Se faire des amis, du virtuel au réel
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Se faire des amis, du virtuel au réel
dimanche Ouest-France 15 novembre 2009 Modes de vie familles 3 Se faire des amis, du virtuel au réel Les réseaux sociaux sur Internet permettent de retrouver des amis mais aussi de s’en faire de nouveaux. L’amitié virtuelle supporte-t-elle l’épreuve du réel ? centres d’intérêt communs. Après, l’important est pour tous de vivre des relations dans la vie réelle. Nous, on ne fait que proposer un cadre rassurant, balisé autour d’un bon repas. Internet a permis d’enlever les tabous liés à la rencontre. Mais il faut se frotter au réel pour faire vivre une relation. Croire que derrière un écran on puisse communiquer est une illusion. Il faut privilégier la simplicité du contact car la convivialité, l’amitié voire plus passent par l’épreuve du réel. » Étienne, 38 ans, Rennes, membre de onvasortir.com « Je suis inscrit sur ce site depuis quatorze mois. Je suis revenu sur Rennes après plusieurs années passées à Paris. Je vis seul depuis une séparation et suis libre un week-end sur deux quand je n’ai pas les enfants. Le cercle d’amis se défait souvent après une rupture. L’idée d’aller sur onvasortir, c’était au début par curiosité. Je trouvais le concept intéressant et désintéressé : pouvoir entrer en contact avec des gens passionnés par les mêmes activités. Exemple, j’aime le roller. Eh bien, c’est plus sympa de se retrouver à plusieurs pour des sorties plutôt que de chausser seul les patins ! J’ai aussi fait du golf avec des membres du site, des restos. Mais j’ai une vie en dehors du site. Cela me sert juste de soutien pour organiser des choses. Quant aux amis que l’on s’y fait, je dirais que l’on peut vivre de belles camaraderies. Sur mon portable, j’ai plein de numéros mais ils ne sont pas pour autant des amis. J’ai noué une très belle relation amicale grâce au site mais mon but n’est pas de chercher à tout prix des amis. Moi, l’amitié, je la donne, je ne la crée pas. Et puis, il ne faut pas se voiler la face : les gens qui se retrouvent sur le site partagent souvent les mêmes blessures de vie. Ils se retrouvent un peu seuls à un moment donné et onvasortir est alors un placebo de la société. » Sandrine Cellard Témoignages Les soirées organisées par le site pastasparty.com permettent de nouvelles rencontres amicales et « plus, si affinités ». Elles ont lieu à Paris mais aussi en province notamment à Nantes. Héloïse, 29 ans, Paris, fondatrice de pastasparty.com « J’ai lancé ce site en 2007. C’est parti d’une expérience personnelle. Le dimanche soir, quand on vit seul, c’est triste. Souvent, je proposais à des amis de venir manger un plat de pâtes à la maison. Au fil des années, chacun ramenait des amis. Au final, mon appart’ est devenu trop petit ! Et puis j’ai rencontré mon mari et il n’était plus question de faire des soirées pâtes entre célibataires à la maison. C’est là que je me suis dit qu’il serait utile de créer un site pour aider les gens dans ce genre de situation à se retrouver. Évidemment, le site et les soirées pastas sont fréquentés par des célibataires. Il ne faut pas me raconter d’histoires. Quand on est en couple, en famille avec des enfants, son réseau d’amis, on l’a, on n’a pas besoin de chercher de nouvelles relations. Mais on n’est pas là pour marier les gens. Nos dîners ne sont pas des espaces de drague. C’est juste un moyen de se retrouver autour de « Un laboratoire de la quête identitaire » DR Entretien Michael Stora Psychanalyste et psychologue,co-fondateur de l’Observatoire des mondes numériques en sciences humaines (Omnsh). C’est désormais plus tendance de se faire des amis sur Internet que de chercher l’âme sœur ? Le succès des sites de rencontre amoureuse est indéniable. Mais je dirais que les réseaux sociaux ont toujours eu du succès. Bien avant le déferlement des sites de rencontres, le développement des forums de discussion annonçait ce besoin de se retrouver entre amis, entre personnes partageant une même passion. Réseaux sociaux ou sites de rencontres révèlent tous ce désir fou de se rencontrer, d’ouvrir de nouveaux horizons et de contrer la solitude. La société ne permet plus la spontanéité des rencontres ? Il ne faut pas se tromper de débat. Ce n’est pas Internet qui crée de nouvelles formes relationnelles. C’est au contraire un lieu où les problèmes de la société sont mis au jour. La toile est le miroir grossissant de nos angoisses. Observez comme il est difficile aujourd’hui d’aborder quelqu’un dans la rue pour sympathiser. Sur Internet, l’écran permet de se rassurer. Ces sites permettent aussi de combler la « narcissisation » de la société. Il y a de moins en moins d’occasions, dans le réel, de trouver des sources de valorisation, les gens se sentent frustrés. Sur ces réseaux, il y a la possibilité de se mettre en scène, de se socialiser. C’est un vrai laboratoire de la quête identitaire, une sorte d’audimat intime. Et quand la relation passe du virtuel au réel, ça passe ou ça casse ? Une récente étude américaine a révélé une donnée intéressante : il semblerait que les amis virtuels sont souvent des gens qui se voient régulièrement dans le réel. Après, évidemment, il faut gérer son identité numérique. Je dirais que dans cette démarche de rencontre, l’illusion est nécessaire et la désillusion constitutive. Ce qui peut être dangereux, c’est ce bovarisme virtuel qui idéalise tout. Là, les déceptions peuvent être grandes. Il Hélène, 42 ans, Lorient « J’ai vécu une expérience assez étrange avec le réseau Facebook. Par le biais de ce site, j’ai retrouvé une vieille amie d’enfance. Nous étions inséparables depuis le primaire. Au moment des études supérieures, nous nous sommes perdues de vue. Nous avons renoué une relation amicale virtuelle en fait. Par Internet, on se racontait nos vies. Ça a bien duré trois, quatre mois. Puis, on a décidé de se revoir dans la vraie vie. Et là, ce fut la déception. C’est dingue comme on peut finalement jouer derrière un écran. C’est inconscient sans doute mais on choisit ses mots, on ne livre que ce qui nous arrange finalement. En face-à-face, tout est différent. On a eu tout d’un coup peu de choses à se dire car la magie de la spontanéité ne fonctionnait plus. Pour mon cas, Internet a surtout permis de sonner le glas d’une amitié. » Dossier : Valérie PARLAN. Repères faut accepter l’idée que de vrais amis, on ne s’en fait pas tous les jours. Tout comme ils ne doivent pas être en permanence connectés à soi pour être vrais. Accepter que dans le réel, les relations ne sont jamais simples. Rêver avec Internet, oui, mais il ne faut pas être naïf. Pas être naïf aussi sur le « plus si affinités » ? Certains réseaux communautaires excluent effectivement de leur concept l’idée des rencontres amoureuses. Soyons réalistes, pour beaucoup, passer par un réseau amical, est une ruse pour draguer. Le fameux « et plus si affinités » est récurrent. C’est un filtre supplémentaire. Cela révèle que l’on voit souvent l’état amoureux comme un état de souffrance. Alors on cherche des amis en espérant secrètement qu’ils deviennent plus que ça. On ne se met pas la pression du plaire à tout prix mais on ne se ferme pas de portes. Les écrans, ça rend accro… de Michael Stora, éditions Hachette, 116 pages, 12 €. La toile vous propose plein d’amis. Le marché des réseaux sociaux se développe à toute vitesse sur la toile. Aux côtés des sites identifiés comme des sites de rencontres existe une foule de sites revendiquant un partage de centres d’intérêt. La rencontre communautaire est privilégiée autour d’affinités sociales, religieuses, culturelles. Sur le site attractiveworld.net, avant de partager sorties et soirées avec les membres de ce site, vous devrez être accepté sur questionnaire par les adhérents. Autre adresse communautaire, pointscommuns.com ou encore iktoos.com pour ceux qui souhaitent se retrouver entre chrétiens. Pour beaucoup, il s’agit de rencontres amicales mais le « et plus si affinités » est souvent sous-jacent. La cyberdépendance peut guetter. Selon le site cyberdépendance.fr, l’addiction à Internet devient de plus en plus préoccupante. Les psychiatres évoquent une étude qui révèle que 28 % des internautes admettent consacrer moins de temps à leur vie sociale réelle du fait de l’augmentation du temps passé en ligne. Les amis en ligne, nouveaux concurrents des amis réels ?