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Revue des Questions Scientifiques, 2015, 186 (1) : 153- 156
Chronique
La trahison d’Einstein
Cette pièce créée le 14 janvier 2014 au théâtre Rive Gauche à Paris a été
jouée jusqu’en juin avec pour acteurs Francis Huster, Jean-Claude Dreyfus et
Dan Herzberg.
Éric-Emmanuel Schmitt retrace, en 8 tableaux (supposés se dérouler, au
même endroit, sur une période s’étalant de 1934 à 1955), les possibles conversations entre Albert Einstein et un vagabond, lui-même surveillé par un agent
du FBI.
Premier tableau
1934 : peu de temps après l’arrivée d’Einstein à Princeton.
La première rencontre entre les deux hommes, dans des apparences vestimentaires très semblables, se déroule sur une plage d’un lac du New Jersey,
alors que le savant débarque de son voilier et se fait interpeller par le vagabond
qui lui signale qu’il ressemble étrangement à « Alfred Neinstein ». Ils engagent
la conversation, après de prudentes présentations, et en viennent à discuter de
guerre et de pacifisme avec des avis opposés : le vagabond a perdu un fils au
combat en 1918, Einstein défend la paix via le désarmement total et combat
tout nationalisme. Ce premier tableau semble s’achever sur un au revoir
d’Einstein pour une nouvelle discussion au même endroit lors d’une prochaine pleine lune et « J’aurais préféré que votre fils soit un héros en vivant,
pas un héros en mourant ». C’est alors qu’intervient un agent du FBI qui tente
d’intimider le vagabond en lui tirant les vers du nez… sans succès.
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revue des questions scientifiques
Nouvelle rencontre au printemps 1939
Le vagabond a pris connaissance de la situation en Allemagne : internements, exécutions, endoctrinement de la jeunesse, persécution des juifs et
Einstein est occupé à lire une série de lettres de scientifiques allemands qui
souhaiteraient quitter leur pays et implorent son appui. Ils dissertent sur
l’éclatement d’une éventuelle guerre et sur l’apparente contradiction du discours antérieur d’Einstein qui se montre, cette fois, partisan d’un engagement
dans l’armée des jeunes de Belgique, pays menacé en première ligne. Réapparaît l’agent du FBI, qui se montre cette fois antisémite et raciste, cuisine désespérément le vagabond avant de quitter la scène en annonçant que l’armée
allemande vient d’envahir la Tchécoslovaquie.
Troisième tableau Troisième rencontre, quelques mois seulement après la précédente. Einstein vient d’accoster une nouvelle fois, en catastrophe : il se torture en pensant
à la lettre qu’il a écrite avec Szilard et qu’il s’apprête à envoyer au président des
États-Unis. Ils échangent sur la bombe nucléaire et Einstein, le pacifiste,
évoque alors sa « trahison » : leur conversation le convainc que cette lettre doit
être envoyée. Amand Lucas détaille dans le premier acte de sa pièce, les circonstances scientifiques, morales et politiques de cette démarche.
Quatrième tableau L’action se déroule en 1943 : Oppenheimer est en charge du programme
scientifique visant à créer la bombe. Einstein a délaissé son bateau pour son
violon, son interlocuteur est ravi. Leur conversation reprend sur l’avancement
des travaux, mais Einstein, qui vient d’être naturalisé américain, annonce
qu’il n’est pas directement impliqué et même qu’il est mal informé sur l’état
des recherches. L’agent du FBI réapparaît pour s’enquérir du contenu de leur
entretien : quid des contacts d’Einstein avec l’Allemagne et avec l’URSS ?
Mais il n’apprend rien.
chronique : la trahison d’einstein
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Cinquième tableau
Il tient en deux mots « Mon Dieu… ».
Einstein vient de voir, en rêve seulement, l’explosion d’une bombe nucléaire.
Sixième tableau Cette sixième scène s’ouvre au lendemain de l’explosion de la première
bombe larguée sur Hiroshima, mais cette fois, en l’absence d’Einstein. Le
vagabond se réjouit à l’idée que s’annonce la fin du conflit avec le Japon alors
que l’agent du FBI commente triomphalement les dégâts causés à Hiroshima,
avant de quitter la scène à l’arrivée d’Einstein. Le vagabond l’accueille en se
félicitant de voir la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Einstein est irrité de
savoir que la bombe a fait des victimes au Japon et n’a pas été utilisée contre
l’Allemagne. Il se demande ensuite comment se déroulera la Troisième Guerre
Mondiale… puisque très peu nombreux seraient ceux qui pourraient assister
à une Quatrième. Un bref monologue d’Einstein commente les actions menées en Amérique et en Europe sur les réactions en chaîne.
Septième tableau Cette nouvelle rencontre s’ouvre comme la précédente, en l’absence
d’Einstein. On est cette fois en août 1949, quand est annoncé le premier essai
d’une bombe nucléaire russe. Le vagabond défend l’attitude loyale d’Einstein
envers les États-Unis mais l’agent du FBI parle de surveillance rapprochée, de
lynchages possibles : raffiné pour un prix Nobel, plus sordide pour un vagabond. Entre alors Einstein qui se réjouit de la fin possible de toute nouvelle
guerre grâce à l’épouvantail que représente la future bombe H. De son côté,
le vagabond s’insurge contre l’intervention acharnée des scientifiques dans
des recherches conduisant à la fabrication d’engins de destruction. Ils se quittent fâchés, un bref moment seulement en raison d’un malaise d’Einstein.
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Huitième tableau Pour le dernier entretien, nous sommes en 1955. Le malaise d’Einstein
s’est transformé en faiblesse extrême. L’agent du FBI regrette qu’il soit trop
tard pour poursuivre le savant en justice ; il s’esquive et n’aura donc jamais
rencontré Einstein. Einstein entre pour la toute dernière fois, mais pour admirer les étoiles : une brève allusion à ses travaux en cosmologie, avant de
mourir.
Le récit est émaillé de sentences et déclarations, sur divers sujets, attribuées à Einstein.
Éric-Emmanuel Schmitt n’entre jamais dans des discours abordant les
fondements de la science mais les évoque en arrière plan. Il met pourtant dans
la bouche d’Einstein l’expression « bombe nucléaire » alors qu’il parle ailleurs
de « bombe atomique ». Est-ce intentionnel ?
Les circonstances de la parution de l’ouvrage à un moment voisin du
Colloque International « Allemagne-Belgique 1914-2014 : 100 ans d’histoire
commune » m’ont incité à introduire cette chronique. Elle pourrait être utile
pour ceux qui attendent que la pièce soit rejouée en Belgique.
Merci à ceux qui liront ces lignes de me signaler une reprise possible de
ce spectacle.
Guy Demortier
[email protected]

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