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PRINTEMPS 2009
FRANCE MÉTROPOLITAINE € 5 / DOM € 5,80 / ALL € 6,50 / BEL € 5,80 / CH 10 FS / CDN $ 9,75 / ESP € 5,80 / GB £ 4,5 / GR € 5,80 / ITA € 5,80 / JPY 2000 / LUX € 5,80 / PORT € 5,80 / USA $ 9,75 P H O T O : B E N L O W Y
#4
PH LA
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OJ E V
OU UE
R N DU
AL
ISM
E
BRUNO BARBEY JEAN-GABRIEL BARTHELEMY MARCUS BLEASDALE
SARAH CARON MARIE-LAURE DE DECKER CEDRIC GERBEHAYE LAUREN GREENFIELD DIANE GRIMONET
DEREK HUDSON ANTONIN KRATOCHVIL BEN LOWY CHRIS MORRIS MARC RIBOUD
Bagdad vu de la fenêtre d’un blindé américain
CHANGER DE REGARD
SUR LE MONDE
par Sony
Le premier reflex numérique au monde
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de 24,6 millions de pixels
En combinant un capteur plein format d’une résolution de 24,6 millions de pixels,
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sera disponible en magasin à partir du 30 septembre 2008.
Nouveau reflex
Parlez-moi d’images .......................10
PRINTEMPS 2009
www.polkamagazine.com
email: [email protected]
Rencontre avec Alain Genestar
CHARLOTTE RAMPLING
ISABELLE HUPPERT
Le mur ............................................12
LES PHOTOGRAPHES DE POLKA #4
Editorial par Alain Genestar
17
Derek Hudson .....................................................................................18
LE PHOTOGRAPHE ET LES CRÉATEURS
par Jean-Kenta Gauthier
VII : Morris, Greenfield,
Kratochvil, Bleasdale ......................30
AU PAYS D’OBAMA
par François de Labarre
Ben Lowy .......................................40
FENÊTRE SUR GUERRE
par Jean-Pierre Perrin
Sarah Caron ....................................46
LES TALIBAN SONT PARMI NOUS
par Dimitri Beck
MARIE-LAURE DE DECKER
Tchad du sud, Woodabé en tenue
de cérémonie, 2003
LE TRIMESTRIEL DU PHOTOJOURNALISME
«Polka Magazine», 27, rue Jasmin, 75016 Paris. Tél.: 01 43 14 27 72.
Directeur de la publication: Alain Genestar. [email protected]
Editeur: Edouard Genestar. [email protected]
Directrice éditoriale: Adélie de Ipanema. [email protected]
Rédacteur en chef: Dimitri Beck. [email protected]
Secrétaire générale: Brigitte Bragstone.
Grands sujets: Joëlle Ody.
Direction artistique: Michel Maïquez assisté de Ludovic Bourgeois.
Editing: Tania Gaster
Comité éditorial: Christian Caujolle, Jean Cavé, Jean-Jacques Naudet, Didier Rapaud, Reza,
Marc Riboud, Sebastião Salgado.
Développement: Alban Denoyel.
Opérations spéciales: Victor Genestar et Gwendoline de Spéville.
Publicité: Polka Régie. Tél.: 06 22 76 27 72 / 06 76 80 97 05.
Les photographes Bruno Barbey, Jean-Gabriel Barthélemy, Marcus Bleasdale, Sarah
Caron, Marie-Laure de Decker, Cédric Gerbehaye, Lauren Greenfield, Diane Grimonet,
Derek Hudson, Antonin Kratochvil, Ben Lowy, Christopher Morris et Marc Riboud
Et Martin Argyroglo, Jérôme Baboulène, Kishanthi Bandara, Karyn Bauer, Cyril Bensimon,
Christian Caujolle, Matthieu Charon, Annick Cojean, Chantal Comemale, Alice Fras, Victoire Garnier,
Jean-Kenta Gauthier, Manoel de Ipanema, Anaïs Jumel, François de Labarre, Eric Larrouil,
Jean-François Leroy, Astrid Merget, Alain Mingam, Patricia Morvan, Mario et Véronique Ordonez,
Pascal Payen-Appenzeller, Sebastien Passedouet, Bernadette Pelletier, Jean-Pierre Perrin,
Catherine Riboud, Catherine Roger, Pascale Sarfati, Muriel Simottel, Dominique Viger
Remerciements à Magnum Photos, Agence VII, Agence NOOR, Agence VU’, la Fondation Henri
Cartier-Bresson. Et à Elliott Erwitt.
Laboratoires de photographies: Central Color, Picto, Dupon.
Fabrication: Le Révérend Imprimeur - Valognes, Manche ( 50) - Tél.: 0145364000.
Printed in U.E / Imprimé en U.E
Commission paritaire: 1210K89693.
Dépôt légal: 1er trimestre 2009. ISSN: 1962 - 3488.
Droits de reproduction textes et photos réservés pour tous pays.
« Polka Magazine » est une publication de Polka Image. Siège social : 27, rue Jasmin 75016 Paris.
SARL au capital de 34000 euros, RCS de Paris 497659094
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GAGNEZ DES REFLEX ET DES CYBER-SHOT AVEC SONY
Tous les détails en page 113.
Prochain numéro : été 2009, en vente fin mai
Cédric Gerbehaye ...........................52
LE CONGO SOUS UNE PLUIE D’ACIER
par Cyril Bensimon
Bruno Barbey .................................60
PÊCHEUR D’ICÔNES
par Joëlle Ody
Diane Grimonet ...............................74
HÔTEL SANS ÉTOILE
par Alban Denoyel
Jean-Gabriel Barthélemy .................78
LA CITÉ INTERDITE
par Brigitte Bragstone
Marie-Laure de Decker ....................86
ODE AUX WOODABÉS
POUR UN SOIR OU POUR LA VIE
par Dimitri Beck
Marc Riboud ...................................94
LE COMPAS DANS L’ IL
par Adélie de Ipanema
Polka rubriques
Enquête .........................................106
PHOTOS À VENDRE
par Laura Marzouk
Art ................................................110
« L’ALLIANCE DU RÉEL, DU POÉTIQUE ET DU SPONTANÉ »
Un entretien avec Guillaume Piens, par Edouard Genestar
Livres ............................................112
Revue de presse ............................114
SARAJEVO ENTRE RAGE ET BEAUTÉ
par Colum McCann
Expo...............................................115
L’ « INSURGENCE » DE LAURENT VAN DER STOCKT
par Jean-François Leroy
Prise de vues .................................118
ET SI OBAMA PROPOSAIT UN «DEAL» AUX PHOTOGRAPHES...
par Christian Caujolle
printemps 2009 I
9
Parlez-moi d’images
RENCONTRE AVEC ALAIN GENESTAR
ISABELLE HUPPERT
“OUVRIR EN GRAND LA PORTE SUR SOI-MÊME”
J
«
e ne m’y connais pas en
photo. » Au moins, c’est
clair. Isabelle Huppert
aime la netteté et les photos floues. « La photographie, c’est fait pour montrer, mais c’est beau
quand ça montre ce que ça cache. »
D’où cette photo floue d’elle, prise par
Sara Moon. D’où cette autre, de dos,
signée Dominique Issermann. D’où
ses yeux fermés saisis par Michel
Comte.
Pendant deux heures, à La Closerie des Lilas, nous avons parlé ensemble de ce qu’elle appelle « le mystère
de la photo ». Et elle en parle bien,
avec ce mélange de franchise et de
complication! Exemple de sa franchise : « Je suis une amatrice de tout
ce que je fais, au cinéma comme en
photo. » Exemple de complication :
«J’aime poser car c’est une expérience
sur le vide. » Voilà, en deux phrases un
portrait raccourci d’Isabelle, actrice
merveilleuse qui joue naturellement
des rôles compliqués.
«Mais je ne joue jamais devant
l’objectif d’un photographe.
– Allons, quand vous posez, votre attitude
change, votre regard s’éclaire, votre visage attrape la lumière. Chaque fois, on assiste à une
métamorphose.
– Oui, mais, c’est toujours mon regard. La
photo, c’est beaucoup plus qu’un rôle, c’est
même le contraire d’un rôle. C’est une forme de
vérité qui, bien sûr, peut être maquillée, travestie,
mais, au-delà, il y a cette vérité qui passe. »
Ainsi parle Isabelle de la photographie. En
10 I polka magazine #4
Isabelle Huppert, photographiée en 1994 par Henri Cartier-Bresson/Magnum
amateur. L’amateurisme, selon elle, est la grâce,
le naturel, le vide, cette « expérience de vide »,
c’est-à-dire plus clairement : « L’ouverture en
grand de la porte sur soi-même ; assez vite, j’ai
compris que les grands photographes feraient
surgir de moi quelque chose de vrai, de simple.
» Et Isabelle sait de quoi elle parle. Pas moins de
75 photographes, immenses, Robert Frank, Cartier-Bresson, Avedon, Doisneau, Lindbergh,
Newton, Boubat, Nan Goldin ont franchi cette
« porte » qu’elle a ouverte pour eux.
Résultat: un livre remarquable et une
exposition, « La Femme aux portraits ».
«Oui, j’adore poser. J’aime être
regardée avec une forme de tolérance
et de curiosité. Chaque photo est un
point d’interrogation. On ne sait pas ce
qu’elle va donner. Il n’y a aucune réponse immédiate. J’aime aller à la recherche de ce mystère. » Mais pourquoi avec les « grands » photographes
et pas les autres, de taille plus petite ?...
Par « grands », il faut entendre «bons»,
et « respectueux », ceux que vous intéressez et qui sont attentifs à vous, ce
qui exclut tous ceux qui « vous harcèlent ou vous enferment ». Jeune comédienne, elle se révoltait contre ces
séances photo où l’on demandait aux
actrices de prendre des poses de starlettes pour calendrier. « C’était diminuant. »
Souvenir des plus grands, des
meilleurs, des plus respectueux?... Elle
cherche. Parle de Boubat et Doisneau :
« On allait dehors, je ne posais pas.
J’étais un élément de leur promenade. »
De Lindbergh : « Avec lui, je me sens
un peu allemande. » De Roni Horn :
« Pour elle, j’ai retrouvé le sentiment intérieur de
“La Dentellière” et bien d’autres films. » De Lise
Sarfati : « Elle m’a photographiée dans la maison
de mes parents. » Et de Cartier-Bresson: « Je me
souviens. Il est venu à la maison. On a parlé tout
le temps. Il regardait comment je disais les choses
et non pas ce que je disais. La séance a duré une
demi-heure. Henri a pris six photos. »
Elles étaient toutes nettes.
A.G.
La Française est présidente du prochain Festival de Cannes.
L’Anglaise est jurée aux Oscars. Deux actrices exceptionnelles,
amoureuses de la photographie. Mais différemment.
CHARLOTTE RAMPLING
“L’IMAGE ARRÊTÉE, TU NE PEUX PAS LA NIER”
E
lle évite la lumière.
Plutôt étrange, pour
une star élevée sous
les sunlights. Je
l’avais installée devant la grande baie,
dans ce restaurant du
Trocadéro ouvert sur l’esplanade, et
Charlotte Rampling a préféré tourner
le dos à la vue. « Trop de lumière
blanche, on ne voit plus les lignes, les
nuances. » Elle s’exprime comme
une photographe. Ce qu’elle est.
Charlotte, qui a les plus beaux yeux
du cinéma, a l’œil.
C’est Jacques-Henri Lartigue
qui lui a tout appris. « Mon amour de
la photo est né avec notre rencontre.
Il photographiait avec élégance,
comme si de rien n’était, par magie.
Un jour, il m’a filé un petit Olympus,
et il m’a dit: “Vas-y, va prendre des
photos.” » Lartigue les a regardées.
Sans doute les a-t-il trouvées pas
mal. Un Nikon F3 a remplacé
l’Olympus, et Charlotte Rampling est
devenue une actrice de cinéma qui
fait de la photo. « J’entraînais mon
œil. Je photographiais ce qui était autour de moi : mes enfants, les fleurs, l’architecture. La lumière donne le vide. J’attends qu’il
se passe quelque chose, une personne qui
passe, l’ombre d’un arbre. Il faut que ce soit
habité. Mes images sont assez graphiques. »
Passionnée, donc. Et passionnante quand
elle raconte comment la photographe qu’elle est
devenue se laisse photographier. « Pour moi, la
photo a un côté animal. Il n’y a pas de parole.
Non, je ne crois pas que ce soit le miroir de soi-
Charlotte Rampling, photographiée en 1974 par Marie-Laure de Decker
même. Devant l’objectif du photographe, je
joue un rôle, j’utilise ce qui est visuel. La photo
n’est pas pour autant un mensonge, mais une révélation de vérités successives sur ce que l’on
veut dire de soi. » Charlotte Rampling ne
contrôle jamais le travail du photographe.
«Je lâche tout, je veux fusionner, c’est lui
qui mène la danse. » Elle fait confiance. D’abord
à Helmut Newton. Charlotte a 26 ans. Arles. Hôtel Nord Pinus. Helmut veut faire des photos de
nus, d’elle. C’est la première fois,
comme en amour. « Nous étions novices l’un et l’autre. Moi nue, assise
sur la table de la chambre, lui photographiant. Trois ou quatre rouleaux,
pas plus. Et j’ai commencé à comprendre autre chose de moi, ce côté animal
justement. C’était l’image arrêtée de
“Portier de nuit”. Cette image célèbre
a symbolisé la force du film. » Et ces
mots de Charlotte Rampling qui en
disent plus que tous les livres sur
l’impact de la photographie : « L’image
arrêtée, tu ne peux pas la nier. »
Initiée par Lartigue, déshabillée par
Newton, anoblie par la Maison européenne de la photographie dont elle est
devenue « la mascotte » du conseil d’administration, l’actrice a poursuivi sa liaison avec les photographes qu’elle regarde en experte. La distinction de Marc
Riboud. La délicatesse de Marie-Laure
de Decker : « Elle dégage une belle invulnérabilité. Face à elle, on a envie de
s’ouvrir. » Le romantisme organisé de
Juergen Teller. La détermination de
Salgado : « J’imagine sa patience, son
dévouement, sa tolérance dans le nonjugement. » Quant à Henri CartierBresson et Martin Parr : « L’un est le Français
qui montre ce que c’est qu’être français. L’autre,
l’Anglais qui montre ce que c’est qu’être anglais.
– Que voulez-vous dire ?
– Que l’Anglais dissimule son jeu alors que
le Français veut être votre ami.
– Et vous, êtes-vous une Anglaise devenue
française ?
– Je navigue entre les deux. »
A.G.
printemps 2009. I
11
LE MUR DE POLKA MAGAZINE #4
EST EXPOSÉ AU 104 RUE OBERKAMPF, PARIS XIe
“Chaque photo a son histoire”
JEUDI 5 FÉVRIER 2009 22H15
Le «mur» du #4 n’est pas terminé. Il manque
quelques papiers et légendes ainsi que les
rubriques: nous n’avons affiché que la partie
«magazine». Des changements déjà décidés ne
sont pas encore intégrés. Dans quelques jours les
premiers cahiers partiront pour la Pologne, où
Polka est imprimé à 75000 exemplaires. Et vous
trouverez ce numéro 4, daté «printemps 2009»
dans vos boîtes aux lettres, dans les kiosques et
chez vos marchands de journaux.
Heures d’ouverture de 11 h
à 19 h 30, sauf le samedi de14 h à 18h.
Fermé le dimanche et le lundi.
Renseignements : 06 76 80 97 05
et [email protected]
© Ann Boutigny
Originaire d’une petite bourgade jouxtant la royale Windsor
et la noble Eton, Derek Hudson a découvert enfant le photojournalisme dans la rubrique Photo News de l’édition locale
du «Daily Express» que lisaient ses parents. Un jour de 1970,
au sortir de la gare de Paddington, une pluie diluvienne le fait
se réfugier dans un cinéma. A l’affiche: «Blow Up» d’Antonioni. Le jeune Derek
est fasciné par les clichés qui nourrissent
l’intrigue. Ces photos,
Antonioni les avait
commandées à Don
McCullin, la légende
du reportage de
guerre. Derek Hudson
s’inscrit alors au club
photo amateur de son
village, s’installe à Londres et devient un pilier de Fleet
Street, le district historique de la presse britannique où il rencontre son mentor, Terry Fincher, photojournaliste maintes
fois primé. Plus tard, Derek Hudson se rend à New York pour
la soirée de renaissance de «Life Magazine». Il restera près
de vingt ans aux Etats-Unis. Aujourd’hui, il vit à Paris.
BEN LOWY
On prononce «seven». L’agence a été fondée en septembre 2001 par sept grands reporters: Alexandra Boulat
(1962-2007), Ron Haviv, Gary Knight, Antonin Kratochvil,
Christopher Morris, James Nachtwey et John Stanmeyer.
Deux jours après sa création annoncée à Perpignan, les
tours du World Trade Center s’effondraient et Jim Nachtwey, rentré la veille à New York, signait le plus saisissant
des actes de naissance pour la jeune agence photographique. Au fil des ans, de nouveaux membres ont été intégrés: Lauren Greenfield, Joachim Ladefoged, Eugene
Richards, Marcus Bleasdale, Franco Pagetti... Deux
nouvelles branches ont été créées: VII Network et VII
Mentor. Avec «4 times America» la FNAC donne la parole
à quatre membres de l’agence. Antonin Kratochvil, né en
République Tchèque en 1947, témoigne dans «In God’s
Country» de la place de la religion. Christopher Morris,
Californien né en 1958 a couvert pour «Time» les deux mandats de George W. Bush. Lauren Greenfield, diplômée de
Harvard en 1987, scrute l’image de la femme américaine
obsédée par son corps et documente les jeunes. L’AngloIrlandais Marcus Bleasdale a travaillé pendant plus de
huit ans en RDC. Avec «Oil in America», il enquête sur la
voiture dans une société qui en use sans modération.
« Trimballer mes yeux derrière un appareil photo me donne
l’impression d’avoir le droit de fourrer mon nez dans ce qui
a priori ne me regarde pas, un prétexte merveilleux pour
essayer de comprendre un monde incertain. » C’est en
cherchant son sujet pour son mémoire de maîtrise que Sarah Caron trouve sa voie. Raconter des histoires en images,
partir à la quête du monde, des gens et de la vie ailleurs.
Depuis douze ans, la photographe passe en moyenne neuf mois par an à travers le monde.
D’Afrique, elle revient avec une enquête remarquée sur l’immigration clandestine subsaharienne avec le livre « Odyssée moderne », de ses années en Asie naissent plusieurs documents, notamment, «Les Ames errantes au Cambodge» et «La révolte des musulmans au sud
12 I polka magazine #4
© ChristianMonnier
SARAH CARON
«Photographier la guerre a un côté captivant, soutient Ben
Lowy. On se sent dans la peau de Schwarzenegger. On fonce
dans le danger, ce qui est excitant. Et on a aussi l’extraordinaire privilège de pouvoir témoigner de l’Histoire en
marche.» Ce photojournaliste né en 1979, diplômé de l’université Washington de Saint Louis, a débuté en 2003 avec
ses reportages sur la
guerre d’Irak. Il a aussi
travaillé en Afghanistan, Haïti, Indonésie,
Libye, au Darfour (projeté à Perpignan dans
le cadre de Visa pour
l’Image en 2005), au
Vietnam, en Inde – entre autres! Ses photos ont été publiées
dans «Time», «Newsweek», «Fortune», «Rolling Stone», «National Geographic», «Stern»... Il fait maintenant partie de
l’équipe VII Network dans laquelle l’agence VII distribue également le travail de photographes non membres. Ses images
aux couleurs intenses ont obtenu de nombreuses récompenses, dont le 2e prix du World Press photo, en 2007. A
New York, son point d’attache, Ben Lowy vit avec la photographe Marvi Lacar, sa femme, et leurs deux teckels nains.
© Ben Lowy
DEREK HUDSON
de la Thaïlande» et, du Moyen-Orient, un reportage sur les brigades des martyrs d’Al-Aqsa en
Palestine. «Quand je pars en reportage, je m’investis émotionnellement. J’en ai besoin pour
transmettre. » Résultat, à chaque histoire, Sarah revient toujours plus forte, changée. Pour
Polka Magazine, elle a passé tout le mois de novembre dans la zone tribale pakistanaise
qu’elle appelle cet «endroit oublié de Dieu». «Parce que je suis une femme, cette histoire est
celle qui m’a le plus marquée depuis le début de ma carrière.» Dans ce monde plutôt masculin,
être une femme photographe est souvent plus difficile « mais cela peut être parfois un
véritable atout, comme pour parler de la condition de la femme. Pour ce sujet, un homme
n’aurait pu avoir accès qu’à une partie de l’histoire ». Récompensée par de nombreux prix,
notamment celui de la Fondation Jean-Luc Lagardère en 2000, le Master Class du World Press
et, plus récemment, en 2007, le Getty Grant de la Fondation Getty, Sarah Caron a exposé
l’année dernière à New York, à la galerie de la Fiaf, une rétrospective de ses années de vagabondage photographique à travers le monde.
DIANE GRIMONET
« Je fais de la photo, dit-il, parce que j’ai des convictions.»
A l’école de journalisme, Cédric Gerbehaye s’est vite rendu
compte que le format de l’audiovisuel ou de la presse écrite
ne correspondait pas à ce qu’il souhaitait faire : des reportages pour documenter ce dont on ne parle pas, rendre
compte, témoigner en prenant le temps, en analysant,
en assumant sa
subjectivité. A
peine diplômé
– après un mémoire consacré
au conflit israélopalestinien –, ce
Belge né en 1977,
basé à Bruxelles,
a commencé sa
carrière de photographe free-lance. Il est retourné en Israël
et dans les Territoires palestiniens, s’est intéressé à la question kurde en Turquie et en Irak. En 2007, son sujet « Gaza:
Pluie d’été » a été récompensé par le deuxième prix dans la
catégorie jeunes reporters du Prix Bayeux-Calvados des
correspondants de guerre. Il a reçu en 2008, pour son travail
sur le Congo (objet d’un livre, «Le Congo dans les limbes»,
aux éditions E Center) sept prix, dont un World Press Photo
(3e prix « stories »), l’Olivier Rebbot Award de l’Overseas
Press Club of America et l’Amnesty International Media
Award. Cédric Gerbehaye est membre de l’agence VU’.
« La photographie, dit-il, est le seul langage qui peut être
compris dans le monde entier.» Français né en 1941 au Maroc où il a passé son enfance, Bruno Barbey a suivi les cours
de l’Ecole des arts et métiers de Vevey, en Suisse. Nominé
en 1964, associé en 1966 (à 25 ans), il devient en 1968 membre de l’agence Magnum Photos dont il va être vice-président pour l’Europe en 1978 et
1979 et président pour l’international de 1992
à 1995. Son entrée dans la célèbre coopérative
de photographes
le propulse dans
le tourbillon du
photojournalisme, au contact
des convulsions
de la planète, dont de nombreux conflits. Mais il aime travailler seul, sans précipitation, et sur des thèmes personnels.
Ce pionnier de la couleur a ainsi constitué une œuvre où se
croisent reportages à chaud et patientes recherches de sens
et d’intensité. Son sujet fétiche : le Maroc, où il retourne
photographier sans cesse. En ce moment, il expose en Corée
du Sud, au Brésil, en Europe...
C’est en arrivant à Paris, en 1990, à 30 ans, que Diane Grimonet découvre la photo, qui deviendra la passion d’une vie. Par
le biais de portraits de comédiens, elle devient photographe
de théâtre et parcourt toutes les scènes de la capitale pendant sept ans. Son travail prend un tournant décisif lorsque,
passant devant la Maison des ensembles, un squat, elle découvre le milieu des précaires et des sans-papiers. Elle commence à
suivre le mouvement des
chômeurs qui prend une
ampleur considérable et
le quotidien «Libération»
lui demande de couvrir
l’événement. Ses clichés
en noir et blanc seront
publiés dans la presse
française et étrangère.
Dès lors, Diane se spécialise dans les sujets de société. En
2000, elle s’intéresse aux femmes en errance et réalise
«Paris Ville lumière» qui sera exposé en 2002 à Perpignan
lors du festival Visa pour l’Image. Festival où elle se voit
nommée au Visa d’or dans la catégorie «magazine» en 2007.
Le choix de Diane est de montrer la souffrance des sans voix:
«Je m’assois parmi eux et ne dis rien. Je capte les vies qui
ont basculé, les naufrages intimes, je guette les petits riens.»
Des petits riens qui disent tant. Aujourd’hui, elle travaille sur
un projet de longue haleine, entrepris depuis 2007 à partir de
ses archives photographiques et qui devrait durer dix ans,
«100 photos pour sans droits» et continue de faire œuvre de
témoin de la misère ordinaire.
LE CHOIX DE LA PHOTO D’ACTUALITÉ - FRANCE INFO
“Hôtel sans étoile” de Diane Grimonet page 74
A retrouver dans la chronique PHOTOS PHOTOGRAPHES de Pascal Delannoy
tous les samedis 5h12 - 6h42 - 10h13 - 22h43 - 00h43 et sur france-info.com
© Nathalie Guillery
BRUNO BARBEY
© Ewa Rudling
© Steeve Iuncker
CÉDRIC GERBEHAYE
printemps 2009 I
13
La Fnac présente
4 photographes
4 expositions
4 regards
sur les Etats-Unis
Lauren Greenfield / VII
Christopher Morris / VII
Avec l’élection de Barack Obama, les Etats-Unis se retrouvent plus que jamais au centre des enjeux politiques, économiques et même écologiques, de la planète. Une fois de plus l’Amérique nous surprend,
affichant une incroyable faculté à rebondir et à innover. A l’aube d’un mandat qui inaugurera forcément
une nouvelle époque, la Fnac présente le regard inédit que quatre photographes de l’Agence VII, deux
Américains et deux Européens, portent sur un pays toujours en quête de son identité.
LAUREN GREENFIELD
CHRISTOPHER MORRIS
ANTONIN KRATOCHVIL
MARCUS BLEASDALE
« AMERICA »
Fnac Montparnasse 13/01 - 7/03/2009
Fnac Toulon 17/03 - 16/05/2009
Marcus Bleasdale / VII
Antonin Kratochvil / VII
« GIRLS AND AMERICAN BODY »
Fnac Toulon 13/01 - 7/03/2009
Fnac Forum des Halles 14/04 - 6/06/2009
« OIL IN AMERICA: OUR LOVE AFFAIR WITH CARS »
Fnac Perpignan 13/01 - 7/03/2009
Fnac Clermont-Ferrand 17/03 - 16/05/2009
« IN GOD’S COUNTRY »
Fnac Strasbourg 13/01 - 7/03/2009
Fnac Aix-en-Provence 17/03 - 16/05/2009
La passion chevillée au corps depuis 1966 –son année «déclic» – Marie-Laure de Decker s’est rendue bien souvent là
où s’écrivait l’histoire contemporaine. Au Vietnam, d’abord,
de 1970 à 1972, au Tchad du Nord ensuite en 1975, puis en
URSS, en Chine, au Mozambique et en Afrique du Sud en
1985 «à une époque où l’on se demandait si l’apartheid allait tomber un jour». Pour s’occuper de ses deux fils, la photographe de Gamma passe
du grand reportage au glamour. C’est le temps des clichés de mode pour «Vogue»,
celui des portraits de personnalités artistiques comme
Jacques Prévert, Marguerite
Yourcenar et Duras, Orson
Welles, Gainsbourg ou Charlotte Rampling... mais aussi
celui des photos sur les tournages de « Van Gogh » et de
«Sous le soleil de Satan», films de Maurice Pialat. MarieLaure se sent pourtant comme un diable en boîte. Le goût
de l’aventure lui manque. « Quand mes fils ont été assez
grands, je suis retournée à mes premières amours. Je n’ai
pas de plus grand bonheur que de découvrir et photographier un peuple que je n’ai jamais vu. C’est comme mettre
la main sur une pépite.»
MARC
RIBOUD
© DR
Il est une exception dans le photojournalisme. Paparazzi de
renom international, à l’agence Sipa pendant trente ans,
Jean-Gabriel Barthélemy a puisé dans son enfance de poulbot du quartier des Halles, au cœur de Paris, un sens inné de
la débrouillardise entre Prévert et Tintin.
L’histoire serait trop longue de ses liens tissés avec Caroline
de Monaco, le prince Charles, Diana, la Callas et Onassis...
De Gstaad à Saint-Tropez
ou au Palace des années
80, ses photographies volées ou posées ponctuent
les temps forts d’un photojournalisme du « people »
avant l’heure.
Curieux de tout, son œil aiguisé le conduit en avril
2002 à Beaubourg pour
découvrir les tirages géants d’Andreas Gursky. C’est le début
d’un tournant radical dans sa vie professionnelle. Travaillant
à la chambre 20 x 25, il réalise sur les barres d’immeubles
de la Cité des 4000 des œuvres détonantes d’une banlieue
en ébullition. Un travail similaire sur le château de
Versailles est publié dans « Geo ». Exposé à Visa pour
l’Image et à la BNF, le célèbre paparazzi des années 80 a fait
place à un artiste original.
MARIE-LAURE
DE DECKER
© DR
© Florence Saugues
JEAN-GABRIEL
BARTHÉLEMY
«C’est la réalité qui est au bout de la ligne de mire, la réalité
que le cadrage peut transformer en rêve.» Pour la première
fois, en 1953, Marc Riboud est publié: la photo du peintre
de la tour Eiffel trône en pleine page dans «Life». Le point
commun de la plupart de ses photos: la géométrie. Robert
Capa et Henri Cartier-Bresson le remarquent, le premier lui
apprend «à s’approcher de son sujet», tandis que le second
remarque son côté
matheux et lui enseigne « la discipline
de la composition de
l’image ». De ses
longues années d’apprentissage, Marc
Riboud constate : « Ce
n’est pas le sujet qui
compte, c’est l’approche visuelle. Une surprise visuelle avec
une certaine organisation de la forme.» Après avoir parcouru
le monde: l’Inde, l’Iran, l’Afghanistan, de longues années en
Chine ou en Afrique, le photographe prendra plus de plaisir
à saisir des paysages, des instants de vie. Suivre des gens
pour raconter des histoires l’intéresse beaucoup moins, au
grand désarroi de ses parrains. « Photographier un beau
paysage, explique-t-il cependant, c’est comme écouter de
la musique ou lire de la poésie, cela aide à vivre.»
QUELLE COUVERTURE AURIEZ-VOUS CHOISIE ?
Pour ce numéro de Polka, quand il s’est agi de décider
quelle photo allait «monter» en couverture, nous avions l’embarras du choix.
Une dizaine de projets ont été selectionnés puis débattus avant d’arrêter notre décision.
Et vous, auriez-vous fait le même choix ? Vous pouvez donner votre avis
sur le site www.polkamagazine.com
printemps 2009 I
15
Derek Hudson
LE PHOTOGRAPHE ET LES CRÉATEURS
Hockney,
Koons,
Pietragalla,
Saint Laurent,
Tennessee Williams,
Bacon,
Patti Smith,
Soulages,
Starck,
Galliano,
Gilbert & George,
Westwood,
Matisse
“Créer c’est divin, reproduire c’est humain”
Man Ray
Burinées et soignées, comme lestées par une œuvre monumentale,
les mains de Pierre Soulages sont à elles seules une leçon de création,
un chapitre de l’histoire de l’art ; photographiées, elles se
métamorphosent en un puissant portrait du maître. Le corps de l’artiste
est un absolu, il est la genèse de la création, il est aussi son ultime
intimité. Photographier le corps d’un artiste, c’est comme le mettre à
nu ; c’est aussi la preuve de la persévérance de Derek Hudson, ce
photographe qui a su gagner la pleine confiance de son modèle.
DEREK HUDSON
PARIS, 2006
Les mains de
Pierre Soulages
Quatre photographes de l’agence VII,
Chris Morris, Lauren Greenfield, Antonin Kratochvil,
Marcus Bleasdale livrent un portrait de
l’Amérique d’aujourd’hui
AU PAYS D’OBAMA
Ils témoignent des obsessions d’un empire affaibli
mais prêt à rebondir, et qui croit en son 44e président. Leurs images font partie
de l’exposition « 4 times America » présentée dans le réseau
des Galeries photo de la Fnac jusqu’à fin 2009.
CHRISTOPHER MORRIS
WASHINGTON D.C., NOVEMBRE 2008
Au Lincoln Memorial, Jerome Jacob, 6 ans,
contemple le discours de Gettysburg, prononcé par
Abraham Lincoln le 19 novembre 1863, quatre mois après la
bataille de Gettysburg. C’est ici que Barack Obama
a été investi président le 20 janvier dernier. Ici, qu’en 1963,
Martin Luther King Jr. a prononcé son célèbre:
« I have a dream... » (Je fais un rêve).
Benjamin Lowy
IRAK, FENÊTRE
SUR GUERRE
Comme on découvre une ville à travers les vitres
d’un bus, le jeune photographe américain Ben Lowy regarde
Bagdad derrière le hublot d’un blindé. De jour ou de nuit,
son objectif fixe les images de la cité des Mille et
Une Nuits où « la cruauté a défié l’imagination ». Dans ces
conditions extrêmes, la vie quotidienne continue.
« Quelques signes annoncent qu’un printemps est peut-être
possible », écrit Jean-Pierre Perrin.
C’est sur ce constat que va pouvoir s’appuyer le nouveau
président Barack Obama pour amorcer le retrait
des troupes américaines.
BENJAMIN LOWY
ABOU GHRAIB, BAGDAD-OUEST, 2007
« Le niveau de violence en Irak est tel qu’il est
suicidaire de se balader dans la rue pour prendre des
photos, raconte le photographe. Comme les soldats
américains, je me suis retrouvé bien souvent à
découvrir un pays ravagé à travers l’épaisse fenêtre
blindée d’un Humvee de l’armée.»
Benjamin Lowy a commencé ce travail en 2005 et
le poursuit actuellement.
SARAH CARON
RÉGION DE
DERA ISMAËL KHAN,
DÉCEMBRE 2008
A la frontière entre le WaziristanSud et la province de la frontière
du nord-ouest, les autorités
pakistanaises font appel à des
miliciens tribaux pour veiller sur
cette région menacée par les
taliban. «Ces miliciens sont
parfois eux-mêmes d’anciens
repris de justice. Ils s’achètent
facilement», confie Sarah.
Sarah Caron
“A DERA ISMAËL KHAN,
LES TALIBAN SONT
PARMI NOUS”
L’ouest du Pakistan est devenu le sanctuaire des taliban et
des combattants étrangers d’Al-Qaida. Plus qu’un refuge
pour aller frapper les troupes étrangères dans l’Afghanistan
voisin, la région est elle-même une poudrière où les armes
sont partout. Forces gouvernementales, miliciens tribaux,
taliban, tout ce monde d’hommes armés menace au quotidien la société civile. Seul refuge pour les femmes, l’espace
privé de leur maison derrière de hauts murs aveugles. De là,
elles entendent le bruit de la rue et celui des armes. La photographe Sarah Caron y a été invitée et a rapporté les
images de cette intimité, à l’abri du regard des hommes.
Cédric Gerbehaye
LE CONGO SOUS LA PLUIE D’ACIER
CÉDRIC GERBEHAYE
RDC, NYANZALE (NORD-KIVU)
JUILLET 2008
Le camp de réfugiés de Nyanzale,
dans le Nord-Kivu, au nord de la capitale
provinciale, Goma, se trouve dans
une zone où s’affrontent régulièrement
les factions ennemies.
52 I polka magazine #4
Un conflit lointain, complexe, hors de vue, dans l’est de la République démocratique du Congo déjà ravagé par l’interminable
guerre interafricaine. Alors qu’une nouvelle fois, mi-janvier, l’arrêt des combats a été annoncé, la situation reste dramatique.
Fin août, la reprise de l’offensive par les troupes du général rebelle tutsi Nkunda, arrêté le 22 janvier, a lancé sur les chemins de
l’exode de nouveaux civils terrifiés. Chassés de chez eux par les exactions et les meurtres, les déplacés sont plus de
1 million. Ils survivent dans les camps de réfugiés. Seul mais aussi avec l’aide de plusieurs ONG, Cédric Gerbehaye a photographié cette tragédie. Il a déjà séjourné trois fois, depuis 2007, en Ituri et au Kivu où il continue son travail documentaire.
printemps 2009 I
53
CORÉE DU SUD, SÉOUL, BERGE
DU FLEUVE HAN, 2007
«Cette jeune femme, explique le photographe,
se protège à la fois de la pollution et du soleil.
Dans ce pays de tradition et de modernité,
la bourgeoisie et l’aristocratie considèrent toujours
que seuls les paysans sont bronzés.
Le filet a été posé par un acrobate qui avait tiré
un câble au-dessus du fleuve.»
BBruno
runo BBarbey
arbey
PÊCHEUR D’ICÔNES
« Je suis plus attiré par la beauté, l’humain, le positif. Je ne me plais
pas dans le sordide. Je refuse l’esthétisme de la folie et de l’horreur. »
Entré tout jeune à Magnum, Bruno Barbey sillonne le monde depuis plus de
quarante ans et, s’il a longtemps couvert crises et conflits, préfère
depuis toujours le reportage au long cours, le temps de la réflexion,
la distance qui permet l’analyse. Et l’harmonie des couleurs, dont le Maroc,
le pays de son enfance, sa terre d’élection en photographie, lui a
donné le goût. De la Corée au Brésil, ou déjà dans l’Italie de son premier
reportage, Bruno Barbey signe des icônes toujours riches de sens.
PARIS, 7 JANVIER 2008
RAYAN ET MAROUAN
« J’ai fait peu de photos hors des
chambres. J’ai saisi ce moment où Rayan
et Marouan, les enfants de Malika,
jouaient au foot dans le couloir, alors que
dans cet hôtel c’est interdit, tout comme
mettre de la nourriture au frais sur
le bord de la fenêtre ou cuisiner.
Du coup, le budget des familles est grevé
car elles doivent acheter de la nourriture
toute prête. »
Diane Grimonet
HÔTEL SANS ÉTOILE
Elle a passé dix ans à photographier
les différents visages de la précarité en France. Aujourd’hui,
le sujet défraie la chronique, mais la situation
ne semble pas près de s’améliorer pour autant. Diane Grimonet continue
malgré tout, et vient de terminer un reportage
sur la vie des familles à l’hôtel. Un univers clos, où il
ne fait bon ni vivre ni photographier.
Jean-Gabriel Barthélemy
LA CITÉ INTERDITE
Quand, en 2002, Jean-Gabriel Barthélemy photographie les
barres et les habitants de la Cité des 4000, l’insécurité est le
thème majeur de l’élection présidentielle. A la surprise générale, Jean-Marie Le Pen arrive au second tour face à Jacques
Chirac. Symbole pendant plusieurs décennies de la crise des
banlieues, la Cité des 4000 est lasse de sa mauvaise réputation.
A travers un réseau associatif, la population agit plus qu’elle ne
parle. L’horizon s’ouvre et les barres tombent. Celle du Mail de
Fontenay restera, témoin d’une époque qui est passée de paradis en enfer. Entre la décision de démolir et l’émergence des
nouveaux logements, il faut bien dix ans. C’est long mais l’envie de s’en sortir donne à La Courneuve un élan incontestable.
LA COURNEUVE, 2002
La grande barre Presov, une des murailles bleues de la Cité des 4000 sortie de terre comme
un champignon dans les années 60. On la fera imploser en 2004. Avec elle, une succession d’autres bâtiments de 165 mètres
de large, hauts de 15 étages, ferme l’horizon d’une population qui a doublé en moins de dix ans.
Cette cité pourrait s’appeler, quarante-cinq ans, plus tard la Cité des 2000. La majorité des barres comme Presov est tombée.
La cité se redessine lentement en petits quartiers. Des arbres poussent. Mais le quartier Nord,
qui abrite le tiers de la population, n’a pas encore tous les crédits pour sa rénovation.
Marie-Laure de Decker
ODE AUX WOODABÉS...
POUR UN SOIR OU POUR LA VIE
Chaque année, un peuple nomade du Tchad, les Woodabés,
se retrouve pour un grand rassemblement. Lors de ce rendez-vous au cœur de la savane africaine où bat le pouls des
Peuls, le concours de beauté est le point d’orgue de la fête.
Pendant quatre jours et quatre nuits, les hommes en âge de
se marier rivalisent de beauté et d’artifices pour séduire
les femmes. Chants, poèmes, danses et parades amoureuses, les prétendants jouent leur va-tout. Les femmes,
elles, n’ont plus qu’à choisir l’élu de leur cœur. La photographe Marie-Laure de Decker est tombée sous le charme
des Woodabés et de leurs coutumes ancestrales. Depuis
plusieurs années, elle écrit en images une ode à l’amour
destinée à ce peuple pacifique malheureusement en sursis.
86 I polka magazine #4
BALTHAZAR LEVY
TCHAD DU SUD, 2007
Marie-Laure de Decker réalise
une série de portraits de
femmes. Cette photo est prise
par Balthazar, le cadet, de la
photographe. C’est la
première fois qu’il faisait
partie du voyage. Son frère
aîné, Pablo,accompagne leur
mère depuis le début en 2002.
Page de droite
MARIE-LAURE
DE DECKER
TCHAD DU SUD, 2007
Comme sur le visage de Maba
Adaraï, le maquillage des
prétendants au worso change
chaque année.
Marc Riboud
LE COMPAS DANS L’ŒIL
Depuis 1953, Marc Riboud se promène
de pays en pays, photographie les gens, les paysages,
la vie. Partout, il voit des ronds, des lignes et des courbes. Dès ses
premières photos, il calcule. Le peintre de la Tour Eiffel,
sa première publication, est aujourd’hui une de ses plus belles
icônes et l’un de ses meilleurs exercices. Le secret de l’ancien élève
d’Henri Cartier-Bresson : « Pour bien voir, il faut être rapide
et précis. C’est un entraînement quotidien, c’est un réflexe qui se
cultive tous les jours. Ne dit-on pas : Bon pied, bon œil ! »
MARC RIBOUD
PLANCHES-CONTACTS TOUR EIFFEL, 1953
« Il faut un centième de seconde pour un coup d’œil, pour un déclic, mais, ensuite,
des heures de patience pour choisir la bonne photo sur nos planches-contacts », confie
Marc Riboud. Cette planche-contact, devenue célèbre, est
une des premières du photographe. C’est Robert Capa lui-même qui fit le choix.
Une seule sera sélectionnée par le maître: « Le peintre de la tour Eiffel ».
94 I polka magazine #4
printemps 2009 I
95
polka enquête
PHOTOS À VENDRE
Multiplication des galeries, des photographes,
des techniques, des prix... Le marché, en pleine
évolution, résiste à la crise
A
lors qu’il y a une quinzaine
d’années seulement, la peinture était seule reine des enchères, la photographie s’est
doucement installée comme
une valeur sûre du marché de
l’art. Et ne rompt point sous
la bourrasque économique. A preuve, la dernière
vente Jammes à Paris. André Jammes et sa femme
Marie-Thérèse comptent parmi les passionnés qui ont fait monter les prix des clichés
au cours de la dernière décennie. Ce couple
avait constitué une immense collection de
photographies anciennes : dès les années
50, André, fils de libraires, alors âgé d’une
vingtaine d’années, se penche sur l’histoire
de la photo et commence à engranger. Un
pari risqué à l’heure où ce type d’œuvre est
encore déprécié. Mais un pari gagné dès la
première vente Jammes en 1999 chez Sotheby’s à Londres : elle rapporte près de
11 millions d’euros. En novembre 2008, la
quatrième – et dernière – vente s’est très
bien passée, selon Simone Klein, la spécialiste en photographies chez Sotheby’s Europe, qui précise: «75% des œuvres ont été
vendues.» Avant d’ajouter, comme pour expliquer le bilan de «seulement» 2 millions
d’euros: «En ce moment, vu la crise financière, la situation n’est pas évidente.» Le record: 216750 euros pour un daguerréotype
du baron Jean-Baptiste-Louis Gros réalisé
vers 1850-1857. Les pièces vendues ont
presque toutes dépassé leurs estimations,
parfois largement. Et ce constat n’est pas
isolé. Même si les évolutions ne sont pas
identiques sur tous les marchés.
C’est la photographie dite classique
qui est aujourd’hui sur le devant de la scène.
En noir et blanc, réalisés par des artistes renommés
du XXe siècle comme Henri Cartier-Bresson ou André Kertész, ses «vintages» (tirages d’époque) sont
largement appréciés. Recherchés, ils peuvent atteindre des prix très élevés. Vient ensuite le marché
historique, avec des œuvres du XIXe siècle, lui aussi
en bonne santé. Seule la photographie contemporaine, en couleur, «jeune», semble baisser, toujours
selon Simone Klein qui voit là un signe de la crise
106 I polka magazine #4
par L a u r a M a r z o u k
économique actuelle mais ne s’en inquiète pas :
« Ce qui est de très bonne qualité et très bien
conservé se vend très cher.»
Marc Héraud, le secrétaire général du Syndicat des entreprises de l’image, de la photo et de
la communication, estime, lui, que les prix vont
continuer à grimper car, pour acquérir une photographie d’art, « on n’est pas dans le rationnel : on
achète par coup de cœur ». Tous ne partagent pas
GIANCARLO BOTTI ROMY SCHNEIDER, 1974
La photo a été prise chez l’actrice à Paris, juste avant
le tournage de «L’important c’est d’aimer». Elle existe en plusieurs
formats. Les prix vont de 900 à 2000 euros selon la taille
à la Galerie de l’Instant.
cet avis. Quentin Bajac, historien de la photographie et conservateur au Centre Georges-Pompidou, envisage avec optimisme une prochaine
baisse. Pour lui, les prix trop élevés empêchent
les institutions de faire des acquisitions. Il voit
dans la crise la fin de cette dérive.
Un constat, cependant, fait l’unanimité : le
marché s’est transformé du fait de la multiplication
des galeries. Il en est même apparu d’un nouveau
type, qui vendent des clichés moins chers. Le procédé: faire baisser les prix, qui reposent sur la rareté, en augmentant les tirages. Comme Yellow
Korner, créée en 2005 par Alexandre de Metz et
Paul-Antoine Briat, qui a trouvé son public. Devant
le succès, les deux hommes ont ouvert une
deuxième galerie à Bruxelles et la troisième
est prévue à Paris, rive gauche cette fois.
Dans le même esprit, derrière sa devanture
rose foncé, L’Œil ouvert, tenu par Julien Fayet
et Magali Bru, propose des clichés entre
70 et 1500 euros pour des tirages entre 25 et
200 exemplaires par format. Bien sûr, on
n’y trouve pas de grands noms de la photo,
mais la démarche plaît. «On a des fidèles,
souvent des premiers acheteurs mais aussi
des collectionneurs», se réjouit Julien Fayet.
Propriétaires de la galerie Chambre
avec vues, Agnès Voltz et Bernard Derenne
s’insurgent. Pour ce dernier, la distinction
est nette : « Ces personnes ne vendent pas
des œuvres d’art mais des photographies
d’art en plus de 30 exemplaires.» En effet,
il a été défini qu’en dessous de 30 exemplaires, la photographie peut bénéficier du
taux réduit de TVA à 5,5 % applicable aux
œuvres d’art, au lieu de 19,6 %. Agnès
Voltz et Bernard Derenne sont d’autant plus
hostiles au principe de tirer en grand nombre qu’ils proposent une gamme de prix
serrés, d’une centaine à quelques milliers
d’euros, pour des tirages limités de 7 à
10 exemplaires. Agathe Gaillard, la propriétaire et directrice de la prestigieuse galerie
qui porte son nom, spécialisée dans la photographie à Paris depuis 1975, est encore
plus sévère. Pour elle, à moindre coût on ne vend
rien d’autre que des posters. Même réaction de Gilou Le Gruiec, directrice de VU’ espace ouvert depuis dix ans dans le IVe arrondissement de Paris :
« C’est une initiative dommageable alors que la
photographie a eu du mal à s’installer sur le marché de l’art.» Pourtant, avec la crise économique,
l’initiative de baisser les prix peut sembler pertinente. « Il y a eu beaucoup >>suite page 108
polka prisedevues
Et si Obama proposait
un “Deal” aux photographes
E
par C h r i s t i a n C a u j o l l e *
à manger et de la santé pour tous, donc de la force et de la grandeur, cela nous
videmment, et même s’ils sont tentants, il faut se méfier des
rappelle une autre figure tutélaire de la politique américaine, celle de
parallèles historiques. Encore plus lorsque, à leur manière,
Roosevelt. Et, donc, en photographie, cette exemplaire aventure de l’une des
les acteurs de l’actualité les utilisent, les mettent en scène ou
plus impressionnantes commandes d’Etat, destinée à dresser l’état du
en perspective de façon symbolique.
désastre, lorsque la Farm Security Administration (FSA) demanda en 1935 à
Prudence, donc, par rapport à tout ce qui va suivre et
Roy Striker d’engager les photographes Walker Evans, Dorothea Lange,
qui concerne ce qui, de toutes façons, demeurera l’événeArthur Rothstein, Ben Shahn, Jack Delano, Marion Post Wolcott, Gordon
ment majeur de la première décennie du XXIe siècle: l’élecParks, John Vachon et Carl Mydans pour qu’ils documentent la situation. On
tion de Barack Obama comme 44e président des Etats-Unis d’Amérique. S’il
sait à quel point cette campagne mythique de prise de vues a été essentielle,
fait naître un immense espoir, dans son propre pays comme dans le monde
qui a généré tant d’icônes parmi les 18000 négatifs aujourd’hui conservés à
entier, il serait tout à fait naïf d’oublier certains points qui se révèleront
la Librairie du Congrès (1) à Washington.
essentiels dans les années à venir. Il est, certes,
un métis afro-américain, il défend, certes, des
Ce n’est pas vraiment une provocation,
idées généreuses de justice sociale, de protecmais ce pourrait être un rêve, même si les condition sociale, il veut, certes, en finir avec les ertions ont radicalement changé et la photographie
reurs dramatiques et choquantes, meurtrières et
également : que Barack Obama décide d’une
irresponsables de Georges W. Bush en Irak, en
nouvelle campagne photographique mettant à
Afghanistan, mais également en direction de
plat et révélant une Amérique qu’il faut à l’évil’Iran et dans la gestion du conflit sans fin entre
dence rénover et changer. A quoi pourrait-elle
Israël et Palestine. Pourtant il serait dangereux
bien ressembler ? Elle aurait certainement des
d’oublier qu’il est avant tout américain, qu’il est
similitudes avec ce que nous avons en mémoire,
profondément attaché à des valeurs patriotiques
ne serait-ce que parce que, en dehors de toute
qui veulent restaurer, développer et imposer à
commande, certains photographes, militants, enELLIOTT ERWITT / Magnum Photos
nouveau sur la scène internationale l’influence
gagés, déterminés, explorent depuis des années
WASHINGTON, 20 JANVIER 2009.
Après le Président, photographié comme une star au soir de son investiture,
déterminante des Etats-Unis.
une Amérique des marginalisés. Je pense entre
l'Amérique en crise dans l'objectif de tous les photographes, pourquoi pas ?
Sa vision, ambitieuse et audacieuse de la
autres à un Eugene Richards dont les prochaines
rénovation de l’économie de son pays au moyen d’un plan d’investissement
Rencontres d’Arles nous proposeront une grande rétrospective. Je pense
massif qui s’accompagne d’une prise en compte des réalités écologiques
également à un Stanley Greene, à un Gilles Peress, mais aussi à un Michael
ouvre de réelles perspectives de modernisation en profondeur.
Ackerman, à de nouvelles écritures.
Tout cela peut installer à nouveau l’Amérique aux commandes. Une
La grande différence, évidemment, ce serait la couleur, devenue essenAmérique plus juste, plus respectable, mais toujours aussi soucieuse de son
tielle. Celle d’un Eggleston (dont le Whitney Museum de New York propose
influence et fondée sur des valeurs qui ne sont pas toujours en phase avec les
une rétrospective avec un catalogue impeccable et qui exposera bientôt sa viévolutions de la société. Et, quelque émouvantes que puissent apparaître les
sion de Paris à la Fondation Cartier pour l’Art contemporain), celle d’un Phiaccumulations de symboles, de la prestation de serment sur la Bible de Linlip-Lorca diCorcia, entre instantané et mise en scène, documentaire rigoureux
coln au parcours en train vers Washington, il serait dangereux de se méprenet suspicion par rapport au réalisme, celle aussi de Nan Goldin poursuivant sa
dre : la générosité des idées et la volonté sincère de paix seront balisées par
« Ballade », celle d’un Roberto Polidori dont l’approche des architectures viune forme de réalisme fondé sur l’intérêt supérieur de la Nation.
bre d’ambiances et d’étrangeté. On pourrait en citer des dizaines d’autres,
Elégant, brillant, charismatique, Barack Obama a su, également, s’endans des styles toujours différents, des Nachtwey et des Alec Soth, des salatourer de conseillers qui ont géré, de façon parfaite, sa communication et son
riés de quotidiens locaux qui voient leur emploi menacé par l’effondrement
image. Sans se laisser enfermer. Reste à transformer l’essai. Et, puisqu’il
de la presse, mille autres peut-être. On pourrait rêver que Robert Frank res’agit d’image et que la symbolique est au rendez-vous, nous pouvons tenter
prenne du service, tout comme William Klein, et que l’on rende leurs images
des comparaisons, même si elles relèvent de la fiction.
accessibles, sur Internet, au côté de celles d’amateurs qui témoigneraient avec
Comme en 1929, crise économique et bancaire, chômage, pauvreté,
leur téléphone portable. Et Wendy Ewald demanderait aux enfants de travaildésespoir sont au rendez-vous. On se dit alors que le projet économique du
ler encore à regarder l’Amérique d’aujourd’hui.
nouveau président, s’il vise à moraliser (et à surveiller) le système, ce qui est
« I have a Dream », « We can do it ». Qui sait?
louable, s’apparente également, avec son injection massive de milliards de
dollars pour relancer la machine, à un véritable New Deal. Il est destiné à re* Fondateur de l’agence VU’.
construire physiquement le pays, des ghettos noirs qui n’ont pas vu leur si1. Les amateurs peuvent acheter des tirages, à prix coûtant,
tuation s’améliorer depuis trois quarts de siècle jusqu’à La Nouvelle Orléans
sur le site de la Librairie du Congrès: www.loc.gov
où les dégâts de Katrina n’ont toujours pas été pansés.
A lire: le PhotoPoche consacré à la FSA. «Les photographes de la FSA»,
Du travail pour le plus grand nombre en rêvant que cela soit pour tous,
par Gilles Mora et Beverly W. Brannan, publié aux éditions du Seuil.
•
118 I polka magazine #4
Blouson en agneau velours.
Pantalon droit en coton.
Espadrilles en toile de coton.
Hermes.com
LA BELL E
É V A S I O
N
*de quoi êtes-vous fait ?
Information : 01 55 80 09 10