La Commission Européenne: une institution en déclin?

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La Commission Européenne: une institution en déclin?
Etienne
Davignon
Membre du Steering Committee
de la Table Ronde Européenne
d’Industriels. Président
de la Fondation P.H. Spaak
et de l’Institut Royal des Relations
Internationales. Président
du Advisory Board de «European
Business Network for Social
Cohesion» (EBNSC).
La Commission
Européenne:
une institution
en déclin?
L
a construction européenne se caractérise dans son organisation institutionnelle par bien des innovations, la
plus marquante étant, sans nul
doute, celle de la création d’une
«haute autorité», d’abord, de la Commission
Européenne, ensuite.
Le processus d’unification européenne ne vise
pas simplement à associer des États entre eux au
sein d’une alliance de type classique, mais bien à
créer une entité nouvelle et intégrée. Bien que le
mot ne soit pas employé, il s’agit à l’évidence
d’une démarche de type fédéraliste.
Les «Pères fondateurs», ayant cet objectif en
tête, ont inventé une institution nouvelle dont la
seule mission est d’incarner l’intérêt commun
européen. Si les membres de la Commission
doivent être de la nationalité des États membres,
ils ne représentent pas ceux-ci, et font d’ailleurs
serment d’indépendance devant la Cour de
Justice au moment de leur prise de fonction.
La légitimité de la Commission résulte des pouvoirs que lui confère le traité :
• Droit d’initiative
La Commission détient seule le droit de proposer au Conseil des Ministres les décisions que
celui-ci aura à prendre. Le vote à la majorité,
qualifiée ou non, ne peut intervenir que dans
ces conditions. La logique est évidente: la
proposition de la Commission devant refléter
l’intérêt de l’ensemble, les États mis en minorité
ne peuvent affirmer que leurs intérêts n’ont pas
été pris en compte. Si au contraire, la proposition provient d’un État membre, l’unanimité
est requise. Ceci vise à écarter l’éventualité
d’une domination que l’un ou l’autre «grand»
État chercherait à faire prévaloir.
• Gardien du Traité
La Commission se voit confier la responsabilité
de veiller au respect par les États membres des
dispositions du Traité et de l’application des
décisions du Conseil (directives ou dispositions
s’imposant directement aux États membres).
Dans ce contexte, la responsabilité de la Commission, dans le domaine de la concurrence
(aides d’État, autorisation des concentrations,
lutte contre les ententes), a crû de manière vertigineuse au fur et à mesure de la réalisation du
Marché Interne.
• Gestionnaire des Politiques communes
Au fur et à mesure de l’extension des compétences de l’Union, cette tâche a pris de l’ampleur.
À côté de l’autorité que donnent à la Commission les dispositions du Traité, son influence
est fonction de la compétence avec laquelle elle
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s’acquitte de ses différentes missions. L’administration communautaire est aujourd’hui la
seule à pouvoir évaluer de manière correcte l’implication des différentes décisions du Conseil sur
l’ensemble de l’Union. Ceci est démontré par le
fait qu’au cours des 15 dernières années aucune
initiative d’origine nationale n’a reçu l’aval du
Conseil des Ministres.
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Comment alors expliquer que les médias s’interrogent régulièrement sur le poids de la Commission et mettent en lumière une prépondérance
accrue des États membres sur la définition de la
politique européenne? À Nice, chaque État s’est
simultanément battu pour conserver «son» commissaire.
Je crois que la réponse est assez simple.
L’invention par les auteurs des traités européens d’une autorité européenne n’a jamais été
acceptée avec bonheur par les administrations
nationales. Le réflexe de la plupart des gouvernements est de donner la préférence à la méthode intergouvernementale, et donc de contester
de manière plus
ou moins ouverte
Le processus
d’unification
toute extension
européenne
ne vise pas
de la compétence
simplement
à
associer
de la Commisdes
États
entre
eux au
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d’une
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suite de l’intégrabien à créer une entité
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nouvelle et intégrée.
Sur le plan de
Bien que le mot ne soit
l’opinion publipas employé, il s’agit à
que, les gouverl’évidence d’une
nements se dédémarche de type
fédéraliste
faussent sur la
Commission en
lui imputant la responsabilité des décisions difficiles, se réservant le bénéfice de celles dont la
plus-value pour chacun des États membres est
immédiatement démontrable.
Ceci a évidemment contribué à la perception
que la Commission est devenue une entité technocratique insuffisamment enracinée dans la réalité.
Cet environnement n’est pas nouveau et a prévalu depuis la création de la Communauté
européenne. On se souviendra de la «crise de la
chaise vide» provoquée par le Général de Gaulle,
qui était notamment exaspéré par la place
prééminente que voulait occuper le Premier
Président de la Commission Hallstein, qui avait
exposé son plan de réforme de la Communauté
au Parlement Européen avant d’obtenir le «fiat»
du Conseil des Ministres.
La crise qui a provoqué la démission de la
Commission présidée par Monsieur Santer, à la
suite d’un conflit avec le Parlement Européen
portant sur le contrôle de gestion exercé par la
Commission sur ses services, a évidemment alimenté les évaluations négatives faites par les médias, et été observée sans déplaisir par les États
membres.
Qu’en est-il dans la réalité?
Pour mesurer les avancées réalisées depuis
1958, il convient de prendre en compte les repères suivants :
1. Implication dans le domaine
proprement politique
Dans les années 60, une tentative de réaliser
une union politique (Plan Fouchet) en dehors de
la Communauté Européenne a échoué puisqu’elle visait une Europe intergouvernementale.
En octobre 1970 (Rapport Davignon), les ministres approuvent une nouvelle structure de
coopération politique. Il y est notamment affirmé que «les Communautés Européennes demeurent le noyau originel...» et il est prévu que la
Commission dans les domaines de sa compétence
y participe. Avec le temps, cette distinction disparaît et la Commission deviendra un acteur à
part entière. C’est ainsi que le Commissaire van
den Broeck participera aux actions diplomatiques dans le cadre de la crise des Balkans. Mais
les Etats ont préféré désigner un «Haut Représentant» en dehors de la Commission. La
qualité et la compétence de M. Solana ne sont pas
en cause mais il est évident qu’une diplomatie
pour être efficace exige une unicité de moyens.
Aujourd’hui cela n’est pas encore le cas.
2. Reconnaissance de son statut
• Après bien des aléas, le Président de la
Commission deviendra un participant sur pied
d’égalité du Conseil Européen (Réunion des
Chefs d’État et de Gouvernement) et les décisions du Conseil Européen seront prises suivant
les règles des traités, c’est-à-dire dans le respect
du processus communautaire.
• Participation au G 8 (réunion des Chefs d’États
et Premiers Ministres d’Allemagne, du Canada,
de France, de Grande-Bretagne, du Japon,
d’Italie, de Russie et des U.S.A.)
Là aussi, après bien des discussions, le Président de la Commission prend part complètement aux délibérations de cette réunion au
sommet.
• Dans les réunions régulières entre l’Union
Européenne, les U.S.A., le Japon et bien d’autres États, la Commission et le Président du
Conseil représentent l’Union.
3. Développement de la politique
monétaire
Bien qu’à l’origine la compétence de la Communauté dans le domaine monétaire n’était pas
prévue, le Traité de Maastricht, qui décidera la
création de l’Union Monétaire, n’a vu le jour que
grâce aux travaux d’un comité présidé par
Jacques Delors, Président de la Commission.
Je pourrais aussi poursuivre en décrivant les
compétences accrues données à la Commission
dans bien des domaines nouveaux, l’environnement, la sécurité alimentaire, le dialogue social,
les grands programmes de recherche, pour ne
citer que quelques exemples.
La conclusion qu’il faut en tirer est évidente :
chaque fois que les États membres sont disposés
à réaliser des progrès dans l’unification de
l’Europe, c’est la méthode communautaire qui
prévaut: à savoir, une délégation de pouvoir aux
institutions communautaires et de ce fait une mission supplémentaire à la Commission.
Je ne voudrais cependant pas faire de la Commission et de sa situation un portrait idyllique.
Bien des imperfections subsistent, hier des am-
bigüités n’ont pas été éclaircies, bien des problèmes restent à résoudre (notamment dans le
cadre du prochain élargissement), bien des combats doivent encore être gagnés! Le Conseil
Européen de Nice a été incapable d’apporter les
réponses que le développement futur de l’Union
exige. Par exemple, il n’a pas pu choisir entre la
volonté de conserver à la Commission son caractère collégial, ce qui exige un nombre restreint de
commissaires, ou d’admettre une hiérarchie
entre les commissaires ce qui perLa conclusion qu’il faut
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tées avec la rapidité que la situation exige, il serait malhonnête en survolant le
passé de ne pas reconnaître le chemin parcouru.
Il est impressionnant!
Est-ce suffisant pour garantir l’avenir? Le nouveau Traité approuvé à Nice ne permet pas de
l’affirmer.
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