Mai 68. Une nuit à l`université « Mai mai mai Paris mai » : comme

Transcription

Mai 68. Une nuit à l`université « Mai mai mai Paris mai » : comme
Mai 68. Une nuit à l'université
« Mai mai mai Paris mai » : comme Nougaro, on fait de Paris l’épicentre des
évènements de mai 1968 : l’occupation de la Sorbonne, les barricades...,
oubliant le reste de la France. Strasbourg a connu des moments historiques,
dans et hors de son université, qui était alors unique. Les évènements de mai
68 y ont été guidés par trois courants étudiants principaux : les situationnistes,
qui avaient pris le contrôle de l’AFGES en 1966, les Jeunesses Communistes
Révolutionnaires (JCR, trotskistes) et l’UNEF. Après le 9 mai, l’université de
Strasbourg se met en grève. Des assemblées générales se tiennent, le plus
souvent au Palais universitaire. Les étudiants proclament l’autonomie de
l’université. Le ministre Peyrefitte leur propose une autonomie expérimentale
et contrôlée, qu’ils refusent en AG. Dans la foulée, une autre AG vote
l’annulation des examens de juin. Beaucoup d’étudiants extérieurs rentrent
alors chez eux. Etudiant de 2ème année de Lettres classiques, je reste à
Strasbourg, pour vivre ces évènements extraordinaires, qui m’ont beaucoup
appris. La vie continue, au rythme des AG. Et les étudiants s’organisent pour
protéger les locaux qu’ils occupent.
Fin mai, avec des amis, je passe une nuit au Patio, nuit inoubliable. Installés
dans les locaux administratifs du 1er étage, nous voyons vers 22 heures arriver
par la fenêtre un clochard, Roger, bien connu des étudiants, qui a fait l’Algérie.
Un autre clochard est devenu célèbre : Socrate, comme nous l’appelions, nous
1
interpellait à l’entrée des RU : « Z’auriez pas 50 centimes pour que j’achète le
New York Herald Tribune ? » (il avait dû voir le film de Godard) ; Socrate a été
désigné président de l’université par les étudiants. La nuit de mai se passe
paisiblement ; nous parlons sans fin de la situation politique : à ce moment, on
ignore ce que peut devenir le pays, comment cela va évoluer. Vers les 2 heures
du matin, les situationnistes allument un petit feu dans l’Aula, feu vite éteint.
Aux aurores, nous faisons un dernier tour de ronde dans les couloirs presque
déserts. Nous récupérons un gros volume de Montaigne tombé dans une
poubelle.
Et puis, Strasbourg connait aussi sa nuit des barricades, place Kléber. Une autre
nuit, le mot REVOLUTION est écrit en rouge sur le monument aux morts de la
place de la République (sans doute une provocation). Le 30 mai, nous écoutons
le discours du Général de Gaulle grâce aux transistors disséminés dans l’amphi I
plein à craquer. Dans la foulée, la manifestation gaulliste de Strasbourg
s’achève par l’attaque du Palais universitaire : du lieu de dissolution place de la
République, les manifestants voient le drapeau rouge flotter sur le Palais U,
signe insupportable ! Des centaines de personnes courent en direction du
Palais-U, mouvement de foule impressionnant. Quelques vitres volent en éclat,
mais les manifestants ne pénètrent pas. Les jours suivants, les couloirs et
escaliers du Palais-U sont bloqués par divers obstacles, en cas de nouvelle
attaque. Un dessin sur le journal éphémère des étudiants représente le député
gaulliste Radius en train de lancer « la première pierre » sur le bâtiment.
Au mois de juin, après les élections législatives, c’est la dispersion de l’été. Je
me souviens du slogan, répondant à la question : pourquoi le mouvement
s’arrête ? « Parce que la vacance des grandes valeurs vient de la valeur des
2
grandes vacances. » Effet à retardement de mai 1968 ? Cinq ans plus tard,
l’université de Strasbourg éclate en trois morceaux.
3