PRÉFACE Patrick WÉRY (2) 1. Le droit des contrats internationaux

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PRÉFACE Patrick WÉRY (2) 1. Le droit des contrats internationaux
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PRÉFACE
Patrick WÉRY (2)
1. Le droit des contrats internationaux est un remarquable terrain
de recherche pour tout qui s’intéresse à la pratique contractuelle. On y
voit les rédacteurs donner libre cours à leur imagination pour mettre
en forme les accords et les clauses les plus divers et épouser au mieux
les nécessités de la pratique. L’étude de ces clauses permet de porter
un regard nouveau sur de nombreuses questions classiques de la théorie générale des contrats et de débusquer de nouveaux problèmes (3).
Rédiger une bonne clause contractuelle est un exercice capital mais
oh combien difficile. Chaque mot, chaque virgule devraient idéalement
être soigneusement pesés. Les auteurs de cet ouvrage collectif
n’auront de cesse de le rappeler en se focalisant sur des clauses qui
s’intéressent aux suites de l’inexécution du contrat.
En guise d’introduction, il n’est pas inutile de rappeler, à larges
traits, le régime légal qui est applicable au manquement contractuel en
l’absence de clauses (4).
Avant toutes choses, le créancier doit, en principe, mettre son débiteur en demeure. La mise en demeure est un préliminaire obligé à la
mise en œuvre des différentes sanctions de l’inexécution.
Si cette mise en demeure s’avère vaine, le créancier est en droit d’exiger l’exécution en nature des obligations, que ce soit par le débiteur
défaillant ou par un tiers (ce sont les art. 1142 à 1144 du Code civil).
Lorsque cette exécution en nature n’est pas possible ou lorsqu’elle est
(2) Professeur ordinaire à l’Université catholique de Louvain, Président du Centre de droit privé.
(3) Un groupe de travail, composé de juristes d’entreprise, d’avocats et de professeurs d’université
spécialisés dans les opérations de commerce international, se réunit, depuis 1975, pour se pencher sur
les principales clauses des contrats internationaux. Un excellent ouvrage Droit des contrats internationaux. Analyse et rédaction de clauses des professeurs M. Fontaine et F. De Ly a ainsi pu voir le jour
(M. FONTAINE et F. DE LY, Droit des contrats internationaux. Analyse et rédaction de clauses, 2e éd.,
Bruxelles, Bruylant, Paris, Forum européen de la Communication, 2003, 715 p.). Sur le sujet, voy. aussi
Les grandes clauses des contrats internationaux, 55e Séminaire de la Commission Droit et Vie des
Affaires, Bruxelles, Bruylant, Paris, Forum européen de la Communication, 2005, 386 p.
(4) À ce sujet, voy. not. P. WÉRY, Droit des obligations, volume I, Théorie générale du contrat,
Bruxelles, Larcier, 2e éd., 2011, p. 415 et s.
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abusive, le créancier doit se rabattre sur l’exécution par équivalent, en
mettant en œuvre les règles relatives à la responsabilité contractuelle du
débiteur ou, dans certains cas exceptionnels, sa responsabilité extracontractuelle : le débiteur devra alors réparer tout le dommage subi par son
cocontractant. Dans les contrats synallagmatiques, qui, en pratique, sont
de loin les plus nombreux (vente, entreprise, bail, etc.), le créancier
peut, si le manquement de son cocontractant est suffisamment grave,
demander en justice la résolution du contrat.
Le juge n’a toutefois pas le monopole de la sanction. Le droit positif
tolère aussi certaines formes de justice privée. On songe évidemment à
l’exception d’inexécution, qui permet au créancier de suspendre l’exécution de son engagement aussi longtemps que son cocontractant
n’offre pas de s’exécuter. On pense aussi à la résolution unilatérale du
contrat en certaines circonstances exceptionnelles.
2. Les dispositions légales relatives à ces diverses sanctions de
l’inexécution sont, en principe, supplétives de volonté.
Le législateur laisse ainsi le champ libre à l’imagination des parties.
Les clauses dérogatoires au droit commun sont extrêmement fréquentes dans la pratique (5).
Certaines clauses visent à améliorer le sort du créancier, en lui
reconnaissant différents droits sans intervention judiciaire préalable. On
songe aux clauses résolutoires expresses qui permettent au créancier de
résoudre la convention de plein droit, sans devoir obtenir une autorisation judiciaire préalable. On songe aussi aux clauses pénales, qui fixent
de manière anticipée un forfait conventionnel de dommages et intérêts.
D’autres clauses, à l’inverse, améliorent la situation du débiteur,
en restreignant voire en supprimant les droits que la loi accorde au
créancier. On pense, par exemple, aux clauses d’exonération ou de
limitation de responsabilité ou de garantie.
C’est à quelques-unes de ces clauses que le présent ouvrage, que
mon collègue et ami Maître Denis Philippe, professeur extraordinaire à
l’Université catholique de Louvain, est consacré.
Trois réflexions viennent à l’esprit à la lecture des différentes contributions.
3. Ces rapports confirment, tout d’abord, l’extraordinaire richesse de
la pratique contractuelle. Le caractère supplétif de la plupart des dispositions légales laisse libre carrière aux rédacteurs de contrats internationaux.
(5) À ce sujet, voy. P. WÉRY, op. cit., 2011, p. 675 et s.
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Les clauses de ces contrats permettent notamment de combler les
lacunes de certains régimes légaux. On songe, par exemple, aux vertus
des clauses de force majeure, qui seront présentées par Maître
Almeida Prado.
Les codes civils belge et français ont une conception très négative de la
force majeure : elle éteint l’obligation inexécutée et, souvent, par application de la théorie des risques, elle provoque la dissolution du contrat (6).
L’effet est radical. Trop radical, sans aucun doute, dans la pratique
des contrats internationaux. Les rédacteurs des clauses de force
majeure ont une approche beaucoup plus nuancée du phénomène. Ils
n’hésitent pas, en effet, à enrichir les effets qui s’attachent à la force
majeure. Les clauses relatives à celle-ci prévoient souvent que la force
majeure produit, en un premier temps, un effet suspensif pour tenter
de sauver le contrat.
Phénomène plus original, la force majeure peut aussi avoir un effet
créateur de droit, d’obligations. Force majeure et création d’obligations,
voilà, dans la conception du Code civil, deux expressions qui hurlent
d’être accouplées ensemble. Et pourtant, Maître Almeida Prado montre
fort bien l’éventail des obligations qui peuvent peser sur les parties confrontées à un cas de force majeure. Soit dit en passant, dans son Traité
des obligations, Pothier écrivait déjà, lorsqu’il exposait l’effet des obligations de la part du débiteur, sous le paragraphe « De l’obligation de
faire ou de ne pas faire » : « Lorsque celui, qui s’était obligé à faire quelque chose, a été empêché de le faire par quelque cas fortuit et force
majeure, il n’y a lieu à aucuns dommages et intérêts. Observez que je
dois, dans ce cas, vous avertir de la force majeure qui m’empêche de
faire ce à quoi je me suis engagé envers vous, afin que vous puissiez
prendre vos mesures pour y pourvoir par vous-même ou par un autre.
Sans cela, je n’éviterai pas les dommages et intérêts, à moins que cette
force majeure ne m’eût aussi ôté le pouvoir de vous faire avertir (7). »
4. Les droits nationaux qui régissent les questions liées à l’inexécution des obligations contractuelles ne donnent pas, loin s’en faut, des
réponses uniformes aux problèmes d’inexécution. Le choix de la loi
applicable par les parties revêt, dès lors, une grande importance. C’est
là notre deuxième réflexion.
Trois exemples parmi d’autres viennent étayer ces propos.
(6) P. WÉRY, op. cit., 2011, p. 543 et s.
(7) Œuvres de R.-J. Pothier, contenant les traités du droit français, éd. par Dupin aîné, t. I,
Bruxelles, Amsterdam, 1830, p. 39, n 148.
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a) Le régime des clauses pénales en droits belge et français, tout
d’abord.
Comme Monsieur Borello le montre, les clauses pénales revêtent
une grande utilité tant pour le vendeur que pour l’acheteur.
Les parties peuvent-elles fixer librement son montant ? En principe,
oui. Toutefois, l’article 1152, alinéa 2, du Code civil français permet au
juge de modérer, même d’office, la peine convenue si elle est manifestement excessive, ou de la majorer si elle est manifestement dérisoire.
Par ailleurs, il est permis en droit français de stipuler des « astreintes
conventionnelles », qui ne sont pas sujettes à révision par le juge.
On peut relever trois profondes différences avec le régime des clauses pénales en droit belge (8).
Primo, le Code civil belge n’habilite pas le juge à augmenter le montant de la clause si elle est manifestement dérisoire. Tout au plus, le
juge pourra-t-il la disqualifier en une clause exonératoire ou limitative
de responsabilité et l’invalider si, par exemple, elle touche à l’essence
même du contrat.
Deuxième différence : le droit belge ne connaît pas les astreintes
conventionnelles. Par essence, les clauses pénales sont nécessairement
indemnitaires. Elles ne peuvent, sous peine de réductibilité, être punitives (art. 1231, C. civ.).
Troisième différence : alors que le droit français permet au juge de
prendre en compte le dommage réellement subi par le créancier pour
apprécier le caractère manifestement excessif de la clause pénale, le
droit belge impose aux tribunaux de se fonder sur le seul dommage prévisible, sans avoir, en principe, égard au préjudice effectivement subi.
b) Les développements que Maître Philippe consacre au « dommage
prévisible » et au « dommage direct » permettent aussi de souligner les
différences qui opposent droits belge et français.
Selon la Cour de cassation belge, l’article 1151 qui exclut de la réparation le dommage indirect signifie tout simplement que seul le dommage
qui est une suite nécessaire de la faute doit donner lieu à réparation (9).
Et selon un arrêt du 14 octobre 1985, un dommage indirect peut aussi
satisfaire au test de cette condition sine qua non (10). Plus fidèles au
(8) À ce propos, voy. P. WÉRY, op. cit., 2011, p. 611 et s.
(9) Cass., 24 juin 1977, Pas., 1977, I, p. 1087.
(10) Cass., 14 octobre 1985, Pas., 1986, I, p. 155.
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texte du Code civil, la doctrine et la jurisprudence françaises excluent,
en principe, de la réparation le dommage indirect.
Par ailleurs, on sait que la prévisibilité s’apprécie en Belgique par
rapport à l’existence du dommage. Il n’est pas requis que l’étendue et
la quotité du dommage soient également prévisibles (11). Ici aussi, la
solution est toute différente de celle qui prévaut en France.
c) Un troisième exemple permet de mettre en évidence les divergences nationales. Alors que le droit français assimile la faute lourde
au dol, le droit belge estime, au contraire, depuis un arrêt de principe
de la Cour de cassation du 5 janvier 1961, que la faute lourde n’est pas
équipollente au dol (12).
Les conséquences pratiques sont loin d’être négligeables, comme le
souligneront Maîtres Philippe et Gouden au travers de leurs exposés
respectifs.
Si le débiteur a commis une faute lourde, la réparation à laquelle il
est tenu ne s’étend pas au dommage imprévisible. Par ailleurs, si le
débiteur bénéficie d’une clause exonératoire ou limitative de responsabilité, elle pourra couvrir, en droit belge, sa faute lourde pourvu que la
clause ait visé expressément une telle exclusion ou que celle-ci résulte
de manière certaine de la clause (13).
De telles divergences plaident, à notre avis, en faveur de la promotion
d’instruments internationaux. Et l’on ne peut à cet égard que se féliciter
des travaux d’harmonisation de l’Institut Unidroit (pour les contrats du
commerce international) et du Projet de cadre commun de référence réalisé par le Study group dirigé par le professeur Christian von Bar (14).
5. Nous voudrions livrer une troisième et dernière réflexion dans
cette préface.
Elle a trait au rôle du juge ou de l’arbitre, lorsqu’il est amené à se
pencher sur une clause relative à l’inexécution d’une obligation
contractuelle. Aussi bien rédigées soient-elles, ces clauses ne peuvent
se soustraire totalement à un contrôle externe.
L’office du juge ou de l’arbitre confronté à une clause relative à
l’inexécution est protéiforme.
(11) Cass., 4 février 2010, R.D.C., 2010, p. 498.
(12) Cass., 5 janvier 1961, Pas., 1961, I, p. 483.
(13) Cass., 22 mars 1979, Pas., 1979, I, p. 863.
(14) Principles, Definitions and Model Rules of European Private Law. Draft Common
Frame of Reference (DCFR), par le Study Group on a European Civil Code et le Research Group
on EC Private Law (Acquis Group), Munich, Sellier European Law Publishers, 2009, 6563 p.
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Avant toutes choses, il devra identifier la portée de la clause, en d’autres
termes la qualifier. Une clause peut être à « résonances multiples » : une
même clause peut contenir, par exemple, une dispense conventionnelle de
mise en demeure, une clause résolutoire expresse et une clause pénale.
Une fois la portée de la clause identifiée, d’autres questions pourront
se poser au juge. Ces questions apparaissent en filigrane de tous les
rapports de cet ouvrage :
a) La clause a-t-elle bien force obligatoire à l’égard de la partie qui la
subit ? C’est la question de l’opposabilité de la clause et des conditions
générales contractuelles. Si cette opposabilité n’a pas été soigneusement assurée, c’est tout l’édifice contractuel, patiemment construit par
le rédacteur de la clause, qui s’écroule comme un château de cartes.
b) Des doutes peuvent s’élever sur le sens ou la portée des termes
de la clause ? C’est la question de l’interprétation des clauses ambiguës
ou obscures. La priorité doit aller à la recherche de la volonté commune des parties. Et si celle-ci est insondable, l’article 1162 du Code
civil belge impose de retenir, en cas de doute, une interprétation favorable à la partie qui subit la clause. Par ailleurs, comme le rappellera
Maître Gouden, les clauses d’abandon de recours, comme toute clause
dérogatoire au droit commun, sont de stricte interprétation.
c) La clause est-elle licite ? On verra toute l’importance de cette
question dans les rapports de Maître Gouden et de Monsieur Borello.
L’illicéité est sanctionnée par la nullité de la clause – on songe aux clauses d’abandon de recours qui porteraient atteinte à l’essence même du
contrat. La nullité n’a toutefois pas le monopole de la sanction : le juge
dispose parfois d’un pouvoir de réécriture de la clause. C’est le cas, par
exemple, des clauses pénales manifestement exorbitantes, qui, tant en
Belgique qu’en France, doivent être réduites.
d) La mise en œuvre de la clause, à supposer celle-ci licite, est-elle
régulière et conforme aux exigences de la bonne foi ? Il appartient, en
d’autres termes, au juge de vérifier si toutes les conditions de fond et de
forme prévues pour l’application de la clause étaient bien réunies in
casu. Il lui incombe aussi de vérifier si la mise en œuvre de la clause n’a
pas eu lieu de manière abusive. Plusieurs arrêts de la Cour de cassation
belge ont ainsi confirmé le pouvoir pour les juges du fond de modérer
l’exercice des clauses pénales ou des clauses résolutoires expresses (15).
(15) Sur cette jurisprudence, voy. P. WÉRY, op. cit., 2011, p. 462 et s.