notes sur trois manuscrits syriaques de la john rylands library
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notes sur trois manuscrits syriaques de la john rylands library
NOTES SUR TROIS MANUSCRITS SYRIAQUES DE LA JOHN RYLANDS LIBRARY PAR JULES LEROY CHARGE DE RECHERCHE AU CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE (PARIS) E fonds de manuscrits syriaques de la John Rylands Library ne saurait passer pour aussi riche et attachant que les autres fonds d'Europe. II n'est pourtant pas negligeable. Malheureusement il n'est pas encore catalogue et la mort a pris A. Mingana avant qu'il ait pu donner un recensement complet, comme il 1'avait promis par deux fois .* C'est cette absence de catalogue documente qui explique le peu d'attention porte a cette collection dont 1'histoire a etc brievement, mais assez bien, dite par M. H. Gottstein ici meme,2 dans un premier essai de recensement consacre a quelques manuscrits bibliques rencontres dans plusieurs bibliotheques d'Europe qui ne figurent pas dans leurs catalogues respectifs. La John Rylands Library occupe les pages 432-4, 436-7, 440, 441-2, 444-5 de sa liste : celle-ci ne porte que seize manuscrits ou fragments de manuscrits appartenant au fonds de Manchester. Elle ne peut done pas remplacer le catalogue promis et desire. A 1'occasion de la Deuxieme Rencontre des etudes ethiopiennes tenue a 1'Universite de Manchester du 8 au 11 juillet 1963, il nous a etc donne de faire une breve visite a la John Rylands Library. Le large accueil du Dr. F. Taylor, en mettant a notre disposition un certain nombre de livres dont il a la garde, nous a permis de profiter le plus possible des courts instants qu'il a ete possible de consacrer a 1'examen de quelques manuscrits. Les resultats de cette rapide etude, consignes ici, n'ont pas la 1 B.J.R.L., ix. 337 et volume public en 1924 a 1'occasion du 25eme anniversaire de 1'inauguration de la John Rylands Library, p. 98. 2 M. H. Gottstein, A List of Some Uncatalogued Syriac Biblical Manuscripts, B.J.R.L, xxxvii (1954-55), 429-45. 151 152 THE JOHN RYLANDS LIBRARY prevention d'etre complets. Ce ne sont que des notes dont le but est de souligner 1'importance de cette collection, avec 1'espoir que les manuscrits sur lesquels elles portent pourront exciter la curiosite des syriacisants en attendant le catalogue espere. i. T£TRA£VANGILE, MS. SYRIAQUE NO. i Ce magnifique volume en ecriture estranghelo a merite par sa beaute d'etre expose d'une maniere permanente dans la salle des manuscrits orientaux. II est conserve dans une tres belle reliure moderne en maroquin portant au dos le titre: Evangelia syriaca secundum versionem Peshito dictam. MSS. in membranis, dr. A.D. 700. M. Gottstein le decrit en ces termes l : A parchment volume of the Gospels, containing 227 folios (2 cols.) of large size. The volume is written in a beautiful early Estrangelo (seventh century) and belonged originally to the Crawford collection. Lessons and chapters (sehahe) are inserted in red ink. The parallel chapters in the other synoptic Gospels are noted at the bottom of the page. The manuscript contains Matthew (2b), Mark (67b), Luke (107a) and John (175b). The margins have been repaired with new parchment, but from fol. 218 onward the leaves are damaged badly. Beginning with fol. 222 (John xviii. 8) a later Jacobite manuscript has been substituted. Cette description ne donne pas une nette idee de 1'importance de ce manuscrit qui mesure 29 cm. sur 23 et compte 22 a 25 lignes sur deux colonnes par page. Son age, comme ses caracteres exterieurs, en font un temoin tres precieux des tetraevangiles en usage entre le Verne et le VHIeme siecles dont les traits communs sont bien connus, grace au nombre relativement eleve de temoins parvenus jusqu'a nous. Sans vouloir etre exhaustif, citons le Syr. 12 du Vatican,2 le Plut. I 56 de la Laurentienne de Florence,3 1 M. H. Gottstein, A List of Some Uncatalogued Syriac Biblical Manuscripts, B.J.R.L, xxxvii (1954-55), P. 436. 2 Tetra6vangile de 204 folios (30 cm. X 23,6). Complet. £crit en 548 a Edesse (S. E. Assemani, Bibliothecae Apostolicae Vaticanae codicwn manuscriptorum catalogus, pars i, torn, ii (Rome, 1768), 27-35 ; W. H. P. Hatch, An Album of Dated Syriac Manuscripts (Boston, 1946), PL cxx). 3 Tetraevangile de 292 feuillets (33 cm. X 25). Complet. £crit en 586 a Zagba, en Syrie du Nord (S. E. Assemani, Bibliothecae Mediceae-Laurentianae et Palatinae, codicum MS. orientalium catalogus (Florence, 1742), pp. 1 -25). C'est le fameux codex Rabulensis, cf. H. Buchthal et 0. Kurz, Hand List of Illuminated Oriental Christian Manuscripts (Londres, 1942), pp. 11-12 (bibliographic). SUR TROIS MANUSCRITS SYRIAQUES 153 le Syr. 33 de la Bibliotheque nationale de Paris,1 le Phillipps 1388 de Berlin,2 le Cod. Aug. 31,300 de Wolfenbuttel,3 le Plut. I 58 de Florence,4 auxquels nous ajouterons, parce qu'ils sont moins connus, un manuscrit conserve a Mardin,5 un autre au Patriarchal syro-catholique de Beyrouth 6 et un troisieme dont nous ignorons 1'actuel endroit de conservation.7 Tous ces manuscrits ont 1 Tetraevangile de 127 feuillets (31 cm. X 24). Incomplet du d^but et de la fin. A appartenu au VHIeme siecle au couvent de Mar Hanania de Mardin (H. Zotenberg, Catalogues des manuscrits syriaques et sabeens (mandaites) de la Bibliotheque Nationale (Paris, 1874), p. 13 ; Buchthal-Kurz, loc. cit. p. 19). 2 Tetraevangile de 201 feuillets (33,5 X 26). Origine inconnue. Date par Sachau de la fin du Verne-debut du VIeme siecle (E. Sachau, Verzeichniss der syrischen Handschriften der konigl. Bibliothek zu Berlin, I (Berlin, 1899), 10-15 ; Buchthal et Kurz, loc. cit. p. 9). 3 Tetraevangile de 288 feuillets (35 cm. X 28). Premiere moitie du VIeme siecle (?). Etait dans les environs de Damas en 634 (0. v. Heinemann, Die Handschriften der Herzogl Bibliothek zu Wolfenbuttel, 2, part I (1890), p. 186 ; J. Assfalg, Syrische Handschriften (Verzeichnis der orientalischen Handschriften in Deutschland, V) (Wiesbaden, 1963), pp. 8-13). 4 Tetraevangile de 260 feuillets (31 cm. X 23). Incomplet de la fin. Pas de date, ecriture de la fin du Vlleme-debut du VHIeme siecle. 5 Tetraevangile (32 cm. 5 X 24,5). Incomplet de la fin. Conserve dans 1'eglise de saint Jacques de Sarug de Mardin ; Vleme-VIIeme siecle (J. Leroy, Nouveaux temoins des Canons d'Eusebe illustres selon la tradition syriaque, Cahiers archeologiques (Paris), ix (1957), 119-24). 6 Tetra6vangile de 183 feuillets (31 cm. X 28). Incomplet du debut et de la fin. A appartenu au monastere de Mar Moyse de Nebek (pres de Damas). Veme-VIeme siecle selon A. Riicker, " Ein weiterer Zeuge der alteren Perikopenordnung der syrischen Jakobiten ", Oriens Christianus (1918), pp. 146-53. 7 II s'agit d'un tetraevangile dont H. Th. Bossert, Altsyrien (Tubingen, 1951), Fig. 103, a public la photographic d'une page, d'apres une notice pubhee par 1' Illustrated London News, 1934, p. 762, sous le titre : " A Fifth Century Codex of the New Testament in Syriac Discovered in an Armenian Monastery (actual size 13 inches high, circ. 33 cm.)." Comme il n'existe pas, a notre connaissance, d'autre notice de ce MS. et comme il semble avoir disparu de la circulation, il nous sera sans doute permis de recopier la notice de I.L.N. malgre sa longeur : " We reproduce here a page from one of two important New Testament manuscripts in Syriac discovered by Dr. Rendel Harris, the Biblical scholar, in the Jacobite Syrian monastery of Harput, in Armenia. The MSS. are among the earliest known of the Peshitta version of the N.T. (the ' Authorized version ' of the Syrian Church), almost contemporary with the great archetype on which the text is based. Considering their antiquity, they are in a remarkable good state of preservation. The earlier manuscript (here illustrated), written between A.D. 440 and 450 in a fine large estranghelo script, occupies 100 leaves of vellum, and contains nearly the whole of the Gospels of St. Mark and St. Luke, with about threequarters of St. John. . . . The newly found manuscripts were entrusted to Messrs. 154 THE JOHN RYLANDS LIBRARY ensemble plus qu'un air de famille. Us se ressemblent tellement par Fecriture, les dimensions, la disposition de pages et des elements constitutifs qu'on serait tente de les faire sortir d'un meme scriptorium, si quelques colophons ne permettaient d'attribuer a quelques-uns une origine particuliere. De toute facon, ils doivent remonter tous a un archetype qui a pour auteur peut-etre 1'eveque Rabbula d'Edesse dont le role fut, on le sait, capital dans la diffusion de la version simple (Pesitto) du Nouveau Testament synaque.1 (a) Tous ces exemplaires sont en effet des tetraevangiles de la Pesitto destines a la lecture publique au cours de la messe. C'est pourquoi tous donnent, inseres dans le texte, les titres des lectures. Ces titres sont generalement ecrits en vermilion, mais en memes caracteres que le texte evangelique, sous la forme : " Lecture [ KJL*|JD en entier ou reduit a £ ] pour . . . [suit le nom de la fete ou du dimanche]." A ce moment le systeme des lectures est encore tres peu developpe,2 comme c'est le cas dans le manuscrit de la John Rylands Library. Tres frequemment ces titres ont etc effaces, quand ils ne correspondaient plus a 1'usage. William H. Robinson, Ltd., of Pall Mall, who have offered the two for sale for £3,500, and placed them on exhibition for a short time from May 14. By courtesy of Messrs. William H. Robinson, Ltd., 16 and 17 Pall Mall." La date donnee par YI.L.N. parait trop elevee. 1 Ceci est avance comme simple hypothese. En fait a propos de la Pesitto il y a deux problemes : celui de son auteur et celui du type de manuscnts qui nous occupe. Sur le premier point, la critique est moins affirmative que par le passe sur 1'action de traducteur attribue a Rabbula par une de ses vies en syriaque, cf. A. Baumstark, Geschichte der syr. Literatur (Bonn, 1922), pp. 73-74, et I. Ortiz de Urbina, Patrologia syriaca (Rome, 1958), pp. 211-12 (litterature posterieure a 1'oeuvre de Baumstark). Sur les tetraevangiles, aucune etude n'a paru qui traite le probleme d'une maniere generate et scientifique. 2 Quelques listes seulement ont etc publiees, celle du 12 du Vatican par Assemani, loc. cit; celle du Phillipps 1388 par A. Allgeier, " Cod. Syr. Phillipps 1388 und seine altesten Perikopenvermerke ", Or. Christ., N.S. vi (1916), 147-52 i celle du Rabulensis par A. Merk, " Die alteste Perikopensystem des Rabulakodex", Zeitsch.f. kathol. Theologie, Ixxviii (1913), 202-14 ; celle du manuscrit de Beyrouth par A. Riicker, art. cite a la note 6, p. 153. II n'existe pas encore de travail sur 1'economie des lectures a cette epoque. Celui de F- C. Burkitt, " The Early Syriac Lectionary System ", Proceed, of the British Acad., vol. x (1921-23), repris par A. Baumstark, " Neuerschlossene Urkunden altchristlicher Perikopenordnung des Ostaramaischen Sprachgebietes ", Or. Christ. (1927), pp. 1-22, n'envisage pas tout a fait le meme sujet. SUR TROIS MANUSCRITS SYRIAQUES 155 Le manuscrit de Manchester a conserve tous les siens, parfaitement lisibles, et, pour cette raison facilement exploitables le jour ou on voudra reprendre la question du systeme des lectures liturgiques dans 1'Eglise Jacobite des VIeme-VIIIeme siecles. (b) C'est en effet a cette epoque que remontent les manuscrits de cette classe, ainsi qu'on peut s'en rendre compte par les dates (du moins celles connues) des manuscrits cites plus haut.1 Le tetraevangile de la Rylands Library ne fait pas exception a cette regie, comme 1'a bien vu M. Gottstein en 1'assignant au Vlleme siecle, contrairement a la mention latine de la reliure. Une note inscrite sur la page de garde de la reliure avait depuis longtemps deja fait remarquer 1'erreur commise : " The date given on the outside of this MS. is certainly wrong, and it should have been Vlth century. Instead of circa A.D. 700, read circa A.D. 500 See letters March 28, 1885, Dr. Wright, Cambridge; May 13, 1885, Dr. Rieu, Br. Mus." Comme la plupart des manuscrits de cette classe ont perdu, avec leurs dernieres pages, leur colophon, il est impossible de donner souvent des dates absolues. On s'explique ainsi la marge entre la datation de Wright (c. 550) et celle de Gottstein (seventh century).2 (c) Tous les manuscrits de cette classe offre au bas de chaque colonne les chiffres indiquant les correspondances entre les quatre evangiles. Mais en outre certains comportent, au debut du volume, les Canons d'Eusebe sous une forme illustree qui confere un nouvel interet au manuscrit. C'est le cas des manuscrits de 1 Comme on 1'a vu, les plus anciens, celui du Vatican, suivi du Rabulensis, appartiennent au VIeme siecle (548 et 586) ; un des plus recents parait etre le Cod. Vat. Syr. 13 de 1'annee 736 (Assemani, loc. cit. p. 36; Hatch, loc. cit. PL LI I). Mais certains traits exterieurs donnent a penser qu'il ne rentre pas exactement dans la classe etudiee. On peut done dire avec plus de precision que ces eVangeliaires appartiennent au VIeme-VIIeme siecle. 2 On arrivera a plus de precision quand on aura une bonne methode paleographique syriaque qui manque enormement. Le livre de Hatch qui offre une seVie de manuscrits dates peut servir de point de depart. Mais le precede qui consiste a donner une date d'apres la simple ecriture doit etre manie avec beaucoup de delicatesse. II faut toujours laisser une marge d'imprecision, car il faut admettre qu'un scribe ancien ecrit pendant la plus grande partie de sa vie selon la maniere apprise dans sa jeunesse. 156 THE JOHN RYLANDS LIBRARY Florence, de Berlin, de Paris, de Mardin. l ... En etait-il de meme a 1'origine de celui de Manchester? On ne saurait 1'affirmer. Un fait cependant milite en faveur d'une reponse affirmative. Tel qu'il est aujourd'hui le manuscrit est incomplet du debut, car il commence avec le deuxieme cahier, comme on s'en rend compte a la marque 2 (2) inscrite dans la marge inferieure du fo. l v, ou commence 1'evangile de Matthieu. Ce fait pourrait nous convaincre de la perte des Canons. Mais la chose n'est pas absolument sure, car, dans la tradition syriaque, les Canons d'Eusebe occupent d'ordinaire 19 pages, 2 ce qui ne s'arrange guere avec le nombre de 10 pages dont se composent generalement les cahiers des manuscrits syriaques. On peut supposer, il est vrai, que le scribe, ramenant sur une seule page plusieurs Canons, comme 1'a fait celui du Vaticanus Syrus 268,3 a reussi a comprimer en 10 pages ce qui ailleurs en occupe 19. Mais une autre hypothese se presente a 1'esprit. Le recto du fo. 1 est en effet entierement rempli par une liste de titres de chapitres. L'ecriture est posterieure au reste du manuscrit, mais les titres ainsi ajoutes Tont etc de telle sorte qu'ils correspondent a des chiffres d'ecriture estranghelo semblable a celle du texte. On a bien 1'impression d'etre en face d'une " restauration " d'un texte preexistant. II faudrait alors supposer que le premier cahier aujourd'hui perdu etait consacre aux tables des chapitres des differents evangiles. Mais comme celles-ci ne sauraient remplir 10 pages, il est possible que notre manuscrit ait eu quelques pages illustrees. S'il en etait ainsi, leur disparition serait une perte tres regrettable pour 1'histoire de la peinture en domaine syriaque au VIeme-VIIeme siecle.4 (d) Pour la raison dite plus haut (perte de colophons), il est difficile d'assigner un lieu d'origine sure a la plupart des manu1 C. Nordenfalk, Die spdtantiken Kanontafeln (Goteborg, 1938), pp. 223-59 ; J. Leroy, article cite a la note 5, p. 153. 2 C. Nordenfalk, loc. cit. Voir aussi A. Vaccari, " Le sezioni evangeliche di Eusebio e il Diatessaron di Taziano nella letteratura siriaca", Riv. di studi orientali, xxxiii (1957), 433 ff. 3 J. Leroy, Nouveaux temoins, loc. cit. p. 136. 4 £tude generate, J. Leroy, Les manuscrits syriaques a peintures conserves dans les bibliotheques d'Europe et du Proche-Orient (Paris, 1964). SUR TROIS MANUSCRITS SYRIAQUES 157 scnts de cette classe. Souvent d'ailleurs les notices ne font allusion qu'a 1'appartenance a telle ou telle eglise, et comme rien n'est plus facilement transportable qu'un livre, 1'appartenance n'implique pas 1'origine. II peut en etre ainsi pour notre tetraevangile. A la suite de la table du fo. lr qui vient d'etre citee, on lit, quoique avec beaucoup de difficulte, la mention : " Ce livre des IV Evangiles appartient au monastere de Mar Zachee [^=>j]; quiconque 1'aura emporte . . . [suit un anatheme conforme a ceux qu'on lit en beaucoup de livres syriaques]." La notice parle done uniquement de la presence du livre au couvent de Mar Zachee. On en connait un de ce nom a Antioche.1 On voit par ces remarques combien le tetraevangile de la John Rylands Library est susceptible de piquer la curiosite de tous ceux qui s'interessent, non seulement au texte de la Pesitto, mais aussi a 1'histoire de la culture des monasteres syriens a 1'epoque ou s'est constitute 1'Eglise Jacobite. II devra etre pris en consideration le jour ou quelqu'un abordera 1'etude des manuscrits, non dans leur contenu, mais dans leur realite concrete, dans leur " materialite ", sous leur aspect " codicologique ", c'esta-dire comme un objet capable de nous renseigner sur les techniques, sur les formes adoptees, sur les precedes d'elaboration, d'execution et de diffusion du livre dans les chretientes de langue syriaque. Get aspect economique et artisanal de ce qu'on appelait autrefois la " Hbrairie " n'a jamais appele 1'attention. Celle-ci s'est surtout portee jusqu'ici sur la paleographie, du moins en ce qui touche 1'Orient, car les connaissances " codicologiques " sont beaucoup plus avancees, quand il s'agit des manuscrits grecs et latins. L'exemplaire de Manchester aura sa place dans une pareille etude, d'autant mieux qu'il est conserve presque en son entier et qu'il est d'une lisibilite parfaite.2 1 G. Downey, A History of Antioch in Syria from Seleucus to the Arab Conquest (Princeton, 1961), p. 659 ; W. Wright, Catalogue of Syriac MSS. in the British Museum (London, 1870), p. 70. 2 C'est un point qui n'a pas etc touche dans le livre de A. Voobus, Studies in the History of the Gospel Text in Syriac (Louvain, 1951), oil il a souvent fait allusion au travail des scribes. 158 THE JOHN RYLANDS LIBRARY II. LECTIONNAIRE DES EVANGILES, MS. No- 66 A ce manuscrit le Dr. Gottstein a consacre les quelques lignes suivantes de son article (p. 441): A Gospel lectionary in the Harklean recension for festivals and Sundays, written on parchment. The manuscript contains 176 folios (2 cols.) of fairly large size. It is written in an Old Jacobite hand of the tenth-eleventh century. Some leaves are missing. L'auteur de ces lignes rapproche en outre ce manuscrit d'un autre, le no. 69, dont il dit: A fragment of a Gospel lectionary in the Harklean recension, written on parchment. The volume contains 75 folios (2 cols.) of fairly large size, and is written in a rather early Old Jacobite hand. It is older than no. 66 and, in fact, seems to be one of the oldest lectionaries to contain the Harklean recension. The volume is slightly damaged and the margins have been repaired. N'ayant pas eu le temps de voir le MS. no 69, il nous est impossible de juger du bien-fonde des remarques du Dr. Gottstein sur son anteriorite etablie sur 1'ecriture. Du moins pouvonsnous ajouter quelques precisions sur la nature et 1'aspect du no. 66. Le manuscrit se presente dans une reliure qui parait originale, faite de deux ais de bois recouverts de cuir repare en plusieurs endroits. Ses pages mesurent 24 cm. sur 17J (justif. 18 x 12J) et comptent chacune 27 lignes disposees en deux colonnes. Comme 1'a deja tres bien vu le Dr. Gottstein, ce n'est pas un livre analogue aux tetraevangiles etudies plus haut que nous avons sous les yeux, mais un evangeliaire-lectionnaire au sens propre du terme, c'est-a-dire un livre contenant exclusivement les pericopes retenues pour etre lues a vepres, a la messe, et a matmes. Celles-ci sont rangees dans 1'orde des fetes et des dimanches, en commencant par le dimanche de la Consecration de 1'eglise, qui ouvre 1'annee chez les Jacobites. Ainsi beaucoup de passages contenus dans les tetraevangiles sont absents de ce volume. II en est de meme dans 1'Eglise latine au moyen-age ou 1'evangeliaire forme un livre a part a cote du sacramentaire et de 1'epistolier. * Ce type de livre parait avoir etc institue par les Orientaux, tant Jacobites que nestoriens, vers les Xleme-XIIeme siecles. II 1 Cf. art. "£pitres"et"Lectionnaire"dansleDicfi'onnai're d'archeologiechretienne et de liturgie. SUR TROIS MANUSCRITS SYRIAQUES 159 nous est conserve dans un grand nombre de manuscrits qui, de la meme maniere que les tetraevangiles, presentent des traits communs, non seulement dans leur organisation interne, mais aussi dans 1'apparence exterieure et materielle. La plupart des exemplaires parvenus jusqu'a nous s'offrent sous un grand format. Generalement les dimensions ne sont pas inferieures a 40 cm. de haut, tandis que la largeur va jusqu'a 35 cm. En outre ils attestent une certaine recherche d'elegance et de beaute visible a la fois dans la graphic (une grosse estranghelo) et les elements decoratifs ajoutes au texte. Frequemment les titres sont en lettres d'or ou encore de couleur rouge ou bleue. Parfois ils s'inscrivent dans des cadres a fond colore. Des culsde-lampe en entrelacs separent les lectures et chaque cahier porte un numero d'ordre inscnt dans la marge inferieure dans des petits cadres a figures geometriques variees qui rappelent assez certains decors islamiques. Tout indique un gout luxueux que ne connaissent pas les manuscrits anterieurs, meme pas les tetraevangiles a peintures que nous avons signales. 1 Le manuscrit de Manchester montre qu'a cote d'exemplaires de grand format, il en a existe d'autres de dimensions moindres. A notre connaissance, ceux-ci sont moins nombreux. Mais une recherche systematique dans les bibliotheques montrerait peutetre que les deux formats ont eu un egal succes. II arrive souvent que ces evangeliaires, que nous pouvons classer parmi les livres de luxe, ajoutent aux elements decoratifs enumeres plus haut une suite de tableaux des lectures places en tete du volume, et meme des illustrations dont le theme est emprunte a la vie du Christ. Presque toujours y sont joints les portraits des evangelistes. Les manuscrits syriaques a peintures sont beaucoup moins nombreux que les livres grecs et latins enlumines. Une longue recherche, dont les resultats paraissent actuellement, en a fait connaitre une cinquantaine soit entierement conserves soit lacunaires, soit simplement attestes par les documents litteraires qui en signalent 1'existence a un moment donne. Ils couvrent une periode allant de VIeme siecle au XVIeme. Assurement il faut tenir compte des destructions, dont les textes historiques 1 J. Leroy, Les manuscrits syriaques, loc. cit. pp. 111-13. 160 THE JOHN RYLANDS LIBRARY font souvent mention, pour expliquer ce petit nombre. Mais cette rarete ne trouve pas la sa seule explication. Le monde syriaque n'a montre qu'une faveur relative aux livres illustres. C'est ce qui fait a nos yeux I'importance du manuscrit de la John Rylands Library, car il possede deux peintures qui avaient echappe a notre recherche et nous ont etc signalees par le Dr. Taylor. Elles ont pris place dans notre recueil,1 mais il parait bon d'en donner une breve description ici. Dans 1'ensemble elles confirment les resultats que nous avons pu obtenir dans d'autres livres sur les conceptions artistiques des chretiens de langue syriaque. L'illustration du MS. 66 se reduit a deux grands tableaux places en tete et a la fin du volume. Chacune est aux dimensions du manuscrit. 1. Au debut (PI. I) deux evangelistes, assis face a face, devant un bureau commun, surmonte de deux pupitres vides, les pieds poses sur un tapis. Celui de droite a les traits d'un homme avance en age, quoique ce ne soit pas un veritable vieillard. Assis sur un tabouret recouvert d'un coussin orne il tient sur son genoux gauche une feuille blanche, tandis que sa main droite s'avance jusqu'a toucher le bureau cubique en marquetterie. Le portrait est peint devant un edicule a toit incline auquel est attache un rideau qui tombe en se nouant derriere son dos. L'evangeliste qui lui fait face a souffert et ses traits sont beaucoup moins lisibles. C'est un homme dans la force de 1'age posant les deux mains a plat sur une feuille blanche etendue sur ses genoux. Comme son vis-a-vis il s'incline legerement, mais il n'y a pas derriere lui le rideau qu'on voit a droite. Les deux personnages sont caracterises par une immense aureole doree qui enveloppe leur tete. Tous les deux ont pour arriere plan deux edifices imposants, a toits inclines reposant sur des arcades. L'un des deux, celui de gauche, est certainement une eglise avec son clocher bas surmonte d'une croix. Le batiment de droite montre une tourelle terminee en coupole. Les mots : -Jioo JLioi, " celui-ci est Matthieu " et>»aapo jjot, " celui-ci est Marc ", inscrits en serto d'une maniere grossiere 1 J. Leroy, Les manuscrits syriaques, loc. cit. PI. 157 ; analyse, T.L, pp. 257-8. PI. I. Saint Matthieu et Saint Marc. (Rylands Library, Manuscrit Syr. 66.) SUR TROIS MANUSCRITS SYRIAQUES 161 sont des ajoutes auxquelles il ne faut pas necessairement donner foi, comme nous le dirons plus bas. *•• A la fin du livre deux evangelistes representes comme ceux du debut. La composition generale est la meme. Les deux personnages, assis vis-a-vis, ont la meme aureole demesuree, un type physique assez semblable. Us ne se distinguent guere que par leur attitude. Celui de droite, derriere lequel on retrouve la petite construction a rideau de 1'image precedente, est assis dans une chaire de bois a menuiserie richement travaillee. Us se tourne de trois-quarts vers le spectateur, tenant dans la main gauche un rouleau deploye qui n'a jamais recu aucune inscription. Celui qui lui fait face a subi les injures du temps, comme dans le tableau du debut. II releve la tete et tend le bras gauche vers le pupitre dresse au dessus du bureau. Le bas de 1'image est rempli par un tapis. Au sommet on retrouve en perspective les deux imposants monuments de 1'image precedente. Avec quelques variantes, ils s'inspirent des memes formes d'architecture. Le batiment de gauche, egalement une eglise, fait voir dans 1'ouverture de son mur un escalier. Deux inscriptions en serto, ajoutes posterieurement par la meme main qu'au tableau precedent, disent, a droite ^JJo... Jjoi, " celui-ci est Jean "; a gauche, yO^CL^ yocxlo^j j.r>a\ )joi, " celuice est Luc ; leur priere (soit) avec nous ". L'usage de representer les evangelistes est, comme on sait, conforme a la tradition classique et hellenistique.1 Les chretiens 1'ont adopte de bonne heure et on le trouve utilise dans les plus anciens evangeliaires conserves, comme le Rossanensis en Grece et le Rabulensis en territoire syriaque.2 Chez les chretiens une double tradition iconographique s'est creee. Les evangelistes sont representes soit debout, soit assis a leur table de travail en train d'ecrire ou attendant 1'inspiration.3 C'est ce dernier parti qu'a suivi 1'artiste auquel on doit les deux miniatures de notre manuscrit. Ils sont assis se faisant 1 Cf. Virgile du Vatican ; Dioscoride de Vienna. 2 Pour le Rabulensis, J. Leroy, Les manuscrits, PI. 28; A. Mufioz, // codice ivyTari,, pwpwpeodi Rossanoe il frammento sinopense (Rome, 1907)3 A. Friend, " The Portraits of the Evangelists in Greek and Latm Manuscripts ". Art Studies, 1927. £tude qui demanderait a Stre reprise. 11 162 THE JOHN RYLANDS LIBRARY face. Ce rapprochement sur une meme page n'est guere conforme a la tradition Byzantine, qui prefere donner une page entiere a chaque ecrivain generalement place, non en tete du livre, mais au commencement de son evangile. Le rapprochement sur une meme page est au contraire bien connu des peintures syriaques. Le plus ancien temoignage nous en est donne par le manuscrit de Rabbula.1 Par un cote seulement les deux images du MS. 66 paraissent s'ecarter de cette tradition iconographique. Ces portraits occupent deux pages disposees en tete et en queue du volume. Cest un cas unique parmi tous les manuscrits que nous connaissons, quelle que soit leur origine, grecque, orientale, et meme latine. On n'a jamais vu le portrait d'un auteur a la fin de son livre. Pour interessant que soit ce detail, il n'a pas grande valeur, car les pages contenant les peintures ont etc remontees sur onglet et leur ordre actuel ne peut aucunement passer pour originel. II est tres probable que ces deux feuillets se faisaient face et que le manuscrit rentrait ainsi dans la categoric des livres a images placees en frontispice. Comme il est impossible de dire quand a etc fait le deplacement du second feuillet, il ne faut pas tenir compte des inscriptions maladroites ajoutees apres coup en serto. Leur auteur a inscrit les noms des evangelistes dans 1'ordre traditionnel, Matthieu, Marc, Luc et Jean. Comme d'autre part ces portraits sont assez defigures, leur type physique n'est pas toujours tres clair et une identification exacte parait illusoire. Telles quelles cependant ces miniatures meritent de ne pas etre absolument passees sous silence. III. LE MANUSCRIT No. 16 ET SON "LABYRINTHE" En raison de sa nature, le manuscrit de papier de 119 folios (21 \ cm. de haut sur 16 de large) catalogue sous le no. 16 ne figure pas dans les livres examines par le Dr. Gottstein. Ce n'est pas en effet un manuscrit biblique, mais une grammaire attnbuee a Bar Hebraeus. II ne peut retenir 1'attention longtemps ni par son texte, ni par son ecriture, ni par son age tres recent. Une note, en fin du livre, nous dit en effet qu'il a etc ecrit a 1'epoque 1 Voir nos remarques, Les manuscrits syriaques, p. 258. SUR TROIS MANUSCRITS SYRIAQUES 163 du partiarche Ignatios (qui est Elias de Mossoul), par Seliba, fils du diacre Joseph de Sebrina. Celui-ci figure sous le no. 293 dans la liste des scribes syriaques etablie par le patriarche Ephrem Barsaume dans son histoire de la litterature synaque ecrite en arabe.1 Son activite de scribe se place entre 1853 et 1885. Le livre n'est done qu'une copie de 1'ceuvre de Bar Hebraeus. Le seul element capable d'eveiller 1'interet est constitue par la grossiere image peinte a la fin du volume. On y voit un cavalier en train de couper la tete d'un homme, operation a laquelle il est occupe depuis longtemps si Ton en juge par le nombre de tetes coupees qui gisent a ses pieds ou qui sont rangees autour de rimage. Cette scene violente se passe a cote d'un labyrinthe carre, de sept allees, portant au centre une petite inscription : '* Voici le ville de Jericho vers laquelle est venu Josue pour la combattre. Ceux qui sont a 1'interieur de la ville, ce sont les geants (ou ' les heros ')". Cette inscription est confirmee par une autre placee au dessus de la tete du cavalier : *' Voici Josue bar Nun qui avait a combattre les geants. " Cette etrange image ne serait pas de nature a nous arreter plus longtemps, si elle ne soulevait un probleme que nous avons deja rencontre. II existe a la Bibliotheque de 1'Universite Saint Joseph de Beyrouth une grammaire syriaque comparable a celle de la John Rylands Library qui porte au debut, non a la fin du volume, une image semblable a celle que nous etudions maintenant.2 En faisant connaitre cette representation mconnue de 1'iconographietraditionnelle, nous nous demandions quelle pouvait bien en etre la signification. Etait-ce un jeu ? une image symbohque des difficultes presentees par 1'etude de la grammaire ? ou simplement une image de caractere magique ? Cette image d'un labyrinthe se retrouve dans un manuscrit armenien de XVIIeme siecle,3 oil il illustre le passage de Josue, vi. 22. 1 Ephrem Barsaume, Histoire des sciences et de la litterature syriaque (Horns, 1943), appendice. 2 J. Leroy, " Manuscrits illustres de la Bibliotheque de 1'Universite Saint Joseph ", Melanges de VUnwersite Saint Joseph, xxxiii (1956), 218-20, PI. VIII ; Les manuscrits syriaques, loc. cit. p. 424, PI. 158. 3 S. der Nersessian, The Chester Beatty Library. A Catalogue of the Armenian Manuscripts (Dublin, 1958), i. 9. 164 THE JOHN RYLANDS LIBRARY Mais la il est a sa place, tandis qu'il semble hors de lieu dans une grammaire. Bien que les chretientes de langue syriaque aient montre moins d'attrait que d'autres chretientes orientales, par exemple 1'Ethiopie, pour les prieres et les representations magiques et superstitieuses, elles n'en ont pas etc totalement degagees. Un manuscrit conserve a Leningrad 1 contient des images centre la malemort. Peut-etre est-ce a un meme monde de pensee qu'appartiennent les deux representations de Josue et du labyrinthe. Le probleme est laisse a ceux qui s'interessent specialement au domaine de la magie et de toutes les pratiques superstitieuses. C'est la seule raison qui nous fait signaler ici cette pauvre image. 1 N. Pigulevskaia, " Catalogue des manuscrits syriaques de Leningrad " (en russe) in Palestinskji Sbomik, Ixix (I960), 124.