Lettre ouverte aux entreprises de Belgique qui veulent préserver le

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Lettre ouverte aux entreprises de Belgique qui veulent préserver le
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entreprises de Belgique qui veulent préserver le (...)
Lettre ouverte aux entreprises de Belgique qui
veulent préserver le climat
jeudi 17 novembre 2016
Lettre ouverte parue dans le journal L’Echo de ce jeudi 17 novembre co-signée par : Christophe Schoune,
Secrétaire général d’Inter-Environnement Wallonie ; Danny Jacobs, Directeur de Bond Beter Leefmilieu ;
Antoine Lebrun, Directeur de WWF Belgique ; Vincent De Brouwer, Directeur de Greenpeace Belgique.
« Le changement climatique représente l’un des principaux défis planétaires du 21 e siècle. (…) si un
accord fructueux pouvait être trouvé à Paris, l’UE devrait renforcer ses objectifs de réductions
d’émissions pour 2030 et 2050. (…) Retarder la transition est exclu : les conséquences seraient lourdes et
cela nuirait aux progrès socio-économiques. »
Automne 2015. Quelques semaines avant la conférence de Paris (COP21), plus de 120 entreprises et
organismes de renom en Belgique s’engageaient par ces mots à mettre les moyens à la hauteur des enjeux
et ce, dans la prestigieuse enceinte de la Maison Solvay, en présence du Vice-Premier ministre Didier
Reynders et de la ministre fédérale de l’Environnement, Marie-Christine Marghem,.
« Nous œuvrerons en tant qu’ambassadeurs de l’action climatique » promirent notamment le Port
d’Anvers, Befimmo, BNP Parisbas Fortis, Bpost, Coca-Cola, Cofinimmo, Deloitte, D’Ieteren, Delhaize,
Electrabel, Ikea, ING, Janssen Pharmaceutica, KBC, KPMG, Mobistar, Nestlé, Proximus, Randstad,
Siemens, Sodexho, Sovay, Telenet, UCB, Umicore, Unilever, Vlerik Business School, pour ne citer qu’un
petit échantillon de cette impressionnante délégation, comprenant plus de la moitié du BEL20 réunie au
sein de TheShift.be (plateforme belge du développement durable).
C’est à juste titre que cette initiative a été saluée : les entreprises ont un rôle crucial à jouer pour
permettre la transition vers une société décarbonée. Depuis les engagements annoncés conjointement par
la Chine et les Etats-Unis à l’automne 2014, une dynamique positive s’est imposée au niveau mondial en
matière de politique climatique. L’élection américaine n’est pas une bonne nouvelle à cet égard, même s’il
est trop tôt pour en mesurer les conséquences réelles. Mais il est clair que l’Europe, longtemps leader en
matière de climat, s’est fait rattraper ces dernières années, tant sur le plan politique que sur le terrain des
investissements bas carbone. Et à comparer les engagements pris au sein de TheShift.be avec les
positions défendues aujourd’hui encore par la principale fédération d’entreprise belge, la FEB, on est en
droit de se poser des questions.
Comment en effet interpréter le fait que la FEB, après avoir ces dernières années pressé nos décideurs de
réduire les objectifs climatiques européens, leur demande maintenant de réduire les objectifs envisagés
au niveau belge, en particulier pour les secteurs non-ETS (bâtiment, transport, agriculture…) ? Au lieu de
35 % de réduction d’émissions pour 2030, la FEB souhaite que la Belgique se contente d’une réduction
proche de 24 % ! Elle manque ainsi une belle occasion de stimuler l’activité liée à la rénovation
énergétique du bâti, au développement d’une mobilité et d’un modèle agricole plus durables. Comment
comprendre que la FEB freine quasi systématiquement toute ambition climatique, dans un mouvement
inverse à celui prôné ci-dessus par nombre de ses membres ?
Défendre un accroissement du libre-échange, tout en se plaignant sans cesse d’une régulation
environnementale trop forte et d’une concurrence internationale inéquitable est une posture qui ne
semble plus convaincre par les temps qui courent. Lors du dialogue officiel entre les différentes parties
prenantes préalable à la COP22, nous avons demandé à la FEB quelles étaient ses propositions
alternatives permettant d’avoir une chance réaliste de faire face au danger climatique. Nous attendons
toujours la réponse. Il est indéniable que la transition implique le recul de certaines activités et l’avancée
d’autres. Mais plutôt que de prôner un statu quo intenable, il est temps de se mettre autour de la table
pour trouver le meilleur moyen de faire face au problème.
Faut-il rappeler qu’il y a quelques années, sous l’impulsion d’une autre équipe dirigeante, la FEB semblait
prendre plus au sérieux la question de la soutenabilité du développement économique ? Les intérêts
corporatistes de court terme ont-ils pris le dessus sur la nécessité de défendre l’adaptation de notre
économie et de notre société à la réalité des défis actuels ?
Dans son évaluation des conséquences économiques des changements climatiques publiée en septembre
2016, l’OCDE estime que les pertes économiques peuvent aller jusqu’à 10 % du PIB mondial au cours de
ce siècle, ajoutant que les changements climatiques représentent « un risque systémique pour l’ensemble
de l’économie ». L’OCDE estime en outre qu’une réduction précoce et ambitieuse des émissions est à
même de réduire de moitié les pertes économiques en 2060, et plus encore par la suite.
En outre, plaider pour une moindre ambition climatique aujourd’hui comme le fait la FEB, c’est s’assurer
de devoir durcir et accélérer encore les efforts dans les années à venir. Cela revient à plaider pour un
cadre politique intrinsèquement instable, en contradiction frontale avec la requête de la même FEB de
plus de stabilité dans les politiques environnementales.
D’où viennent ces contradictions ? Les entreprises en pointe sur l’enjeu climatique sont-elles
suffisamment vigilantes face aux positionnements de leurs fédérations ? Les entreprises qui bloquent
ont-elles une conscience juste des enjeux ? Les fédérations ont-elles intégré le fait que plus de 100 pays
comptant pour près de trois quarts des émissions mondiales ont déjà ratifié l’Accord de Paris ?
Aujourd’hui, les lignes doivent bouger au sein des entreprises et de leurs fédérations. Ceux qui avancent –
et l’espace nous manque ici pour détailler les nombreuses initiatives entrepreneuriales qui vont dans le
bon sens – ne peuvent plus admettre la mise en péril générale imposée par les immobilistes. C’est une
question de crédibilité et de légitimité sociétale. A défaut, c’est le monde patronal dans son ensemble qui
sera vilipendé sans grande nuance pour une irresponsabilité perçue comme aveugle et coupable. Pour
faire partie de la solution, la première chose à faire, c’est de ne plus se comporter en obstacle perpétuel.
Christophe Schoune, Secrétaire général d’Inter-Environnement Wallonie
Danny Jacobs, Directeur de Bond Beter Leefmilieu
Antoine Lebrun, Directeur de WWF Belgique
Vincent De Brouwer, Directeur de Greenpeace Belgique