Le sport, ma nostalgie

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Le sport, ma nostalgie
REGARD D ARTISTE
Propos recueillis par Emmanuelle JAPPERT
Grand Corps Malade
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Il est grand et ne lâche jamais sa béquille, il a une voix chaude et grave qui sort de l ordinaire, comme son
parcours. Artiste intergénérationnel, Fabien Marsaud alias Grand Corps Malade a mis en lumière sa poésie
à travers le slam et n a pas son pareil pour clamer des mots incisifs sur la nostalgie, la banlieue d où il est
issu ou le sport, l un de ses sujets favoris. Justement le sport, sa passion, il a été contraint d y renoncer vers
l âge de vingt ans, alors qu il se destinait à une carrière de professeur d éducation physique. A 20 ans, après
une mauvaise chute dans une piscine, le handicap s invite sur sa route. Il en a fait le sujet d un livre en prose,
Patients, sorti en 2012. Après avoir travaillé quelques temps dans le service marketing du Stade de France,
il ne résiste pas à l appel de la poésie, qui l a révélé au grand public. Morceaux choisis.
« Dans mon métier d artiste, j ai l occasion
de rencontrer beaucoup de gens du monde du cinéma,
de l art... Ce sont les sportifs qui me fascinent le plus »
: Le Vendée Globe s’est terminé il y a quelques
semaines. L’avez-vous suivi et êtes-vous un spectateur du sport ?
GCM : J’ai suivi le Vendée Globe de loin, parce que
je ne suis pas du tout un spécialiste de la voile. Mais
à chaque fois que j’ai regardé où en était la course,
je suis resté admiratif face à une épreuve passionnante et haletante menée par des skippers seuls
sur leur bateau pendant des semaines entières.
: Quel regard portez-vous sur le monde du
sport, sur sa portée médiatique, son pouvoir en
général, sur les valeurs qu’il véhicule ?
GCM : Dans tous les grands phénomènes de
société, il y a l’argent. Je pense principalement
à ces milliers de gens qui font des paris sportifs,
aux droits télévisés, etc. On espère bien sûr que
«
N
ostalgique de cette
adolescence,Desannées
consacrées au sport.
Nostalgique de cette ambiance,
plus on est fou plus on est fort.
Avec mon équipe de basket,
on allait monter en Nationale,
et on a perdu le titre lors d'une
énième bagarre générale.
Jordan était notre idole,
notre modèle, notre moteur.
Et on travaillait notre détente pour
défier les lois de la pesanteur
C'est génial ces petits détails
auxquels j'repense avec envie,
Ces p'tits bouts d'innocence qui
m'sourient dans l'rétroviseur de la vie.
C'est vrai qu'j’étais sportif, et plein

REVUE

●
cela n’interfère pas trop avec la pratique sportive
mais on sait que parfois, inconsciemment, les
enjeux économiques prennent le pas sur le sport
en lui-même. Pourtant je reste un vrai passionné
de sport. Je suis toujours impressionné par les
sportifs de haut niveau, quelque soit la discipline. Dans mon métier d’artiste, j’ai l’occasion
de rencontrer beaucoup de gens du monde du
cinéma, de l’art, pour caricaturer je crois que j’ai
croisé les plus grands, mais ce sont les sportifs
qui me fascinent le plus. Face à eux je suis
comme un enfant les yeux écarquillés devant
leurs exploits. J’admire leur talent inné, mais
aussi la somme colossale de travail et de sacrifices que cela nécessite pour arriver à être les
meilleurs dans une discipline. Je trouve ça
incroyable.
: Pourquoi avoir écrit votre premier livre,
Patients, paru aux éditions Don Quichotte,
aujourd’hui ? Y a-t-il eu un besoin particulier à un
moment précis ou un élément déclencheur ?
GCM : J’ai toujours su que j’écrirais ce livre.
Mais il a fallu le temps que je m’y mette,
peut-être qu’il m’a fallu toutes ces années
pour aborder le thème sereinement, en plus
je n’avais pas envie d’être catalogué comme
artiste handicapé ou un artiste qui parle de
handicap. Je ne voulais pas d’étiquette, celle
que l’on met sur les gens si facilement. Je
désirais plutôt que les gens entendent autre
chose de moi. Après avoir sorti trois albums
et fait trois longues tournées, je peux parler
de mon histoire avec recul.
d'fois j'ai prouvé ma valeur car j’me
suis fait jamais serré quand j’me
faisais courser par les contrôleurs.
Cette époque j'passais la moitié
d'ma vie dans les transports et les
jours de grève, croyez moi ça aussi
c'était du sport.
J'étais pas trop bagarreur, sauf
quand j'savais qu'j’allais gagner.
Contre un ptit vieux, ou une ptite
sœur ; peu de chance de m'faire
aligner. »
Extrait de l’album Enfant de la
ville ()
« L
e temps s'est accéléré
d'un coup et c'est tout
mon futur qui bascule,
LE SPORT EN ENTREPRISE
Les envies, les projets, les
souvenirs, dans ma tête y'a trop de
pensées qui se bousculent,
Le choc n'a duré qu'une seconde
mais ses ondes ne laissent
personne indifférent,
«Votre fils ne marchera plus», voilà
ce qu'ils ont dit à mes parents.
Alors j'ai découvert de l'intérieur un
monde parallèle,
Un monde où les gens te regardent
avec gêne ou avec compassion,
Un monde où être autonome
devient un objectif irréel,
Un monde qui existait sans que j'y
fasse vraiment attention. »
Extrait du livre Patients,
sorti en octobre 
© SOPHIE DARET
: Depuis tout petit, vous avez mis le sport au
centre de votre vie. Qu’est ce qui vous attire
particulièrement dans sa pratique ?
GCM: C’est un ensemble de choses. Il y a le côté
bien-être qui est fondamental à mes yeux, pour
être bien dans son corps, mais aussi l’aspect
ludique qui est intéressant. Quand on est stressé
mentalement, c’est le meilleur moyen pour s’apaiser. A l’époque, avant mes vingt ans, j’avais un
véritable goût pour la compétition. J’ai fait beaucoup d’athlétisme, de basket aussi. J’y retrouvais
mes amis. Aujourd’hui, je fais un peu de cardio et
de vélo d’appartement pour garder la forme mais
je ne peux aller au-delà. Et sans le côté ludique,
j’avoue que j’ai un peu de mal à faire vraiment du
sport.
: Quels sont les thèmes qui vous sont les plus
chers et que vous voudriez aborder à travers
votre art ?
GCM : Je n’ai pas de thème cher. Tous les thèmes
que l’on rencontre au quotidien sont des
sources d’inspiration pour un artiste. Mais c’est
vrai que je suis un jeune papa, donc évidemment le thème de l’enfance m’attire beaucoup.
Et comme tous ceux qui écrivent, j’aimerais
parler du temps qui passe, des faits de société,
de partage, d’ouverture à l’autre, de solidarité
et de tolérance, de la nostalgie aussi.
: Vous nous avez confiés avoir écrit un texte
dernièrement sur la notion d’équilibre, qui paraîtra dans votre prochain album. De quel équilibre
parlez-vous ?
GCM : Il y est question de diverses dimensions de
l’équilibre. Parler d’équilibre quand on marche avec
une béquille, c’est un clin d’œil. Je parle aussi du fait
que je faisais beaucoup de sport et que je suis
tombé dans un monde très différent où j’en suis
ressorti avec un handicap. Il fallait que je retrouve
une passion pour retrouver un équilibre. J’avais une
vie tranquille dans la banlieue parisienne et j’ai cette
carrière qui a démarré avec des tournées dans le
monde, les plateaux de télévision et cette exposition
médiatique à laquelle je n’étais pas préparé. Cela
peut donner le vertige et on peut là encore y perdre
son équilibre. Tout se rapporte au fond à une notion
d’équilibre. On marche toujours sur un fil.
© MAURICE FILLONNEAU
I have the
chance to meet
any number of
people from the
world of cinema
and art...
Sports
personalities
fascinate
me the most
He is tall and never lets go of his crutches; his deep, warm voice is as unusual as his career. An
artist who appeals to every generation, Fabien Marsaud aka Grand Corps Malade used slam
events to bring his poetry into the limelight and is unequalled in finding the right words to
encapsulate nostalgia, the suburbs he comes from, and sport, one of his favourite subjects. He is
in fact passionate about sport, but had to give it up when he was about twenty and destined for
a career as a PE teacher. When he was 20 he had a bad fall in a swimming pool which left him
disabled. He has already written a book about it, Patients, which came out in 2012. After spending
some time working in the marketing department at the Stade de France, he succumbed to the
call of poetry, through which he has gained fame with the general public. Here are a few extracts.
: Since you were very young,
sport has been central to your
life. What attracts you particularly to doing sport?
GCM: A mixture of things. There’s
the health and well-being aspect,
which in my opinion is fundamental, to feel good about your
body, and also the fun aspect
which is interesting. When you
are stressed mentally, it’s the best
way to find tranquillity. At that
time, before I was twenty, I loved
competition. I did a lot of athletics and basketball. That’s where I
found my friends. Nowadays I do
a bit of cardio sport and go on an
exercise bike to keep fit, but I
can’t do any more than that. And
I have to admit that without the
fun aspect, I find it quite hard to
do sport seriously.
: The Vendée Globe finished
a few weeks ago. Did you
follow it, and do you like
watching sport?
GCM: I followed the Vendée
Globe but not very closely,
because I don’t know that much
about sailing. But every time I
looked to see what was happening in the race, I was left full of
admiration for this breathtakingly
exciting challenge taken up by
yachtsmen alone on their boats
for weeks on end.
:What is your opinion of the
world of sport, its influence in
the media, its power in general
and the values it transmits?
GCM: Money is present in all the
big phenomena in society. I am
thinking mainly of the thousands
of people who place bets on
sport and of television rights and
so on. Obviously the hope is that
that will not interfere too much
with the way sport is practised,
but everyone is aware that sometimes economic issues gain
ascendancy over sport itself. I am
still passionate about sport,
though.
I have always been impressed by
top-level athletes in any discipline. As an artist I have the
chance to meet any number of
people from the world of cinema
and art, I think I’ve come across
most of the biggest names, but
sports personalities fascinate me
the most. When I see them I am
like a child, wide-eyed at their
exploits. I admire their natural
talent, and also the immense
amount of work and the sacrifices necessary to get to the top
in a discipline. I find it incredible.
: Why did you choose this
time to write your first book,
Patients, published by Don
that I have recently become a
father, so I find the theme of
childhood very attractive. Like
all writers, I would like to talk
about the passing of time,
things about society, sharing,
being open to other people,
solidarity and tolerance, and
nostalgia too.
: You told us that you have
just written a text on the
notion of balance which will
appear in your next album.
What kind of balance are you
talking about?
GCM: Various kinds of balance.
Talking about balance when you
walk with crutches is a nod and
a wink. I also talk about the fact
that I used to do a lot of sport
and I fell into a very different
world from which I emerged
with a disability. I needed to find
a passion in order to recover my
balance.
I led a very quiet life in a Parisian suburb and I have this
career which started with tours
all over the world, appearances
on television and this media
exposure for which I was unprepared. That can be a dizzying
experience and throw you off
balance. Basically, everything
comes down to an idea of
balance. We are all walking on a
tightrope.
Quichotte? Was there a particular need at a certain moment
or some other trigger?
GCM: I always knew I would
write a book. But I needed time
to get down to it; maybe I needed all these years to be able to
approach the subject calmly, and
then I didn’t want to be classified as a disabled artist, or an
artist who talks about disability.
I didn’t want to be labelled, as
can so easily happen. After releasing
three
albums
and
completing three long tours, I
can tell my story with more
perspective.
: Which subjects are dearest
to you, that you would like to
deal with in your art?
GCM: I don’t have a favourite
subject. Everything you see in
daily life is a source of inspiration for an artist. But it’s true
« Un moment sur mon ch'min j'ai rencontré le sport
Un mec physique, un peu grande gueule, mais auprès d'qui tu d'viens fort
Pour des raisons techniques on a dû s'quitter c'était dur
Mais finalment c'est bien comme ça, puis l'sport ça donne des courbatures »
Extrait de l’album Midi  ()
One day on my way I encountered sport
A big guy, with a big mouth, but he makes you strong
For technical reasons we had to separate, it was hard
But in the end it’s OK that way, and sport makes you stiff
From the album: Midi  ()
JOURNAL
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SPORT IN THE WORKPLACE
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