La crise syrienne et le changement d`orientation de la

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La crise syrienne et le changement d`orientation de la
La crise syrienne et le changement d’orientation de
la diplomatie qatarie
Sébastien Laroze Barrit
Etudiant IEP de Lyon
Stagiaire au laboratoire GREMMO
Novembre 2011
Malgré une population à peine supérieure à un million six-­‐cent milles habitants1 et un petit territoire, la diplomatie qatarie fait preuve d’une grande ambition au Moyen-­‐
Orient. La capacité diplomatique du Qatar peut être appréhendée à travers son dynamisme dans le contexte actuel des soulèvements arabes. Le pays apparaît aujourd’hui comme un des principaux partenaires du « printemps arabe ». Le Qatar est d’ailleurs l’un des seuls pays arabes, avec les Emirats Arabes Unis, à avoir participé aux opérations militaires de l’ONU en Libye dans le cadre de la résolution 1973. En se positionnant du côté des opposants égyptiens, tunisiens, et surtout libyens le Qatar a ainsi investi dans sa future capacité diplomatique. En effet, grâce à ses prises de positions contre les régimes de Moubarak, de Ben Ali ou de Kadhafi, le Qatar a pu tisser des relations privilégiées avec les nouveaux régimes. Ainsi, en août dernier, Moustapha Abdel Jelil, leader du Conseil National de Transition (CNT) Libyen a été accueilli à Doha par l’émir du Qatar, cheikh Hamad Ben Khalifa Al-­‐Thani. Si le Qatar peut mener une diplomatie active dans la région, c’est que le pays dispose de deux atouts de taille. Tout d’abord, le Qatar est la troisième 2 réserve mondiale de gaz et a ainsi un poids économique de premier plan au Moyen-­‐Orient. La richesse du pays, permet au Qatar de financer de nombreux projets dans le monde arabe. Ensuite, le Qatar accueille et finance la chaîne satellitaire panarabe Al Jazeera créée en 1996. Forte de son influence dans le monde arabe, la chaîne donne ainsi au Qatar un poids diplomatique inespéré pour ce petit émirat. Dans le contexte de la crise syrienne, le Qatar qui faisait pourtant figure d’allié du régime de Bachar al-­‐Assad a rapidement protesté contre la répression et a annoncé le lundi 18 juillet 2011 le gel des travaux de son ambassade. Par le rappel de son ambassadeur Zaëd al-­‐Khayarine, le Qatar semble avoir tiré un trait sur l’alliance qu’il avait forgé avec le régime syrien ces dernières années. L’émirat a ainsi préféré miser sur son image auprès du public arabe et sur son rapprochement avec l’Arabie Saoudite. 1 En avril 2010, l’Autorité Qatari de Statistiques estimait la population totale du pays à 1 670 389 individus. http://www.qix.gov.qa/portal/page/portal/qix/subject_area?subject_area=177 2 Site du Ministère français des affaires étrangères. http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/pays-­‐
zones-­‐geo_833/qatar_424/presentation-­‐du-­‐qatar_1267/index.html 2 L’alliance Doha-­‐Damas Dans les années 2000, le Qatar s’est rapproché de la Syrie tant au niveau politique, qu’économique. Tout d’abord, la Syrie a accueilli de nombreux investissements qataris notamment dans le domaine de l’immobilier. Le fond souverain : Qatari Investment authority, à travers sa filiale : Qatari Diar a ainsi financé de nombreux projets en Syrie. Le dernier en date est le Hani Bay Resort : un luxueux complexe d’hôtels et d’appartements à Lattaquié dont la construction est désormais gelée. Au niveau politique, le Qatar a contribué à faire sortir la Syrie de Bachar al-­‐Assad de son isolement diplomatique après l’assassinat de Rafiq Hariri à Beyrouth. L’émirat a ainsi facilité le rapprochement entre Damas et Paris et est un des artisans de l’invitation française à Bachar al-­‐Assad pour le défilé du 14 juillet 20083 à Paris. Pour le Qatar, ce rapprochement avec la Syrie avait un intérêt double. Tout d’abord, l’alliance avec la Syrie, permet au Qatar d’échapper à l’influence de l’Arabie Saoudite sur les pays du Golfe. Aussi, en se rapprochant de la Syrie, le Qatar a pu se rapprocher de son voisin iranien avec lequel de bonnes relations sont indispensables afin de ne pas risquer un conflit sur la délimitation des réserves de gaz4 entre les deux pays. Du coté de la Syrie, l’alliance avec le Qatar qui est devenu selon le FMI le pays le plus riche du Monde5 en 2011, lui assure un appui financier. Pour Barrah Mikaïl la Syrie a choisi de s’allier avec l’émirat en opposition avec le « pro-­‐américanisme partisan »6 de l’Arabie Saoudite. Au niveau régional, le Qatar a donc alimenté financièrement l’axe Damas-­‐Téhéran-­‐
Hezbollah-­‐Hamas qui s’oppose à l’axe pro occidental Egypte-­‐Arabie Saoudite. 3 LEVERRIER, « Bachar Al-­‐Assad menace de confisquer les investissements du Qatar en Syrie », Blog le Monde, 14 mai 2011. http://syrie.blog.lemonde.fr/2011/05/14/bachar-­‐al-­‐assad-­‐
menace-­‐de-­‐confisquer-­‐les-­‐investissements-­‐du-­‐qatar-­‐en-­‐syrie/ 4 Ibidem 5 En terme de PIB par habitant : source FMI : http://www.imf.org/external/data.htm 6 MIKAIL, La Syrie en cinquante mots clés, L’Harmattan, 2009 3 Al Jazeera et la rupture de l’alliance Doha-­‐Damas Malgré l’alliance forgée entre les deux pays, les relations entre la Syrie et le Qatar sont aujourd’hui tendues. Les investissement Qataris en Syrie ont été gelés cet été après que l’ambassade de l’émirat ait été la cible de jets de tomates et de pierres7. La rupture entre les deux pays trouve son origine dans le traitement de la crise syrienne par Al Jazeera. Le régime accuse la chaîne de tenter de déstabiliser le régime en soutenant l’opposition. Les propos virulents du Cheick Al Qaradawi sur Al Jazeera dès le mois de mars contre le régime alaouite ont particulièrement provoqué l’ire des responsables syriens. Le 30 avril dernier, une centaine de personnes se sont rassemblées devant les bureaux de la chaîne à Damas pour protester contre Al Jazeera. Fidèles à la théorie du complot chère au régime syrien, certains ont même brandi des pancartes sur lesquelles était inscrit : « Al Jazeera chaîne satellitaire juive »8. Depuis, les journalistes d’Al Jazeera ont été renvoyés du pays et le régime blâme régulièrement la chaîne pour sa couverture partisane de la crise syrienne. L’agence officielle syrienne de l’information SANA a d’ailleurs publié le 21 octobre9 un article sur son site consacré à la chaîne qatarie. Dans cet article, l’agence accuse Al Jazeera de contribuer aux « massacres contre les citoyens syriens » en orientant les terroristes. Face à la « menace » Al Jazeera, Bachar al-­‐Assad aurait même menacé les investissements qataris en Syrie10 au cours d’un entretien avec le ministre des Affaires étrangères du Qatar. La Syrie : un allié remplaçable Si le Qatar a préféré perdre un allié plutôt que de céder au régime syrien, c’est parce qu’il a considéré que cette alliance n’était pas indispensable à sa diplomatie 7 BLACK, « Qatar breaks arab ranks over Syria », The Guardian, 21 juillet 2011. http://www.guardian.co.uk/world/2011/jul/21/qatar-­‐syria-­‐ian-­‐black 8 « Syria regime supporters round on Al Jazeera », Now Lebanon, 30 avril 2011. http://www.nowlebanon.com/NewsArchiveDetails.aspx?ID=266126 9« La chaîne satellitaire al-­‐Jazeera contribue avec les groupes terroristes armés aux crimes commis contre le peuple syrien », SANA, 21 octobre 2011, http://www.sana.sy/fra/55/2011/10/21/377039.htm 10 « Syria threatens Qatari investments », Yallah finance, 16 mai 2011. http://www.yallafinance.com 4 d’autant que l’émirat s’est rapproché ces dernières années de l’Arabie Saoudite. Les relations entre les deux pays ont été particulièrement tendues dans les années 1990 et au début des années 2000. En 1992, deux gardes qataris ont été tués lors d’un accrochage à la frontière entre les deux pays. En 2000, le Prince saoudien Abdullah Bin Abdul Aziz boycottait le Sommet Islamique au Qatar pour protester contre la présence d’un bureau israélien du commerce à Doha11. En 2002, Riyad est allé jusqu’à retirer son ambassadeur du Qatar après que des opposants saoudiens aient été invités à s’exprimer sur Al Jazeera. Malgré ces tensions, on observe un rapprochement entre les deux pays ces dernières années, notamment depuis la participation de l’Arabie Saoudite au Conseil de Coopération du Golfe de décembre 2007 à Doha12. En mars 2008, après 6 ans d’absence, l’Arabie Saoudite installe un nouvel ambassadeur à Doha13. En juillet 2008, le Qatar et l’Arabie Saoudite s’accordent sur la démarcation de leurs frontières. Enfin, les tensions liées à Al Jazeera s’estompent après que les deux pays aient passé un accord en septembre 2007, révélé par le New York Times14 , dans lequel le Qatar accepte de contrôler la couverture par Al Jazeera des affaires intérieures saoudiennes. Par conséquent, face à la crise syrienne, le Qatar a choisi de suspendre l’alliance stratégique forgée ces dernières années avec le régime de Bachar al–Assad. L’émirat a donc privilégié son image auprès du public arabe d’autant plus que le rapprochement de ces dernières années avec l’Arabie Saoudite a rendu l’alliance avec la Syrie moins essentielle pour le Qatar. 11 AL QASSEMI, « How Saudi Arabia and Qatar became friends again », Foreign policy, 21 juillet 2011. http://www.foreignpolicy.com/articles/2011/07/21/how_saudi_arabia_and_qatar_became_frie
nds_again 12 Ibidem 5