Revenus nets

Transcription

Revenus nets
Par Pierre Dorion, MD
Revenus nets
[email protected]
jours après l’ouragan, on a amorcé, trop
tard, la distribution de repas chauds
dans ma rue. Je ne voulais pas être à
part des autres, alors j’ai dû accepter un
repas. Quelle aberration !
Ma maison de retraite détruite
Les placements, comme la vie, comportent des risques
C’EST JUSTEMENT DE la Floride, en plein
désastre causé par l’ouragan Wilma, que
j'ai rédigé cette chronique houleuse,
dans la belle maison mobile que, dans
ma planification de retraite, j'ai achetée il
y a plusieurs années, sur le bord d'un
grand lac, à Pembroke Park, entre Miami
et Fort Lauderdale. Une partie du toit,
volatilisée, se retrouve justement dans le
lac, devant moi… On y reviendra plus
loin, mais parlons d'abord d'un placement turbulent que j’ai effectué dans la
Maison Forget. Les plus âgés s’en souviendront : c’était la plus vieille maison de
courtage au Canada. Mon père m’avait
pourtant averti de ne pas faire confiance
aux « brokers » (courtiers) qui l’avaient
presque ruiné lorsque j’étais enfant.
Début des années 70, après avoir remboursé mes dettes, hypothèques et
autres emprunts, après avoir retardé mon
année financière pour suivre la mode du
temps, après avoir investi dans mes
REER, je me suis retrouvé avec un surplus d’argent. C’est alors que mes
instincts d’aventurier dans les affaires ont
pris le dessus et que j’ai pensé faire de
bons placements en choisissant la
Maison Forget. J’ai fait naïvement et rapidement confiance à cette maison qui
avait une bonne réputation. En rétrospective, avec l’aide d’un courtier audacieux,
j’ai spéculé au lieu d’investir. Certains se
souviendront peut-être de ces compagnies de films, d’exploration minière et
d’huile de toutes sortes : Modico, Bercan,
SXL Diversifiels, Fallinger, Belgium
Standard et Cinevision, dans lesquelles
j’ai placé 11 000 $. La richesse était au
bout du fil de téléphone.
Un jour, la Maison Forget, comme
Norbourg, a déclaré faillite. Le 26 avril
1973, j’écrivais, éploré et naïf, à la
Commission des valeurs mobilières, leur
demandant conseil. Je n’ai eu aucune
réponse. La perte fut totale et définitive.
Espérons que les centaines de médecins
qui ont presque tout perdu en investissant chez Norbourg pourront en
récupérer une partie.
En 2005, en Floride, vous voilà à nouveau dans
la turbulence, avec Wilma?
Avant de quitter le Québec, début
novembre, pour notre séjour annuel, j’ai
été régulièrement mis au courant de
l’évolution du désastre de l’ouragan
Wilma. J’ai retardé mon arrivée d’une
semaine. Mon épouse appréhendait le
pire et elle a eu raison de me laisser partir seul. À mon arrivée en Floride, constatant les dégâts majeurs laissés par
l’ouragan Wilma partout dans mon
entourage et sur ma maison mobile, j’ai
eu le goût de retourner immédiatement à
Québec. En arrivant dans la zone sinistrée, j’ai été accueilli par la CroixRouge, qui m’a offert un repas chaud. La
FEMA, l’organisme fédéral tant décrié
pour sa lenteur à agir en NouvelleOrléans, a été à la hauteur de sa réputation : au retour de l’électricité, quinze
Pour empêcher l’eau de pénétrer dans la
maison, j’ai réparé temporairement le toit,
j’y ai placé une toile en attendant les contracteurs qui ne viendront pas avant un an
tellement ils ont du travail, même si j’ai les
moyens de les payer plus cher… Dans la
construction, en Floride, actuellement,
c'est la jungle. Les nouvelles rapportent
régulièrement des histoires d’escrocs. Les
normes de construction sont devenues
plus sévères. Seul le « contracteur »
accrédité peut planter un clou.
Cependant, avant de le faire, il doit obtenir
un permis de la Ville après avoir présenté
un plan approuvé par un architecte. Je
suis assuré pour 35 000 $ et j’espère
recevoir environ 10 000 $ sur des réparations qui pourraient me coûter 25 000 $.
Avant de venir ici, j’étais anxieux de
constater les faits. Une fois sur place,
l’anxiété s’est transformée en une sensation d’impuissance que partagent tous
mes voisins et qui stimule l’entraide. Je
comprends beaucoup mieux ceux qui
ont survécu à l’ouragan dans la noirceur
pendant quelques semaines. Je comprends mieux les survivants de la
Nouvelle-Orléans et d’ailleurs.
Bref, j’essaie de planifier le futur : vendre
puis louer? C’est l’idée de plusieurs, mais
il faut laisser retomber la poussière. Le
soleil, la chaleur, les palmiers, la verdure,
le lac et la plage font vite oublier les
dégâts des ouragans. Mais ce que je
n’oublie pas, c’est l’augmentation du
nombre des ouragans et de leur puissance qui aura un impact certain sur les
propriétaires, mais à un degré beaucoup
moindre sur les locataires.
Quelle leçon tirer de ces événements?
Les placements, comme la vie, comportent des risques. L’impuissance suit
l’anxiété. Toujours être prêt à vivre en
simplicité volontaire ou involontaire… Le
contrôle de notre environnement n’est
pas toujours possible. Il faut demeurer
alerte. À la prochaine turbulence. ⌧
L’auteur est psychiatre et conseiller stratégique chez Médidor / Facturation.net
12
S A N T É
I N C .
J A N V I E R
2 0 0 6