Syndrome d`Asperger et théorie de l`esprit
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Syndrome d`Asperger et théorie de l`esprit
PSYCHIATRIE DE L’ENFANT Syndrome d’Asperger et théorie de l’esprit H. DUVERGER (1), D. DA FONSECA (1, 2), D. BAILLY (1), C. DERUELLE (2) Theory of mind in Asperger syndrome Summary. Introduction – Theory of mind deficit can be used to explain social and communication impairments that define the autism spectrum disorder. Theory of mind is the ability to attribute mental states to self and others in order to understand and predict behavior. It involves the distinction between the real world and mental representations of the world. Several studies established that high functioning autistic individuals and individuals with Asperger syndrome (ASP) tend to be as proficient as controls in understanding first order false belief tasks. In contrast, they still lag behind their typical peers in understanding second order false belief tasks or more advanced tasks of theory of mind (e.g., BaronCohen, 1993). Most of these studies focus on the adult population and it seems particularly interesting to investigate whether children with ASP would present the same pattern of strengths and deficits as adults. In our research, children with ASP were tested in an advanced task of theory of mind based on a visual presentation of comic strips and in a more traditional assessment of false belief understanding : the Smarties test. Method – Two experimental groups participated in this study : a group of 16 high functioning children and adolescents with autism or with Asperger syndrome (ASP) and a group of 16 typically developing children matched on gender and age (CONT). The task was designed to assess the ability of children with ASP to infer the mental state of others. Stimuli were 26 different comic strips depicting a short story. Each comic strip was composed of three pictures and was shown on the upper half of the screen. Then three pictures numbered 1 to 3 showing possible outcomes of the scenario were superimposed on the bottom half of the screen. Only one of these three pictures represented a plausible conclusion to the scenario. This experiment contained two conditions : A Character intention (CI) condition and a Physical causality (PC) condition. The comic strips in the CI condition involved one character whose intentions had to be inferred by the subject in order to choose the correct picture. Comic strips in PC condition only required to understand physical causalities. Subjects were asked to watch the comic strip attentively and then they were required to make a choice between the three story endings by pressing the corresponding keyboard button. Both answers and response times were recorded. Additionally, all participants were enrolled in the classical false belief (Smarties) task. Results – Comic strips : An ANOVA [2 groups (CONT/ASP) × 2 conditions (CI/PC)] was performed on the number of correct responses. Neither the Group nor the Condition factor was significant (p > 0.05). In contrast, the interaction Group × Condition reached significance level [F(1-30) = 4.3, p < 0.05)]. Further analysis revealed that performance of the ASP group was significantly higher in the CP (M = 10.8, SD = 2.5) than in the CI (M = 9.8, SD = 2) condition [t (1-14) = 2.9, p < 0.001)], whereas there was no condition difference in the control group (p > 0.05). False belief : all ASP participants succeeded in the task. Discussion – Our data clearly demonstrated that children and adolescents with Asperger syndrome or high functioning autism exhibited an impairment in understanding the intention of others. In the comic strip task, children with ASP have more difficulties in the character’s intention condition than in the physical causality condition. This impairment is not imputable to a deficit in taking into account the context (Weack Central (1) Service de Pédopsychiatrie, Hôpital Sainte-Marguerite, 270, boulevard Sainte-Marguerite, 13009 Marseille. (2) Institut des Neurosciences cognitives de la Méditerranée, UMR 6193, CNRS et Université de la Méditerranée, Marseille. Travail reçu le 8 février 2006 et accepté le 27 juin 2006. Tirés à part : D. Da Fonseca (1). 592 L’Encéphale, 33 : 2007, Septembre, cahier 1 L’Encéphale, 2007 ; 33 : 592-7, cahier 1 Syndrome d’Asperger et théorie de l’esprit Coherence theory) since they performed as well as controls in the physical causality condition which also required the processing of the whole scene. In contrast, all children with ASP succeeded at the false belief task. These contradictory findings suggest that, although testing theory of mind, the two tasks do not tap similar mechanisms. It is possible that the use of verbal material in the false belief task improved performance of the ASP children who are known to present particular strengths in this domain. Another possible explanation that needs further testing would be that the level of complexity differs between the two tasks. Key words : Asperger syndrome ; Development ; High functioning autism ; Theory of mind. Résumé. Introduction – Selon de nombreux auteurs, l’altération des interactions sociales chez les enfants présentant un trouble du spectre autistique serait liée à un déficit de la théorie de l’esprit. La théorie de l’esprit est décrite comme l’aptitude de chacun à prédire ou expliquer le comportement de nos semblables en leur attribuant des croyances, des souhaits ou des intentions. De nombreuses études ont démontré que les enfants souffrant d’un syndrome d’Asperger ou d’un autisme de haut niveau réussissent les épreuves testant les fausses croyances de premier ordre aussi bien que les sujets contrôles. En revanche, pour les épreuves de fausses croyances du deuxième ordre, les résultats sont plus controversés. Pour avancer dans la compréhension de cette compétence, plusieurs auteurs ont élaboré des épreuves de théorie de l’esprit plus complexes et ont montré que les sujets Asperger ou autistes de haut niveau ne parvenaient pas à réaliser ces tâches. Mais la plupart de ces épreuves n’ont été réalisées que chez les adultes. L’objet de cette étude était d’évaluer les capacités d’enfants et d’adolescents Asperger ou autistes de haut niveau à attribuer des intentions à autrui en utilisant une épreuve complexe basée sur la compréhension de bandes dessinées. Les mêmes enfants étaient également engagés dans une épreuve de fausses croyances classiquement utilisée : la tâche des Smarties. Méthode – Deux groupes d’enfants ont participé à cette étude : un groupe de 16 enfants porteurs d’un syndrome Asperger ou autisme de haut niveau et un groupe de 16 enfants contrôles appariés sur l’âge et le sexe. L’épreuve proposée comportait 26 bandes dessinées racontant une histoire courte. Pour chaque histoire, le sujet devait choisir parmi 3 images celle qui représentait la suite plausible de l’histoire. Dans la condition Attribution d’intention, l’histoire impliquait un personnage dont le sujet devait comprendre les intentions pour pouvoir donner la réponse correcte. Dans la condition Causalité physique, le sujet devait comprendre le déroulement physique d’un événement. Résultats – Tâche bande dessinée : une analyse de variance [2 groupes (CONT/ASD) × 2 conditions (AI/CP)] a été conduite sur le nombre de réponses correctes. Cette analyse montre que l’interaction Groupe × Condition est significative [F(1-30) = 4,3, p < 0,05]. Chez les sujets Asperger, les scores sont significativement plus élevés dans la condition CP(M = 10,8, SD = 2,5) que dans la condition AI(M = 9,8, SD = 2,01), [F(1-15) = 2,9, p < 0,001], alors que chez les sujets contrôles, les performances sont identiques dans les deux conditions. Tâche des Smarties : tous les sujets Asperger ou autistes de haut niveau ont réussi. Discussion – Les résultats de cette étude montrent clairement que les enfants souffrant du syndrome d’Asperger ou d’autisme de haut niveau présentent un déficit sélectif pour interpréter les intentions d’autrui. En effet, dans l’épreuve des bandes dessinées, ces patients ont des difficultés pour trouver la suite logique d’une histoire lorsque cette dernière implique des attributions d’intention. Notre étude démontre aussi que si les sujets Asperger échouent lors de l’épreuve testant la théorie de l’esprit à l’aide de bandes dessinées, ils réussissent l’épreuve de la théorie de l’esprit basée sur les fausses croyances (Smarties). Même s’il s’agit de deux épreuves testant la théorie de l’esprit, il semble que ces deux tests sont bien distincts. Il est possible que ce soit la modalité verbale du test qui explique la meilleure réussite au test des Smarties par rapport au test des bandes dessinées où les modalités de présentation sont uniquement visuelles. Mots clés : Asperger ; Autisme de haut niveau ; Enfant ; Théorie de l’esprit. INTRODUCTION Encore méconnu, le syndrome d’Asperger est un trouble envahissant du développement souvent révélé par des passions hors norme dans leur type et leur intensité. Ce trouble a été introduit dans la Classification Internationale des Maladies en 1993. Il est caractérisé par une altération qualitative des interactions sociales et un aspect restreint, répétitif et stéréotypé du comportement, des intérêts et des activités sans retard cliniquement significatif du langage ou du développement cognitif. Il n’existe pas actuellement de consensus sur les critères qui le distingueraient de l’autisme de haut niveau (24, 32). De ce point de vue, nous n’avons pas fait au cours de cette étude de distinction entre le syndrome d’Asperger et l’autisme de haut niveau. Nous utiliserons donc la même abréviation ASP. Les troubles qualitatifs des interactions sociales se manifestent par des attitudes de retrait du groupe des pairs et l’absence de participation aux jeux collectifs. Les sujets Asperger ont en effet d’importantes difficultés à comprendre les codes sociaux et à interpréter les nombreux aspects du langage non verbal. Les échanges sociaux deviennent de plus en plus problématiques du fait de l’impossibilité de moduler le comportement en fonction du contexte (4). Les intérêts spécifiques et restreints s’orientent vers des thèmes variés mais occupent tout le temps du patient, excluant tout autre type d’activité. Il accumule 593 H. Duverger et al. des informations parfois encyclopédiques sur son sujet de prédilection mais ne cherche pas à faire partager cette passion. Des comportements ritualisés et une intolérance aux changements sont aussi caractéristiques. Bien qu’il n’existe pas de retard de langage, nous retrouvons cependant chez les sujets Asperger une altération de l’aspect pragmatique du langage et de la prosodie. L’interprétation et l’utilisation de l’intonation ne servent pas d’outil de communication. La compréhension du langage est littérale et l’utilisation d’un langage imagé entraîne des interprétations erronées responsables de réactions de perplexité. Enfin, des troubles de la motricité fine et des troubles praxiques sont également fréquemment associés. Selon Baron-Cohen et al. (7), l’altération des interactions sociales chez les enfants présentant un trouble du spectre autistique serait liée à un déficit de la théorie de l’esprit. La théorie de l’esprit est décrite comme l’aptitude de chacun à prédire ou expliquer le comportement de nos semblables en leur attribuant des croyances, des souhaits ou des intentions, c’est-à-dire des états mentaux qui sont différents des nôtres. Chez l’enfant normal, l’acquisition de la théorie de l’esprit semble se mettre en place vers l’âge de 4 ans (35). Les enfants possèdent une théorie de l’esprit lorsqu’ils s’en servent pour inférer des processus non observables. Ils comprennent que les autres ont des pensées, des intentions ou des croyances distinctes des leurs. Cela leur permet de prédire et d’expliquer les comportements d’autrui. Selon plusieurs auteurs, cette compétence de théorie de l’esprit ne se mettrait pas en place chez les enfants porteurs d’un syndrome autistique (7). De nombreuses études ont utilisé les épreuves testant les fausses croyances de premier ordre telle que l’épreuve classique de « Sally et Ann » (7) ou celle des « Smarties » (29). Dans ces épreuves, un des personnages de l’histoire déplace un objet à l’insu d’un autre personnage de l’histoire. On vérifie alors que l’enfant a bien compris que ce dernier personnage est porteur d’une fausse croyance sur l’état de son environnement. Alors que cette compétence est atteinte entre 3 et 4 ans chez l’enfant typique, les enfants présentant des troubles autistiques n’arrivent pas à modifier leurs propres perspectives pour comprendre ce que l’autre sujet peut penser. Ils vont simplement attribuer à l’autre leurs propres pensées et ces difficultés persistent bien au-delà de 3-4 ans (7, 8). Ces données suggèrent que les enfants autistes ne sont pas en mesure de considérer des états mentaux distincts de leurs propres connaissances. Il faut distinguer dans ce contexte les enfants autistes des enfants souffrant d’un syndrome d’Asperger ou d’autisme de haut niveau. En effet, il semble que malgré les difficultés qu’ils rencontrent dans leurs interactions sociales, ces patients réussissent aussi bien les épreuves de théorie de l’esprit de premier ordre que les sujets contrôles (15, 28). En ce qui concerne les épreuves de fausses croyances du deuxième ordre, les résultats sont plus controversés. Les épreuves de théorie de l’esprit de deuxième ordre tes594 L’Encéphale, 2007 ; 33 : 592-7, cahier 1 tent la capacité des sujets à raisonner sur ce que pense un individu des pensées d’un autre individu. Si les études de Baron-Cohen (6) montrent que les sujets Asperger ou autistes de haut niveau échouent à ces épreuves, d’autres auteurs démontrent à l’inverse que ces patients les réussissent (11, 13, 15, 22, 28). Si ces sujets réussissent les épreuves de deuxième ordre, doit-on pour autant les considérer comme des sujets possédant une théorie de l’esprit strictement normale ? Il semble en effet que les sujets Asperger ou autistes de haut niveau aient d’importantes difficultés pour des épreuves de théorie de l’esprit plus complexes. Ainsi, selon Happé (23), les adultes Asperger sont significativement moins bons que les sujets contrôles pour comprendre des histoires sur des états mentaux. De plus, ces mêmes sujets utilisent moins de termes concernant les états mentaux pour justifier leurs réponses que les sujets contrôles. Abell et al. (1) et Klin (26) ont également retrouvé des difficultés pour attribuer des états mentaux chez des sujets autistes de haut niveau en utilisant des formes géométriques animées. Dans le même esprit, Baron-Cohen et al. (9, 10) démontrent que les adultes Asperger ou autistes de haut niveau ont des difficultés à interpréter l’expression du regard en utilisant des photographies exclusivement centrées sur les yeux. En d’autres termes, ces sujets semblent difficilement comprendre les états mentaux des individus en fonction de leur regard. Ils ne semblent pas différencier le regard d’un individu qui réfléchit du regard d’un individu arrogant par exemple. Enfin, Kleinman et al. (25) ont retrouvé chez des sujets Asperger et autistes de haut niveau des difficultés semblables au niveau des attributions des états mentaux en utilisant l’intonation de la voix. Les données contradictoires de la littérature peuvent avoir au moins deux origines. D’une part il est possible que les compétences de théorie de l’esprit évoluent avec l’âge. Or, la plupart des études utilisant des épreuves complexes ont été réalisées chez des sujets adultes (9, 23). D’autre part, il est possible que l’utilisation d’épreuves essentiellement basées sur des compétences verbales ait introduit un biais. Par conséquent, nous avons, dans le cadre de notre travail, testé la théorie de l’esprit chez des enfants et des adolescents présentant un syndrome d’Asperger, en utilisant une tâche expérimentale avec un matériel non verbal. L’objet de cette étude était donc de tester chez des enfants et des adolescents Asperger, la capacité à attribuer des intentions à autrui en utilisant des bandes dessinées. Ces mêmes enfants étaient par ailleurs testés dans la tâche des Smarties qui impliquait une composante verbale (27). MÉTHODE Population Deux groupes d’enfants ont participé à cette étude : un groupe de 16 enfants porteurs d’un syndrome d’Asperger ou autistes de haut niveau (ASP) (14 garçons et 2 filles ; L’Encéphale, 2007 ; 33 : 592-7, cahier 1 âge moyen = 12 ans 3 mois, allant de 7 ans 1 mois à 17 ans 6 mois) et un groupe de 16 enfants contrôles (CONT) apparié sur l’âge et le sexe. Le diagnostic d’Asperger a été posé à l’aide du DSM IV (3), de l’échelle de Gillberg (16) et de l’ADI-R (2). Le quotient intellectuel général évalué par le WISC-R (33) était en moyenne de 96,8 allant de 75 à 130. Aucun des enfants testés ne présentait d’autre trouble psychopathologique ni somatique caractérisé lors de la réalisation de l’expérience. Les enfants contrôles suivaient tous une scolarité normale, sans retard, et ne présentaient pas de troubles pédopsychiatriques au moment du test. Chaque enfant du groupe contrôle a été apparié individuellement à un enfant du groupe Asperger sur l’âge et le sexe. Ce groupe contrôle a été constitué au sein d’une école primaire et d’un collège environnant. Pour chacun des participants, nous avons obtenu le consentement éclairé de l’enfant et de ses parents. Procédure Cette épreuve s’est inspirée des travaux de Sarfati et al. (30) qui évaluaient la capacité de patients schizophrènes à inférer les états mentaux d’autrui. Nous avons adapté les stimuli pour qu’ils soient compréhensibles par des enfants à partir de 7 ans. Ces stimuli se composaient de 26 bandes dessinées racontant une histoire courte. Chaque bande dessinée, constituée de 3 images, était présentée sur un écran d’ordinateur et les sujets avaient tout loisir de regarder ces images. Puis, lorsqu’il le décidait, le sujet faisait apparaître, en appuyant sur la touche ‘espace’ du clavier, 3 nouvelles images numérotées 1, 2 ou 3. Une seule de ces images représentait une suite plausible à l’histoire présentée plus haut. Le sujet devait appuyer le plus rapidement possible sur le numéro correspondant à son choix. Cette épreuve contenait deux conditions : une condition appelée « Attribution d’intention », AI et une condition appelée « Causalité physique », CP. Dans la condition AI, l’histoire impliquait un personnage dont le sujet devait comprendre les intentions pour pouvoir donner la réponse correcte. Dans la condition CP, le sujet devait comprendre le déroulement physique d’un événement. Les sujets étaient testés individuellement au sein du Centre Ressources Autisme de l’hôpital Sainte-Marguerite à Marseille. Avant chaque session de test, l’expérimentateur procédait à quelques essais d’entraînement pour s’assurer que les sujets avaient bien compris la tâche. L’ordre de présentation des bandes dessinées était contrebalancé avant chaque sujet. Le nombre de réponses correctes et les temps de réponses des sujets étaient enregistrés pour chacune des conditions. RÉSULTATS Tâche des Smarties Tous les enfants du groupe ASP ont passé avec succès la tâche des Smarties. Syndrome d’Asperger et théorie de l’esprit Bandes dessinées Nombre des bonnes réponses Une analyse de variance [2 groupes (CONT/ASD) × 2 conditions (AI/CP)] a été conduite sur le nombre de réponses correctes. Cette analyse montre que ni le facteur Groupe ni le facteur Condition ne sont significatifs (ps > 0,05) mais que l’interaction Groupe × Condition est significative [F(1-30) = 4,3, p < 0,05]. Chez les sujets contrôles, les performances aux deux conditions sont identiques mais, chez les sujets Asperger, au contraire, les scores sont significativement plus élevés dans la condition CP (M = 10,8, SD = 2,5) que dans la condition AI (M = 9,8, SD = 2), [t (1-15) = 2,9, p < 0,001]. Temps de réponse La même analyse a été conduite sur les temps de réponses des deux groupes de sujets. Les résultats montrent que les temps de réponses des sujets Asperger sont globalement plus longs (M = 7 713 msec) que ceux des sujets contrôles (M = 4 140 msec) et que l’ensemble des sujets répond plus vite dans la condition CP (M = 5 553 msec) que dans la condition AI (M = 6 300 msec). En revanche, l’interaction Groupe × Condition n’est pas significative (p > 0,10). L’analyse des temps de réponses n’est donc pas très instructive sur les différences éventuelles de stratégies utilisées par les deux groupes expérimentaux. Enfin, l’effet de l’âge et du QI sur les scores a été évalué à l’aide du test de corrélation de Spearman. Les résultats montrent que l’âge et le QI des sujets ne sont pas corrélés aux scores ni dans la condition CP, ni dans la condition AI (tous les p > 0,10). DISCUSSION Les résultats de cette étude montrent clairement que les enfants souffrant du syndrome d’Asperger ou d’autisme de haut niveau présentent un déficit sélectif pour interpréter les intentions d’autrui. En effet, dans l’épreuve des bandes dessinées, ces patients ont des difficultés pour trouver la suite logique d’une histoire lorsque cette dernière implique des attributions d’intention. Ce résultat ne peut pas être imputable à un défaut de cohérence centrale qui empêcherait les enfants autistes de prendre en compte l’ensemble des informations contenues dans une scène visuelle (18). Dans notre étude, les sujets Asperger sont en effet capables de décoder les multiples informations contenues dans une scène visuelle pour résoudre une séquence logique d’événements physiques puisqu’ils ont le même niveau de réussite dans la condition causalité physique que le groupe d’enfants témoins. La théorie du défaut de cohérence centrale ne peut donc expliquer à elle seule le déficit de théorie de l’esprit observé dans l’épreuve des bandes dessinées. Ces résultats sont conformes aux travaux de Baron595 H. Duverger et al. Cohen (5) qui a également utilisé des bandes dessinées pour comparer la théorie de l’esprit à la logique physique chez des adolescents autistes. Ces éléments vont également dans le sens d’autres travaux de Baron-Cohen et al. (9) et de Kleinman et al. (25) qui démontrent un déficit de la théorie de l’esprit chez les sujets atteints de troubles autistiques lors d’épreuves qui utilisent uniquement le regard ou l’intonation de la voix. Nous pouvons aussi penser que les séquences d’événements physiques sont plus simples à réaliser que les attributions d’intention. Cependant, on ne retrouve pas de différences entre les deux types d’épreuves chez les sujets contrôles. Le niveau intellectuel ne peut, lui non plus, expliquer la discordance entre sujets ASP et sujets CONT car les groupes ont été appariés en fonction du niveau cognitif. Un deuxième résultat important de cette étude est que si les sujets Asperger échouent lors de l’épreuve testant la théorie de l’esprit à l’aide de bandes dessinées, ils réussissent l’épreuve de théorie de l’esprit basée sur les fausses croyances (Smarties). Même s’il s’agit de deux épreuves testant la théorie de l’esprit, il semble que ces deux tests sont bien distincts. Alors que l’une des épreuves utilise essentiellement la modalité verbale, la seconde épreuve fait appel à la modalité visuelle. Il est possible que ce soit la modalité verbale du test qui explique la meilleure réussite au test des Smarties par rapport au test des bandes dessinées. Ces résultats sont concordants avec l’hypothèse défendue par Tager-Flusberg et Sullivan (31) selon laquelle les sujets Asperger ont des capacités à résoudre des tâches de compréhension sociale comme les fausses croyances en s’appuyant sur une alternative neurocognitive à travers le langage. Bouchand et Caron (12) mettent en évidence un lien entre l’accès à la théorie de l’esprit et le développement du langage chez des enfants normaux. Ces deux mécanismes semblent également liés dans l’autisme, comme le montrent les résultats de Hale et Tager-Flusberg (19) dans une étude longitudinale sur des enfants autistes où un gain de compétences significatif en communication verbale est obtenu après un an de stimulation avec une batterie de tâches de théorie de l’esprit. En d’autres termes, les sujets ASP ont une bonne capacité à attribuer de fausses croyances à autrui selon une modalité verbale. En revanche, le traitement des informations visuelles aboutissant à la capacité d’attribuer des intentions à autrui semble défectueux. Il reste ouvert cependant que ce soit le niveau de complexité différent entre les deux épreuves qui explique les différences de performances entre nos deux épreuves chez les sujets ASP. Cette hypothèse mérite d’être directement testée en utilisant des tâches similaires faisant seulement varier la modalité verbale ou visuelle. L’Encéphale, 2007 ; 33 : 592-7, cahier 1 CONCLUSION Notre étude atteste donc que les sujets Asperger ou autistes de haut niveau ont d’importantes difficultés à attribuer des intentions à autrui selon une modalité visuelle. En revanche, les épreuves de fausses croyances de premier ordre ne semblent leur poser aucun problème, conformément à différentes études utilisant ce même type de test (11, 13, 15, 28). Ces résultats suggèrent toutefois que les stratégies utilisées par les sujets Asperger pour réussir cette tâche sont différentes des stratégies utilisées par les sujets contrôles. Selon Happé (20), même lorsque les sujets Asperger adultes réussissent les tests de théorie de l’esprit, leurs stratégies cognitives sont différentes de celles des sujets témoins et semblent s’appuyer sur des stratégies linguistiques. Ces résultats sont corroborés par les analyses en PET-scan qui retrouvent des variations au niveau du traitement des informations des tâches de théorie de l’esprit chez des sujets Asperger adultes comparés à des contrôles (21). En outre, la réussite lors d’une situation expérimentale ne garantit en rien la qualité de l’utilisation de la théorie de l’esprit dans les situations de la vie courante (13, 17). Par ailleurs, il est peut-être important de noter ici que tous ces résultats ne démontrent pas pour autant que les difficultés présentées au cours des tâches sur la théorie de l’esprit sont pathognomoniques des troubles du spectre autistique. L’échec à ce type d’épreuves peut se retrouver dans divers troubles psychopathologiques. Les enfants en difficulté scolaire peuvent en effet présenter les mêmes difficultés (36). Des déficits de la théorie de l’esprit ont été également identifiés chez des patients schizophrènes (14). Les tests de la théorie de l’esprit ne peuvent donc pas être considérés comme des tests diagnostiques des troubles du spectre autistique. Il faut noter, cependant, que le concept de la théorie de l’esprit reste à l’heure actuelle l’un des modèles explicatifs majeurs des troubles autistiques. Enfin sur le plan clinique, nous savons que les sujets présentant un syndrome d’Asperger éprouvent une réelle souffrance, en particulier pour tout ce qui concerne leurs relations sociales. Or ces difficultés sont souvent sousestimées et les sujets ne bénéficient que très rarement de prises en charge spécifiques et adaptées. Nos résultats suggèrent des orientations thérapeutiques. En effet, des techniques de rééducation sociale visant le renforcement de la compréhension sociale pourraient être développées en utilisant des stimulations verbales. Cette approche a déjà été abordée par certains auteurs avec des thought bubbles qui sont des représentations picturales de la pensée sur le modèle des stratégies d’images mentales. Cette méthode d’apprentissage s’est d’ailleurs avérée très efficace pour l’amélioration des performances aux tâches des fausses croyances chez les sujets autistes (34). Remerciements. Les auteurs remercient tout particulièrement les enfants qui ont participé à cette étude, le Professeur Poinso, chef du service de Pédopsychiatrie de l’hôpital Sainte-Marguerite à Marseille, ainsi que J. Nadel qui a aimablement fourni une partie du matériel expérimental. 596 L’Encéphale, 2007 ; 33 : 592-7, cahier 1 Références 1. ABELL F, FRITH U, HAPPE F. Do triangles play tricks ? Attribution of mental states to animated shapes in normal and abnormal development. Cogn Dev 2000 ; 15 : 1-16. 2. ADI-R. Interview pour le diagnostic de l’autisme, édition révisée (3e ed). Paris : INSERM, 1991. 3. AMERICAN PSYCHIATRIC ASSOCIATION. 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