La confiance dans l`Approche Contextuelle : Donner de l`attention à l
Transcription
La confiance dans l`Approche Contextuelle : Donner de l`attention à l
La confiance dans l'Approche Contextuelle : Donner de l'attention à l'autre aide à prendre soin de soi Christian PETEL L'Approche Contextuelle (A.C.) d'Ivan Boszormenyi-Nagy (IBN) est une méthode thérapeutique et d'intervention psychosociale qui traite les situations familiales, individuelles et institutionnelles par la restauration de la confiance dans les relations. Pour cela, elle crée les conditions d'un dialogue respectueux, qui valide l'implication de chaque personne par ce qu'elle donne et ce qu'elle reçoit. direction d’institution ou de management d’équipes. La restauration de la confiance dans les relations définit le cadre programmatique d’intervention de l’A.C. En centrant sa contribution personnelle à la pratique de la thérapie familiale sur l’éthique relationnelle, son fondateur IBN, aujourd’hui décédé, fait preuve, dans la fin des années 70, d’une intuition fulgurante pour l’époque. Certes, il est alors confronté au traitement de familles atteintes de pathologies lourdes et multiples. Certes, il constate la difficulté qui existe pour un groupe familial à cohabiter sans que viennent se confronter les priorités d’attention et d’égard entre les personnes concernées. En prenant en considération, non seulement les besoins et attentes en termes d’équité, mais aussi les besoins de reconnaissance de la contribution de chacun, elle place le dialogue sur le terrain non de l’individualisation et de l’opposition des préjudices, mais sur celui des collaborations possibles, de la préoccupation du futur, de la responsabilité, bref d’une écologie de l’action et de la pensée. Mais l’époque de la découverte de l’A.C. et de son développement est plutôt celle d’une approche centrée sur la personne, de l’épanouissement individuel, de la valorisation de l’individu et de la réalisation de soi. Dans les familles et les groupes, les questions sont surtout abordées en termes de systèmes, de recherche de dispositifs, de mise en place de stratégies plus ou moins complexes. Les modèles sociétaux de la réussite individuelle, de la réalisation et de l’amour de soi d’une part, de la recherche du Si son cadre de référence est le travail avec une famille, sa pratique montre son utilité et sa pertinence en thérapie individuelle et conjugale. Elle est aussi particulièrement adaptée dans les interventions psycho-sociales, l’aide à l’analyse des pratiques, la gestion de crise, le conseil institutionnel ou la recherche de formes humaines et équitables de 1 bonheur et de l’harmonie d’autre part influencent largement les pratiques thérapeutiques et psycho-sociales. IBN se réfère ainsi au philosophe Martin Buber ou à des praticiens comme Donald W. Winnicott ou Erik H. Erikson. Plus généralement, sa réflexion et sa pratique amènent à le mettre en lien avec les philosophes dialogiques comme Emmanuel Levinas ou Paul Ricœur pour l’altérité et le don, avec des anthropologues comme Marcel Mauss pour les notions de donner, recevoir, rendre, ou encore avec Axel Honneth concernant les processus de reconnaissance. Mais au moment de l’élaboration de l’A.C., ses références l’isolent plutôt du milieu ambiant. Utilisation d’un vocabulaire plutôt extérieur à celui de la psychologie classique, celui de la confiance, du respect, de la fiabilité, aussi celui de l’équilibre de la justice, de la balance du donner et recevoir. IBN va se préoccuper, dans sa réflexion comme dans sa pratique clinique, de resituer l’individu dans sa relation à l’autre, d’un soi existant par la reconnaissance de l’autre, mais aussi soutenu par son engagement dans la relation. La pratique contextuelle veut agir sur et avec un individu inscrit dans la relation de donner et recevoir. Elle veut simultanément faire du processus relationnel d’engagement et de reconnaissance le support de l’action thérapeutique. Aujourd’hui, le thème de la confiance nous surprend beaucoup moins, là aussi en référence au contexte social et psychosocial. Dans notre monde en crise, les facteurs de défiance, d’isolement, de perte des repères, de manque de fiabilité, d’opposition des uns aux autres, de discrimination et de stigmatisation imprègnent le contexte politique, social ou éducatif. Les réflexions autour de la valeur, celle de l’individu, celle de la personne, celle de la famille, celle du travail traversent les débats, venant de ou allant vers des horizons souvent peu conciliables en apparence. Les situations professionnelles et sociales qui amènent à se sentir déconsidérées, dévalorisées, méprisées, invisibles, créent de nouvelles formes de révolte et d’indignation. Cela, souvent pour la plus grande confusion des pensées orthodoxes, amène des réactions qui peuvent aller de l’indifférence ou du détachement social à la recherche de nouvelles formes de mise en lien et de partage. Les réseaux sociaux, qui Son objectif est que se crée un dialogue entre les différentes personnes concernées. Son questionnement sollicite la manière dont chacun se préoccupe des autres et dont il existe dans la reconnaissance que l’autre en fait. Elle insiste à révéler et valoriser tout ce qui touche à la considération que l’on reçoit comme à celle que l’on donne. En proposant d’organiser le dialogue sur tout ce qui touche à la sphère du donner et recevoir, elle reconnait à chacun une valeur contributive (qui, nous le verrons, peut tout autant être positive que négative) à l’histoire du groupe concerné. 2 d’apparence valorisent surtout l’ego et l’exposition, montrent là une capacité de mobilisation et de collaboration qui dépasse, et de loin, son objet initial. « dans la langue du plus petit peuple européen, la famille se dit : fjölskylda ; l’étymologie est évidente : skylda veut dire : obligation ; fjöl veut dire : multiple. La famille est donc une obligation multiple. » Dans un article du Monde paru ce jour et que je lis en finalisant cet article, Nancy Huston publie son dernier billet qu’elle intitule joliment « Le chemin du merci » (Le Monde daté dimanche 29-lundi 30 mai 2011). Et nous pouvons y lire : « On ne peut pas s’efforcer d’être heureux, mais on peut s’efforcer d’être reconnaissant. Or, voici ce que je constate : plus on a de chance, plus on est ingrat. Plus on est riche, moins on est généreux. Plus la vie vous couvre de cadeaux, plus on lui crache dessus. Plus on est puissant (et l’on ne peut devenir puissant que grâce aux autres), plus on se targue de n’avoir besoin de personne. Le lieu où peut s’observer de la manière la plus irréfutable la dépendance humaine est assurément la famille. Le bébé humain nait très prématurément et doit être aidé, protégé et éduqué pendant de longues années avant de se débrouiller seul un tant soit peu. Pour apprendre à réfléchir, il a besoin de langage, et pour acquérir le langage, il doit (beaucoup) entendre parler les autres. Quand à chercher sa propre nourriture, il n’en sera capable qu’au bout de … sept ou huit ans dans les pays pauvres, quinze ou seize ailleurs … et, dans l’Occident opulent, deux bonnes décennies. Paradoxalement, c’est dans ce même Occident opulent … que règne le mythe de l’autosuffisance. » Peut-être pouvons-nous l’entendre, dans la cohérence de notre propos, non pas comme l’obligation serait synonyme de contrainte, mais de ce qui rend incontournable. Et nous verrons plus tard en quoi cela se relie à la responsabilité si chère à Emmanuel Levinas. Ainsi le propos de Nancy Huston nous aide-t-il à faire le pont entre champ social et familles. Les vies des familles confrontées à des difficultés et des souffrances multiples que nous rencontrons, tout comme celles de ces familles qui paraissent richement dotées matériellement, culturellement, affectivement paraissent aujourd’hui particulièrement sensibles au mépris, au déni de reconnaissance, à la désaffection, à la méfiance ou à l’isolement de ses membres. L’évolution des familles, les pertes de soutiens, la dissolution des liens, les conflits de responsabilité ou d’appropriation, la solitude, qui reflètent autant qu’ils résultent de l’évolution des structures familiales, créent des conditions contradictoires d’analyse et d’aide à ces situations. Cela se traduit d’ailleurs dans les pratiques thérapeutiques d’aujourd’hui où nombre de thérapeutes familiaux ou de psychanalystes s’intéressent à la question du don, de la considération, de la Et plus loin, elle nous rappelle ce qu’écrit Milan Kundera dans Testaments trahis : 3 reconnaissance, ou de concepts issus des travaux d’IBN comme les loyautés ou la parentification. La confiance est à la fois le support et l’objectif de la démarche contextuelle. IBN insiste pour accoler à l’expression de confiance le vocable « mérité ». Il introduit ici l’importance de la dimension relationnelle de la confiance : c’est la recherche conjointe, multilatérale et simultanée des éléments de confiance qui ouvre à sa possible restauration. Pour le thérapeute contextuel, la restauration de la confiance est un impératif, souvent préalable à toute démarche de reconstruction des liens et des personnes. Cela nous amènera d’ailleurs à voir plus tard ce qu’il en est de la banalisation du concept, de ses confusions et méprises, voire du dévoiement ou de l’abus de son utilisation. Nous verrons que le travail contextuel nécessite beaucoup d’attention, de réflexion et de précision dans sa méthode, alors qu’elle s’appuie sur les concepts les plus élémentaires et l’approche la plus simple de la relation. Nous avons souvent, dans d’autres travaux, insistés sur la précision de la formulation « Restaurer la confiance dans les relations ». Il n’est pas, je crois, superflu d’y revenir. IBN a toujours affirmé que l’A.C. est une pratique thérapeutique, d’aide aux personnes, d’amélioration des relations, de soutien à la construction psychique, de soulagement de la souffrance, pour traiter des situations de difficulté, aider à en sortir. Elle n’est pas une explication du monde ni des divers systèmes de relation. Elle est dévolue à intervenir dans les situations de crise lorsqu’entre personnes concernées sont en jeu les processus de dissolution des liens qui menacent la relation même. C’est dans son implication même qu’elle trouve une légitimité à engager chacun dans la balance de justice familiale, sans qu’il soit question ni de jugement, ni d’humiliation, ni de pardon. Ses applications à d’autres champs que ceux du travail thérapeutique est d’ailleurs soumis à la même problématique : que l’intervenant ait sa légitimité reconnue par ceux-là mêmes qui le sollicitent, non pour qu’il dise le bon ou le mauvais, ni même comment faire, mais pour qu’il crée les Restaurer la confiance suppose d’abord qu’elle est affectée, qu’entre les membres d’une communauté, quelque chose est abîmé, lésé, fracturé, trahi, défait. C’est un point fondateur de la démarche contextuelle. Son objet n’est de proposer ni une méthode, ni des dispositifs qui garantissent la confiance entre les personnes d’un groupe ou d’une famille. Son objectif, sa proposition est de s’appuyer, et nous y reviendrons, sur le potentiel de confiance existant (c’est-àdire autant défait que construit), sur les mécanismes qui les mettent à l’épreuve dans la relation, sur les investissements de chacun et la reconnaissance dont ils bénéficient, pour amorcer ce qu’aujourd’hui on nommerait un cercle vertueux de restauration de la confiance. 4 conditions d’une confiance où chacun puisse de nouveau s’engager sans risque pour son intégrité, dans un processus de considération équitable et multilatéral. difficiles, conflictuelles, voire impossibles doit être envisagée. Celle que la lourdeur du handicap ou la profondeur des troubles psychiques ou relationnels entraînent une atteinte profonde de la confiance en soi doit demeurer. Cela n’invalide en rien un projet thérapeutique où l’amélioration passe par l’engagement relationnel, la fiabilité des liens, les processus de reconnaissance réciproques. L’A.C. ne définit d’aucune manière un guide des bonnes relations humaines, le savoir-faire pour être toujours bon, généreux, disponible envers les autres, avoir une capacité d’empathie, d’engagement et de pardon qui évite les épreuves ou organise leur résolution. Elle se propose comme une méthode d’aide qui s’appuie non tant sur les problématiques spécifiques de telle ou telle situation, mais sur le processus même de confiance mis à l’épreuve dans la relation. Elle vise à aider les personnes concernées par cette situation à l’améliorer en y trouvant des ressources de confiance. Quand une famille vit des situations douloureuses, graves, avec une multiplicité de difficultés psychologiques, relationnelles, sociales, des pathologies et des handicaps, des processus d’invalidation sociale, le thérapeute familial est sollicité par de multiples portes d’entrée dans le travail thérapeutique. De plus, la diversité des difficultés, injustices, souffrances les fait interagir les unes avec les autres. Le thérapeute peut être emporté par une difficulté, courir après et être rattrapé par une autre, vouloir changer d’angle d’intervention, modifier sa stratégie thérapeutique. Il peut aussi être soumis à ses propres résonances, attraits, répulsions ou tentations. Il ne peut plus alors aider la famille à avoir un chemin d’évolution, dont la famille est certes l’initiateur et l’exécutant, mais dont le thérapeute a la responsabilité d’être le guide et le garant. L’A.C. ne parle pas de restauration de la confiance, mais de restaurer la confiance dans les relations. Elle n’a pas pour objectif premier de développer des relations confiantes, ni de restaurer la confiance en soi de chacune des personnes concernées. Ou plutôt, ce n’est pas ce qui est mis en avant. En mettant au premier plan la restauration de la confiance dans les relations, elle opère un double pari : que la restauration de la confiance dans les relations renforce les possibilités de confiance en l’autre. Et qu’elle permette un gain de confiance en soi. Mais la priorité est mise sur l’engagement, sans a priori et sans objectif complémentaire. L’hypothèse que les relations entre personnes d’un même groupe restent L’A.C. affronte cette problématique, en grande partie sous-tendue par le contretransfert, en cherchant comment ne pas négliger l’autre quand on s’occupe de l’un. IBN propose une méthode unifiée d’aborder la relation qui prenne en compte ses différentes dimensions. Il 5 s’agit d’aider les uns et les autres à (re)devenir eux-mêmes acteurs d’un processus dans lequel ils sont embarqués, pour, en le disant trivialement, contribuer à autre chose que défendre sa peau, son identité, son intégrité, souvent en confrontation les uns avec les autres. une moindre attention. La mère, elle, risque fort aussi de se trouver chosifiée dans une place (par exemple de complice, d’indifférence ou de victime au second degré par peur ou impuissance), et donc aussi en difficulté d’exprimer une parole singulière ou des actes susceptibles de renforcer la confiance. Dans les situations où la relation est gravement dégradée, il n’existe plus d’échange et de dialogue possible car chacun, pris dans ses difficultés, ne peut ni apporter d’aide ni en recevoir. C’est sur cette dimension que ne l’A.C. va fonder son travail. Elle va lutter contre la réification des personnes par l’effet des traumatismes et chercher à restaurer chacun dans une place de sujet agissant, lié aux autres comme autant eux-mêmes de sujets agissants. Ainsi, ce qui bloque en premier le dialogue entre personnes concernées est que chacun ne soit pas reconnu légitime à pouvoir exprimer autre chose que son statut figé par le traumatisme dans le dispositif familial. Dans cette grande difficulté, l’A.C. va s’appuyer sur l’éthique relationnelle pour faire avancer le travail. Son objectif est que chacune des personnes concernées puisse retrouver une liberté d’expression et être reconnue dans les différentes dimensions de sa personne. Le sujet peut alors ne pas être réduit à son symptôme, à ses difficultés, souffrances ou pathologies, aux mauvais traitements qu’il a pu subir ou même infliger. C’est un pari raisonné, fondé sur une expérience : si l’on arrive à reconstituer les conditions de ce qu’IBN appelle un « dialogue authentique », chacun va pouvoir retrouver une place dans le dialogue familial. Cette implication possible des uns et des autres va aider à renforcer les processus de confiance, la confiance en l’autre et la confiance en soi, retrouvant là ces trois dimensions de la confiance. Dans une situation familiale où le père a exercé des violences sur un des enfants, nous pouvons aussi bien dire que l’enfant victime est en difficulté d’exprimer quelque chose du fait même qu’il peut ne plus être reconnu que comme la victime des violences qu’il a subi. Toute autre place, toute autre contribution à la vie de la famille peut lui être déniée. Le père, lui, aura bien des difficultés à s’engager pour les uns ou les autres, sans craindre ou risquer d’être renvoyé au fait qu’il est l’auteur des violences. Il est à son tour personne réifiée, chosifiée, réduite à ses actes malveillants. Chacun des autres enfants, non victimes de violence, pourront avoir du mal à trouver une place car ils viendront au second plan de l’attention familiale comme sociale. Les soucis qui les concerneraient mériteraient Il n’y a pas là une forme d’optimisme béat. Chacun sait qu’il ne suffit pas de réunir des personnes qui ont beaucoup de 6 difficultés, qui se sont affrontés ou détestés, dont certains ont brutalisé les autres, dont certains ne peuvent plus parler aux autres, dont certains ont été victimes de choses extrêmement violentes. Qu’il ne suffit pas de les mettre ensemble dans une pièce avec quelqu’un de disponible et de généreux. Que celui-là affirme que par sa présence les conditions sont réunies pour pouvoir se parler. Qui pourrait même ajouter qu’une fois le dialogue rétabli, il pourra repartir, laissant là une famille heureuse, harmonieuse, disponible les uns pour les autres. l’identité, Jacques T. Godbout, éd. La Découverte) définit le don comme « l’esprit du geste ». Cela se retrouve dans les mouvements de l’adulte vers l’enfant, de la personne valide vers celle plus fragile, mais ce mouvement participe aussi des rituels de séduction, des rituels amoureux ou sexuels. On y retrouve sans doute le besoin humain de donner un sens à un geste qui « nous pousse à ». Nous allons vers l’autre pour donner, mais comme nous réfléchissons, nous avons des émotions, des affects, quand s’effectue le mouvement vers l’autre, nous vient une attente de reconnaissance de ce qu’on a donné. Personne ne peut avoir la naïveté de penser cela, l’A.C. moins que tout autre. C’est, bien sûr, un tout petit peu, et même beaucoup plus compliqué que ça. C’est l’objet même de la « découverte » par IBN de la dimension de l’éthique relationnelle. Le merci n’est pas seulement un code social de politesse. Il est aussi une validation de l’autre comme inscrit dans la relation. Tous ceux qui ont eu l’occasion d’être en lien avec un nourrisson se souviennent que les premiers signes qu’il donne à sa mère ou à son père sont extrêmement importants. Au point probablement que les premières explications du signe précèdent parfois celui-là. Cela convient bien à chacun que le premier mouvement des lèvres soit perçu comme un sourire, que les yeux tournés dans notre direction prennent le sens d’un regard. Il s’agit d’une des choses les plus élémentaires de la relation humaine : comment chacun d’entre nous est impliqué dans ce qu’on appelle le donner recevoir, dans ce que les anthropologues comme Marcel Mauss définissent comme la chaîne du donner – recevoir – rendre. Chacun est concerné, depuis sa plus tendre enfance par recevoir des autres. Pour chacun aussi, donner et être reconnu dans l’acte de donner s’impose comme essentiel. Dans nombre de situations, nous donnons sans trop savoir pourquoi. Lorsque nous nous occupons des tout-petits enfants, mais aussi dans bien d’autres situations, donner à l’autre s’impose comme un mouvement irrépressible, ce par lequel Jacques Godbout (Le don, la dette, Nous donnons du sens quand cela se passe bien, et aussi quand cela se passe mal ou quand cela ne se passe pas. Le sens évoquant également la direction, ouvrant sur les conséquences de ce qui se fait ou ne se fait pas, de ce qui s’éprouve ou ne s’éprouve pas, de ce qui s’exprime ou ne s’exprime pas. 7 Dans bon nombre de situations où l’on donne à quelqu’un, ce quelqu’un qui reçoit va être mis en position de donner, ce qu’on pourrait appeler rendre. Mais comme bien souvent dans les relations humaines, ce qu’on rend ne l’est pas à la personne qui nous a donné. Nous allons rendre à d’autres ce que nous avons reçu, ailleurs, aux générations suivantes, à nos partenaires. C’est une des forces de l’A.C. que de construire le dialogue sur la valeur de l’acte de donner non comme dans l’attente de ce qui est rendu, mais avant tout comme un engagement pour le futur. Engagement nourri lui-même de ce que nous avons reçu sans attente de retour. soucis, sa considération, son attention pour les autres. IBN nous propose un autre pari : il sollicite les différentes personnes de la famille pour que, quelle que soit sa place dans le groupe, qu’il ait été victime, agresseur, témoin, complice, mis au second plan ou préféré, chacun puisse révéler sa part d’attention pour les autres. Souvent, dans la manière dont chacun est fixé dans un rôle cette dimension est effacée. Nous pouvons en trouver des exemples très simples. Dans une famille où vit un enfant handicapé, cet enfant est souvent privé du droit de donner parce que l’on considère qu’un enfant handicapé a droit à beaucoup d’attention , de considération, de soins, de sollicitude, mais que ce qu’il peut apporter en retour ne compte pas beaucoup. Ce qui va de soi, y compris quand on veut faire au mieux pour lui, c’est de le faire dans une direction unilatérale du donner. Cela peut rendre aveugle à l’observation que recevoir quelque chose de lui l’aide à exister en tant que personne, à ce qu’il puisse se sentir bien avec lui-même et avec les autres. A l’extrême opposé de notre capacité de sollicitude, celui qui a été abuseur ou bourreau peut être disqualifié (et il est le premier à s’être disqualifié), dans sa place, dans sa fonction et dans son rôle, par les actes qu’il a commis. Alors, ce qu’il peut montrer comme attention, comme prendre soin aux uns et aux autres est dénié au nom des actes parfois monstrueux qu’il a commis. Si l’on s’intéresse à cela, ce n’est pas pour Le donner et recevoir dans les relations marchandes est caractérisé par le fait qu’au bout de cet échange, chacun peut sortir de la relation en étant quitte. L’échange, dans les relations interpersonnelles investies, à l’intérieur d’un groupe que des liens, des solidarités, des loyautés, une histoire partagée relient, crée un maillage relationnel de donner et recevoir d’où l’on ne ressort jamais quitte. On n’en a jamais fini, on est toujours engagé dans un processus où ce que je donne engage celui qui le reçoit à luimême donner. IBN s’appuie sur cela pour définir ce qui peut être le support du dialogue à construire entre personnes concernées qui cherchent à construire ou reconstruire les relations : comment chacun peut s’appuyer sur les autres pour retrouver une légitimité à s’exprimer dans le groupe par l’expression de sa préoccupation, ses 8 excuser les faits, en atténuer leurs conséquences directes et indirectes. et des conséquences à venir pour soi et pour les personnes concernées. C’est parce que, si l’on ne s’y intéresse pas cela aura des conséquences pour les personnes elles-mêmes, mais aussi les relations et les générations à venir. La démarche de l’A.C. va être de permettre à chacun d’exprimer sa considération, sa sollicitude, son attention pour les autres, et notamment la préoccupation des conséquences pour le futur de ce que chacun a fait ou pas fait, dit ou pas dit. Chaque personne est singulière. La reconnaissance de sa singularité vaut pour lui-même, mais aussi pour chacun et pour les liens qui les unissent (et souvent alors les font souffrir). Elle valide également son appartenance au groupe, ses potentialités d’y donner et recevoir et les conséquences néfastes de cet empêchement. Elle ouvre à la possibilité d’aider chacun à s’engager pour sortir de la spirale destructrice. Notre objectif sera d’aider chacun à raconter son histoire, où il en est de celle-ci en relation avec les autres. IBN et l’A.C., en se préoccupant de restaurer la confiance, s’intéresse à toutes les personnes concernées par une histoire familiale. C’est pour cela qu’il va appuyer le droit de chacun à s’inscrire dans un dialogue authentique, tourné vers la réduction des conséquences pour le futur. Cela va donner une forme de travail très particulière appelée la partialité multidirectionnelle. C’est la méthode de travail de l’A.C. Encore une fois, s’il suffisait que chacun raconte son histoire pour que le trajet familial change, nous n’explorerions pas les voies complexes des relations et de leurs dysfonctionnements. En travaillant à aider Mme Untel, au fur et à mesure du récit qu’elle fait de son histoire, nous lui posons des questions ou faisons des commentaires qui vont lui permettre de la raconter autrement. Pas un autrement du hasard ou de la spontanéité. Un autrement qui libère une parole, une pensée et des affects dans la dimension de l’éthique relationnelle, celle de l’inventaire des préjudices, de la balance de justice, de la validation de ce qui est donné (ou pas) et reçu (ou pas). Qui explore comment le récit peut être traduit dans la considération, dans comment je m’intéresse aux autres, comment je me sens dévalorisée, comment quand je m’occupe d’untel je suis suffisamment reconnue, comment Nous allons travailler simultanément avec une famille et avec chacun des membres d’une famille. Les deux sont nécessaires et complémentaires. Nous travaillons dialectiquement avec la famille et chacune des personnes, à la fois dans son rôle, sa fonction et sa place. Mais aussi ses affects, ses émotions, et encore avec les représentations de son histoire transgénérationnelle, de son histoire de vie, de l’enfant et l’adolescent qu’il a été. Et puis, avec celui ou celle qui se préoccupe des investissements et des engagements futurs, de la responsabilité 9 quand on me dit de me reposer, je ne peux le faire car c’est plus fort que moi de devoir donner toujours plus, toutes ces questions qui font que ce qu’on raconte de son histoire est transformé par la manière de la narrer. des ressources de changement. Le questionnement s’appuie sur les données de l’éthique de la relation, interrogeant les liens, la reconnaissance de l’implication, la validation du souci et de l’engagement, la fiabilité des relations. Je n’explique pas forcément comment l’autre est méchant, comment il ne me considère pas ou comment je ne peux m’empêcher de répéter toujours certains schémas de comportement, mais j’essaie de raconter cette histoire en termes de donner et recevoir, d’équilibre des comptes relationnels. Ainsi cette déconstruction/reconstruction du récit autour du donner et du recevoir resitue chacun non seulement dans les liens et les échanges du moment présent, mais également dans la dimension du temps, dans la dynamique transgénérationnelle. Et, dans la dynamique contextuelle, cette chaîne du temps n’est pas d’abord « passé-présentfutur » mais bien « futur-présent- passé », car animée par le souci de la réduction des conséquences pour le futur. L’intervenant contextuel ne cherche pas dans le passé ce qui explique le présent, dans ce travers de la fatalité ou de l’idée de répétition : « puisque j’ai subi un traumatisme, puisque j’ai vécu des injustices, ça explique que je répète ou que je fasse le contraire. » Mais il explore, dans un questionnement orienté, appuyé sur la préoccupation de réduire le poids du fardeau dans le futur, ce qui fait ressources dans le maillage relationnel du passé. J’admets que pour certains cela puisse paraître abstrait. C’est le thérapeute qui va, par les questions qu’il pose, aider à cette construction du récit : une histoire qui n’est pas transformée dans les faits mais par la représentation, la grille du donner et recevoir, des liens, des loyautés et de ce qui les soutient. Mon histoire ainsi contée, devant les autres concernés, se situe aussi dans le temps : quand on parle de la relation, de la considération ou non reçue, on est au temps présent. La tâche de l’intervenant contextuel est d’aider chacune des personnes concernées à pouvoir montrer ses capacités de souci et de sollicitude. Le travail cherche à révéler non seulement la préoccupation pour les autres directement concernés, mais aussi le souci des conséquences pour le futur. C’est cela qui va permettre de poser des questions qui reviennent sur l’histoire passée, non pour y chercher des explications de la situation présente, mais pour y trouver L’objectif de tout groupe humain qui se constitue, par exemple d’une famille, est a priori d’être heureux ensemble. Ceux qui se rencontrent, tombent amoureux l’un de l’autre, fondent une famille ont plutôt l’objectif que cela se passe bien, que cela soit harmonieux, que leurs enfants aient 10 ce dont ils ont besoin et que la vie se déroule dans un climat serein, habité de confiance et de projets. Imaginer qu’à la 7ème et à la 14ème année de la relation le couple doive consulter un thérapeute pour passer d’un cycle de vie à un autre parait problématique ! Mais si d’aucuns peuvent croire que les périodes de crise n’existeront jamais, les voilà mal préparés à leur survenue. Heureusement pourtant, tout couple ou toute famille qui se construit ignore pour l’essentiel ce que seront et d’où viendront les tensions. Nous savons que le couple ne se construit pas que sur l’attirance, le désir, la passion ou le questionnaire détaillé des affinités et des valeurs partagées. Dès le moment de la rencontre et dans les phases de construction la recherche de l’harmonie, le souci des autres, la considération, les preuves d’engagement comme l’envie de donner et le besoin de recevoir sont présents. Ces objectifs vont être progressivement mis à l’épreuve de la vie quotidienne. La confrontation des valeurs, les difficultés internes ou externes, l’évolution sociale et professionnelle de chacun, l’arrivée d’un enfant, la difficulté d’être à la hauteur des attentes de l’autre et de soi-même, comme les événements heureux ou malheureux de la vie confrontent chacun à des pressions imprévues, soumettent le couple à des pressions inattendues. s’amarre tant bien que mal aux valeurs des familles d’origine, aux loyautés, pour s’en soutenir ou pour essayer de relier la désillusion ou l’angoisse à l’histoire de l’autre. C’est source, souvent dans une tentative de nouer un dialogue, de malentendus, de critiques, de paroles injustes, ou d’actes déloyaux qui nourrissent l’inquiétude, l’insatisfaction et la défiance réciproques. La plupart des familles gèrent cela tant bien que mal, et souvent pas si mal que ça. Pourtant, cela va avec son lot d’injustices, de dysharmonie, de déconsidération, de jalousie, de rejet ou de sentiment d’exclusion. Le dépassement de la crise, par l’intermédiaire d’un travail thérapeutique ou autrement, passe par la possibilité de rouvrir un dialogue authentique. Celui-ci va notamment s’appuyer sur la restauration de la confiance dans les relations. Michela Marzano (Le contrat de défiance, Maria Michela Marzano-Perisoli, éd. Grasset) rappelle que l’on peut définir la confiance comme « un saut dans le vide mais pas un saut dans l’abîme ». Car la confiance est d’abord un investissement. Le moment nécessaire pour connaître l’autre, l’éprouver vis-à-vis de soi, se connaître face à lui est soutenu par la confiance que l’on peut investir, et précédé, comme le rappelle Axel Honneth (La lutte pour la reconnaissance, Axel Honneth, éd. Cerf) par les processus subtils et complexes de reconnaissance. Pour lui, « la reconnaissance précède la connaissance ». La relation ne peut se construire ni sur la Dans ces moments, la confiance est mise à l’épreuve. Chacun tente de retrouver des points d’appui dans ses souvenirs, ses références : ce qu’on avait rêvé ensemble, ce à quoi l’autre s’était engagé, ce que je pouvais en attendre aussi. Chacun 11 méfiance ni sur l’absence d’engagement. On retrouve là un autre pari inhérent à la construction de la relation. Pari parfois conscient, pour une bonne part en tous cas non conscient ou inconscient. J’investis un capital de confiance qui va être mis à l’épreuve, celle des faits, des satisfactions et des frustrations, des surprises et de ce qui se répète, de ce qui se nomme ou s’intériorise. Ce capital peut fructifier et créer de la confiance méritée. Et/ou se révèlent des insatisfactions, des moments de doute et de défiance, voire des situations de méfiance éprouvée. La confiance peut croître dans un domaine et être affectée dans un autre, touchant les relations amoureuses, les projets de couple et de famille, mais tout autant les valeurs, les références aux familles d’origine, les relations amicales, le rythme des habitudes, les rituels, les surprises ou autre chose encore. A travers la capacité du couple et de la famille à faire de cet hétérogène un patrimoine s’éprouve la fiabilité de chacun dans la relation. Ce que l’un a pu apprécier dans l’attention de l’autre à ses parents peut être plus tard ressenti comme excessif, devenir un poids et s’accompagner d’un sentiment de manque de considération pour soi. L’autre qui appréciait les goûts et investissements sportifs ou culturels peut, le temps passant, le vivre comme une forme de négligence pour lui, ou un désinvestissement familial, par exemple quand les enfants naissent ou quand la charge professionnelle croît. Ces histoires banales s’appuient sur la difficulté de sortir de la routine. Elles en obèrent les remaniements, en ignorent le caractère constructeur ou destructeur, et peuvent affecter le dialogue jusqu’à la limite de la rupture ou de la fracture. Se pose alors la capacité de reconstruire ou non de la confiance. Possibilité de renouer des relations où chacun puisse être reconnu dans son lien aux autres, et notamment dans sa contribution, constructive ou destructive à la qualité des relations. Au cœur de la confiance est la légitimité. Quand on est chez soi et qu’on est en conflit les uns avec les autres, chacun a une forme de légitimité à voir et ressentir que l’autre ne le comprend pas. Lorsque je ne suis ni écouté ni entendu, que je ne suis ni l’initiateur ni le premier responsable du conflit, que ce qui soutient ma position tient à des éléments de valeur de mon histoire et de mes croyances, je me sens légitime à défendre bec et ongles ma position et à agresser l’autre. Mais ce qui soutient mon obstination, ma mauvaise foi, les critiques que je peux faire à l’autre sur son caractère, ses ressemblances, ceux qui le soutiennent, c’est aussi ce qui construit une légitimité chez l’autre à soutenir le conflit avec moi selon les mêmes ressorts. Ce qui, dans les périodes de croissance, soutient la dimension constructive de la relation, a, dans les périodes de conflit des effets destructeurs. Chacun a ainsi une forme de légitimité à pouvoir soutenir que, dans la difficulté, dans le conflit, dans la confrontation, son point de vue, ses ressentis et son engagement ont autant de raisons d’être reconnus que ceux des autres. 12 La démarche thérapeutique contextuelle est encore une fois très simple à envisager et complexe à mettre en forme. Il s’agit d’aider à faire, en reconnaissant la légitimité de chacun, que celle-ci se tourne vers la résolution et la dilution des conflits, et non reste fixée sur la confirmation pour chacun d’être méprisé, ignoré ou maltraité dans le conflit. Cela passe notamment par l’habileté du thérapeute à orienter le récit de chacun vers le souci du futur et à le soutenir dans son engagement à réduire les conséquences péjoratives de l’héritage des injustices et des conflits. question. Les membres de la famille gagneront cette conscience par l’épreuve même du travail. Précisons que ce qui est acquis là au thérapeute vaut justement pour lui dans cette situation même. Si nous faisons l’effort de penser à ce même thérapeute, sujet d’une histoire personnelle qui l’amène, avec son partenaire ou sa famille à solliciter une aide thérapeutique, nous pouvons savoir qu’il aura comme tout un chacun à vivre l’épreuve du travail pour retrouver des formes constructives de légitimité. Et l’affirmation de sa légitimité liée à son savoir ou à son expérience ne serait qu’un exemple banal de l’effet destructeur de la légitimation de soi par soi dans la relation. Pour cela, le thérapeute n’a pas tant besoin d’avoir confiance en lui que de trouver comme les autres protagonistes une reconnaissance de sa légitimité. Ainsi, une des activités du thérapeute dans le travail est de construire sa propre légitimité. Ne confondons surtout pas cela avec une auto-légitimation, une affirmation péremptoire de son pouvoir appuyé sur un supposé savoir, ou une habileté manœuvrière à faire croire aux autres qu’ils peuvent tout sans lui, ou, ce qui somme toute est équivalent, qu’ils ne peuvent rien sans lui. La légitimité qu’il a à construire, comme les autres, est celle qui se nourrit de la fiabilité de son implication et de son engagement. C’est celle qui est éprouvée comme authentique par les autres, qui par retour est reconnue par eux et qui, par un mouvement dialectique, soutient leur propre mouvement à s’engager, parfois même à leur corps (ou à leur psyché) défendant. Sa différence principale, appuyée sur sa place d’élément extérieur à la situation, lui permet d’avoir d’emblée à l’esprit l’importance de cette Ce qu’essaie de mettre en branle le travail contextuel c’est la capacité, dans une période de crise qui favorise la méfiance, l’agression ou le repli, de s’engager. S’engager non sans risque mais avec des protections pour les autres et pour soimême. Ce sera l’une des fonctions de l’intervenant contextuel d’être, non le protecteur, mais le garant des protections réciproques. Les questions et commentaires du thérapeute contextuel ne cherchent pas à « rendre » les gens responsables, ni à leur donner le sens de la responsabilité. Cela s’appuie sur un présupposé : dans sa relation à l’autre, chacun est mu par la responsabilité. Emmanuel Levinas nous dit : « La responsabilité est sans pourquoi ». Nous ne savons pas vraiment d’où cela nous vient. Nous pourrions croire que ça vient des parents qui nous 13 ont appris (ou pas) la responsabilité et les valeurs qui s’y attachent. Mais s’il, s’agit de cela, cela vient donc aussi des parents de chacun, des valeurs de l’époque, de la situation de chacun, de ce qu’il a ou pas reçu, de ce dont il a pu ou non bénéficier comme soutien. Levinas le traduit simplement en évoquant que cette responsabilité qui nous habite « vient de l’archéologie de notre histoire ». En tous cas, il est difficile de soutenir que « je suis responsable parce que ». Un des exemples qu’on donne fréquemment est de savoir comment on peut envisager la part responsable d’une personne qui abandonne son enfant. Imaginons que l’on travaille avec cette personne, en difficulté avec d’autres enfants nés après dont elle s’occupe, ou avec l’enfant abandonné dans leur contexte de vie. Nous pourrons explorer ce qui, au moment de l’abandon, touchait à l’incapacité ressentie ou éprouvée de pouvoir s’occuper de cet enfant. Nous abordons ce que l’A.C. appelle l’exonération. Il convient de rappeler qu’étymologiquement cela signifie « soulager d’un fardeau ». Loin de chercher à atténuer ce qui s’est passé, sans rechercher une forme ou une autre de pardon, le travail contextuel vise à réduire les conséquences de ce qui s’est passé pour la personne victime et ses relations futures. Pour cela elle cherche, par la construction d’un dialogue, parfois aussi avec des personnes absentes, à favoriser un récit qui se détache des positions fixées sur le préjudice et les injustices, pour les centrer sur l’engagement de chacun dans le donner et le recevoir. Ce qui permet à chacun, et notamment à la personne victime d’exprimer ses préoccupations de responsabilité pour le futur, pour atténuer les conséquences liées à l’histoire passée. Certes, cela vaut pour les faits les plus élémentaires du quotidien. Je suis responsable de traverser dans un passage pour piétons car on m’a appris qu’il fallait traverser à cet endroit et pas en dehors, et qu’aussi j’ai le choix de responsabilité de le faire ou pas. Pour ce qui touche aux relations, et singulièrement pour les personnes qui nous concernent directement, proches, membres d’un groupe d’appartenance, famille, existe une responsabilité qui « va de soi ». Qui nous guide à chaque instant mais qui n’est souvent pas présente à l’esprit ni dans le dialogue. Le travail contextuel ne cherche donc ni à rendre responsable, ni à accentuer la responsabilité ou le sens de la responsabilité. Nos questions chercheront à révéler ce qui existe chez la personne, à rendre visible une problématique qui existe de façon non visible, à permettre son expression et sa validation. En partant de ce présupposé : toute personne, même celle qui se comporte d’une manière qui altère gravement dans les relations son exercice de la responsabilité peut avoir une « préoccupation de responsabilité ». Le travail contextuel vient au moment où l’on est sollicité pour des situations qui dysfonctionnent. Il appuie un dépassement des représentations figées où chacun reste placé dans son statut (abuseur, victime, complice, déficient, …), pour aller vers un maillage relationnel où 14 la contribution de chacun est reconnue comme un engagement à alléger la vie future. La différenciation des personnes, la différenciation pour chacune d’elles entre les actes et le sujet sont des points d’appui fondamentaux et exigeants de notre démarche. Ils sont, par la reconnaissance de l’attention portée à l’autre par chacun, vecteurs de la reconstruction de la confiance dans les relations. Et aussi, par retour, facteur de soin de soi dans l’attention donnée et reconnue aux autres. 15