Hommage à Aymeric Woimant et à Agnès, sa mère

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Hommage à Aymeric Woimant et à Agnès, sa mère
Hommage à Aymeric Woimant et à Agnès, sa mère …
Par Christine PHILIP, maître de conférences honoraire, et membre associé du GRHAPES, INS HEA
Aymeric dans son atelier préparant son avenir professionnel
Aymeric vient de nous quitter à l’âge de 17 ans suite à une grave crise d’épilepsie qui a
engagé son pronostic vital. Nous souhaitons à la fois informer de cette triste nouvelle mais
aussi et surtout rendre un hommage à lui, à sa famille et surtout à sa mère, Agnès, pour qui
Aymeric a été le combat de sa vie. Puisque j’ai été sollicitée pour rendre cet hommage, je
souhaite rappeler les étapes de ce parcours exemplaire que j’ai eu la chance de suivre avec
des écrits (livre et articles) et une série de vidéos réalisées avec l’Upam (Unité de production
audiovisuelle et multimédia) et notamment avec Jean Eric Lhuissier et Thierry Poirier qui se
sont engagés avec moi dans cette belle aventure…
Tout a commencé par une rencontre lors d’une formation sur l’autisme que j’ai faite à
l’initiative d’une association. Au moment de la pause, j’ai fait la connaissance d’Agnès qui a
évoqué son fils Aymeric, 5 ans à l’époque. J’étais alors engagée dans un projet européen
Equal dont le thème était « Conciliation, familles, Handicap » et j’étais à la recherche de
familles qui pourraient témoigner de leur parcours avec leur enfant handicapé. J’ai tout de
suite compris qu’Agnès serait une bonne interlocutrice et je lui ai proposé de venir à sa
rencontre pour un entretien dans lequel elle présenterait son « histoire de vie ». Elle a
immédiatement accepté. C’est ainsi qu’est paru le premier ouvrage qui s’intitulait « Vivre
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avec l’autisme », paru aux Editions du CNEFEI à l’époque, en mai 2004. Et comme nous
avions filmé l’entretien, une première vidéo fut produite simultanément avec le même titre.
Je me souviens de notre émotion au moment de ce premier tournage lorsqu’à un moment
donné Agnès a été au bord des larmes en nous racontant les circonstances de la découverte
du diagnotic d’Aymeric. Nous nous sommes alors interrompus en nous demandant si nous
allions poursuivre. Et nous avons alors été très surpris de constater l’énergie soudaine avec
laquelle elle s’est resaisie pour poursuivre son récit en nous expliquant comment après ce
terrible épisode elle avait réussi à refaire surface et à s’impliquer dans l’éducation et la
scolarisation de son fils. C’est alors que nous avons pensé qu’il serait dommage d’en rester
là… Et comme elle avait déjà réussi à faire admettre son fils à l’école maternelle de son
village à l’Aigle, nous avons décidé d’aller le filmer en classe, ce qui a donné naissance à la
deuxième vidéo : « Scolarisation accompagnée en maternelle d’un élève avec autisme »
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Nous aurions pu ne pas poursuivre, mais le contact était établi. Nous avons maintenu cette
relation et nous avons eu l’idée de la solliciter pour venir témoigner dans nos formations sur
l’autisme qui se mettaient en place au CNEFEI. Et ce qui n’était au début qu’un simple
témoignage, au fil des années est devenu beaucoup plus. Elle était tellement impliquée dans
les apprentissages de son fils qu’elle intervenait avec tout son matériel pédagogique qui
intéressait beaucoup les enseignants en formation à Suresnes. Ainsi Agnès est-elle devenue
au fil des années une partenaire, invitée régulièrement dans nos formations sur l’autisme. A
tel point qu’en 2008 lorsque le Ministère de l’Education nationale nous a demandé de
rédiger un guide pour la scolarisation de ces élèves, elle fut sollicitée, à côté des formateurs
de ce qui était devenu entre-temps l’INS HEA, pour rédiger un chapitre de ce guide, toujours
en ligne sur un certain nombre de sites.
L’histoire s’est poursuivie en 2010 avec un nouveau reportage dans une école privée où
Aymeric continuait à apprendre au milieu des autres élèves tout-venants, une chance que le
combat de sa mère lui a permis de vivre jusqu’au bout de sa courte vie. Aymeric, il faut le
rappeler, n’était pas un « autiste de haut niveau », il a toujours eu un autisme sévère et son
langage a toujours été très difficile… Si ses parents ne s’étaient pas mobilisés, c’est dans un
institut spécialisé qu’il aurait été orienté. Mais cela ses parents n’en voulaient pas et ce
faisant, ils n’ont pas choisi la facilité. Grâce à nos vidéos, Aymeric est devenu et reste encore
un exemple pour beaucoup de familles d’enfants autistes pour montrer que même avec un
autisme sévère on peut rester inclus en milieu ordinaire et échapper à la ségrégation. Dans
un de ses projets ils avaient écrit : « Comme ils ne savaient pas que c’était impossible, alors
ils l’ont fait !». Et dans cette période Agnès a ouvert un site intitulé : « Autisme et
apprentissages »1 dans lequel elle propose un certain nombre d’outils et de matériels
pédagogiques, mais aussi des formations pour les professionnels.
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Adresse du Site « Autisme et apprentissages » : http://www.autisme-apprentissages.org/
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Quant à notre dernier document vidéo, il a été réalisé en 2012. Il montre sa scolarisation au
collège, toujours parmi les élèves tout-venants. Et si auparavant il apparaissait avec sa mère,
puis avec son AVS, cette fois c’est avec des élèves ordinaires qu’il est en relation, ce qui,
lorsque l’on connaît son profil, représente un véritable exploit dans la société qui est la
nôtre… Cette photo, choisie en couverture de ce document est un bel exemple de sa réussite
scolaire et sociale. Le voir ainsi serrer la main de ses camarades de collège représente un fort
symbole de son inclusion en milieu ordinaire …
Mais soucieuse de son avenir, dès le collège, sa mère pensait déjà à son avenir professionnel
et social. S’il allait au collège le matin, il passait ses après-midi à domicile pour commencer à
développer des compétences professionnelles dans un atelier que ses parents avaient mis à
disposition, mais aussi dans le jardin de sa maison à l’Aigle… Ainsi ce jeune, de qui les
médecins avaient dit au moment de son diagnostic qu’il ne pourrait jamais aller à l’école, a
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pu suivre une scolarité dans les classes ordinaires avec une accompagnante, pas même en
classe adaptée. Un contact avait été pris avec un lycée professionnel pour lui permettre de
poursuivre sa formation dans le domaine agricole.
Notre grand regret est de ne pouvoir réaliser les documents suivants, comme cela avait été
envisagé : à la fois dans le lycée professionnel où il commençait à être accueilli, puis lors de
son insertion professionnelle, puisqu’un projet professionnel était prévu. Ce projet
professionnel consistait à mettre en place un jardin éducatif susceptible d’être entretenu par
des personnes autistes, dont Aymeric. A partir d’un partenariat avec les écoles (publiques ou
privées), ce jardin visait à permettre aux élèves des écoles de découvrir des espèces
végétales de toutes origines, d’observer et de nourrir des animaux. Cela rendait possible à la
fois de leur communiquer des savoirs pratiques dans le domaine agricole, mais aussi d’être
sensibilisés au handicap par leur rencontre avec Aymeric et d’autres adultes à cette
occasion… Ce projet était aussi destiné à organiser des actions de sensibilisation, de
formation dans les domaines de la nature, du développement durable et du handicap et de
susciter la création et le développement de projets ayant un objectif similaire.
Un très beau projet assurément, qui pour Aymeric aurait été l’aboutissement social et
professionnel de son beau parcours, interrompu précipitamment par cette crise qui a
provoqué sa disparition. La vie en a décidé ainsi, il faut l’accepter. Aymeric représente
aujourd’hui un exemple pour tous : pour les familles ayant un enfant gravement touché par
le handicap, quel qu’il soit, mais aussi pour les professionnels, dont les enseignants qui
doivent aujourd’hui accueillir ces élèves dans leurs classes. Il a montré que c’était possible et
qu’il ne fallait jamais conclure, surtout pas a priori comme on le fait encore, avec des
pronostics, en affirmant, sans même avoir essayé, que rien n’est possible pour ces enfants
dans notre monde ordinaire. Nous avons besoin actuellement de tels exemples pour
encourager la société à devenir plus « inclusive » et à trouver les aménagements nécessaires
pour répondre aux besoins particuliers de ces personnes et rendre accessibles leurs
apprentissages scolaires et professionnels.
Malgré la disparition d’Aymeric, ce projet devrait quand même voir le jour, ce qui permettra
de garder un souvenir vivant de son existence exemplaire …
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