D2 - Migration, santé et recours aux soins à Mayotte en 2007
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D2 - Migration, santé et recours aux soins à Mayotte en 2007
Congrès national des Observatoires régionaux de la santé 2008 - Les inégalités de santé Marseille, 16-17 octobre 2008 D2 - Migration, santé et recours aux soins à Mayotte en 2007 : enseignements d’une enquête représentative en population générale S. Florence a,b, J. Lebas a,c,g, I. Parizot a,d, D. Sissoko e, V. Pierre e, C. Paquet f, S. Lesieur a, P. Chauvin a,b,c a Equipe de recherche sur les déterminants sociaux de la santé et du recours aux soins, Inserm UMRb c S707, Paris, France ; UMR-S707, Université Pierre et Marie Curie-Paris 6, Paris, France ; Hôpital d Saint-Antoine, AP-HP, Paris, France ; Centre Maurice Halbwachs (CNRS-EHESS-ENS), Equipe de e recherche sur les inégalités sociales, Paris, France ; Cellule interrégionale d’épidémiologie Réunionf Mayotte, Saint-Denis, Réunion ; Institut de veille sanitaire (InVS), Saint-Maurice, France ; g Conservatoire national des arts et métiers, Paris, France RESUME Introduction. Mayotte est une collectivité départementale française qui conjugue de nombreuses spécificités : développement éducatif et sanitaire récent, pression migratoire importante, accès aux soins gratuit pour les résidents légaux et payant pour les étrangers en situation irrégulière, absence de plusieurs prestations sociales (ni revenu minimum d'insertion (RMI), ni aide médicale de l'Etat (AME)), systèmes d’information sanitaire inexistants. Pour la première fois, une enquête représentative en population générale a permis de décrire les déterminants sociaux du recours aux soins et, notamment, de comparer la situation des français et des étrangers. Matériel et méthodes. Enquête transversale conduite auprès d’un échantillon aléatoire à 2 niveaux (logements, personnes) stratifié par âge et par zone géographique, comprenant 2105 personnes interrogées en français, shimaore, kibushi (taux de réponse = 96%). Le questionnaire consistait en une version abrégée des enquêtes sanitaires et sociales classiques, adaptée au contexte de Mayotte après la réalisation d’une enquête qualitative préalable. Résultats. Les étrangers représentent 40% de la population (dont 1/4 d’enfants nés à Mayotte) ; 80% sont en situation irrégulière alors que leur ancienneté médiane d’installation est de 9,5 ans. Ils sont majoritaires chez les femmes, dans la population entre 20 et 35ans et dans les zones les urbanisées (Mamoudzou, Koungou et Petit Terre). Les migrations sanitaires apparaissent très minoritaires : 11% déclarent avoir migré ou s’être installés à Mayotte pour raisons de santé tandis que la majorité des motifs de migration est économique (50%) ou familiale (26%). La situation sociale des étrangers est plus précaire et leur état de santé ressenti moins bon que les français. Leur accès aux soins est également jugé plus difficile. Les principaux obstacles cités sont : financiers (67%), la peur d’être arrêté (38%), l’absence de titre régulier de séjour (23%), les délais d’attente (22%). En analyse multivariée, avoir des difficultés pour consulter un médecin est associé à une mauvaise santé perçue, la situation irrégulière de séjour et le sentiment d’isolement. On n’observe pas de différence notable en terme de fréquence de consultation au cours des 12 derniers mois mais des modalités de recours aux soins différentes (moins en médecine libérale, plus en Protection maternelle infantile (PMI) et en médecine traditionnelle). Discussion et conclusion. Dans ce « territoire frontière » de la république, la population étrangère est nombreuse et installée depuis dix ans en moyenne. Les motifs de migration sont principalement économiques et familiales. Les étrangers relatent des obstacles dans l’accès aux soins liés à la précarité de leurs conditions de vie et à l’absence de titre de séjour. Mots-clés : Santé, Migration, Facteurs sociaux, Soins Primaires Keywords: Health, Migration, Social Factors, Primary Care 1. INTRODUCTION/OBJECTIF 1.1 Contexte Mayotte est une des quatre îles de l’archipel des Comores situé dans le canal de Mozambique, entre Madagascar et l’Afrique. Elles est située à 8000 Km de Paris et a une superficie de 374km2. Elle appartient à la France depuis 1841. A la fin de l’année 1974, lors de la consultation des populations des quatre îles des Comores, Mayotte refuse l’indépendance à 63,8 % (Dumont, 2005). Depuis, son statut a évolué de TOM, en COM puis, depuis 2001, en statut exceptionnel de Collectivité Départementale d’Outre Mer. Actuellement, l’île compte 186000 habitants (Morando, 2007), une croissance démographique forte et une population très jeune (Insee, 2007). L’islam est la religion majoritaire et les langues principales sont le shimaore, le kibushi et le français. Mayotte connaît un important mouvement d’immigration en provenance des Comores. L’accession à l’indépendance des trois îles de l’archipel n’a pas interrompu les mouvements anciens de population entre les îles dus à l’étroitesse des liens séculaires, géographiques, familiaux et culturels (Blanchy, 2002). En 1995, la mise en place d’un visa d’entrée conduit au développement d’une immigration clandestine et contribue à fixer sur l’île des Comoriens en situation irrégulière de séjour. Depuis 2006, la moitié des reconduites à la frontière de personnes en situation irrégulière effectuée chaque année sur le territoire de la République ont eu lieu à Mayotte. Le système sanitaire repose sur un maillage de dispensaire publics et de centres de PMI, et sur le Centre hospitalier de Mayotte (CHM). Le secteur libéral reste très restreint. Jusqu’en 2004, l’accès aux soins était gratuit pour tous. Depuis, la mise en place de la Sécurité sociale a créé une distinction entre les affiliés pour lesquels les soins restent gratuits et les non affiliés qui doivent payer un forfait dont les tarifs ont été fixés localement (ARH, 2005). Malgré l’absence de données socio-sanitaires systématiques, on constate une aggravation de l’état de santé de certaines populations à Mayotte, avec la réapparition de maladies telles que le béribéri, le « kwashiorkor » ou le scorbut. Les difficultés d’accès aux soins présentent des risques potentiels en terme de santé publique, notamment l’aggravation prévisible de pathologies (infectieuses mais aussi chroniques) initialement mineures ou encore un signalement plus tardif de phénomènes épidémiques émergents. 1.2 Objectifs L’enquête « DRSM » (Déterminants du recours aux soins à Mayotte) avait pour objectif principal de décrire les types de recours aux soins de la population de Mayotte et d’étudier leurs déterminants sociaux. Nos objectifs secondaires étaient de comparer la situation des français et des étrangers, en particulier ceux en situation irrégulière de séjour et d’identifier la part de la santé et/ou du besoins de soins dans les raisons de migration vers Mayotte. 2. MATERIELS/METHODES Une enquête transversale, représentative et anonyme, a été conduite entre octobre et novembre 2007 sur l’ensemble de l’île, avec le soutien de l’Agence française de développement. La population de référence concerne tous les résidents à Mayotte pour une durée de séjour (passée et/ou future au jour de l’enquête) de 6 mois ou plus. Un tirage au sort, stratifié par zone géographique (urbaine/rurale), a été réalisé à trois degrés : 20 zones géographique de 100 à 200 logements ont été tirées au sort, puis 30 logements par zone et 2 individus par logement (un de moins de 15 ans, un de plus de 15 ans). La base de sondage disponible était la base la plus récente des îlots de recensement de l’antenne local de l’INSEE. Le questionnaire consistait en une version abrégée des enquêtes sanitaires et sociales classiques, adaptée au contexte de Mayotte grâce à la réalisation d’une enquête qualitative exploratoire préalable. Il contenait 3 parties : un questionnaire ménage, un questionnaire pour les 15 ans et plus et un questionnaire pour les moins de 15 ans. Les items recueillis concernaient les caractéristiques sociales, sanitaire et de trajectoire de vie. Quinze enquêteurs ont menés les entretiens à domicile en français, en shimaore et en kibushi. La durée de passation moyenne pour un logement était d’une heure. La base de données a été redressée a posteriori sur la taille des ménages puis calée sur la distribution par sexe et âge de la population mahoraise au dernier recensement. 2 3. RESULTATS Au total, 1246 ménages ont été inclus et 2105 individus interrogés (taux de logements vacants : 19%, proportion de personnes absentes ou de refus : 4%). Le Tableau 1 montre la distribution des principales caractéristiques sociodémographiques et sanitaires de la population. Tableau 1 : Description des principales caractéristiques sociodémographiques et sanitaires de la population, Mayotte, 2007 (source : enquête DRSM). Sexe Age Région Nationalité et statut de résidence Etat de santé ressenti Sécurité sociale Consultation d’un médecin au cours des 12 derniers mois Maîtrise du français Activité Ressources du ménage par unité de consommation Homme Femme 0-15 16-30 31-45 46-60 >60 ans Rurale Urbaine Française Etrangère en situation régulière Etrangère en situation irrégulière Bon Mauvais Affiliés ou ayants droit Non affiliés Oui Non Oui Non Travail / Etude Au foyer / chômage / Inactif <142 euros ≥142 euros Population totale 50,1% 49,9% 45,3% 28,3% 16,3% 6,7% 3,4% 52,9% 47,1% 59,8% 7,2% 33,0% 83,0% 17,0% 60,9% 39,1% 73,7% 26,3% Population ≥15 ans 48,6% 51,4% 69,8% 30,2% 48,5% 51,5% Concernant le recours au soins dans l’année précédant l’étude, 73,0% de la population avait consulté au moins une fois un médecin, 23,7% au moins une fois un soignant paramédical et 29,5% au moins une fois un soignant traditionnel. A l’issue de l’analyse multivariée (Tableau 2), avoir consulté un médecin durant l’année précédente était associé aux caractéristiques suivantes : le sexe, la localisation géographique, la déclaration d’une maladie chronique et le fait d’avoir l’électricité dans le logement. Par ailleurs, en analyse multivariée toujours, le facteur principalement associé au fait d’avoir consulté un médecin libéral durant l’année précédente était le revenu du ménage. La Figure 1 représente la distribution de la population résidente à Mayotte selon la nationalité (française ou étrangère) et la statut migratoire (né ou non à Mayotte). On distingue ainsi 4 sousgroupes de population : - la population française non migrante constituée des mahorais (53,8%) et des enfants des métropolitains et réunionnais ayant migré à Mayotte (0,2%). Soulignons que 40% de cette population a au moins un parent né en dehors de Mayotte ; - la population étrangère ayant migré à Mayotte (29%), essentiellement d’origine comorienne ; - la population étrangère née à Mayotte, constituée en très grande majorité des enfants des étrangers immigrés (11%) ; - la population française migrante (5%), constituée pour moitié de la population métropolitaine et réunionnaise (2,5%) et pour moitié de la population d’origine étrangère ayant acquis la nationalité française (2,5%). 3 Tableau 2 : Caractéristiques associées au fait d’avoir consulté un médecin au cours des 12 derniers mois, Mayotte, 2007 (source : enquête DRSM). % dans la population Déclaration d’une maladie chronique Non Oui Sexe Masculin Féminin Région Urbain Rural Electricité dans le logement Non Oui % chez les consultants OR IC95% 24,5 29,2 ref. 3,13 [2,06-4,75] 50,2 54,3 ref. 1,80 [1,28 -2,53] 55,0 57,7 ref. 1,73 [1,23-2,42] 94,8 96,8 ref. 3,71 [2,03-6,75] Figure 1 : Répartition de la population de Mayotte en fonction de la nationalité et du statut migratoire en 2007 (source : enquête DRSM). NATIONALITE FRANCAISE M I G R A T I O N M I G R A N T S 29% IMMIGRES 2,50% 2,50% 11% N O N M I G R A N T S ETRANGERE 54% MAHORAIS Sans Titre de séjour Au - 1 parent né hors Mayotte Parmi les étrangers, 17,8% des étrangers étaient en situation régulière de séjour et 82,2% en situation irrégulière. Parmi la population migrante, la distribution de l’ancienneté de migration montre que la moitié des étrangers immigrés à Mayotte se sont installés depuis plus de 10 ans (ancienneté médiane d’installation = 9,5 ans). On observe une nette diminution des installations au cours des 5 dernières années. Plus la migration est ancienne, plus la part d’étrangers en situation régulière est importante. Les étrangers installés depuis plus de 10 ans ont ainsi 7 fois plus de chance d’avoir obtenu un titre de séjour que ceux installés depuis moins longtemps (OR = 6,91 ; IC95% = [4,24 ; 11,3]). Ceci s’explique sans doute par les restrictions au droit de séjour des étrangers intervenues depuis la fin des années 1990. Les étrangers sont majoritaires chez les femmes de 15 ans et plus (53,3%), les personnes de 21 à 35 ans (56,1%) et celles localisées en zone urbaine (58,3%), ainsi que chez les personnes en mauvaise santé ressentie (62,5%), non affiliées (84,6%) et ayant les revenus les plus bas (55,5%). Dans l’ensemble de la population, sept personnes sur dix déclaraient rencontrer des obstacles pour se soigner. Si aucune différence notable n’a été observée en terme de fréquence de recours global aux soins, les étrangers consultaient moins en médecine libérale, plus à la PMI et avaient aussi plus souvent recours aux soignants traditionnels. Quatre personnes sur dix de nationalité française déclaraient ne pas rencontré d’obstacles pour consulter contre 13,9% de la population étrangère. Dans la population de nationalité étrangère les obstacles principalement cités étaient les problèmes financiers et la peur d’être arrêté ou l’absence de papier (cités chacun par 70% des personnes). Dans la population de nationalité française, les obstacles principaux étaient l’attente en consultation (37%) et les problèmes financiers (19%). 4 Près d’un tiers (29,9%) de la population de nationalité étrangère déclaraient avoir au moins une fois renoncé à des soins contre seulement 10,9% dans la population française (OR = 3,47 ; IC95% = [2,74-4,41]). De la même façon, 18,8% de la populations de nationalité étrangère avec des enfants avaient au moins une fois renoncé à des soins pour leurs enfants contre 3,39% de la population de nationalité française (OR = 6,77 ; IC95% = [3,58-10,07]). Aussi, 57,3% de la population de nationalité étrangère trouvaient plutôt difficile de consulter un médecin contre 35,7% dans la population française. En analyse multivariée, déclarer avoir des difficultés pour consulter un médecin était significativement associé à l’état de santé perçue, à la situation administrative de séjour et au sentiment d’isolement (Tableau 3). Tableau 3: Analyse multivariée des facteurs associés avec le fait d’avoir des difficultés pour consulter un médecin, Mayotte, 2007 (source : enquête DRSM). % dans la population % chez les cas OR* IC95% 64,1 35,9 51,2 48,8 ref. 2,10 [1.4 -3,3] ref. 1,89 [1,1- 3,3] Situation de séjour Régulière Irrégulière Isolement Non Oui 21,4 78,6 15,8 84,2 *ajusté sur le sexe et l’état de santé perçu Les raisons de santé arrivaient en 3ème position parmi les raisons d’immigration (9,1% ; IC95% = [6,2 ; 11,3]) et en 5ème position parmi les raisons d’installation (4,0% ; IC95% = [2,4 ; 5,7]), loin derrière les raisons économiques et familiales. Les personnes déclarant avoir une (ou des) pathologie(s) chronique(s) avant de migrer et dont la prise en charge avait motivé l’installation à Mayotte représentaient 4,6% des migrants nés à l’étranger. Au total, les migrations sanitaires restaient très minoritaires : 11,3% [8,7-11,3] des immigrés avaient migré ou s’étaient installés pour raisons de santé ou pour traiter une maladie chronique. 4. DISCUSSION/CONCLUSION Cette étude donne une photographie du recours aux soins des habitants de Mayotte. Elle met en évidence les principaux modes de recours aux soins et les obstacles pour se faire soigner, en particulier chez les étrangers. Sept personnes sur dix avaient consulté un médecin durant l’année précédant l’enquête. On n’observe pas de différence notable en fonction de la nationalité en terme de fréquence de consultation au cours des 12 derniers mois mais des modalités de recours aux soins différentes (moins en médecine libérale, plus en PMI et en médecine traditionnelle). Les obstacles aux soins concernent néanmoins 70% de la population. La population étrangère est nombreuse et très majoritairement installée depuis longtemps dans l’île. Elle est en majorité en situation irrégulière et précaire. Les raisons de migrations sont essentiellement économiques et familiales. Les principaux facteurs associés aux difficultés rencontrées pour consulter un médecin sont la situation irrégulière de séjour et l’isolement social. Pour étudier plus avant la question des délais et des retards aux soins, une étude représentative et comparative nécessiterait d’être conduite en regard auprès des patientèles des dispositifs de soins. REMERCIEMENT Agence française de développement (AFD) et en particulier sa Division « Santé et protection sociale », Antenne de l’Insee à Mayotte, Conservatoire National des Arts et Métiers à Mayotte, Conseil général, DASS et Centre hospitalier de Mayotte, Association SHIME. REFERENCES Agence régionale d’hospitalisation La Réunion-Mayotte (2005). Schéma territorial d’organisation sanitaire de Mayotte III, 26 p. Blanchy S. (2002), « Changement social à Mayotte : transformations, tensions, ruptures », Etudes Ocean Indien, 33-34, p.165-195. Dumont G.F. (2005), « Mayotte, une exception géopolitique mondiale », Outre-Terre CAIRN, 11, 2, p. 515-527. Morando M. (2007), « Recensement général de la population de Mayotte : 186 452 habitants au 31 juillet 2007 », Insee Infos, 32, p.1-4. Institut national des études économiques (INSEE), antenne de Mayotte (2007). Tableau économique de Mayotte, 50 p. 5