La loi des cabinets

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La loi des cabinets
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Passer des examens en clinique.
Dormir nous permet de tout oublier il arrive même qu’on oublie de respirer. On
appelle cela des apnées du sommeil. Lorsque ces dernières deviennent trop
importantes, la personne qui dort à vos côtés s’inquiète. Il lui arrive même de
paniquer ! Alors, craignant de vous voir mourir à la « Tonton Cristobal », elle vous
pousse à consulter un spécialiste. Vous avez beau alléguer que mourir en dormant
est la plus douce des morts, rien n’y fait. On vous harcèle sans relâche jusqu’à ce
que rendez-vous chez le pneumologue soit pris. C’est donc ce que je fis, afin de
mettre fin aux incessants conflits.
Après 2 rendez-vous reportés à cause de soi-disant « erreurs de planning », me voilà
finalement dans la salle d’attente bondée d’une clinique réputée. Je suis arrivé à
l’heure, car je suis de ceux qui se font un honneur d’arriver pile-poil aux rendezvous, et même un peu en avance. Seulement, je ne sais si vous l’avez remarqué,
mais le simple fait de mettre un pied dans une salle d’attente de spécialiste ou de
généraliste équivaut à subir un emprisonnement d’une durée indéterminée. Je me
dis parfois qu’il faudrait faire une thèse de doctorat en statistiques sur ces temps
d’attente dans ces cabinets médicaux. Cela permettrait certainement de découvrir
une nouvelle loi de probabilités que je propose d’appeler la loi des cabinets. On
pourrait alors dire aux patients que le temps d’attente obéit à « la loi des
cabinets ».
Il serait utile d’ajouter cette loi aux études suivies par les carabins, lors de leur
cursus universitaire. À mon avis, cela ne rajouterait que peu au côté ubuesque des
mathématiques qu’ils ingurgitent pendant leur première année de concours.
Si vous êtes là (dans la salle d’attente), c’est que vous êtes malade et si vous êtes
malade, vous n’avez pas d’autre issue que de prendre votre mal en patience, ce que
nous faisons tous d’instinct, et attendre d’être soigné.
Ce qui est vrai pour les médecins ne l’est pas moins pour leurs secrétaires. Ce jourlà, par exemple, je me mis en quête des toilettes,. Ne les trouvant pas, je me rends à
l’accueil du service de pneumologie, personne, j’aperçois par une porte entrouverte
3 secrétaires qui jouent sur un ordinateur j’ose un pas à l’intérieur et m’en fais
éjecter par une volée de bois vert. « VERBOTEN ! ». L’accès à ce lieu sacré est
strictement interdit. Me confondant en excuses, je me défausse en accusant ma
prostate. Après avoir été remis à ma place assez sévèrement, il faut savoir se faire
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respecter, on n’est pas dans un collège ou un lycée – ici en clinique l’autorité
existe, il y a même un service de sécurité, alors être un peu brusque avec les clients,
pardon les patients, rehausse le standing. Je retourne m’asseoir, penaud, en
attendant d’être appelé.
Après une heure et demie d’attente, mon nom est enfin clamé. Surpris, je sursaute,
ayant l’impression de sortir d’un mauvais rêve après m’être laissé aller au sommeil –
l’attente et la chaleur n’y étant pas pour rien). Je cherche d’où vient la voix. Je
n’ose pas m’adresser à la secrétaire qui m’a déjà semoncé et par bonheur je
découvre un petit monsieur en blouse blanche tenant à la main un dossier où je lis
mon nom. Je me manifeste d’un respectueux : « Docteur, je crois que vous m’avez
appelé. »
Le spécialiste, un homme pressé, très occupé, me pose les questions d’usage. Il me
pèse, me mesure, me pique le doigt pour faire une analyse de sang au robot Marie
(du temps de perdu selon moi, car cela pourrait être fait par quelqu’un d’autre, une
assistante médicale par exemple, ce qui modifierait avantageusement la « loi des
cabinets »), me demande mon âge, ma profession : « Prof de maths ? Ah ! » Il
semble impressionné (intéressé, tout du moins). Et le voilà parti à me raconter
combien il était fort en maths quand il était petit, comment il aide sa benjamine qui
est en 4e, etc. Puis il me prend la tension, me fait souffler dans un tuyau (ça
s’appelle un spiromètre, mais bon ça reste un tuyau !) Ensuite, l’analyseur du
spiromètre dessine une jolie courbe, que le thérapeute s’empresse de me montrer en
m’expliquant : « Vous voyez, quand la courbe monte c’est quand vous inspirez,
quand elle est plate c’est quand vous bloquez votre inspiration et quand ça descend
c’est quand vous expirez ! » J’étais impressionné que le truc au bout du tuyau sache
autant de choses sur moi, sans qu’on ait même été présentés.
« C’est tout pour aujourd’hui », déclare-t-il alors. Pour une analyse exacte de mon
apnée , il faudra que je prenne rendez-vous. Il est nécessaire de passer une nuit
complète à la clinique de telle sorte que l’on pourra me poser des capteurs destinés
à examiner comment je dors. Sitôt dit sitôt fait, je reprends rendez-vous pour le
mois suivant.
Un mois plus tard
Hospitalisation à 15 heures – j’ai appris depuis par mon médecin généraliste qu’on
peut faire ces analyses soi-même chez soi ! Pourtant, je pense être dans une clinique
à gestion optimisée. Je garde mes doutes pour moi. À 18 heures, repas de malade. À
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21 heures, un homme en vert vient me mettre des capteurs partout sur la tête, la
gorge, la poitrine, le doigt (particulièrement désagréable ce capteur digital, mais
OBLIGATOIRE). Tous ces capteurs sont reliés à un cerveau analyseur. L’homme
allume plusieurs boutons, il y en a un qui ne marche pas, il recommence, éteint tout
pour réinitialiser la machine, rallume. Ça ne fonctionne toujours pas. Il
recommence plusieurs fois, sans plus de succès. À la fin, il devient philosophe et
décide que ce n’est pas grave et il laisse ça comme ça.
Je me dis que si ce n’est pas grave que ce capteur et ce bouton ne me marchent pas,
pourquoi ne pourrait-on pas laisser tomber les autres capteurs ? Ce qui est bon pour
un capteur (le laisser tomber) devrait être valable pour les autres (les laisser tous
tomber). Comme ça je passerai une nuit tranquille à regarder la télé. Ce ne sont pas
les 400 euros facturés par la clinique à la sécu qui seraient scandaleux. Et au moins,
j’aurais eu un repas de malade !
Ensuite, l’homme me laisse, non sans m’intimer un ordre strict : « NE PAS BOUGER
PENDANT LA NUIT ! » Cela risquerait de débrancher un capteur, et il faudrait alors
recommencer la folle nuit d’analyses. « PAS BOUGER, COMPRIS ? ! » Ok, Ok, je ne
bouge pas, mais je ne dors pas non plus, à 2 heures, 3 heures du matin je n’ai
toujours pas fermé l’œil ! À 4 heures, j’enlève le capteur de mon doigt. Tant pis
pour les conséquences, j’ai trop mal. Puis les heures passent…
À 8 heures du matin, une femme en blanc me réveille. Elle me débranche, relève
toutes les données enregistrées par le cerveau électronique. Je suis libre, je peux
aller déjeuner à la cafétéria de la clinique, rendre ma télécommande de télévision
pour récupérer ma caution (il y a beaucoup de produits dérivés dans les cliniques).
Ensuite, je n’aurais plus qu’à aller faire un scanner du thorax. Or le scanner est aux
urgences ! Ce qui veut dire que le temps d’attente est quasiment doublé !
J’ai mal dormi, pour ainsi dire pas dormi du tout, et je suis au bord du malaise dans
l’attente du scanner. Au bout d’une heure et demie d’attente, je récupère mon
scanner. (Finalement, la « loi des cabinets » me semble être une constante, variable
en fonction de la clinique choisie, ici une heure et demie). Puis il est temps de
retourner voir mon pneumologue avec mon scanner. Même temps d’attente que
précédemment. Évidemment je suis toujours dans la même clinique !
Les apnées d’abord. Analyse des résultats : « Vous êtes drôlement mal fichu ! À se
demander comment vous avez pu survivre jusque-là ! Vite, vite, on vous prescrit un
appareil au top du progrès et on vous le certifie : la différence se fera sentir dès le
premier jour.
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Le scanner ensuite. Un peu inquiétant : on détecte 2 petits nodules, un de 8 mm,
l’autre de 6. En dessous de 1cm, les nodules sont considérés comme nonsignificatifs, mais le principe de précaution veut que l’on refasse un scanner dans
un mois pour suivre l’évolution... Sitôt dit sitôt fait, je reprends rendez-vous pour
cet examen de vérification le mois suivant.
Entre temps, on m’a livré à domicile l’appareil au top de la technologie moderne. Il
ressemble à un gros aspirateur, qui au lieu d’aspirer souffle de l’air. Il est muni d’un
tuyau qui se termine par un masque en plastique couvrant le nez et y insufflant de
l’air. Et il va falloir dormir avec ce truc toute la nuit ! Selon la publicité, 95 % des
patients supportent cet appareil. Cette statistique me semble suspecte. Sans doute
un argument inventé par le fabricant, mais non testé réellement en laboratoire
indépendant. Je fais donc partie des 5 % des gens qui ne supportent pas cet
appareil. Je suis incapable de dormir avec. Après 15 jours d’efforts pour m’adapter,
je jette l’éponge. La personne chargé du suivi de l’appareil à qui j’explique mon cas,
me propose de faire d’autres réglages. Je confie à cette personne que j’ai encadré
plus d’une centaine de projets techniques en école d’ingénieurs. M’appuyant sur
cette expérience, je lui affirme que quelques élèves, pourtant néophytes, seraient
capables d’apporter des modifications à cet appareil pour le rendre plus
supportable. Des améliorations sûrement efficaces pour de meilleurs résultats !
Hélas, mes paroles tombent dans l’oreille d’un mal entendant. Une chose est
certaine, je n’utiliserai plus l’appareil.
Le mois suivant, retour au scanner ! Une heure et demi etc. Direction le
pneumologue, mon scanner à la main, une heure et demie etc. Les nodules ont
évolué, de 8 mm à 9 et de 5 à 6 mm. Mais le pneumologue a un doute, car la clinique
a changé de scanner. Y-a-il évolution des nodules, ou ces différences proviennentelles du changement de scanner ? Les nodules restent néanmoins non significatifs.
Par prudence, le médecin me prescrit un pet-scan (un scanner complet avec
irradiation) à réaliser dans les 2 mois suivants. Et dans une autre clinique.
2 mois après je suis au pet-scan de l’autre « crémerie ». Là, c’est du sérieux ! La « loi
des cabinets » est ici d’une demi-heure, mais il faut être à-jeun. On m’ injecte un
liquide radioactif qui met un peu plus d’une heure à faire le tour intérieur de mon
anatomie. Au bout du compte, la « loi des cabinets » reste identique à celle de
l’autre clinique… L’examen dure un peu plus de 20 minutes, qui sont très très
longues quand on est claustrophobe. Après cet examen, il est interdit de côtoyer
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femme enceinte ou un enfant pendant 24 heures à cause de la radioactivité.
Les résultats sont envoyés uniquement à mon médecin généraliste, mon
pneumologue n’ayant pas bien accepté que je refuse d’ utiliser son aspirateur pour
mon apnée, un froid s’est installé dans nos relations. J’ai décidé de ne plus le revoir.
La secrétaire a bien envoyé les résultats à mon généraliste, mais elle les a envoyés
sur son numéro de téléphone et non sur son numéro de fax. Je téléphone à la
clinique pour leur signaler l’erreur, ça prend presque une demi-heure pour tout
expliquer. C’est qu’il s’agit d’un problème de santé, et les temps de réflexion sont
toujours très longs, car les erreurs peuvent être fatales. La secrétaire a bien
compris, il faut envoyer les résultats au numéro du fax. Ce qu’elle va faire. Quand je
rappelle mon médecin rien n’a été fait. Heureusement que je connais bien mon
généraliste, sinon il m’aurait envoyé bouler. Finalement, il décide de téléphoner luimême, car il sait mieux que moi expliquer la différence entre un numéro de fax et
un numéro de téléphone.
Il reçoit les résultats ! Rien d’inquiétant. Peut-être juste une infection ! Conseil du
spécialiste : un traitement antibiotique à haute dose. Puis une vérification de
contrôle dans 2 mois par un scanner simple. Ce que l’on a fait. Pour ne rien trouver
de significatif. Mon médecin décide de ne pas donner suite…. Il y a 15 jours, j’ai
entendu qu’une équipe de médecins niçois a mis au point une détection du cancer
du poumon par une simple prise de sang. Cela représente une avancée considérable
de la détection du cancer du poumon, qui est très difficilement détectable au
scanner, ont précisé les médecins découvreurs. Alors, je comprends tout
maintenant ! 4 scanners dont un pet-scan pour dire qu’on ne peut rien dire. Je suis
impatient de savoir quand ce nouvel examen arrivera dans les laboratoires. Pas
avant quelques années, je suppose. D’ici là, l’eau coulera sous les ponts. Et la loi des
cabinets continuera à être consciencieusement appliquée !
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