Cass. com, 5 novembre 2013, n° 11-27400 Selon

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Cass. com, 5 novembre 2013, n° 11-27400 Selon
ACTUASSURANCE – LA REVUE NUMERIQUE EN DROIT DES ASSURANCES
Publication n° 33 NOV - DEC 2013
Cass. com, 5 novembre 2013, n° 11-27400
Assurance vie ; Renonciation (oui) ; Prêts ; Nantissements ; Indivisibilité (non) ; Client averti
(oui) ; Devoir de mise en garde du banquier (non) ; Responsabilité (non)
Selon la Cour de cassation, la réalisation de nombreuses opérations d’investissement
permet de qualifier l’épargnant de client averti à l’égard duquel une banque n’est pas
tenue d’une obligation de mise en garde. En outre, la multiplicité des investissements
réalisés par le client et l’absence d’intention commune de ce dernier avec l’assureur et le
banquier ne peuvent traduire un ensemble contractuel indivisible justifiant la nullité de
contrats de prêts souscrits concomitamment à un contrat d’assurance vie auquel le
souscripteur a renoncé.
Obs. : Responsabilité de la banque et de l’assureur : cas d’exonération
Avant tout examen au fond, une lecture attentive de l’arrêt d’appel rendu dans cette affaire
offre un éclairage procédural intéressant à tout praticien ainsi qu’aux justiciables (CA Paris,
Pôle 2, Chambre 5, 25 octobre 2011, n° 07/04859).
Trois ans et demi après sa déclaration d’appel effectuée le 16 mars 2007, un an après ses
dernières conclusions déposées le 7 septembre 2010, le demandeur a attendu le dernier jour de
la clôture de la mise en état, soit le 5 septembre 2011, afin de déposer des conclusions
modificatives et récapitulatives assorties de quatre pièces nouvelles.
En raison de leur dépôt tardif, la partie adverse n’ayant pas pu en prendre connaissance, la
Cour d’appel a rejeté les dernières conclusions de l’appelant et s’est donc estimée saisie de
ses dernières conclusions antérieures. Si cette décision doit être approuvée, on ne peut que
s’étonner du comportement de l’appelant qui, quelle qu’en soit la raison, a été préjudiciable à
ses propres intérêts.
Au fond, cette affaire opposait un souscripteur désireux de sortir d’un schéma financier mis
en place avec le concours d’un assureur vie et du banquier appartenant au même groupe.
Sur le fondement de l’article L. 132-5-1 du Code des assurances, le 3 août 2004, en sa qualité
de souscripteur d’un contrat d’assurance vie conclu le 17 octobre 1995 il exerce sa faculté de
renonciation prorogée.
Devant le refus de l’assureur de faire droit à sa demande, il obtiendra gain de cause auprès du
Tribunal de grande instance de Paris qui condamnera l’assureur à la restitution de la somme
de 1.016.245 euros avec intérêts légaux pour défaut de remise d’une note d’information
distincte des conditions générales.
En revanche, la demande de nullité des contrats de prêts et des nantissements conclus avec la
banque du même groupe que l’assureur sera rejetée, le demandeur restant tenu du paiement
des mensualités du prêt à l’égard de la banque. L’action menée par le demandeur lui donnera
donc gain de cause partiel.
Cette décision ayant été confirmée en appel, le demandeur saisira alors la Cour de cassation,
laquelle rejettera le pourvoi pour les deux raisons suivantes.
En premier lieu, se basant sur les constatations effectuées par la Cour d’appel, l’arrêt du 5
novembre 2013 retient que les faits font ressortir l’absence d’intention commune des parties
de constituer un ensemble contractuel indivisible.
L’anéantissement rétroactif du contrat d’assurance vie par l’exercice de la faculté de
renonciation prorogée n’entraine donc pas celui des contrats de prêt et des nantissements. Il
en est ainsi même si les contrats de prêt ont été souscrits en lien avec le contrat d’assurance
vie.
Pour en arriver à une telle conclusion, la Cour de cassation retient que les contrats de prêt
avaient une motivation financière autonome et étaient destinés à réaliser des plus-values, de
manière indépendante du contrat d’assurance vie. Le demandeur était libre de l’usage des
sommes mises à sa disposition et une partie de ces sommes a été utilisée à d’autres fins que le
contrat souscrit auprès de l’assureur.
Cette décision révèle l’importance de la rédaction des contrats qui dans cette affaire, avec
l’usage effectif des fonds mis à disposition de l’épargnant, ont constitué les critères de la
caractérisation ou non d’un ensemble contractuel indivisible.
Dans une affaire récente rendue dans la même matière, la Cour de cassation avait retenu le
caractère indivisible du contrat d’assurance vie et des avances consenties par l’assureur (Cass.
civ. 2, 13 juin 2013, n° 12-16054, www.actuassurance.com, n° 32, sept.-oct. 2013, note
Olivier Roumélian). Selon la Cour de cassation, l’exercice de la faculté de renonciation d’un
contrat d’assurance vie a emporté l’anéantissement rétroactif du contrat et de l’avance qui lui
est indivisible, ce qui a privé l’assureur des intérêts.
Ces deux arrêts aux conclusions opposées ne traduisent pas une divergence de jurisprudence.
Au contraire, ils imposent un examen attentif des faits avant de conclure à l’existence ou non
d’un ensemble contractuel indivisible entre un contrat d’assurance vie et des contrats annexes,
comme des avances ou des contrats de prêts garantis par un nantissement. En amont du
contentieux judiciaire, ces deux décisions traduisent également la nécessité d’une rédaction
appropriée des actes afin de faire ressortir au mieux la volonté des parties.
En second lieu, le demandeur sollicitait la mise en jeu de la responsabilité du banquier pour
défaut de son obligation de mise en garde. En réponse, la Cour considéra que le banquier
n’était pas tenu à une telle obligation dans la mesure où le demandeur pouvait être qualifié de
client averti.
Pour retenir une telle qualification, l’arrêt retient que le demandeur avait souscrit à de
nombreuses opérations d’investissement à des dates échelonnées dans le temps. Ce dernier
aurait lui-même relaté avoir souscrit d’autres contrats d’assurance vie et d’autres contrats de
prêt. Le comportement du demandeur a donc été analysé comme un facteur exonératoire de la
responsabilité du banquier.
On peut se demander si cet arrêt de la Cour de cassation du 5 novembre 2013 ne revisite pas
un proverbe au terme duquel un client averti en vaut deux et ne doit donc pas nécessairement
être mis en garde par un professionnel./.
Olivier Roumélian
Cabinet Roumélian
Avocat au barreau de Paris
L’arrêt :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 25 octobre 2011), que le 17 octobre 1995, M. X... a
souscrit un contrat d'assurance-vie auprès de la société PFA vie, aux droits de laquelle est
venue la société AGF vie, devenue Allianz vie (la société), sur lequel il a successivement
effectué des versements, dont une partie a été financée au moyen de prêts consentis par la
société Banque AGF, devenue Allianz banque (la banque), et garantis par un nantissement de
ce contrat ; que les mensualités de ces prêts ayant cessé d'être réglées et la banque l'ayant mis
en demeure de respecter ses engagements, M. X..., par lettre du 3 août 2004, a déclaré
renoncer au dit contrat ; que, le même jour, il a assigné la société et la banque pour voir
déclarer cette renonciation valable, en tout état de cause, prononcer la nullité de l'ensemble
des contrats et, subsidiairement, rechercher la responsabilité de la société et de la banque ;
Sur
le
premier
moyen
:
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté ses demandes en nullité des contrats de
prêt et de nantissement et en paiement de diverses sommes à ce titre, et d'avoir, en
conséquence, dit la banque bien fondée en sa demande reconventionnelle de remboursement
des prêts, alors, selon le moyen, que l'indivisibilité entre des contrats peut résulter de
l'économie générale de l'opération, même en l'absence de toute clause expresse ; que, dans ses
conclusions délaissées, M. X... faisait valoir que l'interdépendance des contrats de prêts et du
contrat d'assurance-vie Tellus découlait, en premier lieu, du fait que tous les contrats avaient
été conclus à l'incitation de M. Y..., salarié du groupe AGF qui l'avait démarché à domicile,
en deuxième lieu, de ce que la société et la banque étaient étroitement liées, en troisième lieu,
du fait que l'intégralité des sommes prêtées avait été directement placée sur le contrat
d'assurance-vie, en quatrième lieu, que le remboursement de ces sommes était garanti par
plusieurs nantissements sur le contrat d'assurance-vie et enfin, que les placements sur le
contrat d'assurance-vie des sommes prêtées était le seul moyen d'assurer leur remboursement
et était donc la justification de l'octroi des prêts, dont le montage, critiqué par la Commission
de contrôle des assurances, générait commissions et frais, qui profitaient à la banque et à la
société, lesquelles ont, ensemble, conclu des transactions communes avec d'autres victimes,
toutes ces circonstances étant de nature à établir ensemble que les prêts et le contrat
d'assurance-vie constituaient une opération économique unique ; que dès lors, en se bornant à
affirmer qu'aucun lien de dépendance n'existait entre ces contrats pour refuser de prononcer la
nullité des contrats de prêt à la suite de l'anéantissement du contrat d'assurance-vie, sans
analyser, ainsi qu'elle y était invitée, les circonstances précises de la souscription et de
l'utilisation des contrats de prêt, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de
l'article
1134
du
code
civil
;
Mais attendu que l'arrêt, par motifs adoptés, après avoir constaté que le produit des prêts
litigieux avait été utilisé, selon l'affectation décidée par M. X..., pour abonder le contrat
d'assurance-vie et obtenir ainsi un capital plus important, retient que ces prêts avaient une
motivation financière autonome, qu'ils devaient permettre de réaliser des plus-values si la
conjoncture boursière se révélait favorable et qu'ils sont indépendants du contrat d'assurancevie, peu important que leur souscription se soit effectuée en lien avec celui-ci ; qu'en l'état de
ces constatations et appréciations, faisant ressortir l'absence d'intention commune des parties
de constituer un ensemble contractuel indivisible, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de
suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a légalement justifié sa décision ; que le
moyen
n'est
pas
fondé
;
Sur
le
deuxième
moyen,
pris
en
sa
première
branche
:
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande tendant à voir dire que la
banque avait manqué à son devoir de conseil et d'information et à la voir, en conséquence,
condamner à lui verser les sommes de 216 000 euros et 20 000 euros en réparation de ses
préjudices, alors, selon le moyen, qu'il incombe au prêteur, sur qui pèse, à l'égard de
l'emprunteur non averti, une obligation d'information et de mise en garde, de démontrer qu'il a
satisfait à cette obligation à raison des capacités financières de l'emprunteur et des risques
d'endettement nés de l'octroi des prêts ; que dès lors, en retenant, pour débouter M. X... de sa
demande tendant à voir la responsabilité de la banque engagée pour manquement à son
obligation de mise en garde contre le caractère excessif des prêts octroyés et les dangers du
montage proposé, que la banque n'avait commis aucune faute dans la mesure où M. X... ne
démontrait pas qu'il n'avait pas disposé des informations nécessaires sur les mensualités dont
il était redevable, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé, ensemble, les
articles
1147
et
1315
du
code
civil
;
Mais attendu qu'après avoir, par motifs adoptés, relevé que les prêts consentis par la banque
étaient postérieurs à la conclusion du contrat d'assurance-vie, que d'autres versements ont été
effectués sur ce contrat par M. X... provenant de ses deniers personnels, tant lors de son
ouverture qu'après la souscription des emprunts, l'arrêt retient que M. X... a procédé à de
nombreuses opérations d'investissement à des dates échelonnées dans le temps, qu'il relate luimême avoir souscrit d'autres contrats d'assurance-vie et d'autres contrats de prêt que ceux en
litige, dont l'un pour l'achat des murs d'une boutique d'antiquaire ; qu'il relève encore que les
prêts en cause, qui devaient abonder un contrat d'assurance-vie et assurer ainsi à long terme
un capital plus important bénéficiant d'un régime fiscal favorable, devaient permettre de
réaliser des plus-values si la conjoncture boursière se révélait propice ; qu'ayant ainsi fait
ressortir que M. X... était un client averti, de sorte que la banque n'était pas tenue à son égard
d'une obligation de mise en garde, la cour d'appel, qui n'avait pas à répondre à un moyen
devenu inopérant, a légalement justifié sa décision ; que le moyen ne peut être accueilli ;
Et attendu que les autres griefs ne seraient pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
PAR
REJETTE le pourvoi ;
CES
MOTIFS
:

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