Le travail pénitentiaire reste dans le « non-droit

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Le travail pénitentiaire reste dans le « non-droit
Le travail pénitentiaire
reste dans le « non-droit »
Saisi par deux personnes détenues contestant leur régime de
travail, le Conseil constitutionnel a fait le choix, dans une décision
du 14 juin, de maintenir le travail pénitentiaire dans la « zone de
non-droit » qui le caractérise.
L
’ARTICLE 717-3
DU
CODE
DE PROCÉDURE PÉNALE PRÉ-
voyant que « les relations de travail des personnes
incarcérées ne font pas l’objet d’un contrat de travail »
ne porte « aucune atteinte » au « principe d’égalité »,
ni à « aucun autre droit ou liberté que la Constitution
garantit ». Ainsi vient d’en décider le Conseil constitutionnel
dans une décision du 14 juin 2013 pauvre en motivations, qui
ne répond pas à tous les griefs soulevés par les détenus requérants et par l’OIP dans ses « observations en intervention »
versées à l’appui des demandeurs. Le Conseil se contente de
préciser « qu’il est loisible au législateur de modifier les dispositions relatives au travail des personnes incarcérées afin de renforcer la protection de leurs droits ».
Une décision limitée, ouvrant la voie à d’autres
procédures
Faut-il pour autant en déduire que la situation de « nondroit » caractérisant le travail carcéral disposerait désormais
d’une caution constitutionnelle ? Pour le ministère de la Justice, cela ne fait guère de doute. Selon un communiqué de la
garde des Sceaux, le Conseil a reconnu que « les règles législatives qui organisent les conditions de travail des personnes
détenues étaient conformes aux droits et libertés garanties par
la Constitution dans son préambule1 ». Or, rien n’est moins sûr.
Le commentaire de la décision diffusé par le Conseil constitutionnel2 rappelle que ce dernier « était saisi uniquement
de la première phrase du troisième alinéa de l’article 717-3 du
CPP, qui se borne à prévoir [l’absence de contrat de travail] ».
Pour les Sages, seules ces dispositions ne portent « en ellesmêmes » aucune atteinte à la Constitution. Acceptant que le
droit du travail ne s’applique pas en prison, ils n’ont pas pour
autant jugé que l’ensemble des dispositions législatives réglementant le travail carcéral, qui n’avaient pas été soumises à
leur contrôle, sont suffisamment protectrices des droits et
1 Communiqué du garde des Sceaux, 14 juin 2013.
2 http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/
les-decisions/acces-par-date/decisions-depuis-1959/2013/2013-320/
321-qpc/decision-n-2013-320-321-qpc-du-14-juin-2013.137401.html
Dedans Dehors N°80 Juin 2013
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libertés constitutionnels des travailleurs détenus. La question
leur sera posée par l’OIP dans les prochains mois.
Une occasion manquée
Si le Conseil constitutionnel renvoie le législateur à ses responsabilités en lui rappelant qu’il peut renforcer les droits des
détenus travailleurs, il paraît peu probable que le gouvernement le saisisse d’un projet de loi en ce sens. Sitôt publiée la
décision, le ministère de la Justice s’est félicité que le Conseil
ait su « prendre en compte les spécificités du travail en milieu
pénitentiaire », validant qu’il ne soit pas soumis au droit commun. Pour Christiane Taubira, l’acte unilatéral qui « lie l’administration pénitentiaire à la personne détenue pour déterminer les conditions de son activité » en lieu et place du contrat
de travail a d’ores et déjà « marqué un progrès considérable
dans la reconnaissance des droits des détenus3 ». Prévu par la
loi pénitentiaire, un « acte d’engagement » professionnel doit
en effet être « signé par le chef d’établissement et la personne
détenue » avant toute prise de fonction. Cet acte doit prévoir
la « description du poste », les « horaires de travail », les « missions principales à réaliser » et les conditions de « rémunération ». En pratique, ce document n’apporte aucune garantie, les personnes détenues restant soumises aux desiderata
de l’administration pénitentiaire ou des entreprises, notamment en termes d’horaires, de rémunérations, et parce que la
moindre plainte les expose au risque de perdre leur emploi.
Les détenus peuvent toujours travailler sept jours sur sept
alors qu’ils devraient pouvoir bénéficier d’au moins un jour
de repos hebdomadaire. Ou ne travailler que quelques heures
par mois, sans aucune compensation des heures chômées,
d’autant que certains établissements ont « pour pratique de
classer plus de personnes que de postes de travail », les détenus en surnombre servant alors de « variables d’ajustement
aux aléas d’effectifs et de production » (Contrôleur général des
lieux de privation de liberté, rapport 2011). Quant aux seuils
de rémunérations, en principe de 20 % à 40 % du Smic horaire
3 Communiqué du garde des Sceaux, 14 juin 2013.
ACTU
« Un travailleur en détention
est certes un détenu mais
c’est d’abord un travailleur.
Cela implique que la personne
incarcérée bénéficie d’un
contrat de travail »
Amendement du groupe socialiste
au projet de loi pénitentiaire de 2009.
© Simon Jourdan
brut, ils ne sont pas respectés. Les détenus qui travaillent en
atelier ou dans leur cellule continuent d’être rémunérés à la
pièce, sans aucun droit de regard sur les prix fixés. Certains
perçoivent ainsi des rémunérations d’un euro de l’heure.
« Un dispositif qui s’apparente davantage aux conditions de
travail du premier âge industriel qu’à celles de la France d’aujourd’hui », selon les mots du Contrôleur général des lieux de
privation de liberté4.
de cette question et de garantir aux travailleurs détenus des
conditions de travail respectueuses de leur dignité.
Marie Crétenot et Nicolas Ferran
Communiqués OIP du 4 juin 2013, « Travail en prison : une
situation de non droit soumise au Conseil constitutionnel » et du
14 juin 2013, « Le Conseil constitutionnel consacre le non-droit
du travail en prison : satisfaction du ministère de la Justice »,
consultables sur le site www.oip.org
Des reniements socialistes…
Lors des débats relatifs à la loi pénitentiaire en 2009, le groupe
socialiste à l’Assemblée nationale, dont faisaient partie Christiane Taubira, François Hollande et Jean-Marc Ayrault, n’était
pourtant pas le dernier à s’élever contre ce statut dérogatoire
et défendait l’introduction du contrat de travail en prison
(amendement n° 114) : « Pour nous, un travailleur en détention est certes un détenu mais c’est d’abord un travailleur. Cela
implique que la personne incarcérée bénéficie d’un contrat de
travail qui fixe ses devoirs et lui donne aussi accès à l’ensemble
des droits sociaux ». « Aucun des arguments invoqués » pour
refuser l’introduction d’un contrat « ne nous semble justifiable.
Le contrat de travail […] s’impose ». Le groupe socialiste considérait également que « l’absence de droit du travail ruine la
conception même du travail pénal comme outil d’insertion ».
Tous les détenus invités à s’exprimer lors de la conférence
de consensus sur la prévention de la récidive en février dernier ont souligné comme facteurs de récidive « les conditions
indignes du travail en prison ». La ministre ne semble pas les
avoir entendus. Il appartient dès lors au Parlement de se saisir
A l’origine de la QPC
« En novembre 2011, Brahim S., 37 ans, détenu à la maison
d’arrêt de Metz, a travaillé pendant 5 h 30. Il a œuvré à la
confection d’enveloppes avec une fenêtre transparente pour le
compte de l’entreprise “Sodexo justice services”. Il a été payé,
en net, 0,23 euro au total. Cela l’a choqué mais pas surpris.
En mars 2010, pour 16 h 30 de travail, il avait perçu un salaire
net global de 2,86 euros. En mai 2010, pour 27 h 30, sa paye
s’était élevée à 20,75 euros. En février 2012, après avoir touché
38,43 euros pour 22 heures d’enveloppes collées, il en eu assez.
Il en a parlé à son avocat.1 » Brahim S. et Yacine T. (qui avaient
travaillé de septembre 2010 à février 2012, à 3,13 euros
de l’heure pour la même société), ont saisi le Conseil des
Prud’hommes (CPH) de Metz et soumis une question prioritaire de constitutionnalité visant l’absence de contrat de travail pour les détenus. Par jugement prononcé le 21 décembre
2012, le CPH de Metz a transmis la QPC à la Cour de Cassation
qui, jugeant de son « caractère sérieux » a elle-même décidé
de la transmettre au Conseil constitutionnel.
1 O. Millot, « Le travail en prison contraire à la Constitution ? », Libération,
12 avril 2012.
4 Communiqué du CGLPL du 14 juin 2013.
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