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Un an après et toujours pas de justice BURKINA FASO: Un an après et toujours pas de justice A la mémoire de Norbert Zongo Issue 54 Décembre 1999 Norbert Zongo, journaliste d'avant-garde et critique intrépide du gouvernement burkinabé, a été brutalement assassiné, en même temps que trois de ses compagnons, le 13 décembre 1998. Selon les preuves recueillies, il ne fait presque pas de doute que les forces de sécurité de l'Etat ont été impliquées dans ces meurtres. Dans une interview remontant au mois de juillet 1997, Norbert Zongo déclarait: "On ne peut pas être ami de tout le monde." Le texte complet de cette interview, qui nous offre un aperçu plein de vigueur de son engagement envers les droits humains, figure en appendice à ce rapport. Ce rapport a été rédigé en hommage à la mémoire de Norbert Zongo. ARTICLE 19 joint sa voix à celles de tous ceux qui exigent que la vérité soit faite sur la mort de Norbert Zongo, et que les auteurs de ce crime soient traduits en justice. Introduction Norbert Zongo, l'un des journalistes les plus réputés du Burkina Faso, était rédacteur en chef de l'hebdomadaire indépendant, L'Indépendant, et membre fondateur du Mouvement Burkinabé des droits humains et des peuples (MBDHP), établi en 1989. Le MBDHP entreprit de défendre vigoureusement la justice et la liberté, alors que le Burkina Faso entrait dans une période de transition démocratique incertaine et défectueuse. En 1998, cette organisation indépendante des droits humains avait des représentants dans toutes les quarante-cinq provinces du pays. Selon les propres termes de Norbert Zongo, le climat d'impunité dont bénéficient les violateurs des droits humains demeure à ce jour un problème fondamental au Burkina Faso. 2 Un an après et toujours pas de justice Le 13 décembre 1998, Norbert Zongo fut lui-même victime de ce climat d'impunité qu'il avait combattu avec tant de courage. Son corps calciné fut retrouvé, avec ceux de deux autres personnes, dans un véhicule, sur la route de Sapouy, à une centaine de kilomètres de la capitale, Ouagadougou. Un quatrième corps fut retrouvé à côté du véhicule. Les trois autres victimes étaient le frère de Norbert Zongo, Ernest Zongo, son chauffeur, Ablassé Nikiéma, et un de ses compagnons, Blaise Iboudo. La mort brutale de Norbert Zongo montre bien qu'au Burkina Faso, l'exercice du droit à la libre expression demeure une occupation fort dangereuse. Le meurtre de Norbert Zongo provoqua une vague de protestation si puissante dans le pays, que le gouvernement en fut ébranlé et promit, au bout de quelques jours, de créer une commission d'enquête comprenant des membres des organisations locales de la société civile, ainsi qu'un représentant d'une organisation internationale de journalistes, Reporters sans Frontières (RSF). Chargée de procéder à une enquête sur ces meurtres, la commission d'enquête entâma ses travaux en janvier 1999, et rendit publiques ses conclusions le 7 mai 1999. Elle fit porter ses soupçons sur un adjudant de la Garde de sécurité présidentielle et sur des sous-officiers et des soldats du même corps, estimant que la cause la plus probable de ces meurtres était le fait que Norbert Zongo pratiquait un journalisme d'investigation et, plus spécifiquement, qu'il menait une enquête sur la mort en détention, suite à des tortures, d'un employé du frère du Président. A ce jour, le gouvernement du Burkina Faso n'a donné aucune suite aux recommandations de la commission d'enquête, et, à plus forte raison, n'a pas traduit les coupables en justice. Et cependant, il ne fait pas de doute que le succès ou non de la transition du Burkina Faso vers la démocratie sera jugé en fonction de l'affaire Norbert Zongo. Sa mort a entraîné une crise politique grave, que le parti au pouvoir, le Congrès pour la Démocratie et la Paix (CDP), et son chef, le Président Blaise Compaoré, s'efforcent toujours de résoudre. Circonstances de la mort de Norbert Zongo Norbert Zongo et ses trois compagnons ont été tués le 13 décembre 1998. Les preuves recueillies indiquent qu'il y a de fortes probabilités que les quatre hommes sont morts parce que Norbert Zongo tenait absolument à mener une enquête sur les circonstances de la mort en détention de R. David Ouédraogo, le chauffeur de François Compaoré, frère du Président Blaise Compaoré et conseiller à la Présidence. R. David Ouédraogo avait été arrêté en décembre 1997, en même temps que deux autres domestiques de François Compaoré. Ils avaient tous été accusés de vol de numéraire au domicile de leur employeur, puis emprisonnés dans une caserne. R. David Ouédraogo aurait ensuite été torturé à mort par des éléments de la Garde présidentielle. Ces allégations ont été considérées comme dignes de foi par de Département d'Etat américain1. Les deux autres prisonniers ont également été violemment torturés durant leur incarcération. En l'absence de toute enquête officielle sur la mort de R. David Ouédraogo, Norbert Zongo avait entrepris sa propre enquête, en 1998, à l'aide de son journal, L'Indépendant. Une commission d'enquête indépendante sur la mort de Norbert Zongo a établi un lien direct entre sa mort et les investigations qu'il avait entreprises. 1US Department of State, Burkina Faso Country Report on Human Rights Practices for 1998, Section 1(a) 3 Un an après et toujours pas de justice Réaction publique à la mort de Norbert Zongo La mort de Norbert Zongo a soulevé une énorme vague d'indignation et de protestations publiques au Burkina Faso. Plusieurs personnes ont été arrêtées et placées brièvement en détention pour avoir participé à des manifestations. Ces dernières ont d'abord été dirigées contre le siège du CDP à Ouagadougou et les partisans du CDP à Koudougou, la ville natale de Norbert Zongo. Ensuite, elles ont abouti à un mouvement commun, le "Collectif des organisations démocratiques de masse et des partis politiques", regroupant syndicats, partis d'opposition, étudiants et groupes de défense des droits humains, lequel lança un appel à la grève générale. Vers la mi-décembre 1998, Herman Yaméogo, chef de l'Alliance pour la démocratie et la fédération (ADF/RDA), laquelle est membre du Collectif, a été brièvement détenu dans les locaux de la Gendarmerie, alors que se déroulait le sommet de l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA), à Ouagadougou, cela, semble-t-il, en vue de lui imposer le silence. Le 18 décembre 1998, le gouvernement annonçait qu'il allait constituer une commission d'enquête comprenant des membres de la société civile et des représentants de la communauté internationale. Toutefois, certains éléments de la population, estimant que la commission ne serait pas suffisamment indépendante, décidèrent, quelques jours plus tard, de lancer leur propre enquête. Finalement, on parvint à un compromis et le gouvernement accepta d'augmenter la proportion des représentants n'appartenant pas au gouvernement et d'assurer aux membres de la commission d'enquête l'immunité contre toutes poursuites judiciaires. Cependant, le démarrage effectif des travaux de la commission d'enquête connut des retards supplémentaires, en raison de la décision de certains membres des familles et du Collectif de refuser leur soutien à la commission tant que les manifestants incarcérés ne seraient pas remis en liberté et tant que "l'état de siège" ne serait pas levé dans l'ensemble du pays. Conclusions de la commission d'enquête indépendante La commission d'enquête, composée de onze membres, a reçu pour mission "de mener toutes investigations permettant de déterminer les causes de la mort" des quatre victimes, survenue le 13 décembre 1998. Formellement mise en place le 25 janvier 1999, la commission a procédé à l'audition de témoins à partir du 1er février. Elle a recueilli 204 dépositions, malgré la crainte, très répandue, de mesures de harcèlement. La commission disposait des pouvoirs nécessaires pour obliger tout témoin à faire une déposition. Elle a rencontré un certain nombre de difficultés, une partie de son personnel d'appui, par exemple, a été relevée sans avis préalable, avant la fin de ses travaux, et cela sur ordre des ministères concernés par cette affaire, et de la Gendarmerie nationale. La commission a bénéficié du concours d'un expert en balistique et incendie qui a procédé à l'examen du véhicule brûlé et des munitions retrouvées sur place, ainsi que d'un médecin anatomo-pathologiste et d'un médecin légiste qui ont procédé à l'autopsie des quatre corps. Le 7 mai 1999, la commission a rendu publiques les conclusions de son enquête. Dans son rapport, elle déclare sans ambiguïté que "Norbert Zongo a été assassiné pour des motifs purement politiques parce qu'il pratiquait un journalisme engagé d'investigation." La commission poursuit: "Il défendait un idéal démocratique et avait pris l'engagement, avec son journal, de lutter pour le respect des droits humains et la justice, et contre la mauvaise gestion de la chose publique et l'impunité." Le rapport montre que l'incendie du véhicule n'est pas dû à un mauvais fonctionnement mécanique, mais qu'il a été provoqué délibérément par aspersion de liquide à base d'alcool et par une mise à feu par allumette ou autre source de flamme. 4 Un an après et toujours pas de justice Pour la commission, la conclusion qui s'impose est que Norbert Zongo et ses compagnons ont été victimes d'un attentat criminel. Ils ont été abattus avec des armes à feu avant que leur véhicule ne soit incendié. La commission d'enquête examine ensuite les différentes hypothèses concernant les auteurs du crime: s'agit-il de bandits de grands chemins, de chasseurs, de braconniers, d'éleveurs avec qui les victimes auraient eu des démêlés? S'agit-il d'un meurtre commandité par l'étranger ou signé par l'opposition, ou d'un assassinat commis par le pouvoir? La commission retient six principaux suspects du meurtre de Norbert Zongo. Ce sont les soldats Christophe Kombacere et Ousseini Yaro, le caporal Wampasba Nacoulma, les sergents Banagoulo Yaro et Edmond Koama et l'adjudant Marcel Kafando. Ils appartiennent tous au Régiment de la sécurité présidentielle. Dans ses conclusions, la commission recommande des poursuites judiciaires contre eux et, en raison de la "barbarie" avec laquelle il a été commis, recommande que ce crime soit considéré comme un crime imprescriptible. D'après le rapport de la commission d'enquête, Norbert Zongo menait, à l'époque, plusieurs enquêtes qui auraient pu se révéler "dérangeantes" pour le pouvoir. Il était préoccupé, entre autres, par des affaires d'escroquerie et de fraude électorale, par des modifications apportées à la Constitution, afin de permettre au Président d'être réélu indéfiniment, et par l'Affaire R. David Ouédraogo, sur laquelle il tenait à découvrir toute la vérité. Pour la commission, l'assassinat de Norbert Zongo est lié à ses activités journalistiques. L'assassinat des trois autres victimes ne s'explique que par la volonté de ne pas laisser de témoins gênants. Selon de nombreux témoins, Norbert Zongo avait reçu des menaces par le passé. Il avait fait l'objet de tentatives d'empoisonnement et reçu des menaces de mort. Certaines de ces menaces remontaient à plusieurs années, comme en témoigne un haut magistrat du Faso, Dramane Yaméogo: "Norbert disait dans ses écrits qu'il faisait l'objet de menaces et je n'avais pas de raisons d'en douter." Le rapport précise également que si les autorités judiciaires avaient fait tout le nécessaire pour éclaircir les circonstances de la mort de R. David Ouédraogo (laquelle, laisse entendre le rapport, est une conséquence directe des tortures qui lui avaient été infligées), il y a lieu de penser que la mort de Norbert Zongo et de ses trois compagnons aurait probablement pu être évitée. Ce n'est que le 30 mars 1999 que l'on a appris que François Compaoré avait été inculpé, le 18 janvier 1999, du meurtre de R. David Ouédraogo et du recel de son corps. Il n'a jamais été arrêté ou placé en détention et demeure, à ce jour, un homme libre. Un jour après l'annonce officielle de l'inculpation, la Cour d'Appel de Ouagadougou, en réponse à la requête de François Compaoré, en vue du retrait des chefs d'accusation, se déclarait sans compétence en la matière et décidait de confier l'affaire à un tribunal militaire. Etant donné que R. David Ouédraogo est mort alors qu'il était détenu par des membres de la Garde présidentielle, déclarait le juge, il s'ensuit que la juridiction militaire est plus appropriée. La juridiction militaire ne semble, en fait, n'avoir pris aucune mesure depuis que l'affaire lui a été confiée. Le rapport note également qu'à la mort de R. David Ouédraogo, les autorités ont réagi avec lenteur et selon des normes fort éloignées des normes internationales en matière des droits humains. La commission d'enquête demande qu'un terme soit mis au climat d'impunité qui règne au Burkina Faso. Une telle demande n'a rien de nouveau. En avril 1998, le MBDHP avait porté plainte devant la Commission Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples, accusant le gouvernement de n'avoir procédé à aucune enquête, de n'avoir établi aucune responsabilité concernant les violations des droits humains survenues antérieurement. En octobre 1998, le 5 Un an après et toujours pas de justice gouvernement a accepté de négocier un ensemble de mesures avec le MBDHP, afin de résoudre les diverses questions soulevées dans la plainte.2 C'était, pour le gouvernement, une façon de reconnaître que le problème de l'impunité était réel. Réactions du gouvernement aux conclusions de la commission d'enquête Au début du mois de mai 1999, le rapport de la commission d'enquête a été remis au Premier Ministre, M. Kadre Ouédraogo. Ce dernier a déclaré que des mesures appropriées seraient prises conformément aux conclusions du rapport. Quelques jours plus tard, Herman Yaméogo était de nouveau arrêté à l'issue des violentes manifestations qui s'étaient déroulées à Koudougou, la ville natale de Herman Yaméogo mais aussi de Norbert Zongo. Accusé d'avoir organisé des actes de vandalisme, sans toutefois être inculpé formellement, Herman Yaméogo a été remis en liberté trois jours plus tard. Il semble que son domicile avait été attaqué par un groupe de miliciens associés à de hautes personnalités gouvernementales. Halidou Ouédraogo, Président du MBDHP et Président de l'Union Interafricaine des Droits de l'Homme (UIDH) a été, lui aussi, brièvement emprisonné en compagnie de Thibaut Nana, Président de l'Association Thomas Sankara. Le 9 mai, peu après la publication du rapport, Robert Ménard, Secrétaire Général de RSF, et membre de la commission d'enquête est expulsé du pays, ou plutôt, comme le déclare un peu plus tard le ministre chargé de l'Administration territoriale, non pas "expulsé", mais "reconduit à la frontière". Ce même ministre avait, semble-t-il, déclaré à l'Agence France-Presse que le gouvernement tenait Robert Ménard responsable des manifestations d'étudiants qui avaient eu lieu après la diffusion, à la radio, d'interviews dans lesquelles Robert Ménard faisait état des conclusions de la commission d'enquête. Le 21 mai 1999, le Président Blaise Compaoré s'est engagé à procéder à une réforme de la Garde présidentielle. Il a également ordonné la remise en liberté de tous les manifestants emprisonnés, à l'exception de ceux qui ont été accusés par des parties civiles d'actes de violence et de vandalisme. Il a également promis que le juge chargé d'instruire le dossier Norbert Zongo serait déchargé de toute autre activité, afin de pouvoir se consacrer entièrement à cette tâche. Le rôle du Collectif à la réforme fondamentale de la Garde présidentielle aura été considérable. Le Président a également créé un Collège des sages chargé de la question des crimes demeurés impunis. Le 17 juin 1999, le Collège des sages a demandé la mise en état d'arrestation des responsables de la mort de R. David Ouédraogo. Le lendemain trois personnes étaient arrêtées et conduites à la Maison d'Arrêt et de Correction de Ouagadougou (MACO); elles y sont toujours à l'heure actuelle. Leurs noms figurent dans le rapport de la commission d'enquête, parmi ceux des suspects de l'assassinat de Norbert Zongo et de ses compagnons. Ce sont: L'adjudant Marcel Kafando, personnage important au sein de la Garde présidentielle, brièvement incarcéré lorsque la commission d'enquête recueillait son témoignage, pour contradictions de ses alibis; Le sergent Edmond Koama; et le soldat Ousseini Yaro. 2Rapport d’Amnesty International, 1999 6 Un an après et toujours pas de justice Toutefois, aucun de ces trois hommes n'a, jusqu'à présent, été formellement inculpé du meurtre de R. David Ouédraogo, et personne n'a été arrêté ou inculpé dans l'affaire de l'assassinat de Norbert Zongo et de ses compagnons. En juillet 1999, Robert Ménard, Secrétaire général de RSF et membre de la commission d'enquête, a été empêché de se rendre à nouveau au Burkina Faso. Il souhaitait vérifier les progrès accomplis par le gouvernement dans le domaine de l'application des recommandations de la commission d'enquête. Toutefois, les autorités se sont opposées à cette visite, déclarant que l'objet de cette mission était "inopportun" et que cette visite risquait de "compromettre la tranquillité du pays". En septembre 1999, cédant aux pressions exercées au sommet francophone, le ministre des Communications déclarait que si un représentant de RSF voulait effectuer une visite au Burkina Faso, il serait le bienvenu. Toutefois, lorsqu'une délégation de RSF est arrivée à l'aéroport, le 17 septembre 1999, ses membres ont été interceptés par des hommes en civil qui leur ont annoncé que, sur ordre du chef d’état-major de la gendarmerie, ils allaient devoir remonter immédiatement à bord de leur avion. Ils ont ensuite été escortés jusqu'à l'avion et empêchés de prendre contact avec leur représentant diplomatique à Ouagadougou. Le Collège des sages a également recommandé au gouvernement de mettre en place une commission de vérité, de justice et de réconciliation. Toutefois, le gouvernement s'est contenté de créer une commission de réconciliation nationale, sans référence aucune aux éléments essentiels que sont la vérité et la justice. Cette action n'a fait qu'enflammer encore plus l'opinion publique, qui réclame avec impatience des mesures punitives à l'encontre de tous ceux qui se sont rendus coupables de violations des droits humains. Conclusion et recommandations Trois personnes sont actuellement en prison dans le cadre de l'enquête sur le meurtre, vers la fin de 1997, de R. David Ouédraogo. Ces trois suspects demeurent incarcérés sans inculpation ou procès. Il n'est pas impossible d'imaginer que, sans la vague d'indignation, soutenue et prolongée, qui a fait suite à la mort de Norbert Zongo, il n'y aurait pas eu la moindre arrestation. Il faut maintenant que les trois prisonniers soient inculpés et jugés dans les plus brefs délais, conformément aux normes internationales en matière de justice et d'équité, ou alors remis en liberté. Toutefois, le fait que François Compaoré soit toujours en liberté, semble indiquer que ce sont “les petites gens”, et non les puissants de ce monde, qui risquent de se retrouver sur le banc des accusés. Entre-temps, personne ne semble être sur le point d'avoir à répondre du meurtre de Norbert Zongo et de ses trois compagnons. Cependant, il n'est pas exagéré d'affirmer que l'avenir de la démocratie au Burkina Faso pourrait bien dépendre d'une solution juste et équitable de ces crimes apparemment étroitement liés. La création, en juin 1999, du Collège des sages, chargé de traiter des questions se rapportant au climat d'impunité, est un premier pas important en vue d'enrayer le cycle des violations répétées des droits humains qui caractérise l'histoire du Burkina Faso. Il semble que de nombreuses démarches, concernant des délits économiques aussi bien que politiques, ont déjà été effectuées auprès de ce groupe, composé d'anciens chefs d'Etat, de dirigeants traditionnels et de personnalités religieuses. Cela montre que le Collège des sages inspire une certaine confiance au public. Mais à la longue, il faut que ces investigations soient confiées au corps judiciaire. Explorer publiquement et minutieusement tous les faits est une démarche utile, 7 Un an après et toujours pas de justice mais il faut qu'elle soit suivie d'une enquête criminelle en bonne règle et que la culpabilité ou l'innocence soient établies selon la loi. Ce que le Collège des sages exige, c'est la vérité et la justice et non pas uniquement la réconciliation. Il doit être entendu. Il faut non seulement exiger des comptes de tous ceux qui, par le passé se sont rendus coupables de violations des droits humains, mais il faut également assurer la liberté d'expression si l'on veut que les questions d'intérêt public soient mises en lumière. Il est donc inquiétant de constater que les journalistes continuent à faire l'objet de mesures de détention. C'est ainsi que le 15 septembre 1999, Paulin Yaméogo, rédacteur en chef de l'hebdomadaire San Finna, a été convoqué au Bureau de la Sécurité d'Etat et placé en détention. San Finna avait publié quelque temps plus tôt un éditorial intitulé "Quand Blaise Compaoré déroule le tapis rouge aux putchistes", critiquant, semble-t-il, le gangstérisme de l'Administration publique et faisant état de mécontentement au sein des forces armées. Paulin Yaméogo a été gardé à vue pendant quelques jours, puis remis en liberté sans avoir été inculpé. Le respect du droit de chacun à exprimer librement ses opinions est un élément essentiel du respect des droits humains. En particulier, l'adoption d'une législation en matière de liberté d'information permettrait, à l'avenir, d'avoir accès aux sources officielles d'information, et éviterait aux successeurs de Norbert Zongo d'avoir à prendre des risques aussi graves que ceux qu'il a assumés au nom de la recherche de la vérité. Recommandations aux autorités burkinabé ARTICLE 19 recommande aux autorités burkinabé l'adoption de mesures susceptibles de répondre aux préoccupations mentionnées ci-dessus et d'aligner le droit burkinabé et ses applications pratiques sur les normes internationales en matière de droits humains, y compris la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui ont été ratifiés par le Burkina Faso. ARTICLE 19 invite les autorités burkinabé à: Mettre un terme immédiat au harcèlement de toute personne qui exerce ses droits à la liberté d'expression, d’association et de réunion pacifiques. Plus spécifiquement, personne ne doit faire l'objet de menaces, d'interrogatoires, d'arrestation ou de détention, pour avoir critiqué le gouvernement ou des personnalités officielles, ou pour avoir entrepris des investigations sur les violations des droits humains; Veiller à ce que les personnes détenues dans le cadre de l'enquête sur la mort de R. David Ouédraogo, et toutes personnes arrêtées ultérieurement au sujet de la mort de Norbert Zongo et de ses compagnons, soient inculpées dans les meilleurs délais et jugées équitablement, conformément aux normes internationales. La détention administrative prolongée ne saurait être justifiée dans de pareils cas. Si les personnes arrêtées ne peuvent être inculpées et traduites en justice dans les délais conformes aux normes internationales, elles doivent être remises en liberté. Accepter de bonne foi les recommandations de la commission d'enquête indépendante sur la mort de Norbert Zongo et de ses compagnons. A savoir: - Que les textes en matière de police soient respectés de façon rigoureuse afin de faire la distinction entre fonctions militaires et fonctions policières, y compris en matière de sécurité de l'Etat. 8 Un an après et toujours pas de justice - Que l'organisme officiel qui abrite la Garde présidentielle soit soumis aux règles d'une armée républicaine et que le Régiment de la sécurité présidentielle se limite à sa mission qui est d'assurer la protection du chef de l'Etat. - Que l'ensemble des dossiers de "disparitions" et d'assassinats toujours sans explication soient ouverts et définitivement réglés. - Que des dispositions législatives soient prises afin que le crime du 13 décembre 1998 soit considéré comme un crime imprescriptible. Prendre d'urgence des dispositions législatives relatives à la liberté de l'information, afin d'encourager la liberté d'expression et la responsabilité publique. ARTICLE 19 a mis au point des directives concernant la liberté de l'information; en voici les principaux points: - Toute législation relative à la liberté de l'information doit reposer sur le principe de la divulgation maximale; - Les institutions publiques doivent être dans l'obligation de publier toute information essentielle; - Les institutions publiques doivent encourager activement la pratique du gouvernement ouvert; - Les exceptions à la règle doivent être réduites au minimum, définies avec la plus grande précision, et soumises à des tests rigoureux destinés à évaluer les notions de "préjudice" et d'"intérêt public"; - Toute demande d'information doit être traitée rapidement et équitablement, et tout refus de communiquer une information donnée devra être revu indépendamment; - Les demandeurs d'informations ne doivent pas être découragés par le coût excessif d'une telle prestation de service; - Les réunions des institutions publiques doivent être ouvertes au public; - Les lois qui ne sont pas en harmonie avec le principe de la divulgation maximale devront être modifiées ou abrogées; - Les personnes qui rendent publiques des informations se rapportant à des méfaits devront bénéficier de mesures de protection,3 Enfin, en réponse aux recommandations du Collège des sages: Etablir une commission de vérité, de justice et de réconciliation, crédible et indépendante, chargée d'examiner le dossier de toutes les violations antérieures des droits humains au Burkina Faso. Ordonner l'ouverture d'enquêtes criminelles sur toutes les affaires de violations des droits humains non résolues, afin d'amener les responsables devant la justice. 3Pour plus de précisions concernant ces directives, voir The Public's Right to Know - Principles on Freedom of Information Legislation (ARTICLE 19, Londres, juin 1999). 9 Un an après et toujours pas de justice ANNEXE Témoignage de Norbert Zongo Ouagadougou, le 29 juillet 1997 Dans cet entretien, Norbert Zongo parle de son engagement vis à vis des droits humains en tant que membre fondateur du Mouvement Burkinabé des Droits de l’Homme et des Peuples (MBDHP), une organisation à l’avant-garde de la lutte pour les droits humains. Il examine les problèmes auxquels sont confrontées les organisations non-gouvernementales du Burkina Faso: comment peuvent-elles garder leur indépendance? comment peuvent-elles éviter de devenir élitistes? Après une longue carrière en tant que journaliste, Norbert Zongo est devenu rédacteur en chef de L’Indépendant, un hebdomadaire qui mena plusieurs enquêtes sur des affaires de corruption et de violations de droits de la personne, ainsi que sur des questions judiciaires. Son arrivée au MBDHP Je suis un membre fondateur du MBDHP. J’étais à la réunion constitutive du MBDHP. Le Burkina a connu beaucoup d’états d’exception depuis que nous sommes indépendants et je pense que c’est une ou deux fois et de façon très brève que nous avons vécu des états de droit. Donc la nécessité de créer un mouvement des droits de l’homme s’imposait au niveau des intellectuels. Je n’ai pas pris le train en marche; je fais partie de ceux qui étaient à la première réunion constitutive du MBDHP. Ses expériences personnelles J’étais journaliste avant Sankara, j’ai été journaliste sous Sankara . Je n’étais pas dans le privé. Avant et pendant Sankara, j’étais journaliste de l’Etat. Mais c’était au moment où il y avait la révolution, avec ses idées et ses façons de faire. J’ai travaillé pendant cette époque-là. J’ai eu des problèmes politiques avant Sankara. J’ai même été arrété et tout ça – sous le régime avant lui. C’était pour des écrits aussi. Le mouvement des droits de l’homme est venu parce qu’il fallait qu’on crée quelque chose qui puisse résister. On a tous été victimes, plus ou moins, nous-mêmes avant la création du mouvement. Chez moi, c’était bien avant Sankara que j’ai fait de la prison. J’ai été arrété plusieurs fois à cause des écrits, à cause des idées. Le rôle du MBDHP sur la scène politique du Burkina Faso Il faut définir le rôle que joue le MBDHP et le rôle qu’il doit continuer à jouer. Si on compte les acquis du MBDHP, c’est quand même beaucoup. Il a beaucoup apporté à la lutte pour l’émancipation de droits de l’homme au niveau du Burkina. Ça, c’est incontestable. Cela est dû à la volonté de beaucoup de gens, la volonté de chaque membre, la volonté de ceux qui se sont investis dedans et qui travaillent sans calculer, sans arrière-pensées, qui travaillent à partir de rien. Moi, par exemple, j’ai plusieurs fois fait des tournées de conférences sans demander qu’on me paie, même pas mon transport. Je paie moi-même mon transport. Telle section a besoin de moi pour donner une conférence, je vais donner une conférence là-bas avec mon argent. Je reste avec les camarades, on mange, et je reviens. C’est la volonté. Les gens se sont 10 Un an après et toujours pas de justice réellement battus et le MBDHP a apporté beaucoup dans la lutte des droits de l’homme au niveau du Burkina. Maintenant, il y a un travail de fond qui doit être fait pour permettre au mouvement d’aller de l’avant. Il y a un énorme travail. Ça évolue. Il faut renforcer les structures. Il faut que le MBDHP, à mon avis, et ça c’est des propositions que je me fais, arrive à s’implanter dans les villages; que les textes du MBDHP puissent être commentés et écrits en langue nationale. Moi j'ai fait des conferences partout, mais je ne l'ai pas encore fait en langue nationale. Ils sont plus nombreux qui ne comprennent pas le français. Ce qui reste à faire est beaucoup plus important que ce qui a déjà été fait. Il faut que le MBDHP forme des gens qui puissent à leur tour aller former au niveau de ces villages, au niveau de ces populations des campagnes. Le MBDHP - une organisation élitiste? Oui. Exact. C’est élitiste. C’est pour ça que je dis qu’il faut séparer ce que nous avons déjà fait de ce qui nous reste à faire. Il faut qu’aujourd’hui on tende vers ce mouvement là. Il y a déjà des choses qui sont commençées. Par exemple, on traduit la constitution en langue More, en langue Fufulde. Ça, c’est bien. Il faut que, déjà dès le village, s’il y a violation des droits de l’homme, qu’il y ait une structure qui puisse l’amener jusqu’au niveau central. Par violations de droits de l’homme, vous entendez surtout les droits civils et politiques? Des droits civils et politiques, oui. Et, surtout, il ne faut pas se cacher les choses, du côté de la femme. Il faut que le MBDHP s’implique beaucoup plus dans les structures traditionelles, où les droits primaires et élémentaires de la femme sont violés. Il faut qu’on arrive à ça. Mais, je ne vois pas ça comme le MBDHP en train d’aller libérer les gens. Non, Il faut qu’on travaille à ce que les gens se libèrent eux-mêmes. La relation entre le MBDHP et le gouvernement Si on reste élitiste, tôt ou tard on finira par être avec le pouvoir. On finira par essayer des compromis avec le pouvoir et ça, c’est toujours mauvais. Il y a un danger avec l’élitisme. Le MBDHP a toujours lutté de façon très ouverte chaque fois qu’il y a violation des droits de l’homme à ce que les chose reviennent en ordre. Mais, c’est à travers des négociations qui ne sont pas à la portée de tout le monde. Quelque chose se passe au sein du pouvoir, Halidou s’en va avec un groupe et discute avec le pouvoir. Ce n’est pas l’ensemble du bureau national du MBDHP qui est au courant. On ne peut pas demander l'assentiment de tout le monde de poser les questions avant d’aller discuter. Le plus souvent, le militant de base n’est pas au courant de ce qui a été fait, de ce qui a été donné. On sait qu’ils ont été discuter, mais comment ça s’est passé Ils ont obtenu la libération des gens qui étaient en prison. Le problème n’est pas qu’on obtienne la libération, le problème est que ça soit dénonçé et que dans toutes les structures on sache qu’il y avait une faute qui avait été commise et que ça soit dénonçé. Mais si ça reste des discussions entre le bureau du MBDHP et le pouvoir en place, le militant ne sait plus si le MBDHP devient le conseiller du pouvoir ou si c’est le pouvoir qui est l’ami du MBDHP pour arranger les choses. 11 Un an après et toujours pas de justice Cette année, j’ai fait je ne sais pas combien de conférences. Mais la question revient toujours. Les gens me posent la question: comment ça se passe? Quelles sont vos relations avec le pouvoir? Nous, on veut comprendre. Délégués de l’Assemblée Nationale en tant que membres du MBDHP Je vous ai dit que j’étais à la composition du MBDHP. Mais, le même jour de la formation du MBDHP, moi j’ai quitté avant la fin de la réunion. Je protestais parce qu’à l’époque, il y avait des gens du gouvernement qui voulaient être membres du bureau, notamment Salif Diallo et tout ça. Moi j’ai dit: si c’est cela que votre organisation va être, moi je m’en vais. J’ai dit: le jour où vous allez renvoyer tout ce monde-là, moi je reviendrais. Moi, on dit que je suis extrémiste et je n'accepte pas ça. Sinon on va finir par des compromis. Quand il est parti, je suis revenu. Je ne milite pas pour autre chose. Je milite pour les droits de l’homme. Je m’en tiens à ça. On ne peut pas avoir dans un mouvement des droits de l’homme quelqu’un qui contribue à faire des entorses aux droits de l’homme. Il faut être logique! Moi je ne veux pas de compromis. Si vous me dîtes que vous luttez pour les droits de l’homme, vous-même vous ne devez pas participer à un mouvement quelque part, à quelque chose qui fait entorse aux droits de l’homme. C’est ça la difficulté. Un simple policier peut militer. On est même d’accord que les policiers militent. Mais aujourd’hui, quelqu’un qui fait parti du pouvoir, dont les décisions influencent ..(la situation des droits de l’homme) qu’il fasse parti du mouvement des droits de l’homme, c’est difficile. La liberté de la presse Au Burkina, comme partout ailleurs, la liberté de presse, il faut accepter de l’assumer. Il faut que les journalistes eux-mêmes acceptent d’assumer la liberté de presse. Je veux dire par là qu’il faut qu’ils se battent pour la liberté de presse. Les journalistes ne font pas assez à mon avis. Ça c’est mon point de vue. On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre et la laitière elle-même. C’est pas possible. C’est différent. On ne peut pas mélanger la chair et le chou. Je pense que la liberté de presse, c’est aux journalistes de se battre pour la conquérir et puis l’assumer. Bien sûr, c’est difficile. Moi, j’étais journaliste d’Etat. J’ai été renvoyé. Il y a des sacrifices qu’il faut accepter. Et tout faire professionnellement de façon professionnelle. Ça, c’est les journalistes eux-mêmes qui ne se battent pas assez. La radio indépendante - les problèmes et la situation actuelle de Mustapha Laabli Thiombiano, Directeur de Radio Horizon FM C’est fini. Il a été aggressé. Mustafa, il continue. Mais il aime la liberté. Plusieurs fois j’ai animé des émissions sur sa radio sur les droits de l’homme, ce que les autres ne veulent pas faire. Les autres, par exemple, ne peuvent pas me laisser parler à la radio parce que je vais dire des choses, le pouvoir ne va pas être content. On ne peut pas être ami de tout le monde. 12 Un an après et toujours pas de justice Le role de Norbert Zongo en tant que directeur de publication de L’Indépendant J’ai eu des problèmes parce que même pour apparaître j’avais des problèmes. On ne voulait pas me donner les récipissés. La loi dit qu’on doit donner ça à tout le monde. C’est la loi qui dit que celui qui veut créer son journal, on doit lui donner un récipissé. Et la loi dit que si tu veux créer ton journal, on a un mois pour te donner le récipissé. Le pouvoir a sorti cette loi pour dire aux bailleurs de fonds que n’importe qui au Burkina peut créer son journal. Mais quand moi j’ai essayé .six mois! Ce n'est pas possible! Donc j’ai été obligé de sortir un journal comme ça et on a dit c’est contre la loi. J’ai eu tous ces problèmes. Ma chance c’est que c’était à un moment où le Danemark m’avait invité comme représentant des écrivains de l’Afrique de l’Ouest. Je devais donner une conférence au Danemark. Moi j’ai sorti le journal au moment où je devais partir. S’ils m’arrêtent, la conférence n’aura pas lieu. Les Danois sauront qu’il n’y a pas la liberté de presse. S’ils me laissent, le journal sort. Voila! Donc, j’ai sorti le journal juste avant de partir. C’était un bon moment. On avait besoin d’argent également, il fallait dire que la liberté de presse va très bien. Le multipartisme L'opposition est pratiquement inexistante. Le professeur est fatigué et son parti demande du sang neuf. Il y a plein de gens qui sont allés avec le parti au pouvoir pour plusieurs raisons. Parce que le pouvoir a travaillé à avoir tout le monde avec lui. Ils ont mis tout le paquet pour avoir les gens avec eux. En politique, on peut acheter tout le monde, mais on ne peut pas s’en servir tout le temps. C’est ça le problème. Mais, je crois qu'il y aura un réveil de l’opposition à mon avis La plupart des partis d’opposition ne peuvent pas crier fort parce qu’ils ne sont pas tous honnêtes et le pouvoir tient des dossiers de justice de beaucoup de gens de l’opposition. Il peut les faire enfermer, légalement. Au niveau de la presse, il y a beaucoup de choses. Il y a plein de gens qui sont obligés de rester tranquilles. Mais je pense que ça va aller. 13