l`inceste en Afrique
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l`inceste en Afrique
L’INCESTE EN AFRIQUE Par : Etsianat ONDONGH-ESSALT INTRODUCTION Parler de « l’inceste en Afrique » est pour moi une sorte de gageure. En effet, l’Afrique est multiple, les coutumes et les pratiques ethnoculturelles sont innombrables. Je suis clinicien. Ma pratique d’ethnopsychanalyste, depuis plusieurs décennies en France avec les migrants, m’a maintes fois confronté aux problématiques incestueuses vécues par les enfants, en particulier par les jeunes filles en provenance du continent africain. Je souhaiterai donc rendre compte dans cette communication d’une observation clinique que j’ai eue à traiter dans mon cabinet privé et en institution (association Déméter recherche-action), observation qui traite de la problématique de l’inceste dans un contexte interculturel. Avant d’aborder le cas clinique, je vais tenter dans un premier temps de montrer la complexité de cette notion d’INCESTE telle qu’elle était usitée en terre africaine autour de quelques données anthropologiques et socioculturelles mais je ferai également une petite incursion dans la gestion de ce phénomène à l’époque présente. DE LA GESTION TRADTIONNELLE ET MODERNE DE L’INCESTE EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE Dans le continent africain et principalement dans sa partie située au sud du Sahara, une grande majorité des communautés villageoises, claniques ou tribales comme les Kongos d’Angola, des deux rives du fleuve Congo mais aussi les Batékés situés au centre et au nord du bassin du Congo et au Gabon comme les Bagangoulous, les Batékés de Djambala ou de l’Alima (TH. Obenga, 1976, 1985), toutes ces populations qui font en particulier partie des Bantous d’Afrique centrale n’ont pas dans leur langue maternelle l’équivalent du mot viol et encore moins celui d’Inceste de premier degré. Ils désignent cet inceste père/fille, mère/fils ou frères/sœurs d’acte de sorcellerie, ou Ebélé, ou encore Ndoki. Pour ces populations d’Afrique centrale, lorsque un tel acte se produit et qu’il est rendu public, il entraîne automatiquement dans leurs esprits et représentations, la destruction de la famille ; il apporte des malheurs dans le village (épidémies, mauvaises récoltes, calamitées naturelles…) mais, cet acte peut provoquer des morts de personnes de par sa violence. De même en Afrique de l’ouest, les Samos du Burkina-faso, comme le rapporte Françoise Héritier (1995) n’ont pas eux aussi l’équivalent du mot inceste pour désigner les rapports sexuels concernant la parenté de premier degré. Ils qualifient traditionnellement un tel acte par le vocable « chiennerie » comme pour dire que l’inceste relève du monde animal et non celui des humains. Néanmoins, les sociétés africaines ont connu et connaissent dans leur vécu les problèmes d’inceste car, comme toutes les sociétés humaines l’ont fait pour s’humaniser(Lévi-Strauss, 1949), elles ont institué la prohibition de l’inceste du Ondongh-Essalt E. : Docteur en psychologie clinique, ethnopsychanalyste, Président de l’association LICOSECS, Directeur d’EKHAMYS ICCPC 1 premier comme celui du second degré pour certaines d’entre elles. La réalité de ce phénomène et sa prohibition sont attestées dans plusieurs groupes ethniques avec la possibilité quelquefois de désigner l’inceste par les mots spécifiques comme le font les Lulua de la république Démocratique du Congo qui évoquent le concept de tshibundi pour parler de l’interdit des relations sexuelles entre des individus ayant un lien de parenté (P. Mutanga Katumpa, 1982)1. Par ailleurs, l’interdit de l’inceste n’était pas pour certains peuples africains comme tant d’autres dans le monde, un acte biologique relavant de simples relations sexuelles qui, dans quelques groupes ethniques étaient librement et progressivement introduites ou permises au travers de rites ou de pratiques spécifiques liées aux jeunes gens en particulier aux adolescents et adolescentes (Lévi-Strauss, ibidem ; T. Nathan, 1992, pp. 19-36). En revanche, là où il y avait l’interdit incestueux du premier degré, outre qu’il prévenait la rupture de la parenté, il se justifiait dans la communauté par la peur de la survenue dans la famille d’une série de malheurs incontrôlables : des enfants naissant avec des malformations physiques ou mentales (J. Ondongo, 1989) ou par des morts inexpliqués dans la communauté villageoise… Dans beaucoup d’ethnies d’Afrique centrale, comme on l’avait vu ci-dessus, les personnes incestueuses étaient et sont encore de nos jours considérées chez les Bantous, en particulier dans les sociétés matrilinéaires, comme des sorciers ou de personnes se trouvant sous l’emprise de la sorcellerie. Ainsi, chez les Béti du Cameroun, l’inceste de premier degré était considéré comme un crime de sang (F. Ezembé, 2003, p. 192). L’inceste de second degré est un inceste commis avec une parenté éloignée ou la parenté par alliance matrimoniale. Certaines populations comme les Samos du Burkina Faso élargissait l’inceste jusqu’à la situation de deux sœurs qui se mariaient avec un même homme (F. Héritier, op., cité, pp. 154-155). Cependant, comme le faisaient les ascendants historiques du peuple africain dans l’Egypte antique (Cheick Anta Diop, 1960, 1977) certaines formes d’incestes de premier degré, liées par exemple à la royauté (L. de Heusch, 1971 ) ou liées à certaines pratiques magico-réligieuses (B. de Raschewiltz, 1993) étaient tolérées voire instituées comme le mariage entre un frère et sa sœur héritière qui permettait au garçon d’accéder au trône royale et prétendre par exemple au rang de pharaon. Ainsi, comme le rapporte Ferdinand Ezembé dans son livre déjà cité (2003, p. 192), les Béti du Cameroun considéraient positivement comme « grand sorcier » ou « grand savant maître de la nuit », les personnes qui avaient posé des « actes extraordinaires », entre autres, l’interdit de l’inceste en ayant entretenu une relation sexuelle incestueuse avec leur mère. Les pratiques du Lévirat et du Sororat vont créer d’autres types de pratiques sexuelles et la notion d’inceste devient plus restreinte. C’est l’exemple de la grande majorité des groupes ethniques ou de populations d’Afrique de l’ouest comme les Bambaras du Mali, les Soninkés du Mali et du Sénégal puis les Peulhs qui ont tous des filiations patrilinéaires. Les mariages préférentiels sont contractés entre cousins 1 Mutanga Katumpa, Pierre, « le mariage dans les tribus du Kasaï, l’ethnie Bakwa Mwanza », monographie présentée au grand séminaire théologium de Makole Kananga, mai 1982 ». rapporté par Ferdinand Ezembé dans « L’enfant africain et ses univers », Paris Khartala, 2003, p. 192. 2 germains parallèles et croisés du côté paternel ou entre cousins germains croisés du côté maternel. Alors qu’en Afrique centrale, comme on l’a vu, chez les populations à prédominance matrilinéaire, entre cousins et cousines germaines croisées ou parallèles, tout mariage jusqu’à la cinquième génération au moins est prohibé et les relaxations sexuelles entre les personnes supposées partageant le même sang sont frappées de l’interdit incestueux. En ayant conscience que la prohibition de l’inceste n’empêche nullement des passages à l’acte, les différentes ethnies africaines avaient institué des rites de réparation ou de purification. Chez les Beti du Cameroun comme le cite F. Ezembé (op., cité, p.193), lorsqu’il y avait inceste, les protagonistes étaient soumis au rituel de purification tsoo ou ndongo. Les personnes impliquées dans l’acte incestueux étaient invitées à se confesser auprès d’un membre éminent de la société désignée ; elles étaient ensuite lavées dans une rivière en guise de purification. Le parent incestueux était alors chassé du village avec une déchéance de son autorité parentale voire sociale par exemple, l’interdiction de prendre part à toute cérémonie publique. Chez les Samos du Burkina-faso, lorsque deux sœurs avaient entretenues des relations sexuelles avec un même homme, acte considéré comme incestueux, elles et leur « mari ou amant » étaient soumis au rituel de type Plo-Plo2 que l’on retrouve également pratiqué chez certains groupes comme les Baoulés de la Côte d’Ivoire : « Les coupables de ce genre d’inceste, comme l’écrit Pierre Etienne 3, font l’objet d’un rituel légèrement mortifiant de réparation et de lustration. Entièrement nus, ils sont obligés de se frapper l’un et l’autre avec les deux moitiés d’un cabri ou d’un mouton fendu dans le sens de la longueur…Cet acte symbolique, poursuit l’auteur, répare, compense symboliquement le crimes commis. On mélange des choses qui sont naturellement unies disent-ils…Ce rituel a pour but d’oblitérer symboliquement les relations de parenté entre les deux fautifs ». COMMENTAIRES Comme on le constate, l’inceste était et est encore un acte prohibé et réprimandé par la société africaine comme dans la plupart des sociétés humaines. Mais comme cela est de coutume en Afrique, tout acte prohibé possède en contrepoint son remède de réparation lorsque l’interdit est transgressé. Dans beaucoup de cas on retrouve les étapes décrits ci-dessus qui commencent par la confession privée ou publique ; ensuite, on passe à la purification soit par l’eau ou par une sorte de flagellation ou auto-flagellation ritualisée des protagonistes ; et enfin il y a soit un acte de réintégration sociétale avec certaines restrictions ou alors un bannissement, de la personne responsable, de la société villageoise ou clanique. L’inceste ici ne prend pas le caractère mortifère ou expiatoire que l’occident en donne. Dans la société moderne africaine les choses deviennent plus complexes. Les rituels disparaissant peu à peu à cause de l’avancé des lois internationales, des lois sur la protection de l’enfant mais aussi à cause de la désorganisation des structures traditionnelles qui servaient de support aux rituels de réparations des interdits, les problématiques incestueuses deviennent à leur tour plus difficiles à gérer. Les statistiques sont encore une donnée rare en Afrique. Néanmoins comme le rapporte 2 Françoise Héritier : les deux sœurs et leur mère, Anthropologie de l’inceste, Odile Jacob, 1995, p.154-155. 3 Pierre Etienne : Les interdits de mariages chez les Baoulés, Abidjan, Orstom, 1972. 3 Ferdinand Ezembé (2003, pp.194 ), il y a quelques études balbutiantes qui commencent à apparaître sur le continent. Ainsi, on peut donc dire qu’« En milieu urbain les situations incestueuses sont de plus en plus étudiées. Au Cameroun, Koki Ndombo et ses collègues en 1992 constatent parmi les agresseurs sexuels des enfants, le père, l’oncle ou le cousin dans 35,2% des cas4. Dans la même pays, Mbassa Menick quelques années plus tard (1997)5 étudiant 5000 dossiers d’agressions et abus sexuels trouve 5,88% de cas où le père est incriminé. On retrouve des constats identiques au Sénégal6 et en Côte d’Ivoire7 où les ascendants génétiques dont le père son cités parmi les agresseurs sexuels ». Et enfin, « les âges des victimes d’inceste, poursuit Ferdinand Ezembé, varient respectivement de quatre à quinze ans pour le Cameroun et de deux et demi à quinze ans pour la Côte d’Ivoire ». Ainsi, il y a plusieurs cas d’incestes qui sont commis actuellement dans les foyers africains, mais leurs dénonciations sont rendues complexes à cause entre autres d’un certain nombre de digues morales qui persistent dans l’esprit des populations du continent noir dont principalement la honte et l’opprobre que ressentent les familles dont les enfants ont été victimes d’abus sexuels. En effet, dénoncer un inceste surtout de second degré commis sur sa fille, peut provoquer, en retour, une réaction négative sur sa famille. Par exemple aucun homme ne peut prendre en mariage une fille qui a été violée, surtout lorsque la nouvelle est rendue publique. Aussi, dans certains cas, les parents de la fille mineure exigent du violeur le paiement d’une amende, réglant ainsi la question par une sorte de médiation familiale ou sociale. Dans d’autres cas on oblige l’homme fautif à prendre la fille (si elle est adolescente) ainsi « souillée ou déshonorée » en mariage pour sauver l’honneur de la victime. Une autre pratique qui provoque, dans des proportions non négligeables, des actes incestueux reste la coutume du don d’enfant. La pauvreté et l’espoir d’avenir poussent actuellement beaucoup de familles nombreuses à confier certains de leurs enfants chez des parents ou aux membres de la parenté élargie voire aux amis résidant dans de centres urbains en Afrique ou en Europe dont le but avoué ou pas est de les instruire ou leur donner une chance de réussir leur vie. Or, comme cela s’est vérifié à maintes reprises dans les pratiques de « don d’enfants » dans la société haïtienne (M. Labelle, 1987 ; B. Legrand, 1989) qui est en grande partie constituée par les descendants rescapés d’esclaves africains, les enfants, désignés dans la langue créole par le vocable « rest’avec » qui sont confiés par les paysans ou des ouvriers aux nantis de cette société, sont victimes fréquemment d’actes de violence en général et d’abus sexuels en particulier. De même en Afrique au sud du Sahara, plusieurs dizaines d’enfants, confiés annuellement aux membres de la famille élargie ou aux amis, sont victimes des violences sexuelles et malheureusement parmi ces actes, il y a bon nombre d’incestes. C’est entre autres la raison pour laquelle, l’Afrique doit créer des institutions et associations assez organisées et soutenues par leurs sœurs des pays 4 Koki Ndombo, Biyong, Etéki Tamba, Lantum, Makang Ma Mbock : « Les enfants victimes des sévices sexuels au Cameroun », Annales de pédiatrie, vol. 39, n°2, février 1992. 5 D. Mbassa Menick, F. Ngoh : « la problématique des enfants victimes d’abus sexuels en Afrique ou l’imbroglio d’un double paradoxe, l’exemple du Cameroun », Regards d’Afrique sur la maltraitance, T. Agoussou, Karthala. Paris 2000. 6 A. Diouf., A Gueye, M. Sangare, M. Ba Gueye, F. Diadhiou : »prise en charge médicale de victimes présumées d’agression sexuelles à Dakar, Sénégal », contraception, fertilité et sexualité, vol. 23, n° 4, 1995 7 Dr Te Bonle Diawara : « Etude sur les abus sexuelles au centre de guidance infantile à Abidjan », communication au séminaire sous-régional sur la prévention des abus sexuels en milieu scolaire, organisé par la CASPCAN et l’UNESCO ? Yaoundé, février, 1999. 4 occidentaux pour aider à la mise en place de ce combat contre les violences sexuelles faites aux enfants et plus particulièrement pour dénoncer et combattre l’inceste intrafamilial qui reste encore très peu dévoilé dans ce continent. Ce sont des situations assez courantes rencontrées en France où, des jeunes filles que nous recevons dans nos consultations, envoyées par les parents pour leur bien être ont déjà, en fait, connu sur le continent, des violences incestueuses comme nous allons le voir dans l’exemple de la jeune camerounaise que j’ai suivie pendant près d’un an en consultation d’ethnopsychiatrie créée par l’association Déméter recherche–action en fin de décennie dernier. ILLUSTRATION : OBSERVATION CLINIQUE D’EMILIE-FLEUR L’observation clinique dont je vais rendre compte dans les pages qui suivent a été recueillie lors des consultations d’ethnopsychanalyse qui se sont déroulées dans le Centre Départemental d’Ethnopsychanalyse et des Thérapies Transculturelles en générique Case de Déméter de l’Essonne, que j’ai crée en 1995 et mis fin en 2003. Je rappelle rapidement que ce sont des consultations faites avec un groupe de cothérapeutes (T. Nathan, 1986,1989 ; J. Ondongo, 1990, 1991 ; Marie-Rose Moro, 1994, 1998 ; E. Ondongh-Essalt, 1998) pratiquant des métiers différents relevant de la santé, du social et l’éducatif assisté par un interprète, si nécessaire, parlant la langue du (ou de la) patient(e). Je procède toujours avant la prise en charge ethnopsychothérapique des clients, à une évaluation avec les professionnels (J. Ondongh-Essalt, idem) qui ont connu ou suivi sur le plan socio-éducatif ou médical la situation de l’enfant, de l’adolescent (e) et/ou de la famille. En décembre 1999, nous sommes interpellés à la Case de Déméter de l’Essonne par une éducatrice spécialisée de l’Aide Sociale à l’Enfance de Paris, secteur 20 ème arrondissement pour examiner la situation clinique et très complexe d’une jeune majeure d’origine camerounaise âgée de 19 ans. Le motif de la demande de l’avis des experts en clinique transculturelle que nous sommes, est que cette jeune fille connaît depuis son arrivée en France, à l’âge de 9 ans environ, des difficultés de cohabitation importantes avec sa tante maternelle et son demi-frère aîné, suite aux viols à répétition dont elle a été l’objet à l’intérieur et à l’extérieur de sa famille de tutelle et d’adoption. Selon notre habitude (J. Ondongh-Essalt, 1998, P. 8), nous demandons une évaluation ethnopsychiatrique de la situation clinique avec les professionnels en charge de la jeune fille. Eléments biographiques et sociaux recueillis lors de l’évaluation La jeune fille que nous nommerons dans ce texte Emilie-fleur, est née au Cameroun, dans la ville de Yaoundé en septembre 1980. Née d’une mère célibataire qui a eu une liaison adultérine avec un homme marié, Emilie-Fleur n’a jamais été reconnue par son père. Selon la version retenue par Emilie-Feur, la jeune fille serait issue d’une grossesse gémellaire qui a emporté le second jumeau quelques mois après leur naissance. Un an et demi après avoir donné vie aux jumeaux, la mère d’Emilie-Feur décédait à son tour. La cause de la mort du second jumeau semble très mystérieuse et assez confuse car, une autre version donnée par la tante de Paris dira que c’est dès avant la naissance des jumeaux que le choix de garder qu’un seul des jumeaux s’est fait. Et, on aurait alors choisi de sauvegarder Emilie-Fleur et laisser périr son frère jumeau, mort-né. D’ailleurs, d’après Emilie-Fleur, on lui aurait souvent rappelé depuis l’âge de six ans au Cameroun comme en France, à chaque 5 fois qu’elle faisait une bêtise, qu’il aurait mieux valu choisir de garder le frère jumeau au lieu d’elle qui faisait honte à la famille ! Autour du décès de la mère, plusieurs hypothèses sur sa mort ont circulées dans la dans la famille maternelle et dans le quartier. Certains pensaient qu’elle était malade avant cette grossesse gémellaire et qu’il lui avait été proscrit une nouvelle grossesse, sachant qu’elle avait déjà eu plusieurs enfants avant les jumeaux, de trois hommes différents ; d’autres pensaient que la mère d’Emilie-Fleur avait été « empoisonnée » par l’épouse légitime de l’homme qui serait le père biologique de la jeune fille, laquelle épouse n’a jamais eu de progéniture. Toujours est-il qu’au décours du décès de la mère d’Emilie-Fleur commence pour cette dernière une longue période d’errance de même qu’un flou de plus en plus croissant concernant le parcours de cette jeune enfant. Avec le décès de la mère commence donc, pour Emilie-Fleur, les placements temporaires familiaux successifs dans une constellation familiale marquée par des ruptures et par une organisation soutenue essentiellement par des femmes. Il est difficile en écoutant la narration du vécu d’Emilie-Fleur de retrouver plusieurs individus issus de mêmes parents : on entendra volontiers parler de demi-frères, de demi-sœurs aussi bien dans la génération des parents d’Emilie-Fleur que dans la sienne propre. Pour ce qui concerne la mère d’Emilie-Fleur, cette femme connaîtra officiellement quatre hommes dans sa vie avec qui elle fera des enfants à chaque rencontre. Avec le premier, elle a eu un garçon. Le second mari lui donnera une fille. Le troisième homme lui fera enfanter un garçon, lequel sera d’ailleurs hébergé à Paris chez la demi-tante (maternelle) qui accueillera Emilie-Feur vers l’âge de 9 ans lors de son atterrissage en France. Ce demi-frère qui sera à l’origine de son éjection hors de l’habitation de la tante tutélaire, à trois ans de plus que la patiente. La dernière liaison connue par la famille maternelle, liaison de sa mère avec l’homme qui est le géniteur d’Emilie-Feur, donnera à cette femme trois enfants : une sœur aînée âgée d’un an et demi de plus qu’Emilie-Fleur, vivant au Cameroun, et le frère jumeau, décédé quelques mois après leur naissance selon la version donnée par l’adolescente. Emilie-Feur possède donc plusieurs demi-frères et sœurs qui vivent éparpillés, entre la Belgique, la France et le Cameroun. L’errance au Cameroun Après la mort de leur mère, Emilie-Fleur a donc un an et demi. Commence pour cette fillette, en terre camerounaise, une errance qui va durer pendant environ sept ans où Emilie va être placée dans pas moins de quatre familles de la parenté maternelle situées entre les grandes villes et les villages. Au dernier placement avant son arrivé en France, Emilie-Fleur vivra de six à huit ans et demi chez le grand oncle maternelle (le frère de sa grand-mère) qui avait une femme et quatre enfants dont le dernier-né, avait quinze ans lors de l’arrivé de la fillette. C’est pendant ce dernier séjour chez le grand oncle, qui est mort tout juste à l’arrivée d’Emilie-Fleur dans cette famille à Douala, que la fillette va subir l’inceste qui durera jusqu’à son départ pour la France. Cette petite fille frêle et menue développait un « nanisme psychogène » qui avait provoqué un arrêt momentané de sa croissance à tel point qu’à l’âge de huit ans et demi, Emilie-Fleur ressemblait à une fillette de cinq ans. Son calvaire incestueux perpétré par l’oncle maternel, le garçon le plus âgé (24 ans) de cette famille, s’est fait en silence, à l’insu de tout le monde. Emilie-Fleur ne 6 pouvait en parler à personne car elle avait peur d’être éjectée de cette famille pour se retrouver à la rue sans protection. De plus lors des trois consultations exploratoires d’ethnopsychanalyse que j’ai eues, en groupe, avec elle, Emilie me dira que cette liaison incestueuse avec son oncle avait fini par constituer un attachement paradoxale de sorte que quand l’oncle ne venait pas la voir comme d’habitude pour le rituel sexuel, elle se sentait plus angoissée et abandonnée. Mais elle nous avait décrit un phénomène très connu et cliniquement décrit par Sandor Ferenczi dans son texte de 1933 sur la « Confusion des langues entre les adultes et l’enfant » et repris sous d’autres formes dans ces écrits sur le traumatisme (2006), le concept du clivage du moi où une partie de soi fait des choses, pose des actes que l’autre partie ignore. Phénomène que l’on retrouvera fonctionnant de manière répétitive chez Emilie-Fleur dans ses différentes rencontres sexuelles en Europe avec divers hommes. Cette errance d’Emilie-Fleur au Cameroun se termine donc à l’âge de neuf ans (soit en 1989) dans des conditions singulières où une fois de plus, la « confusion » et le « flou » seront au rendez-vous : - Certains membres de la famille pensaient que juste avant la décision de faire voyager la gamine en France, Emilie-Fleur était en « situation d’urgence médicale » : « il fallait faire quelque chose sinon la fillette mourrait faisant ainsi allusion à son aspect physique de fillette de cinq ou six ans alors qu’elle en avait quasiment 9 ans ; - D’autres membres pensaient qu’il fallait protéger Emilie-Fleur : faisant là, en revanche, allusion aux relations incestueuses intrafamiliales décrites ci-dessus. A son arrivée en France, Emilie-Fleur est accueillie dans une famille monoparentale, dans laquelle sa demi-tante maternelle qui a obtenu la tutelle de la fillette, avait déjà accueilli cinq ans auparavant son demi-frère que nous désignerons par Caïn, le même avec qui elle s’était retrouvé dans une des familles maternelles qui le battait abondamment à la moindre bêtise. C’est précisément vers l’âge de quatorze ans que va recommencer de nouveau une errance en France qui la transportera d’institution en institution et de famille d’accueil en famille d’accueil. Révélation des premières difficultés en France C’est en 1994 que les ennuis d’Emilie-Fleur commencent en France. Elle est admise au collège. De retour d’un voyage en Angleterre avec le collège, voyage qui a duré un mois, Emilie annonce à sa tante (qu’elle appelle sa mère conformément aux coutumes des bantous d’Afrique centrale), dans une sorte d’anticipation de la prochaine visite chez le gynécologue, qu’elle a eu des rapports sexuelles avec un garçon pendant son séjour à Londres. La tante s’est mise alors dans une colère noire et a convoqué aussitôt le conseil de famille pour juger et sermonner Emilie-Fleur, qui d’après la tante, avait jeté la honte et surtout l’opprobre sur la famille. Sa tante vivait cette « transgression » sexuelle de sa nièce comme un échec cuisant et personnel de sa fonction d’éducatrice. Il faut signaler que depuis l’âge de 9 ans et demie la tante emmenait périodiquement Emilie-Fleur chez une gynécologue qui avait pour mission de vérifier la présence intacte de l’hymen chez la gamine ( J. Ondongo, 1989 ). Rappelons également que cette tante que nous nommerons « Tatie Danielle » allusion à un film célèbre du français Etienne Chatiliez, avait en quelque sorte sacrifié sa propre « procréation » pour soigner et élever les enfants de la famille en particulier de ses frères et sœurs en envoyant chaque mois de l’argent pour leur entretien ou en faisant venir quelque uns en France pour s’en occuper. La tension et la pression exercée par cette famille (le demi-frère, l’oncle et la tante) autour de l’adolescente vont durer jusqu’en 1997. Pendant deux ans, Emilie-Fleur va faire trois 7 tentative de suicide par absorption de médicaments : en octobre 1996, en janvier et en juin 1997. C’est au détour d’un dessin exécuté par l’adolescente en classe en avril 1997 que l’attention d’un de ses professeurs fut attirée par le comportement assez décousu et un peu « étrange » que commençait à présenter Emilie-Fleur. A cette occasion, elle confiera à son Professeur qu’elle se sentait « envoûtée ». Alertée par le Professeur, l’assistante sociale du collègue aura un long entretien avec Emilie-Fleur. C’est au cours de cet entretien qu’elle va relater à l’Assistante sociale, les difficultés de dialogue en famille et les relations très tendues qu’elle entretient avec le demi-frère aîné. Puis elle relatera des incidents dont deux tentatives de suicides qui se sont produites à la suite des disputes intrafamiliales. En effet, il semblerait qu’EmilieFleur s’était mise dans une situation très difficile vis à vis de sa famille ; elle aurait répondu à une annonce dans un petit journal et s’était retrouvée inscrite dans une agence matrimoniale… Vers la mi-juin 1997, Emilie–Fleur s’est rendue dans une consultation d’urgence de l’hôpital Tenon suivie de dépôt de plainte contre le demifrère aîné Caïn, pour « coups et blessures ». A la suite de tous ces événements, des tentatives de « médiation familiale » se sont mises en place entre Emilie-Fleur et sa famille ; une consultation de psychiatrie transculturelle fut proposée au centre Minkoswka (mais elle ne verra jamais le jour). Des balbutiements de prises en charge médico-psychologiques (consultations aux CMP du 20ème et du 11ème arrondissements) seront instituées mais très rapidement interrompues par Emilie-Fleur Ces interventions médico-psychologiques et de médiation, malgré leur brièveté, avaient néanmoins permis une amélioration des relations d’Emilie-Fleur avec sa famille et une meilleure intégration scolaire en dépit de mauvais résultats enregistrés pendant toute cette période d’agitation. Elle choisira de s’orienter vers le métier de tailleur et styliste. Cependant, il persistait, malgré toute l’aide extérieure à la famille, un « fond conflictuel » entre Emilie-Fleur et les siens en particulier avec le demifrère et l’oncle qui se manifestait par : - des violences physiques et verbales avec le demi-frère aîné ; - des inquiétudes de l’oncle et de la tante par rapport au comportement d’Emilie-Fleur jugée difficile et à risque car elle se met régulièrement en danger en suivant des hommes inconnus qui la sollicitent dans des lieux publics. A 17 ans et demi, en Avril 1998, Emilie-Fleur s’est faite agressée dans un squatte du 3ème arrondissement par trois jeunes garçons qui l’ont draguée à la station de métro les Halles et qu’elle aurait suivi sans se poser trop de questions. Ces jeunes gens l’ont séquestrée et violée à tour de rôle de 17 heures au lendemain 11 heures du matin, un certain 21 avril. Encouragée par sa copine et sa mère chez qui elle s’était réfugiée, craignant la réaction violente de sa parenté pour son absence pendant plus de 12 heures de l’appartement familial, Emilie-Fleur ira d’abord consulter le planning familial pour s’assurer qu’elle n’a pas été contaminée par le Sida ou contracté une grossesse, puis elle ira à la brigade des mineurs déposer une plainte contre ses assaillants et violeurs. Cette agression sexuelle subie par Emilie-Fleur le 21 avril 1998 arrivait donc sur ce « fond conflictuel » déjà évoqué et constituait pour la famille la goutte d’eau qui 8 faisait déborder le vase. Cette agression qui avait réveillée chez la tante, l’oncle et le demi-frère l’amertume, le sentiment d’échec de la famille dans l’éducation d’EmilieFleur, semblait se cristalliser sur la culpabilité de l’adolescente et se résumer dans la phrase prononcée par la tante, après avoir ravi les clefs de l’appartement à la jeune fille, retiré le numéro du téléphone de l’appartement et l’avoir privée de tickets de métro et bus pour se rendre au lycée professionnel, phrase selon laquelle : « elle devait boire le bouillon jusqu’au bout pour bien prendre conscience de ce qu’elle avait fait et pour ne plus recommencer, étant donné qu’elle avait été à plusieurs reprises, mise en garde !». Emilie-Fleur de retour dans la famille, après son audition à la brigade des mineurs qui avaient entre temps, alerté la tante, sera accueillie par l’oncle qui va la battre violemment et elle va de nouveau subir l’hostilité agressive du demi-frère aîné qui avait commencé, à ce moment là, des études d’ingénieurs. C’est dans un état de choc émotionnel, de fatigue généralisée, accompagnée par un traitement psychiatrique assez conséquent qu’Emilie-Fleur se confiera à l’infirmière de son école et à l’assistante sociale qui vont sur demande de l’adolescente, après avoir pris l’avis de la tante, l’orienter vers l’association Paris Ados Service pour être protégée de la famille et d’elle-même. C’est pendant cet entretien déterminant pour l’orientation de la jeune fille vers les services de protection de l’enfance que les travailleuses sociales apprendront qu’Emilie-Fleur, depuis son arrivée en France couchait dans la même chambre que son demi-frère aîné et plus encore, elle partageait son lit dans un climat on ne peut plus incestueux. D’où l’hostilité grandissante entretenue par ce frère et son désir pressent de voir Emilie-Fleur, qui l’avait déçu par son comportement quelque peu « dépravé », de sortir de la famille. Cette dernière information sera confirmée par la tante lors de son entretien téléphonique avec les collègues du service social de l’école. Les jeunes personnes qui l’ont sexuellement violentée seront traduit en justice et la famille, dans un premier temps réticente à toute poursuite judiciaire va, sur conseil de leur avocat, accompagner Emilie-Fleur dans sa quête de justice avec une grosse demande de préjudice moral et physique. Le juge des enfants, alerté par Paris Ados Service, prendra une ordonnance de placement pour confier l’adolescente à l’Aide Sociale à l’Enfance. C’est ici que commencera de nouveau une errance de placement que je vais résumer en quelques phrases : - Emilie-Fleur quitte le domicile familial le 11 mai 1998 - Elle est accueillie par Paris Ados Service jusqu’au 28 mai 1998 - Placée dans l’hôtel des Alliés, elle y résidera jusqu’au 3 juin 1998 - Puis dans un centre d’accueil provisoire jusqu’au 3 juillet 1998 - Elle est ensuite remise à une famille d’accueil dépendant de l’Accueil Pyrénéa jusqu’au 4 août 1998 - De nouveau envoyée dans un centre d’accueil jusqu’au premier octobre de la même année. - Emilie-Fleur est ensuite logée dans un foyer de jeunes travailleurs ALJT à Cachan jusqu’au 23 avril 1999. - Enfin, au moment où l’association Déméter recherche action est intervenue auprès de cette jeune femme de 19 ans, elle était logée dans un autre foyer de jeunes travailleurs (ALJT) situé cette fois-ci à Paris. Comme on le voit, cette jeune fille meurtrie dans sa chair et dans sa tête n’avait pas fini son errance, commencée en terre camérounaise à un an et demi qui se 9 poursuivait en terre française dans une détresse toujours renouvelée et dans une quête affective toujours béante. Notre conclusion et hypothèse de travail après le recueil de tous ces éléments historiques et cliniques de son parcours chaotique au Cameroun et en France étaient de dire qu’il y avait une sorte d’unanimité des différents adultes intervenant auprès d’Emilie-Fleur pour constater « qu’elle se mettait régulièrement en situation de danger ». Emilie–Fleur présentait le profil type de l’enfant abandonnique, se manifestant par une quête affective envers l’adulte, sans valeur de soi , dans une sorte d’auto-dévalorisation que confirmait la répétition des situations de mises en danger. Il était décrit assez régulièrement une espèce de fascination face à cette jeune fille : « Emilie-Fleur apparaissait tantôt comme une fille mature, sachant ce qu’elle voulait » ; Puis subitement sa lucidité s’évanouissait, elle tombait dans une méconnaissance du danger « comme un enfant ». Emilie-Fleur était donc décrite tantôt comme une adulte réfléchie, entreprenante, plein de projets, tantôt comme une petite enfant insouciante, prête à suivre et à se donner au premier venu. On peut dire qu’Emilie-Fleur, ayant fait des expériences de ruptures précoces dès la prime enfance et secondaires au Cameroun et ici en France devait être hantée par des bribes de représentations partielles « des items culturelles négatifs » se manifestant par des troubles de sommeil avec des terreurs nocturnes liées probablement à l’apparition d’images mythologiques de l’univers Camerounais telles que nous les avons identifiées dès l’évaluation avec les professionnels. Il nous paraissait indispensable dans le travail à faire avec Emilie-Fleur de maintenir malgré la violence de la famille tutélaire, les quelques liens familiaux qui avaient été créés pendant les neufs dernières années vécues en France où il y a eu une certaine continuité et une certaine permanence d’un cadre contenant dans l’espace et dans le temps. COMMENTAIRES Après l’évaluation pour l’examen entre professionnels de la situation de la jeune Emilie-Fleur originaire du Cameroun, évaluation demandée par l’éducatrice spécialisée à l’ASE section du 20ème arrondissement de Paris, trois consultations exploratoires d’ethnopsychanalyse et un suivi psychothérapique individualisé avec Mlle Emilie-Fleur ont eu lieu de mars à juillet 2000. Un travail important de réparation des préjudices psychiques vécus par Mlle Emilie- Fleur a été entamé dès la première séance d’ethnopsychanalyse. Un remaniement profond a commencé à voir le jour dès la seconde séance du 27 avril 2000. Et c’est à la troisième séance collective, celle du 19 juin que le groupe apprendra qu’Emilie-Fleur est enceinte d’un copain qui l’aime beaucoup et qui accepte d’assumer pleinement la responsabilité de la mère et l’enfant à naître. C’est une séance qui s’est déroulée dans la bonne humeur malgré les angoisses verbalisées par Emilie-Fleur à propos d’une certaine malédiction qui toucherait les femmes de sa famille et dont elle craindrait d’en être elle-même victime avec son futur bébé. Elle justifie cette peur en nous citant l’exemple de « Tatie Danielle » qui l’a accueillie à Paris et qui n’a pas procréée à ce jour, de sa mère qui est morte relativement jeune, d’une de ses sœurs qui aurait eu du mal à enfanter etc. Il faut ajouter à « ces malheurs » qui s’abattent sur les femmes de sa tribu, les problématiques d’inceste qui parcourent l’histoire de la famille… 10 C’est une prise en charge qui a commencé pour Emilie-Fleur par l’annonce d’une nouvelle rupture. En effet, dès la première séance d’ethnopsychanalyse, son éducatrice référente jusqu’à cette date, auprès de qui elle avait bénéficié d’un soutien extrêmement important, chaleureux, humain et encadrant lui annonçait son départ pour l’annexe dans une autre ville et hors l’Île-de-France à la fin du mois d’avril 2000. C’est avec cette nouvelle donne du parcours historique et migratoire d’EmilieFleur, combien déjà semé de ruptures multiples, que l’association Déméter a démarré les prises en charge cliniques exploratoires. Comme nous l’avons laissé entrevoir dans les lignes précédentes, la présence empathique du groupe de thérapeutes de Déméter, la présence soutenante de son éducatrice et de la collègue psychologue de l’ASE qui l’a suivie pendant quelques séances en entretiens cliniques ont permis, très rapidement à Emilie-Fleur, malgré ses craintes liées au premier contact avec l’équipe, de s’installer dans le processus thérapeutique. Le « portage anthropologique » procuré par le dispositif collectif du groupe d’ethnopsychanalyse a favorisé l’aisance avec laquelle la jeune fille a pu dérouler son histoire douloureuse depuis sa tendre enfance jusqu’à sa majorité juridique. Ce travail collectif intense, appuyé par le suivi psychothérapique individuel qui s’est relativement vite instauré entre la Emilie-Fleur et moi-même, a permis une amorce d’élaboration étonnante des mécanismes psychiques de deuils qui étaient jusqu’alors suspendus dans le développement psychologique de cette jeune personne. Ce début d’élaboration psychique de ses problématiques familiales a permis également à la jeune fille de relativiser des angoisses et craintes associées aux représentations culturelles menaçantes qui envahissent régulièrement ses pensées conscientes et ses productions oniriques. Ce cadre et cet accompagnement sécurisants lui ont permis de réaliser son désir le plus pressent qui est de vérifier sa capacité de donner la vie et par conséquent de repousser les représentations et mythes de « malédiction » qui sont sensés poursuivre toute la lignée féminine de son clan familial. Emilie-Fleur nous a appris, au cours de la dernière séance collective de juin et en psychothérapie individualisée, qu’elle avait fait plusieurs tentatives, auparavant, d’avoir un enfant avec son copain actuel mais elle n’a jamais réussi à mener à terme ses premières grossesses. Il semble donc que c’est, entre autres, l’alliance thérapeutique scellée avec le groupe d’ethnopsychiatrie de Déméter qui a levé les blocages psychiques qui empêchaient Emilie-Fleur de mener à terme ses grossesses. Néanmoins, la psychothérapie entamée par Emilie-Fleur a montré l’existence d’une certaine fragilité psychique encore intense, un besoin réel d’être accompagnée sur le plan anthropologique et psychique. Emilie-Fleur semblait encore périodiquement envahie par des images anciennes de souffrance psychique infantile. Il y a certaines phobies nocturnes, les angoisses de l’enfance, les traces de séquelles sexuelles longtemps subies par la jeune femme qui remontent assez régulièrement à la surface, en particulier depuis le troisième mois de grossesse. La toute dernière séance qui redémarrait son suivi psychothérapique à la fin du mois d’août avec moi, a apporté des justifications par rapport aux craintes évoquées ci-dessus et les réserves d’ordre clinique émises à propos de sa fragilité psychique. Emilie-Fleur a connu, en effet, plusieurs chutes pendant les vacances, chutes précédées par des sensations de vertiges et de perte de connaissance. Cette situation a obligé son copain à limiter les 11 déplacements d’Emilie-Fleur et de les faire accompagner par la présence d’une personne (la sœur du copain ou une amie du couple). Cependant, Emilie-Fleur a besoin de se tester, de développer une certaine autonomie, de choisir les gens, les moments et les choses qu’elle peut réaliser seule. Ainsi elle garde un très bon contact dans sa famille avec la femme de son oncle maternel qui l’a soutenue depuis son arrivée en France. Son copain et elle rendent périodiquement visite à « Tatie Danielle », malgré l’hostilité que cette dernière manifeste à l’égard du copain d’Emilie-FLeur. Ces consultations collectives furent donc relayées par la prise en charge psychothérapique individualisée d’Emilie-Fleur, psychothérapie conduite par moimême dans mon Cabinet privée à Vitry-Sur-Seine. Ces consultations individualisées eurent lieu dans la période de mai à juillet, puis de fin août à fin décembre 2000. Elles avaient dans l’ensemble confirmé l’existence d’une grande angoisse manifestée par Emilie-Fleur lors des séances collectives. Mais ces séances permirent également de mesurer la détermination psychique et mentale de la jeune femme de sortir de son enfermement familial et psychoculturel. On peut estimer que Mlle Emilie-Fleur, bénéficiant d’un soutien psychologique intense, régulier et approprié pendant toute sa grossesse et après son accouchement pourrait naturellement reprendre ses études et terminer sa formation professionnelle sans rencontrer de très grosses difficultés. Emilie-Fleur était une jeune femme consciente de ses atouts et préoccupée par son devenir à qui il fallait juste apporter une aide psychologique adaptée pour l’aider à parachever sa maturité et à se réaliser dans sa vie de femme et de mère. EN GUISE CONCLUSION J’avais en fait personnellement suivi régulièrement Mlle Emilie-Fleur à raison de deux séances de psychothérapie individuelle par semaine et rencontré à deux reprises Emilie-Fleur en groupe de consultation d’ethnopsychanalyse avec son compagnon après le mois de juillet 2000 date de l’arrêt des consultations exploratoires. Il ressortait de ces deux séries de suivis cliniques, les faits suivants : - Emilie-Fleur connaissait depuis le début de sa grossesse une série de petits malaises avec une certaine inquiétude autour des vertiges fréquents ressentis par la jeune femme en général et en particulier des évanouissements dont elle était souvent victime. Des examens biologiques avaient été effectués à maintes reprises sans montrer aucune anomalies métabolique. Il s’agissait donc d’un vécu psychologique voire psychosomatique. - Emilie-Fleur était donc en proie aux bouffées d’angoisse périodiques qu’ensemble nous avions commencé à élucider. Il semblait dans l’ensemble que ces bouffées d’angoisse survenaient lorsque les pensées autour des représentations traditionnelles ou plutôt de son univers camerounais infantile sur la « malédiction » qui était sensée poursuivre les femmes de sa famille maternelle envahissaient sa psyché. Son compagnon avait décidé de la faire assister par sa sœur et par une amie. - Elle avait une immense peur pour elle et pour l’enfant en gestation. - Emilie-Fleur avait, lorsque j’ai arrêté la prise en charge en décembre 2000, quelques difficultés d’ordre psycho-sexuel dans le rapport à son compagnon car malgré l’estime voire l’amour réciproque que les deux jeunes ressentaient l’un 12 envers l’autre, elle semblait encore demeurer « l’otage » psychologique du système d’évasion ou clivage psychique mis en place dans sa tendre enfance lors des abus sexuels dont elle avait été victime au Cameroun. C’est un facteur d’inhibition très important chez cette jeune personne, inhibition qui pouvait déteindre sur toutes ses activités futures aussi bien intellectuelles que sur le plan de l’épanouissement de sa personnalité. - Cependant Emilie-Fleur était décidée à suivre un traitement psychologique régulier pour elle et son enfant à naître afin de prévenir les interactions pathologiques éventuelles. Ce travail d’accompagnement psychothérapique devait également permettre à la jeune femme d’envisager, dès la rentrée scolaire prochaine, en septembre 2001, la reprise des activités scolaires ou de formation professionnelle qu’elle avait interrompues au début de l’année 2000. Nous subodorions quelques difficultés pour cette reprise des activités intellectuelles. - Enfin Emilie-Fleur avait peu à peu entrepris, avec notre soutien, de renouer des relations momentanément interrompues avec sa famille à l’annonce de sa grossesse dès avril 2000. Ce rétablissement de liens avec sa famille me semblait important car Emilie-Fleur était une « enfant abandonnique » qui n’avait pas connu son père et qui avait très tôt perdu sa mère. Elle avait besoin de garder un minimum de contacts en France avec sa famille, en particulier avec sa tante qui l’avait faite venir à Paris et hébergée pendant plusieurs années et le soutien de son oncle maternel qui est leur chef de famille en France. Nous proposions d’accompagner la jeune femme dans sa famille, de renouer avec sa tante, dans un esprit de médiation familiale. Dans cette situation nous avions montré l’excellent travail psychique accompli par la jeune femme avec une volonté affichée de sortir des problématiques familiales conflictuelles et douloureuses. Nous avions noté aussi la fragilité psychologique d’Emilie-Fleur et l’importance du suivi psychothérapique de cette jeune personne pendant toute la période de sa grossesse et après l’accouchement. Nous subodorions que cet accouchement pourra être difficile et surtout psychiquement éprouvant pour la jeune même si par ailleurs, elle semblait heureuse d’attendre cet enfant longtemps désiré. Aussi nous proposions une prise en charge plus longue pour cet accompagnement thérapeutique de la future mère et ensuite d’Emilie-Fleur et son enfant pour prévenir les interactions pathologiques susceptibles de s’installer chez cette jeune maman en préparation. Mais malheureusement l’Ase ne nous accorda pas la suite de la psychothérapie mère-enfant. Nous avions eu tout de même quelques nouvelles de la jeune femme qui entre temps avait accouché d’un petit garçon et que la mère et l’enfant se portaient bien aux dernières nouvelles. Vitry-sur-Seine, mai 2006 13 BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE DIOP C.A 1960 – L’Unité culturelle de l’Afrique Noire, Paris, Présence Africaine 1977 – Parenté génétique de l’égyptien pharaonique et des langues négroParis, Dunod. 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