El Watan __ Été 2009

Transcription

El Watan __ Été 2009
Concert de Idir aux Étas-Unis
An Algeriaman in New
York !
Le 18 juillet dernier, Idir a partagé la scène du prestigieux Avery
Fisher Hall du Lincoln Center avec Najaat Aatabou pour une « nuit
au Maghreb » au cœur de Manhattan (New York City). Le Avery
Fisher Hall a accueilli, au fil des années, les plus grands artistes
américains et internationaux comme Ella Fitzgerald, Aretha
Franklin, Elvis Costello, Youssou N’dour, Andrea Bocelli.
Depuis 13 ans maintenant, le Lincoln Center promeut des
musiciens internationaux afin de faire découvrir à son
audience des genres musicaux nouveaux et éclectiques. Idir et Aatabou sont venus à New York à
l’initiative de Karima Zerrou, fondatrice et directrice de Tala Entertainment Services, une agence
prestataire de services variés basée à New York. Tala Entertainment Services a pour objectif premier
d’aplanir les clivages culturels entre l’Amérique et le reste du monde, entre autres, par la promotion
interculturelle d’artistes et par la mobilisation d’artistes pour des actions de sensibilisation aux causes
caritatives mondiales. K. Zerrou a notamment été responsable de la participation de cheb Khaled à un
concert de l’ONU pour la lutte contre le paludisme.
Environ 1500 personnes, dont beaucoup d’Algériens, ont assisté au concert d’Idir et de Aatabou. Le
public a accueilli les deux artistes très chaleureusement. Les youyous et les applaudissements ont fusé
jusqu’à la fin du concert. Idir a chanté ses tubes kabyles dont Isefra, Cfiy, Adrar, Abehri n Tmeddit,
Cteduyi, Ssendu, A Vava Inouva, Tizi Ouzou, et Zwits Rwits. Idir était entouré de ses musiciens
talentueux, Tarik Aït Hamou à la guitare, Lahouari Bennedjadi et Lionel Teboul au synthé, Gérard Geoffroy
à la flûte et la percussion, Hachemi Bellali à la basse, Eric Duval à la batterie et Amar Mohali à la
percussion. Dès les premières notes d’Abehri n Tmeddit, des personnes de tout âge se levèrent pour
danser dans cette salle de concert classique, à l’acoustique extraordinaire, faisant vibrer le Avery Fisher
Hall, du plancher au plafond, comme jamais auparavant.
Certains agitant leurs drapeaux algérien et kabyle, d’autres portant le polo de l’équipe nationale de foot
nationale algérienne, et d’autres encore secouant leurs robes kabyles ou foulards, le tout formant une
masse joyeuse et cohésive. Certains fans n’ont pu contenir leur adoration, allant jusqu’à monter sur
scène pour embrasser et honorer leur idole, Idir. La chanteuse Aatabou, quant à elle, vêtue d’un kaftan
doré, a chanté, entre autres, C’est ça l’amour, Awa Hawa, Regarde beauté, dansant d’un bout à l’autre de
la scène avec une énergie qui lui est propre. Elle était entourée de Rachid Attaoui, Saïd Moutaouakil,
Adel Zlifi au bendir, Hilal Chafiq au synthé, Driss Hayani Sakouti au violon, Said Idrissi Oudghiri et Sid Ali
Small à la batterie, Tarik Slaoui à la guitare et Omar Touissant à la basse.
Ce concert à New York est une première pour Idir et la chanteuse marocaine. Idir a accordé une interview
à El Watan et a partagé ses impressions sur son dernier album, son engagement personnel dans les
questions identitaires, la France et l’Algérie. En 2007, La France des couleurs, le nouvel album d’Idir, a
marqué un tournant dans la carrière du « John Lennon kabyle » ; un nouveau genre dans la carrière
musicale du grand artiste folk algérien. « C’est plus un concept qu’un disque », nous confie Idir. C’est
aussi « un reflet de la société française actuelle ». Idir nous explique qu’au départ, on lui a proposé des
concerts et chansons qui n’étaient pas forcément à son goût. « Ce qui m’a plu dans ce projet,
explique-t-il, c’est que cela s’est fait à l’initiative de jeunes artistes. » Idir s’est même étonné d’être connu
par ces jeunes artistes. La décision de participer à ce projet n’a pas été si facile pour l’artiste, qui aime
« avancer en terrain codifié ». C’est pourquoi avant d’accepter, il a rencontré chaque artiste
individuellement, afin de discerner les affinités des uns et des autres.
Il savait qu’au travers de ces rencontres et conversations émaneraient les sujets et thèmes de l’album. Et
c’est exactement ce qui c’est passé, se rappelle Idir. Après quoi, il a contacté Zidane, Thierry Henry,
Yannick Noah et Obispo afin de solliciter leur participation à la création de cet album multicolore. Idir se
réjouit du résultat et de la réaction du public. « Pour un minoritaire comme moi, nous dit-il, c’est gratifiant
d’avoir pu réunir des personnes si différentes et si connues. » Idir nous confie que cet album « lui a donné
beaucoup d’assurance ». Cette œuvre est d’autant plus gratifiante qu’à ses yeux « le but d’un artiste n’est
pas d’être célèbre " mais " de constater que son parcours a été utile… laissé sa trace. » Cela fait
maintenant des années qu’Idir est engagé dans la lutte contre la discrimination, qui est devenue
apparente dès qu’il s’est installé en France. Même s’il ne se définit pas comme un militant, il se veut
« participant ». Cette participation se reflète si bien dans son dernier album où les paroles de ses
chansons kabyles s’entrelacent avec celles de jeunes artistes contemporains :
« On veut notre identité
On a longtemps hésité
On est la même entité
Zwit rwit
Egalité fraternité
On mérite mieux que ces cités
L’avenir c’est la mixité
Zwit rwit. »
Lettre à ma fille est une autre chanson de l’album La France des couleurs qui illustre si bien la sensibilité
d’Idir à la condition des jeunes femmes musulmanes. Idir nous explique que les paroles ont été écrites
par Grand Corps Malade et la mélodie composée par sa fille, Thanina. Idir nous explique que le but de
cette chanson était de mettre en scène un père qui « se débarrasse de sa panoplie de croyant » pour
exprimer à sa façon son amour pour sa fille :
« Il m’a fallu du courage pour te livrer mes sentiments,
Mais si j’écris cette lettre, c’est pour que tu saches, simplement
Que je t’aime comme un fou, même si tu ne le vois pas,
Tu sais ma fille chez nous, il y a des choses qu’on ne dit pas. »
Conscient de l’impatience de certains de ses fans qui désirent le voir revenir à la chanson kabyle, Idir, qui
avant tout veut rester lui même, explique que pour le moment il est dans une phase de partage et
collaboration avec d’autres artistes. Il note en passant que la plupart de ses chansons, à l’exception
peut-être de Vava Inouva, n’ont pas été acceptées immédiatement, car elles étaient perçues comme
« révolutionnant quelque chose », que ce soit dans la mélodie, instrumentation ou paroles. Confiant, Idir
est persuadé que ses fans, même sceptiques, finiront par comprendre le concept de La France des
couleurs. Les questions identitaires ont toujours interpelé Idir. « Parfois, il faut oublier d’être soi-même »,
nous confie-t-il. Il nous révèle trouver peu d’intérêt à considérer les gens à travers le prisme de la religion
ou de la politique.
Il nous confie préférer « débusquer » les gens en observant « les petit indices de la personne », comme
par exemple, un sourire ou un regard. Selon Idir, dès lors que l’on est assujetti ou tributaire d’une religion
ou d’un camp politique ou social, une part de cet héritage nous emprisonne. En prenant l’exemple de la
Kabylie, Idir estime qu’il y a des moments où il faut oublier d’être Kabyle, sortir de sa « kabylité », ne
serait-ce parfois que pour mieux la défendre. Se débarrasser de toutes ses chaînes, nous dit-il, permet
d’appréhender l’avenir avec sérénité. Interrogé sur l’Algérie, Idir répond avec tendresse que « l’Algérie me
manque », ce qui explique qu’il est resté de nationalité algérienne, malgré qu’il ait vécu en France toute
sa vie adulte. Il explique que l’Algérie reste le pays qui lui a donné « vie et identité ». « C’est le pays qui
m’a offert ma première lumière, où j’ai commencé à voir, écouter, être heureux et malheureux », nous
confie-t-il. Idir note qu’on se construit d’abord localement avant d’évoluer vers de nouveaux horizons. Ce
qui explique que sa Kabylie natale reste à jamais ancrée dans son cœur et son âme. Idir, le géologue, se
rappelle avec nostalgie la topographie de sa terre natale – le dégradé de vert et la ligne de crête des
montagnes de Kabylie. Passant au sujet de l’Algérie d’aujourd’hui, Idir nous confie que l’état de la société
algérienne l’interpelle. Il exprime sa déception et sa tristesse dans l’état du gouvernement qu’il ne voit pas
évoluer. Il est également interpellé par la place de la religion dans la société algérienne. « Dieux est
magnifique, c’est la part de l’homme dans la religion qui m’interpelle », s’exprime-t-il.
Considérant les mentalités de l’opinion publique algérienne, Idir confie qu’il a du mal à voir comment
l’Algérie peut s’en sortir. Malgré tout cela, il se réjouit de ce que les nouvelles générations accomplissent
au quotidien. L’Algérie est un pays de jeunes et c’est pour cette raison, note-t-il, que les mentalités
commencent à changer. Il constate aussi avec contentement par exemple qu’en 20 ans, la culture
berbère a fleuri en Algérie de manière inattendue, comme le montre la reconnaissance de la langue
kabyle, la création de chaînes de télé et radios kabyles et la montée de jeunes Kabyles qui sont actifs
dans la promotion de la culture berbère et qui se battent avec les moyens de leur jeunesse. « Tout cela
est positif, dit-il , quant au reste, je suis sans illusions. » Même sans illusions, Idir clarifie qu’il reste « un
homme sans réserves » et nous déclare que « s’il devait mourir demain, ce serait plutôt de lucidité ». Il
déplore combien « la nature humaine le décourage ». Malgré cela, au fond de lui il garde toujours une
part d’espoir.
Répondant à une question sur la France de Sarkozy, Idir reconnaît un changement positif dans le tableau
politique français marqué, par exemple, par la nomination de Rachida Dati, Fadéla Amara et Rama Yade.
Il ya dix ans, les jeunes politiciens ou politiciennes issus de l’immigration n’auraient eu droit qu’au
« ministère des chiens écrasés », remarque-t-il. L’audace de Sarkozy a été de nommer Rachida Dati à un
poste si prestigieux, reconnaît-il. Même si la nomination de Dati a été calculée, note-t-il, l’important c’est
qu’il ait fait le pas. L’important maintenant, insiste-t-il, c’est que ces personnes puissent assurer leur
position et fassent preuve du niveau de compétence attendu. C’est aux nominés maintenant « de faire
des étincelles », dit-il en souriant. Quel parcours pour un artiste qui n’a pas choisi d’être chanteur ! Idir
aurait exercé son métier de géologue, si les tournants de la vie ne l’avaient pas transporté vers la
musique et la création. Idir se rappelle avec amusement que sa mère ne considérait pas le métier de
musicien comme une carrière sérieuse pour son fils prodige. Malgré cela, Idir continue de créer et de se
réinventer. Il aime voir « les mots se former devant ses yeux », en en prenant certains, et en en laissant
d’autres. Il est admiratif devant ce qu’il construit, tel un parent devant son enfant. Quand on lui demande
s’il préfère la création, la composition, la performance, les fans..., il répond sans hésiter : « J’aime le
tout. » « Ce qui me plait par-dessus tout, c’est d’avancer ensemble et de se rejoindre », sous entendant
les autres au sens large.
Cherazad Chemcham
29 juillet 2009