sont muettes sur la dimension et la réaction des musulmans doualais suite à la venue des missionnaires. Cette absence de rapport signifie-t-il nécessairement que l’utilisation des missionnaires n’avait pas été concluante à Douala ? Nous pensons, comparativement aux autres régions que Sidi Benamor visita dans le Littoral et notamment Nkongsamba, que sa visite ne suscita que peu d’engouement chez les musulmans locaux au vu du nombre (300 à Nkongsamba par exemple) de personnes qui assistaient aux prêches.83 Ce qui nous amène à dire que l’intérêt de ces séjours se situait dans la droite ligne de la politique musulmane de la France favorable à la promotion d’un islam confrérique et maraboutique garant de l’ordre établi et de sa présence sur le sol camerounais. Autrement dit, au plan politique, ces visites auront renforcé au profit de la France, la fidélité des Moqadem et par delà de tous les adeptes de l’ordre. Au plan strictement religieux, le phénomène a eu un effet. En effet, la seule présence de ces missionnaires, dont certains sont auréolés du titre de Cheikh, entraînait pour les 82 83 Ibid. T. M. Bah, ‘‘Cheikhs et Marabouts maghrébins prédicateurs dans l’Adamaoua, XIXe-XXe siècles’’, p. 26. 91 musulmans locaux une grande ferveur religieuse84. Ces interventions de ‘‘sages étrangers’’85 invités par l’administration coloniales provoquaient une fermentation des idées religieuses qui ne se passait pas en vase clos. Le ferment venait d’ailleurs, et surtout du Maghreb qui a la réputation d’être éclairé ; et, avec ce savoir nouveau, venait le désir de mieux connaitre.86 Bien que leur séjour ait souvent été bref, ces missionnaires ont pu expliquer la doctrine de leur confrérie, distribuer des opuscules et au sein de l’élite musulmane locale, recruter des Moqadem qui eurent à charge de continuer leur œuvre.87 De ce point de vue, on peut dire que ces visites avaient ouvert une ère nouvelle à l’islam à Douala : Lorsque El Hajj Sidi Tidjani ben Omar, fils de Mohammed el Kébir, lui-même arrière petit-fils du grand Tidjani, vint en Afrique occidentale et équatoriale pendant les années 1948 et 1949, il fut reçu dans la plupart de ses villes d’escale par la communauté musulmane au grand complet. On reconnaissait dans la foule de ses auditeurs le Qadiriyin, le Tidjaniste, le fidèle non affilié et le Ahmadiyin qui écoutaient tous en bons croyants la parole du Maghrébin.88 Le processus de contrôle des musulmans de Douala pendant la période coloniale fut aussi rendu possible par la surveillance et la sélection des pèlerins. B-3 Du contrôle et de l’impact du pèlerinage à Douala Nous avons vu que des autorités musulmanes et quelques marabouts gagnés à la cause française ont contribué plus ou moins à la définition et à l’application de la politique musulmane de la France à Douala. Venons-en maintenant à l’enjeu politique du pèlerinage. Quelle appréciation l’administration coloniale faisait-elle du Hajj à Douala ? Bien que l’insuffisance des sources ne nous permette pas d’appréhender avec précision cette question, on peut dire que pendant la période de l’administration française, le pèlerinage ne semblait pas être un rite suffisamment développé au sein de la population musulmane du Sud-Cameroun en général et de Douala en particulier pour faire l’objet d’une étude spécifique. Les archives ne traitent pas suffisamment de cette question. Néanmoins, une synthèse des 84 Ibid. Voir aussi H. Adama, ‘‘Migration musulmane et enseignement arabo-islamique à Douala : 1963-1993’’, Annales de la FALSH de l’Université de Ngaoundéré, Vol. II, 1997, p. 44. 85 M. Cardaire, Contribution à l’étude de l’islam noir, p. 92. 86 Ibid. 87 T.M. Bah, ‘‘Cheikhs et Marabouts maghrébins prédicateurs dans l’Adamaoua, XIXe-XXe siècles’’, p. 26. 88 M. Cardaire, Contribution à l’étude de l’islam noir, p. 103. 92 dossiers d’archives89 pour la période allant de 1949 à 1954 donne les chiffres suivants pour la partie Sud du Cameroun en général90 : Tableau no II: Récapitulatif des pèlerins du Sud-Cameroun de 1949 à 1954 Années Nombre de pèlerins 1949 2 1950 2 1951 3 1952 2 1953 4 1954 6 Ces chiffres sont globaux et ne comportent pas de répartition par agglomération urbaine. Ils auraient aussi pu être complétés si les données chiffrées étaient disponibles pour les périodes du Mandat et de fin de Tutelle. Toutefois, ils indiquent le nombre de pèlerins officiels dans le Sud-Cameroun par année et se situe dans le cadre d’une évaluation et d’une évolution du pèlerinage officiel entre 1949 et 1954. On constate que le Sud est représenté bien que le taux officiel de participation soit assez faible.91 Comment expliquer un tel phénomène ? La faible représentativité du Sud peut s’expliquer par le fait que les musulmans de cette partie du territoire (Bamum, Wouri, Nyong et Sanaga) étaient peu nombreux par rapport à ceux du Nord et que la seule compagnie chargée de transporter les pèlerins était basée à Ngaoundéré au Nord. Par contre leur fréquence peut s’expliquer par ‘‘la sollicitude de l’administration coloniale française’’92. Ces chiffres sont cependant très insignifiants par rapport à l’ensemble de la population musulmane du Sud : 6 000 à Douala en 194793 et 60 000 en pays Bamun en 195194, pour ne citer que ces deux localités du Sud-Cameroun. 89 Il existe un dossier important sur l’organisation officielle du pèlerinage à la Mecque aux ANY sous les références ANY, APA 10991/A, pèlerins 1949 ; APA 111390 /A, pèlerinage à la Mecque 1950-1951 ; APA 10992/A, pèlerinage à la Mecque 1952-1953 ; APA 10992/B, pèlerinage à la Mecque 1954 ; 1AC 3392, pèlerinage à la Mecque1941 ; APA 3979, correspondance du ministre des colonies au Gouverneur du Cameroun, relative au pèlerinage à la Mecque, 1951 ; etc. 90 Sud-Cameroun : Bamum, Wouri, Nyong et Sanaga. 91 Pour la même période (1949-1954), le Nord (Adamaoua, Bénoué et Maroua) donne les chiffres suivants 19, 20, 21, 18, 57 et 45. cf. G.L. Taguem Fah, ‘‘Les élite musulmanes et la politique au Cameroun’’, p. 32. 92 Ibid. 93 ANY, APA10739, Wouri. Rapport annuel 1947. 94 ANY, Rapport Prestât, 1950. 93 A Douala, le premier pèlerinage officiel est effectué en 1949 par Youssouf Paraiso, à qui l’administration coloniale avait confié l’organisation du Hajj. En 1951 et en 1952, les archives mentionnent, sans d’amples renseignements les cas respectifs d’Ousman Zaranda et de Hamed Bella. On peut toutefois se demander quel fut l’impact de cette politique au sein des communautés musulmanes de Douala. L’enthousiasme du chef Youssouf Paraiso était manifeste. Dans son ‘‘serment de fidélité’’ à la France rédigé en 1949 à son retour du pèlerinage à la Mecque, le chef supérieur musulman de Douala, Youssouf Paraiso vantait la ‘‘paix française’’, la ‘‘grandeur de la France’’ et appelait les musulmans à se soumettre au pouvoir colonial.95 Il montrait par ailleurs comment les pèlerins de l’empire français furent accompagnés par un officiel français du pays de départ, à la Mecque et jusqu’au retour. Il les aidait par des prêts quand leurs ressources étaient épuisées.96 Youssouf Paraiso mentionne que : Les pèlerins de l’Empire français ont été fiers de ce qu’a fait la France au point de vue hygiène pour ses pèlerins, une ambulance du Maroc, portant les marques tricolores et escortée de médecins, Sages-femmes, pharmaciens, se rendit sans cesse dans tous les points où les pèlerins français étaient susceptibles de se trouver.97 L’administration coloniale subventionnait le pèlerinage. Elle payait aussi les frais de transport de certains pèlerins.98 C’est à ce titre que les frais de transport du chef Youssouf Paraiso de Douala, ‘‘Délégué Officiel pour le Pèlerinage Centre Afrique’’ en 1949 étaient à la charge du territoire.99 A son retour de la Mecque, Youssouf Paraiso, dans son rapport n’avait pas tari d’éloges à l’endroit de l’administration coloniale française. Il relevait dans son rapport les actes et autres gestes de sympathie manifestés par la France à l’égard des populations musulmanes. Il remerciait aussi en sa qualité de ‘‘Délégué Officiel du Pèlerinage’’ et représentant de la France à la Mecque, la France pour la confiance dont elle témoigne en toutes circonstances envers les populations musulmanes camerounaises.100 Toutes ces innovations : transports savamment aménagés, docteurs, pharmaciens, sages-femmes, voitures ambulances, sollicitude de la puissance protectrice en voyage comme sur les Lieux Saints avaient profondément frappé l’esprit des pèlerins issus des colonies françaises et militaient en faveur d’une administration coloniale soucieuse d’encourager l’islam 95 ANY, APA 10991/A, Pèlerinage, 1949. Ibid. 97 Ibid. 98 ANY, APA 10992/B, Pèlerinage 1954. En 1954, l’Assemblée Territoriale du Cameroun (ATCAM) vota un budget d’un million de francs comme subvention au pèlerinage. 99 Ibid. 100 ANY, APA 10991/A Pèlerinage 1949. 96 94 et de promouvoir la foi islamique. Toutefois, il semble qu’il y avait des buts inavoués et que l’administration coloniale avait d’autres intérêts à préserver à travers ces gestes de charité et de générosité à l’égard des pèlerins. Quand on considère que l’administration coloniale française s’était opposée au départ à la Mecque d’un Ahmadou Bamba101 au Sénégal et qu’au Cameroun elle se soit considéré comme le mandataire du voyage de certains dignitaires religieux, on peut être d’accord avec G. L. Taguem Fah lorsqu’il affirme que l’attitude de l’administration française n’était qu’une ruse visant à préserver les pèlerins des ‘‘idées subversives’’ du monde arabe. Elle avait pour finalité de rallier à la politique coloniale des hautes personnalités religieuses et à travers elles le ralliement de toute la population musulmane dans un contexte où la vie politique commençait à se libéraliser, préparant l’indépendance.102 Plusieurs éléments nous permettent de cautionner cette thèse. Car si Youssouf Paraiso, chef supérieur musulman de Douala estime que l’accompagnement des pèlerins et leur regroupement par race étaient des actes de sympathie de la France, il n’en demeure pas moins, que cette politique visait à limiter les contacts entre les musulmans arabes plus radicaux, orthodoxes et par conséquent susceptible d’être anti-français. La durée du séjour à la Mecque était fixée à l’avance et des dispositions spéciales étaient prises pour qu’aucun pèlerin noir ne s’entretienne longtemps avec un musulman arabe. Il importe en tout cas de distinguer à ce niveau de l’analyse, la différence qu’il y avait entre la sympathie véritable et les intérêts coloniaux que les Français voulaient préserver car au retour de chaque pèlerinage, le ‘‘Délégué Officiel’’ qui avait bénéficié en outre de la gratuité des frais de transport était tenu de rendre compte à sa population de la largesse, de la charité et de la générosité de la France vis-à-vis des pèlerins. Ce compte rendu s’achevait généralement par l’appel que lançait le Délégué à la population afin qu’elle aide la France à mieux l’administrer et à mieux poursuivre son entreprise coloniale. Autrement dit, une petite phrase à la fin du pèlerinage soulignait toujours leur reconnaissance des pouvoirs publics. Tout compte fait, le pèlerinage à la Mecque fut, pendant la période coloniale, l’un des problèmes qui figuraient en bonne place dans la hiérarchie des préoccupations politiques. Ce fut un point sur lequel l’administration coloniale exerça une vigilance attentive. Nous avons analysé plus haut les multiples craintes que suscitaient les contacts avec le monde arabe. Ces 101 Il existe de nombreux écrits sur Ahmadou Bamba. Voir notamment: J.-P. Mulago, ‘‘Les mourides d’Ahmadou Bamba. Un cas de réception de l’islam en terre négro-africaine’’, Théologie et Philosophie, Laval, vol. 61, no 2, 2005, pp. 291-303 ; F. R. Allen et M. R. Nester, ‘‘L’aura d’Amadou Bamba. Photographie et fabulation dans le Sénégal urbain’’, Anthropologie et Sociétés, vol. 22, no 1, 1998, pp.15-40 et O. Ba, Ahmadou Bamba face aux autorités coloniales (1889-1927), Abbeville, France, 1982. 102 G.L. Taguem Fah, ‘‘Les élites musulmanes et la politique au Cameroun’’, pp. 29 et suivantes. 95 craintes justifient le fait que l’administration coloniale française se soit efforcée de contrôler et surveiller rigoureusement le pèlerinage au point d’en faire une arme au service de sa politique musulmane. A l’égard des pèlerins officiels, le gouvernement n’était pas avare en facilités. Pour maintenir la collaboration, une grande possibilité était faite pour faire connaître ceux qui œuvraient dans le sens des intérêts de la France. Au demeurant, le pèlerinage à la Mecque a, à certains égards, servi les intérêts du colonisateur français. Initialement perçu comme un danger, il a été transformé de plus en plus en un instrument dont pouvait se servir l’administration coloniale pour réaliser sa politique de domination. Au total, la collaboration – recherchée et appréciée – des communautés musulmanes à la politique coloniale à travers le loyalisme de leur chef et les visites des marabouts était indéniable. L’administration s’appuyait sur eux. Elle les ralliait et les utilisait avec succès comme porte-parole auprès des populations afin de promouvoir ainsi un islam proche de ses intérêts. Dans cette perspective, les visites des prédicateurs étrangers et le pèlerinage apparaissaient comme des facteurs de ralliement à la politique française. La politique missionnaire et du pèlerinage nous montrent aussi qu’une alliance de fait s’était instaurée entre pouvoir colonial et autorités religieuses musulmanes à Douala. Celles-ci constituaient des relais indispensables pour asseoir le pouvoir colonial français par les ‘‘indigènes’’. Au-delà de cette politique de contrôle, d’autres réactions/réponses se dessinaient, face à la politique de cantonnement des musulmans. C-Une identité musulmane en construction : la structuration d’une réponse face à la gestion de l’altérité musulmane et les premières configurations cultuelles Le regroupement des musulmans à New-Bell et la création d’une chefferie supérieure avaient engendré deux types de problèmes : les problèmes domaniaux entre les musulmans et les autochtones et les problèmes intracommunautaires de leadership. C-1 Différend domanial entre autochtones dualas et musulmans (1947-1951) La période de lotissement/déguerpissement avait donné naissance à une division de la ville entretenue par deux régimes fonciers différents : la zone résidentielle où le contrôle de la terre était entre les mains des colons et les nouvelles zones où il passa théoriquement entre les mains des chefs coutumiers autochtones dualas et pratiquement entre les mains des particuliers c’est-à- dire des nouveaux chefs nommés par l’administration coloniale. Cette rupture dans 96 l’histoire foncière de la ville de Douala commença dès 1927. A cette date, une réglementation foncière vint déterminer les droits des zones européennes et indigènes.103 Cette réglementation est complétée par les décrets de 1932 réglementant les conditions d’aliénation des terrains domaniaux en distinguant les lots des quartiers susceptibles d’être vendus (quartiers administratifs et résidentiels) des quartiers réservés exclusivement à l’habitation ‘‘indigènes’’. 104 des Dans la partie de la ville lotie, c’est l’administration qui gérait l’attribution officielle des parcelles au fur et à mesure des lotissements réalisés. Le lotissement put ainsi jouer un rôle d’attraction ou de répulsion foncière selon les groupes et les périodes envisagés.105 Après 1932, tout comme auparavant, quelques propriétaires fonciers s’y sont soumis, mais la plupart d’entre eux ne s’en préoccupèrent point dans la mesure où cette formalité n’était pas vitale. L’administration française manifestait peu d’intérêt pour les terres des zones indigènes. En effet, les terrains des Africains continuaient à être les leurs, pour toute sorte de besoins pratiques, le bail inclus.106 Ce n’est qu’en 1934 qu’un autre décret prévint une immatriculation de toute propriété foncière selon les lois françaises. Seuls quelques Duala l’appliquèrent dans les années qui suivirent.107 Ce nouveau régime foncier allait donner à la terre une valeur qu’elle n’avait pas avant, surtout dans les parties de la ville allouées aux étrangers et aux allogènes. Peu de travaux existent sur cette question pour la période coloniale.108 Deux documents d’archives permettent cependant de cerner en partie quelques uns des problèmes qui se posaient entre les Duala autochtones notamment les Bell et les étrangers musulmans. Ces sources permettent d’entrevoir notamment le problème foncier qui apparaissait entre ces deux communautés à l’échelle du quartier ou du voisinage. Dans la ville de Douala en effet, et précisément dans les quartiers où les étrangers avaient été cantonnés, le contrôle de la terre était le plus souvent passé aux mains du chef de quartier ou du village : il décidait de l’installation des gens de son quartier ou dans sa chefferie. Ce contrôle fut de temps en temps remis en question par le clan Bell à New-Bell qui estimait être propriétaire de cet espace de la ville que l’Allemagne leur avait attribué en dédommagement de l’expropriation du plateau Jos. 103 Voir Journal Officiel du Cameroun (JOC), août 1927, p. 122. Voir JOC, juillet 1932, p. 98. 105 Voir J. Derrick, ‘‘Elitisme colonial au Cameroun : le cas des Douala dans les années trente’’, p.189. 106 Ibid., p. 66. 107 ANY, APA 11757, Douala. Rapport annuel, 1934. 108 Cf. les travaux de G. Mainet et P. Haeringer, ‘‘Propriétés foncières et politiques urbaines à Douala’’, CEA, 13, pp. 469-496 s’intéressent aux modalités d’accès au logement et à la propriété sous différents angles. Mais ces travaux sont plutôt d’un intérêt considérable pour la connaissance de la ville de Douala pendant la période contemporaine. Pour une approche historique de la question foncière dans les villes africaines, lire l’ouvrage d’O. Goerg, Pouvoirs locaux et gestion foncière dans les villes d’Afrique de l’Ouest, Paris, Karthala, 2004. 104 97 La réclamation des droits fonciers à New-Bell par les Bell se manifestait par de mouvements d’humeur permanents des chefs supérieurs autochtones à l’endroit de leurs homologues étrangers et allogènes. En 1947 par exemple, profitant de l’absence du chef de région qui se trouvait à Yaoundé, les chefs autochtones Akwa et Bell vinrent indiquer aux populations du quartier Congo – majoritairement musulmanes - que les terrains sur lesquels elles étaient établies leur appartenaient par droits coutumiers. Il fallut l’intervention de l’autorité coloniale pour résoudre la crise ainsi ouverte. Dans son rapport annuel de 1947, le chef de région relate ce fait de la manière suivante : Le groupement des étrangers a été vivement ému par l’initiative prise, alors que j’étais à l’ARCAM109 à Yaoundé, par des Douala des groupements de Bali et Akwa, consistant à implanter des piquets au quartier Congo en vue de prendre possession du terrain. A mon retour, j’ai donné l’ordre d’ôter immédiatement ces jalons et interdit formellement toute nouvelle entreprise de ce genre.110 Il en fut de même en 1951, lorsque ces mêmes chefs autochtones entreprirent de réclamer les redevances aux populations étrangères installées dans les criques du Wouri au détriment de leur chef Paraiso. En effet, des pêcheurs en provenance de la zone anglaise s’installaient dans ces criques et payaient des redevances au chef des étrangers. Les chefs Douala ne s’accommodaient pas de cette situation et de temps en temps, ils poussaient leurs populations à s’en prendre à ces étrangers. C’est ce qui ressort du rapport du chef de la région Wouri en 1951 : Périodiquement, un accès de mauvaise humeur des Douala jette un peu de troubles ; les pêcheurs autochtones réclament, ce que les étrangers ne leur contestent pas, la propriété des pêcheries et se considèrent, ce que les autres n’acceptent pas, comme fondés à réclamer des redevances et à percevoir des dîmes. Tant que ces exigences restent modérées, tout va bien.111 La pression démographique et la croissance urbaine devaient ainsi transformer rapidement le régime foncier. Désormais, la terre était appropriée et mise en valeur de manière individuelle et entrait dans les patrimoines. Le différend domanial entre les musulmans et les autochtones témoignait de cette transformation rapide et profonde. En effet, la dynamique de la question foncière permettait de nouer des rapports marchands entre acheteurs et vendeurs de terrains. Elle alimentait aussi la tension entre les partenaires. Rappelons la spécificité de ce 109 Assemblée Représentative du Cameroun. ANY, APA 10739, Wouri, rapport annuel, 1947. 111 ANY, 1AC 224/D, Douala, rapports annuels, incidents divers, ravitaillement 1950-1953. Rapport annuel 1951, pp. 27-28. 110 98 conflit dans la zone sans lotissement : l’administration coloniale avait exproprié sans compensation les populations autochtones (les Bell) et contre leur volonté. Neu-Bell (devenu New-Bell), le nom du quartier est d’ailleurs lié au clan Bell. Ce nom est composé de deux termes séparés par une différence de nature : un mot allemand (neu : nouveau) et un mot duala (Bell). Ce qui signifie nouveau Bell. Ce quartier supposé accueillir les ‘‘indigènes’’ déguerpis était destiné à ce clan après leur expropriation du plateau Jos (Bonanjo) par les Allemands. Cela dit, la terre était devenue essentiellement un bien marchand, voire une source d’accumulation pour ses propriétaires coutumiers et aussi un bien d’investissement immobilier ou économique pour les potentiels acquéreurs. L’enjeu économique de la question foncière était donc de taille et c’est ce qui explique que la terre soit un facteur générateur de conflits entre les anciens propriétaires coutumiers et les nouveaux propriétaires terriens. C-2 Au sein de la communauté musulmane : la contestation de l’autorité du chef des étrangers par Alcali Mohamed, chef des Foulbé (1951) Malgré la grande complicité qui existait entre Youssouf Paraiso et l’administration coloniale, le groupement des villages musulmans interférait quelque fois avec les logiques individuelles ou ethniques, ce qui ne manquait pas de susciter des contestations. En effet, mythes et réalités des origines pouvaient entretenir des distinctions entre Peul (Foulbé), Haoussa et Yoruba, sans parler des hiérarchies de clans et des rivalités ethniques entre les musulmans camerounais. Ce morcellement n’était cependant pas vécu avec suffisamment d’intensité. L’unique cas de ‘‘rébellion’’ fut celui de l’Alcali Mohamed, chef des Foulbé. Ce dernier voulait en effet se détacher de l’importante chefferie supérieure des étrangers au Cameroun où trônait l’irremplaçable Youssouf Paraiso pour créer sa propre chefferie. Pour atteindre son objectif, il s’opposa ouvertement au chef supérieur afin de convaincre l’autorité coloniale de la justesse de ses revendications. C’est ce qui ressort de ce rapport que fait le chef de région du Wouri en 1951 : Il (Paraiso) est aux prises, dans une querelle congénitale avec Alcali, chef des Foulbé, vieux renard, retors, épaulé par l’imam foulbé qui voudrait voir ériger en groupement autonome ‘‘les populations foulbées’’ de Douala qui atteignent péniblement femmes et enfants compris 300 personnes.112 La lecture du même rapport permet de savoir que la demande d’Alcali Mohamed n’a pas été satisfaite. En effet, compte tenu des complicités et des rapports privilégiés qui 112 Ibid. 99 existaient entre Youssouf Paraiso chef supérieur et l’autorité coloniale, la réponse de cette dernière fut un non catégorique aux prétentions de cet ‘‘ambitieux’’113 et un renouvellement de sa confiance au chef en place. Ce faisant, les Français soutenaient à tout prix l’autorité du chef Paraiso contre les contestations de ses sujets ou de celles de leurs subordonnées. La nouvelle législation foncière au plan local à travers les textes précités dans le cadre des plans d’aménagement urbain et l’insubordination du chef des Foulbé donnaient ainsi une autre originalité aux relations entre musulmans, autochtones et autorité coloniale française. Qu’en était-il des premières organisations cultuelles? C-3 Les premières configurations cultuelles Du retour de la Mecque, le chef supérieur des étrangers allait trouver un compromis et s’atteler à organiser le mécanisme scolaire qui est partout lié à la présence des communautés musulmanes : l’école coranique ; ce qui devait permettre à la communauté dans son ensemble d’ouvrir les premières écoles coraniques traditionnelles pour véhiculer les valeurs qu’elle souhaitait transmettre de génération en génération. Aussi, l’ouverture et l’évolution des écoles coraniques à Douala étaient tributaires d’une double migration à la fois nationale et régionale des musulmans. A cet égard, les Haoussa et surtout les Yoruba jouèrent un rôle important dans la mise en place de cette éducation. Les premières écoles coraniques étaient tout naturellement localisées dans la zone marquée par l’influence musulmane à savoir New-Bell. Ici, les écoles coraniques qu’elle abritait formaient une des singularités des communautés islamisées qui les différenciaient grandement de l’environnement chrétien prédominant depuis les premières heures de la colonisation.114 Ces écoles coraniques, qui véhiculaient les valeurs des différentes communautés s’ouvrent au cours de la décennie 1950.115 Elles étaient basées sur le Coran et 113 Ibid. L’œuvre missionnaire chrétienne fait son entrée sur le sol camerounais par la côte quand le métis Jamaïcain Joseph Merrick fonde la mission protestante de Douala, en 1813 avant de s’en aller créer celle de Bimbia, l’année suivante. Son œuvre est cependant moins connue que celle d’Alfred Saker qui arriva à Douala en 1845 où il fonda une mission, celle de Béthel, ouvrit le premier hôpital, la première école, traduisit la Bible en langue duala ; en 1858, il fonda Victoria qui devint Limbé. Cf. E. Mveng, Histoire du Cameroun, Paris, présence africaine, 1963, p. 168 ou V.- J. Ngo, Cameroun 1884-1985, cent ans d’histoire, Yaoundé, Ceper, 1990. 115 Pour les détails sur l’école coranique au Cameroun, voir H. Adama, ‘‘Naissance et évolution de l’enseignement franco-arabe au Cameroun’’, Thèse de Doctorat en Histoire, Université de Bordeaux III, octobre 1993 et pour les raisons de l’ouverture tardive des écoles coraniques à Douala, voir H. Adama, ‘‘Migration musulmane et enseignement arabo-islamique à Douala : 1963-1993’’, Annales de la FALSH de l’Université de Ngaoundéré, Vol. II, 1997, p. 42. En outre, avant l’ouverture des écoles coraniques, l’enseignement avait lieu dans des domiciles. En effet, à Douala, on pouvait voir ‘‘sur le seuil d’une case quelconque une bande de garçonnets de 8 à 14 ans, rassemblés autour d’un vieillard et qui griffonnaient sur une ardoise des caractères arabes. Tout ce petit monde épelait à haute voix et chantait les versets du Coran à la façon de nos enfants d’Europe lorsqu’ils chantent leur table de multiplication’’. Cf. M. Cardaire, Contribution à l’étude de l’islam noir, p. 90. 114 100 fonctionnaient en marge de l’enseignement officiel. A cette époque, elles étaient marginalisées, sans doute à cause de leur opposition à l’école d’essence judéo-chrétienne. La première fut ouverte au domicile d’El-Hadj Youssouf Paraiso sis au quartier New-Bell/Congo. Son initiateur était Hassan Afolabi de l’ethnie yoruba par ailleurs premier imam de la mosquée centrale de Douala. Son choix était dicté par sa maîtrise de la langue arabe et du dogme musulman.116 A partir de 1953, il existait plusieurs écoles coraniques traditionnelles à Douala.117 Selon toute vraisemblance, il était difficile à l’origine, de trouver sur place à Douala des marabouts118 vraiment compétents pour exercer l’enseignement coranique. Deux hypothèses sont souvent émises sur les foyers de formation des maîtres coraniques en exercice dans les écoles de Douala au cours des années 1950. Selon El-Hadji Hamidou Paraiso, les maîtres coraniques en exercice dans les écoles coraniques nouvellement créées seraient originaires du Nord-Cameroun.119 Se fondant sur les noms patronymiques portés par les instructeurs haoussas de cette époque, H. Adama pense que la région susmentionnée (Nord-Cameroun) n’a pas connu, à proprement parler, une migration des prédicateurs en direction du Littoral camerounais pendant la décennie 1950. Pour lui en effet, les maîtres dont il est question seraient tout simplement des commerçants itinérants qui traversaient l’Adamawa pour rejoindre Douala, principal pôle économique d’attraction.120 De ce point de vue, les Haoussa seraient les principaux formateurs. C’est eux qui initient, encadrent et plus généralement s’occupent de la formation religieuse de la communauté. Ce rôle leur est confié par El Hadj Youssouf Paraiso, dès son retour du pèlerinage à la Mecque en 1949, pour la simple raison que dans cette communauté originaire du bassin tchadien, l’enseignement de l’arabe bénéficie d’un préjugé favorable. En effet, le Nord-Cameroun est, à cette époque, en relation avec Kano, Yola, Sokoto et autres villes islamiques situées tout près, au Nord-Nigeria, le lieu privilégié de la connaissance, le modèle par excellence de la transmission organisée et structurée du savoir. Un groupe de lettrés choisis au sein de cette ethnie et assimilés notamment Kanuri et Kotoko surgit ainsi progressivement sur la côte et se spécialise dans la reproduction du savoir, 116 H. Adama, ‘‘Migration musulmane et enseignement arabo-islamique à Douala : 1963-1993’’, pp.42- 45 Voir ANY, 2AC224/C Douala. Rapports annuels 1950-1953. 118 Voir glossaire. 119 Propos d’El-Hadji Hamidou Paraiso (fils de Youssouf Paraiso), recueillis le 8 Février 1997 à Douala par H. Adama. Cf. ‘‘Migration musulmane et enseignement arabo-islamique à Douala : 1963-1993’’, note 12, p.52. 120 Ibid., p. 44. Comme nous avons vu dans le premier chapitre, l’administration allemande facilitait leur installation dans l’objectif d’affaiblir les relations anciennes et privilégiées que ces derniers entretenaient avec les représentants des firmes anglaises de l’Afrique de l’Ouest. 117 101 structure de façon mieux organisée la diffusion et l’enseignement de l’islam. La classe cléricale se forme donc par des voyages d’études dont les éléments cherchent un enrichissement de leurs sciences au Nord-Cameroun et dans les hauts lieux du savoir islamique que sont Kano et Zaria au Nord du Nigeria ; ce qui pourrait signifier l’existence d’un faible pourcentage de musulmans lettrés à Douala au début du XXe siècle.121 Cependant, leur niveau de connaissance de la langue arabe était en général insuffisant. En effet, si l’arabe n’a jamais constitué un médium d’usage courant, elle a toujours gardé, par contre, sa place en tant que langue de culture. L’enseignement coranique se faisait par conséquent en langue vernaculaire c’est-à-dire en Haoussa, en Fulfulde (langue des Peul), en Bamun et surtout en Pidgin English. Cette dernière langue était et est encore considérée comme une langue supra ethnique dans la partie méridionale du Cameroun. Elle est la lingua franca dans le domaine des relations interethniques. C’est la langue du commerce, celle des voyageurs qui s’aventuraient au-delà de leur horizon clanique. Elle concurrençait valablement le français, langue officielle du Cameroun sous l’administration française. Le recours à ces langues (haoussa, fulfulde, bamun et pidgin english) pour expliquer le contenu des Hadiths et du Coran était d’autant plus louable mais contestable que cela encourageait la création des écoles coraniques sur des bases ethniques. Ces écoles empruntaient un modèle pédagogique semblable à bien des égards à celui qui était utilisé par des écoles de la savane camerounaise. Ce modèle d’enseignement se décline dans les travaux de H. Adama122 et de E. Iya123 qui, comparativement à ceux de R. Santerre et S. Genest124 ont le mérite d’apporter un nouveau regard initié de l’intérieur. Il se résumait à la 121 H. Adama explique le manque d’empressement de la part de la communauté Yoruba (principaux pionniers dans l’éducation) par leur double appartenance religieuse, traditionnelle et islamique malgré l’éloignement de leur terroir. Cf. ‘‘Migration musulmane et enseignement arabo-islamique à Douala : 1963-1993’’, Annales de la FALSH de l’Université de Ngaoundéré, Vol. II, 1997, p. 42. 122 H. Adama, ‘‘ L’enseignement privé islamique dans le Nord-Cameroun’’, Islam et Sociétés au Sud du Sahara, Revue de la Maison des Sciences de l’Homme, Paris, n° 13, 1999, pp. 7- 40 ; H. Adama et A. Moddibo Ahmadou, ‘‘ Itinéraire d’acquisition du savoir arabo-islamique dans le Nord-Cameroun’’, Annales de la FALSH de l’Université de Ngaoundéré, vol III, 1998, pp. 7-38. 123 E. Iya, ‘‘L école franco-arabe : facteur d’adaptation des valeurs socioculturelles des populations islamisées du Cameroun septentrional’’, Mémoire de Maitrise ès arts (M.A), Ecole de Gradués, Université Laval, 1993 et ‘‘La possibilité de l’insertion des valeurs positives de la pédagogie coranique dans la réforme du système d’enseignement au Cameroun’’, Yaoundé, Centre National d’Education, Série I, no 16, 1980. 124 R. Santerre, Pédagogie musulmane d’Afrique noire : l’école coranique peule du Cameroun, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1973 ; R. Santerre et S. Genest, ‘‘L’école franco-arabe au Nord-Cameroun’’, Revue Canadienne des Etudes Africaines, vol. VIII, n°3, 1974, pp. 589-605; R Santerre et C. Mercier Tremblay (éds.), La quête du savoir : Essais pour une anthropologie de l’éducation camerounaise, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1982. 102 création au sein de l’école coranique traditionnelle de deux niveaux d’enseignement à savoir l’élémentaire et le complémentaire125. Le niveau élémentaire donnait une éducation basée essentiellement sur une connaissance basique du Coran, sur son écriture, sur l’arabe, sur le respect du maître et des proches. Voici ce qu’en dit R. Santerre : C’est le manuel de base. Tous les autres ouvrages s’appuient sur lui ou n’en constituent que des commentaires. C’est la source d’inspiration, la référence continuelle126… C’est le livre qui informe toutes les autres matières127. En effet, au niveau élémentaire, le maître de l’école enseignait les 28 lettres de l’alphabet aux enfants, puis il leur montrait l’utilisation de la plume et de l’encre pour écrire sur la planchette. Il entamait en fin de compte, la mémorisation de quelques versets du Coran. En somme, le niveau élémentaire était entièrement consacré à la lecture et à l’écriture et/ou copie du Coran, sans effort de compréhension aucune, si ce n’était pour apprendre la première et les toutes dernières sourates qui sont brèves et fréquemment utilisées dans la prière. C’était le seul acquis définitif de l’enseignement élémentaire, puisqu’il n’y avait à ce niveau ni explication ni traduction ni commentaire d’aucune sorte sur le texte coranique recopié mécaniquement par l’élève.128 L’enseignement complémentaire qui voit le jour bien après les écoles islamiques de base consistait selon Malam Koni, dans la plupart des cas, à l’apprentissage de la traduction orale des ouvrages par l’élève qui a achevé la formation de base. Sur le plan pédagogique, le niveau complémentaire était caractérisé par la presque absence de cours ‘‘magistral’’. Le maître distribuait des traductions et commentaires à chacun de ses élèves.129 L’initiative appartenait non au maître mais aux élèves qui intervenaient à tour de rôle. Les élèves prononçaient d’abord en arabe le début d’une phrase d’un feuillet qu’ils tiennent en main. Ensuite, le maître continuait, récitant de mémoire la suite et ajoutant éventuellement ses commentaires. Enfin, les élèves le relançaient par le début d’une autre phrase si le maître 125 Cette classification se retrouve dans tous les groupes islamisés du Cameroun. Cependant, certains administrateurs coloniaux tels que J.-C. Froelich (1954), Prestat (1953), P.F. Lacroix (1953) et Beyries (1947) leur attribuent les épithètes de primaire et supérieur. 126 R. Santerre, Pédagogie musulmane d’Afrique noire, p. 29. 127 Ibid., p.123. 128 Synthèse de nos entretiens avec Malam Koni, enseignant dans des écoles coraniques de New-Bell entre 1955 et 1967, les 11et 12 avril 2004 à Douala, New-Bell/Congo. Il affirme avoir été enseignant dans les écoles coraniques de New-Bell entre 1955 et 1967. 129 Ibid. 103 venait à s’arrêter. On peut donc dire qu’il s’agissait d’un dialogue sur le mode récitatif ; et, quand le maître estimait la leçon suffisamment longue pour le travail d’une séance, il arrêtait.130 Au niveau complémentaire, les élèves exerçaient ainsi leur mémoire en mémorisant des textes tout en se souvenant de la traduction et des commentaires donnés par le Malam. Il s’agissait de passer de la phase de la lecture du Coran à la traduction et à l’interprétation des textes sacrés. En effet, le programme de ce deuxième niveau consistait à étudier des disciplines variées telles que la langue arabe, la jurisprudence, les Hadith, l’explication et le commentaire du Coran.131 Certains se spécialisaient plus tard dans l’étude des traditions prophétiques (Hadith) et des livres de droit (fiqh) ou l’exégèse et commentaire coranique (tafsir).132 Telles étaient les options que les élèves du niveau complémentaire prenaient. Certes, quelques uns choisissaient la mémorisation totale du texte sacré. Dans ce cas, ils devenaient des Hafiz133. Dans ces conditions, il était compréhensible que les élèves moins doués passent des mois, parfois des années à l’étude d’un seul ouvrage. Il n’existait pas de classe puisqu’il n’y a pas de programme annuel précis. Chaque maître commençait par le livre qu’il voulait, pour poursuivre comme il l’entendait.134 Les premières tentatives de contrôle administratif et de modernisation des écoles islamiques à Douala s’amorceront en 1963, au lendemain de l’indépendance. Le nouveau contexte nécessitait des accommodations pour conférer à l’enseignement coranique une signification et une nature nouvelle. Une fois l’organisation de la transmission du savoir amorcée, le chef des étrangers s’attela par la suite à l’organisation du culte au sein de la communauté musulmane. De la gestion du culte à Douala pendant la période coloniale A l’origine, les musulmans n’entretenaient que des relations commerciales avec les autochtones. Ils ne tenaient nullement à tomber sous la coupe des chefs dualas. Des coins des maisons leur étaient loués pour les besoins du culte. Et, au fil du temps, ils devenaient indispensables par leur argent, leur négoce, leur achat et leur échange. Leur nombre augmentait, puis, une case plus haute et plus vaste que les autres était érigée, la Mosquée.135 Entre 1937 et 1939, les musulmans regroupés en communauté priaient, chacune dans sa propre 130 Voir E Iya, ‘‘La possibilité de l’insertion des valeurs positives de la pédagogie coranique dans la reforme du système d’enseignement au Cameroun’’, p. 21. 131 Malam Koni, entretien du 12 avril 2004 à Douala, New-Bell/Congo. 132 Ibid. 133 Selon Malam Koni, cette catégorie était très rare au sortir des écoles coraniques de Douala à leurs débuts. 134 Voici quelques ouvrages qui étaient utilisés à l’école coranique de Douala : Al Muhtasar de Halîl Ibn IshâqalGundî ; La Risâla de Ibn Abi Zayd Qayrawani ; Lâmiya al-af’ âl d’Ibn Mâlik et diverses études des Hadiths et du Coran. Liste fournie par Malam Koni lors de nos entretiens des 7 et 6 avril 2004. 135 M. Cardaire, Contribution à l’étude de l’islam noir, p. 90. 104 mosquée, de taille modeste, faite en matériaux provisoires : mosquée haoussa, mosquée yoruba, mosquée sénégalaise, mosquée foulbée, mosquée bamun, etc.136 La première mosquée transcommunautaire de Douala est construite à coté du marché Lagos en 1955, grâce à un financement de l’administration coloniale française.137 Cette mosquée est construite selon le plan gothique (voir photographie no 1). Née en France et en Angleterre au début du XIIe siècle, l’architecture gothique s’impose dans presque toute l’Europe jusqu’au XVIe siècle. Son essor est dû à l’emploi, pour les voûtes des édifices religieux, de la croisée d’ogives. Le style gothique se caractérise aussi par l’emploi de l’arc brisé, la hauteur des supports, l’importance des ouvertures, garnies de vitraux. Le style architectural de la mosquée principale de la ville de Douala, avec ses colonnades, ses arcades, ses nombreuses ouvertures, et ses chapiteaux, rappelle l’empreinte gothique. Cette mosquée, construite sur un terrain cédé par la communauté Yoruba, rappelle, à bien des égards le style architectural gothique, caractéristique des monuments publics en pays yoruba, un legs d’une ancienne présence européenne dans la baie de Lagos.138 Comme l’école coranique, l’organisation de cette mosquée fut confiée au chef supérieur Youssouf Paraiso. Au sein de la communauté musulmane, ce dernier désigna un autre dignitaire, Hassan Afolabi de l’ethnie yoruba et premier imam de la mosquée centrale de Douala sise au marché Lagos pour l’organisation des prières. Des principales composantes ethniques représentatives de la majorité des musulmans à Douala, les Peul dirigeaient, selon son plan de répartition, la prière hebdomadaire du vendredi à la grande mosquée centrale. Les Yoruba dirigeaient les prières journalières à la même mosquée.139 L’unanimité s’était faite autour de Hassan Afolabi parce qu’il entretenait des relations très personnelles avec le chef supérieur des étrangers au Cameroun, Youssouf Paraiso. A ce titre, l’imam Ibrahim de l’ethnie peule a dirigé les prières hebdomadaires à partir de 1955140. Quant à l’organisation et la direction des prières journalières, elles étaient marquées par des personnalités de la communauté yoruba telles que Moussa Guiwa Salvador, Aladji Ibrahim, Anjona, Aladji et Yakini Awaïso.141 Selon H. Adama, cette répartition ethnique photographie, mosquée centrale de Douala des fonctions religieuses au sein de la communauté des musulmans de Douala était dans l’ensemble respectée par tous les croyants.142 136 ANY, APA 10.005/D, Douala, rapports annuels, 1937-1939, pp.14-15. Cette autorisation avait été accordée en même temps que plusieurs autres dans le territoire, Voir ANY, AP 2AC 1439, Affaires musulmanes, 1951-1955, pp. 21-24. 138 H. Adama, L’islam au Cameroun, p.73. 139 H. Adama, ‘‘Migration musulmane et enseignement arabo-islamique à Douala : 1963-1993’’, p. 47. 140 Il est resté à ce poste d’imam du vendredi de 1955 à 1967. 141 Nous empruntons cette liste à H. Adama. Voir ‘‘Migration musulmane et enseignement arabo-islamique à Douala : 1963-1993’’, p. 47. 142 Ibid. 137 105 106 L’amélioration des pratiques cultuelles, notamment l’enseignement et les prières communautaires, sont la conséquence de l’enrichissement humain des colonies musulmanes et du voyage à la Mecque du chef supérieur Youssouf Paraiso. Ce dernier, revenu surpris de ce qu’il y a vu et chargé d’une gloire nouvelle, il ne tarde pas alors à appeler auprès de lui de pieux hommes pour former la première école coranique transcommunautaire et à organiser le culte. La part du snobisme dans le comportement de Youssouf Paraiso est certainement importante à l’origine, mais le résultat n’en est pas moins important pour autant et la connaissance des textes pouvait s’améliorer. A l’évidence, on pouvait voir dans la politique de regroupement ou de lotissement des musulmans à New-Bell un instrument de contrôle social et fiscal des commerçants et des musulmans de Douala. Cette séparation résidentielle des populations en fonction de leur ethnie, de leur profession et leur religion fut proposée par Lord Lugard à Kano (Nigeria du Nord) dans les années 1910. Son objectif était de préserver l’autorité des Native Authority (Chefferies indigènes) des communautés étrangères et des chrétiens du Sud supposés plus ‘‘évolués’’. A Douala, ces logiques coloniales d’aménagement de l’espace devaient plutôt permettre de mener une politique indigène à plusieurs vitesses : dilution de l’autorité des chefs autochtones, contrôle géographique, social et administratif des populations ‘‘flottantes’’143 et surtout la collaboration avec un chef africain pour les migrants. Cette politique d’égards envers les communautés musulmanes de Douala s’est accompagnée tout au long de la présence française d’une surveillance du culte musulman, surveillance d’ordre politique et d’ordre religieux. Les témoignages de loyalisme du chef musulman de Douala n’ont jamais fait défaut. Des raisons objectives expliquent cette attitude : les autorités administratives soutiennent le chef, donnent des signes d’ouverture (participation au hajj, financement de la construction de la mosquée, etc.) et ceci représente une aubaine pour la communauté musulmane. Ces raisons ne suffisent toutefois pas à expliquer complètement cette attitude. Les renseignements sur l’identité de Youssouf Paraiso, au statut privilégié, permettent de comprendre pourquoi il a toujours fait confiance à l’ordre établi, auquel il est intimement lié. Ceci étant dit, par la voix de cette personnalité, la communauté musulmane est partenaire privilégié des autorités coloniales. A travers Youssouf Paraiso, la communauté se rapproche de la France ; il guide la communauté vers les options françaises. 143 ANY, 2AC 224/C Douala. Rapports annuels 1950-1953, p. 10. 107 Une certaine audace est néanmoins identifiable dans la construction de la mosquée et la mise en place de l’école coranique traditionnelle. Ces actions dérangent l’administration d’autant plus que Youssouf Paraiso demeure loyaliste et choisit d’axer les activités de la communauté sur le religieux et sur les us et coutumes des musulmans. Ces choix expliquent pourquoi nous n’assistons pas à l’émergence d’une véritable personnalité contestataire. La communauté est plutôt guidée sur les voies du colonisateur. Enfin, à travers les informations sur le parcours de Youssouf Paraiso, il apparaît que la communauté ne s’exclut pas du contexte politique local et qu’à travers des revendications religieuses, c’est aussi bien la structuration d’une vie religieuse que politique qui est en marche. L’accession à l’indépendance va-t-elle prolonger ce timide réveil ? 108 DEUXIEME PARTIE LA COMMUNAUTE MUSULMANE DE DOUALA ET LE POUVOIR NATIONAL/CAMEROUNAIS ENTRE 1960 ET LA FIN DES ANNEES 1980 : CONTINUITE ET CHANGEMENT Avec la proclamation de l’indépendance, les différentes actions des dirigeants de la communauté musulmane de Douala confirment l’idée qu’ils suivent la même logique que pendant la période coloniale, c’est-à-dire la collaboration et le loyalisme avec l’autorité politico-administrative locale, sans créer d’incidents susceptibles de raviver des images d’un passé peu défendable lorsqu’il se réduit à la compromission avec le colon. C’est dans ce contexte politique nouveau que les communautés musulmanes de Douala sont amenées à se situer et à agir. Les décennies 1960 et 1970 représentent moins une rupture que le prolongement des pratiques antérieures. La dynamique collective de ces communautés est consolidée par la défense de leurs intérêts et le sentiment d’appartenance à la même religion. On note en général une certaine homogénéité ethnoreligieuse et une forme de communautarisme. Cette seconde partie s’interroge davantage sur l’héritage de l’administration coloniale par l’administration post-coloniale. Elle sera par conséquent plus attentive aux nouveaux appuis implicites et aux soins accordés par les autorités politico-administratives post-coloniales aux musulmans de Douala pour l’amélioration des aspects extérieurs de l’islam tels la mise en place de l’école franco-arabe et surtout ce que représentait cette nouvelle forme d’éducation à ces débuts et à la fin des années 1980 au sein de la communauté musulmane de Douala ; le nouvel essor pris par la pratique du hajj; la création de nouvelles chefferies musulmanes et la multiplication des lieux de culte. Mais une exception s’impose : à la fin des années 1970 et surtout pendant les années 1980, différents enjeux devaient révéler l’importance d’une nouvelle génération de musulman 109 qualifiée de ‘‘réformiste’’1. Certains voulaient comprendre leur religion, d’autres avaient obtenu de bourses pour poursuivre des études à l’étranger, quelques-uns voulaient le renforcement de l’enseignement afin que l’arabe prenne une place importante. Les aspirations de cette nouvelle génération entrainent une première division de la communauté. Cette première cassure de la communauté n’était cependant pas encore vécue avec beaucoup d’intensité. Autrement dit la tension n’est pas encore importante. Mais, malgré les garde-fous que l’Etat a dressés l’Etat, où pressions et intimidations se mêlent et le souci des chefs traditionnels de défendre un islam conservateur, des signes dans la communauté musulmane doualaise montrent qu’une petite fraction aspire à l’autonomie et à l’assouplissement de l’Etat. 1 Certains auteurs parlent de ‘‘nouveaux Ulémas’’. Cf. C. Coulon, ‘‘Les nouveaux Ulamas et la résurgence islamique au Nord Nigeria’’, Islam et Sociétés au Sud du Sahara, no 1, 1987, pp. 27-48 et O. Kane, ‘‘Réforme musulmane au Nigeria du Nord’’, in J.L. Triaud et O. Kane (s.d.), Islam et islamisme au Sud du Sahara, Paris, Ireman-Karthala-MSH, 1998, pp.117-135 et ‘‘zala : the rise of Muslim reformism in Nigeria’’, in M. Marty and Scott Appeby (eds.), Accounting for fundamentalism : the dynamic character of movements, Chicago, the University of Chicago Press, 1994, pp. 490-512. 110 TROISIEME CHAPITRE LA COMMUNAUTE MUSULMANE DE DOUALA ET L’ETAT : DE 1960 A LA FIN DES ANNEES 1970 Dans le contexte de l’accession à l’indépendance, la religion musulmane s’était imposée petit à petit à Douala tout en se transformant et se diversifiant du point de vue interne et externe. Dans ce chapitre, il s’agit d’appréhender dans un premier temps et au plan interne la participation politique de la communauté musulmane à Douala et la nécessaire adaptation de l’école coranique et son orientation au niveau de l’acquisition des connaissances islamiques pour cadrer avec les besoins essentiels de la communauté musulmane de Douala. En effet, face à l’expansion fulgurante de l’école de type occidental, l’expérience des premières formes d’éducation islamique traditionnelle commencée sous l’administration française était menacée de sombrer dans l’insignifiance. Elle fut par conséquent obligée de chercher un mode d’adaptation à la situation en rapide évolution. Pour cela, la communauté créa, à côté des multiples écoles coraniques traditionnelles, une nouvelle structure dite ‘‘école franco-arabe’’ dont l’organisation et la gestion furent confiées à l’Association Culturelle Islamique du Cameroun (ACIC)1. Il s’agit concrètement d’étudier dans la première partie de ce chapitre l’implication des populations musulmanes de Douala dans le processus politique au lendemain de l’indépendance et cette nouvelle forme d’éducation confessionnelle privée islamique à Douala : finalité et philosophie éducatives de l’ordre confessionnel islamique, formation des formateurs, scolarisation des fidèles, financement, place de la religion dans la formation et sa capacité à surpasser le système de l’école coranique traditionnelle. Dans un deuxième mouvement, il est question d’analyser au plan externe, l’évolution du Hajj qui a pris une certaine ampleur à Douala dès les années 1972, sous 1 Créée en 1963, l’ACIC est reconnue et enregistrée sous la loi no 67/LF/19 du 12/06/1967. Sur son statut, son rôle et sa gestion des écoles franco-arabes, voir H. Adama, ‘‘Naissance et évolution de l’enseignement francoarabe au Cameroun’’, Thèse de Doctorat Nouveau Régime, Université de Bordeaux III, octobre 1993. 111 l’impulsion de l’Etat, du dynamisme interne de la communauté et de la conjugaison de plusieurs autres facteurs exogènes. A-Participation des populations musulmanes de Douala dans le processus politique local au lendemain de l’indépendance et début de la scolarisation franco-arabe à Douala A-1 La participation politique Par participation politique des communautés musulmanes à Douala, nous voulons essentiellement savoir quel est le degré d’implication des populations musulmanes de Douala dans le processus politique local au lendemain de l’indépendance. Cette approche met l’accent sur la notion d’influence et insiste aussi sur la gestion de la chose publique locale. Le premier septembre 19662, le multipartisme disparaît au Cameroun avec la création d’un parti unifié à savoir l’Union Nationale Camerounaise (UNC) dont le dirigeant est le président Ahmadou Ahidjo. Après le remplacement du président Ahidjo par son dauphin constitutionnel en 1982 et au cours du dernier congrès de l’UNC tenu à Bamenda en 1985, l’UNC est transformée en Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC). Depuis lors, le RDPC était resté le seul cadre d’expression politique au Cameroun jusqu’en 1990. A Douala, ce monolithisme politique instauré à l’aube du Cameroun post-colonial élimine ou du moins atténue les turbulences politiques.3 Un musulman, en l’occurrence Tanko Hassan est choisi pour diriger l’UNC. Originaire de Ngaoundéré dans la région de l’Adamaoua, Tanko Hassan, qui est aussi un proche du président Ahmadou Ahidjo, est un homme d’affaire prospère. Il est demeuré de 1966 à 1984, l’inamovible président de la section UNC du Wouri. Grand opérateur économique, Tanko Hassan est ‘‘associé au projet de société du pouvoir politique’’4 à travers le montage de centaines entreprises para-étatiques. Il est en effet inséré dans les noyaux durs d’actionnaires de certaines ‘‘joint ventures’’ comme la Société Camerounaise de Sacherie (SCS) ou la Société des Tanneries et de Peausseries du Cameroun (STPC).5 A la suite des difficultés liées à la passation de pouvoir entre le président Paul Biya et son prédécesseur Ahmadou Ahidjo qui aboutissent au coup 2 Après des débuts pluralistes au lendemain de l’indépendance, le régime du président Ahmadou Ahidjo se durcit à la suite des mouvements insurrectionnels qui agitent le Cameroun (pays bassa et bamiléké) dans les années qui suivent. En septembre 1966, un régime de parti unique est instauré. 3 Pour les tensions et les émeutes sanglantes qui balayent Douala et ses environs à la veille de l’indépendance, lire à toutes fins utiles J. Joseph, Le mouvement nationaliste au Cameroun. Les origines sociales de l’UPC (traduit de l’anglais par D. Michel-Chich), Paris, Karthala, 1986, pp. 279-280. 4 E. M. Owona Nguini, ‘‘L’Etat et les milieux d’affaires au Cameroun : autoritarisme, ajustement au marché et démocratie (1986-1996)’’, CEAN-IEP de Bordeaux et GRAP, 2000. 5 Ibid. 112 d’Etat manqué du 6 avril 19846, le président Tanko Hassan est arrêté et détenu pendant près de sept ans.7 Il devient donc indisponible. Le premier Vice-Président de la section est Levis Koloko, homme d’affaires bamiléké, originaire de Babouantou, dans le département du Haut - Nkam. Il est installé dans la ville de Douala depuis les années 1940. Il y a fait souche.8 Il assure la présidence de la section, puisque de nouvelles élections ne sont pas organisées afin de pourvoir le poste vacant. Le statuquo perdure dans la ‘‘section pilote’’ de Douala jusqu’au prochain renouvellement organisé du 12 janvier au 10 mars 1986.9 Un compromis est trouvé au cours de ces opérations : chaque groupe ethnique est associé à la gestion. La présidence de la section du RDPC revient à un Duala, celle de l’Organisation des Femmes du RDPC à une Bamiléké, et celle de l’Organisation des Jeunes du RDPC à un Beti. Ainsi, JeanJacques Ekindi, Françoise Foning et Marius Onana sont élus et reconduits dans leurs fonctions respectives en 1990.10 Cela dit, le contexte monolithique peut-être un prélude à l’importance du facteur ethno-religieux dans l’explication du leadership de Tanko Hassan à la tête de la plus grande section (pilote) de l’UNC. Cependant, durant cette période de parti unique, les Duala ont le monopole presque exclusif des postes stratégiques ou électifs tant pour les municipales que pour les députations.11 C’est ainsi que pour leur participation au conseil municipal, les communautés musulmanes n’ont qu’un seul conseiller en 1962, 3 en 1967, 5 en 1977, encore 5 en 1982 et 13 en 1987.12 En terme absolu, elles totalisent 27 conseillers de 1962 à 1987. En 1987, date de la création de 4 mairies d’arrondissements à Douala13, Diallo Bakai Mamoudou (Peul) est premier adjoint au maire de Douala IIe; Moluh Idriss (Bamun) est deuxième adjoint au maire à Douala Ier et Tanko Amadou (Haoussa) est maire de Douala IVe. En dehors de leur commune appartenance à l’islam, les participants appartiennent à centaines catégories sociales : ils sont principalement agents du secteur privé, de sexe masculin. Diallo 6 La Gazette, no 503, du 17 mai 1984, spécial ‘‘Du pouvoir à deux têtes aux tentatives de déstabilisation, 19821984’’. 7 Cf. Le Messager, no 380, du 1er août 1994, pp. 9-11. 8 Ibid. 9 Marchés Tropicaux et Méditerranéens, n° 2106 du 21 mars 1986, p. 749. 10 Pour suivre les événements politiques importants ayant en cours en 1990, consulter notamment le quotidien Cameroon Tribune et l’hebdomadaire Le Messager. 11 Y. Moluh, ‘‘La participation politique en milieu urbain de 1946 à 1992 : le cas de Douala’’, Thèse de Doctorat 3e cycle en Science Politique, Université de Yaoundé II, 1997, p. 128. 12 Statistiques fournies par Y. Moluh, ‘‘La participation politique en milieu urbain de 1946 à 1992 : le cas de Douala’’, pp. 95-114. 13 Voir Loi n° 87/015 du 15 juillet 1987 portant création des communes urbaines. 113 Bakai Mamoudou et Moluh Idriss sont par exemple des cadres privés; Tanko Amadou est directeur de société14 et Garba Aoudou est homme d’affaires, président du Syndicat des Commerçants importateur du Cameroun. Quant à leur participation aux députations, un seul musulman doualais parvient à se faire élire député de cette circonscription. Il s’agit précisément d’El Hadj Garba Aoudou, élu au scrutin de 1988. Au total, malgré la présence d’un musulman à la tête de l’UNC, la participation des groupements musulmans dans les arcanes du gouvernement local reste donc réduite/négligeable pendant la période du parti unique. Ils ont même pour principale caractéristique leur exclusion presque totale de la participation au parlement. En sera-t-il autant pour l’éducation ? A-2 Début et évolution de la scolarisation franco-arabe à Douala : une idée de la communauté réappropriée par l’ACIC L’école franco-arabe voit le jour au Cameroun pendant l’administration française, notamment en 1935, dans la ville de Garoua.15 Mais contrairement au Nord du Cameroun où les premières écoles franco-arabes furent des créations coloniales, la naissance et la gestion des écoles confessionnelles privées islamiques dans le Sud Cameroun datent de la période post-coloniale et sont toujours exprimées et concrétisées par les minorités musulmanes.16 Il s’agit des communautés qui créent des établissements de ce genre pour donner à leurs enfants un cadre éducatif géré et contrôlé par les musulmans. De ce qui précède, il va sans dire que, au sortir de la colonisation, les communautés musulmanes urbaines du Sud Cameroun n’avaient pas, du point de vue occidental, une tradition scolaire à cycle complet dispensée par elles-mêmes. Dans cette perspective, la première école franco-arabe dans la partie méridionale du Cameroun est l’œuvre d’un musulman d’origine mauritanienne, instituteur, diplômé de la faculté des lettres d’Al Azhar, El Hadj Mahmoud Ba. Il créa, le 30 juillet 1962, ‘‘l’école islamique de Yaoundé’’; création qui, selon O. Moussa, précipita un an plus tard en 14 Lire ‘‘Tanko Amadou, le ‘‘Baobab’’ de Bonabéri’’, Cameroon Tribune, quotidien bilingue, n° 410 du 12 novembre 1987, p.11. 15 Voir H. Adama, ‘‘L’enseignement privé islamique dans le Nord-Cameroun’’, Islam et Sociétés au Sud du Sahara, no 13, 1999, p. 2. Mais pour plus de détails sur l’école franco-arabe au Cameroun en général, voir sa thèse de Doctorat intitulée ‘’Naissance et évolution de l’enseignement franco-arabe au Cameroun’’, H. Adama a par ailleurs consacré de nombreux travaux à l’analyse de la dynamique de l’école franco-arabe au Cameroun. Voir entre autres ‘‘L’école franco-arabe camerounaise : bilan et perspectives’’, in G.L. Taguem Fah, Cameroun 2001, Paris, L’Harmattan, pp.90-135 et ‘‘Migration musulmane et enseignement arabo-islamique à Douala : 1963-1993’’, Annales de la FALSH de l’Université de Ngaoundéré, Vol. II, 1997, pp. 37-54. Ces travaux n’ont pas cependant diminué l’intérêt de l’analyse et nous en avons tiré grand profit. 16 H. Adama, ‘‘L’école franco-arabe camerounaise : bilan et perspectives’’, pp. 89-94. 114 1963, la mise en place de l’ACIC.17 Celle-ci récupéra l’œuvre du Mauritanien, la rebaptisa en ‘‘école franco-arabe’’ et inscrivit dans son statut la priorité de la développer. De là un conflit de compétence ou de propriété avait amené l’initiateur de l’institution à Yaoundé à s’en aller, amenant avec lui tous les documents importants.18 Les années 1960 ouvrent donc une nouvelle phase dans le développement de l’éducation islamique au Cameroun. Pour participer au fonctionnement de l’appareil administratif naissant, la scolarisation devient une priorité au sein de la communauté musulmane. En la matière, la communauté musulmane de Douala s’inspire de l’exemple de Yaoundé, des principes du pluralisme scolaire, de la laïcité, de la neutralité et de la liberté d’enseignement de la loi de 196419 et d’autres textes qui furent initiés par la suite pour organiser, cadrer et consolider l’enseignement privé islamique au sein de l’ACIC. Cette association exerçait sous le contrôle pédagogique et administratif de l’Etat de qui elle percevait des subventions comme appui aux charges financières afférentes au fonctionnement de ces initiatives. Finalité et philosophie de l’éducation confessionnelle islamique Derrière tout projet éducatif se profile une visée idéologique et philosophique avouée ou inavouée, de même que toute intention éducative est fondamentalement liée à un idéal de société et d’homme à former. On peut dans cette perspective se demander à quelles finalités la communauté musulmane de Douala avait ouvert une école et quel rapport elle entretenait avec l’Etat. Il s’agit d’une école privée autonome où les matières laïques et religieuses sont enseignées à leurs enfants. La communauté souhaitait ainsi satisfaire une demande de la part des parents d’élèves, soucieux de donner à leurs enfants une ‘‘éducation moderne’’20, qui allie à la fois la tradition coranique et le programme ‘‘officiel français’’21. Dans cette perspective, c’est en 1962 que la communauté musulmane de Douala sollicite et obtient du maire de la ville, Rudolph Tokoto, le déblocage d’un budget et un site destiné à la construction d’un établissement scolaire qui devient officiellement l’école francoarabe de New-Bell.22 17 O. Moussa, ‘‘La culture arabo-islamique, les Haoussa du Sud-Cameroun (le cas de Yaoundé) et l’intégration nationale’’, Thèse de Doctorat Nouveau Régime, Université La Sorbonne Nouvelle, Paris III, 1987, p. 78. 18 Ibid., p. 275. 19 Ces principes avaient été hérités de la période coloniale. Voir Loi no 064/LF/11 juin 1964 : contrôle et fonctionnement de l’enseignement privé. 20 El Qiblah, ‘‘Dossiers Spécial Education islamique à Douala’’, n° 14 du mercredi 25 octobre 2000, p 8. 21 Cette définition est extraite de la description de S. Genest et R. Santerre, ‘‘L’école franco-arabe au Nord Cameroun’’, in R. Santerre et C. Mercier Tremblay, La quête du savoir. Essai pour une anthropologie de l’éducation camerounaise, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1982, pp. 387 et suivantes. 22 El Qiblah, ‘‘Dossiers Spécial Education islamique à Douala’’, p 8. 115 Pour la communauté musulmane de Douala, cette école est un moyen de moderniser l’ancienne école coranique afin de promouvoir une instruction islamique ‘‘moderne’’ parallèle à la formation dispensée dans les écoles publiques. Autrement dit, assurer un niveau convenable à l’étude de la langue du Coran face au poids grandissant de l’enseignement ‘‘moderne en français’’ et rattraper ainsi son retard sur le plan éducatif.23 En effet, la mise en place de réseaux d’éducation séculiers et missionnaires protestants et catholiques conduisait, depuis l’époque coloniale, à la relève dans l’administration24, l’accès aux fonctions de pouvoir, d’autorité, même subordonnées, passait par l’‘‘occidentalisation’’. La création de l’école franco-arabe avait en définitive un double objectif : celui d’occuper une position mitoyenne -entre tradition et modernité- en sauvegardant la foi des enfants tout en instaurant les conditions pour que ceux-ci puissent devenir fonctionnaires.25 Pour en arriver là, ce processus connut à peu près le cheminement suivant : 1-existence des écoles coraniques; 2influence grandissante de l’école moderne ; 3-formation de nouveaux cadres ; 4-déclin des écoles coraniques ; 5-attachement à une éducation religieuse ; 6-création de l’école francoarabe. Bien que ce schéma soit simpliste et peu approprié, d’autant que l’attachement à une éducation religieuse est un attachement permanent et ne peut venir en étapes déterminées, ces différentes phases qui ont conditionné sa création ont néanmoins façonné sa double nature. D’après ce cheminement, on peut constater que les objectifs de l’école franco-arabe découlaient de la situation de marginalisation subie par l’école coranique traditionnelle. Selon Malam Faroukou26, l’école franco-arabe de Douala à cycle complet ouvre effectivement ses portes à la rentrée scolaire 1962-1963 au quartier New-Bell. Elle fonctionne sur la base d’un programme double : la section francophone et la section arabophone. C’est par la suite, à la rentrée scolaire 1963-196427 que l’ACIC est sollicitée 23 Voir entre autres, H. Adama, ‘‘ Naissance et évolution de l’enseignement franco-arabe au Cameroun’’;‘‘L’école franco-arabe camerounaise : bilan et perspective’’, pp.90-135 et E. Iya, ‘‘L’école francoarabe, facteur d’adaptabilité des valeurs socioculturelles des populations islamisées du Cameroun septentrional’’, Maîtrise ès Art, Ecoles des Gradués, Université Laval, 1993. 24 Sur la participation des missions chrétiennes à cette entreprise depuis l’époque coloniale, lire entre autres J. Charre, Le positionnement de l’œuvre scolaire. Vers un nouveau collège protestant. Yaoundé, Clé, 2005 ; SENECA, L’enseignement catholique au Cameroun (1890-1990), Yaoundé, Publication du Centenaire, 1992 ; R. Mballa Owono, L’école coloniale au Cameroun : approche historico-sociologique, Yaoundé, Imprimerie nationale, 1986; L. Ngongo, Histoire des forces religieuses au Cameroun, Paris, Karthala, 1982 et C. Marchand, La scolarisation française au Cameroun, 1920-1970, T. I et II, Québec, Université Laval, 1975. 25 Voir S. Genest et R. Santerre, ‘‘L’école franco-arabe au Nord Cameroun’’, 1982, pp. 387. 26 Malam Faroukou est le second directeur de l’école franco-arabe de Douala. Au cours de nos entretiens des 13 et 14 avril 2003 à son domicile au quartier Nkololoun, il nous a présenté entre autres papiers privés, une copie de l’acte juridique de création de cette école qui porte le n0 85/ MINEDUC/ DAB/ 1961. 27 Cf. Loi No 64/11 juin 1964 : contrôle et fonctionnement de l’enseignement privé. 116 pour la reconnaissance officielle de l’école par le gouvernement et ‘‘pour envoyer des enseignants qualifiés’’28. L’ACIC était alors représentée dans la région du Littoral par El Hadj Garba Aoudou (voir photographie no 2).29 Homme pluridimensionnel, il était vice président national de l’ACIC et homme d’affaires. A ce titre, il avait œuvré pour la fondation de l’école francoarabe de Douala et n’avait cessé de déployer des efforts pour sa promotion. Pour ce patriarche de la communauté musulmane de Douala, la concurrence de l’école officielle avait dépossédé sur le plan local les parents musulmans de leur rôle d’éducateurs. Par ailleurs, la dispersion des enfants dans les écoles laïques ou même confessionnelles chrétiennes ne permettait pas de leur enseigner les fondements de la religion quand ils n’étaient pas tout simplement obligés de suivre d’autres doctrines, d’autres croyances.30 La volonté communautaire était donc soutenue par El Hadj Garba Aoudou, puissante personnalité générée par la diaspora musulmane à Douala, comparable au self-made-man américain qui, par ses propres efforts réussit à se hisser au dessus du lot. Bénéficiant d’une ‘‘ grande renommée’’31, son statut social différent lui conférait une audience toute particulière parmi ses pairs. Il était aussi convaincu de la nécessité d’asseoir ou de perpétuer les idéaux islamiques à travers le financement de l’éducation. Jusqu’à sa mort survenue en 2006, il avait œuvré pour la fondation et la marche de l’école franco-arabe de New-Bell. : ‘‘il déployait de nombreux efforts financiers et matériels pour la promotion de l’école franco-arabe de New-Bell (…) et s’investissait en multipliant des initiatives pour sa survie’’32. Mais ce soutien ne relevait-il pas de la logique et de la stratégie de contrôle de la communauté musulmane ou d’une stratégie de positionnement individuelle? L’ACIC et l’école franco-arabe de Douala Pour conférer à l’enseignement coranique une signification et nature nouvelle, pour le soutenir et lui permettre d’étendre son réseau, il est créé en 1963, avec siège à Garoua, l’ACIC. Cette association, unique à l’époque et reconnue en 196733, disposait en principe du monopole légal de la représentation et donc du statut d’interlocuteur privilégié des autorités.34 28 El Qiblah, ‘‘Dossier Spécial Education islamique à Douala’’, p. 8. De 1963 jusqu’à sa mort en 2006. 30 Synthèse des propos d’El Hadj Garba Aoudou, recueillis lors de notre entretien du 12 mai 2004 à son domicile à New-Bell/Nkololoun. 31 J.F.Médard, ‘‘ ‘‘Le big man’’ en Afrique : esquisse d’analyse du politicien entrepreneur’’, L’Année Sociologique, n° 42, 1992, p.169. 32 Le Messager, no 2326, p. 3. 33 Cf. Loi n° 67 /LF/19 du 12/06/1967. 34 Cette situation n’était pas spécifique au Cameroun et pouvait s’observer notamment en Guinée, même si l’homogénéisation du paysage islamique ou la ‘‘mise au pas des musulmans fut plus brutal’’ (Cf. M. GomezPerez, L. Audet-Gosselin et J. Leclerc, ‘‘Itinéraires de réformistes musulmans au Sénégal et en Guinée : regards croisés (des années 1950 à nos jours)’’, in Ndaywel Nziem, E. I., et Mudimbe-Boyi, E. (éds), Images, mémoires 29 117 Photographie no 2(El Hadj Garba Aoudou) p. 123 ou 124 ? et savoirs. Une histoire en partage avec Bogumil Koss Jewsiewicki, Paris, Karthala, 2009, pp. 435-460.) et au Mali avec la création de l’Association malienne pour l’unité et le progrès de l’islam (AMUPI) sous le contrôle du gouvernement. Cf. L. Brenner, ‘‘Constructing Muslim Identities in Mali’’, in L. Brenner (éd.), Muslim Identity and Social Change in Sub-Saharian Africa, London, Hurst, pp. 59-78. 118 L’article premier du statut de cette association fait mention expresse qu’elle est créée ‘‘pour promouvoir le développement des activités culturelles islamiques au Cameroun, développer l’enseignement franco-arabe, diffuser la doctrine musulmane35, resserrer les liens entre les croyants’’36. Cette tâche lui est confiée par l’Etat. Et, pour l’accomplir, l’ACIC procède à un quadrillage territorial national par la constitution de trois secrétariats à l’éducation, sorte de commissions scolaires islamiques qui contrôlaient les écoles francoarabes du territoire. Les programmes37 étaient conçus par le Secrétariat à l’Education de l’ACIC. Chaque secrétariat s’occupait de la gestion et de l’administration des établissements chargés de l’enseignement islamique : secrétariat à l’éducation de la zone Nord ; secrétariat à l’éducation de la zone Ouest et Secrétariat à l’éducation de la zone Sud. La province administrative du Littoral se trouvait dans la zone Sud. Et, pour des raisons de présence et de densité de la population musulmane, deux écoles franco-arabes y seront ouvertes : une à Nkongsamba38 et une autre à Douala39. Pour remplir sa tâche, l’ACIC s’entoure tant au niveau de la direction exécutive à Yaoundé que de ses démembrements au niveau des zones (Nord, Ouest et Sud), des responsables arabophones fidèles aux options de la politique du président Ahmadou Ahidjo. Les plus célèbres étaient El Hadj Banoufe Hamadou, El Hadj Aminou Oumarou, Cheikh Daouda Mohaman (bureau exécutif) ; Aboubakar, Abdallah Moussa, Garba Oumarou, Abdourahman Abdoulkarim (secteur Nord) ; El Hadj Garba Aoudou (Littoral) ; El Hadj Malam Kouotouo Atam, Malam Innua Wirba, Ahmed Ibrahim Nzube Epie (secteur Ouest). Il s’agissait très souvent des personnalités dépourvues de titres religieux et qui étaient en majorité de hauts fonctionnaires, de grands commerçants, etc. Les objectifs sont clairs. Officiellement, il s’agit, pour les leaders qui animent cette politique unificatrice, de promouvoir entre autre l’enseignement de l’arabe et, par la représentativité de l’organisation, de mener une action de groupe de pression plus efficace au service de la cause musulmane. En fait, ils ne mettaient pas à mal la politique centralisatrice de l’Etat et s’inscrivaient dans la politique de ‘‘sécularisation’’ de l’islam. 35 C’est nous qui soulignons. Statut de l’ACIC, 1963, p.1. 37 Voir les tableaux du programme officiel tel que conçu par l’ACIC, de la 1ère année (SIL) en 6e année (CM2) dans E. Iya, ‘‘L’école franco-arabe, facteur d’adaptabilité des valeurs socioculturelles des populations islamisées du Cameroun septentrional’’, pp.69-75. Il faut cependant préciser que ces programmes étaient à titre indicatif. Chaque enseignant dispensait des cours qu’il jugeait utile par rapport à son itinéraire, son cursus et surtout le niveau de sa classe. 38 L’école franco-arabe de Nkongsamba ferme ses portes en 1988. 39 Les autres provinces administratives qui ressortissaient de la zone Sud étaient : le Centre, le Sud et l’Est. Il existait une école franco-arabe à Yaoundé. Jusqu’en 1990, il n’existait pas encore d’écoles franco-arabes au Sud et à l’Est. 36 119 Cette initiative était d’autant plus heureuse pour le pouvoir politique qu’il y était souvent impliqué par leaders interposés. Cette institutionnalisation introduisait en effet la rationalisation de la gestion des relations entre l’Etat et les fidèles. Il disposait désormais d’un interlocuteur unique, avec lequel il était possible de négocier plus efficacement des dossiers éducatifs et bien d’autres concernant la communauté. Cette démarche n’était pas innocente, car, en donnant aux notables musulmans le statut d’interlocuteurs privilégiés du pouvoir politique à travers l’ACIC, l’Etat tendait à renforcer leur image et leur autorité auprès des fidèles et en contrepartie, il attendait des notables musulmans qu’ils contrôlent les faits et gestes des fidèles. L’officialisation de la communauté musulmane apparaissait pour ainsi dire comme l’instrument de promotion d’un groupe et du renforcement du contrôle de l’Etat, ce dernier pouvant toujours, en cas de non soumission, destituer les notables trop indépendants ou tout simplement retirer l’agrément. La création de l’ACIC en 1963, sa reconnaissance tardive en 1967 et l’absence de fondement juridique40 de cette association participait aussi d’une stratégie du pouvoir de contrôler l’islam et ses notables. De même, la restructuration tardive de l’ACIC, en 198841, faisait partie de cette stratégie et témoignait aussi des luttes de positionnement dans cette association. Bien plus, l’ACIC était placée sous la surveillance de la présidence de la République et ses membres étaient systématiquement contrôlés dans la mesure où elle apparaissait également comme un partenaire incontournable des pays arabes.42 Pour gérer et administrer l’école franco-arabe, l’ACIC avait besoin d’un personnel enseignant qualifié francophone et arabophone. Disposait-elle des moyens de sa politique ? Le personnel enseignant : formation et recrutement Comme l’école franco-arabe avait un double programme, le corps enseignant était aussi bilingue (arabophone et francophone) et bi-confessionnel (musulman et chrétien) .43 A sa création, on trouvait uniquement des enfants musulmans ; puis avec le temps, des élèves non-musulmans s’y sont intéressés.44 L’ACIC recrutait avec l’aide de l’Etat des maîtres francophones pour l’enseignement des matières en français en alternance avec les maîtres 40 En droit camerounais, il n’existe pas, en effet, de notion de représentant d’un culte. En fonction du principe de ‘‘neutralité’’ ou de ‘‘laïcité’’ de l’Etat camerounais, le législateur ne peut reconnaitre un ou des cultes, pas plus qu’il ne peut intervenir dans leur organisation. Il ne lui est possible, afin de soutenir leurs activités sociales, que de subvenir aux déficits des associations chargées de la gestion des biens d’une communauté telles que les écoles reconnues par la loi. Mais aucune reconnaissance ou aide à une instance représentative n’est autorisée. 41 Cf. ‘‘Statuts de l’ACIC’’, décret n° 88/319 du 7 mars 1988. Voir aussi le Tableau Confessionnel légal de la République du Cameroun dans Cameroon Tribune, quotidien bilingue du 31 mars 2006, pp. 21-22. 42 G. L. Taguem Fah, ‘‘Processus politique, mutation sociale et renouveau islamique au Cameroun’’, Rupture/Solidarité, no 4, Paris, Karthala, 2003, p. 223. 43 Malam Faroukou, entretien du 13 avril 2003 à son domicile au quartier New-Bell/Nkololoun. 44 Ibid. 120 arabophones. Ces derniers, laissés à la charge de l’ACIC, s’occupaient de l’encadrement coranique des enfants. Quant aux enseignants de français, ils étaient délégués dans l’école par l’inspection départementale de l’enseignement primaire et maternel, étaient des fonctionnaires et leurs salaires leur étaient versés indépendamment du lieu d’exercice de leur fonction. La rareté des brevetés au sein de la communauté musulmane à cette période obligeait les responsables des écoles franco-arabes à rechercher des maîtres francophones non musulmans, le plus souvent de confession chrétienne.45 Les enseignants de l’arabe étaient, au début de la mise en place de l’école, recrutés sur place, selon les méthodes traditionnelles de sélection. Le maître d’arabe (marabout/malam) était alors recruté au sein de la communauté et ce recrutement était validé par la section locale de l’ACIC.46 La communauté recourait à cette méthode à cause d’un manque de personnel arabophone qualifié. Parallèlement à cela, au lendemain de l’indépendance et notamment au cours des années 1970, les Camerounais bénéficient de multiples bourses octroyées par l’Egypte et surtout l’Arabie Saoudite.47 H. Adama souligne à ce propos que le nombre de bourses d’études allouées dépassait d’ailleurs celui des étudiants envoyés.48 Entre 1962 et 1986 par exemple, près de 200 bourses d’études ont été proposées par seulement trois pays : l’Arabie Saoudite, l’Egypte et la Libye.49 C’est ainsi qu’à partir des années 1970 et, grâce au retour au Cameroun des premiers boursiers envoyés par le gouvernement camerounais pour se spécialiser en matières religieuses et littéraires, l’ACIC recrutait de plus en plus de ces diplômés dans les écoles franco-arabes.50 Cette politique obéissait au souci de contribuer à mettre en place une nouvelle pédagogie censée être plus ouverte aux réalités de la communauté musulmane avec le recrutement de maîtres formés dans les pays arabes à la tête des écoles franco-arabes. On pensait ainsi améliorer ‘‘les choses en relevant la qualité des prestations pédagogiques’’51 45 Voir H. Adama, ‘‘L’école franco-arabe camerounaise : bilan et perspectives’’, p. 99. Entretiens avec El Hadj Garba Aoudou, les 12 et 14 mai 2004 à son domicile à New-Bell/Nkololoun. 47 Les relations entre le Royaume de l’Arabie Saoudite et la République du Cameroun existent depuis1966. Depuis lors, l’Arabie Saoudite apporte un appui considérable aux étudiants camerounais grâce aux bourses qui leur sont consenties et qui leur permettent d’étudier dans de différentes universités saoudiennes. Mais sur un plan global, cette politique entrait dans un cadre général de prosélytisme en direction de l’Afrique au Sud du Sahara. Voir R. Otayek (s.d.), Le radicalisme islamique au Sud du Sahara. Dawa’a, arabisation et critique de l’Occident, Paris, Karthala-MSHA, 1993. 48 H. Adama, ‘‘Naissance et évolution de l’enseignement franco-arabe au Cameroun’’. 49 G.L. Taguem Fah, ‘‘Processus politique, mutation sociale et renouveau islamique au Cameroun’’, note 45, p. 241. 50 H. Adama, ‘‘L’école franco-arabe camerounaise : bilan et perspective’’, p. 95. 51 Ibid. 46 121 dans la mesure où qualitativement, les nouveaux maîtres arabophones étaient à priori mieux qualifiés pour ne plus se contenter de la ‘‘simple copie du Coran sur la tablette comme c’est l’habitude dans les écoles coraniques traditionnelles’’52. Cette nouvelle approche qu’on peut qualifier de ‘‘réformiste’’53 faisait donc recours aux matières et méthodes d’enseignement radicalement différentes de celles des maîtres coraniques. Toujours à partir du milieu des années 1970, la section arabophone avait aussi un personnel constitué d’une part, des Camerounais formés dans les trois ‘‘cours normaux d’arabe’’, sorte d’écoles normales des instituteurs arabophones créées respectivement en 1970 (Garoua), 1971 (Maroua) et 1972 (Ngaoundéré) dans la partie septentrionale du Cameroun54 et d’autre part, des enseignants de l’assistance technique marocaine, égyptienne et même mauritanienne, dont la présence de temps en temps était à mettre sur le compte de l’initiative prise conjointement par l’ACIC et le ministère des Relations Extérieures auprès de ces différentes pays.55 Les salaires des enseignants arabophones étaient en partie fournis par les subventions annuelles de l’Etat56 et les ressources de l’ACIC par ailleurs alimentées presqu’intégralement par les fonds publics.57 A Douala, les enseignants étaient rétribués sur une base de 26 à 29.000f CFA par mois au moment de leur recrutement.58 Par la suite, l’accroissement de solde était fonction du nombre d’années d’études en pays arabes et, éventuellement, des diplômes obtenus.59 En plus de cette aide financière, le gouvernement fournissait aussi du personnel qualifié grâce à des formations, dotait en mobilier et matériel didactique nécessaires. Les enseignants étrangers étaient rémunérés par leur coopération respective. 52 Ibid., p. 105. Ibid. 54 L’ACIC en avait pris l’initiative à la suggestion d’un maître égyptien d’arabe à Garoua, qui enseignait auparavant dans une école normale égyptienne. Les deux autres responsables de ces ‘‘cours normaux’’ étaient des Camerounais originaires du Nord, qui, boursiers de l’Arabie Saoudite, avaient étudié sept ans à Médine et en avaient rapporté l’un une licence en arabe et l’autre en droit. Leur salaire de 45.000f CFA était payé par l’ACIC alors que le titulaire de Garoua appartenait à la coopération égyptienne qui le rémunérait. Cf. S. Genest et R. Santerre, ‘‘L’école franco-arabe au Nord-Cameroun’’, Revue Canadienne des Etudes Africaines, Vol.8, No 3, 1974, p. 603. L’admission au cours normal requérait l’équivalent d’un CEPE en arabe et la formation durait deux ans et donnait droit à un diplôme d’arabe. 55 H. Adama, ‘‘L’école franco-arabe camerounaise : bilan et perspective’’, p. 95. 56 El Hadj Garba Aoudou, entretien du 14 mai 2004 à son domicile à New-Bell/ Nkolouloun. 57 Ibid. 58 Ce salaire restait inférieur à celui de leurs collègues instituteurs adjoints francophones. Cf. El Qiblah, no 15, novembre 2000, p. 3. 59 Aurore Plus, no 531, octobre 2002, p. 10. 53 122 Comme on peut le constater, pour donner de l’impulsion à la toute jeune école, l’ACIC faisait d’abord appel aux services d’un personnel formé sur le tas, ‘‘au niveau très bas et sans diplôme officiel’’60 ; ce qui ne manquait pas de poser des problèmes de différence et d’inégalité au sein du corps enseignant. Par la suite, elle avait fait appel à un personnel local formé sur place dans les écoles normales et à l’étranger. Ce personnel bénéficiait pour les enseignements des matières religieuses de l’aide des conseils pédagogiques étrangers. Outre de participer à la reconnaissance et à la mise en place de cette école, l’ACIC concevait les programmes et orientait la formation. Programmes et orientation de la formation ou savoir dispensé A l’origine, les deux enseignements français et arabe tels que conçus par l’ACIC se donnaient tous les jours du lundi au vendredi. La journée d’étude était divisée en deux parties d’inégale importance. La première partie, la matinée, était consacrée à raison de 25 heures hebdomadaires, à l’enseignement en français des matières du programme officiel c’est-à-dire le programme des écoles publiques. A l’école franco-arabe de Douala par exemple, les cours se déroulaient entre 7h30 et 12h20. L’après midi était réservée, de 14h30 à 17h, à l’enseignement en arabe. Comme le montrent les tableaux no 3 et no 4, sept domaines d’activités scolaires se répartissent ce temps. Ce sont les matières de maîtrise de la langue française (lecture, conjugaison, dictée préparée, grammaire, orthographe, vocabulaire, rédaction, récitation et chant) qui, avec un total de 9h 15 représentent 37% des 25 heures ; les différentes matières d’initiation aux mathématiques (calcul, arithmétique, géométrie et système métrique) totalisent 5 heures (20%). Puis viennent les matières de connaissance de l’environnement national et international (histoire, géographie, instruction civique, morale, actualité/information) avec 2h45 (11%), les activités pratiques et sportives (dessin, éducation physique, travail manuel et écriture) pour 1h45 (7%), les sciences et l’hygiène disposent de 1h30 (6%). Le contrôle de ces connaissances (évaluation formative) nécessite 2h15 (9%) et enfin la recréation compte un temps cumulé de 2h30 (10%). Les manuels utilisés étaient les mêmes que ceux utilisés dans le secteur public. 60 S. Genest et R. Santerre, ‘‘L’école franco-arabe au Nord-Cameroun’’, p. 594. 123 Tableau no III : Emploi du temps des classes du cours moyen 1ere et 2e année de l’école franco-arabe de Douala Le programme officiel français Jours/Matières Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Morale Instruction Morale Instruction Actualités civique (information, Horaires 7h30 à 7h45 civique gouvernement, création) 7h45 à 8h15 Arithmétique Géométrie Système Arithmétique métrique Problèmes pratiques (arithmétique) 8h15 à 8h45 Grammaire Conjugaison Grammaire Conjugaison Orthographe d’usage 8h45 à 9h15 Géographie Hygiène Dessin Science Calcul 9h15 à 9h30 Ecriture Récitation Chant Récitation Contrôle 9h30 à 10h Travail Education Histoire Exercices, Contrôle manuel physique et conjugaison sportive 10h à 10h30 10h30 à 11h R é c r é a t i o n Orthographe Préparation de Vocabulaire Rédaction Dictée- grammaticale dictée 11h à 11h30 Science Calcul écrit Dictée préparée Histoire Contrôle 11h30 à 12h Calcul écrit Lecture Calcul Calcul écrit Contrôle Vocabulaire Lecture Lecture Contrôle question (exercices) 12h à 12h30 Lecture Source : Archives de Malam Faroukou 124 Tableau n° IV : La répartition du temps scolaire par domaine d’activités (matière en français) I) Matières de maîtrise de la langue française : lecture 2h ; conjugaison 1h30 ; dictée préparée 1h30 ; grammaire 1h ; orthographe 1h ; vocabulaire 1h ; rédaction 0h30mn ; récitation 37% = 9h 15hn (555mn) 0h30mn ; chant 0h15mn. II) Matières de connaissances mathématiques : calcul 2h30mn ; arithmétique 1h30mn ; géométrique 0h30mn ; système métrique 20% = 5h (300mn) 0h30mn. III) Matières de connaissance de l’environnement national et international : histoire 1h ; géographie 0h30mn ; instruction civique 0h30mn ; morale 0h30mn ; 11% = 2h45mn (165mn) actualité-information 0h15mn. VI) Activités pratiques et sportives : dessin 0h30mn ; éducation physique 0h30mn ; travail 07% manuel 0h30mn et écriture 0h30mn. = 1h45mn (105mn) V) Sciences et hygiène : sciences 1h ; hygiène = 1h30mn (90mn) 0h30mn. 06% VI) Contrôle des connaissances : évaluation formative (0h30mn x 4) + 0h15mn. = 2h 15mn (135mn) VII) Récréation (0h30mn x 5). = 2h 30mn (150mn) 09% 10% Total Source : Synthèse de l’auteur = 25h 100% 125 L’après midi était réservée, de 14h30 à 17h, à l’enseignement des matières en arabe (voir tableau no 5). Le temps hebdomadaire de 12h30 est de la moitié de celui de l’enseignement officiel. On pouvait voir à travers la priorité accordée à l’enseignement en français dans cette école le souci de faciliter l’insertion de la jeunesse dans un environnement dominé par la langue française et l’enseignement de type occidental. Cependant, placer les cours d’arabe dans l’après midi, après 5 heures de cours en français posait deux problèmes importants : le manque d’attention des élèves et la tentation d’un certain nombre d’élèves de pratiquer l’école buissonnière.61 En outre, cette inégalité de temps entraînait un déséquilibre dans la formation des élèves qui étaient toujours plus à l’aise en français qu’en arabe. Les principales matières qui se partagent cet horaire sont les disciplines de maîtrise de la langue arabe (grammaire, conjugaison, dictée, langage ou vocabulaire, lecture et récitation) et les matières religieuses (la prière et les interdictions, traduction, Coran, histoire de l’islam et religion), qui, avec chacune 5h15 occupent 84% du temps de l’enseignement coranique. Le reste de ce temps se répartit entre la récréation pour 1h15 (10%) et le calcul et l’écriture 45mns (6%) (voir tableau no 6). Tableau n° V : Emploi du temps des classes de cours moyens 1er et 2e année de l’école franco-arabe de Douala Programme en arabe Semaine Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi horaire 14h à 15h15 Coran Grammaire histoire de l’islam Religion Traduction 15h15 à 15h30 r 15h30 à 16h15 Récitation e Conjugaison c r é a Langage ou t i o n Lecture vocabulaire 16h15 à 17h La prière et Traduction Dictée interdictions Grammaire les interdictions Sources : Archives de Malam Faroukou 61 La prière et les Cette préoccupation s’observe dans plusieurs autres pays d’Afrique noire francophones. Voir S. Cissé, L’enseignement islamique en Afrique Noire, Paris, L’Harmattan, 1992. Calcul et écriture 126 Tableau n° VI : Répartition du temps scolaire par domaines d’activité (matières en arabe) I) Matières de maîtrise de la langue arabe : grammaire 1h30mn ; 5h15mn conjugaison 0h45mn ; dictée 0h45mn ; langage ou vocabulaire (42%) 0h45mn ; lecture 0h45mn ; récitation 0h45m. II) Matières religieuses : la prière et les interdictions 1h30mn ; 5h15mn traduction 1h30mn ; coran 0h45mn ; histoire de l’islam (42%) 0h45mn ; religion 0h45mn. III) Recréation 1h15mn 0h15mn x 5 (10%) IV) Calcul et écriture 0h45mn (6%) Total 12h30mn 100% Source : Synthèse de l’auteur En embrassant l’étude du Coran, l’histoire de l’islam, la grammaire, les aspects de la religion dans ses différentes formes comme la prière et les interdictions, etc. (voir tableau no 7), le programme visait à la fois les deux niveaux élémentaires et complémentaires de l’école coranique traditionnelle62. L’élève musulman subissait, à cause de cet enseignement mixte, un horaire hebdomadaire de 37h30. Il ne s’en libérait que les samedis et les dimanches selon le calendrier de l’école officielle laïque contrairement à la tradition islamique qui ne place les congés qu’à partir de mercredi soir jusqu’au vendredi à midi63. Ce temps était parfois plus long pour les élèves de la 6e année (CM 2) qui devaient préparer les concours dans les collèges publics et le CEPE.64 L’ACIC par ce programme, était engagée dans une logique d’accumulation de savoirs en arabe, à la fois religieux et linguistique. Les enseignements s’étalaient sur six ans. La fin des études était sanctionnée par un ‘‘Certificat d’études Arabes’’, équivalent au CEPE du système francophone. Dans les papiers privés de Malam Faroukou, nous avons trouvé un exemplaire de ‘‘Certificat d’Etudes Arabes’’ daté de 1969. Il comportait les matières suivantes : Divinité, Rites religieux, Grammaire, Prononciation, Abréviation, Sens de l’Abréviation, Rédaction, Doctrine, Dictée et Ecriture. 62 Rappelons que l’enseignement coranique traditionnel distingue nettement deux niveaux, dont le premier se résume à apprendre à lire et à écrire le Coran, tandis que le l’autre débouche sur les sciences coraniques. Cf. R. Santerre, Pédagogie musulmane d’Afrique noire, l’école coranique peule au Cameroun, p. 31. 63 Ibid., p.79. 64 Cheikh Daouda Mohaman, ancien secrétaire exécutif de l’ACIC, propos recueillis le 17 août 2003 à son domicile au quartier Mendong à Yaoundé. 127 Tableau n° VII : Enseignement en arabe programme des cours moyen 1ere et 2e année de l’école franco-arabe de Douala dicté par Malam Faroukou Matières Détail I) Coran De la sourate al-mulk (la royauté) à la sourate alqiyamah (la résurrection) (8s) ; de la sourate la mujadilah (le protestataire) à la sourate al-mulk (9s) II) Parole du Prophète Enseignement des cinq piliers de l’islam : le serment ; les cinq prières ; l’aumône ; le jeûne ; le pèlerinage. III) Instruction religieuse Détail des cinq piliers : conditions et interdictions. IV) Langue arabe Lecture et explication des textes : échange entre maître et élèves. V) Dictée A partir des textes de littérature arabe et des versets du Coran. VI) Lecture Prononciation et explication des mots difficile ou étrangers des dictées. VII) Grammaire (nah’ou) Les différentes sortes de mots : le nom, le verbe, le pronom. VIII) Calcul Compter de 1 à 30 ; addition, soustraction, multiplication, exercices, calcul mental. IX) Instruction civique et morale X) Ecriture arabe Conseils ; respect des parents et amis ; visite et aide aux malades ; salutation des parents ; maîtres ; etc. - Nosrah : écriture en majuscule ; -Rih’a : écriture en minuscule avec ponctuation XI) Chant et récitation XII) Dessin Au choix ou reproduction autorisée XIII) Copie A partir de 1973, il était essentiellement question pour l’ACIC de changer l’organisation des programmes islamiques pour un meilleur équilibre entre français et arabe. Les disciplines telles que l’histoire, le calcul, la mémorisation, dispensées en arabe, seront supprimées pour ‘‘alléger la tâche aux jeunes élèves qui devaient simultanément cumuler et assimiler le programme francophone’’65. En quelque sorte, on donnait moins de place aux enseignements religieux tout en mettant l’accent sur les matières de la langue arabe. On 65 Ibid. 128 faisait alterner désormais d’une semaine à l’autre l’enseignement du français et de l’arabe le matin (4 heures) et l’après midi (2 heures). On obtenait ainsi un juste équilibre du français et l’arabe avec 15 heures chacun par semaine au lieu de 25 heures pour le français et 12 heures 30 pour l’arabe dispensées dans les années 1960. Le programme de français restait calqué sur celui de l’école officielle, mais l’accent s’était déplacé en arabe du Coran à l’apprentissage de la langue. Les épreuves de CEPE étaient désormais identiques à celles auxquelles étaient soumis tous les finissants du CM2 des autres écoles primaires (publiques et privées chrétiennes) de la partie francophone du Cameroun. La seule exception, celle qui faisait la particularité des écoles franco-arabes, résidait dans le fait que, les élèves inscrits au ‘‘CEPE mention arabe’’ devaient composer seulement une épreuve en option de langue arabe qui permettait aux élèves reçus d’obtenir leur CEPE avec la ‘‘mention arabe’’. Cette modification du programme avait surtout pour objectif d’améliorer les performances d’une jeunesse généralement confrontée à l’échec scolaire lors des examens officiels, notamment le CEPE et les concours d’entrée en sixième et/ou de première année des collèges d’enseignement technique publics.66 Sur la voie d’une modernisation pédagogique après une timide réforme L’approche nouvelle initiée par les enseignants formés était une relative adaptation des méthodes traditionnelles d’enseignement. Dans cette nouvelle école en effet, les élèves participaient ensemble au cours, contrairement aux élèves des écoles coraniques traditionnels. La réussite des apprenants ne dépendait plus de leur capacité de mémorisation et de leurs facultés personnelles mais était la conséquence de ‘‘l’enseignement de groupe’’. Les enseignants traitaient tous les apprenants de la même manière au cours de leur évolution scolaire ; il contribuait aussi à la formation de leur caractère. Son approche pédagogique se basait sur le ‘‘raisonnement cartésien’’ et non pas sur la ‘‘récitation mécanique’’. De même lorsqu’il s’agissait de sanctions, il faisait appel plutôt à des réprimandes légères, le châtiment corporel étant en voie de disparition ou même interdit67. Les élèves 66 A la question de clarté des résultats (données statistiques) de cette école, aucune source ne nous a donné de réponse satisfaisante. Les anciens dirigeants ne disposent pas d’archives. Les nouveaux se dérobent, prétextant qu’ils viennent d’être installer et nous réfèrent à l’ACIC, qui se réduit à son tour au domicile d’El Hadj Garba Aoudou. A l’inspection départementale de l’enseignement primaire, le bureau de la statistique donne invariablement cette réponse désinvolte du genre ‘‘(…) cette école là (…) on ne connait pas exactement son fonctionnement (...) elle n’envoie pas ses rapports (…)’’. 67 Résumé des propos d’Aboubakar Woussi, ancien boursier du gouvernement saoudien et diplômé de l’université de Médine. Il a dirigé l’école franco-arabe de Douala de 2000 à 2004. Entretien du 14 avril 2003 dans son bureau à l’école franco-arabe de New-Bell, Douala. 129 étaient soumis au régime des devoirs quotidiens, que les maîtres corrigeaient le lendemain. Les anciens boursiers de l’Arabie et de l’Egypte avaient rapporté quelques usages des pays arabes et affichaient le souci d’un certain modernisme68. Le système éducatif dans cette école pouvait ainsi se définir comme un effort formel par rapport à l’école ancienne, un effort professionnel sous la direction des maîtres formés par rapport aux marabouts /malam et un effort systématique grâce aux programmes préparés pour les établissements par l’ACIC. Analysant cette structure au milieu de la décennie 1970, S. Genest et R. Santerre arrivaient, sous un ton apologétique, à la conclusion que : L’école franco-arabe apparaît comme une tentative fructueuse de moderniser et d’adapter les deux niveaux élémentaire et complémentaire de l’école coranique traditionnelle (…) qui allie à la fois la tradition arabe et le modernisme.69 La décennie 1970 apparaît véritablement comme celle de l’adaptation de l’école franco-arabe : recrutements des anciens boursiers et des enseignants formés, équilibre entre français et arabe, création des ‘‘cours normaux d’arabe’’, etc. C’est dans ces conditions que l’école franco-arabe de Douala avait survécu jusqu’à la fin des années 1980, grâce à la bonne volonté de la communauté et au soutien de l’Etat à travers l’ACIC, créée au même moment que la mise en place des premières écoles franco-arabes. Cette école constituait ainsi l’unique source qui alliait la scolarisation ‘‘moderne’’ et la formation religieuse des enfants musulmans de Douala . Théoriquement privée, l’école franco-arabe de Douala vivait de l’ACIC dont le budget s’alimentait presque totalement des fonds publics. Association politisée, dirigée par des hommes proches du pouvoir, l’ACIC participait à la mise en forme de l’éducation au sein de la communauté, en envoyant des maîtres formés, en définissant les programmes et en subventionnant. Et, contrairement à l’Afrique de l’Ouest où les écoles de même nature sont autonomes et délivrent des diplômes70, l’école franco-arabe au Cameroun est un appendice du 68 Ibid. S. Genest et R. Santerre, ‘‘L’école franco-arabe au Nord Cameroun’’, in R. Santerre et C. Mercie Tremblay, La quête du savoir. Essai pour une anthropologie de l’éducation camerounaise, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1982, pp. 372-395.Dans le même sens, voir T. M. Bah, ‘‘Etude sur l’éducation traditionnelle coranique et son incidence sur l’éducation de type moderne. Problématique et objectifs’’, Rapport de mission effectuée à Ngaoundéré et Garoua du 22 au 29 juin 1978, Yaoundé, Institut des Sciences Humaines, Centre National d’Education, 1978. 70 Voir dans ce sens M. Gomez-Perez, ‘‘Bilan et perspectives de l’enseignement de l’arabe dans les écoles franco-arabes à Dakar et à Thiès : vers la marginalisation d’une jeunesse?’’, in M. Gomez-Perez et V. Lacabanne (textes rassemblés par), La diffusion des savoirs dans les Tiers-Mondes. Contraintes et perspectives, Paris, Publications Universitaires Denis Diderot, 1999, pp. 41-69 et S. Cissé, L’enseignement islamique en Afrique Noire, 1992. 69 130 système officiel d’enseignement public. C’est l’Etat qui délivre et reconnaît le diplôme (CEPE). La communauté musulmane restait ainsi par le canal de l’ACIC dépendante du pouvoir. On peut donc dire que dans le sillage de l’école coranique, le soutien apporté par le pouvoir public à travers l’ACIC, à l’école franco-arabe procédait de la volonté de soutenir et de promouvoir un type d’enseignement susceptible d’intégrer la tradition arabe musulmane et la modernité. Ainsi cadrer dans ses finalités, l’école franco-arabe a constitué une pomme de discorde entre les traditionalistes qui y voyaient un moyen de propagande islamique et les modernistes chez qui elle a suscité l’espoir d’ouverture et d’adaptabilité des valeurs musulmanes dans un contexte en pleine mutation qui annonçait déjà ce qui allait se produire les années à venir. En parallèle à la dynamisation de l’enseignement de l’arabe et des matières islamiques à Douala, se développait la pratique du Hajj sous le double effet du dynamisme intérieur de la communauté et du soutien toujours implicite de l’administration. B- Du soutien implicite des pouvoirs publics à une demande musulmane de plus en plus forte pour le Hajj à Douala entre 1972 et 1987 Les décennies 1970 et 1980 ouvrent une nouvelle phase dans le développement du Hajj à Douala. Et, comme pendant la période de l’administration française, les Bamun continuaient de se distinguer dans l’organisation du pèlerinage en occupant des responsabilités importantes. Un dignitaire comme El Hadj Moctar Aboubakar Oumar qui s’occupait du pèlerinage pendant la période coloniale avait été mandaté par le ministère de l’Intérieur pour continuer sa tâche. Il avait rendu le pèlerinage de plus en plus dynamique et des fidèles musulmans venaient même des autres régions du Littoral notamment de Nkongsamba et d’Edéa s’en remettre à ce personnage pour le Hajj. La tâche de cette cheville ouvrière qui avait mis sur pied une équipe de travail appropriée71consistait à mener des démarches auprès des compagnies aériennes Air Afrique d’abord, puis Cameroon Airline 71 Cette équipe était constituée du chef de la communauté haoussa de New-Bell, El Hadj Ousseini Adamou Labo et des dignitaires comme El Hadj Garba Aoudou (décédé), El Hadj Ballah Mohaman (décédé) et El Hadj Tanko Amadou, homme d’affaires et chef de la communauté haoussa de Bonabéri 131 (Camair) dès 1972. De même, cette équipe s’occupait des réservations sur des lieux d’hébergement sur place en Terre Sainte de l’islam.72 Si moins de deux pèlerins partaient à la Mecque chaque année avant l’indépendance du Cameroun, entre 1972 et 1987, le pèlerinage avait pris une certaine importance au sein de la communauté musulmane de Douala. Leur nombre variait, pendant cette période, entre 60 et 120 voyageurs comme l’indique le tableau ci-dessous : Tableau no VIII : Nombre estimatif des pèlerins de Douala entre 1972 et 1987.73 Nombre de pèlerins Année Prix total en Franc CFA/par pèlerin Total Camerounais Douala 862 60 1972 170 000 1206 98 1978 360 000 1300 65 1979 360 000 978 42 1980 510 000 1327 104 1982 512 400 1170 94 1983 512 400 1384 80 1984 512 400 1878 110 1985 512 400 2376 111 1986 711 705 2448 120 1987 730 000 Entre 1972 et 1978, le prix total du voyage a plus que doublé, passant de 170 000 Francs CFA à 360 000Francs CFA. Cependant, le nombre de pèlerins croit d’un peu plus de 25 % seulement. Entre 1979 et 1980, le nombre de pèlerins de Douala baisse brusquement de 72 Toutes les informations relatives à ce paragraphe nous ont été fournies par Cheik El Hadj Moctar Aboubakar Oumar, lors de nos entretiens des 8 et 9 Septembre 2006 à son domicile à New-Bell, derrière la marie de Douala IIe. 73 Les chiffres sont des archives privées de A. Njiasse Njoya, vice-président de l’ACIC, président de l’Association Mondiale pour l’Amélioration de l’Image de l’Islam, consultant UNESCO ; des dignitaires El Hadj Moctar Aboubakar Oumar et El Hadj Ballah Mohaman. Comme les autres chiffres, ils sont tout aussi relatifs. En effet, des personnes venaient de Nkongsamba ou d’Edéa ‘‘confier la gestion de leur dossier pour le hajj’’ à l’équipe de El Hadj Moctar Aboubakar Oumar. 132 20 % en passant de 65 à 42 voyageurs. Cet infléchissement peut être attribué au prix total du voyage qui passe de 360 000 Francs CFA à 510 000Francs CFA. Toutefois, la situation se redresse aussitôt après car les pèlerins de Douala sont 104 en 1982 soit plus du double, sans que le prix du voyage ait été modifié. Le nombre des pèlerins doualais croît depuis 1984 pendant que le prix du voyage augmente énormément aussi. Il est passé de 512 400 Francs CFA en 1984 à 730 000 Francs en 1987 tandis qu’à la même période le nombre des voyageurs a crû de 80 à 120 pèlerins, soit une augmentation globale de 40 personnes malgré le prix croissant aussi du voyage à la Mecque. Quelles étaient les causes de cette augmentation du nombre de pèlerin à Douala ? B-1 Soutien de l’Etat et nouvelles migrations Plusieurs raisons se conjuguaient et semblaient déterminer une grande participation au Hajj à Douala entre 1972 et 1987 et justifier aussi l’augmentation de la démographie musulmane à Douala. D’abord, Le Cameroun crée sa propre compagnie de transport aérien (Cameroon Airlines) en novembre 1971. Après sa création, la Camair menait des campagnes publicitaires dans les milieux musulmans pour développer le pèlerinage et devenait le ‘‘transporteur exclusif’’ des pèlerins camerounais vers les Lieux saints de l’islam. Ensuite, au début des années 1970, on assista à un début de ‘‘libéralisation’’ du pèlerinage, conséquence d’un certain relâchement par rapport à la lutte contre l’UPC. L’étau s’était donc desserré autour du pèlerinage. Enfin, la logique du pèlerinage pouvait aussi s’expliquer de manière générale par le souci d’accorder des largesses en termes de titres de transport lors de pèlerinage à la Mecque aux dignitaires musulmanes ou aux membres de leur entourage. Cette politique qualifiée de ‘‘générosité’’ et héritée de la période coloniale s’appliquait aussi en termes d’attribution de bourses d’études dans les pays du Golfe persique ou de marque de sympathie lors des entrevues au ‘‘Palais’’.74 Mais l’augmentation du nombre de pèlerins était surtout liée à une croissance démographique diversifiée de la communauté musulmane de Douala et à leur succès dans le domaine économique. Jusqu’à la fin des années 1960 l’islam qui passait aux yeux des autres populations pour une religion étrangère et lointaine et ne manifestait qu’une présence circonscrite à Douala allait recevoir un coup d’accélérateur au cours des décennies 1970 et 1980 pour des raisons à la fois endogènes et exogènes. Au plan endogène, il y avait d’abord 74 Voir H. Adama, L’islam au Cameroun. Entre tradition et modernité, Paris, L’Harmattan, 2004, pp. 156-157. 133 l’établissement en 1974 d’une ligne de chemin de fer entre le Nord et le Sud doublée d’une amélioration des infrastructures routières dans le Sud du pays. Les mouvements de population allaient s’intensifier. Des musulmans allaient de plus en plus descendre du NordCameroun, du Nord-Nigeria et de la région de Foumban, régions où l’islam est puissamment établi pour rejoindre Douala. Dès lors, les cultures devaient s’imbriquer et l’islam allait trouver de nouvelles opportunités dans le Sud Cameroun en général75 et à Douala en particulier. Par ailleurs, au cours de cette même décennie, un bon nombre d’islamisés venaient du Nord-Ouest, notamment des régions de Kumbo et de Bamenda. D’après N. Fru Awasom76, C. Tardzenyuy Jumbam77 et T. Bonyi78, ce sont les pasteurs haoussas et bororos qui introduisirent l’islam dans le Nord-Ouest au début du XXe siècle. La proximité du Nigeria et les beaux pâturages des hauts plateaux du Nord-Ouest favorisèrent l’immigration des pasteurs monades. Par la suite, quelques groupements musulmans se fixèrent sur les terres que les Fon leur attribuèrent. Ils y bâtirent des maisons, des écoles coraniques et des mosquées. C’est ainsi que certains jeunes devinrent musulmans et les mosquées se multiplièrent dans certaines villes du Nord-Ouest comme Kumbo, Bamenda, Jakiri, etc. Toutefois, c’est en 1963 que le Fon Binkar Binglow, dont les prosélytes bamuns avaient gagné la confiance au préalable, se convertit à l’islam, suivi des conversions en masse des populations, notamment chez les Nso. C’est aussi de cette région que sont venus des musulmans pour s’installer à Douala au cours des années 197079. On peut y ajouter dans une certaine mesure le phénomène de conversion à l’islam des années 1970.80 Au lendemain de l’indépendance en effet, les musulmans devaient exploiter l’ascension politique de l’un des leurs au pouvoir pour s’inscrire dans la dynamique économique, politique et sociale du Cameroun. En effet, sous le règne du président Ahmadou Ahidjo, nombreux sont les auteurs qui pensent que les musulmans bénéficiaient de soutiens 75 G.L.Taguem Fah, ‘‘Processus politique, mutation sociale et renouveau islamique au Cameroun’’, pp.230-231. N. Fru Awasom, ‘‘From Migrants to Nationals and From Nationals to ‘‘Undesirable Elements’’: The Case of the Fulani (Mbororo) in the North West Province of Cameroon’’, in C. Coquery-Vidrovitch et al., Etre étranger et migrant en Afrique au XXe siècle. Enjeux identitaires et modes d’insertion, Vol. I, Paris, L’Harmattan, 2003, pp. 403-414 et du même auteur, ‘‘Hausa and Fulani in the Bamenda Grass land : 1903-1960’’, Thèse de Doctorat de 3e cycle en Histoire, Université de Yaoundé, 1984. 77 C. Tardzenyuy Jumbam, ‘‘The impact of the Fulani in the Fondom of Nso’s, 1920s-2004’’, Mémoire de Master en Histoire, Université de Yaoundé I, 2002-2003. 78 T. Bonyi, ‘‘Islam in Nso since 1990’’, Mémoire de DIPES II en Histoire, ENS, 1999. 79 I. Njoya Moubarak, ‘‘Etat des lieux de l’islam au Cameroun’’, Communication à la Réunion de Chefs Religieux des Pays et des Communautés Musulmanes en Afrique, Istanbul, 1996. 80 Voir G.L.Taguem Fah, ‘‘Processus politique, mutation sociale et renouveau islamique au Cameroun’’, pp. 223-225. 76 134 implicites81 et que l’islam enregistrait pour cette raison de nombreux néophytes82. La politique du président Ahidjo avait ainsi permis aux musulmans de participer aux logiques du marché et à profiter des facilités financières que l’Etat avait instituées. Pour J.A.Mbembé par exemple, sous Ahidjo, Dans les faits, les musulmans avaient la priorité en ce qui concernait l’admission dans les concours administratifs, l’attribution des grades dans l’armée, les nominations dans les structures de commandement et les sociétés parapubliques, l’octroi des bourses, l’octroi des licences import – export, la distribution du crédit, etc.83 Même s’il est difficile de dire si cette politique était préalablement bien définie et conçue avec des axes d’application, on peut constater qu’elle poussait certaines personnes qui voulaient réussir dans ‘‘les affaires’’ à Douala à s’islamiser préalablement. Pendant nos enquêtes de terrain, de nombreuses personnes nous ont affirmé que plusieurs chefs de familles bamilékés et bassas se sont convertis, du moins nominalement à l’islam au cours de la décennie 1970, par intérêt économique. Les exemples d’Emmanuel Petou et de Paul Nong sont à ces titres éloquents. Ils montrent comment leur succès était lié en partie à leur conversion à l’islam. Né en 1945 à New-Bell-Douala dans une famille catholique, Emmanuel Petou avait exercé comme vendeur de vivres. Il se convertit à l’islam en 1972, à l’âge de 37 ans sous le nom de Petou Mama et monte une petite unité d’ ‘‘import-export’’ et commence à ‘‘gagner des marchés publics’’84. Paul Nong quant à lui est un Bassa né en 1947 à Douala/Bonabéri dans une famille baptiste. Il exerçait comme cheminot jusqu’en 1975, date à laquelle il se convertit à l’islam sous le nom de Nong Ousmane. Après sa conversion, il démissionne de son service, crée ‘‘une petite unité de travaux publics et commence à sillonner les bureaux à la recherche des marchés’’85. La promotion sociale et économique de ces deux convertis semblait résulter, de leurs propres aveux, du double jeu de leur conversion 81 Voir H.Adama, L’islam au Cameroun, p.155-157 et J. A. Mbembé, ‘‘Dossier Cameroun / 12, novembre 1992, Nord-Sud’’, Expert Consultant, Paris, 1992. 82 Au Nord-Cameroun, ce phénomène était officieusement mené et encouragé par le zèle de certaines autorités administratives. Voir K. Shilder, Quest for self-esteem : State, Islam and the Mundang ethnicity in Northern Cameroon, Leiden, African Studies Center, 1994; ‘‘Local rulers in North Cameroon : The interplay of politics and conversion’’, Afrika Focus, 9 :1/2, pp. 43-72; ‘‘Etat et islamisation au Nord Cameroun (1960-1982)’’, Politique Africaine, no 41, mars 1991, pp. 144-148 ; G.L.Taguem Fah, ‘‘Processus politique, mutation sociale et renouveau islamique au Cameroun’’, pp. 223-226 et D. Abwa, ‘‘ Peut-on parler de la revanche des Kirdi du Nord-Cameroun aujourd’hui ?’’, Annales de la FALSH, Université de Yaoundé I, volume 1, no 6, nouvelle série, 2007, premier semestre, 2007, pp. 41-65. 83 Cf. J.-A. Mbembe, ‘‘Dossier Cameroun / 12, novembre 1992, Nord-Sud’’. Pour un argumentaire semblable, voir aussi, H. Adama, L’islam au Cameroun, p. 156. 84 Résumé des propos de Petou Mama, entretien du 20 octobre 2004 à son domicile à Douala au quartier Bonamoussadi /Koto. 85 Résumé des propos de Nong Ousmane, entretien du 21 octobre 2004 à son domicile à Douala, au quartier Makepè. 135 à l’islam et de leurs relations personnelles avec les milieux musulmans. Par cette stratégie, l’islam semblait gagner ainsi du terrain à Douala. En plus de l’adoption des noms musulmans, il était aussi question d’un snobisme vestimentaire marqué par le port du boubou ou de la gandoura86. Le caractère éminemment intéressé de ces conversions ainsi que les enjeux de l’islam dans les stratégies de positionnement vis-à-vis du pouvoir et des avantages qu’il procure nous amènent à tempérer, en l’absence de chiffre, l’ampleur de cette islamisation. Bien qu’apparemment convertis, beaucoup montraient peu d’enthousiasme face à l’islam et demeuraient ancrés dans leurs pratiques anciennes. Cette islamisation apparente n’était pour certains qu’un moyen de mobilité sociale permettant à un non musulman d’intégrer la catégorie musulmane dominante et de changer sa condition sociale87. Autrement dit, ce mouvement de conversion était limité pour remettre radicalement en cause les identités ethnoculturelles et, finalement, l’élargissement de l’espace de l’islam rendait d’abord compte de la dissémination des groupes musulmans traditionnels.88 C’est dans ce contexte que de nombreuses familles, parmi les premières générations des musulmans étrangers à Douala, notamment les Haoussa du quartier Congo et Yoruba du quartier Makea, seront naturalisés ou assimilés Camerounais. Il faut en effet dire que leurs multiples mariages avec les Camerounaises musulmanes ou non allaient leur permettre de se naturaliser Camerounais, de renforcer leur insertion sociale et de faciliter ainsi leur intégration dans la ville de Douala.89 Par leurs mariages avec les autochtones musulmanes ou non et leurs investissements immobiliers à Douala, tout laisse croire que de nombreuses familles avaient choisi de s’installer quasi définitivement dans leur espace d’accueil. Toujours dans les années 1970, le premier président du Cameroun, Ahmadou Ahidjo devait accorder aux Haoussa et assimilés le droit de se faire établir un certificat de nationalité qui leur servait de pièce d’identité et les dispensait de la carte de séjour exigée aux étrangers. Ils pouvaient ainsi militer dans le parti et se présenter aux élections législatives ou locales. Les raisons invoquées pour la reconnaissance des ‘‘Haoussa’’ divergent : ‘‘on ne peut s’empêcher de faire un rapprochement entre ce geste du chef de l’Etat et le pouvoir économique que les Haoussa détiennent (...) il fallait les maintenir sur place pour animer 86 Ibid. G.L.Taguem Fah, ‘‘Processus politique, mutation sociale et renouveau islamique au Cameroun’’, p. 237. 88 L. Maud, ‘‘Cameroun : les nouveaux territoires de Dieu’’, Afrique Contemporaine, 2005-3, no 215, p.103. 89 Nous reprenons ici les développements de B.-J. Nkene, ‘‘Les immigrés nigérians à Douala : problèmes et stratégies d’insertion sociale des étrangers en milieu urbain’’, Afrique et Développement, Vol. XXVIII, nos 3 et 4, 2003, pp. 142-167. 87 136 l’économie’’90. Dans cette perspective, la décision de leur octroyer la nationalité participait de la reconnaissance de leur importance économique. Pour d’autres, l’attachement du président Ahidjo à la communauté ‘‘haoussa’’ s’expliquait par leur appartenance commune à la religion musulmane. D’ailleurs, ‘‘au cours des années 1970, on a vu des dignitaires comme Tanko Amadou, Garba Aoudou, Balla Mohamed, Tanko Hassan et bien d’autres faire leur entrée au comité central de l’UNC’’91. Ceci étant, ces communautés furent continuellement grossies de migrations nationales ainsi que de flots de fonctionnaires, commerçants, chefs d’entreprise originaires des régions anciennement islamisées du Cameroun. Au plan exogène, l’accroissement du nombre de pèlerins à Douala venait aussi de l’arrivée récente de divers vagues de ressortissants de l’Afrique de l’Ouest. A partir des années 1980 en effet, de nouvelles communautés maliennes, sénégalaises et même nigériennes s’installent à Douala. Ces nouvelles migrations s’inscrivaient dans le prolongement des déplacements des primo-migrants du premier tiers du XXe siècle (19201930). Le renforcement de la migration malienne, sénégalaise et nigérienne dans la ville de Douala s’expliquait par la sécheresse des années 1970, 1980 et 1984 qui ont touché les pays de l’Afrique de l’Ouest, surtout la Côte d’Ivoire, destination privilégiée des jeunes migrants ouest-africains, devenue moins rémunérateur particulièrement pour les jeunes92. Il pouvait aussi être lié à l’expulsion de leurs ressortissants du Congo en 1977 et du Nigeria en 198593. La raison la plus évoquée par les migrants pour le choix de Douala à l’époque était qu’ ‘‘on pouvait se débrouiller facilement pour avoir un petit travail en attendant de jours meilleurs’’94 ; cette migration s’insérait dans une diversification des opportunités migratoires, c’est-à-dire des possibilités de travail que n’offraient plus les pays de l’Afrique de l’Ouest tels que le Ghana et plus particulièrement la Côte d’Ivoire95. Cette nouvelle migration était aussi communautaire dans la mesure où elle s’était développée en intégrant de nouvelles formes. Jusque là, les stratégies étaient individuelles, 90 Entretien avec Ratib El Hadj Ouba, un des imams de vendredi de la mosquée Cité de Palmiers à Douala, le 20 mars 2004. 91 Entretien avec El Hadj Moussa, un des imams de vendredi de la mosquée Cité de Palmiers à Douala, le 20 mars 2004. 92 V. Petit, Migration et société Dogon, Paris, Karthala, 1998. 93 S. Bredeloup, ‘‘Les migrants du fleuve Sénégal : à quand la ‘‘Diaspora’’?’’, Revue européenne des Migrations Internationales, Vol.9, 3, pp. 205-232. 94 Propos de Yao. Youssouf, commerçant d’origine malienne au marché central de Douala, recueilli par P. Cissé, ‘‘La migration malienne au Cameroun : le retour est-il possible? ’’, 2005. 95 On lira à toutes fins utiles S. Traoré (s.d.), Migration et insertion socio-économique dans les villes en Afrique de l’Ouest, Etudes et Travaux du CERPOD-No 16, octobre 2001. 137 les hommes partaient seuls à la recherche du numéraire et laissaient femmes et enfants sous la tutelle de leurs parents. A partir des années 1980, non seulement les femmes partaient aussi, mais leur départ ne s’inscrivait plus systématiquement dans le cadre de la migration d’accompagnement (regroupement familial). La migration des femmes seules, indépendantes ou libres, devenaient relativement importante.96 Comme nous l’avons dit précédemment, cette migration a été plus importante à la suite de la crise des années 1980 en Côte d’Ivoire. Elle était une migration de travail de main-d’œuvre non qualifiée, basée sur des conditions économiques, d’accès aux ressources, de savoir faire et sur une intégration à caractères familial et social. La colonie malienne au Cameroun par exemple, était estimée à 5000 personnes en 1989. Elle regroupait plusieurs familles dans les villes de Yaoundé et Douala. Douala, avec ses potentialités économiques, connaissaient la plus forte implantation des Maliens au Cameroun avec 3013 personnes97. A la même période, la communauté sénégalaise était estimée à environ 1500 âmes98, travaillant pour certains dans les entreprises sénégalaises de travaux publics en particulier qui s’installaient au Cameroun et notamment à Douala. Pour Marène Samba Mallong, consul du Sénégal à Douala de 1982 à 1992, ‘‘le visage même de la communauté sénégalaise, largement composée d’artisans autrefois, changeait avec la présence de nombreux opérateurs économiques’’99. Ainsi, avec des postes d’encadrement dans plusieurs entreprises et monopoles dans le travail de l’orfèvrerie, les hommes renvoyaient souvent l’image d’une communauté dynamique et parfaitement intégrée dans la société locale. Les femmes du groupe n’étaient pas en reste. On les retrouvait derrière la floraison des restaurants et maisons de confection, vendant les spécialités sénégalaises.100 Quant à la communauté nigérienne de Douala, elle devenait aussi de plus en plus nombreuse. Fortement apparentés aux Haoussa, les Nigériens monopolisent le commerce ambulant et se déplacent à pieds d’un coin à l’autre de la ville, à la recherche de la clientèle101. A Douala, ils sont aussi partagés entre la gestion des échoppes et des activités 96 C. Oumar Ba, ‘‘Les Sénégalaises en Afrique centrale : de la migration d’accompagnement à l’émergence des groupes de femmes autonomes’’, in C. Coquery-Vidrovitch et al., Etre étranger et migrant en Afrique au XXe siècle. Enjeux identitaires et modes d’insertion, Vol. II, Paris, L’Harmattan, 2003, pp. 279 et E. Findley Sally, ‘‘Les femmes aussi s’en vont’’, Population Sahel, no 4, 1987, pp. 20-22, repris in Etudes et Travaux du CERPOD, No 16, 1991 sous le titre ‘‘Les femmes aussi partent’’. 97 P. Cissé, ‘‘La migration malienne au Cameroun : le retour est-il possible?’’, 2005. 98 Estimation faite par Marème Samba Mallong, consul du Sénégal à Douala de 1982 à 1992. Voir le lien internet http://www.lepotentiel.com/afficher_rubrique.php?id_rubrique. Site consulté le 27 avril 2004. 99 Ibid. 100 Ibid. 101 On les appelle affectueusement Aboki, ce qui signifie ami en langue haoussa. 138 telles que la petite restauration, le cirage des chaussures, la coupe des ongles, le lavage des habits, la viande grillée, etc. Bien qu’ils soient moins nombreux que les autres communautés, les Nigériens constituent un maillon non négligeable de l’économie locale. A la différence des autres communautés, beaucoup parmi eux regagnent leur pays une fois leur objectif économique atteint. Longtemps une migration d’hommes seuls, cette nouvelle migration s’organisait désormais aussi autour des femmes. Ce changement de comportement fait que les femmes étaient de plus en plus nombreuses pour les migrations ouest-africaines à Douala. Ayant échoué sur la route de l’Arabie Saoudite à la recherche d’une connaissance et d’un savoir religieux, les migrants sénégalais et maliens s’étaient d’abord installés dans les villes de Maroua, Garoua et Ngaoundéré dans la partie septentrionale du Cameroun. Vers la fin des années 1970, ils ont commencé à venir et à descendre vers le Centre et le Littoral. D’autres, négociants de l’ivoire et des pierres précieuses qui n’ont pas réussi au Congo, au Zaïre (actuel République Démocratique du Congo)102, et certains pour faire prospérer leurs affaires, sont venus s’installer dans la capitale économique du Cameroun. En s’y installant, un grand nombre de Sénégalais et Maliens célibataires ou sans femmes ont fondé plus d’un ménage et les premiers regroupements familiaux d’hommes et de femmes sénégalais et maliens à Douala se seraient effectués après 1980 dans un contexte difficile. A titre d’illustration, P. Cissé estimait en 1989 les mariages au sein de la communauté malienne à 78% endosethniques, des unions d’époux et d’épouses du Mali et 22% issus de rencontres et d’unions avec une autochtone ou d’une autre étrangère. Le nombre élevé de pèlerins résulte aussi de l’agrandissement de la ville. En effet, en cinquante ans, la ville n’a pas moins que septuplé. Le trafic du port est passé d’un million de tonnes en 1960 à sept millions en 1985, avec un net fléchissement entre 1987 et 1990 du fait de la crise économique. Selon les statistiques établies par des entreprises privées, la ville comptait en 1989 plus d’un million et demi d’habitants, cinq fois plus qu’en 1950. L’occupation des terrains est sept fois plus étendue qu’en 1950. Tout ‘‘a grandi à la proportion du port’’103. Et, du seul fait de la croissance de la population et d’une forte natalité, le nombre des musulmans a sans doute augmenté au même rythme. L’importance numérique des musulmans de Douala est cependant difficile à déterminer. On doit en effet dire que malgré les recensements de populations effectuées au 102 103 Voir S. Bredeloup, ‘‘L’aventure des diamantaires sénégalais’’, Politique africaine, no 56, 1994, pp. 77-93. Cf. G. Mainet, Douala, croissance et servitudes, Paris, L’Harmattan, 1985. 139 Cameroun en 1976104 et en 1987105, il n’est pas aujourd’hui possible d’évaluer avec précision le nombre de musulmans ou de chrétiens encore moins le nombre d’étrangers comme c’est le cas du Recensement Général de la Population et de l’Habitat (RGPH) de 1986 où les étrangers n’ont pas été pris en compte dans la ville de Douala.106 Néanmoins, on peut aisément penser que la majorité des immigrés Ouest-africains, nombreux à Douala, sont de religion musulmane et beaucoup d’entre eux résident dans les quartiers où leurs coreligionnaires camerounais sont nombreux. Cette situation leur permet de se fondre dans un univers qui leur est souvent hostile. En l’absence de données statistiques exactes, certains responsables procèdent par ordre de grandeur. Aussi, A. Njiasse Njoya, agissant en tant que vice-président de l’ACIC, avance, dans son étude intitulée ‘‘L’islam au Cameroun’’107, quelques chiffres de statistiques relatives à la présence des musulmans dans les principales villes du Cameroun méridional : Yaoundé, Bafia, Kumba, Douala, Nkongsamba, etc. Ces évaluations plus ou moins approximatives donnaient un pourcentage de 5% de musulmans à Douala. En 1988, la population doualaise serait de 1.500.000 âmes, selon le RGPH de 1987. En considérant le chiffre de 5%, on peut retenir qu’il y avait environ 75.000 musulmans à Douala. Mais on se rend compte que ces chiffres datent déjà de 19 ans108 et il importe d’en renouveler les contours. Mais il faut toujours dire qu’il y a une grande divergence dans les données statistiques pour cette ville. Les chiffres du Programme Islamique pour l’Assistance Humanitaire (PIAH), bien que récents, sont encore plus relatifs et approximatifs. Dans une enquête publiée en 2000, cette association attribuait pour l’année 1990, 3.000.000 d’habitants à la ville de Douala pour 30 % de musulmans, ce qui donnerait 900.000 musulmans environ à Douala.109 Si A. Njiasse Njoya estime à 75.000 le nombre de musulmans à Douala en 1988 – 104 Selon l’Annuaire Statistique de l’Institut National de la Statistique et du bureau du Recensement Général de la Population et de l’Habitat (RGPH) de 1976 (p. 38), Douala comptait 453.700 habitants. 105 Selon les mêmes sources, Douala comptait en 1987, 801.700. Voir aussi Démo 87, Ministère de l’Equipement et du Plan, Yaoundé, 1987. Précisons aussi que pendant les deux recensements, les limites territoriales de la ville de Douala s’identifiaient à celles du département du Wouri sauf l’arrondissement de Manoka. 106 Cette absence des données démographiques récentes et précises sur le nombre de musulmans au Cameroun en général et à Douala en particulier, a du limiter de manière significative la dimension quantitative initialement projetée dans ce travail et justifie inversement la tendance forte vers une analyse largement qualitative du phénomène de l’islam à Douala. C’est donc faute de mieux que nous avons utilisé les chiffres ci-dessus comme orientation statistique pour cette section. 107 A. Njiasse Njoya, ‘‘ L’islam au Cameroun’’, pp. 237-258. 108 L’étude a été faite en 1988 et publiée en 1997, soit plus de 10 ans après. 109 PIAH, “Information Technology at the service of Islam Telecommunication Project”, Douala, février 2000, p.16. Pour l’année 2000, cette association attribuait 5.000.000 d’habitants à la ville de Douala pour 30 % de musulmans, ce qui donnerait 1.500.000 musulmans environ à Douala !!! 140 ce qui est tout à fait vraisemblable – il y a lieu de remarquer que celui servi par le PIAH le grossirait énormément au regard de la population totale de Douala qu’il évalue à 3.000.000 d’habitants en 1990. En effet, d’après le schéma directeur d’aménagement urbain, ce chiffre s’évaluait à 674.000 habitants en 1982110. Avec une croissance annuelle d’environ 7%, Douala ne pouvait atteindre que 1.082.297 en 1989 et 1.158.057 habitants en 1990111, chiffres inférieurs à ceux du RGPH de 1987. De plus, si l’on admet avec les responsables municipaux que, chaque année, la population de la ville augmentent de 100.000 habitants sous les effets conjugués de l’accroissement naturel et du flux migratoire, Douala devrait compter environ 3.000.000 d’habitants en l’an 2000. Quel que soit leur nombre, les migrations et nouvelles structurations (mariage et regroupement) devaient modifier les modes d’insertion professionnelle des groupements musulmans, lesquels ont aussi permis à un plus grand nombre de musulmans de faire le pèlerinage. B-2 Le succès de l’insertion socio-économique des musulmans de Douala comme facteur de développement du Hajj A l’origine, les musulmans doualais étaient essentiellement désignés par leurs activités commerciales.112 Peu après l’indépendance, l’islam va solidement s’ancrer dans des traditions de libre commerce et d’entreprise privée. Suivant les catégories sociales, il y eut des gros commerçants, des industriels, des entrepreneurs fortunés. Ils contrôlèrent une grande partie de l’économie ; ils figurèrent parmi les entrepreneurs les plus industrieux, constituant de ce fait des concurrents de taille aux communautés commerçantes européennes, gréco-syrolibanaises et aux Bamiléké. Et même si leurs activités économiques présentent souvent des itinéraires difficilement maîtrisables113, on peut percevoir leur poids économique à travers de fortes personnalités du monde des affaires telles que : Tanko Amadou, Adamou Souley, Zra Doua, Alhadji Bala Mohamed (ABAMO), Tanko Hassan, Mohamadou Bayero Fadil, Garba Aoudou, etc. La plupart des entrepreneurs musulmans à Douala sont des Haoussa et des Peul, islamisés depuis des siècles ; ils forment les 64% des entrepreneurs originaires du Nord à 110 Cameroon Tribune, quotidien bilingue du 4 décembre 1993. Soit 3.400.000 habitants en 2006.Voir P. Canel et al. , Construire la ville, Paris, Karthala/ACCT, 1990. 112 Rappelons que toute la littérature et les archives coloniales les présentent comme des commerçants, des marchands, des colporteurs. 113 Voir B.-J. Nkene, ‘‘Les immigrés nigérians à Douala : problèmes et stratégies d’insertion sociale des étrangers en milieu urbain’’, pp. 142-167. Plus généralement, voir E. Grégoire et P. Labazée, Grands commerçants d’Afrique de l’Ouest. Logiques et pratiques d’un groupe d’hommes d’affaires contemporains, Paris, Karthala-ORSTOM, 1993. 111 141 Douala.114 De plus, ils ne sont pas de nouveaux venus à Douala. Au sein de ces deux groupes, les femmes sont peu représentées, moins de 2%, ce qui peut se justifier par le fait que dans ces ethnies, les femmes sont beaucoup moins actives que dans les groupes christianisés.115 Certains sont concentrés dans un certain nombre de secteurs d’activités, en l’occurrence le textile, les détergents, le commerce de gros, les transports et les pièces détachées. La proximité avec le Nigeria, les raisons à la fois culturelles et religieuses expliquent probablement l’intensification du commerce avec ce pays et l’existence de créneaux tels que la vente des pièces détachées en provenance du Nigeria chez les ‘‘nordistes’’. Ils se livrent aussi aux transports inter-urbains et sous-régionaux avec des gros porteurs qui transportent des marchandises de Douala vers l’arrière pays et l’Afrique centrale. L’importance de ce type d’activité tient probablement à la nécessité de ravitailler la partie septentrionale du pays en produits d’importation entrés par le port de Douala. Les habitudes vestimentaires des groupes originaires du Nord (en l’occurrence le port du pagne chez les femmes) expliquent le choix de cet autre créneau qu’est le textile. Le succès du Hajj à Douala était aussi lié à l’action de certains de ces richissimes entrepreneurs tels El Hadj Mohamadou Bayero Fadil et El Hadj Tanko Amadou qui convoyaient plusieurs dizaines de croyants à la Mecque à l’occasion du pèlerinage. Pour El Hadj Diallo Bakai, Des relations familiales et d’affaires sont à la base du choix de ces croyants. Pour la famille, il s’agit surtout des femmes dont les revenus sont liés à ceux des hommes. Très souvent, ce sont les hommes fortunés qui prennent en charge tous les frais de voyage de leurs meilleurs employés, de leurs épouses, de leurs belles sœurs et de leurs propres sœurs. Parfois, c’est un fils généreux qui fait voyager sa mère. .. De toute façon, l’accomplissement du Hajj par une femme est très souvent lié à la participation financière de l’homme.116 Les Bamun quant à eux s’étaient spécialisés dans le commerce des objets artisanaux ; certains d’entre eux ayant même une envergure internationale dans ce trafic. Les Haoussa qui avaient, depuis l’époque coloniale, le quasi monopole de l’abattage du gros bétail et de son découpage pour l’approvisionnement en viande des marchés urbains et mêmes périphériques étaient partiellement concurrencés par des commerçants bornuans, kotokos et arabes choa. Les Peul aussi s’étaient initiés à l’école du commerce des Haoussa et en mettant à profit leur position dans l’appareil de l’Etat. De même, pendant la décennie 114 Statistiques fournies par G. A. Brenner et al., ‘‘Les entrepreneurs originaires du Nord à Douala et à Yaoundé’’, in Les facteurs de performances de l’entreprise, Paris, Ed. AUPELF-UREF, 1995, p. 158. 115 Ibid. 116 Propos de El Hadj Diallo Bakai, recueillis le 3 septembre 2007 à son domicile à New-Bell/ Congo. 142 1970, l’Etat camerounais en accordant des autorisations officielles, en distribuant du crédit, etc., n’était non plus sans jouer un rôle sélectif. En effet, Les entrepreneurs originaires du Nord ont été favorisés dans la période qui a suivi l’indépendance par le fait que le premier président du Cameroun était lui-même originaire de cette région. (... ) Ses attitudes et comportements face au monde des affaires et de l’entrepreneuriat ont été influencés par sa culture musulmane.117 Cependant, depuis l’arrivée de la dernière vague de migrants ouest-africains dans les années 1980, quelques touches complémentaires étaient venues nuancer ce schéma général. En effet, les nouvelles migrations ouest-africaines et celles du Nord Cameroun avaient mis en place un marché de transaction de bétail entre le Nord et le Littoral. Les réseaux de commerçants ouest-africains, fondus à leurs homologues du Cameroun, sont comparables à ceux des Soudanais commerçants de bétail au Togo118, à ceux des Peul transhumants du triangle Mali-Burkina Faso-Côte d’Ivoire119. Ils achètent des animaux au Nord-Cameroun et les vendent aux bouchers à Douala ou exportent une part importante des animaux vers le Gabon par le train et la route. Cette vignette des activités économiques des musulmans de Douala ne doit cependant pas faire perdre de vue que certains parmi eux se livrent aussi au transport urbain (taxi) ; on en trouve et ils sont nombreux. Sur le marché des oignons et des arachides, les communautés musulmanes sont très organisées. Elles créent des associations pour gérer le marché et éviter les contradictions liées au communautarisme.120 Mais en même temps on trouve une masse de petites gens, de petits bouchers, ‘‘sauveteurs’’, de boutiquiers ou encore des vendeurs ambulants de statuettes africaines, de vêtements et des lunettes de soleil, etc. Le secteur artisanal est très poussé par eux : travail du cuir, de l’ivoire, de l’ébène, de l’or, de la couture et autres. Certains travaillent comme main d’œuvre familiale qui, en dépit de rémunération souvent dérisoire, réussissent à développer leur propre commerce.121 Il y a enfin ceux qui travaillent comme des veilleurs de nuit, boys, blanchisseurs, petits travailleurs indépendants infatigables, ‘‘sous - prolétaires’’, ceux qui ont la vie très dure et n’ont même pas les rituels religieux pour éprouver le sentiment d’unité. 117 G. A. Brenner et al., ‘‘Les entrepreneurs originaires du Nord à Douala et à Yaoundé’’, in Les facteurs de performance de l’entreprise, Paris, Ed. AUPELF-UREF, 1995, p.157. 118 Voir M. Agier, Commerce et sociabilité. Les négociants soudanais du quartier Zongo de Lomé (Togo), Paris, ORSTOM, 1983. 119 Voir V. Ancey, ‘‘Les Peul transhumants du Nord de la Côte d’Ivoire. L’Etat et les paysans : la mobilité en réponse aux crises’’, in Crise, Ajustements et Recompositions en Côte d’Ivoire : la remise en cause d’un modèle, Colloque International, Séance no 6, GISDI-CI, ORSTOM-Abidjan, 1994, pp. 1-12. 120 Voir E. Hatcheu Tchawe, Marchés et marchands de vivres à Douala, Paris, L’Harmattan, 2006. 121 G. A. Brenner et al., ‘‘Les entrepreneurs originaires du Nord à Douala et à Yaoundé’’, pp.155-165. 143 En somme, les nouvelles vagues de migrations ouest-africaines et nationales étaient constituées en majorité de travailleurs indépendants dans le commerce et dans l’artisanat depuis leur arrivée dans les années 1980. Parmi les anciens migrants qui résidaient dans d’autres pays africains, certains arrivaient à Douala avec leurs propres fonds de commerce122. Par contre, elles diffèrent des migrations des années 1930 composées des employés de l’administration coloniale, de tirailleurs reconvertis en employés dans les commerces européens et dualas. Comme leurs aînés, ils entretiennent des réseaux marchands d’approvisionnement dans divers secteurs commerciaux. Ces réseaux d’approvisionnement marchands à Douala sont basés sur les relations de confiance (capital social), la religion (solidarité co-religionnaire) et les structures familiales (parentés, ethnies, villages, régions d’origine) qui jouent un rôle important. Le nombre élevé de pèlerins à Douala entre les années 1970 et 1980 pouvait ainsi se justifier par la conjonction de plusieurs facteurs : la naissance d’une compagnie aérienne nationale en 1971, la structuration du Hajj autour d’un démarcheur facilitateur comme El Hadj Moctar Aboubakar chargé d’organiser le pèlerinage depuis l’époque coloniale, la ‘‘libéralisation’’ du pèlerinage, conséquence d’un certain relâchement par rapport à la lutte contre l’UPC, le flot de fonctionnaires musulmans, commerçants et chefs d’entreprise originaires du nord ainsi que diverses vagues de nouveaux migrants tant de l’intérieur que de l’extérieur et la diversification de leurs activités allaient leur donner les moyens de participer de plus en plus au Hajj. Et, même si le Hajj permettait une meilleure identification et faisait partir d’une stratégie communautaire pour s’attacher à l’Oumma, à Douala, il restait lié à l’évolution démographique et aux activités socioprofessionnelles de la communauté musulmane de Douala. L’Etat était aussi présent dans la mesure où il n’y avait aucune association à cette période pour organiser le pèlerinage. Sa présence se faisait ressentir surtout à travers le Ministère de l’Administration Territoriale qui délivrait des autorisations aux encadreurs impliqués dans l’organisation du Hajj et la Compagnie Nationale des Transports Aériens (Camair), transporteur exclusif à partir de 1971. En définitive, les décennies 1960 et 1970 ouvrent une nouvelle phase dans le développement de l’éducation confessionnelle islamique et la pratique du Hajj à Douala. Toutes ces initiatives prises par la communauté musulmane de Douala (articulation de 122 P. Cissé, ‘‘La migration malienne au Cameroun’’, p. 11. 144 l’éducation et la pratique du Hajj au plan local) ne pouvaient fonctionner sans un minimum de soutien et de contrôle des autorités administratives. L’Etat intervenait de manière directe ou indirecte dans les activités éducatives, à travers ses excroissances que sont l’ACIC pour l’enseignement ou, l’administration intérieure et la Camair pour le Hajj. A leur tour, ces structures étaient travaillées par des dirigeants à la cause de la politique gouvernementale. De ce point de vue on peut dire que les questions de l’éducation et du hajj n’étaient pas seulement culturelles ou cultuelles mais aussi politiques. Leurs dirigeants étaient instrumentalisés et mis en avant par l’Etat. Ces fidèles allaient par leur grande prudence et surtout faute de moyens paralyser l’école et toutes les initiatives culturelles que l’ACIC avait la charge d’animer et de développer. Et, à la fin des années 1970 et surtout au cours de la décennie suivante, des bouleversements font émerger les premières lignes de fractures au sein de la communauté musulmane de Douala. 145 QUATRIEME CHAPITTRE LES COMMUNAUTES MUSULMANES DE DOUALA AVANT LA LIBERALISATION DES ANNEES 1990 Entre la décennie 1970 et la fin des années 1980, des changements ont lieu au sein de la communauté musulmane et ont conduit à un regain islamique qui met la prédication au centre du dispositif religieux à Douala. Outre le retour des étudiants formés dans les universités moyen-orientales qui ne se déroulent pas sans provoquer une certaine frustration/contrariété de la part des marabouts traditionnels qui commencent à voir leur influence diminuer au profit des ‘‘jeunes intellectuels fiers de leurs maîtrise de l’arabe et conscients de leur pureté littéraire’’1, Douala a vu se multiplier la construction des mosquées. Au plan administratif, la création d’autres chefferies musulmanes suit d’ailleurs cette évolution, comme nous le verrons. Par ailleurs, au plan éducatif, l’école franco-arabe après l’enthousiasme de départ tarde à connaitre l’engouement populaire escompté. Elle s’essouffle et présente des signes de décadence. La communauté, ethnologiquement et sociologiquement hétérogène, ne trouve pas de solutions idoines. Toutes ces réalités s’enracinaient évidemment dans la géographie sociale et religieuse de la ville de Douala. Le propos de ce chapitre est de dresser les grandes lignes des changements qui s’amorcent au sein des communautés musulmanes de Douala à partir de la fin des années 1970 ; de s’interroger sur l’attitude des musulmans militants de cette tendance qui basculent de l’hostilité à l’égard des autorités, qu’elles soient traditionnelles ou politicoadministratives. Nous nous interrogeons aussi sur quelques ruptures entre les autorités traditionnelles et l’appareil politico-administratif ; sur la cohérence et la réaction des autorités et de l’ACIC face à cette attitude et sur les raisons de la perte de vitesse de l’école francoarabe de Douala à la fin des années 1980. Cette dialectique actions/réactions subséquentes constitue le fil conducteur de ce chapitre. Bref, notre objectif est d’analyser en quoi les années 1970 et surtout 1980 constituent une parenthèse qui conduit à un début de remaniements dans le paysage islamique doualais. Avec l’émergence d’une nouvelle tendance, la stratégie du pouvoir de modeler selon ses propres principes ne lui donne-t-elle 1 G.L.Taguem Fah, ‘‘Processus politique, mutation sociale et renouveau islamique au Cameroun’’, Rupture/Solidarité, no 4, Paris, Karthala, 2003, p. 234. 146 pas la sensation d’être corsetée, bâillonnée ? Il s’agit de montrer qu’à la fois le paysage islamique est figé mais qu’en dépit de la surveillance du pouvoir politique, quelques signes de résistance s’opèrent dans la communauté. A-L’éveil d’une nouvelle tendance islamique à Douala A l’origine, dans la ville de Douala, l’islam était influencé par la confrérie soufie de la Tidjaniyya. La plupart des écoles islamiques qui se développaient alors au sein des communautés musulmanes étaient tidjanistes et les grands marabouts qui étaient à leur tête étaient vénérés par la population. Mais, sous le règne du président Ahmadou Ahidjo (19601982), la Tidjanniya sera interdite à cause de son refus de reconnaître toute autorité autre que celle de Dieu. De même, la confrérie Qadiriya sera dissoute pour avoir soutenu les opposants au régime.2 Ces deux confréries ne vivaient plus que de façon souterraine. Cette répression politique réduisait sans cesse le champ d’action et la cartographie des confréries musulmanes traditionnelles à Douala. Et, jusqu’au milieu des années 1970, la communauté musulmane doualaise demeurait groupée autour d’un islam officiel qui officiait pour les prières de vendredi et pour les principales fêtes musulmanes. Mais, au milieu des années 1970 une autre tendance devait voir le jour et contribuer à son tour à l’enracinement de l’islam à Douala. Il importe de considérer le cas de cette nouvelle tendance qui avait acquis droit de cité et qui connaît depuis la fin des années 1970 une implantation appréciable à Douala. Quelles sont les grandes lignes de son évolution ? Quelle est sa base sociale ? Que représente-t-elle ? Mais avant, tentons de donner une délimitation à la catégorie dont il est question dans ce chapitre. A-1 Entre wahhabites, fondamentalistes, réformistes et intégristes qui sont-ils réellement ? Essai de définition de la nouvelle tendance Dans la littérature islamologique africaine, on utilise une diversité lexicale pour définir les stratégies culturelles et politiques islamiques depuis le retour des premiers étudiants africains ayant fait des études dans les pays arabes. Les mots tels que wahhabisme, fondamentalisme, réformisme et depuis une vingtaine d’années l’intégrisme sont utilisés sans distinction, surtout par un vocabulaire occidental et la presse internationale ayant tendance à évoluer avec rapidité. En Occident, ces termes évoquent généralement des images de barbus enturbannés et de femmes en tchador noir. Ils désignent certains mouvements qui comptent parfois des éléments réactionnaires ou violents dans leurs rangs. Pour eux, la religion ne 2 M. Oumarou, ‘‘La culture arabo-islamique. Les Haoussa du Sud-Cameroun (le cas de Yaoundé) et l’intégration nationale’’, Thèse de Doctorat en Histoire, Université de Paris III, 1987, P.71. 147 saurait être confinée au domaine de la loi personnelle et la vie privée : l’islam a un point de vue sur la société et sur l’ordre ‘‘juste’’3. Cependant, ces stéréotypes ne doivent pas empêcher de voir qu’il existe de puissantes forces modernisatrices en leur sein. En d’autres termes, ce sont ces islamistes dits radicaux, ultraminoritaires dans l’océan du milliard de musulman du monde qui fournissent le prétexte à un déferlement de haine contre l’ensemble des fidèles de l’islam.4 En tenant compte du contexte socio-historique camerounais, quelle signification peut-on donner à ces termes ? Quelle est l’expression qui permettrait de se rapprocher le plus de la réalité observée à Douala au cours des décennies 1970 et 1980? Par ailleurs, il est intéressant de savoir d’abord comment nos interlocuteurs se désignent euxmêmes. Le courant wahhabite est d’origine saoudienne. Il est fondé par Muhammad Ibn Addel Wahhab (1703-1732). Ainsi, certains historiens5 l’ont appelé ‘‘wahhabiya’’ par rapprochement avec la doctrine de son fondateur. Il existe cependant un débat sur la pertinence de l’emploi de ce terme. D’une part, son emploi sous-entend une identité entre le mouvement saoudien et les mouvements africains. D’autre part, le terme de wahhabiya n’est pas employé par ses partisans qu’ils soient Saoudiens6 ou Camerounais. Ainsi, tous nos interlocuteurs partisans de ce mouvement récusent en général ce terme et se désignent comme des ‘‘Salafis’’, en référence à ceux qui suivent l’islam des ‘‘prédécesseurs’’, c'est-à-dire les compagnons du Prophète et les quatre califes dits bien guidés.7 Ils se désignent aussi comme les ‘‘gens de la Sunna’’8, les ‘‘sunnites’’, par opposition à toute pratique fut-elle à l’intérieur du camp sunnite, qualifiée d’innovation ; ignorant ainsi que l’islam doualais comme d’ailleurs l’islam camerounais est essentiellement venu de l’Ouest par les Etats soudanosahéliens et de l’Adamawa et est donc de tradition sunnite dont le rituel est celui de la plupart les musulmans camerounais. En fait, ils disent n’appliquer que le Coran et la Sunna et adoptent des comportements faisant ressortir leur attachement à ces principales sources. Ils se 3 Voir Y. Lacoste, Dictionnaire de géopolitique, Paris, Flammarion, 1993. Ibid. Voir aussi I. Ramonet, ‘‘Plus qu’une religion’’, Manière de Voir, Bimestriel, juillet-août 2002, no 64, pp. 6- 7. 5 Ainsi, L. Kaba revendique l’appellation ‘‘Wahhabiya’’ dans son ouvrage The wahhabiyya. Islamic reform and politics in French West Africa, Evantson, Northwestern University Press, 1974, pp. 21- 45 et pp. 95-133. Se référer aussi à J.-L. Triaud, ‘‘Le mouvement réformiste en Afrique de l’Ouest dans les années 1950’’, Sociétés africaines, monde arabe et culture islamique, Paris, Mémoires du Germaa, no 1, 1979, pp. 195-212. 6 Les Wahhabi saoudiens se qualifient de ‘‘Muwahhidum’’ (unitaristes). Cf. R. Schulze, ‘‘La da’wa saoudienne en Afrique de l’Ouest’’, in R. Otayek (s.d.), Le radicalisme islamique au Sud du Sahara Da’awa, arabisation et critique de l’Occident, Paris, Karthala, 1993, p. 21. 7 La principale figure de la Salafiya ou du retour aux sources est le Cheikh Mohamed Abdou (1849-1905), grand Mufti d’Egypte. Il s’efforça de présenter et de développer l’aspect ‘‘intérieur de la religion’’, débarrassée des additions fallacieuses, et de ramener à la pureté et à la simplicité originelle. Cf. J.-C. Froelich, Les musulmans d’Afrique Noire, Paris, Ed. de l’Orente, 1962, p. 271. 8 Voir glossaire. 4 148 considèrent comme les véritables Sunnites, rejetant implicitement les autres musulmans dans l’hétérodoxie. Ces derniers les appellent les ‘‘fondamentalistes’’. Il ne s’agit donc pas ici d’un mouvement structuré, mais d’une vision de l’islam qui donne la primauté à une lecture littéraliste et puritaine du Coran. Ce mouvement cherche le retour aux textes d’où les qualificatifs de fondamentaliste, que les ‘‘autres’’9 utilisent pour les désigner. Mais ce terme de ‘‘fondamentalisme’’ doit être manié avec prudence et précision. Le fondamentalisme à la saoudienne est une interprétation littéraliste et ‘‘fixiste’’ de l’enseignement islamique. Il ne vise pas, pour autant, à la conquête des pouvoirs d’Etat.10 Il recherche plutôt le contrôle des communautés, des mosquées et des écoles. La rigueur de ses représentants les plus militants - qui créent des mosquées distinctes comme les cas des mosquées de New-Bell que nous verrons et qui représentaient les meilleurs ‘‘laboratoires’’ de cette tendance à Douala - limite son audience à des milieux de jeunes en quête de légitimité sociale et quelques fois privés d’éducation occidentale. C’est le cas notamment d’une partie des jeunes musulmans de New-Bell que nous verrons. Mais cette sensibilité ‘‘wahhabite’’ était le lieu des transformations significatives de l’islam à Douala. Malgré quelques nuances, l’emploi des termes réformiste et fondamentaliste par les ‘‘autres’’ pour regrouper tous ceux qui faisaient partie de la nouvelle tendance, qu’ils soient formés en Arabie Saoudite ou non nous semble justifié dans la mesure où cette tendance met l’accent sur ce qu’elle ‘‘considère comme le retour à l’essentiel’’11. Par réformisme ici, il était fait référence aux campagnes menées par des religieux et des enseignants d’arabe de retour des pays arabes, qui sillonnaient les communautés musulmanes nationales et dont l’ennemi n’était pas la modernité mais la tradition, ou plutôt dans le contexte musulman tout ce qui n’est pas la tradition du Prophète.12 On pouvait aussi qualifier nos interlocuteurs de réformistes par ce que sur le plan éducatif notamment, ils avaient, à leur retour, revisiter les méthodes d’enseignement et faisaient constamment recours aux matières tout à fait différentes de celles des maîtres coraniques formés sur place.13 Ce terme semble donc mieux résumer ces étudiants issus d’horizons divers. En effet, l’utilisation de ce terme pour désigner la naissance et l’avancée d’une nouvelle tendance islamique au Cameroun pendant les décennies 1970 et 1980 sont des 9 Sous entendu les autres confréries. Cf. O. Carre et P. Dumont (éds.), Radicalismes islamiques, Paris, L’Harmattan, 1986, T. 2, p. 166. 10 Voir J. L. Triaud, ‘‘Introduction’’, in O. Kane et J.L. Triaud (s.d.), Islam et islamismes au Sud du Sahara, Paris, Kathala et IREMMAM, 1998, p. 16. 11 Voir J. Sourdel et D. Sourdel, Dictionnaire historique de l’islam, Paris, Puf, 2004, p. 301. 12 Voir les travaux d’O. Roy, notamment ‘‘Les voies de la réislamisation’’, Pouvoirs, no 62, 1992, p. 85 et ‘‘Les apories de l’islam politique’’, La règle du jeu, 2è année, mai 1991, no 4, p.199. 13 Voir troisième chapitre, section A. 149 phénomènes que les études de H. Adama confirment. Il a en effet constaté l’émergence d’une génération de ‘‘réformistes’’ plus autonomes par rapport à l’Etat dès la fin des années 1970 à Douala.14 Outre ce terme, G.L. Taguem Fah utilise les expressions suivantes : ‘‘renouveau islamique’’, ou encore ‘‘moderniste’’ pour désigner cette nouvelle tendance née au milieu des années 1970.15 Dans cette perspective, nous pouvons dire que ces termes (réformiste et moderniste) désignent à Douala, tous ceux qui avaient effectué leurs études au Proche et au Moyen Orients et notamment en Egypte et en Arabie Saoudite au lendemain de l’indépendance du Cameroun. Quant au terme intégriste, il est d’utilisation récente et désigne à l’origine un phénomène propre à la religion chrétienne. Il ne cherche pas à rendre compte d’un problème d’interprétation, mais d’un problème pratique : le refus d’adaptation de l’Eglise en matière liturgique et sociale. Il sert de plus en plus à désigner les fondamentalistes ayant la lecture la plus rigide de la religion, sans possibilité d’exégèse. Dans les études sur l’islam en Afrique au Sud du Sahara, l’emploi de ce terme prête à confusion.16 Si en effet, on assistait au sein des communautés musulmanes du Cameroun, à une percée du mouvement réformiste qui s’attachait à stigmatiser l’islam jugé rétrograde et obscurantiste des traditionalistes, le passage manifeste au politique qui nous semble caractériser les idéologies des mouvements ‘‘intégristes et/ou islamistes’’17 à proprement parler, étaient eux bien absents. On a parfois l’impression ou le sentiment que ce terme intégrisme était utilisé sans grande précaution pour qualifier tout activisme musulman lorsque l’on veut opposer celui-ci à l’islam tranquille et tolérant voir débonnaire des musulmans traditionnels ; mais la prudence s’impose, car dans le climat de renouveau religieux que connaissait Douala à l’époque, le terme intégrisme ne pouvait être retenu pour la simple raison qu’en plus de ce qu’il a de commun avec les autres - retour aux textes fondamentaux tout en acceptant la modernité -, il traduit un projet 14 Voir notamment H. Adama, L’islam au Cameroun. Entre tradition et modernité, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 164; ‘‘Islam et société au Nord- Cameroun (fin du XIXe siècle – XXe siècle)’’, Dossier présenté en vue de l’Habilitation à Diriger les Recherches, Rapport de Synthèse, Université de Provence, 2003-2004, p. 37 et ‘‘L’école franco-arabe camerounaise : bilan et perspectives’’, in G.L. Taguem Fah (s.d.), Cameroun 2001 : politique, langues, économie et santé, Paris, L’Harmattan, p. 95. 15 Voir notamment G.L.Taguem Fah, ‘‘Tendances actuelles de l’islam au Cameroun : état des lieux et perspectives’’, Afrique Contemporaine, no 194, 2e trimestre 2000, pp.53-66 et ‘‘ Processus politique, mutation sociale et renouveau islamique au Cameroun’’, pp. 215-242. 16 Pour une discussion sur la montée de ce mouvement au Sud du Sahara, on consultera le livre de O.Kane Et J.L. Triaud (s.d.), Islam et islamismes au Sud du Sahara, Paris, Kathala et IREMMAM, 1998 et D. Westerland et E. Evers Rosander (éds.), African Islam and Islam in Africa, Londres, Hurst and Compagny, 1997. 17 I. Ramonet, ‘‘Plus qu’une religion’’, 2002, p. 7. 150 politique.18 Or au Cameroun, les étudiants formés dans les pays arabes s’impliquaient surtout dans la réislamisation des communautés musulmanes (enseignement, prêche), travaillant la communauté de l’intérieur, sans donner la priorité à l’islamisation de l’Etat. Ce terme nous semble -du moins à cette période- loin de la réalité locale. Au total, nous utilisons invariablement les termes wahhabites ou réformistes pour désigner le même groupe ou la même catégorie ; car, de fait, il existait diverses sensibilités au sein de ce groupe formé dans divers pays arabes. Leur point commun semblait, en fin de compte, être les modalités d’acquisition du savoir (à l’extérieur), de reconversion de ce savoir sur le plan local (manière de vivre leur religion-comportement) et leur accueil mitigé par les dignitaires de l’ACIC, considérés comme conservateurs, traditionalistes et proches des autorités politico-administratives. A-2 Problèmes d’insertion et voies de sensibilisation au mouvement wahhabite Il n’est pas aisé de mener une étude sur le mouvement dit réformiste au Cameroun en général et à Douala en particulier car, comparée aux autres villes d’Afrique de l’Ouest, son émergence est récente et aucune étude approfondie sur ce courant n’a été faite. En outre, les réformistes ne s’étaient pas très tôt constitués en association comme dans d’autres villes ouest-africaines.19 Ils n’avaient pas non plus ouvert des écoles d’enseignement islamique qui leur étaient propres, permettant ainsi de les identifier plus simplement. De plus, nombreux parmi les réformistes étaient écartés des responsabilités importantes par ‘‘les partisans d’un islam conservateur’’20 qui dirigeaient l’ACIC, seule association représentant l’ensemble des musulmans du Cameroun à l’époque. En effet, le dynamisme, la forte personnalité et les vues progressistes de quelques réformistes qui ‘‘pouvaient contribuer à moderniser l’islam au Cameroun dérangeaient plus d’un’’21. A titre d’illustration, le Dr. Adamou Ndam Njoya, fondateur de l’Institut Islamique et d’Etudes Religieuses du Cameroun et directeur-fondateur 18 La littérature sur l’intégrisme et l’islamisme est abondante. On peut lire à ce sujet F. Burgat, L’islamisme en face, Paris, La Découverte, 2002 (réédition de 1995); O. Roy, Généalogie de l’islamisme, Paris, Hachette, 1995 et B. Etienne, L’islamisme radical, Paris, Hachette, 1987. 19 Sur la diffusion des mouvements réformistes en Afrique de l’Ouest, voir entre autres, M. Miran, ‘‘Le wahhabisme à Abidjan : dynamisme urbain d’un islam réformiste en Côte d’Ivoire contemporaine (19601996)’’, Islam et sociétés au sud du Sahara, no 12, 1998, pp. 5-74 ; A. Souley Niandou and G. Alzouma, ‘‘Islamic Renewal in Niger : from Monolith to Plurality’’, Social Compass, 43 (2), 1996, pp. 249-265 ; M. Gomez-Perez, ‘‘Généalogie de l’islam réformiste au Sénégal des années 50 à nos jours : figures, savoirs et enjeux’’, in L. Fouchard et al. (éds.), Entreprises religieuses transnationales en Afrique de l’Ouest, Paris, Karthala, 2005, pp. 1993-222. 20 E. Iya, ‘‘L’école franco-arabe : facteur d’adaptation des valeurs socioculturelles des populations islamisées du Cameroun septentrional’’, Mémoire de Maîtrise es arts (M.A), Ecole de Gradués, Université Laval, 1993, p.255. 21 Ibid., note 53, p. 275. 151 de la revue culturelle Al Houda et de l’hebdomadaire Les Feuilles Islamiques Al Houda, vit ses conférences interdites par ‘‘les pouvoirs publics sous la pression des dirigeants de l’ACIC à cause de l’affluence qu’elles suscitaient’’22. Certains voyaient donc en ce retour un ‘‘cheval de Troie’’ au Cameroun, susceptible d’apporter les ‘‘germes d’un fanatisme islamique dont le Nigeria voisin en donne maints exemples meurtriers peu rassurants’’23. En outre, ‘‘la politique du retour des diplômés des universités arabes n’était pas pensée et n’était pas une priorité pour l’Etat’’24. Et, lorsqu’ils revenaient au Cameroun, ils étaient tous sous-employés ou même ignorés par la communauté musulmane locale qui n’était pas bien organisée.25 Certes il y avait quelques postes d’enseignants d’arabe à pourvoir dans les écoles franco-arabes mais après, ‘‘il n’y avait plus rien et les salaires étaient bas (…) on donnait des cours pour avoir juste un peu d’argent pour survivre’’26. Par ailleurs, ‘‘la possibilité d’être recruté dans la fonction publique était mince à cause de la non reconnaissance de nos diplômes’’27. Seuls quelques-uns furent intégrés à des postes administratifs symboliques, parfois grâce à leurs propres relations.28 Mais dans l’ensemble, leurs diplômes arabes n’avaient pas été reconnus à leur juste équivalence et ‘‘l’administration publique nourrissait une attitude de méfiance et de réserve à leur égard’’29, surtout à l’heure où, certains évènements tels que la révolution islamique en Iran en 1979 et l’instauration de la République Islamique confortaient les islamistes et inquiétaient ou rassuraient peu le pouvoir. La grande majorité souffrait donc d’un réel manque de reconnaissance et se trouvait de fait exclue du champ politico-administratif. Cette stratégie devait aboutir à la continuation de la politique d’homogénéisation officiel du paysage religieux islamique. Mais sur le plan strictement religieux, le réformisme se frayait une voie. Le courant réformiste a connu deux périodes à Douala. Une phase de latence et une phase qu’on peut qualifier de banalisation. Sa propagation commence en effet au milieu des 22 Ibid, p. 255. Ibid. 24 Notre informateur a souhaité conserver l’anonymat lors de notre entretien du 4 mai 2004 à Akwa. 25 A. Njiasse Njoya, ‘‘L’islam au Cameroun’’, in La culture arabo-islamique en Afrique au Sud du Sahara : cas de l’Afrique de l’Ouest, Publication de la Fondation Temimi pour la Recherche Scientifique et l’Information, Zaghouan, août 1997, p. 256. 26 Propos de Oumarou Malam Yasser, ancien boursier de l’Arabie Saoudite, recueillis à Douala le 2 mai 2004 à son domicile à New-Bell/Nkolmitag. 27 Ibid. Relevons que cette situation était générale en Afrique Noire. Voir S. Cissé, L’enseignement islamique en Afrique Noire, Paris, L’Harmattan, 1992, p. 132 et suivantes. Voir aussi les écrits de L. Brenner, notamment : Controlling Knowledge. Religion, Power and Schooling in a West African Muslim Society, Bloomington and Indianapolis, Indiana University Press, 2001 et ‘‘Medersas au Mali. Transformation d’une institution islamique’’, in B. Sanakoua et L. Brenner (s.d.), L’enseignement islamique au Mali, Ed. Jaman, Bamako, 1991, pp. 63-85. 28 Entretien du 16 août 2003 avec Cheikh Daouda Mohaman, enseignant à l’IRIC et ancien secrétaire exécutif de l’ACIC à son domicile au quartier Mendong à Yaoundé. 29 H. Adama, L’islam au Cameroun, p. 164. 23 152 années 1970 et se manifeste essentiellement par la présence des personnes appelées ‘‘réformistes’’, les Wahhabites. Malgré quelques difficultés pour prendre une place, cette tendance prend de l’importance au cours de la décennie 1980. Etudiant le contexte historique du début de ce mouvement, H. Adama constate qu’il correspond à la période du retour des premiers étudiants ayant fait leurs études dans les pays arabes.30 G. L. Taguem Fah pense plutôt qu’il correspond à une période d’offensive islamique, marquée dans de nombreux pays de l’espace musulman par une production pétrolière de plus en plus abondante. Grâce aux revenus pétroliers, les pays arabes devenaient de nouveaux bailleurs de fonds.31 Mais en revisitant l’histoire sociale de Douala, on peut affirmer avec H. Adama que le retour des étudiants formés dans les pays arabes et qui ne parvenaient pas à s’insérer dans l’administration constitue le premier facteur explicatif de la dynamique islamique en émergence à la fin des années 1970 ; le prosélytisme des pays arabes et la manne pétrolière ne constituant de fait qu’un facteur facilitant de la dynamique islamique à Douala. Autrement dit, les changements s’opèrent d’abord au Cameroun et conduisent à un début de contestation dont les militants islamiques ont été des témoins passifs ou actifs. Dans un second temps, l’actualité internationale et les revenus pétroliers ont joué un rôle d’accélérateur dont ceux-ci ont su profiter. Cette époque est donc celle des pionniers, de la première génération des ‘‘gens de la Sunna’’, des musulmans ‘‘réformateurs’’ qui font l’expérience de la cœxistence et non de la collaboration et de la cohabitation avec ceux qui sont qualifiés de ‘‘conservateurs’’32. Au cours de la décennie suivante (1980-90), Douala est véritablement influencé par le courant réformiste. Sur le terrain, il s’affirme et se structure à travers la construction de deux mosquées : la mosquée Alhu-Sunna Wal-Jamaa33 et la mosquée Al-Rahmah toutes deux situées au quartier New-Bell/Congo, à la Rue Njoya. Ces adeptes vivaient d’après malam Awalou selon les habitudes culturelles du monde arabe. Se disant ‘‘gens de la Sunna’’, quelques-uns laissaient pousser leur barbe et adoptaient des pantalons qui s’arrêtent au dessus de la cheville. Ils refusaient de serrer la main aux femmes et exigeaient quelques fois qu’elles portent le voile.34 30 H. Adama, ‘‘Islam et société au Nord-Cameroun (fin du XIXe siècle – XXe siècle)’’, p. 37. C. L. Taguem Fah, ‘‘Pouvoir du savoir, renouveau islamique et luttes politiques au Cameroun’’, in M. GomezPerez (s.d.), L’islam politique au sud du Sahara. Identités, discours et enjeux, Paris, Karthala, pp. 564-566. 32 H. Adama, ‘‘Islam et société au Nord-Cameroun (fin du XIXe siècle – XXe siècle)’’, p. 37. 33 Littéralement, les gens de la tradition et de la communauté. De nos jours, ils se nomment eux-mêmes ‘‘laboratoire des mosquées salafistes de Douala’’. 34 Synthèse des propos de Malam Awalou, imam de la mosquée de Bonanloka, lors de notre entretien du 7 novembre 2006 à Bonanloka. 31 153 Les individus qui se déclarent adeptes du courant réformiste ont pu être sensibilisés de plusieurs manières. La piste la plus évidente est, comme nous avons vu ci-dessus, le contact avec des pays arabes. Les pionniers du mouvement ont en effet fait leurs études dans les pays arabes, notamment l’Egypte et l’Arabie Saoudite. A la suite de nos enquêtes de terrain, on peut dire que leur séjour dans ces pays leur donnait une vision de l’islam autre que celle qu’ils avaient laissée au terroir avant leur départ. Malam Ouba témoigne : Le wahhabisme a été introduit chez nous par de jeunes musulmans qui sont allés étudier en Arabie saoudite (...) Les imams wahhabites de Douala étaient tous des hommes de moins de 40 ans (...) Ils prêchaient en de termes très durs.35 Ce mode de sensibilisation est essentiel. En effet, ce sont les connaissances acquises dans les pays arabes qui permettaient aux membres de ce courant de proposer un nouveau type d’islam basé sur le respect strict du Coran, de la Sunna, des Hadiths et de la connaissance de la langue arabe. De là, sont issus des diplômés qui sont appelés par les communautés locales pour devenir prédicateurs ou enseignants. Deux hypothèses sont aussi à envisager sur les voies de sensibilisation au mouvement réformiste à Douala. La première est que les immigrés des années 1980 d’origine ouestafricaine, notamment les Haoussa, les Sénégalais et les Maliens ont pu être sensibilisés au sunnisme avant leur migration dans le bassin de Douala, celle-ci constituant une période de latence. En effet, l’apparition récente des réformistes à Douala fut établie en Afrique de l’Ouest pendant les années 1950. Les vrais débuts de ce courant islamique dans cette région de l’Afrique peuvent ainsi se situer vers les années 1950 lorsque par le truchement du commerce, des étudiants d’Al-Azhar et du pèlerinage à la Mecque, l’Afrique fait sa connaissance.36 Au lendemain des indépendances, plusieurs villes ouest-africaines sont touchées par le mouvement sunnite/wahhabi.37 Réformisme religieux, radicalisme anticolonial et bourgeoisie commerçante constituaient alors les principales caractéristiques de 35 Propos de Malam Ouba, imam de la mosquée d’Akwa, entretien du 8 novembre 2007 à Akwa. Voir entre autres, O. Kane et J.-L. Triaud (s.d.), Islam et islamisme au sud du Sahara, Paris, Iremam-KarthalaMsh, 1998 ; J.-L. Triaud, ‘‘Le mouvement réformiste en Afrique de l’Ouest dans les années 1950’’, Mémoires du Germaa, no 1, 1979, pp. 195-212 ; L. Brenner (éd.), Muslim identity and social change in sub-saharan Africa, Bloomington and Indianapolis, Indiana University Press, 1993 et L. Kaba, The wahhabiyya. Islamic reform and politics in French West Africa, p. 270 et J.-C. Froelich, Les musulmans d’Afrique Noire, p. 274. 37 Voir entre autres M. Gomez-Perez, ‘‘Généalogie de l’islam réformiste au Sénégal des années 1950 à nos jours : figures, savoirs et réseaux’’, in A. Mary, L. Fouchard et R. Otayek (éds.), Entreprises religieuses et réseaux transnationaux en Afrique de l’Ouest, Paris, Karthala, 2005, pp.193-222, ‘‘Itinéraires de réformistes musulmans au Sénégal et en Guinée : regards croisés (des années 1950 à nos jours)’’ , in E. I. Ndaywel Nziem, et E. Mudimbe-Boyi (éds), Images, mémoires et savoirs. Une histoire en partage avec Bogumil Koss Jewsiewicki, Paris, Karthala, 2009, pp. 435-460 et B.F. Soares, Islam and the Prayer Economy. History and Authority in Malian Town, Edinburgh University Press, London, 2005. 36 154 ce mouvement.38 Dans cette perspective, certains musulmans, d’origine ouest-africaine et surtout les Haoussa du Nord du Nigeria, les Maliens et les Sénégalais étaient des sunnites et ont introduit le sunnisme à Douala.39 En effet, ce courant qui existe en AOF et au Nigeria depuis l’époque coloniale et s’est constitué en plusieurs associations : l’association des Subbanu al-muslimin qui prend forme en 1949 à Bamako40 ; le mouvement Al Falah (le salut) au Sénégal qui trouve ses origines dans les années 195041 ; la Jama’atu Izalatu bid’awa Iqamat al-Suna (ceux qui rejettent les innovations et prônent la Sunna) fondée en 1978 à Jos au Nord du Nigeria par Abubacar Gumi (m.1992) qui se présentait lui-même comme le digne héritier de Ousman Dan Fodio. Cette dernière association est la plus populaire de ces mouvements en Afrique de l’ouest et centrale.42 Son impact est direct sur le Cameroun. La seconde hypothèse est que les migrants ouest-africains et les musulmans venant de l’intérieur du Cameroun ont été mis en présence du sunnisme et ce pour la première fois, à leur arrivée sur la côte camerounaise. En effet, suite au retour des premiers étudiants formés en Arabie Saoudite et en Egypte, le gouvernement saoudien avait financé la construction des mosquées au Cameroun. A Douala par exemple, Grâce aux financements saoudiens, ils (les Wahhabites) avaient érigé deux mosquées au quartier New-Bell/Congo43, sur une surface de moins d’un kilomètre carré. Ces mosquées servaient de lieu de perfectionnement religieux et au recrutement des fidèles et des jeunes (...) Le conflit entre Wahhabites et Tidjanites était un problème de positionnement. Les 38 Voir L. Kaba, The wahhabiya. Islamic reform in French West Africa et J.-L. Triaud, ‘‘Le mouvement réformiste en Afrique de l’Ouest dans les années 1950’’, pp. 195-212. 39 Voir entre autres, P. Cissé, ‘‘La migration malienne au Cameroun : le retour est-il possible?’’, Communication au XXVème Congrès International de la Population, Tours, 18-23 juillet 2005 et S. Traoré, Migration et insertion socio-économique dans les villes en Afrique de l’Ouest, Etudes et travaux du CERPOD-no16, octobre 2001. 40 L. Kaba, The wahhbiya Islamic Reform in French West Africa, p.139. Voir aussi du même auteur ‘‘Notes in the study of islam in Africa’’, Afrika Zamani, n°4, 1975, p. 4. 41 Voir, entre autres M. Mouhamed Kane, ‘‘La vie et l’œuvre d’Al-Hajj Mahmoud Ba Diowol (1905-1978). Du pâtre au patron de la ‘‘Révolution Al-Falah’’ ’’, in D, Robinson et J.L. Triaud (éds), Le temps des marabouts. Itinéraires et stratégies islamiques en Afrique occidentale française v. 1880-1960, Paris, Karthala, 1997, pp. 431-465. R. Lomeier, ‘‘Chiekh Touré du réformisme à l’islamisme, un musulman sénégalais dans le siècle’’, Islam et sociétés au sud du Sahara, no 8, novembre 1994, pp. 55-66 et M. Gomez-Perez, ‘‘Associations islamiques à Dakar’’, Islam et Sociétés au Sud du Sahara, n°5, 1991, pp. 137-152. 42 Ce mouvement a fait l’objet d’une remarquable synthèse par Muhammad S. Umar, ‘‘Education and Islamic trends in Northern Nigeria : 1970s-1990s’’, Africa Today, vol. 18, no 2, 2001, pp. 127-150. Voir aussi entre autres, O. Kane, ‘‘Réforme musulmane au Nigeria du Nord’’, in J.-L. Triaud et O. Kane (s.d.), Islam et islamisme au Sud du Sahara, Paris, Ireman-Karthala-MSH, 1998, pp.117-135; ‘‘Izala : the rise of Muslim reformism in Nigeria’’, in M. Marty and Scott Appeby (eds.), Accounting for fundamentalism : the dynamic character of movements, Chicago, the University of Chicago Press, 1994, pp. 490-512 et le chapitre écrit par C. Coulon, ‘‘Les nouveaux oulémas et le renouveau islamique au Nord Nigeria’’, in R. Otayek (s.d.), Le radicalisme islamique au Sud du Sahara : da’wa, arabisation et critique de l’Occident, Paris, Karthala, 1993, pp.123-149. 43 Il s’agit des mosquées Al-Ramah et Alhu-Sunna Wal-Jamaa. 155 Wahhabites nouvellement arrivés voulaient maintenant prendre le devant de la scène afin de bénéficier de plus en plus des dons de l'Arabie Saoudite.44 La Wahhabiya pouvait ainsi, par ces deux mosquées, se développer par les musulmans nouvellement venus, et chez ceux dont l’appartenance communautaires faisait obstacle à leur insertion dans la hiérarchie confessionnelle locale. Aussi, sans avoir à se déplacer, à voyager à l’extérieur, les musulmans doualais étaient en contact avec d’autres interprétations du Coran. Il était enfin possible que l’introduction du réformisme soit le fait de quelques individus isolés, dû à l’essor des voyages individuels qui jouent un rôle dans le changement religieux ; phénomène qui n’est pas propre à Douala.45 Sur plusieurs aspects, la présence des réformistes à Douala devait entraîner des oppositions entres eux et les tenants des confréries traditionnelles, notamment la Tidjaniyya, considérée comme traditionnelle et plutôt modérée. A-3 Vers des tiraillements entre Wahhabites et Tidjanistes : opposition doctrinale, multiplication des mosquées et réponse de l’ACIC Divergence doctrinale Avant l’arrivée des réformistes, la majorité des musulmans du Cameroun en général et de Douala en particulier priait selon la posture de prière la plus répandue au Cameroun, celle dite Siderou, c'est-à-dire les bras tendus le long du corps, recommandée par l’école malikite46. Toutefois, depuis la fin de la décennie 1970, le nouveau courant que les autres regroupent sous le terme de ‘‘wahhabiya ‘’ s’était caractérisé par un trait particulier sur le plan de la prière. Il avait introduit une posture de prière particulière dite Cabdou. Cette dernière consistait à croiser les bras sur le torse - et non pas le long du corps - entre chaque prosternation de la prière rituelle. Malam Ouba témoigne : Dans leurs mosquées, le muezzin ainsi que la plupart des fidèles portaient le turban et de longues barbes pointues. Pendant le prêche, toutes les mains étaient croisées sur la poitrine. 44 Entretien avec Malam Ouba le 8 novembre 2007. D’après les responsables des services de renseignements de la Préfecture du Wouri, les autorités suivaient cette situation avec beaucoup d’intérêt. La crainte ici était de voir se développer des tensions entre communautés comme au Nigeria tout proche. A la préfecture du Wouri, ce dossier est classé ‘‘notes confidentielles’’. Par ailleurs, G.L.Taguem Fah parle d’une ‘‘véritable guerre froide’’ entre Saoudien et Egyptien qui, dotés d’importants moyens financiers, organisaient de véritables compagnes missionnaires vers le Cameroun. L’Arabie Saoudite, plus riche et plus dynamique, s’appuyait sur la Ligue Islamique Mondiale, l’Assemblée Mondiale de la Jeunesse Islamique et l’Université de Médine pour organiser ces campagnes. Cf. ‘‘Processus politique, mutation sociale et renouveau islamique au Cameroun’’, p. 231. 45 Voir par exemple A. Mary, L. Fouchard et R. Otayek (éds.), Entreprises religieuses et réseaux transnationaux en Afrique de l’Ouest, pp.193-222. 46 Le malékisme est issu de l’imam médinois Malek Ibn Anas, mort en 795. Il est dominant au Maghreb (Tunisie, Maroc, Algérie) et en Afrique centrale. Cf. M.G. Demonbynes, Les institutions musulmanes, Paris, Flammarion, 1953 ; notamment le chapitre V, pp. 63-72. 156 Tout fidèle qui, comme le font souvent les musulmans modérés, laissait les bras le long du corps, était traité de ‘‘Satan’’ et chassé de la mosquée (...) n’entraient dans leurs mosquées que les musulmans du mouvement wahhabite.47 Cette posture de prière n’était d’ailleurs pas spécifique aux seuls réformistes wahhabites. Ainsi, certains Sénégalais ‘‘niassènes’’48 et mourides de Douala priaient également de cette façon. Pendant les prières, ils faisaient référence exclusivement au Coran et à la Sunna et s’opposaient non seulement à toutes les formes de piété populaire mais aussi à l’égard des autres. Les Tidjanistes ou les traditionalistes reprochaient aux ‘‘jeunes intellectuels’’ non seulement leur ‘‘corruption’’ dans les universités moyen-orientales, mais aussi un irrespect du savoir de leurs parents et du pouvoir traditionnel. Pour les Tidjanistes en effet, ces jeunes n’auraient ramené des pays arabes que des pratiques non musulmanes. En d’autres termes, les Tidjanistes plus nombreux, reprochaient aux Wahhabites d’avoir introduit une nouvelle pratique de l’islam dans la ville ; leur rigorisme religieux basé sur une interprétation littérale des textes sacrés, le fait de s’opposer à la vénération des savants, la pratique du Wird et la célébration du Maouloud ou naissance du Prophète. Les Tidjanistes reprochaient surtout aux Wahhabites d’être parfois irrespectueux à l’égard de leurs aînés et de mépriser tous ceux qui n’ont pas le même niveau d’instruction qu’eux. : ‘‘une fois de retour, ils contestaient notre manière de pratiquer l’islam (...) Ils avaient remplacé disaient-ils l’islam des pères par l’islam de dieu’’49. Interrogés, les Wahhabites répondent qu’ils reprochaient aux traditionalistes le fait de pratiquer un islam syncrétique50 c’est à dire un islam magico-religieux ; d’associer les croyances coutumières amalgamées au cours du temps à l’islam populaire; d’ignorer la langue du Coran et d’enseigner des choses qu’ils ne comprennent pas. La génération de musulmans inspirés par le salafisme reprochaient aussi aux Tidjanites d’avoir ‘‘occidentalisé’’ l’islam, notamment en accordant trop de libertés aux femmes à qui ils laissent le choix de porter ou non le voile. Les Wahhabites interdisaient à leurs adeptes de 47 Malam Ouba, entretien du 8 novembre 2007 à Akwa. Branche de la confrérie tidjane. 49 Regret de Malam Ouba exprimé lors de notre entretien du 8 novembre 2007 à Akwa. 50 Le syncrétisme apparaît ici comme un mélange des apports de l’islam et des croyances locales lesquelles selon J.-P. Dozon, comme d’autres syncrétismes africains, s’expriment sous trois paliers : 1- la réaffirmation (éléments perpétuant la tradition) ; 2- le renouvellement (la tradition est insuffisante) ; 3- l’accaparement des cultures musulmanes (ou chrétiennes). Ainsi le syncrétisme est à la fois sur les fronts de la ‘‘conservation’’ et de ‘‘l’adaptation’’ et vu de l’intérieur, le syncrétisme opère à différents niveaux : ‘‘matériel (forme des temples, objets rituels) ; organisation (systèmes hiérarchisés) ; symboles (chapelets) ; mythe et dogme’’. Cf. J.-P Dozon, ‘‘Les mouvements politico-religieux : syncrétismes, messianismes, néonationalisme’’, in M. Augé (s.d.), La construction du monde : religion, représentation, idéologie, Paris, Maspero, 1974, pp.75-108. 48 157 décaler dans le temps certaines des cinq prières quotidiennes en cas d’empêchement à l’heure prévue.51 Pour eux, tout musulman qui ne respectait pas les principes religieux à la lettre devait être sanctionné. Alors que, les Tidjanistes estimaient, eux, que seul Allah est en droit de punir les manquements des croyants. En somme, les Wahhabites accusaient les Tidjanistes d’introduire dans l’islam des innovations. Il s’agit des pratiques qui ne sont pas authentiques, c’est-à-dire ne reposant pas sur les principales sources de l’islam à savoir le Coran et la Sunna. Les jeunes Wahhabites critiquaient en effet les cadres religieux établis, assimilant la Tidjaniyya à une ‘‘secte hérétique’’52. Ils refusaient de prier derrière un imam ‘‘innovateur’’53 et répugnaient donc à se rendre pour les prières du vendredi dans les mosquées tenues par les traditionalistes. Ainsi, ce tiraillement entre Wahhabites et Tidjanistes faisait qu’à l’occasion des prêches, on notait des différences entre eux et les guides religieux de formation ancienne c’est à dire ceux qui n’ont pas suivi une formation à l’extérieur, donnant ainsi lieu à quelques oppositions au sein de la communauté musulmane de Douala. Ces rivalités sont en général caractéristiques de ce type de mouvements puisqu’ils cherchent une rupture symbolique avec le reste de la communauté musulmane.54 Le fait de s’opposer aux ‘‘ainés’’ ou le fait d’observer des tensions entre les deux groupes de musulmans au sujet des rites de prière par exemple indique aussi que chaque tendance cherchait à gagner une légitimité et d’accentuer son influence au sein de la communauté musulmane. Ces tensions conduisaient à des crises socio-religieuses et forçaient les acteurs politico-administratifs à intervenir. Comme dans toutes les villes du Sud Cameroun, le conflit entre Sunnites et Tidjanistes a commencé à se dessiner précisément à la fin des années 1980.55 A Douala, c’est en 1986, qu’un groupe de jeunes musulmans commence à se réunir à New-Bell/Bandjoun, au rez-dechaussée d’un immeuble afin d’étudier le Coran et la Sunna. ‘‘On utilisait des Corans et des 51 Entretien avec Malam Ouba, le 8 novembre 2007 à Akwa. Voir aussi G.L. Taguem Fah, ‘‘Tendances actuelles de l’islam au Cameroun : état des lieux et perspectives’’, p. 65. 52 Voir L. Maud, ‘‘Cameroun : les nouveaux territoires de Dieu’’, Afrique contemporaine, 2005-3 (no 215), p. 102. 53 Ibid. 54 Il importe de noter que ces tensions intracommunautaires s’étaient aussi manifestées à la même époque à Foumban, dans le royaume bamun. Voir L. Maud, ‘‘Cameroun : les nouveaux territoires de Dieu’’, qui parle de ‘‘l’islam du Noun sous tension’’ dès 1988, pp.105-109 et surtout I. Mouiche, ‘‘Islam, mondialisation et crise identitaire dans le royaume bamoun, Cameroun’’, Africa, 75 :3, 2005, pp. 378-420. 55 Pour des détails sur les villes de Yaoundé et Foumban par exemples, lire respectivement S. Emboussi, ‘‘L’implantation et l’évolution de l’islam à Yaoundé (1889-1993) : le cas du quartier Briqueterie’’, Mémoire de DIPES II, ENS, Yaoundé, 1994 et I. Mouiche, ‘‘Islam, mondialisation et crise identitaire dans le royaume bamoun, Cameroun’’, pp. 378-420. 158 ouvrages sur l’islam écrits en arabe et même en français (…) A l’époque, on avait peur (…) de la réaction des anciens et de l’administration’’56. Cet usage de la langue française et du libre questionnement, loin des autorités religieuses traditionnelles, en vue d’approfondir la connaissance apparaît comme une démarche originale sinon révolutionnaire. Un vent de ‘‘liberté religieuse’’ soufflait alors sur Douala, quelques années avant les lois de libéralisation de 1990. En 1988, soit deux ans après l’initiative de quelques jeunes musulmans du quartier New-Bell, les chefs musulmans de Douala ‘‘étouffent dans l’œuf une tentative de déstabilisation interne venant d’un groupuscule d’activistes nigérians formés à l’Université de Médine (Arabie Saoudite), représentant un courant intégriste’’57. Le contrôle que le milieu musulman traditionnel de Douala exerçait sur lui-même à l’époque avait ainsi permis d’étouffer le conflit.58 Les autorités publiques à leur tour semblaient inquiètes de voir des jeunes gens prêcher sans autorisation ni tutelle de la seule organisation reconnue : l’ACIC. Des plaintes des dignitaires musulmans de la ville leurs parviennent également. L’émergence de ce groupe réformiste est apparemment autant freinée par les autorités musulmanes que par les autorités administratives. Il est clair que les autorités ont craint le développement d’une tendance islamique diffuse et difficilement contrôlable. Toutefois, le phénomène le plus remarquable était l’apparition, au milieu des années 1980, d’un certain nombre de mosquées dédoublées sunnites/tidjanistes, réformateurs/ conservateurs. Le dédoublement des mosquées En raison de leur opposition à un islam traditionnel, les réformistes s’identifiaient aussi comme des militants et comme de nouveaux guides spirituels. Tout ceci conduisait à créer une certaine homogénéité dans les rangs de cette nouvelle génération, accentuée par le fait que les modalités d’acquisition du savoir connaissaient des points communs. Néanmoins, cette homogénéité est à nuancer dans la mesure où de nouvelles mosquées aux styles architecturaux différents étaient construites. En effet, outre leur volonté de changement, les réformistes construisaient des mosquées qui permettaient à leurs partisans de venir prier et donc d’affirmer leur identité. Ceci signifie que le ‘‘combat’’ était tant culturel que social et représentait une rupture. 56 Propos de Brahim Sarr, iman de nationalité sénégalaise, recueillis lors de notre entretien du 5 mai 2004 dans son atelier de couture à New-Bell/Congo. 57 Information donnée à E. de Rosny par El Hadj Mohammadou Katché, chef traditionnel des Foulbé à Douala. Cf. ‘‘Douala, les religions au cœur de la recomposition d’une société’’, Cahier de l’UCAC, no 4, 1999, note 6, pp. 70-71. 58 Ibid., p.71. 159 Le processus de dédoublement de mosquées n’était pas propre à Douala, ni aux autres grandes villes camerounaises. Il était plus perceptible et significatif ailleurs et particulièrement dans les pays de l’Afrique de l’Ouest. De nombreuses études montrent en effet que des villes de tailles similaires comme Dakar au Sénégal59, Ouagadougou au Burkina Faso60, Bamako au Mali61, Abidjan en Côte d’Ivoire62 et Maidougouri ou Kano au Nigeria63 avaient connu au lendemain des indépendances ce phénomène de renouvellement de mosquées doublé d’une vague d’islamisation. Dans ces pays, l’islam, démographiquement majoritaire, se caractérisait d’une part par l’existence de nombreuses tendances. Malgré ce morcellement, les relations entre l’islam et le politique sont très étroites (Sénégal et Nord du Nigeria), relâché (Mali) ou marginalisé (Côte d’Ivoire et Burkina Faso). D’autre part, l’islam connaissait dans ces pays des divergences doctrinales entre traditionalistes et réformistes depuis le lendemain des indépendances. Critiques vis-à-vis des marabouts et des chefs traditionnels, les réformistes commençaient par bouder les mosquées et se retrouvaient dans des lieux de prières isolés. Par la suite, ils construisaient de nouvelles mosquées. Ces doublets de mosquées apparaissaient suivant une logique immuable : on édifiait, à proximité d’une ancienne mosquée, un édifice flambant neuf. Officiellement, il s’agissait de rénover le parc des édifices religieux. L’entreprise participait en fait d’une logique de renouvellement des cadres islamiques, la nouvelle mosquée étant toujours dirigée par des imams et prédicateurs sélectionnés parmi les réformistes. De tels dédoublements commençaient déjà à traduire une compétition sur le marché religieux africain, dont pâtissaient les autorités religieuses traditionnelles (émirs, sultans, lamibé) et les marabouts de formation traditionnelle. 59 Voir, entre autres, M. Gomez-Perez, ‘‘Un mouvement culturel vers l’indépendance. Le réformisme musulman au Sénégal (1956-1960)’’, in D. Robinson et J.-L. Triaud (s.d.), Le temps des marabouts. Itinéraires et stratégies islamiques en Afrique occidentale française v. 1880-1960, Paris, Karthala, 1997, pp.521-538; M. Magassouba, L’islam au Sénégal. Demain les Mollahs?, Paris, Karthala, 1985. 60 Voir M. Koné-Dao, ‘‘Implantation et influence du wahhâbisme au Burkina Faso de 1963 à 2002’’, in M. Gomez-Perez (s.d.), L’islam politique au sud du Sahara : identités, discours et enjeux, Paris, Karthala, 2005, pp.449- 539 et R. Otayek, ‘‘Introduction : du Burkina du changement social et de la démocratie’’, in R. Otayek et al. (éds.), Le Burkina entre révolution et démocratie (1983-1993), Paris, Karthala, 1996, pp. 7-19; ‘‘La crise de la communauté musulmane de Haute-Volta. L’islam voltaïque entre réformisme et tradition, autonomie et subordination’’, Cahiers d’études africaines, vol. 24, no 3, p. 299-320. 61 Voir, entre autres, B.F.Soares, Islam and the Prayer Economy. History and Authority in Malian Town, 2005, pp. 181-243; L. Brenner, ‘‘La culture arabo-islamique au Mali’’, in R. Otayek (dir.), Le radicalisme islamique au sud du Sahara, 1993, pp. 161-195 et J.-L. Amselle, ‘‘A case of Fundamentalism in West Africa : Wahhabism in Bamako’’, in L. Caplan (éd.), Studies in Religieous Fundamentalism, Basingstoke, Macmillan, 1987, pp. 7994. 62 Voir M. Miran, Islam, histoire et modernité en Côte d’Ivoire, Paris, Karthala, 2006 ; ‘‘Vers un nouveau prosélytisme islamique en Côte d’Ivoire : une révolution discrète’’, Autre Part, no 16, 2000, pp.139-160 et ‘‘Le wahhabisme à Abidjan : dynamisme urbain d’un islam réformiste en Côte d’Ivoire contemporaine (19601996)’’, 1998, pp. 5-74. 63 Voir O.Kane, Muslim Modernity in Postcolonial Nigeria : A Study of the Society for the Removal of Innovation and Reinstatement of Tradition, Leiden, Brill, 2003 et R. Lomeier, Islamic Reform and Political Change in Northern Nigeria, Evanston, Northwestern University Press, 1997. 160 A Douala, ce nouvel état d’esprit parmi les jeunes ne manquait pas aussi de creuser le fossé avec la plupart des représentants de l’islam traditionnel. Selon deux de nos informateurs, les anciens (représentants l’islam traditionnel) perdaient des disciples au profit des mosquées récemment construites, ce qui occasionnait une tension entre les deux groupes et une politique de surveillance de la part de l’administration, car les chefs traditionnels et leurs imams perdaient des fidèles pour nos nouvelles mosquées et ils n’étaient pas contents (…) donc l’administration n’était pas contente en raison des relations complices entre les chefs traditionnels et l’administration64. Bien plus, ‘‘l’imam de la mosquée centrale de Douala et les chefs traditionnels étaient les pièces maîtresses de la lutte contre nous’’65. Ils étaient devenus des agents fidèles de l’administration. Ils étaient dotés d’importantes sommes d’argent à l’occasion des fêtes religieuses, lors du pèlerinage à la Mecque et des manifestations officielles66. Nous n’avons pas obtenu de renseignements sur les sources de financement des nouvelles mosquées qui étaient construites par et pour les réformistes. Mais on peut penser que ‘‘l’expérience de la solidarité confraternelle acquise en terre d’islam doublée de la maîtrise de la langue arabe et de la connaissance du circuit administratif et financier des bailleurs arabes’’67 leur permettaient de drainer des fonds. Et, même si tous affirment ne compter que sur la ‘‘solidarité’’ du groupe, les dimensions et surtout les styles architecturaux68 de ces mosquées ne manquent d’ailleurs pas de rappeler l’origine et 64 Entretien avec deux informateurs qui ont souhaité conserver l’anonymat, le 10 mai 2004, à Douala, NewBell/Congo. 65 Ibid. 66 Pour défendre leur position, nos deux informateurs nous montrent une liste de la délégation des chefs traditionnels et dignitaires religieux de Douala appelés à rencontrer le président de la République lors de sa visite de 1983 à Douala. On pouvait lire les noms suivants : El Hadj Ousseni Adamou Labo, chef musulman ; El Hadj Mohamadou Midjinywa, imam de la mosquée centrale de Douala; El Hadj Moctar Aboubakar Omar, imam mosquée centrale de New-Bell/Douala; Bako Ibrahim, chef Bafia; El Hadj Moussa Garba, notable; El Hadj Soule Adjoudji, adjoint imam mosquée centrale de Douala; El Hadj Inoua Labaran, notable; El Hadj Baba, notable et Malam Iya Dahirou, adjoint imam mosquée centrale de Douala. Pour eux, ‘‘il n’y avait aucun représentant de la tendance moderniste de l’islam à Douala’’. 67 H. Adama, ‘‘La mosquée au Cameroun : espace privé ou espace public ?’’, Communication présentée à la 12e Assemblée générale du CODESRIA sur le thème ‘‘Administrer l’espace public africain’’, Yaoundé, 0711/12/2008. 68 Pour de plus amples renseignements sur l’ensemble des aspects de l’art islamique, on peut trouver les clefs nécessaires ente autres dans les écrits de : A. Donckier de Donceel, ‘‘L’art musulman’’, Les Cahiers du CeDoP (Centre de Documentation Pédagogique), Université Libre de Belgique, 2002, pp.1-7 ; Musée sans Frontières, Les Omeyyades : naissance de l’art islamique, Jordanie, Edisud, 2001, chapitre III ; Grabar Oleg, La formation de l’art islamique (traduction de Y. Thoraval), Paris, Flammarion, 2000, pp. 193-236 ; R. Hillenbrand, Islamic architecture, form, function and meaning, New-York, 2001, p. 20, p. 39, et pp. 384-390 et H. Stierlin, L’architecture islamique, Paris, PUF, 1993, p. 9 et suivantes. 161 l’importance des financements69. Celles de Bonamoussadi, de Bonabéri et du lieu dit ‘‘KDD’’ à côté du service social de New-Bell étaient construites selon le plan ottoman, avec des grandes salles de prière sous une immense coupole contournée de demi coupoles. On pouvait y déceler une influence byzantine, de Sainte Sophie notamment. Celles dites AlhuSunna Wal- Jamaa et Al-Rahmah (voir photographie no 3), bâties au quartier NewBell/Congo à la ‘‘Rue Njoya’’ et animées respectivement par les prêcheurs sunnites d’origine guinéenne et malienne; de même que les mosquées Touka à Nkololoun, Salam à NewBell/Makea et Ittiha à New-Bell/Bamun privilégièrent le plan arabe ou plan hypostyle. Elles se composent de grandes cours à portique et de salles de prières à colonnes, les nerfs étant dirigés parallèlement ou perpendiculairement à la Qiblah. Elles sont flanquées d’un ou de deux grands minarets, aux formes variantes, qui servent surtout à marquer leur emplacement, car on les voit de loin. Dans la plupart de ces mosquées, une importance particulière était donnée à l’apprentissage du message religieux. L’adjonction d’une ou deux salles de cours pour enfants et les adultes actifs a était faite pour permettre de dispenser en effet des cours coraniques le soir. D’après la dénomination de certaines de ces mosquées aussi, on constate qu’elles n’étaient plus seulement liées aux groupes ethniques, aux nationalités ou à la tutelle des bâtisseurs. Elles intégraient désormais les registres religieux et/ou historiques et optaient pour des filiations spirituelles affichées, traduisant ainsi l’expression de l’universalité du lieu de culte. En baptisant les mosquées Al-Ramah, Touka, Salam, Ittihad, etc, les réformistes exprimaient leur volonté de se soustraire à la logique étatique et leur réticence à concéder une autre présence que la leur dans ces mosquées.70 Entre 1980 et 1990, ces mosquées qui se multipliaient à Douala, du fait de l’installation des réformistes mais aussi de la croissance de la population musulmane, des migrations et de la création de nouvelles chefferies, ‘‘accueillaient des imams de passage qui venaient prêcher en des termes très durs (…) formant ainsi un embryon de réseau, dans lequel on ne circulait qu’avec des recommandations’’71. En fait, ces mosquées formaient le lieu de regroupement quotidien pour les musulmans du quartier ou du voisinage. Leur nombre était passé pendant la même période d’une seule grande mosquée au quartier Lagos 69 Selon G. L.Taguem Fah (‘‘Processus politique, mutation sociale et renouveau islamique au Cameroun’’, p. 231) par exemple, les financements venaient généralement des pays du Golfe via des associations et fondations spécialisées dans la collecte de dons. 70 Cette analyse s’inspire de la communication de H. Adama, ‘‘La mosquée au Cameroun : espace privé ou espace public ?’’, 07-11/12/2008, Disponible aussi sur le lien internet http://www.codesria.org/links/conferences/general assembly-12/papers/hamadou-adama.pdf. 71 Le Monde du 28 octobre 2004. 162 163 pour la prière du vendredi à plus d’une trentaine (32) de mosquées de ce type dans les quartiers (voir carte no 3, qui illustre cette multiplication des mosquées à Douala). Ce sont les lieux de culte qui ont été répertoriés par E. de Rosny72. Ils sont construits sur des terrains privés ou appartenant à l’Etat. En effet, en dehors du Nord Cameroun et du pays bamun où l’autorité traditionnelle concentre entre ses mains les pouvoirs spirituel et temporel et peut à ce titre céder des terrains sur lesquels les mosquées peuvent être construites, les terrains sur lesquels les mosquées sont bâties à Douala et plus généralement dans les centres urbains de la partie méridionale du Cameroun appartiennent aux individus ou relèvent du domaine public. Ici, l’articulation de la législation foncière à travers les organismes étatiques comme la Société Immobilière du Cameroun (SIC)73 ; la Mission d’Aménagement et de Gestion des Zones Industrielles (MAGZI)74 ; la Mission d’Aménagement et d’Equipement des Terrains Urbains et Ruraux (MAETUR)75 et les communes dans le cadre des plans d’aménagement urbain pose de nombreux problèmes aux communautés musulmanes. L’accès à la propriété foncière dans les villes s’effectue à travers les organismes d’Etat ci-dessus. Ils sont chargés de la promotion immobilière comme le stipulent les missions à eux assignées dans les décrets de création. En principe, le régime foncier camerounais distingue deux types de terre. Les terres immatriculées, faisant l’objet d’un droit de propriété et le domaine national. Le domaine national est constitué des terres libres de toutes exploitations mais aussi, des terres mises en valeur par les collectivités coutumières.76 Selon les textes, les membres des collectivités coutumières77 peuvent obtenir des titres fonciers après bornage et inscription au cadastre78. Mais depuis l’indépendance, l’Etat avait déclaré ‘‘d’utilité publique’’ les terres préalablement attribuées aux ‘‘étrangers’’ par les administrateurs coloniaux79, soit plus du tiers de l’espace urbain de l’arrondissement de Douala IIe. Dans les faits, il s’agissait des principaux quartiers habités par les musulmans : Congo, Lagos, Mbam, Nkololoun, Bamun, Marché plantain, PK5, Kassalafam I et II ; Bonanloka I et II soit une superficie de 257 hectares était concernée.80 Les contestations des autochtones dualas pendant la période coloniale81, la ‘‘montée des revendications identitaires’’ et la ‘‘chasse aux allogènes’’ au 72 E. de Rosny, ‘‘Douala : les religions au cœur de la recomposition d’une société’’, p. 70. Crée en 1958. 74 Voir Décret no 71 DF du 1er mars 1971 portant création de la MAGZI. 75 Voir Décret no 77/193 du 23 juin 1977 portant création de la MAETUR. 76 Voir les ordonnances no 74/1, 74/2 et 74/3 du 06 juillet fixant le régime foncier national ainsi que de leurs trois décrets d’application, décrets no 76/165, 76/166 et 76/167 du 27 avril 1976. 77 Pour le cas de Douala, il s’agit des quatre grands clans Duala et des Bassa qui sont les autochtones. 78 Ordonnance 74/1 du 06/7/1974. 79 Voir décret n0 68-32 du 2 avril 1968. 80 Ibid. Lire aussi El Qiblah, ‘‘Enquête sur les litiges fonciers à Douala’’, no 20, p. 4. 81 Voir première partie, deuxième chapitre, section C. 73 164 165 début des années 1990 viennent conforter l’Etat dans cette logique82. Ainsi, les différents sites choisis pour la construction des mosquées, les œuvres sociales de même que les cimetières musulmans ou les sites régulièrement investis pour la célébration des fêtes musulmanes appartiennent aux privés ou à l’Etat. Ces sites se rétrécissent d’ailleurs au fil des années, suite aux nouvelles constructions réalisées par les propriétaires légaux83. Vue dans ce sens, la question foncière dans les quartiers lotis de Douala pose de sérieux problèmes aux communautés musulmanes. Néanmoins, la géographie des mosquées à Douala montrait une implantation dans tous les quartiers et /ou blocs musulmans avec une prédominance à New-Bell. Ces mosquées produisaient un double impact au plan local : l’introduction dans l’habitat de nouveaux édifices avec des minarets et l’appel à la prière émis constamment dans ces mosquées venaient rappeler la présence de l’islam dans la localité. Certaines de ces nouvelles mosquées étaient l’œuvre des réformistes. L’influence des imams pouvaient se limiter ou s’étendre au voisinage ou à tout le quartier en fonction de la réputation de l’imam. Nombreux étaient en même temps maître de l’école coranique, située dans leur mosquée. Saïd Abdou donne l’exemple d’une sphère d’influence socio-religieuse étroite du quartier : ‘‘Après mes études en Syrie, j’étais devenu commerçant et maître coranique avant de devenir imam de mon quartier de 1985 à 1988’’84. Son influence religieuse était circonscrite : il enseignait le Coran à une quinzaine d’enfants du quartier. Il était aussi imam de la mosquée du quartier, (mosquée du lieu dit KDD). Mais précise-t-il, nous n’allions plus à New-Bell, au marché central pour les prières du vendredi (…) nous avons commencé les prières du vendredi ici, quand notre mosquée était encore en chantier (…) chaque imam faisait trois ans et cédait sa place à un autre (…) c’est en 1990 lorsque notre mosquée est devenue une mosquée importante que nous avons voté un collège de trois imams pour les prières du vendredi``85. Les fidèles pouvaient ainsi se rassembler derrière ces grands imams de la mosquée KDD tous les vendredis. Comme on peut aussi le constater, l’imam ne faisait pas partie d’une 82 Voir, entre autres, Nsame Mbongo, ‘‘Identité et altérité en Afrique : étude de la contradiction autochtoneétranger, le cas de Douala’’, in C. Coquery-Vidrovitch et al., Etre étranger et migrant en Afrique au XXe siècle. Enjeux identitaires et modes d’insertion, Vol. I, Paris, L’Harmattan, 2003, pp. 281-305 et G. Ekambi Dibongue et S. Kolle, ‘‘La problématique autochtones-allogènes à Douala : contribution à la recherche d’une culture de paix en milieu urbain’’, Communication présentée au 30e anniversaire du CODESRIA, Douala/Cameroun, 5-4 octobre 2003. 83 Ce n’est qu’en 1995 que l’Etat va octroyer un terrain -encore litigieux- à la communauté musulmane de Douala pour la réalisation des œuvres sociales. Voir El Qiblah, ‘‘Enquête sur les litiges fonciers à Douala’’, no 20, p. 4. 84 Propos de Saïd Abdou, entretien du 12 septembre 2006 à New-Bell. 85 Ibid. 166 structure hiérarchique. Il était désigné par la communauté elle-même et ne prétendait à aucun lien privilégié avec Dieu. Il pouvait être licencié s’il n’accomplissait pas sa mission. Le critère de sélection chez les réformistes semblait ainsi être la connaissance des textes86 et non l’âge comme chez les traditionalistes/tidjanistes dont le choix de l’imam était par ailleurs entériné par le chef de la communauté ; ce dernier étant en outre imam honorifique. L’existence de l’opposition doctrinale et le contrôle de l’espace à travers les mosquées, quelle que soit leur ampleur, témoignaient de l’importance de l’enjeu. Chaque partie cherchait à s’approprier la Sunna et accusait l’autre d’introduire les facteurs de division au sein de la communauté musulmane. Les marabouts traditionnels n’étaient plus les seuls juges à même d’interpréter les textes religieux. Le courant réformiste impliquait aussi par la construction de nouvelles mosquées, une réorganisation de la communauté musulmane. Il remettait en cause le système de domination des marabouts traditionnels et certaines charges comme l’imamat. Cette organisation de la société, hiérarchisée était petit à petit remise en cause par ‘‘les cadets sociaux’’87. Ils s’improvisaient imam, prêcheur, ils créaient leurs lieux de prière. L’étude de la communauté musulmane de Douala à cette époque invite à émettre plusieurs hypothèses quant aux raisons de l’adhésion au mouvement réformateur. Les ‘‘cadets sociaux’’ avaient pu le rejoindre dans l’espoir d’une modification de l’organisation communautaire. Ainsi, le courant réformiste qui a une tradition de contestation, pouvait être rapproché des clivages traversant la société : entre aînés et cadets, entre ruraux et urbains. On ne saurait d’ailleurs les réduire à des simples contestataires puisque cela impliquait aussi la gestion du savoir islamique que possède chaque tendance et une proximité générationnelle. En effet, le courant réformiste incitait à la construction de mosquées distinctes et offrait donc des places d’imams supplémentaires. Or, dans plusieurs mosquées de Douala, l’imamat était détenu par les traditionalistes. Ainsi, les jeunes étaient aussi attirés par cet islam enseigné par les réformistes, par ce qu’ils considéraient être la ‘‘vraie religion’’. Ils rejetaient alors ‘‘l’islam des vieux’’, fondé sur le respect à la hiérarchie dans l’accès au savoir.88 La multiplication des mosquées pendant cette période témoignait donc de l’affirmation des réformistes et d’autres imams sur une portion plus ou moins importante de la ville. Elle agrandissait le fossé entre les traditionnalistes et les réformistes. De façon 86 Pour une idée sur la force et l’influence de la connaissance, voir par exemple L. Holtedahl et M. Djingui, ‘‘Le pouvoir du savoir : la vie de Alhaji Ibrahim Goni, juge traditionnel de Ngaoundéré’’, in L. Holtedahl et al. (éds.), Le pouvoir du savoir : de l’Arctique aux Tropiques, Paris, Karthala, 1999, pp. 197-230. 87 Pour une intelligence de ce concept, voir l’article de J.F. Bayart, ‘‘La politique par le bas en Afrique noire, Questions de méthode’’, Politique Africaine, n°1, 1981, p.74. 88 L. Maud, ‘‘Cameroun : les nouveaux territoires de Dieu’’, pp.93-116. 167 passive, les réformistes s’étaient opposés à toute instrumentalisation de la part des autorités. Il faut cependant relativiser la portée de ces oppositions entre les deux tendances. Tous les musulmans d’un même quartier ne se solidarisaient pas nécessairement avec les tendances religieuses de ses notables. Plusieurs variables influençaient les croyants. Dans le vieux NewBell, par exemple, le contrôle social et religieux des traditionalistes était particulièrement marqué. Ici, les premières mosquées communautaires (yoruba, haoussa, sénégalaise, peule, malienne, bamun, etc.) furent construites dans les années 1930 par les migrants de la première heure qui étaient majoritairement des Tidjanes. Bien que construites en matériaux provisoires, ces mosquées offraient aux différentes communautés des espaces dont la vocation première était d’être un lieu de culte et d’apprentissage du Coran pour les enfants des migrants. Elles étaient aussi des espaces de rencontre où l’on s’informait sur les évènements communautaires et où l’on tranchait les différends qui pouvaient opposer les membres de chaque communauté. Les relations qui se tissaient à partir des mosquées favorisaient la solidarité entre les ressortissants des différentes communautés et dans différents secteurs d’activité professionnelle. Principaux points de ralliement, elles restaient l’endroit idéal pour s’informer sur le sort d’un migrant ou sur la vie de la communauté. Elles constituaient aussi des espaces de communion et de rencontre. Mais, l’expansion spatiale de la ville et la surcharge des ‘‘cours’’ communautaires du centre-ville ont contribué à réduire le rôle prépondérant de ces premiers réseaux de solidarité dans l’encadrement communautaire, les rendant inaptes au contexte des années 1980. Dans la communauté sénégalaise par exemple, l’arrivée des mourides contribua au déclassement de la mosquée communautaire sénégalaise. Les mourides mirent en place des dahira qui regroupent les nouveaux venus. Ainsi, l’affirmation du mouridisme, à partir de 1980 notamment, a contribué à réduire l’influence de la grande mosquée sénégalaise sur la gestion des affaires communautaires. De même, de nombreux petits commerçants, bouchers, porteurs, etc. nouaient des relations avec des Haoussa, Foulbé et des Maliens, patrons de commerce de tendance sunnite. Dans la même logique, le nombre d’imams et de maîtres coraniques qui reconnaissaient l’allégeance aux imams maliens Oumar Soumaré et Abdoulaye Guindo des mosquées Al-Rahmah et Alhu-Sunna Wal-Jamaa par ailleurs directeurs de deux grandes écoles coraniques situées dans leurs mosquées respectives étaient autant de facteurs qui favorisaient l’adhésion des croyants à la tendance ‘‘réformiste’’ de leurs imams. Dans son étude, P. Cissé met l’accent sur le fait que la plupart de Maliens qui arrivaient à Douala pendant la décennie 1980 étaient des sunnites/wahhabisants89 et à l’image 89 P. Cissé, ‘‘La migration malienne au Cameroun : le retour est-il possible?’’. 168 des Maliens ‘‘jula’’ en Côte d’Ivoire, cela laissait croire que ‘‘pour être commerçant et réussir dans le commerce, il fallait être musulman sunnite’’90. En réponse à des arguments exposés par les réformistes, quelle stratégie l’administration/ACIC va-t-elle adopter? N’assistons-nous pas à un affrontement entre d’un côté une administration qui veut garder ses prérogatives de pouvoir décisionnel et de l’autre des réformistes soucieux d’être autonomes? L’attitude de l’ACIC/administration face à la montée/influence des Sunnites/Wahhabisants Pour contrer entre autre la montée des réformistes, l’ACIC, association voulue par les autorités politiques et subordonnée à celles-ci, tente de rénover ses structures en 1988, soit 25 ans après sa création.91 D’après ce nouveau statut, elle concentre désormais ses énergies sur la promotion de la doctrine islamique et le renforcement des lieux de solidarité, de paix, de tolérance et de fraternité entre les croyants musulmans. Parmi ses objectifs, figurait en priorité le développement de l’enseignement et l’éducation islamique au Cameroun, la promotion des activités culturelles et islamiques ainsi que l’encadrement et la recherche du financement des établissements d’enseignement modernes. Pour atteindre ces objectifs, la nouvelle équipe de l’ACIC rénove ses structures administratives : l’Assemblée générale est l’organe suprême ; le Conseil d’administration représente le pouvoir exécutif ; le Comité de direction assure le Secrétariat permanent et le Conseil des Oulémas coordonne les activités extérieures de l’ACIC en relation avec ses représentations provinciales et départementales92. Tous ces organes sont confiés ‘‘aux arabisants expérimentés’’93. Il est intéressant de noter que le comité des Oulémas94 est l’organe représentatif de l’ACIC au niveau provincial et départemental. Dans ces circonscriptions respectives, les différents comités ont pour rôle d’expliquer et de diffuser la doctrine islamique afin de faire reculer les pratiques maraboutiques qui, à leurs yeux, abrutissent le croyant. En outre, ils se chargent de superviser au sein des comités scientifiques et techniques pluridisciplinaires, les travaux de recherche touchant soit au droit islamique, soit aux autres activités de l’ACIC.95 Dans ses nouvelles activités, l’ACIC en dépit de ses problèmes financiers et humains, veut devenir un instrument d’encadrement, de réflexion, d’animation et de documentation. 90 Cf. V. Petit, Migration et société Dogon, Paris, Karthala, 1998. Voir Statut rénové de l’ACIC, décret no 88/319 du 7 mars 1988. 92 Ibid. 93 H. Adama, L’islam au Cameroun, p. 167. 94 Voir glossaire. 95 Résumé des propos d’El Hadj Aminou Oumarou, membre dirigeant de l’ACIC au moment de sa réforme. Ces propos ont été recueillis en mars 1995 par G.L.Taguem Fah. Voir ‘‘Processus politique, mutations sociales et renouveau islamique au Cameroun’’, p. 233. 91 169 Dans cette perspective, elle organise des conférences, met en place une bibliothèque, crée une revue appelée Al Huda. A ce titre, elle se présente comme ‘‘une structure opérationnelle qu’on peut comparer à un véritable appareil religieux’’96. Au plan infrastructurel, l’ACIC s’engage, sur la base de ses structures rénovées et à travers les subventions gouvernementales et les accords bilatéraux inter-étatiques conclus au niveau gouvernemental avec le monde arabo-musulman, à construire des mosquées à l’instar de celle de Garoua au Nord et du Complexe Islamique de Tsinga à Yaoundé.97 L’ACIC restait donc un partenaire important des pays arabes. C’est à travers cette structure que la communauté s’engage dans un processus de modernisation et de construction de nouvelles mosquées qui sont toujours dirigées par des imams et des prédicateurs ‘‘sélectionnés parmi les réformistes formés dans les pays donateurs’’98. De ce qui précède, il va sans dire que, entre le soutien à l’ACIC et la cooptation des réformistes au sein des structures de l’ACIC rénovée, l’attitude des autorités gouvernementales restait ambiguë. Sans prendre fait et cause pour les modernistes, elles cherchaient, à travers la cooptation de quelques modernistes dans les nouvelles structures de l’ACIC, à intensifier les échanges avec le monde arabo-musulman. Autrement dit, il s’agissait pour ces autorités de contrôler à travers l’ACIC certains de ces ‘‘arabisants’’ susceptibles de créer un foyer d’‘‘arabisme’’ nécessairement défavorable à la classe dirigeante et influencé par l’extérieur99 ; de se doter des ‘‘instruments’’ du pouvoir politique désireux de se construire une légitimité musulmane auprès des pays arabes. Ainsi, le régime se montrait volontiers généreux à l’égard de la direction de l’ACIC en multipliant des actes symboliques destinés à marquer son ancrage dans le monde arabo-musulman. Dans la même conjoncture à savoir l’influence des réformistes et la restructuration de l’ACIC, l’Etat reconnait en 1985 et en 1988 deux autres associations islamiques fondées par les réformistes. Il s’agit de la Jeunesse Islamique du Cameroun (JIC) et de l’Association de Solidarité pour la Vocation Islamique du Cameroun/Conseil National Supérieur des Affaires 96 Propos d’El Hadj Aminou Oumarou, recueillis par G.L. Taguem Fah en mars 1995 à Ngaoundéré. Voir ‘‘Tendances actuelles de l’islam au Cameroun : état des lieux et perspectives’’, 2000, p. 59. 97 Les deux plus grandes Mosquées d’Afrique Centrale ; celle de Yaoundé et celle de Garoua par exemple ont été financées en partie par l’Arabie Saoudite. La mosquée de Yaoundé, dénommée ‘‘Complexe Islamique du Serviteur de Deux Saintes Mosquées’’ abrite une école, et l’ensemble est dirigé par un imam saoudien.Voir le lien internet http://www. mofa.gov.sa/detail.asp? in SectionID=504 et News Item ID- 48926; consulté le 20 juin 2003. 98 L. Maud, ‘‘Cameroun : les nouveaux territoires de Dieu’’, pp. 93-116. 99 Cf. E. Iya, ‘‘L’école franco-arabe, facteur d’adaptabilité des valeurs socioculturelles des populations islamisées du Cameroun septentrional’’, note 43, p. 270. 170 Islamiques au Cameroun (ASSOVIC/CONSAIC)100. La reconnaissance de ces associations par l’Etat témoignait entre autres d’une volonté des pouvoirs publics de contrôler indirectement les mouvements islamiques, en s’assurant un droit de regard sur les activités des réformistes. Le revirement de la politique gouvernementale à l’égard des réformistes pouvait ainsi s’interpréter comme une volonté de récupération et d’instrumentalisation des forces émergentes afin de désamorcer, éventuellement, leur capacité de nuisance ; stratégie somme toute efficace à court terme.101 En somme, la tension entre Wahhabites et Tidjanistes se cristallisait autour des mosquées, des diverses manières d’interpréter les textes et de vivre sa religion. L’expansion du nouveau mouvement était freinée par le pouvoir, souvent pour satisfaire les clergés établis. Qu’en est-il pour ce qui est des changements observés dans l’administration traditionnelle ? B-L’autorité traditionnelle musulmane : entre autonomie et subordination : 1977-1990 L’administration postcoloniale avait récupéré dans les grandes lignes, les principes de l’administration coloniale, en associant les chefs traditionnels à l’exercice du commandement, mais à un niveau relâché. En effet, d’après le décret no77/245 du 15 juillet 1977 portant organisation des chefferies traditionnelles, décret complétant celui de 1960 et les dispositions de l’Etat unitaire de 1972 sur la même question, les chefs traditionnels sont désormais considérés comme des ‘‘auxiliaires de l’administration’’. A ce titre, ils relèvent du Ministère de l’Administration Territoriale qui participe à leur nomination, les protège, contrôle leurs activités et peut les destituer en cas de non observance des lois publiques. Quelle que soit leur importance ou leur influence au regard de la population et de l’extension territoriale de la chefferie, ils dépendent avant tout des sous-préfets, préfets et gouverneurs des circonscriptions administratives où ils sont installés. Ils perçoivent de l’Etat des allocations mensuelles fixes, calculées en fonction de l’importance numérique des populations administrées, ainsi que des remises sur les impôts forfaitaires collectés par euxmêmes. Bref, ils ont été assimilés à des agents de l’Etat au sens plein du terme et peuvent militer dans des organisations politiques. Classés en 1er, 2e et 3e degré suivant les critères 100 L’ASSOVIC/CONSAIC est créée en 1985. Mais elle ne sera légalisée qu’en 1992 (décret n° 92/032/92 du 21 février 92) conformément aux dispositions de la loi n, 90/053/du 19 décembre 1990 portant liberté d’association. 101 Voir dans le même sens H. Adama, ‘‘La mosquée au Cameroun : espace privé ou espace public ?’’. 171 démographiques et territoriaux, leur pouvoir de décision est assez limité. Leur autonomie est désormais réduite. B-1 Création de nouvelles chefferies musulmanes à Douala Pour rendre intelligible notre analyse, nous commencerons par un bref aperçu du processus juridique qui a conduit à ‘‘administrativer’’102, la chefferie traditionnelle. La mise en forme juridique de la chefferie traditionnelle date du décret du 15 juillet 1977 fixant le statut de la chefferie traditionnelle. Ce texte apporte deux séries de précisions : l’une sur la chefferie, l’autre sur le rôle du chef.103 La chefferie traditionnelle : un relais de l’administration La principale innovation apportée par le décret de 1977 réside dans la délimitation territoriale de la chefferie traditionnelle. L’article 3 donne des précisions sur la territorialité de la chefferie. Ainsi, les limites territoriales de la chefferie traditionnelle sont les suivantes : - La chefferie du 1er degré correspond au département ; - La chefferie du 2e degré correspond à l’arrondissement ; - La chefferie du 3e degré correspond au village en milieu rural ou au quartier en milieu urbain. Seule l’étendue territoriale détermine le degré de l’unité administrative. Contrairement à la période coloniale, les considérations ethniques sont reléguées au second rang, notamment au niveau des agglomérations urbaines où par arrêté, le ministre de l’Administration Territoriale peut, compte tenu des exigences d’encadrement, organiser les agglomérations en zones, quartiers, blocs à la tête desquels sont placés des chefs traditionnels104. Ainsi se trouve en principe abandonnée la pratique coloniale consacrant dans un même quartier un chef des Bamiléké, un chef des Haoussa, un chef des Peul, un chef des Bamun, etc. A travers le statut de 1977, il est question de la chefferie traditionnelle en tant que circonscription administrative. On assiste en principe à une confusion des tribus, seule l’étendue territoriale détermine le degré de la chefferie. Aussi doit-elle être perçue comme étant une des structures devant assurer la stabilité de l’organisation administrative. Reflet de la présence permanente de l’administration au sein des communautés locales, la position de la chefferie dans l’édifice administratif reste ambiguë. A quelque degré qu’elle soit, la chefferie 102 Nous empruntons ce terme à B. Momo, ‘‘L’inaccessibilité des chefferies traditionnelles camerounaises à la rationalité juridique’’, Lex Lata, no 22, 1996, p. 12. 103 Voir Décret 77/245 du 15 juillet 1977 portant organisation des chefferies traditionnelles. 104 Cf. article 31 du décret 77/245. 172 traditionnelle ne bénéficie que d’un positionnement par assimilation aux structures administratives suivantes : le département, l’arrondissement, le village ou le quartier. La notion de territorialité de la chefferie se trouve renforcée par l’effectivité de la résidence. C’est dire que le chef traditionnel d’une chefferie de 1er degré, 2e ou 3e degré doit effectivement résider en permanence dans son unité administrative. L’article 17 al.1 du décret de 1977 ajoute que : Les fonctions de chef traditionnel sont incompatibles avec toute fonction publique. Toutefois, l’autorité investie du pouvoir de désignation peut autoriser le cumul des fonctions, notamment lorsque la personne intéressée réside sur le territoire de la chefferie concernée.105 L’obligation créée par cette disposition ne pèse cependant pas sur les chefs de zones, de quartiers ou de blocs106. Le rôle des chefs musulmans de Douala sera tributaire de cette évolution. Le chef musulman : un auxiliaire de l’administration pour sa communauté La publication du texte de 1977 marque ainsi une nouvelle approche entre la chefferie et le politique. Mais cette nouvelle approche est vécue différemment selon que l’on est en pays musulman où le personnage du chef traditionnel est au centre du fonctionnement de la communauté107 ou dans une grande ville comme Douala. A Douala, les chefs traditionnels musulmans, nommés en réalité par l’administration, sont condamnés à se soumettre ou courir le risque d’être démis. Cette attitude du reste compréhensible, peut se justifier par leur statut d’ ‘‘étrangers’’ pour les non nationaux et d’‘‘allogènes’’ pour les nationaux. Ils n’ont pas les mêmes prérogatives comme ceux du Nord Cameroun et celui de Foumban ou même les chefs autochtones dualas. On peut ainsi les appeler des ‘’chefs du décret’’108. 105 Cf. Article 17, al.1 du décret 77/245. Article 32, alinéa 2 du décret 77/245. 107 Dans les régions fortement islamisées, l’adoption de cette nouvelle approche dans les rapports des chefs à la politique sera comme pendant la période coloniale, parsemée d’obstacles (Pour une idée sur les rapports entre les chefs et les autorités coloniales au Cameroun, voir D. Abwa, ‘‘‘‘Commandement européen’’‘‘ commandement indigène’’ au Cameroun sous administration française’’, Thèse de Doctorat d’Etat en Histoire, Université de Yaoundé I, 1994). Le texte sera pourfendu et décrié par les autorités musulmanes traditionnelles. Le chef perdra ses prérogatives domaniales, tribunitiennes, fiscales et protocolaires (Voir, entre autres, G.L.Taguem Fah, ‘‘Crise d‘autorité, regain d‘influence et problématique de la pérennité des lamidats peuls du Nord-Cameroun : étude comparée de Ray Bouba et Ngaoundéré’’, in C.-H. Perrot et F.X. Fauvelle Aymar (s.d.), Le retour des rois. Les autorités traditionnelles en Afrique contemporaine, Paris, Karthala, 2003, pp. 267-288 et H. Adama, L’islam au Cameroun, p. 157). 108 En réalité, ils sont nommés par ‘‘ arrêté’’. La population les appelle ‘‘chefs par décret’’ pour signifier que leur choix n’émane pas d’elle. 106 173 Quoi qu’il en soit, les chefferies musulmanes de la période coloniale étaient restées les mêmes à Douala. D’autres ont été mises en place. De neuf (09) chefferies musulmanes de village en 1950, Douala comptait en 1990 seize (16) chefferies musulmanes de 3e degré assimilables aux quartiers urbains. Leur nombre avait augmenté par rapport à la période coloniale de 77,78%. Elles sont répertoriées dans le tableau suivant : Tableau no IX: Récapitulatif des chefferies musulmanes de Douala de 1933 à 1990. Chefferies Noms des chefs Communauté haoussa de New-Bell /Haoussa El Hadj Adamou Labo Ousseini Communauté bafia de New-Bell / Congo El Hadj Aboubakar Backo Mendeng Communauté haoussa de Douala / Bonabéri El Hadj Tanko Amadou Communauté peule de New-Bell / Congo El Hadj Nassire Mohammadou Katché Communauté Bornuane de New-Bell / Congo El Hadj Ali Abba Communauté musulmane de Douala/ BonanlokaBibamba Communauté musulmane de Douala / New-Town Aéroport I Communauté musulmane de Douala / New-Town Aéroport II Communauté bamun de Douala/New-Bell-bamun El Hadj Shouaïbou Oumara El Hadj Bouba Abakoura El Hadj Abdou Rhamanou El Hadj Nji Mefiré Njoya Inoussa Communauté vouté et tikar de Douala / Cité des Aboubakar Palmiers Communauté musulmane de Douala/ Bonamoussadi Abdoul Karim Aman Communauté yoruba de New-bell / Makea Paraïso Younouss Communauté malienne de Douala / New-Bell/Congo Ahmed Communauté Bell/Congo sénégalaise de Douala / New- Addel Nasr Communauté musulmane de Ngodi/Bakoko Bell Mahmoud Communauté musulmane de Mabanda (Bonabéri) Assar Yendé Ce tableau a été réalisé à partir de nos enquêtes de terrain et de l’aide d’El Hadj Aboubabar Backo Mendeng, chef de la communauté bafia de Douala et vice-président de l’amicale des chefs musulmans du département du Wouri109. Jusqu’en 1990, il existait seize chefferies de communautés musulmanes à Douala. Comme on peut le constater à travers ce 109 El Hadj Aboubakar Backo Mendeng, entretiens des 6 et 7 Août 2006 dans son bureau, à chefferie bafia de New-Bell /Congo. 174 tableau, à Douala, l’islam était en progression. La mainmise de la communauté yoruba sur l’islam à New-Bell pendant la période coloniale, du fait de leur ancienneté mais surtout de la collaboration du chef Youssouf Paraiso avec les autorités coloniales n’était plus visible.110 Autrement dit, le chef de la communauté yoruba, qui se sentait pendant l’époque coloniale chef de l’ensemble des musulmans avait perdu ces prérogatives, du fait que la sociologie de la communauté musulmane s’était considérablement diversifiée avec la croissance urbaine. En outre, si pendant la colonisation les chefs conservaient en tant que ‘‘chefs traditionnels’’ le contrôle d’un espace, celui de leur quartier respectif, ils ne parvenaient plus, à étendre ce contrôle sur les musulmans non originaires de leur quartier et même de leur groupe ethnique. Certaines de ces chefferies urbaines musulmanes étaient aussi les produits des autochtones convertis au contact des musulmans, à l’instar des chefferies musulmanes de Mabanda et de Ngodi/Bakoko. Cette situation expliquait aussi l’implantation inégale des chefferies dans les différents arrondissements de la ville de Douala. Comme pour les mosquées, la géographie des chefferies musulmanes à Douala restait beaucoup plus marquée à New-Bell que dans le reste de la ville. En effet, d’après la concentration des chefferies, les différences entre les quartiers apparaissaient nettement tranchées. L’islam restait encore en situation dominante dans les vieux quartiers musulmans de New-Bell : Haoussa, Makea, Congo, Bafia, Peul et Bamun. Là, le réseau de chefferies auquel il fallait associer les mosquées et les écoles coraniques traditionnelles y était le plus serré qu’ailleurs. Mais l’implantation de l’islam gagnait certains quartiers neufs de la ville, Mabanda, Nkompa, Ngodi/Bakoko, Bonamoussadi, Cité des palmiers, New-Town I et II, etc, où les communautés musulmanes se regroupaient autour des chefferies et/ou des mosquées. Ce déplacement géographique des chefferies et des mosquées s’accompagnait aussi d’une mutation du profil des fidèles musulmans dans les quartiers administratifs et résidentiels, ce qui donnait aussi un autre rayonnement à l’islam. Les fidèles n’étaient plus seulement vus à travers le prisme du commerce. On pouvait trouver parmi eux des cadres fonctionnaires: administrateurs, inspecteurs des services financiers, directeurs des sociétés, enseignants, médecins, etc. et de professions libérales : avocats, entrepreneurs et financiers.111 L’existence des communautés musulmanes dans d’autres quartiers de Douala, se 110 Rappelons que le chef yoruba était en même temps ‘‘Chef supérieur’’ du groupement des étrangers au Cameroun. Toutes les chefferies musulmanes de village dépendaient de cette chefferie (voir première partie, deuxième chapitre, section A-2. 111 M.B. Savadogo a fait les mêmes observations à Abidjan en Côte d’Ivoire. Voir ‘‘L’intervention des associations musulmanes dans le champ politique et social en Côte d’Ivoire depuis 1990’’, in M. Gomez-Perez (s.d.), L’islam politique au sud du Sahara. Identités, discours et enjeux, pp. 583-600. 175 faisait au gré des migrations et n’était plus le résultat d’une volonté de regroupement systématique. En effet, l’islam débordait désormais ce site marécageux (New-Bell) situé à l’extérieur des quartiers autochtones et qui leur était attribué à l’origine pour toucher les quartiers chics et résidentiels : Bonapriso, Bonanjo, Akwa, Bonamoussadi, Makepe, Kotto, etc. Bref, on trouvait les musulmans dans presque tous les quartiers de cette ville et même dans les agglomérations humaines périphériques, où ils s’organisaient en chefferies musulmanes ou autour des mosquées pour renchérir leurs valeurs culturelles, chacune selon sa tribu ou son ethnie. Même si ces chefferies musulmanes ne sont pas aussi organisées et puissantes - elles sont en réalité des chefferies administratives – comme les lamidats et sultanats du Nord-Cameroun ou encore du royaume bamun, on peut tout simplement constater que ces groupes socioculturels aussi notoirement multiples que divers et variés, n’étaient pas nécessairement marqués par une ‘‘amnésie’’112, au sens de l’oubli de leurs origines. Ce sentiment de rattachement au groupe d’origine était matérialisé comme nous avons vu par la création sur place des structures traditionnelles parallèles à celles des Duala déjà existantes113. Ainsi, parle-t-on de chefferie bamun, de chefferie foulbée, de chefferie haoussa, chefferie bafia, pour nous limiter à ces quelques catégories musulmanes nationales de Douala, afin de continuer à se sentir chez soi. On peut se demander maintenant quels rapports entretenaient les chefs musulmans de Douala avec les autorités politicoadministratives locales? B-2 Autorités traditionnelles musulmanes et autorités politico-administratives de Douala : vers un compromis réaliste Ces chefferies qui expriment par ailleurs l’identité collective des musulmans à l’échelle urbaine, regroupent les musulmans sur la base de l’appartenance ethnique ou régionale. Quoique le droit camerounais ne reconnaisse en elle que des valeurs culturelles, il faut cependant dire qu’elles jouissaient d’une influence sur le plan local.114 A ce titre, les 112 J. Crowley, ‘‘Minorités ethniques et ghettos aux Etats –Unis’’, Esprit, juin 1992, p.92. Les Duala sont regroupés autour des chefferies traditionnelles elles mêmes issues des quatre principaux clans autochtones à savoir les Bell, les Bonabéri, les Akwa et les Deido. Ces différents clans sont regroupés au sein de l’ensemble socioculturel ‘‘Sawa’’ plus large, qui est une sorte d’assemblée supra lignagère qui réunit les Duala et apparentés autour du Ngondo. Voir Y. Moluh, ‘‘La participation politique en milieu urbain de 1946 à 1992 : le cas de Douala’’, Thèse de Doctorat de 3e cycle en Science Politique, Université de Yaoundé II, 1997. 114 Pour une approche globale de l’influence des chefs en Afrique au sud du Sahara, on lira avec profit l’ouvrage déjà cité de C.-H. Perrot et F.X. Fauvelle Aymar (s.d.), Le retour des rois. Les autorités traditionnelles en Afrique contemporaine. Au plan local, on lira aussi avec intérêt P. Nkwi Nchofi and F. Nyamnjoh, Regional Balance an National Integration in Cameroon : Lesson Learn and the Uncertain Future, Leiden-Yaoundé/ASCICASSRX et J.-P. Fogui, L’intégration politique au Cameroun : une approche centre-périphérie, Paris, LGDJ, 1990. 113 176 autorités locales recherchaient leur collaboration dans la réalisation de certaines œuvres publiques : leur assistance a ainsi été régulièrement requise par les maires des arrondissements de Douala IIe, Douala IIIe et Douala IVe pendant les premières années de leur mise en place en 1987115, en terme, d’aide à la réalisation des missions communales, telle la viabilisation des canalisations des caniveaux et rivières qui traversent les quartiers occupés par certaines communautés musulmanes. Selon Diallo Bakaï Mamoudou, viceoprésident de l’ACIC, imam principal de la mosquée foulbé du marché Congo et un des adjoints au maire de Douala IIe en 1987, les communautés musulmanes quelles que soient leurs origines, ne sauraient rester en marge des activités de salubrité de leurs quartiers, puisqu’elles en sont également bénéficiaires.116 La pratique s’écartait aussi des dispositions de l’article précité du texte de 1977 dans la mesure où dans certains quartiers de Douala (New-Bell/Congo, New-Town I et II), on pouvait compter plusieurs chefferies musulmanes de 3e degré, chacune représentant avant tout la valeur culturelle d’un village, d’une tribu ou d’une ethnie : chefferie bamun, haoussa et foulbé de tel ou tel quartier. Ce qui est bien sûr contradictoire à l’objectif principal des dirigeants camerounais à savoir la construction d’un Etat-nation. Le rôle du chef : auxiliaire de l’administration Le choix des chefs opéré après consultation des notables locaux ne devient définitif qu’après l’approbation des autorités administratives qui se matérialise sous forme d’arrêté. Il convient de souligner que les réunions au cours desquelles ont lieu les consultations de notabilités sont selon la loi, présidées par les Sous-préfets pour les chefferies de 3e degré117 dont relèvent les chefferies musulmanes de Douala. Ces chefs sont donc en général désignés par leurs congénères pour représenter leur groupe. Ils sont, certes, toujours choisis au sein des familles appelées à exercer coutumièrement le pouvoir traditionnel, mais ils doivent remplir les conditions d’aptitude physique et morale requises et savoir lire et écrire autant que possible118. Par ailleurs, ils sont désignés suivant deux principaux critères : l’ancienneté ou la fortune, étant entendu que les deux critères peuvent très bien se combiner. Les compétences de ces chefs telles que prévues par le décret de 1977 privilégient la tendance à la fonctionnarisation du chef. ‘‘Auxiliaire de l’Administration’’, les chefs traditionnels sont notamment chargés de : 115 Voir Loi no 87/015 du 15 juillet 1987 portant création des communes urbaines. El Hadj Diallo Bakaï, entretien du 4 septembre 2007 à son domicile au quartier New-Bell/Congo. 117 Pour les chefferies de 1er et 2e degrés, les consultations sont présidées par le Préfet. 118 Article 8 du décret 77/245. Cette disposition reprend d’ailleurs l’article 1er de l’arrêté du 4 février 1933 en la matière. Voir première partie, deuxième chapitre, section A-2. 116 177 1- transmettre à la population les directives des autorités administratives et d’en mesurer l’exécution ; 2- concourir, sous la direction des autorités administratives compétentes, au maintien de l’ordre public et au développement économique, social et culturel de leur unité de commandement ; 3- recouvrer les impôts et des taxes de l’Etat et des autres activités publiques dans les conditions fixées par la réglementation. Indépendamment des tâches qui précèdent, les chefs traditionnels doivent accomplir toute autre mission qui peut leur être confiée par l’autorité administrative locale119. Telle est l’expression juridique de la perte d’autonomie du chef traditionnel esquissée dès 1960 : ‘‘les chefferies traditionnelles intégrées à l’appareil administratif ne peuvent prétendre jouer un rôle autonome’’120. Ainsi vidée de son autonomie, la chefferie traditionnelle fait l’objet de récupération politique. Elle constituait pendant la période de monopartisme (1966-1990) une structure d’encadrement politique des populations.121 Tous les chefs traditionnels étaient d’office membres du parti-Etat, l’Union Nationale Camerounaise (UNC) de 1966 à 1985 d’abord puis le Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC) de 1985 à 1990 et par ailleurs membres des organes dirigeants des comités de base de leur ressort territorial. En réalité, les autorités traditionnelles investies par leurs communautés sont chargées au quotidien de répercuter les doléances des membres auprès des instances locales, de parler en leur lieu et place en cas de besoin. Mais confrontée à l’action, cette fonction de représentation se pervertit très vite, notamment pour les communautés musulmanes étrangères, dans un milieu urbain ou l’affairisme et le désordre priment. A titre d’exemple, les problèmes de titres de séjour étaient les moments où les immigrés musulmans -pour ce qui nous préoccupe- étaient en constant rapports avec les pouvoirs publics, puisqu’ils sont sensés représenter les membres de leur communauté. Mais dans leur pratique, il s’agit d’une tâche ardue, car ils doivent concilier les intérêts contradictoires d’une immigration parfois clandestine et les intérêts des autorités locales pour qui ces droits constituent d’importantes ressources fiscales. Voilà qui justifierait aussi les stratégies de l’auxiliarisation des chefs des communautés musulmanes étrangères par les autorités locales. L’auxiliarisation de ces 119 Article 20 du décret 77/245. Cité par P.F. Gonidec, ‘‘Le président Ahidjo. Congrès de l’UNC à Maroua en 1960’’, in La République Fédérale du Cameroun, Paris, Berger Levraut, 1969, p. 181. 121 Cette situation n’était pas particulière au Cameroun. Cf. C.-H. Perrot et F.X. Fauvelle Aymar (s.d.), Le retour des rois. Les autorités traditionnelles en Afrique contemporaine. 120 178 membres de l’immigration musulmane par les autorités locales est un moment important du processus de leur politisation, leur intervention se situant dorénavant dans les sites d’action politique saillants observés dans la ville de Douala. Les campagnes de recouvrement des impôts qui concernent également les étrangers122 permettaient de voir qu’ils étaient les interlocuteurs principaux et privilégiés des autorités locales à ces moments cruciaux. Les chefs, alors mieux placés pour les déceler, étaient régulièrement consultés par les autorités administratives et municipales pour la ‘‘conscientisation’’ des membres de leurs communautés. Cette médiation constituait l’instrument ou le vecteur assurant le passage de la sphère privée immigrée dans le champ politique. C’est également dans cette optique qu’il est possible, eu égard à la position qu’ils occupaient d’observer la relation clientéliste et tribunicienne qu’ils ont avec les autorités de la place : faisant semblant d’agir exclusivement pour le compte des membres qu’ils étaient sensés représenter, les chefs s’appropriaient très souvent les positions de domination sociale qui étaient les leurs, à leur propre compte. Ainsi, les voyait-on bénéficier des grâces des autorités locales lors des rafles ou bénéficiant de moratoires dans le payement de quittances pour leurs maisons de commerce, ou alors toujours acquittés devant les commissariats en cas de différends avec leurs ressortissants ou même avec les populations locales123. Au total et par rapport à la période coloniale, la légitimité des chefs traditionnels était de plus en plus battue en brèche par la mise en place de nouvelles procédures de gestion de la cité, inspirées du droit positif camerounais. Ceux-ci restaient néanmoins accrocher à leurs fonctions honorifiques en attendant ‘‘le regain d’influence’’124 des années 1990. Le compromis Etat/conservateur à travers l’ACIC et les chefferies traditionnelles sera-t- il à la hauteur des espoirs placés en lui sur le plan éducatif ? C- Difficultés diverses de l’école franco-arabe de Douala de 1987 -1990 Au milieu des années 1980, le Cameroun commence à ressentir les effets de la crise économique. Cette période apparaît d’un intérêt certain dans la compréhension de la crise du système scolaire et des réformes qui vont être engagées au cours des années à venir. La crise 122 Sur la législation camerounaise en matière d’immigration, se référer au travail de S. Tchounkoué, ‘‘Crise économique et immigration au Cameroun’’, Communication au colloque ‘‘Etre étranger et migrant en Afrique’’, Paris, décembre 1999. 123 Voir B.-J. Nkene, ‘‘Les immigrés Nigérians à Douala : problèmes et stratégies d’insertion sociale des étrangers en milieu urbain’’, Law and politics in Africa, Asia and Latin America (33) 1, 2000, p. 57. 124 G.L. Taguem Fah, ‘‘Crise d‘autorité, regain d‘influence et problématique de la pérennité des lamidats peuls du Nord-Cameroun : étude comparée de Ray Bouba et Ngaoundéré’’, 2003, pp. 267-288. 179 sociétale qui se dessine dès les années 1980 est surtout économique. Ce contexte conduit à un bouleversement tumultueux du paysage social. Pour s’adapter à la situation nouvelle, le Cameroun accède dès la fin des années 1980 au Programme d’Ajustement Structurel (PAS) imposé par le Fonds Monétaire International (FMI) et de la Banque Mondiale. En matière de politiques publiques, on assiste alors à des interactions heurtées entre les idéaux locaux et les modèles transnationaux de gestion.125 Comme conséquence de cette conjoncture, le déséquilibre entre la demande et l’offre d’éducation s’accroît. En somme, l’ampleur de la crise, par ses effets sociaux, finit par fragiliser la crédibilité de la perception de l’image de l’école auprès des populations126 au point où l’école franco-arabe de Douala ne représentait plus rien ou presque au sein de la communauté musulmane de Douala. De fait, cette école, seule source officielle de scolarisation en arabe des enfants musulmans, allait traverser une crise qui a failli littéralement l’emporter. Il faut en effet préciser que suite aux effets induits de la crise économique127, l’Etat avait pris une loi en 1987 qui préconisait la ‘‘libéralisation’’ des frais de scolarité et un ‘‘octroi éventuel’’ des subventions de l’Etat.128 L’octroi des subventions devenait ainsi une éventualité et non plus une juste obligation.129 Par conséquent, les subventions étaient devenues rares, irrégulières et surtout insignifiantes par rapport à la demande. Ainsi, l’école franco-arabe de Douala n’avait par exemple reçu pour l’année scolaire 1988-1989 qu’un montant de 2 399 212 francs CFA au titre de sa subvention annuelle et, pour le compte de l’exercice 1989-1990, cette subvention s’élevait à 2 400 000 francs Cfa130. Ces subventions étaient selon le représentant local de l’ACIC pour le Littoral 125 Dès le milieu des années 1980, le Cameroun est touché par une profonde crise économique. Il voit tous ses indicateurs économiques ‘‘au rouge’’. Le pays subit dès lors une crise sociale qui se solde en tout premier lieu par l’arrêt des recrutements dans la fonction publique. Se reporter entre autres à, R. Nyom, La crise économique du Cameroun. Essai d’analyse socio-politique, Yaoundé, Atlantic-Editions, 2003; Touna Mama (s.d.), Crise économique et politique de dérèglementation au Cameroun, Paris, L’Harmattan, 2000 et P. Gubry, Le retour au village. Une solution à la crise économique au Cameroun, Paris, L’Hamattan, 2002. 126 Pour un développement substantiel de ce contexte et son impact sur l’école au Cameroun en général, voir P. M. Njiale, ‘‘Entre héritage et globalisation : l’urgence d’une réforme de l’école au Cameroun’’, Communication au colloque international ‘‘Un seul monde, une seule école? Les modèles scolaires à l’épreuve de la mondialisation’’, Sèvres-France, 12-14 mars 2009. 127 Sur les rapports entre la crise économique et l’éducation au Cameroun, voir entre autres M. PapillonDauveau, ‘‘Cameroun. L’éducation malmenée par la crise économique’’, Impact Campus, Université Laval, Septembre 2007, pp. 2-11 et P.M. Njiale, ‘‘Les confessions religieuses et l’offre d’éducation au Cameroun’’, Communication au Colloque International d’Education Comparée (CIEP), sur le thème ‘‘Education, religion, laïcité. Quels enjeux pour les politiques éducatives? Quels enjeux pour l’éducation comparée’’, Sèvres-France, 19-21 octobre 2005. 128 Voir Loi No 87/022/du 17 décembre 1987 : activités des établissements scolaires privés. 129 Cette question provoqua des accrochages répétés avec les différents ordres de l’enseignement privé et notamment les catholiques. Pour l’Archevêque Jean Zoa de Yaoundé par exemple, par de tels principes, on faisait de l’enseignement privé confessionnel ‘‘une entreprise à but lucratif (…) les catholiques se voyaient victimes d’une injustice’’. Les témoignages des incidents de ce genre et des réactions subséquentes abondent dans le journal catholique L’effort camerounais, no oo6, juin 1988 et no 033/975, avril 1991. 130 El Qiblah, n°14 du mercredi 25 octobre 2000, p.8. 180 en la personne d’El Hadj Garba Aoudou largement inférieures à celles que l’école recevait avant.131 Cette situation de crise devait d’abord contraindre les dirigeants de l’école franco-arabe à ‘‘réajuster’’132 les salaires des enseignants, ensuite à les payer de façon intermittente et enfin à les suspendre pendant plusieurs mois. A Douala particulièrement, l’ACIC avait cumulé des arriérés de salaire de plus de 12 mois entre 1988 et 1990133. Cette irrégularité dans le paiement des salaires des enseignants bien que n’étant pas propre à Douala,134 devait susciter des mécontentements, entraîner le manque de motivation des enseignants et finalement leur départ. A la suite de nos enquêtes de terrain, d’autres raisons pouvaient être avancées pour expliquer cette situation d’abandon. On peut ainsi retenir entre autres le taux élevé d’échec et de déperdition des élèves ; ce qui entraînait la baisse des effectifs et un sentiment de laisser aller. D’autant que comme au Sénégal135, au Mali136 ou encore au Burkina Faso137, le critère d’âge à l’entrée n’était pas très fixe : ‘‘ l’âge de recrutement était un peu plus élastique que celui de l’école formelle et allait de 7 ans à 11 ans’’138. Cette souplesse faisait que même les élèves qui n’avaient pas pu rester, par inconscience ou par incapacité intellectuelle au départ, dans les écoles laïques étaient acceptés dans l’école franco-arabe. Le redoublement n’y était pas un problème aussi grave puisque l’exclusion y était très rare. C’est ainsi que l’on trouvait des élèves assez âgés qui traînaient toujours dans les basses classes. La présence de ces élèves âgés n’était pas de nature à améliorer les résultats et à redorer l’image de l’enseignement franco-arabe. Bien plus, les maîtres étaient constamment confrontés à des disparités de niveau très importantes entre les élèves. Ils étaient par conséquent obligés de naviguer entre plusieurs langues et plusieurs registres de vocabulaires. 131 Ibid. Comprendre baisser, réduire. Cette baisse avait eu lieu dans toutes les zones scolaires couvertes par l’ACIC. 133 El Qiblah, n° 14, p. 8. Voir aussi Aurore Plus, no 351, p. 10. En outre, au cours des exercices budgétaires 1988-1989, 1989-1990 et 1990-1991, les enveloppes financières allouées à l’enseignement privé laïc et confessionnel ont accusé une baisse due à la diminution générale des avoirs de l’Etat. 134 S. Mane dans sa thèse de Doctorat/Ph.D en histoire (‘‘Islam et société dans le Mbam (Centre-Cameroun) : XIXe- XXe siècles’’, Université de Yaoundé I, 2005-2006, pp. 154-155) décrit des situations similaires à l’école franco-arabe de Bafia. 135 M.Gomez-Perez, ‘‘Bilan et perspectives de l’enseignement de l’arabe dans les écoles franco-arabes à Dakar et à Thiès : vers la marginalisation d’une jeunesse?’’, in M. Gomez-Perez et V. Lacabane (textes rassemblés par), La diffusion des savoirs dans les tiers mondes, Paris, Presse Universitaire Denis Diderot, 1999, pp. 41-69. 136 S. Cissé, L’enseignement islamique en Afrique Noire, Paris, L’Harmattan, 1992, p. 137. 137 I. Cissé, ‘‘Les medersas au Burkina : l’aide arabe et l’enseignement arabo-islamique’’, Islam et Sociétés au Sud du Sahara, no 4, 1990, pp. 57-72. 138 Aboubakar Woussi, entretien du 14 avril 2003 dans son bureau, à l’école franco-arabe de New-Bell, Douala. 132 181 Les responsables de cette école étaient confrontés à un flux continu de jeunes, rejetés par le système public ; ceci rendait la situation de plus en plus inextricable et posait la question centrale du devenir de cet enseignement et de cette jeunesse. En effet, cet enseignement a-t-il pour rôle de colmater les brèches, autrement dit s’assigne-t-il comme fonction de faire un travail d’intégration d’une partie de la jeunesse en quête d’activités et repères ? Plus d’une décennie après l’analyse de S. Genest et R. Santerre, voici le jugement pour le moins sévère que H. Adama faisait de l’école franco-arabe de Douala : Suite à une désaffection des parents d’élèves à l’endroit de ce système d’enseignement, le privé confessionnel musulman se transforme très vite en un dépotoir des redoublants chroniques incapables de s’intégrer dans le secondaire laïc ou confessionnel quand bien même ils arriveraient à terminer le cycle primaire dans leur propre école.139 Dans le même sens, l’inefficacité de l’école franco-arabe de Douala pouvait aussi s’expliquer selon l’ancien secrétaire permanent de l’ACIC, Cheikh Daouda Mohaman, par ‘‘l’enseignement au rabais’’ qu’elle dispensait.140 En effet, ceux qui avaient suivi cet ordre d’enseignement n’avaient pas eu de grandes possibilités d’épanouissement auxquelles son savoir donnait droit141. Le problème de débouchés se posait. Même avec les timides réformes survenues au cours de la décennie 1970142, l’école franco-arabe n’avait pas à la longue résolu le problème des débouchés. Pour les finissants, le CEPE n’était plus un gage assuré pour le petit fonctionnarisme. Il fallait aller au-delà, entrer dans le secondaire ou s’orienter vers l’enseignement. Le chemin conduisait alors au cours normal dans l’enseignement secondaire pour ceux qui parvenaient à terminer. Une fois remplis les postes de maîtres d’arabe dans les écoles franco-arabes, les finissants qui étaient allés aux ‘‘cours normaux’’ étaient réduits au chômage. Par ailleurs, cette école restait marginalisée : la langue arabe n’était pas reconnue comme langue vivante à part entière comme le Français, l’Anglais, l’Allemand ou l’Espagnol. Il n’y avait pas d’inspecteurs provinciaux, départementaux ou encore d’arrondissements chargés de l’enseignement de l’Arabe comme c’est le cas pour les autres langues.143 On notait aussi l’absence de structures de concertation pédagogique ou de formation continue du genre 139 H. Adama, ‘‘Migration musulmane et enseignement arabo-islamique à Douala : 1963-1993’’, p.48. Entretien du 16 août 2003 avec Cheikh Daouda Mohaman, à son domicile au quartier Mendong à Yaoundé. 141 Voir H. Adama, ‘‘L’école franco-arabe camerounaise : bilan et perspectives’’, pp. 89-136. 142 Sur ces réformes, se référer au troisième chapitre, section A. 143 Synthèse de nos entretiens des 16 et 17 août 2003 avec Cheikh Daouda Mohaman, à son domicile au quartier Mendong à Yaoundé. 140 182 ‘‘journées pédagogiques visant à améliorer leur maîtrise de l’arabe et surtout à leur inculquer quelques notions de pédagogie moderne’’144. L’observation de la situation des immigrés haoussas, foulbés et yorubas à Douala en rapport avec la question de l’éducation nous conduit à penser que la prévalence de la langue française à Douala était aussi à l’origine de la non adhésion de certaines composantes sociologiques musulmanes à l’école franco-arabe de Douala dès ses origines. En effet, par rapport à la situation des autres étrangers musulmans, vivant à Douala (Sénégalais, Maliens, Nigériens, Guinéens, Tchadiens) qui partagent le Français avec les populations locales, les immigrés haoussas, foulbés et yorubas (essentiellement anglophones et de loin les plus nombreux au sein de la communauté) font face à un obstacle lié à la communication. Le handicap de la langue était un frein important à l’insertion de leurs progénitures à l’école franco-arabe. Autrement dit, l’usage massif du Français par les populations locales et dont leurs enfants ne comprennent très souvent un traître mot à leur entrée à l’école, en constituait un obstacle sérieux. Avec l’Anglais, le Français est l’une des langues officielles au Cameroun. Mais du point de vue de la pratique le Français est, à tous égards, l’instrument de communication le plus usité dans la ville de Douala. Or, à leur entrée à l’école, les enfants des immigrés haoussas, foulbés et yorubas ne l’ont presque jamais utilisée145, raison pour laquelle le processus d’adaptation et d’insertion dans le tissu scolaire urbain pour leurs progénitures passait par son apprentissage qui n’est guère un exercice facile146. A cela, il faut ajouter l’éducation des enfants nés de l’immigration. En effet, les migrations musulmanes étrangères à Douala, toutes générations confondues, sont prises en étau dans une ambivalence : inculquer les valeurs du pays d’origine (école coranique traditionnelle communautaire) ou favoriser leur intégration dans la société d’accueil (école franco-arabe). Tel est le dilemme auquel étaient confrontés les parents. Très souvent, au sein de ces communautés, on se demande jusqu’à quel point l’intégration doit être synonyme d’assimilation ou de multiculturalisme. La situation est plus compliquée pour les enfants issus des ménages mixtes à Douala. Ils sont confrontés à une discrimination accordant la 144 Ibid. Ils ne parlent pour la plupart que leur langue d’origine ou au mieux l’Anglais ou le pidgin-english. Par ailleurs, d’autres groupes étrangers et notamment les Ibo du Nigeria en majorité chrétiens rencontrent les mêmes problèmes linguistiques dans leur insertion sociale. Cf.J.-B. Nkene, ‘‘Les immigrés nigérians à Douala : problèmes et stratégies d’insertion sociale des étrangers en milieu urbain’’, Afrique et Développement, vol. XXVIII, nos 3 et 4, 2003, pp. 142-147. 146 Cette situation n’est pas la même dans le Sud-ouest du Cameroun où l’anglais et le pidgin-english ont cours. Dans cette partie du Cameroun, leur insertion sociale semble plus facilitée par le partage de ces langues. Cf. T.L. Weiss, Migrants nigérians. La diaspora dans le Sud-Ouest du Cameroun, Paris, L’Harmattan, 1998. 145 183 préférence à l’origine et à la culture du père par les différentes communautés147. Les mosquées communautaires devenaient dans ce cas, les seuls espaces d’apprentissage du Coran pour les enfants de ces migrants. Le délaissement de l’école franco-arabe de Douala était enfin à mettre en rapport avec l’ignorance des parents d’élèves qui évitaient ou refusaient de payer la scolarité pour leurs enfants et les disputes que se livraient la communauté et les associations dès les années 1990 pour la représentativité de cet ordre d’enseignement148 ; lesquelles disputent devaient conduire à de nouvelles offres d’éducation religieuse, dans un cadre beaucoup plus large de réforme structurelle. Par rapport à la formulation de l’intitulé de ce chapitre, il nous est apparu qu’au regard des soubresauts qui ont eu lieu à l’intérieur de la communauté musulmane de Douala, de nouveaux enjeux étaient effectivement en perspective avec surtout l’entrée en scène des réformistes, plus autonomes. En effet, la naissance de la nouvelle tendance ne s’est pas faite sans soubresauts et difficultés étant donné que le climat politique était dominé par le parti unique. Malgré ce contexte politique rigide, la plupart cherchent à se construire une identité et signifier leur appartenance religieuse. Ainsi, dans la pratique des habitudes des populations islamisées et dans les expériences des nouveaux venus (réformistes), il a pu y avoir des lectures différentes des textes sacrés que chaque camp a voulu exploiter à son avantage. La multiplication des mosquées et des chefferies a suivi cette évolution. Restait alors la question de l’école franco-arabe de New-Bell prise d’abord en ‘‘otage’’ entre les traditionalistes et les modernistes et ensuite délaissée et décrédibilisée du fait de la crise économique mais surtout des causes internes à la communauté. Cependant, si le contrôle étroit qu’exerçait le milieu traditionnel musulman avec le soutien de l’administration sur l’évolution de l’islam en atténuait les à-coups, le clivage entre tidjanistes et sunnites/wahhabites devait prendre en revanche un tournant plus offensif au cours de la décennie 1990 et les années suivantes, lorsque la da’awa149 menée par une autre 147 Voir P. Cissé, ‘‘La migration malienne au Cameroun : le retour est-il possible?’’, et S. Traoré, Migration et insertion socio-économique dans les villes en Afrique de l’Ouest, Etudes et travaux du CERPOD-no16, octobre 2001. 148 La lecture de la ‘‘une’’ de certains numéros du journal El Qiblah permet de se faire une idée des problèmes qui minaient la communauté musulmane de Douala. Exemple : ‘‘Communauté musulmane de Douala. La grogne pousse… qui est le fondateur de l’école franco-arabe ?’’, El Qiblah, n° 14, pp. 4-8 (voir annexe no 1). A Yaoundé, O. Moussa, ‘‘La culture arabo-islamique, les Haoussa du Sud-Cameroun (le cas de Yaoundé) et l’intégration nationale’’, p. 274 signale les mêmes dissensions entre modernistes et traditionalistes à propos de l’école franco-arabe de Yaoundé à partir de 1986. 149 Voir glossaire. 184 génération de réformistes et les pays du Golfe se fit de plus en plus visible. Les dédoublements de mosquées et les ‘‘querelles de minaret’’150 dégénèrent d’autant plus vite qu’en sous-main, les luttes d’influences dogmatiques se doublèrent de rivalités pour capter les financements extérieurs même si chaque communauté affirme ne compter que sur la solidarité de ses membres; de nouveaux acteurs venaient s’y greffer et le marché religieux allait se complexifier. Quelle était alors la composition du panorama islamique de Douala en rapport avec le processus démocratique enclenché au début de la décennie 1990 ? 150 Le Monde du 28 octobre 2004. 185 TROISIEME PARTIE UN ISLAM EN CHANTIER (1990-2006) : PROGRESSION ET MUTATION DE L’ISLAM A DOUALA Depuis le début des années 1990, le paysage/champ islamique de Douala connait un véritable transformation/mutation.1 Cette transformation ou ce regain de l’islam se caractérise, entre autres, par la restructuration de la communauté musulmane sur les plans religieux, associatif, politique, éducatif et la lente décomposition de l’équilibre ethno-religieux que s’étaient approprié les différentes communautés musulmanes de Douala. Apparue dans un contexte de mondialisation, une telle évolution provient, pour l’essentiel, du développement urbain (accroissement de la surface de la ville, du volume de l’espace bâti et de la démographie), de l’accroissement des ‘‘élites’’ musulmanes de plus en plus formées, de la libéralisation du champ religieux dans le pays, des lois sur les libertés publiques du début des années 1990, de l’appauvrissement de l’Etat, du développement des migrations2 et des communications qui favorisent l’entrée de mouvements religieux opérant sur la ‘‘scène globale’’3 et provoquent l’essor 1 On sait d’ailleurs - et il convient d’insister sur ce point - que l’islam est loin d’avoir le monopole de ce regain des religieux à Douala. La transformation du paysage religieux de Douala vient aussi de l’afflux des nouvelles communautés, appelées par le sociologue des religions J. Séguy ‘‘des mouvements religieux non conformistes’’ pour éviter l’amalgame que représente le mot ‘‘secte’’. Millénaristes, pentecôtistes, syncrétistes, gnostiques, ils sont tous aujourd’hui représentés à Douala, comme presque partout ailleurs dans les grandes villes du Cameroun (voir, entre autres L. Maud, ‘‘Cameroun : les nouveaux territoires de Dieu’’, Afrique contemporaine, 2005-3 (no 215), pp.93-116 et la revue Enjeux, no 34-35, consacrée au même thème). Les dénombrer serait aventureux car chaque mois, un nouveau groupe apparait qui a une affinité avec les précédents mais s’en différencie. En 2000, le père E. de Rosny a décompté 315 lieux de prières appartenant à 109 dénominations différentes, admettant du reste que ces appellations sont en réalité bien plus nombreuses. Cf. E. De Rosny, Etude panoramique des nouveaux mouvements religieux et philosophiques à Douala, Douala, Ed. Centre spirituel de rencontre, 2000. 2 Sur l’importance des flux démographiques transnationaux en Afrique et dans le monde, voir, entre autres : L. Sindjoun (s.d.), Etat, individus et réseaux dans les migrations africaines, Paris, Karthala, 2005; G. Dumont, Les migrations internationales. Les nouvelles logiques migratoires, Paris, SEDES, 1995; B. Badié et C. Withol de Wenden, Le défi migratoire, Paris, FNSP, 1994 et B. Badié et M.C. Smouts, Le retournement du monde, Paris, FNSP/Dalloz, 1992. 3 Les transformations religieuses dans le contexte contemporain de la globalisation ont fait l’objet de plusieurs publications récentes. Parmi les plus importantes, on trouve notamment les livres de J.-P. Bastian, 186 d’un marché islamique des biens spirituels, remettant en cause d’anciens équilibres ethno-religieux et transcommunautaires plus ou moins modelés par des décennies de gouvernance autoritaire. Cette évolution apparaît aussi comme le résultat d’une précarité galopante, d’un tissu social en pleine désintégration et d’une ‘‘négociation’’ des rapports entre individu et communauté, individu et religion, individu et politique, etc. Dans le prolongement des analyses précédentes, cette troisième et dernière partie se focalise sur les tendances novatrices de l’islam à Douala : la nouvelle visibilité de l’islam doualais, islam et transition démocratique à Douala, le nouveau paysage de l’Oumma. Cette évolution récente se passe dans le cadre d’un climat politique mouvementé, c’est à dire la période qu’il est convenu d’appeler la ‘‘démocratisation’’ ou le retour à la pluralité, au multipartisme et ses effets induits sur les communautés musulmanes de Douala. Plus que toutes les autres parties, celle-ci s’appuie sur les sources orales, l’observation participante et les sources journalistiques. La presse, les enregistrements radiophoniques, les références webliographiques et les reportages des télévisions se sont ainsi avérés d’un apport important.4 Notre objectif ne consiste pas à décortiquer toutes les composantes de cette effervescence islamique mais de montrer quelles sont les différentes tendances suivant le contexte local et international. Aussi, notre objectif est d’évaluer ici les manifestations, les causes et d’analyser leurs conséquences dans ce contexte de pluralité et de liberté : nous étudions la nouvelle donne islamique en abordant plus spécifiquement la revitalisation et la reconfiguration des dynamiques islamiques qui se sont manifestées pendant la dernière décennie du XXe siècle (1990-2000) et le tout début du XXIe siècle (2000-2006) à Douala et qui permettent de montrer la mise en place d’une multitude de stratégies collectives et individuelles qui fait émerger des lignes de fracture parmi les communautés F. Champion et K. Rousselet, La globalisation du religieux, Paris, L’Harmattan, 2001, et de K. Poewe Charismatic Christianity as a Global Culture, Columbia, University of South Carolina Press, 1994, ainsi qu’un numéro de la revue Ethnologie française, XXX, 4 portant sur ‘‘Les nouveaux mouvements religieux’’, 2000 et le volume 27, no 1, de la revue canadienne Anthropologie et Sociétés, sur ‘‘La mobilité du religieux à l’ère de la globalisation’’, 2003. 4 Il s’agit surtout des ‘‘médias de télédiffusion’’ ou encore de la communication audio-visuelle. C’est dans cette catégorie que se trouvent la radio et la télévision qui nous intéressent dans le cadre du présent travail en tant que sources de connaissance. Cf. F. Balle et G. Eymery, Les nouveaux médias, Paris, PUF, 1999. 187 musulmanes.5 Pour le faire, nous articulons notre propos autour de trois axes. Dans un premier temps nous portons notre attention sur les principaux aspects qui permettent de considérer que l’islam vit une nouvelle dynamique à Douala : les centres culturels, les associations et l’enseignement confessionnel privé islamique. Dans un second mouvement, nous abordons les orientations que la communauté musulmane de Douala tente de donner actuellement aux manifestations de la dynamique islamique et comment elle la ressent, c’est à dire son impact au sein de la communauté. Nous tentons enfin de saisir le délicat sujet du rapport entre les musulmans doualais et les soubresauts de la politique locale depuis le retour au multipartisme, de même que les différentes passerelles qui leurs permettent d’être en connexion avec leur environnement immédiat, régional et global. 5 La transformation récente de la communauté islamique n’est pas propre à la ville de Douala, ni au Cameroun. Elle est plus significative ailleurs au sud du Sahara, tout particulièrement dans les pays comme le Sénégal, le Niger, le Mali, le Burkina Faso, le Tchad et surtout le Nigeria, qui ont connu ces dernières décennies une importante vague d’islamisation. Voir, entre autres R. Otayek et B. Soares (s.d.), Islam and Muslim Politics in Africa, New York, Palgrave, 2007; Islam, globalisation et désengagement de l'Etat en Afrique , Leiden, CEAN-ASC Leiden à paraître; M. Gomez-Perez (s.d.), L’islam politique au sud du Sahara. Identités, discours et enjeux, Paris, Karthala, 2005; L. Brenner, (éd.), Muslim Identity and Social Change in Sub-Saharan Africa, London, Hurst, 1993, R. Otayek (s.d.), Le radicalisme islamique au sud du Sahara. Da’wa, arabisation et critique de l’Occident, Paris, Karthala, 1993 et les différents numéros de la revue Islam et Sociétés en Afrique au Sud du Sahara. 188 CINQUIEME CHAPITRE LA RESURGENCE ISLAMIQUE A DOUALA OU LES ONDULATIONS INTERNES DU PAYSAGE ISLAMIQUE DOUALAIS : ESSAI DE PRESENTATION DES MANIFESTATIONS D’UN ISLAM DE PLUS EN PLUS DYNAMIQUE A partir du milieu des années 1990, la communauté musulmane de Douala cède à la pression croissante d’un islam de plus en plus offensif: le débat islamique prend progressivement de nouvelles formes. Rappelons que plusieurs facteurs ont présagé cette évolution : le travail actif, depuis près de trente ans, du courant réformiste qui mettait la prédication et l’enseignement au centre du dispositif religieux et son souci de voir l’islam s’affranchir du pouvoir coercitif et pesant; l’éclatement des quartiers périphériques suivi de l’édification de certaines mosquées ; l’aggravation de la crise économique qui devient par ailleurs multi-sectorielle (précarité, tissu social désintégré, paupérisation de la population, etc.). Tout ceci se traduit sur le terrain par une pratique religieuse grandissante, avec des méthodes très variées. Ces facteurs ont présagé cette évolution qui perdurait et qui s’accélère à partir de 1990 et ceci pour plusieurs raisons. Douala voit ainsi se multiplier la création des associations et des centres culturels islamiques qui s’impliquent dans l’espace urbain, d’écoles privées islamiques, etc. Tout ceci permet de dire que l’islam à Douala connaît une réelle dynamique. On observe aussi que les femmes et les jeunes participent à cette effervescence religieuse et y contribuent.1 Bien plus, les acteurs qui fondent ces structures souhaitent s’octroyer une place sur l’échiquier politico-religieux local. A travers ces nouvelles structures en effet, émergent des revendications d’une partie de la société doualaise, les musulmans issus de la ville de Douala. L’analyse de ces structures 1 Sur l’importance des jeunes et des femmes dans le ‘‘new-deal’’ islamique dans les autres régions d’Afrique, on peut lire S. Mahood, Politics of Piety. The Islamic Revival and the Feminist Subject, Princeton and London, Princeton University Press, 2005 pour le cas égyptien et M.N. LeBlanc et M. Gomez-Perez, ‘‘Jeunes musulmans et citoyenneté cultuelle en Afrique de l’Ouest francophone’’, Sociologie et société, numéro spécial coordonné par A.E. Calvès et R. Marcoux ‘‘Sociétés africaines en mutation : entre individualisme et communautarisme’’, vol. 39, no 2, 2008, pp. 39-59. 189 permet d’étudier un groupe social à la fois sous un angle confessionnel, social, économique et même politique. Il s’agit dans ce chapitre de présenter quelques aspects qui participent à cette effervescence islamique qui s’accélère depuis les années 1990 à Douala, en donnant la priorité à : - la création des centres culturels islamiques et les relations qu’ils entretiennent avec les centres islamiques extérieurs ; ce qui débouchera sur la situation récurrente des diplômés des universités arabes à leur retour au Cameroun ; - outre les centres culturels islamiques, nous nous intéressons à la création des associations islamiques et leur implication dans l’espace urbain; - enfin, nous avons considéré qu’étudier les manifestations de la nouvelle dynamique islamique à Douala ne peut être mené à bien sans tenir compte de la rénovation de l’enseignement privé islamique. L’étude des nouvelles écoles privées confessionnelles islamiques nous amène à nous interroger sur les infrastructures, les méthodes d’enseignement de l’arabe et de la culture islamique et la formation. Nous terminons par un bilan provisoire de cet ordre d’enseignement à Douala. A- Les centres culturels islamiques à Douala Cette section contribue à étudier les centres culturels islamiques, tels que ceux-ci se reproduisent sur le sol de Douala. La création de ces centres culturels a aussi donné lieu à une augmentation du mouvement d’échange des musulmans doualais entre les centres islamiques étrangers et Douala. Ici, le mode d’expression du changement dans la communauté se définit aussi par l’utilisation de la langue arabe. L’arabisation peut ainsi être définie par la position importante qu’y occupent la langue arabe et les méthodes reformées de son enseignement. Cette version révisée de l’éducation à travers les centres culturels peut être considérée comme une autre voie d’apprentissage de l’Arabe qui s’offre aux musulmans de Douala. Elle est principalement liée à l’émergence d’une 190 nouvelle ‘‘élite’’ intellectuelle islamique qui a suivi ou a continué sa formation au Proche ou au Moyen Orient. Nous présentons ici trois de ces centres culturels. Il s’agit du centre de formation aux études islamiques, Al Axa créé en 1991, de l’Institut Islamique de Douala créé en 1995 et qui est un secteur d’activité du Programme Islamique pour l’Assistance Humanitaire (PIAH) et du centre culturel chiite2 Ahl Ul Bayt créé en 1999. Evidemment, ce choix est tout naturellement porté sur les centres qui tiennent une place prépondérante ou encore le ‘‘haut du pavé’’ à Douala. A-1 Présentation des centres culturels -Le centre de formation aux études islamiques Al Axa Le centre de formation aux études islamiques Al Axa est créé en 1991 par les anciens diplômés de l’école de Médine en Arabie Saoudite. Situé à Bonapriso, Al Axa a commencé en cours du soir en 1991. Depuis 1997, il fonctionne en cours du jour. Al Axa est une ‘‘association’’ à but non lucratif. Elle vit de la contribution de ses membres fondateurs et des dons de bonnes volontés. Selon son directeur Cheikh Housseini Hamadou le centre remet des attestations de langue arabe équivalentes au BEPC du sous système éducatif francophone.3 A la fin de chaque session de formation, le centre de formation Al Axa trouve aussi des inscriptions à ses meilleurs élèves dans le secondaire à Dakar au Sénégal, d’où ils reviennent avec un niveau équivalent au baccalauréat du sous système francophone camerounais.4 -Le Centre de Recherche, d’Etudes Islamiques et d’informatique de Douala Créé en 1995, le Centre de Recherches, d’Etudes Islamiques et d’informatique de Douala est le plus grand, le plus connu et le plus réussi des centres culturels islamiques à Douala. D’abord situé au premier étage de l’immeuble de la ‘‘Boulangerie Rond Point 2 On écrit aussi chi’ite ou shi’ite. Le système éducatif camerounais, de par les textes qui l’instituent et l’organisent, reconnait l’existence de trois sous systèmes : le sous système éducatif francophone, le sous système éducatif anglophone et le sous système éducatif arabophone. 4 Cheikh Housseini et Dr. Yahouba enseignants d’arabe et des traditions islamiques au centre culturel Al Axa entretien du 17 août 2005 à Bonapriso, Douala. 3 191 Deido’’, il est aujourd’hui établi au quartier New-Town aéroport dans un important immeuble de quatre niveaux, nouveau siège du PIAH. Il est l’œuvre de Cheikh Ibrahim Njoya Moubarak. Né en 1969 à Mayo Darlé, son éducation primaire se fait à Douala et notamment à l’école CEBEC Béthel des ‘‘Deux Eglises’’, de la SIL au CE1 et à l’école franco-arabe de New-Bell, du CE2 au CM2. Entre temps, il suit ses études coraniques auprès de son père, El Hadj Moctar Aboubakar, marabout de grande renommée à Douala. Après son BEPC en 1986 et son probatoire en 1988 au Collège Franco-arabe Ibrahim Njifon de Foumban, il est envoyé par son père en République Arabe d’Egypte. Il y séjourne pendant un an et obtient en 1999 un ‘‘Certificat de la Radio diffusion du Caire’’. De 1990 à 1992, il est en Arabie Saoudite où il fait des études à l’Université Islamique de Médine et obtient le ‘‘Diplôme d’Etudes Universitaires en Lettres Arabes et Sciences Islamiques’’. Il est de retour au Cameroun en 1993 et crée son ‘‘ Institut’’ en 1995. Grâce à ses séjours au Moyen Orient, sa parfaite connaissance du milieu arabe et à son niveau supérieur en sciences islamiques, il bénéfice d’une grande réputation auprès des musulmans de la ville. Son centre dispose d’une grande salle qui sert de site pour l’école d’apprentissage de l’Arabe Dar-ul-Hadith5 et en même temps de salle de conférence, de vidéothèque, de bibliothèque (de consultation et/ou de prêt) et du service de documentation. La bibliothèque et le centre de documentation comptaient en 2003 plus de 537 volumes, documents, cours audios et vidéos de savants musulmans sur CDMP3 et cassettes ; des brochures de questions réponses sur l’islam et des livres d’apprentissage de l’Arabe accessibles par un fichier. Parmi les livres en arabe, il y avait : Riya Salihin Charch al Othaymin, Aqidat Salaf, Shih al adkar, Kitab Tawhid, etc. Toujours en 2003, on comptait 2000 visiteurs ou lecteurs dont 70 % de jeunes (élèves et étudiants) et 30% des fonctionnaires et cadres.6 Homme patient qui a su faire face à toutes sortes de difficultés, il garde toujours des relations prudentes avec l’administration7, mais reste ouvert à tout visiteur. Il garde 5 Avant la construction de l’immeuble siège du PIAH, cette école avait deux sites : l’école publique de Makea et une résidence au quartier Bayangi. 6 Statistiques fournies par la secrétaire générale du PIAH, Aïssatou Yadouko, entretien du 15 août 2003 dans son bureau au rond point Deïdo, Douala. Voir aussi le document intitulé ‘‘Le Programme Islamique pour l’Assistance Humanitaire en quelques mots’’, archives du PIAH. 7 Nous y reviendrons ultérieurement, notamment au septième chapitre. 192 beaucoup d’amis dans des pays arabes : Egypte, Arabie, Saoudite, Syrie et surtout la Turquie ; qui lui envoient des aides8 qui ont aussi servi à la construction de son nouveau siège. Il est par ailleurs représentant en Afrique centrale des ‘‘Editions Tawhid’’9 qui publient des livres aidant à la connaissance de l’islam. Le Centre de Recherches, d’Etudes Islamiques et d’informatique de Douala rend un service apprécié par les musulmans de Douala dans le contexte contemporain. La bibliothèque et le service de la documentation sont dirigés par un bibliothécaire, secondé d’un documentaliste. Les deux sont des permanents. Des bénévoles prêtent leurs concours pour des tâches diverses : classement des ouvrages, photocopie, etc. La mission éducative du Centre de Recherches, d’Etudes Islamiques et d’informatique de Douala se décline en plusieurs objectifs : -promotion de l’enseignement de la langue arabe qui est une langue à double emploi (religieux et relations internationales) ; - promotion de l’alphabétisation de masse ; - vulgarisation des idéaux de formation des jeunes musulmans par l’éducation et la promotion culturelle prônées par les organismes spécialisés ; - facilitation à l’accès aux nouvelles sciences et techniques de gestion et de recherche tel l’outil informatique ; - le suivi culturel et éducationnel des nouveaux convertis ; - le soutien financier à la da’awa (appel à l’islam) ; - assistance financière dans la formation des frères et sœurs musulmans à la profession médicale ; - création et amélioration d’un cadre d’éducation et d’épanouissement culturel adapté à la formation du jeune musulman compte tenu de l’orientation pédagogique en vigueur dans le pays.10 8 Les informations sur cet aspect ne sont pas données par les intéressés. Les montants restent secrets et nous n’avons pas pu obtenir des informations à ce sujet. Nos interlocuteurs sont restés dans le vague, très certainement par méfiance. Mais en faisant référence aux statuts et spécifiquement aux colonnes sur les fonds de roulement, on peut lire que l’argent vient des contributions des membres, des dons et des ventes des produits de leurs activités. 9 Tawhid : dogme, ensemble des connaissances qui constituent le crédo de l’islam, et qui permettent aux musulmans de veiller à l’unicité de Dieu. 10 Voir Statut du PIHA, section objectifs, annexe no 2. 193 -Le Centre Culturel Chiite Ahl Ul Bayt Ce centre ouvre ses portes en novembre 1999 au quartier Bonapriso à l’initiative de Mohamadou III Salissou et de Cheikh Hassan Nsangou.11 A la fois bibliothèque et centre culturel, les rayonnages sont couverts de livres qui sont pour la plupart reliés et classés par thèmes. En lettres blanches sur fond vert, les intitulés simples : ‘‘Initiation’’, ‘‘famille du Prophète’’, ‘‘ les compagnons du Prophète’’, ‘‘Islam/Occident (Coran et Bible)’’, ‘‘Jurisprudence (Halal-Haram)’’, etc. Le sol est recouvert des tapis. Le centre Ahl Ul Bayt bénéficie d’une opulence qui détonne dans la ville. Dans la bibliothèque, des ordinateurs à peine sortis de leur emballage, des ventilateurs flambant neufs voisinent avec des rayonnages bien garnis, sous les photos de l’Ayatollah Khomeyni ou d’Ali Khamenei, guide suprême de la révolution iranienne. Ahl Ul Bayt peut se traduire par ‘‘ les gens de la maison’’. Le concept est essentiel dans la tradition chiite, qui se réfère en permanence à ceux que le Prophète a distingués parmi ses proches -Ali, Fatima, Hassan et Hussein - auxquels sont venus s’ajouter les neuf imams descendant d’Hussein. Il existe d’ailleurs une assemblée mondiale Ahl Ul Bayt, née en 1980 en Iran et dont le secrétaire général, Ali Akbar Velayati, ancien ministre des affaires étrangères de la République Islamique d’Iran définit ainsi la mission principale : Revivifier et développer la culture d’un islam mohammadien pur, sauvegarder et défendre le Saint Coran et les traditions du saint Prophète de façon à protéger l’existence et les droits des musulmans.12 C’est à cette association mondiale qu’appartiennent les aumôniers iraniens qui séjournent régulièrement à Douala et spécialement pendant les mois de jeûne du ramadan. Ils sont entièrement pris en charge par cette association. Quant à Cheick Hassan Nsangou, imam chiite de Douala, il bénéficie d’une aide mensuelle de 70.000 francs Cfa, 11 Nous reviendrons ultérieurement sur leurs brèves biographies, notamment dans le chapitre suivant. Cf. Syfia International (Cameroun), repris par Le Messager du 25 mai 2003. Voir aussi le lien internet http://www.syfia.info/index.php5?view-article et action=voir et id article=4670-22k ; consulté le 13 janvier 2004. 12 194 assurée par le Khums, la contribution volontaire basée sur le surplus net des revenus annuels de chaque fidèle.13 Ainsi brièvement présentés, on peut se demander quelle est la nature de l’enseignement dispensé par ces centres culturels. A-2 Un enseignement moderne ? Dans le cadre de Douala, ces centres culturels proposent un nouveau type d’éducation et peuvent contribuer à l’évolution des mentalités. On y enseigne principalement la langue arabe. Les personnes ayant suivit ce type d’enseignement mettent en avant le fait qu’on leur apprend la langue arabe et qu’elles peuvent donc comprendre le Coran. Même les élèves allant dans ces centres seulement pendant les vacances de l’école ‘‘française’’ ou en cours du soir arrivent ainsi à acquérir des bases en langue arabe. En d’autres termes, les apprenants sont libres en fonction de leurs occupations, de fréquenter les centres culturels en cours du jour ou du soir. Le point important est que ces centres sont ouverts à tous, enfants, jeunes et adultes qui veulent apprendre l’arabe ou approfondir leur connaissance en arabe ; alors qu’auparavant l’éducation islamique était le fait des marabouts traditionnels. Autrement dit, les marabouts ne sont plus les seuls détenteurs du savoir islamique. Ils sont même parfois dépassés par d’autres composantes de la société. Ainsi, aujourd’hui, certains cheikhs ont fait des études à l’étranger, notamment au Proche et au Moyen Orient et veulent diffuser leurs connaissances à leurs compatriotes. C’est d’ailleurs la constante qui se dégage à l’issu de l’étude du profil des promoteurs de ces centres. D’Hassan Nsangou à Housseini Hamadou en passant par Njoya Moubarak, tous ont fait des études à l’extérieur du Cameroun avec cet avantage que ce dernier est issu d’une famille maraboutique qui appartient à une élite du savoir islamique. Il a bénéficié d’une solide formation auprès de son père et du réseau de ce dernier. Pour reprendre l’expression d’Hamadou Adama, on assiste à une ‘‘démocratisation du savoir islamique’’14. C’est là qu’est la véritable révolution proposée par les centres islamiques, dans l’accès à l’éducation islamique pour tous. Ce phénomène dépasse le cadre de ces ‘‘ rénovateurs’’ 13 Ibid. H. Adama, ‘‘Migration musulmane et enseignement arabo-islamique à Douala : 1963-1997’’, Annales de la FALSH de l’Université de Ngaoundéré, vol. II, 1997, p.45. 14 195 puisque des parents qui n’y appartiennent pas placent leurs enfants dans ces centres. Cette soif de connaissance se retrouve dans toutes les couches de la société musulmane. A cette démocratisation de l’accès au savoir s’ajoute un autre bouleversement : les promoteurs interrogés estiment avoir bénéficié d’une meilleure éducation religieuse que leurs aînés. De plus, cet enseignement est proposé par des personnes relativement jeunes. En fait, les promoteurs des centres culturels sont ce qu’on peut appeler les nouveaux intellectuels arabisants. Plus décidés, ils sont parfois allés chercher un enrichissement de la connaissance en Orient. Même si cet enseignement n’est pas uniforme dans ses attitudes et ses stratégies on peut remarquer que ce groupe d’élites s’est constitué dans le contexte de ce qu’Eickelman et Piscatori15, à la suite de Bourdieu16, ont appelé ‘‘l’objectivation du savoir religieux’’. En effet, à une certaine époque, le savoir islamique n’était l’apanage que d’un nombre restreint de personnes. Le contexte actuel, lui-même caractérisé par un développement de l’éducation populaire (dans les mosquées et au sein des associations), par une émergence d’un vaste marché de littérature islamique abordable ainsi que la création des médias électroniques17, suscite au contraire un engouement accru pour le savoir et les pratiques islamiques dans un bassin de population plus large. Ce groupe est composé de jeunes hommes auxquels on associe une notion arabisante de l’islam, c’est-à-dire, la capacité de lire le Coran en langue arabe. Ceci implique donc qu’ils ont effectué des études supérieures dans les écoles islamiques à l’étranger : Arabie Saoudite, Soudan, Egypte, Libye, etc. Ces jeunes dispensent des cours en arabe dans les mosquées, les écoles islamiques, les centres culturels et dans diverses associations islamiques de niveau local. Ce lien avec les associations islamiques, les mosquées et les écoles est important car les jeunes musulmans ne fréquentant pas les écoles ou ne militant pas au sein des associations ont très fréquemment une conception bien différente de l’éducation. Elle ne dépasse pas les notions véhiculées à l’école coranique traditionnelle. Toutefois il faut noter que, bien que d’un point de vue macrosocial, ce groupe ne représente pas une majorité de musulmans à Douala, il constitue 15 D.F. Eickelman and J. Piscatori, Muslim politics, Princeton, Princeton University Press, 1996. P. Bourdieu, La noblesse d’Etat, Paris, Editions Minuit, 1989. 17 Dans les centres islamiques de Douala, les medias satellitaires arabes à l’instar d’Al Jazira, Iqra ou Al – Hiwâr sont assez suivis par l’élite intellectuelle arabophone. Voir aussi la section médiatisation de l’islam et la marchandisation du religieux à Douala dans le chapitre suivant. 16 196 néanmoins un groupe significatif de par son statut d’élite intellectuel et son rôle (enseignant, conférencier, prêcheur, animateur des émissions culturelles radio-télévisées, etc.) au sein de la société.18 On note aussi que les promoteurs de ces centres culturels et les apprenants sont beaucoup plus préoccupés par la possibilité de pouvoir maîtriser l’expression écrite et orale de la langue arabe et de la compréhension de la religion islamique que l’obtention d’un diplôme d’arabe dans la mesure où les nombreux élèves ressortent sans attestations : A l’école traditionnelle, soutient Ahmad Muhammad, je ne savais ni lire ni écrire l’arabe, je récitais ce que je ne comprenais pas. Mais par le biais de ma formation au nouveaux cours d’arabe, je rédige des correspondances en arabe pour mes amis vivant en Egypte.19 Formés pratiquement tous à l’étranger, les promoteurs des centres culturels et les enseignants desdits centres sont influencés par les programmes qui étaient en vigueur dans leur pays de formation. Par conséquent, les programmes de l’arabe mis en place dans ces centres sont largement inspirés de ceux de ces écoles étrangères. Et même si la plupart de ces anciens boursiers rencontrent de nombreux problèmes d’insertion, la demande reste toujours forte. La situation de la majorité de ces anciens boursiers reste cependant précaire à cause ‘‘des filières inadaptées’’20. En effet, orientés vers les études de théologie, de littérature ou de droit plutôt que vers des disciplines techniques (médecine, agronomie, informatique, etc.), la plupart d’anciens boursiers des universités arabes peinent à trouver du travail à leur retour. 18 Voir dans le même sens R. Otayek, ‘‘L’affirmation élitaire des arabisants au Burkina Faso : enjeux et contradictions’’, in R. Otayek (éd.), Le radicalisme islamique au sud du Sahara, 1993, pp. 229-252. 19 Ahmad Muhammad, propos recueillis le 29 septembre 2006 au centre culturel Al Axa. 20 Ch.Nforgang, ‘‘ Cameroun : désillusion des anciens boursiers des pays arabes’’, Syfia International (Cameroun), repris par Info Sud Belgique Agence de Presse du 28 décembre 2005 ; disponible aussi sur le lien internet http://www.infosud-belgique.info/article.php3? Id-article=131, consulté le 9 mars 2006. 197 Pour Cheick Mahamat Al Bachir, 35 ans, la reconversion est rude. Au chômage, ce titulaire d’un Doctorat en étude coranique et en littérature arabe est aujourd’hui médium et guérisseur21 dans une pièce mal éclairée du quartier Akwa. Bénéficiaire d’une bourse de l’Arabie Saoudite après son baccalauréat, il a étudié huit ans à l’université de Médine. De retour, il a enseigné pendant quelques années au Complexe Islamique de Tsinga à Yaoundé, où il percevait un modeste salaire payé un mois sur deux. Installé à Douala depuis 2004, il vit désormais de l’argent que lui rapportent les cours d’apprentissage de l’arabe et du Coran qu’il donne en cours du soir à la mosquée d’Akwa pour moins de 50 000 francs Cfa par mois. Pour joindre les deux bouts, Cheick Mahamat Al Bachir est aussi un médium et guérisseur, des dons qu’il affirme avoir hérité de son grand père. Nous sommes, regrette Cheick Mahamat Al Bachir, comme un chauffeur au volant d’une voiture qui a subitement perdu la route. Nous avons l’impression d’avoir beaucoup étudié pour rien.22 Ce sentiment de Cheihk Maqamat Al Bachir est partagé par Cheikh Malicki. Cet imam et enseignant à domicile revendiquent une maîtrise en droit et Charia obtenu à l’université Al-Azhar du Caire. Mais à son retour d’Egypte, il n’a trouvé aucun poste à occuper.23 L’Arabie Saoudite, le Koweït, la Tunisie, la Libye, le Maroc, et le Soudan et encore plus régulièrement l’Egypte offrent depuis des décennies des bourses d’études à des musulmans camerounais, de 15 ans et plus. Autrefois sélectionnés par l’ACIC, les boursiers étaient les fils de dignitaires musulmans. Depuis une dizaine d’années, ils sont recrutés par les pays donateurs à travers leur représentation diplomatique sur place ou via des émissaires. Ces derniers sillonnent les communautés musulmanes du pays pour s’entretenir avec les jeunes musulmans, leur donner des cours d’arabe, parler avec eux du 21 Voir dans le même sens A. Soubeiga, ‘‘Syncrétisme et pratiques thérapeutiques des marabouts au Burkina Faso’’, Sociologie, Santé 9, pp.54-64. 22 Cheikh Mahamat Al Bachir, entretien du 26 septembre 2006 à Douala, à son domicile au quartier Akwa. 23 Cheikh Malicki, entretien du 28 septembre 2006 à la mosquée de Bonamoussadi, Douala. 198 Coran et les soumettre à un test de sélection.24 Ceux qui sont retenus, intègrent un lycée ou une université arabe. Tout dépend de leur niveau du départ : Quand nous quittons le Cameroun, nous ne savons rien des filières d’études. Une fois sur place, on nous propose d’en choisir trois qui ont en général un rapport avec l’islam. La décision finale revient de toute façon à l’école, qui se charge de nous orienter en fonction des critères qu’elle est la seule à maîtriser.25 Le choix est donc la plupart du temps limité, Cheikh Malicki explique : Notre niveau en arabe est généralement si bas que nous n’avons pas d’autre aptitude que d’étudier la théologie, la littérature arabe ou le droit.26 Pour El Hadj Moctar Aboubakar Oumar, imam de la mosquée principale de New-Bell/Bamun, président de l’Union Islamique du Cameroun (UIC) et doyen des imams de Douala, les bourses seraient dès le départ orientées vers la théologie par les pays donateurs. Un cursus inadapté aux besoins du marché du travail local : (…) Nos frères qui donnent les bourses ne pensent pas au développement, regrette l’imam. Je souhaite que nos enfants reviennent avec des connaissances théologiques mais aussi techniques pour devenir médecins, ingénieurs, (…).27 Face à des universités arabes de plus en plus tournées vers la seule promotion de l’islam et des sciences islamiques, certains promoteurs ont réussi à obtenir des bourses qui envisagent en parallèle d’autres formations : informatique, médecine, ingénierie, etc. Aussi grâce à un accord signé en 2003 entre le Centre de Recherches, d’Etudes Islamiques et d’Informatique de Douala et l’Université Sheikh Ahmad Kuftaro de Syrie, sept étudiants dudit centre bénéficient chaque année des bourses pour faire des études 24 Ce test est aussi connu dans les communautés musulmanes sous le nom de ‘‘concours de meilleur lecteur du Coran’’. 25 Cette révélation a été faite sous anonymat par un ancien boursier que nous avons rencontré au centre islamique El Hijal de Bonabéri, Douala. 26 Cheikh Malicki, entretien du 28 septembre 2006 à la mosquée de Bonamoussadi. 27 Ch.Nforgang, ‘‘ Cameroun : désillusion des anciens boursiers des pays arabes’’, Syfia International, (Cameroun), repris par Info Sud Belgique Agence de Presse du 28 décembre 2005. 199 supérieures dans plusieurs domaines en Syrie.28 De même cinq étudiants du même centre ont quitté Douala en 2005 pour la Turquie, afin de continuer leurs études à l’Ecole Supérieure Imam-Hatip d’Anatolie à Kayseri et à l’Institut Mustapha Germinli. Cette bourse est le fruit du développement de la coopération entre le Centre de Recherches, d’Etudes Islamiques et d’Informatique de Douala et la Turquie. En effet, au mois de novembre 2005, le ministère des Affaires Religieuses de Turquie avait organisé à Istanbul l’assemblée des leaders religieux des pays et des communautés musulmanes d’Afrique. C’est au cours de cette réunion que la Turquie et le Centre représenté par son recteur, Cheikh Ibrahim Njoya Moubarak se sont accordées pour œuvrer pour la paix et la mise en œuvre de la coopération au profit des populations dans les domaines de l’éducation, de la santé, de l’informatique et de la presse.29 Au-delà de la recherche de la connaissance, l’envoie d’étudiants en direction des centres religieux et universitaires du monde arabe marque aussi l’insertion de l’islam doualais dans la Oumma global. Ils sont souvent le fer de lance de ce qu’on pourrait appeler l’islam sous sa forme rigoriste30. D’après Doubla Avaly secrétaire national à l’éducation et à l’organisation de l’enseignement scolaire privé islamique au ministère de l’Education de Base31, près du tiers des quelques 150 à 200 ‘‘diplômés’’ des centres culturels islamiques implantés au Cameroun obtiennent une bourse universitaire arabe.32 Pour l’heure, les possibilités de reconversion restent encore très réduites. En dehors du prêche, les anciens boursiers enseignent l’Arabe ou le Coran dans les centres d’apprentissage privés, dans les écoles franco-islamiques, au sein des associations ou encore aux domiciles des musulmans huppés. Leur salaire mensuel y atteint péniblement 50 000 francs Cfa. D’autres s’installent dans le secteur informel. Les plus déçus finissent cependant par retourner dans les pays arabes dans l’espoir d’y trouver facilement un emploi correspondant à leur formation. Malgré les difficultés rencontrées par leurs aînés, les jeunes musulmans veulent toujours partir dans les pays arabes pour continuer leurs études malgré le chômage une 28 Voir Cameroon Tribune, Quotidien bilingue, n° 7937 / 4225 du 24 septembre 2003, p.13. Lire le quotidien Le Messager, n° 2474 du mercredi 10 octobre 2006, p. 3. 30 ‘‘L’intégrisme au porte du Cameroun’’, La Nouvelle Expression, 5 mai 2004, pp.8-9. 31 Voir sa biographie dans la section C de ce chapitre. 32 Doubla Avaly, propos recueillis lors de nos entretiens des 12 et 13 novembre 2008. 29 200 fois le diplôme en poche. Cet enrichissement de leur connaissance a, au sein de la communauté, une valeur symbolique importante. A leurs yeux en effet, celui qui parle, écrit l’Arabe ou dirige des prières est quelqu’un de respecter : Etudier soutient Cheikh Moukara33, c’est remplir un principe de l’islam. On ne va pas à l’école dans le but d’avoir du travail, mais de faire la volonté de Dieu. Il saura nous pourvoir du minimum vital.34 Les autres sources de motivation sont liées aux avantages liés aux bourses proposées. En effet, des pays arabes comme l’Arabie Saoudite offre entre 500 000 et 1. 000. 000 de francs Cfa par mois à chaque boursier.35 Cet argent lui est remis en totalité au terme de ses études. Ainsi grâce aux économies réalisées sur sa bourse de l’Université de Médine, Cheikh Mahamat Al Bachir a pu prendre femme et construire une villa de 8. 000. 000 de francs Cfa à ses parents.36 En parallèle à la création des centres culturels, l’espace religieux musulman de Douala enregistrait la création des associations qui expliquent également la dynamique islamique à Douala. B- Les associations islamiques de Douala : raison d’être et mode de fonctionnement Les associations islamiques au Cameroun naissent dans le contexte de la démocratisation suite à la loi sur la liberté d’association.37 L’émergence de ces nouvelles associations a encouragé une restructuration de la communauté autour de plusieurs types d’associations : les associations nationales qui incluent les démembrements provinciaux 33 Cheikh Moukara est diplômé de l’Institut Islamique de Louga au Sénégal, enseignant au Groupe Scolaire Privée Islamique Ibrahim, au Centre de Formation aux Etudes Islamiques Al Axa et imam. 34 Cheikh Moukara, entretien du 29 septembre 2006 au Centre de Formation aux Etudes Islamiques Al Axa à Bonapriso, Douala. Pour des situations similaires en Afrique de l’ouest, lire, M. Gomez-Perez et V. Lacabanne (textes rassemblés par), La diffusion des savoirs dans les Tiers-Mondes. Contraintes et perspectives, Paris, Publications Universitaires Denis Diderot, 1999, pp. 41-69. 35 Estimations de Doubla Avaly lors de notre entretien du 13 novembre 2008. 36 Entretien avec Cheikh Mahamat Al Bachir le 30 septembre 2006 à la mosquée d’Akwa. 37 Voir Loi n° 90/53 du 19 décembre 1990 portant sur la liberté d’association. 201 et départementaux ; les associations provinciales et enfin les associations indépendantes liées aux arrondissements et aux quartiers urbains.38 Depuis lors, Douala voit fleurir sur son territoire de multiples associations islamiques. En dresser une typologie est une tâche difficile voire impossible ; leur nombre ne cesse d’augmenter régulièrement, leur existence est parfois éphémère39 et certaines n’ont pas de statut officiel40. Plus que les chefferies, ces associations islamiques offrent aux musulmans un important cadre pour la manifestation de leur identité collective, un cadre d’insertion et d’intervention sociales. Elles sont d’autant plus intéressantes à étudier qu’elles sont source de débats dans la communauté islamique. La question de la place de l’islam dans la société est posée, les valeurs de l’islam sont défendues, les cours d’arabe sont dispensés, la solidarité est développée, etc. Les dirigeants de ces associations ne cessent d’organiser des rencontres, des causeries, des compagnes de sensibilisation, etc., dans l’un et l’autre lieu de Douala et parfois hors de la ville de Douala. L’objet des rencontres ne manquent pas de références économiques, socio-culturelles et politiques intéressant leurs peuples respectifs. Prosélytisme et actions socio-religieuses vont ainsi désormais de pair dans la mesure où la lecture attentive des statuts et des comptes rendus de fin de travaux révèle surtout des préoccupations relatives aux problèmes socio-économico-culturels et quelques fois politiques, surtout en ces temps ou ceux-ci se trouvent dramatiquement aggravés par ce qu’il est désormais convenu d’appeler la ‘‘paupérisation’’41. Quelle est la raison d’être et le mécanisme de 38 L’étude des associations religieuses et plus particulièrement islamiques, n’a pas encore pris une place importante dans le champ de la recherche au Cameroun. On peut cependant se référer aux écrits de H. Adama, ‘‘Islamic Associations in Cameroon : Betwen the Umma and the State’’, in B. Soares et R. Otayek (éds.), Islam and Muslim in Africa, Palgrave, Macmillan, 2007, pp. 227-241 et Islam au Cameroun. Entre tradition et modernité, Paris, L’Harmattan, 2004, pp. 165-177. 39 En raison d’objectifs flous, d’une organisation interne peu ou pas structurée ou tout simplement parce que l’association a été créée pour une action précise : la construction d’une mosquée de quartier ou le soutien politique, etc. 40 De nombreuses associations fonctionnent de manière pratique (informelle), sans existence juridique légale. D’ ailleurs la plupart des fondateurs des associations ne nous ont pas montré les attestations de légalisation au cours de nos enquêtes. Et, à notre connaissance, aucune source officielle (Préfecture, Souspréfecture, Ministère de l’administration territoriale) n’a dénombré les associations islamiques, ni sur l’ensemble du territoire camerounais, ni en zone urbaine. Cependant les statuts des associations enregistrées (légalisées) à Douala se trouvent dans les ‘‘Registres des associations au régime de déclaration’’ de la préfecture du Wouri, Bureau des associations. 41 Pour une meilleure intelligence de l’ampleur de la paupérisation au Cameroun en général et à Douala en particulier, lire entre autres E. de Rosny, ‘‘L’Afrique des migrations : les échappées de la jeunesse à Douala’’, Etudes, 2002-5, pp. 623-633; disponible aussi sur le lien internet, http:/www.cain.info/article- 202 fonctionnement de ce genre de regroupement ? Pour répondre à cette question, nous ferons la présentation de quelques associations en retenant plus particulièrement celles qui sont symboliques d’une nouvelle dynamique islamique Douala. B-1 Présentation des associations -L’Association Islamique pour la Promotion de l’Education et la Santé (ASIPES) Créée en 1994, la mutuelle de santé ASIPES comptait 1700 adhérents. Elle bénéficie depuis sa création de l’expertise et de l’appui financier de la Direction du Développement et de la Coopération (DDC) à Berne en Suisse, dans le cadre de ses soutiens au Réseau Dynamiques Africaines (DAF).42 En 2004, elle regroupait environ 8000 membres plus ou moins actifs.43 Au début, seuls les musulmans habitant la zone Nylon44 pouvaient être membres de l’association et bénéficier de ses services.45 Mais ‘‘Aujourd’hui, toute personne, quelle que soit son appartenance religieuse, peut adhérer, mais les membres non musulmans restent néanmoins l’exception (…). Les chefs traditionnels musulmans sont membres d’honneur. Ils assistent à l’assemblée générale’’46. De 25 francs CFA initialement, la cotisation est passée à 50 francs CFA par tête et par semaine. Cette somme est collectée tous les vendredis à la sortie de la mosquée par l’imam lui-même.47 L’association vit grâce à ces contributions des membres mais aussi des dons venant des membres d’honneur et de l’appui financier de la coopération suisse. php, consultée le 20 avril 2003; E. Mveng, ‘‘Paupérisation et développement en Afrique’’, Terroirs, Revue africaine de sciences sociales, no 001, mai 1992, pp. 111-119. 42 Voir Bulletin Von Medicus Mundi Schweiz, Nr. 79, Dezember 2000; disponible sur le lien internet http://www.medicusmundi.ch/nms/services/bulletin/bulletin200004/kap 02/09 boock.htm/-24; consulté le 22 juin 2003. 43 Estimations faite par Alphonse Um Boock, médecin-chef du district de santé de Nylon, Douala, Cameroun. Voir le lien internet http://www.medicusmundi.ch/nms/services/bulletin/bulletin200004/kap 02/09 boock.htm/-24; consulté le 22 juin 2003. 44 Avec près de 380.000 habitants, la zone Nylon est un des quartiers les plus peuplés de Douala. C’est un bidonville situé dans la banlieue de Douala. ‘‘La pauvreté y est très frappante, mais l’instinct de survie demeure fort. La couverture sanitaire reste très faible et les populations se déplacent sur de longues distances pour résoudre leurs problèmes de santé’’. Extrait du préambule du statut de l’ASIPES. 45 Article 8, statuts de l’ASIPES. 46 Voir Bulletin Von Medicus Mundi Schweiz, Nr. 79, Dezember 2000. 47 Voir le lien internet http://www.medicusmundi.ch/nms/services/bulletin/bulletin200004/kap 02/09 boock.htm/-24; consulté le 22 juin 2003. 203 La gestion des fonds est assurée par un ‘‘comité formé de membres importants’’48 de l’association. Afin de faciliter ses activités, l’ASIPES s’est dotée d’un statut légal ainsi que d’un règlement intérieur. Une convention de collaboration a été signée avec un centre de santé intégré, dans un premier temps, puis avec l’hôpital du district de Nylon. Cette convention prévoit entre autres un contrôle de la facturation des soins par l’association.49 Pour mieux répondre aux obligations de la mutuelle, des efforts importants ont été consentis pour adapter les soins dans toutes les structures sanitaires impliquées. Par exemple, les autorités sanitaires ont garanti que les femmes adhérentes ne peuvent être examinées que par un personnel médical féminin.50 D’une façon générale, des dispositions ont été prises pour assurer la disponibilité des médicaments essentiels. Les cotisations mensuelles sont ainsi passées de 170.000 francs CFA à 1.600.000 francs CFA par mois, traduisant de fait une forte adhésion de la population. Par contre, l’évolution du coût mensuel des factures est moins favorable, passant de 157.000 francs CFA pendant la première année (1994) à 2.800.000 francs CFA à la fin de l’année 1999.51 Selon le médecin-chef du district de santé de Nylon, environ 30% des adhérents utilisent mensuellement la mutuelle pour leurs problèmes de santé. Les maladies aigües telles que le paludisme qui constitue la première cause de consultation, consomment environ 70% des recettes de l’association, alors que les cas chroniques tels que la tuberculose absorbe moins de 10% des recettes. Ce qui montre bien que la mutuelle répond aux besoins réels de ses adhérents, pour lesquels la préoccupation majeure concerne les maladies aigües. D’autres maladies chroniques comme le diabète et l’hypertension concernent surtout les populations aisées, qui préfèrent se prendre en charge elles-mêmes.52 Si l’on compare l’évolution des recettes à celles des charges, la mutuelle est largement déficitaire malgré une augmentation de 50% de la cotisation par adhérent et l’accroissement du nombre de ces derniers. Mais comme les leaders communautaires, en 48 Extrait du statut de l’ASIPES. Voir Bulletin Von Medicus Mundi Schweiz, Nr. 79, Dezember 2000. 50 Voir aussi E. Kouokam Magne, ‘‘Identités religieuses et offre de soins privés: étude de deux centres de santé islamique’’, Communication au colloque international de l’Association Euro-Africaine pour l’Anthropologie du Changement Social et du Développement (APAD), Yaoundé, 11-14 octobre 2005. 51 Voir le lien internet http://www.medicusmundi.ch/nms/services/bulletin/bulletin200004/kap 02/09 boock.htm/-24; consulté le 22 juin 2003. 52 Voir le lien internet http://www.medicusmundi.ch/nms/services/bulletin/bulletin200004/kap 02/09 boock.htm/-24; consulté le 22 juin 2003. 49 204 particulier le chef haoussa du quartier -un homme d’affaires très aisé-, garantissent les déficits de trésorerie avec leurs propres ressources, les membres de cette association avaient entamé en 2004, une réflexion sur la vitalité de l’approche. Plusieurs possibilités étaient alors envisageables : -laisser le système fonctionner comme tel, le chef de quartier continuant à couvrir les déficits de trésorerie et/ou identifiant d’autres sources financières ; - augmenter la cotisation hebdomadaire, mesure qui n’est pas évidente car les capacités économiques des gens sont assez limitées ; -renforcer les activités promotionnelles et préventives pour réduire l’utilisation excessive des services de santé ; - redéfinir le type de prestations à couvrir par la mutuelle en excluant par exemple certaines prestations non vitales (circoncision) ; -les autorités sanitaires devraient poursuivre leurs efforts de rationalisation des soins afin de faire face aux maladies chroniques qui, jusqu’à présent, ne sont pas encore entièrement prises en charge.53 -Le Programme Islamique pour l’Assistance Humanitaire (PIAH) Créée en 1995 à Douala par Cheikh Mbombo Njoya Moubarak54, le sigle PIAH recouvre en réalité plusieurs secteurs d’activités qui ont une parenté d’esprit et d’objectifs, mais des applications différentes : le PIAH-formation et le PIAHpublication. PIAH-Formation Il s’agit essentiellement de causeries-débats. L’équipe d’animation propose en moyenne huit thèmes par an qui touchent aux problèmes de la communauté musulmane camerounaise en général et de Douala en particulier. Chaque série voit 150 à 200 participants, ou plus.55 Quelques thèmes abordés : le ‘‘séminaire de sensibilisation des ONGs du Littoral et du Sud-ouest sur les substances appauvrissant la couche d’ozone’’, tenu à Douala du 29 au 30 juin 199556 ; l’ ‘‘atelier sur le transfert de technologie pour les 53 Extrait du procès verbal de la ‘‘réunion annuelle du Comité de l’ASIPES’’ tenue le 27 juillet 2003 à la salle de conférence de la sous-préfecture de Douala IIIe. 54 Il porte aussi le titre de ‘‘Président du Directoire’’ ou ‘‘Recteur’’, qui couvre l’ensemble des activités du PIAH. Il est secondé par une secrétaire. Mais chaque secteur d’activité a un responsable qui lui est propre. 55 Entretien avec Aissatou Yadouko, journaliste, secrétaire permanente du PIAH le 7 mai 2004 à son bureau, au ‘‘Rond Point Deido’’ à Douala (lieu du premier siège du PIAH). 56 Voir le document intitulé ‘‘Le PIAH en quelques mots’’, archives du PIAH. 205 pays africains francophones’’ à l’hôtel Sawa du 27 au 29 février 1996 en collaboration avec la Caisse Française de Développement57 ; ‘‘les mariages précoces comme facteur de sous-développement’’58 ; ‘‘le mariage religieux en milieu laïc et le sida’’59, ‘‘examens prénuptiaux et VIH/Sida’’60, ‘‘Hommes et Femmes du XXIème siècle : pour une société camerounaise plus juste et plus harmonieuse’’61 ; ‘‘la dégradation des mœurs en milieu musulmans’’62, etc. Pour offrir un tel éventail de sujets à l’opinion, le PIAH fait appel aux conférenciers et des cadres arabophones, francophones musulmans et chrétiens. De part la constitution des membres qui animent souvent ces activités, on assure l’approche pluraliste et libre du PIAH. Le centre assure aussi la formation des jeunes musulmans en informatique. Les moniteurs sont des différents quartiers de Douala, des élèves et universitaires choisis parmi les meilleurs de l’Association des clubs islamiques des lycées et collèges de Douala. Tous sont formés en stage accéléré. Pour l’année 1999 par exemple, plus de 200 jeunes, filles et garçons ont fréquenté le centre.63 De ce point de vue, le PIAH est aussi un remède à un fléau social : la délinquance juvénile. PIAH-Publications Dans l’effort d’amener les fidèles musulmans vers des réalités quotidiennes, les résultats des débats, des séminaires, des conférences, etc. sont rendus publics et commentés par l’hebdomadaire El Qiblah du PIAH, journal placé sous la responsabilité directe du recteur qui est par ailleurs directeur de publication. Cet hebdomadaire d’investigation, d’information et de débat sur le monde musulman autant national qu’international est publié en Français, en Anglais et en Arabe. Il est enregistré et légalisé conformément à la législation camerounaise sur la presse privée. A l’aide de sa page centrale, ce journal effectue l’enseignement de l’Arabe à distance. D’autres journaux nationaux commentent, à l’occasion, certaines activités du PIAH. Il s’agit aussi souvent des brochures allant de 20 à 50 pages et des CDs vidéo. Ces publications jouissent d’une 57 Ibid. Ibid. 59 Conférence donnée au siège du PIAH le 10 septembre 2003. 60 Conférence donnée le 12 novembre 2003 à l’hôtel Hilton à Yaoundé. 61 Conférence du 6 mars 2000 dans la salle de fête d’Akwa/Douala en préparation de la ‘‘Journée Internationale de la Femme’’ du 8 mars 2000. Voir le texte de la conférence en annexe no 3. 62 Conférence donnée le 8 février 2005 à l’hôtel Akwa-Palace, en préparation à la fête de la jeuneuse célébrée chaque 11 février au Cameroun. Voir le compte-rendu de cette conférence dans Cameroon Tribune, quotidien bilingue du 9 février 2005, p. 12. 63 Voir le discours du Président du Directoire lors de la remise des attestations aux lauréats du premier séminaire d’imprégnation des jeunes à l’outil informatique en annexe no 4. 58 206 large diffusion et publicité, surtout au sein de la communauté musulmane. Des comptes rendus sont faits sur son site web (www.geocities.com/ipdhas), dans les radios et les télévisions privées locales mais aussi à la télévision nationale, lors des émissions spécialisées sur l’islam. Entre 1995 et 2006, le PIAH a connu un progrès constant. Le contexte national n’a pas toujours permis de réaliser leurs objectifs au rythme fixé. Mais une évolution est discernable dans le sens d’une meilleure appréhension des problèmes de la communauté musulmane de Douala dans le souci d’une prise de responsabilité. Vu dans son ensemble, le travail du PIAH est porté par l’idéal ‘‘musulman et le bénévolat de tous les collaborateurs du recteur’’64, auquel il faut ajouter le but visé qui est de : relever le musulman au rang de ceux qui participent efficacement à la construction d’une nation pacifique et prospère mais aussi un monde de solidarité sans limite. Un monde dépouillé des velléités tels que le terrorisme, la corruption, le grand banditisme, l’analphabétisme, etc.65 Une nouvelle étape arrive de promouvoir une qualité professionnelle en rapport avec des actions de développement à la base, et l’installation des structures plus opérationnelles en coopération avec la Fondation d’Aide Humanitaire Islamique (IHH) basée en Turquie. En effet, cette dernière procède grâce à la ‘‘charité turque’’ à la réalisation des projets qui correspondent aux besoins sociaux des musulmans doualais : -un imposant immeuble-siège du PIAH qui occupe une superficie de 450 m2 au quartier New-Town/aéroport (voir photographie no 4) et où sont logés le Centre de Recherche, d’Etudes Islamiques et d’Informatique et une nouvelle bibliothèque ; -l’école ‘‘Serefoglu Kulliyyah’’ en construction sur une superficie de 2048 m2 et va fournir aux jeunes un nouvel établissement d’enseignement franco-islamique ; -l’IHH assure également la construction d’un hôpital nommé ‘‘Hôpital Islamique de Douala’’ pour fournir aux croyants des services médicaux modernes, en conformité avec les pratiques islamiques ; 64 Propos de Aissatou Yadouko, journaliste, secrétaire permanente du PIAH, recueillis le 7 mai 2004 à son bureau, au ‘‘Rond Point Deido’’. 65 Voir le document intitulé ‘‘Le PIAH en quelques mots’’, archives du PIAH. 207 208 -la fondation IHH a enfin été sollicitée pour la construction d’un orphelinat et d’une nouvelle mosquée nommée ‘‘Mosquée Osman Gazi’’. Cette mosquée, une fois terminée, procurera aux musulmans de la ville une salle de prière supplémentaire. En matière de réalisations et comparativement aux autres associations islamiques basées à Douala, le PIAH constitue un exemple de dynamisme enviable. Cette organisation possède en effet ses propres installations infrastructurelles. Celles-ci abritent plusieurs services qui interviennent dans plusieurs domaines (éducation, santé, formation, communication, etc.) -L’Association des Femmes Dynamiques Musulmanes de Douala (AFDMD) Cette association est créée en 1996 à l’initiative de quelques femmes musulmanes de Douala. Son siège est à Bonapriso et sa devise est : ‘‘Entente-Entraide-Solidarité’’. Elle siège le dernier samedi de chaque mois. Elle a pour but d’aider en cas d’évènement heureux (mariage, baptême, naissance, etc.) ou malheureux (maladie, décès, etc.). A cet effet, cette association anime à travers des chansons les cérémonies funéraires, les baptêmes et surtout la célébration du Maouloud. L’AFDMD à aussi pour rôle de promouvoir la femme selon les normes musulmanes, de balayer les préjugés et les images inexactes véhiculées sur la femme musulmane car selon sa présidente Hawa Safia, ‘‘l’image véhiculée sur la femme musulmane n’est pas exacte (…) trop de préjugés sur la place de la femme dans l’islam (…) préjugés alimentés par les médias qui ignorent euxmêmes tout de l’islam’’66. Mais, ‘‘la réalité quotidienne détermine elle-même les projets et nous adoptons les méthodes et les voies appropriées pour les atteindre’’67. Son implantation à Bonapriso au cœur d’un quartier chic l’a rendu élitiste. De 12 membres au départ, elle ne comptait que 32 membres en 2005. Pourtant, dans les dispositions de son statut, elle rassemble ‘‘toutes les femmes musulmanes camerounaises et étrangères de Douala’’68. L’accord de l’époux est un préalable pour adhérer à l’association et le port du voile est obligatoire lors des réunions. Dans la rubrique réalisation, l’AFDMD a ouvert une boutique de vente de pagnes au quartier New-Bell depuis 1998. Elle accorde des prêts sans intérêt d’une valeur 66 Extrait d’un entretien accordé Par madame Hawa Safia au journaliste El Hadj Daouda Kouotouo et diffusé à la CRTV-télévision, le 25 novembre 2003 dans le cadre de l’émission ‘‘Connaissance de l’islam’’. 67 Ibid. 68 Article 3 du statut de l’AFDMD. 209 nominale de 500.000 francs CFA à ses membres remboursables à partir du cinquième mois après le prêt. Elle a aussi participé financièrement à la construction de la mosquée de Mabanda dans l’arrondissement de Douala IVe et de celle de Bonamoussadi dans l’arrondissement de Douala Ve; elle a en outre fait des dons de tables-bancs à l’école franco-arabe de New-Bell. A l’occasion de la fête du ramadan 2004, cette association avait organisé une conférence sur ‘‘La place de la femme dans l’Islam’’ à la salle des fêtes d’Akwa. Depuis sa création, elle fait des dons de nourriture à la prison centrale de New-Bell à l’occasion de chaque fête de ramadan. -Association Nationale des Jeunes Musulmans du Cameroun (ANJMC) L’ANJMC comme son nom l’indique est une association de jeunes musulmans basée à Douala. Créée en 1998 elle a pour ambition de ‘‘prendre en charge d’autres jeunes, promouvoir l’éducation des musulmans, encadrer le citoyen de demain’’69 et de sortir ‘‘les jeunes musulmans camerounais des geôles de l’analphabétisme’’70. Depuis sa création, cette association organise à chaque rentrée scolaire une cérémonie de remise de prix aux élèves et étudiants musulmans les plus méritants de la capitale économique du Cameroun. Constitués des fournitures scolaires et des espèces sonnantes, ces prix sont ‘‘généreusement offerts par les élites musulmanes qui ne ménagent aucun effort pour la réussite de nos évènements’’71. De 145 lauréats au lancement de cette opération en 2002, les lauréats étaient au nombre de 200 en 2003 ; de 237 en 2004 et de 331 en 2005. Le 4 septembre 2005, la cérémonie de remise de prix s’était déroulée devant l’esplanade du service social de New-Bell, en présence ‘‘de nombreux invités, du chef haoussa de NewBell et du chef de la division administrative et juridique de la province du Littoral, Didier Bidia’’72. Ce dernier avait ‘‘exhorté les participants à s’unir autour de cet idéal de solidarité’’ et souhaiter ‘‘que cette initiative des élites originaires du septentrion fasse tache d’huile’’73. Selon Mohammadou Yacoubou président de l’ANJMC, 69 Propos de Mohammadou Yacoubou, président de l’ANJMC recueillis le 16 septembre 2004 à New-Bell. Expressions de Ma’azu Daihiru, membre du bureau national de l’ANJMC. Voir le lien internet htt://www.fr.allafrica.com/stories/20040829093.htm, consulté le 16 septembre 2004. 71 Ibid. 72 Le Messager, no 1966 du 16 septembre 2005, p.7. 73 Ibid. 70 210 C’est une façon pour nous de lutter contre l’analphabétisme et la pauvreté au sein de nos populations. Nous voulons par ces actes, que l’éduction rentre jusque dans nos réflexes (…) nous exhortons les parents à envoyer leurs enfants à l’école, notamment les jeunes filles lorsqu’on pense au sort qui leur est souvent réservé dès leur plus jeune âge.74 Quant aux bénéficiaires, ils s’estiment toujours heureux. Aminatou Yaya, lauréate au baccalauréat 2005 déclarait par exemple : ‘‘je suis heureuse de recevoir ces prix. C’est une bouffée d’oxygène pour mes parents’’75. Dans la même logique, l’ANJMC organise depuis 2004, à la salle de conférence du parti (RDPC) de New-Bell/Makéa, un coin du quartier New-Bell à Douala IIe ‘‘une foire contre la vie chère’’ pendant la période de Ramadan. Des denrées alimentaires tels que le riz, l’huile, le savon, des boissons hygiéniques, etc. sont exposés. Des clients viennent faire des emplettes. Les raisons de l’organisation de cette foire sont essentiellement économiques : ‘‘nous avons constaté qu’à la veille et pendant le Ramadan, une flambée des prix est pratiquée sur les produits alimentaires de première nécessité’’76. A ces occasions, des hôtesses, actives dans les stands revêtus aux couleurs des entreprises partenaires n’hésitent pas à proposer leurs produits aux personnes qui ont investi les lieux : Ici on trouve des sacs de riz de 50 kilogrammes dont les prix oscillent entre 15.000 Francs et 17.000 Francs Cfa. Le même produit varie entre 16.500 et 22.000 frs sur le marché. Des paquets de sucres sont vendus à 500frs Cfa alors qu’ils coûtent 700 à 750 sur les marchés. Des huiles végétales, des pattes alimentaires en plusieurs gammes, sont également proposées.77 Comme on le constate, les prix pratiqués durant ces foires organisées en partenariat avec certaines entreprises basées à Douala ne sont pas toujours homologués par les services du commerce. Les clients qui font des achats bénéficient ainsi, en plus des prix promotion, de quelques réductions. 74 Ibid. Ibid. 76 Ma’azu Daihiru, membre du bureau national de l’ANJMC. Voir le lien internet htt://www.fr.allafrica.com/stories/20040829093.html, consulté le 16 septembre 2004. 77 Propos d’Abdoul Aziz, un des responsables marketing de ces foires. Voir le lien internet htt://www.fr.allafrica.com/stories/20040829093.html, consulté le 16 septembre 2004. 75 211 Enfin, pendant les vacances scolaires, l’ANJMC organise des activités sportives et culturelles. Les membres se déplacent aussi pour aller rencontrer et fraterniser avec d’autres jeunes musulmans. Aussi, sont-ils souvent allés à Nkongsamba et à Ngaoundéré. -Le Groupe de Mères Croyantes de Douala (GMCD) Créé en 2002, le GMCD a son siège au quartier ‘‘BP Cité’’. Il regroupe les femmes musulmanes, mariées et célibataires. Elles siègent tous les dimanches chez l’une des membres. Ses objectifs sont : spirituels (piété et dévouement à Allah) ; socio-culturel (solidarité, éducation et promotion de la femme musulmane) et économique (entraide et rôle de la femme musulmane dans le processus de développement). Selon la présidente du GMCD, ‘‘les femmes musulmanes ne sont pas indépendantes, beaucoup sont mariées et leurs maris sont toujours réticents, d’où des descentes sur le terrain pour la sensibilisation des femmes et leurs maris’’78. Cette association a participé aux manifestations de la ‘‘journée internationale de la femme’’ en mars 2003 et a organisé en novembre 2004 une ‘‘soirée de prière et de sensibilisation de la femme musulmane contre les MST/Sida’’. En simplifiant, les statuts du GMCD expriment les opinions fondamentales qui sous-tendent ses activités en trois mots : Développement, Rencontre et Dialogue. -Développement veut dire que les femmes musulmanes agissent pour un ‘‘progrès global et participé’’ ; le ‘‘progrès’’ indiquant la transformation des mentalités qui s’exprime dans ‘‘un changement des méthodes et des modes de vie’’ ; ‘‘global’’ parce que le progrès recherché est celui de tous ‘‘les Hommes’’ et accompli dans toutes ces dimensions ‘‘économiques, sociales et humaines’’ alors que ‘‘participé’’ signifie que tous, hommes et femmes assument eux-mêmes la responsabilité de cette transformation.79 -Rencontre parce que l’association se veut être un lieu de contacts, de réflexions autour des problèmes concrets de la femme musulmane du Cameroun en général et de celle de Douala en particulier. Elle favorise les ‘‘relations entres femmes musulmanes de professions différentes, d’origine diverses, les mettant à même de confronter leurs vues et d’élargir leurs perspectives’’80. 78 Extrait d’un entretien accordé par madame Hawa Safia au journaliste El Hadj Daouda Kouotouo et diffusé à la CRTV-télévision le 25 novembre 2003, dans le cadre de l’émission ‘‘Connaissance de l’islam’’. 79 Synthèse des statuts de l’AFDMD. 80 Ibid. 212 -Dialogue parce que l’association est ouverte à toutes les femmes, adultes et jeunes, célibataires ou mariées, intéressées par les objectifs de l’association, ‘‘dépassant les particularismes et les frontières ethniques étroites pour se mettre au service de la femme musulmane’’. L’association se veut un lieu de dialogue entre générations, entre les personnes, ‘‘un arbre à palabres parmi les femmes musulmanes’’81. Nous avons, à dessein, cité ces exemples d’associations pour présenter les associations islamiques basées à Douala dans leur agir quotidien. Elles participent à déterminer et à cristalliser la conscience islamique à Douala et permettent d’évaluer leur influence dans la sphère sociale. B-2 Les associations musulmanes de Douala : entre réformes sociales et prosélytisme Il ressort de la présentation qui précède que l’intervention des associations islamiques dans le champ social est marquée par des activités d’éducation à travers des conférences, des séminaires, des causeries éducatives, des réunions sur des thèmes divers ; le financement des services de santé, de l’éducation et de la construction des mosquées etc. Il s’agit, pour ces associations, d’élever aussi le niveau de connaissance religieuse et morale de leurs membres, de s’entraider, de venir en aide aux pauvres, aux démunis, etc. Bien que le phénomène associatif ne soit ni spécifique à Douala82 ni même au Cameroun83, La création de ces nouvelles associations présage aussi de la volonté de leurs fondateurs de mettre sur pied des structures représentatives, en faisant fi des barrières liées au genre et à l’âge, en intégrant surtout des jeunes musulmans et les femmes. Elles offrent par ailleurs des solutions proprement islamiques. Il s’agit de s’occuper de la gestion des problèmes liés à la pratique et à l’observation des principes 81 Ibid. Sur d’autres études de ce phénomène dans d’autres régions du Cameroun, voir entre autres, H. Adama, ‘‘Islamic Associations in Cameroon : Betwen the Umma and the State’’, 2007, pp. 227-241; L’Islam au Cameroun, 2004, pp. 165-177 et la Thèse/Ph.D de S. Mane, ‘‘Islam et société dans la région Mbam (Centre Cameroun), XIXe-XXe siècles’’, Université de Yaoundé, 2005-2006, pp. 192-205. 83 Pour les cas de la Côte D’ivoire et du Sénégal par exemple, voir la thèse publiée de M. Miran, Islam, histoire et modernité en Côte d’Ivoire, Paris, Karthala, 2006 et M. Gomez-Perez, ‘‘Les associations islamiques à Dakar’’, in O. Kane et J.L. Triaud (s.d.), Islam et islamisme au Sud du Sahara, Paris, IremamKarthala-MSH, 1998, pp. 137-153. 82 213 islamiques, des problèmes socio-économiques des musulmans. Elles inscrivent comme priorité l’éducation, l’entre aide, la solidarité, la lutte contre la pauvreté, etc. Les leaders de ces associations ont ainsi combiné la démarche intellectuelle et populaire dans leurs solutions.84 Sous leur impulsion, les communautés locales liées aux mosquées et/ou centres de santé se développent dans les quartiers de Douala. Ces communautés vont prendre des initiatives pour ‘‘sensibiliser’’ leur coreligionnaire. A la différence de l’ACIC longtemps restée prisonnière de ses structures et minée par les hommes politiques, elles sont fondées sur des organisations de quartier ou d’arrondissement et ont un contact étroit avec la population. Elles interviennent de près dans les affaires locales. Elles gèrent des programmes locaux tout à fait indépendants de l’Etat qui offrent des services sociaux, notamment une assistance sociale : dons dans les prisons, les hôpitaux, les écoles, les orphelinats, entretien des cimetières musulmans, etc. surtout pendant les périodes de fêtes religieuses. Ces activités qui se substituent dans certains cas à l’Etat défaillant, sont généralement financées par les contributions des membres actifs, des sympathisants, des ‘‘membres d’honneur’’ auxquelles s’ajoutent la vente des produits issus de diverses activités menées au sein de ces structures associatives. Là aussi, elles sont beaucoup plus proches des besoins des pauvres que les politiques. Elles sont animées par la foi et l’idéologie musulmane. Les regroupements des femmes et des jeunes ont tout à la fois pour but de permettre à ces deniers de se retrouver mais également sur les plans économique et social de ‘‘s’entraider et de se soutenir’’. C’est aussi dans cette sociabilité musulmane que certains retrouvent un minimum de protection, de direction intellectuelle et spirituelle, de solidarité. C’est là que ceux qui en l’absence des moyens institutionnels, les ‘‘gens d’en bas’’ peuvent se faire entendre de quelque manière. Ces associations permettent aussi aux femmes de trouver un espace de liberté qui est à la frontière entre le public et le privé, un espace d’action en organisant des conférences, des causeries éducatives, etc., un espace 84 Cette démarche n’est pas spécifique à Douala. Voir par exemple A. Piga, ‘‘Trajectoires et tendances des associations islamistes au Sénégal contemporain’’, in A. Piga (s.d.), Les voies du soufisme au sud du Sahara. Parcours historiques et anthropologiques, Paris, Karthala, 2006, pp. 279-311 et M. Miran, ‘‘Les associations islamiques en Côte d’Ivoire’’, communication présentée aux journées d’études internationales : ‘‘L’islam politique en Afrique subsaharienne d’hier à aujourd’hui : discours, trajectoires et réseaux’’, Laboratoire Sedet, Université Paris-7-Denis-Diderot/CNRS, Paris, 28-29 octobre 2002. 214 de solidarité en zone urbaine en organisant des tontines, en définitive un espace qui confère à ces femmes une légitimité sociale et religieuse.85 A travers ces associations, les femmes deviennent des actrices à part entière de la société et non plus des ‘‘sujets’’86. Elles participent tout comme les hommes à la dynamique sociale et culturelle de l’islam. Au sein des associations féminines musulmanes, la femme est aussi au centre du prosélytisme, du processus de formation spirituelle et de l’apprentissage de la langue arabe. En effet, au plan éducatif, les associations féminines mettent l’accent sur la formation spirituelle et temporelle de leurs membres. Pendant les réunions hebdomadaires ou mensuelles qu’elles tiennent, des cours de religion et d’alphabétisation sont dispensés à leurs membres. Ces initiatives sont doublement bénéfiques pour les femmes musulmanes : elles leur permettent de mieux connaître leur religion pour mieux la pratiquer et d’être alphabétisées pour mieux s’insérer dans la société. Il s’agit par conséquent des enseignements qui assurent à ces femmes un équilibre vital. Ainsi, la croyante moderne ne peut plus justifier son ignorance en matière islamique. Dans cette perspective, les anciens discours conservateurs qui appelaient à l’obéissance et à la soumission de la femme musulmane et mettaient l’accent sur la place réservée aux femmes dans la société en tant que responsable du foyer, de l’éducation des enfants, de la préservation et de la transmission des valeurs morales deviennent de plus en plus dépassés.87 Les femmes elles-mêmes étudient le Coran et la loi islamique à travers les associations. Elles sont dynamiques dans les différentes organisations. Elles conduisent des voitures ; certaines, lettrées, travaillent. A partir de ces quinze dernières années, un 85 Pour une approche comparative sur femmes et associations, le lecteur pourra se référer aux travaux de E. Augis, ‘‘Dakar’s Sunnite Women : the Politics of Person’’, in M.Gomez-Perez (s.d.), L’islam politique au sud du Sahara. Identités, discours et enjeux, Paris, Karthala, 2005, pp. 209-326 et C. Cantone, ‘‘ ‘‘Radicalisme’’ au féminin ? Les filles voilées et l’appropriation de l’espace dans les mosquées de Dakar’’, in M. Gomez-Perez (s.d.), L’islam politique au sud du Sahara, pp. 120-130 pour le Sénégal ; de M.N. LeBlanc, ‘‘Imaniya and Young Muslim Women in Côte d’Ivoire’’, Anthropologica, 49, 2007, pp. 35-50 pour la Côte d’Ivoire. 86 Voir G.L.Taguem Fah, ‘‘Pouvoir du savoir, renouveau islamique et luttes politiques au Cameroun’’, in M. Gomez-Perez (s.d.), L’islam politique au sud du Sahara, 2005, pp. 557-581. 87 Le rôle des femmes est l’un des aspects de la pensée islamique les plus critiques. L’islam est engagé de fait dans un grand débat sur cette question, même si une vision conservatrice continue de dominer. Une partie du dilemme provient non pas tant des principes de l’islam que de certaines interprétations extrêmement conservatrices considérées à dessein comme des ‘‘coutumes islamiques’’. Voir, entre autres Mansour Fahmy, La condition de la femme dans l’islam, Paris, Editions Allia, 2002; Asma Lamrabet, Musulmane tout simplement, Lyon, 2002 et Nifuler Golfe, Musulmanes et modernes, Paris, La Découverte, 1993 et O. Reveyrand-Coulon, ‘‘Les énoncés féminins de l’islam’’, in J.F. Bayart (éd.), Religion et modernité en Afrique noire, Paris, Karthala, 1993, pp. 63-100. 215 nombre grandissant de ‘‘féministes musulmanes’’ a émergé à Douala, souhaitant que l’islam soit appliqué en conformité avec l’évolution de la société et non de la coutume. Le niveau d’éducation ainsi que la maîtrise des principes ‘‘éthico-normatifs de l’islam’’88 par certaines musulmanes leaders d’associations font qu’elles organisent parfois des débats et conférences qu’elles animent avec sagacité. Le 16 mai 2006 par exemple, l’Association des Femmes de l’Union Islamique du Cameroun (AFUIC), section féminine de l’UIC avait organisé en partenariat avec l’Association Camerounaise des Femmes Juristes (ACAFEJ) une conférence à New- Bell sur le thème ‘‘Le mariage islamique : la part de la femme et de la jeune fille dans l’héritage’’89. Bien plus, les témoignages de certaines femmes que nous avons recueillis au cours de nos enquêtes montrent comment elles sont tiraillées entre préceptes religieux et principes de la vie moderne, entre polygamie et le fait d’essayer de concilier maternité, travail et foi.90 Il y a bien là une certaine évolution du statut de la femme, résultat d’une maturation et d’une dynamique lente, mais qui sont à l’œuvre. En outre, les dons faits par certaines de ces associations à l’occasion de la rupture du jeûne du mois de ramadan s’apparentent aussi à une autre forme d’aumône à caractère charitable. Des actions concrètes sont ainsi posées en faveur des plus démunis et des nécessiteux : dons des produits alimentaires dans les prisons ; des médicaments de premier soin dans les dispensaires et les orphelinats ; du matériel didactique dans les écoles franco-arabes, etc. Dans les quartiers, des démarches populaires ayant un contact étroit avec la population sont engagées tels que le nettoyage des rues et des caniveaux, l’entretien des mosquées, des cimetières, etc. De ce point de vue, ces actions concrètes constituent une forme de zakât à l’échelle du local. Elle est encore timide, mais prend de plus en plus de l’ampleur. Ce côté créatif et innovateur des musulmans traduit aussi leur aptitude à transcender la logique individualiste pour développer des structures d’entraide comme les associations, les tontines et sur sa réinterprétation des traditions. On peut aussi identifier 88 Nous empruntons cette expression à J.P. Charnay, dans son maître-livre Sociologie religieuse de l’islam, 1994. 89 Voir Cameroon Tribune, quotidien bilingue du 17 mai 2006. 90 Voir dans le même sens M.N. LeBlanc, ‘‘Imaniya and Young Muslim Women in Côte d’Ivoire’’, Anthropologica, no 29, 2007, pp. 35-50 et M.B. Savadogo, ‘‘L’intervention des associations musulmanes dans le champ politique et social en Côte d’Ivoire depuis 1990’’, in M. Gomez-Perez (s.d.), L’islam politique au sud du Sahara, 2005, pp. 583-600. 216 dans l’imaginaire de solidarité, d’entraide qui se manifeste dans ces actes, les signes et les langages, une manière autre d’être qui se déploie et transforme la société en la réinventant.91 Ainsi, la forme essentielle de l’inscription des associations musulmanes de Douala dans la sphère publique relève de l’activisme social. Elles multiplient des initiatives sur le terrain de l’éducation, de la santé, de la charité, de la vie de la famille et du quartier, etc. Cet investissement dans la vie quotidienne de Douala a à voir avec de nouvelles formes de citoyenneté que la démission de l’Etat à la base a suscitée. Autrement dit, l’analyse de l’élargissement du panel des activités des associations islamiques pallient quelque fois la déficience de l’Etat. Le cas des associations musulmanes qui ont retenu notre attention dans cette section est de ce point de vue très significatif, d’autant plus quelles permettent à leurs adhérents de base d’être de plus en plus autonomes. On peut donc y voir une certaine liberté individuelle. Toutefois, l’existence des associations ne suffit pas à elle seule. Il faut surtout des personnes dynamiques, disponibles et intègres pour les faire marcher. Au demeurant, la dynamique de la communauté musulmane de Douala ne peut être saisie dans son évolution récente que si l’on accorde aussi un rôle déterminant aux nouvelles offres d’éducation privée islamique. C- ISLAM ET SCOLARISATION A DOUALA COMMENT NE PAS ETRE MARGINALISE : UN ENJEU TOUJOURS D’ACTUALITE OU L’enseignement arabo-islamique tient toujours une place importante au sein de la communauté musulmane de Douala. Cette section contribue à étudier l’éducation privée islamique, telle que celle-ci se reproduit sur le sol de Douala depuis la nouvelle loi sur l’éducation de 199092. 91 Cf.J.M. Ela, Innovation sociale et renaissance de l’Afrique. Les défis du monde d’en bas, Paris, L’Harmattan, 1998. 92 Cf. Décret no 90/1461 du 09 novembre 1990 portant création, ouverture et fonctionnement des établissements privés 217 C-1 Emergence d’une nouvelle organisation On sait maintenant que l’ACIC n’a pas été à la hauteur des espoirs placés en elle pour le développement de l’enseignement islamique, du moins à Douala.93 Ainsi, à l’ancienne structure chargée de la gestion des écoles privées islamiques (ACIC), s’étaient greffées d’autres, notamment l’Organisation Nationale de l’Enseignement Privé Islamique (ONEPI) créée en 1997 et l’Organisation des Etablissements Scolaires Privés Islamiques (OESPI) créée en 1999. Cependant, entre 1999 et 2003, il existait dans la pratique une querelle de leadership entre Doubla Avaly, président de l’OESPI et Nji Pepeme Njifon Moussa de l’ONEPI. La communauté éducative islamique et les pouvoirs publics étaient tout aussi désemparés de voir dans les médias publics et privés, chacune des deux personnalités parler à tour de rôle au nom de l’enseignement privé islamique. En effet, ces organisations se révélaient souvent moins des lieux de promotion des activités éducationnelles communes que comme des nouveaux lieux de lutte pour le pouvoir et surtout le contrôle des ressources stratégiques -les fonds d’origine arabe et des lobbies musulmans internationaux par exemple- : Selon des sources de la cellule juridique du Minéduc, Nji Pepeme avait été reconnu coupable des malversations financières avec la distraction d’une somme de 210 millions de francs Cfa libérée par la Banque Islamique de Développement (BID) pour soutenir l’enseignement islamique au Cameroun. En sa qualité de responsable de l’époque à qui revenait la gestion des subventions des établissements privées islamiques, cet argent avait été décaissé et détourné de sa finalité originelle pour une destination non encore élucidée par l’accusé.94 Ces deux associations étaient donc traversées par des luttes fonctionnelles et faisaient l’objet de griefs de la part des musulmans de base qui s’estimaient mis à l’écart, considéraient que ces organisations ne défendaient pas l’intérêt général de l’islam mais les intérêts de ceux qui les dirigent, que la gestion n’était pas honnête dans la mesure où les aides des pays arabes étaient détournées au profit des intérêts privés, etc. A la longue, ces accusations ont eu un impact négatif sur l’esprit des musulmans et le fonctionnement 93 94 Voir quatrième chapitre, section C. Voir Mutations, no 975 du jeudi 28 août 2003, p. 4. 218 des écoles privées islamiques si bien que l’Etat a dû, le 27 août 2003, prendre position en faveur de l’OESPI de Doubla Avaly, sous la forme d’une décision prise par le ministre de l’Education Nationale, Joseph Owona qui désavouait l’ONEPI en ces termes: NJi Pememe Njifon Moussa, ainsi que la prétendue Organisation Nationale de l’Enseignement Privé Islamique, en abrégé ONEPI, dont il exige de la qualité de président, ne représente légalement rien, ni personne.95 La décision du ministre soulignait par ailleurs que : L’Organisation des Etablissements Scolaires Privés Islamiques (OESPI), est la seule organisation chargée de défendre les intérêts de cet ordre d’enseignement, représenté dans les actes de la vie civile par Doubla Avaly.96 N’ayant pas pu justifier l’utilisation des fonds débloqués par le BID97, ce communiqué venait ainsi mettre un terme à la querelle de leadership au sein de la communauté musulmane sur la question de l’éducation. H. Adama résume fort bien le choix porté sur Doubla Avaly et son organisation comme le désormais représentant de l’enseignement islamique reconnu comme tel par le ministère de l’Education Nationale. Pour lui en effet, ce choix s’explique par l’impulsion que Doubla Avaly donne à l’enseignement privé islamique, son franc-parler et par son engagement personnel et constant au redressement, à l’assainissement et à la rénovation des structures de gestion de l’ACIC, la plus ancienne et la plus représentative de la communauté musulmane camerounaise. A plusieurs occasions, cet enseignant de chimie inorganique à l’Université de Yaoundé I s’était fait remarquer à travers un réquisitoire sans appel sur les dérives et la mégalomanie des responsables en charge tant de la gestion des établissements scolaires 95 Lire le texte intégral dans le quotidien Mutations, n° 975 du jeudi 28 août 2003, p.4. Et pour une brève notice biographique de Doubla Avaly et son rôle dans la reforme des écoles franco-arabes au Cameroun, voir H. Adama, L’islam au Cameroun, pp. 132-138. 96 Ibid. 97 Le ministère de l’Education Nationale avait par ailleurs porté plainte contre Nji Pepeme Moussa pour ‘‘détournement des fonds publics’’. L’affaire était encore pendante devant les tribunaux de première et de grande instance de Yaoundé. Cf. Mutations, no 975 du jeudi 28 août 2003, p. 4. 219 que de celle des lieux de cultes musulmans. Dans sa lutte contre les apparatchiks, il s’était entouré de cadres musulmans arabophones, francophones et anglophones.98 Une fois la victoire acquise, l’OESPI se positionne comme la seule et unique structure habilitée à gérer le secteur de l’enseignement privé islamique au Cameroun.99 L’ACIC perdait ainsi l’une de ses plus importantes prérogatives et se trouvait de fait, placée sous la tutelle de l’OESPI. En stimulant la mise en place de l’OESPI et en confiant la gestion de celle-ci à de jeunes intellectuels musulmans, le gouvernement camerounais cherchait ainsi à mettre de l’ordre dans un secteur éducatif qui commençait déjà à s’émanciper de son autorité en développant ses propres programmes.100 C’est cette ‘‘nouvelle équipe non issue du milieu des arabisants’’101 qui fut chargée entre autre de la réhabilitation de l’enseignement franco-arabe qui se trouvait dans une situation pour le moins chaotique. L’école franco-arabe de Douala particulièrement se trouvait dans un état défectueux, de délabrement assez avancé102 et plongée dans une profonde crise éducative103. La nouvelle équipe coordonnée par Doubla Avaly s’engage donc à rectifier l’incapacité de l’ACIC et de l’ONEPI. Pour le faire, la nouvelle équipe de l’OESPI procède à un nouveau découpage des secrétariats à l’éducation islamique : Adamaoua ; Extrême-Nord ; Centre, Sud et Est ; Nord-Ouest ; Littoral et Sud-ouest ; Nord et Ouest. On passe ainsi de 03 zones à 07 secrétariats à l’éducation islamique. 98 Ibid. Voir aussi les différents numéros du mensuel d’obédience islamique An-Nour que Doubla Avaly avait créé et dont le thème central se focalisait autour de la gestion de l’éducation au sein de la communauté musulmane. 99 Voir Statut de l’OESPI en annexe no 6. 100 H. Adama, L’islam au Cameroun, pp. 132-138. 101 Ibid. 102 L’hebdomadaire Aurore Plus no 531, p. 10, parle d’une école ‘‘aux allures d’écurie’’ alors que le bimensuel El Qiblah no 14, p. 8 parle ‘‘des bâtiments en état de délabrement avancé, d’une cour digne d’offrir une multitude de repas à des bovins affamés, des toilettes impraticables, d’une image lugubre’’. 103 Nous avons voulu savoir pendant nos enquêtes l’attitude des musulmans de Douala à l’endroit de cette école. Elle variait du positif à l’extrême négativité, selon que nous avions affaire aux responsables traditionnels, aux femmes mariées, à des personnes d’un âge avancé ou à des lettrés (lycéens, collégiens, universitaires et même les élèves de cette école). Ce dernier groupe (les lettrés) voyait même dans l’éducation franco-arabe un système en vue de retarder sciemment certaines catégories de musulmans!!! Nous avons aussi observé qu’aucune élite musulmane n’avait son enfant dans cette école. Ils placent leurs enfants dans les écoles et les collèges réputés pour leur rigueur dans l’enseignement et leur haut taux de réussite et recrutent des maitres d’arabe à domicile. 220 C-2 Les nouvelles offres d’éducation confessionnelle privée islamique à Douala Evidemment, Douala se retrouve dans le secrétariat de l’éducation islamique pour le Littoral et le Sud-ouest. Depuis lors, les écoles franco-islamiques se sont multipliées à Douala, comme l’indique le tableau suivant : Tableau no X: effectifs des écoles, des élèves et des enseignants du privé islamique à Douala à la rentrée scolaire 2005-2006 SECRETARIATS A ELEVES ENSEIGNANTS L’EDUCATION ISLAMQUE DU LITTORAL G F T %G %F H F T %H %F 240 192 432 55,55 44,44 04 04 08 50 50 64 69 133 48,12 51,87 02 03 05 40 60 30 20 53 56,60 37,73 01 02 03 39 46 85 45,88 54,11 04 01 05 320 98 418 76,55 23,44 04 03 07 138 146 284 48,59 51,40 06 02 120 134 254 47,24 52,75 05 07 ET DU SUD-OUEST Franco-arabic primary Cité des Palmiers Douala III Franco-arabic primary New-Bell/Affaire Sociale Franco-arabic primary 33,33 66,66 Bonaberi/Komba Franco-arabic primary 80 20 Bonaberi/Mabanda Franco-arabic primary 57,14 42,85 Bona-Lika Douala III Franco-arabic-primary 08 75 25 Bonanloka Douala III Franco-arabic primary Congo Douala II 12 41,66 58,33 221 Franco-arabic 433 180 613 70,63 29,36 06 04 10 60 40 324 77 401 80,79 19,20 O5 03 08 62,5 37,5 113 128 241 46,88 53,11 03 06 09 33,33 66,66 57 65 122 47,5 53,27 06 03 09 66,66 33,33 85 72 157 54,14 45,85 03 01 04 75 25 77 63 140 55 45 01 03 04 25 75 354 300 654 54,12 48,87 02 04 06 33,33 66,66 2394 1590 3984 60,09 39,90 52 46 98 53,06 46,93 primary Douala II Franco-arabic primary Makea Douala II Franco-arabic primary NewBell/Makea Douala II Franco-arabic primary New-Bell Douala II Franco-arabic primary New-Bell Douala II Franco-arabic primary New-Bell Douala II Groupe scolaire Ibrahim NewTown/Aéroport Total Source : Organisation des Etablissements Scolaires Privés Islamiques (OESPI) et synthèse personnelle (les pourcentages sont de l’auteur). 222 Lorsqu’on parcourt ce tableau, on ne peut qu’être frappé par la multiplicité des établissements scolaires dits islamiques entre 1990 et 2006.104 D’une école franco-arabe jusqu’au début des années 1990, on en était à 14 en 2006, soit une augmentation de 1300%. Ces établissements sont créés par la dévotion et la piété de certains musulmans qui évoluent en marge de toute responsabilité communautaire et à la conviction religieuse de certaines communautés qui ont été témoins de l’échec de la première école francoarabe de Douala. Autrement dit, les nouvelles écoles privées islamiques sont des initiatives individuelles et communautaires. Cependant, nous ne devons pas perdre de vue les enjeux économiques qui se cachent derrière la création de certains de ces établissements. Autrement dit, certains créateurs sont tout simplement réalistes et la création d’une école représente pour eux un certain itinéraire d’accumulation. On peut dire, au regard du nombre d’établissements ouverts, des effectifs et des niveaux d’enseignement, que l’enseignement privé islamique connait du point de vue de l’offre de formation une progression remarquable et contrastée. En effet, l’implantation scolaire islamique s’est faite beaucoup plus dans les zones/quartiers musulmans de la ville, précisément à New-Bell et ses environs avec 08 écoles sur 14 soit 57,14% d’écoles franco-islamiques concentrées à New-Bell. A la lumière de ce tableau, force est aussi d’apprécier les effectifs scolaires de l’enseignement privé islamique à Douala. Les statistiques font ressortir que les musulmans interviennent seulement au niveau primaire. L’importance des effectifs et l’accroissement du nombre d’écoles indiquent fort bien qu’ils représentent pour les parents un cadre idéal de formation de leurs enfants. Dans la pratique, la mixité n’est pas interdite en contexte scolaire; ainsi dans les écoles, garçons et filles ne sont pas séparés. Le tableau donne d’ailleurs une allure des effectifs féminins et masculins en 2005-2006. D’autres données concernant tous les secteurs d’enseignement permettent d’observer une différence d’accès à la scolarisation selon le sexe et en faveur des garçons. Ces nouvelles écoles vident les écoles coraniques traditionnelles qui, réduites à la portion congrue, quittent progressivement les lieux publics pour les domiciles privés.105 Elles représentent ainsi à Douala une adaptation de nouvelles méthodes 104 La création de ces écoles découle du décret précité no 90/1461 du 09 novembre 1990 portant création, ouverture et fonctionnement des établissements privés. 105 Voir Info sud Belgique, Agence de Presse, ‘‘Cameroun : succès des nouvelles écoles privées islamiques’’, disponible sur le lien internet http://www.infosud-belgique.info/article.php3? Id_article=131 ; consulté le 9 mars 2004. 223 d’enseignement par les nouveaux promoteurs musulmans ayant fait des études tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du Cameroun. Ayant été témoins de l’échec de l’école francoarabe de Douala ces nouveaux promoteurs tentent de reformer l’enseignement de l’arabe et des matières islamiques en créant des écoles franco-islamiques adaptées à l’évolution contemporaine. Les méthodes nouvelles consistent ici à organiser les écoles de la maternelle au cours moyen deuxième année ; avec différentes salles de classes, des programmes et volumes horaires bien définis au cours d’une année scolaire structurée. Comme à l’école franco-arabe, il y a utilisation du tableau noir, de la craie et de tous les autres matériels didactiques similaires à ceux de l’école ‘‘française’ et/ou publique. Les programmes des écoles, en plus de la théologie et des traditions islamiques, comportent les disciplines comme les sciences naturelles, l’histoire, la géographie, les calculs ou mathématiques, bref toutes les matières du programme officiel du Ministère de l’Education de Base. D’après Doubla Avaly, Ces méthodes et programmes permettent à l’enfant d’acquérir une mentalité moderne, un raisonnement rationnel et de ne plus se contenter de réciter comme à l’école coranique traditionnelle où on tente d’expliquer tous les phénomènes par Dieu (…) Le jeunes font très vite la différence avec les écoles islamiques traditionnelles où les apprenants sont assis à même le sol, subissent des châtiments atroces et condamnés à aller demander l’aumône.106 Dans ces écoles musulmanes nouvelles, l’arabe n’est que la langue des matières religieuses et des traditions islamiques. Le contexte francophone fait que le français y est utilisé pour l’enseignement des matières profanes. L’enfant peut avoir en fonction de son intelligence, prétendre au bilinguisme (français-arabe) et être en mesure de rivaliser avec les élèves des écoles publiques ou privées laïques. Tel est l’un des objectifs d’un fondateur d’école privée islamique rénovée qui s’explique en ces termes : 106 Propos de Doubla Avaly secrétaire national à l’éducation et à l’organisation de l’enseignement scolaire privé islamique, recueillis lors de nos entretiens des 12 et 13 novembre 2008 dans son bureau au département de chimie inorganique de la faculté des sciences de l’université de Yaoundé I. Lire aussi, pour complément d’information, Y. Hamadou Bello, ‘‘Cameroun : succès des nouvelles écoles coraniques’’, Syfia International, (Cameroun), 2002 ; disponible sur le lien internet http://www.infosudbelgique.info/article.php3? Id_article=131 ; consulté le 9 mars 2004. 224 Je veux que mes élèves, dit El Hadj Ibrahim Tchindé discutent d’égal à égal avec leurs camarades qui fréquentent l’école ‘‘française’’. C’est pourquoi nous appliquons le programme officiel, avec en plus les traditions islamiques.107 -Les nouvelles écoles privées islamiques et les fondateurs : étude comparée de deux écoles Au prix de nouvelles données recueillies essentiellement sur le terrain lors de nos enquêtes et de quelques actualisations suite à nos observations participantes, nous avons choisi ici de retenir deux cas d’études qui conduisent à évaluer précisément la situation actuelle de l’enseignement privé islamique à Douala. Il s’agit du groupe scolaire privé islamique Ibrahim et de l’école primaire franco-islamique de Bibamba-Bonanloka. Le Groupe Scolaire Privé Islamique Ibrahim Situé à New-Town/aéroport, le Groupe Scolaire Privé Islamique Ibrahim ouvre ses portes en 2002. Il est une initiative d’El Hadj Ibrahim Tchindé. Âgé de 50 ans, Ibrahim Tchindé est né à Douala, de père Haoussa et de mère Bamiléké (voir photographie no 5). Il fréquente l’école franco-arabe de New-Bell avant d’obtenir son Certificat d’Aptitude Professionnel (CAP) en froid et climatisation au Lycée Polyvalent de Bonabéri en 1979. Après son CAP, il exerce comme cadre à l’ancienne Régie Nationale des Chemins de Fer du Cameroun (Regifercam) avant de prendre une retraite anticipée en 2000. Il justifie la création de son école par deux raisons : le constat d’échec de l’unique école franco-arabe de Douala qui n’arrivait pas toujours à s’adapter au nouveau contexte et la tendance des écoles missionnaires chrétiennes à vouloir ‘‘christianiser’’ tous les enfants qui y entrent. Pour lui, le problème majeur qui se posait était l’achat d’une bible que l’on exigeait à tous ses enfants et l’obligation de se rendre au culte les dimanches : ‘‘La bible et la fréquentation de l’église étaient un peu plus impératives que les autres fournitures scolaires’’108 affirme-t-il. Cette situation qu’il comprenait difficilement relevait en réalité de l’ignorance des réalités des institutions scolaires religieuses chrétiennes. Se rendant compte que ‘‘ quand on entre chez quelqu’un, on est obligé de manger ce qu’il a préparé’’109, l’idée lui est venue de créer son école. Il tient cependant à préciser la spécificité de son école par rapport au contexte 107 El Hadj Ibrahim Tchindé, entretien des 4 et 5 octobre 2007 à son bureau, au groupe scolaire privé islamique Ibrahim de New-Town/Aéroport à Douala. 108 Ibid. 109 Ibid. 225 Photographie no 5 226 dans lequel elle a été fondée et qui en fait une institution de nature un peu différente. Pour lui, il ne faut pas assimiler son école à une école franco-arabe: ‘‘Franco-arabe et francoislamique ne sont pas similaires et interchangeables : franco –arabe renvoie à l’arabe, or tout ce qui est arabe n’est pas islam ; franco-islamique renvoie à l’islam tout court’’110. L’école Primaire Franco-Islamique de Bibamba-Bonanloka Comme son nom l’indique, l’école Primaire Franco-Islamique Bibamba/Bonanloka est située au quartier Bonanloka, à côté de la grande mosquée de New-Town/aéroport I. Elle est l’œuvre de l’Association pour l’Education et le Développement Islamique (ASEDI). Cette école ouvre ses portes à la rentrée scolaire 2001-2002. Sa direction est assurée par Bilal Balery Sadjo. Né en 1968 à Tcholiré dans la province du Nord, Balery Sadjo fréquente l’école primaire et le Collège d’Enseignement Secondaire (CES) de Tcholiré. Après l’obtention de son BEPC en 1988, il est envoyé à Garoua pour y effectuer le second cycle du secondaire, au collège Lamido Hayatou d’où il obtient un baccalauréat série D en 1992. Après deux ans en faculté des sciences de l’Université de Douala, il bénéficie d’une bourse offerte par l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI) au gouvernement camerounais pour une formation en mécanique au Bangladesh en 1994. Quatre années après, il obtient le Bachelor of Science in Engineering avant de suivre une formation d’une année en science de l’éducation sanctionnée par un Post Graduate en enseignement technique. De retour au Cameroun en 2000, il est recruté en qualité d’enseignant de mécanique et affecté au lycée Technique d’Edéa, dans la Sanaga Maritime. Il dirige de façon bénévole l’Ecole Primaire Franco-Islamique de la Bibamba-Bonanloka car ‘‘l’association n’a pas assez de moyen pour me payer’’111. Le but de l’école selon son directeur, est de ‘‘lutter contre l’analphabétisme chronique des enfants musulmans en conciliant l’école coranique et l’école occidentale’’112. Le programme est celui du ministère de l’Education de Base. La seconde 110 Ibid. Bilal Balery Sadjo, entretiens des 27 et 28 septembre 2007 dans son bureau, à l’Ecole Primaire FrancoIslamique de Bibamba-Bonanloka, à Douala. 112 Ibid. 111 227 langue est l’arabe qu’on ‘‘ utilise pour inculquer l’éducation islamique aux enfants telle que les parents le souhaitent’’113. Ibrahim Tchindé et Bilal Sadjo ont suivi une formation islamique de base sur place au Cameroun. Bilal Balery Sadjo n’a pas poursuivi des études spécifiquement islamiques à l’extérieur. Il a suivi une formation presque complète à l’école ‘‘française’’ avant d’aller au Bangladesh. L’organisation et les infrastructures à la disposition de ces écoles ne sont pas sans rencontrer quelques difficultés. Infrastructures et méthodes d’enseignement L’appropriation des locaux pour le démarrage des nouvelles écoles n’a pas été facile pour les fondateurs. Celle de New-Town aéroport a l’avantage de bénéficier d’un bâtiment en matériaux définitifs. En effet, le bâtiment du Groupe Scolaire Privé Islamique Ibrahim est un immeuble de deux niveaux. Celui de l’École Franco-Islamique de Bibamba-Bonanloka est à l’image de la faiblesse financière de son propriétaire (voir photographie no 6). C’est ainsi qu’il est bâti sur un terrain offert par un musulman généreux, Ousman Ndelé, un Bamiléké islamisé. Transféré à l’ASEDI, les salles de classe sont construites en matériaux provisoires grâce à un effort collectif. Sa devise est : ‘‘le temps de l’idolâtrie est tout à fait terminé’’. L’organisation de ces écoles varie d’un fondateur à un autre. Comportant des lacunes au début, elles connaissent une amélioration progressive. Au sein de ces écoles, le groupe scolaire privé islamique Ibrahim se remarque. Il a un cycle primaire complet et présente une structuration assez sérieuse. Les effectifs varient entre 250 élèves en 2002 et 654 élèves en 2006. Les programmes de l’enseignement de l’arabe et des traditions islamiques dans les écoles islamiques de Douala ne sont pas structurés. Ils connaissent des modifications d’une école à une autre en fonction de la capacité organisationnelle114, du niveau des enseignants disponibles et des moyens financiers. L’importance de la langue arabe est due à son usage comme moyen de communication et de compréhension essentiel de la religion musulmane. Elle garde donc sa place en tant que langue de culture. 113 114 Ibid. Voir par exemple le programme des deux écoles en annexes. 228 229 Dans ces deux écoles, l’enseignement de l’arabe et des traditions islamiques va de la SIL au CM2. Au Groupe Scolaire Privé Islamique Ibrahim, ces cours sont assurés par deux anciens boursiers camerounais, Cheikh Abdoulaye Youssouf et Cheikh Moukara qui ont fait des études respectivement en Egypte et au Sénégal. Les documents utilisés viennent principalement du Nigeria et se présentent sous plusieurs volumes : Language Text : a new arabic course of Nigeria. Pupils book, Revised Edition. Book 1, 2, 3, 4.115 Le volume horaire varie entre 30 minutes, 45 minutes et une heure selon les matières et les classes par jour. Les matières dispensées sont les suivantes : Coran, Dictée, Jurisprudence, Histoire, Grammaire, Lecture (Alphabet), Morale, Ecriture et Compassion. L’accent est mis sur l’alphabet, la grammaire en vue de la maîtrise progressive du Coran, de la théologie et de la culture du monde musulman en général. Au cours moyen, l’enseignant insiste sur les hadiths, la biographie du Prophète et la littérature à partir des textes religieux choisis par l’enseignant.116 El Hadj Ibrahim Tchindé justifie ainsi ses choix : Je veux enseigner un islam qui colle avec nos réalités. C’est pourquoi je ne voudrais pas que mes maîtres utilisent les livres édités dans le monde arabe. Etre arabe ne veut pas dire islam. De plus, les traditions arabes ne sont pas nécessairement des traditions islamiques. C’est pourquoi le terme arabe n’apparaît pas dans la dénomination de mon école… Il faut intégrer les enfants musulmans dans la société islamique et dans les autres sociétés. Dans une ville complexe comme Douala, il faut accepter les autres et vivre son temps.117 Nous avons assisté, en guise d’exemple, à un cours de Coran et de Hadith au CE2 à l’école privée islamique Ibrahim. Un texte de cinq lignes est écrits au tableau par l’enseignant. Les élèves doivent recopier le texte dans leurs cahiers. Plusieurs élèves sont interrogés pour la lecture et pour le cour suivant, il sont censés apprendre par cœur le texte après que l’enseignant se soit arrêté sur quelques mots pour en améliorer la compréhension. A la fin de l’année, les élèves sont interrogés sur l’ensemble des textes vus en classe pendant l’année. L’ensemble des cours dans les autres niveaux se déroulent 115 Entretien du 5 octobre 2007 avec Cheikh Moukara, enseignant d’arabe à l’école privée islamique Ibrahim de New-Town/Aéroport, à l’école, après son cours en classe de CE2. 116 Ibid. 117 El Hadj Ibrahim Tchindé, entretiens des 4 et 5 octobre 2006 à son bureau, au groupe scolaire privé Islamique Ibrahim Tchindé à New-Town à l’aéroport. 230 de la même manière, à la SIL, au CP et au CE1. Au niveau moyen (CM1 et CM2), la technique pédagogique change. Le texte en arabe n’est pas écrit au tableau. L’enseignant le lit une première fois, à une vitesse modérée afin que les élèves puissent l’inscrire sur les cahiers. A la fin du cours, il le lit une nouvelle fois à vitesse normale. Quand un problème de prononciation se pose, l’enseignant écrit le terme au tableau. Au cours d’une deuxième séance, il explique le texte.118 A l’école Primaire Franco-Islamique de Bibamba-Bonanloka, les cours d’arabe et des traditions islamiques sont assurés par deux maîtres formés sur place au Cameroun. Les cours sont repartis en trois niveaux : le premier niveau correspond à la SIL et au CP ; le second niveau correspond au CE1 et au CE2 et le troisième niveau qui correspond au CM1 et au CM2. Les livres utilisés sont les suivants : Al Ouloumoul-Arabyat119, Al Ouloumoul Achchara-iyat120. Tous les deux livres sont édités par l’Institut Des Connaissances Préparatoires et Développement des Programmes situé à Médine en Arabie Saoudite, édition 1424-1425 de l’année hégirienne qui équivaut à 2003-2004 de l’année grégorienne. Malam Mbouombou Soulé est l’un des deux maîtres d’arabe et des traditions islamiques de l’Ecole Primaire Franco-Islamique de Bibamba-Bonanloka. Voici sa biographie telle qu’il nous l’a donnée en septembre 2006. De six à dix ans, il fréquente l’école coranique traditionnelle à Bafoussam auprès de Cheikh Mohamed Nouridine, imam de la mosquée bamun de Bafoussam. Après l’obtention d’un certificat de fin d’étude coranique, il part à Foumban où il obtient respectivement son CEPE mention arabe en 1982 à l’école franco-arabe de Foumban et son CAP en 1986 au CETIC de la même ville. En 1987, il dépose ses valises à Douala, à la recherche du travail. C’est ici qu’il adhère à la Jeunesse Islamique du Cameroun (JIC), branche de Douala. Grâce à l’appui de la JIC, il reçoit dès 1996 une formation complémentaire en arabe au Centre de Formation aux Etudes Islamiques Al Axa de Douala. Ce recyclage est sanctionné par un 118 Observation participante en classe de CE2 et CM2 de l’école privée islamique Ibrahim, les 8 et 9 octobre 2006. 119 Connaissance de la langue arabe (la traduction est du maître). 120 Connaissance des lois islamiques (la traduction est du maître). 231 diplôme de fin d’étude du premier cycle du secondaire en arabe (Achcha Hadatou AlIdadiyat) équivalent du BEPC des francophones. Il enseigne l’arabe et les traditions islamiques depuis 2002. Selon malam Mbouombouo Soulé, l’objectif global du programme est de former des enfants musulmans avec la conscience de la foi, de la purification, de la fraternité, des prières rituelles, de quelques notions de lecture du Coran, notamment la troisième partie appelée Jouz-Ou Amma et quelques notions de jurisprudence islamique : moral, bon comportement, etc121. Aux CM1 et CM2, il résume la leçon au tableau et donne oralement des explications. A l’examen, il peut proposer un sujet qui consiste à donner des éléments de la vie du Prophète ou d’un de ses compagnons.122 Comme on peut le constater, les méthodes pédagogiques utilisées dans les deux écoles visitées insistent davantage sur la capacité de mémorisation de l’élève que sur son aptitude à la compréhension. L’apprentissage du Coran et des Hadiths se fait uniquement par la mémorisation : De la SIL au CE2, il est demandé aux élèves un effort de mémorisation des textes appris pendant l’année ; la partie explication et compréhension ne prend que peu de place dans l’enseignement. Aux CM1 et CM2, bien qu’un effort de réflexion leur soit demandé à l’examen en fin d’année, la lecture et la dictée des textes demeurent essentielles au cours de l’année d’enseignement.123 L’organisation administrative et les cours de ces deux établissements islamiques prêtent aussi le flanc à la critique. Les deux écoles comportent un cycle primaire complet, avec une classe par niveau d’étude. Les enseignants de Bibamba sont pris en charge par la communauté musulmane locale de Bonanloka. La remarque qui s’impose pour cette école est qu’elle véhicule selon Mala Mboumbouo ‘‘uniquement de bons principes en matière de dogme musulman’’124. 121 Malam Mboumbouo Soulé, entretiens des 27 et 28 septembre 2006 à l’Ecole Franco-Islamique de BibambaBonanloka à Douala après le cours. 122 Ibid. 123 124 Entretien avec Cheikh Moukara enseignant d’arabe à l’école privée islamique Ibrahim, le 9 octobre 2006. Malam Mboumbouo Soulé, entretien du 28 septembre 2006 à l’Ecole Franco-Islamique de BibambaBonanloka à Douala après le cours. 232 Ceux de New-Town aéroport sont pris en charge par le fondateur. Sa bonne organisation lui vaut la sympathie de nombreux musulmans et de l’Egypte qui lui propose de l’aide en personnel enseignant et en documents.125 Le niveau des enseignants titulaires c’est-à-dire ceux qui enseignent les matières profanes varie aussi d’une école à l’autre. Tandis que le directeur du groupe scolaire privé islamique Ibrahim exige presque toujours des enseignants ayant au moins le BEPC et musulmans dans la mesure du possible et une formation pédagogique dans une école professionnelle, celui de l’école franco-islamique de Bibamba se contente d’éducateurs de toute confession titulaire du BEPC, du Probatoire ou du Bac. L’école de New-Town est selon son directeur, la seule à offrir à ses enseignants des salaires un peu élevés dans le contexte camerounais : 55.000 à 60.000 francs CFA. Les enseignants sont également inscrits à la Caisse Nationale de Prévoyance sociale (CNPS) ; les retraites sont alors assurées pour ceux qui y resteront jusqu’à la fin de leur carrière126. Cet effort fourni pour la satisfaction des enseignants est possible non seulement grâce aux frais de scolarité, mais aussi à une caisse de parents d’élèves alimentée par les cotisations. L’école de Bibamba se contente d’une rémunération faible. Et lorsqu’on les interroge, ils accusent soit le faible taux, soit l’irrégularité des élèves dans le payement des frais de scolarité. La grille salariale est la suivante : - niveau BEPC 25 000 francs Cfa ; - niveau Probatoire 35 000 francs Cfa ; - niveau Bac 40 000 francs Cfa127. Cette grille salariale ne comporte aucune sécurité sociale. Dans la pratique, le recrutement du personnel enseignant par la communauté musulmane de Bonanloka s’effectue par contrat verbal : le futur enseignant ne signe aucun document. 125 El Hadj Ibrahim Tchindé, entretien du 5 octobre 2007 dans son bureau. Au cours de cet entretien, il a affirmé qu’il était opposé à cette proposition, estimant que la coopération égyptienne avait échoué à l’école franco-arabe de Douala. De plus, pour lui, les enseignants arabes originaires d’Egypte qui venaient au Cameroun étaient le plus souvent les militaires retraités et non des pédagogues. 126 Puisqu’il emploie des enseignants formés dans des écoles professionnelles, certains sont souvent recrutés comme contractuels par le ministère de l’Enseignement de Base qui offre des plans de carrières plus alléchants. 127 Entretien avec le directeur de cette école le 5 octobre 2007 dans son bureau. 233 Cette injustice sociale entretenue au mépris des réglementations étatiques est paradoxale ; car il s’agit bien d’un groupe de population qui se dit musulman. Et pourtant les dogmes musulmans n’acceptent pas ces pratiques indignes d’un croyant convaincu. Le Coran prône bien la justice, la solidarité, le respect d’autrui, etc. pour les adhérents de l’islam. Dans cette situation la rémunération des enseignants, la qualité des cours comporte encore des défaillances en ce qui concerne cette école. Autrement dit, ce manque de moyens ne peut exister sans porter préjudice à la formation des enfants, malgré la volonté et la détermination des enseignants. Dans tous les cas, la conviction personnelle, l’amour du métier d’enseignant existent autant chez ces maîtres des matières profanes que chez les ‘‘maîtres d’arabe’’ comme on les appelle dans ces écoles. En définitive, on peut affirmer que c’est l’empirisme, l’absence de coordination au niveau des programmes d’études arabes et des traditions islamiques dans ces deux écoles privées islamiques de Douala. Aucune harmonie ne peut se constater quant à l’usage des documents et des matières enseignées. Un accent particulier devrait être mis sur l’harmonisation des programmes d’enseignement de l’arabe et des traditions islamiques dans ces écoles.128 C’est dire aussi qu’avec une telle situation, la formation varie qualitativement selon la crédibilité de l’école. Formation A l’intérieur, l’évolution des classes par niveaux d’étude est possible selon la disponibilité des locaux et la compétence des enseignants suivant les écoles. On peut dire que celle de New-Town aéroport, à son ouverture en 2000, ne comportait que deux salles de classe pour la maternelle. Ces salles sont passées à trois en 2003 puis neuf en 2006. On y rencontre les cycles suivants : 128 - Maternelle : première section ; deuxième section et troisième section ; - Primaire : SIL, CP, CE1, CE2, CM1 et CM2. Lors de notre entretien du 12 novembre 2008, monsieur Doubla Avaly nous avait dit que l’OESPI envisageait l’organisation des séminaires d’harmonisation des programmes d’arabe et des matières islamiques au cours de l’année scolaire 2008-2009. 234 A la fin de l’année scolaire 2005 – 2006, l’école avait présenté 23 candidats au 129 CEP pour 20 reçus et 15 au concours d’entrée en sixième pour 8 reçus.130 L’école islamique de la Bibamba se limitait aux cours du soir jusqu’en 2001, date de son ouverture en cours du jour. Elle comportait alors les classes de la SIL, du CP, du CE1, du CE2 et du CM1. Les classes du CM2 et de la maternelle seront ouvertes en 2002. A la maternelle, les élèves, toutes promotions confondues, sont groupés dans une seule salle ; les rangées servant à distinguer le niveau d’étude. Son registre présente les statistiques suivantes : Tableau no XI: Performances académiques de L’École Franco-Islamique de BibambaBonanloka lors des examens officiels de 2001 à 2006. Année scolaire Nombre Nature de L’examen Candidats Admis d’élèves % d’admis 2001-2002 94 / / / / 2002-2003 160 CEP 29 24 85 Entrée en 6e/ 1ère Année 10 CEP 42 Entrée en 6e/ 1ère Année 18 CEP 36 Entrée en 6e/ 1ère Année 16 CEP 45 2003-2004 2004-2005 2005-2006 250 270 310 e ère Entrée en 6 / 1 Année 15 31 36 87 25 28 78 15 45 41 15 Source : Registre des lauréats de l’École Primaire Franco-Islamique de Bibamba de 2001 à 2006. 129 Le Certificat d’Etudes Primaires (CEP) remplace le CEPE en 1995. Statistiques délivrées par El Hadj Ibrahim Tchindé au cours de notre entretien du 5 octobre 2007 dans son bureau. 130 235 A la lumière de ce tableau, force nous est d’apprécier les effectifs scolaires de cette école et ses performances aux concours et au CEP. Le nombre d’élèves au CM2 ne correspond pas au nombre de candidats présentés par l’école aux examens officiels notamment les concours. Plusieurs raisons expliquent cette situation131 : - dans les écoles primaires, seuls les élèves qui n’ont pas dépassé l’âge requis peuvent se présenter au concours d’entrée en sixième dans les collèges publiques (CES et Lycées) ; et / ou à celui du collège d’enseignement technique industrielle et commerciale (CETIC). Les âges sont respectivement de 14 et 15 ans ; - certains directeurs de CES et CETIC exigent depuis quelques années le CEP au moment de l’admission définitive au collège de l’enseignement public. Dans ces conditions, une partie des élèves ne peuvent obtenir une inscription que dans les collèges privées laïcs ; - les épreuves pour le concours d’entrée en 6e et en 1ere année des collèges techniques ne comportent pas d’épreuves arabes, ce qui ne manque pas de handicaper les élèves issus des écoles islamiques. Au total, l’écart entre les effectifs au CM2 et le nombre des candidats présentés aux examens s’explique par le fait que les élèves du CM2 ne préparent pas les mêmes examens et les mêmes concours. De plus, certains parents inscrivent leurs enfants plutôt au diplôme de CEP français132. Cette stratégie leur permet par la suite de poursuivre leur scolarité dans le secondaire du public ou du privé laïc. Le fonctionnement de cette école de communauté, différent de celui de l’école privée de New-Town, est basé sur les frais de scolarité. Pour l’année scolaire 2005-2006, les frais de scolarité étaient repartis comme suit : 131 Ces explications sont inspirées par l’article de H. Adama., ‘‘L’école franco-arabe camerounaise : bilan et perspectives’’, pp.89-136. 132 Le diplôme de CEP français ou anglais, contrairement au CEP d’arabe est un diplôme national, quelque soit l’école dans laquelle on l’a obtenu. 236 Tableau no XII: Frais de scolarité à l’Ecole Primaire Franco-Islamique de BibambaBonanloka Division Inscription 1ere Tranche 2e tranche Total Maternelle 10.000 Fcfa 12.000 Fcfa 8.000 Fcfa 30.000 Fcfa Primaire 1.500 Fcfa 12.000 Fcfa 5.500 Fcfa 19.000 Fcfa 1.500 Fcfa 12.000 Fcfa 4.500 Fcfa 20.000 Fcfa SIL/CM1 Primaire CM2 Source : Prospectus de l’Ecole Primaire Franco-Islamique de Bibamba- Bonanloka, année scolaire 2005-2006. Au Groupe Scolaire Privé Islamique Ibrahim, il fallait compter 40.000 francs CFA de frais de scolarité pour la maternelle et 22.000 francs CFA pour le primaire, tout niveau d’étude confondu.133 Le modèle de la tenue de classe est le même dans les deux établissements mais diffère selon le sexe : un pantalon et un long boubou de couleur vert citron pour les garçons et un pantalon et une robe de couleur vert citron et un foulard blanc pour les filles. Les deux écoles ouvrent leurs portes tous les matins de lundi à jeudi à 7h et les referment à 15h30 minutes de la SIL au CM2 et de 7h à 13h pour les enfants de la maternelle. Le vendredi, ces écoles ouvrent leurs portes à 7h et les referment à 12h pour tout le monde. Les heures de pause sont les mêmes : de 9h 30 minutes à 10h et de 12h à 12h 30 minutes pour la maternelle ; de 10h à 10h 30 minutes et de 12h 30 minutes à 13h pour le primaire. Dans les deux écoles, filles et garçons fréquentent les mêmes classes, contrairement à la tradition islamique qui voudrait que les filles et les garçons soient séparés. Enfin, elles recrutent leurs élèves dès la maternelle. 133 Fiche de renseignements adressée aux parents d’élèves par la direction de l’école pour la rentrée scolaire 2005/2006. 237 Au vue de cette comparaison, on peut dire enfin que le niveau de l’enseignement est plus bas au groupe scolaire franco-islamique de Bibamba-Bonanloka que dans celui d’El Hadj Ibrahim Tchindé. L’exploitation des enseignants se fait aussi beaucoup ressentir au groupe scolaire de Bibamba. Tous ces maux s’expliquent par un manque de contrôle administratif de ces établissements confessionnels par la communauté musulmane. Un tour d’horizon des programmes permet de constater des différences. Ce manque d’harmonie peut se remarquer aussi bien au niveau des matières religieuses enseignées qu’à celui des documents utilisés. C’est ainsi qu’à Douala, la formation est plus consistante dans l’école privée islamique bien organisée de New-Town aéroport que dans celle de Bibamba. Dans tous les cas, l’Etat s’est montré libéral en matière d’ouverture de nouvelles écoles islamiques. Même si une petite fraction de l’opinion musulmane reste réticente à ce genre d’initiative ‘‘ moderniste’’; refusant de se satisfaire d’un enseignement du Coran dans ces écoles privées islamiques en supplément des cours normaux. L’intérêt de l’Etat n’est pas en la matière simplement matériel, les écoles privées islamiques participant au même titre que les écoles privées laïques et chrétiennes à la limitation de la surcharge des effectifs des écoles publiques. Il est aussi à plus long terme et se situe dans la perspective de la stabilité sociale et politique. Si la reconnaissance de l’école franco-arabe avait pour contrepartie un droit de regard de l’Etat sur les programmes et sur le personnel enseignant, celles des écoles privées islamiques sans nécessairement imposer ses hommes, il a les moyens de pression (fermeture administrative) pour faire écarter des promoteurs indélicats.134 La scolarité dispensée par les nouvelles écoles privées islamiques est perceptible dans la société musulmane de Douala et au cours des années à venir, le mouvement va prendre des proportions.135 Chaque école conserve d’une manière ou d’une autre les traits caractéristiques, selon l’itinéraire de son fondateur. Mais le plus gros problème se 134 Voir Décret No 90/1461 du 09 novembre 1990 : création, ouverture et fonctionnement des établissements privés. 135 Voir dans le même sens G. Etienne, ‘‘Les medersas : un élément de mutation des sociétés ouestafricaines’’, Politique étrangère, 62 :4, pp.613-627. 238 poserait au sortir de ces écoles primaires dans la mesure où il n’existe pas encore dans la ville de Douala de collège secondaire islamique, suite logique de la formation primaire. La mise en place d’un institut de ce genre constituerait sans nul doute une œuvre salutaire surtout que les élèves musulmans s’inscrivent avec beaucoup de difficultés dans les collèges protestants et catholiques de Douala qui sont, et de loin, les plus performants. De fait, La prédominance des collèges privés confessionnels (chrétiens et protestants) pose des problèmes à la communauté musulmane. Elles n’acceptent que très rarement les enfants qui ne feraient pas la religion d’après les règlements intérieurs régissant leurs fonctionnements. Certains musulmans de leur côté ne peuvent pas confier leurs progénitures à des établissements dont la mission essentielle est de produire des chrétiens. Cet état de choses est une source de confrontation et de compromis permanent entre musulmans et chrétiens à Douala. Il est par exemple courant que des élèves musulmans soient exclus ou menacés d’exclusion dans des collèges chrétiens pour ‘‘refus d’acheter la Bible et d’assister au culte’’136. A Douala, pour apprendre la langue de culture islamique qu’est l’arabe, les enfants ont d’autres choix que les écoles coraniques traditionnelles et l’école francoarabe. D’autres voies s’ouvrent à eux : les nouvelles écoles privées islamiques. Cette voie essaie de garder sa position, s’adapte aux grandes mutations et à la société musulmane. L’accent est mis sur la formation des enfants musulmans ayant dans le cœur toutes les vertus islamiques, et dans l’esprit la science commune indispensable à l’éducation religieuse de la société. En somme, les nouvelles écoles telles qu’elles sont, semblent répondre aux besoins éducatifs les plus généraux de la communauté musulmane. C-3 Bilan provisoire A travers la comparaison de ces deux écoles, nous voyons en quoi les musulmans doualais ont un attachement pour leur identité musulmane et nous comprenons pour quelles raisons un rôle central est donné à l’apprentissage de la langue arabe et aux 136 Le Bimensuel El Qiblah, no 14 du 25 octobre 2000, p. 8 et l’hebdomadaire Aurore Plus, no 531, 2002, p.10 rapportent le cas des élèves musulmans du collège Evangélique de New-Bell/Douala exclus pour refus d’acheter la Bible et d’assister au culte. Voir aussi le dossier y relatif en annexe no 7. 239 préceptes fondamentaux de l’islam, sans que soit négligée la langue française ou anglaise dans les écoles primaires. De plus, quelque soit sa forme, le savoir islamique dispensé dans ces structures contribue à la formation du caractère par la connaissance des valeurs de la société. Il permet au moins de lire le Coran et assure aussi la formation intellectuelle et religieuse de la population musulmane. On y apprend la langue arabe, verbalement ou par écrit et acquière des pratiques et règles de l’islam : prières, ablutions, jeûne, aumône, etc., pour les plus jeunes. Ainsi, grâce aux efforts ces écoles confessionnelles, les valeurs morales, religieuses et sociales, bref les valeurs positives ou supposées telles sont transmises aux jeunes. Et cette démarche constitue une garantie de la foi et de la morale islamique des communautés musulmanes, gage d’une bonne pratique cultuelle. La réflexion sur les données collectées, dans le cadre des écoles d’enseignement islamique à Douala incline ainsi à tirer un certain nombre de conclusions. Si on tentait de faire un bilan provisoire, force serait de constater que : - l’impact de l’action de la communauté musulmane dans son entièreté sur le développement de l’éducation est de plus en plus considérable à Douala. Ces œuvres scolaires permettent à la communauté musulmane de se constituer de plus en plus une assise importante. Toute la communauté affirme la nécessité de la scolarisation dans la mesure où il s’agit d’un instrument de leur propagande. Ces initiatives dérivent de la méfiance que les musulmans ont à l’égard de l’école moderne ‘‘française’’. Comme les autres confessions, les musulmans veulent une institution capable de dispenser à la fois l’enseignement officiel et les matières de la foi islamique ; -Financement : Comme les autres ordres d’enseignement confessionnel (catholique et protestant), les écoles islamiques ne sont pas gratuites. Leurs ressources financières proviennent des frais de scolarité qu’assument les parents et les subventions octroyées par l’Etat. S’il ya bien un problème qui oppose l’autorité administrative aux forces religieuses, c’est bien celui du financement et des subventions accordées aux institutions privées d’enseignement ; -La place de la religion : La raison d’être de ces écoles est l’évangélisation. Et comme tel l’enseignement est dispensé sur deux registres : le respect des programmes officiels et l’inclusion dans les tranches horaires des matières islamo- arabes. Ces écoles 240 confessionnelles ont donc pour vocation d’assurer une éducation musulmane. Cette exigence pastorale implique une référence constante à la doctrine de Mahomet. Enfin, on note le développement des écoles confessionnelles musulmanes. Ce développement tient à des raisons d’ordre pastoral, historique, politique et économique. De la fresque dégagée, on observe que l’œuvre d’éducation, hier et aujourd’hui, est fonction du contexte et du pouvoir financier. Indubitablement, la présence des privés dans le champ de l’éducation islamique à Douala a abouti à une dynamique de l’offre de scolarisation. De la vitalité de cette initiative dépendra leur sollicitation par les parents. Par un cadre juridique bien défini où l’Etat, l’ordre privé islamique et les fondateurs collaboreraient en matière d’éducation comme des partenaires, dépendront leurs performances scolaires à venir. Au total, que retenir de ce chapitre ? A l’échelle locale de Douala, en observant les différentes aspirations des centres culturels, des associations, des nouvelles écoles, etc. on constate qu’une nouvelle demande religieuse et sociale s’est exprimée parmi les musulmans notamment à partir de 1990 et encore davantage au début des années 2000. Aux plans social et religieux, plusieurs faits dominent cette nouvelle dynamique islamique à Douala. Nous avons retenu, à titre illustratif, l’émergence des centres culturels, des associations à caractères islamiques et des écoles privées islamiques. C’est avec ces créations que les manifestations du dynamisme islamique se révèlent le mieux à Douala, du moins dans leur volonté progressive d’être au centre des préoccupations de leur peuple respectif et d’une jeunesse laissée à elle même et généralement confrontée aux échecs scolaires. Et, fort de cette effervescence, les responsables des associations islamiques prennent la parole avec plus d’audace, se font les chantres de la moralisation de la société. Certains s’attellent comme nous avons vu au projet de construction des écoles privées islamiques. Ils tentent ainsi d’être incontournables tant sur le front social que religieux. De ce qui précède, il va sans dire qu’on peut maintenant se demander comment une telle effervescence est-elle ressentie au sein de la communauté musulmane de Douala. Autrement dit quels sont ses enjeux et ses contradictions? 241 SIXIEME CHAPITRE ENJEUX ET CONTRADICTIONS DE L’AFFIRMATION/DYNAMIQUE ISLAMIQUE A DOUALA ECLATEMENT RELIGIEUX, MOBILISATION ISLAMIQUE ET MARCHANDISATION DU RELIGIEUX : Parallèlement à la dynamique islamique qui nait au cours des années 1990, le précaire équilibre qui existait au sein de la communauté musulmane doualaise allait éclater au cours de la même décennie et encore davantage au début des années 2000. La puissance de la communauté musulmane de la ville et son apparente cohésion seront ainsi influencées par des tensions internes, sous fond de renforcement du courant rigoriste et de rivalités ethniques. De nouveaux courants islamiques devaient aussi voir le jour et contribuer à leur tour à la complexification du paysage islamique de Douala, entraînant parfois de véritables scissions au sein de la communauté musulmane. Là où les réformistes et les traditionnalistes s’affrontaient uniquement sur le terrain religieux et ‘‘cohabitaient’’ sous l’effet conjugué de la prépondérance des traditionalistes et de la surveillance serrée de l’administration, des tensions parfois violentes apparaissent notamment entre les sunnites (Tidjaniste et Wahhabites) et les chiites, derniers arrivés. A l’échelle de la ville, toutes obédiences confondues, l’argent afflue, parfois en provenance des pays arabes, destiné au financement des activités islamiques, à la réfection des mosquées ou à en mettre en place de nouvelles, à l’architecture imposante. Il s’agit dans ce chapitre d’étudier les différentes tendances qui participent à l’effervescence islamique à Douala ; de voir comment cette effervescence islamique est ressentie au sein de la communauté musulmane doualaise et quelle signification on peut donner aux différents aspects de la manifestation de cette effervescence dès lors qu’ils investissent l’espace social doualais. Pouvons-nous alors considérer que l’effervescence islamique ouvre la voie à un islam éclaté, à une conception de l’islam plus contestataire, novatrice et mobilisatrice ? 242 A- L’islam sous tension à Douala : éclatement de la communauté et remise en cause religieuse A-1 Divergences idéologiques et entrée en scène de nouveaux acteurs : les Tabligh et les chiites A Douala, on rencontrait, jusqu’au début des années 1990, essentiellement deux confréries: la Tidjaniya qui est la confrérie la plus grande, la plus répandue et la plus ancrée dans la communauté musulmane et la Wahhabiya, introduite à Douala surtout au cours de la décennie 1970. En dehors de ces deux confréries qui font partie de l’islam sunnite, il faut aussi noter la présence depuis le milieu des années 1990 du chiisme et du Tabligh. Qu’est ce que ces nouvelles tendances et que représentent-elles à Douala : des groupuscules minoritaires ? Ou des mouvements répandus ? Il convient de préciser que la présence de ces deux courants s’est faite sous fond de nouvelles conversions des jeunes à un islam de plus en plus rigoriste, toutes tendances confondues. Il s’agit ici de montrer que de façon diffuse, l’ensemble de ces divergences idéologiques expliquent en partie la fragmentation de la communauté. Le courant rigoriste : de plus en plus répandu Le courant rigoriste islamique, fait de plus en plus d’adeptes à Douala. La cohabitation avec les autres musulmans n’est pas facile.1 On se souvient que cette incompréhension a été à l’origine des tiraillements entre fidèles lorsque les ‘‘réformateurs’’ et les ‘‘traditionalistes’’ partageaient encore à Douala les mêmes mosquées au cours des années 1980. Depuis les années 1990, d’autres intérêts expliquent cette tension : Le conflit entre les nouveaux Wahhabites (sic) et Tidjanistes est un problème de positionnement. Les intégristes (sic) nouvellement arrivés veulent maintenant prendre le devant de la scène afin de bénéficier de plus en plus des dons de l’Arabie Saoudite.2 On sait par ailleurs que l’Arabie Saoudite fournit une assistance financière, matérielle et pédagogique à un grand nombre d’écoles franco-arabes et aux mosquées au Cameroun. Il 1 ‘‘Querelles entre les musulmans à Douala’’, lien internet http://www.cameroon-info.net/cmi_show_news. php? id=962, consulté le 20 septembre 2000. 2 Explication donnée par Malam Ouba, un des imams de la mosquée haoussa de New-Bell le 24 janvier 2004 243 convient aussi de souligner l’apport significatif de certaines ONG ou des personnes physiques du Proche et du Moyen Orients qui financent la construction d’écoles et des mosquées au Cameroun.3 Sur cette base, de nombreux jeunes se convertissent à l’islam de tendance rigoriste. Au cours de nos enquêtes de terrains, nous avons rencontré trois jeunes, nouvellement islamisés. Hervé, Richard et Martial ont tronqué leurs prénoms de naissance contre des prénoms musulmans. Ils sont désormais Abdoulaye, Abdourazak et Mohammet. Autrefois friands de jeans et de tee-shirts, ils abhorrent désormais des saillons qui couvrent l’ensemble du corps jusqu’aux chevilles. Leurs joues soigneusement rasée par le passé portent une barbe bien entretenue. Déterminé à respecter les commandements du Coran, ils ont cessé de manger ouvertement la viande de porc et de consommer de la bière en public. Des interdits qu’ils disent violer quelques fois, une fois en aparté.4 De nombreux chrétiens ou non quittent de plus en plus leur religion d’origine pour intégrer l’islam. ‘‘Plusieurs sont guidés par la foi. Certains intègrent l’islam plus ou moins par conviction. D’autres entrent plutôt par stratégie, pour faire leur affaires’’5. Abdourazak qui achète les marchandises à Dubaï pour les revendre à Douala confirme ce point de vue. ‘‘Pour bien faire le marché avec eux (les musulmans), il faut être musulman. Ils font beaucoup confiance à leurs frères et il faut passer par la religion pour maintenir le contact’’6. De nouveaux islamisés se sont ainsi présentés et baptisés de prénoms islamiques tous les vendredis dans les différentes mosquées de Douala avant le début du prêche. Il reste pourtant difficile d’en estimer le nombre total ainsi enregistré tous les vendredis. Cependant, Julia Ako, islamisée et baptisée Zeinabou depuis son union avec un musulman pense que ‘‘des personnes non issues des familles musulmanes qui choisissent 3 M. Nieves San, ‘‘Growing Concern in Cameroon Over Wahhabite Muslim’’, Zenit, March 19, 2004, disponible sur le lien internet http://www.jihadwatch.org/archives/025324.php; consulté le 2 avril 2004. 4 Résumé de notre entretien avec Abdoulaye, Abdourazak et Mohammed le 23 janvier 2004, devant la mosquée de Bonamoussadi 5 Affirmation d’El Hadj Moctar Aboubakar Oumar, doyen des imams de Douala, imam de la mosquée centrale de New-Bell (principale mosquée bamun de Douala) et président de l’UIC, à New-Bell/bamun le 25 janvier 2004 à son domicile à New-Bell. 6 Abdourazak, entretien du 23 janvier 2004, devant la mosquée d’Akwa. 244 de s’islamiser sont d’ailleurs très sincères et suivent parfois mieux les consignes du Coran. Ils deviennent de très bons musulmans’’7. En effet, de nombreux islamisés gardent la barbe et s’efforcent d’être identifiés à première vue comme musulmans. Ils se couvrent généralement la tête d’une chéchia, s’habillent en saillons et chaussent des babouches.8 Les arguments avancés par certains islamisés comportent un certain degré de pertinence. Pour l’essentiel, ces derniers affirment, à travers un échantillon des réponses obtenues, que l’islam est une religion de partage et soulignent sa particularité : ‘‘les musulmans sont tous frères, sont généreux et partagent tout avec les autres. Ce qui est loin d’être le cas chez les chrétiens’’. Cette position est soutenue par Gustave Ngossie, ancien protestant, islamisé depuis 15 ans et baptisé Mohammed. Il s’exprime en arabe, sillonne les associations pour des prédications et vend des compacts disques, des vêtements pour musulmans, des Coran et livres islamiques. Tout islamisé est ainsi le bienvenu parmi les musulmans et s’intègre facilement car ‘‘Le Coran dit que tout le monde naît musulman. Il n’y a donc pas de nouveaux venus parmi nous’’9. La communauté musulmane multiplie des actions pour séduire davantage de fidèles et faciliter leur intégration. Le Coran déjà commercialisé en français et en anglais a été ainsi traduit en bassa’ a, une des principales langues locales, pour satisfaire les attentes des nouveaux venus. Les prêches dans les mosquées et lieux de prière se font aussi bien en arabe qu’en français et en anglais, les deux langues officielles du pays. L’une des particularités de l’islam est cette obligation de mettre immédiatement sous terre tout musulman décédé et cela sans cercueil. ‘‘Cela évite au mort le châtiment de la conservation dans les morgues, le transport jusque dans le village d’origine du défunt, des cérémonies inutiles qui occasionnent de grosses dépenses pour la famille comme c’est le cas chez les chrétiens’’10. Cette différence autant que la non soumission aux coutumes locales sont avancées par plusieurs islamisés pour justifier leur choix en faveur de l’islam de tendance rigoriste. En effet, la plupart des nombreuses ethnies du 7 Zeinabou, entretien du 26 janvier 2004 devant la mosquée de Bonamoussadi. Voir ‘‘Cameroun: les intégristes musulmans font des adeptes’’, disponible sur le lien internet http//www.syfia.info/index.php5?view=articles et action=voir et id article=2954, consulté le 21 janvier 2003. 9 Entretien avec Razzack, musulman depuis la naissance, le 23 janvier 2004 devant la mosquée d’Akwa. 10 Affirmation de Mohammed, pour relever quelques qualités de l’islam lors de notre entretien du 26 janvier 2004 au marché plantain, à New-Bell/nouveau terrain 8 245 Cameroun vouent un culte aux morts. Des funérailles qui donnent droit à des grandes réjouissances populaires sont organisées après le décès d’un proche. Des obligations auxquelles se soumettent même les chrétiens mais pas les musulmans : ‘‘je ne suis plus concerné par tout ce folklore. Le jour où je mourrai, mes frères musulmans vont m’enterrer immédiatement et tout sera fini. Pas question de me transporter dans mon village natal pour organiser un quelconque rite funéraire’’11. L’islam aurai également un côté mystique qui peut combler le pratiquant de nombreux bienfaits à la suite des prières : ‘‘il faut être très pieux, bon pratiquant pour bénéficier des récompenses, des bienfaits que Dieu procure’’12. Ainsi, intéressés par toutes sortes d’arguments qu’offrirait l’islam à ses fidèles, de nombreuses personnes se sont converties à l’islam à Douala. Cet essor récent de l’islam est indéniable. Le taux de personnes qui deviennent musulmanes ‘‘dans cette tendance qui exalte l’islam est plus élevée chaque année’’13. Mais de nouvelles tendances ou idéologies expliquent aussi la diversité du paysage islamique et l’adhésion à l’islam à Douala. -De nouvelles tendances islamiques: Les Chiites et les Tabligh Les Chiites L’islam chiite se localise essentiellement au Proche Orient, avec des foyers importants en Iran et en Irak. C’est avec la révolution iranienne de 1979 que l’islam chiite commence à faire véritablement parler de lui dans les mass médias du monde14. La deuxième guerre d’Irak en 2003 est venue replacer cet islam au devant de l’actualité internationale. Selon Cheik Hassan Nsangou, Le renversement de Saddam Hussein, l’ancien président irakien, aura permis à bon nombre de personnes, à travers le monde, de découvrir qu’il existe en fait deux grandes communautés musulmanes dans le monde, à savoir : les Sunnites et les Chiites.15 11 Gabriel Dossi, islamisé depuis 10 ans, entretien du 26 janvier 2004 au marché Congo. El Hadj Moussa Ladan, imam principal de la mosquée de Douala-Bassa. Voir le lien internet http:// www.cameroon-online.com/actualité, actu-6270.html-37k, consulté le 25 septembre 2005. 13 Lire entre autres, la revue catholique Esprit et Vie, no 54, mai 2006, 2e quinzaine, pp.8-12, T. Takou, ‘‘Compte rendu d’ouvrage Seeti Kwami Sidza et Komi Dzinyefa Adrake, Islam et Christianisme en Afrique, Yaoundé, Edition Clé ,143 pages’’, Terroirs, Revue Africaine de Sciences Sociales et de Philosophie, n°1/2, 1007, pp.302 - 305. 14 Voir J.P. Ngoupande, L’Afrique face à l’islam, Paris, Albin Michel, 2003. 15 Cheikh Hassan Nsangou, entretien du 20 Avril 2005 à la mosquée chiite de New-Bell/ dispensaire. 12 246 L’islam chiite se caractérise par un certain nombre de pratiques et d’enseignements qui le distingue de l’islam sunnite qui se veut orthodoxe. En effet, le terme ‘‘chî ‘a’’ ou schisme indique des circonstances imprévues et spécifiques, le ‘‘parti pris’’ et le sectarisme par un groupe déterminé. Il s’oppose au terme ‘‘sunnah’’, indiquant une ligne de conduite constante parmi les musulmans et signifiant ‘‘l’observance de la voie du Prophète’’16. Il désigne aussi la doctrine des musulmans qui considèrent que la succession d’Abu Bakr, d’Omar et d’Ousmane était illégale et devait revenir à Ali, quatrième khalife et surtout membre de la famille du Prophète.17 Le mot ‘‘chî’ a’’ est devenu aujourd’hui le signe d’une faction indépendante des gens de la sunna en ce qui concerne la croyance, les fondements, la jurisprudence et l’opinion. Le schisme fit son apparition suite au différend entre Ali Abu Tâlib, quatrième et dernier khalife orthodoxe de l’islam et Muâwiyya, gouverneur de Syrie en rébellion.18 Ce différend aboutit à la bataille de Ciffine (en Irak) sur le bord de l’Euphrate en l’an 37 de l’Hégire (659 de l’ère chrétienne). Pour arrêter cette guerre qui avait commencé à faire de nombreuses victimes, les deux camps acceptèrent de déposer les armes et de trouver une solution à cette guerre dans le Coran. Un groupe minoritaire parmi les partisans d’Ali rejeta cette proposition et entra en dissidence. D’où le nom de Khawarej, c’est- à – dire les dissidents. Ceux-ci furent combattus et défaits par Ali. Les rescapés de ce groupe s’isolèrent et commencèrent leur propre culte. C’est de cette dissidence que naquit la ‘‘Chî’a’’.19 Aujourd’hui, l’islam chiite s’implante petit à petit en Afrique20, y compris au Cameroun. La ville de Douala en constitue le foyer le plus important. Ici en effet, les Chiites ont pris pied depuis quelques années et se font de plus en plus de fidèles.21 Nous parlerons ici principalement de la branche du chiisme qui existe dans cette ville, celle qui voit dans Ali, cousin et gendre du Prophète, et ses onze descendants directs, les héritiers 16 I.S.A.J. Abdallah, Dialogue constructif entre Sunnites et Chi’ite, Riyadh, Dâr al-Qur’ân wa as Sunnah, 1998, p. 9. 17 Voir Y. Richard, ‘‘La révolution des imams’’, Manière de Voir, no 64, Bimestriel, juillet-août 2002, pp.78-84 et notamment L’islam chi’ite. Croyances et idéologie, Paris, Fayard, 1991. 18 I.S.A.J. Abdallah, Dialogue constructif entre Sunnites et Chi’ite, Riyadh, Dâr al-Qur’ân wa as Sunnah, 1998, p. 9. 19 Ibid. 20 J.P. Ngoupande, L’Afrique face à l’islam, 2003. 21 ‘‘Communauté musulmane de Douala : quand s’élève la voix des chiites’’, Le Messager, no 2057 du vendredi 3 février 2006, p. 3. 247 de Mahomet, c'est-à-dire les chefs légitimes de la communauté après lui. On l’appelle pour cette raison le chiisme duodécimain c'est-à-dire des ‘‘douze imams’’. La description que nous faisons de cette communauté s’appuie sur le dépouillement de la presse et les témoignages des Cheikhs Hassan Nsangou et Mahamadou III Salissou, éminents théologiens chiites à Douala. Ces deux personnalités nous ont permis de jauger l’articulation du chiisme depuis son introduction récente dans la ville de Douala. Constituée en 1999, la communauté chiite de Douala est le fruit de la rencontre de ces deux musulmans qui furent d’abord sunnites et dont les parcours parallèles finirent par se croiser. Mahamadou III Salissou, cadre supérieur dans une grande banque de Douala, a longtemps été une personnalité reconnue de la communauté sunnite. Ses recherches personnelles lui font découvrir, en 1998, la voie chiite. Séduit par le chiisme, le banquier se convertit en secret au chiisme. Cheikh Hassan Nsangou, imam de la communauté chiite, a lui aussi grandi dans l’islam sunnite. De 1993 à 1997, il suit, à l’Université Internationale d’Afrique de Khartoum au Soudan, un cursus d’étude comparée des religions qui lui donne une bonne connaissance du christianisme autant que des différentes branches de l’islam. Il embrasse la nouvelle foi en 1997, ‘‘après avoir rencontré des Iraniens’’22 pendant ces études à Khartoum, la capitale du Soudan. Une fois ses connaissances approfondies à Téhéran en 1998, il est rentré au Cameroun pour réunir, dans la clandestinité, les premiers convertis au chiisme de Douala, recrutés dans son entourage : ‘‘Dix-sept personnes, à l’origine, qui venaient chez moi secrètement et avec lesquelles je m’enfermais à clé’’23. Lors d’une conférence à l’Hôtel Akwa-Palace, il rencontre un aumônier iranien qui lui remet une vingtaine de livres d’inspiration chiite, tout en lui recommandant la plus grande discrétion quant à leur contenu, les tenants du sunnisme voyant rarement d’un bon œil les thèses chiites se propager. Est-ce cette mise en garde qui l’influence ? Toujours est-il que lorsqu’il emménage en face de chez Mohamadou III Salissou, Cheikh Hassan se méfie d’abord de lui avant de constater que comme lui-même désormais, le banquier 22 J.-P. Rémy, ‘‘Au Cameroun, de nouvelles religions prospèrent sur fond de crise économique’’, Le Monde, 29 octobre 2004, pp. 2-3. Voir aussi les liens internet http:// www.bostani.com/cameroun.htm-13k et http:// Atheisme.free.fr/Revue_presse/international_afrique.htm-23k; consultés le 3 novembre 2004. 23 Cheikh Hassan Nsangou, entretien du 20 Avril 2005 à la bibliothèque attenante à la mosquée chiite de New-Bell/ dispensaire. 248 est véritablement convaincu par le chiisme. Soucieux de ne plus garder, pour eux, ce qu’ils tiennent pour vrai, ils font le premier pas en organisant en mars 1999, une ‘‘rencontre des musulmans de toute la province du Littoral’’24. Dix soirs de suite, une quarantaine de responsables, dignitaires et imams débattent. Les discussions sont houleuses. Convaincus d’avoir trouvé la bonne voie, Salissou et Hassan persistent. Mais la naissance de la communauté est douloureuse. Selon Cheikh Hassan Nsangou, les premières réactions au sein de la communauté musulmane furent violentes : ‘‘on nous attaquait avec des pierres, on recevait des menaces de mort en permanence. Pendant huit mois, nous avons été protégés par l’armée’’25 -probablement avec le conseil de l’administration-. L’objectif ici n’est pas un quelconque soutient aux Chiites mais sécuritaire ; il s’agit d’éviter des affrontements entre les différents groupes. Bien plus, ‘‘notre communauté a été longtemps fustigée, voire persécutée au Cameroun par ce que certains la présentaient comme une secte de l’islam’’26. C’est donc dans ce climat de méfiance, voire de violence que s’est créée la jeune communauté chiite. Mais, Au Cameroun, pays laïc, il y a de la place pour toutes les religions, à condition que chacun respecte les lois de la République. Cela n’a pas été compris par certains compatriotes qui se voyaient avoir le monopole du label de l’islam. Actuellement, une bonne entente règne entre les autres musulmans et nous. Maintenant, on ne nous crache plus dessus quand nous sortons (…) mais nous avons notre propre sécurité, qui veille discrètement dehors (…) Aussi, je préfère ne pas revenir sur ce passé.27 Ensemble, ils ont fait le second pas en ouvrant une bibliothèque, puis une mosquée. Au départ, ‘‘je payais seul les factures d’eau et de lumière, précise Mohamadou III Salissou’’28. La communauté chiite formée en 1999 à Douala comptait plus de 1000 fidèles en 2003 répartis en deux implantations : Bonapriso, à la rue Njo Njo, où se trouve leur centre culturel et New-Bell / dispensaire où se trouve leur mosquée, construite sur le modèle iranien. Comme son nom l’indique, la mosquée chiite de New24 A. Poissonnier, ‘‘Cameroun : prière chiite à Douala’’, disponible au lien internet http:// www.rfi.fr/acturfr/ariticles/041/article-2199.asp; consulté le 25 mai 2003. 25 Ibid. 26 ‘‘Communauté musulmane de Douala : quand s’élève la voix des chiites’’, Le Messager, no 2057 du vendredi 3 février 2006, p. 3. 27 Cheikh Hassan Nsangou, entretien du 20 Avril 2005 à la mosquée chiite de New-Bell/ dispensaire et du 21 avril 2005 au centre culturel chiite de Bonapriso. 28 Mohamadou III Salissou, entretien du 20 avril 2005 à la bibliothèque attenante à la mosquée chiite de New-Bell/dispensaire. 249 Bell est construite selon un modèle moyen oriental. Ce modèle se rencontre très souvent dans le Grand Iran, c'est-à-dire dans une région comprenant l’Iran, une partie de l’Afghanistan et du Pakistan et une partie de l’Irak. Cependant, c’est aussi le plan utilisé en Inde avant la dynastie moghole et dans l’actuel territoire de l’Ouzbékistan sous la dynastie des Chaybannides. Il apparaît au Xe siècle avec la dynastie seldjoukide et se caractérise par l’emploi d’iwans29, d’un pishtak30 et une salle de prière sans coupole31. Stylistiquement, la mosquée chiite de New-Bell /dispensaire présente des caractéristiques qui privilégient la décoration et annoncent architecturalement son orientation doctrinale. C’est le plus bel exemple de plan iranien connu à Douala (voir photo no 7). L’adhésion au chiisme à Douala viendrait aussi des commerçants libanais, syriens et iraniens ; hypothèse suggérée par un informateur appartenant à la Tidjanniya.32 Elle paraît recevable dans la mesure où de nombreux musulmans se sont convertis au chiisme contre recrutement dans les sociétés ou les magasins tenus par les Iraniens, les Libanais et les Syriens à Douala. En effet, avec l’aggravation de la crise économique au début de la décennie 1990, les entreprises ferment, l’Etat réduit son train de vie avec comme conséquences de fortes compressions de fonctionnaires et agents de l’Etat, la baisse des salaires dans la fonction publique, la dévaluation du franc CFA, la fermeture des voies d’entrée dans les grandes écoles garantissant aux jeunes un prochain emploi, la suppression des bourses d’études accordées aux étudiants ; pire ces derniers doivent désormais s’acquitter des frais de scolarité. Les prix d’achat des produits de rente (café, coton, cacao, etc.) fortement dépendants de l’extérieur baissent de façon drastique. Tout ci conduit la population à la paupérisation.33 Dans ce contexte de crise que vivent les populations doualaises, la religion a servi de refuge aux jeunes qui ne pouvaient plus compter sur le soutien familial. En effet, en ces années de difficultés économiques, de 29 Un iwan est une salle voûtée ouverte sur un côté par un grand arc inclus dans un encadrement rectangulaire. 30 Un pishtak est un portail formant une avancée, souvent surmontée de deux minarets et ouvert par un grand arc. 31 Voir R. Hillenbrand, Islamic architecture, form, function and meaning, New-York, 2001, p. 20, p. 39, pp. 384-390 et H. Stierlin, L’architecture islamique, Paris, PUF, 1993, p. 9 et suivantes. 32 Notre informateur (imam tidjaniste) a requis l’anonymat lors de notre entretien du 18 avril 2005 à NewBell. 33 F. Anoukaha et al., La lutte contre la pauvreté et les exclusions par les institutions et les pouvoirs publics en Afrique à travers le concept de « Gouvernance Partagée », Yaoundé, Presses universitaires d’Afrique, 2003. 250 251 misère et de ‘‘chômage massif des jeunes’’34, c’est une filière certes peu visible, mais rentable pour les prosélytes chiites : Le chiisme profite à Douala de la fragilité économique et morale qui entraîne à son tour la fragilité spirituelle pour attirer les jeunes et les adultes. Tout est fait pour attirer les fidèles : distribution des bouteilles d’huile, du lait, du pain, et même de l’argent à ceux qui viennent prier dans la mosquée chiite. Bref, le chiisme bénéficie à Douala de l’appui des Camerounais convertis, des hommes d’affaires ou des prédicateurs iraniens, syriens ou libanais vivants ou en séjour à Douala. Ces derniers ont pris d’importantes parts dans les sociétés à Douala : banques, coopératives, commerces, infrastructures portuaires, (…) et recrutent contre conversion. Ils positionnent les chiites à des postes de responsabilité très élevés dans ces entreprises. Ils infiltrent les associations musulmanes grâce à leur pouvoir financier. Pour mieux attirer des fidèles, le gouvernement iranien offre même des bourses à de jeunes camerounais. Cette action discrète est très efficace et fait des adeptes.35 Dans ce sens, Douala est un chantier ouvert pour le mouvement islamique chiite qui s’implante d’autant plus facilement que la situation sociale est favorable à cette nouvelle dynamique islamique. De même, les différentes foires commerciales organisées à Douala sont aussi l’occasion pour les religieux iraniens de vendre avec l’aide des musulmans camerounais, des livres religieux chiites.36 A l’observation, il n’est pas facile de faire un portrait type de musulman chiite car, quoi qu’on dise, ce qui le rapproche de son frère sunnite/wahhabi est beaucoup plus fort que ce qui l’en distingue. La profession de foi rappelle en effet, pour tous les musulmans la croyance en l’unicité de Dieu. Pour tous, le Coran est le dernier et le plus parfait des livres révélés. Lors de la sortie officielle des Chiites à douala le 31 janvier 2006 qui marquait en même temps la commémoration du discours d’adieu du Prophète Mahomet dans l‘oasis de Ghadeer Kum, le 18e jour du mois de Hajj au retour de son dernier pèlerinage à la Mecque, Cheikh Hassan Nsangou, imam de la communauté chiite affirmait devant les autorités et autres invités que: 34 Voir E. de Rosny, ‘‘L’Afrique des migrations : les échappées de la jeunesse à Douala’’, Etudes, 2002-5, pp. 623-633 ; disponible aussi sur le lien internet http://www.Cain.info/article-php; consultée le 20 avril 2003. 35 El Hadj Daouda Kououtouo, présentateur de l’émission ‘‘Connaissance de l’Islam’’ sur la télévision nationale, entretien du 6 septembre 2007 au siège du PIAH à New-Town/aéroport. Information confirmée par d’autres informateurs notamment El Hadj Moussa Ladan, imam de la mosquée de ‘‘PK 14’’ à Douala IIIe et Cheikh Yaya Sandou, imam de la mosquée de Song Mahop. Iire aussi La Nouvelle Expression du 5 mai 2004 qui barre sa ‘‘une’’ avec le titre suivant : ‘‘L’intégrisme aux portes du Cameroun’’. 36 Voir le lien internet http://www.jounalducameroun.com/article.php?aid=219; consulté le 6 juin 2006. 252 (...) nous, communauté chiite, accomplissons nos rites suivant les enseignements exclusifs des gens de la maison du Prophète. (...) nous sommes et serons les représentants du Prophète de l’islam par l’entremise de sa famille. Ce Prophète qui nous a enseigné l’humanisme, la sincérité, la recherche permanente de la paix, de l’amour, la solidarité, la justice, l’humilité, le sens du partage l’altruisme, la recherche permanente de la connaissance, la lutte contre la pauvreté, l’intégrité sociale, repousser le mal par ce qui est meilleur.37 Cependant, ce qui distingue extérieurement le chiisme du wahhabisme n’a en effet rien d’essentiel : culte des imams, notamment le grand deuil de Husayn (troisième imam) ; appel à la prière sensiblement différent ; législation originale pour l’héritage ou le mariage38, la non reconnaissance de l’autorité califale. Sur le plan physique, on peut reconnaître les femmes chiites par leurs silhouettes noires encapuchonnées dans des tchadors, de la tête aux pieds. Le port de ce type de voile constitue une sorte de da’awa et, en quelque sorte leur identité servant à se reconnaitre entre elles. Mais ce ‘‘signal silencieux’’ sert également à les distinguer de leurs sœurs des autres obédiences39. Lorsqu’on discute avec ces femmes, elles se montrent convaincues. Elles insistent sur le caractère plus concret, plus simple du chiisme par rapport au sunnisme ou sur la place que la voie chiite réserve aux femmes : La notion de genre, redécouverte par les organismes internationaux de développement, existe déjà dans le chiisme (…) on compte sur les femmes, qu’on encourage à étudier (…)40. 37 ‘‘Communauté musulmane de Douala : quand s’élève la voie des chiites’’, interview de Cheikh Hassan Nsangou parue dans le quotidien Le Messager, n°2057, vendredi 3 février 2003, p.3. 38 Pour une idée sur l’héritage et le mariage de tradition sunnite et de rite malékite au Cameroun, On lira utilement A. Njiasse Njoya et L. Zouya Mimbang, ‘‘Contribution à l’étude du droit islamique appliqué au tribunal coutumier de NGaoundéré : Les affaires matrimoniales et successorales chez les Peul’’, Revue Science et Technique (Séries Sciences Humaines), Vol. v, n° 1-2/3-4, 1987-1988, pp.59-76. 39 C. Cantone a fait les mêmes observations à Dakar au Sénégal. Voir notamment ses écrits suivants; ‘‘‘‘Radicalisme’’ au féminin? Les filles voilées et l’appropriation de l’espace dans les mosquées à Dakar’’, in M. Gomez-Perez (s.d.), L’islam politique au sud du Sahara. Identités, discours et enjeux, Paris, Karthala, 2005, pp.119-130 et ‘‘Women claiming space in mosques’’, ISM Newsletter, no 11, p.29. 40 Khadifa, Halima et Mariam, entretien du 7 septembre 2007 à la mosquée chiite de New-Bell/ dispensaire. En outre, à propos de la littérature sur genre et islam en Afrique, voir par exemple les écrits de E. Augis, ‘‘ Dakar’s Sunnite Women : the Politics of Person’’, in M. Gomez-Perez (s.d.), L’islam politique au sud du Sahara. Identités, discours et enjeux, 2005, pp. 209-326 et C. Cantone, ‘‘ ‘‘Radicalisme’’ au féminin ? Les filles voilées et l’appropriation de l’espace dans les mosquées de Dakar’’, in M. Gomez-Perez (s.d.), L’islam politique au sud du Sahara, 2005, pp. 120-130 pour le Sénégal ; de M.N. LeBlanc, ‘‘Imaniya and Young Muslim Women in Côte d’Ivoire’’, Anthroplogica, 49, 2007, pp. 35-50 pour la Côte d’Ivoire. 253 Les jeunes hommes quant à eux sont reconnaissables par leur barbe, avec des pantalons au dessus de la cheville, à l’allure sportive. L’image de barbus enturbannés renvoie aux quelques vieux que l’on trouve parmi eux. Cheikh Hassan Nsangou soulignait le 31 janvier 2006 lors de la première sortie officielle des chiites à Douala que : Dans la forme, les chiites et les sunnites ont le même Prophète, donc utilisent le même Coran, ont le même nombre de prières canoniques, observent le carême pendant le même mois, la même période de pèlerinage à la Mecque, et chaque groupe s’autoproclame de l’islam authentique.41 Dans le cadre de nos observations participantes, nous avons assisté à une séance de prière à la mosquée chiite de New-Bell/dispensaire, ce qui nous a permis de constater un autre aspect de leur particularité. Les membres de la communauté chiite de Douala prient dans leur bibliothèque/salle de prière sise à New-Bell, à côté du dispensaire. Au sol, des tapis sur lesquels les fidèles qui arrivent par petits groupes déroulent des nattes. En arrivant, nul ne s’est attardé dans les rues avoisinantes. A quelques mètres seulement, à l’extérieur, les tapis de prière qui jonchent les trottoirs sont ceux d’une mosquée sunnite (mosquée du lieu dit KDD) et les deux groupes se tournent résolument le dos. Dans la salle, chacun dépose à ses pieds nus un morceau d’argile séché42. Pendant la prière, quand il incline le front, le contact avec la terre est ainsi, malgré le ciment, symboliquement maintenu.43 La salle est rafraîchie par des ventilateurs flambant neufs. Au mur, encadré de baguettes dorées, des photos représentent Jérusalem, Médine et la Mecque ainsi que la maison de l’imam Ali à Kufa, la tombe d’Hussein, petit fils d’Ali, à Kerbala (Irak) ou la mosquée Mashad (Iran). Au fond de la salle, il y a un espace réservé aux femmes. Au regard de sa voisine, la mosquée chiite bénéficie d’une opulence qui détonne dans le quartier. La prière est suivie de la Do’a, ‘‘supplication adressée à Dieu pour qu’il satisfasse nos besoins, accorde ses bienfaits et pardonne nos péchés’’, ainsi que 41 ‘‘Communauté musulmane de Douala : quand s’élève la voie des chiites’’, interview de Cheikh Hassan Nsangou parue dans le quotidien Le Messager, n°2057, vendredi 3 février 2003, p.3. 42 D’après S.Mane (‘‘Islam et société dans la région du Mbam (Centre-Cameroun) : XIXe-XXe siècles’’, 2005-2006, p. 185), il s’agit de la terre husaynite issue de Kerbala, terre sur laquelle l’imam Al husayn est tombé martyr. C’est sur cette terre que les chiites se prosternent pendant la prière, où qu’ils soient dans le monde. 43 Observation participante à la mosquée chiite de New-Bell-/dispensaire, prière du Vendredi le 14 septembre 2005. 254 l’explique le petit livre didactique distribué aux fidèles. Pour chaque phrase, le fascicule propose la version phonétique, la version arabe et une traduction en français. Il permet ainsi aux non arabisants de suivre la prière déclamée par l’aumônier iranien Cheikh Alavi Payan, qui a séjourné à Douala de 1999 à 2005. Au milieu des récitations, il y a des brèves interruptions : l’aumônier prêche. Ses propos sont traduits par l’imam camerounais, cheikh Hassan Nsangou, francophone parlant couramment l’arabe. Après ce partage spirituel, vient le partage temporel. En effet, la prière une fois terminée, un repas offert par les fidèles est distribué et immédiatement consommé.44 A Douala, les Chiites sont minoritaires au milieu des Tidjannis et des autres qu’ils désignent par le terme ‘‘Sunnite’’. Mais le chiisme a largement trouvé preneur dans la communauté bamun de Douala au point où à la veille de la fête de la Tabaski 2003, Ibrahim Mbombo Njoya, le Sultan-Roi des Bamun inaugurait solennellement à Douala New-Bell /dispensaire la toute première mosquée chiite.45 Deux raisons peuvent expliquer pourquoi les Bamun ont servi de tête de pont au chiisme à Douala : ils sont moins profondément imprégnés de l’islam et culturellement proches des Bantou du Sud Cameroun, pour la plupart chrétiens et adeptes des religions traditionnelles. Pour cette raison, ils sont susceptibles de faire plus d’adeptes dans ces milieux. En outre, le doute émis par la coalition haoussa-peule envers leurs coreligionnaires ‘‘récemment islamisés’’ (Bamun, Bafia, convertis, etc.) et le regard porté sur eux par la même coalition sont pour quelque chose dans leur adhésion à ce nouveau mouvement.46 En dehors du chiisme, on rencontre aussi à Douala une nouvelle tendance religieuse appelée Tabligh. 44 Ibid. Le Messager, n°2057, du 3 février 2003, p.3. C’est d’ailleurs à Koumboo, un petit village du département du Noun qu’à ‘‘essaimé’’ une communauté équivalente au nombre à celle de Douala. C’est là, dans une zone à faible scolarisation, qu’à été construite en 2003 la première école chiite du Cameroun : ‘‘Il s’agit, précise Mahamadou III Salissou, d’une école ayant comme programme celui de l’éducation nationale et de l’islam, comme il en existe pour les cathodiques ou les protestants. Nous nous conformons aux dispositions légales en matière d’ouverture d’établissement scolaire, et le projet est favorablement accueilli. Les villageois ont d’ailleurs donné deux des quatre hectares du terrain sur lequel le premier bâtiment de trois classes a été construit. Le sultan des Bamun a également réagi positivement. Cette école primaire confessionnelle inaugurée en septembre 2003, accueillait 50 élèves par classe. Elle a été financée pour partie par le Khums (contribution volontaire basée sur le surplus net des revenus annuels de chaque fidèle) le reste venant des contributions spéciales des membres : avocats, cadres du secteur privé, hommes d’affaires, cultivateurs, etc.’’. (Entretien du 7 septembre 2007 à New-Bell/ dispensaire). 46 Nous reviendrons sur cet aspect de la question à la section B. 45 255 Les Tabligh Le terme Tabligh signifie transformation. Il s’agit d’un mouvement islamique né en Inde en 1926. Son fondateur est Cheikh Mohammed Ilyas al-Kandahlaoui né vers 1880 à Kandahla, en Inde dans une famille de savants et de pieux.47 Le Tabligh est un mouvement informateur dont l’idée de base est de basculer du système d’école au système de stage, ouvert à tous avec beaucoup d’apprentissage pratique et un minimum de théorie. Tout en se formant, les individus prêchent dans les mosquées où ils résident, dans les environs et même à l’étranger, et motivent les fidèles à constituer des groupes pour entreprendre le même travail.48 Le but du Tabligh est d’acquérir la religion entière et de la propager dans le monder entier, un peu comme les témoins de Jéhovah. Mais comme la religion est vaste, on a délimité des objectifs clés qui facilitent l’accès à la religion entière. Il s’agit des six qualités suivantes : -L’attestation de la foi, celle-ci est interprétée comme suit : ‘‘Nul n’est digne d’adoration en dehors d’Allah’’. En outre, il faut se défaire de la certitude et de la confiance dans les choses et dans les créatures et placer sa confiance uniquement en Allah. Quant à l’attestation ‘‘Mahomet est le Messager d’Allah’’, les fidèles doivent avoir la certitude que leur réussite ici-bas et dans l’au-delà est uniquement dans l’obéissance aux ordres d’Allah et le suivi du chemin tracé par le Prophète ; -La prière constitue la relation avec Allah, l’ascension du croyant au ciel et la clé des richesses d’Allah. La prière amène la religion dans la vie ; -La science et l’évocation d’Allah, tandis que l’évocation permet à ce que sa grandeur pénètre dans le cœur ; -Le respect des musulmans. Il faut les honorer pour que viennent la valeur et l’amour. Il est ainsi recommandé de vénérer les savants, de respecter les aînés et d’être bon avec les plus jeunes ; -Corriger l’intention pour que les actions soient faites sincèrement pour Allah afin qu’elles soient acceptées ; 47 48 B.H. Abdouraouf, Tabligh : étape IV, Saint Etienne, Le Figuier, 1995, p. 27. Ibid., p. 28. 256 -Enfin, prêcher Allah et sortir dans la voie d’Allah pour se corriger, pour faire revivre l’effort du Prophète et pour propager la religion.49 L’ordre des priorités chez les Tabligh est le suivant : le prêche d’Allah, la science ensuite, puis l’adoration, enfin le travail.50 Mouvement religieux à l’échelle mondiale, les prédicateurs tablighs sillonnent le monde en petits groupes, entrent dans les villes et les villages d’Afrique et d’ailleurs pour faire revivre l’islam chez les musulmans. C’est dans cette perspective que ce mouvement s’est infiltré au Cameroun au début des années 1990. C’est précisément en 1994 que le Tabligh s’infiltre à Douala, par le biais d’un groupe de sept prédicateurs pakistanais issus du mouvement transnational, originaire du Pakistan, des Jama’at at-tabligh.51 A leur arrivée à Douala, ils se rendent à la mosquée ‘‘KDD’’ au quartier New-Bell/service social. Ils y passent une semaine avant d’aller passer quatre jours à la mosquée de Bonamoussadi et trois dans celle de Bonabéri.52 Pendant leur séjour dans ces mosquées, leurs activités se résument en trois points : prêcher après chacune des cinq prières quotidiennes ; activités d’apprentissage entre les membres du groupe et les nouveaux membres qui se sont joints à eux ; enfin, visites de courtoisie aux autorités religieuses musulmanes et d’autres fidèles dans le but de les exhorter à se joindre à eux, non seulement pour continuer leurs œuvres mais aussi pour les accompagner dans les étapes suivantes.53 Après l’étape de Douala, le groupe s’est dirigé, accompagné de quelques fidèles vers la ville de Nkongsamba. Avant de quitter Douala pour se rendre dans les autres villes du Cameroun54, ce premier groupe de Tabligh avait constitué dans chaque mosquée, des groupes de fidèles qui devaient continuer leur prêche. C’est ainsi que peu à peu, le mouvement Tabligh s’est implanté à Douala. Si au départ, les populations regardaient avec beaucoup de curiosité et de 49 Ibid., p.30. Ibid. 51 M. Lasseur se fait l’écho dans son article ‘‘Cameroun : les nouveaux territoires religieux’’, p. 93. 52 Entretien avec Moussa Oumar, un des imams de la mosquée de Bonamoussadi, devant la mosquée de Bonamoussadi, le 21 avril 2004. 53 Ibid. 54 S. Mane signale leur présence à Bafia, au cours de la même période. Voir sa Thèse de Doctorat/Ph.D, ‘‘Islam et société dans la région du Mbam (Centre-Cameroun) XIX-XXe siècles’’, Université de Yaoundé I, 2005-2006, pp. 188-192. 50 257 méfiance ces musulmans barbus et enturbannés qui sillonnaient les mosquées, aujourd’hui leur présence à défaut d’être banale, suscite moins de curiosité.55 Les membres du Tabligh se déplacent avec leurs propres moyens, dorment sans distinction dans toutes les mosquées et font leur cuisine. La discipline est de règle pendant les sorties. A l’intérieur de chaque groupe il y a un Amir (chef), un porte-parole et un guide. L’un des imams de la mosquée d’Akwa, Yaya Abdoulaye explique les raisons de l’adhésion à ce courant par plusieurs raisons : ce sont des vieillards venus de très loin, avec leurs propres moyens, en laissant toutes leurs occupations, rien que pour encourager les gens à pratiquer la religion. Ils prêchent dans toutes les mosquées. Leurs prédications sont pratiques et touchent à la vie quotidienne. Les Tabligh sont aujourd’hui presque les seuls musulmans nationaux et internationaux à sillonner sans distinction toutes les mosquées de Douala pour propager l’islam. Ils ont réussi à renforcer la foi de beaucoup de fidèles, à travailler pour la religion comme on travaille pour le bureau, pour le champ ou le commerce.56 En dernier ressort, le Tabligh introduit à Douala au cours de l’année 1994 constitue un mouvement religieux moins important que les autres. Il se manifeste au niveau des individus et s’est pas encore structuré en un mouvement visible et identifiable. Ce mouvement participe néanmoins à l’éveil islamique dans la ville de Douala. Mais les tournées des missionnaires Tabligh ont tendance à diminuer sensiblement depuis la première ‘‘Guerre du Golfe’’ et s’amoindrissent davantage après les attentats du 11 septembre 2001. On peut donc dire que ce mouvement est en perte de vitesse aussi bien au Cameroun que sur le plan international. En effet, les Indo-pakistanais qui constituent les piliers de ce mouvement57 n’arrivent plus à sillonner le monde comme dans le passé, à cause du contexte international dominé par la ‘‘lutte contre le terrorisme’’. C’est surtout les adeptes locaux qui essaient de faire vivre ce mouvement. Comme on peut le constater, les autres tendances islamiques présentes à Douala depuis le retour au pluralisme sont les Tabligh et les Chiites. Mais le principal de ces deux mouvements est le chiisme, clairement représenté et localisé. Son implantation a 55 Entretien avec Moussa Oumar un des imams supléants de la mosquée de Bonamoussadi, le 21 avril 2004, à la mosquée de Bonamoussadi. 56 Entretien avec Yaya Abdoulaye, un des imams suppléants de la mosquée d’Akwa, le 22 avril 2004, à la mosquée d’Akwa. 57 L. Maud, ‘‘Cameroun : les nouveaux territoires de Dieu’’, p. 93. 258 donné lieu à des affrontements. Mais ces affrontements n’avaient pas encore atteint l’ampleur de ceux que certaines études décrivent à Foumban58 ou encore à Yaoundé59 à la même période. Par la suite, le courant chiite s’est structuré autour de sa mosquée et de son centre culturel alors que le Tabligh s’est diffusé auprès des fidèles grâce aux prêches, sans tenir compte des appartenances idéologiques. Ce dernier courant apparaît comme une association spécialisée dans la prédication, vers l’appel aux musulmans. On retrouve ainsi dans ce mouvement transnational, originaire du Pakistan un trait commun avec le christianisme : les nouvelles tendances religieuses sont le plus souvent des mouvements de réforme, de reconversion et de remoralisation de la communauté cultuelle. Ceci étant dit quel sens peut-on donner à ces nouveaux mouvements de l’islam à Douala ? Ces courants, le chiisme et le tabligh, semblent s’inscrire dans la dynamique musulmane qui traverse Douala depuis la décennie 1970 et qui a par ailleurs continué à s’implanter avec le vent de libéralisation. Mais à la différence du premier mouvement des années 1970 et 1980, ces deux mouvements comptent dans leurs rangs un certain nombre de traditionalistes. Le paradoxe apparent veut aussi que ce soient certains membres de cette même classe traditionnelle qui propagent les idées rénovatrices. C’est ainsi que les Tabligh ont été accueillis dans toutes les mosquées doualaises notamment tidjanistes et wahhabites. Soucieux de leurs prérogatives et de ne pas être en marge de la nouvelle tendance, des dignitaires/traditionalistes que nous appelons affairistes60 posent des actes qui les rapprochent des réformistes. Ils contribuent financièrement à la construction des mosquées, et d’autres infrastructures, aux activités des associations tant à Douala qu’à l’intérieur du pays. Le quotidien La Nouvelle Expression souligne le cas d’El Hadj Tanko Amadou (chef de la communauté musulmane de Bonaberi) qui a financé en partie les travaux de construction des nouvelles mosquées des quartiers Mabanda et Ndobo tenues 58 Ibid., pp. 93-116 mais surtout I. Mouiche, ‘‘Islam, mondialisation et crise identitaire dans le royaume bamoun, Cameroun’’, Africa, 75 :3, 2005, pp. 378- 420. De même, le journal El Qiblah en a fait largement écho au début des années 2000. 59 Voir S. Emboussi, ‘‘L’implantation et l’évolution de l’islam à Yaoundé (1889-1993) : le cas du quartier Briqueterie’’, Mémoire de DIPES II, ENS, Yaoundé, 1994 et aussi Nzana Seme, ‘‘ Guerre de musulmans à Yaoundé’’, Le Nouvel Indépendant, no 53, 10-17 avril 1995. 60 La plupart de ces dignitaires sont difficilement joignables, non seulement en raison de leurs activités multiples qui les conduisent la plupart de temps à voyager, mais aussi à cause de leur refus de communiquer sur leurs carrières. Qualifiés par tous de ‘‘grands commerçants’’ ou d’ ‘‘hommes d’affaires’’, ils refusent d’évoquer leurs itinéraires et leurs contacts en hauts lieux, c’est à dire leurs relations privilégiées avec les autorités. 259 par des prédicateurs de tendances wahhabites.61 Le quotidien Le Messager de son côté affirme notamment que la présence de El Hadj Moctar Abubakar Oumar et du Prince René Bell, chef supérieur du canton Bell était remarquée lors de la sortie officielle du chiisme à Douala en 2006 (voir photographie no 8). Et il ajoute, ‘‘pendant la Tabaski, El Hadj Moctar Abubakar a la possibilité de distribuer des moutons, en guise de zakât. Il a toujours apporté sa part de contribution à la réfection des mosquées et aux activités des jeunes (...) il a créé l’Union Islamique du Cameroun (...) il avait amassé une grande richesse depuis la fin des années cinquante (...) il gérait le pèlerinage à Douala’’62. Cette présence d’éléments traditionnels au près des nouveaux mouvements islamiques- même s’ils restent avant tout préoccupés par la sauvegarde de leurs intérêts économiques et de leur autorité - amène à (relativiser) nuancer l’affirmation selon laquelle le ‘‘renouveau islamique’’63 serait un mouvement anti-traditionnel. Pourquoi certains traditionalistes sont-ils sensibles au courant réformiste qu’il soit sunnite, chiite ou tabligh? Bien sûr tous les traditionalistes ne sont pas proches de ces courants, loin de là. Certains et notamment les chefs traditionnels sont même de farouches adversaires de ces mouvements dans la mesure où ceux-ci remettent en cause leurs prérogatives. Quatre hypothèses sont envisageables. La première est que les traditionalistes utilisent l’adhésion aux courants réformateurs dans leurs luttes d’influence à travers les financements des activités réformistes (construction des mosquées, financement des activités des associations, etc.). La deuxième est que ce mouvement touche l’ensemble de la communauté musulmane et traverse donc les distinctions de ‘‘classes’’. La troisième hypothèse est à relier au fait que les traditionalistes sont aussi des commerçants. Or, nous avons vu le rôle des réseaux commerciaux dans la propagation du sunnisme à travers l’exemple des migrants ouest-africains des années 1980. La quatrième est que les traditionalistes cherchent à ne pas être exclus d’un mouvement qui les remet en cause. En effet, ils ont intérêt à être partie prenante de ce ‘‘nouveau clergé’’ qui est en train de se former et qui menace leur influence fut-elle positionnelle, symbolique ou économique. 61 La Nouvelle Expression no 1194 du mercredi 26 novembre 2003, p. 5. ‘‘Le mouvement chiite en plein essor au Cameroun’’, Le Messager no 2057 du vendredi 3 février 2006, p. 3. 63 Voir G.L.Taguem Fah, ‘‘Pouvoir du savoir, renouveau islamique et luttes politiques au Cameroun’’, in M. Gomez-Perez (s.d.), L’islam politique au sud du Sahara. Identités, discours et enjeux, Paris, Karthala, pp.557-581. 62 260 261 Enfin, le nouveau courant réformiste ne constitue pas un bouleversement radical de l’organisation de la communauté musulmane. Il ne vise pas la remise en cause de la structuration de la société. En effet, l’évolution de la société accompagne le mouvement, mais n’en découle pas. En tout cas, ce serait une erreur de voir les choses de façon tranchée, une simple dichotomie ‘‘traditionalistes/ modernistes’’64. Les modernistes n’ont pu exister que par ce que des pionniers leurs avaient ouvert le chemin. Ainsi, les courants intellectuels/idéologiques naissent d’un processus de sédimentation d’idées. De même ce courant réformiste procède d’un aggiornamento, c’est-à-dire d’une adaptation silencieuse à l’évolution du monde, au progrès. C’est pour cela que les identités des musulmans de Douala sont surtout mutantes et multiples, et qu’ils y a en permanence une modernité des ‘‘traditions’’. Deux choses se passeraient dans les groupements musulmans de Douala depuis environ quinze ans. La première est que, au plan de la religiosité --c’est-à-dire le contexte dans lequel s’énonce la religion, les savoirs auxquels elle renvoie, ses discours, ses significations– l’éclosion des tendances depuis le début des années 1990 est remarquable. Il y a quelques décennies, on opposait les traditionalistes à ceux qu’on appelait les modernistes.65 Cette lecture un peu schématique suffisait pour offrir un bon panorama des communautés musulmanes. Depuis les années 1990, elle ne suffirait plus à restituer la profusion et l’explosion de la créativité qui secouent les communautés musulmanes de Douala. Désormais il est presque impossible d’esquisser une typologie cohérente des musulmans de Douala. Les clivages et les parcours ne sont toujours pas une affaire de génération. D’ailleurs, les traditionalistes ont davantage de facilité à créer et à faire vivre des activités à caractère islamique. Il est difficile de réconcilier ce que font des dignitaires et les jeunes. A titre d’exemple, El Hadj Bell Mahmoud, imam, chef de la communauté musulmane de Ngodi/Bakoko et président de la JIC (association spécialisée dans la prédication auprès de jeunes des lycées et collèges) de Douala est probablement l’épicentre de cette nouvelle religiosité. Né en 1960 à Mbanda, arrondissement de Dibang dans le Nyong et Kellé, Bell Luc de son nom originel est issue d’une famille chrétienne 64 G.L. Taguem fah, ‘‘Tendances actuelles de l’islam au Cameroun ; étant des lieux et perspectives’’, Afrique contemporaine, n°194, 2e trimestre 2000, p. 57. 65 Ibid., pp.55-57. 262 de l’église presbytérienne. Il est rebaptisé Bell Mahmoud en 1982 lorsqu’il se convertit à l’islam. Comment est-il entré dans l’islam ? Bell Mahmoud raconte : C’est une longue histoire qui peut se résumer ainsi : j’ai été un adepte très fervent du christianisme, notamment à l’église presbytérienne du Cameroun. C’est dans ce cadre que je fais beaucoup de recherche sur la religion. Surtout que j’étais en fin de formation des études qui devait faire de moi un pasteur. Nous étions dans les années 1981 et 1982. C’est alors que j’ai des contacts avec des amis musulmans qui me permettent d’avoir des informations exactes sur la religion musulmane. Surtout que je croyais que cette religion était la propriété exclusive d’un peuple qu’on appelait le peuple Haoussa. Il faut dire aussi qu’on m’avait inculqué des informations pas exactes sur cette religion. Par exemple que les musulmans ne se lavent pas, c’est ce qu’on m’avait enseigné et qu’avant d’enterrer un des leur décédé, ils l’égorgent. Lorsque je commence à faire la connaissance de l’islam avec des amis tels que Njiku Nji Salifou, mon frère du Noun ; Daoudou Baldré, un exilé tchadien ; Youssef Abachir, un coopérant tunisien et de jeunes Egyptiens, il y avait à Yaoundé Dr. Ndam Njoya alors ministre de l’Education Nationale et son ami le prêtre Engelbert Mveng. Ces deux avaient coutume d’organiser des forums de dialogue qu’ils appelaient dialogue islamo-chrétien. Cela a été pour moi une aubaine puisque je participais en posant beaucoup de questions pour connaître ce que c’est que l’islam. C’est ainsi que je suis entré à l’islam. C’est alors que j’ai compris qu’il y’avait un peu plus de vérité à l’islam.66 Après son baccalauréat, il entre dans la fonction publique en 1984 et est affecté au centre des chèques postaux de Douala. Une fois à Douala, il est élu à la tête de la jeunesse islamique du Cameroun (JIC), branche de Douala. Convertisseur infatigable, il sillonne les milieux bassa et fait des adeptes. En 1999, il initie la traduction du Coran en langue bassa’a 67. L’imam Bell Mahmoud justifie son initiative en ces termes : Jusqu’au XVIIIe siècle, l’église chrétienne en général, a pénétré les zones les plus reculées du monde parce que les missionnaires mettaient l’accent sur la traduction de la Bible en langue locale. La langue étant un important véhicule de la communication, elle suscite la sympathie du peuple vers la religion. Et aujourd’hui, l’islam est resté dans un carcan par ce que le Coran est écrit en arabe, qui n’est pas compris par tout le monde. Et j’ai pensé qu’avec la traduction française qui a un peu ouvert la compréhension de l’islam aux francophones et francophiles, le peuple Bassa peut aussi accéder à la compréhension de cette religion qui n’est pas l’apanage ou la propriété des arabes. C’est pourquoi, j’ai œuvré à la traduction du coran en langue bassa pour que le peuple bassa, dans ses limites naturelles, accède à la connaissance de l’islam68. 66 Le Messager du 12 septembre 2006. Le Coran est traduit en plusieurs langues dans le monde : anglais, français, latin, italien, allemand, néerlandais, hébreu, haoussa (Nigeria), urdu (Pakistan) et depuis 2005 en bassa’a (Cameroun). Ce n’est cependant pas la première initiative au Cameroun, la première a été le fulfulde. 68 Le Messager du 12 septembre 2006. 67 263 L’équipe de traduction, quant à elle, était constituée de Idrissa Traoré et Dr. Ndiara de nationalité malienne ; Abdou Karim Abbo, Peul de l’Extrême Nord ; Moumin Ibrahim, Peul de Garoua ; Mbatkom du Noun. C’est dire que cette traduction n’était pas une affaire de Bassa, même si à un certain niveau du travail, l’équipe de Bell Mahmoud avait fait appel aux Bassa et pas seulement aux Bassa islamisés. A plus de cinq reprises en effet, Bell Mahmoud avait réuni des anciens du peuple bassa qui étaient souvent partis de leurs villages pour corriger la forme littéraire.69 En 2005, la première mouture est disponible. Une centaine d’exemplaires sont tirés puis placés à la Bibliothèque Nationale où ils sont conservés. A brève échéance, confie l’imam Bell Mahmoud, ‘‘nous envisageons de le produire en millions d’exemplaires, car la demande est grande. A cet effet, il a été envoyé en Arabie Saoudite pour étude et multiplication’’70. Comme on peut le constater, les activités (conférences, prédications, enseignement et encadrement des convertis) de l’imam Bell Mahmoud sont à mi-chemin entre le modernisme et le traditionalisme. Elles empruntent à tous les registres et rencontrent d’énormes succès tant en milieux jeunes, adultes que chez les aînés et même hors de la province du Littoral. Il conçoit en effet des programmes de vulgarisation de mosquées et de conversion jusqu’ aux confins de l’Est du Cameroun. Il est membre de l’équipe rédactionnelle du mensuel islamique d’information An-Nour publié à Yaoundé. Tout ceci traduit la complexité à établir une barrière nette où plutôt à définir ce qu’on appelle tradition et surtout la modernité. Il s’agit ici d’une nouvelle voie entre tradition et modernité, laquelle n’est pas linéaire ou verticale. Ainsi, des passerelles se construisent entre les différents protagonistes. En suivant la définition d’Hamadou Adama, on pourrait dire que celle-ci ‘‘est sinueuse et réversible, mais surtout animée par des liens d’enchevêtrement, d’interdépendance et d’imbrication permanente, sans que l’une n’arrive vraiment à prendre le dessus sur l’autre’’71. Ainsi, les traditionalistes tout comme les modernistes recrutent selon les formes modernes de religiosité. Il demeure cependant que l’islam 69 Ibid. Ibid. 71 H. Adama, L’islam au Cameroun, p. 9. 70 264 réformiste ou ‘‘néo fondamentale’’72 semble au regard de nos enquêtes progresser à Douala, porté par l’éducation et les jeunes, dans un contexte de désintégration sociale (urbanisation, migration, chômage, paupérisation). Ainsi, comme dans les années 1980, plusieurs raisons ont continué à jouer un rôle prépondérant dans les motivations des adhésions des jeunes au nouveau courant réformiste. De plus, le développement, par l’instruction, de la connaissance du français, de l’anglais ou de l’arabe et l’accès plus aisé aux ouvrages sur l’islam et aux médias électroniques, expliquent que les jeunes soient de plus en plus attirés par ce qu’ils considèrent être la ‘‘vraie religion’’. Ils rejettent alors ‘‘l’islam des vieux’’, fondé sur l’oral et le respect de la hiérarchie dans l’accès au savoir. La deuxième chose est que, au plan de la religion – ensemble de croyances ou de dogmes et pratiques cultuelles qui constituent les rapports du croyant avec la puissance divine ou foi, piété, croyance – la diversité des démarches est tout aussi évidente : il suffit, pour cela, de comparer les approches des réformistes sunnites/wahhabites, des simples croyant désireux de vivre de façon moderne leur religion, des chiites et des ‘‘ cadets sociaux’’ à celles de leurs aînés et on comprendra. Autrement dit, la contestation religieuse a pris des formes très élaborées. Depuis bientôt 15 ans, des clivages socio-religieux émergent entre notamment les tendances islamiques à Douala. D’autres tendances islamiques sont venues en effet se greffer aux anciennes : aux sunnites Tidjanites et Wahhabites, il faut ajouter désormais parmi les derniers arrivés, les Tabligh et en bonne place les Chiites, dont les membres peuvent être des fonctionnaires, des membres des professions libérales, des lettrés, etc., ce qui aboutit à différents ‘‘conflits’’ religieux. Ces divisions au sein des communautés musulmanes de Douala semblent s’accentuer. C’est donc dire que cette démultiplication des tendances est aussi due aux différences des formations et à l’accès aux réseaux islamiques. Cette nouvelle demande religieuse s’impose véritablement dans les mentalités urbaines de Douala à partir du milieu des années 1990, parmi les jeunes, parmi une nouvelle élite de lettrés en arabe, en français, en anglais. Ils sont désireux de remettre en valeur les fondements du message islamique comme valeurs modernes adaptées aux besoins de la vie quotidienne. 72 Voir O. Roy, L’échec de l’islam politique, pp. 102-103. 265 En parallèle à cet éclatement religieux sur des bases idéologiques, l’espace religieux musulman de Douala enregistrait par ailleurs des tensions intra- communautaires autour du leadership religieux ; lesquelles seront aussi à l’origine de la parcellisation de la communauté, suivie en outre de la construction et/ou réfection des mosquées. A-2 Complexification des lignes de clivage et contestation/remise en cause religieuse L’un des effets de la manifestation de la dynamique islamique à Douala tient aussi à la complexification des lignes de clivage qui traversent et parcellisent la communauté musulmane. En témoigne l’éclatement des lieux de cultes qui favorisent l’épanouissement de mosquées ethniques émergentes, souvent nées en vue de régler un problème de langue ou de leadership au sein des grandes mosquées du vendredi.73 De fait, depuis l’époque coloniale, la mainmise des Haoussa sur l’islam dans les grandes cités urbaines du Sud-Cameroun en général indispose, en particulier, fréquemment les Bamun et les Bafia. Fort de leur ancienneté dans la ville de Douala, les Haoussa se sentent guides spirituels de l’ensemble des musulmans de la ville. Ils ont, les premiers, contribué à l’islamisation de la ville de Douala du fait de leur mobilité et de leur activité commerçante. De plus, les communautés musulmanes de Douala n’ont pas la même densité historique et le facteur islam n’a pas la même importance dans la formation de leur ethnicité. Les Peul, les Haoussa et assimilés74, de ce point de vue, s’estiment supérieurs aux autres : Bafia, Bamum et autres convertis. A ce sujet, A. Njiasse Njoya écrit par exemple: ‘‘entre les Haoussa et les Bamun, les rapports sont demeurés ceux du 73 A Yaoundé par exemple, l’ouverture de l’immense complexe islamique de Tsinga, financé par l’Arabie Saoudite, a été repoussée de deux ans en raison d’une lutte intense pour l’accès à l’imamat entre les différentes composantes ethniques de la communauté musulmane de Yaoundé. Le chef haoussa n’a pu finalement s’assurer le contrôle du superbe édifice et, face à une situation inextricable, la gestion de la mosquée a dû être confiée à une organisation saoudienne. Pur plus de détails, lire, entre autres, T. Takou, ‘‘L’islam au Cameroun : progression et mutation’’, in F. Eboussi Boulaga (s.d.), L’état du Cameroun 2008, Yaoundé, Editions Terroirs, 2009, p. 622 et L. Maud, ‘‘Cameroun : les nouveaux territoires de Dieu’’, 2005, p. 93. 74 Les similarités culturelles ont permis une intégration entre les deux groupes et les Ouest Africains (Sénégalais, Maliens, Nigériens, etc.) qui se sont harmonieusement mélangés et se démarquent de moins en moins. 266 maître et de l’élève ; les marabouts qui ont été à l’école coranique des Haoussa jouissent d’un grand prestige’’75. Les Bamun, les Bafia musulmans et plus généralement tous les convertis expriment des sentiments de frustration devant les anciens maîtres Haoussa ou Peul, accusés –à tort ou à raison- de développer un sentiment de supériorité et ce en dépit de leur appartenance commune à la même foi islamique. Ici, l’imbrication des domaines religieux et ethno-culturels génère très souvent de doute à l’encontre des ‘‘nouveaux’’ convertis qui s’attellent difficilement à surmonter ces obstacles culturels et à éviter de nouvelles situations conflictuelles aussi bien avec leur culture d’origine qu’avec leur culture d’adoption. Toutes ces frustrations et ce sentiment d’être mis à l’écart ont suscité, depuis la décennie 1990, une hostilité souterraine, voire renforcé la multiplication des mosquées distinctes et l’ethnicisation de l’islam. Musulmans depuis des siècles, les Haoussa-Peul et assimilés estiment de leur côté qu’ils ont un mode de vie plus proche de la civilisation arabo-islamique. Ils refusent de ‘‘prier derrière’’ un imam Bamum, un imam Bafia, etc.76 qui ont été islamisés par eux. Ils se considèrent comme les seuls vrais musulmans. Comme on peut le constater, ici, l’ancienneté de l’islamisation accorde un droit de préséance au sein de la communauté. On tente de faire de Dieu l’objet d’une propriété exclusive, lié à son degré d’ancienneté. Tout ceci débouche sur la constitution des lieux de prière distincts, à forte coloration ethnique. Aussi, trouve-t-on, de plus en plus, à Douala des mosquées dont les identifications sont essentiellement attachées à des regroupements ethniques. Il faut cependant préciser que ce processus n’est pas brusque. Il est évolutif et date de l’époque coloniale. Ainsi, existe-il une mosquée haoussa de tel ou tel quartier, une mosquée Bamun de tel ou tel quartier, une mosquée foulbée de tel ou tel quartier, etc. Bref, dans chaque quartier, chaque communauté possède sa ou ses mosquées. De même, lorsque le sultan-Roi des Bamun inaugure en 2003 la mosquée chiite de Douala et reçoit peu après la communauté bamun à l’église protestante bamun de New-Bell, en tant que ‘‘Père de 75 A. Njiasse Njoya, ‘‘L’islam au Cameroun’’, in La culture arabo-islamique en Afrique au Sud du Sahara : cas de l’Afrique de l’Ouest, Publication de la Fondation Temimi pour la Recherche Scientifique et l’Information, Zaghouan, août 1997, p. 260. 76 Ibid. 267 tous les Bamun’’ les musulmans du Grand Nord77 disent, non sans mépris pour ces ‘‘islamisés récents’’ que ‘‘les Bamun ont un pied de chaque côté : le vendredi à la mosquée, le dimanche à l’église’’. Ce type de raccourci en dit long sur la manière dont est généralement considéré le lien entre identité ethnique et identité religieuse, le pluralisme confessionnel étant souvent perçu comme ‘‘un paganisme déguisé’’78. Par ailleurs, les imams haoussas et assimilés reprochent aux Bamun leur accommodation avec le ‘‘fétichisme’’79, leur manque de savoir et de ne considérer l’islam que comme un soutien à la royauté bamun.80 De fait, le camp haoussa-fulani (peul) islamisé de longue date et installé à Douala bien avant les Bamun, repose aussi sur une solide alliance entre les Nigérians, les Nigériens, les Sénégalais et les Maliens avec qui il partage des similitudes culturelles et professionnelles. Cette différenciation connaît depuis peu un phénomène de remise en cause, lié à l’affirmation d’un islam bamun dynamique et prosélyte. Les musulmans bamun comblent en effet depuis peu leur retard sur ceux du Grand Nord, s’émancipant, en même temps, du pouvoir peul-haoussa qui entendait conserver sa domination sur la sphère islamique et dirigerait effectivement, depuis l’indépendance, les associations islamiques nationales, à l’instar de l’ACIC. Ainsi, les Bamun jouent, ces dernières années, un rôle au moins aussi important dans la diffusion de l’islam, amplifié par leur proximité culturelle avec les autres populations méridionales du Cameroun. Ils constituent un groupe religieux de plus en plus important et le prosélytisme de leurs marabouts et imams fait de plus en plus d’adeptes. Ces derniers acquièrent progressivement une visibilité et une influence croissante dans le champ social. Ils tiennent des prêches populaires.81 77 Le Grand Nord désigne les trois régions septentrionales du Cameroun (Adamaoua, Nord et ExtrêmeNord). 78 Voir L. Maud, ‘‘Cameroun : les nouveaux territoires de Dieu’’, p. 97. 79 A Foumban, l’islam a fait une synthèse profonde avec la religion coutumière ou ‘‘agraire’’ pour reprendre l’expression de D. Dejeux (‘‘Les religions agraires en Afrique noire’’, Le Mois en Afrique, no 223-224, août-septembre 1984, pp. 134-145) ; Cf. C. Tardits, ‘‘Passage d’une religion traditionnelle (culte des ancêtres à l’islam : le cas Bamoum)’’, Sociétés africaines, monde arabe et culture islamique, (mémoires de Germaa, T.1), Paris, INALCO, 1981, pp. 135-152. 80 Pour d’amples informations, se référer à l’étude I. Mouiche, ‘‘Islam, mondialisation et crise Identitaire dans le Royaume Bamoun, Cameroun’’, pp. 378-420. 81 VoirT.M. Bah, ‘‘Islam et modernité au Cameroun’’, in M.Michel et P. Soumille, Etudes Africaines l’Afrique Noire à l’IHPOM (1964-1994), Paris, l’Harmattan, pp.249-262. 268 Suite au même constat selon lequel les solidarités ethniques transcendent ou supplantent les solidarités religieuses, l’imam Ouba Oumarou de la mosquée de Bonabéri devait, à l’occasion de la fête de tabaski82 de 2005, condamner le fait que ‘‘plusieurs mosquées sont en train de naître avec une coloration ethnique. L’on retrouve ainsi des mosquées haoussa, foulbé, bamun dans tous les quartiers (…) ce qui n’est pas admissible dans l’islam qui est une religion d’intégration’’83. Et, El Hadj Tanko Amadou, chef traditionnel de la communauté devait au cours de la même cérémonie, revenir à son tour sur le message passé par l’imam à savoir le danger que présente le tribalisme dans l’islam, en précisant que : “ Tous les musulmans sont des frères, il n’est donc pas question que des gens se regroupent parce qu’ils sont d’une même tribu. C’est aller à l’encontre des dispositions de l’Islam”84. Au sein de la communauté, la bataille autour du leadership religieux et de la maîtrise des connaissances islamiques devait parfois se transporter sur le terrain infrastructurel. Ainsi, certains édifices religieux sont détruits pour être reconstruits, afin d’en augmenter la capacité d’accueil, marquer les esprits et surtout de répondre aux nouvelles normes techniques et architecturales imposées par les promoteurs des nouvelles mosquées. D’autres sont rénovées, suivant une architecture imposante. A titre d’illustration, la mosquée foulbée de New-Bell/Congo sera détruite en octobre 2005. La cérémonie de lancement des travaux de reconstruction a lieu en novembre de la même année, en présence du Lamido de Tignère, localité située dans la région de l’Adamaoua. La présence du lamido de Tignère est révélatrice de l’origine du chef de la communauté peule de New-Bell/Congo et d’El Hadj Diallo Bakaï Mamoudou, un des imams de ladite communauté. A cette occasion, ce dernier déclara : Cette mosquée n’est que la première étape. Elle nécessite l’effort de tous les membres de la communauté. Nous envisagerons pour le futur l’école, le dispensaire et bien d’autres choses.85 82 Voir glossaire La Nouvelle Expression du 25 janvier 2005. p.6. 84 Ibid. p.12. 85 Extrait de l’interview accordée par Diallo Bakaï imam titulaire de la mosquée foulbée de Douala à la chaîne de télévision privée ‘‘Canal 2 International’’ et diffusée le 27 Novembre 2005 dans le cadre de l’émission ‘‘Vitrine de l’Islam’’. 83 269 La langue utilisée (le fulfulde, langue des Peul) par le lamido de Tignère lors de son discours circonstanciel et l’origine de l’imam Diallo Bakai Mamoudou de même que la dénomination de la mosquée (mosquée foulbée de New-Bell/Congo) constituent des indicateurs de la division ethno-cultuelle, accentuée par l’ethnicisation des mosquées. Pendant le même mois, c’est-à-dire en novembre 2005, la mosquée haoussa de New-Bell qui avait subi des travaux de réfection au cours de l’année 2004 (voir photographie no 9) était inaugurée, en présence du Gouverneur de la province du Littoral, Gounoko Haounnaye, lui même musulman originaire de la région de l’Extrême-Nord. A cette occasion, il avait fait la mise au point suivante : Cette mosquée est une maison de Dieu. Elle n’appartient ni à New-Bell ni à aucune tribu. Tout musulman quelque soit son origine peut venir prier ici (…) Il n’y a pas deux mosquées centrales à Douala. La mosquée du marché central de Douala reste jusqu’à nouvel avis l’unique mosquée principale de Douala.86 Cette mise au point résulte des luttes souterraines que se livrent les communautés musulmanes de Douala, notamment lorsqu’il s’agit du contrôle des principales mosquées. Ainsi, l’ouverture de cette mosquée était l’occasion pour le gouverneur de dénoncer les luttes pour l’accès à l’imamat entre les différentes composantes ethniques de la communauté musulmane de Douala. En effet, dans cette communauté à base sociospatiale large, de fortes tensions opposent les trois principales factions d’adeptes et d’autorités religieuses du ‘‘tripode’’ géo-islamique camerounais. La compétition entre musulmans peuls (Grand-Nord), bamun (Ouest) et haoussa (villes du Sud) pour l’accès à l’imamat dans les principales mosquées de la ville de Douala reste particulièrement vive. Face à des situations parfois inextricables, la gestion des principales mosquées est souvent confiée à un collège d’imams, représentants la diversité ethnique de la communauté musulmanes de la ville. Et, bien que les collèges des imams des grandes mosquées soient multi-ethniques, les groupes haoussa et peul se comportent encore souvent comme s’ils étaient les seuls imams légitimes. Une autre réalité s’impose aux yeux de tout observateur tant soit peu attentif au quartier New-Bell/Congo. Dans leur contexte migratoire, les Ouest-africains 86 Extrait de l’interview accordée par le gouverneur de la région du Littoral à la chaîne de télévision privée ‘‘Canal 2 International’’ et diffusée le 27 Novembre 2005 dans le cadre de l’émission ‘‘Vitrine de l’Islam’’. 270 271 (les Sénégalais, les Maliens et Yoruba) à Douala, ont aussi amélioré les aspects extérieurs et intérieurs de leurs mosquées (voir photographie no 10), surtout en raison d’une politique migratoire qui conduit ces migrants à réfléchir sur le statut de l’islam dans leur communauté et dans leur lieu d’accueil.87 Ce débat est à mettre en parallèle avec l’évolution des conditions de vie de ces Ouest-africains, de leur éloignement et de leur prise de conscience de leur installation durable voire définitive à Douala, lequel les conduit à créer des structures de cohésion socio-culturelle (mosquée et dahira pour les Sénégalais), des espaces de prière propres à leur communauté, auxquels sont adossées des écoles coraniques (mosquée malienne, mosquée yoruba, mosquée guinéenne, etc.). Tout ceci contribue à un éveil culturel islamique qui débouche sur une plus grande structuration ‘‘ethnique’’ et religieuse des musulmans non nationaux. Ainsi, la technique de prosélytisme observée dans les années 1980 qui consistait à construire de nouvelles mosquées a perduré mais en s’amplifiant, depuis le tournant des années 1990, sur des bases ethniques et entraînant une division plus poussée de la communauté. Cette division est surtout liée aux complexes ethno-culturels et à des inégalités dans l’accès aux réseaux islamiques et donnent par ailleurs des indices sur des ressorts cachés. En outre, la multiplication des lieux de culte s’est renforcée dans les espaces publics, au point où il est désormais impossible de les répertorier. Dans les hôtels, les agences de voyage, les restaurants, les marchés, etc. des espaces délimités sont réservés à la prière des musulmans. Dans les lieux de service, sur les trottoirs des rues encombrées de Douala et partout ailleurs (parkings, hangars, etc.) où l’heure de la prière atteint les musulmans de Douala, ils prient, le visage en direction de la Mecque. A l’heure de la prière, sont étalées quelques nattes et tapis qui sont repliées après la célébration de l’office. Cette pratique qui s’appuie par ailleurs sur le Coran88 participe aussi d’une volonté de rendre publique/visible l’islam et d’une islamisation tout azimut. 87 Pour affiner sa réflexion sur l’islam en situation migratoire, le lecteur pourra consulter les écrits de S. Bava, ‘‘Les mourides entre utopie et capitalisme’’, Manière de Voir, Bimestriel, juillet-août 2002, pp. 4851 ; V. Ebin, ‘‘A la recherche de nouveaux ‘‘poisons’’ : stratégies commerciales mourides par temps de crise’’, Politique Africaine, no 45, 1992, 90-120 et C.A. Babou, ‘‘Brotherhood Solidarity, Education and Migration : The Role of the Dahiras Among the Murid Muslim Community of New York’’, African Affairs, 2002, no 101, pp. 151-170 88 Selon le Coran, la prière doit se faire n’importe où, car tout endroit est saint puisqu’il a été créé par Allah. 272 273 Les manifestations de la foi doivent se montrer et être partout. Ces territoires religieux font émerger aussi des modes différentiés de sociabilité, c’est à dire l’ensemble de ces relations sociales qui se jouent dans et autour des mosquées et des lieux de grandes prières. Ils forment finalement un patchwork complexe de territoires musulmans se recouvrant sur leurs marges. L’ensemble de ces facteurs explique l’éclatement de la communauté suivi par ailleurs de nouvelles constructions et/ou le renouvellement des mosquées de plus en plus belles et qui résistent à l’usure du temps. Ils montrent aussi que ces constructions s’associent à des rivalités ethniques et/ou nationales, qu’elles centralisent des oppositions sous jacentes et les placent sur un plan supérieur. En somme, d’un point de vue géopolitique, Douala présente un clivage musulmans anciennement islamisés (Houssa et assimilés, Peul) et ouest-africains (en raison de la perpétuation d’une alliance et des liens trans-ethniques et trans-culturels entre populations musulmanes originaires du septentrion et le musulmans ouest-africains Nigérians, Maliens, Sénégalais, Nigériens, etc.) /musulmans récemment islamisés (Bamun, Bafia et autres convertis). Dès lors, ces différentes communautés n’échappent pas toujours aux dérives du tribalisme. Mais les nouveaux fondements de la communication/publicisation de l’islam constituent également l’un des enjeux de la transformation islamique à Douala. B-Médiatisation et/ou marchandisation du religieux à Douala : un marché local du religieux en construction Depuis la décennie 1990, de nouveaux entrepreneurs religieux se sont engagés dans une pastorale urbaine. Sous l’effet des nouveaux moyens de la communication89, la ville de Douala devient davantage un enjeu social pour les nouveaux prosélytes. Il s’agit de forger un mode de vie musulman, des femmes, des hommes et des jeunes qu’il faut 89 Pour une approche générale et comparative entre religion et communication en Afrique, se référer aux différents thèmes proposés pour le colloque international ‘‘New Media and Religions Transformations in Africa’’, organisé par le Center for Study of African Culture and Communication (CESACC) Abuja, Nigeria, July, 10-12, 2008 ; l’ouvrage de B. Soares et R. Otayek (eds.), Islam and Muslim in Africa, Palgrave, Macmillan, 2007, notamment la troisième partie intitulée ‘‘New Ways of Being Muslim’’ et M. Birgit and A. Moors, Religion, Media and the Public Sphere, Bloomington and Indianapolis, Indiana University Press, 2006 274 former dans le respect des préceptes de l’islam. Telles sont les tendances révélées par les communications islamiques, les prêches, les marchés, etc. organisés par des entrepreneurs religieux dans un contexte toujours pluriel. B-1 La médiatisation de l’islam à Douala : contraintes et challenges Une mode tout à fait récente de prosélytisme de l’islam à Douala résulte du rôle des medias entendu comme vecteur de communication islamique et de publicisation de l’islam. En effet, l’observation de la production des médias locaux en rapport avec la question de prosélytisme/publicisation de l’islam à Douala montre une évolution quasiparallèle avec le comportement et les attitudes des musulmans. Cette attitude varie également en fonction des périodes, c’est-à-dire suivant que l’on soit en périodes d’intenses activités religieuses (ramadan par exemple) ou non. Des ‘‘rubriques sociétés et cultures’’ sur l’islam à Douala sont alors régulièrement confectionnées par les médias locaux, rendant par-là même populaire l’islam auprès de l’opinion publique et, son glissement sur la scène publique. De manière plus concrète encore, la prise en compte de l’islam dans les programmes des radios gouvernementales et privées locales, des télévisions locales90 ou la création des journaux locaux à caractère islamique91 de même que la tenue des conférences, causeries et séminaires publics ouvrent la voie à une audience locale voire provinciale ou nationale. Par le biais d’intervenants : ‘‘entrepreneurs religieux’’92, prédicateurs télé, coachs spirituels, imams, etc. dont le choix et le statut dépendent de leurs connaissances, de leur richesse culturelle, de leur expérience et de l’agrément des 90 Sur les antennes des télévisions privées locales (S.T.V., Equinoxe T.V et Canal 2 International, etc.) et des radios privées de proximités (FM) des émissions telles que ‘‘connaissances de l’islam’’, ‘‘Lumière sur l’islam’’, ‘‘Vitrine de l’islam’’ etc. sont hebdomadairement diffusées. 91 Par exemple l’hebdomadaire El Qiblah d’obédience islamique qui est publié à Douala par le PIAH. 92 Les marxistes croyaient que la religion est l’opium du peuple. Les économistes néo-classiques qui dominent la discipline aujourd’hui analysent le champ religieux comme un simple marché. Ils y voient d’un côté des ‘‘entrepreneurs religieux’’ et de l’autre des ‘‘consommateurs’’ qui, inconsciemment, examinent les bénéfices et les coûts des différentes religions et cherchent les meilleurs rendements à leurs investissements spirituels. Cette approche choque beaucoup de non-économistes. Mais Gary Becker a eu un Prix Nobel avec celle-ci même si c’est parfois caricatural et mécanique. Son postulat de base est celui-ci : les êtres humains sont des agents rationnels qui maximisent leur satisfaction et leur bien-être spirituel en réagissant à des systèmes d’incitation. Il serait fort intéressant de voir des économistes africains travailler sur cette question. 275 fidèles ou de leurs notables, des messages sont directement adressés au public et aux fidèles. Si avant 1990 les réformistes répliquaient face aux traditionalistes en construisant de nouvelles mosquées, depuis 1990, en plus des mosquées, ils défient les ‘‘conservateurs’’ à des colloques, réunions, séminaires, conférences ou débats radiotélévisés où ils peuvent les surclasser facilement grâce à leur connaissance et à leur instruction en français, en anglais, en arabe. Pour l’imam Bell Mahmoud de Ngodi/Bakoko un de ceux qui animent très souvent ces rubriques à Douala, l’islam est une religion au dogme facile à comprendre, à la pratique simple et qui s’adapte assez facilement aux réalités locales, aux différentes situations de vie de personnes, en acceptant même les compromissions avec les pratiques locales, en vue de son expansion : Durant les quelques années que j’ai passé au village Bakoko notamment à Ngodi/Bakoko déclare l’imam Bell Mahmoud initiateur de la traduction du Coran en langue bassa’a, tous ceux que j’ai côtoyé se sont imprégnés de l’islam et peuvent parler de cette religion parce qu’ils en ont entendu parler. Il est de mon devoir et de tous les musulmans de transmettre le message de la manière la plus courtoise. J’espère que nos auditeurs pourront suivre la même voie.93 Dans cette stratégie, l’adhésion religieuse se fait plus fluide, plus nomade, et de façon individuelle.94 Ainsi, les volontaires mus par un choix individuel, sont susceptibles de changer d’obédience religieuse pour adhérer à l’islam même si cette individualisation de la foi favorise ce que O. Roy appelle ‘‘relation relâchée à l’autorité’’95, c’est-à-dire une indépendance du ‘‘fidèle’’ par rapport au responsable. Ces changements ne signifient pas que les musulmans de Douala sont moins religieux. Mais indique que l’expérience religieuse connaît de nouveaux fondements. Comme on le constate, cette liberté de choix est en relation avec la diversification de la production et donc de l’offre religieuse. L’accès aux médias, l’abondance des émissions islamiques, l’Internet, les migrations, la multiplication des centres culturels islamiques et des associations mettent le fidèle en présence de multiples paroles musulmanes dont il a le loisir de ‘‘ bricoler’’. On doit cependant relever avec H. Adama que les difficultés de communication 93 Propos de Bell Mahmout, recueilli lors de l’entretien du 7 août 2005 à Ngodi/Bakoko. On lira utilement M. André (éd.), L’Afrique des individus, Paris, Karthala, 1997 et R. Otayek, Identité et démocratie dans le monde global, Paris, Presses de Sciences Po, 2000. 95 O. Roy, L’islam mondialisé, Paris, Seuil, 2002, p.89. 94 276 de certains intervenants en français et/ou en anglais, langues officielles du Cameroun engendrent très souvent un déficit de communication dans la mesure où il s’agit d’échanges, de dialogue, de communication, de se faire comprendre. De même, l’emploi de l’arabe limite leur audience car cette langue n’est pas aisément accessible. Parfois, on a recours à un interprète (le plus souvent le modérateur ou le journaliste qui est lui-même musulman) ; ce qui encourage nécessairement la rétention d’information, l’approximation, l’autocensure et entrave la compréhension subtile de certains détails dont l’articulation dans un langage claire et soutenu aurait renforcé la contenance et la portée. Leur passage dans les télévisions ou dans les radios prend alors souvent une tournure pathétique, manquant de ce fait, de la pertinence, de l’originalité, de l’attractivité.96 Des efforts sont certes consentis dans le sens de l’utilisation du français et/ou de l’anglais mais dans l’ensemble, ils restent timides, exception faite des cas de quelques uns qui sont universitaires, enseignants du secondaire ou formés en milieux scolaires et universitaires francophones ou anglophones. B-2 L’islam de marché, l’autre forme de mise en public de l’islam La semaine qui précède les fêtes musulmanes (ramadan et tabaski) est aussi l’un des moments privilégiés pour observer la publicisation de l’islam à Douala. Cette semaine est dominée par d’intenses activités économiques. Des jouets, des bijoux aux modes vestimentaires, musicales, audio-visuelles, en somme les ‘‘produits islamiques’’ basés sur le respect de l’éthique musulmane connaissent un franc succès auprès des musulmans. C’est un marché qui commence à intéresser même les noms musulmans. Ainsi, la poupée voilée mate aux cheveux bruns et vêtue comme les femmes arabes, se vend en plusieurs exemplaires. La norme islamique devient un sérieux argument de vente dans nombre de secteurs : textile, bijoux musique, jouets, etc. et permet à bien nombre de commerçants de se faire une place dans le marché. 96 H. Adama, ‘‘Islam et christianisme dans le bassin du Lac Tchad : dialogue des religions ou dialogue des religieux?’’, Recherches Africaines, Revue électronique internationale publiée par la FLASH de l’Université de Bamako, en partenariat avec l’Université de Gaston Berger de Saint Louis (Sénégal), l'Université Cheick Anta Diop de Dakar (Sénégal) et la FALSH de l’Université de NGaoundéré (Cameroun) avec le soutien de l'Agence universitaire de la Francophonie (AUF), no 4, 2005, disponible sur le lien internet http://www.recherches-africaines.net/document.php?id=59, consulté le 20 juillet 2006. 277 Dans les prêts-à-porter, des enseignes locales jusque là inconnues ont réussi à se faire un nom auprès de la clientèle féminine en proposant une gamme de vêtements de mode jugée conforme à la pudeur islamique. Robes longues dernière tendance, hauts de corps sophistiqués et voiles aux couleurs très chatoyantes remplacent le long voile traditionnel de couleur sombre dans les rues des quartiers musulmans de la capitale économique du Cameroun.97 L’industrie musicale n’est pas en reste. Aux côtes de chansons légères de la variété camerounaise, trônent aussi en bonne place dans les ventes des chansons aux rythmes et sonorités inhabituels, où les références religieuses sont légions. Ces chansons rendent hommage à la vie et au modèle de conduite du Prophète. Ils valorisent aussi l’image au parfait homme musulman fidèle à sa famille, pieux, sensible et généreux. Des casettes audio et vidéo de chanteurs étrangers sont aussi proposées aux fidèles.98 De même, devant les mosquées, des casettes et des disques compacts contenant des versets du Coran en arabe ou en français, en haoussa, en fulfulde, en bamun, etc. sont vendus en grand nombre. Des émissions animées par les théologiens sur l’importance du jeûne se succèdent dans les chaînes de radio et des télévisions publiques et privées locales. Dans des domiciles, des chaînes de télévision satellitaire en provenance des pays arabes (Egypte, Koweit, etc.) diffusent à longueur de journée des séries spéciales sur le ramadan. Ces émissions sont entrecoupées de publicités des produits islamiques. Dans L’islam de marché, l’autre révolution conservatrice, le sociologue suisse Patrick Haenni99 lie ce nouveau marché à l’émergence d’une nouvelle bourgeoisie pieuse qui n’a cessé de s’enrichir ces deux dernières décennies. Véhiculant des valeurs à la fois modernes et de réussite sociale et personnelle, elle reste tout autant traditionaliste sur les sujets de bonnes mœurs et de l’identité religieuse. Cette nouvelle classe tente, par ses comportements, d’allier les principes dynamiques du capitalisme à des valeurs issues de l’éthique musulmane, telle que la charité et la redistribution sociale.100 97 Cette forme d’habillement récente à Douala est classique en Afrique du Nord. Voir H. Lehmici, ‘‘Egypte : les produits musulmans ont le vent en poupe’’, Syfia International, repris par Le Messager no 2133 du mercredi 24 mai 2006, p. 12. 98 Le succès du chanteur Egyptien Sami Yusuf est fulgurant auprès des musulmans, grâce à son album Al mu’ahim (le maître). 99 P. Haenni, L’islam de marché, l’autre révolution conservatrice, Paris, Seuil, 2005. 100 Pour une approche comparative, lire les écrits de D. Schulze, ‘‘Promises of (im)mediate salvation : Islam, broadcast media, and the remaking of religious experience in Mali’’, American Ethnologist, vol. 33, 278 On peut cependant dénoncer une utilisation de la symbolique religieuse à des fins purement mercantiles, qui ne remettrait en rien en cause le caractère injuste et inégalitaire du capitalisme. On peut ainsi juger le principe même de l’économie islamique incompatible avec les canons de l’économie capitaliste. La norme éthique ne serait dès lors qu’un argument de marketing. A l’inverse, Cheikh Njoya Moubourak est pour sa part persuadé que : l’islam associe la spiritualité et la recherche des moyens. C’est la raison pour laquelle lorsqu’on entre dans les cinq piliers de l’islam, on trouve que les 4/5 sont économiques, en dehors du premier pilier qui est l’unicité de Dieu. Le deuxième pilier qui est la prière indique que pour prier, il faut être pur, or la pureté suppose qu’il faut se laver. Et l’eau, ca s’achète ; s’il faut prier, ce n’est pas dans le noir, il faut le faire dans la lumière et la lumière est énergétique et donc se paye. Il ne faut pas prier étant affamé, donc la prière nécessite un minimum de moyens. Les synagogues, les églises et les mosquées doivent se construire : tout cela demande des moyens financiers. Le troisième pilier est l’aumône obligatoire annuelle que le riche doit donner au pauvre (il faut prélever 2,5% de sa richesse épargnée annuellement pour donner aux pauvres) et le quatrième pilier qui est le jeûne du ramadan. Avec les fêtes qu’il comporte, le ramadan est aussi un élément économique. Le pèlerinage à la Mecque pour celui qui a les moyens est un rite économique. Donc, le musulman est celui qui est appelé à l’intégration économique, sociale, culturelle et même politique. Mais le pauvre a sa place dans l’islam. Parce que dans la gestion de l’aumône obligatoire annuelle, il est question, non pas de l’émietter pour la donner à plusieurs pauvres, mais le riche doit choisir un pauvre qu’il doit sauver. Ce pauvre qui doit recevoir des centaines de mille est appelé à son tour à devenir riche, c’est-à-dire le futur donateur de l’aumône. La zakat est donc un moyen de lutte contre le chômage et la pauvreté.101 Bien plus, pour lui, on ne peut pas vivre dans un monde loin du monde (…) mais dans un monde avec le monde. Nous devons, dit-il, participer à la vie de la nation dans la mesure où nous (les musulmans) vivons dans le même environnement politique, économique et social que les Camerounais des autres confessions religieuses.102 La rencontre à succès entre cette offre des produits islamiques et la demande du public musulman inspire de plus en plus les commerçants. Pendant la période de jeûne, le commerce de certains produits prospère. Les cours des mosquées et les alentours sont no 2, 2006, pp. 210-229; ‘‘Charisma and Brotherhood revisited : Mass-mediated forms of spirituality in Urban Mali’’, Journal of Religion in Africa, no 33, 2, 2003, pp. 146-171 et plus généralement N. Gôle, ‘‘Islam in Public: New Visibilities and New Imaginaries’’, Public Culture, 14, 1, 2002, pp. 173-190. 101 Extrait de l’interview accordée par Cheikh Njoya Moubarak au quotidien Mutations, n°1412, du vendredi 27 mars 2005, p.4. 102 Ibid. Il rejoignait là les banques qui pensent qu’islam et capitalisme peuvent aller de pair. Et puisque le premier interdit l’intérêt sur l’argent et prévoit l’obligation de redistribution sociale, une banque comme ‘‘Afriland First Bank’’ ou un établissement de micro finance comme ‘‘Crédit du Sahel’’ proposent, depuis quelques années déjà, des produits financiers adaptés aux musulmans. 279 envahis par des petites commerçantes, lors de la dernière prière du soir. Elles proposent différentes denrées alimentaires : beignets à base de maïs ou de riz, de la banane, de la bouillie et des fruits. Les acheteurs ne sont pas que musulmans. Les habitudes alimentaires et les coûts diffèrent ainsi selon que l’on soit en plein ramadan ou pas. Moussa Rabiou, célibataire, affirme par exemple : ‘‘Ce n’est pas la même chose que je dépense pendant les jours ordinaires car, il faut prévoir l’argent de trois repas par jour. Alors que pendant le ramadan, je mange une seule fois et ca me coûte 1000 francs CFA au lieu de 2000 francs CFA par jour’’103. D’autres personnes, pensent, par contre, qu’elles dépensent plus pendant le ramadan. Sani Mama, père d’une famille de huit personnes souligne : ‘‘Je dépense plus par rapport aux exigences de l’heure. Il faut l’argent pour les fruits, la bouillie, les beignets qu’on n’a pas l’habitude de manger les jours ordinaires sans compter les plats consistants. En ce moment, je donne 4000 à 5000 francs CFA pour la ration chez moi alors que d’habitude 3000 francs CFA c’est suffisant’’104. De même, la célébration des fêtes islamiques n’est pas que l’affaire des fidèles. C’est aussi l’occasion pour quelques futés de faire des affaires. Des photographes envahissent ainsi les lieux de prière, captant les fidèles en prière. Le petit commerce prospère aussi : beignets, bonbons, biscuits, crèmes et sucettes se vendent ; surtout que les fidèles viennent en masse : hommes, femmes et enfants. Dans ce contexte, des territoires musulmans se construisent aussi à Douala et montrent bien que la rupture, sur certains points, est consommée. Autrement dit, dans ce paysage religieux, les fêtes islamiques présentent encore une série de spécificités. Elles rendent bien plus visibles les mobilisations populaires et la reconfiguration sociale de la communauté. A l’évidence, un fait domine aux plans religieux et social, l’impact et les manifestations du dynamisme islamique au sein de la communauté musulmane de Douala: les compétitions à l’intérieur même de la grande communauté musulmane. Les oppositions entre Tidjanistes, Sunnites et Chiites ont été plus vives. On peut aussi dire 103 Moussa Rabiou, entretien du 2 octobre 2005, devant la mosquée sénégalaise, au quartier NewBell/Makea. 104 Sani Mama, entretien du 2 octobre 2005, devant la mosquée sénégalaise, au quartier New-Bell/Makea. 280 que la division de la communauté s’est poursuivie après 1990 en s’amplifiant, sur une opposition ethno-religieuse. Les tendances chiites et wahhabites accueillent régulièrement des imams de passage qui ‘‘viennent prêcher en des termes très durs’’105 et leurs mosquées forment des embryons de réseaux, dans lesquels ‘‘on ne circule qu’avec des recommandations’’106. L’autre camp, c’est à dire les traditionalistes/tidjanistes représente, et de loin, la majorité des musulmans de Douala. En outre, on peut dire que ces dernières années, les divergences liées aux idéologies, au complexe ethno-tribal et à la connaissance sous-tendaient une volonté de reconquête religieuse et cachaient un prosélytisme belliqueux entre les différentes tendances et différents groupes ethniques. Elles permettaient par ailleurs d’affirmer symboliquement un territoire musulman en expansion sur ces marges urbaines. Dans les années 1970-1980 en effet, l’islam était parti à la conquête de nouveaux quartiers. A Douala, les ‘‘réformistes’’ de retour étaient les acteurs de l’affirmation d’un espace religieux beaucoup plus vaste. Dans les quartiers, les mosquées marquaient de plus en plus l’espace. Elles devenaient des œuvres de proximité et familiarisaient des citadins à une présence musulmane demeurée jusque là à New-Bell. Ce mouvement manifestait une emprise sur la ville, et, corrélativement le recul du quartier New-Bell comme espace privilégié des musulmans. Plus discrète jusqu’à la fin des années 1980, cette position devient cependant plus ostentatoire au lendemain de la décennie 1990. Il existait désormais des imams de quartier plus ou moins influents à la fin de la décennie 1980. Mais les cérémonies consensuelles à l’échelle de la ville masquaient alors quelque peu les différentes tendances. Dans les années 1990, la communauté musulmane éclate. Les oppositions, à la fois religieuse et sociale épousent une certaine réalité ethnique, idéologique et géographique même si elles ne peuvent pas se réduire à cette division. Les débuts des années 2000 n’ont pas remis en cause ce modèle commencé entre la fin des années 1980 et les années 1990 : l’islam se divise en de multiples tendances rivales dans la ville de Douala. Au-delà de ces divisions, toutes les communautés musulmanes de Douala vont développer diverses stratégies pour une meilleure représentation et prise en compte dans l’espace politique local et global. En d’autres termes, tous ces développements ont des implications politiques, locales et globales. 105 106 Le Monde, 28 octobre 2004, pp.2-3. Ibid. 281 SEPTIEME CHAPITRE LES RAPPORTS DE LA COMMUNAUTE MUSULMANE DE DOUALA A LA/AU POLITIQUE LOCALE ET A LA OUMMA : NOUVELLES FORMES D’EXPRESSION ET DEFIS La transition démocratique, la décompression autoritaire n’a absolument pas, au Cameroun pas plus qu’à ailleurs, entraîné un effacement du rôle social de la religion. Bien au contraire, la libéralisation s’est accompagnée d’une grande liberté religieuse qui a favorisé les initiatives des organisations islamiques. Pour ce qui nous concerne, en plus du boom des associations musulmanes et de l’effervescence islamique déjà mentionnées à Douala, on remarque une politisation de l’islam, les musulmans commençant à poser certaines exigences aux autorités politico-administratives locales, comme une meilleure représentation dans les institutions locales.1 Politisation de la religion aussi dans la mesure où l’ouverture démocratique a amené les leaders politiques à rechercher le soutien des figures qui comptent/influencent dans la marche des communautés musulmanes, qu’il s’agisse des notabilités religieuses et traditionnelles, des responsables des associations et des musulmans ayant un certain poids économique. Cet appui est recherché par ce que ces imams, dignitaires religieux et chefs constituent des leaders d’opinion, car écoutés et respectés et disposant donc de ressources politiques non négligeables. Appui recherché aussi par ce que certains musulmans ont un certain poids économique de nature à aider des partis politiques dans leur campagne électorale. Dans ce contexte, certains leaders religieux et des associations prendront la parole lors des campagnes électorales. Cependant, la participation de la communauté musulmane à la politique doualaise n’est pas univoque pour l’ensemble de ces catégories. Soulignons d’emblée qu’il n’y a pas à Douala, de politisation de l’islam tel qu’on le voit et le connaît ailleurs, dans d’autres villes d’Afrique : Zaria, Kano, Dakar, 1 Voir Y. Moluh, ‘‘Cosmopolitisme et démocratie urbaine : essai d’explication des comportements politiques post-municipales du 21 janvier 1996 à Douala’’, Revue Africaine d’Etudes Politiques et Stratégiques, no 1, 2001, pp. 153- 164. 282 Abidjan, Bamako.2 Il convient également de souligner que la politisation de l’islam n’a pas abouti ici à l’émergence d’un parti religieux, qu’il soit local ou national, avant et après l’indépendance et que c’est à leur corps défendant et contre les textes qui les régissent que les associations islamiques par exemple prendront la parole dans le débat politique.3 Quelles sont alors les modalités/stratégies d’entrée de la communauté musulmane dans le champ politique doualais? Outre l’analyse de ces modalités, nous nous intéressons dans ce chapitre aux nouvelles politique et conception du Hajj, à l’importance de plus en plus grande de la participation des jeunes musulmans doualais à ce cinquième pilier de l’islam; et enfin aux connexions/solidarités de l’islam doualais avec la Oumma, c’est -à- dire les modalités de l’inscription de l’islam doualais dans la sphère nationale et internationale ; ce qui leur confère par ailleurs de nouvelles identités. A- Les positions prises par les ‘‘vétérans’’ : les notabilités religieuses, les chefs musulmans et les grands commerçants Depuis 1990, le Cameroun a renoué avec le multipartisme, comme ce fut le cas pendant les années 1950 et au début des années 1960.4 Durant la période du parti unique (1966-1990), la coexistence entre les groupements humains à Douala n’avait pas été manifestement ‘‘conflictuelle’’. Le parti unique exerçait d’office une fonction de protection des ‘‘minorités’’, en leur accordant prioritairement ses investitures - qui valaient élection - et en leur octroyant tout aussi prioritairement les positions 2 Pour une idée sur le dynamisme politique des associations musulmanes dans ces villes, on lira utilement l’ouvrage de M. Gomez-Perez (s.d.), L’islam politique au Sud du Sahara. Identités, discours et enjeux, Paris, Karthala, 2005 et notamment les pages 159-176 ; 449-460 et 583-600. 3 Dans leur dénomination, leur but, leur organisation et leur fonctionnement, ces associations se disent ‘‘apolitique’’. 4 Sur la question de la démocratisation et du retour du multipartisme au Cameroun, voir entre autres, M. Bannock, Le processus de démocratisation en Afrique : le cas camerounais, Paris, L’Harmattan, 1992 ; V. Ndi Barga, Rupture et continuité au Cameroun, Paris, L’Harmattan, 1993 ; D. Oyono, ‘‘Du parti unique au multipartisme’’, Afrique 2000, no 6, 1991, pp. 23-37 ; P. Moukoko Mbondjo, ‘‘Le retour au multipartisme au Cameroun’’, in G. Conac (s.d.), L’Afrique en transition vers le pluralisme politique, Paris, Economia, 1993, pp. 237-250 et S. Nkainfon Pefura, Le Cameroun, du multipartisme au multipartisme, Paris, L’Harmattan, 1996. 283 influentes de pouvoir.5 Avec l’avènement du multipartisme au début des années 1990, plusieurs formations politiques voient le jour. Cette ouverture démocratique et ce pluralisme politique offrent aux musulmans doualais, comme d’ailleurs à toutes les autres communautés, de nouvelles perspectives au marché politique local jusque-là fermé et restreint. Il devient de plus en plus compétitif. En outre, ce relâchement autoritaire pose le problème de la représentation en termes de positionnement des différentes communautés locales. En somme, le retour au pluralisme politique complexifie davantage la situation politique à Douala, en déstructurant les cadres d’exercice du pouvoir et en brouillant les modalités usuelles ou opérationnelles de la participation des composantes sociales à la gestion publique locale.6 L’impact de cette nouvelle donne aura un écho sur les communautés musulmanes de Douala. On note en effet l’irruption des notabilités religieuses, des chefs traditionnels musulmans et des élites économiques musulmanes dans l’arène politique de Douala. Les deux dernières catégories à savoir les chefs et les grands commerçants préfèrent se positionner le plus souvent sous la bannière du parti au pouvoir, le RDPC. Bien qu’il s’agisse en réalité de la continuation d’une politique pré-existante sous les anciens partis uniques (UNC/RDPC), cette nouvelle ouverture de la classe politique RDPC aux chefs et à certains hommes d’affaires, véritables big-men dans leur terroir commence entre 1990 et 19937; une mutation horizontale. Cette coalition hégémonique entre le RDPC, les notabilités religieuses et traditionnelles et les hommes d’affaires avait assuré dans certains cas le succès électoral du premier, verrouillant ainsi le ‘‘changement’’ prôné par l’opposition. De leur côté, ces entrepreneurs économiques étaient prompts à engranger les 5 Voir P. Ngueken Dongo, ‘‘Cameroun : la démocratie représentative malade du ‘‘parachutage’’ politique’’, Annales de la Faculté des Sciences juridiques et Politiques, Université de Dschang, Tome 4, 2000, pp. 97106. 6 Voir C. Abé, ‘‘Multiculturalisme, cosmopolitisme et intégration politique en milieu urbain : les défis de la citoyenneté de type républicain à Douala et à Yaoundé’’, Polis, revue camerounaise de science politique, vol.12, 2004, pp. 43-73. 7 Ces années sont celles au cours desquelles le Cameroun a connu ce qu’on pourrait qualifier de crise d’adolescence, laquelle a failli littéralement l’emporter. Ces années dites de ‘‘braise’’ ont secoué le paysage socio-politique national au point où l’opinion internationale déchantait sur les perspectives de redressement du Cameroun, à moyenne échéance. 284 rentes électorales que de par leurs investissements dans leurs terroirs, ils constituent un palliatif au déficit de régulation étatique en ce temps de crise économique.8 A-1 Des notabilités religieuses et traditionnelles : suppôt du RDPC ? En tant que leaders religieux, les imams sont parfois de porte-parole pour transmettre des messages de la communauté religieuse, car écoutés et respectés des fidèles. Il faut dire qu’à partir des années 1990, années dites de braise, scandées par le mot d’ordre populaire de ‘‘villes mortes’’9, s’est introduit un autre champ politique au Cameroun. En effet, au cours des manifestations et des émeutes issues des opérations ‘‘villes mortes’’ de 1991 et des tensions survenues à la suite des différentes consultations électorales (double scrutin législatif du 11 février et présidentiel du 11 octobre) de 1992 par exemple, les imams, sollicités par l’administration locales, se sont illustrés à Douala par des messages d’apaisement qu’ils inséraient dans leurs sermons du vendredi.10 Il en allait de même pour les chefs traditionnels, constamment sollicités par les autorités politico-administratives locales. Vidée de son autonomie par le texte de 1977, la chefferie traditionnelle, cadre naturelle de mobilisation des masses pour les actions de développement constituait sous le parti unique une structure d’encadrement politique des populations.11 Tous les chefs traditionnels étaient d’office membres du parti-Etat, UNC d’abord et puis RDPC et membres des organes dirigeants des comités de base de leur ressort territorial. A la faveur de la nouvelle donne politique impulsée par le vent de libéralisation politique, ils feront de plus en plus l’objet de récupération politique. Les périodes pré-électorales marquent alors une ‘‘reconsidération de la fonction et du rôle des autorités traditionnelles dans la 8 Voir I. Mouiche, Autorités traditionnelles et démocratisation au Cameroun. Entre centralité de l’Etat et logiques de terroir, Munster-Berlin-Hamburg-London-Wien, 2005. 9 Phénomène politique sans précédent au Cameroun, ‘‘Les villes mortes’’ désignent une grève générale de cinq mois sans résultat politique pour ses initiateurs, mais entrainant l’appauvrissement de la population. On trouvera une analyse substantielle de ce phénomène dans F. Eboussi Boulaga, La démocratie de transit au Cameroun, pp.63-86 et G. Séraphin, Vivre à Douala. L’imaginaire et l’action dans une ville africaine en crise, Paris, L’Harmattan, 2000. 10 Entretien avec l’imam Aboubakar de la mosquée haoussa du marché Congo, le 30 septembre 2006, au marché Congo. 11 Cette situation n’était pas particulière au Cameroun. Cf. C.-H. Perrot et F.X. Fauvelle Aymar (s.d.), Le retour des rois. Les autorités traditionnelles en Afrique contemporaine, Paris, Karthala, 2003. 285 nouvelle configuration politique’’12. C’est le regain d’influence, le retour des rois ou des autorités traditionnelles13 sur la scène politique. De nouvelles formes de relations ‘‘centre-périphérie’’14 se nouent. Des chefs traditionnels issus de la communauté musulmane de Douala choisissaient leur camp, parfois de façon ostentatoire. D’autres prenaient la parole dans le champ politique local. Quoi qu’il en soit, il fallait se soumettre ou prendre le risque de se voir démettre de ses fonctions si jamais le choix opéré n’était pas celui du vainqueur. Ainsi, l’un des moments qui donne une originalité à la politisation et au contrôle de l’autorité traditionnelle musulmane par les autorités locales à Douala est la période de libéralisation politique qui s’est ouverte au Cameroun en 1990. Pendant cette période, et notamment pendant la période très mouvementée des ‘‘villes mortes’’ qui a secoué le Cameroun et notamment entre 1990 et 1992, les chefs des communautés musulmanes étaient régulièrement convoqués par les autorités locales aux fins de résoudre le problème de la fermeture de maisons de commerce au marché Congo, selon le mot d’ordre de grève qui paralysait les activités de la ville. Ils étaient aussi sollicités pour participer à l’implémentation de la politique gouvernementale.15 Absent au sein du personnel dirigeant16, les chefs utiliseront le pouvoir institutionnel dérivé. Ils disposeront de l’appareil de l’administration locale et des facilités qu’il procure.17 Bien qu’à la périphérie, les chefs traditionnels voudront se faire valoir comme les gardiens des prérogatives du centre, contestant par ce fait même toute initiative locale qui aurait pour but d’invalider le contrôle qu’exerce le maître sur la périphérie. Les communautés qui ne respectent pas ce schéma seront marginalisées et tenues à l’écart des questions essentielles de la construction de la cité. Il en sera de même pendant les campagnes électorales. 12 H. Adama, L’islam au Cameroun. Entre tradition et modernité, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 160. Voir C.-H. Perrot et F.X. Fauvelle Aymar (s.d.), Le retour des rois. Les autorités traditionnelles en Afrique contemporaine, 2003. 14 Voir J.-P. Fogui, L’intégration politique au Cameroun : une analyse centre-périphérie, Paris, LGDJ, 1990. 15 B.-J. Nkene, ‘‘Les immigrés nigérians à Douala : problèmes et stratégies d’insertion sociale des étrangers en milieu urbain’’, Afrique et Développement, vol. XXVIII, nos 3 et 4, 2003, pp. 142-167. 16 Dans son ouvrage intitulé Cameroun : qui gouverne? D’Ahidjo à Biya, l’héritage et enjeu, Paris, L’Harmattan, 1983, P.F. Ngayap refuse de classer la chefferie traditionnelle parmi les catégories dirigeantes de la société politico-administrative du Cameroun. 17 Voir E.-M. Mbonda, ‘‘Autorité sacrée du chef et droits de l’homme en Afrique’’, Rupture/Solidarité, no 3, Paris, Karthala, pp. 61-90. 13 286 L’autre forme d’intervention des chefs traditionnels musulmans dans le champ politique a lieu lors des manifestations publiques. Ainsi, à l’occasion des cérémonies de remise des dons et autres cadeaux (activisme social), les leaders traditionnels se font l’écho ou prennent position en faveur du parti au pouvoir. Autrement dit, pour les chefs traditionnels, ces cérémonies servent de rame de lancement, de tremplin pour défendre non seulement leur position en leur qualité de prolongement du système en place mais surtout pour prendre position dans les campagnes électorales, en faveur du RDPC, qui sur ce plan, semble avoir pris de l’avance sur ses principaux concurrents à Douala : Union Nationale pour la Démocratie et Progrès (UNDP), Union Démocratique du Cameroun (UDC) et le Social Democratic Front (SDF). Pour illustrer nos propos, nous prenons l’exemple du conseil des chefs traditionnels des musulmans de Douala qui, lors de la cérémonie de remise des prix aux meilleurs élèves musulmans le 20 septembre 2003 à Douala, son président El Hadj Tanko Amadou et par ailleurs président de la section RDPC de Douala IVe avait servi à l’assistance venue nombreuse ce qu’il avait qualifié d’ ‘‘appel de Douala’’18 qui était en fait une exhortation à Paul Biya, Chef de l’Etat et président national du RDPC, à solliciter un nouveau septennat à la tête de l’Etat à la faveur de la présidentielle du 11 octobre 2004. Lors de cette cérémonie, les lauréats musulmans des examens de l’année scolaire 2002-2003 avaient reçu des livres au programme, des cahiers, des stylos et autres matériels didactiques, pour ‘‘soutenir et encourager leurs efforts’’19. L’école franco-arabe de New-Bell en état de délabrement avait reçu à la même occasion 25 sacs de ciment et 30 tôles. Ces dons étaient évalués par le président de l’amicale des chefs musulmans de Douala à la somme de trois millions de francs CFA. Les invités de marques étaient entre autres, le secrétaire général de la province du Littoral, les dignitaires dualas, les chefs des communautés haoussas des régions du Littoral, de l’Ouest et du Nord-Ouest. Au cours d’une autre réunion semblable tenue le 18 septembre 2004 à Douala sous le thème ‘‘Agir ensemble pour le développement’’, le conseil des chefs traditionnels des chefs musulmans de Douala avait une fois de plus remis des prix aux meilleurs élèves 18 19 On peut lire l’intégralité de cet ‘‘appel’’ dans le quotidien Le Messager, n° 1564, p.8. Ibid. 287 musulmans et n’avait pas manqué l’occasion d’apporter son soutien au RDPC et de demander à l’assistance de plébisciter les listes du RDPC lors des élections municipales et législatives à venir.20 De même, pendant la période pré-électorale de l’élection présidentielle du 11 octobre 2004, le chef haoussa de New-Bell El Hadj Housseini Adamou Labbo (voir photographie no 11) avait au cours d’un meeting organisé en juillet 2003 par l’ANJMC affirmé que sa communauté entendait apporter au chef de l’Etat Paul Biya ‘‘un soutien digne de notre tradition pour la présidentielle de l’année prochaine’’21 avant de prier ‘‘infiniment le président à se porter candidat’’22. Pour lui, l’arrondissement de Douala IIe et les musulmans en particulier souhaitaient ‘‘la candidature du président national du RDPC qui reste le seul candidat crédible et le seul à présenter le profil digne de ce rang’’23. L’esplanade de la chefferie haoussa de New-Bell servait à l’occasion d’arène politique pour la caravane de l’ANJMC. Le chef haoussa avait affirmé à l’occasion son alliance avec le parti au pouvoir. En recommandant à ses ‘‘sujets’’ le vote du parti au pouvoir, celui-ci leur assurait implicitement l’adhésion de toute la communauté musulmane de sa circonscription administrative. L’action des chefs devenait ainsi une ressource porteuse. Celle-ci était amplifiée, instrumentalisée par les autorités politico-administratives locales et la presse gouvernementale pour la diffusion de leurs idéologies et pour la mobilisation, le ralliement des militants en périodes électorales. Elles encourageaient les chefs à battre campagne pour le RDPC. Dès lors, l’instrumentalisation n’est pas à sens unique. Elle est mutuelle. Mais le militantisme politique des chefs, notamment le soutien qu’ils apportent au parti au pouvoir depuis le retour au multipartisme, leur incursion dans les arènes électorales, bref cet opportunisme conduit à l’observation à l’affaiblissement de leur position dans une ville comme Douala, au dysfonctionnement des chefferies et même plus grave, à la criminalisation de la politique. Dans ce cas, le gage d’une bonne gouvernance dans leur terroir semble passé par leur neutralité qui ne signifie nullement 20 Observation participante à Douala, le 18 septembre 2004 au quartier New-Bell/Haoussa ‘‘RDPC : les jeunes musulmans de Douala derrière Paul Biya’’, Cameroon Tribune du 24 juillet 2003, p. 5. 22 Ibid. 23 Ibid. 21 288 289 dé-participation ou ‘‘non engagement’’ politique. Et, par ce que les chefs seront neutres, ils gagneront en dignité et la cohésion des chefferies renforcées et ne seront plus exposés à l’indocilité de leurs populations.24 L’autre moment de la politisation de l’islam à Douala est la cooptation des élites économiques musulmanes dans le jeu politique local. A-2 La cooptation des élites économiques musulmanes dans le microcosme politique Doualais Cette cooptation relève de la logique et de la stratégie de contrôle des musulmans fortunés dont le poids financier peut éventuellement être déterminant pour les activités de partis ou même pour l’administration locale. Cette catégorie nouvelle d’acteurs générée par la diaspora musulmane constitue à certains égards, dans le cas de la ville de Douala, un type comparable au self – made – man américain qui, par ses propres efforts réussi à se hisser au dessus du lot commun. Bénéficiant d’une ‘‘grande renommée’’25, il voit son statut social se différencier, ce qui lui confère une audience toute particulière parmi ses pairs. Ces types de profils sont recherchés par des autorités locales à des fins électoralistes lors des campagnes politiques, et notamment pour leur apport financier comme on peut l’observer dans les arrondissements de Douala IIe, Douala IIIe et Douala IVe où leur poids financier est devenu déterminant au fils des années. Mais le processus d’incorporation des riches musulmans dans le jeu politique local est plus visible avec la cooptation des agents économiques dits incontournables ; ainsi de El hadj Tanko Amadou et de El Hadj Garba Aoudou. El Hadj Tanko Amadou est un important homme politique de la ville de Douala. Son itinéraire est typique de ceux des immigrés haoussas du Nord du Nigeria arrivés à Douala avant les indépendances et installés dans les petits métiers. Ayant débuté comme tailleur à New-Bell, il s’est ensuite converti dans le commerce où il s’est imposé comme un ténor de la filière ‘‘ import – export’’26, ce qui lui a permis de gravir rapidement les strates sociales. Il fut pendant longtemps vice-président de la section UNC (parti-Etat) du 24 Voir I. Mouiche, ‘‘Autorités traditionnelles, multipartisme et gouvernance démocratique au Cameroun’’, Africa Development, vol. 30 (4), 2005, pp. 221-249. 25 J.F.Médard, ‘‘‘‘Le big man’’ en Afrique : esquisse d’analyse du politicien entrepreneur’’, L’Année Sociologique, n° 42, 1992, p.169. 26 Voir A. Adepoju, ‘‘Linkages Between International Migration : the African Situation’’, International Social Journal, n° 18-1, 1984, pp.35-57. 290 Wouri avant d’être élu premier maire de la commune urbaine de l’arrondissement de Douala IVe en 1987 lors de sa création27 et président de la section RDPC de Douala IVe28 à Bonabéri, sur la rive droite du Wouri.29 Cette nouvelle position sociale conquise et son appartenance à la religion islamique ont fait de lui un pôle ‘‘ naturel’’ de convergence de nouveaux immigrants de même obédience religieuse ; il en va de même de ceux en bute aux tracasseries policières quotidiennes. Sa situation d’established sert donc de refuge pour les nouveaux venus. Parallèlement, c’est une position qui sert aussi aux autorités locales, surtout lorsqu’il s’agit de résolution des litiges nés de la difficile cohabitation entre immigrés et locaux à Bonabéri. Dès lors El Hadj Tanko Amadou apparaît auprès des autorités locales comme une personne ressource qu’il faut consulter aux fins de la maximisation des gains dans un jeu politique où les communautés musulmanes sont directement partie prenante. Les élections sont les moments importants d’observation de cette cooptation. Il en était de même d’El Hadj Garba Aoudou30 qui jouait un rôle similaire à New-Bell/Congo et à Nkolouloun, autre quartier populaire et cosmopolite de Douala IIe. Homme pluridimensionnel, il était vice président national de l’ACIC, représentant régional de cette association dans la province du Littoral et homme d’affaires. Au plan politique, il était cité parmi les pontes du parti au pouvoir (RDPC). De l’Union Camerounaise (UC) au RDPC, en passant par l’UNC, il était toujours membre du comité central, instance suprême du parti. Membre du conseil municipal de la mairie de New- 27 Loi n° 87/015 du 15 juillet 1987 portant création des communes urbaines. Voir ‘‘Tanko Amadou, le ‘‘Baobab’’ de Bonabéri’’, Cameroon Tribune, quotidien bilingue, n° 410 du 12 novembre 1987, p.11. 29 Rappelons que la ville de Douala s’est très tôt développée sur les deux rives du Wouri. A l’origine, Bonaberi, sur la rive droite, était un village vivant de pêche et, par la suite, du commerce avec les européens. De nos jours, Bonabéri désigne tout le IVe arrondissement de la ville (créé en 1987) et couvre une surface qui s’étend le long de la Route Nationale no 3-communément appelée ‘‘Nouvelle Route’’- sur plus d’une dizaine de kilomètres. Faute de recensement récent de la population, les chiffres avancés pour la population, de Bonabéri varient dans la fourchette 200.000-400.000 habitants sur les deux millions que compterait l’agglomération doualaise. La présence d’une zone industrielle, d’usines et d’entrepôts le long de la ‘‘Nouvelle Route’’ fait de Bonabéri un important pôle d’emplois formels pour la ville et ses environs. En comparaison des quartiers centraux tels qu’Akwa ou New-Bell, Bonabéri est pauvre en équipements urbains, obligeant ses habitants à se rendre régulièrement sur la rive opposée du fleuve. Toutefois, les déplacements entre les deux rives du Wouri sont motivés essentiellement par le travail ou les études. Cf. SITRASS, Pauvreté et mobilité urbaine à Douala. Rapport final, Programme de politiques et de Transport en Afrique Sub-saharienne, Recherche financée par la Banque mondiale et la Commission Economique pour l’Afrique, SITRASS, Lyon, 2004. 30 Décédé le 7 mars 2007. 28 291 Bell dans l’arrondissement de Douala IIe depuis 1987, il est élu député du même arrondissement en 1988 et de 1996 à 200131. A New-Bell, il était très respecté dans la communauté musulmane pour laquelle il manifestait une générosité sans limite : ‘‘à NewBell, il participait à hauteur de 50% au moins aux préparatifs de toutes les fêtes’’32. Même si cette stratégie de contrôle est beaucoup plus globale et intègre tous les notables économiques indépendamment de leur appartenance religieuse33, on peut penser que l’investiture et l’enrôlement d’El Hadj Garba Aoudou dans les structures du parti au pouvoir participent aussi de cette logique de contrôle des musulmans de haute stature sociale et économique. La popularité d’Aladji Garba dans l’arrondissement de Douala IIe était telle qu’il constituait, aux yeux des autorités locales, un maillon essentiel à partir duquel on pouvait contrôler la frange musulmane de la population, qu’elle soit nationale ou étrangère. La recherche du contrôle des riches musulmans par les autorités locales se traduit alors par l’inféodation dans le jeu politique local de certaines ‘‘pontes’’ ayant acquis une notoriété dans la ville. En fait, la cooptation des élites musulmanes dans le jeu politique de Douala obéit aux logiques de recrutement politique rendu nécessaire par le contexte nouveau, marqué par la compétition politique, où les ‘‘représentants’’ et les ‘‘élites’’ apparaissent de plus en plus comme des ressources pour les instances locales. Le charisme de certains est à la base de l’engouement que l’on observe de la part des autorités politico-administratives pour leur cooptation dans le jeu politique local. La réputation et la position sociale permettent d’entretenir les logiques qui fondent cette inféodation : ils doivent pouvoir représenter quelque chose – communauté – ou avoir quelque chose – fortuné –aux yeux des autorités locales. Mais l’observation de la scène politique locale de Douala fait entrevoir une dynamique inverse d’entrée dans le champ politique, impulsée cette fois par les communautés elles-mêmes à travers les associations. 31 Le Messager, n°2326, mars 2007, p.3 Ibid. 33 Lire à toutes fins utiles M. E. Owona Nguini, ‘‘L’Etat et les milieux d’affaires au Cameroun : autoritarisme, ajustement au marché et démocratie (1986-1996)’’, CEAN-IEP de Bordeaux et GRAP, 2000 32 292 B- Type de discours adopté par les responsables des associations proches du pouvoir : les associations islamiques et la prise de parole dans le champ politique Si les mouvements associatifs sont classés par la législation en la matière dans la catégorie d’associations culturelles, il faut cependant dire qu’elles jouissent d’une certaine influence sur le plan politique. En effet, dans un espace social fortement urbanisé comme Douala, marqué par la politique, l’émergence du fait ethnique, et la pauvreté, les actions des associations islamiques ne manquent pas de références politiques. Leur entrée dans le champ politique survient à partir du glissement de leur vocation culturelle/économique à un rôle politique. Elles prennent alors position dans les débats politiques et les luttes électorales. Leur intervention dans le champ politique a ainsi pris généralement la forme de réunions publiques, mais les discours diffèrent en fonction de l’époque, des enjeux et des questions. Comme chez les chefs issus de la communauté musulmane de Douala, la principale forme d’intervention des associations dans le champ politique est constituée en plus de l’activisme social des manifestations publiques au cours desquelles les responsables des associations interviennent de façon plus ou moins directe dans la compétition politique. En effet, à l’occasion des meetings et réunions publiques, des leaders de certaines associations adhèrent aux positions défendus par le pouvoir. Ainsi, l’ANJMC et l’Alliance des Femmes de l’Union Islamique du Cameroun (AFUIC) section féminine de l’UIC34, de Douala que nous présentons ici ont agi à découvert dans le champ politique. D’abord, le 6 novembre 2002, à l'initiative de l’ANJMC, une ‘‘ prière de soutien’’ dite pour le ‘‘renouveau’’ et le 20e anniversaire de l’accession du président Paul Biya au pouvoir avait été organisée à la mosquée haoussa, située au carrefour du lieu dénommé ‘‘ancien étage’’ au quartier New-Bell. Quatre temps forts avaient ponctué ladite prière. Il s’agissait de la lecture coranique, des interventions des autorités politiques et religieuses, de la prière proprement dite et la clôture de la prière. A l’occasion le coordonnateur des activités du RDPC dans le département du Wouri, Thomas Tobbo Eyoum, devait féliciter l’Amicale des Jeunes Musulmans pour le 34 L’UIC est une association à vocation nationale, représentée dans les régions, les départements et les arrondissements. Voir les statuts de cette association en annexe. 293 Soutien du Renouveau35 et inviter tous les Camerounais à prier ‘‘Dieu afin qu’il continue d’inspirer sagesse et doigté au Président de la République dans la direction du pays’’36. Outre le coordonnateur des activités du RDPC dans le département du wouri, la prière spéciale du 6 novembre 2002 avait été dite en présence du conseiller aux affaires économiques auprès du gouverneur de la province du Littoral, Antoine Ngati ; de la personnalité ressource du RDPC pour la section du Wouri II, Basile Atangana Kouna ; du président de la section RDPC du Wouri II, Abraham Tchato ; du député du Wouri sud, Joseph Owona Kono ; du chef du quartier haoussa de Bibamba-Bonanloka, sa majesté Shouaïbou Oumara et du chef haoussa du quartier New-Bell, sa majesté El Hadj Housseni Adamou Labbo. Quand au président de l’ANJMC, Mohamadou Yakoubou, il avait relevé que la prière spéciale du 6 novembre ‘‘vise à implorer la bénédiction divine sur notre pays’’37. Il avait aussi saisi cette occasion pour porter à la connaissance des autorités administratives et politiques le choix des jeunes musulmans du renouveau pour le candidat Paul Biya à l’occasion de prochaine élection présidentielle38. Dans son sermon, le premier adjoint à l’imam de la mosquée centrale de Douala, Cheik Farouk, avait noté que tout pouvoir vient de Dieu. Il avait par conséquent demandé aux fidèles musulmans de respecter ‘‘le choix porté sur le président Paul Biya en ce début du mois du ramadan qui est le mois le plus important dans le calendrier musulman’’39. Cette prière avait également connu la participation des dix imams des différentes mosquées de Douala qui avaient invoqué ‘‘Dieu pour la paix et la prospérité du pays’’.40 Dans la même logique, l’ANJMC avait organisé un meeting le 24 juillet 2003 dans la cour de la chefferie haoussa de New-Bell. Quatre membres du gouvernement avaient effectivement pris part à ce meeting : Philippe Mbarga Mboa, ministre chargé de mission à la présidence de la République ; Adji Abdoulaye Haman, Ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat ; Haman Adama Halimatou, Secrétaire d’Etat à l’Education 35 C’est une autre appellation de l’ANJMC. Voir le lien internet http://www.cameroon-info.net/cmForumNG/viewtopic.php?f=3&t=6326&start=15, consulté le 20 septembre 2003. 37 Ibid. 38 Il s’agit des élections présidentielles de novembre 2004. 39 Voir le lien internet http://www.cameroon-info.net/cmForumNG/viewtopic.php?f=3&t=6326&start=15, consulté le 20 septembre 2003. 40 Ibid. 36 294 Nationale ; Seyni Katchala, Secrétaire d’Etat au Ministère des Affaires Economiques et de la Programmation. A côté de ces personnalités politiques venues de Yaoundé, les principaux dirigeants du parti au pouvoir dans la capitale économique, le sous-préfet de l’arrondissement de Douala IIe Mouhamadou Bachirou, le président de la section RDPC du Wouri Sud, El Hadj Relouanou Charaboutou par ailleurs président des élites musulmanes de New-Bell et les autorités traditionnelles musulmanes et dualas avaient pris part au meeting.41 Mohammadou Yacoubou président de l’ANJMC, entre hymne national et prières ‘‘pour que Dieu accorde longue vie à Paul Biya’’42, avait édifié le public sur l’objectif du meeting porté par ailleurs par des banderoles sur lesquelles on pouvait lire ‘‘L’ANJMC et les élites musulmanes de la capitale économique soutiennent S.E. Paul Biya candidat naturel du RDPC en 2004’’43. En outre, Mohamadou Yacoubou avait affirmé que ses ‘‘troupes’’ et lui s’ingéniaient ‘‘à contrecarrer les manœuvres déstabilisatrices d’où qu’elles viennent’’44, des ‘‘troupes’’ que l’ANJMC ‘‘mobilisera toujours en faveur du président Biya et quelque soit son adversaire à la prochaine élection présidentielle, elle conduira son candidat à la victoire’’45. Enfin, l’ANJMC avait organisé une séance de prière le 17 juin 2004 à New-Bell. Pendant cette prière faite en présence de dignitaires musulmans de la ville de Douala, Mahammadou Yacoubou président de ladite association avait invité Paul Biya à se porter candidat à la présidence de la république, pour son second septennat. Pendant la même cérémonie, on avait prié pour ‘‘la paix au Cameroun’’, pour que ‘‘Allah accorde longue vie à Paul Biya’’, surtout que le 3 juin 2004, une rumeur persistante avait annoncé que le chef de l’Etat serait décédé à Genève en Suisse. Les cérémonies organisées par Mohammadou Yacoubou appellent un certain nombre d’observations. La qualité des personnalités présentes aux différentes réunions donne une idée du tissu de relations de Mohammadou Yacoubou. A côté de fortes délégations de personnalités politiques parfois venues de Yaoundé et constituée essentiellement de ministres dont la plupart étaient des musulmans originaires du Nord, 41 ‘‘RDPC : les jeunes musulmans de Douala derrière Paul Biya’’, Cameroon Tribune du 24 juillet 2003, p. 5. Ibid. 43 Ibid. 44 Ibid. 45 Ibid. 42 295 se sont déployés les ‘‘élites musulmanes intérieures et extérieurs de New-Bell’’46 et de Douala, les notables de la cour des chefs haoussa de New-Bell et de Bibamba-Bonanloka mais aussi une foule d’amis et de connaissances. Ces grandes mobilisations témoignent de la popularité dont jouit le président de l’ANJMC, de son capital relationnel - qu’il importe d’étendre -. Autrement dit, l’étendue du réseau de relation confère la notoriété politique et la puissance sociale. Plus Mohammadou Yacoubou diversifie le réseau de ses relations, plus il étend son influence et renforce sa capacité de mobilisation des masses. En outre, son appartenance à plusieurs réseaux de relations diversifie son champ d’intervention et fait de lui un dépositaire de capital relationnel. Il peut donc ‘‘intervenir en faveur’’ de tel ou tel. L’amplification des cérémonies organisées par l’ANJMC et le déploiement spectaculaire de ce capital de relation dont dispose le président de l’ANJMC constitue un mode privilégié d’insertion politique. Une rencontre presque analogue caractérise aussi l’AFUIC Présidée par madame Tanko. Cette branche féminine de l’UIC avait, au cours d’une réunion publique organisée dans l’arrondissement de Douala IIe devant la grande mosquée de Bonanloka le 22 septembre 2004, exhorté la communauté musulmane de Bonanloka ‘‘à voter Paul Biya lors de l’élection présidentielle à venir du 11 octobre 2004’’47. Lors de cette même réunion, des lauréats musulmans reçus aux examens de l’année scolaire 2002/2003 et résidants au quartier Bonanloka avait reçu des livres au programme, des cahiers, des stylos et autres matériels didactiques.48 Au cours d’une autre réunion tenue par la même association le 29 du même mois au quartier Mabanda dans l’arrondissement de Douala IVe, madame Tanko avait, en présence du sous-préfet de Douala IVe, du maire de Douala IVe, de la communauté musulmane du même arrondissement et de son chef El Hadj Tanko Amadou, appelé les musulmans ‘‘à plébisciter son excellence Paul Biya, Président du Cameroun, président national du RDPC et candidat naturel du RDPC lors de l’élection présidentiel du 11 octobre’’49. Il est courant que pendant ces manifestations à caractères politico-religieux, des responsables musulmans prennent 46 à témoins les autorités administratives et A la tête de ces élites (Tser), se trouve El Hadj Relwanou. Le Messager, no 1718, septembre 2004, p.7. 48 Ibid. 49 Ibid. 47 296 traditionnelles de Douala quant à leur volonté d’œuvrer pour la paix et d’apporter leur contribution au respect des lois de la République. Une autre forme d’intervention des associations dans le champ politique est l’interpellation, la sensibilisation, cette fois en direction de tous les partis politiques. Cette forme s’opère de manière permanente. Ainsi, certains leaders d’associations et notabilités religieuses dans le cadre de leurs activités décident d’appeler d’une part leurs membres à se comporter en citoyens responsables en prenant leur carte d’électeur. D’autre part, ils appellent les différents partis en compétition tant pour les législatives que pour les communales à tenir compte lors des investitures des équilibres socio-culturel et géo-démographique qui commandent la concordance inter-communautaire dans un espace aussi cosmopolite que Douala.50 Autrement dit, les musulmans réclament que leur identité sociologique soit reconnue lors de la constitution des listes électorales et de la désignation des maires et/ou députés dans les arrondissements où ils constituent une démographie importante. On peut donc dire que certains leaders des associations prennent part au débat politique local dans la mesure où leur identité et leur statut social ne sont pas toujours pris en compte dans la gestion publique locale. En effet, ces postes font de leurs détenteurs des acteurs déterminants au sein de la hiérarchie sociale et politique locale. Lors de ces meetings, des consultations et échanges sont en général organisés entre les personnalités désignées par la hiérarchie du RDPC et les leaders de la communauté musulmane de la ville de Douala qui promettent, à l’occasion, leur soutient ‘‘à la délégation qui a pris en compte leur existence d’une part et d’autre part pour les avoir sollicité afin qu’ils puissent contribuer en apportant leurs appuis à la victoire du RDPC à Douala’’51. Cela dit, la présence des chefs dualas et surtout des autorités administratives et politiques (gouverneur, préfet, sous-préfets, maires, députés, délégué 50 Le même phénomène a été observé chez le peuple sawa qui descendait dans la rue et protestait avec une grande vigueur et beaucoup de ‘‘bruits’’ (marches, pétitions, memoranda, etc.) et intervenait dans les médias contre la désignation des maires non-sawa dans les arrondissements remportés par le SDF après les élections du 21 janvier 1996. Par ces méthodes, ils revendiquaient une appropriation des rôles politiques majeurs au sein des exécutifs des municipalités locales. Pour plus de détails, se référer à Y. Moluh, ‘‘Cosmopolitisme et démocratie urbaine : essai d’explication des comportements politiques post municipales du 21 janvier 1996 à Douala’’, pp. 153-164. 51 Voir interview de El Hadj Relouanou Charaboutou, président de la section RDPC du Wouri II au le lien internet http://www.camerounlink.net/fr/pers-news.php, consulté le 12 mai 2006. 297 du gouvernement et autres invités) à ces cérémonies est très recherchée par les différentes communautés musulmanes de Douala. Cet engagement public de la chefferie et des autorités politico-administratives est cependant plus stratégique que spontané. Il semble effectivement que la participation des chefs autochtones dualas et des autorités administratives se traduit surtout par des actes de civilité administrative pour paraphraser J.A. Mbembe52. Autrement dit, ils se font bien voir sans nécessairement adhérer au message délivré lors des prêches ou des réunions. Il est effectivement frappant de constater que le gouverneur de la province du Littoral de 2004 à 2006 participait davantage aux cérémonies politico-religieuses à Douala, sans doute par ce que lui-même était musulman. Au total, l’attitude des leaders des associations est indicatrice du passage au politique des acteurs musulmans. Ceux-ci ne se contentent plus des ‘‘rôles traditionnels de moralisateurs et de modérateurs’’53. Ils veulent une participation accrue au jeu politique. Ils revendiquent une appropriation des rôles politiques au sein des exécutifs des municipalités locales, surtout dans les zones où ils sont sociologiquement et économiquement dominants comme les communes urbaines des arrondissements de Douala IIe et de Douala IIIe. Ils veulent une distribution égale des biens politiques et la ‘‘reconnaissance à parts égales’’54 entendue comme une égalité de chance à participer à la gestion publique locale. Ces revendications posent un problème plus général, celui de la gestion politique et démocratique des espaces cosmopolites et plurielles teintés de luttes intenses et parfois ouvertes entre les identités ethno-régionales qui placent par ailleurs les populations minoritaires dans une situation de déficit permanent, de minorité perpétuelle synonyme d’éclipse politique.55 Aussi, les attaques contre la marginalisation politique dont ils font l’objet sont-ils au centre de leurs langages politiques.56 Ainsi, dans ces associations s’affirme un projet politique qui n’entend pas se substituer au projet 52 J.A. Mbembe parle de ‘‘civilité coloniale’’, cf. La naissance du maquis au Sud Cameroun (1920-1960), Karthala, 1996, p. 10. 53 H. Adama, L’islam au Cameroun. Entre tradition et modernité, Paris, L’Harmattan, 2004, p.165. 54 J. Cesari, ‘‘Marseille face à ses communautés’’, Esprit, Juin 1994, p.77. 55 Voir Y. Moluh, ‘‘Cosmopolitisme et démocratie urbaine : essai d’explication des comportements politiques post municipales du 21 janvier 1996 à Douala’’, pp. 158; lire aussi sa thèse intitulée ‘‘La participation politique en milieu urbain de 1946 à 1992 : le cas de Douala’’, Thèse de Doctorat 3e cycle en Science Politique, Université de Yaoundé II, 1997. 56 H. Adama, L’islam au Cameroun, p.165. 298 étatique ni s’y réduire. Son rapprochement vis-à vis de celui-ci s’exprime par des discours laudatifs, des prières, etc., sans distance critique, ni conduites d’évitement ou encore de rejet violent. Plus fréquemment, presque toutes les rencontres publiques sont pour les responsables de ces associations et autres invités, l’occasion de proclamer leur loyalisme et leur dévouement au gouvernement et à la personne du président de la République, avant de louer les ‘‘ bienfaits’’ de la ‘‘paix’’ au Cameroun, sous le régime du ‘‘renouveau’’. Ces serments de fidélité au chef de l’Etat vantent la ‘‘paix’’ sous le renouveau ; on ‘‘ prie’’ pour le président de la République, on l’appelle à se ‘‘représenter à l’élection présidentielle’’, etc. Depuis le retour au multipartisme, il est de plus en plus fréquent -et c’est la principale modalité de politisation très relative des associations islamiques à Douala- que des responsables d’associations islamiques interviennent de façon plus ou moins directe dans la compétition politique. C’est le cas de certains responsables d’associations que nous avons étudiés ici et que la démocratisation et notamment la compétition électorale, a contribué à mettre en scène dans le jeu politique. Comme chez les chefs traditionnels, on peut parler d’une instrumentalisation réciproque entre autorités politiques et responsables d’associations. Les premiers s’appliquant à chercher soutien et légitimité auprès des seconds pour gagner des voix, les seconds visant à tirer profit de ce soutien pour avoir une plus grande visibilité sociale. Ainsi, des élites économiques aux responsables d’associations en passant par les chefs traditionnels, on peut parler de à chacun son islam instrumentalisé. En définitive, certaines associations musulmanes de Douala ont opéré une mutation dans la gestion de la pratique de leur religion. Cette mutation coïncide avec l’arrivée sur la scène politique de plusieurs partis. Aussi, certains leaders musulmans en plus des difficultés cultuels et socio-économiques propres à leurs communautés ont dû prendre des positions dans les débats politiques qui ont lieu dans le pays et surtout au niveau local. Moins virulents que les leaders religieux chrétiens57, ils ont dû trouver les 57 Pour une idée sur le rôle des leaders chrétiens dans les sphères sociale et politique au Cameroun pendant les années 1990, lire entre autres A. Moukouri, ‘‘Le rôle des églises protestantes dans le processus de transition démocratique’’, Yaoundé, 1994 ; E. Messi ‘‘ Le rôle de l’Eglise catholique dans le processus démocratique au Cameroun (1990-1992)’’, Yaoundé ; P. Titi Nwel, ‘‘Les églises chrétiennes locales face à la tourmente démocratique au Cameroun’’, conférence de Leeds 20-24 septembre 1993 ; F. Eboussi Boulaga, La démocratie de transit au Cameroun, Paris, L’Harmattan, 1997, pp.230-260 ; J.F. Médard, 299 formes les mieux adaptées pour faire passer leurs messages et leurs points de vue. Ils expriment un vif désir de reconnaissance et de participation à la vie locale. La présence des associations islamiques de bienfaisance sur la scène politique permet aussi de banaliser la figure du musulman. Elles essaient de faire valoir leurs droits sociaux et politiques. Les dons et les différentes manifestations publiques constituent un moyen d’accéder à la visibilité. Les supports médiatiques de masse tels que la presse écrite, la radio et surtout la télévision apportent plus de visibilité à leurs actions. Mais souvent aussi, le verbe prime sur l’action. Finalement, l’étude des associations islamiques à Douala et l’appréciation de leur rôle dans la sphère politique amène l’observateur à beaucoup de nuances, à beaucoup de pondération dans le jugement, du fait de la complexité, de la variabilité de leurs actions (les faits et gestes n’ont pas un sens unique) et surtout aussi de leur caractère relativement récent. Les activités des associations ne sont du reste pas l’unique mode de politisation de l’islam induite par les communautés musulmanes. Bien d’autres stratégies sont mises en œuvre par les dignitaires locaux C- Informalité58 politique et conversion du capital L’entrée des communautés musulmanes dans le jeu politique local est entendu ici comme celle de leurs activités qui interfèrent de manière incidente avec les instances du pouvoir local ou alors celles de leurs activités qui prennent de manière rationnelle naissance directement dans le champ politique local. Ce processus fait entrevoir une stratégie importante : les stratégies intentionnelles d’interventions dans le jeu politique ‘‘Les Eglises protestantes au Cameroun, entre tradition autoritaire et ethnicité’’, in F. Constantin et C. Coulon (éds.), Religion et transition démocratique en Afrique, Paris, Karthala, p. 189-220 et ‘‘Territoires, identités et politique : le cas des Eglises protestantes au Cameroun’’, in G. Séraphin (éd.), L’effervescence religieuse en Afrique. La diversité locale des implantations religieuses chrétiennes au Cameroun et au Kenya, Paris, Karthala, 2004, p. 171-196. 58 Le concept d’informalité que nous utilisons dans cette section est dérivé de l’économique standard où il est perçu comme des ‘‘résidus’’ de l’économie formelle ou même comme des effets pervers des politiques économiques construites par l’Etat. Par informelle dans le domaine politique, nous voulons désigner celle des activités qui se situent en marge de la légalité du jeu politique local. Dans la réalité, la politique ne se fait pas seulement dans les conseils municipaux ou dans les enceintes de partis politiques. Des tractations, coalitions et alliances secrètes ont régulièrement cours hors de cet univers officiel. Beaucoup d’entre elles contournent régulièrement les cadres normatifs appropriés, pour emprunter des trajectoires non conventionnelles. C’est dans cette informalité politique qu’opèrent au principal les immigrés musulmans, notamment non nationaux à Douala. 300 local qui s’analysent en une conversion du capital économique en capital relationnel ; le passage de politique s’observant au moment du basculement de ces motivations économiques au champ politique. La nature occulte de ce type de stratégies est une caractéristique importante du séjour des immigrés musulmans à Douala et une particularité de leur mode d’insertion dans le jeu politique. Cette diaspora musulmane est incorporée par les pouvoirs publics suivant deux principales modalités, qui sont communautaires ou individuelles. Comme nous avons dit plus haut59, l’immigration musulmane n’a pas seulement produit des agents économiques incontournables dans la ville de Douala. Elle a également généré une catégorie d’entrepreneurs politiques60 dont le fonctionnement et le comportement apparaissent à tout égard atypique des modes classiques d’entrée en politique. Il s’agit d’agents sociaux nationaux et/ou étrangers qui investissent discrètement et sournoisement les sphères de pouvoir aux fins de tirer partie des soutiens ou appuis politiques. Une observation de leur fonctionnement montre qu’ils n’affichent réellement aucune prétention à exercer le pouvoir politique au niveau local, mais plutôt ‘‘collaborent’’61 discrètement avec ce dernier aux fins de réaliser leur projet. Sans doute la situation et la condition d’‘‘étranger’’ de certains d’entre eux justifie-t-elle les nuances observées dans le mode de déploiement des stratégies de conversion de capital chez les musulmans de Douala, ceci en comparaison avec les stratégies des ‘‘nationaux’’. C-1 L’entrée clandestine sur la scène et dans le jeu politique local Le repérage de la diaspora musulmane étrangère dans le jeu politique local de la ville de Douala n’est pas aisé, du fait du camouflage habituel de leurs activités pendant leur séjour.62 L’infiltration des réseaux fermés yorubas, haoussas et maliens des quartiers New-Bell/Haoussa, New-Bell/Congo et New-Bell/Makea nous a permis d’appréhender les mécanismes et surtout les motivations d’une occultation devenue obsessionnelle : 59 Voir section A de ce chapitre. J. Schumpeter, Capitalisme et Démocratie, Paris, Payot, 1983. 61 Comprendre aussi ‘‘Corrompre’’. 62 Sur le camouflage et l’illégalité des activités des immigrés, lire M. Den Boer, ‘‘Crime et immigration dans l’Union Européenne’’, Culture et Conflits, n°31-32, 1998, pp.101-123. 60 301 c’est qu’en réalité, la situation de clandestinité63 qui est la leur et surtout leur statut d’‘‘étranger’’ les amènent à adopter des stratégies essentiellement occultes pour pénétrer les milieux politiques. Cela expliquerait largement ce pseudo absence64 dans un univers politique traditionnellement considéré comme relevant du domaine exclusif des nationaux. En effet, leur dynamisme, l’ardeur et la persévérance au travail des immigrés nigérians, leur ethos d’accumulation se soldent souvent par une réussite en termes de pouvoir financier. Cela ne semble guère plaire aux populations locales qui les trouvent ‘‘orgueilleux’’ et ‘‘vantards’’.65 De plus, le monopole dont certains musulmans jouissent dans certains secteurs d’activités économiques n’est pas forcément du goût des autres populations locales qui s’en accommodent à défaut de pouvoir les remplacer.66 Une présence ostentatoire dans la sphère politique comme c’est le cas dans le secteur économique serait insoutenable pour les populations locales. Pour ce faire, les immigrés musulmans évoluant dans la délicate sphère du politique se doivent d’être discrets aux fins de ne pas en rajouter à une susceptibilité avérée. Par exemple, à la question relative au rapport qu’ils entretiendraient avec la politique, ceux-ci presque sans exclusive, répondent de manière systématique. ‘‘Je ne fais pas la politique’’, pour exprimer leur indifférence par rapport à ce sujet67 et surtout le statut d’apolitique qu’ils assumeraient en terre étrangère. En réalité, il n’en est rien. Il y a plutôt camouflage et occultation de l’activité politique pour les raisons évoquées plus haut. Il s’agit d’une stratégie de diversion et de contournement de la présomption d’incompétence politique qui leur est accolée, c’est-à-dire le refus ou l’interdiction socialement reconnue comme habilités à s’occuper des affaires politiques.68 Dans cette perspective, ils choisissent conséquemment 63 Voir A. Bamillon, ‘‘Immigrés africains francophones et Sud-Africains’’, in Immigration africaine en Afrique du Sud, Paris, IFAS et Karthala, 1999, et G. Mefouna, ‘‘Les immigrés clandestins au Cameroun’’, Rapports de stage diplomatique, IRIC, 1991. 64 On lira avec intérêt la situation inverse décrite par S. Abdelmalek, La double absence. Des illusions de l’immigré aux souffrances de l’immigré, Paris, Seuil, 1999. 65 Le Messager, no 557 du 4 novembre 1996 et Mutation, no 107 du 13 avril 1998 stigmatisent les immigrés nigérians en ces termes. Pour une étude exhaustive des constructions liées à une représentation péjorative des Nigérians dans la ville de Douala, voir B.-J. Nkene, ‘‘Les immigrés nigérians à Douala’’, pp. 152-158. 66 Voir les écrits de B.-J.Nkene, notamment ‘‘Les immigrés nigérians à Douala’’, p.156 et ‘‘Les étrangers acteurs de la vie politique camerounaise : l’expérience des immigrés nigérians à Douala’’, Revue Africaine d’Etudes Politiques et Stratégiques, no 1, 2001, pp.85-117. 67 P. Bourdieu, Propos sur le champ politique, Paris, Presses Universitaires de Lyon, 2000, p.8. 68 P. Bourdieu, Question de sociologie, Paris, Editions de Minuit, p.466. 302 les modes d’actions occultes à l’exemple des financements des partis politiques ou de corruption des autorités publiques locales pour la réalisation de leur projet migratoire.69 Ces milieux commerçants ont d’ailleurs la capacité de se faire écouter dans les dynamiques politiques locales, grâce surtout au contrôle qu’ils exercent sur les ressources économiques. Cette prédilection pour l’informalité politique à Douala renvoie à d’autres types de comportement déviants d’immigrés non musulmans dans les milieux économiques – contrebande et surtout sociaux iconoclastes70 – au Cameroun. Les lobbies haoussas du quartier Congo apparaissent ici comme les plus influents. Ils sont à créditer d’une influence politique importante. Leur redoutable dynamisme en fait un lobby particulièrement craint dans certains milieux d’affaires de Douala. Leur ancienneté et surtout le monopole de certains secteurs d’activités les placent comme des interlocuteurs de premiers plans avec les autorités locales. Dérivé des rapports religieux qu’ils entretiennent avec leurs homologues camerounais du quartier Congo, les lobbies haoussas tirent leur efficacité de leur insertion et leur longue familiarisation avec les milieux nordistes très impliqués dans le commerce ‘‘importexport’’. D’un point de vue politique, les immigrés haoussas, sont dans leur majorité inféodés aux Camerounais originaires du ‘‘ Grand Nord’’ et s’alignent à tort ou à raison, sur les choix politiques de ces derniers. Leurs choix au départ allait pour l’UNDP, parti politique dirigé par Bello Bouba Maigari, ancien dignitaire du régime d’Ahmadou Ahidjo et ancien premier ministre du président Paul Biya et ceci malgré le fait qu’ils n’admettent ne pas faire de la politique. Ce choix était lié au fait que le président de l’UNDP, Bello Bouba Maigari est un musulman originaire de la partie septentrionale du Cameroun et supposé - à tord ou à raison -incarner les intérêts des communautés musulmanes. L’UNDP apparaissait ainsi pour beaucoup de musulmans haoussas et peuls de Douala 69 Pour le cas des Haoussa dans la ville de Libreville au Gabon, où désormais légalement reconnus comme des Gabonais à part entière, ils ne sont toujours pas acceptés par leurs compatriotes de ‘‘souche’’ qui continuent à les considérer comme des étrangers. Voir I. De Bilanga, ‘‘Les Haoussas du Gabon : des Sahéliens chez les Bantous ’’, Syfia Gabon, 03-02-2006. On pourrait aussi glaner les informations sur ce phénomène dans d’autres villes africaines en lisant C. Coquery-Vidrovitch et al., Etre étranger et migrant en Afrique au XXe siècle. Enjeux identitaires et modes d’insertion, vol. II, Paris, L’Harmattan, 2003 ou Insertion des migrants en milieu urbain en Afrique, Actes du séminaire CRDI-ORSTOM-URD, Lomé 1014 février 1987, Paris, ORSTOM, 1989. 70 Voir les écrits de L.T.Weiss, Migrants Nigérians. La diaspora dans le Sud-ouest du Cameroun, Paris, L’Harmattan, 1998 et ‘‘Migrations et conflits frontaliers. Une relation Cameroun Nigeria contrariée’’, Afrique contemporaine, no 180, octobre-décembre, Paris, 1996, pp. 18-39. 303 comme une nouvelle vitrine qui leur permettrait de s’affirmer au plan politique. Certains n’hésitent pas à voir en cette formation politique un prolongement des idéaux du régime d’Ahmadou Ahidjo. Tanko Hassan par exemple va se rapprocher de cette formation d’opposition créée par des acteurs politiques autrefois loyaux à l’égard du président Ahidjo. Ce fut aussi le cas d’un autre entrepreneur musulman important comme Mohammadou Catche (chef de la communauté peule de Douala) qui aporta son son soutien à l’UNDP.71 Or, nous avons déjà vu les privilèges qui s’offraient aux musulmans sous ce régime. Mais suite à l’arrivée en tête de l’opposition (regroupée autour du SDF) au scrutin présidentielle d’octobre 1992 à Douala et la victoire de celle-ci aux élections municipales de février 1996 à Douala, le gouvernement augmenta la pression fiscale et modifia la loi de finance dès le même mois (février 1996) pour centraliser au niveau de l’Etat les recettes municipales de Douala.72 Ainsi, entre 1996 et 2001, les commerçants de la ville de Douala sont victimes d’une grande pression fiscale, des ‘‘représailles du pouvoir’’73. Par réalisme politique et pour protéger leurs intérêts économiques, leurs choix sont depuis lors portés sur le RDPC, parti au pouvoir.74 Ce parti est perçu comme bénéficiant des largesses des immigrés musulmans, notamment haoussas du quartier Congo. Mais l’essentiel de leur lobbying s’effectue en direction des autorités administratives de leurs circonscriptions directes. Ces alliances avec l’élite politicoadministrative locales sont importantes pour le déploiement, la protection et l’encadrement de leurs activités qui se déroulent aussi souvent dans la fraude et la contrebande.75 71 E. M. Owona Nguini, ‘‘ L’Etat et les milieux d’affaires au Cameroun : autoritarisme, ajustement au marché et démocratie’’, CEAN-IEP de Bordeaux et GRAP, 2000. 72 Voir Bulletin du GICAM, no 28, du 4 avril 2008. 73 Voir Mutations du 8 novembre 2006 et le Bulletin du GICAM, no 28, du 4 avril 2008. Dans le même sens, le 27 février 1996, un décret présidentiel érigeait une dizaine des plus grandes villes en ‘‘Communes à Régime Spécial’’, dont la plupart avaient été gagnées par l’opposition afin de confisquer le pouvoir des maires. 74 Voir Y. Moluh, ‘‘Cosmopolitisme et démocratie urbaine : essai d’explication des comportements politiques post municipales du 21 janvier 1996 à Douala’’, pp.153-164. 75 Lire E. M. Owona Nguini, ‘‘ L’Etat et les milieux d’affaires au Cameroun : autoritarisme, ajustement au marché et démocratie’’, CEAN-IEP de Bordeaux et GRAP, 2000. Lire aussi dans le même sens A. Pezzano, ‘‘Développement de l’entreprise informelle en Afrique subsaharienne’’, in C. Coquery – Vidrovich (éd.), Développement dans les villes du Sud, Paris VII, SEDET, 1999 ; également Mac. J. 304 La constitution de lobbies commerçants musulmans agissant dans le secret traduit ce penchant pour un jeu politique occulte. Au départ, ce sont des regroupements ethniques ou professionnels qui se rencontrent dans les mosquées pour s’informer sur les évènements communautaires. Au fur et à mesure qu’ils prennent de l’envergure, ils se retrouvent dans la nécessité de collaborer avec les instances politiques locales76 ou se muent selon les opportunités en défendeurs des intérêts de leurs communautés respectives. Ce glissement de nature ou de vocation apparaît lorsque les intérêts grandissent, lorsque la coalition avec le pouvoir local devient un gage de la pérennité des affaires. A ce moment les lobbies financent les organes politiques locaux en échange de protection, de passe-droits, etc. L’observation peut également s’étendre aux lobbies commerçants yorubas regroupés autour de la mosquée yoruba et de l’association des vendeurs de pagnes yorubas au marché Congo77 ; sénégalais organisés autour de la mosquée sénégalaise, des daïras et de l’Association des Sénégalais de Douala78 et même maliens organisés autour de la mosquée malienne et des associations comme l’Association des Jeunes du Mali à Douala créée en 1994 et la Communauté Malienne du Cameroun à Douala (COMACAD) créée en 199779 qui utilisent la même stratégie. Encore discrets, ils sont à créditer d’une influence politique grandissante. Encadrés par de réseaux opaques dont les manifestations s’étalent en dehors du pays d’accueil80 leur métier de commerçant et d’artisan les place comme des interlocuteurs de premiers plans avec les autorités locales. Ils ont par exemple financé secrètement le candidat RDPC de Douala IIe leur ‘‘fief naturel’’ pendant les législatives de 1997, en même temps que le candidat du SDF, par le biais de leur Gaffey, Entrepreneurs and parasites : the struggle for indigenous capitalism in Zaïre, Cambridge, Cambridge University Press, 1987. 76 Voir dans le même sens R. Lemarchand, ‘‘Political clientelism and ethnicity in Tropical Africa : Competing solidarities on Nations – Building’’, The American Political Science Review, n°66-1, 1972, pp.42-72. 77 Lire T.L.Weiss, ‘‘L’Union nigériane du Cameroun. Le pouvoir d’une communauté acéphale dans la diaspora’’, in Le voyage inachevé, Paris, ORSTOM/PRODIG, 1998. 78 Voir, entre autres N. Kavira, ‘‘Sénégalaise du Cameroun. A Douala comme à Dakar’’, Le Potentiel, no 3813, du 30 août 2006 et Ch. Oumar Ba, ‘‘Les Sénégalaises en Afrique centrale : de la migration d’accompagnement à l’émergence des groupes de femmes autonomes’’, in C. Coquery-Vidrovitch et al., Etre étranger et migrant en Afrique au XXe siècle. Enjeux identitaires et modes d’insertion, pp. 279-291. 79 Cf. P. Cissé, ‘‘La migration malienne au Cameroun : le retour est-il possible?’’, Communication présentée au XXVème Congrès International de la Population, Tours, 18-23 juillet 2005. 80 Dans le même sens lire A. Adepofu, ‘‘Linkages between internal and international migration’’, pp. 35-57. 305 représentant.81 Le jeu consistait ici à subventionner aux mêmes moyens tous les candidats potentiellement éligibles aux élections. Cela permettait de se prémunir contre d’éventuelles surprises. Cette attitude, du reste dispendieuse, n’était pas inconnue des milieux d’affaires camerounais, comme en témoignait le plaidoyer à la télévision camerounaise pendant les ‘‘villes mortes’’ de Kadji Defosso, accusé de financer un parti d’opposition -SDF-. Celui-ci déclara qu’il finançait aussi le parti au pouvoir -RDPC- et ne trouvait aucune incompatibilité à ‘‘aider’’ les deux partis.82 Le comportement des lobbies yorubas, sénégalais et maliens étaient à beaucoup de points de vue identiques. En finançant tous les partis susceptibles de gagner les élections, ils se plaçaient dans un jeu à somme variable où ils étaient assurés quels qu’en furent les résultats, d’avoir la ‘‘confiance’’ de nouveaux élus. L’observation attentive de la scène politique de Douala montre que les immigrés musulmans se posent comme des acteurs déterminants dans le jeu politique de Douala IIe et se trouvent ainsi, du fait de leur activité politique occulte, dans une situation atypique par rapport à la ‘‘discrétion’’ des autres étrangers y résidents.83 Ils contrôlent parfaitement depuis le retour au multipartisme les députés et les maires de cette circonscription administrative quelle que soit leur obédience politique. Mais on retiendra surtout que l’occultation et la diversion caractérisent les modes d’entrée en politique de la frange non nationale des immigrés musulmans à Douala IIe. Ceci est aussi favorisé par l’‘‘affaiblissement relatif’’ de la souveraineté de l’Etat dans les ‘‘périphéries’’84 ; ce qui entraîne l’investissement des ‘‘marges’’ sous des formes très diverses par des nouveaux acteurs, à l’instar des immigrés musulmans dont la présence et les activités clandestines, frauduleuses et informelles pour l’essentiel, leurs interactions avec les instances 81 B.-J. Nkene, ‘‘Les étrangers, acteurs de la vie politique camerounaise : l’expérience des immigrés nigérians dans la ville de Douala’’, p. 107 ; (Cet article a été aussi publié dans la revue Polis, Vol. 8, numéro spécial, 2001). 82 Voir M. E. Owona Nguini, ‘‘L’Etat et les milieux d’affaires au Cameroun : autoritarisme, ajustement au marché et démocratie (1986-1996)’’, CEAN-IEP de Bordeaux et GRAP, 2000 83 La communauté béninoise par exemple est historiquement l’une des communautés étrangères la plus ancienne. Leur présence à Douala date de la présence allemande lorsque esclaves promis à la liberté, ils sont enrôlés de force par la troupe coloniale allemande pour conquérir le Cameroun. Moins influente, elle ne fait l’objet d’aucune convoitise particulière par les autorités locales. Pour plus de détails sur l’ancienneté de la communauté béninoise à Douala, lire P.Oleukpana Yinnon, ‘‘Plaidoyer pour les ‘‘tirailleurs dahoméens’’’’, Ethiopiques, 50-51, Revue trimestrielle de culture négro-africaine, Nouvelle série, 2e et 3e trimestres 1998, Vol. 5, no 3-4, pp. 17-33. 84 L. Sindjoun, ‘‘L’Afrique dans la Science des Relations Internationales : notes introductives et provisoires pour une sociologie de la connaissance internationaliste’’, Revue Africaine de Sociologie, 1999, pp.48-68. 306 politiques locales, ont acquis une visibilité inhabituelle et engendré des nouvelles ‘‘figures du politique’’85, sans commune mesure avec la configuration des espaces centralisés traditionnels. Si l’opposition86 regroupée autour du SDF souhaitait vivement pendant les ‘‘villes mortes’’ que les membres de ces lobbies par ailleurs détenteurs de la plupart des maisons de commerce suivent le mot d’ordre de grève, le RDPC, par les autorités politiques locales qui lui étaient fidèles ramaient en sens inverse et ce faisant, légitimaient cette migration musulmane à Douala. Leur présence dans ces instances de crise et de prise de décision n’est pas fortuite dans la ville de Douala : c’est qu’en réalité, ils détiennent un important rôle sur le plan économique, par le biais du monopole de certains secteurs d’activités vitaux qui font d’eux des acteurs presqu’incontournables à la fois sur le plan économique et sur le plan politique. Cela permet de comprendre les logiques d’enserrement de ces lobbies et les tentatives récurrentes de rapprochement initiées par les autorités politiques locales. Ce qui est important à faire entrevoir dans cette relation, ce sont les rapports clientélistes qu’entretiennent les lobbies et les autorités locales. La réciprocité des intérêts et des gains fondant cette relation s’inscrit dans une logique de complémentarité où ces communautés autant que les autorités trouvent un intérêt à collaborer. Le statut d’étranger qui habituellement indiquerait une position de faiblesse par rapport aux nationaux87 est dans ce cas supplée par le pouvoir économique et en fait un partenaire politique décisif à rallier.88 Les luttes sourdes entre partis politiques à Douala IIe visant à ramener dans leur bastions les immigrés yorubas, sénégalais, haoussas et même maliens démontrent amplement cet état de chose. Ces lobbies apparaissent donc comme des acteurs/facteurs déterminants dans certaines localités de la ville de Douala et notamment à Douala IIe où la visibilité de ce phénomène est d’une forte prégnance. De ce point de vue, on peut dire qu’une certaine collusion d’intérêts s’est opérée entre l’administration locale et certains milieux 85 M. Coumba et M. Diouf 1999, cités par B.-J. Nkene, ‘‘Les étrangers, acteurs de la vie politique camerounaise : l’expérience des immigrés nigérians dans la ville de Douala’’, Polis, Vol. 8, numéro spécial, 2001, p. 2. 86 L’Union pour le Changement. 87 Voir C. de W. Withol, Citoyenneté, Nationalité et Immigration, Paris, Arcantère Editions, 1987. 88 Pour plus d’amples connaissances, on peut lire C. de W. Withol, ‘‘Expression privée et politique dans les groupes issus de l’immigration’’, Etudes Tsiganes, no2, 1993, pp. 17-43. 307 musulmans à la faveur du retour au multipartisme. Certains groupes par réalisme politique et économique, ont opté pour la carte de l’instrumentalisation réciproque. Audelà de ces stratégies buissonnières, la technique de conversion de capital apparaît comme une autre modalité de leur entrée dans le champ politique. C-2 La conversion du capital économique en capital politique Une fois de plus, on est dans un chapitre peu transparent de l’activité politique des musulmans dans la ville de Douala qui a trait à l’arrimage des musulmans dans le champ politique via l’économique. L’entrée des musulmans dans le jeu politique de la ville de Douala par leur propre initiative obéit à une logique de conversion d’un capital économique en capital relationnel89. En effet, les musulmans dans leur majorité sont dans les ‘‘affaires’’ – comprendre ici les activités commerciales – et jouissent dans cette ville d’une réputation d’habiles commerçants, ce qui justifierait la fortune qu’ils réussissent très souvent à amasser.90 Une des catégories socio-économiques produites par la présence musulmane à Douala est ce qu’on désigne ici par big massa ou plus communément njim tété91 ou encore baobab. Le njim tété ou le baobab musulman est en général un self-made-man qui arrive à se positionner comme un membre du groupe financièrement influent. L’idée sous-jacente ici est la réussite sociale individuelle, elle-même bâtie sur une réussite économique.92 Mais dans la ville de Douala, cette dernière ne peut réellement être efficiente sans des soutiens politiques et c’est ce qui expliquera que l’on les décèle également dans ce champ. L’action politique individuelle des musulmans dans la ville de Douala s’inscrit dans une alliance dyadique où le secret est de mise. Ce sont en général 89 P. Bourdieu, ‘‘The Forms of Capital’’, in J.G. Richardson (s.d.), Handbook of theory of research for the sociology of education, New-York, Greenwood Press, 1983, pp.241-258. 90 Voir G.A. Brenner, M. Lipeb et J.M. Toulouse, ‘‘Les entrepreneurs originaires du Nord à Douala et à Yaoundé’’, in Les facteurs de performance de l’entreprise, Paris, Ed. AUPELF-UREF, John Libey Eurotext, 1995, pp. 155-165 et A. Tarrius, Les fourmis d’Europe, Migrants riches, Migrants pauvres et Nouvelles Villes Internationales, Paris, L’Harmattan, 1992. 91 Le terme Njim tété est une expression tirée du pidgin –english local et qui signifie grand patron. Baobab a le même sens que grand patron. Pour une idée sur l’utilisation des nouveaux mots dans la façon de parler au Cameroun, on lira avec intérêt L. Nzesse, ‘‘Discours politiques : nouveaux mots, nouveaux sens. Vitalité de la langue française au Cameroun’’, in J. Fumtim (s.d.), Cameroun mon pays, Yaoundé, Ed. Ifrikiya, 2008, pp. 133-139. 92 Voir P. Geshire et P. Konings, Itinéraires d’accumulation au Cameroun, Paris, Karthala, 1993. 308 des élites dont la position est rehaussée par leurs succès dans le gros commerce et l’exploitation industrielle qui entretiennent ce commerce avec le parti politique au pouvoir (RDPC) et/ou avec les autorités administratives. L’itinéraire du ‘‘Groupe Fadil’’ conduit à penser que certaines élites de la communauté musulmane sont dans cette situation. ‘‘Le Groupe Fadil’’ El Hadj Mohamadou Bayero Fadil, patron du ‘‘Groupe Fadil’’ et El Hadj Oumarou Fadil directeur administratif du même groupe, puissants hommes d’affaires peuls originaires de Garoua, au Nord-Cameroun, installés à Douala IIIe sont des prototypes des Njim tété musulmans à Douala. Réputés dans les milieux d’affaires et dans les milieux politiques de la ville de Douala, ils appartiennent à la catégorie des personnes ‘‘intouchables’’ de la place. Leur réputation de riche fait d’eux des hommes craints et respectés dans la ville. Leur trajectoire d’entrée dans les instances du pouvoir local est d’abord passée par une accumulation héritée de leur père.93 Ce dernier, El Hadj Fadil Abdoulaye Hassoumai est décédé le 26 septembre 1996, à 67 ans. En héritage à ses enfants, il laisse un nom et un patrimoine industriel considérable : dans le domaine industriel, il y’a le Complexe Chimique Camerounais (CCC) qui est aussi la plus ancienne unité du groupe ; il y’a aussi la Société Camerounaise de Production et de Diffusion de Boissons Hygiénique (Socaprod), sous licence Pepsi-Cola. Le secteur de l’agro-industrie est représenté par l’unité de raffinage de sel (Selcam). L’élevage est dominé par la Compagnie Pastorale Africaine (CPA), ‘‘le plus important élevage d’Afrique qui symbolise, en quelque sorte, la tradition familiale, les Fadil étant des Peul’’94. Et puis, il y a l’Hôtel Méridien qui est une insertion réussie dans le secteur des services. Sous la conduite du fils aîné, Mohamadou Fadil, quelques années plus tard, les entreprises de El Hadj Fadil Abdoulaye Hassoumai ont été réunies au sein du ‘‘Groupe Fadil’’, jouant ainsi sur les complémentarités des différentes branches d’activités en amont et en aval. Toujours sous sa conduite, le ‘‘Groupe Fadil’’ se diversifie aussi avec la Société Générale de Distribution (SGD), la Camerounaise de Transit (Catrans), 93 Voir, entre autres le magasine Recréation, no 13 du vendredi 8 février 2008, pp.8-9 ; La lettre du Continent du 7 janvier 1999, pp.6-9 et surtout Jeune Afrique Economie, numéro spécial ‘‘Sommet OUA de Yaoundé’’, 1997, pp. 282-299. 94 Cf. Jeune Afrique Economie, numéro spécial ‘‘Sommet OUA’’, pp.287-293. 309 Cameroon Bottling Company (CBCo), la Société Laitière du Cameroun (Solaic) et l’informatique (Sojescam).95 Dans le domaine de la presse, le groupe s’enrichit en rachetant les hebdomadaires Chalenge Hebdo et Dikalo qui faisaient partie de la vague des premiers journaux privés fondés au Cameroun en 1991, au lendemain du retour au multipartisme. Ce groupe de presse a à sa tête El Hadj Oumarou Fadil en qualité d’administrateur directeur général. Journaux d’informations générales, Dikalo et Chalenge Hebdo sont situés au ‘‘Carrefour CCC’’, précisément dans les locaux du ‘‘Groupe Fadil’’. Au cœur de cette mécanique, la logique de conversion d’un capital économique en capital relationnel dans la mesure où ce qui est aussi visé par ces derniers, c’est la sécurité de leurs activités. L’entrée dans le jeu politique ici est indirecte et obéit à d’autres choses que la conquête ou l’exercice du pouvoir. Il ne s’agit pas d’une recherche du pouvoir à exercer mais davantage de la quête d’un capital relationnel qui les sécurisent dans leurs objectifs d’enrichissement. Il s’agit moins encore, en ce qui concerne les Njim tété musulmans, d’une professionnalisation politique96 puisque leur rapport avec les instances dirigeantes obéit à autre chose que la quête du pouvoir politique. Ainsi, le passage de l’économique au politique caractérise les stratégies d’enrichissement des élites musulmanes et se traduits concrètement par une forme de chevauchement fonctionnel avec ces deux champs97. Pour mieux saisir ce mécanisme, il faudrait surtout mettre en exergue les rapports d’échange qui existent entre les Njim tété et les autorités locales. On empruntera encore volontiers ici les instruments d’analyse du paradigme clientéliste98 pour décrypter les rapports d’‘‘instrumentalisation’’ réciproque entre élites économiques et autorités politiques locales. L’adoption d’un ‘‘profil bas’’ illustré par le clientélisme ne signifie nullement que le subordonné soit totalement impuissant. Au contraire, le clientélisme ne peut exister que dans la mesure où le client contrôle des ressources utiles au patron, en l’occurrence aux hommes politiques99 ou aux administrateurs locaux. 95 Ibid. D. Gaxie, Les professionnels de la politique, Paris, PUF, 1973. 97 J.F. Médard, ‘‘Le Big-man’’ en Afrique, p.185. 98 Voir sur ce paradigme J.P. Médard, ‘‘Le rapport de clientèle : du phénomène social à l’analyse politique’’, Revue Française de Sciences Politiques, n°26 (1), 1976, pp.31-103. 99 Ibid. 96 310 Or, confronté à l’affaiblissement politique et matériel du système étatique dans la ville de Douala depuis le début des années 90, ceux-ci vont s’efforcer de mobiliser tous les potentiels disponibles. Ils découvrent ainsi tout l’intérêt des réseaux où se trouvent impliqués des musulmans. La situation de crise économique, politique et sociale apporte la preuve par l’absurde de l’importance décisive des acteurs économiques dont bon nombre sont musulmans. Elle confirme ce que l’on savait, c’est-à-dire qu’ils contrôlent une part importante du système de production (notamment dans le secteur industriel) et des réseaux de distribution (commerce de gros et de détail), entrepreneurs et intermédiaires indispensables non seulement aux yeux des masses en quête d’emploi et pour qui le petit magasin ou l’échoppe constitue le pivot de la vie quotidienne. Qu’ils soient peu aimés ou que l’un soit suspicieux à leur égard est une chose que leur caractère ‘‘étranger’’ et/ou ‘‘allogène’’ rappelle. Mais l’essentiel est qu’ils sont indispensables pour la classe politico-administrative. En fait, leur situation économique les place dans une position sociale enviable. Pour réaliser leurs objectifs d’enrichissement, ils se positionnent comme des alliés indispensables dans le jeu politique local, par exemple en ce qui concerne le financement du parti au pouvoir ou par une entrée directe dans la scène politique. Aussi, El Hadj Oumarou Fadil, directeur administratif et financier du ‘‘Groupe Fadil’’ est très actif dans la politique depuis le retour au multipartisme. Il est membre du comité central du RDPC et s’investit dans de multiples activités au sein du Parti. Il a régulièrement fait partie des diverses commissions mises sur pied à l’occasion des évènements ayant jalonné la vie du RDPC.100 Enfin, il est maire de la commune de l’arrondissement de Douala IIIe depuis les élections municipales de janvier 1996. Observés sous cette grille de lecture, les rapports entre les autorités locales et les élites musulmanes montrent que l’entrée dans le champ politique est pour partie tributaire de différentes transactions, de coalitions politiques fondées sur les intérêts réciproques existant entre les deux premiers. La réussite du processus d’accumulation des Njim tété est étroitement liée aux relations dont ils disposent au sein des instances dirigeantes qui les couvrent en cas de besoin.101 Ils sont reconnus comme ‘‘intouchables’’ dans la ville 100 101 Voir le site web officiel du RDPC : http:/www.rdpc.cm, consulté le 20 août 2006. J.F. Médard, ‘‘Le Big man’’ en Afrique, p.185. 311 du fait de leurs attaches avec les autorités administratives ou politiques qui en retour obtiennent d’eux des prébendes. En somme, il s’agit d’une sorte ‘‘d’alliance dyadique verticale entre deux personnes de [catégories ou groupes sociaux] statut, de pouvoir et de ressources inégaux, dont chacune considère utile d’avoir un allié supérieur ou inférieur à elle-même’’102. On doit aussi faire observer que l’entrée individuelle en politique des Njim tété musulmans induit souvent celle de leurs groupes politiques, économiques ou socioprofessionnels qu’ils représentent. Mais en général, ce type d’activités des élites musulmanes prend dans la majeure partie de temps, les trajectoires d’une participation politique non conventionnelle.103 La présence musulmane à Douala a, par une dynamique coproduite par les autorités administratives et les communautés musulmanes irradié le champ politique local. On se trouve ainsi devant un cas singulier de rapports politiques entre une communauté et l’appareil politico-administratif à Douala où cette communauté, par ses activités, détermine dans certaines conditions le jeu politique local. Dans les arrondissements de Douala IIe et Douala IIIe où les immigrés musulmans sont nombreux, cet enjeu est encore nettement perceptible. Ici leur nombre important a des incidences directes sur les suffrages de ces circonscriptions administratives. Véritables enjeux électoraux, ils pèsent d’un poids remarquable sur les résultats des élections, comme le montre les élections législatives, municipales et présidentielles organisées entre 1992 et 2006 où ils participèrent visiblement à déterminer la victoire du RDPC. Celles-ci sont aussi le reflet des participations ou non des communautés musulmanes. Leur contrôle est alors un gage important pour l’expression des suffrages. Leurs consignes de vote peuvent déterminer le sens des votes. Au-delà, l’insertion des musulmans dans le champ politique de la ville de Douala traduirait bien un aspect de la dynamique silencieuse d’intégration politique qui s’effectue dans cette région mais dont les autorités de part et d’autre ne nous semblent pas suffisamment en contrôler les mécanismes. 102 J. Leca et Y Schemeil, ‘‘Clientélisme et néo-patrimonialisme dans le monde arabe’’, International Political Review, 1989, pp.17-39. 103 Cf.N. Mayer et P. Perrineau, Les comportements politiques, Paris, Armand Colin, 1992, p.11. 312 En parallèle à tous ces développements politiques, les communautés musulmanes de Douala développent des nouvelles stratégies qui montrent leurs implications/ancrages dans la sphère islamique globale. D- Les nouvelles implications/conceptions du Hajj chez les jeunes musulmans de Douala : pouvoir public, pèlerinage, identité et culture matérielle Au début des années 1990, avec le vent de libéralisation, les organisations et les encadreurs du pèlerinage vont se multiplier.104 Ces organisateurs/facilitateurs officiels joueront désormais un grand rôle dans l’organisation, le voyage et le suivi des pèlerins, tant à l’aller qu’au retour. Le Ministre de l’Administration Territoriale et de la Décentralisation leur accordera des agréments pour une période de trois ans, lesquels peuvent être renouvelés pour une période de deux ans. Certains en font une spécialité tandis que d’autres ont des mandats plus généraux mais veillent également à l’organisation et à la coordination de cet événement. Leur nombre ne cesse de croître. En 2003 par exemple, le Cameroun comptait 42 encadreurs officiels.105 Ils se sont souvent livrés concurrence pour le contrôle des pèlerins. Il est essentiel de noter que les rapports entre le gouvernement camerounais et les divers encadreurs impliqués dans l’organisation du Hajj ont été très fluctuants depuis le début de la décennie 2000. En effet, le 7 janvier 2003, le Ministre de l’Administration Territoriale et de la Décentralisation avait mis en place une Commission Nationale du Hajj (CNH) dont il était le président.106 En s’arrogeant la prérogative d’organisation du pèlerinage, l’Etat voulait officiellement mettre un terme au désordre qui avait cours dans ce secteur, lequel secteur commençait déjà à s’émanciper de son autorité, surtout en développant ses propres voies portant par ailleurs atteinte à son image.107 En effet, lors du 104 Voir décision 005 D/MINATD/DAP/SDLP/SAC portant agrément des encadreurs des pèlerins musulmans. 105 Lire l’interview d’El Hadj Mama Zamou Ahmadou, représentant des encadreurs à la Commission Nationale du Hadj dans le quotidien Le Messager, n° 1572 du Vendredi 10 Octobre 2003. 106 Voir arrêté n° 280A/ MINATD/DAP/SCLP/SAC constatant la composition de la Commission Nationale du Hajj présidé par Marafa Haminou Yaya et comprenant entre autre le Ministre Délégué auprès du Ministre des Relations Extérieures chargé de la coopération avec le monde islamique Adoum Garoua, Mohamadou Labarang, ambassadeur du Cameroun en Arabie Saoudite et Alioum Moussa, le Consul du Cameroun a Djeddah. 107 Voir le lien internet http://www.camer.be/index.php? Act=3002, consulté le 10 avril 2004. 313 pèlerinage de l’année 2002 par exemple, un pèlerin camerounais s’était suicidé ; en 2005, le Cameroun avait enregistré quatre décès parmi ses pèlerins. Depuis lors, beaucoup d’autres avaient souffert d’un amateurisme organisationnel du Hajj.108 L’Etat souhaitait éviter ou tout au moins limiter tous ces manquements. Comme il fallait s’y attendre, beaucoup d’anciens encadreurs de la communauté musulmane pour le Hajj avaient réagi en remettant en cause cette ‘‘intrusion’’ de l’Etat dans leurs ‘‘affaires’’. Toujours du coté des encadreurs, ils estimaient que depuis quelques années, le Hajj était organisé par Aliou Moussa, Consul Général du Cameroun à Djedah, par ailleurs très proches du Ministre Marafa Amidou Yaya. Pour eux, c’est suite à cette intrusion intempestive que le Hajj, enregistre depuis quelques années des échecs. Pour A. Njiassé Njoya par exemple, ‘‘le problème des musulmans au Cameroun est que les politiciens tentent de bloquer toute organisation de cette communauté et de vouloir tout contrôler’’109. Les difficultés du voyage sont aussi liées à l’incapacité de la Camair à transporter à temps tous les pèlerins camerounais vers les Lieux Saints. Malgré une publicité tapageuse, elle est incapable d’honorer ses engagements faute de moyens financiers et surtout d’inconsistance de sa flotte. Le phénomène est récurrent depuis quelques années, du fait du monopole accordé à la Camair par les pouvoirs publics pour le transport des futurs pèlerins.110 Enfin, le comportement malsain de certains encadreurs qui ont transformé le Hajj en business n’est pas de nature à donner une belle image d’eux : ‘‘beaucoup sont malhonnêtes et profitent de la naïveté de certains pèlerins, surtout ceux qui effectuent le Hajj pour la première fois pour les arnaquer’’111. Malgré toutes ces difficultés, le nombre de pèlerins semble avoir augmenté ces dernières années. Par ailleurs, on note un changement important : la pratique du Hajj a 108 Pour une petite idée des problèmes liés à l’organisation du Hajj au Cameroun, lire ‘‘Tout sur le pèlerinage à la Mecque’’ El Qiblah, n° 20, février 2001, pp.9-11 ; ‘‘Le pèlerinage de toutes les tracasseries’’, El Qiblah, no 28, avril 2001, pp.11-12 ; ‘‘700 pèlerins du Hadj bloqués à Douala depuis 4 jours’’, Le Messager no 2270, décembre 2006, p.3 et ‘‘Pèlerinage : pourquoi l’organisation du Hadj coince au Cameroun’’, Le Messager, no 2271, décembre 2006, pp.7-10. 109 Voir le lien internet http://www.camer.be/index.php? Act=3002, consulté le 10 avril 2004. 110 Voir dossier relatif à l’incapacité de la Camair à transporter les pèlerins en annexe no 9, document 1. 111 ‘‘Encadrement des pèlerins : un marché de dupe ?’’, El Qiblah, n° 20, Février 2001, p.9. Voir aussi l’annexe no 9, document 2. 314 pris une nouvelle connotation, surtout auprès des jeunes112. En effet, le Hajj acquière de nouveaux rôles et confère de nouveau processus d’identification, surtout chez la plupart des jeunes musulmans. Il importe de noter que la transformation récente du Hajj en relation avec les jeunes et la mobilité religieuse à fait l’objet d’études dans d’autres villes d’Afrique113. S’inscrivant dans la continuité de ces travaux, cette section tente de rendre compte de l’évolution récente du Hajj dans le contexte de Douala. Contrairement à leurs aînés pour qui le Hajj était un événement parfois unique au cours d’une vie, il devient, pour le groupe de jeunes, un périple se répétant parfois même sur une base annuelle. Dans certains cas, la fréquence du Hajj s’avère même une condition dans l’expression de l’identité islamique. Plusieurs changements d’ordre qualitatif au sein de la communauté musulmane ont découlé de ce nouveau rôle du Hajj. Ce changement du rôle du Hajj a également donné lieu à une augmentation du mouvement transnational de musulmans entre l’Arabie Saoudite et Douala114 tout en donnant naissance à de nouveaux processus d’identification chez les musulmans. Ici le mode d’expression de ces changements identitaires se définit par le code vestimentaire et les différents éléments de la culture matérielle. Il ne s’agit pas de minimiser la signification du rôle tenu par le Hajj dans le passé mais celui-ci était toutefois davantage associé à un groupe plus âgé de la population. Dans les deux contextes, le Hajj reste une obligation religieuse. Il implique aussi dans les 112 Ici, nous ne saurions évidemment pas nous étendre sur la définition de la catégorie jeune. Dès lors, disons seulement que sans entrer dans les considérations académiques et théoriques, nous nous référons à notre vécu concret et à nos enquêtes de terrain pour situer la jeunesse musulmane entre vingt et quarante ans. Au demeurant ‘‘tant que le cœur est jeune, l’homme est jeune’’ dit le proverbe tchèque. Il y a cependant lieu de parler de diverses catégories de jeunesse : jeunesse ouvrière, jeunesse intellectuelle, jeunesse chrétienne, jeunesse musulmane, etc. A cet égard, les ouvrages de M. Gauthier et J.F. Guillaume, Définir la jeunesse ? D’un bout à l’autre du monde, Paris, L’Harmattan, 1999 ; H. d’Almeida-Topor et al. (éds.), Les jeunes en Afrique. La politique et la ville, Paris, L’Harmattan, Tome 2, 1992 ainsi que les écrits de D. C. O’Brien, ‘‘A Lost Generation ? Youth Identity and State Decay in West Africa’’, in R. Wesrbner and T. Ranger (eds.), Postcolonial Identities in Africa, London and New Jersey, Zed Books Ltd, 1996, pp. 55-74, de J. et J. Comaroff, ‘‘Réflexions sur la jeunesse. Du passé à la postcolonie’’, Politique Africaine, no 80, décembre 2000, pp. 80-109 et de M. Diouf, ‘‘Engaging Postcolonial Cultures : African Youth and Public Space’’, African Studies Review, 46 (1), 2003, pp. 1-12, sont remarquables. 113 Voir par exemple M.N. Le Blanc, ‘‘Proclaiming Indididual Piety : Pilgrims and Religious Renewal in Côte d’Ivoire’’, in A. Vered and N. Dyck (eds.), Claiming Individuality : the Cultural Politics of Distinction, Pluto Press, 2006, pp. 173-200 et ‘‘Hadj et changements identitaires : les jeunes musulmans d’Abidjan et de Bouaké, en Côte d’Ivoire, dans les années 1990’’, in M. Gomez-Perez (s.d.), L’islam politique au sud du Sahara. Identités, discours et enjeux, pp. 131-157. 114 Lors du pèlerinage 2006 par exemple, près de 700 pèlerins étaient partis de Douala pour l’Arabie Saoudite. Cf. Le Messager, no 2270, décembre 2006, p.3. 315 deux cas plusieurs changements dans le style de vie, notamment davantage de piété dans la vie quotidienne, de nouvelles règles vestimentaires. Par rôle changeant du Hajj, il faut entendre que le Hajj ne revêt plus, pour les jeunes, le sens d’événement unique dans une vie. Il n’est non plus un événement religieux particulier à un certain groupe d’âge mûr. Il devient véritablement une condition de la pratique religieuse dès l’âge adulte. Aussi, le pèlerinage devient plus fréquent, certains individus l’ayant, en effet, déjà effectué de deux à trois reprises entre 1996 et 2006. Depuis le début le milieu des années 1990, la mouvance d’individus et de biens matériels associés au Hajj semble avoir augmentée. Cette hausse serait due, en grande partie, au fait que les jeunes participent plus fréquemment au Hajj. Le dépouillement de quelques numéros de l’hebdomadaire El Qiblah115 et la rencontre de deux ‘‘démarcheurs’’, notamment El Hadj Chintouo Mohamed Awal et El Hadj Nsangou Moctar Mohammed khadhafi nous ont permis de mesurer le rôle changeant du hajj.116 El Hadj Chintouo Mohamed Awal encadre les pèlerins depuis 1992. Il travaille en collaboration avec l’Association de Regroupement des Démarcheurs pour le Pèlerinage au Lieux Saints de l’Islam (ARDMC). Quant à El Hadj Nsangou Moctar Mohammed Kadhafi, il est le fils d’El Hadj Moctar Aboubakar Oumar, cheville ouvrière de l’organisation du pèlerinage pendant la période coloniale et les décennies 60, 70 et 80. El Hadj Nsangou a appris auprès de son père. A la retraite de ce dernier, il lui revenait de prendre la relève. Il bénéficie des relations personnelles de son père en Arabie Saoudite. Cela s’explique par la longue présence de son père dans l’organisation du pèlerinage et la parfaite connaissance des milieux pèlerins à La Mecque par son père. En conséquence, cette longue présence engendre une confiance entre les futurs pèlerins et lui. Selon les deux encadreurs, ils avaient encadré en 1995, 160 pèlerins à partir de Douala alors qu’en 1997, ils dénombraient 180 et 200 en 1999 pour 240 en 2001. En 2004, ils avaient encadré 300 et 320 en 2005. Toujours d’après nos deux interlocuteurs, ces pèlerins se caractérisaient aussi par la diversification de leurs catégories socioprofessionnelles : ils étaient pour la plupart des fonctionnaires moyens, des cadres 115 Notamment le no 20, février 2001et le no 28, avril 2001. Lire aussi leurs interviews en annexe no 9, documents 2 et 3. 116 L’ensemble des informations présentées ci-dessus sur ces deux encadreurs est issu d’entretiens réalisés avec les intéressés le 12 Septembre 2006 au siège de l’Union Islamique du Cameroun (UIC) à New-Bell, derrière la mairie de l’arrondissement de Douala IIe. et du dépouillement de la presse. 316 dans les sociétés privées, commerçants, des artisans et même des ménagères. En outre, selon les mêmes sources, la tranche de 25 voire 30-35 ans et plus fournissait un nombre important de pèlerins. Même s’il est difficile d’avancer une explication catégorique à ce rajeunissement, on peut y voir le fait que la majorité des pèlerins jeunes appartiennent à la catégorie des cadres, des commerçants et des artisans. Contrairement aux premiers pèlerins qui étaient pour la plupart des dirigeants et des notabilités religieuses, les pèlerins des années 1990 et 2000 sont pour la plupart des commerçants (54,5%), artisans (17,5%), ménagères (10,8%), pasteurs (4,3%), cultivateurs (4,3%), autres (8,6%). Ces pourcentages sont tirés des chiffres de l’année 1999. Pour l’année 2004, on constate une augmentation des d’artisans (25%) et ménagères (15%) au détriment des commerçants (40%), des cultivateurs (o%) et des pasteurs (0%). Ces données statistiques faites à partir des listes de pèlerins -plus ou moins bien tenues- restent approximatives et discontinues. Ces données ne disent pas par ailleurs s’il s’agit des pèlerins au départ de Douala ou résidents à Douala. Mais elles correspondent néanmoins au changement de perception du hajj chez les jeunes et à leur participation accrue au pèlerinage. En effet, au niveau du discours, la description du Hajj est passée de la ‘‘nécessité pour les personnes plus âgés’’ à une ‘‘obligation si l’on en a les moyens’’. Le Hajj participe aussi désormais de la définition de sa qualité de musulman, de son statut et de la construction de soi en tant que croyant. La recrudescence de la participation au Hajj est également accompagnée des changements au niveau de la culture matérielle dans la mesure où le pèlerinage est aussi une occasion pour la consommation d’objets sacro-religieux : chapelets, tapis de prière, etc. Cette consommation comprend aussi des objets profanes, mais à caractère religieux, entraîne un changement du code vestimentaire, ainsi qu’une modification de l’esthétique corporelle et domestique. Le rapport entre pèlerinage et commerce est très ancien en Afrique. A l’origine, le commerce transsaharien a entraîné un processus d’islamisation au sein des populations sub-sahariennes.117 Ces constats historiques impliquent que le mouvement d’objets dans 117 Voir par exemple Jillali El Adnani, ‘‘Entre visite et pèlerinage : le cas des pèlerins ouest africains’’, AlMaghrib al-Ifrîqî, Revue spécialisée dans le patrimoine et les études africaines, no 6, 2005, pp.7-36. 317 le contexte du Hajj n’est pas associé aux échanges démographiques dans la participation au pèlerinage depuis les années 1990. Toutefois, les objets, leurs catégories et les caractères, et les modalités de la consommation semblent avoir changé au cours des années 1990 et 2000, grâce à la libéralisation du marché du pèlerinage.118 Il existe aussi deux catégories d’objets soit, d’une part, les objets rituels, considérés comme porteurs d’un pouvoir spirituel : eau puisée dans le puits zamzam, tapis de prière, encens, chapelets, livres de prières, etc. Ces objets étaient achetés auparavant pour la consommation personnelle. D’autres part des objets achetés pour la consommation personnelle ou destinés à la revente : tableaux, vêtements, mobiliers, parfums, appareils électroniques, et ainsi de suite. Ces objets profanes, achetés pour la consommation personnelle ou destinées à la revente, revêtent aussi une dimension sacrée dans la mesure où ils symbolisent une transformation identitaire au niveau de la religion. Ces objets, mis à la vue de tous dans les maisons et sur les lieux de travail, deviennent des signes extérieurs de la foi de chacun. Les gens exhibent également des photographies d’eux-mêmes durant le hajj. Par exemple, Ismaël Oumarou119 a fait le Hajj deux fois depuis 1999. Il enseigne la biologie dans un lycée de Douala. En 2004, il avait 35 ans. Il a construit un album photos de ses pèlerinages : à l’aéroport au moment de se rendre à la Mecque, la participation aux différents rites liés au Hajj et l’accueil par leur famille au moment du retour. Ces albums comprennent surtout ses photographies, comme dans les cas des albums personnels fréquemment constitués par des jeunes femmes et les jeunes hommes. Avant son premier pèlerinage, Ismaël Oumarou avait l’impression de ne pas bien connaître sa religion et de manquer de sérieux. Depuis son deuxième pèlerinage, il a appris à lire la langue arabe, s’est engagé dans les associations et commencé à prononcer des prêches au sein du club islamique de son lycée en 2004. La logique du pèlerinage chez les jeunes peut s’expliquer aussi par sa dimension sociale. Cette dimension se traduit, après coup par un sentiment de prestige perceptible au plan individuel et social. De retour de la Mecque, le pèlerin devient Aladji, ‘‘titre à 118 Lire à toutes fins utiles H. Adama, ‘‘Pèlerinage musulman et stratégies d’accumulation au Cameroun’’, Afrique Contemporaine, no 231, 2009, pp. 119-138. 119 Afin de préserver l’anonymat de ce jeune interviewé, ce nom est fictif. Pour les mêmes raisons, nous avons choisi de ne pas identifier le lieu de résidence de ce jeune. 318 double connotation de richesse, de responsabilité et de piété’’120. Le séjour sur les Lieux Saints de l’islam confère aussi une respectabilité qui accroît l’attrait et le prestige liés au titre d’Aladji. Ce titre revalorise celui qui le porte. Au sein de la communauté musulmane camerounaise, les Aladji constituent une catégorie sociale supérieure. Ce titre est accolé au nom du fidèle qui a effectué le pèlerinage, comme marque honorifique, quand on s’adresse à lui. Il confère un statut symbolique d’adulte, même si le pèlerin demeure jeune. Un jeune Aladji, désireux d’accroître sa renommée et de se faire un nom respectable dans les milieux islamiques donnera un peu de snobisme à son geste et une publicité supplémentaire qui en augmentera encore la portée. C’est ainsi que Mohamadou Yacoubou, président de l’ANJMC revenu de la Mecque avait organisé les 13 et 14 juillet 2006 une grande cérémonie de ‘‘remerciement à Dieu’’ pour ‘‘la réussite de son pèlerinage à la Mecque’’ à New-Bell. Pendant ces deux jours, il avait offert à manger aux fidèles venus nombreux et des prières furent dites par plusieurs imams.121 Le pèlerinage participe dans ce cas de la stratégie de construction d’un individu à travers les autres (fête, prière) mais le statut demeure celui de l’organisateur de la fête. En somme, on vente la réussite de soi. Comme nous l’avons dit précédemment, le pèlerinage à la Mecque requiert d’office une transformation identitaire, chez les jeunes et chez les gens plus âgés, dans la mesure où l’individu qui a participé au Hajj doit altérer son mode de vie afin d’adhérer plus aux prescriptions de la religion (les quatre autres obligations). Il implique aussi des modifications au niveau de la tenue vestimentaire. Par exemple, le style vestimentaire d’une personne, jeune ou âgée est habituellement modifié à son retour du Hajj : le port d’un foulard blanc (blanc rafé de rouge) ceint d’une cordelette noire ou dorée autour de la tête. Chez les femmes, ceci implique généralement la nécessité de porter un châle en tout temps. C’est à ce niveau que la participation des jeunes au pèlerinage est significative. Elle correspond à une nouvelle conception de la religion, ainsi que la pratique religieuse, une conception qu’on peut qualifier d’arabisante. Chez les individus plus âgés, la transformation vestimentaire requise par la participation au Hajj ne correspondait pas nécessairement à l’affirmation d’un islam 120 121 H. Adama, L’islam au Cameroun, p.87. Voir La Nouvelle Expression du 15 juillet 2006, p. 6. 319 arabisant. Tandis que chez les jeunes qui n’ont pas encore effectué le Hajj, l’esthétique corporelle et la décoration domestique est souvent la seule expression possible de cet islam arabisant dans la mesure où les bribes de la langue arabe et le savoir islamique ramené par les pèlerins ne sont pas aussi aisément accessibles. Certains musulmans estiment cependant que les jeunes ne sont pas nécessairement prêts à un tel changement au niveau de leur mode de vie. On relève en effet quelques excès dans l’accomplissement de cette recommandation divine : ‘‘certains vont aux Lieux Saints trop jeunes et quand ils reviennent, ils ne s’efforcent pas d’avoir la conduite morale impeccable qu’exige l’état d’un Hadj’’122. Bien plus, ‘‘d’autres s’endettent énormément pour y aller alors que le pèlerinage n’est obligatoire que pour celui qui est capable ; d’autres enfin n’y vont que pour le prestige lié au titre de Aladji et ils multiplient les voyage par orgueil pour qu’on sache qu’ils sont allés plusieurs fois à la Mecque fois’’123. La mode féminine est également un exemple pour illustrer ces changements, ainsi que leur portée chez les jeunes arabisants.124 Il suffit d’aller et venir dans les quartiers musulmans de Douala ou d’assister aux réunions des associations de femmes musulmanes, pour prolonger par l’observation, cette pratique nouvelle. Ainsi, Halimatou Lah125, 27 ans, a une maitrise en économie obtenue à l’Université de Douala. Au moment où nous l’avons rencontré pour la première fois en 2004, elle travaillait comme caissière en chef dans une multinationale hollandaise à Douala. Elle a voyagé deux fois à La Mecque, en 2001 et 2003. En 1999, elle est devenue membre fondatrice d’une association qui rassemble les femmes musulmanes originaires du Nord-Cameroun à Douala. Elle ne porte plus de jupes et de robes courtes comme auparavant, lorsqu’elle était à l’université. Depuis son premier pèlerinage, elle couvre ses cheveux, même au travail. Elle a aussi changé ses fréquentations ; elle fréquente principalement les membres de l’association 122 El Hadj Shouaibou Oumara, chef de la communauté musulmane de Bibamba-Bonanloka, entretien du 13 septembre 2007 à la chefferie. 123 Entretiens avec El Hadj Bouba Abakoura, chef de la communauté musulmane de New-Town/Aéroport I le 13 septembre 2007 à la chefferie et Ratib El Hadj Ouba, un des imams de la mosquée Cité des Palmiers le 14 septembre 2007 à la mosquée. 124 Dans le même sens voir M-N.LeBlanc, ‘‘from ethnicity to Islam: social change and processes of identification among Muslim youth in Bouake, Côte d’Ivoire’’, Paideumia, n°46, Mai 2006 et ‘‘The production of Islamic identities through knowledge claims in Bouake, Côte d’Ivoire’’, African Affairs, n° 393, 1998, pp.485-508. 125 Par souci de respect de l’anonymat de l’informatrice, ce nom est fictif. 320 qu’elle à contribué à mettre en place. Scolarisée dans le milieu laïque, Halimatou Lah suit des cours en langue arabe, offert au sein de son association. En fait, depuis les années 1990, on assiste à une modification de l’habillement islamique des femmes musulmanes, modification associée en partie à la pratique du Hajj et aux échanges commerciaux qu’il permet. Elles adoptent des vêtements de style djellaba, appelée encore robe marocaine. Le port du voile qui recouvre toute la tête est de plus en plus perceptible. Ce nouveau phénomène est lié à la croissance des femmes pèlerins. A l’époque coloniale, la tâche n’était pas facile pour les femmes peu nombreuses et contraintes de s’isoler surtout quand il s’agit de voyages où tous les musulmans sont ensembles. Des musulmanes (employées de bureau, commerçantes, enseignantes) recouvrent de plus en plus leur tête d’un foulard de type de l’hijab en Afrique du Nord et portent souvent des vêtements occidentaux sobres. Elles le font aussi en couple avec le port des vêtements typiquement africains, tels que le boubou ou le ‘‘complet trois pagnes’’. Toutefois, le port des robes à connotation islamique s’apparente davantage à une djellaba qu’à un ‘‘boubou’’. En effet, du point de vue de la mode, le changement dans le code vestimentaire depuis la seconde moitié des années 1990 est manifeste chez les jeunes, mais il a aussi atteint d’autres groupes de la société musulmane, spécialement celui des femmes qui portent plus fréquemment une robe de style ‘‘djellaba’’. Avant les années 1990, ce type de tenue était plutôt rare et était le privilège des ‘‘Adja’’, c’est-à-dire des femmes qui avaient effectué le pèlerinage.126 Le rôle changeant du Hajj soulève aussi la question de l’homogénéisation culturelle et religieuse dans la mesure où l’arabisation pourrait correspondre à l’adoption d’idéaux sociaux et religieux provenant de l’Arabie Saoudite. Cette analyse va dans le même sens que l’analyse de la globalisation à partir de la culture de consommation américanisée. Une analyse qui a produit de nombreux débats quant au phénomène de l’homogénéisation culturelle.127 126 Aissatou Yaya, président de l’Association des Femmes Musulmanes du Septentrion à Douala (AFMSD), entretien du 6 septembre 2007 à son bureau à l’agence Camair de Douala à Bonanjo. Lire aussi l’interview de ‘‘Adja’’ Balkissou, belle fille de Tanko Amadou, chef haoussa de Bonabéri et participante au Hajj 2001 dans El Qiblah, no 28 du jeudi 5 avril 2001, p. 11. 127 Voir J.L. Amselle, Branchements anthropologiques de l’universalité de cultures, Paris, Flammarion, 2001. Dans cet ouvrage, J.L.Amselle développe la thématique métaphorique du ‘‘branchement’’ comme interconnexion constante des ‘‘cultures’’, sur un ‘‘réseau de signifiants planétaires’’, toujours ‘‘déjà-là’’, 321 En rapport avec ces débats, et afin de cerner l’impact culturel du Hajj dans le contexte de Douala, on peut conclure en soutenant que le nouveau rôle du hajj chez les jeunes dans le contexte de Douala n’est pas un cas d’homogénéisation et de standardisation des pratiques islamiques suivant les lignes directrices moyen orientales et surtout saoudiennes. Une telle standardisation impliquerait une forte filiation religieuse avec l’Arabie Saoudite, gardienne des Lieux Saints. En somme, les visites de jeunes pèlerins doualais à la Mecque ont revêtu depuis le milieu des années 1990 un impact considérable. Elles constituent un aspect fort intéressant d’histoire et de sociologie religieuses. En effet, le phénomène revêt une dimension multiple, portant à la fois sur les migrations humaines, la diffusion des idéologies et des pratiques sociales, avec en perspective un processus d’acculturation. Au plan religieux, le Hajj constitue un puissant facteur de suscitation vers plus d’adhésion à l’islam et une plus grande ferveur religieuse malgré un séjour souvent bref. L’impact culturel de ces visites est également remarquable : l’augmentation du nombre pèlerins, la production et la reproduction d’une élite musulmane locale dont les éléments les plus doués se sont imposés comme des pôles de savoir, maîtrisant la langue, l’écriture arabe et prêches populaires. On pourrait citer, entre autres Cheikh Yaya Sandou, imam de la mosquée de Song Mahop ; Cheikh Aboubakar Sidick Mouchili, journaliste ; Cheikh Mahaman Baboule, imam d’Akwa et les promoteurs des centres culturels islamiques que sont : Cheikh Housseini Hamadou, Cheikh Ibrahim Njoya Moubarak, Cheikh Mohamadou III Salissou et Cheikh Hassan Nsangou. Par-delà leur rôle de propagateurs ou d’animateurs de l’islam à Douala, les jeunes pèlerins sont aussi directement ou indirectement, les vecteurs de modèles d’influence ‘‘arabe’’ à Douala. On pourrait citer dans le domaine vestimentaire l’attrait des modèles inspirés du monde arabe qui apparaissent comme des signes extérieurs manifeste de l’adhésion à l’islam. C’est donc dire que l’évolution du pèlerinage à la Mecque tient au fait qu’il ne se résume plus seulement à l’accomplissement d’un rite religieux, mais il révèle aussi une signification et une portée qui dépassent le domaine de la religion. Au niveau de Douala, la construction des identités sociales autour du Hajj s’imprime à travers l’étirement entre résultat de toutes les globalisations historiques, antérieures à celle de l’islam, de la colonisation européenne ou de l’actuelle ‘‘mondialisation’’. 322 les groupes d’âges et les groupes socio-économiques et professionnels. Ces oppositions prennent aussi forme dans la tension existant entre la religion et la dichotomie modernité/tradition, d’où certaines nouvelles pratiques que nous avons qualifiées d’arabisantes. Autrement dit, il semblerait que les identités et les pratiques religieuses se construisent selon un sens ou l’autre de la polarité entre tradition et modernité. On peut aussi relever la corrélation entre la consommation les objets sacro-religieux et profanes et la fréquentation de la Mecque. De ce point de vue, la dynamique islamique extérieure s’exprime aussi à Douala par une nouvelle conception de l’Oumma, qui permet de faire sortir de l’ombre de nouvelles élites, alors que leurs ainés dans les années 1950-1980 avaient subi les contrôles de l’Etat colonial et nouvellement indépendant. En effet, par un jeu subtil d’interaction, un réseau informel parfois plus efficace de celui de la politique institutionnelle, l’islam à Douala réussit ce que C. Coulon appelle sa ‘‘connexion musulmane’’. Il serait ici, intéressant de voir comment certains acteurs religieux de Douala entrent dans la sphère internationale. E-Les musulmans doualais et la Oumma nationale et transnationale L’établissement des liens avec le monde arabe, restreints ou découragés par l’administration coloniale, constitue, autours des années 1980 et surtout depuis les années 1990, un tournant dans l’évolution de l’islam contemporain à Douala. En effet le groupe religieux n’est plus l’unique référence de l’appartenance religieuse, le représentant local de la communauté des croyants. Les musulmans de Douala sont en contact avec des corpus et des institutions islamiques plus larges. A l’ère de la mondialisation, l’Oumma devient ‘‘imagée’’128. En suivant l’approche de l’anthropologue Arjun Appadurai on pourrait qualifier cette nouvelle Oumma d’ ‘‘ethnoscape’’, c’est-à-dire d’un ‘‘paysage’’ formé des individus qui partagent la vision d’un monde transnational, mouvant et déterritorialisé inscrit dans de vastes réseaux de flux culturels qui donnent sens à leur 128 O. Roy parle d’une Oumma ‘‘virtuelle’’, induite par la révolution de l’information. Cf. L’islam mondialisé, Paris, Seuil, 2002, pp. 165-183. 323 identité129; ce qui ne veut pas dire que cet islam globalisé ne puisse pas être interprété et approprié selon des logiques locales, et donc participer à la ‘‘production de la localité’’130. Il n’est pour s’en convaincre que de voir de quelles manières certains évènements ont été interprétés par les musulmans de Douala. E-1 La communauté musulmane de Douala, la deuxième guerre du Golfe et le colloque des imams du Cameroun L’histoire récente de l’islam à Douala est aussi marquée par deux évènements qui, permettent de savoir qu’il est conscient de la nécessité de l’unité des croyants tant sur les plans national qu’international. D’abord la deuxième guerre d’Irak. Celle-ci a été menée sous l’impulsion des Etats-Unis. Après avoir lancé une offensive en Afghanistan, lieu où Ben Laden se serait réfugié, et suspectant des liens entre l’Irak et Al Qaeda, George W. Bush charge son équipe de défense de constituer un plan d’attaque contre l’Irak : c’est le plan d’ ‘‘opération 1003V’’, qui est une ‘‘évolution’’ du plan de guerre de la première guerre du Golfe (1990-1991). Cette guerre, également connue sous le nom de la deuxième guerre du Golfe ou de l’Occupation de l’Irak, a débuté le 20 mars 2003 avec l’invasion de l’Irak (dite Operation Iraqi Freedom) par la coalition menée par les Etats-Unis contre le Parti Baas de Saddam Hussein. Le président George W. Bush a officiellement déclaré son achèvement le 1er mai 2003, sous la bannière ‘‘Mission accomplie’’. L’invasion a conduit à la défaite rapide de l’armée irakienne, et à la capture et l’exécution de Saddam Hussein. La coalition et l’Irak occupé ont tenté d’établir un nouveau gouvernement démocratique. Toutefois, la violence contre les forces de la coalition ont rapidement conduit à une guerre asymétrique entre les insurgés, l’armée américaine et le nouveau gouvernement irakien. Les raisons invoquées officiellement pour cette guerre étaient principalement : la ‘‘lutte contre le terrorisme’’, l’Irak étant présenté comme un Etat soutenant Al-Qaïda, responsable entre autres de l’attentat contre les Etats-Unis et notamment des attentats du 11 septembre 2001 ; l’élimination des armes de destruction massive qu’était censé détenir 129 Voir A. Appadurai, Après le colonialisme. Les conséquences culturelles de la globalisation, Paris, Payot, 2001. 130 Ibid., pp. 248-273. 324 l’Irak ; l’arrestation de Saddam Hussein, l’instauration d’une démocratie et la pacification de la région par un effet d’exemple.131 Certains observateurs ont suggéré d’autres raisons, officieuses : les liens entre les néo-conservateurs au pouvoir à Washington et des entreprises d’exploitation pétrolière et sous-traitantes de l’armée ; la décision de l’Irak de ne plus faire valoir son pétrole contre des devises en dollars, mais en euros. D’autres suggèrent également que la guerre en Irak peut être considérée comme une guerre préventive contre la Chine dont le développement est compromis par sa faiblesse énergétique, les Etats-Unis voulant encercler la Chine par le contrôle de gisements pétroliers mais aussi par le biais d’évolutions démocratiques (Mongolie, Kirghizistan, etc.).132 On peut donc distinguer deux sortes d’objectifs, les objectifs/enjeux officiels, énoncés lors des discours des représentants de la Maison Blanche et relatés dans la presse, et l’avis de la doctrine qui s’exprime par des objectifs/enjeux officieux. Quoi qu’il en soit, cette guerre a eu des répercussions au sein de la communauté musulmanes de Douala. Ainsi, des jeunes musulmans ont organisé une marche à Douala, le 28 mars 2003 contre la guerre en Irak. Comme toujours, la querelle des chiffres est habituelle dans ce genre de circonstance133; mais, les rues de l’arrondissement de Douala IIe ont été le théâtre d’une marche sur cinq kilomètres, animée par des jeunes musulmans d’origine diverse, contre ce qu’ils avaient qualifié eux mêmes de ‘‘campagne anti-guerre en Irak’’. Cette marche de jeunes musulmans doualais qui avaient pour ambition de s’opposer à la guerre en Irak s’était soldée par l’arrestation de quatre manifestants : Nous avions l’intention de marquer notre opposition à cette guerre irakienne longtemps avant le début de l’offensive anglo-américaine. En début de la semaine, nous avons décidé de passer à l’acte. La marche s’est effectivement déroulée dans la tranquillité après la grande prière de vendredi. C’est à la fin de la marche, que j’ai été 131 Ces accusations ont depuis été démontrées comme non fondées, y compris par le sénat américain. Cf. ‘‘Les justifications de la guerre en Irak battues en brèche par le Sénat américain’’, Le Monde, 09 septembre 2006.. 132 Ibid. Par exemple, le quotidien Le Messager no 1492 du lundi 31 mars 2003, p.5 parle de 50 participants; Le quotidien national Cameroon Tribune du 29 mars 2003 et les sources policières parlent de ‘‘quelques manifestants’’ alors que les organisateurs parlent de 250 à 300 personnes. 133 325 interpellé avec un autre frère musulman et deux enfants, qui nous accompagnaient134 par trois antigangs135 déguisés en musulmans.136 Malgré les menaces des autorités administratives et des hiérarchies musulmanes de la capitale économique qui avaient refusé toute implication dans la préparation et/ou la gestion de cette marche137, les jeunes musulmans de Douala avaient décidé, disaient-ils de prendre leurs responsabilités citoyennes : Nous allons introduire une demande d’autorisation à manifester dès ce lundi (31 mars 2003); que l’administration accède ou non à notre demande, nous allons marcher tous les vendredis jusqu’à la fin de la guerre en Irak.138 En somme, la marche des jeunes musulmans de Douala lors de la deuxième guerre du Golfe illustre bien cette tendance qui s’adresse effectivement à une universalité vécue par des musulmans qui ne s’identifient ni à un territoire ni à une nation donnée. Cette manifestation était aussi symptomatique de la division de la communauté (ainés/jeunes)139 mais surtout de la naissance d’une frange ‘‘radicale’’ qui contribue à complexifier encore le paysage islamique à Douala et qui a conscience de la nécessité de l’unité des musulmans sur le plan international. En effet, par cette marche, les jeunes musulmans démontraient leur poids dans l’opinion publique, faisaient preuve d’un certain sens de l’organisation et surtout de sympathie et de solidarité avec les musulmans irakiens. La deuxième guerre du Golfe 134 Les quatre manifestants arrêtés étaient : Dimo, Aboubakar Abdel Aziz, Mouchili Moussa, Souleymane Mougambè. 135 Sur instruction du Sous-préfet de l’arrondissement de Douala IIe ces ‘‘antigangs’’ avaient d’abord conduit les manifestants dans les bureaux de ce dernier avant de les escorter plus tard dans les locaux voisins du commissariat de sécurité publique où ils ont été soumis à un interrogatoire. Au cours de cet interrogatoire, le commissaire de sécurité publique de l’arrondissement de Douala IIe aurait déclaré que leur marche était illégale, en l’absence d’une autorisation délivrée par les autorités publiques : ‘‘La guerre en Irak n’intéresse pas le Cameroun. Nous ne pouvons pas vous permettre de marcher pour troubler l’ordre public. L’enjeu de la guerre est essentiellement pétrolier et non religieux (...). Si vous voulez sympathiser avec vos frères irakiens, faites-le chez vous ou prenez l’avion pour aller combattre auprès d’eux’’ Cf. Le Messager, no 1492 du lundi 31 mars 2003, p.5. 136 ‘‘Guerre en Irak. Des jeunes musulmans marchent à Douala’’, Le Messager, no 1492 du lundi 31 mars 2003, p.5. 137 Des sources musulmanes, les dignitaires musulmans avaient justifié leur refus par la peur d’entrer en conflit avec les autorités administratives et politiques de la ville. 138 Le Messager, no 1492 du lundi 31 mars 2003, p.5. 139 Voir dans le même sens M. Gomez-Perez, M.N. LeBlanc et M. Savadogo, ‘‘Young Men and Islam in the 1990s: Rethinking an Intergenerational Perspective’’, Journal of Religion in Africa, vol. 39, no 2, 2009, pp. 186-218. 326 avait joué un rôle de révélateur. La participation des jeunes musulmans à cette manifestation avait permis de montrer la puissance du moment. Le colloque de tous les imams du Cameroun Au plan national, le promoteur du PIAH, Cheikh Njoya Ibrahim Moubarak avait initié une ‘‘rencontre de tous les imams du Cameroun’’. Tenue à l’hôtel Arcade de Douala le 8 février 2005, cette réunion avait pour thème ‘‘Le discours cultuel au Cameroun : défis et attentes’’ et devait s’articuler sur trois axes : l’état des lieux de l’islam au Cameroun, l’intérêt actuel du message culturel ainsi que les défis et les différentes attentes. Près de 80 imams et dignitaires religieux venants de toutes les régions du Cameroun avaient assisté à la cérémonie d’ouverture. Abdoulaye Djibril, de la mosquée de New-Bell, Kouotou Mama, représentant de l’imam de la mosquée centrale de Bonamoussadi et Alim Daouda, membre de la délégation des participants venus du département du Noun disaient leurs espoirs en ces termes : L’islam doit évoluer avec son temps. Actuellement, nous avons des divergences au sein de la communauté, entre les ``Anciens`` qui ne lisent plus, ne font plus d’effort pour la recherche, l’actualisation de notre philosophie et les jeunes imams qui sont plus ouverts sur le monde. Internet n’arrive pas encore aux confins de certains villages les plus reculés du Cameroun. Un colloque comme celui-ci peut faciliter la communication entre les diverses communautés musulmanes et leur rapprochement. Nous attendons donc qu’une direction à suivre nous soit clairement donnée pour éviter les divisions du style Chiites et Sunnites.140 Malheureusement, la réunion de ‘‘tous les imams du Cameroun’’ qui avait pourtant été autorisée sera interdite le matin même par les autorités administratives, en l’occurrence le Sous-préfet de Douala IIe alors que ‘‘les choses avaient si bien commencé ... à l’ouverture’’141. Plusieurs raisons étaient avancées pour justifier cette interdiction. Tout d’abord la ‘‘personnalité controversée’’142 de Cheikh Ibrahim Moubarak accusée à tort ou à raison de ‘‘ créer le désordre au sein de la communauté musulmane du Cameroun en prenant des initiatives qui vont à l’encontre du dogme islamique’’143. Il nous a d’ailleurs affirmé au 140 Le Messager, no 1815, février 2005, p. 4. Ibid. L’organisateur avait obtenu depuis le 26 janvier 2005 un récépissé de déclaration de cette réunion signé du Sous-préfet de Douala IIe, lequel tenait lieu d’autorisation. 142 Ibid. 143 Ibid. 141 327 cours de nos multiples entretiens qu’il est l’objet d’une surveillance discrète de la part des services secrets de l’Etat : on lui demande l’origine de son financement. Au sein de la communauté musulmane en effet, sa voie est très souvent considérée comme un son discordant dans un paysage où les dignitaires musulmans et le pouvoir administratif ont des rapports privilégiés. Pour lui, c’est pour cette raison que certaines de ces activités sont souvent interdites. On comprend dès lors, que des dignitaires musulmans, les autorités administratives locales –gouverneur, préfet, maires, etc.- et les chefs traditionnels dualas n’étaient pas présents à ce premier colloque des imams du Cameroun. Evoquant la décision de suspension, le sous-préfet soutenait la nécessité de ‘‘l’ordre public’’ : J’ai exécuté des instructions reçues de ma hiérarchie, qui doit avoir une bonne connaissance des activités de ce mouvement. Une telle décision ne peut être prise que sur la base de bonnes raisons, et ma hiérarchie doit certainement savoir en quoi ce regroupement peut-être gênant.144 D’autres parlaient ensuite d’ ‘‘incompréhension’’145. Pour savoir en effet les motivations de la hiérarchie qui avait attendu le jour même du colloque pour interdire sa tenue, des membres de l’organisation à la tête desquels se trouvait l’imam du Camp Bertaud, s’étaient transportés dans les locaux des services du gouverneur du Littoral, Gounoko Haounaye, avec qui des discussions ont été ouvertes. Certains y voyaient déjà les effets de la lutte pour le leadership, qui oppose depuis quelques années dans la communauté musulmane Cheikh Ibrahim Moubarak, Bamun, imam du Camp Bertaud à Modibo Iya Dahirou, Foulbé, imam de la mosquée centrale de Douala. Selon les organisateurs en effet, ce dernier serait allé, dès la veille du colloque (7 février 2005), en compagnie du président du Ngondo, rencontrer le gouverneur de la province du Littoral au sujet du colloque. Les organisateurs l’exprimaient en ces termes : Ils disent que la rencontre n’a pas reçu l’assentiment de tous les imams du Cameroun, et celui des chefs supérieurs dualas, c’est pour cela qu’elle est illégale (...) Contrairement à certaines mauvaises langues qui voient en nous un instrument 144 145 Mutations du mercredi 9 février 2005, p. 7. Ibid. 328 d’allumage des foyers de tension et de division, nous œuvrons plutôt pour l’union du monde musulman camerounais.146 Même si la rencontre n’a pas effectivement eu lieu, on peut lire une intention derrière celle-ci : à travers les différents objectifs, de nature cultuelle, socio-politique et intellectuelle de cette rencontre, il apparaît que le mode relationnel s’inscrit non plus seulement à l’échelle de la ville, mais aussi et surtout à l’échelle du pays malgré les luttes intestines, l’intervention de l’administration et l’implication des chefs duala. D’autres éléments conduisent à penser que les musulmans de Douala s’inscrivent dans le ‘‘local globalisé’’147, qui les placent entre à l’intersection entre le local et l’international. E-2 La communauté musulmane de Douala et ‘‘l’affaire de la caricature du Prophète Mahomet’’ Les faits remontent au 30 septembre 2005 quand le quotidien danois Jyllands Posten avait publié douze dessins satiriques sur le Prophète Mahomet. Un dessin représentait le Prophète coiffé d’un turban d’où émergeait une mèche allumée, comme celle d’une bombe. Un autre le montrait comme un vieillard hirsute et agressif, les yeux masqués, armé d’un poignard, entouré de deux femmes. Ces caricatures avaient fait couler encre et salive dans le monde musulman. Comme une trainée de poudre en effet, une flambée de colère avait fait le tour des communautés musulmanes du monde, multipliant des réactions diverses. En d’autres termes, la publication par un journal danois de dessins attentatoires au Prophète Mahomet avait soulevé un tollé général dans le monde musulman. De simple polémique, elle s’était carrément transformée en affaire diplomatique.148 146 Ibid. Voir aussi le lien internet htt://www.camerounlink : le portail du cameroun/cameroon portal, consulté le 9 juin 2006. 147 N.G. Canclini, ‘‘Mexico : la globalisation d’une ville traditionnelle’’, in J.-P. Deler, E. Le Bris et G. Schneier (éds.), Les métropoles du Sud au risque de la culture planétaire, Paris, Karthala, 1998, p. 24, pp. 13-31 148 Par exemple, les 12 caricatures, publiées dans le quotidien danois avaient été reprises par de nombreux journaux de par le monde. Les conséquences ne s’étaient pas fait attendre dans certains cas. Jacques Lefranc, directeur de France Soir avait été limogé par l’actionnaire, le Franco-égyptien Raymond Lakah. Alors que le gouvernement danois avançait l’argument de la liberté de la presse, dans les pays arabes et la communauté musulmane c’était l’indignation. L’Organisation de la conférence islamique (OCI) et la Ligue arabe avaient affirmé, qu’elles envisageaient de demander à l’ONU l’adoption d’une résolution interdisant les atteintes aux religions. Le secrétaire général de l’OCI, Ekmeleddin Ihsanoglu, avait déclaré 329 Au Cameroun, c’est à Douala, le 16 février 2005 que El Hadj Aboubakar Moctar, cette fois en tant que président de l’UIC faisait une déclaration concernant ‘‘la caricature diffamatoire sur le Prophète Mouhammad, Messager de Dieu’’149. Ce document livré aux médias de Douala précisait que : Conformément aux dispositions de son statut, en son article 14, l’UIC se doit de donner son avis sur les problèmes de l’heure. Notre religion, l’islam est une religion d’équité et de modération dans sa clairvoyance et sa législation, sa moralité et son adoration. Ses desseins sont purs et dénués de tout abus et violence. Nous avons saisi que l’organisation allait ‘‘demander à l’Assemblée générale de l’ONU d’adopter une résolution interdisant toute atteinte aux religions’’.Voir entre autres,Wikipedia, l’Encyclopédie libre; M. Lotfi, journaliste et réalisateur radio (Québec-Canada), ‘‘SVP, appelez-le par son nom !’’, 16 février 2006.et J. Lanctôt, ‘‘Liberté d’expression, vraiment ?’’, Le Devoir, 14 février 2006. Pour sa part, le secrétaire général adjoint de la Ligue arabe, Ahmed Ben Helli, avait affirmé que la Ligue menait ‘‘actuellement des contacts au plus haut niveau avec les pays arabes et l’OCI pour demander à l’ONU d’adopter une résolution contraignante, interdisant le mépris des religions et prévoyant des sanctions contre les pays ou les institutions qui enfreindraient cette résolution’’. Le Parlement jordanien avait estimé dans un communiqué que ces caricatures ‘‘constituaient un crime lâche et condamnable’’. Le Bahreïn avait dénoncé les caricatures ‘‘portant atteinte’’ au prophète Mohamed et des activistes et associations islamistes bahreïnis avaient lancé une campagne pour le boycott des produits danois. De son côté, la Syrie avait également appelé le Danemark à ‘‘sanctionner’’ ceux qui portent atteinte aux religions après la publication de caricatures du prophète Mohamed, avait indiqué l’agence officielle Sana. ‘‘La Syrie appelle le gouvernement danois à prendre les mesures nécessaires pour punir les fautifs’’, avait affirmé un responsable au ministère des Affaires étrangères. Considérant ces dessins comme une insulte, les chefs religieux musulmans au Danemark avaient demandé au quotidien, le 6 octobre, le retrait des caricatures et des excuses officielles du journal. Les responsables du journal avaient refusé, déclarant ‘‘vivre dans une démocratie où la satire et la caricature sont généralement bien acceptées et où la religion ne doit pas fixer de limites à cela’’. Le 14 octobre, environ 5000 musulmans avaient manifesté dans les rues de Copenhague contre ces dessins jugés ‘‘provocants’’ et ‘‘arrogants’’. Voir le lien internet http://www.emarrakech.info/Publication-de-caricatures-du-Prophete-Condamnation-du-Conseil-Superieurdes-Oulema_a6570.html, consulté le 30 janvier 2006. A la mi-octobre, onze ambassadeurs de pays musulmans demandaient une entrevue avec le chef du gouvernement libéral. Rasmussen déclinait, mettant en avant l’attachement de son pays à la liberté de la presse, il encourageait plutôt les diplomates à se tourner vers les tribunaux. Une fin de non-recevoir considérée par beaucoup comme un affront. Le 19 décembre, 22 anciens ambassadeurs danois, aujourd’hui à la retraite, fustigeaient cette attitude du gouvernement. Ils mettaient en garde contre ‘‘une surenchère, qui pourrait être interprétée comme une persécution à l’encontre de la minorité’’ des quelque 200.000 musulmans vivant au Danemark. Sur la scène internationale, les critiques abondaient. Début décembre, le Haut commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Louise Arbour, chargeait plusieurs experts d’étudier les dessins publiés par Jyllands Posten. S’exprimant à titre personnel dans les pages du journal Politiken, Franco Frattini, le commissaire européen chargé des questions de justice et d’immigration, stigmatisait pour sa part les caricatures, qui risquaient, selon lui, d’ ‘‘entraîner une poussée de l’islamophobie en Europe’’. Il convient de noter que la question des images demeure un sujet débattu chez les religieux musulmans, certains les refusant en bloc, d’autres limitant les interdictions à certains types de représentations dans un souci d’éviter l’idolâtrie. Voir le lien internet et http://www.orientalement.com/p1048-caricatures-du-prophete-mahomet--mohamed-mohammad--journalfrance-soir.htmlt, consulté le 22 décembre 2005. 149 ‘‘Caricature de Mahomet: l’Union Islamique du Cameroun condamne’’; voir le lien internet htt://www.cameroun-info.net/cmi_show_news.php? id=17309, consulté le 24 février 2006 et Le Messager World Edition du 20 février 2006, consulté le 24 février 2006. 330 plusieurs occasions solennelles pour démontrer aux yeux du monde que l’islam n’est pas une religion terroriste. Il existe des gens qui cherchent coûte que coûte à coller le terrorisme et la violence à la religion islamique. Ces accusations aussi dures qu’injustes portent atteinte au message même de l’islam qui interdit ce genre de pratiques dans ses versets coraniques, les enseignements du Prophète (qu’Allah le bénisse et le salue) et le comportement des sages.150 Pour lui, le Prophète Mahomet en caricature n’était pourtant pas la première fois. En 2002, Charlie Hebdo151 avait publié un dessin de cabus montrant Mahomet cigare au bec, un verre de whisky à la main, et un rideau de femmes voilées derrière lui, avec cette légende : ‘‘Election de Miss Sac-à patates : je choisit la Belle-de- Fontenay’’152. Face à ses caricatures du Prophète Mahomet, le président El Hadj Moctar Aboubakar était formel : Nous, leaders religieux avons toujours condamné la violence sous toutes ses formes dans nos sermons et nos prêches. Lorsqu’on s’attaque aux sacrés d’une religion, le Prophète et le livre saint des musulmans (Coran), c’est une déclaration de guerre contre les musulmans du monde.153 Diffamer le nom d’un Prophète ne peut être conforme à la liberté d’expression avait-il affirmé avant de s’interroger : ‘‘où commence donc la liberté de culte qui implique la laïcité?’’154. En réalité, cette situation déplaisait à la communauté musulmane du Cameroun qui par la voix de El Hadj Moctar Aboubakar, condamnait ‘‘avec la dernière énergie ces images caricaturales sur (Leur) Prophète (paix de Dieu sur lui) publiées par une presse danoise et relayées par certains médias occidentaux’’155. Malgré le fait que cet acte regrettable ne contribuait pas à apaiser les différents foyers de tensions dans le monde, causés par ‘‘l’incompréhension, la haine, le manque de dialogue et l’injustice’’156, le président El Hadj Aboubakar Moctar prenait exemple sur la 150 Ibid. Charlie Hebdo un hebdomadaire français indépendant, polémique, satirique, politique et social illustré tous les mercredis par les meilleurs dessinateurs de presse. Voir le lien internet htt://www.charliehebdo.fr/, consulté le 22 décembre 2005. 152 Voir le lien internet http://www.soninkara.com/forums/religion/france-caricatures-du-prophetemohamed-ouverture-du-proces-contre-charlie-hebdo-893.html, consulté le 22 mars 2006 153 ‘‘Caricature de Mahomet: l’Union Islamique du Cameroun condamne’’; voir le lien internet htt://www.cameroun-info.net/cmi_show_news.php? id=17309, consulté le 24 février 2006 et Le Messager World Edition du 20 février 2006, consulté le 24 février 2006. 154 Ibid. 155 Ibid. 156 Ibid. 151 331 cohabitation pacifique entre les confessions religieuses du Cameroun pour lancer un vibrant appel à ses frères et sœurs dans la foi : Il faut tranchait-il multiplier plus de prières, être vigilants et ne pas céder à la provocation. Dieu est témoin de tous nos actes. Il règlera le compte de ceux qui s’attaquent à ses élus sans rien omettre.157 Deux mois après la sortie médiatique de El Hadj Aboubakar Moctar, c’était au tour de Cheikh Ibrahim Njoya Moubarak de donner son ‘‘point de vue’’ lors d’une conférence de presse sur ‘‘La publication de la caricature du Prophète Mahomed, l’homosexualité, la lutte contre la corruption’’158. Pour ce qui motivait l’organisation de la conférence de presse qui lui permettait de revenir sur les faits qui défrayaient la chronique au sein de l’actualité nationale et internationale, ce haut dignitaire musulman de Douala affirmait : Je dois dire qu’en temps que patriote et citoyen camerounais qui œuvre dans le cadre du bien être social de ce pays, et en temps que religieux c’est- à- dire celui qui se veut de joindre la vie active et la vie spirituelle au service non seulement de l’humanité, mais de son propre pays, ces choses qui nous interpellent à l’échelon international comme la caricature est venu susciter à l’homme du 3e millénaire la notion du respect, et rappeler aux hommes de médias mais aussi à l’homme tout court, qu’il est question de se servir de la liberté d’expression comme un moyen de communication, d’information et d’éducation morale de l’opinion. La publication de la caricature du Prophète Mahomed est tout à fait blasphématoire pour nous. Ce travail a foulé aux pieds la foi musulmane. Mais toujours est-il qu’il faut que le musulman réagisse en sachant que ceux là ne connaissent pas les réalités de leur religion, et ont simplement travaillé en fonction de leur contexte. Ce qui revient à dire qu’il faut simplement leur rappeler les méfaits de telles productions. L’intelligence religieuse nous demande de porter une telle situation à la connaissance des Nations Unies et toutes autres instances spécialisées. Pour éviter que cela ne fasse l’objet d’une guerre contre les chrétiens et les religions comme ca a été le cas au Nigeria. Ce que je condamne fermement par ce que les chapelles de Dieu sont faites pour que le nom de celui-ci y soit invoqué. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons vu d’autres confessions religieuses réagir. Donc, nous avons voulu à travers cette conférence de presse, dire qu’en même temps que nous condamnons aussi les réactions négatives et luttons de manière ferme contre l’importation des discours réactionnaires pouvant installer la haine entre des humains.159 157 Ibid. L’Autre Journal, no 34 du 11 mai 2006, p.8. 159 Ibid. 158 332 Ces deux prises de position participent aussi des contacts de l’islam doualais avec l’ ‘‘extérieur’’, et de l’essor du propagandisme religieux islamique. Même s’il est difficile d’évaluer dans ces cas l’efficacité de ces diverses actions, on peut penser que ce que disent ou veulent dire les divers acteurs et participants, bref la manière dont ils tiennent leurs discours contribue à l’action et représente en lui-même une action. Enfin, rappelons qu’outre la marche des jeunes musulmans et la caricature du Prophète, un autre phénomène vient marquer cette insertion de l’islam doualais dans l’Oumma global. Il s’agit du financement de la construction des mosquées par l’Arabie Saoudite, l’Iran et la Turquie que nous avons analysé dans les chapitres précédents de même que les visites des équipes médicales saoudiennes. E-3 Financement des mosquées et des compagnes de santé En ordre dispersé, certains pays, notamment l’Arabie Saoudite, l’Iran et la Turquie apportent depuis une quinzaine d’années, un soutien religieux multiforme à Douala. Les retombées concrètes sur ce plan sont visibles dans le paysage islamique de Douala: mosquées, centres culturels islamiques et école en chantier (cas du PIAH qui entretient sur ce plan des liens avec la Turquie). Rappelons que des bourses sont attribuées à des élèves qui mènent des études à dominance religieuse et littéraire dans différentes universités arabes.160 Certains de ces élèves, de retour à Douala, ouvrent à leur tour des structures et contribuent au développement de l’arabophonie non seulement pour des raisons idéologiques, mais aussi par ce que la reproduction du système leur assure un moyen de subsistance. L’envoie d’étudiants en direction des centres religieux et universitaires du monde arabe sont aussi souvent le tremplin du ‘‘néofondamentalisme’’ pour reprendre l’expression d’O. Roy161. La santé n’est pas en marge de cette connexion à Douala. Des équipes médicales saoudiennes composées de dentistes, d’ophtalmologues, chirurgiens, anesthésistes, pédiatres, gynécologues, etc. séjournent souvent à Douala162. Entre 2000 et 2003, par 160 Voir cinquième chapitre, section A-2. O. Roy, L’échec de l’islam politique, Paris, Seuil, 1992, pp. 102-103. 162 Il est important de signaler que ces équipes médicales parcourent également les autres importantes ‘‘villes musulmanes’’ du Cameroun : Maroua, Garoua, Ngaoundéré, Foumban, Bafia, etc. Cf. émission ‘‘Connaissance de l’islam’’, diffusée sur la télévision nationale (CRTV), le 27 juin 2003. 161 333 exemple, elles étaient à leur quatrième séjour.163 Ils consultaient selon les préceptes du Coran : les hommes se font consulter par les hommes et les femmes se font consulter par les femmes. Ces visites de médecins saoudiens sont des signes de l’influence saoudienne mais sous de tels auspices, des contacts se nouent entre les musulmans doualais et l’Arabie Saoudite. C’est donc dire que les communautés musulmanes de Douala sont par ces liens qu’elles entretiennent avec l’ ‘‘extérieur’’ de plus en pus intégrées au monde musulman, venant ainsi atténuer le caractère minoritaire de cet islam local. Au vu de ce petit tour des évènements qui mettent l’islam doualais en relation avec la Oumma nationale et transnationale: le renouveau du Hajj, la marche des jeunes musulmans de Douala et le colloque des imams du Cameroun, la caricature du Prophète Mahomet, le financement des mosquées et des compagnes de santé, on peut dire que les musulmans doualais ont une nouvelle conception de la Oumma : - aussi, la vogue des pèlerinages à La Mecque consolide à d’autres niveaux, ces liens entre musulmans doualais et ceux du monde arabe. L’Arabie Saoudite occupe, dans ce dispositif, une place centrale et, à ce titre, pays d’accueil des pèlerins, elle représente pour l’islam doualais un pôle d’attraction naturel ; - de même, les vicissitudes des musulmans des autres parties du monde trouveront des échos favorables chez les musulmans doualais. C’est ce qui justifie ces différentes prises de position et d’attitude que nous avons exposé ici, à titre illustratif. Ces raisons relatives au contexte international ont joué un rôle d’accélérateur dans le ‘‘branchement’’164 ou la ‘‘mondialisation’’165 de l’islam sur la côte camerounaise. Au terme de ce chapitre, on peut dire que, dans le contexte contemporain, le musulman doualais veut être acteur de son temps, de son quotidien. Il est ‘‘mondialisé’’, s’ouvre et rencontre. Pour construire sa modernité, il recherche la cohérence, la symbiose et l’interactivité entre sa religion et son environnement immédiat et global. Aussi, dans la ville de Douala, la question de la participation politique des communautés musulmanes se pose différemment, selon qu’elles soient nationales ou 163 Emission ‘‘Connaissance de l’islam’’, diffusée sur la télévision nationale (CRTV), le 27 juin 2003. O. Roy, L’échec de l’islam politique, 1992, pp. 102-103. 165 Ibid. 164 334 étrangères, selon les statuts des membres. Ainsi, dans sa composante étrangère, les rapports sociaux avec les populations locales ne sont pas toujours sereins et les stratégies de séjours s’articulent en gros autour de l’occultation et de la dissimulation. Leur participation aux activités politiques emprunte ici les trajectoires légales ou celle des structures ou cadres conventionnels. Elle opère aussi par contournement des cadres agréés et, ce faisant, les introduit dans la sphère d’une participation politique non conventionnelle. Celle-ci inclut des actions individuelles ou collectives qui utilisent parfois ‘‘des moyens refusant la légalité ou totalement illégaux’’166. Selon des modalités et des rythmes différents, les communautés musulmanes sont ainsi prises en compte dans la gestion de la ville compte tenu du nombre de fidèles toujours croissant et surtout de leur poids économique. Les relations des communautés musulmanes avec le pouvoir politico-administratif local à travers leurs responsables déterminent aussi leur attitude, dans la mesure où la plupart d’entre eux appartiennent à la bourgeoisie commerçante ou industrielle et ont besoin de l’Etat dans leur ‘‘business’’. Cela étant, nous avons constaté que la dialectique avec le pouvoir se réduit à une sorte de relations de subordination-collusion167 qui unissent les élites islamiques et politiques et à un double jeu d’instrumentalisation. Ainsi, les multiples participations passives ou actives sont à prendre en compte dès lors qu’elles rythment des stratégies et qu’elles rendent compte de la complexité des rapports entre le religieux le politique. Bien plus, les différentes stratégies montrent qu’au delà du marché politique, il s’agit aussi du marchandage politique, d’un jeu dans lequel les différents protagonistes s’adaptent. On remarque enfin que la gestion politique et démocratique des espaces cosmopolites requiert un minimum de consensus, qu’on peut obtenir en réalisant des micro-dosages au sein des structures de représentation locale. Enfin, le fait pour les musulmans doualais de se référer à la notion d’Oumma est aussi significatif d’une prise de conscience, d’un point de vue strictement intellectuel, de l’internationalisation des relations en dépit de la dimension religieuse connue de tous. La mise en avant de la religion pour se définir signifie que s’opère aussi une abstraction de toute appartenance ethnique, à la base locale, nationale ou continentale pour afficher une 166 D. Chagnollaud, Introduction à la politique, Paris, Editions de septembre 1996, p.79. Nous empruntons cette expression à R. Otayek, ‘‘Religion et politique : concilier Dieu et César’’, Marchés tropicaux, no 3000, 2003, pp. 1042-1044. 167 335 citoyenneté de type universel et contemporaine qui tient compte d’une certaine manière des relations mondialisées. Ainsi, les considérations locales sont liées à des considérations d’ordre plus international. Ces militants de l’islam mondialisé sont sensibles, quel que soit leur milieu social, leur âge, leur militantisme religieux, et/ou leurs parcours scolaire et religieux à ce qui se passe dans le monde islamique. L’islam doualais n’est donc pas insensible au grand remue-ménage que connait le monde musulman ces dernières années. Nous avons bien entendu mis en avant certains faits d’actualité comme cette sensibilité à l’actualité internationale qui a conduit certains groupes à marquer bruyamment leur désaccord et à organiser une manifestation dans les rues de Douala. Mais à Douala, cette marche mise à part, ni les grandes prières du vendredi ni les conférences de presse organisées ici et là n’ont donné lieu à des débordements. Des leaders, dans leurs prises de paroles ont fait preuve de beaucoup de retenu. Outre donc que ce genre de fait est rarissime, il convient de le replacer dans le contexte propre de la vie socio-religieuse de la capitale économique du Cameroun, ville cosmopolite, où l’islam est peu confrérique et maraboutique et que l’on ne peut étendre à tout le Cameroun. Ce qui ne veut pas dire toutefois que l’islam ne soit pas présent sur la scène globale. Il l’est, nous semble-t-il et de plusieurs façons. Il ne faut pas pour autant exagérer l’action de cet islam mondialisé et/ou connecté à Douala. En effet, il ne fait pas encore tâche d’huile au point de conduire à une déstabilisation ou à des troubles à ‘‘l’ordre public’’ comme on le constate dans certaines agglomérations urbaines (Foumban et Yaoundé par exemple) du Sud-Cameroun168, au Nord du Nigéria, au Soudan, en Somalie, etc.169. Il n’en reste pas moins que l’avancée de la mondialisation de l’islam est à Douala, un phénomène que tout observateur averti peut confirmer. Certains 168 Si les mêmes comportements avaient été étouffés à Yaoundé au Cameroun (Le Messager, no 1492 du lundi 31 mars 2003, p.5.) d’autres effets induits de la mondialisation de l’islam furent encore plus violentes dans la même ville (voir S. Emboussi, ‘‘L’implantation et l’évolution de l’islam à Yaoundé (1889-1993) : le cas du quartier Briqueterie’’, Mémoire de DIPES II, ENS, Yaoundé, 1994 et aussi Nzana Seme, ‘‘Guerre de musulmans à Yaoundé’’, Le Nouvel Indépendant, no 53, 10-17 avril 1995) et plus encore à Foumban dans le Noun , entraînant même la fermeture de la mosquée centrale de la ville. Cf. M. Lasseur, ‘‘Cameroun : les nouveaux territoires de Dieu’’, Afrique contemporaine, no 215, 2005/3, pp. 93-116 mais surtout I. Mouiche, ‘‘ Islam, mondialisation et crise identitaire dans le royaume bamoun, Cameroun’’, Africa, 75 :3, 2005, pp. 378- 420. De même, le journal El Qiblah en a fait largement écho au début des années 2000. Hors du Cameroun, des cas similaires avaient été signalés par les médias internationaux en Tunisie (don du sang), Libye, Maroc, Nigeria, Palestine, etc. 169 Voir à ce point les nombreuses études publiées par la revue Islam et Sociétés en Afrique au Sud du Sahara. 336 apports occidentaux qui facilitent la communication à l’échelle internationale tels que l’ordinateur, Internet, la parabole, téléphone portable, bref les ‘‘instruments de modernité’’ sont utilisés pour s’inscrire aussi dans la logique de la communication mondialisée, à des fins cultuelles ou culturelles. Il demeure néanmoins que le discours donne finalement la sensation de ne pas être achevé mais en perpétuelle construction au gré de nouvelles données circonstancielles. Et, comme le souligne très justement R. Otayek, On est plutôt en présence d’un discours polymorphe, constitué de l’assemblage de fragments plus ou moins disparates (prônes, communications présentées à des séminaires de réflexion, entretiens, etc.), plus ou moins dictés par les circonstances (...) et la référence constante au code divin énoncé dans le Coran. Ce discours dessine en pointillé l’esquisse de l’ordre transcendantal comme projet alternatif à l’ordre imposé.170 170 R. Otayek, ‘‘Une lecture du projet révolutionnaire de Thomas Sankara’’, in J.-F. Bayart, Religion et modernité politique en Afrique Noire, Paris, Karthala, 1993, pp. 112-113. 337 CONCLUSION GENERALE 338 Tout au long de nos développements, nous avons abordé sous plusieurs paramètres (migration, religion, économie, politique, urbanisation, etc.), l’arrivée, l’implantation et le développement des communautés musulmanes à Douala. Ainsi, la présence de l’islam dans l’espace géographique de Douala remonte au début du XXe siècle. Elle est à mettre en corrélation avec les variables immigrants ouest-africains, le développement du commerce avec l’hinterland, la ‘‘mise en valeur’’ des terres dans les zones du Mbam et la périphérie de Douala et enfin les migrations internes des musulmans camerounais vers la côte camerounaise. De ce fait, la carte et la chronologie de l’islam à Douala ‘‘scandent’’ plusieurs périodes : c’est d’abord un islam de marchands, introduit lentement et surtout pacifiquement, c’est à dire sans recourir au ‘‘glaive’’ comme ce fut le cas dans la partie septentrionale du Cameroun sous l’impulsion du djihâd initié par Ousman Dan Fodio et relayé dans l’Adamawa par Modibo Adama. Une fois introduite, la religion musulmane était appelée à se diffuser en s’appuyant sur des marchands de plus en plus occupés par le négoce et le bénéfice qu’il engendre. A Douala, l’islam se présente d’abord sur cette facette c’est- à- dire comme une religion de la victoire par le commerce. Ce qualificatif lui est resté à travers de décennies et a favorisé sa progression à Douala. Et, plus d’un siècle après sa pénétration sur le territoire doualais, l’islam progresse, avec il est vrai, des méthodes très variées. Dans les années vingt, les communautés musulmanes de Douala sont reconnues par les autorités coloniales françaises et regroupées à New-Bell. Et, au début des années trente, Youssouf Paraiso, Chef Supérieur des étrangers est l’interlocuteur privilégié. Il représente les notables musulmans qui demeurent soucieux de collaborer avec le système colonial et qui admettent, voire défendent la place de la France en tant que puissance coloniale et ‘‘mère patrie’’. A cette époque, ce sont les ‘‘indigènes’’/ étrangers de la ville de Douala, qui prouvent leur dynamisme en matière économique. Dès les années 1940, la transformation des structures commerciales pose les bases de l’organisation future des échanges régionaux et du rôle des musulmans dans la hiérarchie des ces échanges. Ils établissent leur suprématie sur les relations économiques régionales ; leur rôle leur vient de leur situation historique ‘‘d’intermédiaire’’ et de l’installation des compagnies commerciales contrôlant le négoce ‘‘officiel’’. Les 339 commerçants musulmans ont ainsi contribué à faire de Douala une ville de ‘‘transbordement’’ des marchandises vers l’arrière pays, développé aussi grâce aux différents moyens de transport. Ils participaient ainsi à organiser des flux commerciaux entre Douala, le Sud du Cameroun et le bassin tchadien. L’affirmation des valeurs islamiques est cependant absente de leurs activités. Ainsi, le chef des étrangers cherche à mener la communauté musulmane vers le chemin du colonisateur en se cantonnant à l’organisation de cérémonies religieuses et d’éducation qui seraient conformes aux règles établies par l’islam et l’équilibre socio-ethnique des musulmans. Pour l’essentiel, les communautés musulmanes façonnent leur milieu d’accueil sur le plan culturel et économique. La présence de l’islam et l’augmentation de la population musulmane amènent la communauté à être de plus en plus agissante, au fils des décennies. Elle tient alors une place de choix sur l’échiquier économique, sociale et religieux. A travers le commerce, les chefferies, le culte et l’enseignement islamique traditionnel, qui sont ces premières formes d’expression à Douala, l’islam est un instrument à la fois de reconnaissance et de légitimité. Au lendemain de l’indépendance, le loyalisme envers les autorités locales garde la même logique. Les musulmans doualais se mettent aux côtés des autorités politico-administratives locales. En d’autres termes, ils font confiance aux hommes politiques qui conduisent le pays à l’indépendance. Aucune rupture ne s’amorce sur le plan politique. C’est la conduite de soumission aux autorités locales. La communauté musulmane nationale, dans son entièreté est représentée par l’ACIC. De nouveaux besoins se créent. Ce n’est pas sans mal que l’école franco-arabe de Douala s’était mise en route ainsi qu’en témoigne ses débuts pendant la décennie 1960, avec ses heurts et ses malheurs qui sont aujourd’hui connus. De fait, la création de l’école franco-arabe de Douala n’a résolu que partiellement les problèmes liés à l’éducation des enfants musulmans de Douala. Et, plus généralement, la situation de l’éducation islamique à Douala représente une infinie partie des efforts d’éducation à consentir en milieu musulman. Loin d’être négligeable, elle illustre quelques uns des problèmes cruciaux que pose l’adaptation de l’enseignement au Cameroun en général. 340 Certes, cette éducation qui allie à la fois tradition arabe ou islamique et le modernisme a franchi de nouveaux obstacles et essayé de faire du chemin. Il faudra aller plus loin, en procédant à véritable changement des mentalités. Ce changement consiste à réformer l’éducation islamique aussi bien dans le fond que dans la forme. Autrement dit, il faut la professionnaliser et la rendre plus opérationnelle et mieux adaptée à l’évolution du temps et aux nouveaux besoins auxquels font face les musulmans doualais. C’est ce que tente de faire les nouveaux promoteurs de l’éducation privée islamique à Douala. Mais on ne peut esquiver une question fondamentale, celle de savoir le rôle que peut jouer cette forme d’éducation dans le Cameroun d’aujourd’hui et de demain. Sur le plan cultuel, islam et ethnicité sont toujours imbriqués pour faire de la pratique cultuelle un ensemble consensuel. Politiquement, cette religion apportait son soutien aux autorités politico-administratives locales, représentants du pouvoir central. Cet islam doualais, majoritairement Tidjaniyya est reste replier sur lui-même pendant longtemps, contrairement aux autres régions d’Afrique dominées par les traditions soufis (Sénégal, Nord-Nigeria, etc.). Or au cours des décennies 1970 et 1980, la diversification professionnelle et l’enrichissement démographique de la communauté entraine une augmentation de pèlerins. Pendant les mêmes décennies, le retour des étudiants formés au Proche et au Moyen Orients entraine l’émergence d’une nouvelle génération de musulmans qualifiée de ‘‘réformateurs’’. Minoritaire de retour des pays arabes, arabophone, elle a reçu une formation en arabe. Le redressement de l’éducation est leur préoccupation. L’islam rime progressivement avec ‘‘le retour aux textes’’. Ils s’arrogent le rôle d’initiateurs du changement. En raison de leurs itinéraires, de leurs formations et leurs activités - la réforme des programmes d’écoles franco-arabes essentiellement- et de leurs critiques envers ceux que l’on qualifiait de ‘‘traditionalistes’’, les ‘‘réformateurs’’ placent l’islam au centre de la gestion des affaires communautaires (éducation, prêches, etc.). L’islam devient une arme pour éveiller la conscience des nouvelles générations. Rigueur dans la pratique et savoir religieux sont liés. Entre temps, le décret de 1977 entraine la multiplication des chefferies musulmanes à Douala. Ainsi, en plus des chefferies créées pendant la période coloniale 341 et maintenues au lendemain de l’indépendance, d’autres sont créées et ‘‘intégrées dans un processus visant le rapprochement de l’administration des administrés’’1. Cependant, le sort des chefs ne s’améliore guère. Leur enrôlement administratif continue. Ainsi, les chefs musulmans allaient continuer d’être utilisés comme ils le furent pendant la colonisation, c’est-à-dire comme des ‘‘instruments utiles’’2. Par eux, les autorités locales pouvaient faire exécuter leur volonté, réaliser les objectifs qu’elles se sont fixées avec l’aide des populations contrôlées par les chefs. Dans cette optique, le pouvoir utilisera à bon escient l’‘‘audience’’ des chefs auprès des populations qu’ils encadraient. En cela aussi, l’islam continue à être un instrument de pouvoir Or, des signes de résistance interne à la politique d’homogénéisation de l’islam se font sentir dès la fin des années 1980. La crise économique n’est pas l’unique facteur qui fait émerger le mouvement ‘‘contestataire’’ islamique. En revanche, la révolte ‘‘étouffée dans l’œuf en 1988’’ et le souci des jeunes de défendre un islam dynamique et moderniste puis l’ouverture démocratique, à partir des années 1990, conduisent à un nouveau climat. Certains musulmans, aînés et jeunes, profitent de ce nouveau contexte pour s’affranchir du silence dans lequel l’Etat les avait figés et pour conquérir des espaces. L’islam leur permet progressivement de s’affirmer et à certains aînés de sortir de leur retraite. Les jeunes affirment leur multiculturalisme et n’appartiennent pas obligatoirement aux classes subalternes de la société, certains conduisent des carrières dans l’enseignement, les métiers de la communication, le public, le privé, etc. La Tidjaniyya subit les contrecoups de la libéralisation politique et de la modernité islamique consécutive à l’infiltration, à Douala, des Tabligh et surtout des Chiites ; sous fond de renforcement du courant réformateur présent depuis la fin des années 1970. En conséquence, le dispositif du relatif équilibre ethno-régional sur lequel reposaient les bases religieuses et l’unité des musulmans s’est trouvé miné et sabordé. Il en résulte une crise identitaire avec d’une part, la politisation de l’islam en faveur du parti au pouvoir, des réformes et une fragilisation de la position dominante tidjaniyya et, d’autre part l’éclatement de la communauté et la complexification des lignes de clivages. 1 B. Momo, ‘‘L’inaccessibilité des chefferies traditionnelles camerounaises à la rationalité juridique’’, Lex Lata, no 22, 1996, p.10. 2 P.F. Gonidec, La République Fédérale du Cameroun, Paris, Berger Levraut, 1969, p.86. 342 La multitude d’itinéraires qui cohabitent au gré des conjonctures politique et socio-économique complexes, les associations musulmanes, les lieux de culte, les centres culturels islamiques et des écoles franco-islamiques se multiplient. Les discours, les prêches et les actes des associations sont fonctions des données politiques et économiques bien que leurs auteurs s’efforcent d’être dans la logique d’un raisonnement dans lequel l’islam est une religion de ‘‘partage’’ et de paix. A travers les écoles islamiques, les centres culturels, les associations et les autres formes d’expression, l’islam revêt plusieurs dimensions et est plus que par le passé, un instrument à la fois de reconnaissance et de légitimité. En cela, l’islam devient de plus en plus un instrument de pouvoir. Les intellectuels musulmans se positionnent comme des porte-paroles investis de fait par la communauté musulmane, de par leur maîtrise du savoir islamique et de l’ordre religieux. Ils se présentent en conséquence à travers différentes tribunes (associations, émissions radio-télévisées, animations des causeries et débats, interviews dans la presse, etc.) comme les seuls interlocuteurs crédibles face aux autorités administratives. Mais, la double méfiance nourrie à leur égard, celle des musulmans et des autorités politico-administratives, du fait justement de leur principal atout-la maîtrise de la langue arabe- reste encore bien présente dans les esprits. Dès lors, la logique des trajectoires individuelles semble prendre le pas sur la cohésion du groupe dans la quête d’une respectabilité vénale. L’engagement en politique devient alors une étape incontournable. Elle devient une rampe de lancement. Les causeries, les débats, les communications, l’animation des émissions dans les télévisions et les radios de proximité constituent ici des cadres idoines d’expression et de dénonciation pour les jeunes intellectuels musulmans. L’accent mis sur l’enseignement moderne de la langue arabe et la connaissance de la religion montre par ailleurs que la population, dans ses différentes strates ‘‘résiste’’ devant des autorités qui souhaiteraient une société passive et dominée. Cette résistance n’aboutit toutefois ni à la violence ni à l’intolérance religieuse. Le conflit est intracommunautaire.3 Les associations islamiques peuvent être comprises comme des relais des décisions politiques, soit comme des écrans à la politique d’homogénéisation de 3 ‘‘Querelles entre les musulmans à Douala’’, disponible sur le lien internet http://www.cameroon-info.net/ cmi_show_news. Php ? id = 962 ; consulté le 26 octobre 2000. 343 l’Etat soit comme des tremplins économiques et politiques. L’islam à travers elles et ses autres formes d’expression est en tout cas multifonctionnel. Il est un instrument de reconnaissance statutaire, culturel et identitaire.4 Si l’ACIC était un instrument de légitimation de la politique étatique, tant sur les plans local qu’international, l’islam à travers ses multiples formes d’expression des années 1990 et du début des années 2000 est à l’intersection du politique, du culturel, de l’identitaire, du social et de l’économique. Cela signifie que nous n’assistons pas à une révolution idéologique mais plutôt à une mutation idéologique. Le militantisme islamique est le produit d’une élaboration religieuse nouvelle. Le dynamisme culturel et social de l’islam ou mieux, l’expression ‘‘renouveau islamique’’ ou encore ‘‘regain islamique’’ parait dès lors recevable ou peu discutable. Les modes d’action des militants de l’islam ont changé depuis le début de la décennie 1990. Des conférences, des séminaires et des causeries islamiques sont organisées, des journaux sont publiés, des prônes médiatisées sont prononcées, des écoles et des centres culturels sont construits, etc. Les modes de transmission du savoir diffèrent de ceux des ‘‘traditionalistes’’, même si la mémorisation est encore au centre de certains pédagogues. Ceci montre à quel point les relations avec les ‘‘ainés’’ et les ‘‘cadets’’ sont complexes en raison de leur ambivalence. Elles oscillent entre entente et répulsion. Ces rapports ne sont pas exceptionnels lorsque nous observons les rapports décrits entre les autorités locales et les élites musulmanes doualaises. La stratégie de contestation du ‘‘leadership’’ religieux est claire et déroule puisqu’elle ‘‘brouille les cartes’’ et permet à leurs auteurs d’être au centre des débats. C’est pourquoi cette réflexion de R. L. Moreau nous parait toujours d’actualité : malgré les rivalités, il ne faut donc pas croire à deux courants exclusifs, le second finalement est amené à se substituer purement et simplement au premier. On peut plutôt penser que l’avenir sera fait d’une subtile dialectique entre eux, même si l’évolution connaît des-à-coups plus ou moins violents, des incohérences durables.5 4 Voir L. Brenner (s.d.), Muslim identity and Social Change in Sub-Saharan Africa, London, Hurst and company, 1993. 5 R.L. Moreau, Africains musulmans, Paris, Présence africaine, 1982, p. 39. 344 Cette stratégie porte ses fruits mais jusqu’à quand ? Du point de vue de l’enseignement, la démocratisation du savoir s’est mise en place mais une ‘‘élite’’ arabisée est contrainte de se ‘‘débrouiller’’ dans des secteurs économiques très circonscrits (commerce, enseignement dans les écoles franco-arabes ou coraniques, au sein des associations et dans les domiciles des particuliers). Cette nouvelle génération, en dépit de son multiculturalisme (arabe, françaiset/ou anglais), demeure exclue ‘‘de la gestion directe du pouvoir’’6. Les centres culturels islamiques, les nouvelles écoles franco-arabes et les associations islamiques cherchent encore leur chemin. Nos interlocuteurs sont encore éloignés d’une stratégie de régulation totale de la vie collective malgré certaines actions caritatives. Ils sont en tout cas des guides pour une partie de la société communautaire qui est à la recherche de ‘‘sens’’, c’est-à-dire à la recherche d’identité. Cette quête n’est pas simplement synonyme de repli mais aussi d’une restructuration de la société avec la libéralisation des années 1990. Ainsi, nous avons à faire à un foisonnement islamique de moins en moins marginal. Pouvons-nous pour autant conclure que les écoles franco-arabes et les associations islamiques par exemple peuvent devenir un mouvement7 social ? Jusqu’à maintenant les associations se contentent d’actions ponctuelles, sans grande envergure. Nous sommes loin de la constitution d’un tel mouvement et loin de l’activisme de certaines associations islamiques en Egypte par exemple qui organisent des activités sanitaires, sociales et caritatives.8 La situation dans les deux pays connaît pourtant des points communs : l’Etat s’est désengagé dans ces deux pays, le système de financement est le même (des dons de la population et des institutions étrangères, etc.) et tout comme en Egypte, ‘‘l’attraction des ces dons dépend très étroitement de la personnalité des leaders de l’association (…) de la richesse de leurs réseaux de connaissances’’9. Plusieurs faits peuvent néanmoins expliquer cette situation. Les pays arabes, et notamment du Golfe ont pour premier souci 6 J. F. Bayart, ‘‘La revanche des sociétés africaines’’, Politique africaine, no 11, 1983, p. 100. D’après un recensement des articles portant sur le social (sur la crise économique, sur la situation sanitaire de la communauté, etc.) le sujet n’est pas en priorité au centre des préoccupations des communautés musulmanes. 8 S. Ben Nafissa, ‘‘Les ligues régionales et les associations islamiques en Egypte. Deux formes de regroupements à vocation sociale et caritative’’, Tiers-Monde, tome XXXVI, no 141, janvier-mars 1995, pp. 169-170 et 173. 9 Ibid., p. 171. En revanche nous ne sommes pas si catégorique que l’auteure lorsqu’elle parle de la ‘‘ réputation d’honnêteté’’ des leaders. 7 345 de faire de certaines communautés musulmanes de Douala une tête de pont pour l’implantation de l’islam. C’est pourquoi au sein de la communauté musulmane bamun de Douala par exemple, les propagandistes chiites ont mis l’accent surtout sur la construction d’un centre culturel, d’une mosquée et d’une école (en pays bamun). Les jeunes arabophones ont, pendant des décennies, préféré suivre des études littéraires ou théologiques et non scientifiques, ce qui ne pouvait permettre de construire des complexes à vocation sociale ou caritative dès l’instant qu’il n’y a pas de personnel formé pour ce genre d’activités ; le principal but est de mettre en place soit des écoles franco-arabes, soit des écoles coraniques. En cela, ils répondent parfaitement à la stratégie culturelle des pays arabes.10 De plus, le but d’une grande partie des militants de ces associations islamiques à Douala se résume à décrocher des financements extérieurs sans qu’il y ait de projet d’autofinancement. Enfin, certains responsables d’associations (le PIAH par exemple) se préoccupent de l’avenir de leurs diplômés pour que ces derniers se forment dans des domaines scientifiques et deviennent des futurs cadres. Les leaders musulmans doualais, à travers leurs discours et surtout leurs actes, peuvent-ils révolutionner le champ politique de Douala ? Nous avons vu que certaines associations proches des autorités telles que l’ANJMC et l’AFUIC, les chefs traditionnels musulmans en général, l’élite économique et certains imams n’hésitent pas à se rapprocher de prises de position (officielle) de l’Etat. Autrement dit, tout cet ensemble ne refuse pas d’avoir des relations avec l’Etat parfois pour des actions ponctuelles. L’Etat est aussi obligé de donner des gages de bonne volonté aux communautés musulmanes en les intégrant à la gestion politique locale. Au vu de cette nouvelle donne, les militants islamiques de tous bords cherchent à se constituer des espaces d’investigation de plus en plus étendus.11 La victoire d’un des trois principaux protagonistes (les traditionalistes, les réformistes/modernistes et l’Etat) n’est pas encore écrite mais il est certains que s’établit progressivement un certain équilibre entre ces différentes forces. La mouvance islamiste moderniste pourrait gagner du terrain si elle était unifiée, ce qui est encore loin d’être le 10 ‘‘(…) la demande d’islam (des musulmans africains) s’accompagne fréquemment d’une demande d’apprentissage de l’arabe’’, R. Otayek (s.d.), Le radicalisme au sud du Sahara. Da’awa, arabisation et critique de l’Occident, Paris, Karthala-MSHA, 1993, p. 9. 11 Voir M. Bennani-Chraïbi et O. Fillieule (s.d.), Résistances et protestations dans les sociétés musulmanes, Paris, Presse de Sciences Politiques, 2003. 346 cas. La multiplication des associations, des centres culturels et des territoires religieux nuit à leur dynamisme et les associations qui sont les plus en vue, au-delà de leurs déclarations publiques, souhaitent préserver leur marge de manœuvre. Cependant, les micro-portraits mosaïques des leaders musulmans de Douala que nous avons évoqué dans ce travail sont représentatifs de leur temps et de leur milieux. Ils correspondent à bien des égards à l’esprit de leur époque, cristallisent les espérances ou incarnant les intérêts de leurs peuples. Jusqu’à maintenant, l’engagement sur la scène politique des communautés musulmanes de Douala permet de conclure qu’il constitue un groupe de pression. Ainsi, l’évolution des évènements observés depuis le début des années 1990 montre qu’elles sont à la recherche d’une identité. La mouvance islamique réformatrice (moderniste) sert d’accélérateur à cette quête d’identité. Même si les revendications de cette mouvance ne sont pas clairement identifiées, elles sont les signes d’une société musulmane qui cherche ses marques, mue par la volonté d’appartenir à la communauté islamique dans son ensemble et de briser le carcan du modèle hégémonique mondial. L’islam, à travers ses différentes formes d’expression, en zone urbaine joue le rôle d’exutoire. 347 ANNEXES 414 BIBLIOGRAPHIE ET SOURCES 415 A Ouvrages Abdallah, I.S.A.J., Dialogue constructif entre Sunnites et Chi’ite, Riyadh, Dâr al-Qur’ân wa as Sunnah, 1998. Abdelmalek, S., La double absence. Des illusions de l’immigré aux souffrances de l’immigré, Paris, Seuil, 1999. Abdouraouf, B.H., Tabligh : étape IV, Saint Etienne, Le Figuier, 1995. Abwa, D., Commissaires et hauts-commissaires de la France au Cameroun (19161960).Ces hommes qui ont façonné politiquement le Cameroun, Yaoundé, P.U.Y. et P.UCAC, 1999. Aderson, D.M. et Rathbone R. 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Rapport annuel, 1923. 18-ANY, 2AC 8093, Douala administration. Rapport annuel, 1923. 19-ANY, 2AC 8093, Wouri, rapport annuel, 1923. D-2 Affaires Politiques et Adminitatives (APA) 1-ANY, APA 10992/B, Pèlerinage 1954. 2-ANY, APA10992/A, pèlerinage à la Mecque 1952-1953. 3-ANY, APA 11390/A, Pèlerinage à la Mecque 1950-1951. 4-ANY, APA 10991/A, Pèlerinage, 1949. 5-ANY, APA 12247, culte islamique 1949-1951. Lettre de J. Beyries datée du 31 janvier 1950 répondant à la circulaire n° 644 CF/CC/APA/1 adressée par le Gouverneur le 30 décembre 1949. 6-ANY, APA 11298/A, Affaires musulmanes, 1947-1949. 7-ANY, APA 10991/A, pèlerins 1949. 8-ANY, APA10739, Wouri. Rapport annuel 1947. 9-ANY, APA10992/B, pèlerinage à la Mecque 1954 ; 1AC3392, pèlerinage à Mecque1941. 10-ANY, APA 11689, Inspection des colonies, 1938-1939. 12-ANY, APA 10.005/D, Douala, rapports annuels, 1937-1939. la 450 13-ANY, APA 11757, Douala. Rapport annuel, 1933. 14-ANY, APA 10 005/A, Circonscription de Douala. 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D-4 Arrêtés, décrets, lois, etc. 1-Arrêté n° 280A/ MINATD/DAP/SCLP/SAC constatant la composition de la Commission Nationale du Hadj. 2-Décret n° 92/032/92 du 21 février 92 portant légalisation de l’ASSOVIC/CONSAIC. 3-Décret no 90/1461 du 09 novembre 1990 portant création, ouverture et fonctionnement des établissements privés. 4-Décret n° 88/319 du 7 mars 1988, ‘‘Statuts de l’ACIC’’. 5-Décret no 77/193 du 23 juin 1977 portant création de la MAETUR. 6-Décret 77/245 du 15 juillet 1977 portant organisation des chefferies traditionnelles. 7-Décret no 71 DF du 1er mars 1971 portant création de la MAGZI. 8-Décret n0 68-32 du 2 avril 1968. 9-Décision 005 D/MINATD/DAP/SDLP/SAC portant agrément des encadreurs des pèlerins musulmans. 10-Loi n° 90/53 du 19 décembre 1990 portant sur la liberté d’association. 11-Loi n° 87/015 du 15 juillet 1987 portant création des communes urbaines. 12-Loi No 64/11 juin 1964 : contrôle et fonctionnement de l’enseignement privé. 13-Loi no 67/LF/19 du 12/06/1967. 451 14-Ordonnances no 74/1, 74/2 et 74/3 du 06 juillet 1974 fixant le régime foncier national ainsi que de leurs trois décrets d’application, décrets no 76/165, 76/166 et 76/167 du 27 avril 1976. E-Sources orales Professions ou titres Âges Lieux des enquêtes Date des enquêtes Noms et prénoms 1-AzaharYende Moustaha Imam 33 ans Douala/ Bonamoussadi 26/10/2003 2-Abdoulaye Commerçant (islamisé) 27 ans 23/01/2004 3-Abdourazak 4-Aboubakar _____//_______ Imam 30 ans 50 ans Douala/ Bonamoussadi _______//_______ Douala/MarchéCongo Douala/NewBell/Marché-Congo 06 et 07/08/2006 22 ans Douala/Bonapriso 29/09/ 2006 50 ans Douala/NgodiBakoko 07/08/2005 5-Aboubakar Backo -Chef de la Mendeng (El communauté Bafia de Hadj) Douala; -Vice-président de l’amicale des chefs musulmans de Douala; -Secrétaire d’Etat Civil 6-Ahmad Élève au centre culturel Muhammad Al Axa 7-Bell Mahmoud -Prédicateur -Animateur des émissions islamiques -Chef de la communauté musulmane de Ngodi/Bakoko 8-Bilal Balery -Enseignant au Sadjo secondaire; -Directeur d’école franco-arabe 9-Bouba Abakoura Chef de la communauté (El Hadj) musulmane de NewTown/Aéroport 10-Brahim Sarr Imam sénégalais 11-Daouda Mohaman (Cheikh) -Enseignant à l’IRIC; -Ancien secrétaire de l’ACIC 50 ans _______//_____ 30/09/2006 32 ans Douala/Bonaloka 27 et 28/09/2007 52 ans Douala/New-Town 13/09/2007 47 ans Douala/NewBell/Congo Yaoundé 05/05/2004 49 ans 16 et 17/08/ 2003 452 12-Diallo Bakai 68 ans Douala/NewBell/Congo 50 ans -Yaoundé -10/09/2006 -Douala/New-Town -06/09/2007 52 ans Yaoundé 12 et 13 novembre 2008 71 ans Douala/New-BelNkoloulun 12 et 14/05/2004 47 ans 17-Halima Ménagère 38 ans 18-Hassan -Chef ‘‘Daïra Touba’’ 47 ans Moustapha du marché central; -Commerçant 19-Hassan Nsangou Prédicateur 44 ans (Cheikh) Douala/New-Bell 26/10/2003 Douala/New-BellDispensaire Douala/New-BellMarché-central O7/09/2007 13-Douada Kououtouo (El Hadj) 14-Doubla Avaly 15-Garba Aoudou (El Hadj) 16-Gourbe Ali -Commerçant; -Homme politique; -Imam; -président du comité de reconstruction de la mosquée peule de New-Bell et viceprésident de l’ACICLittoral -Journaliste; -Présentateur de l’émission connaissance de l’islam -Enseignant d’université; -président de l’OESPI; -Secrétaire Nationale à ‘enseignement francoarabe -Président de l’ACICLittoral/Sud-ouest; -Homme politique; -Homme d’affaires Imam 20/09/2006 36 ans Douala/Bonapriso 20/04/20 05 - 12/09/20 06 17/08/2005 -Chef Haoussa de New- 76 ans Bell; -Homme politique -Directeur d’école 50 ans Douala/New-Bell 10/07/2004 Douala/New-Town 26/01/2004 Douala/New-BellDispensaire Douala/Akwa 07/09/2007 20-Housseini (Cheikh) 21-Ousseini Adamou Labo (El Hadj) 22-IbrahimTchindé (El) 23-Khafa Enseignant d’arabe Ménagère 30 ans 24-Mahamat Al Bachir (Cheikh) Prédicateur 35 ans Douala/New-Bell/ Dispensaire 03 et 04 /09/2007 - 26/09/2006 et 30/09/2006 453 25-Malam Awalou 26-Malam Faroukou 39 ans 60 ans Douala/Bonanloka Douala/NewBell/Nkoloulun 07/11/2006 13 et 14/04/2003 68 ans Douala/New-Bell 28-Malam Ouba Imam Ancien directeur de l’école franco-arabe de New-Bell Enseignant école coranique traditionnelle Imam 37 ans 29-Maliki (Cheikh) Prédicateur 32 ans 30-Mariam Ménagère 26 ans 31-Mboumbouo Soulé (Malam) 32-Moctar Aboubakar Oumar (El Hadj) Enseignant d’arabe 35 ans -Douala/New-Bell -Douala/Akwa Douala/Bonamouss adi Douala/NewBell/Dispensaire Douala/Bonaloka 11 et 12/04/2004 -24/01/2004 -08/11/2007 28/09/2006 -Imam; 80 ans -Président de l’UIC; -Ancien démarcheur du Hajj Douala/New-Bell 33-Mohamadou III Salissou 34-Mohammadou Yacoubou (El Hadj) 35-Mohammed 36-Moukara (Cheikh) 37-Moussa (El Hadj) 38-Moussa Ladan (El Hadj) 39-Moussa Oumar -Banquier; -Prédicateur Président de l’AJMC 38 ans Douala/New-BellDispensaire Douala/New-Bell Commerçant (islamisé) Enseignant d’arabe 39 ans 35 ans Douala/New-Bell Douala/Bonapriso Imam 40 ans Imam 63 ans Douala/Cité Palmiers Douala/PK-14 Imam 45 ans 40-Moussa Rabiou Commerçant 42 ans 41-Ndossi Gabriel Commerçant (islamisé) 29 ans 42-Njiasse Njoya Aboubakar -Enseignant d’université; -Islamologue; -Vice président de l’ACIC; -Président de l’AMAII 58 ans 27-Malam Koni 42 ans 07/09/2007 27et28/09/2007 -25/01/2004 04et05/08/2004 -08et 09/11/2006 -20/04/2005 -12/09/2006 16/09/2004 26/01/2004 09/09/2006 05/10/2007 des 11 12/04/2004 20/04/2004 Douala/Bonamouss adi Douala/New-BellMakéa Douala/NewBell/Congo Yaoundé 21/04/2004 02/10/2005 26/01/2004 10 et 11/07/2003 et et 454 43-Nji Mefire Njoya (El Hadj) -Chef de la communauté bamun de Douala; -Homme politique 44-Nong Ousmane Homme d’affaires (islamisé) 45-Oumarou -Ancien boursier de Malam Yasser l’Arabie Saoudite; -Enseignant de l’arabe 46 – Njoya Ibrahim Fondateur du PIAH Moubarak 47-Petou Mama Homme d’affaires (islamisé) 48-Ratib Ouba (El Imam Hadj) 49-Razzack commerçant 50-Saibou Abdou Imam 51-Sani Mama Commerçant 52-Shouibou Oumara 53-Tanko Amadou 54-Woussi Aboubakar Chef de la communauté musulmane de BibambaBonanloka -Chef haoussa de Bonaberi; -Homme politique -Ancien directeur de l’école franco-arabe de New-Bell Secrétaire PIAH 55-Yadouko Aissatou 56-Yahouba Enseignant d’arabe (Cheikh) 57-Yaya Abdoulaye Imam 58-Yaya Aissatou Présidente de l’AFMSD 59-Yaya Sandou Imam 60-Younouss -Chef de la Paraiso communauté Yoruba 61-Zeinabou Commerçante (islamisée) 68 ans Douala/New-Bell 04 et 05/08/2005 54 ans Douala/Makèpè 21/10/2004 34 ans Douala/New-Bell 02/05/2004 38 ans Douala/New-town 62 ans Douala/Bonamouss adi Douala/Cité des Palmiers Douala/Akwa Douala/New-Bell Douala/NewBell/Makéa Douala/Bonanloka 43 ans 33 ans 49 ans 27 ans 46 ans 72 ans Douala/Bonaberi enviro n 57 ans Douala/New-Bell 24 ans Douala/Deido 31 ans Douala/Bonamouss adi Douala/Akwa Douala/Bonajo 40 ans 39 ans 41 ans 67 ans enviro n 26 ans 20/10/2004 -20/03/2004 -14/09/2007 23/01/2004 12/09/2006 02/10/2005 13/09/2007 12/07/2004 14/03/2003 07/05/2004 et29/09/2006 17/08/2005 22/04/2004 06/09/2007 Douala/PK14 Douala/NewBell/Congo 20/04/2004 10/04/2004 Douala/Bonamouss adi 26/01/2004 455 F- Dictionnaires Arkoun, M., Arnaldez, R., Blachère, R. et al, Dictionnaire de l’islam. 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229, 243, 257, 293, 308, 326, 451, 454 Abdourahman Abdoulkarim, 118 Abdouraouf, 255, 415 Abdourazak, 243, 451 Abé, 283, 425 Abimbila Wande, 433 Aboubakar, 32, 61, 65, 86, 118, 128, 130, 131, 143, 160, 173, 180, 191, 198, 243, 284, 315, 321, 325, 329, 330, 331, 451, 453, 454 Abu Bakr, 246 Abubacar Gumi, 154 Abwa, 4, 15, 20, 25, 26, 44, 49, 77, 78, 81, 84, 134, 172, 415, 425, 433, 441, 443 ACIC, 8, 27, 32, 110, 113, 114, 115, 116, 118, 119, 120, 121, 122, 126, 127, 128, 129, 130, 131, 139, 144, 145, 150, 151, 155, 158, 168, 169, 176, 178, 179, 180, 181, 197, 213, 217, 218, 219, 267, 290, 339, 343, 450, 451, 452, 453 Adama, 4, 7, 10, 12, 16, 20, 25, 44, 46, 49, 58, 59, 64, 65, 78, 91, 99, 100, 101, 104, 110, 113, 115, 120, 121, 132, 134, 149, 151, 152, 160, 161, 168, 170, 172, 181, 194, 201, 212, 218, 219, 235, 263, 275, 276, 285, 293, 297, 317, 318, 338 Adamaoua, 5, 20, 45, 63, 64, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 111, 219, 267, 268, 426, 427, 434, 439 Adamawa, 18, 26, 45, 50, 54, 63, 64, 100, 147, 338, 430, 431 Adamou Labbo, 55, 79, 287, 293 Adamou Souley, 140 Addel Nasr, 173 Adepoju, 289, 425 Aderson, 70, 415 AFDMD, 28, 208, 211 Afghanistan, 38, 249, 323 Afrique, 2, 3, 7, 8, 9, 10, 13, 14, 15, 16, 18, 19, 20, 22, 25, 27, 28, 30, 38, 39, 42, 44, 46, 47, 48, 49, 52, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 62, 64, 68, 69, 72, 73, 75, 76, 77, 80, 82, 83, 84, 85, 88, 91, 93, 96, 100, 101, 102, 116, 120, 125, 126, 129, 130, 133, 135, 136, 137, 140, 141, 147, 149, 150, 151, 153, 154, 155, 157, 159, 165, 166, 169, 172, 175, 177, 178, 180, 182, 183, 185, 187, 188, 192, 199, 200, 201, 213, 214, 216, 245, 246, 247, 249, 251, 252, 256, 261, 266, 267, 273, 275, 277, 281, 282, 284, 285, 289, 290, 299, 301, 302, 303, 304, 305, 308, 309, 310, 314, 316, 317, 320, 335, 336, 340, 415, 416, 417, 418, 419, 420, 421, 422, 423, 424, 425, 426, 427, 428, 429, 430, 431, 432, 433, 434, 435, 436, 437, 438, 439, 440, 441, 443, 444, 445, 446, 455 Agier, 142, 415 Ahidjo, 111, 118, 133, 135, 146, 177, 285, 302, 422, 437 Ahl Ul Bayt, 190, 193 Ahmad Kuftaro, 198 Ahmadou, 66, 94, 101, 111, 118, 133, 135, 146, 302, 312, 415, 428, 430 Ahmadou Bamba, 66, 94, 415, 430 Ahmed, 64, 65, 88, 118, 173, 329 Ahmed Tijani, 64, 65 Aissatou Yadouko, 32, 204, 206 Ako, 243 Akwa, 14, 70, 74, 81, 97, 151, 153, 156, 157, 175, 197, 200, 205, 209, 243, 244, 247, 257, 290, 321, 452, 453, 454 Akwa-Nord, 70 Al Axa, 190, 196, 200, 230, 451 Al Azhar, 113 Al Bachir, 197 Al Falah, 154 Al Houda, 151 Al Huda, 169 Al Ouloumoul Achchara-iyat, 230 Al Ouloumoul-Arabyat, 230 Alavi Payan, 254 Alcali Mohamed, 79, 98 Alhu-Sunna Wal-Jamaa, 152, 154, 167 Ali, 38, 88, 173, 193, 246, 253 Ali Abba, 173 Ali Akbar Velayati, 193 Allah, 24, 157, 211, 255, 256, 271, 294, 330 460 Allemagne, 14, 50, 51, 96, 420 Allemands, 18, 45, 46, 50, 51, 54, 55, 56, 61, 68, 71, 75, 77, 98 Allen, 66, 94, 425 Al-Rahmah, 152, 161, 167 Al-Ramah, 154, 161 Alzouma, 150, 432 Amadou Bamba, 66, 94, 425 Amselle, 46, 159, 320, 415, 434 Ancey, 142, 434 Andre, 415 André, 2, 275, 415 An-Nour, 219, 263 Anoukaha, 249, 415 AOF, 3, 48, 55, 70, 71, 89, 154 Appadurai, 322, 323, 415 Aqidat Salaf, 191 Arabes Choa, 60, 62 Arabie, 120, 121, 129, 138, 148, 149, 151, 153, 154, 155, 158, 169, 190, 191, 192, 195, 197, 200, 230, 242, 263, 265, 312, 314, 315, 320, 321, 332, 333, 454 Arkoun, 24, 455 Arnaldez, 24, 455 ASIPES, 28, 202, 203, 204 Asma Lamrabet, 214, 415 Assar Yendé, 173 Augé, 156, 436 Augis, 214, 252, 434 Awalou, 152 AzaharYende, 451 B Ba, 58, 66, 75, 94, 113, 137, 154, 304, 415, 438, 439 Babou, 271, 425 Babouantou, 112 Bac, 232 Badiane Tbou, 79 Badié, 185, 415 Bafia, 26, 32, 45, 54, 60, 61, 62, 79, 80, 89, 139, 160, 174, 180, 254, 256, 265, 266, 273, 332, 451 Bafoussam, 230 Baguirmi, 51 Bah, 4, 13, 22, 26, 32, 63, 87, 88, 89, 90, 91, 129, 267, 426, 434, 444, 445 Bakaï Mamoudou, 176, 268 Bako Mendeng, 32 Bakoko, 173, 174, 261, 275, 451 Bala Mohamed, 140 Balandier, 68, 415 Bali, 18, 70, 97 Balle, 186, 416 Bamako, 65, 151, 154, 159, 276, 282, 434, 435, 456 Bamenda, 5, 80, 111, 133, 442 Bamiléké, 112, 140, 171 Bamillon, 301, 434 bamun, 5, 20, 54, 61, 63, 64, 65, 73, 83, 101, 104, 157, 163, 167, 173, 175, 176, 230, 243, 254, 266, 267, 268, 269, 277, 345, 454 Bamun, 20, 32, 61, 62, 79, 80, 92, 101, 112, 130, 141, 161, 163, 171, 174, 198, 254, 265, 266, 267, 273, 327 Bandjoun, 157 Baneka Garba, 79, 80 Bannock, 282, 416 Banyo, 45, 46, 89 Baoutchi, 54 baraka, 63 Bassa, 134, 163, 245, 262, 263, 456 Basséké, 74 Bastian, 185, 416 Batouté, 60 Bayart, 3, 26, 82, 83, 166, 214, 336, 344, 416, 426, 440 Beaud, 2, 16, 416 Bell, 14, 18, 70, 72, 73, 74, 76, 81, 96, 97, 98, 100, 102, 116, 148, 161, 173, 174, 175, 209, 210, 215, 222, 243, 249, 253, 259, 261, 262, 263, 268, 275, 280, 291, 294, 295, 300, 451 Bell Luc, 261 Bell Mahmoud, 173, 261, 262, 263, 275, 451 Benin, 48, 56, 57 Bennani-Chraibi, 416 Bénoué, 44, 45, 48, 50, 63, 88, 92, 430, 449 BEPC, 190, 191, 226, 231, 232 Berberati, 5 Bertoua, 5, 7, 58 Besançon, 30, 416 Beyries, 2, 8, 84, 102, 449, 450 Bibamba, 29, 173, 224, 226, 227, 230, 231, 232, 234, 236, 237, 293, 295, 319 Bibemi, 89 Bignoumbe-Bi-Moussavou, 416 Bilal Balery Sadjo, 226, 227, 451 Birgit, 273, 416 Biya, 111, 285, 286, 287, 292, 293, 294, 295, 302, 422 Blachère, 24, 455 Blancs, 69 Bonaberi, 32, 55, 79, 220, 258, 290, 454 Bonabéri, 32, 74, 79, 80, 81, 113, 130, 134, 161, 173, 175, 198, 224, 256, 268, 290, 320 Bonamoussadi, 32, 134, 161, 173, 174, 175, 197, 198, 209, 243, 244, 256, 257, 326, 451, 453, 454 Bonanjo, 98, 175, 320 Bonanloka, 29, 152, 163, 173, 220, 224, 226, 227, 230, 231, 232, 234, 236, 237, 293, 295, 319, 453, 454 Bonapriso, 175, 190, 193, 200, 208, 248, 451, 452, 453 Bonner, 5, 416 Bonyi, 133, 443 Bornou, 5, 44, 48, 54, 60, 430 Bornuan, 49 Bouar, 5 Bouba Abakoura, 173, 319, 451 461 Bourdieu, 38, 195, 301, 307, 416, 435 Brahim Sarr, 451 Braudel, 18, 416 Bredeloup, 136, 138, 426 Brenner, 53, 117, 141, 142, 151, 153, 159, 187, 307, 343, 417, 435 Breton, 47, 417 Buea, 10, 46, 67, 422 Burgat, 150, 417 Burkina Faso, 25, 142, 159, 180, 187, 196, 197, 431, 432, 437, 439, 442 Burnham, 4, 18, 417 C Cabdou, 155 Camair, 131, 132, 143, 144, 313, 320 Cameroon Tribune, 16, 27, 65, 112, 113, 119, 140, 199, 205, 215, 287, 290, 294, 324, 443, 446, 447 Cameroun, 3, 4, 5, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 18, 19, 20, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 32, 33, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 70, 72, 73, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 91, 92, 93, 94, 96, 97, 98, 99, 100, 101, 102, 103, 104, 110, 111, 113, 114, 115, 116, 118, 119, 120, 121, 122, 126, 128, 129, 131, 132, 133, 134, 135, 136, 137, 138, 139, 142, 143, 145, 146, 148, 149, 150, 151, 152, 154, 155, 157, 160, 161, 163, 165, 166, 167, 168, 169, 170, 172, 174, 175, 177, 178, 179, 180, 182, 183, 185, 187, 189, 191, 193, 194, 196, 198, 199, 200, 201, 202, 205, 209, 211, 212, 214, 215, 217, 218, 219, 222, 223, 224, 226, 227, 230, 232, 242, 244, 245, 246, 247, 248, 251, 252, 253, 254, 256, 257, 258, 259, 261, 262, 263, 265, 266, 267, 276, 277, 281, 282, 283, 284, 285, 286, 289, 291, 292, 294, 295, 297, 298, 301, 302, 303, 304, 305, 307, 308, 309, 312, 313, 315, 317, 318, 319, 323, 325, 326, 327, 329, 330, 331, 332, 333, 335, 338, 339, 340, 341, 415, 416, 417, 418, 419, 420, 421, 422, 424, 425, 426, 427, 428, 429, 430, 431, 432, 433, 434, 435, 436, 437, 438, 439, 440, 441, 442, 443, 444, 445, 446, 450, 455, 456, 457, 458 Camerounais, 15, 48, 63, 82, 120, 121, 131, 135, 147, 251, 278, 293, 302, 308, 433 Canel, 76, 140, 417 Cantone, 214, 252, 426, 435 CAP, 224, 230 Caplan, 159, 434 Cardaire, 2, 54, 59, 76, 91, 99, 103, 417 Carre, 148, 417 CEPE, 121, 126, 128, 130, 181, 230, 234 Cesari, 297, 426 CETIC, 230, 235 CFAO, 59 Chagnollaud, 334, 417 Chamboredon, 416 Champion, 186, 416 Charch al Othaymin, 191 Charnay, 25, 215, 417 Charre, 115, 417 Chaybannides, 249 Chérif Sidi Benamor, 89, 449 chiisme, 242, 246, 247, 248, 249, 251, 252, 254, 257, 258 chiisme duodécimain, 247 Ciffine, 246 Cissé, 25, 58, 75, 125, 129, 136, 137, 138, 143, 151, 154, 167, 180, 183, 304, 417, 442, 444 Cité des palmiers, 174 CNE, 30 CNPS, 232 CODESRIA, 13, 160, 165, 444, 445, 456 cola, 45, 56 Comaroff, 314, 426 communautés musulmanes, 9, 11, 12, 13, 14, 16, 18, 19, 21, 22, 23, 26, 27, 28, 31, 32, 40, 41, 42, 47, 48, 53, 56, 62, 63, 67, 70, 73, 77, 79, 80, 82, 83, 87, 89, 90, 93, 95, 99, 106, 108, 111, 112, 113, 142, 145, 146, 148, 149, 163, 165, 173, 174, 176, 177, 185, 186, 197, 198,跨199, 239, 245, 261, 264, 265, 269, 281, 283, 285, 290, 297, 299, 302, 311, 312, 326, 328, 333, 334, 338, 344, 345, 346, 436, 449 Congo, 59, 73, 80, 81, 88, 97, 100, 102, 103, 135, 136, 138, 141, 152, 154, 158, 160, 161, 163, 173, 174, 176, 220, 245, 268, 269, 284, 285, 290, 300, 302, 303, 304, 451, 452, 453, 454 Constantin, 3, 10, 299, 417, 438 Coquery-Vidrovitch, 15, 37, 58, 69, 75, 133, 137, 165, 302, 304, 417, 426, 436, 439, 455 Coran, 20, 86, 99, 101, 102, 103, 115, 121, 125, 126, 127, 128, 147, 153, 155, 156, 157, 165, 167, 183, 193, 197, 198, 214, 229, 231, 233, 237, 243, 244, 246, 251, 253, 262, 271, 275, 277, 330, 333, 336, 443 Cosmopolitisme, 281, 296, 297, 303, 430 Côte d’Ivoire, 65, 89, 136, 137, 142, 150, 159, 168, 174, 212, 213, 214, 215, 252, 314, 319, 421, 428, 429, 430, 434, 438, 440, 444 Coulon, 3, 9, 10, 20, 27, 39, 64, 109, 154, 214, 299, 322, 417, 426, 435, 438, 440 Crowley, 175, 426 Cruise O’ Brien, 427 Cruise O’Brien, 418, 435 Curt, 50, 417 Curtin, 72, 427 D d’Almeida-Topor, 314, 417 da’awa, 183, 192, 252 dahira, 66, 167, 271 Dahoméens, 48, 55, 62, 73, 75, 79 Daïra Touba’’, 452 Daouda Mohaman, 32, 118, 126, 151, 181, 451 DDC, 202 462 De Rosny, 10, 44, 185, 418, 427, 435, 455 Deido, 70, 81, 175, 191, 204, 206, 454 Dejeux, 267, 427 Demonbynes, 155, 418 Den Boer, 300, 427 Derrick, 15, 72, 75, 81, 96, 435 Diallo Bakai, 32, 112, 141, 269, 452 Diallo Bakai Mamoudou, 113 Dibang, 261 Dieu, 3, 16, 33, 62, 135, 146, 157, 166, 169, 185, 192, 200, 223, 245, 251, 253, 257, 265, 266, 267, 269, 278, 293, 294, 318, 329, 330, 331, 334, 335, 416, 428 Dikoume, 45, 51, 75, 427, 455 Diouf, 13, 306, 314, 427, 444 djihâd, 5, 16, 18, 20, 60, 338 Do’a, 253 Dominik, 50, 54, 430 Donckier de Donceel, 160, 427 Douada Kououtouo, 452 Douala, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 18, 19, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 34, 40, 41, 42, 43, 44, 46, 47, 48, 49, 50, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97, 98, 99, 100, 101, 102, 103, 104, 106, 108, 110, 111, 112, 113, 114, 115, 116, 118, 121, 122, 123, 125, 127, 128, 129, 130, 131, 132, 133, 134, 135, 136, 137, 138, 139, 140, 141, 142, 143, 145, 146, 147, 148, 149, 150, 151, 152, 153, 154, 155, 156, 157, 158, 159, 160, 161, 163, 165, 166, 167, 171, 172, 173, 174, 175, 176, 178, 179, 180, 181, 182, 183, 184, 185, 186, 187, 188, 189, 190, 191, 192, 193, 194, 195, 197, 198, 200, 201, 202, 204, 205, 206, 208, 209, 210, 211, 212, 213, 215, 216, 217, 219, 220, 221, 222, 224, 226, 227, 229, 230, 231, 232, 233, 237, 238, 239, 240, 241, 242, 243, 245, 246, 247, 248, 249, 251, 252, 253, 254, 256, 257, 258, 261, 262, 264, 265, 266, 267, 268, 269, 271, 273, 274, 275, 276, 277, 279, 280, 281, 282, 283, 284, 285, 286, 287, 289, 290, 291, 292, 293, 294, 295, 296, 297, 298, 299, 300, 301, 302, 303, 304, 305, 306, 307, 308, 310, 311, 312, 313, 314, 315, 316, 317, 319, 320, 321, 322, 323, 324, 325, 326, 327, 328, 329, 331, 332, 333, 335, 338, 339, 340, 341, 342, 345, 346, 418, 419, 421, 424, 425, 427, 428, 430, 431, 433, 435, 439, 442, 444, 445, 446, 448, 449, 450, 451, 452, 453, 454, 455, 456, 457, 458 Doubla Avaly, 199, 200, 217, 218, 219, 223, 233, 452 Dozon, 156, 436 Duala, 18, 52, 54, 56, 69, 71, 77, 78, 96, 112, 163, 175 Dumont, 148, 185, 417, 418 E Ebin, 271, 427 Ebolowa, 8 Eboussi Boulaga, 10, 26, 265, 284, 298, 418, 440 Edéa, 59, 67, 130, 131, 226 Egypte, 120, 129, 147, 149, 153, 154, 191, 192, 195, 196, 197, 229, 232, 277, 344, 429 Eickelman, 195, 418 Ekambi Dibongue, 165, 444 Ekindi, 112 El Qiblah, 28, 114, 116, 121, 163, 165, 179, 183, 205, 219, 238, 258, 274, 313, 315, 320, 335, 447 Ela, 76, 216, 418 Emboussi, 157, 258, 335, 443 Etats Soudano-sahéliens, 46 ethnicisation, 266, 269 Etienne, 150, 237, 255, 415, 418, 427 Européens, 14, 51, 52, 55, 69 Extrême-Nord, 5, 10, 45, 219, 267, 269 Eymery, 186, 416 Eyongetah Tambi, 46, 418 F fanatisme, 2, 151 femmes, 9, 56, 58, 73, 74, 75, 93, 98, 137, 138, 141, 146, 152, 156, 188, 203, 208, 211, 212, 213, 214, 219, 252, 253, 273, 276, 279, 304, 317, 318, 319, 320, 328, 330, 333, 427, 439 Ferraroti, 29, 418 Fez, 64, 65 Findley Sally, 137, 427 fiqh, 103 FMI, 179 Fogui, 175, 285, 418 Fon, 133 fondamentalisme, 146, 148 Fondation d’Aide Humanitaire Islamique, 206 Foning, 112 Fouchard, 70, 150, 153, 155, 418, 436 Fouda, 79, 80 Foulbé, 4, 64, 79, 98, 99, 158, 167, 327, 427 Foumban, 4, 9, 10, 12, 45, 58, 61, 65, 83, 89, 133, 157, 172, 191, 230, 258, 267, 332, 335, 422 France, 2, 3, 25, 26, 40, 48, 66, 68, 78, 83, 84, 87, 88, 89, 90, 91, 93, 94, 95, 104, 106, 179, 328, 338, 415, 422, 442, 445 Francophonie, 276, 456 Froelich, 2, 64, 102, 147, 153, 418, 427 Fru Awasom, 133, 436, 442 G Gaffey, 304, 418 Gale, 72, 427 Garba Aoudou, 113, 116, 117, 118, 120, 121, 128, 130, 136, 140, 180, 289, 290, 291, 452 Garba Oumarou, 118 Garoua, 4, 5, 7, 9, 45, 59, 60, 89, 113, 116, 121, 129, 138, 169, 226, 263, 308, 312, 332, 446 463 Garoua Boulay, 7 Gauderoy-Demombynes, 62, 418 Gauthier, 37, 314, 418, 438 Gaxie, 309, 418 Genest, 101, 114, 115, 121, 122, 129, 181, 432, 436 Géopolitique, 75, 455 Gervais-Lambony, 70, 418 Geschire, 418 Ghadeer Kum, 251 Ghana, 30, 48, 56, 136 Gobir, 20, 44 Goerg, 72, 96, 419, 436 Gôle, 278, 427 Golfe de Guinée, 50, 51, 57, 58, 59, 61, 440 Gomez-Perez, 9, 25, 28, 34, 83, 116, 129, 150, 152, 153, 154, 159, 174, 180, 187, 188, 200, 212, 214, 215, 252, 259, 282, 314, 325, 419, 427, 428, 429, 434, 435, 436, 437, 438, 440, 442 Gondolo, 70, 419 Goni Waday, 63, 430 Gonidec, 177, 341, 419, 437 Gouellain, 7, 14, 72, 80, 419 Goungui, 50, 61, 443 Gourbe Ali, 452 Gouvernement, 85 Grabar Oleg, 160, 419 Grandhomme, 25, 84, 442 Gravel, 2, 419 Grecs, 49 Grégoire, 140, 419 Gubry, 179, 419 Guillaume, 314, 418 Guinéens, 48, 55, 73, 75, 182 H Hadith, 103, 191, 229 Haenni, 277, 419 Haeringer, 96, 428 Hafiz, 103 hajj, 22, 23, 29, 41, 106, 108, 131, 144, 315, 316, 317, 321 Hajj, 27, 63, 65, 83, 85, 91, 93, 110, 130, 132, 140, 141, 143, 154, 251, 282, 312, 313, 314, 315, 316, 317, 318, 320, 321, 333, 438, 453 Halal-Haram, 193 Halima, 252, 452 Hamadou Adama, 194, 263, 419, 428, 437, 442, 456 Hanson, 3, 419 Haoussa, 20, 25, 32, 44, 46, 47, 48, 49, 50, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 60, 62, 67, 73, 79, 98, 99, 100, 101, 112, 114, 135, 137, 140, 141, 146, 153, 167, 171, 173, 174, 183, 262, 265, 266, 287, 300, 302, 422, 442, 443, 452 Hassan Afolabi, 100, 104 Hassan Moustapha, 66, 452 Hassan Nsangou, 193, 194, 245, 247, 248, 251, 252, 253, 254, 321, 452 Hatcheu Tchawe, 142, 419 Haut - Nkam, 112 Haute-Volta, 70, 159, 418, 431, 434, 435 Hawa Safia, 208 Hégire, 246 Hillenbrand, 160, 249, 419 Hino, 70, 420 Holtedahl, 166, 437 Holtedhal, 420 Home, 70, 420 homogénéisation, 116, 151, 320, 321, 341, 342 hôtel Sawa, 205 Housseini, 55, 190, 194, 287, 321, 452 Hrbek, 48, 51, 52, 437 Husayn, 252 Hussein, 193, 245, 253, 323, 324 I Ibn Addel Wahhab, 147 Ibrahim, 29, 62, 104, 118, 160, 166, 191, 199, 200, 221, 224, 227, 229, 230, 231, 232, 234, 236, 237, 254, 263, 321, 326, 327, 331, 437, 454 Ibrahim Tchindé, 224, 229 IbrahimTchindé, 452 Iliassou, 54 Inde, 249, 255 Innua Wirba, 118 Isah, 65, 443 ISH, 30 Islam, 3, 9, 11, 13, 16, 25, 28, 32, 44, 52, 61, 65, 84, 85, 88, 101, 109, 113, 131, 133, 134, 139, 148, 149, 150, 152, 153, 154, 157, 159, 180, 187, 193, 201, 209, 212, 216, 245, 251, 253, 256, 258, 267, 268, 269, 273, 276, 277, 315, 319, 325, 335, 420, 421, 423, 424, 425, 426, 427, 428, 429, 430, 432, 434, 437, 440, 441, 442, 443, 446, 448, 450, 456 islamisation, 4, 12, 21, 43, 48, 62, 134, 135, 150, 159, 187, 265, 266, 271, 316, 421, 432 Ittiha, 161 Ittihad, 161 Iya, 101, 103, 115, 118, 150, 160, 169, 327, 443, 446 J Jakiri, 133 Jama’at at-tabligh, 256 Jéhovah, 255 Jewsiewicki, 29, 31, 117, 153, 420, 421, 436 Jillali El Adnami, 64, 420 Jillali El Adnani, 316, 428 John Holt Compagny, 59 Jos, 96, 98, 154, 445 Joss, 69, 70, 74 464 K Kaba, 3, 147, 153, 154, 420, 428 Kandahla, 255 Kane, 109, 148, 149, 153, 154, 159, 212, 420, 437, 438, 440 Kano, 44, 64, 65, 100, 101, 106, 159, 281 Kanuri, 48, 49, 60, 100 Kaolack, 65, 66 Kassalafam, 163 Katsina, 44 Kavira, 304, 457 KDD, 161, 165, 253, 256 Kenzie, 24, 420 Kerbala, 253 Khafa, 452 Khartoum, 247 Khawarej, 246 Khums, 194, 254 Kings, 81 Kitab Tawhid, 191 Kolle, 165, 444 Koloko, 112 Koné-Dao, 159, 437 Konings, 52, 307, 418 Kotoko, 48, 49, 60, 62, 100 Kotto, 175 Kouokam Magne, 203, 444 Kouotouo Atam, 118 Kum’a Ndumbé, 14, 420 Kumbo, 44, 133 L l’école malikite, 155 L’effort camerounais, 179, 447 l’enseignement islamique, 118 La Nouvelle Expression, 27, 199, 251, 258, 259, 268, 318, 447 Labazée, 140, 419 Lac Tchad, 5, 23, 44, 50, 83, 276, 432, 440, 456 Lacoste, 38, 39, 147, 428, 455 Lacoste-Dujardin, 38, 39, 428 Lacouture, 39, 437 Lacroix, 2, 4, 102 Laghouat, 64, 88 Lagos, 57, 58, 64, 74, 104, 161, 163 Laitin, 57, 437 lamibe, 83 Lamido Hayatou, 226 Lanctôt, 329, 457 Langewiesche, 25, 442 Laperrière, 37, 438 Lasseur, 16, 256, 335, 428 Le Goff, 19, 20, 34, 39, 420, 437, 440 Le Messager, 19, 27, 112, 116, 193, 209, 246, 248, 252, 253, 254, 259, 262, 277, 286, 291, 295, 301, 312, 313, 314, 324, 325, 326, 329, 330, 335, 447, 448 Le Monde, 161, 184, 247, 280, 324, 447, 457 LeBlanc, 25, 188, 214, 215, 252, 319, 325, 428, 429, 438 Leca, 311, 429 Lehmici, 277, 429 Lemarchand, 304, 429 Levtizion, 3, 420 Libye, 120, 195, 197, 335 Littoral, 9, 11, 13, 67, 90, 100, 116, 118, 130, 138, 142, 179, 204, 209, 219, 220, 248, 263, 269, 286, 290, 293, 297, 327, 445, 452 Lomeier, 154, 159, 421, 429 Lomo Myazhiom, 4, 87, 429 Lotfi, 329, 457 Lovejoy, 45, 421 Ludtke, 38, 421 M Mabanda, 32, 173, 174, 209, 220, 258, 295 Machia Anong, 61 MAETUR, 163, 450 Magassouba, 159, 421 Maghreb, 5, 12, 62, 91, 155 MAGZI, 163, 450 Mahama, 54 Mahamat Al Bachir, 197, 200, 452 Mahomet, 33, 90, 240, 247, 251, 255, 328, 329, 330, 333, 455 Mahood, 188, 421 Maïbornou, 79 Maidougouri, 44, 65, 159 Mainet, 15, 16, 18, 23, 73, 96, 138, 421, 429, 438, 446 Makea, 32, 58, 59, 73, 135, 161, 173, 174, 191, 221, 279, 300 Makepe, 175 Mala Mboumbouo, 231 Malam, 63, 64, 79, 80, 102, 103, 115, 118, 119, 123, 125, 126, 127, 151, 152, 153, 155, 156, 157, 160, 230, 231, 242, 453, 454 Malam Awalou, 152, 453 Malam Faroukou, 115, 119, 123, 125, 126, 127, 453 Malam Koni, 102, 103, 453 Malam Ouba, 153, 155, 156, 157, 242, 453 Mali, 65, 117, 138, 142, 151, 159, 180, 187, 277, 304, 432, 435 Malick Sy, 65 Maliens, 48, 55, 58, 62, 63, 73, 137, 138, 153, 167, 182, 265, 267, 271, 273 Maliki, 453 Mamnan-na-Dumiki, 54 Mandara, 60 Manjo, 59, 75 Mansour Fahmy, 214, 421 Maouloud, 156, 208 Mappa, 68, 77, 421 465 Marchand, 115, 421, 450 marchandisation, 41, 195, 241, 273 Mariam, 252, 453 Maroc, 64, 65, 93, 155, 197, 335 Maroua, 4, 5, 9, 45, 59, 60, 89, 92, 121, 138, 177, 332, 433, 437 Marrou, 23, 24, 438 Marseille, 25, 72, 297, 424, 426, 442 Matt Childs, 424 Maud, 135, 157, 166, 169, 185, 257, 265, 267 Mayer, 311, 421 Mazrui, 38, 434 Mballa Owono, 115, 421 Mbalmayo, 7 Mbam, 5, 11, 16, 18, 25, 44, 45, 46, 50, 52, 58, 60, 61, 62, 67, 78, 163, 180, 212, 253, 256, 338, 442 Mbanda, 261 Mbandjock, 75 Mbanga, 59 Mbé, 89 Mbembe, 15, 83, 86, 134, 297, 416, 421, 436, 446 Mbonda, 285, 429 Mboumbouo Soulé, 231, 453 Mecque, 33, 51, 80, 85, 86, 90, 92, 93, 94, 99, 100, 106, 131, 132, 141, 153, 160, 251, 253, 271, 278, 313, 315, 317, 318, 319, 321, 333, 433, 448, 449 Médard, 10, 83, 116, 289, 298, 309, 310, 429, 438 Médine, 121, 128, 155, 158, 190, 191, 197, 200, 230, 253 Mefouna, 301, 443 Meiganga, 89 Mengueme, 443 Mercier Tremblay, 101, 114, 423 Messi, 298, 444 Meunier, 48, 421 Mijang Ndikum, 11, 443 Miran, 150, 159, 212, 213, 421, 430, 444 Moctar Aboubakar, 32, 131 Moctar Abubakar, 86, 259 Mohamadou Bayero Fadil, 140, 141, 308 Mohamadou III, 193, 247, 248, 321, 453 Mohammadou, 4, 54, 63, 158, 173, 209, 294, 303, 430, 453 Mohammed, 88, 91, 243, 244, 255, 315, 453 Mokolo, 89 Moluh, 112, 175, 281, 296, 297, 303, 430, 442 Moluh Idriss, 113 Momo, 77, 79, 171, 341, 430 mondialisation, 41, 157, 179, 185, 258, 267, 321, 322, 333, 335, 430, 445 Moniot, 28, 430 Monteil, 2, 421 Moqadem, 89, 90, 91 Moreau, 3, 343, 421 mosquées, 5, 9, 32, 133, 145, 148, 152, 154, 155, 157, 158, 159, 160, 161, 163, 165, 166, 167, 169, 170, 174, 175, 183, 184, 188, 195, 212, 213, 214, 215, 241, 242, 243, 244, 252, 255, 256, 257, 258, 259, 263, 265, 266, 268, 269, 271, 273, 275, 277, 278, 280, 293,跨304, 332, 333, 435, 436 Moss, 31, 421 Mossi Gomtse, 61 Mouiche, 157, 258, 267, 284, 289, 335, 421, 430 Moukara, 200, 229, 231, 453 Moukoko Mbondjo, 282, 438 Moukouri, 298, 444 Moulay Ismail Aidara, 87, 88, 89, 90 mourides, 66, 94, 156, 167, 271, 426, 427, 430 Mouridiya, 66 Moussa, 25, 44, 104, 113, 114, 118, 136, 160, 183, 217, 218, 245, 251, 256, 257, 279, 312, 313, 325, 442, 453, 456 Mova Bouba, 79 Moyen Orient, 12, 63, 190, 191, 194 Muâwiyya, 246 Mudimbe, 31, 116, 153, 421, 436 Muhammad, 147, 154, 196, 430, 451 Mulago, 66, 94, 430 multipartisme, 111, 186, 282, 287, 289, 298, 305, 307, 309, 310, 422, 430, 431, 438 muqadam, 64 Musée sans Frontières, 160, 422 Mustapha Germinli, 199 Mutations, 27, 62, 217, 218, 278, 303, 327, 448 Mveng, 14, 26, 99, 202, 262, 422, 430 N Native Authority, 106 Ndam Njoya, 61, 83, 150, 262, 422 Ndi Barga, 282, 422 Ndobo, 32, 258 Ndogpassi, 32 Ndossi Gabriel, 453 Nester, 66, 94, 425 New-Akwa, 70 New-Bell, 7, 18, 27, 32, 55, 61, 64, 65, 68, 69, 70, 72, 73, 74, 76, 79, 80, 81, 82, 86, 95, 96, 97, 98, 99, 102, 103, 106, 114, 115, 116, 119, 120, 121, 128, 130, 131, 134, 141, 148, 151, 152, 154, 157, 158, 160, 161, 165, 167, 173, 174, 175, 176, 180, 183, 191, 198, 208, 209, 210, 220, 221, 222, 224, 238, 242, 243, 244, 245, 247, 248, 249, 252, 253, 254, 256, 266, 268, 269, 279, 280, 286, 287, 289, 290, 292, 293, 294, 295, 300, 315, 318, 326, 338, 429, 446, 451, 452, 453, 454 New-Deido, 70 New-Town, 32, 173, 174, 176, 191, 206, 221, 224, 226, 227, 229, 232, 233, 235, 237, 251, 319, 451, 452 Nforgang, 196, 198, 457 Ngaoundéré, 4, 5, 7, 9, 25, 26, 45, 58, 59, 60, 63, 64, 65, 84, 87, 88, 89, 91, 92, 99, 101, 111, 113, 121, 129, 138, 166, 169, 172, 178, 194, 211, 332, 426, 428, 434, 437, 439, 440, 442, 446 NGaoundéré, 252, 276, 431, 456 466 Ngati, 293 Ngayap, 285, 422 Ngodi, 70, 173, 174, 261, 275, 451 Ngoh, 14, 26, 422 Ngongo, 26, 115, 422 Ngossie, 244 Ngosso Din, 18 Ngoupande, 245, 246, 422 Ngueken Dongo, 283, 430 Nicolas, 3, 48, 49, 422 Nieves San, 243, 458 Nifuler Golfe, 214, 422 Niger, 48, 49, 50, 57, 150, 187, 432 Nigeria, 20, 44, 45, 47, 48, 49, 50, 51, 53, 54, 56, 57, 65, 100, 101, 106, 109, 133, 136, 141, 151, 154, 155, 159, 182, 187, 229, 262, 273, 289, 302, 331, 335, 340, 420, 421, 426, 430, 433, 435, 437, 444 Nigériens, 48, 55, 62, 137, 182, 265, 267, 273 Njeuma, 4, 15, 20, 63, 72, 431, 435, 439, 444, 458 Nji Mefire Njoya, 61, 454 Njiale, 179, 444 Njiasse Njoya, 4, 7, 8, 25, 44, 61, 63, 64, 65, 83, 131, 139, 151, 265, 266, 422, 439, 442, 453 Njo Njo, 248 Njoya, 8, 60, 61, 62, 65, 79, 80, 83, 133, 152, 161, 173, 191, 194, 199, 204, 252, 254, 278, 313, 321, 326, 331, 422, 431, 445, 454 Njoya Ibrahim Moubarak, 326, 454 Njoya Moubarak, 60, 62, 133, 191, 194, 199, 204, 278, 321, 331, 445 Nkainfon Pefura, 282, 422 Nkene, 57, 135, 140, 178, 182, 285, 301, 305, 306, 431 Nkompa, 32, 174 Nkongsamba, 59, 75, 89, 90, 118, 130, 131, 139, 211, 256 Nkwi Nchofi, 175, 422 Noirs, 69, 72 Nong, 134, 454 Nong Ousmane, 134, 454 Nord-Cameroun, 4, 8, 12, 44, 49, 84, 89, 101, 134, 142, 172 Noun, 5, 16, 61, 62, 65, 157, 254, 262, 263, 326, 335 Nsame Mbongo, 69, 165, 439 Nso, 11, 133, 443 Nyansako-Ninku, 10, 422 Nylon, 202, 203 Nyom, 179, 422 Nzesse, 307, 439 O OESPI, 217, 218, 219, 221, 233, 452 Ogunsola Igue, 56, 422 Oleukpana Yinnon, 55, 305, 431 Omar, 88, 91, 160, 246 Onana, 112 ONEPI, 217, 218, 219 ONU, 8, 328, 329, 450 Orient, 62, 195, 245 Otayek, 3, 120, 147, 153, 154, 155, 159, 187, 196, 201, 273, 275, 334, 336, 345, 422, 423, 424, 431, 435, 436, 437, 439, 440 Ouadaï, 51 Ouagadougou, 70, 159, 418, 434, 435, 436 Oubangui, 45, 54 Ouléma, 63 Oulémas, 168 Oumar, 58, 61, 64, 65, 75, 130, 131, 137, 167, 198, 243, 256, 257, 259, 304, 315, 439, 453 Oumarou Malam Yasser, 151, 454 Oumma, 23, 143, 186, 199, 282, 322, 332, 333, 334 Ousman Dan Fodio, 20, 60, 64, 154, 338 Ousseini Adamou Labo, 130, 452 Ouzbékistan, 249 Owona Nguini, 111, 291, 303, 305, 445 Oyono, 282, 431 P Pakistan, 249, 256, 258, 262 panarabisme, 84 panislamisme, 2, 84, 85, 87 Papillon-Dauveau, 179, 431 Paraiso Joseph, 79 Paraïso Younouss, 173 PAS, 179 Passarge, 54, 430 Passeron, 38, 416 Paupérisation, 202, 430 Penja, 59, 75 Perrineau, 311, 421 Perrot, 172, 175, 177, 284, 285, 423, 440 Petit, 136, 168, 423 Petou, 134, 454 Petou Mama, 134, 454 Peul, 4, 20, 32, 48, 50, 56, 60, 62, 98, 101, 104, 112, 140, 141, 142, 171, 174, 252, 263, 265, 266, 269, 273, 308, 431, 434 Pezzano, 303, 439 Philips, 31, 423 PIAH, 28, 139, 140, 190, 191, 204, 205, 206, 208, 251, 274, 326, 332, 345, 446, 454 Pidgin English, 101 Piga, 16, 213, 423, 439 Pinto, 36, 38, 440 Piscatori, 195, 418 PK 14, 32, 251 Poewe, 186, 423 Poinsot, 69, 423 Poirier, 29, 39, 40, 423 Poissonnier, 248, 458 Première Guerre mondiale, 55 Probatoire, 232 Proche-Orient, 88 467 Q Qadiriya, 63, 89, 146 Qiblah, 161, 180, 183, 313 R radicalisme, 3, 120, 147, 153, 154, 159, 187, 196, 345, 423, 435, 439, 440 Ramonet, 147, 149, 431 Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais, 111, 177 Rathbone, 70, 415 Ratib Ouba, 454 Ray Bouba, 172, 178, 440 Razzack, 244, 454 RDPC, 111, 112, 177, 210, 283, 284, 286, 287, 290, 292, 294, 295, 296, 303, 304, 306, 308, 310, 311, 456 réformisme, 146, 148, 151, 154, 155, 159, 429, 431, 437 Relouanou Charaboutou, 294, 296, 456 Renouveau, 64, 293 République Centrafricaine, 5 Rey Bouba, 89 Richard, 243, 246, 423, 431 Riya Salihin, 191 Robinson, 3, 62, 64, 84, 85, 154, 159, 423, 425, 437, 438 Rosny, 158, 163, 185, 201, 251 Roupsard, 50, 51, 57, 58, 59, 440 Rousselet, 186, 416 Roy, 148, 150, 264, 275, 322, 332, 333, 423, 432 Rudin, 46, 423 Rudolph Tokoto, 114 S Sahara, 2, 3, 5, 7, 9, 16, 25, 44, 48, 49, 52, 64, 83, 84, 101, 109, 113, 120, 147, 148, 149, 150, 151, 152, 153, 154, 159, 174, 175, 180, 187, 196, 212, 213, 214, 215, 252, 259, 266, 282, 314, 335, 345, 419, 420, 422, 423, 426, 427, 428, 429, 430, 432, 434, 435, 437, 438, 439, 440, 441 Saibou Abdou, 454 Saïd Abdou, 165 Salam, 161 Samaran, 24, 29, 31, 423, 438 Samba Mallong, 137 Sangmélima, 7 Sangou Njoya, 456 Sani Mama, 279, 454 Santerre, 101, 102, 114, 115, 121, 122, 126, 129, 181, 423, 424, 432, 436 Savadogo, 174, 215, 325, 428, 440 Schemeil, 311, 429 Schulze, 147, 277, 432, 440 Schumpeter, 300, 424 SCOA, 59 scolarisation, 110, 111, 113, 114, 115, 129, 179, 216, 222, 239, 240, 254, 421 SCS, 111 SDF, 286, 296, 303, 304, 306 Seconde Guerre mondiale, 74, 85 Seidou Njimoluh, 65 sel, 45, 51, 56, 308 SENECA, 115, 424 Sénégalais, 32, 48, 55, 58, 62, 63, 66, 73, 75, 79, 138, 153, 156, 182, 265, 267, 271, 273, 304 Séraphin, 10, 15, 76, 284, 299, 424, 435, 438 Serefoglu Kulliyyah, 206 Shih al adkar, 191 Shilder, 4, 134, 424, 432 SHO, 59 Shouibou Oumara, 454 Si Tayeb Ben Ali, 88 Siderou, 155 Sidi Benamor, 26, 64, 67, 87, 88, 89, 90 Sierra Leone, 89 Sindjoun, 185, 305, 424, 432 Smouts, 185, 415 Soares, 153, 159, 187, 201, 273, 424, 437, 441 Sokoto, 20, 64, 100 Soppo Priso, 81 Soubeiga, 197, 432 Soudan, 46, 64, 195, 197, 247, 335 Souley Niandou, 150, 432 Soulillou, 72, 424 Sourdel, 148, 455 Stierlin, 160, 249, 424 STPC, 111 Subbanu al-muslimin, 154 Sud Cameroun, 48, 55, 86, 113, 133 Sultan, 61, 64, 65, 83, 254 Sunna’’, 147, 152 sunnisme, 153, 154, 247, 252, 259 Sunnite, 214, 252, 254, 434 sunnites, 147, 154, 158, 161, 167, 183, 241, 247, 253, 264 Syrie, 165, 192, 198, 246, 329 T Tabaski, 254, 259 Tabligh, 242, 245, 254, 255, 256, 257, 258, 264, 341, 415 tafsir, 103 Taguem Fah, 4, 7, 8, 9, 23, 25, 26, 63, 84, 86, 87, 92, 94, 113, 119, 120, 133, 134, 135, 145, 149, 152, 155, 161, 168, 169, 172, 178, 214, 259, 432, 434, 437, 440, 443 Takou, 245, 265, 440, 441, 445 Tall Madina, 64, 424 Tanko Amadou, 32, 55, 112, 113, 130, 136, 140, 141, 173, 258, 268, 286, 289, 290, 295, 320, 454 468 Tanko Hassan, 111, 112, 136, 140, 303 Tardits, 61, 83, 267, 424, 433 Tardzenyuy Jumbam, 133, 443 tariqa, 62, 65 Tarrius, 307, 424 Tawhid, 192 Tchadiens, 62, 73, 182 Tchéboa, 89 Tchounkoué, 178, 445 Tchumtchoua, 82, 424 Téhéran, 247 Temgoua, 4, 18, 48, 50, 51, 53, 55, 72, 83, 433, 440 Thys, 433 Tibati, 45 Tidjanistes, 155, 156, 157, 170, 242, 279 Tidjanniya, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 146, 249 Tikar, 60 Titi Nwel, 10, 298, 445 Tivaouane, 65, 66 Tobbo Eyoum, 292 Togo, 48, 56, 89, 142, 415 Togolais, 48, 55, 62, 73 Touba, 65, 66, 452 Touka, 161 Touna Mama, 179, 424 Tover, 15, 424 Toyin Falola, 57, 424 Traoré, 3, 84, 85, 88, 136, 154, 183, 263, 425 Triaud, 2, 3, 28, 62, 64, 84, 85, 109, 147, 148, 149, 153, 154, 159, 212, 420, 423, 425, 433, 437, 438, 440, 445 tribalisme, 46, 268, 273, 434 Trimingham, 3, 425 Tripoli, 44 Tsinga, 169, 197, 265 U UDC, 286 UNC, 22, 111, 112, 113, 136, 177, 283, 284, 289, 290, 437 Uthman Dan Fodio, 20, 431 W wahhabisme, 146, 150, 153, 159, 252, 430 Wahhabites, 152, 154, 155, 156, 157, 170, 241, 242, 264 wahhabiya, 147, 154, 155 Warnier, 52, 425 Weiss, 182, 302, 304, 425, 433, 441 Welch, 30, 433 Westerland, 3, 149, 425 Wird, 156 Withol, 185, 306, 415, 425, 433 Wouri, 29, 47, 56, 60, 69, 70, 71, 74, 79, 80, 82, 92, 97, 98, 111, 139, 155, 173, 201, 290, 292, 294, 296, 449, 450 Y Yabassi, 59, 67 Yacoubo Abdounal, 79 Yadouko Aissatou, 454 Yahouba, 190, 454 Yakini Awaïso, 104 Yaoundé, 2, 5, 8, 11, 14, 15, 25, 26, 29, 32, 44, 45, 53, 56, 58, 61, 63, 64, 73, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 84, 86, 87, 88, 97, 99, 101, 112, 113, 114, 115, 118, 126, 129, 133, 134, 137, 139, 141, 142, 146, 151, 157, 160, 169, 172, 175, 179, 180, 181, 183, 197, 203, 205, 212, 218, 223, 245, 249, 256, 258, 262, 263, 265, 283, 294, 297, 298, 307, 308, 335, 415, 417, 420, 421, 422, 424, 425, 427, 429, 433, 435, 439, 440, 441, 442, 443, 444, 446, 448, 451, 452, 453, 456 Yaya Aissatou, 454 Yaya Sandou, 251, 321, 454 Yoko, 5, 45, 61 Yola, 44, 45, 49, 61, 100 Yoruba, 32, 56, 57, 58, 60, 62, 73, 79, 98, 99, 101, 104, 135, 271, 422, 424, 433, 454 Younouss Paraiso, 32, 80, 81, 454 Youssouf Paraiso, 80, 81, 82, 88, 93, 94, 98, 99, 100, 104, 106, 107, 174, 338 V Van Duc, 433 Vansina, 31, 425 Victoria, 67, 99 VIH/Sida, 205 Vouté, 60, 61, 62 Vovelle, 19, 440 Z zakât, 215, 259 Zaria, 44, 101, 281 zawiya, 65 Zeinabou, 243, 244, 454 ziara, 63 Ziegler, 43, 425 Zra Doua, 140