mai 68 en belgique

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mai 68 en belgique
MAI 68 EN BELGIQUE:
LA BRECHE ECLATEE
Benoît Lechat, chercheur à etopia
Avril 2008
www.etopia.be
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Lorsque le 13 mai 1966, les évêques belges publient ce que dans le vocabulaire du droit canon on
appelle un « mandement », c’est-à-dire un ordre écrit adressé à l’ensemble des catholiques du
pays, dans lequel ils réaffirment la légitimité de la présence d’une université catholique bilingue
en territoire flamand, ils ignorent sans doute qu’ils vont ouvrir une période d’agitation politique
qui, à terme, va transformer radicalement le visage de l’Etat et de la société belges. En Belgique,
la vague de contestation étudiante qui touche la plupart des sociétés occidentales commence par
cette décision d’une hiérarchie religieuse qui, pour les nouvelles générations, semble tout droit
sortie de la nuit des temps. Elle entraîne non seulement la mobilisation du mouvement national
flamand, né dans la seconde moitié du XIXème siècle, mais aussi l’émergence d’un mouvement
étudiant d’un nouveau genre. Dans la partie francophone du pays, cette mobilisation ne trouve
évidemment pas de prolongement. Mais là aussi, de manière certes très différente, la
contestation étudiante s’en prend à l’autorité universitaire et en l’occurrence au conseil
d’administration de l’ULB, dont le caractère non-démocratique est dénoncé. Plus tard, les
étudiants francophones de l’université de Louvain tenteront également – au moins
partiellement – de profiter de leur transfert en terre wallonne pour transformer de fond en
comble leur institution. En Belgique, en 1968, la remise en question de l’autorité porte d’abord
sur le pouvoir universitaire
Dans une société soigneusement découpée par ses lignes de fracture religieuses, sociales et
culturelles, la contestation ne parvient cependant jamais à s’unifier et à donner le jour à une
mobilisation commune. Le ’68 belge est à l’image de la société dans laquelle il émerge :
soigneusement cloisonné. Il n’empêche : les bouleversements qu’il suscite changent le visage de
« la Belgique de papa » aussi bien au plan institutionnel que social et culturel. Quarante ans plus
tard, on commence à mieux voir l’apport de ces années de mobilisation : les changements
qu’elles ont amenés, leurs ambiguïtés, leurs échecs et leurs inaboutissements nous apparaissent
progressivement. L’entrée de leurs animateurs dans la retraite marque la fin de l’époque qu’ils
avaient ouverte et dont nous resterons encore longtemps les héritiers.
En 2008, l’incertitude sur l’avenir de la Belgique et les angoisses provoquées par une
mondialisation non régulée ne doivent pas tromper sur la manière dont ceux qui avaient vingt
ans en 1968 en Belgique ont perçu leur propre époque. Derrière les images de bien-être que
pourraient susciter le souvenir d’une croissance économique soutenue et d’un quasi pleinemploi, se dessinent les contours d’un malaise polymorphe. En Wallonie, ce qu’on appellera « le
choc de l’hiver ’60 » est encore sourdement présent dans les mémoires. Huit ans plus tôt,
quelques mois après avoir accordé l’indépendance au Congo dans une improvisation complète,
le gouvernement belge a annoncé un plan d’économies qui a déclenché une grève de plusieurs
semaines dans le vieux sillon industriel wallon. Le monde ouvrier wallon se mobilise surtout
pour dénoncer son lâchage progressif par le capitalisme belge. Les années ’60 marquent en effet
le renversement du rapport de forces entre l’économie wallonne et flamande. Celle-ci connaît un
développement sans précédent, profitant autant de la réorientation du capitalisme que du
dynamisme émergent d’un réseau de PME soutenue par quelques banques qui n’hésitent pas à
jouer la carte du développement flamand. Du côté wallon, les demandes de réformes de
structures économiques tardent à se faire entendre au sein même du mouvement socialiste. En
Flandre, le décollage économique se fait dans une société encore fortement sous l’emprise de
l’église catholique. Les adultes y transmettent soigneusement la mémoire des humiliations
infligées pendant des décennies par la bourgeoisie francophone de Flandre et par ses relais dans
l’Etat belge. A la même époque, le système de concertation sociale belge est consolidé par un
certain nombre de mesures comme la reconnaissance légale des conventions collectives
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conclues entre les partenaires sociaux ou la création de systèmes de primes syndicales (le
remboursement des cotisations syndicales par l’employeur) qui renforcent la place des syndicats
dans le système de décision belge.
Le développement de l’Etat-providence belge passe aussi par la massification progressive de
l’accès à l’enseignement supérieur. Après des années d’affrontement entre partis chrétiens et
laïcs, le pacte scolaire de 1958 a assuré le financement et le développement parallèle de plusieurs
réseaux d’enseignement : étatique, libre catholique et non confessionnel, communal et
provincial. Le budget de l’éducation encore nationale double quasiment dans la première partie
de la décennie. Mais un décalage persiste entre la modernisation économique et la
modernisation culturelle, comme si la reconquête du confort matériel avait indéfiniment reporté
le renouvellement des schémas éducatifs qui n’ont pas tellement évolué depuis les années
d’avant-guerre. Cette remise en question sera du reste facilitée par le développement de
l’enseignement de masse et par l’explosion des attentes sociales qu’il ne manquera pas de
susciter.
C’est dans ce contexte que survient le mandement des évêques belges du 13 mai 1966, dans
lequel ils confirment leur attachement au maintien d’une université bilingue francophone et
néerlandophone à Louvain en territoire flamand. Or en 1962 le parlement belge a fixé le tracé
d’une frontière linguistique qui partage le pays en deux zones homogènes, l’une francophone
au sud, l’autre néerlandophone au nord. Le maintien d’une exception à cette règle, que
soutiennent les évêques au nom de la perpétuation d’une tradition intellectuelle ouverte en 1425
par le Pape Martin V, réveille l’angoisse de la « tâche d’huile » dans l’opinion flamande, à savoir
la crainte de voir la francisation qui a fortement réduit la présence néerlandophone à Bruxelles
et autour de la capitale se poursuivre au cœur du territoire flamand. Elle provoque l’opposition
immédiate des étudiants flamands de l’Université Catholique de Louvain. Depuis les années
’50, ceux-ci sont devenus majoritaires. Mais la section française de l’université catholique n’est
pas en reste. Sa croissance requiert de nouvelles infrastructures que les autorités religieuses
francophones souhaitent construire à Louvain.
La mobilisation flamande est multiforme. On y retrouve des associations traditionnelles du
mouvement flamand, comme le Vlaams Volksbeweging et les différentes organisations
culturelles des familles politiques flamandes. Mais le fer de lance de la contestation est constitué
par le SVB (Studenten Vakbeweging), un syndicat étudiant emmené par un ancien séminariste,
Paul Goossens, que sa notoriété ultérieure transformera en une sorte de Cohn-Bendit flamand.
Sa motivation est d’abord politique et sociale. Il s’agit alors pour Goossens et tous ceux qui
s’engagent avec lui de rejeter le caractère autoritaire de l’épiscopat et de dénoncer dans un
même geste la domination de la hiérarchie religieuse, de la monarchie et de la haute bourgeoisie
francophone du nord et du sud du pays sur la société belge. Leur tête de turc, le Premier
ministre de l’époque, Paul Van den Boeynants, un homme d’affaire bruxellois, incarne à
merveille l’emprise du parti social-chrétien. En 1966, la mobilisation s’interrompt avec l’arrivée
des vacances. Elle reprendra l’année suivante et connaîtra un nouveau point d’orgue en janvier
1968 après l’annonce de la poursuite de l’extension de la section francophone de l’UCL à
Louvain. La ville universitaire connaît alors de nouvelles semaines de manifestations. Les deux
ailes linguistiques du parti du Premier ministre se déchirent. Le 7 février, le gouvernement
démissionne.
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Le ’68 flamand est donc le seul mouvement étudiant qui ait eu la peau d’un gouvernement.
Mais sa « victoire » est pour le moins ambigüe, à l’image d’un slogan « Walen go home » qui
mélange les accents anti-impéralistes du mouvement contre la guerre du Vietnam à ceux d’une
lutte nationaliste contre des Wallons confondus abusivement avec la bourgeoisie francophone
de Flandre. Bien sûr, le SVB transformera ce slogan en « bourgeois go home », mais il ne
parviendra jamais complètement à éviter sa récupération par un mouvement nationaliste qui
redoute pourtant comme la peste ses débordements gauchistes et ouvriéristes ainsi que ses
revendications de démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur. A l’époque, le SVB
multiplie ses présences aux entrées des usines en grève (notamment dans les mines du
Limbourg en pleine fermeture) et quelques unes de ses têtes de file fonderont quelques années
plus tard un parti maoïste - Tout le Pouvoir aux Ouvriers – qui deviendra le Parti du Travail de
Belgique (PTB), encore aujourd’hui le seul stalinien des partis d’extrême gauche en Belgique. Et
bien sûr, ces accents révolutionnaires feront trembler toute la Flandre traditionnelle, et
notamment celle qui exprime ses revendications d’autonomie culturelle dans le très catholique
quotidien De Standaard.
A l’Université Libre de Bruxelles, à la lisière verdoyante de la capitale belge, les étudiants
débattent de l’attitude à adopter par rapport à ce qui se passe à Louvain. Le 12 février 1968 Paul
Goossens a été invité par les étudiants flamands de l’ULB (ils devront attendre 1970 pour que
l’aile flamande de l’ULB, la VUB soit dotée d’un pouvoir organisateur autonome…). La police
doit le protéger de la hargne d’étudiants francophones qui l’empêchent de prendre la parole.
L’Association des Etudiants dit vouloir refuser que l’on vienne « semer le désordre, la haine et
la violence à l’ULB après avoir si bien réussi à le faire à Louvain ». La gauche étudiante, se
montre, elle, plus ouverte. La fédération bruxelloise des étudiants socialistes dit ainsi soutenir
« le combat des étudiants flamands pour une université totalement autonome et
démocratique ». Mais dans l’ensemble, les étudiants bruxellois veulent surtout éviter
l’installation de l’UCL dans l’agglomération bruxelloise.
Le MUBEF, le syndicat étudiant francophone, se divise lui aussi sur la question. Le 17 mars
1968, son Congrès approuve à Liège une motion dans laquelle il est acté que « la Belgique est un
Etat binational composé de deux communautés nationales et d’une entité, Bruxelles, à traditions
socioculturelles et à situations économiques différentes ». Visiblement inspirés par le
mouvement régionaliste wallon, les étudiants liégeois parviennent à faire approuver par le
syndicat que « l’autonomie communautaire est (…) indispensable à toute politique de
démocratisation de l’enseignement ». C’en est trop pour la délégation des étudiants louvanistes
qui le soir même décident de se retirer du MUBEF. Les enfants de la bourgeoisie catholique
francophone ont beaucoup de mal à accepter le fédéralisme, notamment parce qu’il implique
l’acceptation de la scission de leur université. Une fois la décision prise par le gouvernement
qui sort des élections du 31 mars, ceux-ci vont se mobiliser pour obtenir du gouvernement les
moyens nécessaires au transfert de la section francophone en terre wallonne. Ils apportent leur
appui à tous ceux qui au sein de l’establishment catholique francophone font pression pour
obtenir le financement de ce transfert et le préparent par ailleurs dans la plus grande discrétion.
La partie réformiste de la représentation étudiante milite alors pour que ce déménagement soit
accompagné par une transformation démocratique. « Transfert=transformation » est le slogan
défendu par l’Assemblée Générale des étudiants. A la fin de l’année 1968, une constituante
paritaire est mise en place. Elle compte autant de représentants du conseil d’administration, des
professeurs, du personnel administratif et technique et des étudiants. Les idées de réformes
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fusent pour transformer en profondeur l’organisation de l’université et la manière d’y
enseigner. Soumise au vote, elle sera rejetée par les professeurs tandis que la représentation
étudiante s’abstiendra. A l’époque, elle a été largement infiltrée par les maoïstes qui combattent
la participation comme un mirage bourgeois. L’insertion de l’université dans la société sera
également l’enjeu de la discussion sur le choix de la nouvelle implantation de l’UCL. En
installant son nouveau siège en pleine zone rurale du Brabant wallon plutôt qu’à Charleroi,
l’université catholique ne pourra pas apporter son énorme potentiel de développement au vieux
sillon industriel wallon frappé de plein fouet par la crise économique. Sans doute, le pouvoir
socialiste local, viscéralement anticlérical, a-t-il refusé une installation pouvant porter ombrage à
son hégémonie. Le président des jeunesses socialistes, farouchement opposé à l’opération, s’appelait
Jean-Claude Van Cauwenberghe.
Il faut attendre le début du mois de mai ’68 pour que les étudiants de l’ULB se lancent à leur
tour. Si les événements qui se déroulent au même moment dans la capitale française servent de
détonateur et incitent des étudiants bruxellois à occuper pendant près de deux mois des
bâtiments de l’administration universitaire, le mouvement s’explique en réalité par un malaise
propre à l’université bruxelloise. Ici ce n’est pas l’autorité des évêques qui est remise en
question, mais celle du conseil d’administration. Créée en 1834 par des francs-maçons pour faire
contrepoids à l’emprise de l’église catholique sur l’enseignement supérieur, l’ULB a été tout au
long de son histoire la scène de vifs débats entre libéraux conservateurs et libéraux progressistes
et socialistes. Mais dans cette seconde moitié du XXème siècle, il est toujours contrôlé par un
conseil d’administration composé de membres cooptés, sans que ni le corps académique ni les
étudiants ne soient consultés. A l’époque, une majorité du conseil est constituée par des
hommes d’affaires qui occupent des fonctions en vue dans l’économie et la finance. Cette
carence de légitimité démocratique fédère la contestation au sein de laquelle les étudiants de
gauche et d’extrême gauche parviennent à entraîner la masse plus ou moins indifférente de la
communauté étudiante.
Le signal de la mobilisation est donné le 13 mai à l’occasion d’un meeting contre la dictature des
colonels grecs en présence de l’actrice Melina Mercouri. « Appliquant le principe de la
démocratie directe, les 500 participants décident de s’ériger en assemblée libre d’étudiants, de
poursuivre leur action de solidarité avec les étudiants et travailleurs français et de commencer
dans leur propre établissement la critique de la structure et de la fonction actuelle de
l’université », affirmera un tract distribué deux jours plus tard. L’assemblée libre entame ensuite
une longue occupation des bâtiments centraux de l’université. Le 20 juin, le conseil
d’administration lâche du lest et réforme ses statuts en introduisant un principe de
représentation démocratique et de transparence financière. Les quelques dizaines d’ « enragés »
qui résistent encore après cette décision diffusent un communiqué dans lequel l’assemblée libre
affirme que « consciente des contradictions dans lesquelles l’enferme sa tentative d’abolir à
l’université l’oppression de la société bourgeoise, (elle) décide de retourner à ses sources et
d’entreprendre la contestation permanente d’une société pourrie par la consommation des biens
matériels et basée sur le profit ». Dans un style tout aussi flamboyant, la même assemblée
« proclame provisoirement son indifférence superbe à l’égard des problèmes universitaires
traités isolément et laisse les locaux qu’elle accepte de céder, à qui voudra les prendre ». Le 10
juillet, la police met un point final à leur action en évacuant les derniers locaux occupés.
En définitive, il ne se passe finalement pas « grand-chose » en Belgique en 1968, du moins si on
prend pour mesure les contestations qui se déroulent au même moment en France ou en
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Allemagne. La contestation est strictement circonscrite au monde de l’enseignement et elle reste
complètement éclatée. Il faut, en effet, attendre le 3 décembre 1970 pour que tous les étudiants
belges se réunissent autour d’un objectif commun. Ce jour-là, 15.000 d’entre eux manifestent à
Louvain contre des restrictions gouvernementales aux conditions de séjour des étudiants
étrangers en Belgique, autour du slogan « nous sommes tous des étrangers », un mot d’ordre
symptomatique dans une litanie de luttes éparses. La longue grève de la faim qui est alors
organisée se soldera par un demi-échec. Mais elle permettra l’ émergence d’une nouvelle forme
de solidarité entre étudiants belges et étrangers basée sur un sentiment d’appartenance
commune à la même génération.
En Belgique, c’est avec un certain retard que l’esprit de ’68 souffle sur tout le début de la
décennie ’70, entraînant l’émergence d’une nouvelle vague de militants. Certains d’entre eux
restent longtemps accrochés au rêve d’une révolution prolétarienne dont l’université ne serait
qu’un rouage. D’autres s’inséreront avec bonheur dans les cadres politico-institutionnels et
deviendront journalistes, fonctionnaires, politiques ou universitaires. D’autres enfin seront à la
base d’un véritable boom de la vie associative belge. Dans la foulée de la remise en cause des
schémas de reproduction de la société industrielle, la rébellion pubertaire d’une génération
accélère l’émergence d’une nouvelle question sociale. La lutte des classes devient la lutte pour le
sens du travail. Il ne s’agit plus de remplacer la dictature du capital par la dictature du
prolétariat, mais de défendre l’autonomie des collectifs sous toutes leurs formes. La prise en
compte des droits des femmes, des immigrés, des quartiers menacés par des projets
immobiliers, des jeunes et des communautés rurales donne lieu à la création d’un grand
nombre d’associations et de comités qui aujourd’hui font une bonne partie de la dynamique
associative belge. Cette effervescence de ceux qu’on appellera plus tard les « créatifs culturels »
est encouragée par le renouvellement des grilles de lecture théoriques, singulièrement de la
sociologie où les analyses du français Alain Touraine sur les mouvements sociaux offrent un
cadre de compréhension à l’histoire qui est en train de s’écrire. Dans le domaine scolaire,
l’ébranlement de ’68 est prolongé par des réformes qui prétendent à la fois combattre la
reproduction des inégalités et remettre en question le caractère fondamentalement hiérarchique
de la relation pédagogique. Mais leur mise en œuvre sera entravée par la crise budgétaire qui
frappe la Belgique et en particulier la Belgique francophone à partir de la fin des années ’70, ce
qui débouchera sur des conflits scolaires à répétition tout au long des années ’80 et ’90.
Les espoirs frustrés des travailleurs du monde de l’enseignement formeront un terreau propice
pour le parti Ecolo en Belgique francophone. Mais bien avant cela, l’écologie politique naîtra au
confluent de la revendication autogestionnaire, des luttes urbaines, environnementales et du
régionalisme wallon. Nombre de militants de la décennie ’70 viendront contribuer à la création
du parti Ecolo en s’appuyant sur la conviction que le capitalisme et la société de consommation
détruisent autant la nature et l’environnement que l’autonomie des individus et des groupes qui
en vivent. Le 27 février 1980 à Louvain-la-Neuve quand Daniel Cohn-Bendit prend la parole
avec le philosophe Cornelius Castoriadis dans un débat intitulé « de l’autonomie à l’écologie »,
on sent toujours vibrer l’attente utopique d’une révolution qui ne passerait pas par la prise du
pouvoir politique mais par la « prise du pouvoir de vivre». Ce sera d’ailleurs le slogan de la
campagne d’Ecolo pour les élections européennes de 1984… En Flandre, au début des années
’70, le mouvement « Anders Gaan Leven » (« vivre autrement ») émerge d’une série de luttes
sociales et environnementales ancrées dans les valeurs post-matérialistes qui fleurissent alors
partout en Europe. Il se transformera en mouvement politique en 1979, en participant à des
élections sous le nom d’Agalev, l’ancêtre de Groen !.
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Quarante plus tard, peut-on se risquer à dessiner un bilan ? La mémoire de ces années de
transition reste, elle aussi, soigneusement marquée par le cloisonnement de la société belge. Une
lecture globale des mutations qui se sont déclenchées en Belgique à la fin des « Trente
Glorieuses » doit encore être effectuée. La division du paysage politique continue en particulier
d’entraver un vrai travail de réflexion sur l’évolution de la place accordée au savoir dans la
société, celle-là même que les révoltes contre les pouvoirs organisateurs de la fin des années ’60
avaient voulu interroger. Quarante ans plus tard, en Wallonie, l’isolement des campus au
milieu des champs de betteraves illustre une forme d’enfermement fonctionnel de l’université.
Sa contribution au projet d’émancipation d’une société aux frontières internes n’est pas encore
assumée. Une société ? Quelle société ? Dans une large mesure, le cloisonnement de la société
francophone belge empêche toujours ses membres de retrouver leurs marques dans l’évolution
historique. Du côté flamand, la lutte contre le pouvoir clérical et l’emprise du CVP sur la société
flamande aboutiront à la fin des années ’90 à la mise sur pied sous la direction de Guy
Verhofstadt des coalitions excluant les partis sociaux-chrétiens. Le journal « De Morgen »
fondé par Paul Goossens à la fin des années ‘70 n’y aura pas peu contribué. Mais le mouvement
de 68 aura aussi déclenché l’emballement d’un nationalisme populiste qui laisse aujourd’hui la
gauche flamande au moins temporairement orpheline. Et inquiète.