La mutualisation des moyens logistiques ne concerne-t

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La mutualisation des moyens logistiques ne concerne-t
RIRL 2010 ‐ Bordeaux September 30th & October 1st, 2010 RIRL 2010 The 8th International Conference on Logistics and SCM Research BEM Bordeaux Management School September 29, 30 and October 1st 2010 La mutualisation des moyens logistiques
ne concerne-t-elle que les grandes entreprises ?
Le point des pratiques dans les systèmes verticaux contractuels
Odile Chanut Université Aix‐Marseille II, CRET‐LOG, France ([email protected]) Claire Capo Université Aix‐Marseille II, CRET‐LOG , France ([email protected]) Dominique Bonet Université Aix‐Marseille II, CRET‐LOG, France ([email protected]) Résumé
Plusieurs modèles logistiques se sont succédés dans la grande distribution depuis 40 ans.
Après avoir construit des chaînes logistiques verticales, les entreprises de la grande
distribution alimentaire initient désormais des expériences de mutualisation horizontales des
structures logistiques. Cette démarche de mutualisation a-t-elle une portée universelle ? La
communication s’interroge en particulier sur les pratiques logistiques des réseaux de
distribution contractuels. Une étude empirique permet d’établir que de nombreux réseaux
contractuels opèrent une mutualisation verticale des ressources logistiques entre leurs points
de vente indépendants. Certaines enseignes commencent à initier également des opérations de
mutualisation horizontale de ressources et compétences logistiques entre réseaux
concurrents.
Mots clés : logistique, mutualisation, réseaux contractuels , franchise, distribution
1 RIRL 2010 ‐ Bordeaux September 30th & October 1st, 2010 Introduction
« Vous êtes utilisateur de transport et vous souhaitez trouver des partenaires industriels pour
approvisionner à plusieurs les plates-formes de distribution ? Trouvez-les grâce au « GMA
Speed Dating » [GMA pour Gestion Mutualisée des Approvisionnements]. Ces rencontres
entre industriels se dérouleront le 28 janvier 2010 à Paris. Au programme une conférence sur
le thème « Mutualisation et collaboration dans la logistique de la distribution » par Eric
Ballot, Professeur à l'Ecole des Mines ParisTech ». Cette accroche, parue dans la Newsletter
n° 889 de Supply Chain Magazine du 15 janvier 2010, montre que la mutualisation logistique
est en route, tant chez les industriels que chez les distributeurs. Elle consiste en la mise en
commun de moyens logistiques (entrepôts de stockage, transports, systèmes d’information)
entre entreprises distinctes. Ces dernières peuvent être situées à des stades différents du canal
de distribution. On parle alors de mutualisation verticale. Les grands distributeurs
alimentaires ou spécialisés ont ainsi initié dans les années 1990 des stratégies collaboratives
avec certains de leurs fournisseurs. Mais on observe désormais aussi des expériences de
mutualisation horizontale entre entreprises directement concurrentes sur les marchés finaux
(grands industriels entre eux ou grands distributeurs entre eux).
La mutualisation n’est certes pas un phénomène nouveau ; le transport est déjà largement
mutualisé depuis une vingtaine d’année, notamment avec l’émergence et l’essor de nouveaux
acteurs, les prestataires de services logistiques (PSL). Ces derniers assurent la réalisation
d’activités logistiques de plus en plus complexes pour le compte de plusieurs clients et
opèrent, de ce fait, une mutualisation des moyens logistiques. Toutefois, la mutualisation
logistique semble prendre une nouvelle ampleur. Elle n’est plus simple conséquence de
l’externalisation des activités logistiques, mais peut être recherchée, en amont, par des acteurs
soucieux de mieux gérer collectivement la supply chain et, pour cela, mettre en commun
certaines de leurs ressources et compétences.
Si les réflexions logistiques et le supply chain management ont concerné en premier lieu les
grandes structures, avec des initiatives séparées ou conjointes des grands industriels et des
grands distributeurs, qu’en est-il des réflexions et pratiques des plus petites structures, qui ne
disposent pas des mêmes ressources et compétences logistiques ? Qu’en est-il en particulier
des petits commerces et notamment des structures alternatives à la grande distribution, les
réseaux de distribution contractuels (franchise, concession), dont les points de vente sont
2 RIRL 2010 ‐ Bordeaux September 30th & October 1st, 2010 implantés principalement dans les centres-villes et les centres commerciaux ? Suivent-ils le
modèle de la grande distribution alimentaire ? La logistique rencontre-t-elle les mêmes enjeux
que dans la grande distribution alimentaire (avantages concurrentiels, contrôle et pouvoir,
intérêt sociétal) ? L’objectif est ici de faire l’état des lieux des schémas logistiques des
réseaux contractuels et d’identifier les motivations et freins dans l’implantation des solutions
de mutualisation, qu’elles soient verticales ou horizontales.
La communication s’articule en trois parties. La première partie revient sur les trois modèles
logistiques qui se sont succédés dans la grande distribution depuis quarante ans. La deuxième
partie, après avoir présenté quelques données sur les réseaux contractuels, forme
organisationnelle alternative à la grande distribution, se centre sur leurs pratiques logistiques.
A partir d’une étude empirique menée auprès d’un échantillon de franchiseurs, nous
observons une grande variété des choix logistiques observés dans la franchise mais nous
constatons que la mutualisation verticale est largement en route dans les réseaux contractuels,
avec des organisations logistiques qui tendent vers les modèles 2 et 3 décrits dans la grande
distribution alimentaire. Nous constatons aussi quelques expériences de mutualisation
horizontale entre enseignes concurrentes. La troisième partie est consacrée à la restitution des
résultats de deux études de cas. La première porte sur La Vie Claire et ses choix de
mutualisation logistique verticale et horizontale. La seconde illustre la variété des situations
logistiques dans un même secteur d’activité, celui de la distribution du pneu.
MODELES
DE LA GRANDE DISTRIBUTION
LOGISTIQUES A LA MUTUALISATION
:
DE LA MULTIPLICATION DES STRUCTURES
Il est désormais établi depuis une trentaine d’années que la logistique est au cœur de l’activité
et des stratégies des industriels et enseignes de la grande distribution, quelle soit alimentaire
ou spécialisée. L’ensemble des chaînes industrielles et commerciales ont été reconfigurées
sous l’impulsion des distributeurs. Dans la même période, la vision de la logistique a évolué :
d’une vision opérationnelle, orientée vers la planification et l’optimisation des activités liées à
l’acheminement des produits depuis les usines jusqu’aux consommateurs (transport,
manutention et stockage) ou au retour des produits invendus ou en fin de vie (reverse
logistics), on est passé au début des années 1990 à une vision plus intégrative de la logistique
vue désormais comme un catalyseur pour faire travailler étroitement et durablement un
ensemble d’entreprises (fournisseurs, industriels, distributeurs, PSL) afin de créer en commun
3 RIRL 2010 ‐ Bordeaux September 30th & October 1st, 2010 de la valeur pour le client (Paché, 2004). La terminologie a accompagné ce changement de
prisme : on parle désormais de « solidarité de chaîne » et de management intégré de chaîne
(supply chain management). La compétition s’est déplacée : elle oppose les supply chains
entre elles.
Reconfiguration des chaînes logistiques : trois modèles successifs
Trois modèles logistiques se sont succédés pour répondre aux évolutions des structures de
distribution depuis quarante ans (tableau 1). Lors du décollage, dans les années 1960 et 1970,
des structures de distribution moderne (les grandes et moyennes surfaces [GMS]), le modèle
logistique était celui des livraisons directes des usines aux magasins des distributeurs (modèle
logistique n° 1). Les coûts logistiques étaient supportés par les industriels. Avec la
multiplication des GMS, leur course à la taille et la hausse du nombre de références dans leurs
magasins, les distributeurs ont été amenés, dans les années 1980, à créer des plates-formes de
stockage ou entrepôts. C’est la naissance du modèle logistique n° 2, celui des livraisons des
usines aux entrepôts des distributeurs, puis des livraisons des plates-formes vers les magasins.
Les plates-formes sont soit gérées en direct par le distributeur (voie patrimoniale), soit
externalisées et gérées par des PSL qui prennent en charge, avec le temps, des tâches de plus
en plus nombreuses et complexes. Si leur cœur de métier reste le stockage/magasinage, la
gestion des stocks, la préparation des commandes, le transport, avec parfois des services
additionnels (services après vente, facturation pour comptes clients), les PSL ont
progressivement pris en charge d’autres fonctions : le co-manufacturing, le conditionnement,
le co-packing et même parfois la gestion de centres d’appel (Roques et Michrafy, 2003).
Le modèle logistique n° 2 est un nouveau « circuit long » (création d’intermédiaires entre les
industriels et les magasins). Il a permis de mutualiser les stocks d’une enseigne dans les
plates-formes et de réduire d’autant les surfaces de stockage dans les magasins. Ces dernières
ont été progressivement transformées en surface de vente, notamment lorsque la loi Raffarin
(1996) a soumis à autorisation administrative toute création ou agrandissement de surface de
vente supérieure à 300 m2, rendant plus rares les m2 consacrés à la vente. La décennie 1990 a
vu la multiplication d’entrepôts de distributeurs de taille croissante, qui ne fonctionnent pas
toujours au maximum de leurs capacités car chaque supply chain crée ses propres
infrastructures, sans concertation avec ses concurrentes. Un troisième modèle logistique
émerge depuis le milieu des années 2000, avec la création, en amont des entrepôts des
4 RIRL 2010 ‐ Bordeaux September 30th & October 1st, 2010 distributeurs, d’entrepôts multi-producteurs c’est-à-dire partagés par plusieurs fabricants. Le
modèle logistique n° 3 prévoit des livraisons des usines des producteurs aux entrepôts multiproducteurs puis aux entrepôts distributeurs.
Tableau 1. Complexité croissante des enjeux, structures
et parties prenantes de la logistique
Années
Décennie 1970
Décennie 1980
Evolution
des
structures de
distribution
Décollage des
structures de
distribution
modernes (GDA et
GSS)
Multiplication des GMS
Course à la taille et
hausse du nombre de
références/PDV
Modèles
logistiques
Evolution
des
structures
logistiques
Enjeux
stratégiques
de la
logistique
Acteurs de la
logistique
Mutualisation…
Modèle 1 :
Livraison directe
des usines aux
magasins des
distributeurs
En termes de
passage d’une
économie de
l’offre à une
économie de la
demande
-Des flux poussés
au flux tirés
-Juste à temps,
différentiation
retardée
Industriels
Distributeurs
Modèle 2 : livraison des
usines aux entrepôts des
distributeurs
Création de platesformes de stockage par
les distributeurs
En termes d’avantages
concurrentiels
Parc de GMS à
maturité, loi Raffarin
(rareté des surfaces de
vente)
Multiplication et
spécialisation des sites
logistiques des
distributeurs
Essor du supply chain
management : création
d’outils logistiques
collaboratifs avec les
industriels
(GPA, GMA, RFID…)
suite à ECR, EDI
En termes de jeux de
pouvoir
-Baisse et contrôles des
coûts (transferts des
coûts de l’industriel au
distributeur avec
compensation
financière)
-Niveaux de services
croissants (moins de
rupture, livraisons plus
fréquentes, traçabilité)
-Chaine logistique
contrôlée par
distributeurs = pouvoirs
accrus des distributeurs
-Enjeux : connaissance
des marchés, partage de
l’information
stratégique
Industriels
Distributeurs
Emergence des
prestataires (PSL de
première génération)
Industriels
Distributeurs
PSL de deuxième
génération, multi-tâches
…des stocks des PDV
(réduction des stocks en
PDV)
…des transports
PSL=vecteur de
mutualisation des
transports
5 1990-2005
Depuis 2005
Retour des PDV de
proximité
Développement du ecommerce/ e-logistique et
livraisons à domicile
Modèle 3 : livraison des
usines aux entrepôts multiproducteurs aux entrepôts
distributeurs
Création d’entrepôts multiproducteurs
Modèle 4 : 3 niveaux de
plates-formes ?
Vers la création de centres
de dégroupage en bordure
des villes ?
En termes de
développement durable
-Baisse du nombre de kms
parcourus et impact C02
-Fluidité de la circulation
des centres villes
-Hausse des fréquences de
livraisons (PDV de
proximité)
-Recherche d'alternatives au
transport routier (fer,
fleuve)
Industriels
Distributeurs
PSL avec services de plus
en plus complexes
Villes
Pouvoirs publics
… des plates-formes entre
industriels
…des plates-formes entre
distributeurs ?
RIRL 2010 ‐ Bordeaux September 30th & October 1st, 2010 Les enjeux de l’organisation logistique dans la grande distribution alimentaire
Parallèlement, les enjeux de la logistique se sont multipliés : si la première finalité a été
l’amélioration de la performance (maîtrise des flux, source de réduction des coûts,
amélioration de la qualité de service, traçabilité) et la création d’avantages concurrentiels pour
les enseignes, d’autres enjeux se sont ajoutés au fil du temps. Avec la montée en puissance du
pouvoir des distributeurs face aux industriels, le contrôle des structures logistiques est devenu
une arme dans le rapport de force entre industriels et distributeurs. Le coût logistique, qui
représente encore 8 % des prix de vente des produits (2007, Rapport Logistics Cost and
Service), est en partie transféré de l’industriel au distributeur. Cependant, la compensation
financière demandée aux industriels dépasse largement l’économie de coût qu’ils réalisent.
Par ailleurs, les informations stratégiques liées à la connaissance des marchés, aux
comportements des consommateurs sont alors détenues par les distributeurs, ce qui accroit
leur pouvoir de négociation face aux producteurs. Pourtant, sous l’effet de l’intensification de
la concurrence entre les distributeurs, et afin de poursuivre l’effort de rationalisation, les
grands distributeurs s’impliquent depuis les années 1990 dans des stratégies collaboratives
avec les industriels, en s’appuyant sur des innovations managériales associées à des outils
innovants : plates-formes de cross-docking, gestion partagée des approvisionnements (GPA),
gestion mutualisée des approvisionnement ou pooling etc.
De nouveaux enjeux se sont ajoutés plus récemment, pour faire face aux mutations en cours
qui vont exiger une utilisation durable des ressources logistiques et inciter les acteurs à
repenser la structuration de l’extrême aval des supply chains. Des initiatives aboutissent à un
quatrième modèle logistique qui associe trois niveaux de plates-formes (modèle logistique
n° 4) : dans un premier temps, les industriels livrent un entrepôt multi-fournisseurs (aussi
appelé entrepôt primaire) au sein duquel les flux sont massifiés ; dans un second temps, les
industriels livrent – à plusieurs – les entrepôts de distributeurs (aussi appelés entrepôts
secondaires) en fonction de leurs besoins, entrepôts qui livreront ensuite les magasins, ou les
centres de dégroupage en bordure des villes (aussi appelés entrepôts de consolidation) créés
par certaines collectivités territoriales pour limiter les méfaits du transport non coordonnés
dans les centres villes (CO2, saturation de l’espace publique, etc.).
La grande distribution alimentaire, par son remarquable dynamisme, est ainsi à l’origine de
modèles de management bien établis et très efficaces, et qui ont donné lieu à de nombreux
6 RIRL 2010 ‐ Bordeaux September 30th & October 1st, 2010 travaux. Il en ressort des principes que l’on pourrait imaginer universels dans l’organisation
de la logistique mutualisée (création de centres de consolidation indépendants par chacun des
grands distributeurs, partage des ressources de transport entre points de vente
géographiquement distants, etc.). Ces modèles logistiques ont-ils inspiré d’autres formes
organisationnelles, alternatives à la grande distribution alimentaire ? Pour tenter d’apporter
une réponse à cette question, nous présenterons rapidement les caractéristiques des réseaux
contractuelles avant d’analyser leurs choix logistiques.
RESEAUX CONTRACTUELS : UNE LOGISTIQUE SINGULIERE ?
Forme organisationnelle originale, hydride entre le marché et l’intégration, les réseaux
contractuels (franchise, concession, commission-affiliation)1 reposent sur une collaboration
étroite entre plusieurs entreprises, le franchiseur (ou le concédant), à qui revient généralement
l’initiative du partenariat, et les franchisés (ou concessionnaires) commerçants indépendants
aux plans juridique et financier qui adhèrent à un réseau pour bénéficier d’un système de
réussite commerciale. Le contrat repose sur une complémentarité des ressources et des
compétences des partenaires. Il répartit les rôles et les profits entre les deux entrepreneurs : la
tête de réseau assure les fonctions de sélection des franchisés, de définition de la stratégie du
réseau et la promotion de la marque-enseigne. Il transmet au franchisé un savoir-faire éprouvé
et exerce un contrôle des activités des distributeurs, de manière à assurer l’homogénéité de
l’offre vis-à-vis des clients. Le distributeur quand à lui, propriétaire de son fonds de
commerce, apporte ses moyens financiers, humains et managériaux au bénéfice du point de
vente. La question de la ressource logistique apportée par le franchiseur aux franchisés n'a pas
vraiment retenu l'attention jusqu'à présent. Elle justifie une investigation sur les schémas et
compétences mobilisés, afin de savoir si les démarches de la grande distribution sont, ou non,
utilisés comme référentiels.
1
Il existe plusieurs types de contrats dans les réseaux contractuels qui diffèrent sur certains points mais
relèvent de la même logique : partage des investissements, des risques et des profits entre une tête de réseau,
pivot de la relation (Assens, 2003) et des distributeurs indépendants, propriétaires de leurs fonds de commerce.
Les contrats de concession, courants dans l’automobile ou chez les cuisinistes, prévoient obligatoirement une
double exclusivité : une exclusivité territoriale au distributeur concessionnaire, une exclusivité
d’approvisionnement du distributeur auprès du concédant tête de réseau. Le contrat de franchise suppose un
transfert de savoir-faire substantiel entre franchiseur et franchisé. Le contrat de commission-affiliation, qui
devient la norme dans le prêt-à-porter, s’ajoute au contrat de franchise et prévoit en outre que le stock reste la
propriété de la tête de réseau. Son coût et sa gestion ne sont donc pas supportés par le franchisé-affilié. Les
exemples choisis dans cette communication relèvent de la franchise.
7 RIRL 2010 ‐ Bordeaux September 30th & October 1st, 2010 Les réseaux contractuels, forme organisationnelle alternative à la grande distribution
Les réseaux contractuels sont devenus en quelques années un phénomène incontournable du
paysage commercial dans de nombreux pays (Boulay et Chanut, 2010). Ils ont envahi les
centres villes, les rues piétonnes. Rien que pour la franchise, on comptabilise en France début
2010 plus de 1.350 réseaux et 52.000 points de vente franchisés, dans les secteurs d’activité
les plus variés de distribution de produits ou de services. Entreprises réseaux au sens de Paché
et Paraponaris (2006), les réseaux contractuels représentent une alternative aux réseaux
intégrés, à la grande distribution et à leur GMS contrôlées par un petit nombre de groupes
multinationaux. Ils permettent ainsi à un entrepreneur qui a mis au point un concept
d’enseigne distinctif, d’avoir accès au consommateur final en dehors des structures de la
grande distribution et des grands groupes intégrés.
Désormais reconnus comme légitimes, les réseaux contractuels se présentent comme une
norme organisationnelle (Dumoulin et Gauzente, 2009), en autorisant un développement
rapide des points de vente sur un territoire donné. La direction bicéphale de l’activité (les
décisions stratégiques à la tête du réseau, les décisions sur le point de vente au distributeur) et
la motivation patrimoniale des distributeurs entraineraient en outre une agilité
organisationnelle et une meilleure réactivité des réseaux contractuels en cas de crise liée à des
chocs externes.
Les réseaux contractuels ne sont pas toujours des entreprises de grande taille. Certes, on
compte parmi les franchiseurs quelques entreprises multinationales (McDonald’s, Speedy,
Carrefour) qui sont souvent des réseaux de distribution mixtes, détenant à la fois des points de
vente appartenant à l’enseigne (succursales) et des points de vente en franchise. Cependant,
les têtes de réseaux (franchiseurs) sont le plus souvent des entreprises de taille plus modeste,
des PME, avec des équipes de quelques dizaines de salariés et des ressources limitées : le
chiffre d’affaires des franchiseurs est constitué des droits d’entrée dans le réseau payés par les
distributeurs, d’une redevance sur le chiffre d’affaires des points de vente et éventuellement
d’une marge commerciale sur les produits vendus par la centrale.
Le franchiseur apporte dans la « corbeille de la mariée » un concept de vente distinctif
(assortiment et services, marketing-mix et théâtralisation) mais aussi un savoir-faire qui fonde
le contrat de franchise et rend l’activité du franchisé plus efficace. Au delà des savoir-faire
« métier » codifiés et enseignés aux franchisés (méthode de vente, procédure standardisée de
8 RIRL 2010 ‐ Bordeaux September 30th & October 1st, 2010 production d’un hamburger ou d’une révision automobile), le système de réussite proposé par
le franchiseur s’appuie sur un ensemble de savoir-faire dits « organisationnels », au rang
desquels figure sa capacité à gérer la supply chain (achats / logistique) (El Akremi et al.,
2009). Aussi est-il intéressant de se pencher sur l’organisation logistique dans les réseaux de
franchise, avec comme questions sous-jacentes : observe-t-on les mêmes choix que dans la
grande distribution alimentaire ? Les enjeux sont-ils les mêmes ?
Pratiques et enjeux logistiques
L’organisation logistique des réseaux contractuels a fait l’objet d’une étude empirique dont
les principales modalités sont présentées dans l’encadré 1. Les objectifs étaient de présenter
un état des lieux des choix logistiques observés dans la franchise, d’en analyser les enjeux et
d’identifier les motivations et les freins de ces réseaux pour adopter des solutions de
mutualisation logistiques verticales mais aussi horizontales, entre réseaux contractuels.
Encadré 1
Etude empirique sur les choix d’organisation logistique des réseaux de franchise
21 réseaux de franchise ont été approchés avec une double démarche. L’administration d’un questionnaire sur les
structures logistiques du réseau de distribution, suivi d’un entretien qualitatif sur les raisons des choix logistiques
(stockage et transport) et les éventuels projets de mutualisation. Les réseaux approchés appartiennent à des
secteurs d’activité très variés (services et accessoires automobiles, alimentation spécialisée, prêt-à-porter,
restauration rapide, restauration classique, fleurs, équipement de la personne, équipement de maison). Le recueil
des données a été effectué principalement lors du salon de la franchise 2010 (14-17 mars à Paris porte de
Versailles). Plusieurs entretiens ont toutefois été menés en amont et en aval. Les données primaires ont été
complétées par des recherches documentaires, notamment pour ce qui concerne les études de cas sur le réseau La
Vie Claire et sur l’organisation logistique de la distribution du pneu en France présentées en troisième partie.
L’état des lieux des choix logistiques observés dans la franchise souligne une grande disparité
des situations, mais permet d’affirmer que la mutualisation verticale est largement en route
dans les réseaux contractuels, avec des organisations logistiques qui tendent vers les modèles
n° 2 et n° 3 décrits dans la grande distribution alimentaire. Parmi les 21 réseaux de franchise
ou de commission-affiliation étudiés, trois déclarent avoir fait le choix de ne pas créer de
structures logistiques dédiées à leurs réseaux : les franchisés passent commandes directement
auprès des fournisseurs référencés par l’enseigne (et parfois auprès d’autres fournisseurs, une
marge de liberté étant laissée aux distributeurs) et la logistique est contrôlée directement par
ces fournisseurs. Parmi ces réseaux, deux appartiennent au secteur des services automobile,
9 RIRL 2010 ‐ Bordeaux September 30th & October 1st, 2010 dont l’étude de cas est présentée en troisième partie de la communication. Ils justifient leur
choix par le fait que les fournisseurs, les pneumaticiens essentiellement, ont une organisation
logistique efficiente avec plusieurs entrepôts régionaux chacun et qu’ajouter un deuxième
niveau de stock, avec une plate-forme distributeur, aboutirait à augmenter le coût logistique.
Le troisième réseau, spécialisé dans la livraison de pizza, explique ce choix par le fait qu’il se
fournit auprès d’une seule entreprise avec une fréquence de livraison faible, une fois pas
semaine.
15 réseaux (sur 21) ont créé des structures logistiques propres dédiées à leurs réseaux et
déclarent posséder au moins une plate-forme de stockage appartenant à l’enseigne. De ce
point de vue, il est possible de parler de mutualisation verticale entre les membres du réseau :
le franchiseur assure les fonctions de PSL pour le compte de son réseau. Dans certains
secteurs d’activité, ce choix s’impose même pour des raisons stratégiques : dans le prêt-àporter, le stock reste la propriété de l’enseigne (contrats de commission-affiliation), la gestion
des stocks, livraisons et retours et parfois même la gestion des commandes est centralisée par
la tête de réseau. Toutefois, parmi ces 15 réseaux qui possèdent au moins une plate-forme
logistique, quatre connaissent également des livraisons directes entre leurs fournisseurs et les
points de vente franchisés, pour 20 à 25 % des livraisons (trois réseaux), et dans un cas, pour
80 % des livraisons. Par ailleurs, trois autres réseaux utilisent également des plates-formes
logistiques gérées par des PSL externes à leurs réseaux, notamment pour les produits importés
de l’étranger (secteur de la fleur coupée par exemple).
Enfin, trois réseaux sur les 21 déclarent concevoir et maitriser l’organisation logistique de
leurs réseaux mais confier la gestion de la plate-forme de stockage et de la livraison à un PSL.
Parmi ces trois réseaux, deux affirment utiliser des plates-formes de stockage mutualisés avec
d’autres enseignes. Dans un premier cas, la mutualisation horizontale s’opère avec des
enseignes appartenant au même groupe. Dans le deuxième cas, la mutualisation horizontale
concerne les entreprises McDonald’s, Courtepaille et Classe-croûte, trois acteurs de la
restauration qui n’ont pas de liens capitalistiques et ne sont pas exactement sur les mêmes
positionnements (restauration rapide, restauration classique, livraison de repas). Ces trois
enseignes mutualisent plates-formes de stockage et les livraisons aux points de vente. Plus
exactement, Courtepaille et Classe-croûte utilisent les structures logistiques de McDonald’s.
Elles bénéficient ainsi de l’expertise et des taux de service de McDonald’s alors que cette
dernière optimise plates-formes et taux de remplissage des camions de livraison.
10 RIRL 2010 ‐ Bordeaux September 30th & October 1st, 2010 Des enjeux en termes d’efficacité économique et de pouvoir
Les enjeux liés à la mise en place d'une fonction achat / logistique dans une franchise de
distribution sont divers. En termes d’efficacité économique et avantage concurrentiel, la
logistique participe à la réussite du business model. On retrouve les mêmes arguments que
dans la grande distribution alimentaire : les achats groupés autorisent une puissance d’achat et
un pouvoir de négociation accrus, l’organisation logistique est une source d’économie de
coûts pour les points de vente avec un taux de service supérieur. A titre d’exemple,
l’organisation logistique de l’enseigne La Vie Claire est au cœur du nouveau concept
distinctif adopté en 2002, après que le réseau ait connu quelques turbulences et un nouveau
changement de propriétaire. L’objectif affiché était de conférer à l’enseigne un avantage
concurrentiel clé (voir l’étude de cas détaillée dans la troisième partie).
Au delà des aspects liés à l’avantage concurrentiel et au business model, le contrôle de la
chaîne logistique et de ses coûts (l’expertise logistique) est une source de pouvoir pour les
franchiseurs (French et Raven, 1959). Rappelons que les franchisés, commerçants
indépendants, ont une certaine liberté d’approvisionnement. Si les contrats de franchise
prévoient des clauses d’exclusivité d’approvisionnement auprès de la centrale du franchiseur,
l’exclusivité est le plus souvent partielle et laisse une certaine liberté d’achats aux franchisés.
Une logistique efficiente permet d’accroître la fidélisation des franchisés et leur taux
d’approvisionnement auprès de la centrale. En outre, la centralisation des commandes donne
au franchiseur l’accès aux données de vente de chaque magasin et la possibilité d’établir des
comparaisons (benchmarking). Citons à ce propos Benoît Soury, Directeur Général de
l’enseigne La Vie Claire, qui définit son métier de franchiseur de la manière suivante : « Nous
[La Vie Claire] sommes une entreprise de marketing et de logistique » (Supply Chain
Magazine, n° 34, mai 2009).
Au total, on retrouve dans la franchise les mêmes enjeux de coûts et de pouvoirs qu’identifiés
dans la grande distribution alimentaire. Qu’en est-il du troisième enjeu, l’enjeu
environnemental, qui pourrait conduire différents réseaux contractuels à emprunter la voix de
la mutualisation horizontale ? En théorie, l’objectif de réduction du nombre de kilomètres
parcourus et de l’optimisation du remplissage des camions, la question du coût du dernier
kilomètre, devraient rejoindre les préoccupations sociétales de réduction des émissions de
CO2, celle de l’encombrement des rues piétonnes et des nuisances dues aux multiples
camions de livraisons. Ces questions devraient interpeller les réseaux contractuels, largement
11 RIRL 2010 ‐ Bordeaux September 30th & October 1st, 2010 implantés dans les centres villes. Les réseaux ayant adopté la voie de la mutualisation
évoquent d’abord des raisons de performance économique ou des raisons capitalistiques
(appartenance à un groupe) pour justifier leur choix. L’enjeu du développement durable n’est
toutefois pas absent du discours, le répondant de l’enseigne de restauration interviewé affiche
d’ailleurs cet objectif, traduit jusque dans le libellé de sa fonction « Directeur du
développement durable et développement franchise ». Un autre répondant, le PDG d’un
groupe de trois enseignes de franchise dans les produits frais, regrette le manque de
coordination des villes pour la réglementation des livraisons et souhaiterait une initiative des
Pouvoirs publics, à l’instar de ce qui a pu se faire au Japon, pour donner « un cadre
structurant et concerté » à la logistique des villes. Les acteurs de la franchise se sentent
concernés.
L’observation des pratiques et des enjeux logistiques au sein des réseaux contractuels nous
permet de conclure que la mutualisation des ressources et des compétences logistiques
concerne également les réseaux sélectifs, de taille plus modeste que la grande distribution. La
mutualisation verticale est déjà largement pratiquée. Plusieurs expériences de mutualisation
horizontale indiquent qu’elle est une voie prometteuse pour des réseaux de taille moyenne à la
recherche de l’efficience logistique. Des freins à la mutualisation horizontale existent pourtant
dans ces réseaux. Ils sont liés notamment à la forme organisationnelle particulière des réseaux
contractuels, à la direction bicéphale entre la tête du réseau et les distributeurs, commerçants
indépendants. Ces derniers, très implantés dans un territoire localement (alors que le manager
salarié d’un point de vente succursaliste change de magasin en moyenne tous les trois ans),
connaissent une concurrence exacerbée avec leurs concurrents dans leur ville. Aussi,
imaginent-ils difficilement être livrés par les mêmes plates-formes et les mêmes camions que
leurs concurrents directs. Cette objection a été soulevée par un franchiseur pour justifier son
refus d’envisager toute mutualisation des moyens logistiques avec l’un de ses concurrents
(entretien du 14 mars 2010 au Salon de la Franchise, Paris).
La réticence à partager données et moyens entre entreprises concurrentes reste entière parfois
malgré les avantages en termes de performances. La réticence doit, d'ailleurs, être levée ici à
deux niveaux : celui des têtes de réseau et celui des distributeurs indépendants. N’atteint-on
pas ici les limites des réseaux contractuels en tant de forme organisationnelle ? Le rôle des
Pouvoirs publics et des villes pourraient toutefois aider à lever ces réticences en imposant la
coopération des réseaux de distribution et autres associations de commerçants à l’entrée des
villes. A titre de synthèse, les motivations et freins de la mutualisation logistique des réseaux
12 RIRL 2010 ‐ Bordeaux September 30th & October 1st, 2010 contractuels sont repris dans le tableau 2. Ils sont illustrés par deux études de cas détaillées
dans la troisième partie de la communication.
Tableau 2. Motivations et freins de la mutualisation logistique des réseaux contractuels
Motivations
Freins
-
Mutualisation
verticale
Avantage concurrentiel : puissance
d’achat, économie de coûts, taux de service
supérieur
Source de pouvoir : fidélisation des
distributeurs, contrôle de leur activité,
accès aux données de vente
Propriété et gestion du stock
(commission-affiliation/ prêt à porter : le
stock appartient au franchiseur, gestion
centralisée)
Nombre de fournisseurs/ références
-
-
Mutualisation
horizontale
-
-
-
Avantage concurrentiel : offre plus
large, évolution du concept, réduction de
coûts
Optimisation de plates-formes
logistiques existantes et accès à des
ressources logistiques (un réseau loue ses
services logistiques à des réseaux plus
petits)
Liens capitalistiques (rationalisation de
l’organisation logistique au sein d’un
groupe)
Contraintes réglementaires (directives
européennes de recyclage du pneu,
réglementation livraisons des villes)
Pression sociétale et objectifs
collectifs : répondre à l’exigence de
développement durable
-
Taille du réseau (nombre de points
de vente insuffisant/ investissement)
Financiers (Tête de réseau = PME =
capacité d’investissement limitée)
Organisation logistique efficace en
amont par fournisseurs : pas réelle
économie de coûts si double niveau de
stockage (plates-formes fournisseurs +
tête de réseau)
-
Réticence à partager données entre
entreprises concurrentes
…plus importante encore dans les
réseaux contractuels : peur des réactions
des distributeurs indépendants
(concurrence exacerbée sur le terrain)
DEUX ETUDES DE CAS DANS DES RESEAUX CONTRACTUELS
Les deux études de cas présentées ci-après permettent d’illustrer, d’une part, les enjeux des
choix de mutualisation logistique verticale, en termes d’avantages concurrentiels et de
pouvoir (La Vie claire), d’autre part, la diversité des choix logistiques des entreprises d’un
même secteur d’activité (distribution du pneu en France). Il s'agit d'études de cas
exploratoires permettant de proposer une première « photographie » des situations contrastées
que l'on peut observer en matière de logistique des réseaux contractuels.
13 RIRL 2010 ‐ Bordeaux September 30th & October 1st, 2010 Le cas La Vie Claire
Avec 192 points de vente en France (dont 166 en franchise et 26 en propre), La Vie Claire est
le deuxième réseau de distribution spécialisé en alimentation bio, après le réseau Biocoop. Le
franchiseur tête de réseau est une PME qui emploie 187 salariés fin 2009. L’entreprise connaît
à nouveau une forte croissance, avec un chiffre d'affaires de 45 M€ en 2008, en hausse de
38 % par rapport à 2007, et un nombre d’ouverture de points de vente soutenu : 15 en 2009.
Cela est permis grâce à la vitalité du marché du bio, qui ne connaît guère la crise, mais aussi
en raison du changement de concept distinctif de l’enseigne en 2003. L’objectif de la tête de
réseau est d’atteindre 300 magasins en quelques années.
Créé en 1946, l’enseigne La Vie Claire a pourtant connu une histoire mouvementée, avec des
propriétaires successifs (dont Bernard Tapie de 1980 à 1995, période au cours de laquelle
l’enseigne acquiert une notoriété élevée et atteint 250 points de vente franchisés, puis le
groupe Distriborg, distributeur en France des marques Bjorg, Vivis, Gayelord Hauser,
Krisprolls notamment, de 1996 à 2001) ; et une stratégie marketing pas toujours favorable aux
franchisés (ventes parallèles en grandes surfaces). En difficulté, le réseau ne compte plus que
80 points de vente lorsqu’il est racheté en 2002 par le franchiseur actuel.
Ce dernier opère un changement de concept, avec au cœur du nouveau concept, une
organisation logistique verticale qui confère à l’enseigne un avantage concurrentiel clé. Le
nouveau concept prévoit une augmentation significative des surfaces de vente des points de
vente La Vie Claire (de 50 à 300 m2 en moyenne) et une hausse importante du nombre de
références : de 1.200 en 2002, le nombre de références de produits bio atteint 4.000 en 2009.
Parmi ces références, 1.300 sont des MDD-sous la marque La Vie Claire, en fort
développement.
L’organisation logistique de l’enseigne est au cœur du concept : l’objectif est d’assurer des
livraisons tous les jours, avant 8 h 30 à J+1 par rapport à la commande. Pour ce faire,
l’enseigne a acquis en 2002 un entrepôt de 4.000 m2 à Chaponost (près de Lyon) et a
déménagé à cette occasion. Cet entrepôt atteint ses limites (taille insuffisante et outils de
préparation des commandes en fin de vie). Aussi un nouvel investissement est en cours pour
un entrepôt trop fois plus grand (13.000 m2). Le financement de 13 M€ est assuré en partie
(4 M€) grâce à l’ouverture du capital à une société de gestion de structures d’investissement
(NAXICAP). Par ailleurs, l’enseigne a investi dans sa propre flotte de quatre camions pour les
livraisons à Paris et en région parisienne. Quatre chauffeurs travaillent la nuit de 22 h à 8 h
14 RIRL 2010 ‐ Bordeaux September 30th & October 1st, 2010 car le franchiseur « n’accepte pas les livraisons en journée, car la journée doit être dédiée au
client et aussi pour des questions d’efficacité : le facteur efficacité est de 1 à 3 entre le jour et
la nuit pour ce qui concerne le nombre de points de vente livrés, en raison des problèmes de
circulation ». Les chauffeurs ont les clés des magasins et les livrent en l’absence du franchisé,
en respectant les zones de froid pour les produits délicats. Pour les autres régions, le transport
est soit « mutualisé » avec une autre entreprise (une entreprise de fruits et légumes sur Lyon
qui utilise les camions le jour alors que La Vie Claire les utilise la nuit, il s’agit d’une
expérience de mutualisation horizontale), soit sous-traité à des transporteurs externes.
L’objectif de ces investissements logistiques est clair : il s’agit de fidéliser les franchisés et de
les amener à passer 100 % de leurs commandes auprès de la centrale d’achat de l’enseigne,
alors même que le contrat de franchise leur laisse une liberté d’achat de 20 % en dehors de la
centrale. On peut affirmer que dans le cas de La Vie Claire, le franchiseur assume de fait la
fonction de PSL pour son réseau de franchisés2.
Le cas de la distribution du pneu
Le secteur des centres auto et de la réparation rapide connaît des reconfigurations logistiques,
notamment pour ce qui concerne la distribution des pneus. Dans ce canal, on distingue deux
types de réseaux : les prestataires de services (Speedy, réseau mixte avec 26 % de points de
vente franchisés et Midas, franchisé à près de 90 %) et les centres qui associent services et
vente d’accessoires automobiles, avec des surfaces de vente et un nombre de références élevés
(Feu Vert, franchisé à 56 % et Norauto, réseau succursaliste). Pour le pneu, la logistique reste
contrôlée par les pneumaticiens chez les prestataires de services, avec livraisons directes des
plates-formes des pneumaticiens aux points de vente des réseaux : c’est le modèle logistique
n° 1 de la grande distribution. Les pneumaticiens mènent d’ailleurs des expériences de
mutualisation à la fois en amont (entrepôts multi-producteurs) et en aval pour la logistique des
déchets (encadré 2).
2
Les informations relatives à La Vie Claire sont issues de la presse professionnelle et d'un entretien
accordé par Benoît Soury, Directeur Général de l’enseigne, à l'un des auteurs le 11 septembre 2009.
15 RIRL 2010 ‐ Bordeaux September 30th & October 1st, 2010 Encadré 2
Environnement concurrentiel des enseignes de services et accessoires automobiles
et choix de mutualisation des pneus
Les réseaux de distribution physiques de services et accessoires automobiles (Speedy, groupe Norauto avec les
enseignes Norauto, Midas, Auto 5, Carter cash et Maxauto, Feu vert) connaissent depuis plusieurs années une
intensification de la concurrence sous le triple effet de la crise, du développement du e-commerce et des
décisions stratégiques des constructeurs automobiles. Ces derniers, privés du monopole de pièces de rechange
d’origine par la commission de Bruxelles, ont en effet lancé de nouvelles enseignes de réparation automobile
avec des gammes de pièces multimarques (Motrio/Renault, Eurorepar/Citroën, Motorcraft/Ford ou
Checkstar/Fiat). Ils auraient ainsi réussi à reprendre près de 10 points de parts de marché à la rechange
indépendante (Eurostaf, octobre 2007).
Ces réseaux peuvent essayer de défendre leurs positions concurrentielles sur plusieurs terrains (notoriété de la
marque-enseigne, accès à une information technique et capacité à former les opérateurs sur les innovations
technologiques) parmi lesquels figure l’efficacité logistique. Aussi des reconfigurations logistiques sont
probables pour développer ou conforter des avantages concurrentiels par un meilleur taux de services ou la
possibilité d’offrir une large gamme de choix de produits.
Au niveau des pneumaticiens, le marché est très concentré. Trois fabricants représentent 54 % du marché
mondial : le japonais Brigestone (marques Brigestone et Firestone), le français Michelin et l’américain
Goodyear-Dunlop avec des parts de marché proches (17-18 %). Le quatrième acteur est l’allemand Continental
(6 %). Les autres fabricants pèsent entre 2 et 5 % du marché (Pirelli, Sumitomo, Yokohama, Hankook, Cooper).
De nouveaux entrants sont récemment apparus avec des pneus de bons niveaux qualité/prix (le taïwanais Cheng
Shin, les chinois Giti Tire et Triangle). Si les plus gros pneumaticiens gèrent des structures logistiques
importantes qui leur sont dédiées, plusieurs expériences de mutualisation logistiques horizontales ont été
observées depuis plusieurs années. Nous en relatons deux.
La première expérience concerne la reverse logistics. Sous l’impulsion de la directive européenne du 16 juillet
2001 interdisant le dépôt des pneus usagés en décharge, les principaux fabricants (Bridgestone, Continental,
Goodyear, Michelin et Pirelli) ont créé Aliapur, une société de collecte et de recyclage des pneus usagés. La
deuxième expérience est la création d’une plate-forme de stockage mutualisée entre deux concurrents de taille
moyenne sur le marché français, les groupes Continental et Bridgestone (plate-forme de plus de 46.000 m2 avec
mutualisation des préparations de commandes avec un même prestataire de service Prologis et du transport sur le
territoire français). L’objectif affiché pour ces concurrents est d’améliorer le service aux clients, d’optimiser le
remplissage des camions tout en réduisant les émissions de CO2 sur l’environnement.
Sources : presse professionnelle + entretiens Salon de la Franchise avec les têtes de réseau des enseignes Midas,
Speedy, Feu Vert du 14 mars 2010.
Chez les centres qui associent services et vente d’accessoires automobiles en revanche, la
logistique est en partie prise en charge par le groupe de distribution. Il y a alors mutualisation
verticale du stockage entre les points de vente de l’enseigne (plate-forme Feu Vert) ou double
mutualisation, verticale vers les points de vente et horizontale entre les différentes enseignes
du groupe. C’est le cas dans le groupe Norauto dans lequel la logistique est intégrée avec des
structures logistiques dédiées à quatre des cinq enseignes du groupe : Norauto, Auto 5, Carter
Cash et Maxauto) (tableau 3). Ces deux schémas logistiques s’apparentent au modèle n° 2
observé dans la grande distribution. Notons que dans le cas de Feu Vert, des commandes et
des livraisons directes fabricants-points de vente restent possibles notamment pour les
produits à forte valeur ajoutée (coexistence des modèles n° 1 et n° 2). Notons, en outre,
qu’avec les plates-formes multi-producteurs en amont (des groupes Continental et
16 RIRL 2010 ‐ Bordeaux September 30th & October 1st, 2010 Bridgestone), on est proche du modèle logistique n° 3, avec un double niveau de
mutualisation, au niveau des plates-formes fabricants et au niveau des plates-formes dédiées à
un réseau de distribution ou un groupe d’enseignes.
Tableau 3. Les solutions logistiques des enseignes de centres auto et réparation rapide
Enseignes
Speedy
Groupe Norauto
5 marques :
Norauto, Auto 5
Carter Cash
Maxauto
+
Midas
Métiers
Positions
concurrentielles
Métier : Services
automobile
1er revendeur de
pneus en France
Solutions logistiques adoptées
Expériences de mutualisation
Enjeux
Réseau mixte (500
PDV dont 26 %
franchisés)
Achat minimum à la
centrale : 100 %
(30 000 références, plus
de 20 fournisseurs)
Actuellement, commande et livraison
directe PDV – Pneumaticiens (tljs ouvrés
pour les produits phares)
Justification : les fournisseurs ont chacun
15 entrepôts régionaux, le coût d’un
deuxième stock (plate-forme distributeur)
serait trop élevé
Logistique intégrée pour les 4 enseignes :
GIE, entrepôt à Lesquin (59) qui livre
chaque semaine les 150 PDV des 4
enseignes (60 000 lignes de commandes,
entre 200 et 250 000 produits différents
chaque semaine)
Justification : taille + lien capitalistique
Réseau majoritairement
succursaliste
Métier : services
et accessoires
automobile
Métier : Services
automobile
Positionnement :
pas de RDV,
qualité accueil
client, proximité
Métier : services
et accessoires
automobile
Feu Vert
Forme
organisationnelle
Taux de mixité
340 centres auto dont
88 % franchisés
Achat minimum à la
centrale : entre 80 et
100 % (10 000
références, 2 à 10
fournisseurs
principaux)
Réseau mixte (307
PDV dont 56 %
franchisés + 23 Feu
Vert services)
Site e-marchand depuis
septembre 2009 (12 000
références, avec
livraison en magasin
(gratuite) ou livraison
autres sites (payante)
Actuellement, commande et livraison
directe PDV – Pneumaticiens (tljs ouvrés)
mais réflexions en cours pour intégration
de la logistique Midas –Norauto
Enjeux pour Midas : élargir l’offre de
pneus (accès à toutes les marques au lieu
d'un fournisseur, Goodyear-Dunlop
actuellement)
Une plate-forme logistique (10 000
références) qui appartient à l’enseigne ;
livraison une fois par semaine, transport
externalisé (PSL)
Actuellement, commande et livraison
directe PDV – fabricants pour les produits
à forte valeur ajoutée (dont pneus, sauf
«promotions » qui passent par la plateforme)
Justification : mutualisation verticale
Au total, les choix logistiques sont disparates. Ils sont de plus en pleine évolution puisque des
réflexions sont en cours pour modifier l’organisation logistique du réseau de franchisés
Midas. Cette enseigne a été rachetée en 2004 par le groupe Norauto. L’intégration logistique
paraît rationnelle au sein du groupe. Elle permettrait en outre aux franchisés Midas d’élargir
leur offre de pneus proposée à la clientèle et de ne plus se cantonner à l’offre d’un
pneumaticien principal, comme c’est le cas aujourd’hui.
17 RIRL 2010 ‐ Bordeaux September 30th & October 1st, 2010 Conclusion
L’objectif de cette communication était d’étudier les ressources et les compétences logistiques
mises en œuvre dans les réseaux de distribution contractuels et d’analyser si les modèles
logistiques successifs observés dans la grande distribution peuvent constituer un schéma
standard d'évolution susceptible de se diffuser dans ces formes organisationnelles alternatives
à la grande distribution et généralement de taille plus modeste.
L’étude menée auprès de réseaux de franchise permet de conclure que la mutualisation
verticale des structures et moyens logistiques est un savoir-faire organisationnel que certains
franchiseurs de distribution de produits ont choisi de développer, à l’instar des grands
distributeurs dans les années 1980 (modèle logistique n° 2). Les enjeux sont proches, à la fois
en termes d’avantages concurrentiels pour l’enseigne (les supply chains des réseaux sont en
concurrence entre elles) et en termes de pouvoir. Ce deuxième enjeu concerne à la fois la
relation en amont avec les fournisseurs et la relation en aval entre la tête du réseau contractuel
et les franchisés ou distributeurs indépendants. D’autres réseaux, parfois importants en
nombre de points de vente, ont néanmoins choisi d'en rester au premier modèle logistique,
avec commandes et livraisons directes entre fournisseurs et points de vente.
Pour ce qui concerne la mutualisation horizontale, c’est-à-dire entre organisations directement
concurrentes situées au même niveau de la chaîne de distribution, des initiatives et
expériences sont observées dans les réseaux contractuels comme chez les grands distributeurs.
Cela n’est guère étonnant : les réseaux de taille moyenne ont intérêt, plus encore que les
grands distributeurs, à lever les freins liés à la peur de partager entre concurrents moyens et
informations, et à adopter des stratégies de coopétition définie comme un « système d’acteurs
qui interagissent sur la base d’une congruence partielle des intérêts et des objectifs » (Dagnino
et al., 2007). La coopétition suppose la reconnaissance d’interdépendances à la fois dans le
processus de création de valeur (atteindre une taille critique et une excellence logistique liée
aux volumes traités ici), dans la répartition des bénéfices mutuels et dans l’identification
précise des intérêts convergents entre acteurs.
Pourtant, il est fort probable que les enjeux de la mutualisation dépasseront largement, dans
l’avenir, les objectifs individuels des réseaux de distribution. Avec la prise de conscience d’un
nécessaire développement durable, l’organisation logistique ne pourra plus être conçue au
niveau micro-économique dans le seul intérêt des supply chains concurrentes ou coopétitives
18 RIRL 2010 ‐ Bordeaux September 30th & October 1st, 2010 mais devra tenir compte des objectifs collectifs : l’intérêt de la planète, les intérêts des
différentes parties prenantes de la société, parfois contradictoires (le consommateur, qui veut
être livré chez lui ou dans son magasin de proximité en temps réel et gratuitement, le citoyen
qui veut respirer de l’air pur et garder une fluidité de circulation dans sa ville etc.). Il est fort à
parier, avec Martinet (2006), que les entreprises ne pourront plus définir leur management
stratégique (ici les stratégies logistiques) qu’en fonction de leurs intérêts propres ou ceux de
leurs actionnaires, selon le modèle américain.
On observe d’ailleurs que de nouveaux acteurs (les villes, les Pouvoirs publics) s’intéressent à
l’organisation logistique et à ses nuisances et peuvent, par le pouvoir réglementaire, imposer
des règles aux entreprises de distribution et notamment la mutualisation de moyens et
structures logistiques au niveau des villes (modèle logistique n° 4). La contrainte peut être
directe (obligation de livrer dans des plates-formes logistiques urbaines mutualisée qualifiée
de durables, créneaux de livraison dans les villes étroits et stricts) ou indirectes (taxe
carbone). Face à ces nouveaux enjeux et acteurs, les distributeurs ont intérêt à être proactifs et
accélérer les réflexions et les initiatives de mutualisation, en intégrant les différents acteurs de
la supply chain et les différentes parties prenantes de la société. Cette proactivité est
probablement plus aisée pour les grands distributeurs (qui ont toujours été à l’initiative des
évolutions des structures logistiques jusqu’à présent) que pour les réseaux de distribution
contractuels, peu organisés entre eux, et qui réunissent, par définition, des commerçants
indépendants peu enclins à l’action collective. Les réseaux contractuels auraient pourtant tout
intérêt à participer en amont aux réflexions des villes et du Législateur sur les questions de
mutualisation logistique.
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