RACINES235 - oct 2012
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RACINES235 - oct 2012 20/09/12 18:22 Page44 La Loire et les vignes en automne, du côté des coteaux de Savennières. Dossier coordonné par Yvelise Richard t… s e u O l’ s n a d a iv r r a e n ig Et la v “De terre en vigne, la voilà, la jolie vigne…” Comment arrivèrent les premières vignes chez nous ? Des terrains sablonneux d'Olonne-sur-Mer aux douces pentes des collines angevines, les appellations d'origine contrôlées ont fleuri dans l'Ouest. L'Anjou, une terre riche en cépages Avec ses 31 appellations d'origine contrôlées, le vignoble d'Anjou est l'un des plus riches de France. Karine Chevalier, directrice du Musée de la vigne et du vin d'Anjou à Saint-Lambert-du-Lattay, remonte l'histoire de ce trésor de la vallée de la Loire. S i la légende prétend encore que c'est l'évêque Saint Martin de Tours qui introduisit la vigne sur les bords de Loire, il semble que les faits, dans l'histoire, soient beaucoup plus anciens. Selon des sources archéologiques connues, la vigne serait apparue dès le premier siècle dans la vallée de ce fleuve. En revanche, la première référence écrite authentique remonte à 845, avec la Charte de Charles le Chauve, qui énonce la donation de vignes à Bessé, en faveur de l'abbaye de Saint-Maur. Ce qui n'est pas un hasard, quand on sait combien les gens d'église sont des “gens de vin”, vin dont ils faisaient une consommation importante à la fois pour la liturgie et pour l'accueil de leurs hôtes. Ce sont en effet les communautés monastiques qui vont développer la culture RACINES 44 de la vigne, à partir des Xe et XIe siècles, en particulier le long de la Loire et de la Sarthe. Les textes anciens renseignent peu sur les cépages cultivés au MoyenÂge. À cette époque, seule une distinction est faite entre les blancs, rouges, clairets et vermeils. Le vin blanc est issu de l’un des plus anciens cépages connus, le chenin blanc encore appelé pineau de Loire. Le XIIIe siècle connaît une phase d'expansion de la vigne dans tout l'Anjou, grâce à divers facteurs : conditions climatiques favorables, période octobre 2012 La reproduction ou l'utilisation sous quelque forme que ce soit de nos articles informations et photos est interdite sans l'accord du magazine (Photo : Stevens Frémont/ Interloire) RACINES. Vivre entre Sèvre et Loire RACINES235 - oct 2012 20/09/12 18:22 Page45 de défrichements intenses, proximité Meyer (1864), Veuve Amiot (1884) et contre ce fléau. Cette technique des villes d'Angers et Saumur… Depuis Langlois-Château (1885). Le dévelop- entraîne la création d’écoles de grefun siècle déjà, les vins sont exportés pement des transports (ferroviaire en fage dans le Maine-et-Loire et s'avère vers l'Angleterre des Plantagenêts. Ils particulier) favorise le développement payante : en 1912, la vigne couvre 38 500 ha dans le département. Les sont transportés sur la Loire jusqu'à de cette activité. techniques de vinification évoluent et Nantes, bien que les nombreux péages sur le fleuve, entre Saumur et Nantes, Les ravages du phylloxéra s'améliorent. En 1936 apparaissent les premières appellations d'origine, en augmentent le prix de vente. décernées par l'Institut national du La fin du Moyen-Âge voit le vignomême nom. ble angevin en pleine mutation, due Avec la mécanisation, des techà des crises successives : conflit avec On estime qu'en 1881, le vignoble la Bretagne et l'Angleterre, concur- couvre 45 000 ha dans le Maine-et- niques nouvelles voient le jour : le tracrence des vins nantais et tourangeaux, Loire. Deux ans plus tard, l'arrivée du teur dans les années 1950, puis la surproduction et aléas climatiques phylloxéra freine son expansion et machine à vendanger à partir de 1973 mais aussi guerre de Cent Ans ou suc- marque un tournant majeur. L’arra- entrent dans les vignes, épargnant du cession de pestes… chage massif de la vigne réduisant la temps et des efforts aux hommes tanAu XVe siècle, les ceps se concen- superficie cultivée à 10 000 ha après dis que la productivité prime. Avec le trent dans le sud-Anjou (autour d'An- 1893. De nouvelles techniques de cul- développement des produits chimiques gers et Saumur) et les vins des Coteaux ture apparaissent : plantation des ceps dans les années 1970, un nouveau du Layon s'exportent à leur tour. Des en ligne pour pouvoir utiliser la trac- tournant est pris : peu à peu, les vigneauteurs de la Renaissance comme Ron- tion animale. Surtout, les vignes sont rons délaissent les travaux du sol. sard, Du Bellay ou Rabelais vantent les replantées sur des porte-greffes d’ori- Depuis les années 2000, le mouvevins d'Anjou, avant qu'aux XVIIe et XVIIIe gine américaine (qui résistent au phyl- ment tend à s’inverser, de nombreux siècles, les bateaux hollandais ne remon- loxéra). En effet, malgré tous les essais professionnels revenant à des pratiques tent la Loire jusqu'aux Ponts-de-Cé : c'est engagés, seule la technique du gref- plus écologiques. Karine Chevalier là qu'est établi un comptoir, tout comme fage de la vigne s’avère concluante au Thoureil et à Chalonnes-surLoire. À cette époque, on distingue d'ailleurs le “vin pour la mer”, de grande qualité, destiné au marché de l'Europe du Nord, et qui est taxé au péage d'Ingrandes-sur-Loire (droits de douane) du “vin pour Paris”, de moindre qualité et de moindre coût. Un siècle passe encore, et la renommée de l'Anjou s'accroît sans cesse, tandis que le vignoble se concentre le long des coteaux de la Loire et des villes moyennes (telles que Saumur), voire des zones plus rurales (telles que le Layon) qui gagnent alors en notoriété. En 1834, Auguste Courtillier crée à Saumur une station viticole qu'il dote d'une collection de cépages, où sont recensées 875 variétés en 1878 et 1 452 en 1903. De son côté, Ackerman lance à partir de 1838 les “vins champagnisés de Saumur” qui connaissent un succès rapide. Il est imité par six maisons du Saumurois qui produisent des vins effervescents dont Bouvet-Ladubay (fondée en 1851), Moreau Sur cette carte sont localisées les principales AOC des vins de Loire. On y voit aussi les vins des Fiefs vendéens et ceux du Haut Poitou (deux communes concernées en Deux-Sèvres). de Neuville (1856), Gratien et RACINES 45 octobre 2012 La reproduction ou l'utilisation sous quelque forme que ce soit de nos articles informations et photos est interdite sans l'accord du magazine (Photo : Interloire) (Photo : Stevens Frémont/ Interloire) RACINES. Vivre entre Sèvre et Loire RACINES235 - oct 2012 20/09/12 18:22 Page46 RACINES. Vivre entre Sèvre et Loire Anjou : 31 AOC Ce qu i m ar qu e le vign o ble angevin aujourd’hui, c’est sa grande diversité : diversité des cépages utilisés, des terroirs, et des techniques de vinification. La production angevine s’organise aujourd’hui autour de 31 appellations d’origine(1), sur à peine 20 000 hectares. Attention, cependant, certains vins d'appellation contrôlée comme le Saumur rouge, le cabernet de Saumur ou le Saumur mousseux blanc sont également produits dans les Deux-Sèvres (à SaintMartin-de-Mâcon, Tourtenay…) et dans la Vienne (Les Trois-Moutiers, Saix…). En volume, les rosés d’Anjou représentent la plus grosse production. Le cépage phare reste le chenin, à partir duquel sont élaborés des vins blancs secs et moelleux réputés. Ce qui s'explique historiquement car jusqu’au XVIIIe siècle au moins, l’Anjou produit peu de vins rouges (insuffisamment pour sa propre consommation). Au XIXe siècle, le plus répandu des cépages pour les blancs est le chenin blanc, et pour les rouges le chenin noir, dit pineau ou plant d’Aunis. D’autres cépages sont plantés dont le cabernet franc ou plant breton, le cabernet sauvignon, le malbec ou cot à queue verte ou rouge, et le gamay. Certaines appellations d'origine prestigieuse contribuent à renforcer la réputation des vins d’Anjou (Quart de Chaume, Coteaux du Layon et Coteaux de l’Aubance pour les liquoreux, Savennières pour les blancs secs, Saumur et Anjou-village pour les rouges, Crémants pour les fines bulles…). À paraître ce mois-ci : la Lettre du Musée, consacrée à l’origine du vignoble angevin jusqu’à la crise du phylloxéra. Contact : 02 41 78 42 75. (1) Anjou Coteaux de la Loire ; Anjou blanc ; Anjou gamay ; Anjou gamay nouveau ; Anjou mousseux blanc ; Anjou mousseux rosé ; Anjou rouge ; Anjou Villages ; Anjou Villages Brissac ; Coteaux du Layon; Coteaux du Layon décliné selon la commune de production ; Coteaux du Layon 1er cru chaume ; Coteaux du Layon Sélection de grains nobles ; Quarts de Chaume ; Bonnezeaux; Coteaux de l'Aubance ; Coteaux de l'Aubance Sélection de grains nobles ; Savennières ; Saumur Champigny ; Cabernet d'Anjou , Cabernet d'Anjou nouveau ; Crémant de Loire blanc ; Crémant de Loire Rosé ; Rosé d'Anjou; Rosé de Loire ; Cabernet de Saumur ; Cabernet de Saumur nouveau ; Coteaux de Saumur ; Saumur blanc ; Saumur rouge ; Saumur Mousseux. Le sel et le vin liés depuis des siècles Camille Richard, agriculteur retraité et érudit local à L'Île-d'Olonne s'est penché sur l'introduction de la vigne dans les marais d'Olonne, où l'on récolte le vin de Brem, l'un des Fiefs vendéens AOC. “Il y a 2 000 ans, les marais d'Olonne constituaient le golfe d'Olonne. En amont, la rivière Vertonne aboutit au lieu-dit Vertou, partagé entre Olonne-sur-Mer et L'Île-d'Olonne. Les Romains, en arrivant chez nous, ont introduit deux pratiques : la vigne et le marais salant. Durant leurs cinq siècles de présence sur notre littoral, l'implantation des ceps se poursuivit à partir des bords du golfe. Sur le plan cadastral, c'est assez évident. Mais c'est au MoyenÂge seulement, après le départ des Normands, que s'est achevé l'assèchement complet du golfe. La vigne a alors pris son essor dans ce coin de Vendée. Depuis, l'exploitation des vignes se marie très bien avec celle du sel : l'alternance des travaux agricoles et salicoles, au fil des mois, permit aux sauniers d'être aussi vignerons. La difficulté consistait, parfois, à commencer les vendanges alors que la collecte de sel n'était pas terminée. Les monnaies d'échange ont d'ailleurs longtemps été le sel et le vin (avec un aspect plus important pour le sel).La présence ancienne de la vigne – implantée sur le bassin versant du golfe, là où les terrains sont caillouteux – est attestée par la toponymie : ici, les lieuxdits appelés "fiefs" sont nombreux. Comme le Fief Dome, le Fief Bouard, le Petit Fief… ou d'autres localisés aujourd'hui encore à L'Île-d'Olonne, Brem-sur-Mer ou Olonne-sur-Mer. Jusqu'en 1914, les sauniers vignerons cultivaient les bossis des marais (terres arables) avec du blé et des fèves. Après l'hécatombe de la Grande Guerre, on a réduit les marais salants et les vignes, faute de population pouvant les travailler. L'Île-d'Olonne comptait deux recettes des douanes, l'une dans le bourg et l'autre à la Salaire, où les bateaux, chargés de sel et remontant la Vertonne, RACINES 46 octobre 2012 “Après l'hécatombe de la Grande Guerre, on a réduit les marais salants et les vignes, faute de population pouvant les travailler.” accostaient. La douane s'occupait des acquits (droits payés) et des laissez-passer (nécessaires aux producteurs pour transporter le vin). Entre les deux guerres, durant les vendanges, on entendait le chant d'une quinzaine de pressoirs, tous les soirs dans L'Île-d'Olonne. C'est d'ailleurs à partir de 1932 que le vin du pays, récolté à Saint-Nicolas-de-Brem(1) et dans le pays des Olonnes acquit son début de notoriété. Pierre Gaudin, maire de Saint-Martin-de-Brem, président des Vendéens de Paris (de 1932 à 1954) et avocat au Conseil d'État mit toute son ardeur à vanter auprès des Parisiens les beautés balnéaires de son bourg et les mérites de son vin. Jusqu'à il y a quelques décennies, avant que l'urbanisation massive ne touche ces communes littorales, une multitude de ceps courraient sur les terrains situés au-dessous de la départementale 32 (Les Sables-Challans), entre le bourg d'Olonne et celui de L'Îled'Olonne, là où l'on trouve un cordon calcaire. Aujourd'hui, l'appellation Fief Vendéens Brem s'applique à des vins élaborés à Brem-sur-Mer mais aussi à Brétignolles-sur-Mer, L'Île-d'Olonne, Olonne-sur-Mer et Vairé(2).” Propos recueillis par Yvelise Richard (1) Saint-Nicolas-de-Brem et Saint-Martin-deBrem ont fusionné le 1er janvier 1974 pour devenir Brem-sur-Mer. (2) Selon le décret de l'INAO du 9 septembre 2011. La reproduction ou l'utilisation sous quelque forme que ce soit de nos articles informations et photos est interdite sans l'accord du magazine RACINES235 - oct 2012 20/09/12 18:22 Page47 RACINES. Vivre entre Sèvre et Loire Après l’eau-de-vie, les vins nantais Depuis quand cultive-t-on la vigne en Pays nantais ? Les origines du vignoble nantais sont mal connues. Dans sa thèse de doctorat(2), Raphaël Schirmer rappelle […] que des vignes auraient pu être cultivées le long de la vallée de la Loire dès le début de l’époque galloromaine. Dans la Basse-Loire, les fouilles du site gallo-romain de Rezé ont révélé l’existence d’atelier de tonnellerie. Les analyses paléo-botaniques ont permis de mettre en évidence des pollens de vigne(3). Ce sont là des preuves bien ténues : le pollen peut provenir de vignes sauvages et les tonneaux ne servaient pas qu’à loger du vin ! En l’absence d'autres preuves, rien ne prouve que le port antique de Rezé ait été un port d’exportation de vin. Jusqu’à une date récente, l’absence de découverte de pressoir et le faible nombre de villae en Basse-Loire n’incitaient pas à penser que la viticulture de la Basse-Loire ait été très active aux premiers siècles de notre ère. Et cela même si un faisceau d’indices permet de considérer comme vraisemblable le développement du vignoble ligérien au cours du premier siècle. À partir du IXe siècle, la culture de la vigne va prendre son essor en pays nantais à la faveur de la progression, vers l’ouest, de la civilisation romane. Qu'est-ce qui caractérise le vignoble nantais ? Ce vignoble est établi sur la partie sud du Massif armoricain formé à l’ère primaire ; les roches d’origine (roches plutoniques), granits et gabbro, se sont partiellement dégradées et les roches métamorphiques qui en résultent sont nombreuses et variées (schistes, gneiss, amphibolite, serpentine, leptynite) et cohabitent avec les roches primaires. Cette richesse du sous-sol a engendré des sols encore plus variés, aux comportements thermiques et hydriques spécifiques, sur lesquels la vigne a adapté sa physiologie. Les vins béné- (Photo : Christine Grandin / Racines) Guy Saindrenan, auteur de La vigne et le vin en Bretagne (1) raconte la vigne en Loire-Atlantique. Du côté de Clisson, près de Bournigal, les raisins dorés seront bientôt vendangés. ficiant d'une appellation d’origine contrôlée (AOC) sont issus des cépages melon de Bourgogne (muscadet), folle blanche (gros-plant), gamays, cabernets, chenin, pinot gris (coteaux d'Ancenis). D'autres cépages produisant des vins de table (grolleau, pinot noir, abouriou...) sont cultivés particulièrement dans le pays de Retz et le sud du lac de Granlieu. Pourquoi le melon est-il le seul cépage du muscadet ? La réponse est contenue dans la longue histoire du vignoble nantais. Jusqu'à la destruction phylloxérique, le gros plant était le cépage majoritaire, en raison du long passé de vignoble producteur d'eau-de-vie du vignoble nantais. À la reconstitution, les vignerons ont favorisé la plantation du melon, cépage reconnu pour donner des vins de meilleure qualité (la production d'eau-de-vie n'avait plus d'avenir économique depuis la Révolution). En l'absence d'autres cépages, le melon est devenu générateur du vin nantais le plus noble. D'où vient le gros-plant ? Le gros-plant est un vin blanc sec issu exclusivement du cépage du même nom. Il bénéficiait d’une appellation VDQS (vin délimité de qualité supérieure) depuis 1954, mais la disparition programmée de cette reconnaissance […], lui a donné accès à la catégorie des AOC. RACINES 47 octobre 2012 Le gros-plant est sans doute venu de Gascogne via l’Aunis, et s'est implanté en pays nantais à la fin du Moyen Âge, (même s’il n’est formellement attesté par son nom dans les archives qu’au XVIIIe siècle). Il porte des noms tout aussi peu flatteurs dans les autres vignobles où il est cultivé (Folle blanche, Piquepoul, Enrageat). Dans une supplique de Jean Legrand de la Coutais datée de 1732, concernant la plantation d’une vigne à Saint-Herblain […], on trouve ce qui nous paraît être la première mention explicite de ce cépage en terroir nantais : “deux petits cantons de vigne qui étaient non seulement remplis de rochers et de halliers mais "meslés" de différents mauvais plants tant rouges que blancs, mauvais pineaux que gros-plants…” Vers 1865, la surface plantée était encore double de celle du muscadet, soit environ 20 000 hectares. En 1936, l'opportunité de demander l'AOC pour le meilleur des vins nantais a signé son essor et, par voie de conséquence, entraîné le déclin du gros-plant. Le passage du gros-plant en AOC en 2011 s'est fait au prix de gros efforts sur la qualité des vins et une redélimitation parcellaire stricte. (1) Aux éditions Coop Breizh, 2011. (2) Raphaël Schirmer, Le renouveau du vignoble nantais, Thèse de doctorat de l’université Paris IV Sorbonne, 2001. (3) L. Visset, L’environnement du site galloromain de Rezé, (Loire-Atlantique), un exemple régional de l’apport de la palynologie, Les mystères de l’archéologie. La reproduction ou l'utilisation sous quelque forme que ce soit de nos articles informations et photos est interdite sans l'accord du magazine