RECUEIL DE CRITIQUES SUR LE NEOREALISME ITALIEN

Transcription

RECUEIL DE CRITIQUES SUR LE NEOREALISME ITALIEN
RECUEIL
DE CRITIQUES
SUR LE
NEOREALISME
ITALIEN
http:
http://perso.wanadoo.fr/neorealismeitalien
//perso.wanadoo.fr/neorealismeitalien
1
Sommaire
Introduction au recueil…………………..3
Mention légale …………………………….4
Présentation du néoréalisme……………5
Les principales œuvres…………………..7
Les Films critiqués :
Ossessione ………………………8
Rome Ville Ouverte ……………12
Allemagne Année Zéro ……….16
Le Voleur De Bicyclette ……….20
Riz Amer …………………………23
Sciuscià …………………………..26
Umberto D ………………………29
I Vitelloni ………………………...36
Autres critiques disponibles……………39
Bibliographie ………………………………40
Nous contacter…………………………….40
2
Introduction
Au Recueil
Nous poursuivons des études en troisième année
à l’école des Mines de Paris. Dans le cadre de notre
enseignement, nous avons l’occasion de réaliser un
projet personnel innovant. Appréciant depuis peu le
néoréalisme italien et ayant constaté la difficulté de
trouver des critiques journalistiques de ces films, nous
avons décidé, tout en respectant les droits d’auteurs les
plus élémentaires de réaliser un recueil de critiques de
film de ce mouvement. Ces critiques sont surtout
remarquables par le style qui est souvent très recherché.
L’analyse des films qui y est faite est une invitation à
visionner ces derniers et à découvrir de manière plus
approfondie ce mouvement.
Ce recueil est téléchargeable sur Internet à
l’adresse suivante :
http://perso.wanadoo.fr/neorealismeitalien
Nous tenons ici à préciser que les droits de
reproduction
de
ces
critiques
nous
ont
été
exceptionnellement donnés par les services du Figaro,
de l’Humanité et du Canard Enchaîné. Ainsi toute
reproduction et diffusion des critiques de ce présent
recueil son soumises aux lois concernant la propriété
intellectuelle
et
poursuites légales.
peuvent
donc
être
passibles
Les réalisateurs du recueil :
Charles BLANCHARD
Adrien CHARPENTIER
3
de
MENTION
LEGALE
« Toute
représentation
ou
reproduction
intégrale ou partielle, faite sans le consentement
de l’auteur ou des ayants droits, ou ayant cause,
est illicite » (article L.122-4 du Code de la
propriété intellectuelle). Cette représentation ou
reproduction par quelque procédé que ce soit,
constituerait une contrefaçon sanctionnée par
l’article
L.335-2
intellectuelle.
Le
du
Code
Code
de
de
la
la
propriété
propriété
intellectuelle n’autorise, aux termes de l’article
L.122-5, que les copies ou les reproductions
strictement réservées à l’usage privé du copiste
et non destinées à une utilisation collective,
d’une part, et d’autre part, que les analyses et les
courtes citations dans un but d’exemple et
d’illustration.
4
Présentation
Du
Néoréalisme Italien
Le
néoréalisme
italien
cinématographique qui s’étend
est
un
mouvement
sur une petite dizaine
d’années (1945-1953). Bien qu’il soit difficile de le
déterminer de manière précise, le point de départ en est
le film Rome Ville Ouverte de Roberto Rossellini sorti en
1945.
Le néoréalisme est né à la suite d’un moment
historique
exceptionnel.
Après
vingt
années
d’oppression et de mensonges, le fascisme mussolinien
s’effondre
dans
les
horreurs,
les
détresses,
les
humiliations de la guerre.
Ce qui caractérise principalement tous les films de
ce mouvement, c’est un retour au réel, au monde réel,
aux hommes et aux drames réels.
En effet, sous la
dictature fasciste puis sous l’occupation allemande, le
cinéma italien fut soumis à une rude censure et fut de ce
fait coupé des réalités sociales et politiques.
Concrètement, ce retour au réel se traduit par un
tournage principalement en extérieur avec des acteurs
non professionnels qui parlent parfois des dialectes
(comme les pêcheurs siciliens de la terre tremble). Il
impose aussi une certaine retenue, une certaine pudeur
face aux sentiments et aux émotions que l’on montre et
il évite de ce fait tout élan mélodramatique.
Ce retour au réel permet au cinéaste de se faire
l’écho des interrogations de la société italienne et de
pratiquer un examen de conscience de cette société
meurtrie par la guerre et par le fascisme.
5
Comme le montre bien Barthelemy Amengual dans
son introduction au néoréalisme parue dans le numéro
de
CinémAction
bibliographie).
consacré
à
ce
mouvement
(
cf
Cet examen de conscience s’accompagne d’une
prise de position face au réel que l’on montre. Cette
prise de position s’est faite selon trois tendances
principales :
-Chrétienne (Rosselini, de Sica,Fellini)
-Marxiste (De Santis, Visconti)
-Agnostique (Blasetti, Zampa)
L’intention des cinéastes néoréalistes était de faire
des films utiles, de changer la réalité en la transposant
de manière très précise à l’écran.
Il est à noter que les films néoréalistes n’étaient
pas majoritaires dans la production italienne de films de
l’époque et bien que souvent chaleureusement reçu par
les critiques,
ils n’eurent que très rarement le succès populaire
espéré.
Pour conclure, bien que ce mouvement fut très bref
et bien qu’il ne compte qu’une cinquantaine de films à
son actif, il fut très important pour le cinéma italien
d’après guerre et lança de nombreux réalisateurs
majeurs de la seconde moitié du vingtième siècle et servi
de modèle et d’inspiration à de nombreux autres.
Cinquante ans après la fin de ce mouvement, la
démarche réaliste reste encore d’actualité. En effet
parmi les nombreux mouvements qu’il a inspiré nous
pouvons citer le cinéma social britannique représenté
par des réalisateurs comme Ken Loach ou Mike Leigh.
6
Les Principaux
Films
ALLEMAGNE ANNEE ZERO
CHASSE TRAGIQUE
CHRIST INTERDIT
EUROPE 51
L’OR DE NAPLES
LA TERRE TREMBLE
LE VOLEUR DE BICYCLETTE
LES ANNEES DIFFICILLES
LES VITELLONI
MIRACLE A MILAN
PAISA
PAQUES SANGLANTES
RIZ AMER
ROME VILLE OUVERTE
SCIUSCIA
STROMBOLI
UMBERTO D
7
Ossessione
Les amants diaboliques
Réalisateur : Luchino Visconti
Scénario : Luchino Visconti, A Pietrangeli et G De Santis d’après
James Cain
Année de parution : 1943
Principaux acteurs : Massimo Ginotti, Clara Calamai,
Elio Marcuzzo
NOIR ET BLANC 112 Minutes
Notre critique :
P
remier film de Luchino Visconti, il reprend le thème
célèbre au cinéma d’un roman de James Cain : « le Facteur Sonne
Toujours Deux Fois ». Le film nous raconte l’histoire d’une femme
et de son amant qui s’entendent pour éliminer le mari de cette
dernière.
Ce film fut considéré comme l’acte de naissance du
néoréalisme italien (bien que l’origine du mouvement lui soit
contestée par le film, pourtant postérieur, Allemagne Année Zéro).
D’ailleurs, la légende dit que c’est en visionnant les rushes
du tournage qu’un des monteurs inventa le terme « néoréalisme ».
Tourné en pleine période fasciste, il subit les affres de la
censure et souleva à l’époque un énorme tollé. En effet, c’est la
première fois que l’on montrait à l’écran la dure réalité des
pauvres en Italie. Ce film fut interdit dans de nombreuses salles et
ce n’est qu’après la guerre que l’on pu redécouvrir ce film qui est
considéré comme l’un des plus important de l’histoire du cinéma.
De plus, il laisse déjà apercevoir tout le talent du jeune
Visconti.
Les critiques parues :
Le 14/0
14/01/1959 : L’Humanité par François Maurin
Le 15/10/1959 : Le Figaro par P. Ms
Le 18/08/1982 : Le Canard Enchaîné par Jean-Paul Grousset
8
L’Humanité le 14/1/1959
Revoir « Ossessione »
Naissance d’un grand cinéaste : Visconti
O
n éprouve toujours un pincement de cœur à la redécouverte d’un
chef d’œuvre. « Ossessione », le premier film de Luchino Visconti, tourné en
1942 en pleine Italie fasciste, est de ces films qui procurent ce genre de
réaction-là. Par la fenêtre qu’il ouvre sur son époque, aussi bien que sur la
personnalité d’un auteur appelé à devenir l’un des plus grand qui, pour son
coup d’essai, se permit de hisser une banale histoire psychologico-policière
au rang d’une véritable tragédie.
Chacun sait qu’il s’agit d’un roman de James Cain, « Le facteur sonne
toujours deux fois », paru à la veille de la guerre, dont on connaît déjà trois
autres adaptations. Du « Dernier Tournant » de Pierre Chenal en 1939, à celle
de Bob Rafelson, la dernière en date (après celle de Tay Garnett) présentée en
France l’année passée.
C’est Jean Renoir qui avait fait cadeau du sujet à Visconti, peu avant le
retour de ce dernier en Italie, au terme de leur collaboration. « Prends cela,
lis le, peut-être que ça t’intéressera », lui avait-il dit.
« Ce fut précisément mon séjour en France et l’approche d’un homme
comme Renoir qui m’ouvrirent les yeux sur beaucoup de choses, déclara plus
tard Visconti. Cela me fit comprendre que le cinéma pouvait être le moyen de
s’approcher de certaines vérités, dont nous étions très loin, surtout en
Italie. »
En
effet.
Si
les
premières
fissures
qui
allaient
conduire,
en
s’élargissant, à l’effondrement du fascisme, commençaient à se faire jour, le
cinéma italien, avait que très peu varié. On en était toujours au « téléphones
blancs », aux aventures, sentimentales et autres, sans rapport aucun avec la
réalité concrète de la vie. Tout se passait dans les films à l’intérieur d’un
monde idyllique, dénué de contradictions, loin des soucis quotidiens.
Dans ce calme plat, « Ossessione » produisit l’effet d’un coup de tonnerre.
Car non seulement on y voyait apparaître un couple d’amants meurtriers du
mari (ce qui ne pouvait que choquer la censure religieuse) mais, chose plus
grave encore, on y découvrit le vrai visage de la misère et de la médiocrité,
9
du chômage, de l’appât de l’argent, en un mot la critique la plus radicale qui
soit de l’idéologie du régime.
Visconti dû faire face à une levée de boucliers, aidé en cela par un
groupe de jeunes critiques réunis autour de la revue « Cinéma », dont le
travail, se réclamant, de façon voilée, du « vérisme » de Verga (le romancier
italien le plus important du siècle dernier), avait créé les conditions de la
réalisation du film. Une très grande œuvre était née, qui ouvrait toute grande
la perspective à ce que devait être, la Libération venue, le néoréalisme,
l’école cinématographique la plus fertile d’après-guerre. Il faut revoir,
aujourd’hui, « Ossessione ».
François Maurin
*****
Le Figaro le 15/10/1959
« Les amants diaboliques »
C
e film de Luchino Visconti tourné en 1942, suit à quelques détails
près (et parfois avec d’assez importantes variantes) la ligne générale du
roman de James Mac Cain, « Le Facteur sonne toujours deux fois ». On a vu
jadis sur le même thème un film américain, et ce n’est pas le moindre mérite
de l’œuvre de Visconti que de nous faire comparer le style de deux écoles du
cinéma à propos d’un scénario sensiblement identique.
Ici, c’est le réalisme illustré par les metteurs en scène d’au-delà des
Alpes. Un réalisme qui rejoint même ces premiers films où le cinéma italien
donnait de la vie populaire une image fidèle. Les ruelles de Ferrare, les
enfants traînant le long des murs, les ménagères bavardant. On dirait un
reportage tourné par un chasseur d’actualités filmées. La reconstitution de
l’accident-crime, les beuveries villageoises, le dimanche avec les accordéons,
tout cela traduit le misérabilisme du « fait divers ».
Défauts. De graves longueurs et une interprétation trop appuyée de
Clara Calamaï.
P. Ms
10
*****
Le Canard Enchaîné n°3225 le 18/08/1982
Ossessione
La bride sur le couple
L
a femme et l’amant suppriment le mari en fabriquant un faux
accident d’auto. Ils échappent à la justice mais ils sont ensuite victimes d’un
vrai accident d’auto.
On a reconnu le thème du roman de James Cain « Le facteur sonne
toujours deux fois ».Thème illustré par plusieurs cinéastes : Pierre Chenal en
1939, Tay Garnett en 1946, Bob Rafelson en 1981.
Avec « Ossessione », Luchino Visconti s’en inspirant, lui aussi, en
1942. Mussolini se souciant du peuple comme de sa première chemise noire,
c’était l’époque où triomphaient, sur les écrans italiens, des comédies
bourgeoisement lénifiantes.
Luchino Visconti situa son film dans les milieux populaires de la vallée
du Pô. Et, tout en suivant librement la trame du livre, il évoqua une dure
réalité comme le chômage et la misère.
Scandale dans l’Italie fasciste. Le spectacle ne fut autorisé que mutilé.
Censure d’autant plus qu’absurde qu’ « Ossessione » rétablit, depuis lors,
dans son intégralité- marquait la naissance du néonéo-réalisme italien.
La plupart des manuels spécialisés ont relaté ces avatars. Ce qu’on
peut ajouter, c’est que, quarante ans après le tournage, le film de Luchino
Visconti, fiévreusement joué par Massimo Girotti et Clara Calamai, reste une
œuvre singulière et prenante. Les programmes d’été comportant quelques
trous, voilà une bonne reprise.
JeanJean-Paul Grousset
11
Rome Ville
Ouverte
Réalisation : Roberto Rossellini
Scénario : Roberto Rossellini, Sergio Amidei,
Frederico Fellini
Année de parution : 1945
Principaux acteurs : Anna Magnagi, Marcello
Pagliero, Francesco Grandjacquet
NOIR ET BLANC 100 Minutes
Notre critique :
F
ilm phare du néoréalisme, il rend hommage à la résistance et
plus généralement à tous ceux
qui ont subi les affres de
l’occupation.
moyens
Tourné
avec
des
de
fortune,
des
interprètes non professionnels mêlés à des acteurs confirmés,
ce film suit les préceptes du néoréalisme. Il permit aussi à
Rossellini de se hisser au premier rang des cinéastes de sa
génération.
Ce film fut très bien accueilli par la critique qui voyait en lui la
renaissance du cinéma italien. De plus, il rendait ses lettres de
noblesse à la résistance italienne, ce qui était un point très fort
pour cette population traumatisée après la guerre.
Cependant une partie de l’Italie fut choquée par les propos du
films car il lui renvoyait l’image de son rôle et de son attitude
ambiguë pendant la guerre.
Ce
film marqua l’éclosion de
Roberto Rossellini
comme
réalisateur et la révélation d’une grande actrice : Anna Magnani.
Ce film reçu la palme d’or du festival de cannes en
1946.
Les critiques parues à l’époque :
Le 19/12/1946
19/12/1946 : Le Canard Enchaîné
12
Le Canard Enchaîné le 19/12/1946
« Rome ville ouverte »
ou la lumière nous vient
d’Italie
O
n savait bien que « L’Espoir » de Malraux ne serait pas sans
lendemain.
Mais on commençait tout de même à trouver le temps long.
L’exemple donné par Malraux n’aura pas été vain.
Voici, en effet, que nous arrivent d’Italie deux films extraordinaires,
deux films bouleversants et qui nous donnent une drôle de leçon : Rome ville
ouverte et Païsa de Rossellini.
Je ne vous parlerai aujourd’hui que de Rome ville ouverte puisque
Païsa, le plus remarquable à mon sens, n’a pas encore été projeté devant le
public.
Tout de suite, je vous le dit : j’ai eu le souffle coupé par ces deux
morceaux de cinéma pur.
M. Rossellini a tourné son film à la sauvette, sans aucun moyen. Il a du
vendre ses meubles pour le terminer. Tous ses acteurs (à l’exception de
Fabrizi – un diseur de monologue qui se montre l’égal des plus grands – et
d’une petite chanteuse de music-hall : Anna Magnani, qui peut être tenue
comme l’une des plus saisissantes actrices du nouveau monde et de
l’ancien), tous ses acteurs ont été pris à tout hasard dans la foule.
Et l’on ne se trouve plus ici devant ces vedettes exigeantes et
totalitaires, mais devant des types épatants qui tournent dans l’enthousiasme
et qui ont le feu sacré ! Ils se donnent complètement, ils se fichent de leur
profil, ils ne songent ni à l’opérateur ni à leur standing personnel.
Ah ! Oui, voilà du cinéma, voilà de l’art, voilà du génie !
Et c’est une fois de plus que l’argent corrompt les meilleurs. La
pauvreté, c’est tout de même la jeunesse, la jeunesse qui se risque, la
jeunesse qui ose, la jeunesse qui n’a rien perdre, la jeunesse inconsciente et
téméraire.
M. Rossellini nous conte un épisode de la résistance italienne avec
Gestapo, torture, attentats exécution etc.
Les gens vous disent :
13
-
Les films sur la résistance, on en a par dessus la tête…
… Mais ils seront bien obligés d’aller voir Rome ville ouverte. Ils ne
pourront pas faire autrement. S’ils ne voyaient pas ce film, ils ne
pourraient plus parler de cinéma.
Rome ville ouverte est un film essentiel
Un filmfilm-clef.
Un film historique.
Parce qu’il ne s’embarrasse pas de préjugés, parce qu’il n’a pas pris
d’habitudes, parce qu’il est un homme libre, M. Rossellini vient de rendre au
cinéma un grand service.
Il a rappelé tout le monde à l’ordre :
- Qu’avez vous tous à courir après les vedettes, à faire de la
photographie léchée, à fabriquer des scénarios en observant des
lois imbéciles édictées par des crétins, à vous figer dans des
moules de série… Vous ne voyez pas que vous vivez de poncifs
et que vous crevez étouffés… Il y a trente ans que vous êtes
enfermés dans des studios…Vous n’avez donc pas envie d’aller
voir ce qui se passe dehors. Vous avez perdu de vue la réalité.
Le cinéma grâce à Rossellini retourne à ses sources.
Son film est une succession de miracles.
Il a enregistré le son après coup, car il ne pouvait pas s’offrir le luxe
d’un camion sonore.
Et l’on s’en moque complètement.
L’intérêt du film est ailleurs.
Il est dans cette vérité de tous les instants, surprise dans le simple
appareil d’une beauté qu’on vient d’arracher à la vie.
On n’oubliera pas de sitôt cette maison ouvrière avec ses escaliers
pathétiques, ses drames si simples, si dépouillés, si familiers, pourrait-on
dire.
On n’oubliera pas la nuit de l’interrogatoire avec la salle de torture
d’un côté, la salle de jeu de l’autre, et ce bureau blafard entre les deux, ce
cocktail de sang et d’alcool et cette odeur de cigare humide…
On n’oubliera pas la perquisition et cette foule sourdement révoltée.
On n’assiste pas à un film.
On est mêlé à une action, on y participe…
Chaque fois qu’un personnage inconnu s’introduit chez ces résistants
on a envie de crier : « Attention, c’est un espion ! » et on a l’impression qu’on
va être, d’un instant à l’autre, arraché de son fauteuil et jeté en prison !
14
M. Rossellini, avec son film, a bien servi la cause de la paix.
Il nous a restitué le vrai visage du peuple italien, si cruellement
déformé par les politiciens, les mauvais acteurs et les ténors.
L’Italie,
pour
nous
c’était
les
manifestations
empathiques
de
d’Annunzio, les spectaculaires redondances de Mussolini, les gabiriades, les
scipionnades à la Maciste quatre deux de Carmine Gallone ou de Genina,
c’était l’orgie romaine de Quo vadis et Rodomont tiré à un million
d’exemplaires.
Il nous faut réviser toutes nos fausses conceptions.
Le film de Rossellini, c’est un verre d’eau fraîche qu’on jette à la figure
d’un ivrogne pour le dégriser.
-
Il faut revenir à soi, nous regarder en face, et nous juger sans
idée préconçue… Nous avons des défauts, irritants sans doute,
mais voici nos qualités… Fais la part des choses et juges-nous
sur des évidences.
-
Oui le cinéma est un moyen de faire connaissance.
Il a beaucoup menti, beaucoup triché.
Avec M. Rossellini, il se met à table et nous dit la vérité.
15
Allemagne
année zéro
Réalisation : Roberto Rossellini
Scénario : Roberto Rossellini, Max Colpet, Carlo Lizzani
Année de parution : 1947
Principaux acteurs : Edmund Moeschke, Franz Kruger,
Barbara Hintz
NOIR ET BLANC 78 Minutes
Notre critique :
Dans cet autre film de Rossellini, le réalisateur s’intéresse ici
à la vie d’une famille allemande dans le Berlin presque entièrement
détruit de l’après guerre. Il est intéressant de noter que c’est un
des rares films néoréalistes n’ayant pas pour cadre l’Italie et qu’il a
été tourné en Allemand.
Bien que tourné en utilisant les méthodes qui firent le succès
de Rome Ville Ouverte, il connut un accueil
beaucoup moins
chaleureux de la part de la critique. En effet, certains lui
reprochèrent ses accents beaucoup trop mélodramatiques et trop
éloignés de la réalité. Il semblait donc que Rossellini avait poussé
un peu trop loin sa méthode.
Toutefois, avec le temps, la critique s’est adoucie et on
reconnaît
cette œuvre comme un témoignage poignant sur
l’Allemagne d’après guerre.
Les critiques parues à l’époque :
Le 14/04/1948 : Le Figaro par M.M
Le 12/02/1949 : Le Figaro littéraire par Claude Mauriac
16
Le Figaro le 14/04/1948
Les Romains ont vu
« Berlin an zéro »
L
e nouveau film de Rossellini Berlin an zéro, qui vient d’être
présenté à Rome, évoque la vie d'une famille allemande au lendemain du
désastre. D'abord le cadre : une ville en ruine, des maisons décapitées, un
panorama de cailloux sans âme. Ensuite, le " milieu " : plusieurs ménages ont
refuge dans l'un des immeubles encore habitable quoique délabré. Le drame
: c'est évidemment la misère, la faim, le problème toujours posé, jamais
résolu. Le père très malade ne peut aider les siens. Le fils aîné, ex
combattant nazi, qui craint l'épuration se cache et n'a pas de carte de
ravitaillement. La sœur qui engage avec les américains, au dancing, des
relations utilitaires. Enfin le petit frère Edmund. C’est la figure centrale de
l'action. Edmund cherche courageusement à rapporter à la famille de quoi
l'aider à vivre. Puis il cède aux mauvais conseils et la tragédie commence.
Il ne semble pas ici que le metteur en scène ait été servi par les mêmes
qualités d'inspiration que dans Rome Ville Ouverte et Païsa. On reproche au
film de s'apparenter moins à un drame qu'à un mélo assez primaire.
Bref, le film a généralement déçu.
M.M
*****
Le Figaro littéraire le 12/02/1949
Un cinéma à l’état sauvage
17
Les deux films marquants de la semaine ont des enfants pour héros
principaux. Mais des enfants arrachés par la guerre et ses suites à leurs
conditions de vie normales, le corps et l'âme répartis à vif et paradoxalement
dénaturés par ce retour à l'état de nature. La première de ces œuvres est
Allemagne Année zéro qui fut tournée dans les ruines de Berlin par Roberto
Rossellini. L’autre, Quelque Part En Europe, signée Geza Radvanyi, nous
arrive entre deux oppressions de Hongrie, comme un bref et pathétique
appel vers une liberté déjà reperdue.
Tout autant que leurs thèmes voisins rapprochent ces films la façon
dont ils ont été réalisés. Au grand scandale des pontifes de la profession,
Roberto Rossellini déclarait à Roger Régent, lors de son dernier passage à
Paris, qu'il se refusait à savoir comment son film finirait le jour où il
commençait de le tourner. Mais il faut citer, d'après L' Ecran Français, ces
étonnantes paroles :
" Je suis incapable de travailler avec un corset. Un scénario rigoureux
qu'on suit pas à pas, un studio avec tout son équipement, toute cette
préméditation de décors et de lumière, cela constitue pour moi ce qu’il y a de
plus odieux... C'est parce que je n'ai pas peur de la vérité et que j'ai la
curiosité de l'être humain que je fais figure de grand réaliste! Je le suis, oui,
si le réalisme c'est abandonner l'individu devant l'appareil et le laisser
construire lui même son histoire ! Dès le premier jour de tournage, je
m'installe derrière mes personnes et je laisse ma caméra leur courir après... "
(2 novembre 1948)
A cette insolite prise de position correspond celle de Geza Radvanyi qui
se réclama nommément de Rossellini lorsqu'il s'expliqua devant Jean Pierre
Vivet pour les lecteurs de Combat : « Ce sont les nécessités du moment qui
m'ont contraint à parcourir la Hongrie avec ma caméra et mes gosses. Je ne
pouvais faire autrement. Tous les studios étaient démolis. Mais, en même
temps, je sentais bien que ce serait cela, le cinéma de demain. Je n'étais pas
le seul. Est ce que les choses ne se sont pas passées de la même façon en
Italie avec Sica, Rossellini et les autres? » Et de préciser qu'il n'avait pas de
scénario pour Quelque Part En Europe : « J'avais chargé mes gosses sur deux
camions, nous avons emprunté les routes où ils avaient vécus tant d'heures
dramatiques et nous avons en quelque sorte tourné au hasard de leur
souvenirs. » (29 janvier 1949).
18
Et certes, il ne faut pas généraliser. Mais ce n'est pas tout à fait par
hasard non plus si les meilleures scènes du Journal D'une Femme De
Chambre de Jean Renoir sont celles qu'il dû improviser sur son plateau
hollywoodien parce qu'il ne trouvait pas la fin de son film ; si l'on nous
affirme que l'étonnant Preston Sturges (dont vous verrez bientôt cette œuvre
acidulée et rafraîchissante qu'est Le Miracle de Morgan's Creek) invente lui
aussi, devant la caméra et si Orson Welles pouvait un jour affirmer à André
Bazin, Jacques Bourgeois et moi même que les séquences de La splendeur
des Ambersons qui nous semblaient les plus concertées avaient été tournées
sans découpage préalable.
Disons tout de suite que la méthode est dangereuse et qu'il ne sera
jamais inutile de parer les éventuelles faiblesses de l'inspiration grâce à un
scénario minutieusement préparé. Ainsi font René Clair et Georges-Henri
Clouzot, qui ne travaillent pas sans filet. Le premier parce qu'il ne sépare
point ces opérations complémentaires que sont le découpage, le tournage et
le montage. Le second pour cette raison qu'il se méfie des chutes possibles
de son génie. C'est au surplus une affaire de génie et il n'y a pas de règles.
Mais il faut bien reconnaître que la méthode délibérément empirique de
Rossellini, si elle le servit au maximum dans Païsa eut avec Allemagne Année
zéro des résultats infiniment moins heureux. En revanche, ce qui est manqué
dans Quelque Part En Europe c'est la partie de son histoire que Geza
Radvanyi avait arrêtée à l'avance et où il introduit un musicien fort
conventionnel.
Quels que soient les défauts de Allemagne Année Zéro et Quelque Part
En Europe,
témoignages d'autant plus bouleversants que
Europe, ils apportent des témoignages
nous ne pouvons faire montre à leur égard de ce détachement qui est le
notre en présence de faits réels mais à tout jamais révolus. Si la déchéance
honteuse de ces enfants, physiquement et moralement égarés quelque part
et même un peu partout en Europe, appartient à l'histoire, ce n'est pas
seulement, hélas! à l'Histoire passée... Il existe à l'heure actuelle de
nombreux gosses pour se trouver dans cette abandon. Et beaucoup d'autres
risquent de venir tôt ou tard grossir le long des ruines de l'Europe leur foule
innocente et pourtant condamnée : ce sont peut être les nôtres.
Nous reviendrons la semaine prochaine sur ces films importants.
Claude Mauriac
19
Le Voleur de
Bicyclette
Réalisation : Vittorio De Sicca
Scénario : Cesare Zavattini d’après Luigi Bartolini
Année de parution : 1949
Principaux acteurs : Lamberto Maggirani, Enzo Staiola,
Lianella Carell, Gino Saltamerenda, Vittorio Antonucci
NOIR ET BLANC 85 Minutes
Notre critique :
C
e film prend le prétexte d’une anecdote des plus banales
(un ouvrier perd sa bicyclette et essaie de la retrouver dans les
rues de Rome) pour nous faire découvrir la Rome d’après guerre.
Cette ballade, cette fresque aux accents naturalistes est empreinte
de vérité et d’émotion.
Le chômeur , voleur de la bicyclette, symbolise un monde
dans lequel l’injustice sociale serait abolie.
Dès sa sortie, ce film fut unanimement salué comme étant
un chef d’œuvre. A l’heure actuelle, il semble être un des films les
plus connus et célèbres du néoréalisme italien. C’est un des films
emblématique de ce mouvement (seul Rome Ville Ouverte peut lui
contester ce titre) . Cette œuvre n’a rien, perdu de son actualité et
semble même avec le temps avoir gagné en sens et en
signification.
Les critiques parues:
Le 09/11/1983:
09/11/1983: Le Canard Enchaîné par JP Grousset
Le16/05/1949
Le16/05/1949:
16/05/1949:LelFigarolparlLouislChauvet
20
Le canard enchaîné le 09/11/1983
Un colleur d’affiches de Rome désemparé parce qu’on lui a dérobé le
vélo indispensable à son travail. Dans l’Italie de 1948, cette histoire - tirée
d’un livre de Luigi Bartolini – n’intéressait guère le producteur. Aussi le
cinéaste Vittorio De Sica et le scénariste Cesare Zavatini durent-ils se battre
pour imposer leur film.
Résultat : un des spectacles les plus marquants du néonéo-réalisme
italien.
italien Drame du chômage, de la solitude, de la misère. Mais aussi côté
auteurs, œuvre de tendresse et de générosité. Comme quoi les bons
sentiments n’empêchent pas de faire du bon cinéma.
J.P Grousset
*****
Le Figaro le 16/05/2003
Si l'on se réfère aux opinions ouvertement exprimées par René Clair,
Marcel Carné, Becker, Bresson et quelques autres grands metteurs en scène,
Le Voleur de Bicyclette -que présentait lundi soir le « Ciné-Club Figaro » - a
produit une grande impression dans le milieu cinématographique français.
Jacques Becker est allé jusqu'à dire -approximativement -qu'une telle œuvre
pourrait bien tracer au septième art la voie de son destin véritable.
Nous attendrons pour disserter sur le nouveau film de Vittorio de Sica,
que le grand public soit à même d en juger - échéance d'ailleurs prochaine.
Indiquons simplement aujourd'hui quelques unes des raisons qui nous
semblent désigner en effet Le Voleur de Bicyclette comme une œuvre
importante.
Le scénario tiendrait en deux lignes sous la rubrique des faits divers.
Vittorio De Sica nous apprend que la plus simple et la plus banale anecdote
peut receler des valeurs dramatiques inattendues. Ainsi, jadis, un savant
démontrait-il que dans un sou dormaient des puissances capables de
déplacer une locomotive.
Une aventure humaine -parfois drôle, parfois bouleversante- est
rendue dans son entière signification avec quelle économie de moyens !
Deux personnages : un ouvrier et son petit garçon. L’intrigue est constituée
21
par des incidents de rue dont nous pourrions tout moment devenir les
témoins dans notre quartier.
Aucune scène inutile. Chaque image vient illustrer un de ces
malentendus qui font agir si souvent les foules contre l'homme solitaire, au
mépris de sa bonne foi. Chaque image vient plaider en faveur d’une plus
grande solidarité. René Clair a dit : « On pense à L'Opinion Publ
Publique,
ique, de
Charlie Chaplin " (on pense aussi au Kid). Encore le drame est-il ici plus
convaincant et chose curieuse parce que plus sommaire.
Vittorio de Sica veut rester fidèle à la vie jusqu' au bout : le dénouement est
volontairement noir. Si l'on y réfléchit il faudrait par un miracle, en effet,
pour que les circonstances évoquées, le victime retrouvât sa bicyclette.
Vous irez bientôt voir ce film que l'on a pas fini je crois de commenter
et dont nous tenons à féliciter chaleureusement l'auteur dès aujourd'hui.
Louis Chauvet
22
Riz Amer
Réalisation : Giussepe De Santis
Scénario : Carlo Luzzani, Gianni Puccini
Année de parution : 1948
Principaux acteurs : Vittorio Gassman, Silvana Mangano,
Doris Dowling, Raf Vallone
NOIR ET BLANC 108 Minutes
Notre critique :
C
e film de Giuseppe de Santis raconte
une tragédie
amoureuse mêlée à une intrigue policière, le tout sur fond de lutte
des classes. L’histoire se déroule dans la plaine du Pô, chez les
ouvrières chargées de récolter le riz. Le film, profondément
enraciné dans le réel, nous décrit le dur labeur des filles travaillant
dans les rizières piémontaises. A travers les multiples oppositions
entre les ouvrières légales et les ouvrières clandestines, De Santis
peut
exprimer sa vision du monde à tendance marxiste et
montrer les difficultés de la réalité de l’Italie d’après guerre.
Ce film reçut un bon accueil, même si l’on fustige parfois les
lourdeurs de la réalisation et une intrigue aux accents trop
hollywoodiens.
Ce film fut surtout remarqué par la composition de
la
magnifique Silvana Mangano, qui fut considérée comme une des
premières « Pin up » du cinéma d’après guerre.
Les critiques parues:
Le 09/09/1949 : Le Figaro par Louis Chauvet
Le 22/06/1983 : Le Canard Enchaîné par Jean-Paul Grousset
23
Le Figaro le 09/09/1949
V
oila certainement un film qui ne passera pas inaperçu.
inaperçu L'on en
discutera. Déjà l'on en discute. Il présente de lourds défauts. Il porte aussi la
marque d'une personnalité sans nul doute exceptionnelle.
Riz Amer a été réalisé par un des plus jeunes cinéastes italiens,
Giuseppe de Santis, auquel nous devons déjà Chasse Tragique. Dès les
premières images, on sent la présence d'un metteur en scène capable d'une
singulière virtuosité. Près de Vercelli arrivent des centaines de femmes qui,
tous les ans, à la même époque, viennent cueillir le riz. Les trains déversent
une multitude bruyante et Giuseppe de Santis nous promène à travers cette
foule anonyme où déjà s'amorcent des intrigues, des drames. C'est une sorte
de foire pittoresque, étourdissante. Nous voyons les gens aller et venir,
former des courants divers, et pas une minute nous n'avons l'impression
d'avoir affaire à des acteurs. Toujours cette magique impression de vérité
que savent si bien produire les Italiens. En quelques minutes, Giuseppe de
Santis gagne sa partie de metteur en scène.
L'intrigue évolue tandis que se poursuit méthodiquement la peinture
d'atmosphère. Cette peinture est jusqu'au bout captivante. Le narrateur sans
doute bénéficie
d'éléments dont l'exotisme soulève aisément
l'attention.
Mais il les exploite avec un art indiscutable. Il en tire admirablement parti.
Dans la vaste plaine submergée, les femmes travaillent
ayant de l'eau
jusqu'aux genoux. Elles avancent patiemment, en ligne. La tradition veut
qu'elles échangent les nouvelles d'un groupe à l'autre par des chansons
improvisées. Un conflit les oppose-t-i1? C'est le même chant - qui porte leur
polémiques,- leurs imprécations. Nous sommes vraiment dans un univers
aux couleurs inédites et dont une personne étrangère ne pourrait imaginer
l'existence.
L'intrigue
L
’intrigue ? Elle était nécessaire si l'on voulait que le film ne restât
pas un simple documentaire. Et d'ailleurs elle n'apparaît pas indésirable à
proprement dire. Mais avec l'intrigue, fort brutale et que traversent parfois de
beaux accents
tragiques, surgit l'inévitable
24
bandito qui s'avise de tout
contaminer, interviennent les poncifs du réalisme sordide et se manifestent
les outrances non moins habituelles du cinéma italien. L'affaire se termine
par un duel à mort, dans le local de la ferme affecté la boucherie, par un
véritable bain de sang digne du film hollywoodien le plus violent. Une
des
jeunes femmes plongera spectaculairement dans le vide après avoir gravi le
haut échafaudage qui domine la rizeraie. Notons qu'en cours de route ce
réalisme a bifurqué volontiers vers les thèmes scabreux.
En somme, on retrouve ici les mêmes qualités et les mêmes défauts
dont témoignait déjà Chasse Tragique. Défauts grossis et qualités qui
gagnent en robustesse. On ne
sait pas au juste où peuvent conduire ces
progrès de l auteur. I1 est toutefois certain que si Giuseppe de Santis arrive
un
jour
à
démêler
son
cinématographique des plus
art,
il
pourra
devenir
un
personnage
importants. Déjà quelque chose le sauve
presque : l'enthousiasme peu banal avec lequel il mène jusqu'au bout
chacune de ses entreprises. Il est rare de voir un metteur en scène se donner
aussi totalement à son oeuvre et montrer un tel courage, même dans l'erreur.
Parmi les interprètes, on remarque l'exceptionnelle
beauté de Silva
Mangano qui est, si l'on veut, la Joan Russel italienne. Doris Dowling, actrice
d'origine américaine, réussit une création de celles qui annoncent une
intéressante carrière.
Louis Chauvet
*****
Le Canard Enchaîné le 22/06/1983
I
mage mémorable de ce film tourné en 1948 par Giuseppe De
Santis : la sensuelle Silvana Mangano plongée dans la boue jusqu’aux
cuisses. Cette « mondine »-ouvrière agricole temporaire- n’est pas seule.
Comme elle, des centaines de femmes, pour un maigre gain, s’acharnent au
labeur dans les rizières de la plaine du Pô.
A l’exposé de leur condition s’ajoute un fait divers. Bien qu’il soit joué
par Ralf Vallone et Vittorio Gassman, il est passablement mélo. Reste la
partie forte du spectacle : un pamphlet contre l’exploitation des humbles.
Rien que pour ça, « Riz Amer » méritait cette reprise, ou plutôt ce repiquage.
25
Sciuscià
Réalisation : Vittorio De Sica
Scénario : Cesare Zavattini
Année de parution : 1946
Principaux acteurs : Rinaldo Smerdoni, Franco Interlenghi,
Annielo Mele, Bruno Ortensi
NOIR ET BLANC 90 Minutes
Notre critique :
P
remier film néoréaliste de Vittorio De Sica qui fut un des
principaux animateurs de ce mouvement. En racontant l’errance
de deux misérables jeunes garçons cireurs de chaussures, il
dresse un portrait réaliste mais critique de l’Italie d’après guerre
(cette caractéristique se retrouve dans de nombreux autres films
de De Sica).
Comme les autres films de De Sica que nous présentons
dans ce recueil, ce scénario fut écrit en collaboration avec Cesare
Zavattini qui est considéré comme le théoricien, l’homme le plus
impliqué et représentant le mieux le néoréalisme italien.
Ce film fut très bien accueilli à sa sortie, mais plus tard, il a
souffert de la comparaison avec les autres réalisations de De Sica
que sont Umberto D, Le Voleur De Bicyclette et Miracle à Milan. Par
conséquence, il a perdu un peu de sa notoriété et il est réservé
maintenant à un public de cinéphiles avertis.
Les critiques parues:
Le 03/04/1957 : L’Humanité
Le 28/09/1984 : L’Humanité par C.S
Le 03/10/1984 : Le Canard Enchaîné par JP Grousset
26
L’Humanité le 03/04/1957
L
e studio 43 reprend a partir d’aujourd’hui, et pour une semaine
seulement le grand film de Vittorio de Sica : " Sciuscià ". Voici comment Calo
Lizzani dans son ouvrage sur " Le Cinéma Italien " (éditeurs français réunis)
parle de ce film
film qui marque un tournant dans l’œuvre
l’œuvre de Vittorio de Sica.
" Dans tout le film on sent vibrer, en même temps qu’une note amère
et désespérée un frémissement de vitalité, un désir farouche de sérénité et
de joie, un appel angoissé à la compréhension humaine. De tout le film se
dégage un sentiment de révolte qui s'adresse non seulement à ceux qui en
sont les responsables directs, mais à la société elle-même. A travers le
problème de l'enfance abandonnée et dévoyée, l'accusation veut porter sur
les bases même d’un système de vie, et c’est pourquoi elle se fait ardente et
frappe tous ceux qui ne savent pas tirer de nos malheurs l’occasion de faire
un examen personnel, la raison d’un renouveau et d’un progrès. L’utilisation
abondante des extérieures, l'emploi de nombreux acteurs non professionnels
confèrent ainsi a Sciuscià une liberté de pensée particulière et une innocence
qui étonnent surtout les étrangers et qui font crier au chef d’œuvre. "
*****
L’Humanité le 28/09/1984
P
remier d’une trilogie phare du néoréalisme italien, Sciuscià sera
suivi du très célèbre Voleur de Bicyclette et de Miracle à Milan, films à la
double signature : Vittorio De Sica pour la réalisation, mais aussi Cesare
Zavattini, scénariste et théoricien. La réédition aujourd’hui de Sciuscià grâce
au dynamisme d’un « petit » distributeur se justifie d’autant plus que le film
était, commercialement du moins, en voie de perdition. Mais tout autant
parce qu’il
il s’agit de l’une des œuvres les plus sensibles du cinéastecinéaste-
comédien. Sur le décor, cassé, d’une Italie en ruines, De Sica se montre poète
de l’enfance. Sciuscià est le cri, la formule qu’ils espèrent magique avec
laquelle les enfants abandonnés de l’après guerre, devenus cireurs de
souliers, tentent d’arrêter le grand et riche soldat américain qui passe. « Shoe
27
Shine » croient-ils dirent. Un cri d’enfant, le cri d’un pays aussi, répercuté à
l’infini depuis quarante ans, dont l’écho rebondit encore et maintenant du
côté de l’Amérique latine. Un cri sans fin, hélas ! C’est pourquoi nous
l’entendons toujours aussi bien.
C.S
*****
Le Canard Enchaîné le 03/10/1984
«
S
hoe-shine », disaient les Américains voulant faire briller leurs
souliers. « Sciuscià », traduisirent les petits cireurs italiens. Situé dans la
Rome de l'immédiat après-guerre, le film tourné en 1946 par Vittorio De
Sica, d'après un scénario de Cesare Zavattini, relate la mésaventure de deux
de ces gosses.
Sur fond de bouleversement historique et de misère sociale, maints
déboires jalonnent leur itinéraire de la rue à la prison. " Sciuscià " n'est pas
une œuvre aussi accomplie que " le Voleur De Bicyclette " ou " Umberto. D ",
des mêmes auteurs. Les amateurs de néonéo-réalisme peuvent néanmoins y
trouver chaussure a leur pied.
JP Grousset
28
Umberto D.
Réalisation : Vittorio De Sicca
Scénario : Cesare Zavattini
Année de parution : 1951
Principaux acteurs : Battisti, Maria Pia Casiliio, Gina
Gennani
NOIR ET BLANC 80 Minutes
Notre critique :
A
près avoir décrit la misère des enfants dans Sciuscià et
celle des ouvriers dans le Voleur de Bicyclette, De Sica nous
raconte dans ce film poignant la misère des personnes âgées.
En effet, il s’agit ici de raconter la solitude d’un vieillard
isolé, qui n’a plus assez d’argent pour payer son loyer et qui voit
en son chien son seul et unique ami et confident.
Ce film, tourné juste après le voleur de bicyclette reçu un
accueil critique des plus mitigés.
Certains y virent l’aboutissement, l’accomplissement de la
démarche néoréaliste de De Sica. Ce film était pour eux un
portrait des plus poignants de la tragédie d’une époque.
D’autres regrettèrent l’aspect très sec de ce film, au héros
peu
attachant
et
à
l’intrigue
des
plus
simples,
presque
inexistante.
Il reste maintenant comme une œuvre majeure de De Sica et
il marque la fin des grands films néoréalistes de cet auteur.
Les critiques parues à l’époque :
Le 11/10/1952 : Le Figaro
Le 14/10/1952 : L’Humanité par Pol Gaillard
Le 15/10/1952 : Le Figaro Louis Chauvet
Le 18/
18/10/
10/1952 : Le Figaro Littéraire par Claude Mauriac
29
Le Figaro le 11/10/1952
Un savant collabore au
vérisme
U
n détail pittoresque à propos du film italien Umberto D. qui vient
d’être présenté au profit des classes moyennes. Le rôle principal, celui du
vieux retraité condamné à la misère, est interprété par le professeur Carlo
Battisti,
directeur
de
l’Institut
de
philologie
de
l’Université
de
Florence, membre de plusieurs académies étrangères.
Le film terminé, le professeur Battisti reprit fort simplement son travail
habituel : la rédaction du dictionnaire étymologique italien, dont il s’occupe
depuis vingt-cinq ans…
*****
L’Humanité le 14/10/1952
Umberto D.
U
mberto D. est le dernier film de la grande trilogie conçue par
Cesare Zavattini et Vittorio de Sica pour faire sentir le plus fortement
possible aux spectateurs de monde entier la profonde misère de l’Italie
d’aujourd’hui. Après Sciuscià : la misère des enfants innocents poussés au
vol et au crime par la guerre, l’occupation, le régime stupide des
pénitenciers : après Voleur de bicyclette : la misère des ouvriers réduits au
chômage par l’aide généreuse du plan Marshall, voici Umberto D. : la misère
des vieux dans la société capitaliste. « Dans une société, nous dit le
scénariste lui même, qui ne respecte ni l’homme ni la vieillesse, une société
qui veut se fonder sur les seules mathématiques de l’argent, sur les seuls
pourcentages et les seuls chiffres des bilans. »
Pendant 30 années, employé dans un ministère, Umberto a servi
loyalement l’Etat, mais l’Etat se moque de lui maintenant ; il a beau être seul,
30
sans frères ni enfants pour l’aider un peu, la pension qu’on lui verse lui suffit
à peine à faire vivre son chien, son seul ami, et la police motorisée du
chrétien de Gasperi le repousse avec violence lorsqu’il manifeste timidement
dans la rue pour une augmentation. A l’hôpital, les sœurs ne le gardent que
quelques jours car il n’est pas assez mal, et encore, qu’il dise bien fort son
chapelet ; sa logeuse le chasse et personne autour de lui ne peut ou ne veut
le secourir, sauf la petite bonne Maria, presque aussi malheureuse et isolée
que lui, malgré sa jeunesse… Finalement, comme tant de vieux dont nous
apprenons tous les jours le suicide dans les journaux, Umberto se sent peu à
peu acculé à la mort, et c’est uniquement parce que son chien, lui, ne veut
pas mourir, que, ne trouvant personne à qui le donner ou le vendre, et ne
pouvant se résoudre à le laisser tuer à la fourrière, il se laisse aller de
nouveau à essayer pauvrement de vivre, de vivre…
De vivre comment ? Le film ne le dit pas. Il est admirablement
admirablement mis en
scène et interprété avec une vérité minutieuse dans le moindre détail, une
émotion souvent bouleversante (comme dans les scènes muettes du vieil
homme essayant de mendier, ou de la jeune Maria se rappelant au réveil
qu’elle est enceinte, que son enfant n’aura sans doute pas de papa, ni elle de
mari, qu’elle n’a presque aucune perspective d’amour heureux).
Cependant, Umberto D. finit mal, reconnaît Zavattini, ou plutôt il n’a
pas de solution. Car pour moi, la solution aux problèmes d’Umberto c’est
c’est le
public qui doit la donner.
donner Le spectacle continue dans la salle, les spectateurs
sont les acteurs qui dénouent le drame
De quelle façon le spectateur que je suis peut-il dénouer le drame,
comme l’y invite Zavattini ? En se disant : « Les pauvres vieux désespérés
comme le héros de ce film sont légion dans mon pays. Il faut donc lutter
pour que le monde leur soit meilleur. » Alors le film désespéré aura au
contraire une vertu tonique. Le rôle du cinéma serait de suggérer plus
nettement ce dénouement et de montrer les germes d’espoir au cœur du
désespoir. Zavattini et de Sica n’ont pas pu – ou peut être pas voulu – le faire.
Le film s’en ressent d’ailleurs aussi sur le plan esthétique. Il est extrêmement
lent, son récit est uniquement linéaire. Le cœur ne suffit pas à tout, si aimant
soit-il. Dans l’art comme dans la vie, il n’y a pas de vraie grande œuvre sans
action.
Pol Gaillard
31
*****
Le Figaro le 15/10/1952
Tragédie personnelle,
tragédie d’une époque
V
oici la deuxième tragédie à un personnage présentée (dans la ligne
de Chaplin) par Vittorio de Sica et Cesare Zavattini. Déjà le héros du Voleur
de bicyclette connaissait une mésaventure qui, superficiellement banale,
exprimait avec d’étranges résonances le drame de l’homme seul.
Dans Umberto D. le principe est le même. Il s’agit du vieux retraité
qu’une époque inhumaine condamne à déchoir dans la misère. Son destin
laisse le reste du monde indifférent. Umberto Domenico Ferrare porte encore
les habits de son ancienne condition bourgeoise. Il essaie de mendier et ne
peut pas (c’est une des scènes les plus extraordinaires du film). Il devient la
bête noire d’une logeuse louche qui voudrait le jeter à la rue. Ses anciens
amis l’abandonnent. Une petite servante accorde à ce « maudit » un peu de
compassion, mais limitée par un égoïsme juvénile, presque inconscient.
Umberto n’a d’autre ami sur terre que son chien.
Voilà toute l’histoire. Où donc réside le mobile « tragique » ? Dans
l’âme du héros, si bien fermée d’ailleurs que nul ne soupçonne les
mouvements intimes. Nous sommes donc à l’opposé des conceptions
théâtrales. Ici les protagonistes ne créent pas le drame par un jeu d’intrigues
directes. Les liens entre eux et le héros sont invisibles. Nous n’arrivons à
comprendre les affres du vieil homme que par l’intermédiaire de la caméra
qui permet au cinéaste un insistant et minutieux travail d’analyse et nous
permet de lire au-delà des apparences. Chose inconcevable sur une scène.
Avec l’art, le tact et l’intelligence du « vérisme » qu’on leur connaît, de
Sica et Zavattini parviennent à nous démontrer de cette manière que l’âme
d’un passant anonyme peut recéler des secrets aussi bouleversants, aussi
dignes des soins du dramaturge que celle, plus spectaculaire, de Hamlet ou
de Macbeth. A cet égard, Voleur de bicyclette, Umberto D. me semblent
ouvrir des tentatives d’une rare importance.
32
Le second film plus encore que le premier. Car ici nous trouvons un cas
moins « singulier » - je veux dire moins rare. Des milliers d’hommes
connaissent aujourd’hui le sort de Domenico Ferrare. Ils ne furent jamais ni
plus nombreux ni plus menacés par un déséquilibre économique devenu la
maladie chronique du monde. Umberto D., ce n’est donc pas seulement la
tragédie d’un personnage, mais la tragédie d’une époque.
Louis Chauvet
*****
Le Figaro Littéraire le 18/10/1952
U
mberto D, film admirable mais inégal et à divers titres manqué,
manqué
nous paraît supérieur à bien des œuvres formellement plus parfaites, ne
serait-ce qu’à Miracle à Milan, des mêmes auteurs. Vittorio De Sica est un
des très grands hommes vivant du cinéma, et il existe peu de scénaristes
auxquels l’art de l’écran doit autant qu’à Cesare Zavattini. C’est compte tenu
de cette double prééminence que j’avais cru nécessaire de faire de graves
réserves sur Miracle à Milan, précisément. Le premier quart d’heure du film
était d’une telle beauté et si profondément digne de Sciuscià et de Voleur De
Bicyclette qu’il accusait la relative inauthenticité des séquences suivantes.
Rien de semblable avec Umberto D, dont les faiblesses et les défaillances
nous
semblent
elles-mêmes
exemplaires,
dans
la
mesure
où
elles
témoignent de l’émouvante honnêteté d’une inspiration qui n’essaye pas de
camoufler artificiellement ses manques.
Nos auteurs ont renoncé ici au néo-surréalisme de Miracle à Milan
pour retrouver le néo-réalisme de leurs œuvres antérieures. Contrairement
pourtant à beaucoup de films italiens dits néoréalistes, le scénario de
Umberto D apparaît centré autour d’un sujet dont la construction et le
traitement sont classiques. Sujet que l’on serait du reste tenté de critiquer en
raison de son peu contestable caractère mélodramatique, si on ne
s’apercevait très vite que l’essentiel du film et son véritable apport sont
ailleurs. Non pas dans l’histoire de ce retraité acculé par la misère au suicide,
mais dans les innombrables détails de sa vie et de celle des êtres qui s’y
33
trouvent plus ou moins mêlés. Dans Umberto D, c’est le sans-importance qui
est important.
Une jeune fille et un chien jouent dans l’action, mais en marge d’elle,
un rôle presque aussi central que celui de Umberto
Domenico Ferrari dit
Umberto D. Et si le vieil homme lui même nous émeut, c’est moins à cause
de la crise décisive qu’il traverse, thème apparent du film, que de ses faits et
gestes familiers, recommencés depuis des années. Bref, sa façon de vivre
nous intéresse davantage que sa façon de mourir. De même que nous
attachons plus de prix à la manière dont la jeune fille mal réveillée fait
devant nous, longuement, minutieusement, distraitement, le café matinal,
qu’à ses soucis de fille mère. Non que nous ne participions aux angoisses de
ce vieux fonctionnaire auquel sa retraite ne permet pas de vivre, ou au
désespoir de cette fille abandonnée : mais ce sont là des sujets faciles dont
le pouvoir sur notre sensibilité est naturellement si grand que nous avons
scrupule d’y céder. Tandis que l’amour d’un vieillard solitaire pour son chien,
la monotonie, la vie d’une jeune bonne, des travaux ménagers chaque matin
retrouvés, sont des sujets neufs, aussi bouleversants, pour qui sait voir, que
les plus tragiques aventures. Mais nous savons voir pour cela seulement que
Vittorio De Sica et Cesare Zavattini nous ont ouverts les yeux. Le cinéma,
cinéma art
partiellement et peut être même secondairement spectaculaire, nous révèle
ici son éminente dignité , qui est de nous obliger à remarquer enfin ce qui
nous crevait les yeux , oui, au point de nous rendre aveugles : la vie
quotidienne ; la nôtre et celle des autres.
Mais il ne s’agit pas ici de notre existence à nous, pour le moment et
depuis si longtemps préservés. Il s’agit de la vie d’êtres qui ont faim, qui ont
froid et qui sont seuls. Et c’est ici que Vittorio De Sica et Cesare Zavattini
gagnent définitivement la partie. Nous avions tendance à crier au mélo. Mais
l’accumulation des détails vrais, montrés à neuf par des poètes , authentifie à
mesure une histoire qui nous semble suspecte pour cette seule raison qu’elle
nous avait été mille fois racontée de façon suspecte ; fausse parce qu’elle
avait été dite d’une foi fausse. Ce qui est banal ne cesse pas pour autant
d’être vrai. C’est un fait qu’un peu partout dans le monde, les petits retraités
meurent à la lettre de la faim. Et que le désespoir submerge l’innocence
trahie. Dans Umberto D, le mélo s’efface ; il reste le drame.
La seule vrai faiblesse du film est qu’il finit sur une pirouette. Vittorio
D est sauvé du suicide par son chien. Mais son nouvel amour de la vie est
trompeur, puisque aucun problème n’est réglé et qu’il n’a pas plus
34
qu’auparavant la possibilité matérielle de vivre. Quant aux temps morts de
l’œuvre, aux moments où le courant ne passe pas, ils sont, il faut le répéter,
la rançon de l’honnêteté des auteurs, « qui tâcherons de faire mieux la
prochaine fois ». Il faut laisser ici la parole à Zavattini. Il déclarait récemment
à André Bazin, lequel nous l’a rapporté dans les Cahiers du Cinéma : « Ce
n’est point le principe esthétique qui est en cause (dans les défaillances de
Umberto D), mais seulement son usage. Plus le scénariste se refuse aux
catégories dramatique et spectaculaires, plus il entend conformer son récit à
la continuité vivante de la réalité, plus le choix des infimes évènements qui
en font la trame devient délicat et problématique. Que je vous aie ennuyé
avec l’angine d’Umberto, si je vous ai ému aux larmes avec le moulin à café
de ma petite héroïne prouve seulement que j’ai su choisir la deuxième fois ce
que je n’ai pas su imaginer la première.
35
I Vitelloni
Réalisation : Frederico Fellini
Scénario : Roberto Rossellini, Max Colpet, Carlo Luzzani
Année de parution : 1953
Principaux acteurs : Franco Fabrizi, Franco Interlenghi,
Eleonora Ruffo, Alberto Sordi
NOIR ET BLANC 103 Minutes
Notre critique :
C
e film est un des films de jeunesse de Frederico Fellini (il
a alors seulement 33 ans). Le jeune Fellini a jusque là collaboré à
l’écriture de nombreux films de Rossellini tels que Rome Ville
Ouverte ou Paisa. Dans les Vitelloni (les inutiles), il nous narre
l’histoire d’un groupe de désœuvrés traînant leur inutilité dans
une petite ville de province. Ils ont la trentaine, sont entretenus
tant bien que mal par leur famille. Ils ne savent pas très bien ce
qu’ils voudraient faire, ils n’ont pas été au bout de leurs études et
attendent une hypothétique proposition qui les amènerait à Rome
où à Milan pour avoir une situation prestigieuse.
Ce film laisse déjà paraître des thèmes chers à Fellini. En
effet, on y trouve le baroque, la fête, l’insolite à chaque coin de
rue, tout en gardant une approche néoréaliste du cinéma
(approche que Fellini délaissera par la suite).
Cette œuvre reçu un accueil très chaleureux et fut acclamée
à Venise, mais ce film reçu un accueil beaucoup plus froid en
France, il semble qu’un doublage de mauvaise qualité soit à
l’origine de ce mauvais accueil.
Les critiques parues à l’époque :
Le 29/
29/04/
04/1954:
1954: Le Figaro par Louis Chauvet
Le 01/05/1954:
01/05/1954: Le Figaro Littéraire
36
Le Figaro le 29/04/1954
A
Venise, l’été dernier, nous avions vu sur l’écran du Lido un film
charmant, I Vitelloni, réalisé par un jeune cinéaste italien, Frederico Fellini.
L’ouvrage évoquait un groupe d’oisifs traînant leur inutilité dans une
petite ville : piliers de café, mythomanes au petit pied, rêveurs impénitents,
quêteurs d’aventures entraînés parfois à commettre certaines extravagances.
Personnages pitoyables et comiques, peints avec une ironie judicieuse et
sans cruauté.
Le film est actuellement projeté sur un écran des Champs-Élysées. Il
s’intitule en France Les inutiles. J’ai bien failli ne pas le reconnaître. Les huit
dixièmes de ses qualités originales ont disparu.
Je m’empresse de préciser qu’il s’ait d’une coproduction. Vous avez
compris ? Les rôles principaux furent confiés à des acteurs italiens (dont
Fellini lui-même). Quelques rôles épisodiques échurent à des français (dont
Jean Brochard) qui, dans la version vénitienne étaient doublés ; inconvénient
sensible mais relativement supportable.
A l’usage de notre public, on a poussé le travail beaucoup plus loin.
Brochard parle sa propre langue. Mais les protagonistes italiens sont doublés
en français. Résultat : navrant.
La saveur de l’ouvrage tenait à l’ironie volubile des protagonistes, à
leur langage, à leur accent. Le talent des acteurs visibles est remplacé par je
ne sais quel baragouin de syllabes françaises tout au plus dignes d’un
mauvais western. Certains gestes ou mimiques n’ont plus aucun sens. L’une
des idées cocasses de l’auteur consistait à faire pleurnicher
« comme un
veau » tel ou tel de ses grands garçons. Les mêmes pleurnicheries traduites
en français rendent un son navrant. On rit encore, mais cela frise
l’emboîtage.
L’œuvre de Fellini contient suffisamment de jolies qualités pour
qu’après un tel massacre il en subsiste quelque chose.
Elle n’arrive pas moins défigurée, méconnaissable. Et ce nouvel
exemple prouve qu’il n’est plus possible de tolérer une technique aussi
monstrueuse.
Que l’on arrange comme on voudra les mélos bilingues du genre Fille
Dangereuse. Mais lorsqu’un film présente un minimum d’intérêt, il faut
choisir d’autres méthodes.
Louis Chauvet
37
*****
Le Figaro Littéraire le 01/05/1954
L
es Vitelloni. Trompé par sa présentation sur un écran des Champs-
Élysées, j’ai eu le tort d’aller voilà version française de ce film. Il faudra
recourir à la copie italienne originale (qui passe dans une salle des
Boulevards) pour vérifier le bien fondé des compliments que reçu à Venise
(en même temps qu’un prix) cette œuvre de Frederico Fellini. Telle qu’elle
m’a été présentée, elle est dénaturée par le plus malhabile doublage qui ait
peut-être jamais été enregistré. Il en résulte que la maladresse de la post-
synchronisation contamine la mise en scène : le cinéaste est lui même
ridicule là où il prenait le ridicule pour sujet. Au lieu de sourire avec
connivence de ses traits, la salle pouffe de rire à ses dépends. Un coup pour
rien et que je vous dispense de jouer.
38
Autres critiques
disponibles
Lorsque nous avons obtenu les droits sur les critiques présentées dans
ce recueil, nous avons obtenu le droit sur certaines autres critiques du
Figaro , du Canard Enchaîné et de l’Humanité. Voici à titre indicatif
quelques films dont nous disposons de critiques :
VOYAGE EN ITALIE
L’OR DE NAPLES
ANNEES DIFFICILLES
EUROPE 51
LES LUMIERES DU MUSIC HALL
LE PENSIONNAIRE
STROMBOLI
LE MANTEAU
UNE FILLE SANS HOMME
ANNA
CHRONIQUE D’UN AMOUR
LE CHEMIN DE L’ESPERANCE
DEUX SOUS D’ESPOIR
LE MANTEAU
LA LOUVE
LA CHASSE AUX MARI S
11 HEURES SONNAIENT
SANS PITIE
CHRONIQUE DES PAUVRES AMANTS
L’AMOUR A LA VILLE
39
Bibliographie
Le Néoréalisme Italien
collection CinémaAction éditions Corlet-Télérama
Le Cinéma Italien de Carlo Lizzani
Le Néoréalisme italien et ses créateurs de Patrice G.Hovald
Néoréalisme
éoréalisme italien, une expérience de cinéma social
Le N
de Raymond Borde et d’André Bouissy
Une Esthétique de la réalité : le néoréalisme d’Andre Bazin
Nous Contacter
Charles Blanchard :
mèl : [email protected]
Adrien Charpentier :
mèl :[email protected]
60 boulevard Saint-Michel
75272 Paris cedex 06
http://www.ensmp.fr
Ce recueil peut être téléchargé à l’adresse suivante :
http://perso.wanadoo.fr/neorealismeitalien
40