spécial élection 2007

Transcription

spécial élection 2007
ÉCONOMIE
De l’argent pour
rentrer au pays
REPORTAGE
Quand les rappeurs
font de la politique
ENQUÊTE
KICK BOXING, MUAY THAÏ...
La laïcité
en campagne
Les nouveaux sports
de combat cartonnent
MODE
LA BANLIEUE
PREND SA
REVANCHE
N° 3 - Avril 2007 - Le magazine de la communauté maghrébine en France
SPÉCIAL
ÉLECTION
PRÉSIDENTIELLE
2007
Sarko, Ségo, Bayrou :
leurs programmes comparés
thème par thème
L’élection vue par
Mehdi Qotbi,
Abdelwahab Meddeb
et Yamina Benguigui
Trois économistes
jugent les promesses
Comment on vote
dans les cités
sommaire
4 L’essentiel
Toutes les infos en bref sur
le Maghreb, les relations
bilatérales et internationales.
18 Décryptage
18 L’aide au retour : des sous
pour rentrer au pays
22 L’économie en bref
24 Quand les rappeurs flirtent
avec la politique
28 L’argent des émigrés :
une manne inépuisable ?
30 La laïcité en campagne
34 Portrait : le patron, ses potes
et ses assoc’s
36 Al Jazira, un groupe qui monte,
qui monte…
42
40 Algérie : secret défense sur
les essais nucléaires français
42 Dossier
Présidentielle :
comment voter
58 Société
58 La darija, une langue
62
66
Réa - MaxPPP - DR
70
74
qui déchaîne les passions
Mode : la banlieue prend
sa revanche
Kick boxing, muay thaï...
Avec les pieds et les poings
Ils sont rentrés en Algérie
Bidonvilles : on ose enfin
en parler
76 Vous
86 Culture
76 Le Ryad : le Maroc en plein
78
80
82
83
84
86 Tendance Bellydance
89 Expo : “Désirs d’Orient”
90 Cinéma : autour de la Guerre
cœur de Marseille
La Tunisie au meilleur prix
Croisières : le Maghreb au fil
de l’eau
Avis d’expert : question sur le
Code de la nationalité au Maroc
Le forum des lecteurs
et des internautes
Pour ou contre les statistiques
ethniques
d’Algérie
92 Musique : Souad Massi
94 Livres
96 L’agenda culturel
40
18
76
86
Et retrouvez-nous sur www.lecourrierdelatlas.com
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
LE COURRIER DE L’ATLAS 3
l’essentiel
A Casablanca, un héros ordinaire
évite un bain de sang
A
lors que les menaces d’attentats se faisaient de plus en plus lourdes sur Casablanca, deux jeunes kamikazes, Abdelfettah
Raydi et Youssef Khoudri, sont venus donner raison aux forces de sécurité actuellement sur la
brèche. Dans la nuit du dimanche 11 mars, bardés chacun d’une ceinture d’explosifs, ils ont
investi un cybercafé de la ville, avant que l’un
des deux ne s’y fasse exploser tandis que l’autre
prenait la fuite. Blessé par la déflagration, il sera
arrêté quelques heures plus tard dans un quartier limitrophe, alors qu’il se dirigeait vers un
hôpital pour y être soigné après s’être débarrassé de sa charge explosive.
4 LE COURRIER DE L’ATLAS
Il est près de 21 h 45 dans l’avenue Al Adarissa,
quartier de Sidi Moumen, celui-là même d’où
étaient issus les treize kamikazes ayant ensanglanté la ville de Casablanca lors des attentats
du 16 mai 2003 qui ont fait trente-deux morts,
quand deux jeunes entrent dans un cybercafé et
s’attablent face à un ordinateur. Devant la rudesse de leurs gestes, le gérant de ce petit commerce familial, Mohamed Fayez, s’approche pour
leur demander de “prendre soin du matériel” et
remarque qu’ils tentent de se connecter à un site
intégriste. Les menaçant d’appeler la police, il
est pris à parti par les deux jeunes. Soudain,une
déflagration vient secouer le local, faisant un
mort, Abdelfettah Raydi, et quatre blessés dont
le jeune gérant.
Le kamikaze dont la charge s’est déclenchée
n’est pourtant pas un inconnu des services de
sécurité. Agé de 23 ans, ce chômeur sans domicile fixe avait été arrêté et condamné en novembre 2003 à cinq années de prison ferme dans le
cadre de la loi antiterroriste entrée en vigueur
après les attentats de la même année, avant de
bénéficier, en 2005, de la grâce royale. Il était
recherché depuis plusieurs mois pour divers délits. Quant à son alter ego, Youssef Khoudri,
bientôt arrêté dans le quartier de Sidi Othmane
après l’explosion, il serait âgé de 18 ans et traî-
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
l’essentiel
Billet
Les vrais objectifs d’Al-Qaida
C
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ent admise, l’objectif premier d’Al-Qaid
ontrairement à une opinion communém
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Ce sont eux qu’elle veut
sont donc les Arabes et les musulmans.
ramener vers l’obscurantisme.
et les faire
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Al-Qaida poursuit un seul objectif : dom
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soit, où les femmes seraient
vivre sous le système le plus rigoriste qui
talibans.
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La tentative d’attaque d’Al-Qaida contre
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sera toujours sous le risque d’une initia
aire, le bilan aurait pu être lourd.
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Il y a quelques mois, Al-Qaida avait
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salafiste pour la prédication et le com
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Sahel africain. Depuis, il y a eu une gross
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terroriste dans les pays
de terrorisses fusillades en Tunisie où une vingtaine
labellisée Al-Qaida en Algérie, deux gros
, une tentative au Maroc.
tes infiltrés ont été neutralisés, et enfin
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En Algérie, en Tunisie et au
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ont l’occasion. Al-Qaida n’a aucune emp
aux terroristes à chaque fois qu’elles en
rs exclusif à la violence.
populations, c’est ce qui explique son recou
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musulmans doivent comprendre que l’Occ
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en aucun cas
peut être spectateur ou allié objectif, mais
erme
l’enf
ce,
musulmane, les faux savants, l’ignoran
interprétations radicalistes de la religion
.
ment et les réflexes tribaux et claniques
Naceureddine Elafrite
Joëlle Vassort/MaxPPP
Et vous, qu’en pensez-vous ?
Votre avis nous intéresse.
se.com
Ecrivez-nous à contact@dmpres
traînerait ses guêtres dans un bidonville de Sidi
Moumen. Les enquêteurs plancheraient actuellement sur les conditions de leur rencontre, ainsi
que sur leurs connexions avec les réseaux structurés du Groupe islamique combattant du Maroc
(GICM) dont le chef militaire, Saâd Houssaïni,
vient d’être arrêté le 6 mars dernier dans un cybercafé de Sidi Maârouf, à Casablanca. Le cybercafé où a eu lieu l’explosion ne serait pas le lieu
initialement visé, mais un passage obligé où les
kamikazes devaient récupérer leurs instructions
et les coordonnées de l’endroit où leur acte devait être accompli, ailleurs à Casablanca.
Au lendemain des attentats, les forces de sécu-
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
rité marocaines ont procédé à une rafle massive
et arrêté une dizaine de suspects ayant eu des
liens potentiels avec Abdelfettah Raydi, dont
certains salafistes également graciés en 2005
après avoir été condamnés deux ans auparavant.Deux jours plus tard, ils investiront une
chambre de terrasse dans le quartier Moulay
Rachid, occupée deux semaines durant par les
deux kamikazes, dans laquelle ils trouveront une
centaine de kilogrammes de produits ayant servi
à la fabrication d’explosifs. Le feuilleton terroriste est à nouveau en marche à Casablanca. Où
s’arrêtera-t-il ?
Amine Drissi
4, rue Halévy, 75009 Paris
Tél. : 01 53 43 33 40. Fax : 01 47 42 06 47
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Rédaction : Céline Fornali (76),
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LE COURRIER DE L’ATLAS 5
l’essentiel
Le prince héritier Moulay Hassan
a désormais une petite sœur.
Lalla Khadija est née le 28 février
à Rabat. Les photos de la
cérémonie de baptême, organisée
sept jours après la naissance,
seront publiées en exclusivité par
deux revues marocaines, “Nissae”
qui est le numéro un de la presse
féminine marocaine et “Citadine”.
Cette ouverture vers la presse
nationale est une nouveauté,
les photos de la famille royale,
en particulier lors des grands
événements (mariages, naissances),
ayant été jusque-là réservées à
“Paris Match”.
Aveux
Le Pakistanais Khalid
Cheikh Mohamed
a revendiqué la
responsabilité
de 31 opérations
terroristes
d’Al-Quaïda lors d’un
interrogatoire
à Guantanamo. Parmi
ces opérations, on
trouve les tentatives
d’assassinat contre
Jimmy Carter, Bill
Clinton et Jean Paul II.
Il a également assumé
la responsabilité
d’autres actions : le
premier attentat de
1993 contre le World
Trade Center à New
York, les attentats de
Bali en 2002. Deux
sénateurs américains,
témoins des aveux du
prisonnier ontdéclaré
que les allégations
du détenu sur des
mauvais traitements
à Guantanamo
devaient être prises
au sérieux et faire
l’objet d’une enquête.
6 LE COURRIER DE L’ATLAS
Code de la nationalité
La folie
Marrakech
D
écidément,
les Européens
ont le béguin pour
Marrakech ! En 2006,
le service des
étrangers du
commissariat central
de police de
Marrakech a été
débordé. Le nombre
de demandes de
cartes de séjour
par des étrangers
s’élèverait à quelques
dizaines de milliers,
dont plus de la moitié
par des Français.
Vols de voitures
Gangs israélopalestiniens
Vive l’égalité homme-femme S
L
aux étrangers. Ce qui se traduit par des
’enfant d’une femme marocaine est
aberrations. Par exemple, l’enfant n’a pas
marocain quelle que soit la nationalité
d’état civil ou doit disposer, à partir de 15
de son père. Après la réforme de la Mouans, d’une carte de résident renouvelable
dawana (code de statut personnel), le Matous les ans.
roc s’apprête à passer à une autre étape en
Au-delà des tracasseries administratives, le
amendant le Code de la nationalité qui
Code de la nationalité crée de véritables draverra l’égalité femme-homme se concrétiser vis-à-vis de l’octroi de la nationalité.
mes sociaux, voire psychologiques. Pour metTandis qu’en Tunisie la femme mariée à un
tre fin à ces injustices, les associations de
non-Tunisien peut, dedéfense des droits des
puis 1997, transmettre CE NOUVEAU CODE EST
femmes et de l’enfant
sa nationalité à ses enont entamé il y a quatre
LE FRUIT DES EFFORTS
fants, que l’Algérie a
ans un long et patient
octroyé ce même droit DES ASSOCIATIONS DE
travail d’explication. La
en 2005 à ses citoyen- DÉFENSE DES DROITS
société civile marocaine
nes, au Maroc, l’acquisi- DE LA FEMME.
veut aller plus loin. Elle
tion de la nationalité
estime nécessaire de prodemeurait paternelle. L’article 6 du Code de
céder à une révision complète du Code de
la nationalité marocaine est clair. “Est ma1958, qui est, selon elle, complètement dépassé. Que dire, par exemple, de l’article 9
rocain, l’enfant né d’un père marocain et
qui stipule que “sauf opposition du ministre
l’enfant né d’une mère marocaine et d’un
père inconnu.” En d’autres termes, la filiade la Justice, acquiert la nationalité marocaine, si elle déclare opter pour celle-ci, toute
tion légitime pour l’attribution de la natiopersonne née au Maroc d’un père étranger,
nalité marocaine est paternelle. La mère
lui-même né au Maroc, lorsque ce dernier se
peut conférer la qualité de marocains à ses
rattache à un pays dont la fraction majorienfants dans le seul cas où le père de ses
enfants serait inconnu ou apatride. Cette
taire de la population est constituée par une
situation prive du passeport marocain de
communauté ayant pour langue l’arabe et
très nombreuses personnes, nées de mariapour religion l’islam et appartenant à cette
ges mixtes. Qui, à ce titre, doivent se plier
communauté” ?
aux procédures administratives appliquées
(Lire également en page 82 l’avis d’expert)
i, si ! Sur plus de
33 000 voitures
volées chaque année
en Israël, 70 % le sont
par des Palestiniens.
Ce trafic de voitures
s’effectue à partir de
Kalkiliya, une ville
frontière entre Israël
et la Cisjordanie. Les
véhicules sont volés
à Tel Aviv et dans les
grandes villes
israéliennes par des
jeunes des camps
de réfugiés. Ceux-ci
parviennent à franchir
le mur de béton grâce
à des gangs israéliens
qui travaillent avec
eux. Ces voitures sont
ensuite acheminées
jusqu’à Naplouse
où elles sont ensuite
revendues. Un
commerce qui
prolifère alors que
la capitale du Nord
de la Cisjordanie n’a
jamais été autant
surveillée par l’armée
israélienne.
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
Ali Ninh/MAP
11-septembre
Ryads
l’essentiel
Au moment où
les Fédérations
des communautés
marocaines en Europe
s’apprêtaient à
manifester devant les
ambassades d’Arabie
Saoudite pour
dénoncer la
condamnation à mort
de Majda Maher, les
autorités wahhabites
ont gracié la jeune
femme la veille de son
exécution. Cette
Marocaine de 40 ans
a été libérée après
que les enfants
et la famille du prince
Farid Ben Abdullah
Bin Mishari ont retiré
leur plainte pour
meurtre, plainte qui
avait conduit Majda
à la condamnation à
la peine capitale par
un tribunal saoudien.
Selon la loi en vigueur
dans ce pays
concernant les crimes
de sang, seul le
pardon de tous les
membres de la famille
peut sauver un
meurtrier, en plus du
paiement de la “diya”,
sorte d’amende du
sang. Majda Maher,
croupissait en prison
depuis sept ans.
Amnesty
International avait
lancé une campagne
pour faire la lumière
sur cette affaire .
Elle reprochait à la
justice saoudienne
d’avoir interdit à
l’accusée de recourir
à un avocat pour sa
défense et de faire
appel.
8 LE COURRIER DE L’ATLAS
droits de l’enfance
Le Maroc s’attaque enfin
à la mendicité
Pour la première fois au Maroc, des enquêtes sur la mendicité ont été réalisées ainsi qu’une évaluation du nombre de
mendiants et surtout une politique pour venir à bout de ce
fléau. Selon une étude réalisée par la Ligue marocaine pour
la protection de l’enfance, en collaboration avec l’Entraide
nationale et le ministère de la Santé publique, les enfants
sont souvent utilisés pour pousser les âmes charitables à
mettre la main à la poche en faisant appel à plusieurs
“techniques”.
Les femmes utilisent souvent les enfants de moins de 7 ans.
Elles les “exposent” sur un lit de fortune dans les plus achalandées des rues commerçantes ou portent des bébés en
stationnant toute la journée près des feux rouges. Des handicapés sont amenés (et souvent malmenés) pour faire la
quête quotidienne de quelques pièces... Ce sont là quelques
scènes d’un spectacle désolant vécu dans les grandes villes
du pays. La “récolte” quotidienne oscille en moyenne entre
50 et 100 dirhams (un euro = 11 dirhams). Et ce sont des
adultes exploiteurs qui s’accaparent le fruit de ces oboles.
L’enquête précise que la santé d’un tiers de ces enfants est
loin d’être au beau fixe : maladies chroniques, diabète, hypertension.... Le risque, pour ces enfants, est évidemment
de prendre goût à cette “profession” et de reproduire le
même scénario dans leur vie d’adulte, d’autant plus que,
affaires administratives et qu’il a perdu son portefeuille.
dans la majorité des cas, une relation existe entre les enPour faire face à ce phénomène de la mendicité, les autorifants et leurs accompagnateurs.
tés marocaines, à travers des plans d’action, focalisent leur
La mendicité est un réseau bien
démarche sur cinq axes essentiels comportant, outre l’intégration sociale des
organisé. On ne peut pas mendier LA SANTÉ D’UN TIERS
personnes handicapées, la protection
quelque part sans payer une somme DE CES ENFANTS EST
de l’enfance, la promotion de la condid’argent aux propriétaires des “conces- ÉVIDEMMENT LOIN
tion de la femme, la lutte contre l’exsions”. Pour chaque zone, il y a un proD’ÊTRE AU BEAU FIXE.
clusion sociale et le partenariat avec les
priétaire auquel les mendiants doivent
associations. Une approche qui s’inscrit
verser un droit d’occupation.
en droite ligne des engagements internationaux pris par le
Il existe une autre catégorie de mendiant, celle du menMaroc afin de venir à bout des précarités sociales et de
diant gentleman. Il s’agit généralement d’hommes ou de
promouvoir les droits des diverses catégories sociales pour
femmes d’un certain âge. D’une manière très polie, il deque celles-ci puissent mener une vie digne. Une loi qui crimande si vous pourriez lui donner 10 dirhams pour qu’il
minaliserait l’utilisation des enfants pour mendier est sépuisse prendre son ticket de train. Il vous raconte aussi qu’il
rieusement envisagée.
était de Casablanca, qu’il est venu à Rabat pour régler des
musique
Nass El Ghiwane en tournée européenne
M
artin Scorsese les appelait “les Rolling Stones
d’Afrique du Nord”. Ils ont révolutionné la musique marocaine et passionné les foules, génération après
génération. Près de trente ans après leur création, les
légendaires Nass El Ghiwane sont de retour avec un tout
nouvel album : Enahla Chama, sorti au Maroc au début
de l’année et attendu en France ce printemps. Pour l’occasion, le groupe se lancera dans une grande tournée
européenne tout au long du mois de mai, de Lille à Barcelone en passant par Bruxelles, avec un concert exceptionnel le 18 mai à l’Olympia, à Paris. Plus de scoops sur
les Ghiwane, leur musique et leurs projets dans notre
prochain numéro, avec une interview exclusive.
Ils seront à Paris (Olympia) le 18 mai, à Lille le 17, puis à
Bruxelles et Madrid. Ils sortent également un nouvel album en France chez EMI.
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
A.Senna/AFP
Justice
Majda Maher
graciée en
Arabie
Saoudite
l’essentiel
Maroc
La culture de cannabis régresse
S
elon L’Organe international de contrôle des stupéfiants réseaux de trafiquants opérant en Europe. Les recettes
(OICS), le Maroc a fait des efforts réels en matière de tournent autour de 214 millions de dollars en 2003. La prolutte contre le trafic de drogue. Il souligne que ces efforts ont duction est vendue à 66 % sous forme brute, transformée
permis une “réduction très significative et sans précédent de à 34 % en poudre, représentant 0,57 % du PIB marocain,
40 % de la superficie cultivée du cannabis et la chute consi- estimé à 37,3 milliards de dollars. Le revenu moyen tiré du
dérable de la production de la résine du cannabis à environ cannabis par chaque famille est estimé à 2 200 dollars, soit
62 % par rapport à 2004”. Dans son dernier rapport, l’office environ la moitié (51 % de son revenu annuel total évalué
des Nations unies contre la drogue et le crime constate une à 4 351 dollars) en 2003. L’Etat a puisé dans ses caisses
pour proposer des compensations parbaisse de 10 % en 2004 de la culture
illicite du cannabis au Maroc. Fait inha- LES ASPERGES, UN LÉGUME tielles. Il finance des coopératives dans
des secteurs alternatifs comme l’olive.
bituel : il va même jusqu’à “féliciter le QUI RAPPORTE AUTANT
L’idéal serait de planter des fraises, du
gouvernement pour ses efforts” . En QUE LE KIF ET NE
2004, la province de Larache produisait
DEMANDE PAS PLUS D’EAU. safran, du cumin ou, mieux, des asperges, un légume qui rapporte autant
10 000 tonnes de cannabis brut, soit
environ 10 % de la production nationale. Comme c’est le que le kif et ne nécessite pas plus d’eau. Il faudrait aussi
cas pour les autres drogues illicites, cette production dé- construire un barrage et goudronner les pistes pour écouler
pend de la demande. Certes, les producteurs ne réalisent les marchandises. Depuis quelques mois, une route digne
qu’un revenu total de 214 millions de dollars, mais la valeur de ce nom relie Larache à Chefchaouen-la-Blanche. Sa récommerciale globale du cannabis marocain est évaluée à novation a repoussé le kif vers des zones plus reculées. Ces
12 milliards de dollars qui reviennent en grande partie aux efforts sont salués par l’ONU.
Le “Courrier de l’Atlas” fête son numéro 2
...qui s’amuse avec Najwa Confaits, candidate
aux élections législatives au Havre.
Ci-dessus, Rachid Benzine, un des nouveaux penseurs
de l’islam, qui collabore avec le Courrier de l’Atlas.
Chaleur humaine, rires, ambiance décontractée
dans les locaux du “Courrier de l’Atlas” ce mercredi
28 février. Notre équipe recevait en effet
une partie de ses amis. Ecrivains, diplomates,
artistes, journalistes... sont venus nombreux soutenir
l’équipe et lui souhaiter bon vent.
Hassan Ziady,
rédacteur en chef,
avec Dominique
Baudis, président
de l’Institut du
monde arabe.
Le même avec Eric Revel de LCI.
Malek Chebel, auteur du “Kama-Sutra arabe”.
10 LE COURRIER DE L’ATLAS
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
Clarisse Rebotier/Barbara Laborde/S.Saustier Gamma.
Radio-Orient était représentée en force :
Nadia Bencheikh, Leïla Madani...
l’essentiel
Réseau routier
Algérie : l’autoroute Est-Ouest,
un chantier colossal
e 14 mars dernier, le président de la République
qu’elle va pour l’essentiel suivre le tracé des nationales 4 et
algérienne, Abdelaziz Bouteflika, a procédé à Ham5, qui rallient Alger à Oran et Alger à Constantine. D’ici
madi, dans la wilaya de Boumerdès, à la pose de la pre2009, il ne faudra plus que dix heures de route pour aller
mière pierre du projet de l’autoroute Est-Ouest en Algérie.
de Tlemcen à Annaba. Quant aux zones sur la côte et les
Considérée comme le projet du siècle dans le pays, cette
Hauts Plateaux qui ne seront pas directement traversés par
autoroute devrait permettre de créer
l’autoroute, elles seront desservies par
quelque 200 000 emplois et d’améliodes raccordements au réseau principal
rer l’attractivité du tissu socio-écono- D’ICI 2009, IL NE FAUDRA
ramenant la longueur cumulée du rémique algérien. Le coût global du pro- PLUS QUE DIX HEURES
seau à 1 700 km. Elle sera réalisée
jet s’élève à plus de 800 milliards de POUR ALLER DE TLEMCEN
“aux normes européennes”, en deux
dinars (environ 8,5 milliards d’euros).
fois trois voies et avec la prise en
À ANNABA EN VOITURE.
Le chantier devrait durer quarante
compte de mesures parasismiques
mois. Sur 1 216 kilomètres, l’immense
pointues, ce qui coûtera 10 à 15 % en
ouvrage reliera El Tarf, à l’extrême est du pays, à Tlemcen,
plus du montant total. Onze tunnels devront être percés et
wilaya de l’extrême ouest, tout en desservant les princi390 ouvrages d’art réalisés, dont 25 viaducs, pour joindre
paux pôles économiques de l’Algérie dans 24 wilayas.
les frontières tunisienne, à l’est, et marocaine, à l’ouest. A
quand l’autoroute trans-maghrébine ?
Cette autoroute ne modifiera pas le paysage routier puis-
En juin
Cité nationale de l’histoire
de l’immigration
L
’idée d’un musée de l’immigration
a été formulée il y a plus de quinze ans,
la Cité nationale de l’histoire de l’immigration
devait être inaugurée ce mois d’avril, à Paris.
En raison de la lourdeur des travaux à effectuer
dans les 16 000 m2 du palais de la Porte Dorée,
son ouverture est repoussée à mi-juin 2007.
Il faudra donc faire preuve d’encore un peu de
patience pour découvrir l’exposition “Repères”
et que l’enrichissement de la culture française
par les diverses immigrations fasse enfin
officiellement partie du patrimoine de la
République.
12 LE COURRIER DE L’ATLAS
Flotte aérienne
Premier décollage pour
la filiale égyptienne charter
du Tunisien Karthago
Ç
a y est ! Le premier vol commercial de la nouvelle compagnie aérienne Koral Blue, filiale égyptienne du Tunisien Karthago Airlines, a décollé le 23 mars dernier. Spécialisée en charter, Koral Blue a été lancée en octobre 2006
pour répondre à la demande croissante des tours-opérateurs couvrant la Mer Rouge et l’Afrique du Nord. Sa base
opérationnelle est située à Charm El Cheikh. Koral dispose
d’un Airbus A320 d’une capacité de 180 places, premier
d’une flotte homogène à venir qui se développera dans les
cinq prochaines années. Son management et son business
model s’appuieront sur celui de la maison-mère, la compagnie aérienne tunisienne Karthago Airlines, qui affirme ses
ambitions à l’international.
Services
“00 216”
un guide
gratuit pour
les Tunisiens
résidant à
l’étranger
L
a communauté
tunisienne de France
disposera bientôt d’un
guide de services
dénommé “00 216”.
Gratuit, il sera distribué
en 100 000 exemplaires
via le réseau des
consulats tunisiens,
dans les agences et les
comptoirs Tunisair en
France, et à bord des
paquebots de la CTN. Ce
nouveau support de
52 pages a pour
ambition de se placer
au cœur des
préoccupations des
550 000 Tunisiens de
France. Une bonne
initiative pour
consolider les liens avec
le pays d’origine dans le
respect de la double
citoyenneté francotunisienne. La priorité
est donnée aux
projets dans le pays
d’origine : immobilier,
épargne et banque,
mariage des
descendants, télécoms,
vacances… “00 216”
prévoit, à partir de
2008, une diffusion
progressive auprès des
Tunisiens vivant en
Europe (Italie, Benelux,
Allemagne). Période de
distribution en France :
du 15 juin au 15 août.
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
DR
L
En allant à l’école
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elles font reculer la pauvreté
dans leur village
AIDEZ-LES À AGIR, DEVENEZ PARRAIN
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Aide et Action, 53 bd de Charonne - 75545 Paris Cedex 11
l’essentiel
Discriminations
Racisme à l’embauche : les patrons français pointés du doigt
Q
uatre fois sur cinq, les employeurs français préfèrent
embaucher un candidat “d’origine hexagonale ancienne” plutôt qu’un autre d’origine maghrébine ou d’Afrique noire. C’est ce que révèle un rapport du Bureau international du travail (BIT). A CV strictement équivalents en
termes de scolarité, formation, qualifications, expérience,
mobilité et résidence, le candidat dénommé Julien Roche
est choisi dans 78 % des cas, de préférence à celui, tout
aussi français, qui a un prénom à consonance maghrébine,
comme Kader Larbi, ou africaine comme Binta Traoré. Selon
le rapport, une part très importante de la discrimination se
passerait au niveau du CV écrit. “Tout travail qui amènerait
à neutraliser les stéréotypes véhiculés par le CV pourrait
avoir des résultats. Toutefois, le CV anonyme ne serait pas
la solution à tout”, estime le BIT. Certains pensent qu’il
faudrait codifier au maximum les critères de recrutement.
20 %
L
e chiffre le plus
important des
sondages à la mi-mars :
le nombre d’indécis.
A quoi sert de savoir
que Sarko est talonné
par Royal quand
25 % des électeurs
n’ont pas encore
pris leur décision ?
VIE PUBLIQUE
Dès que sa cote a grimpé dans les sondages, François Bayrou,
candidat de l’UDF, est devenu la coqueluche des médias.
AVANT…
…APRÈS
Emmanuelle Mignon
Pierre Nora
“La France doit réaffirmer son identité.
Si l’on vient en France, on doit l’aimer,
respecter ses valeurs, et savoir parler
français. (…) L’identité nationale
s’enrichit aussi par l’immigration.”
“Parler ouvertement des problèmes de
l’immigration et lancer une discussion sur
le thème de l’identité nationale sont deux
choses excellentes. Mais les lier est soit un
calcul, soit une maladresse, soit une idée à
courte vue.”
Conseillère de campagne auprès de Nicolas Sarkozy
Historien, membre de l’Académie française
“Ce que construit Ségolène Royal
dans cette campagne présidentielle
est mensonger et dangereux, pour
la gauche et pour la France. (…) Elle joue
de sa victimisation, elle instrumentalise
le féminisme, les souffrances des femmes
et celles des exclus. (…) Seule sa propre
gloire la motive.”
Ex-membre du Conseil national du PS dans son livre
Qui connaît madame Royal ?
14 LE COURRIER DE L’ATLAS
Thomas Hollande
“Ma mère a l’image d’une femme qui a
des valeurs droites, des valeurs morales
fortes. C’est ce qui me plaît chez elle.”
Fils de Ségolène Royal
Abaca/Tschaen-Sipa
Eric Besson
Simone Veil
“Bayrou, c’est pire que tout.
Je connais tout son passé et
ses trahisons successives.”
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
www.lecourrierdelatlas.com
ACTUALITÉS - AU MAGHREB - CULTURE
Les dernières
informations sur
l’actualité politique,
économique,
sociale et culturelle
en France
et au Maghreb
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de la communauté maghrébine en France
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l’essentiel
Fait divers
OGM
e drame de la famille maroco-belge Moukaddem résinait une vie paisible et les enfants semblaient parfaitement
dant à Nivelles en Belgique, suite à l’assassinat par la
épanouis. Les faits remontent au 28 février en milieu de
mère de ses cinq enfants, a suscité une grande émotion au
journée, lorsque Geneviève Lhermitte, enseignante, a égorMaroc où les dépouilles mortelles des victimes ont été ingé successivement ses quatre filles et son fils, le benjamin
humées le mercredi 7 mars à Agadir. Les réactions des méde la famille, alors que le père de famille revenait ce même
dias et de l’opinion publique ont
soir du Maroc où il était rentré
été surtout empreintes d’incomfin janvier pour un de ses séjours
préhension devant cet acte per- COMMENT EXPLIQUER UN DRAME
habituels à Agadir.
pétré par une mère, Geneviève PAREIL DANS UNE FAMILLE
La mère infanticide, après un
Lhermitte, sur le fruit de ses pro- QUI MENAIT UNE VIE PAISIBLE
séjour à l’hôpital où elle a été
pres entrailles.
ET OÙ LES ENFANTS PARAISSAIENT soignée pour la blessure qu’elle
Plusieurs centaines de personnes
s’était infligée en tentant de
PARFAITEMENT ÉPANOUIS ?
ont accompagné le père des victimettre fin à ses jours après son
mes, Bouchaïb Moukaddem, au
forfait, a été inculpée d’assassicimetière du quartier Ben Sergaou où furent inhumés les
nat et écrouée dans une maison d’arrêt à Bruxelles.
corps des cinq enfants : Yasmina (14 ans), Nora (12 ans),
En Belgique également, l’émotion fut extrême parmi la poMyriam (10 ans), Mina (8 ans) et Mehdi (3 ans).
pulation, et particulièrement au sein de la communauté
marocaine expatriée, ainsi qu’à l’école que fréquentaient
Le drame est d’autant plus mystérieux que, selon de nomles enfants assassinés.
breux témoins proches des Moukaddem, cette famille me-
Histoire
Bab Al Maghariba, vestige des “indigènes”
marocains au Vietnam
I
l faut sauver Bab Al Maghariba ! Cette porte marocaine, nichée en pleine
campagne, à soixante-dix kilomètres au nord de Hanoï au Vietnam, risque
de disparaître si les autorités vietnamiennes et marocaines n’interviennent pas
d’urgence. Construite entre 1956 et 1960, cette merveille architecturale est
le monument des soldats marocains “indigènes”, ayant combattu pendant
la guerre d’Indochine, sous le drapeau de la puissance coloniale française.
Ces soldats, gagnés par le discours d’indépendance du héros de la résistance,
Ho Chi Minh, avaient pour la plupart déserté l’armée française et rejoint
l’armée vietnamienne. Regroupés au sein d’une coopérative agricole
avec d’autres “indigènes” algériens, tunisiens, sénégalais et également des
Européens, ils n’avaient pas eu d’autre choix que de s’installer dans ce pays
où ils ont fondé des familles pour certains d’entre eux. Bab Al Maghribia est
située en plein cœur d’une petite ferme dont le propriétaire et sa famille
doivent être expulsés par les autorités locales.
ONU
Crimes contre l’humanité au Darfour
L
e régime de Khartoum serait coupable de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité au Darfour. C’est ce qu’affirme le rapport de l’Américaine Jody Wiliams, prix Nobel
de la paix, remis le 12 mars dernier au Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Khartoum,
en armant et en agissant avec les milices arabes, les janjawids (cavaliers), aurait “orchestré
et participé à ces crimes”. “Les tueries de civils restent très répandues, y compris lors d’attaques à grande échelle. Viols et violences sexuelles sont systématiques. Les tortures continuent”, précise le rapport. Ce dernier confirme la poursuite de la violente campagne antirebelles menée par Khartoum avec l’appui des milices arabes : des femmes, des enfants et
des hommes “tués indistinctement”, des villages “rasés”, des “populations entières déplacées par la force”. Le conflit au Darfour a déjà fait 200 000 morts et plus de deux millions
de réfugiés.
16 LE COURRIER DE L’ATLAS
Shoah
Hommage aux
enfants juifs
déportés
D
u 10 au 29 avril
2007, la ville de
Paris rend hommage
aux enfants juifs
français déportés
pendant la Seconde
Guerre mondiale. Entre
1940 et 1944, 11 400
enfants juifs furent
assassinés dans “la nuit
des camps”, avec
la complicité des
autorités de Vichy.
Une exposition, réalisée
par Serge Klarsfeld et
l’association des Fils et
filles des déportés juifs
de France,
témoignera de
la peur et du
calvaire de ces
enfants
anéantis dans
les camps de
la mort.
Gratuite, elle
sera ouverte
Un maïs
transgénique
toxique ?
Les soupçons sur la
toxicité de certains
maïs OGM
pourraient bien être
fondés. Selon le
Comité de recherche
et d’information
indépendant sur
le génie génétique
(Criigen), le MON
863 est toxique
pour le foie et
les reins du rat.
Astronomie
Les ambitions
des Chinois
La Chine aurait
planifié plusieurs
missions
d’astronomie.
Selon le “China
Daily”, un plan
gouvernemental
pour le
développement
de la science spatiale
aurait été mis en
place pour les cinq
prochaines années.
Les scientifiques
assurent être prêts
à lancer leur
première sonde
d’astronomie
dès 2012.
au public à l’Hôtel de
Ville de Paris tous les
jours, sauf le dimanche
et les jours fériés,
de 10 à 19 heures.
DR
Vive émotion pour
un quintuple infanticide
L
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
1 an
20€
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Le magazine de la communauté maghrébine en France
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abonnements du Courrier de l’Atlas. Celles-ci pourront être cédées à des organismes partenaires, sauf si vous cochez cette case
immigration
Les services administratifs gérant
les papiers pour les étrangers
ne désemplissent pas. Ici, à Lille.
Des sous pour rentrer au pays
SANS-PAPIERS Alors que l’immigration est au cœur des débats
présidentiels, l’aide au retour a récemment refait surface, renforcée
par une circulaire de décembre 2006. Reportage sur ce dispositif
destiné à aider les sans-papiers à rentrer chez eux contre le versement
d’un pécule.
E
xceptionnellement, la remise de l’argent se fera en dehors de la zone
internationale de l’aéroport de
Roissy-Charles-de-Gaulle. “Pour que vous
puissiez vous faire une idée”, nous explique
Sandrine. Face à la porte d’embarquement
C87, cet agent de la cellule voyagiste de
l’Anaem, l’Agence nationale de l’accueil
des étrangers et des migrations en charge
de l’aide au retour, va distribuer la somme
de 1 353 euros à trois ressortissants chinois
qui ont décidé de bénéficier de cette aide.
Direction : Shanghai.
Mlle Zhao, étudiante en français à Lyon
pendant une année, n’a pas obtenu son
renouvellement de visa étudiant. Elle re-
18 LE COURRIER DE L’ATLAS
part avec 153 euros au titre de l’aide humanitaire. M. Li, lui, a passé quatre ans dans
la clandestinité à Paris. Mme Wu a vécu
cinq ans “dans la peur des policiers”. Tous
deux n’ont pas obtenu de papiers et repartent, le cœur étonnamment léger, avec
600 euros en poche chacun. Ils toucheront
le reste des 2 000 euros de l’aide au retour
volontaire une fois rentrés en Chine. Le vol
pour Shanghai est dans une heure et demie. Les bagages, remplis à ras bord de
cadeaux pour la famille et de quelques restes de leur vie en France, ont été enregistrés. Nos trois voyageurs vont bientôt passer
le contrôle, accompagnés de l’agent de
l’Anaem qui remet aux policiers leur invita-
tion à quitter le territoire “pour bien signaler
en préfecture qu’ils ont quitté la France”.
En 2006, selon Jean Godfroid, directeur
général de l’Anaem, ils ont été près de
2 500, parmi lesquels une grande majorité
de Chinois, de Bosniaques et d’Algériens,
à rentrer dans leur pays d’origine grâce
aux nouveaux programmes d’aide au retour. Deux mille cinq cents à abandonner
l’espoir d’une vie meilleure en France.
Deux mille cinq cents à avoir tenté leur
chance. Deux mille cinq cents à avoir
échoué. “Parfois, après des dizaines d’années
passées dans notre pays” précise Sandrine,
avouant “un petit pincement au cœur quand
on imagine tout ce qu’ils peuvent laisser der-
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
Ch. Lefebvre/MAXPPP
Par Céline Develay-Mazurelle
immigration
rière eux”. Elle dit au revoir aux trois voyageurs en partance pour Shanghai. Un bref
silence, elle se ressaisit : “Mais bon… on
n’y peut rien. Ce sont eux qui ont choisi de
rentrer !”
VIEUX SOUVENIRS...
Cette formule aux allures d’évidence
donne pourtant à réfléchir. En effet, malgré le fait que rien n’oblige légalement la
France à être si “charitable” en finançant et
accompagnant le retour de personnes en
situation irrégulière, malgré l’impatience
souvent admise de ses bénéficiaires de
rentrer au pays, malgré le dévouement sincère des agents de l’Anaem à “aider à rentrer”, le retour volontaire suscite des questions. Il ravive aussi de vieux souvenirs,
ceux d’une histoire chaotique entre la
France et ses immigrés.
Retour en arrière. 1974, premier choc pétrolier. Après avoir encouragé les flux de
main-d’œuvre salariée, masculine, manuelle et envisagée comme des “oiseaux de
passage”, la France suspend toute nouvelle
immigration de travail. La question migratoire devient alors un problème et, à la fa-
L’aide au retour,
volontaire (ARV)
Depuis la circulaire du 7 décembre
2006, deux dispositifs majeurs d’aide
au retour existent : l’aide au retour
volontaire (ci-dessous) et l’aide
humanitaire au retour (page suivante).
Pour qui
Toute personne en situation
irrégulière qui est invitée ou obligée
de quitter le territoire (après un refus
de séjour, de renouvellement de
séjour ou un rejet de demande
d’asile).
Combien
3 500 euros pour un couple,
2 000 euros pour un adulte seul…
Plus une aide à l’obtention des
documents de voyage, à l’achat des
billets d’avion et le paiement d’un
excédent de bagages.
Comment
Cette aide est versée en trois fois :
30 % au moment de l’embarquement
en France, 50 % après six mois et 20 %
au bout d’un an dans le pays d’origine
auprès des autorités françaises.
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
MOULOUD, 35 ANS, ALGÉRIEN SANS PAPIERS
En France depuis sept ans.
“La France n’est plus une terre d’accueil”
“Depuis sept ans, je galère en France. Je vis au jour le jour. Je suis exploité. Pendant un
an, par exemple, j’ai travaillé aux Souvenirs de Paris. Je vendais des tours Eiffel aux touristes. J’ai milité dans une association de sans-papiers, j’ai vu le vrai visage de la France : les
conséquences des politiques d’immigration, les banlieues, la pauvreté, le défaut d’intégration, les discriminations, etc. Contrairement à d’autres sans-papiers qui vivent cachés et
travaillent sur les chantiers, j’ai eu la chance de faire des rencontres, d’échanger sur ma
situation et j’ai compris… Un jour, j’ai eu un vrai déclic. J’ai regardé autour de moi et j’ai
vu mes cousins diplômés bac + 6, qui sont nés ici, avoir du mal à trouver du travail et être
encore victimes de discriminations. Je me suis alors demandé : ‘Mais qu’est-ce que je fais
là ? Je ne vais pas me planquer ici jusqu’à 40 ans… Je vais perdre ma jeunesse en France
et je n’aurai rien fait !’ La France n’est plus une terre d’accueil ! Certaines personnes ne
peuvent pas rentrer parce qu’elles n’arrivent pas à dépasser le sentiment d’échec, mais moi,
je dis qu’on a le droit de se tromper, c’est humain ! L’aide au retour, c’est une opportunité,
un petit cadeau. Mais même sans ces 2 000 euros, j’ai décidé de rentrer. Ce n’est pas une
question d’argent. C’est une question de conviction. Je suis convaincu que l’avenir est en
Algérie. Le pays a changé. Mes amis algériens ont réussi, ils ont monté des entreprises et
gagnent bien leur vie. Moi, je suis ici, et en tant qu’étranger, je n’ai aucun droit ! Dans ma
région, en Kabylie, c’est un peu une tradition de venir en France. Mon grand-père a fait la
guerre en France, mon père a travaillé en France. J’ai deux frères qui y ont travaillé aussi.
Aujourd’hui, j’ai le sentiment qu’on a beaucoup donné, mais qu’on n’a rien reçu en échange. Pour moi, le retour c’est une façon de dire à la France : ‘Tiens, entre nous c’est fini ! Je
vais réussir ailleurs, chez moi.’ A mon retour, je veux transmettre ce message aux jeunes.
Nous, les Africains, les Maghrébins, nous devons être responsables. C’est à nous de réagir,
de développer notre pays et de dire la vérité sur la France.”
veur de la crise pétrolière, les licenciements économiques touchent en priorité
les étrangers en majorité ibériques et maghrébins. Le gouvernement de l’époque
invente l’aide au retour et encourage ses
immigrés en situation régulière à quitter
le territoire en leur offrant la somme de
10 000 francs, soit 1 500 euros. En échange de l’argent versé, les immigrés doivent
rendre leur titre de séjour et, d’une certaine manière, renoncer à la France… C’est
ce que l’on a appelé “le million Stoléru”,
du nom du secrétaire d’Etat au travail à
l’origine de cette aide.
Ce cadeau d’adieu connaît un succès relativement important : 94 000 personnes
sont ainsi “rapatriées”. Dans le même
temps, le ministère des Affaires étrangères
tente une convention avec l’Algérie pour
un retour d’environ 30 000 familles par an
en finançant leur logement. Tentative
échouée : en dépit des pressions du gouvernement Barre de ne pas reconduire les
cartes de séjour de ses ressortissants, l’Algérie refuse. Pendant les vingt années qui
vont suivre, les gouvernements de droite
comme de gauche vont tenter de trouver
la formule miracle qui ferait rentrer digne-
ment les étrangers chez eux. Ainsi, de
“l’aide publique à la réinsertion” de Pierre
Mauroy en 1984 en passant par la “réinsertion aidée” du gouvernement Cresson
en 1991 au “contrat d’insertion” lancé par
Samir Naïr, universitaire et grand promoteur du co-développement, au moment des
régularisations de l’ère Chevènement en
1997, les dispositifs se succèdent, sans
grand succès. Deux orientations nouvelles
s’imposent cependant. D’une part, l’aide
au retour s’adresse désormais en priorité
aux sans-papiers. D’autre part, elle s’inscrit
plus globalement dans une politique de
co-développement conçue comme une
aide aux pays pauvres pour freiner l’immigration.
En aidant à la création d’activités économiques génératrices de revenus, il s’agit de
dissuader les candidats à l’émigration,
mais aussi, et surtout, d’inciter les sanspapiers à repartir pour s’installer durablement dans leur pays d’origine. Fort de ces
nouvelles orientations et dans le cadre de
sa lutte contre l’immigration clandestine,
le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy,
a décidé de miser à nouveau sur l’aide au
retour. Pour cela, il n’a pas hésité à mettre
LE COURRIER DE L’ATLAS 19
immigration
ZOUBIR, 40 ANS, ALGÉRIEN
En France depuis cinq ans.
“Les 600 euros au pied de l’avion, c’est humiliant”
“Il y a cinq ans, je suis venu en France pour me faire soigner et j’ai obtenu un titre de
séjour grâce à mon état de santé. J’en ai profité pour travailler légalement pendant trois
ans. J’étais commis de salle et même délégué du personnel dans une entreprise qui
m’embauchait en CDI. Récemment, j’ai demandé un renouvellement de mon titre de
séjour et là, j’ai eu un refus. J’ai été obligé de démissionner de mon travail. J’ai tout
perdu ! Le médecin m’a indiqué que je pouvais faire un recours, mais ça va demander
une année. Une année, c’est trop long ! J’ai une femme et trois enfants à ma charge en
Algérie et je ne peux pas me permettre de rester comme ça les bras croisés à attendre,
sans travailler. Et si je travaille, c’est dans les règles, pas au noir ! Je ne comprends pas
pourquoi j’ai eu le droit de travailler pendant trois ans et, aujourd’hui, on me dit : ‘Tu
dégages.’ Des fois, je me demande ce que j’ai cherché ici. Je ne sais plus ! Je n’ai pas
d’autre choix que de partir. Je suis triste de laisser les cousins, les voisins, mais en même
temps, en Algérie, je vais retrouver ma famille. A mon retour, je vais m’occuper un peu
plus de mes filles. Elles ne me connaissent pas bien, elles m’appellent tonton ! Et après,
je vais essayer de trouver un travail… Je ne comprends pas bien le système de l’aide au
retour. Je respecte le principe. C’est rare un pays qui te donne de l’argent comme ça !
Mais on te verse l’argent en trois fois, et en plus, le premier versement de 600 euros se
fait juste avant d’embarquer. Je trouve ça humiliant d’être accompagné comme ça jusqu’à
l’avion ! Ils n’ont qu’à m’accompagner jusqu’en Algérie et me verser l’argent devant ma
mère, tant qu’ils y sont ! C’est comme si la France avait peur que je m’échappe, mais c’est
moi qui ai décidé de partir ! Je veux rentrer la tête haute.”
sans-papiers malien qui vient de signer sa
demande de retour. Il rentre dans une semaine et ne cache pas son impatience de
retrouver sa famille. “Je ne peux pas travailler
en France et cela fait quatre ans que je vis
grâce aux associations. J’en ai un peu marre
de cette vie-là ! Je préfère rentrer chez moi, travailler tranquillement et surtout ne plus avoir
peur d’être interpellé… Ces angoisses-là, ça
joue ! Et puis j’ai ma femme et mon fils derrière moi…”, explique sereinement cet homme d’une trentaine d’années. Avec pudeur,
il évoque “le corps qui tremble à chaque fois
qu’on croise une voiture de police”, la “honte
de rentrer avec les menottes aux mains comme
un criminel” et “la vie de misère” des sanspapiers qu’il a lui-même aidés en travaillant
bénévolement pour le Secours populaire. Et
L’aide au retour
humanitaire
(ARH)
Pour qui
la main au portefeuille. Depuis une circulaire du 7 décembre 2006 (voir encadré
page précédente), l’aide au retour volontaire
est donc passée de 153 à 2 000 euros pour
une personne seule. Les conditions d’obtention de cette aide ont été assouplies,
étendues. Un système qui se veut, selon
Martha Breeze, responsable du pôle retour
réinsertion à l’Anaem, “beaucoup plus incitatif” et qui aura “vocation à se développer
dans l’avenir”. Enfin, les aides à la réinsertion, destinées à financer des projets écono-
aussi et surtout des trajectoires individuelles, des parcours d’exil, des vies de sanspapiers entre peur et amertume.
Dans un petit bureau anonyme et sans âme
situé au rez-de-chaussée de la délégation
parisienne de l’Anaem, Denis Pillon, enchaîne les entretiens avec les candidats. “Ce
sont des personnes en grande détresse administrative qui se retrouvent au pied du mur”, indique ce responsable de la cellule retour,
entre deux rendez-vous. Une femme tunisienne vient se renseigner. Sa panique est
palpable, son histoire complexe.
EN 2006, 25 000 EXPULSIONS ONT ÉTÉ PROMISES
Avant même de
PAR LE GOUVERNEMENT. PARMI ELLES, ON
s’asseoir, Mme
COMPTE 10 % DE RETOURS VOLONTAIRES.
Senhadj s’inquiète de savoir si
miques dans le pays d’origine, se multil’Agence a “un lien avec la police”. Elle a replient au Maghreb et ailleurs (voir encadré
marqué dans une des pièces à côté un buen page 21).
reau de la préfecture. Denis Pillon la ras“Ce qui nous importe, c’est l’accompagnement
sure puis l’écoute en prenant des notes.
personnel au retour, précise Jean Godfroid,
Cette femme, visiblement épuisée, dit avoir
de l’Anaem. Nous finançons des projets éconorejoint son mari qui a fui la Tunisie suite à
miques qui vont au-delà de la simple aide au
une affaire de chèques sans provisions. Elle
retour et nous allons passer des conventions de
songe à repartir seule avec sa petite fille.
partenariat avec le Maroc ou la Mauritanie
Elle semble comme échouée dans ce bu(…) C’est ce travail personnalisé qui pourra
reau et implore de pouvoir rester en France.
permettre de donner toute sa crédibilité à l’aide
Denis Pillon lui suggère de voir une assisau retour.” Car, derrière ces chiffres, ces
tante sociale avant toute démarche de recirculaires et ces dispositifs se dessinent
tour. Vient ensuite le tour de M. Traore, un
20 LE COURRIER DE L’ATLAS
Pour toute personne en situation de
dénuement, qui ne peut rentrer par
ses propres moyens, qu’elle soit en
situation irrégulière ou régulière.
Combien
153 euros par adulte, en plus de l’aide
au voyage.
Comment
Cette aide est versée au moment du
départ en une fois.
A savoir :
- La circulaire du 13 juin 2006, dite
circulaire Sarkozy d’aide
exceptionnelle aux familles,
proposait aux étrangers, dont au
moins un enfant est scolarisé depuis
septembre 2005, une aide doublée.
Soit 4 000 euros par adulte seul,
7 000 euros pour un couple et
2 000 euros pour les trois premiers
enfants.
- Les migrants candidats à
l’immigration en Angleterre,
autrement appelés “calaisiens”
ou “ex-Sangatte”, bénéficient d’un
statut dérogatoire en matière d’aide
au retour. Ils touchent 2 000 euros
en une seule fois, en liquide.
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
Hadj/Sipa
immigration
comme le fait justement remarquer Alain
de Tonquedec, directeur des relations extérieures de l’Ordre de Malte qui intervient
auprès des migrants dans le cadre du retour, “malheureusement, la précarité n’est pas
en voie de régression et pas seulement au niveau des personnes en situation irrégulière”.
Dans ce contexte, M. Traore en vient à saluer le courage de ses camarades d’infortune qui font le choix de rester en France
“parce qu’aujourd’hui, c’est quasiment impossible de travailler avec les nouvelles lois du ministère de l’Intérieur. On a plus peur de se
faire arrêter et les patrons ne veulent plus nous
engager sans papiers.”
Cette répression accrue de l’immigration
clandestine, que la récente loi sur l’immigration dite loi Ceseda ne saurait contredire,
fait d’ailleurs douter certaines associations
de la sincérité de la nouvelle politique d’aide
au retour et de son caractère strictement
volontaire. Pour Claire Rodier, membre du
Gisti, Groupe d’information et de soutien
des immigrés, et présidente de Migreurop,
un réseau européen de chercheurs sur les
frontières, “indépendamment de l’intérêt
qu’elle peut présenter de façon individuelle, sur
un plan philosophique (…), l’aide au retour est
une sorte de carotte donnée en échange d’une
situation qui est présentée comme moins intéressante pour l’étranger c’est-à-dire de rester en
situation irrégulière et à terme de se faire reconduire à la frontière”.
Pierre Henry, de l’association France terre
d’asile, lui, ne remet pas en cause le principe de l’aide au retour. Il conteste “son inscription dans un programme coercitif – il s’agit
de quitter le territoire – et son absence de pensée
dans l’aide au développement à la fois du pays
d’origine et du migrant”.
Effectivement, force est de constater aujourd’hui que les chiffres d’aide au retour
sont intégrés à ceux des éloignements effectifs, c’est-à-dire des expulsions. En 2006,
25 000 expulsions ont été promises. Parmi
elles, 10 % de retours volontaires. M. Didierlaurent, délégué régional de l’Anaem
Paris-Nord, confie d’ailleurs, sans aller plus
loin, qu’un tel mélange des chiffres “peut
prêter à confusion”. Une confusion qui fait
s’interroger Claire Rodier sur la politique
migratoire : “Est-on aujourd’hui dans un système qui tient la route (...) quand on constate
qu’il aboutit de façon absurde et paradoxale à
ce que la France à la fois crée des délinquants
puisqu’ils sont en situation illégale, et en même
temps les paye pour qu’ils s’en aillent”. Le futur président de la République et son gouvernement sauront-ils répondre à cette
question ?
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
Certains acceptent l’aide
au retour pour mettre fin
à une situation irrégulière très
difficile à vivre au quotidien.
AU PAYS, L’AIDE À LA RÉINSERTION ÉCONOMIQUE…
Dans certains pays signataires de conventions spécifiques avec l’Anaem, les migrants rentrés au pays peuvent profiter d’une aide à la réinsertion. Outre un appui au montage de
projet économique, ils peuvent bénéficier d’une aide financière s’élevant à 7 000 euros.
Au Maghreb, l’Anaem dispose de délégations au Maroc, en Tunisie et vient d’ouvrir une
agence à Alger. Cette nouvelle agence aura notamment pour vocation d’accompagner ceux
qui rentrent par le biais de l’aide au retour. Selon Rachid Bouzidi, son futur directeur, “il
y a beaucoup de gens qui ont envie de rentrer, mais qui ne savent pas quoi faire. Avec l’aide à la
réinsertion, nous leur offrons une réelle perspective de retour, une possibilité de se reconnecter à un
pays qui a profondément changé ces dernières années”. Pour cet actuel conseiller à l’intégration
au cabinet de Jean-Louis Borloo, ministre de l’Emploi et de la Cohésion sociale, ce dispositif de réinsertion profitera aux bénéficiaires, mais aussi “aux Algériens sur place qui verront
leurs compatriotes rentrer et monter leur entreprise.” “ Cela va les motiver et dynamiser le marché
algérien !” Il ajoute : “J’ai rencontré de nombreux entrepreneurs français d’origine algérienne qui
veulent œuvrer pour l’Algérie, mais qui n’y ont jamais mis les pieds. Nous allons les associer en
tant qu’experts dans le montage des projets économiques. Ainsi, ils pourront renouer avec leurs
origines. Et ça, pour nous, c’est aussi un facteur de cohésion sociale en France.”
LE COURRIER DE L’ATLAS 21
économie
Transports urbains
Alstom, livraisons à Tunis
Assurance
Algérie : un nouveau venu sur le marché
Cardif, filiale de BNP Paribas assurances, a obtenu “des autorisations de contrôle des licences pour la
commercialisation de contrats de
personne en Algérie”. Cardif El
Djazair vient de commercialiser
des produits d’assurances des
emprunteurs en collaboration
avec Cetelem, autre filiale de
BNP Paribas implantée dans le
pays. Le taux de pénétration de
l’assurance y est d’environ 5,6 %
pour une population de 33 millions d’habitants.
Devises
Bank Al Maghrib : pour un
meilleur taux de change
L
a Banque centrale marocaine
vient d’autoriser la concurrence entre les intervenants, les
banques et les bureaux de change, et poursuit son processus de
libéralisation des paiements en
devises. A partir du 3 avril 2007,
pour échanger billets de banque
et chèques voyages, les clients
pourront choisir leur opérateur.
Ce dernier sera libre d’appliquer
le taux de change qu’il désire
sans toutefois dépasser les
cours limites fixés quotidiennement par la Banque centrale en
fonction de l’évolution des devises sur le marché international.
DELOCALISATIONS...
s’installe
au Maroc
Best financière
(groupe Label Vie)
a obtenu le droit
exclusif d’exploiter
au Maroc des
magasins sous
l’enseigne Virgin
Megastore.
L’accord a été
récemment signé
par Jean-Noël
Reinhart, président
du directoire de
Virgin, et Zouhair
Bennani, PDG de
Best Financière.
Il est prévu
d’ouvrir cinq
magasins en six
ans, ce qui créerait
trois cents emplois.
(La Vie Eco
n° 4403)
“Nous avons pris la décision de
garder nos usines dans le tiers-monde et
de les faire tourner pour les populations
locales. On n’exploite pas le Sud pour
enrichir le Nord. Il faut industrialiser
le Sud pour le Sud.”
Jean-François Dehecq, président de Sanofi-Aventis
22 LE COURRIER DE L’ATLAS
Finance
Des produits
islamiques
bientôt
en France
L
es négociations sont en cours
pour le développement de
produits financiers islamiques en
France, à l’instar de ceux développés
par l’Islamic Bank of Britain (IBB)
ouverte à Londres en septembre
2004. Mais la finance islamique a
ses codes qu’il convient de
comprendre. La spéculation (gharar)
est interdite. Tout pari sur l’avenir et
toute transaction faisant intervenir
les risques, les jeux de hasard et
l’incertitude le sont également. Les
produits licites sont des montages
financiers permettant de contourner
l’interdit. Ainsi, la murabaha est un
système où l’investisseur fournit
tous les capitaux requis pour
financer le projet d’un ou plusieurs
entrepreneurs privés, c’est une
forme de société d’investissement.
Dans un montage musharakah,
investisseur et entrepreneur sont
solidaires aussi bien dans les gains
que dans les pertes. Pour ne pas
faire de prêts à la consommation,
les banques islamiques proposent la
murabaha : l’investisseur achète des
biens et les revend à son client avec
une marge. Le panel de produits
offerts est large. Il est temps que les
marchés financiers français
s’intéressent à cette niche encore
vierge et très porteuse. En effet,
l’épargne de la communauté
maghrébine, clientèle visée par ce
type de finance, constitue un flux
régulier de 5 à 10 milliards d’euros
par an.
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
DR - Graeme Robertson
La Transtu, société de transport de Tunis, a reçu le
10 mars les deux premières voitures de métro léger Citadis fournies par la société française Alsthom. Au total,
trente voitures devront être livrées, à raison de trois par
mois jusqu’en mars 2008. L’acquisition de ces nouvelles voitures s’inscrit dans deux projets d’extension du
réseau de métro léger du grand Tunis. Le premier
s’étendra sur 6,8 kilomètres pour relier, au sud, les cités
d’El Mourouj. Le second permettra d’atteindre le campus
Grande
universitaire de la Mannouba.
distribution
Le coût global des deux projets
Virgin
s’élève à 130,5 millions d’euros.
économie
Télécoms
Méditel :
relations
tendues
entre
partenaires
R. Gaillarde/Gamma
U
ne recomposition du capital
de Méditel n’est pas à exclure
dans un futur proche. En effet,
Telefonica et Portugal Telecom,
qui détiennent chacun 32 % de
l’opérateur marocain et qui en sont
les deux partenaires de référence,
ont désormais des relations très
tendues et seraient en train de
négocier une séparation. A l’origine
de cette tension, une OPA hostile
contre Portugal Telecom lancée par
l’opérateur privé portugais Sonae.
Une OPA qui a échoué début mars.
Le problème, c’est que Telefonica,
qui est aussi le premier actionnaire
de Portugal Telecom, avait
publiquement et fortement appuyé
cette OPA hostile. Le management
de Portugal Telecom vient d’inviter
Telefonica à tirer les leçons de
cet échec. La cohabitation des deux
opérateurs devient hautement
improbable. Ils sont partenaires
techniques et stratégiques
dans Vivo, le premier opérateur
brésilien, et Méditel, le deuxième
opérateur marocain. Selon des
sources proches de Méditel,
des négociations sont en cours pour
que Portugal Telecom rachète une
part des actions de Telefonica dans
Méditel. Mais cette information
n’est pas officiellement confirmée.
En cas de cession, les actionnaires
marocains détiennent un droit de
préemption qu’ils comptent bien
exercer. Méditel compte 5 millions
de clients, le tiers du parc marocain
de GSM. Son introduction
en Bourse est probable en 2008.
Répartition du capital de Méditel :
Telefonica (Espagne) 32 %
Portugal Telecom 32 %
Groupe BMCE (Maroc) 18 %
CDG-Akwa 18 %
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
Tourisme
Le MIT
2007
à Tunis
Le 13e Salon
méditerranéen
international
du tourisme,
rendez-vous
incontournable
des professionnels
dans le bassin
méditerranéen,
aura lieu du 10 au
12 mai 2007 à
Tunis, au Centre
international des
foires et des
congrès (Cifco).
Hormis l’Egypte,
l’Algérie, la Lybie,
la Palestine,
exposants
habituels, la
République du
Yemen, le Burkina
Faso et l’Afrique
du Sud seront
invités cette année
pour la première
fois. Au total,
le salon accueillera
120 exposants,
avec plus de
250 marques.
Energie
Gaz de France-Sonatrach
une alliance peu probable
L
e 8 mars dernier, Nicolas
Sarkozy avait proposé
d’adosser la compagnie de gaz
française, GDF, récemment
privatisée, à la Compagnie nationale algérienne d’hydrocarbures, la Sonatrach. Ni les dirigeants de GDF ni ceux de Suez,
qui devait fusionner avec GDF,
n’avaient alors fait de déclaration. Jean-François Cirelli,
PDG de GDF, est sorti de sa
réserve lors d’une conférence
de presse le 13 mars. Il a souligné que Gaz de France n’a “pas
pour projet” de nouer une alliance capitalistique avec le
fournisseur de gaz algérien. A
Alger, les objectifs stratégiques
sont beaucoup plus ambitieux :
la Sonatrach souhaite en effet
investir dans la distribution en
Europe pour maîtriser la chaîne de la production à la commercialisation. L’entreprise
publique algérienne fournit
déjà 18 % de son gaz à la France, ce qui la place au 3e rang des
fournisseurs après la Norvège
(30 %) et la Russie (23 %).
Gaz algérien, suite…
L
e ministre algérien de l’Energie, Chakib Khelil, a annoncé que
son pays est en cours de négociation avec l’Espagne pour augmenter le prix du gaz d’un dollar par million de BTU (British
Thermal Unit), soit un dollar pour 27 m3 de gaz. Alger, via le gazoduc Maghreb-Europe, livre 60 % des besoins espagnols ainsi
qu’une part importante de ceux des autres pays européens.
L’Union européenne engrange 90 % des exportations de gaz algérien. L’annonce algérienne intervient alors que Gazprom, le géant
russe, a soumis ses principaux clients européens à une forte pression à la hausse de ses fournitures de gaz. L’alliance stratégique
signée en août 2006 entre Gazprom et la Sonatrach, le gazier
public algérien, fait craindre la création d’un “OPEP du gaz” qui
ferait grimper les prix et déstabiliserait les économies de l’UE.
Le chiffre
10
milliards
de dollars
c’est la fortune estimée de
l’Egyptien Naguib Sawaris,
premier Africain du
classement Forbes des
grosses fortunes. Sa holding,
Weather Investments,
possède entre autres Wind,
la compagnie de télécoms
italienne, et la grecque
TIM Hellas. Il arrive à la
62e position, loin derrière
Bill Gates et ses 66 milliards
de dollars.
LE COURRIER DE L’ATLAS 23
street
Avec Devoirs de mémoire,
Joey Starr cherche à faire
voter les jeunes en banlieue
(ici à Clichy-sous-Bois).
SCRUTIN 2007
AGIR Youssoupha, Monsieur R, Axiom, Keny Arkana, Kery James, Soprano,
Diam’s... ces rappeurs ont décidé de brandir un rap bulletin de vote. Tantôt
militants, tantôt contestataires, ils ont bien l’intention
de prouver que la cohabitation entre rap et politique n’est pas un mythe.
par Valérie Defournier
24 LE COURRIER DE L’ATLAS
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
Crédits photo
QUAND LES RAPPEURS
FLIRTENT
AVEC LA POLITIQUE
street
Jacques Guez/AFP
L
es rappeurs ont franchi un cap. Ils
voir “Nicolas Sarkozy arriver au second tour”,
ne se contentent plus de chanter
il affirme qu’il n’hésiterait pas à voter pour
les maux de la société, ils traquent
Le Pen. Rost n’a pas peur du poids des
de près la machine politique. S’ils
mots : “Quitte à aller au chaos, allons au vrai
se présentaient aux élections, ils
chaos.” La vision de celui qui combattait les
seraient, à coup sûr, les coqueluches des
skinheads dans les catacombes à Paris a
urnes pour les jeunes. Le sort des banlieues
sans équivoque comme bête noire Sarkozy :
est omniprésent dans leurs textes, thème
“Le Pen nous a toujours dit qu’il ne nous
majeur qui n’a toujours pas trouvé sa place
aimait pas, mais Nicolas Sarkozy, un jour, il
dans le discours des candidats malgré la
nous aime, un autre il fait passer une loi pour
menace d’un nouvel embrasement des bannous réduire à néant. Qu’est-ce qu’on nettoie
lieues. Outre le fait de rapper, pour faire
au Kärcher ? La merde. On m’a donc traité de
passer des messages, il sont passés à l’acmerde (…) A un moment, il faut réagir.” S’il
tion et de nombreux collectifs s’invitent
est loin d’être frontiste, il joue subtilement
maintenant dans le débat. Ainsi, moins méavec le feu. Les jeunes révoltés ou en mandiatisée que l’associaque d’identité qui
tion Devoirs de mél’écoutent ont-ils tous
moire, à laquelle “J’FAIS PLUS CONFIANCE
une compréhension
participe Joey Starr À LA DÉMOCRATIE,
du fond de sa pen(ancien leader de Susée ? Il prend pourLES DÉPUTÉS QUI
prême NTM), Bantant le risque que
lieues Actives a déci- M’REPRÉSENTENT SONT TOUS
certains restent au
dé de publier un ISSUS DE L’ARISTOCRATIE.
bord de ses mots.
Guide du votant, do- PRIS EN OTAGE,
Soprano, quant à lui,
cument gratuit de 32
préfère laisser planer
LE SYSTÈME NOUS KIDNAPPE,
pages distribué dans
l’ombre de l’engageles quartiers. Les can- ET J’OUBLIE PAS QU’EN 2002
ment. Dès sa majorididats à la présiden- IL M’A CONTRAINT À VOTER
té, il s’est servi de sa
tielle y répondent à CHIRAC.”
carte d’électeur dans
dix questions.
(Soprano, extrait de “Les apparences une logique “de resRost, chef de file de nous mentent”, titre EMI)
ponsabilité” pour
l’association, n’est
l’avenir de sa famille,
pas là “pour quelques
même si, aujourd’hui,
semaines”, pour les flashs, il est sur le teril ne se “retrouve pas dans le discours politirain. “N’oubliez pas de voter. C’est là que ça se
que”. On se souvient de son intervention
passe”, scande le trentenaire à tous les jeucourageuse lors de la cérémonie des Victoines qui voudront bien l’entendre. Pourtant,
res de la Musique en 2006 : “La politique, je
lui ne peut pas voter, “il revient de loin”. Peu
n’en comprends que les grands traits, mais je
importe, “devenons acteurs” est son leitmosais que quand je vais sortir mon album, je vais
tiv. Rost se sent en “mission” en “tentant de
me retrouver à faire des interviews où il faudra
représenter le malaise” quand les politiciens
que je dise aux jeunes d’aller voter. Je ne dirai
“ne tiennent pas les jeunes des quartiers en
pas pour qui, mais surtout contre qui.” En
considération”. Dans sa tête, comme dans
2007, il explique que “les jeunes dans les
celle de la plupart des rappeurs, “l’Etat est
quartiers ne sont pas renseignés sur les proresponsable de l’insurrection” des jeunes des
grammes”. Il ne veut pas sous-estimer sa
banlieues en “ne prenant pas ses responsabiresponsabilité envers les jeunes.
lités”. Les voitures brûlées, il les voit plutôt
Optimiste dans ses textes, Soprano préfère
comme une “forme d’immolation, pour crier
les éducateurs aux hommes politiques : “Ils
notre douleur”. Mais ces scènes, Rost veut
en font beaucoup plus et ne sont pas valorisés.”
les éviter. Pousser les jeunes vers le vote,
S’il reconnaît la force de la communication
oui, mais à quel prix ? Son “vote contre”
de Nicolas Sarkozy, il lui reproche son
suscite bien des polémiques lorsque, “pour
“manque d’humanité” (au-delà du Kärcher)
éviter un cas de figure affreux”, c’est-à-dire
et n’est pas convaincu par les propos de
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
Ségolène Royal. Ainsi, pour faire réagir les
jeunes et surtout les faire rentrer dans l’espace politique, il faut, selon lui, tabler sur
“des discours moins violents”. “Je suis musulman, je suis pour la paix, et j’aime les
Français.”
LE RAP, CNN DU GHETTO
La réaction, c’est bien ce que veulent Youssoupha et Monsieur R. Dans leurs textes, les
mots ne sont pas mâchés. Youssoupha a
commencé à écrire en s’inspirant des problèmes locaux, avec une sorte de rap de
proximité, avant de devenir “désabusé”. Il
souligne des “anomalies qui deviennent des
contraintes, comme Chirac dont les idées sont
tout ce que je combats aujourd’hui”. Son combat, il le mène par le rap, “le CNN du ghetto”.
Les rappeurs doivent savoir “remettre en
cause les institutions”. Il faudrait créer une
“VIe République car la République telle qu’elle
est faite n’est pas encore dans sa meilleure configuration”.
Monsieur R, son ami et modèle, tient le
même discours. Il précise aimer la politique “au sens noble du terme uniquement”.
Jeune, il a été bercé par le hip-hop de
Public Ennemy, NTM et Assassin. Le groupe Assassin n’hésite pas, dès 1985, à déclarer la guerre aux médias et à la politique,
tout en se faisant connaître comme un candidat à la présidentielle, par une campagne
d’affichage. Lui, il préfère “être dans la position de celui que l’on déteste plutôt que de
celui que l’on aime”. Il juge “intéressant” le
fait que tout le monde s’acharne “contre
Ségolène Royal”. Pourtant, on s’est aussi
acharné sur lui... François Grosdidier, député UMP de Moselle, l’assigne en justice
en août 2006 pour “outrage aux bonnes
mœurs” dans la chanson “FranSSe”. Il est
débouté. Idem en 2002, avec “La Rumeur”,
que le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, attaque pour “diffamation envers la police nationale”. “Pourquoi instruire des histoires comme ça, alors qu’on dit que les tribunaux
sont débordés ?”
La réponse est claire : les rappeurs, “nous
sommes les derniers des Mohicans, ceux qui
provoquent encore”. Ils évoquent en effet certaines problématiques politiques que les
candidats à la présidentielle ne s’aventurent
pas à développer. Même s’il reconnaît que
LE COURRIER DE L’ATLAS 25
street
“Ségolène Royal a été la seule à l’évoquer à Vilcourrier de Voltaire daté de 1760... Gérard
lepinte, il y a des meetings sur tous les thèmes,
et Tomy ont eux aussi dit oui à Sarkozy.
mais personne ne tient de grands discours sur
Avec leur titre Show gars, ils défendent le
la politique des quartiers populaires”. C’est
candidat “Sarkozy, qui a la sagesse d’un élépour cela que son choix politique s’oriente
phant, la destinée des grands dirigeants (…).
vers l’extrême gauche, à tel point qu’il signe
C’est l’homme qu’il faut à la France (…), Sarko
pour le candidat de la LCR, Olivier Besann’est pas Quasimodo”.
cenot, une version dédicacée version rapDROITE, GAUCHE, CENTRE : LE VOTE
reggae de “l’Internationale”…
AVANT TOUTE
Dans la campagne
CHOSE
électorale, il faut aussi
Si Diam’s a cessé toucompter sur MAP, le “(…) AUX GROS CONS DE
te médiatisation de
Ministère des Affaires DROITE, AUX FIGAROS ET
Populaires, et leur
CHIRAQUIENS, MAIS T’AS CRU son combat pour le
vote des jeunes afin
“Debout là d’dans !”
d’éviter une quelconPetits-fils d’Algériens, QUOI ? QU’ON RESTERAIT
que extrapolation
ils secouent Roubaix. PLANTÉS LÀ SANS VOIX ?
quant à ses opinions
Un mélange de violon (…) CH’VIENDRAI JAMAIS
politiques, elle reste
oriental, de samples et M’EXCUSER COMME FOGIEL
une des premières
d’accordéon fait que
NI FAIRE LE FAYOT, L’DÉMAGO
rappeuses à inciter au
ces Ch’tis du Nord
vote et à s’adresser ditransforment les salles COMME SARKO.”
rectement au Front
de concert en de véri- (MAP Fallait pas nous inviter,
national dans sa “Lettables tribunes mili- album Debout là D’Dans, PIAS)
tre à Marine” (Le
tantes. L’opération de
Pen). “Je ne suis pas de
séduction passe par
ceux qui prônent la haine, Plutôt de ceux qui
une dose d’humour et beaucoup d’imaginavotent et qui espèrent que ça s’arrête.”
tion. Quant aux discours des politiques, ils
A l’inverse, la jeune Keny Arkana, “la petite
les décortiquent avec humour.
sœur” des rappeurs, lance un “appel aux
LE RAP DE SOUTIEN AUX CANDIDATS
sans-voix”. Pour elle, pas de soutien aux
Le 2 septembre 2007, le rappeur Doc Gytrois candidats en tête : “Est-ce que Ségolène
néco soutient publiquement Nicolas SarRoyal apporte quelque chose de nouveau ? Je
kozy : “Je suis fatigué d’être sous perfusion
ne trouve pas.” (Politis du 8 mars).
sociale et je ne suis pas un assisté. Nicolas
Les candidats à la présidentielle ont saisi
Sarkozy m’a convaincu de pouvoir être autre
l’influence prépondérante des rappeurs. En
chose”, explique-t-il. La nouvelle fait un tollé
début d’année, la candidate du PS a orgadans la presse et dans le milieu du rap. Pernisé une réunion de travail avec le rappeur
çue comme “une trahison profonde”, ce ralKery James sur la question de la réussite
liement surprend les rappeurs, dont l’apscolaire dans les cités. Celui que les médias
partenance politique est plutôt à gauche.
présentent comme “un rappeur repenti grâce
Alors, que le “Doc” prenne parti, ça intrià l’islam” a même été cité à Villepinte par
gue... “Il l’a fait par provocation, par dépit
Ségolène Royal : “Et je ne peux pas me faire
(…), à un moment où sa carrière était mal
à l’idée qu’il y ait deux jeunesses : l’une qui
placée. Je peux comprendre, mais il n’avait pas
serait vouée à la réussite et l’autre condamnée
besoin de ça. A moins que ce soit Sarkozy qui
à l’échec ou, pire, à la violence brute, parce
l’ait poussé à dire ça ?”, s’interroge Monsieur
qu’au départ elle n’a pas les mêmes chances et
R. Pour Rost, “Doc Gynéco s’est trompé de
que l’on n’a pas su encadrer à temps les enfants
combat”. Le 10 février 2007, sort le livre Les
et les faire réussir à l’école, comme le dit très
grands esprits se rencontrent où Doc Gynéco
bien Kery James.”
tente d’expliquer les raisons de son soutien
Les résultats du second tour de la présidenà “Sarko”. Le livre n’obtient pas le même
tielle accentueront de fait ce nouveau “flirt”
succès que Les beaux esprits se rencontrent, le
des rappeurs avec la politique…
26 LE COURRIER DE L’ATLAS
PAROLES
DE RAPPEURS
Les rappeurs n’ont pas leur
langue dans la poche. A la veille
de la présidentielle, nombreux
sont ceux qui se sont exprimés
sans langue de bois à ce sujet.
En voici un échantillon…
Sefyu : “Cette élection présidentielle est
une belle opportunité de faire passer un
message. J’essaye de leur faire prendre
conscience de ce devoir civique qu’ils ont
en tant que citoyens français. Voter, c’est
la seule façon de se sentir responsable.”
Diam’s : “Faites pas les cons, prenez votre
putain d’carte électorale. Allez voter, allez
défendre vos idées si vous savez pas pour
qui voter, allez voter contre tous ceux qui
nous veulent du mal.”
Féfé, du Saïan Supa Crew : “Il faut le
passeport et le vaccin pour voyager,
et la carte électorale pour exister.”
Keny Arkana : “Quand un gouvernement
fait n’importe quoi, la désobéissance est
un devoir. Le droit de la résistance à
l’oppression est inscrit dans la Déclaration
des droits de l’homme. Ce n’est pas au
système de fabriquer une société mais à la
société de fabriquer le système qui lui
convient.”
Mac Kregor (Tandem) : “Le vote est
aujourd’hui notre seule force, on n’a
que cela pour se faire entendre. Il faut
empêcher les gens nocifs de nous détruire
et que la France ne devienne pas un Etat
policier.”
Sniper : “Aller voter c’est un droit et un
devoir qu’on a, on est né sur le sol français
contrairement à nos ren-pa.”
Stomy Bugzy, concernant Doc Gynéco :
“Là Bruno (prénom de Doc Gynéco),
il descend très bas. Il aurait pu soutenir
qui il voulait, mais pas Sarkozy.
C’est lui qui en France fait la misère
aux immigrés, sépare des familles,
pourchasse des écoliers… Bruno, il
devrait être avec nous à Cachan au lieu
de soutenir Sarkozy.” S.B.
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
street
AXIOM : “Les gens ne savent pas comment réagir devant un type à casquette
qui a des idées et qui s’exprime bien car pour eux ce n’est pas normal.”
Grâce à sa “Lettre au Président”,
un titre qui sample “la Marseillaise”,
Axiom a subitement été mis sous
les feux de la rampe. Après quinze
ans de galères dans le rap, Hicham
de son vrai prénom jouit d’une
médiatisation qui dépasse celle
des médias spécialisés. Le rappeur
lillois de 30 ans est aujourd’hui
devenu le porte-parole privilégié
de la banlieue. Interview.
Armen
Depuis peu, les médias font souvent appel à
toi en ce qui concerne les questions de banlieue en politique. Comment vis-tu ta soudaine surmédiatisation ?
Je le vis assez simplement car j’ai beaucoup
de recul là-dessus. Je fais de la musique,
mais je suis conscient que ce sont plus mes
idées politiques et mon engagement avec
l’association AC le feu qui intéressent les
journalistes.
Sur ton titre “Lettre au président”, tu t’adresses directement au chef de l’Etat en lui demandant de trouver des solutions concrètes
aux problèmes en banlieue ou de démissionner. Dans quel état d’esprit as-tu fait ce
morceau ?
J’ai commencé ma “Lettre” avant les révoltes
et je l’ai terminée après les émeutes de
2005, puis je l’ai envoyée et le président m’a
répondu un mois plus tard. Je ne lui demandais pas seulement de trouver des solutions,
mais clairement sa démission car, pour moi,
il y a un problème culturel flagrant, voire
structurel de la Ve République. Il aurait été
trop facile de s’attaquer à Sarkozy, mais il ne
faut pas oublier que s’il est là, c’est à cause
de Chirac.
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
Tu proposes une VIe République. Qu’aimerais-tu changer ?
Il faudrait commencer par changer les institutions et, en premier lieu, l’école. On ne
peut pas rester dans une école qui reproduit
les inégalités, L’Education nationale est hors
la loi puisque nous sommes dans une République égalitaire. Il faudrait ensuite changer
en profondeur la répartition des richesses et
des pouvoirs, mais aussi faire une décentralisation réelle, afin qu’il y ait plusieurs villes
qui brillent comme Paris. Cela demande de
la volonté et des moyens. L’approche économique est donc importante.
Par rapport aux clichés qui courent sur les
rappeurs, tu arrives avec un discours
conscient et tu t’exprimes bien, sans grossièreté… Etait-ce un moyen de te dissocier des
autres ?
Je ne suis pas vulgaire parce que j’ai des
parents et que je veux les honorer. Au bout
de mon douzième album, j’ai compris que
mes parents n’avaient pas accès à ma propre musique parce qu’en terme de langue,
c’était assez difficile à comprendre, mais
surtout parce que des mots comme “putain”
ou “nique” que les jeunes utilisent facilement pouvaient créer de la répulsion auprès
des plus âgés. J’ai donc pensé à mes parents
en faisant cet album. Je me suis dit que s’ils
ne comprenaient pas tout, je ne voulais pas
qu’ils puissent avoir honte en demandant à
quelqu’un de leur traduire mes textes. C’est
tout simplement dû à mon éducation. Il n’y
a aucune réflexion marketing derrière. Je
n’essaye pas de jouer le rappeur conscient,
je suis comme ça. Mais je risque d’évoluer
encore, j’ai aussi des parts sombres, je ne
suis pas un ange pur et exemplaire. Je ne
suis au-dessus de personne et je ne vaux pas
mieux que les autres. Je suis en tout cas très
content du respect et du soutien que je reçois du public.
On te voit de plus en plus dans des émissions de débats sur les chaînes hertziennes.
Les prépares-tu à l’avance ?
Je prépare toujours mes émissions, surtout
quand c’est politique, car le moindre prétexte est bon pour te détruire. J’arrive sur
les plateaux en casquette et j’ai bien
conscience de ce que cela représente. A chaque fois que je parle dans ces émissions
télé, il y a un silence parce que ces gens ne
savent pas comment réagir devant un type
à casquette qui a des idées et qui s’exprime
bien. Pour eux, ce n’est pas normal. On est
en train de changer la grille. ■
Propos recueillis par Siham Bounaïm
Axiom, son treizième album éponyme, est dans
les bacs depuis octobre 2006 (Label ULM).
Les émeutes, “c’est la faute aux rappeurs”
Novembre 2005, la mort de Zyed et Bouna, deux jeunes de Clichy-sous-Bois, en SeineSaint-Denis, embrase les banlieues françaises. Cent cinquante-trois parlementaires et
cinquante sénateurs de droite trouvent la cause très vite : c’est le rap. A l’initiative du
député de Moselle François Grosdidier, ils demandent à Pascal Clément, ministre de la
Justice, d’“envisager des poursuites” contre sept groupes de rap. Le 113, Lunatic,
Ministère amer, les rappeurs Fabe, Smala, Salif et Monsieur R sont rendus directement
responsables de l’escalade de la violence en banlieue par “leur haine de la France et le
commerce qu’ils font du racisme”. Le garde des Sceaux demande immédiatement
l’ouverture d’une enquête au procureur général de Paris. Les textes incriminés sont
pourtant écrits bien avant les émeutes.
Ce n’est pas la première fois que des législateurs tentent de limiter les propos les plus
violents des rappeurs. En 1996, le groupe NTM avait été condamné à des peines de
prison pour avoir écrit “Donne-moi des balles pour la police municipale”. Les choses se
sont accélérées avec l’arrivée de Nicolas Sarkozy au ministère de l’Intérieur en 2002.
En 2004, à quelques mois d’intervalle, il porte plainte contre les groupes Sniper et la
Rumeur et les propos qu’ils ont tenus à l’encontre des forces de l’ordre. Un an plus
tard, c’est un parlementaire UMP, Daniel Mach, qui assigne Monsieur R (déjà lui) pour
“outrage aux bonnes mœurs” dans son morceau FranSSe. A chaque fois, la justice a
donné raison aux artistes. Pour les juges, “le rap reste avant tout un mode
d’expression utilisé par l’auteur pour exprimer la désolation et le mal de vivre des
jeunes de banlieues”. Un moyen légal de plus.
Léo Huisman
LE COURRIER DE L’ATLAS 27
économie
L’argent des émigrés :
une manne inépuisable ?
ARGENT Les jeunes du bassin méditerranéen installés en Europe
n’oublient pas ceux restés au pays. Ces flux d’argent poussent les
institutions internationales à s’intéresser à leur régulation.
par Nadia Lamarkbi
D
ans le monde, cent vingt-cinq millions d’émigrés transfèrent annuellement quelque 230 milliards
d’euros (1) vers les pays d’origine. Pour les
pays du Maghreb, officiellement, ce sont
plus de 7 milliards d’euros qui traversent la
Méditerranée. Les communautés maghrébines européennes sont celles qui transfèrent le plus vers le pays d’origine. Ainsi 85
à 90% des transferts vers l’Algérie, le Maroc et la Tunisie sont en provenance d’Europe. Dans les autres pays, l’Egypte, le Li-
ferts des migrants. Devant un parterre de
ministres des Finances et de grands argentiers européens, les discussions ont porté
sur la réglementation des flux financiers de
manière à réduire les coûts pour les migrants et rendre ces transferts plus productifs. Ces envois sont principalement réalisés
via des sociétés de transfert d’argent, STA,
Money Gram et Western Union principalement, pour 85 % des échanges. Les 15 %
restant passent par le circuit bancaire classique ou par courrier. La faible bancarisation des émetteurs et
des bénéficiaires exPLUS LE RÉSEAU BANCAIRE EST DÉVELOPPÉ,
plique, pour partie,
MOINS LES MIGRANTS FONT APPEL AUX RÉSEAUX
l’utilisation de ces
INFORMELS.
modes de transfert.
En effet, pour receban, la Syrie ou encore la Jordanie (autres
voir l’argent envoyé par un membre de sa
partenaires de la Femip), la part relativefamille émigré, il suffit de se présenter dans
ment faible des transferts venant de
n’importe quel bureau de poste de la caml’Union, de 5 à 10 %, s’explique par l’imporpagne du Rif ou de Tamanrasset. La trantance des populations émigrées dans les
saction se fait presque instantanément, en
pays du Golfe ou les Amériques. La Femip,
toute simplicité, et la fiabilité est quasi asla Facilité euroméditerranéenne d’investissurée. Toutefois, l’absence de transparence
sement et de partenariat, qui regroupe les
des prix et les coûts élevés (jusqu’à 16 % du
interventions de la Banque européenne
montant du transfert) font peser une forte
d’investissement, BEI, a récemment orgacharge sur les migrants.
nisé à Paris une conférence sur les transPour les envois informels, hors des systè-
mes de transferts légaux, selon les pays, ils
sont jusqu’à quatre fois supérieurs aux envois officiels. Les communautés s’organisent pour la collecte et l’envoi des fonds par
des circuits parallèles, pour éviter de payer
les frais de transaction souvent très importants. Cet argent alimente abondamment le
marché noir où euros et dollars s’échangent
à des prix en dessous des tarifs bancaires.
Dans des pays comme l’Algérie où près de
80 % des transactions se font encore en liquide, les réseaux informels permettent de
faire circuler les devises sans le contrôle des
autorités. Plus le réseau bancaire est développé, moins les migrants font appel aux
réseaux informels. C’est le cas de la Tunisie
où les flux informels représentent 50 % des
transferts (voir tableau).
Les Marocains d’Europe envoient plus d’argent que les autres. Annuellement, ce sont
près de 3 milliards d’euros (voir tableau
n° 1) qui sont envoyés au pays, deux fois
plus que par les voisins algériens et tunisiens. Pour preuve, le nombre de compagnes publicitaires qui vantent les qualités
des investissements locaux, dans l’immobilier principalement. Le pays a compris,
avant les autres, l’importance de conserver
un lien, même financier, avec sa diaspora.
Montant des frais pour le transfert de 100 euros de France vers les pays du Maghreb :
19 €
Western Union
(dans l’heure)
28 LE COURRIER DE L’ATLAS
10 €
Money Gram International
(10 minutes )
6,80 €
Mandat Cash Express
La Poste (2 jours)
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
économie
Estimation (1) des transferts de fonds des travailleurs
émigrés dans l’Union européenne vers les pays partenaires
européens en 2003 (en millions d’euros)
(1) Source : BEI
6000 €
Transferts informels
2900 €
Transferts formels
2800 €
2000 €
1350 €
950 €
Tunisie
Algérie
Maroc
Utilisation des transferts de fonds des travailleurs émigrés
dans l’Union européenne vers les PPM en 2003
18
25
45
34
23
(1) Toutes les données sont tirées du rapport
annuel de la BEI :
http://www.bei.org/
52
8
23
D’ailleurs, les transferts des migrants marocains sont la seconde source de revenus
pour l’Etat marocain, faisant de l’économie
locale une quasi-économie de rente.
Quant à savoir ce que font les émigrés de
leur argent, la ventilation des investissements montre que la plus grande part va
vers des secteurs dits improductifs, puisqu’ils ne génèrent pas directement de revenus. Les transferts sont utilisés pour la
consommation des ménages à 51 %, pour
l’éducation ou la santé à hauteur de 18 % et
pour le logement à 14 %. Les clichés de
l’immigré qui dépense sans compter pendant les vacances et qui construit de grosses
maisons semblent avoir un fond de vrai. La
part des investissements productifs dépasse
difficilement les 10 %, sauf pour la communauté tunisienne de France qui semble
porter plus d’intérêt aux investissements
permettant la croissance économique du
pays.
Combien de temps encore le Maghreb
pourra-t-il bénéficier de cette manne ? Depuis plusieurs années, les analystes prédisent une baisse progressive des transferts.
Leurs arguments sont basés sur renouvellement des générations et l’idée que les
enfants de migrants enverront moins d’argent dans le pays d’origine. Or, les statistiques montrent une croissance régulière de
ces flux financiers. A charge aux gouvernements des pays d’origine d’aider leurs ressortissants à faire de ces transferts un réel
levier pour le développement.
23
13
17
45
31
Consommation
Education-santé
Logement
Investissement productif
Tunisie
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
Algérie
Maroc
Divers
LE COURRIER DE L’ATLAS 29
politique
La laïcité en campagne
PRÉSIDENTIELLE Discrimination positive, communautarisme,
avortement, financement des lieux de culte… Le thème de la laïcité s’invite
sans cesse dans la présidentielle sans toutefois jamais devenir un thème
central de campagne. Malgré un consensus de façade, d’un bout à l’autre
de l’échiquier politique, la laïcité semble aujourd’hui bien mise à mal.
Yann Barte
Philippe de Villiers dénonce l’islamisme pour
mieux vendre l’intégrisme catholique.
30 LE COURRIER DE L’ATLAS
semble des présidentiables. La moitié a
déjà répondu.
Les Laïques s’organisent aussi au niveau
international. En février dernier avait lieu à
Montreuil une rencontre laïque rassemblant plus de huit cents représentants de
trente pays différents, à l’initiative de l’Ufal
et de l’association Algérie Ensemble. Pour
le président de l’Ufal, Bernard Teper, qui
dénonce une “présidentielle affligeante”, cette
rencontre était assurément un message
adressé à “nos élites françaises qui préfèrent le
communautarisme anglo-saxon, pourtant en
faillite partout dans le monde !”.
Si, dans les discours, plus aucun politique
n’ose aujourd’hui ouvertement remettre en
cause la laïcité, les définitions que chacun
se fait du mot restent redoutablement élastiques. Pour Jacqueline Costa-Lascoux, directrice de l’Observatoire de l’immigration
et de l’intégration au Haut Conseil à l’intégration et ancienne membre de la Commission Stasi, il s’agit surtout de ne plus faire
de vague : “Plus personne ne veut s’empailler
sur des histoires de voile. Il y a manifestement
un apaisement sur ces questions. Mais l’intégrisme continue à faire peur : celui des musulmans, mais aussi celui des évangélistes protestants, des cathos qui s’agitent sur les questions
de famille, de bioéthique, les sectes… En
fait, personne n’a vraiment envie d’agiter ces
questions en période électorale.”
Le thème n’apparaît alors qu’“en demiteinte” dans la campagne. Faut-il pour
autant parler de consensus ? “La célébration
du centenaire de la loi de 1905 de séparation de
l’Eglise et de l’Etat a en effet été très consensuelle, se souvient Martine Barthélemy,
chercheuse au Cevipof. Mais la loi a été aussitôt remise en question, très directement. Il est
finalement bien difficile de parler de consensus.
Il y a une méconnaissance de ce qu’est la laïcité dans son principe. La laïcité est bien plus
que la protection des libertés des religions. Elle
est aussi la séparation entre ce qui relève de la
confession religieuse et de la citoyenneté et des
droits de la personne.” La confusion règne.
UNE QUESTION QUI TRANSCENDE
LES CLIVAGES POLITIQUES
La laïcité, une valeur de gauche ou de droite ?
“C’est de plus en plus compliqué. Historiquement, c’est clair, la laïcité a été quelque chose
de caractéristique et de symbolique du combat
républicain et de la gauche. Elle s’est construite en France contre l’influence de l’Eglise catholique, le cléricalisme. Mais elle s’est depuis
diffusée, y compris au sein de l’Eglise catholique, remarque la chercheuse du Cevipof.
Aujourd’hui, la question fait conflit à gauche
comme à droite.” Pour Robert Albarèdes,
“la laïcité transcende les clivages politiques
traditionnels. Rien d’étonnant à cela puisqu’elle est un principe de droit politique qui
vise le peuple tout entier. Elle propose un ordre
politique et sociétal de concorde, d’équilibre,
d’égalité entre tous, quels que soient les options spirituelles ou les choix idéologiques de
chacun”. Le militant loue d’ailleurs aussi
bien les convictions laïques de Jacques
Chirac, “à l’origine de la loi sur les signes religieux à l’école” que “l’action exemplaire du
sénateur Delfau”, à gauche.
Les politiques de gauche comme de droite
savent d’ailleurs à l’occasion s’unir lorsque
cela s’avère nécessaire. Seize députés (quatre PS, quatre PC, quatre UDF, quatre UMP)
avaient ainsi formulé dans un appel, le
26 octobre dernier, leur opposition au rapport Machelon sur la laïcité et réaffirmé leur
attachement à la loi fondatrice de 1905.
Tous les partis, y compris les plus grands,
sont aujourd’hui traversés par des courants
contraires sur la question de la laïcité. C’est
ainsi que les chiraquiens ont quelquefois
aussi peu d’enthousiasme à faire campagne
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
AFP
L
es candidats à l’élection présidentielle ont,
semble-t-il, décidé de parler le moins possible de ‘laïcité’, tout en s’affirmant, la
main sur le cœur, laïques.” Robert Albarèdes,
président de l’association Les Laïques en
réseau, est plutôt sceptique quant aux déclarations des candidats. Il y a quelques mois,
le militant décidait de fédérer les initiatives
afin de faire de la laïcité un véritable enjeu
de société et “un thème essentiel du débat électoral”. Plus de quarante structures attachées
à la laïcité en France rejoignaient le réseau,
bien décidées à peser sur la campagne. En
effet, pour le réseau qui interpelle les candidats, il y a péril en la demeure. Un questionnaire (de vingt-neuf questions) dont
les réponses seront rendues publiques sur
le site du réseau (1) a été adressé à l’en-
politique
Ortola/REA
Le clientélisme politique,
les communautarismes, l’Europe...
feront-ils voler en éclat notre socle
laïque centenaire ?
pour Nicolas Sarkozy que les Fabusiens
pour Ségolène Royal. Les uns voient d’un
mauvais œil l’apologie du modèle anglosaxon, de la discrimination positive, d’une
gestion communautariste et religieuse des
conflits, voire la complaisance à l’égard des
sectes que le ministre de l’Intérieur appelle
les “nouveaux mouvements spirituels”.
Les autres s’arrachent les cheveux à écouter
les discours ponctués d’“ordre juste” (une
expression empruntée à Benoit XVI), de
morale de leur chef de file, et désespèrent
de voir le peu de cas que leur candidate fait
de la laïcité dont elle donne d’ailleurs une
définition des plus restrictives : “La vraie
notion de la laïcité, ce n’est pas le refus des religions, mais le respect de toutes les religions et
de ceux qui les pratiquent.”
“Et pourquoi croyez-vous que Bayrou ait
des réponses si alambiquées sur le mariage
homosexuel ?, questionne Jacqueline CostaLascoux, du HCI. Il y a quinze ans, il aurait
dit simplement ‘parce que je suis chrétien’.
Aujourd’hui, on se situe beaucoup moins par
rapport à des traditions philosophiques ou
religieuses.”
Nicolas Sarkozy a pourtant franchi le cap
dans son livre La République, les religions,
l’espérance. Il y affiche ses convictions et
met le religieux au centre du débat politi-
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
que. Dans une approche très similaire aux
Républicains américains, le candidat va
jusqu’à opposer les valeurs républicaines
aux valeurs religieuses : “La dimension morale est plus solide, plus enracinée lorsqu’elle
procède d’une démarche spirituelle, religieuse,
que lorsqu’elle cherche sa source dans le débat
politique ou dans le modèle républicain.” Car
la pensée laïque est bien attaquée sur trois
fronts, explique Catherine Kintzler, professeur de philosophie à Lille III, qui vient de
sortir un essai Qu’est-ce que la laïcité ?
(Vrin Editions) : “Par des visées politiques
menées au nom d’une religion monothéiste,
par la remise en cause du modèle politique
républicain au profit d’un modèle communautariste, enfin par l’idée qu’il n’y aurait
pas de vie politique sans une forme de lien
religieux, l’idée que le lien religieux est le modèle de toute vie sociale et politique.”
LA LOI DE 1905 PASSERA-T-ELLE
LE PROCHAIN QUINQUENNAT ?
Rien n’est moins sûr. En proposant de
réinstaller le religieux dans l’espace politique en gommant les notions de “sphère
privée” et de “sphère publique”, en permettant toutes les formes de financement public pour la construction des lieux de culte,
le rapport Machelon sur la laïcité comman-
dé par Nicolas Sarkozy s’avère être bien
plus, selon ses détracteurs, une “kärchérisation de la loi de 1905” que le “toilettage”
annoncé. C’est bien à l’essence même de la
loi (le non-financement public des cultes)
que ce texte s’attaque.
Mais si ce texte a concentré les critiques à
gauche comme à droite, peu ont commenté le texte socialiste équivalent. Le 22 juin
2006, en effet, Jean Glavany déposait au
nom du PS, sur le bureau de l’Assemblée
nationale, un projet de loi visant à “promouvoir la laïcité dans la République”. Un texte
ambigu dans lequel l’article 2 “la République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte” devenait “la République
ne reconnaît ni ne privilégie aucun culte”. Un
texte un peu fourre-tout aussi dans lequel
était en outre prévue la création d’un
Centre national de la mémoire de l’immigration, comme s’il fallait compenser l’application de la laïcité y compris aux “immigrés” en leur donnant “en échange” un
centre mémoriel !
Enfin, comme dans le rapport Machelon, le
texte rejette toute possibilité d’uniformiser
l’application de la loi de 1905 sur l’ensemble du territoire, réaffirmant même le
concordat d’exception d’Alsace-Moselle. Les
associations laïques restent aussi souvent
LE COURRIER DE L’ATLAS 31
politique
PARTOUT, DES ATTEINTES
GRAVES À LA LAÏCITÉ
C’est sans doute l’accolade entre José Bové
et Tariq Ramadan au Forum social européen 2003 qui a sonné symboliquement le
début de cette alliance surprenante entre
une partie de la gauche et des mouvements
islamistes. “Le néo-laïque, explique Catherine Kintzler, apparu sous le label ‘laïcité
ouverte’, est une figure tourmentée, authentiquement laïque lorsqu’il est confronté à un
intégrisme de droite ou du Nord et étonnament
communautariste lorsqu’il est confronté à un
totalitarisme du Sud.” Toute l’extrême gauche française est traversée aujourd’hui par
cette schizophrénie.
Une vraie fracture est née au sein même
des partis entre une gauche antitotalitaire,
attachée aux principes universalistes, aux
droits de l’Homme, et une gauche tiers-
Tariq Ramadan
et José Bové au Forum
social européen 2003 :
le début d’une étrange
alliance à gauche.
mondiste, alter-mondialiste et adepte du
relativisme culturel (entre autres sur la
question du port du voile).
Si cette gauche radicale ne s’est pas ralliée
dans son ensemble aux thèses d’un Socialist Workers Party (SWP) britannique, par
exemple, prônant une alliance ouverte avec
les islamistes dans un même front anticapitaliste, elle reste dangereusement tentée
par cette option. Le journal Rouge, de la
LCR, se fait ainsi le témoin d’affrontements
entre trotskistes partisans d’un soutien sans
condition au Hamas et de militants dénonçant le totalitarisme du parti islamiste. Fautil alors s’étonner de voir, comme durant les
bombardements au Liban, les drapeaux
rouges de la LCR se mêler à ceux du Hezbollah en plein Paris ? La thèse des Indigènes de la République qui assimile ni plus ni
moins la laïcité à une forme de colonialisme
et de racisme a touché presque toute
l’extrême gauche.
Seuls les Verts (et dans une moindre mesure Lutte ouvrière) ont finalement – et
depuis peu – réussi à imposer une ligne
laïque (voir encadré). Mais des gestions
Technique classique des sectes : approcher les personnes influentes.
A Bercy, Tom Cruise, VRP de sa secte, et Nicolas Sarkozy parlent scientologie.
32 LE COURRIER DE L’ATLAS
extrêmement communautaristes demeurent dénoncées par des militants, comme
Messaoud Bouras qui s’est fait une spécialité de traquer l’“islamo gauchisme” dans
la région de Roubaix. Quant au Parti communiste, la nomination de Mouloud Aounit à la coprésidence du comité de soutien
de Marie-George Buffet a eu à peu près le
même effet que la nomination de Christine
Boutin comme conseillère politique de
Sarkozy. Encore un coup dur pour la laïcité ! Pour le président de l’Ufal, Bernard
Teper, c’est d’autant plus absurde que “les
politiques néolibérales sont alliés des communautarismes et intégrismes religieux. Le néolibéralisme a besoin des communautés ethniques et religieuses pour substituer à la
solidarité sociale, la charité”.
A l’extrême droite, la laïcité est aussi malmenée. Si le FN amorce depuis quelques
années un virage dans sa communication,
sur le fond, peu de choses ont réellement
changé. La laïcité s’affiche, mais la référence religieuse reste sous-jacente et les
intégristes catholiques, des lobbies qu’il
convient encore de ménager. Comme le
MPF de de Villiers, le FN rejoint ainsi les
catholiques traditionalistes sur la question
de l’avortement. L’interdiction du droit à
l’avortement reste bien à l’ordre du jour des
deux partis.
Prisonnier d’un rapport compliqué avec le
monde arabe, le Front National a finalement laissé le créneau stratégique du combat contre l’islamisation à de Villiers. Mais
les deux partis ont bien plus à cœur de
promouvoir les valeurs chrétiennes que les
valeurs républicaines.
LA QUESTION INSTRUMENTALISÉE
DU FINANCEMENT DES MOSQUÉES
“La laïcité est condamnée à évoluer avec le religieux dans l’espace public.” Mohamed Mestiri, président de l’Institut international de
la pensée islamique, parle de la loi de 1905
comme d’une “bonne loi” tout en affirmant
paradoxalement que “l’Etat peut et doit accompagner les religions vers une certaine autonomie”. C’est cela qu’il aimerait voir aborder
dans la campagne : “La reconnaissance des
droits des cultures musulmanes”, “la place du
CFCM (Conseil français du culte musulman) en crise”, “la mise en place avec l’aide de
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
Le Floch Gamma/Abaca
perplexes face aux partis ayant voté “oui”
au TCE, un traité dans lequel le mot “laïcité” ne figurait pas même une fois et où
le dialogue entre les religions était institutionnalisé. Pour Robert Albarèdes, “ces
partis sont poussés à accepter dans le cadre
d’une construction politique européenne,
à faire passer notre pays d’une situation
de laïcisation à une situation de sécularisation, à un espace sociétal émietté, à une structure politique régionalisée rompant avec
l’unité de la Nation.”
politique
Laïcité chez les Verts : un virage à 180°
Philippe Namias revient sur les errements de son parti qui lui ont fait perdre nombre de militants.
Partisans du relativisme culturel,
pro-voile, proches de mouvements
communautaristes, voire
islamistes…, les Verts n’ont pas fini
de payer leurs prises de position antilaïques.
Dernièrement, le parti écologiste redressait la barre,
se ralliant à la motion “laïcité” proposée par le groupe
Laïcité, Ecologie, Association (LEA).
Dérive
Il y a trois ans, les Verts
prenaient des positions très
discutables pour nombre d’entre
nous, notamment en rapport
avec le féminisme. Ils s’étaient
ainsi opposés à la loi sur les
signes religieux à l’école (avant
même son application). Certains
avaient aussi signé des appels
comme celui des Indigènes de la
République, de L’Ecole pour Tous
ou des Féministes pour l’Egalité.
Nous avons perdu beaucoup de
monde sur ces questions, c’est
pourquoi il fallait réagir vite.
Un vrai clivage s’est créé entre
ces personnes et les militants
laïques.”
“
Culpabilité post-coloniale
Longtemps, l’idée a persisté
chez les Verts que, en se
réclamant de la République,
de l’universalisme, on était
nécessairement contre la
diversité, voire même raciste.
C’était la position un peu facile
qui prévalait chez les Verts : ‘on
est copain avec tout le monde’.
A gauche, on traîne souvent une
certaine culpabilité à l’égard
DR
“
de la question coloniale. Au lieu
de l’assumer clairement, on est
resté dans les généralités et
dans l’impossibilité de discuter
de tout ce qui venait du Sud ou
d’une autre religion (un peu le
syndrome de l’ouvrier pour le
PC). Chez les Verts, l’islam était
avant tout ‘la religion des
opprimés’. C’est très explicite
chez les ‘Indigènes’, mais c’est
sous-jacent chez nos adversaires
internes au sein des Verts qui
accusent de coloniales des
positions simplement laïques.
Nous avons de gros problèmes
avec des personnes comme Alain
Lipietz qui prend des positions
pro-hijab au niveau du Parlement
européen. Au nom d’un
antiaméricanisme, beaucoup ont
vu, sans qu’ils l’expriment
aussi clairement, les islamistes
comme des alliés naturels. Et
pourquoi aura-t-il fallu deux ans
et demi pour exclure des Verts
une antisémite notoire comme
Ginette Skandrani ?”
Motion laîcité
Face à ces positions très
communautaristes, nous avons
“
l’Etat de fondations cultuelles ou culturelles à
vocation d’intérêt général”…
Pourtant, si le chercheur parle de religion
presque comme d’un service public, il se dit
dans le même temps attaché au modèle
français : “La laïcité à la française favorise
davantage le droit à la liberté et à l’expression
religieuse que les systèmes multiculturalistes
anglo-saxons. On voit peu de reconnaissance
de l’altérité culturelle dans ces pays : les communautés vivent les unes à côté des autres dans
la marginalité, l’indifférence presque totale.”
Aziz Sahiri, président du Mouvement des
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
donc créé, en 2005, le groupe
LEA. Nous prenions aussi
contact avec des associations
placées différemment que nous
sur l’échiquier politique comme
l’Ufal, SOS Racisme, Ni Putes
Ni Soumises. Au dernier congrès,
la motion “liberté, laïcité,
diversité” est passée (à 53 %)
face à d’autres motions qui
étaient très proches des
Indigènes de la République.
La laïcité s’est finalement
imposée chez les Verts comme
une question essentielle, au
même titre que le réchauffement
climatique, et c’est la position
qui prévaut pour deux ans.”
Présidentielle
Ecologiste, mais pas verte,
Corinne Lepage est extrêmement
laïque. Rien à redire ! Dominique
Voynet est d’accord sur le fond,
mais elle cherche des alliances.
Elle est passée tellement limite
en interne en nombre de votes
(50,59 %) qu’elle préfère sans
doute ne pas créer de nouveaux
clivages. Sur la question de la
laïcité, il n’existe pas vraiment
de clivage droite gauche, même
si le multiculturalisme reste
une vision très libérale, au sens
économique du terme.”
“
Demain
Nous avons encore des
combats à mener en interne,
contre la discrimination positive
par exemple. Si on considère
qu’il n’y a qu’un seul groupe
humain et que les diversités
“
laïques musulmans de France, est quant à
lui farouchement opposé à tout financement public des lieux de culte. Quant au
CFCM, “il a ridiculisé tous les musulmans
avec ce procès contre Charlie Hebdo. Mon
représentant à moi, ce n’est pas Boubaker, c’est
le député que j’ai élu”. Pour ce militant, l’argent est là : “Les musulmans de France en
2007, ce n’est pas une communauté pauvre.
C’est une communauté inorganisée où l’argent
circule. A eux de se prendre en main !”
“A moins que l’on veuille continuer à ghettoïser
cette population pour la rendre toujours plus
culturelles ne sont pas à ériger
en murs contre les personnes,
la discrimination positive n’a pas
de sens. Pour nous, les principes
fondamentaux de la loi de 1905
sont toujours valables, puisque
basés sur des principes
universels. On nous accuse de
défendre une ‘laïcité de combat’.
Nous le revendiquons : la laïcité
se défend aussi. Nous
souhaitons une laïcité vivante.
Parler de ‘laïcité ouverte’ signifie
‘pas de laïcité du tout’.
La laïcité est bien plus que
la simple coexistence entre
les religions qui peut d’ailleurs
très bien se faire sur le dos
des femmes ou contre les
homosexuels. Les trois religions
s’accordent parfaitement dans
tous les pays pour nier les droits
des homosexuels.”
Mosquées
Nous ne sommes, bien sûr,
pas opposés aux constructions
de mosquées. A Bagnolet,
nous avons des militants de
l’association, adjoints au maire,
qui ont voté pour la construction
d’une mosquée, mais dans
le cadre de la loi.
Contrairement à Nicolas
Sarkozy, je ne pense pas que
l’origine du financement soit
un problème. Il doit y avoir un
travail de vigilance, c’est tout.
A contrario, on peut très bien,
en effet, avoir des imams
français, un financement
français et des positions
totalement extrémistes.”
“
manipulable, je ne pense pas que ce soit vraiment une priorité, renchérit Rachid Benzine
auteur des Nouveaux Penseurs de l’islam. Si
les musulmans n’ont pas les moyens aujourd’hui de construire des mosquées, ils attendront. Ils doivent savoir s’ils veulent leur autonomie ou préfèrent être achetés aujourd’hui
pour être revendus demain. Le problème des
musulmans est celui de tous les autres Français, tant qu’ils n’auront pas compris cela, ils
resteront manipulés.”
(1) http://www.laic.fr
LE COURRIER DE L’ATLAS 33
entreprise
PORTRAIT
Le patron,
ses potes et ses assoc’s
par Caroline Boudet
A
“
voir des difficultés, ça ne peut
qu’aider. Quand on arrive à les surmonter, la réussite est encore plus
gratifiante.” Le message est positif et celui
qui le lance sait de quoi il parle. A 32 ans,
Abdellah Aboulharjan, originaire du Maroc, a été récompensé par la fondation
Ashoka comme l’un des cinq entrepreneurs sociaux de l’année dans l’Hexagone. Un beau symbole pour ce fils
d’ouvrier qui a grandi à Mantes-la-Jolie.
VINGT ENTREPRISES EN UN AN
Si Abdellah Aboulharjan a été remarqué
par cette fondation qui soutient dans le
monde entier des entrepreneurs sociaux,
c’est en tant que responsable et cofondateur de Jeunes entrepreneurs du Mantois,
une association dont le but est de susciter
chez les jeunes des quartiers en difficulté
l’envie de créer leur propre entreprise,
puis de les accompagner dans leur projet.
Et ça marche : dès 2002, vingt entreprises
sont nées. Trois ans plus tard, les trois
quarts d’entre elles fonctionnent toujours.
C’est fin 2006, après avoir été couronnée
lauréate de la bourse Ashoka, que l’association est rebaptisée “Jeunes Entrepreneurs de France”.
Entrepreneur dans l’âme, comme son
médiatique ami Aziz Senni qui dirige
l’entreprise de taxis collectifs ATA (Alliance, transport, accompagnement) basée à Mantes-la-Jolie, Abdellah Aboulharjan est loin d’être un débutant. En 1999,
il fut l’un des premiers à ouvrir un site
Internet de vente par correspondance,
spécialisé dans les produits marocains :
medinashop.com. Et cela a marché. En-
34 LE COURRIER DE L’ATLAS
fin, pas trop mal, relativise-t-il dans un
sourire, “nous avons subi un an plus tard le
dégonflement de la bulle Internet”. Il en
aurait fallu plus pour décourager celui
qui, contrairement à son ami Aziz, ne
croit pas en “l’ascenseur social”. “Je ne
pense pas qu’il existe un système où l’on appuie sur des boutons pour aller d’un étage à
l’autre. Quel que soit le parcours, il faut
prendre des escaliers. C’est plutôt la raideur
des marches qui change selon que l’on a des
relations ou pas. Mais plus les escaliers sont
raides, plus on a les mollets solides quand on
arrive en haut.”
DU VIETNAM À MANTES-LA-JOLIE
En 2002, il est primé Talents des cités,
toujours en duo avec Aziz Senni. A l’époque, il est encore étudiant. C’est au cours
d’un voyage au Vietnam que va naître le
projet Jeunes entrepreneurs du Mantois.
“Nous avons rencontré de jeunes chefs d’entreprise vietnamiens. Au retour, nous avons
compris qu’il fallait faire quelque chose pour
nous organiser dans nos quartiers.” En effet,
les deux compères, qui faisaient figure
d’emblèmes de la cité, étaient constamment sollicités par des jeunes pour avoir
des conseils. “Nous nous sommes dit qu’il
fallait créer une vraie structure pour répondre à leurs attentes.” Pour se substituer aux
administrations qui existent déjà ? Pas du
tout, assure Abdellah Aboulharjan. “Ces
structures sont efficaces et professionnelles,
mais le problème est que les jeunes des quartiers ont une véritable défiance vis-à-vis de
tout ce qui porte la marque de l’administration.” La solution ? La motivation par
l’exemple. “Toute l’identité de Jeunes entre-
preneurs du Mantois était résumée dans le
nom de l’association”, raconte-t-il : des entrepreneurs originaires de la même ville
que ceux qui cherchent leur voie, en qui
ils peuvent se reconnaître et qui les aident
à prendre confiance en eux-mêmes.
L’action de l’association comporte trois
volets. Sensibiliser les jeunes dans les
écoles, les foyers. Leur faire comprendre
que ce n’est pas parce qu’ils sont plus
pauvres que d’autres qu’ils ne peuvent
pas créer leur propre entreprise. JEF organise ainsi des rencontres avec des créateurs d’entreprise issus des quartiers.
Une fois le projet monté, “nous nous
concentrons sur l’aide au développement”.
L’association répertorie tous les acteurs
existants et dirige les jeunes vers les
structures qui sont en mesure de leur octroyer des crédits. Elle les aide aussi à
monter leur dossier et à le présenter.
AGENDA DE BUSINESSMAN
Quand il repense à son parcours, Abdellah Aboulharjan se prend, dans un sourire, à citer Molière : “Comme monsieur
Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, je suis devenu entrepreneur social sans
le savoir.” Une activité qui réconcilie deux
mondes à première vue incompatibles :
celui du business et celui du social.
Loin d’être des doux rêveurs, les entrepreneurs sociaux utilisent les outils pragmatiques de l’entreprise pour changer
les choses, même au niveau local. L’agenda d’Abdellah Aboulharjan doit avoir
l’épaisseur des pages jaunes : sept antennes de JEF vont ouvrir en France cette
année. D’autres sont déjà prévues. Il
continue en parallèle à s’occuper de ses
autres activités, comme medinashop ou
le magazine Respect, même s’il a appris
à déléguer. Le tout sans oublier “du
temps pour sa petite famille”. Un homme pressé ? Non, un homme engagé,
passionné et généreux. ■
medinashop.com et respectmag.fr
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
DR
Abdellah Aboulharjan ne se contente pas
de faire du business. Avec son association,
il aide les jeunes des quartiers à créer leur
propre entreprise. Avec succès.
médias
Al Jazira, un groupe
qui monte, qui monte...
TÉLÉVISION Al Jazira English, chaîne d’information internationale
en continu, vient de boucler son 4e mois. En donnant une petite
sœur anglophone à Al Jazira, ses fondateurs veulent séduire ceux
qui ne se retrouvent pas dans CNN ou la BBC. Bilan et analyse.
par Anne de Malleray
D
es journalistes asiatiques parlent de
l’Asie, des Africains de l’Afrique. Nous
aurons au total vingt bureaux, et nous
pourrons compter, en cas de besoin, sur le soutien des soixante bureaux de la chaîne arabe”,
déclarait Nigel Parsons, le directeur d’Al
Jazira in english, au moment de son lancement en novembre dernier. Comme Al Jazira en arabe, le siège d’AJE est à Doha, au
Qatar. La chaîne émet en continu depuis
quatre grands bureaux qui se passent l’antenne tour à tour : Doha, Kuala Lumpur
(Malaisie), Washington et Londres. Elle
compte environ trois cents journalistes, de
cinquante nationalités différentes.
Sur le terrain, les correspondants sont souvent des anciens de BBC World qui travaillent dans leur propre pays. L’ambition
affichée par Al Jazira English est de concur-
rencer CNN et la BBC. Elle veut faire entenmoyens”, souligne Riz Khan, journaliste au
dre, comme son aînée, une voix singulière
bureau de Washington et présentateur veet un autre point de vue, mais vise plus
dette d’une émission d’interview, One to
large que le Moyen-Orient. AJE s’est posiOne. Le but est de séduire, par le choix des
tionnée en Asie du Sud-Est, où vit un musujets, les téléspectateurs délaissés par CNN
sulman sur cinq, en faisant de Kuala Lumou la BBC. Ainsi, selon le journal pakistapur, capitale de la Malaisie, un de ses
nais The Nation, la demande de retransmiscentres névralgiques.
Elle est en Afrique AL JAZIRA ENGLISH A PLUS DE
subsaharienne, elle est
CORRESPONDANTS À L’ÉTRANGER QUE
à Gaza, à Ramallah.
AJE a plus de corres- TOUTES LES CHAÎNES AMÉRICAINES
pondants à l’étranger
que toutes les chaînes américaines. En s’apsion d’Al Jazira auprès des opérateurs de
puyant sur le réseau tissé par Al Jazira decâble est très forte dans le pays. Si le réseau
puis 1996, elle possède des relais d’inford’Al Jazira est mis à profit, les rédactions
mation partout dans le monde. “La valeur
sont bien distinctes et ne collaborent pas
ajoutée d’AJE, c’est de couvrir des zones où les
vraiment. “Al Jazira est au second, AJE est au
autres chaînes internationales déploient peu de
7e étage, nous ne voyons jamais les journalis-
Quatre personnalités d’AJE
Sir John Frost,
la star parmi
les stars
Ancien
présentateur
vedette de la BBC, né en 1939,
Frost est le seul journaliste
à avoir interviewé les sept
derniers présidents des EtatsUnis et les six Premiers
ministres anglais. Il présente
une émission hebdomadaire,
Frost Over the World, avec des
reportages et des interviews de
décideurs, d’artistes et une
table ronde “mondiale” qui
réunit des journalistes et des
experts depuis différents
points du globe.
36 LE COURRIER DE L’ATLAS
Josh Rushing,
l’ancien GI,
a retourné sa veste
militaire pour
devenir journaliste
au bureau de Washington d’AJE.
Autant dire que son
recrutement est un symbole
fort pour la chaîne qui compte
s’adresser aussi aux Américains.
En 2004, le GI était le héros
d’un documentaire, Control
Room, sur le traitement de la
guerre en Irak par les médias.
Son expérience de la couverture
du conflit “américano-centrée”
et la pression à laquelle le
soumettait sa hiérarchie
l’ont fait rejoindre la chaîne.
Riz Khan
D’origine yéménite,
ce journaliste a
grandi à Londres. Il
a participé au
lancement de BBC World et de
CNN. Sur Al Jazira English, il
anime une émission d’interview,
One to One, qui fait intervenir le
public. Il a expliqué qu’“aucun
projet de cette ampleur n’avait
été tenté avant en actualité
internationale”. Il reçoit
souvent Ismaël Hanijeh,
Premier ministre palestinien,
et Shimon Peres, vice-Premier
ministre israélien, qui ont été
ses premiers invités et qui
incarnent de réels enjeux.
Kamal Hyder,
spécialiste de
l’Afghanistan
Correspondant
d’Al Jazira
in English à Islamabad, il a
couvert l’invasion américaine
en Afghanistan pour
de nombreux médias
comme le magazine Time,
le New York Times, CNN,
Channel Four, des télévisions
japonaises et sud-américaines.
Il vient de sortir un livre, basé
sur sa connaissance de
l’Afghanistan et intitulé Les
derniers jours des talibans.
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
DR/Gamma/Camerapress
“
médias
tes”, raconte une jeune stagiaire du bureau
de Washington. A Paris, on déclare que la
chaîne “n’a rien à voir avec nous”. AJE espère toucher 80 millions de téléspectateurs.
Pas seulement des musulmans anglophones. Elle vise aussi les “jeunes décideurs, qui
ont souvent une vision cynique des médias,
qu’ils jugent peu crédibles”, souligne Nigel
Parsons. Des téléspectateurs non arabes et
insatisfaits. Pour les rassurer et les séduire,
elle a débauché quelques présentateurs vedettes des chaînes concurrentes.
PREMIER SCOOP, AVEC TONY BLAIR
Sir John Frost notamment, vétéran de la
télévision anglaise dont l’émission éponyme, Frost over the world, a lancé la chaîne
avec une interview fracassante de Tony
“C’est un peu l’école de la BBC”
DR
Olfa Lamloum, enseignante à l’université de Paris X et auteur d’un livre
paru en 2004, intitulé Al Jazira, miroir rebelle et ambigu du monde arabe,
analyse la stratégie de la nouvelle chaîne d’Al Jazira.
Pourquoi le Qatar mise-t-il sur une chaîne en
anglais ?
La stratégie de Doha, après le succès d’Al
Jazira en arabe, est de créer un pôle
médiatique puissant. Il y a eu la chaîne pour
les enfants, la chaîne sportive, documentaire…
Al Jazira English cherche à atteindre les
musulmans non arabophones de l’étranger,
mais aussi à concurrencer les chaînes
d’information en continu comme CNN et la
BBC. La chaîne a eu les moyens de recruter des
vedettes de la télévision qui apportent leur
savoir-faire. Elle investit des zones peu
couvertes par les autres médias, notamment
l’Afrique subsaharienne. Elle est la seule à
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
avoir un bureau permanent au Zimbabwe,
par exemple.
Trouvez-vous Al Jazira English “rebelle”,
à l’image de sa grande sœur arabe ?
C’est difficile à dire. La chaîne vient d’être
lancée. Pour l’instant, le projet éditorial n’est
pas très clair. Mais on peut d’ores et déjà
dire qu’elle est différente de la chaîne arabe
parce que le public visé n’est pas le même.
La composition ethnique n’a rien à voir.
Bon nombre de journalistes sont anglais
ou américains.
Est-ce que vous avez remarqué une prise
de position partisane dans le traitement
du conflit israélo-palestinien par exemple ?
Blair, où le Premier ministre britannique
reconnaissait que la guerre en Irak était
“un désastre”. On retrouve aussi des journalistes de la BBC, de CNN et même de
Fox News, la chaîne conservatrice et proBush américaine.
“Al Jazira cherche à plaire à un public arabe,
nous, à un public global. Notre champ d’intérêt
est beaucoup plus large. Nous sommes très pré-
Le but d’Al Jazira est de faire entendre la voix
des Arabes dans le monde arabe et celui d’AJE
est de la faire entendre sur la scène
internationale. Est-ce qu’Al Jazira English est
pro-palestinienne par exemple ? Par rapport à
un média pro-israélien, comme la plupart le
sont, je trouve que oui. Mais je conteste le
terme “partisan”. Tous les médias suggèrent
des connexions, des représentations, il n’y a
pas de média neutre. D’ailleurs, j’apprécie AJE,
comme Al Jazira, pour sa capacité à multiplier
les regards. Ils donnent la parole au petit
peuple, des familles irakiennes qui parlent de
leur quotidien, des reportages aux checkpoints palestiniens… C’est un peu l’école de la
BBC. Le traitement est beaucoup moins
institutionnel que les autres grands médias.
Comme Al Jazira, ils privilégient l’information
alternative et donnent beaucoup de place aux
victimes.
Quel impact pensez-vous qu’elle puisse
avoir ?
Pour moi, l’impact sera forcément moindre
qu’Al Jazira. Lorsque cette dernière a été
lancée, en 1996, il n’existait pas dans le monde
arabe de chaîne qui parle de démocratie, de
censure, de droits de l’Homme. Tout était
hyper contrôlé. L’impact d’Al Jazira sur les
populations arabes, d’abord, a été
retentissant. Elle a brisé le tabou de la vérité
officielle incontestée et incontestable des
élites au pouvoir et elle a donné à voir les
débats, religieux principalement, entre
réformateurs et traditionalistes. A l’extérieur
aussi, la diffusion des messages de Ben Laden
en 2001 a forgé à la fois sa renommée et son
caractère polémique. Il faut attendre un peu
encore pour mesurer l’impact d’AJE. Je pense
qu’un véritable enjeu d’actualité
internationale, une crise aiguë, montrera où
se place Al Jazira English par rapport à la BBC,
à CNN et aussi à Al Jazira en arabe.
LE COURRIER DE L’ATLAS 37
médias
sents dans le monde arabe, mais nous ne nous
adressons pas directement aux Arabes dans
leur langue. Il y a la distance de la traduction”,
souligne Riz Khan. Plus proche de la BBC
alors ? AJE y ressemble par le style et le
contenu de son site Internet, son goût pour
le reportage et l’actualité vue du côté de
ceux qui la vivent autant que de ceux qui la
font. D’Al Jazira, elle garde sa vision excentrée par rapport à CNN, la BBC ou France 24. Sur la chaîne en arabe, le sujet le plus
traité est le conflit israélo-palestinien et
l’homme dont on parle le plus, Ismaël Haniyeh, Premier ministre Hamas du gouvernement palestinien. Ils sont présents sur
AJE, mais il y a aussi la Chine, l’Asie,
l’Afghanistan, le Darfour…
AJE souffre de la mauvaise image d’Al Jazira en arabe, aux Etats-Unis notamment.
Si elle est accessible à peu près partout sur
le câble dans le reste du monde, elle reste
confidentielle outre-Atlantique. Les plus
gros opérateurs n’ont pas encore accepté de
la diffuser.
Al Jazira en terre ennemie
Abderrahim Foukara, jeune Marocain de 37 ans, a été nommé à la tête du
bureau d’Al Jazira en arabe à Washington il y a un an tout juste. Depuis son
arrivée, il travaille à nuancer l’image que projette la chaîne des Etats-Unis.
A
l Jazira est-elle antiaméricaine ? “Oui, dans
certains cas, oui”, reconnaît
Abderrahim Foukara, le nouveau
patron du bureau de
Washington. “A Doha, ils ont leur
propre conception des EtatsUnis. Ici, on comprend le
caractère et la mentalité des
Américains, au siège moins. Mais,
souligne-t-il, Al Jazira laisse
beaucoup de liberté à ses correspondants.
C’est un bien et un mal à la fois. C’est surtout
risqué d’un point de vue politique.” La devise
de la chaîne est “l’opinion et son contraire”.
C’est la confrontation entre les différentes
tendances religieuses et politiques qui fait
l’intérêt d’Al Jazira, selon Abderrahim
Foukara. Mais c’est aussi ce qui
nuit à son image. Il aimerait
qu’elle parvienne à “uniformiser
sa ligne éditoriale” et affirme
vouloir “nuancer l’antiaméricanisme” qui s’y exprime
parfois. “Le traitement des
sujets est très chargé en
émotion, beaucoup plus qu’à la
BBC par exemple”, ajoute cet
ancien reporter de la chaîne
anglaise. De 1999 à 2002, il a travaillé à
Londres. “Je suis arrivé de la BBC avec un
certain bagage éditorial et j’ai dû m’adapter.
Je dois garder constamment à l’esprit que je
m’adresse à un public arabe.” Mais il défend le
point de vue d’Al Jazira : “Si l’on veut montrer
ce qui se passe réellement en Irak, les gens ici
Elle rompt avec la vérité officielle des élites au pouvoir. Mais peut-on pour
autant ignorer les courants idéologiques qui la traversent et qu’elle diffuse ?
D
’abord par la relation ambiguë qu’elle
entretient avec le Qatar qui l’abrite et
la finance. Son lancement en 1996 exprime
les ambitions démesurées de l’un des plus
petits pays arabes. La monarchie au pouvoir
tire profit de la chaîne, qui lui sert de voile
pour masquer son alliance stratégique avec
les Etats-Unis. Al Jazira sert de preuve de la
“démocratisation” du micro-Etat pétrolier.
Elle parle ainsi de tous les voisins du Qatar,
encore plus librement des pays plus lointains, tel le Maroc, mais bien peu du Qatar
lui-même...
En faisant son fer de lance de l’ethnie et de
la religion, Al Jazira participe largement au
courant idéologique communautariste. Elle
affirme un mythe, une unité basée sur le
clan ou la religion en consolidant un sentiment de familiarité culturelle. Les Arabes
ne représentent pourtant que le quart environ de l’ensemble des musulmans, et plus
de 10 millions d’Arabes sont chrétiens (Proche-Orient). Al Jazira en arabe ne contientelle pas un non-sens de base en s’adressant
à une communauté arabo-musulmane qui
n’a pas de communauté de langue ? La
chaîne s’exprime en effet en arabe littéraire,
38 LE COURRIER DE L’ATLAS
registre surtout utilisé à l’écrit pour la communication officielle ou transfrontalière,
par les écrivains et une partie de la presse.
Cette version modernisée de l’arabe classique est la langue du Coran et du discours
religieux, langue qui s’apprend à l’école et
qui n’est pas encore généralisée malgré les
efforts de scolarisation. Sans oublier les
pays où les filles restent en grande partie
analphabètes. La distance qui sépare le niveau de l’expression littéraire et savante de
celui de l’expression courante est très grande. Et que dire des musulmans non arabes
qui sont nombreux à la regarder.
BEN LADEN Y TROUVE
UNE TRIBUNE EXCLUSIVE
Consciente de cette impasse, Al Jazira mise
tout spécialement sur la force du visuel et
sur le pouvoir de l’image brute. Quelle
force émotionnelle peut prendre ces images
quand les mots ne sont pas ou mal compris ? CNN n’a plus le monopole, elle ne
peut plus faire croire qu’une guerre est propre, comme elle a tenté de le faire lors de la
première guerre du Golfe. Al Jazira a pris
le contre-pied en montrant que la guerre est
sale et sanglante. Mais le téléspectateur a-til besoin de démonstration ? Ne mérite-t-il
pas plutôt des outils et des bases de réflexion ? Ne reste-t-il pas une sorte d’otage ?
Al Jazira, en utilisant l’humiliation faite aux
musulmans face à des actes comme l’exécution de Saddam Hussein le premier jour
de la fête musulmane de l’Aïd Al Adha, renforce une identité panarabe qui revendiquerait une communauté de destin. Parce
qu’elle propose des débats ouverts et qu’elle laisse toute sa place à la contradiction,
sous prétexte de donner la libre parole aux
Arabes, elle offre au cheikh islamiste Youssef Al Qaradawi une émission hebdomadaire de libre expression, La charia et la vie.
Al Qaeda et ses ramifications y bénéficient
d’un traitement privilégié, Ben Laden y
trouvant une tribune exclusive. Dans un
contexte à vif, l’absence d’un traitement critique de ces images fait qu’est restitué tel
quel le travail de propagande effectué par
les organisations terroristes.
La question mérite d’être posée : le monde
arabo-musulman n’a-t-il pas plus que jamais besoin de s’interroger sur lui-même
de manière ouverte et constructive sans subir aujourd’hui ce média comme il a subi,
hier, les télévisions occidentales.
Mireille Peña
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
DR
Une chaîne qui suscite des questions et des réserves...
médias
considèrent que c’est anti-américain.”
Vu de l’extérieur, aux Etats-Unis, les
journalistes d’Al Jazira semblent travailler en
terrain hostile. Vu de l’intérieur, le blocus
qu’on imagine n’existe pas. “A Washington,
c’est plus difficile d’avoir ses entrées qu’à
New York. Dans les milieux politiques, surtout
pendant les élections, je suis confronté à des
réactions négatives. Mais pour certains
hommes politiques, c’est un moyen de
communiquer avec le monde arabe, souligne
le journaliste. C’est comme les Français après
leur refus d’intervenir en Irak. Pour les
Américains, ils étaient devenus presque
arabes”, lâche-t-il en riant.
EN PROJET, DES SUJETS SUR LA VIE
QUOTIDIENNE DES AMÉRICAINS
Al Jazira consacre près de la moitié de son
temps d’antenne aux Etats-Unis. “Avant, la
couverture était plus restreinte, la guerre en
Afghanistan a tout changé.” L’actualité est
surtout politique : “80 % à 85 % des sujets
tournés par le bureau”. Mais le directeur
cherche à faire évader les quinze reporters
pour réaliser des sujets sur la vie quotidienne
des Américains. “La société arabe en a assez
de la politique. Tout ce qu’on montre des
Etats-Unis sur Al Jazira, c’est la politique et
Wall Street. Depuis que je suis là, j’essaie de
faire bouger les choses.” Un exemple : “Pour
les élections de mi-mandat, nous sommes
allés tourner des sujets sur la religion pour
montrer à quel point elle compte dans ce
pays.” Une émission quotidienne d’une heure
est en projet, avec uniquement des
reportages. “Au siège, ils ont compris qu’il
fallait montrer la diversité des Etats-Unis.
C’est une question de concurrence aussi. De
plus en plus de chaînes arabes le font.”
UN PETIT EMPIRE MÉDIATIQUE
1996 Création d’Al Jazira en arabe
2003 L’Arabie-Saoudite réplique avec Al Arabiya
Lancement du site Internet aljazeera.net et d’Al Jazira Sport
2004 Al Jazira ouvre un centre de formation de journalistes
Le Congrès Américain lance Al Hurra (la libre), une chaîne
en arabe au succès limité
2005 Création d’Al Jazira enfants
2006 Al Jazira documentaires et Al Jazira English
Al Jazira en arabe : 45 millions d’auditeurs
AJE espère toucher 80 millions d’auditeurs dans le monde
... et qui dérange beaucoup de monde
Plébiscitée par les peuples arabes, la chaîne qatarie
bouscule les dictatures de la région, dérange les
“démocraties occidentales”, offense les islamistes
et exaspère Américains et Israéliens.
L
’idée de son fondateur,
l’émir du Qatar Hamad Ibn
Jasem Al Thani, arrivé au
pouvoir en 1995, était
d’illustrer la démocratisation
du pays et de contrer
l’influence de son voisin
saoudien. La chaîne recrute les
anciens journalistes arabes de
BBC World Service qui vient de
fermer son antenne dans la
région après des différents
avec l’Arabie Saoudite. Dix ans
après son lancement, Al Jazira
est regardée par environ
35 millions de téléspectateurs
dans le monde.
D’abord vue d’un bon œil par
l’administration américaine,
elle acquiert, après les
attentats du 11-septembre, la
réputation sulfureuse de
chaîne inféodée à Ben Laden.
Des dirigeants d’Al Qaeda
adressent leurs messages sur
ses ondes. C’est à ce momentlà aussi qu’elle entre dans les
foyers occidentaux avec un
point de vue différent sur la
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
guerre en Afghanistan puis en
Irak. Alors que les chaînes
occidentales mettent
l’embargo sur les images
violentes ou gênantes de la
guerre, elle montre des
prisonniers et des cadavres de
soldats américains. Ses
journalistes sont là où les
autres ne vont pas. En mars
2003 notamment, Al Jazira est
seule à contester, par la voix
du ministre de la Défense
irakien, sur son antenne,
l’information d’une source
militaire britannique au sujet
d’un soulèvement populaire
dans la ville de Bassorah en
Irak. La chaîne est reconnue
par les autres médias pour son
professionnalisme. La même
année, la BBC signe un accord
de coopération avec Al Jazira.
Son ton nouveau suscite aussi
des remous dans le monde
arabe. Si elle ne s’intéresse
pas de trop près aux affaires
du Qatar, Al Jazira invite tous
les opposants politiques de la
région. Démocrates tunisiens,
dissidents syriens ou irakiens,
communistes en exil,
islamistes aussi, comme
Hassan Nasrallah, le chef du
Hezbollah libanais. Jamais
retransmises sur CNN, les
conférences de presse d’Ismaël
Haniyeh, chef du Hamas et
Premier ministre du
gouvernement palestinien, le
sont sur Al Jazira. Interdite en
Irak depuis 2004, la chaîne
dérange souvent les dirigeants
de pays peu habitués à la
critique. En octobre dernier, la
Tunisie a fait fermer son
ambassade à Doha en réaction
à une interview de l’opposant
Moncef Marzouki, qui appelait
à la “résistance civile”.
Sa devise, “l’opinion et son
contraire”, se traduit dans ses
programmes, qui montrent
des aspects peu médiatisés
des sociétés arabes et invitent
au débat politique sur ses
plateaux. Parmi les émissions
phares de la chaîne, The
opposite direction (La
direction opposée) met face à
face deux personnalités sur un
thème de politique ou de
société. For women only (Pour
les femmes uniquement) est la
première émission consacrée
aux femmes à la télévision
arabe. On y discute vie
quotidienne et questions de
société. Le débat est en
interaction avec les
téléspectateurs, concept cher
à Al Jazira et décliné ailleurs.
Dans Open dialogue (Dialogue
ouvert) ou Without bounds
(Sans aucun frein), les
téléspectateurs peuvent
appeler pour poser leurs
questions à une personnalité
politique ou religieuse.
Le public d’Al Jazira est
musulman à 96 %, urbain à
69 %, et relativement éduqué,
selon le sondage d’Allied
Media Corporation. Si la
chaîne est connue en Occident,
elle est toutefois peu
regardée. En France, l’institut
Médiamétrie n’a pas de
chiffres disponibles
concernant sa part d’audience,
mais parmi les 180 chaînes
satellitaires en arabe
accessibles, les plus prisées
sont les chaînes nationales.
L’arabe classique constitue un
obstacle pour beaucoup de
téléspectateurs.
LE COURRIER DE L’ATLAS 39
affaire d’Etat
JACQUES MULLER
65 ans, militaire
de carrière, mécanicien
pilote sur hélicoptère
en Algérie de 1953 à 1964
Secret défense
sur les essais
nucléaires français
BOMBE A Quarante-sept ans après les premiers
essais nucléaires français au Sahara,
Alger organise un colloque international sur
le sujet et exige mollement réparation pour les
victimes. De part et d’autre de la Méditerranée,
les associations se mobilisent, mais “la Grande
Muette” fait la sourde oreille. Par Yann Barte
L
e 13 février 1960, la France effectuait son premier test nucléaire à Reggane, sous le
nom de code “La Gerboise bleue”. Une bombe atomique trois à quatre fois plus
puissante que celle d’Hiroshima, qui entraîna des pluies noires jusqu’au Portugal !
Officiellement pourtant, selon les autorités françaises, tout s’est bien passé. Quatre essais
aériens et treize tests souterrains se succéderont de 1960 à 1966, les accords d’Evian de
1962 prévoyant l’utilisation par la France des sites, cinq ans après l’indépendance. Dix-sept
essais (certaines victimes parlent aussi de trois autres non déclarés aperçus par satellite).
“NOUS AVONS SERVI DE COBAYES HUMAINS”
“La nécessité de la reconnaissance de la responsabilité de la France coloniale” a été abordée lors
du colloque international sur les conséquences des essais nucléaires dans le monde qui
s’est déroulé à Alger mi-février. Une première ! Sous les auspices du président de la République Abdelaziz Bouteflika, le colloque abordait largement le cas du Sahara algérien. Mais
il n’a été suivi d’aucune initiative officielle de la part des autorités algériennes. Fin février,
au Sénat, les victimes françaises des essais nucléaires en Algérie se mobilisaient à nouveau
lors de la projection du film Vive la bombe, de Jean-Pierre Sinapi (1), une histoire inspirée
de l’accident de Beryl (nom de code du second essai souterrain) du 1er mai 1962 qui avait
vu s’échapper de la montagne, contre toute attente, un nuage radioactif.
Créée en 2003, l’Association française des vétérans des essais nucléaires (Aven) dénonce
les accidents classés “secret défense”. Pour la France, il n’est à déplorer aucun accident,
aucune conséquence grave sur l’environnement, ni sur le personnel exerçant sur les sites
ou les habitants des hameaux environnants. Une version confirmée lors d’un rapport
parlementaire et transmis encore dernièrement par l’ambassade de France à Alger sous le
nom de “Dossier de présentation des essais nucléaires et leur suivi au Sahara”. Mais de
quel suivi parle-t-on ? Tandis que les victimes commencent à s’organiser en Algérie, sans
moyens, dans l’Hexagone, elles tentent de donner de la voix : “La France cache la vérité et
nous avons servi de cobayes.” Le combat n’est pas encore gagné.
40 LE COURRIER DE L’ATLAS
“J’ai assisté à quatre essais nucléaires, mais
rien de comparable à celui du 1er mai 1962.
Nous savions que cette bombe n’était pas
tout à fait prête, mais il fallait montrer la
puissance nucléaire française pour l’arrivée
de Khrouchtchev en France. Deux ministres assistaient aussi à l’événement, Pierre
Messmer, ministre des Armées, et Gaston
Palewski, ministre de la Recherche. On
nous avait dit lors d’une brève formation
sur l’atome : ‘Approchez-vous au plus près.
Vous ne risquez rien. Vous verrez comme c’est
splendide !’ Ce que j’ai fait : j’étais au premier
avant-poste à trois kilomètres, en short et
chemisette. La bombe a pété à 11 h 30.
C’était joli, en effet : nous avons assisté à
une ondulation de la terre et la montagne
est devenue blanche. Puis un gros nuage
est parti à l’horizontal, avant de tourner vers
la base. Rien n’était prévu puisque tout devait bien se passer. Quand je suis rentré à
la base, j’ai été arrêté par des cordons sanitaires et on m’a mis à la douche. Depuis, je
n’ai plus jamais vu personne pour un suivi.
Ça fait vingt ans que je suis en procès avec
l’armée. Je suis le vétéran des vétérans ! En
trente-trois ans d’armée, je n’aurais, paraîtil, aucun dossier militaire ou médical ! J’ai
été brusquement atteint d’une cataracte
sous-capsulaire, première maladie des irradiés. Aveugle, je ne pouvais plus piloter. En
2002, j’ai eu un cancer de la prostate. Pas
rancunier, je me suis fait traiter par radiothérapie. En 2005, j’ai eu un cancer du poumon gauche. Une fois de plus, ma demande de pension a été refusée. On me
confirme pourtant l’origine de cette maladie : les poussières radioactives absorbées.
‘Non imputable au service’, me répondra-t-on
pourtant suite à mes demandes de pensions. En 2006, nouveau cancer, au poumon droit, et il y a deux mois, un quatrième. A la vessie.”
MICHEL HERY
67 ans, aux
transmissions en
Algérie de 1961 à 1962
“Je m’occupais des transmissions et du cinéma. Je faisais des projections. J’ai assisté
à l’essai du 1er mai. J’étais alors au poste de
transmission. Quand j’ai vu le nuage, j’ai
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
DR
ALGÉRIE
En Algérie,
les victimes
s’organisent aussi
SCÈNE DE “VIVE LA BOMBE”, UN TÉLÉFILM QUI RECONSTITUE
L’ACCIDENT DE BÉRYL, LE 1ER MAI 1962, DANS LE SAHARA ALGÉRIEN.
sauté sur le standard pour prévenir partout
de fermer portes et fenêtres. C’était la panique, la débandade. Tout le monde s’est
sauvé en courant. Mais les jours qui ont
suivi, tout le monde est reparti dans la montagne comme si de rien n’était. L’ordre était
de ne rien dire. Officiellement, c’est une
réussite complète, tout s’est bien passé.
Aujourd’hui, nous avons tous des problèmes gastriques ou de circulation du sang.
Beaucoup sont déjà morts de ces problèmes. Moi, j’ai eu une ablation de 7 centimètres du colon, j’ai un pontage de l’artère à la
jambe… On voudrait que les médias parlent
enfin de ce qui s’est passé.”
DR - Photo extraite du film “Vive la bombe”
CHRISTINE
LECULLÉE
68 ans, veuve
de Bernard Lecullée, décédé
le 4 janvier 1976
“J’ai eu l’occasion d’être invitée sur des plateaux de télé et de voir de près M. Messmer. Comme il a été le plus irradié de tous,
protégé comme il l’était, comment les
autres n’auraient-ils pas été irradiés, sans
protection, abandonnés comme étaient nos
maris ? Le mien était parti pour quinze
mois en Algérie. Chef du service eau, il a
été en contact avec des boues radioactives.
J’ai eu la certitude que ses problèmes
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
étaient liés à Reggane quand j’ai eu accès,
grâce à la loi Kouchner, au dossier médical
en 2002. Il serait descendu à quatre reprises dans une cuve contenant des eaux
contaminées par des produits radioactifs.
Couvert d’un érythème cutané et pris de
vomissements, il aurait été transporté à
l’infirmerie de Reggane. Et puis ils en ont
remis une couche ! Foutu pour foutu, ils se
sont dit : on l’achève. On va me dire après
qu’ils n’ont pas servi de cobayes ? Bien sûr
que j’ai la haine. Lui qui croyait avoir servi
la France. J’ai une carte ici : ‘Reggane aux
heures glorieuses’. La gloire, il l’a emportée
dans la tombe ! Il est mort il y a trente et un
ans. L’armée, ‘la Grande muette’, s’est faite
plus muette que jamais. Il n’a même pas
été reconnu ancien combattant ! C’était un
beau garçon de 30 ans quand je l’ai quitté.
Quand je l’ai retrouvé sur le quai de la gare
avec mes quatre petits… les dents déchaussées, les cheveux… Il était transparent… et
je passe sur les détails intimes.”
MICHEL
DESSOUBRAIS
65 ans, en Algérie d’avril
à mai 1962, militaire appelé,
grade brigadier
“Je fais partie du groupe de gars qui ont
été irradiés le 1er mai 1962. J’ai été dans le
“Un colloque bidon qui a surtout voulu
mélanger le problème avec la politique
franco-algérienne. On nous a mis en
vitrine, c’est tout !” Mohamed Ben
Djebbar, président de l’Association
algérienne des victimes des essais
nucléaires français au Sahara, dénonce,
de concert avec les victimes françaises
de l’Aven, une utilisation de la question
par l’Algérie par rapport aux méfaits du
colonialisme, sans volonté politique
sincère d’ouvrir le dossier des essais.
“Cela fait quarante ans que l’on attend.
En quarante ans, ils n’ont jamais agi !
Et ils entretiennent un culte de la
mémoire que nous n’avons pas.” Des
victimes algériennes, on ne sait pas
grand-chose aujourd’hui. M. Ben
Djebbar déplore ces hommes qui
“meurent à 40, 50 ans”, des hommes
qui ont travaillé avec lui durant quatre
ans pour le démantèlement des bases
(des centrales électriques,
hydrauliques…), “des nomades aussi
qui ont traversé régulièrement les
points zéro” car “le désert n’existe pas
ici. Tout est habité !” Même les
nouvelles générations payent :
“Des enfants naissent un membre
en moins ou aveugles. Une véritable
bombe à retardement !”
Association algérienne des victimes des
essais nucléaires français au Sahara
189, cité Jourdain, Les Castors, 31007 Oran.
Tél. : 00 213 41 46 54 42
nuage même de la bombe, sans combinaison, avec un masque à gaz, pendant presque trois heures. Le compteur Geiger était
bloqué avant même que le nuage arrive
sur nous : on savait qu’on allait être irradiés. On a passé des messages radio pour
pouvoir partir, mais il n’y avait plus personne au bout du fil. On nous avait tout
simplement abandonnés. Plus tard, nous
avons été rapatriés à l’hôpital militaire de
Percy, à Clamart. Là, on s’est bien occupé
de nous, mais après… plus aucun suivi, ni
médical ni psychologique, rien, jusqu’à
maintenant. Il aurait pourtant fallu un
suivi par des spécialistes en médecine nucléaire. En fait, on a cherché à étouffer
l’affaire.” ■
(1) Vive la bombe, téléfilm projeté sur Arte
le 16 mars dernier. Une diffusion sur France 2
est prévue pour les semaines à venir.
LE COURRIER DE L’ATLAS 41
dossier
ÉLECTION Des trois principaux
prétendants à la succession de Jacques
Chirac (page 51), on connaît évidemment
les programmes. Ce n’est pas suffisant
pour juger lequel fera le meilleur chef
d’Etat. En revanche, on peut comparer
les discours et les promesses (page 43).
Trois experts décortiquent aussi pour
vous les trois programmes économiques
(page 48). Et comment se positionner en
tant que Maghrébin ? “Je pense qu’il ne
42 LE COURRIER DE L’ATLAS
faut pas encourager de vote
communautaire maghrébin, insiste
l’écrivain et poète Abdelwahab Meddeb,
les Français d’origine maghrébine se
retrouvent dans toutes les sensibilités”
(page 56). Dans les cités de la banlieue
parisienne, à la mi-mars, c’est le nom
de François Bayrou qui est sur toutes
les lèvres (page 52). Au final, chacun
votera selon ses convictions et ses
intérêts, conclut Mehdi Qotbi (page 56).
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
B.Hanna/Rea
Comment voter ?
dossier
DOSSIER RÉALISÉ PAR
YANN BARTE, NADIA LAMARKBI,
ANTOINE FLANDRIN, FARID MOKTAR,
SOUMIA ZAHI, ÉLÉONORE VARINI,
MYRIAM BROUGH.
Sarkozy, Royal et Bayrou
à l’épreuve de l’économie
DR
L
’enjeu économique et social est au
centre de tous les programmes des
candidats. Ils seront jugés sur leurs
capacités à redonner confiance aux Français et à relancer une économie essoufflée
qui peine à dépasser les 2 % de croissance
annuelle. Les hypothèses de croissance du
PIB avancées par les trois candidats principaux, Ségolène Royal, Nicolas Sarkozy et
François Bayrou, restent timides. Pour
Bayrou, le PIB augmenterait de 2 % par an
alors que Royal et Sarkozy tablent sur une
croissance annuelle autour de 2,5 %. Signe
que, même en période électorale, les économistes de chacun des partis n’osent pas
rêver à mieux. Il est vrai que l’état des finances de la France ne laisse pas de marge
au rêve. Avec un déficit de la Sécurité sociale (maladie, vieillesse, famille) égal à
9,6 milliards en 2006, un déficit budgétaire de près de 36,5 milliards d’euros et
une dette publique de 1 000 milliards
d’euros, les présidentiables devront avoir
des arguments forts pour convaincre les
plus pessimistes.
Nicolas Sarkozy est plébiscité chez les
“élites” : 89 % des top leaders (les 52 très
hauts dirigeants) estiment qu’il ferait un
bon président, selon le sondage Harrison & Wolf pour Le Figaro du 14 mars.
Son programme économique est basé sur
la flexibilité du travail et la relance par
l’allégement des charges des entreprises.
Pour les aspects plus sociaux, l’accent est
mis sur la responsabilisation des individus. En d’autres mots, les Français porteront une part plus importante des charges
et le plafond des minima sociaux sera réévalué. Plus nuancé, François Bayrou est
partisan de la “sociale-économie”, un
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
Retraites
Ségolène Royal
• Augmentation des
petites retraites de 5 %
et rapprochement des petites
retraites du Smic. N’exclut pas
de revoir les régimes spéciaux.
• Abrogation de la loi Fillon.
Santé
Ségolène Royal
• Création d’une
Sécurité sociale
professionnelle.
• Une carte Santé jeunes pour
les 16-25 ans.
• Garantie du financement de
l’hôpital.
Logement
Ségolène Royal
• Service public
de la caution.
• Faciliter l’accès à la propriété
pour les personnes ayant
occupé une HLM durant au
moins quinze ans.
• Construction de 120 000
logements sociaux par an.
• Durcissement des sanctions
à l’encontre des communes
qui ne respectent pas les
quotas d’HLM.
• Loyers plafonnés pour les
nouvelles constructions.
• Etendre les prêts gratuits
pour l’accès à la propriété.
Nicolas Sarkozy
• Suppression des
régimes spéciaux.
• Améliorer les retraites
des femmes ayant cessé
leur activité pour éduquer
leurs enfants.
François Bayrou
• Système de retraite
à points permettant
d’individualiser les dates
de départ et d’introduction
des bonifications.
• Retraite minimale égale à
75 % du SMIC et passant à
90 % à la fin du quinquennat.
Nicolas Sarkozy
• Egalité de traitement
entre privé et public.
• Autoriser les dépassements
d’honoraires des généralistes.
• Imposer une franchise
annuelle pour les dépenses
de santé.
• Instituer une franchise sur
les actes médicaux.
François Bayrou
• Régionaliser le
système de soins par la
création d’un conseil régional
de la santé créé avec les
soignants, les gestionnaires
des caisses et les associations
d’usagers.
Nicolas Sarkozy
• Rendre déductible de
l’impôt sur le revenu la
totalité des intérêts
d’emprunt et développement
du crédit hypothécaire.
• Vente de 40 000 logements
sociaux par an à leurs
occupants.
• Seront comptées dans les
20 % de logements sociaux les
opérations d’accession sociale
à la propriété.
• Modulation des loyers selon
les revenus des locataires.
• Mise en place d’une garantie
des risques locatifs et
suppression du dépôt de
garantie et de la caution.
François Bayrou
• Confier
provisoirement aux
préfets le pouvoir de délivrer
les permis de construire dans
les communes qui ne font rien
pour atteindre les 20 % de
logements sociaux.
• Réserver un quart de la
surface des programmes
immobiliers nouveaux aux
logements sociaux.
• Modulation des loyers
en fonction des revenus
du ménage dans les HLM.
• Suppression du dépôt de
garantie et de la caution et, à
la place, mise en place d’un
système d’assurance.
LE COURRIER DE L’ATLAS 43
dossier
savant dosage d’interventionnisme social
et de libéralisme économique. Il prône la
décentralisation des instances décisionnaires. Pour l’hôpital ou pour le logement, par exemple, il propose la création
de conseils régionaux dédiés. Ségolène
Royal rejoint ses concurrents sur la nécessité de mettre en avant les PME en
leur accordant des avantages fiscaux notamment. Mais son programme se singularise lorsqu’il aborde le droit du travail.
Alors qu’elle prône une législation plus
protectrice envers les salariés et les jeunes
arrivant sur le marché du travail, Nicolas
Sarkozy propose pour sa part un contrat
unique. Cette formule remplacerait le
CDI, avec la possibilité de licencier sans
préavis ni motivation. Sur la question de
l’emploi, le programme UDF se situe à
mi-chemin entre la flexibilité du programme UMP et la protection des salariés proposée par les socialistes. Les employeurs seront exonérés totalement de
charges pour les deux premiers CDI et les
salariés verront l’augmentation de la rémunération des heures supplémentaires.
Autre point commun entre ces trois candidats : le silence sur le maintien ou non
des 35 heures.
our ce qui est du chiffrage du programme des candidats, les données
varient selon la source, ce qui alimente encore la polémique autour du
creusement de la dette publique. L’Institut de l’entreprise, proche des idées de
l’UMP, estime le coût du programme socialiste à 60 milliards, 50 milliards pour
Nicolas Sarkozy et 27,5 milliards pour
François Bayrou. Pour financer son programme, Ségolène Royal table sur une
augmentation des dépenses des administrations publiques de l’ordre de 2,2 % par
an sur la durée de la législature, à peine
plus que Nicolas Sarkozy qui, lui, verrait
une augmentation de 1,8 %. François
Bayrou souhaiterait, pour sa part, inscrire
dans la Constitution l’interdiction pour
un gouvernement de présenter un budget
en déficit de fonctionnement.
Dans les tableaux suivants, nous avons
répertorié les propositions faites par les
différents candidats sur la question des
retraites, de la santé et du logement, et la
politique économique pour ce qui concerne la politique sociale. Pour les aspects de
politique économique, nous avons retenu
l’emploi, la fiscalité et les réformes liées
aux entreprises, comme significatifs du
programme de chacun des candidats. A
vous de faire votre choix.
44 LE COURRIER DE L’ATLAS
Emploi
Ségolène Royal
• Relever le Smic à
1 500 € d’ici 2012.
• Renforcer le droit à la
formation professionnelle.
• Suppression du CNE et
primauté au CDI.
• Création de 500 000 emplois
tremplins.
• Droit au premier emploi pour
les jeunes.
Fiscalité
Ségolène Royal
• Particuliers : réviser la
politique d’exonération
de cotisations sociales pour
favoriser les bas salaires.
• Supprimer les niches
fiscales.
• Impôt sur les sociétés :
encourager les éco-industries
par une TVA tendant vers
zéro.
Nicolas Sarkozy
• Exonérer de charges
sociales et d’impôts
les heures supplémentaires.
• Remettre à plat les
35 heures dans le secteur
public.
• Conditionner le maintien
des exonérations de charges
à la politique salariale
des entreprises.
• Instauration d’un contrat
de travail unique.
François Bayrou
• Exonération des
charges sociales pour les
deux premiers CDI créés par
chaque entreprise.
• Exonération des charges
sociales pour compenser la
hausse de 35 % du coût des
heures supplémentaires.
Nicolas Sarkozy
• Particuliers : abaisser
le bouclier fiscal à 50 %
et déduire de l’ISF les sommes
investies dans les PME à
hauteur de 50 000 €.
• Exonération de 95 % des
droits de succession.
• Défiscalisation des emplois
de service à la personne.
• Impôt sur les sociétés :
moduler l’impôt sur les
sociétés en fonction de
l’allocation des bénéfices.
François Bayrou
• Particuliers : exonérer
les successions en ligne
directe jusqu’à 200 000 € et
relever l’abattement par part
d’enfant.
• Plafonner les niches fiscales
de l’impôt sur le revenu.
• Impôt sur les sociétés :
défiscalisation des revenus
liés aux brevets déposés par
les chercheurs.
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
Chamussy/Sipa
P
dossier
E
n matière de sécurité, Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy
ont un peu joué la surenchère.
Mettre l’armée autour des jeunes,
supprimer les allocations familiales… Qui a dit quoi ? On ne sait plus
Entreprise
AP/Sipa
Ségolène Royal
• Moduler le taux de
l’imposition sur les
sociétés en fonction de la
stratégie d’investissement
des bénéfices.
• Soutenir les PME par la
création de fonds publics
régionaux de participation.
• Mettre en place
un régime social pour
les indépendants.
• Faciliter l’accès au crédit
des PME en leur accordant
la garantie de l’Etat.
• Favoriser fiscalement
les entreprises de
l’économie sociale.
• Soutien des formes
économiques alternatives.
Nicolas Sarkozy
• Apporter la caution
de l’Etat aux
entrepreneurs sans
ressources.
• Abaisser à 5,5 % le taux de
TVA dans la restauration.
• Création d’une agence
de réindustrialisation.
• Généralisation des plans
de stock-options.
François Bayrou
• “Small business
act” : proposer un
package à l’américaine
permettant de favoriser les
PME par la simplification de
l’environnement juridique,
la réduction des délais de
paiement, la concentration
des exonérations de
charges, tout marché public
de moins de 50 000 €
leur sera réservé et 20 %
des marchés supérieurs.
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
trop. Les deux sans doute. Les trois
candidats proposent un service civique (obligatoire et soumis à référendum pour François Bayrou). Comme en 2002, le thème a largement
été développé par les candidats.
Ségolène Royal
• Instaurer un
service civique
obligatoire de six mois
effectué en une ou
plusieurs fois.
• Soutenir les familles
en difficulté via par
exemple la mise sous
tutelle pour aider à la
gestion d’un budget et
faire face à une rébellion
des enfants.
• Mettre en place,
quand les incivilités se
multiplient, un système
d’obligation pour les
parents de faire des
stages dans des écoles
spécifiques et prévoir
des systèmes de mise
sous tutelle des
allocations familiales.
• Enseigner la civilité
aux enfants, par le biais
de programmes
d’éducation au respect
de l’autre.
• Développer les
internats-relais pour les
enfants en difficulté de
familles défavorisées.
• Développer des
centres éducatifs
renforcés, si besoin
avec un encadrement
militaire.
• Adopter une loi-cadre
sur les violences
conjugales.
• Créer une nouvelle
police de quartier.
Nicolas Sarkozy
• Instaurer un
service civique par
lequel chaque jeune
Français de 18 à 30 ans
donnera aux autres
six mois de son temps.
• Réformer l’ordonnance
de 1945.
• Instaurer des peines
plancher pour les
délinquants
multirécidivistes.
• Envisager le repérage
précoce des troubles
du comportement
dès 3 ans.
• Permettre aux maires
pour lutter contre
l’absentéisme scolaire,
la mise sous tutelle des
allocations des familles
défaillantes.
François Bayrou
• Soumettre
au référendum
un service civique
obligatoire de six
mois pour les jeunes.
• Compenser
l’engagement au service
de la société et du lien
social par une validation
des acquis ou une aide
aux études.
• Réimplanter l’Etat
dans les quartiers pour
y incarner la sécurité et
le service public.
• Réagir, face à la
délinquance juvénile,
par une sanction rapide
et éducative.
• Légiférer en faveur
de la protection des
victimes.
LE COURRIER DE L’ATLAS 45
dossier
S
ur ce thème, nos trois
candidats restent assez
frileux. Aucune régularisation massive n’est prévue,
mais “du cas par cas” est recommandé chez François Bayrou et
Ségolène Royal, tandis que Nicolas Sarkozy prévoit une poursuite des expulsions. L’“immigration choisie”, le thème
cher au candidat UMP dénoncé
par ses deux compétiteurs, pré-
voit plus de restrictions des
droits d’accès au territoire, un
serrement de vis supplémentaire, notamment pour le regroupement familial. François
Bayrou et Ségolène Royal sont
totalement opposés à l’idée de
mêler la question de l’immigration à celle de l’identité nationale. Enfin, les trois candidats
– c’est à la mode – parlent de
co-développement.
Ségolène Royal
• Instaurer
un visa
autorisant les allersretours sur plusieurs
années.
• Réformer le Code
de l’entrée et du
séjour des étrangers
et du droit d’asile.
• Rétablir la règle des
10 ans comme critère
de régularisation.
• Régulariser les
sans-papiers à partir
de critères fondés
sur la durée de
présence en France,
la scolarisation
des enfants
et la possession
ou la promesse
d’un contrat de
travail.
• Instaurer un droit
à l’aller et au retour
pour l’immigration
de travail, sur
plusieurs années.
• Renforcer la
politique de codéveloppement
en particulier avec
l’Afrique.
Nicolas Sarkozy
• Recourir à
l’“immigration
choisie” (avec
fixation de plafonds
annuels d’entrées).
• Poursuivre les
expulsions
d’étrangers en
situation irrégulière.
• Créer un grand
ministère de
l’“Immigration
et de l’Identité
nationale”.
• Renforcer la lutte
contre les mariages
blancs.
• Etablir des
conditions
de logement
et de ressources
plus strictes
pour le
regroupement
familial.
François Bayrou
• Maîtriser
l’immigration
clandestine, expulser
les étrangers
non admis en France,
lutter contre le
travail clandestin.
• Régulariser les
sans-papiers sur
critères : “contrat
de travail, maîtrise
de la langue
et de nos valeurs”.
• Créer un ministère
chargé de
l’Immigration.
• Participer à une
aide internationale
au développement
pour les pays
respectant
l’Etat
de droit.
46 LE COURRIER DE L’ATLAS
ce”, pleine d’occasions nouvelles. Ségolène Royal et François
Bayrou feront du ministre de
l’Environnement le n° 2 du
gouvernement. Si chacun perçoit très différemment l’urgence environnementale, tous trois
ont cependant signé le Pacte de
Nicolas Hulot.
Ségolène Royal
• Créer un
poste de vicePremier ministre
du Développement
durable, et de
l’Aménagement
du territoire.
• Ramener la part
de la production
d’électricité nucléaire
à 50 % d’ici 2020.
• Réformer la PAC en
offrant une juste
rémunération
aux producteurs
fournissant des
produits de qualité
et interdire des OGM
en plein champ.
• Développer des
énergies renouvelables
qui devront
atteindre 15 % de la
production d’énergie
d’ici 2012 (20 % d’ici
2020). Cela devrait
permettre de créer
des emplois (40 000
pour l’éolien, 25 000
pour le solaire...).
• Isoler
400 000 logements
anciens par an.
• Recourir au solaire
thermique pour les
nouveaux logements
sociaux, écoles
et hôpitaux.
• Intégrer le
développement
durable dans
les programmes
scolaires.
• Promouvoir la
création d’une
Organisation
Mondiale de
l’Environnement
(OME).
• Appliquer
systématiquement
le principe pollueurpayeur.
Nicolas Sarkozy
• Créer un
ministère de
l’Ecologie regroupant
énergie,
environnement,
transports,
équipement, eau
et prévention des
risques industriels.
• Réduire la TVA sur
les produits propres.
• Créer une pastille
bleue pour les
véhicules propres,
ouvrant droit
au stationnement
gratuit…
• Encourager
l’agriculture
biologique
en finançant
la reconversion
des agriculteurs,
pendant 5 ans.
• Imposer une
“redevance” aux
camions étrangers.
qui entrent en
France.
François Bayrou
• Nommer un
numéro deux
du gouvernement
spécialisé dans les
questions de
développement
durable.
• Instaurer une taxe
carbone.
• Lancer un grand
plan national
d’économie d’énergie
dans les bâtiments
et les transports.
• Développer une
politique d’éducation
et de sensibilisation
sur les enjeux et les
éco-gestes.
• Renforcer la
recherche et le
développement
des énergies
renouvelables.
• Développer le
féroutage et la
motorisation mixte
thermiqueélectrique.
• Réduire de 10 km/h
la vitesse sur les
routes.
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
Hadj/Niko/Sipa/Superstock/Sipa/Hartmann/Sipa
A
ncien ministre de l’Environnement, Ségolène
Royal choisit la voie de
“l’excellence environnementale”.
Nicolas Sarkozy préfère dénoncer les excès de l’écologie dressée en “idéologie totalitaire”.
François Bayrou perçoit la crise
écologique comme une “chan-
dossier
A
llocations, prêts à taux
zéro, aides à la formation… les jeunes n’ont
pas été oubliés dans la campagne électorale. Relativement
développé dans le programme
de Ségolène Royal, le thème
“jeunesse” est encore faiblement abordé dans celui de
François Bayrou.
résidences.
• Créer une
allocation
d’autonomie pour
les jeunes qui font
des études et n’ont
pas les moyens
de subvenir
à leurs besoins.
• Financer le permis
de conduire pour les
jeunes qui ont réussi
leur CAP.
• Créer des “bourses
tremplins” pour les
jeunes qui pourront
aller jusqu’à 10 000 €
pour les aider à créer
leur première
activité, leur premier
projet de vie.
• Offrir aux jeunes
l’accès à un prêt
gratuit de 10 000 €.
Nicolas Sarkozy
• Créer une
allocation de
formation pour les
jeunes.
• Créer un prêt à taux
zéro pour les jeunes,
garanti par l’Etat.
François Bayrou
• Rendre plus
juste le
système des bourses.
• Améliorer la
formation
professionnelle de
ceux qui quittent
l’école.
Crédits photo
Ségolène Royal
• Mise en place
d’une carte
santé jeune, pour
que les 16-25 ans
jeunes bénéficient de
consultations
médicales gratuites.
• Promouvoir le
logement étudiant
avec un doublement
du nombre des
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
L
es candidats se sont finalement assez peu exprimés sur le sujet de la politique internationale. Ségolène
Royal est visiblement plus à
l’aise sur le volet social tandis
que Nicolas Sarkozy s’était jusqu’à présent abstenu d’intervenir dans un domaine “réservé”
au président de la République.
Mais leurs sites complètent ces
lacunes.
Ségolène Royal
• Lancer avec
les partenaires
européens une
initiative pour une
Conférence
internationale de
paix et de sécurité au
Proche-Orient.
• S’opposer à l’accès
de l’Iran au nucléaire
civil.
• Etre à la pointe de
la vigilance sur le
non-respect des
droits humains ou
des droits de
l’Homme en Chine.
• Rétablir
immédiatement les
aides européennes
aux Palestiniens.
Nicolas Sarkozy
• Assurer la
sécurité de la
France et des
Français d’abord, de
nos amis et alliés
ensuite.
• Promouvoir les
droits de l’Homme en
Chine et en Russie.
• Créer une “Union
méditerranéenne”
sur le modèle de
l’Union européenne.
• Promouvoir les
intérêts de la France
aux plans
économiques et
commerciaux.
• Relancer le
processus de paix au
Proche-Orient, dont
l’objectif est la
création d’un Etat
palestinien
indépendant et
viable et le
renforcement de la
sécurité d’Israël,
sans lequel le
candidat ne fera pas
de gestes politiques
majeurs.
François Bayrou
• La France se
doit de
soutenir activement
les opposants à
toutes les tyrannies.
• L’Iran pose une
question grave aux
démocraties qui ne
peuvent accepter la
prolifération
nucléaire.
LE COURRIER DE L’ATLAS 47
dossier
Le hall de montage
des satellites
à l’usine Alcatel
Alenia Space de
Cannes La Bocca.
PROGRAMMES Ségolène Royal, François Bayrou et Nicolas Sarkozy
partagent la même ambition : faire retrouver à la France sa
compétitivité. Pour y parvenir, leurs approches sont toutefois
différentes. Entre propositions séduisantes et promesses
intenables, comment s’y retrouver ? Trois économistes analysent
les forces et les faiblesses des trois professions de foi.
48 LE COURRIER DE L’ATLAS
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
Ian Hanning/REA
Pari impossible ?
dossier
“Trois analyses similaires,
mais trois philosophies
différentes.”
Xavier Timbeau,
directeur du
département
Analyse et prévision
à l’Observatoire
français des
conjonctures
économiques (OFCE),
Sciences-po Paris.
DR
C
es trois programmes économiques
partent tous de la même analyse : il
faut réformer la France. Leur philosophie est toutefois différente. Nicolas
Sarkozy propose un programme libéral centré sur l’individu et la valorisation de son
travail à travers le salaire. Il envisage de le
faire par la réduction des charges fiscales et
l’instauration d’heures supplémentaires.
Toutefois, on ne suit pas très bien le mécanisme de cette dernière mesure. La question
est de savoir si ces heures supplémentaires
seront prises en compte au moment du
calcul des charges sociales au niveau des
droits associés. Seront-elles comptées pour
le calcul des allocations chômage et retraite ?
Si ce n’est pas le cas, cela revient à supprimer les exonérations de charges patronales
et salariales du système de protection sociale. Dès lors, comment financer ces exonérations ? Si c’est par une augmentation
du coût du travail, on baisse le coût des heures supplémentaires. Si on baisse le coût du
travail de ces heures, cela ne sera pas un plus
pour l’emploi. Cette mesure mérite d’être
précisée au niveau des droits associés.
Quant à l’abaissement du bouclier fiscal de
50 % et la possibilité d’une exonération fiscale de 95 % des personnes qui déclarent
l’impôt sur la fortune (ISF), ils ne garantissent pas un retour des grandes fortunes. En
fait, cette mesure suppose ni plus ni moins
la suppression de l’impôt sur la fortune.
Certes, cela permettra à Johnny Hallyday de
revenir en France, mais cela ne générera en
aucun cas croissance ou emploi.
La recherche et l’innovation ne sont pas
qu’une question d’argent
François Bayrou pense que l’Etat ne peut
pas grand-chose ; il vaut mieux garder l’équilibre en attendant de récupérer une marge
de manœuvre pour agir. Son programme
économique propose de s’attaquer à la dette
financière qui s’élève à 22 milliards d’euros.
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
Il fixe en valeur la dépense publique et prévoit de réaliser de nombreuses économies.
Dans la mesure où il ne prévoit pas de dépenses extraordinaires, c’est de l’ordre du
réalisable. Cela dit, est-ce que ce sera suffisant pour faire repartir la croissance par la
suite ? C’est la véritable question. En ce qui
concerne la recherche, François Bayrou ne
va pas plus loin que les autres candidats.
Certes, il est bien de proposer d’augmenter
le budget de la recherche et d’établir des incitations fiscales, mais la recherche et l’innovation ne sont pas qu’une question d’argent. Il faut répondre aux véritables
interrogations : comment utiliser l’argent ?
Faut-il davantage encourager l’autonomie
de la recherche en créant des mini CNRS ou
doit-on conserver une structure centralisée ?
Il existe une grande contradiction dans le
programme de François Bayrou : on ne peut
proposer de supprimer les niches fiscales
tout en exonérant les brevets déposés. Cela
revient à créer une nouvelle niche.
Ségolène Royal défend une approche plus
collective basée sur une plus forte protection sociale pour faire face à la précarité et
la mondialisation. Les 100 propositions de
Ségolène Royal prévoient toutefois un
alourdissement des dépenses, notamment
au niveau de la santé. Son programme veut
avant tout augmenter la protection sociale.
La France a-t-elle besoin de remettre à plat
son système de protection sociale déjà performant ? Faut-il offrir aux Français plus de
protection sociale ? Est-ce une réponse aux
salariés qui se sentent menacés par la précarité et la mondialisation ? Ce programme
est ambitieux. S’il est réalisé, cela pourrait
conduire à un “grand soir” de la protection
sociale. Se pose toutefois la question du financement de ce programme par l’augmentation du coût du travail.
“Le grand problème,
c’est celui de la retraite.”
Marc Touati,
président de
l’Association pour
la connaissance
et le dynamisme
économiques (ACDE)
et maître de conférence
à l’Institut d’études
politiques de Paris.
S
égolène Royal et Nicolas Sarkozy partagent le même diagnostic : il faut
changer le modèle français pour relancer la croissance. Toutes les propositions
ne sont pas crédibles pour autant. Ségolène
Royal propose d’augmenter les dépenses
publiques alors qu’elles représentent déjà
54 % du PIB, un des niveaux les plus élevés
du monde. Pour financer ces dépenses, elle
compte augmenter certains prélèvements
obligatoires, ce qui peut être dangereux,
voire catastrophique à terme.
Nicolas Sarkozy propose, lui, de baisser des
impôts, ce qui est une bonne chose, mais à
condition de ne pas augmenter les dépenses publiques. Or son programme n’offre
pas de garanties d’optimisation des dépenses. C’est là où il pêche. L’application de
son programme aboutirait également à une
augmentation du déficit.
Selon nos calculs, l’application des trois
programmes devrait de toute manière aboutir à un creusement du déficit public pour
2008. De l’ordre de 4 % dans le cas de Ségolène Royal, de 3,5 % dans le cas de Nicolas Sarkozy et de François Bayrou. Dans les
trois cas, c’est trop élevé.
Pour relancer la croissance, il faut
baisser les impôts sur les entreprises
Les candidats sont passés à côté de réels
problèmes, comme celui des retraites. La
question du trou de la branche vieillesse de
la Sécurité sociale va se poser d’ici cinq ans,
alors qu’on n’a pas résorbé celui de la branche maladie. Si, d’ici 2010, des solutions ne
sont pas trouvées pour les retraites, on court
à la catastrophe. En effet, la loi Fillon, qui
tablait sur un taux de chômage de 4,5 %
d’ici 2010, ne pourra limiter le problème.
De toute évidence, les candidats Royal et
LE COURRIER DE L’ATLAS 49
dossier
Sarkozy espèrent que la croissance va revenir pour financer le déficit public, mais tel
ne sera malheureusement pas le cas.
De son côté, François Bayrou ne propose
pas de changements majeurs, tout juste de
limiter le déficit public, partant du constat
que la France n’a pas les moyens de mener
des plans ambitieux. Ce n’est évidemment
pas satisfaisant. La France a une des croissances économiques les plus faibles d’Europe. En 2005, elle était dixième sur douze.
On ne peut pas rester là à ne rien faire.
Pour relancer la croissance, il faut baisser
les impôts sur les entreprises. L’entreprise
est l’un des grands enjeux de cette élection.
On doit permettre aux chefs des petites et
moyennes entreprises d’embaucher plus
facilement. Il n’est pas normal que, chaque
année, 300 000 offres d’emploi ne soient
pas satisfaites.
Il serait nécessaire de baisser également les
impôts des ménages les plus aisés comme
des plus défavorisés, notamment pour soutenir la consommation. D’autre part, il faut réduire les dépenses publiques en modernisant
l’Etat. Les dépenses de fonctionnement qui
augmentent d’environ 10 milliards d’euros
par an sont beaucoup trop élevées.
Avant de parler d’Europe, trop peu présente dans les trois programmes économiques,
il faut réformer le modèle français. Les Allemands ont accepté de le faire, ce qui leur
permet aujourd’hui d’avoir une croissance
qui repart. Pour l’heure, ces programmes
sont trop empreints de dogmatisme et ne
font pas assez de place au pragmatisme
économique. Du côté de Ségolène Royal,
cela se traduit par une volonté de taxer les
riches et les entreprises. Du côté de Nicolas
Sarkozy, on privilégie certes la volonté d’alléger la pression fiscale, mais il n’y a pas de
profondes réformes de l’Etat en vue.
“Les programmes sont surtout politiques.
En matière économique, la cohérence
n’est pas évidente.”
économiste,
membre du
Conseil d’analyse
économique (CAE),
directeur de recherche
au CNRS.
L
es programmes sont essentiellement
politiques. En matière économique, la
cohérence des propositions n’est pas
évidente. Le programme de Nicolas Sarkozy
est basé sur un pari ; en libérant le travail, on
réussira à stimuler la croissance et on retrouvera des marges de manœuvre budgétaires.
Le problème, c’est que Sarkozy fait comme
si cette proposition était évidente et, à partir
de là, distribue les dividendes d’une croissance à venir. Or si on se base sur le taux de
croissance potentiel qui est de 2 %, on se
rend compte que nombre de ces propositions ne sont pas tenables. On ne peut baisser l’impôt, accroître des dépenses, réduire
la dette et augmenter le pouvoir d’achat. Nicolas Sarkozy part d’une idée juste : les Français travaillent un tiers de temps de moins
que les Américains et la richesse par habitant est un tiers moindre. La tentation est
donc grande d’allonger la durée du travail
pour augmenter les revenus, mais les choses
sont plus compliquées. Par exemple, toutes
les expériences d’assouplissement des 35
heures ne marchent pas. Son idée phare qui
50 LE COURRIER DE L’ATLAS
consiste à exonérer les heures supplémentaires de prélèvements fiscaux et sociaux risque
donc d’être inutile et coûteuse. Cette mesure,
au même titre que la suppression de l’impôt
sur transmissions de patrimoine, ou l’augmentation de 50 % des crédits de la recherche, fait partie des dépenses nouvelles qui se
chiffrent à plus de 50 milliards d’euros.
La croissance par la confiance retrouvée
Ségolène Royal fait le même pari politique,
celui de la confiance retrouvée. C’est la méfiance qui mine le pays. Il faut rassurer les
Français sur leur avenir et pour cela s’attaquer à l’emploi des jeunes. La confiance
retrouvée libérera l’investissement, rendra
possible la réforme et permettra le retour
de la croissance. Contrairement à Nicolas
Sarkozy, elle ne pense pas que le salut passe par plus de travail. Pour elle, en augmentant le salaire minimum et en améliorant
les petites retraites, on parviendra à libérer
un potentiel de croissance.
Ces discours sont essentiellement politiques. En matière économique, la cohérence
des propositions n’est pas évidente. Si l’on
fait une projection sur cinq ans, on constate que l’Etat dispose d’une marge de
manœuvre de 205 milliards d’euros. La
moitié est dédiée aux dépenses publiques.
Il subsiste donc 102 milliards, dont 80 vont
aux dépenses de fonctionnement. Il ne
reste plus que 22 milliards. Sachant que
pour faire reculer la dette d’un point de
PIB, il faut 8 milliards d’euros par an, en
trois ans on aura épuisé les réserves sans
avoir pu engager de politique nouvelle !
François Bayrou prévoit 22 milliards de dépenses nouvelles par an, mais compensées
par les recettes. Il dit que son plan ne coûtera rien. Or, si l’on regarde de près son
programme, on se rend compte que ce n’est
pas sérieux. Sa grande mesure est de permettre aux entreprises de créer deux emplois nouveaux sans charges sociales : coût
4 milliards d’euros par an. En fait elle en
coûtera vraisemblablement le double. Comment compte-t-il financer cette mesure ? En
supprimant les aides versées aux entreprises… pour créer des emplois pour un montant de 9 milliards d’euros. En clair, ou bien
cette mesure détruit des emplois ou elle les
déplace. En réalité ce discours est avant
tout symbolique et vise à lui donner l’image
du candidat le plus sérieux sur le plan fiscal
et budgétaire.
Les trois candidats partagent le même diagnostic : la France rencontre un problème
de compétitivité. Le commerce extérieur est
en chute, le coût du travail chargé est élevé,
la fiscalité est lourde. Les trois candidats
pensent que pour que la France soit plus
compétitive, il faut stimuler la croissance
des entreprises. Mais aucun ne tire les
conséquences de ce diagnostic.
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
Abraham/Neco/Sipa
Elie Cohen,
dossier
Chirac, “l’ami des Arabes”
PRINCIPAL opposant occidental
à l’intervention américaine
en Irak, soutien à Yasser
Arafat… En Afrique du Nord et
au Moyen-Orient, ces positions
font percevoir le chef de l’Etat
comme un allié.
ABD Rabbo/Sipa
D
eux fois président, deux fois Premier
ministre et dix-huit ans maire de
Le président
Paris… Jacques Chirac doit cette lonChirac accueille
gévité à sa capacité de capter les attentes des
Yasser Arafat
Français et de rebondir après ses échecs.
à l’Elysée, le
En 1995 et 2002, il déjoue tous les pronos29 juillet 2000.
tics en remportant deux victoires présidentielles qui le maintiendront douze ans à la
tête de l’Etat dont cinq en cohabitation avec
Lionel Jospin, l’obligeant, lui qui se réclame
de De Gaulle, à s’éloigner des institutions de
la Ve République. Ce qui lui vaudra, à lui,
fondateur du RPR, des critiques pour ses
revirements ou sa supposée absence de
de l’Etat une tentative de ressusciter une
convictions. Pour certains experts, chiragrandeur perdue. Il a durant des décennies
quisme rime avant tout avec pragmatisme.
tissé des liens solides avec des dirigeants du
Aux idéologies qui lui répugnent, aussi bien
monde arabe, témoin l’amitié qui le liait
l’ultra-libéralisme que le communisme, il
avec l’ancien Premier ministre libanais Rapréfère un système de valeurs. Le refus d’alfic Hariri, assassiné à Beyrouth. Il fut
liance avec le Front national en 1998, le trad’ailleurs le seul chef d’Etat occidental à se
vail de mémoire sur l’esclavage ou encore le
rendre à ses obsèques.
rôle de l’Etat français dans la déportation des
Le Liban garde le souvenir de la visite offijuifs en sont les meilleures illustrations.
cielle de Jacques Chirac en 1996, la preOn connaît sa passion pour le sumo et pour
mière d’un président français. L’été dernier,
la culture chinoise. L’Afrique n’est pas en
c’est lui qui prit la direction de la force inreste. La salle de réunion qui jouxte le buternationale au Liban, lors de la guerre lanreau présidentiel est un véricée par Israël contre le Heztable musée miniature où
bollah. Ses relations avec
Des liens solides
sont exposés des objets d’arts
l’Egyptien Hosni Moubarak
avec les dirigeants
du monde arabe
premiers. L’ouverture du
sont excellentes. Idem pour
Quai Branly l’an dernier en
les dirigeants d’Arabie Saouest encore une preuve.
dite, il bénéficie d’un solide réseau de relaDans les forums, Chirac plaide volontiers la
tions avec les Emirats Arabes Unis… Et
cause du continent noir et la nécessité de
Abou Ammar ! Jacques Chirac a longuefaire plus dans la lutte contre la pauvreté et
ment soutenu Yasser Arafat. D’autres situales pandémies comme le sida. Il s’y rend au
tions donnent le ton de son septennat en
moins une fois par an. “J’aime l’Afrique, ses
matière internationale : l’esclandre qu’il fit
territoires, ses peuples et ses cultures”, dit en
à Jérusalem le 22 octobre 1996, face au
février, lors du sommet de Cannes, celui
comportement brutal de la police israélienqu’on surnomme parfois “Chirac l’Afrine. La même année, dans un discours, il
cain”. Et pourquoi pas “Chirac l’Arabe” ?
confirme la relance de la politique arabe et
Deux journalistes, auteurs d’un livre qui lui
méditerranéenne de la France. Quant au
est consacré, ont opté pour “Chirac d’AraMaroc, il reste l’une de ses destinations fabie” et voient en la politique arabe du chef
vorites en fin d’année ou l’été, à la Gazelle
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
d’Or à Taroudant. Sa Corrèze marocaine en
somme ! Pendant un quart de siècle, il poursuivit des relations pleines d’estime avec
Hassan II. Quant au roi Mohamed VI, son
portrait figure dans les salons de l’Elysée.
Mais sa présidence reste marquée par son
opposition à l’intervention américaine en
Irak en 2003 où il se dresse contre le géant
américain à la tribune de l’ONU, tenant tête
à l’administration Bush et boudant un
temps le gouvernement de Tony Blair.
Sur la scène européenne, son succès est
plus mitigé. Il perd son pari lorsque les
Français disent non au Traité constitutionnel. Lors du dernier sommet européen,
Chirac plaide en faveur d’une Europe forte
politiquement. En tirant sa révérence dimanche 11 mars 2007, il annonce aux Français qu’il ne briguera pas de troisième mandat. On s’y attendait mais… L’heure est au
bilan et aux recommandations. Il exhorte
ses compatriotes à refuser l’extrémisme, le
racisme, l’antisémitisme et le rejet de l’autre.
Une façon de mettre en garde contre un scénario similaire à celui du 21 avril 2002 et les
dangers du Front national.
Chirac promet de continuer à mener “les
combats de toute [sa] vie, pour la justice, pour
le progrès, pour la paix, pour la grandeur de la
France”. Un programme qui n’a rien d’une
retraite paisible.
LE COURRIER DE L’ATLAS 51
dossier
Ni Ségo, ni Sarko, la ban
LA BANLIEUE vire
au centre, qui l’eût
cru ? Ainsi, c’est
François Bayrou,
ancien ministre
d’Edouard Balladur,
qui fait figure de
provocateur. Le chef
de l’UDF, catholique
bon teint, est,
semble-t-il le dernier
à faire rêver les
électeurs.
G
rand soleil ce matin. Les rues d’Epinay-sur-Seine paraissent, du coup,
bien plus gaies : 50 000 habitants,
taux de chômage 18 %, soit près du double
de la moyenne nationale. Pas de quoi se
réjouir quand on habite cette ville de SeineSaint-Denis. Le centre est fait de magasins
délabrés et d’HLM miteux. En revanche, au
“Point chaud” d’Epinay, on peut trouver la
baguette la moins chère d’Ile-de-France :
55 cents d’euros, qui dit mieux ? Juste à côté,
le cybercafé : 2 euros l’heure de connexion.
Dans le 9-3 aussi on a le droit à la toile !
Enfin, le poumon vital de ce magnifique
exemple d’architecture urbaine : le centre
commercial. Celui d’Epinay est quasi indescriptible. A mi-chemin entre le bunker et la
galerie commerciale rescapée de l’époque
des soviets. En tout et pour tout, on y compte moins d’une dizaine de magasins à bas
prix. C’est là que travaille Safia, 27 ans. Au-
xiliaire de gériatrie dans une maison de
retraite, elle avoue ce matin avoir toujours
voté à gauche. Mais voilà, cette fois-ci, son
cœur balance. D’un air de conspiratrice,
elle chuchote presque : “Et si c’était François
Bayrou !” Avant d’ajouter, ravie : “Il a une
bonne bouille, vous ne trouvez pas ?”
Des campagnes électorales, la jeune femme
en a suivi plusieurs. Celle-là lui semble particulièrement terne. “Des promesses, juste des
promesses, explique-t-elle. On se demande où
sont les résultats.” Pour le moment, Safia savoure ses derniers instants de répit avant de
prendre son service. Attablée à la terrasse
d’un café, elle profite du soleil de cette matinée. Cette habitante d’un quartier sensible
de Clichy-la-Garenne (92) soupire en pensant à la journée qui l’attend : 10 heures21 heures, des horaires difficilement compatibles avec la vie de famille. Mais ce n’est
pas tant de sortir tard du travail qui l’an-
52 LE COURRIER DE L’ATLAS
Chamussy/Sipa
Bain de foule dans les
rues de Saint-Denis le
13 mars 2007.
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
dossier
lieue vote… Bayrou !
goisse que la perspective de rentrer seule en
de la France. Cet homme-là ferait raser sa
hardy, le café où elle a ses habitudes, ses
transports en commun. “A partir d’une cerbarbe au père Noël !”“Cependant, reconnaît
amis sont marocains, algériens, portugais…
taine heure, déplore-t-elle, on ne se sent plus
Djoudi Dendoune, 20 ans, comédien et étuUn melting-pot.
l’image de Saint-Denis, avec son maren sécurité en banlieue, surtout lorsqu’on est
diant en théâtre, on aimerait bien voter pour
ché antillais, ses mamas africaines et
une femme.” Safia ajoute cependant : “Je
Olivier Besancenot (LCR), mais à quoi ça serses boucheries hallal autour de la ban’irai quand même pas voter pour Nicolas
virait puisqu’il n’a aucune chance ?” Djoudi
silique où sont enterrés les rois de France.
Sarkozy ! Ce nom me donne plutôt envie de
déclare donc avoir bien du mal à se décider.
Ce métissage, Christine l’apprécie. Même
sortir le Kärcher.” Non, décidément, son faIl déplore la surmédiatisation de Ségolène
si, pour elle, le problème reste l’insécurité.
vori, pour l’instant, c’est François Bayrou.
Royal et de Nicolas Sarkozy. “Quant à Fran“Après mon agression, au commissariat, raLe président de l’UDF lui
çois Bayrou, explique cet habiconte-t-elle, ils ont refusé de se déplacer. Le
semble franc et honnête.
tant
de
la
cité
des
Prévoyants,
“De Villiers ?
nom des Franc-Moisin suscite la crainte jusque
“Quand on le voit à la télé, il a
à Stains, ses discours sont intéIl est tellement ressants, mais l’homme reste de dans la police ! Pourtant, reconnaît-elle, nous
une façon de parler, une honnêparlons des problèmes de la ville avec les élus.
teté dans le regard, une convicdroite, il ne faut pas l’oublier.”
obsédé par
Ils viennent régulièrement à la rencontre de la
tion qui me laissent penser qu’il
Lucie, elle, envisage néanl’islamisme
population.” De là à élargir ce comporteest le seul à même de faire boumoins de voter pour le présiqu’il ferait
ment au niveau national... D’autant que,
ger les choses.” Bref, Safia le
dent de l’UDF. Tout en reconselon Christine, les programmes des canditrouve crédible. Même si elle
naissant que Royal a une fibre
raser sa barbe
dats sont opaques. Cela dit, elle constate
avoue ne pas du tout connaîplus sociale. De toute façon,
au Père Noël.”
tout de même une avancée par rapport à
tre son parcours politique.
s’indignent les trois amis,
Foudel, étudiant
2002. “Que le FN ait éliminé les socialistes a
“Mais bon, assène-t-elle avant
aucun candidat ne connaît la
été un électrochoc. Des gens qui pensaient que
de saisir son sac, l’important
banlieue. “Même Nicolas
voter ne servait à rien se sont rendu compte de
c’est de voter. Pour barrer la route à Sarko.” Et
Sarkozy, qu’est-ce qu’il entend à nos quartiers ?
l’importance de ce geste.” Cependant, elle
la jeune femme d’ajouter, en secouant sa
Il a déjà mangé un grec (sandwich) à midi ?”,
avoue être dubitative. Et se prépare à lire
longue chevelure rousse : “A tout prendre, je
rigole Foudel qui ajoute, moqueur : “Il est
attentivement les programmes de chacun.
préférerais voir Le Pen arriver au pouvoir. Au
quand même soutenu par Steevie (ex-lofteur),
Surtout celui de François Bayrou. “Il est le
moins, lui, il a toujours été cohérent. S’il deDoc Gynéco et Faudel. On peut dire qu’il est
seul à sortir du lot, mais c’est
vient président, on sait ce qui nous attend !”
bien entouré !” Non, décidée n’est pas une campagne présidentielle,
ment, l’actuel locataire de la
“Qu’est-ce qu’il sans doute parce que c’est celui
c’est la Star’Ac.” C’est Foudel, 22 ans,
que je connais le moins.” Et ses
place Beauvau n’est pas en
entend à
étudiant venu d’Aubervilliers (93),
convictions de gauche ? La
odeur de sainteté du côté de
nos quartiers,
qui tonne ainsi. Nous sommes face à l’unijeune femme éclate de rire :
Saint-Denis !
versité Paris-8 de Saint-Denis, à quelques
“Je ne vais quand même pas
Le nom de Rachid Nekkaz,
Sarkozy, il a
encablures de la cité Stalingrad. Une marvoter pour Ségolène juste parce
candidat indépendant, fuse
déjà mangé un que c’est une femme. Elle prochande des quatre saisons attend le chaland
alors. Sur les trois jeunes gens
devant son étal. Le soleil a disparu, le temps
met aides et allocations, mais
présents, seul Foudel le
grec à midi ?”
s’est rafraîchi. Le petit groupe de jeunes
elle devrait bien nous expliquer
connaît. Il cite l’anecdote du
Foudel, étudiant
rassemblés près des abribus n’en a cure. En
où elle va trouver l’argent !”
parrainage vendu aux enchèquelques mots, Foudel décrit les candidats.
“Bayrou est en train de devenir le troisième
res par le maire d’une petite commune, et
“On a la gentille Ségo, le sauveur Bayrou,
homme, d’incarner le vote protestataire.” C’est
que Nekkaz a déchiré sous l’œil des camél’anti-héros et, enfin, l’anti-évolution Sarko.”
Mohamed, 45 ans, chauffeur de taxi, qui
ras. Un geste que les jeunes semblent apLe jeune homme poursuit : “C’est le plus
s’exprime ainsi. Pour cet habitant de Vitryprécier. “Mais ce n’est pas pour autant que je
voterai pour lui”, tient à préciser Foudel.
dangereux, il joue sur la paranoïa, l’insécurité,
sur-Seine (94), le chef de l’UDF sert de ca“J’ai été agressée le 28 décembre, à 20 heures,
et fait croire que les banlieues c’est le Bronx.”
talyseur aux mécontentements, à droite
en rentrant chez moi. On m’a jetée par terre et
“Tout à fait”, opine sa camarade Lucie. La
comme à gauche. “Dans ma cité, poursuit
volé mon sac. C’étaient trois jeunes Maghréjeune fille habite une cité HLM du 19e arronMohamed, les jeunes ont vu Bayrou en bandissement de Paris. Sentencieuse, elle pourbins.” C’est Christine, 47 ans, qui raconte.
lieue à la télé, et partout il était bien accueilli.
suit : “Sarkozy veut appliquer le système améDepuis treize ans que cette gestionnaire de
De plus, il s’oppose à Sarkozy, et ça c’est bien
ricain en gardant les institutions françaises, ce
stock habite la cité des Franc-Moisin, à
perçu.” Quant à la gauche, que devient-elle ?
qui est incompatible.” Quant à ceux que FouSaint-Denis, elle n’avait jamais eu de proLe chauffeur de taxi est catégorique : “Holdel appelle “les petits candidats”, ils ne troublèmes. Mais elle l’avoue, ce soir-là, elle, la
lande n’aurait jamais dû laisser sa femme lui
vent pas plus grâce à ses yeux. “Prenons de
gauchiste convaincue, aurait voté Le Pen si
passer devant. Ça ne fait pas sérieux !” Voilà
Villiers, par exemple, plaisante à moitié le
l’élection avait eu lieu le lendemain. Chrisen effet un argument dont les socialistes
jeune homme. Il est obsédé par l’islamisation
tine aime pourtant sa banlieue. Au Coq
pourraient tenir compte, n’est-ce pas !
A
C
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
LE COURRIER DE L’ATLAS 53
dossier
Il s’appelle Rachid et
a failli être candidat
E
tre candidat avec des idées anciennes ne
sert à rien”, affirme Rachid Nekkaz,
35 ans, candidat à l’élection présidentielle. Né de parents algériens installés dans
l’Hexagone dans les années 50, neuvième
d’une famille de douze enfants, le petit candidat qui n’appartient à aucun parti a de beaux
idéaux. “Mon épouse, originaire des États-Unis,
me parle souvent du rêve américain ; je veux
prouver qu’il existe un rêve français.”
Ce rêve tel qu’il l’imagine ne se résume pas
à atteindre le sommet de l’Etat. Rachid Nekkaz ne sort pas de nulle part. Si son père,
mineur, était analphabète, il a, quant à lui,
suivi de brillantes études d’histoire et de
philo à la Sorbonne avant de fonder sa startup et de diriger deux entreprises florissantes. Sa réussite, il l’attribue surtout à son
éducation : “Nous n’avions qu’une seule table
pour manger et pour faire les devoirs, mais nos
cher ceux qui ne font plus confiance à aucun
parents nous demandaient de garder le silence
des partis politiques. On compte en effet plus
et de travailler, et c’est ce que nous faisions.
d’abstentionnistes que d’électeurs des trois
Enfin, j’ai toujours eu confiance en moi.”
grandes tendances réunies ! Ma candidature
Selon lui, c’est ce dont manquent les jeunes
s’adresse surtout à ces 17 millions de personnes.
de banlieue. “Ils veulent gagner de l’argent,
Les Français se fichent que je m’appelle Ravite et sans effort. Ils vivent dans
chid, Mamadou ou Marc, ce
une société d’illusions. Il faut
qu’ils veulent, c’est savoir si je
“Les Français
qu’ils apprennent à prendre des
suis sincère, si j’ai quelque chose
se fichent que
risques, à mener leurs projets à
à apporter et si je suis compéterme et à rebondir en cas
tent. J’ai réussi à convaincre des
je m’appelle
d’échec. Il faut croire aux lendecentaines de maires français, et
Mamadou,
mains, dans tous les domaines,
ce malgré mon prénom, je ne
Marc ou Rachid. vois pas ce qui freinerait des
celui de la présidentielle aussi.”
L’objectif de Rachid Nekkaz
millions de Français à voter
La question
est en effet de créer un moupour moi.” Il insiste : “Je suis
n’est pas là.”
vement dans la durée, et donc
passé d’une cité du Val-de-Marde présenter des candidats
ne à des entretiens avec les
aux législatives puis aux municipales. “La
grands du G7, c’est bien qu’il n’existe pas de
présidentielle n’est qu’un point de départ.” Car
freins ! Je refuse la victimisation et la stigmatiRachid Nekkaz a su séduire un nombre imsation dans laquelle se complaisent souvent les
portant de Français, outre les maires qui
Français d’origine maghrébine.”
l’ont suivi dans l’aventure présidentielle.
C’est au lendemain du 21 avril 2002 que
Qui veut-il séduire ? “Je veux rassembler la
naît l’engagement politique de Rachid Nekmasse des oubliés de la classe politique et toukaz. Il crée alors le Club des élus Allez
54 LE COURRIER DE L’ATLAS
France pour défendre une proposition de
loi sur l’inscription automatique sur les listes électorales. Fin 2005, la crise de banlieue le pousse à constituer le collectif Banlieue respect. C’est là qu’il décide de se
présenter aux élections.
Rachid Nekkaz se définit à la fois de droite
et de gauche, à la fois militant associatif et
chef d’entreprise, et nous détaille son surprenant programme : “J’ai séduit les maires
de communes rurales, notamment parce que je
propose un véritable statut des élus avec un
salaire minimum – la plupart des maires sont
retraités, travaillent beaucoup et ne perçoivent
que 300 euros par mois. Trop de candidats leur
demandent un soutien et n’ont même pas la
décence de s’intéresser à leurs difficultés…”
“Les partis politiques ne sont plus en prise avec
la vraie vie, moi si. J’ai grandi dans une cité, je
suis donc sensible aux problèmes du chômage,
des discriminations et de l’inégalité sociale. Je
propose de détruire toutes les cités de France car
on ne peut pas les rénover. Je souhaite aussi
mettre en place un registre des logements publics
disponibles car les villages regorgent de logements inoccupés. Une autre de mes idées est le
prêt emploi à taux zéro pour les 18-25 ans qui
consiste à faire, en quarante ans, de tous les
citoyens à la fois des salariés et des actionnaires.
Le demandeur d’emploi sera harcelé par les entreprises pour qu’il vienne travailler chez elles et
investir la somme de 15 000 euros qu’il aura pu
emprunter à la banque à cette fin. Le salarié
aura, en plus d’une valeur travail, une valeur
capitale. Ce système permettrait de réduire le
chômage de 50 % en trois ans ! Enfin, j’ai la
fibre écolo, je suis le seul candidat à circuler
avec une voiture qui fonctionne à 25 % à l’eau.
Les écologistes parlent beaucoup et ne font rien.
C’est le problème avec les gens qui se présentent :
trop de discours et peu d’actes. Moi, je fais ce
que je dis.” Le seul problème, c’est qu’encore
une fois, il n’y aura pas de Rachid candidat
à la présidentielle.
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
DR
PRÉSIDENTIELLE Il a fait 500 000 km pour collecter ses signatures, clamé
qu’on pouvait devenir président en s’appelant Rachid… Il a vendu sa
maison pour financer sa campagne. Et il est presque arrivé au but avec…
467 signatures. Rencontre avec un homme à suivre.
dossier
Rachida Dati à
Créteil, cité
des Tarterets.
Najat VallaudBelakacem à
Lyon en février
dernier.
LE VOTE COMMUNAUTAIRE
Réalité électorale ou
leurre stratégique ?
E. Grégoire/Gamma - Fayolle/Sipa
A
ppartenance à un groupe minoritaire,
rejet d’un groupe majoritaire et revendications spécifiques pour son groupe” :
c’est la définition classique de la notion de
communautarisme. Une notion qui revient
abondamment dans le débat public depuis
quelques années, comme une menace pesant sur la cohésion nationale qui repose
sur le lien politique entre des citoyens égaux
en droits et en devoirs. Pourtant, la crainte
semble infondée puisque toutes les enquêtes sociologiques récentes le disent : seule
une dérisoire minorité de Français dits “issus de l’immigration” se reconnaît dans
cette définition du communautarisme et
ces revendications particularistes liées aux
origines ou aux pratiques culturelles et
religieuses (4 %). D’où vient alors que les
discours publics et les pratiques sociales
accréditent l’idée d’une catégorisation de
l’électorat en fonction des origines, des appartenances culturelles ou religieuses ?
Les responsables politiques ne sont pas
étrangers à cette situation, mais sans avoir
tous adopté la même logique ni la même
rhétorique pour désigner l’électorat “issu de
l’immigration”, le capter et le fidéliser. Il y
a une vingtaine d’années, on parlait plutôt
d’électorat “maghrébin”, alors même que
des associations comme France Plus revendiquaient leur attachement à une conception de l’intégration républicaine pure et
dure au nom de ce qu’on appelait alors “le
droit à l’indifférence”. Depuis, le glissement
s’est opéré de la caractéristique ethnique
“beure”, à la caractéristique sociale “enfant
d’immigré”, et enfin à la caractéristique religieuse de “musulman”, surtout ces cinq
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
Bien que le vote
musulman, beur ou
maghrébin ne
corresponde à aucune
réalité concrète, l’idée
est présente dans les
discours et les
pratiques politiques.
Analyse.
dernières années. La création d’une institution censée représenter les musulmans de
France, la nomination – plus que maladroite – d’un “préfet musulman”, le soutien à
des associations comme le Conseil national
français des musulmans laïcs ou le Cercle
des démocrates musulmans : tout cela a
conforté l’idée d’une manne électorale “musulmane”.
Pourtant, au regard des enquêtes et des sondages récents, miser sur un “électorat musulman” risque d’être peu productif. En effet, parmi les Français issus de l’immigration
maghrébine et africaine, qui représentaient
3 % du corps électoral en 2005, 59 % sont
musulmans, soit presque comme le pourcentage de catholiques dans le reste de la
société française. L’appartenance religieuse
se délite avec le renouvellement des générations. Près de 75 % d’entre eux se disent
proches d’un parti de la gauche, et près d’un
sur deux proche du PS. Les propositions
politiques adressées à cette partie de l’électorat ne semblent pas avoir été convaincan-
tes : cela montre que s’adresser aux enfants
de l’immigration au travers du seul critère
religieux ne paie pas. D’ailleurs, la religion
n’est pas ce qui compte le plus dans leur
rapport à la nation, elle pèse moins dans la
détermination du vote que l’aspect social
classique. Hommes politiques et acteurs
associatifs communautarisent donc l’électorat en faisant de certaines demandes sociales qui ne sont ni fortement exprimées ni
centrales aux yeux des citoyens issus de
l’immigration – d’abord préoccupés par
l’emploi et la croissance – des enjeux électoraux majeurs. S’il existait un clivage politique déterminé par l’appartenance religieuse,
les tentatives de constitution d’un parti musulman n’auraient pas échoué ! Aujourd’hui,
le seul du genre à exister, le Parti des musulmans de France, est rejeté par une très
grande majorité d’entre eux !
Enfin, même si le vote communautaire est
un fantasme, il produit des effets sociaux
puisque s’instaure un jeu de stratégies complémentaires entre des responsables politiques et des entrepreneurs communautaires
rabatteurs de voix. Démarche et gestion
clientélistes sont de mise : Abderrahmane
Dahmane, secrétaire national chargé des
relations avec les associations de Français
issus de l’immigration à l’UMP, multiplie
les réceptions place Beauvau : Africains,
Maghrébins, Libanais, tous ont été reçus.
Pourtant, Nicolas Sarkozy martelait au
Congrès annuel de l’Union des organisations islamiques de France le 19 avril 2003 :
“Il n’est pas admissible qu’en France un musulman soit considéré comme un citoyen différent.” Reste à ne pas l’oublier !
LE COURRIER DE L’ATLAS 55
dossier
La présidentielle vue par
ECLAIRAGE Quels sont les critères que la communauté franco-maghrébine
doit prendre en compte pour voter lors de la prochaine élection
présidentielle ? Réponses de trois personnalités qui comptent dans
le rapprochement entre la France et le Maghreb.
Abdelwahab
Meddeb
Écrivain et poète
“Que ceux qui se sentent
exclus et victimes
sortent de cette exclusion
et de cette victimisation.”
56 LE COURRIER DE L’ATLAS
tolérables à la distance qui les en sépare. Or,
jamais les hommes politiques qui ont gouverné la France, depuis 1945, ne s’en sont
trouvés aussi loin. Mis à part Giscard, l’histoire de la Ve République a été marquée par
l’empreinte de présidents lettrés. Or, d’évidence, Nicolas Sarkozy n’est pas nourri par
la tradition textuelle qui initie l’esprit à une
forme de sagesse que rien ne remplace. Par
son discours du 14 janvier 2007, il a voulu
donner le change. Ainsi a-t-il prononcé un
discours parsemé de constellations littéraires qui n’a manifestement pas été composé
par lui. Certes, nous savons que les hom-
mes politiques s’attachent à d’autres plumes. Mais ce qui m’a amusé, c’est que ce
discours a introduit des opérations intellectuelles et des procédures rhétoriques et poétiques qui ne correspondent pas au personnage. C’est cette inauthenticité qui m’a
proprement irrité. Comment voulez-vous
que nous croyions à cette créature qui, de
toute façon, échappera au Pygmalion qui l’a
sculptée ? Je dois vous avouer que, de manière générale, je suis consterné par la faiblesse intellectuelle de la campagne présidentielle. Le même néant se retrouve chez
Ségolène Royal. C’est attristant. L’huma-
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
J.Foley/Opale
P
arler de communauté française d’origine maghrébine me gêne. Je pense
qu’il ne faut pas encourager un vote
communautaire maghrébin. Les Maghrébins de France sont très partagés et se retrouvent dans toutes les sensibilités politiques. D’ailleurs les porte-parole des deux
principaux candidats, Nicolas Sarkozy et
Ségolène Royal, sont des femmes maghrébines : Rachida Dati et Najat Vallaud-Belkacem. La rivalité est donc portée par deux
noms du Maghreb. Les Français d’origine
maghrébine doivent assumer les droits que
leur octroie la citoyenneté. Il faut parfaire
leur adoption en jouant à fond la carte de la
démocratie. Certains Français d’origine maghrébine sont souvent décrits comme timorés. Il faut que ceux qui se sentent exclus et
victimes sortent de cette exclusion et de
cette victimisation, et s’expriment par le
bulletin de vote.
J’appelle à ce que chacun vote selon ses
convictions et sa sensibilité. Je n’exclus de
ce choix que Sarkozy. Cet homme est proprement inauthentique. Il fait feu de tout
bois. Il est capable de dire un jour une chose
et le lendemain son contraire. Il incarne tout
ce que je méprise, notamment cette envahissante non-culture diffusée par les supports audiovisuels, celle qui exhibe les ersatz
que propose Disneyland. Avec lui, on s’éloigne de la sainteté de l’esprit, la seule à laquelle je crois. Non pas que les hommes
politiques l’incarnent. Mais il y a des limites
DR/Lydie/Sipa
des artistes
nisme a été aboli par l’arrogance des ignorants. Je ne retrouve plus cette grande culture française qui m’a incité à choisir ce pays.
La France s’éclipse de la France.
Au vu des candidats qui se proposent à notre
choix, je doute que le futur président puisse
exaucer mon vœu premier, celui de restaurer
l’école républicaine dans sa splendeur. Car
il faut bien avoir les moyens de revenir à
l’exigence et de mettre fin à ces
réformes qui rabaissent à force de
vouloir s’adapter au siècle. J’entends
dire qu’on est allé jusqu’à attribuer
à l’école la vocation de l’éducation
routière ! Il faut revenir à la
chanson de geste, à Rabelais,
Ronsard, Molière, Corneille,
Diderot, Voltaire, à tous les grands
noms de la littérature française
auxquels j’ai été introduit à Tunis,
dans une langue qui n’était pas la
mienne. Ce sont de tels textes qui
m’ont conduit à mener l’existence
d’un homme libre. Sur le plan
international, je ne distingue pas
non plus de candidats capables de
restaurer le rang européen dans
le monde. Les soixante dernières
années ont été marquées par une
conjoncture exceptionnelle. Par
un travail sur soi des plus constants,
l’humanité européenne a acquis
une forme d’exemplarité. Mais,
hélas ! une conjoncture aussi
favorable risque de nous échapper.
Le politique ne nous a-t-il pas appris
qu’il est capable du pire, à savoir
l’évitement du possible et
l’avènement de l’évitable ? Vis-à-vis
du Maghreb, je demanderais au
président de faire preuve d’une grande fermeté
envers les régimes politiques qui ne respectent
pas les principes universels qui éclairent la
conscience moderne. D’autre part, je pense
qu’il serait bon de renforcer la coopération
entre nos pays, notamment par la langue
que nous avons en partage. Il faut néanmoins
surmonter le contentieux de la colonisation
et n’en retenir que ce qui apporte le ferment
d’une communauté à venir. Qui doute que
finalement l’histoire nous a légué un
patrimoine que nous avons le devoir de ne
pas laisser périr afin qu’il nous engage vers
un futur qui nous rassemble?
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
Yamina Benguigui
Réalisatrice, membre du Haut
Conseil à l’intégration
“Décloisonner une
fois pour toutes
ces territoires bannis”
L
a priorité, c’est une politique sociale
pour l’égalité des chances.
Aujourd’hui, il y a des territoires
bannis en France. Ce n’est plus un tabou
de le dire. Des Français d’origine maghrébine ou africaine vivent dans ces quartiers
et ces banlieues. Même si on assiste à
l’émergence d’une classe moyenne qui a
fait des études, ils ne peuvent toujours pas
s’intégrer vraiment car ils ont le sceau du
territoire “d’outre-ville” comme tatoué sur
leur front. Il faut donc voter pour l’homme
ou la femme politique qui proposera de
décloisonner une fois pour toutes ces territoires. La société française a changé et il
faut l’accepter.
Le futur président devra commencer par
détacher cette communauté de son pays
d’origine. Quand on pense à ceux qui sont
nés en France depuis deux ou trois géné-
Mehdi Qotbi
Peintre, fondateur de
Trait d’union Maroc-Europe
“Nous devons être
des acteurs et non plus
des spectateurs.”
L
a communauté française d’origine
maghrébine doit s’impliquer dans
cette élection. C’est un devoir de voter afin de peser sur les décisions que
rations, évitons de faire systématiquement
référence à leur pays d’origine comme
s’ils étaient toujours de passage. Il faut les
considérer comme des Français à part entière ayant des problèmes. Ceux-ci
sont souvent liés à leurs noms ou l’adresse
de leur domicile, ce qui les empêche d’accéder à des stages, des emplois ou des
logements. C’est un vrai frein à leur évolution. Tout comme un Corse, un Breton
ou un Auvergnat, le pays d’origine de ces
gens reste dans leur cœur comme un attachement culturel, mais leur quotidien
est ici. Ceci n’a rien à voir avec la citoyenneté française. Fédérons avec la différence
des sociétés. Il faut donc impérativement
faire voter des lois et légiférer, surtout sur
les racismes invisibles qui polluent cette
société. Impliquons les entreprises avec
des lois précises pour les inciter à embaucher ces gens qui sont des pépites de talents et de savoir dans ces banlieues bannies. Le mot “intégration” voudra vraiment
enfin dire quelque chose !”
prendront le président et son gouvernement. Nous devons être des acteurs et
non plus des spectateurs. Les Français
d’origine maghrébine doivent voter selon
leurs convictions et leurs intérêts. De préférence pour le candidat qui s’intéresse à
leur condition et répond à leurs préoccupations. Il faut que les membres de toutes
les générations se sentent pleinement
français. Nous ne voulons pas être considérés comme un groupe à part. J’attends
du prochain président qu’il nous rassure
sur ce point. La France est ce qu’elle est
grâce à nos grands-parents qui ont versé
le sang et à nos parents qui se sont impliqués pour construire la France
d’aujourd’hui. Il serait bon que cela soit
reconnu par un acte symbolique fort. Depuis plusieurs années, l’association Trait
d’union Maroc-Europe souhaite créer une
stèle du souvenir à Paris avec le nom de
tous les Maghrébins et Africains morts
pour la France.
LE COURRIER DE L’ATLAS 57
parler
LA DARIJA
Crédits photo
UNE LANGUE QUI DÉCHAÎNE LES
58 LE COURRIER DE L’ATLAS
NUMÉRO 2 MARS 2007
parler
LANGUE Au Maroc, les publicitaires se sont emparés du dialecte (la darija). Les
chanteurs, les romanciers, les journalistes et même les politiques les ont
suivis. Certains s’inquiètent : que va devenir la langue du Coran ? Explications.
par Ali Mekkhaz
PASSIONS
Crédits photo
Hemis.fr/Christian Heeb
Q
NUMÉRO 2 MARS 2007
uand Wana (et moi ? en darija), le
dernier opérateur télécoms arrivé sur
le marché marocain, décide de baptiser son premier pack “Bayn” (clair ou transparent), Méditel, son concurrent direct, réplique en promettant qu’une “fourça jaya
alkhwane” (approximativement : une occasion est à saisir, les gars). Maroc Telecom,
l’opérateur historique, attend quant à lui
quelques semaines avant de balancer “Sma3ni” (Ecoute-moi). Un clip réunissant trois
grosses pointures de la nouvelle scène musicale, censé faire la promotion d’un nouveau service de communications à bas coût.
Des rappeurs aux mots crus y côtoient une
belle brune qui revisite un répertoire musical populaire, le tout sur fon◊ds RnB et en
dialecte marocain. Une première ! “L’utilisation de la darija (dialecte marocain) dans
les messages publicitaires est peut-être le seul
terrain d’entente entre les opérateurs télécoms
marocains. Mais il n’y a pas de mystère puisque tous veulent toucher le plus grand nombre
de clients potentiels. Et puis n’oubliez pas
qu’une accroche en darija est une nouveauté
qui interpelle ou qui dérange, mais elle laisse
rarement indifférent”, explique, sourire en
coin, un créatif d’une grande agence de publicité à Casablanca.
Depuis quelques mois, le débat autour de
la place de la darija dans l’espace public fait
rage dans les salons de la capitale ou sur
quelques plateaux de télévision. “La langue
du peuple” fait un retour fracassant qui déchaîne les passions. Alors que certains l’érigent en véritable langue nationale, d’autres
y voient une menace pour “l’identité arabe et
islamique du Maroc”. Rien que ça ! Lors
d’une récente conférence de presse, Abbas
El Fassi, secrétaire général du parti de l’Istiqlal (troisième force au parlement), ne
s’est par exemple pas gêné pour affirmer
qu’“il y a aujourd’hui un complot pour mettre
à mal l’unité des peuples arabes, en encourageant chaque pays à utiliser son propre dialecte. Il y a même un budget spécial pour ce
plan machiavélique”, a-t-il affirmé. Au cœur
de la polémique : le passage (plus ou moins
brutal) de la darija du statut de banal dia-
lecte oral à celui de langue de création et
d’écriture. Après les publicitaires et les rappeurs, de plus en plus de professionnels
des médias exploitent ce précieux filon linguistique. “Certains Marocains ne comprennent pas 50 % de ce qui s’écrit dans les journaux ou de ce qui se dit à la télévision en arabe
classique, c’est un fait. Pour toucher mon public, je me dois donc d’utiliser un discours compris par le plus grand nombre”, affirme Kamal
Lahlou, président du groupe La Gazette (qui
compte trois titres et quatre radios). L’homme parle en connaissance de cause. Dans
les années 70, il a été l’un des tous premiers
journalistes sportifs à commenter les
matchs de football en dialecte marocain.
Cela a fait de lui une star. “La recette est encore valable aujourd’hui. Un message est beaucoup plus fort en darija, plus intense ou plus
subtil. L’usage du dialecte marocain renvoie à
des codes culturels spécifiques qui parlent aux
gens. Dire harrag est dix fois plus expressif que
de dire émigré clandestin par exemple”, analyse Redouane Erramdani, journaliste à
l’hebdomadaire Nichane, le premier à faire
de l’usage du dialecte marocain un positionnement éditorial.
ENTRE ARABE OFFICIEL ET FRANÇAIS
Mais entre l’épopée médiatique de Kamal
Lahlou et le récent retour en force de la darija dans les médias, beaucoup de choses
ont changé. “Il y a d’abord eu cette arabisation de l’enseignement, puis des médias publics.
Pendant des années, le Marocain lambda n’a
été exposé, d’un côté, qu’à un arabe officiel stéréotypé, compliqué, et en partie inaccessible. De
l’autre, il y avait le français, réservé à une élite
et plutôt recommandé pour les transactions
commerciales et financières. Son dialecte a
longtemps été considéré comme une forme corrompue de l’arabe”, analyse un sociologue.
Des générations entières de Marocains ont
donc appris que l’arabe classique est la langue du Coran, de la littérature et de la politique. Une langue sérieuse et châtiée à l’opposé d’une darija “vulgaire et méprisable”.
“D’ailleurs, explique un journaliste à la
deuxième chaîne marocaine, quand vous
LE COURRIER DE L’ATLAS 59
parler
La darija, une langue maghrébine ?
Quand Khaled chante Dour biha a chibani au cœur du quartier Sidi Bernoussi, à
Casablanca, il ne peut pas s’empêcher de lâcher aux foules venues l’accueillir : “Ce genre
de chanson, nous sommes les seuls Arabes à pouvoir en décoder les paroles mes amis.”
Déjà conquis par la fougue et la fraîcheur de la star algérienne, le public marocain est
définitivement sous le charme. Remplacez Khaled par Abdelhadi Belkhayt ou Latifa
Raafat, mettez-les en Algérie, et vous aurez des réactions à peu près identiques. En plus
du talent, Khaled, Belkhayat et Raafat ont en commun un profond attachement à un
dialecte local qu’ils manient avec maestria et qui fédère au-delà des frontières, qu’elles
soient fermées ou jalousement gardées. Quoique légèrement différent, le dialecte
tunisien reste, lui aussi, largement accessible à la majorité des Marocains et des
Algériens. Bizarrement, c’est dans ces trois pays que la question de la reconnaissance du
dialecte local se pose avec insistance.
tendez un micro à un M. Tout le monde, il
aura toujours tendance à répéter maladroitement des phrases toutes faites en arabe classique, mais qui ne veulent rien dire au lieu de
s’exprimer simplement en darija parce que,
dans sa tête, le dialecte ne passe pas à la télévision.”
UNE LANGUE VIVANTE
Dans l’ombre, pourtant, ce même dialecte
a poursuivi son évolution “naturelle”. De
nouveaux mots et de nouvelles expressions
se sont créés au fil des années. Le dialecte
s’est adapté aux différentes générations qui
l’ont manié. Au milieu des années 90, quelques groupes de rap tentent même pour la
première fois des compositions en marocain. Mais, faute d’accompagnement, l’expérience reste sans lendemain. Les “darijophones” ne baissent pas les bras pour
autant. Des chroniqueurs de renom continuent d’intégrer des expressions du quotidien dans leurs billets. Abderrafie Jouahri
à Al Ittihad Al Ichtiraki puis Rachid Nini à
Assabah doivent en partie leur notoriété à
l’usage du dialecte marocain dans leurs
écrits. Plus tard, l’apparition (massive) des
nouvelles technologies de l’information n’a
pas détrôné la darija pour autant. Des millions de SMS sont chaque jour libellés en
arabe dialectal. Et quand la graphie latine
peine à transcrire certaines lettres comme
le qaf ou le ha, on remplace cela par un 9
ou un 7. “La darija a toujours été LA langue
de communication des Marocains, c’est une
évidence. Aujourd’hui, son usage dans les domaines de la création provoque un tollé parce
qu’il s’accompagne d’une question centrale
mais qu’on ne pouvait pas poser avant: qui
sommes-nous ? Nous sommes quand même
l’un des rares pays où on ne comprend pas son
hymne national”, explique Réda Allali, vocaliste de Hoba Hoba Spirit, un groupe de
fusion qui en est déjà à son troisième al-
60 LE COURRIER DE L’ATLAS
bum. Identité, le mot est lâché. Dans l’esprit de plusieurs puristes de l’arabe classique, toucher à la darija, c’est justement
toucher à la langue de la révélation coranique et à ce mythe de l’unité arabe. C’est
secouer plusieurs tabous à la fois et reconnaître, de fait, les différentes influences qui
forgent l’identité plurielle des Marocains.
“Un mot comme Koumir (baguette de pain)
viendrait du mot espagnol comer (manger),
bellarej (la cigogne) vient de l’appellation grecque pellagros, alors que des mots comme saroute (clé) et lalla (madame ou maîtresse)
sont des mots 100 % berbères”, démontre un
linguiste à la faculté de lettres de Rabat.
Pour les puristes, l’enjeu est donc de taille.
Il y va, selon eux, de l’unité de la Oumma
et de l’un de ses plus forts repères identitaires. Partout où ils sont invités pour en débattre, ils remettent sur la table les mêmes
arguments. Pêle-mêle, ils soutiennent que
l’arabe n’est pas une langue parce qu’il
n’est pas codifié et qu’il ne s’écrit pas, que
c’est une langue “zankauouia” (langue de
rue) et qui ne sied par conséquent pas à la
création. La darija est-elle une langue ? Une
tentative de réponse nous vient de l’historien Pierre Vermeren : “Le français et l’espagnol sont des langues à part entières qui se sont
détachées du latin au fil des siècles. Pourquoi,
dans ce cas, ne pas penser que le dialecte marocain ou algérien finisse lui aussi par dériver
de l’arabe pour constituer un jour une langue
à part entière ?” Le débat est ouvert. La darija ne s’écrit pas ? “Faux, répond Dominique Caubet, professeur d’arabe maghrébin
à l’Inalco, la darija s’est écrite à chaque fois
que le besoin de l’écrire s’est exprimé.”
D’ailleurs, le musée du judaïsme marocain
à Casablanca conserve des écrits datant du
dixième siècle où le dialecte marocain de
l’époque est rédigé… en hébreux. Et puis,
poursuit Dominique Caubet, “il est injuste
de taxer le dialecte d’être la langue de la rue.
Comme dans toutes les langues, il y a deux
niveaux : le quotidien et le littéraire, le familier
et le soutenu.” Sinon, comment expliquer
des siècles de malhoun et de zajal et un patrimoine oral (proverbes, contes, etc.) d’une
rare finesse linguistique ? Soit, répondront
quand même les puristes de l’arabe classique. Comment expliquez-vous dans ce cas
que les défenseurs du dialecte marocain
soient presque tous francophones quand ils
ne sont pas français ou américains ? “Ils
Littérature
Choukri, le Mahfouz marocain
En écrivant Le pain nu vers la fin des années 70, Mohammed Choukri s’en prend
violemment à plusieurs tabous. Son texte est l’une des toutes premières autobiographies
marocaines. L’enfant terrible de Tanger y raconte son enfance, ses misères et ses “amours”.
Le verbe est cru, presque blasphématoire puisque Choukri n’hésite pas à décrire, en détail,
ses ébats amoureux dans la langue du Coran. Puis quand la scène devient plus forte, limite
surréelle, le Rifain pure souche puise dans une darija urbaine et dépouillée pour dresser un
tableau sombre et sans concessions des bas-fonds tangérois. Seul Naguib Mahfouz avait, à
l’époque, transgressé le tabou de l’arabe classique, suivi par quelques timides tentatives
en Tunisie. Après Choukri, il y a eu Mohamed Berrada, auteur d’un authentique roman
100 % marocain, Le jeu de l’oubli. Passant allègrement d’un arabe littéraire à une subtile
darija fassie, l’œuvre de Berrada a même fini par intégrer les manuels scolaires de quelques
classes littéraires.
Aujourd’hui, de plus en plus d’écrivains s’essayent à la darija, et pas seulement les
arabophones. En 2005, Youssouf Amine Elalam, auteur d’Un Marocain à New York et de
Paris mon bled, signe un roman entièrement en darija : Tqrqi nab (papotage), reprise de son
dernier ouvrage, Miniatures. Lors de la dernière édition du salon du livre de Tanger, un prix
littéraire a même été créé pour récompenser “la meilleure œuvre en prose rédigée en darija”.
NUMÉRO 2 MARS 2007
parler
Après des décennies de journaux en arabe
classique (ici, Al Alam), apparaissent des
titres en arabe dialectal.
SIPA/Blondin
n’ont pas tout à fait tort, reconnaît Redouane
Erramdani, pourtant arabophone accompli
et “darijophone” convaincu. Un Français ou
un francophone ne subit pas la sacralité excessive de la langue arabe classique. Il aura donc
moins de mal à transgresser le tabou et à questionner la langue d’une manière objective ou
académique.”
DARIJA, LANGUE D’ETAT ?
Fait notable cependant, malgré les attaques
des uns et des autres, la darija gagne du
terrain là où s’y attendrait le moins : dans
les appareils de l’Etat et chez quelques politiciens. Au lendemain des attentats terroristes du 16 mai, quand l’Etat annonce sa
volonté de réformer le champ religieux, il
commence par prendre deux mesures très
significatives : la création d’une chaîne de
télévision qui parle simplement de la religion (Assadissa) et la programmation de
cessions de “recyclage” pour les imams des
différentes mosquées du royaume. Lors
d’une de ces toutes premières sessions de
formation continue, Ahmed Abbadi, alors
directeur des affaires islamiques au ministère des Habous (du culte), tient un discours qui méduse l’assistance composée
d’imams plus ou moins jeunes et de grands
oulémas. “Sortez, parlez avec les gens, comprenez leurs douleurs, leurs bonheurs et ce qui
les fait vibrer, tonne le professeur Abbadi.
Sachez que Knive veut dire couteau, naika
renvoie à balafre et scoud veut dire joint ou
pétard. Chers frères et sœurs, si vous n’arrivez
pas à comprendre ce langage, c’est que vous êtes
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
out, c’est-à-dire complètement déconnectés de
dans le cadre d’un programme américain
la réalité.” Les politiciens ont également fini
de lutte contre l’analphabétisme. “Passer par
par comprendre l’astuce. “Ils sont d’ailleurs
la darija permet d’apprendre à décoder les letde plus en plus nombreux à s’exprimer dans
tres en évitant, dans un premier temps, des
un arabe plus accessible, truffé d’expressions du
obstacles tels que le vocabulaire, la grammaire
terroir quand ils veulent passer un message
ou le chakl (la vocalisation), explique une
électoral. Mais l’arabe classique reste pour eux
responsable du programme américain,
un excellent moyen pour fuir les débats qui les
mené conjointement avec le secrétariat
dérangent. Ils en ont fait une formidable land’Etat chargé de la lutte contre l’analphabégue de bois”, ironise cet académicien casatisme.
blancais qui poursuit : “Mehdi Ben Barka a
Langue ou dialecte, littéraire ou familière,
été un grand orateur parce qu’il adaptait son
la darija finit donc par s’imposer, du fait
langage à ses interlocuteurs. Une analyse des
même de sa simplicité et de son efficacité.
discours de Hassan II montre également qu’au
Mais de nouvelles questions se posent avec
lendemain de chaque tension sociale et de chainsistance : jusqu’où pourra-t-elle aller,
que crise, le roi s’adressait à son peuple en
cette “langue” ? Y a-t-il, par exemple, un
darija. En temps normal, il se permettait d’utijuste milieu entre la darija crue et métissée
liser un arabe châtié qu’il maîtrisait parfaitedes rappeurs, le dialecte soigné des publiciment.” Du coup, sans
en faire une revendicaAU LENDEMAIN DE CHAQUE TENSION SOCIALE
tion identitaire (comET DE CHAQUE CRISE, LE ROI DU MAROC
me pour l’amazigh),
S’ADRESSE À SON PEUPLE EN DARIJA.
les défenseurs de la darija voient plus grand.
Et si on intégrait le dialecte marocain à
taires et la darija tantôt sensationnelle tantôt
l’école ? Lorsqu’il découvre l’arabe classiinformative des journaux ? Sans oublier
que, un enfant se retrouve face à une lancette problématique majeure du parler mague étrangère. Il ne comprend pas comrocain : la difficulté de déchiffrer un texte
ment une namoussia devient un sariroune et
entièrement écrit en darija. Nous n’avons
pourquoi un sarout se dit miftah dans cet
pas encore été habitués à visualiser puis à lire
arabe si spécial. Selon des spécialistes de
le dialecte, c’est tout. Presque tout le monde
l’éducation, “accompagner l’apprentissage de
s’accorde à considérer que c’est une langue,
l’arabe classique par ce que les enfants savent
mais il existe encore de grandes divergences
déjà en dialecte nous ferait gagner deux ou
quant à sa retranscription.”, explique Retrois ans. Cela se fait déjà dans les régions berdouane Erramdani. Il faut laisser le temps
bérophones”. L’expérience a déjà été tentée
au temps, estime-t-il. Et si c’était vrai ?
Langue ou dialecte ?
Le précédent amazigh
A l’occasion de chaque match disputé par le Hassani d’Agadir (club de foot de la capitale
du souss), il est désormais normal de voir des banderoles d’encouragement en tifinagh
flotter ici et là dans le stade. Pareil pour les correspondances de l’Ircam (Institut royal de
la culture amazigh) dont l’en-tête est rédigé en arabe, en français et en tifingh. Le
tamazight revient de loin. Plus ou moins banni dans les années 70 et 80, le parler berbère
fait une timide entrée dans les médias publics à travers le Journal des dialectes ou Nachrat
allahajat, vers la fin des années 90. Aujourd’hui, le tamazight est considéré comme une
langue à part entière. Il y a quelques années, quand les défenseurs de la cause amazigh
revendiquaient la transcription de leur langue en tifinagh, les adeptes du caractère arabe
se rebiffaient. Atteinte à la langue sacrée du Coran, complot contre l’unité marocaine… les
mots utilisés à l’époque rappellent à s’y méprendre ceux que certains emploient encore
aujourd’hui pour reléguer définitivement la darija en dialecte de seconde zone. Le
tamazight a pourtant résisté, grâce à une ferme décision politique de reconnaître
officiellement cette composante de l’identité marocaine. Aujourd’hui, les premières
classes d’amazigh ont vu le jour, et une télé berbère serait en cours de constitution.
LE COURRIER DE L’ATLAS 61
la banlieue, dernière muse des
créateurs français. la mode
comme réinterprétation de la rue.
stylisme Les nouveaux créateurs ne s’appellent plus Yves ou Jean-Paul,
mais Hedi ou Salouha. Le Carrousel du Louvre, ils s’en foutent. Ils
investissent la rue par l’intermédiaire des stars. Leur nouveau credo, ce
n’est pas le luxe, c’est le culot. Street défilé.
par Anne Deguy
62 LE COURRIER DE L’ATLAS
NUmÉRO 3 AVRIL 2007
Flore Aîl-Suru/Tendance floue
Mode : la banlieue prend sa revanche
mode
L
DR
a fourrure ? Nicole Kidman ? Hedi
Slimane ? Non, la star de la dernière
fashion week parisienne n’était pas
ces habituels, mais la… cagoule. Celle-là
même qu’arborent depuis dix ans les jeunes hommes et filles des banlieues françaises. En ce mois de février, c’était bien
les top modèles d’Yves Saint Laurent,
Chanel, Jean-Paul Gaultier, Paule Ka…
qui défilaient toutes chiquement capuchonnées. Ce que n’ont pas manqué
de remarquer les reporters de mode en
titrant, quasi tous, leur article d’un “Fous
ta cagoule” (1). Clin d’œil au tube de Fatal
Bazooka, du printemps dernier. Alors,
la banlieue, la dernière muse de nos
grands créateurs français ? Oui… mais là,
rien de nouveau sous le soleil.
La rue est depuis la nuit des temps l’inspiratrice des stylistes. “La mode c’est la réinterprétation de la rue. Sa sublimation”, explique
tout simplement Christine Walter-Bonini,
directrice de la prestigieuse école de mode
Esmod. Laurent Cotta, du Musée de la
mode à Paris, fait remonter cette sublimation au XVIIIe siècle, où l’aristocratie britannique a abandonné paillettes et fanfreluches
pour aller visiter plus aisément ses terres et
usines. “Elle s’est revêtue d’habits plus adaptés
à ce type d’activité. Elle a alors adopté la couleur noire, s’est mise à porter des vestes…”
Laurent Cotta rappelle, plus proches de
nous, les Zoot Suiters américains avec
leurs vestes ultra-épaulées, leurs chapeaux
extra-larges, ces jambières de pantalon
surdimensionnées… (comme dans le film
Mask). Arboré par les Latinos et les blacks
de Los Angeles et de New York dans les
années 30, ce look est repris au début des
années 40 par les élégants Américains des
beaux quartiers. “Il fut cependant vite abandonné à cause de la guerre. C’était en effet le
temps des restrictions, aussi porter tout ce
trop-plein de tissus, même chez la population
aisée, aurait-il été mal vu.”
POUR RENIFLER L’AIR DU TEMPS...
Laurent Cotta raconte également les années 20 où les grands bourgeois s’habillaient aussi décontractés que les gens de
la rue pour aller écouter les concerts de
jazz. Dans les années 50, le chic du chic
était d’arpenter les cocktails dans des pantalons non repassés et des sweat-shirts de
coton fatigués. “Un style qui, quelques
décennies plus tard, deviendra la signature
artistique de Gap, constate en souriant Laurent Cotta. Evidemment, il n’y a rien chez
Gap de transgressif. Contrairement à un très
chic Balenciaga qui s’inspire, lui, dans des
NUmÉRO 3 AVRIL 2007
pages de mode du rap, ou encore à un très
classique Lacoste qui n’hésite pas présenter ses
polos en taille extra large façon hip-hop et à
avoir ‘argenté’ son croco pour séduire la génération bling-bling” (voir encadré page 65).
Pour la créatrice Sakina M’sa, originaire
de Bagnolet, qui a fait défiler au cours de
la dernière fashion week des mannequins
professionnels en plus de cinq femmes de
la rue, la banlieue est de toute évidence
une des principales sources d’inspiration
de l’univers de la mode. “Un grand nombre
de ‘tendanceurs’ vont dans ces quartiers pour
renifler l’air du temps afin de chasser les
grands mouvements que l’on retrouve la saison suivante dans les boutiques branchées de
toutes les grandes villes.”
Défilé de la styliste sakina m’sa pendant la
dernière Fashion week avec des
mannequins de la rue.
Saliha Achourane habille les vraies filles
“Vous devriez changer de nom. Dans ce milieu,
le vôtre est trop dur à porter, m’a dit un jour
une journaliste mode d’un grand quotidien
français * alors que je l’invitais à mon défilé.”
saliha Achourane, 30 ans et créatrice de mode
depuis sept ans, n’en revient évidemment
toujours pas de s’être entendu prodiguer un
tel conseil. “ J’aurais préféré que la journaliste
me dise franchement que mes créations ne
sont pas intéressantes, plutôt que d’accuser
mes origines d’être une entrave à mon
succès.” et de se désoler d’une façon plus
générale : “si dans la presse on parle toujours
des mêmes créateurs, c’est parce que ces
derniers ne cessent d’inviter les rédacteurs
à déjeuner, à dîner et qu’ils les couvrent
de cadeaux. moi, je n’en ai pas les moyens.
Je sais donc par avance que je vais avoir
du mal à les attirer.” Heureusement, la
dynamique saliha n’a jamais baissé les bras :
connue donc des seuls initiés, la maison saliha
Achourane défilait à Paris le 26 mars. Après
avoir déjà “pris” les années précédentes
la Villette, la Grande mosquée, le Cabaret
sauvage…, la jeune femme attaquait le mois
dernier le très beau théâtre de l’Atelier,
dans le 18e arrondissement, sur le thème
de “montmartre est à nous”. si cette fois-ci
ses créations étaient toutes accessoirisées
de boutons des années 1925 – 1930 (chinés
à montmartre, quartier du bouton…),
les mannequins étaient, elles, remarquables
à la fois pour leur élégance et par le fait que
les filles, sur le podium ce jour-là, n’étaient
pas des professionnelles. “Je fais du casting
de rue à la fois pour des raisons financières
et pour coller à la réalité : les vraies femmes
ne font pas 1,76 mètre et 36 de taille…
mes clientes apprécient cet état d’esprit.”
si le rêve de saliha est d’avoir une adresse à
Paris, la styliste reste néanmoins très surprise
du succès que remporte sa boutique
de saint-Ouen (93). Non loin d’une librairie
et d’un centre basque (!), avec sa large vitrine
derrière laquelle saliha a installé des robes
de couleurs, des mini-mannequins de bois
habillés de tissus brillants, des bérets,
des bijoux… “les accords de Cristal” a été
primée la plus belle boutique de seine-saintDenis. “les gens sont étonnés de voir ici
un espace avec un tel cachet”, avoue-t-elle
toute fière de son exploit.
C’est par pur hasard que saliha tombe dans
la mode. en 2000, alors installée à Chicago,
la jeune fille, assise à la terrasse d’un café,
est en train de dessiner la robe de sa grandmère kabyle. “Je venais de sortir d’une
exposition où j’avais été surprise par un bijou
du XiXe siècle kabyle, du style de ceux que
portait la mère de mon père. instinctivement,
j’ai repris sur le papier ce vêtement.
Un réalisateur de film, à une table à côté, a
remarqué mes croquis. Quelques instants
plus tard, il me proposait de créer les
costumes de son film.”
De retour à Paris, saliha décide de se lancer
dans la confection de bijoux, jusqu’à ce que,
véritablement touchée par le prêt-à-porter,
elle dessine ses propres collections. “Je ne lis
aucun magazine de mode – qui ne
s’intéressent pas aux jeunes créateurs – car
c’est très limité. Je suis également totalement
déconnectée de ce qui se fait chez mango,
H&m… Je m’inspire du XiXe siècle, des
années 30, de l’histoire de mes origines.
D’où ces drapés et fibules que je retravaille
façon occidentale et XXie siècle…
Ça a un succès fou.” Un succès qui sied bien
au nom de saliha Choubira.
A.D.
* la journaliste a-t-elle prodigué ce conseil, un
jour, à un certain Hedi slimane ?
LE COURRIER DE L’ATLAS 63
mode mode de la rue qui consistait à remonter
une jambière d’un pantalon. Selon la styliste, pour qui Bagnolet est le centre du
monde, la banlieue est une muse car elle vit
dans l’authenticité : “Elle n’a rien à perdre.
D’où cette débrouillardise qui a donné naissance à une inventivité extrême.” Inventivité
extrême qui a été reprise jusqu’au Japon où,
dans le quartier tokyoïte très chic de Gynsa,
toutes les fashion victims portent des casquettes. “Comme chez les ouvriers de 1936”,
note en souriant Sakina. C’est cette débrouillardise banlieusarde qui, d’après elle,
Flore Aîl-Suru
Défilé Jean-Paul
Gaultier,
collection
automne-hiver
2007-2008.
a fait pousser la basket aux pieds des stars
de la télé et du cinéma dans les années 80 :
“Historiquement, c’était les quartiers Nord de
Marseille qui portaient ce type de chaussures.
Alors quand, il y a vingt ans, elles se sont retrouvées portées par des célébrités… Là, la banlieue s’est dit : on a gagné.”
Si d’un côté le hip-hop, le rap et l’univers
du graf ont donné naissance à un style de
vêtements, le sport, avec ses stars vénérées
par les jeunes de banlieue, est lui aussi un
déclencheur de tendance pour une grande
flopée de créateurs. C’est donc au son sonnant et trébuchant des revenus qu’ont engendrés des marques comme Nike et Adidas que des Stella McCartney, Gucci,
Castelbajac, Chanel, Vuitton, Dior… – cette dernière allant jusqu’à styliser des snowboards – se mirent tous à dessiner des
collections de sport portées par les Madonna et consorts.
Les griffes de luxe des belles avenues parisiennes ont ainsi très bien compris où se
nichaient leurs nouveaux aficionados, plus
connus sous le nom de bling-bling (voir
encadré ci-contre). “L’argent n’appartient
plus aujourd’hui à une élite à la Agnelli et
Aga Khan…, explique Marie Chauveaux, de
l’agence de tendance Mafia (2). Il est désormais dans les poches des stars de foot, des MC
Solar, Puff Daddy, Beyoncé, Debbouze qui
portent très à l’aise fourrures et diamants.”
Vuitton, Dior & Cie n’ayant plus qu’à
s’adapter à cette nouvelle population argentée. Et d’aller même jusqu’à se donner
comme égérie, chez Dior, une très sexuelle
Jennifer Lopez…
“Aujourd’hui, on a affaire à une génération
de mode et d’apparence qui n’existait pas
auparavant, remarque Christine Walter-Bonini. On voit ainsi des tas de marques portées
dans les banlieues. C’est un style qui arrive
tout d’abord par la musique et ensuite avec les
people. Cela crée des vagues et se répercute à
très grande vitesse.” Avec parfois des effets
non désirés : “La très chic marque britannique Burberry ne veut plus se voir portée par les
filles du 9-3, raconte Laurent Cotta. La marque réfléchirait donc à un moyen très discret
d’apposer sur ses créations son si célèbre motif
écossais. Avec comme objectif qu’elle n’attire
plus ce type d’adeptes des logos.” De l’art de se
débarrasser de ses aficionados…
(1) D’après le vendeur de la boutique Distinct,
dans le 1er arrondissement parisien, si les
jeunes de banlieue portent tous une cagoule,
“c’est qu’il pleut tout le temps dans ces quartiers. Et
vous ne nous voyez tout de même pas en train de
porter des parapluies ?” !
(2) Magazine Marie France, juin 2004.
64 LE COURRIER DE L’ATLAS
NUmÉRO 3 AVRIL 2007
Abaca
Et la créatrice d’illustrer ce propos par
l’exemple du pantalon baggy qui, dans les
années 90, a envahi les magazines de
mode, recouvert les jambes des populations
de la planète, pénétré les espaces les plus en
vue : “Ce vêtement extra large porté par tous
les jeunes du monde est à la base un hommage
au prisonnier à qui le port de la ceinture est
interdit. Les jeunes mecs n’ont eu qu’à reprendre ce style, qui voulait dire à leurs yeux être un
dur.” Ce prisonnier était évidemment, au
départ, américain. Sakina signale aussi Calvin Klein qui n’a pas hésité à travailler cette
mode
Forum des Halles : RlKi, fashion-fashion et bling-bling
Casquette, pantalon large, t-shirt
moulant, ceinture argentée, logo, blouson
de cuir… le samedi, le Forum des Halles
est à lui seul un véritable défilé de mode.
D’après les fashion victims que sont nos
guides improvisés pour la journée, les
jeunes Karim, mohammed, mamadou,
Arnold… – ils se baladent dans le quartier
avec pour objectif de faire du shopping
et draguer –, il y a ici trois looks, tous nés
dans la banlieue. en plus du très classique
street wear, la planète fringue mâle
serait donc partagée entre R1Ki, fashionfashion, bling-bling.
le R1Ki (verlan de ricain pour
américain) porte des pantalons
(que l’on appelle des bas) et des
polos XXXl, il marche en baskets
et coiffe son crâne d’une
casquette. le K1Ri a emprunté ce
style au monde du rap et du hiphop américain, tout spécialement
aux rappeurs 50 cents et P. Diddy.
si les vêtements sont portés
aussi large en France, c’est qu’ils
ont repris la taille des “Ricains”,
naturellement beaucoup plus
costauds et plus grands que
les européens. transposés sur
un Français, cela donne une apparence
extra surdimensionnée… Pour Arnold,
22 ans, l’un de nos guides lors de cette
visite mode aux Halles, le K1ri est
plutôt black car c’est une mode dérivée
des Noirs du rap américain.
le fashion-fashion est lui un street wear
très Armani, souligne Karim… C’est-à-dire
élégant. ses “bas” sont serrés. le garçon
de cette catégorie – surnommé par
certains fashion-voyou – porte des
marques en petites touches mais visibles,
une ceinture Dolce Gabbana, une minisacoche louis Vuitton, une casquette
Gucci… C’est généralement de la
contrefaçon. selon Arnold, le fashionfashion est plus européen (comprendre
qu’il n’est pas black), et très jet-set.
C’est une dérive de la starification des
footballeurs et des Jamel Debbouze.
s’il affiche des logos, le fashion-fashion
n’entre pas néanmoins dans la catégorie
des bling-bling…, ces derniers étant
très portés sur les marques (pas de
la contrefaçon) qui font du bruit. D’où
la nomination bling-bling qui rappelle
tous ces bijoux qu’ils arborent.
si quasi tous portent la casquette
– quelle que soit la catégorie de modeux
à laquelle ils appartiennent –, quelquesuns arborent aussi le du-rag. Une espèce
de filet qui recouvre les cheveux.
D’après Arnold, 22 ans, élève dans une
école de cinéma, ce fichu est apparu
dans les années 90, aux etats-Unis.
Certains garçons qui voulaient maintenir
leur coiffure très stylisée dormaient
avec ce tissu sur leur crâne. “et comme
les Ricains sont très street, ils ne
l’enlevaient pas la journée.” manquait
plus que les clips les affichent pour
qu’aussitôt la rue l’adopte…
A. D.
DR
Il était une fois Benmaz by H
“On est peut-être de la banlieue, mais on est
français, donc on bénéficie de la noblesse
française”, commente slimane pour
expliquer ces fleurs de lys sur les poches
des pantalons de sa marque Benmaz by
H. Ben pour (slimane) Bensala, maz pour
(Ouissan) mazhoud et H pour (michel) Hang,
les trois créateurs de cette jeune marque de
street wear qui a débarqué il y a trois mois
dans les boutiques françaises et anglaises.
“très vite, on a été en rupture de stock”,
se réjouit le très volubile slimane, 24 ans.
les trois garçons se rencontrent il y a un an
dans un Carrefour où ils travaillent – en roller
– pour payer leurs études universitaires.
“On a réalisé qu’on était des entrepreneurs,
mais pas des carriéristes. Donc, hors de
question de travailler pour un patron. On a
d’abord ouvert une agence commerciale…
Jusqu’au jour où l’on s’est dit ‘quitte à vendre
des produits, vendons les nôtres’, raconte
slimane. Pourquoi pas des fringues,
puisqu’on adore la mode ?” michel, 26 ans,
diplômé d’un Bts de design, s’attelle alors
à dessiner des croquis. “On est plutôt
fashion et smart”, commente slimane.
traduire : “du street wear haut de gamme”.
NUmÉRO 3 AVRIL 2007
les femmes étant autant gâtées que
les hommes dans leurs collections.
l’inspiration ? “l’art dans les banlieues,
ce n’est pas Versailles à tous les coins de rue.
Nos sources d’inspiration, ce sont aussi bien
nos discussions dans un mcDo que nos
regards sur les filles, cette envie de fonder
une famille…” les choses de la vie en somme.
“On aurait pu faire du énième street-wear,
mais on préfère revendiquer la jeunesse,
la force…” Ce qui explique ces traces de sang
sur une série de t shirt : “en banlieue,
les jeunes sont des petits anges à qui on a
arraché les ailes. le sang coule, mais ils
veulent tout de même réussir et voler de
leurs propres ailes.” C’est donc dans
cet état d’esprit que fin 2006, sur un site de
production en seine-saint-Denis, que naquit
la marque Benmaz by H.
Faute de moyens pour annoncer dans la
presse mode la naissance de Benmaz, la
bande des trois applique alors des tactiques
ultra modernes : ils bombardent les attachés
de presse des ViP, voire même les people
directement, de leur t-shirt. Conclusion :
c’est Will smith qui porte leur création et
Claire Chazal sur tF1 qui les convie sur un
plateau. “le Parisien” se met à parler d’eux.
le trio, aujourd’hui parrainé par le père
du street wear français, mohammed Dia,
conseillé par la créatrice sakina m’sa,
influencé par Robert de Niro (“Quelle
élégance cet homme. surtout dans
‘Casino’”), attend avec impatience un rendezvous avec Jean-Paul Gaultier : “il pourrait
tellement nous aider en nous parlant,
par exemple, du mariage des matières.”
et le conte de fée deviendrait réalité.
A. D.
LE COURRIER DE L’ATLAS 65
sport
COMBAT Situés aux
frontières de la boxe
et des arts martiaux,
les sports de piedspoings font fureur.
Qui en sont les
champions ? Tour
d’horizon de ces
disciplines en vogue
dont les Maghrébins
sont les rois.
par Léo Huisman
AVEC LES
ET
LES
U
n footing le matin, un entraînement
le midi, un autre le soir. Entre
temps, il faut aller travailler. Voilà à
quoi ressemble la vie d’un champion de
boxe de pieds-poings. Sous cette appellation
sont regroupées quatre disciplines, la boxe
thaïlandaise, la kick-boxing, le full-contact
et la boxe française. A la croisée des che-
mins entre les arts martiaux et la boxe anglaise (où l’on n’utilise que les poings), elle
suscite un engouement énorme de la jeunesse des quartiers. Mais pas seulement.
En banlieue, en province, rares sont les villes qui n’ont pas un ou deux clubs de boxe.
Et des milliers d’adhérents pour presque
autant de champions. Parmi eux, les Tuni-
Crédits photo
Mourad Sari
66 LE COURRIER DE L’ATLAS
NUMÉRO 2 MARS 2007
sport
siens, Algériens et Marocains d’origine dominent ce sport. Qu’ils soient entraîneurs
comme Saïd Bouzid, l’entraîneur-romancier qui boxe contre le fanatisme religieux,
promoteurs ou boxeurs évidemment, il faudrait un dictionnaire pour tous les répertorier. Ils sont pourtant une exception ceux
qui arrivent à faire parler d’eux au-delà de
leur microcosme. Dida Diafat, ancien
champion de boxe reconverti dans le cinéma, apparaît bien seul comme porte-étendard’une armée de champions. Voici les
portraits de quatre d’entre eux, pour mettre
en lumière tous les représentants d’un
sport que l’on voit trop rarement.
Les quatre disciplines
La boxe pieds-poings regroupe quatre disciplines avec chacune des règles différentes.
Elles ont en commun d’associer des techniques de pieds aux techniques de poings et aux
règles de compétition de la boxe anglaise.
La boxe thaïlandaise : on a le droit d’utiliser ses coudes, ses genoux, de saisir son
adversaire et d’utiliser le corps à corps.
Le kick-boxing : on ne peut utiliser ni les coudes ni les genoux, et on ne peut pas saisir
son adversaire. Par contre, comme en boxe thaïlandaise, on utilise les tibias pour taper.
La boxe française : les boxeurs sont en combinaison et chaussures avec lesquelles ils
portent les coups de pieds soit avec la pointe soit avec l’intérieur du pied.
Le full-contact : on ne porte des coups de pied qu’au-dessus de la ceinture.
Les quatre incontournables
Mourad Sari
Plus que des titres, champion de France, d’Europe, du monde, la
valeur d’un boxeur pieds-poings se mesure aux combats qu’il a livrés
et aux adversaires qu’il a rencontrés. S’il ne fallait retenir qu’une
compétition en boxe thaïlandaise, ce serait le championnat du
Lumpini Stadium à Bangkok, le stade Maracana de la boxe
thaïlandaise. En 1999, le premier non-Thaïlandais à avoir décroché la
ceinture du Lumpini est franco-algérien. Il s’appelle Mourad Sari. Le “gaucher d’Argenteuil”
combat au plus haut niveau depuis 91. A 34 ans et après avoir connu l’âge d’or de la boxe
pieds-poings en France à la fin des années 90, il continue d’arpenter les rings en s’adaptant
à la nouvelle réalité.
Kamel Jemel
Le profil de Kamel Jemel est un peu similaire. Ce Tunisien de 31 ans est
avant tout un kick-boxeur, un redoutable puncheur, très fort en boxe
anglaise. Comme Sari, il ne faut pas chercher un palmarès écrit noir
sur blanc pour définir la force de Jemel. Cela fait bien longtemps qu’il
ne s’intéresse plus aux titres qui n’ont de valeur qu’aux yeux de ceux
qui les distribuent, il se concentre sur ses performances face à des
adversaires de grande valeur. Et ses performances sont éloquentes, 109 combats, 100
victoires et deux titres de champion du monde.
Samir Mohamed
Le Marocain Samir Mohamed est plus jeune que les deux autres, il
n’en est pas moins redoutable. A 26 ans, c’est le surdoué de la boxe
pieds-poings. A ce jour, il a disputé plus de 110 combats toutes
disciplines confondues et n’en a toujours pas perdu un seul ! Le
journaliste Pascal Igliki l’a suivi lors d’un combat en Martinique alors
qu’il avait 14 ans. Dans le premier round, il est compté et dans le
second, il renverse la tendance et met KO son adversaire. Igliki le surnomme alors le petit
prince des rings. A le voir combattre, on comprend pourquoi le surnom est resté.
DPPI/Pano
Farid Khider
Farid Khider : “un mec speed, venu des terres arides”. C’est sur ce son
écrit spécialement pour lui par Tunisiano du groupe Sniper que le
compère d’entraînement de Sofiane Allouache rentre sur les rings.
Venu de la boxe française, Khider est un boxeur complet comme en
témoigne son palmarès : 160 combats, 102 victoires, 55 KO. Douze fois
champion d’Europe, champion du monde de boxe française, de kickboxing et de boxe thaïlandaise, il combattait le mois dernier en Algérie pour devenir
champion du monde de full-contact.
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
AZIZA OUABAÏTA
Styliste le jour,
boxeuse le soir et le
week-end
35 ans, championne du monde de
boxe française, 3 combats
professionnels en boxe anglaise,
3 victoires.
“Adolescente, mon seul lien à la boxe, c’était
Les brigades du tigre. Parfois, j’ai l’impression
que c’est l’histoire qui m’a choisie.” Aziza
Oubaïta est née il y a trente-cinq ans à Casablanca. A 6 ans, elle débarque en Normandie. Là, elle pratique tous les sports
collectifs, de la danse et du théâtre, mais il
n’est pas question de boxe. Diplôme de styliste en poche, elle vient à 21 ans exercer
son métier à Paris . Il n’est toujours pas
question d’activité physique. Très vite, pourtant, Aziza ressent le besoin de se dépenser
autrement qu’au travail. Une amie lui
LE COURRIER DE L’ATLAS 67
sport
SOFIANE ALLOUACHE
Il porte les couleurs de ses deux pays
30 ans, champion du monde de boxe thaïlandaise version Wako pro,
121 combats, 104 victoires dont 44 avant la limite.
“Mon kif, ce serait de partir au Japon, faire du
K-1 max.” Le K-1 est assurément la discipline de boxe pieds-poings la plus médiatisée dans le monde, la plus lucrative aussi.
Elle se pratique au Japon, destination rêvée
de nombreux boxeurs français en mal de
reconnaissance. Comme Sofiane Allouache,
spécialiste du kick-boxing. “Au foot, tu mets
une frappe, tu gagnes des millions. En boxe, tu
mets plusieurs frappes, tu ne gagnes rien. Tout
travail mérite salaire. C’est aussi pour ça que
je veux partir au Japon.” Car Sofiane ne boxe
MOUNIR BOUTI
Il est devenu boxeur pour se venger d’un
mauvais coup
22 ans, champion du monde amateur de boxe thaïlandaise, 38 combats, 35
victoires, dont 17 avant la limite.
Autour du ring, le public raille un jeune
boxeur. Il effectue une danse étrange, un
RamMuay qui précède tous ses combats. Le
match commence, les attitudes changent.
Mounir a commencé la boxe par hasard.
“J’accompagnais des amis à leur entraînement.
En me voyant sur le côté, l’entraîneur m’a dit
68 LE COURRIER DE L’ATLAS
‘soit tu boxes, soit tu dégages’. Je n’avais rien à
me mettre. Il m’a prêté un short. Ça devait être
un cours d’essai, mais en faisant un combat
avec un des amis qui m’avait amené, j’ai pris
un coup qui m’a sonné. Je suis rancunier. Je
me suis entraîné pendant six mois et on a refait un combat. Je me suis vengé et c’était
parti.” A 19 ans, en 2004, il devient le plus
jeune professionnel de France et se retrouve face aux boxeurs qu’il admirait plus
jeune. Mounir ne pratique que la boxe
thaïlandaise. Grâce à son entraîneur,
Guillaume Kerner, il s’est plongé au plus
profond de ce sport qui va bien au-delà des
seuls combats. Trois voyages en Thaïlande,
pour comprendre les origines de son sport
et se mesurer aux meilleurs Thaïlandais. Si
son ambition est de devenir champion du
monde, il veut faire reconnaître son talent
par les Thaïlandais.
Sans renier ses origines, Oujda, à la frontière algérienne, l’autre objectif de Mounir,
plus affectif celui-là, c’est de combattre au
Maroc, pour les couleurs du Royaume.
pas que pour l’argent. En France, vivre de
sa boxe est exceptionnel, mieux vaut assurer ses arrières. C’est ce qu’a fait Sofiane en
devenant éducateur pour la ville de Bagnolet. Du Japon, il retient aussi le respect
qu’on accorde à tous les combattants, qu’ils
gagnent ou qu’ils perdent. Sofiane rentre
tout juste d’Algérie, son pays d’origine. A
Tizi-Ouzou, il combattait pour un titre de
champion du monde de kick-boxing. Champion du monde de boxe thaï, champion
d’Afrique de boxe française, trois fois champion de France de kick-boxing et vice-champion du monde de full-contact, à 30 ans, il
totalise 104 victoires pour 121 combats.
Comme beaucoup de boxeurs, il pratique
tous les styles de boxe pieds-poings.
Contrairement au football, la boxe permet
de porter les couleurs de deux pays lorsqu’on est titulaire d’une double nationalité.
Un privilège dont Sofiane ne se prive pas.
“Je suis professionnel. Je boxe d’abord pour
moi. Boxer pour la France et pour l’Algérie,
c’est pour moi la même chose. Cela me permet
de représenter ce que je suis. Quand je boxe, je
veux être à la fois un exemple pour les jeunes
des cités d’ici et un exemple pour les jeunes au
bled.” Car le sport permet au moins cela,
trouver une place décente dans la société
qu’elle soit ici ou là-bas.
La Nuit des Superfights VII
•Avant de retourner à nouveau à bercy
en juin pour un “gros” gala, le
promoteur Ali Ouagueni retourne à
Villebon (Essonne) le 7 avril pour la
7e édition de la Nuit des Superfights,
événement majeur de muay thaï en
France.
Au programme de cette édition, un
Grand tournoi dans la catégorie
70 kilos et les traditionnels
Superfights, où les meilleurs boxeurs
français s’affrontent entre eux.
Renseignements : 06 26 79 06 89
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
L.Préau/DPPI
parle de la boxe française. Elle cherche un
club et se met à ce sport dont elle ne connaît
rien. “Un soir, je boxais avec une fille d’un très
bon niveau qui me faisait mal. J’ai répliqué
comme je pouvais.” Dix jours plus tard, la
fédération l’appelle. Ils pensent qu’elle a
des aptitudes au combat. Sa seconde carrière commence là : Aziza a 24 ans. En une
année, elle rencontre ses entraîneurs, Fathi
Mira et Mustapha Ouicher. Très vite, elle
devient championne de France, d’Europe et
du monde de boxe française. Elle passe ensuite professionnelle de boxe anglaise.
Aujourd’hui, elle mène ses deux carrières
de front, “petite styliste le jour, boxeuse professionnelle le soir”, parce qu’en France, a fortiori pour une femme, on ne vit pas de la
boxe. Ce qui rattache Aziza à ce sport, ce
n’est pas l’argent, mais les challenges qu’il
lui offre. Pour l’heure, elle s’en est fixé
deux : devenir championne du monde de
boxe anglaise et aller combattre au Maroc.
Car elle n’oublie pas d’où elle vient et fait
tout ce qui est en son pouvoir pour aider
son pays d’origine.
société
TEMOIGNAGES C’est une
véritable vague de retour au
pays qui semble s’emparer
de la diaspora algérienne
ces temps-ci. Près de 6 000
par an selon une récente
étude (1). Ce sont souvent
des hommes, ils choisissent
généralement la capitale et
sa région, 94 % d’entre eux
viennent de France et,
grande nouveauté, un quart
d’entre eux sont nés à
l’étranger. Nous en avons
rencontré quelques-uns.
par Yasrine Mouaatarif
Je suis rentré en Algérie
HACÈNE BOUDJEMA 29 ans, Paris-Alger
“La première fois que
j’ai posé le pied sur le
sol algérien, j’avais tout
juste 11 ans. Ce qui m’a
d’abord frappé, c’est la
chaleur des gens et
l’accueil qu’ils vous
font. Depuis, j’y suis
retourné régulièrement
en vacances avec mes parents. Très vite, je
me suis fait la promesse de m’y installer un
jour… Entre-temps, j’ai poursuivi mes études.
D’abord un BTS de gestion PME-PMI, puis
une maîtrise en développement des ressources humaines à l’université Paris-13 que j’ai
obtenue en 2002. A l’époque, ce n’était pas
encore le bon moment pour moi de tenter
l’Algérie. Nous étions encore dans une période de transition. J’ai donc décidé dans un
premier temps de rechercher du travail en
France, mais j’étais loin de m’imaginer toutes les difficultés que cela pouvait représenter. Au bout de deux années de recherches
très intensives, je me suis fait une raison.
J’avais envoyé près de 5 000 candidatures,
pour seulement deux entretiens, dont aucun
n’a abouti !
J’ai donc décidé de compléter ma formation
par un DEA en dynamique des organisations
et transformations sociales que j’ai obtenu
à Paris-Dauphine en 2005. Avec un diplôme
aussi prestigieux, j’imaginais que les portes
allaient enfin s’ouvrir devant moi. Les recherches d’emploi qui suivirent furent à
peine plus concluantes. Cette fois-ci, j’ai
passé une année à envoyer quelque 2 000 candidatures, qui ont donné lieu à cinq entretiens… et une proposition de stage. Entretemps, j’ai fait la connaissance des membres
du Reage, le Réseau des Algériens diplômés
des grandes écoles françaises, et j’ai participé avec eux à la création du premier forum
pour l’emploi en Algérie qui aura lieu le
26 mai prochain. A partir de là, j’ai entamé
sérieusement ma recherche d’emploi en
Algérie. Et dès lors, tout est allé très vite. En
l’espace de deux mois, j’ai obtenu de nombreuses réponses encourageantes, très différentes des lettres de refus que je recevais
jusqu’à présent. J’ai d’abord eu des entretiens
téléphoniques et, actuellement, je suis à
Alger pour environ trois semaines, le temps
de passer une autre série d’entretiens pour
des postes tout aussi intéressants les uns
que les autres. Pour l’instant, j’ai postulé
exclusivement à Alger, le poumon économique du pays, et essentiellement auprès
de multinationales, ce qui ne signifie pas
que j’exclus de travailler pour une entreprise algérienne si l’occasion se présente.”
(1) Une étude du Centre algérien de recherche en économie appliquée (Cread) rendue publique en 2006 estimait entre 5 000 et 6 000 le nombre annuel
de ressortissants algériens rentrant définitivement au pays, soit deux fois plus qu’en 1998. La même étude trace également un profil de ces “ré-immigrants”.
70 LE COURRIER DE L’ATLAS
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
DR/G.Mathieu/editindserver.com
“En deux mois, j’ai eu plus de propositions d’emploi en Algérie qu’en deux ans en France.”
société
MEHDI
BENABDALLAH
35 ans, Washington D.C.
“Cette première
expérience n’a pas
été concluante,
mais je ne me décourage
pas pour autant.”
ZAHIA B. 26 ans, Alger
“Cela faisait trois ans que je n’étais pas rentrée. J’ai été
sidérée de voir combien les choses avaient changé !”
“Je suis née et j’ai grandi à Rouen. Depuis
toute petite, je m’imaginais travailler en
Algérie, ou du moins en relation avec le pays.
Après une classe préparatoire HEC, j’ai
intégré l’école de commerce Euromed à
Marseille. J’ai sciemment choisi cette ville
pour son ouverture sur le bassin méditerranéen et sur le Maghreb en particulier, et
j’avais toujours en tête d’y tenter ma chance.
On m’a d’ailleurs proposé un poste au Maroc, que je n’ai pas pu accepter pour des
raisons personnelles. Je suis partie en échange au Canada, puis en stages à Paris dans
le secteur automobile. Et alors que je pensais
plus ou moins devoir abandonner mes projets de carrière en Algérie, mon école a diffusé une annonce pour un poste de chargé
de communication interne à l’Ecole supérieure algérienne des affaires d’Alger. C’est
une école franco-algérienne, créée en 2004,
qui est un consortium de grandes écoles
françaises et qui forme les futurs cadres en
management et les grands cadres dirigeants
du pays. Je trouvais ce projet fabuleux car
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
ce type de formations parfaitement adaptées
aux réalités du marché permet d’endiguer
la fameuse fuite des cerveaux. Je me suis
donc empressée de postuler dès l’obtention
de mon diplôme en octobre 2006, j’ai passé quelques entretiens à Marseille, puis j’ai
été embauchée. Me voici donc en poste à
Alger depuis février 2007. Je suis en VIE
(Volontariat international en entreprise)
pour une durée de douze mois. C’est encore
tout frais mais, pour le moment, je suis enchantée. Moi qui ne connaissais pas la ville
– je suis originaire de Kabylie – et qui n’étais
pas venue en Algérie depuis trois ans, j’ai
constaté d’énormes changements. En tant
que fille, je n’ai pas de souci particulier. Je
connais les codes et je m’adapte. Je sais par
exemple qu’il est plutôt mal vu de se balader
seule le vendredi après-midi, jour de prière,
et donc j’évite. Quant à mes parents, ils sont
très fiers de moi. Il faut dire qu’ils nous ont
toujours encouragés à travailler pour l’Algérie. Même leur appréhension de me savoir
seule à Alger a aujourd’hui disparu.”
“J’ai vécu à Alger
jusqu’à l’âge de 10
ans. Mon père étant
diplomate, nous
sommes allés vivre
par la suite à Niamey, puis à Washington où j’ai poursuivi
ma scolarité au lycée
français. Après mon bac, j’ai fait une
année en France à l’Insa de Lyon, puis
je suis revenu aux Etats-Unis où je me
suis inscrit à l’université George-Washington. J’y ai obtenu un Bachelor of Science,
puis un Master en génie électrique, option télécommunications. Durant toutes
ces années, l’Algérie me manquait terriblement. Nous ne rentrions que tous
les deux ans, et entre la distance et le
décalage horaire, il est très difficile de
rester en contact avec le pays. Mais je
m’étais juré d’y retourner à la première
occasion. Je pensais le faire après mes
études, mais c’était au début des années
1990 et la situation avait déjà commencé à se détériorer sérieusement. J’ai donc
réfléchi à une possibilité de me rapprocher de l’Algérie en attendant des jours
meilleurs, et c’est ainsi que j’ai vécu trois
ans à Düsseldorf, en Allemagne. C’était
une sorte d’étape transitoire qui me permettait de faire des voyages plus fréquents
dans mon pays et de voir plus souvent
ma famille qui était rentrée quelques
années plus tôt. Puis, l’année dernière,
j’ai appris qu’une grande société informatique américaine était sur le point
d’ouvrir un bureau à Alger. J’ai postulé
et j’ai commencé en juillet 2006. Le
poste était intéressant car j’étais chargé
de vendre des solutions dans le secteur
des opérateurs téléphoniques. Mais, très
vite, les problèmes ont commencé.
LE COURRIER DE L’ATLAS 71
société
HAKIM AÏT WARTILANE 27 ans, Alger
“Au bout d’un an, le bilan est plus que satisfaisant !”
“Je suis né en et j’ai grandi en France, mais
j’avoue que l’idée de vivre un jour en Algérie
m’a toujours attiré. Après des études de
gestion dans un IUT à Sceaux, j’ai eu une
première puis une deuxième expérience
professionnelle dans le courtage de crédit
immobilier en France. Au bout de deux
années, j’ai pris la décision de franchir le
MONCEF MAMMAR 26 ans, Alger
“Ça bouge énormément en Algérie, et je ne veux
pas passer à côté de tout ça.”
“J’ai d’abord obtenu
une licence de management à Alger avant
de venir en France en
2005 pour faire un
Master en administration et échanges internationaux, option Entreprenariat et PME à
l’université Paris-12. Parallèlement à mes
études, je travaillais avec mon père dans
l’entreprise familiale d’agroalimentaire, et
je représentais également quelques multinationales qui faisaient affaire avec nous.
Actuellement, je suis en train de passer mes
derniers examens, puis je rentrerai définitivement en Algérie à la mi-avril. Je compte
72 LE COURRIER DE L’ATLAS
élargir mon portefeuille clients, mais surtout
bénéficier du dispositif de l’Agence nationale de soutien à l’emploi des jeunes (Ansej)
pour créer une filiale et compléter l’activité
de l’entreprise familiale. Outre mon diplôme,
mon expérience en France m’aura permis
de rencontrer des gens des quatre coins du
monde, issus de cultures très différentes, ce
qui n’était pas le cas quand j’étais étudiant
à Alger. Mais, même si le mode de vie en
France présente de nombreux avantages, je
sais que le marché de l’emploi y est saturé,
alors qu’en Algérie, il y a beaucoup à faire,
et que j’y ai beaucoup plus d’opportunités,
surtout dans mon domaine d’activité. Nous
sommes en pleine expansion, et j’aimerais
y participer à ma façon.”
pas et j’ai commencé à rechercher sérieusement du travail au pays. C’est finalement
par le bouche à oreille que j’ai décroché un
poste dans une entreprise française installée
à Alger, qui m’a embauché en contrat local.
Je suis donc chargé d’affaires d’entreprise,
je fais l’interface avec des sociétés algériennes et étrangères, et je tente de répondre à
leurs besoins, notamment en matière de
crédit d’entreprise. En cela, ma double
culture est un véritable atout.
Aujourd’hui, cela fait exactement un an que
je vis ici. Mon premier bilan est plus que
satisfaisant. En ce qui concerne la qualité
de vie, cela correspondait tout à fait à ce que
je pouvais m’imaginer. Quant à ma vie professionnelle, elle prend tout son sens : je me
sens bien plus utile ici qu’en France où tout
est déjà fait, et c’est vraiment motivant de
participer à son échelle au développement
du pays. Le seul bémol que je mettrais, c’est
pour les démarches administratives où tout
est bien plus compliqué qu’en France et où
il n’y a pas de transparence. Quant au fait
que je sois franco-algérien, cela ne m’a jamais
posé de problèmes avec les gens, même si
je sais que ce n’est pas le cas pour tout le
monde. Il peut certes exister certains préjugés, mais c’est sans commune mesure avec
ceux qu’il y a en France. Et puis, de l’autre
côté de la Méditerranée, aussi on était ‘d’origine’, donc on a l’habitude…”
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
Hemis.fr
L’ouverture du bureau algérien de la
boîte ne s’est pas faite dans les normes,
nous croulions sous les problèmes administratifs, et même nos salaires tardaient à arriver parce que les managers
n’avaient pas fait le nécessaire pour les
conversions du dollar en dinar… Sans
compter les autres désagréments dus
aux cultures d’entreprises américaine et
algérienne qui sont très différentes. En
Algérie, par exemple, les délais de décision sont très longs alors que les Américains attendent beaucoup plus de réactivité. De plus, il y a une certaine
opacité qui fait que les organigrammes
ne reflètent pas toujours la réalité. Du
coup, les décisionnaires ne sont pas toujours ceux que l’on croit.
Tous ces problèmes accumulés m’ont
donc poussé à claquer la porte en janvier
2007, et à retourner aux Etats-Unis. Mais
cette expérience n’a en rien changé mes
plans de retour au pays, disons qu’elle n’a
fait que les retarder. Car, comme beaucoup
d’Algériens qui vivent ici, je ne me vois
pas fonder une famille et finir mes jours
aux Etats-Unis. Avec le recul, je me dis
que si je m’étais mis à mon compte, j’aurais peut-être pu surmonter ces problèmes.
Ce n’est donc que partie remise.”
histoire
TRENTE GLORIEUSES Une exposition retrace
l’histoire des bidonvilles en Seine-Saint-Denis
dans l’entre-deux-guerres. Une histoire liée au
monde ouvrier, à l’immigration, et très présente
dans celle de la guerre d’Algérie.
par Nadia Lamarkbi
On ose enfin en parler…
Crédits photo
Dans les années 1950-60,
le bidonville de la Campa,
à La Courneuve, a vu s’installer
des gitans puis des travailleurs
espagnols et enfin des Algériens.
74 LE COURRIER DE L’ATLAS
NUMÉRO 2 MARS 2007
histoire
T
ôles ondulées, murs en bois et ferraille récupérés, enfants en guenilles
marchant pieds nus dans la boue…
les images se succèdent et se ressemblent
pour attester de la misère. Cette exposition
nous plonge dans cette histoire de France
qui n’est pas racontée dans les livres scolaires. Cette série d’images en noir et blanc
témoigne des conditions dans lesquelles se
sont entassées des générations entières
d’Espagnols, d’Italiens, de Polonais, d’Algériens, mais aussi de Français pendant la
période des trente Glorieuses où le pays
était en pleine ébullition économique. “Loin
de toute vision misérabiliste”, l’exposition présente le travail de vingt photographes dont
Cartier-Bresson, Dityvon, Doisneau ou Lartigue ainsi que des extraits de divers films
de réalisateurs tels Eli Lotar, Jacques Prévert et Edouard Luntz. Les clichés tentent
de “restituer la complexité du phénomène des
bidonvilles”. Elle montre divers aspects de la
vie quotidienne dans ces bidonvilles de
Noisy-le-Grand, d’Aubervilliers ou des
Franc-Moisin, l’un des sites les plus importants à Saint-Denis. La dernière partie de
l’expo est consacrée aux photos en provenance des quatre coins de France. De Lyon
ou de Marseille, les clichés récents se
confondent avec ceux des années 60. Preuve, s’il en est, que le problème du mal-logement n’a pas pris une ride.
Du 9 mars au 31 avril 2007
Aux Archives départementales de la Seine-SaintDenis, 18, avenue Salvador Allende, 93200
Bobigny
En juin 2007 : Institut de l’histoire sociale
CGT, 263, rue de Paris, 93100 Montreuil
Claude Dityvon - F. Douzenel
Initiative produite et réalisée par le conseil
général (direction de la culture, du patrimoine
du sport et des loisirs et direction des archives),
en partenariat avec Périphérie-centre de création
documentaire et l’Institut CGT d’histoire sociale.
La vie des bidonvilles est rythmée par les
incendies. Ici, au Franc-Moisin (Saint-Denis.)
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
Les bidonvilles étaient surtout
situés dans la banlieue nord-est
de Paris : Saint-Ouen,
Saint-Denis, Pantin, Drancy
et ci-dessous, La Courneuve.
LE MAL-LOGEMENT, UNE HISTOIRE QUI SE RÉPÈTE
Jean-Barthélemi Debost a conçu
l’exposition pour le conseil général
de Seine-Saint-Denis. Interview.
nelle autour des photos, qui, de fait, deviennent un déclencheur de parole pour ceux
qui se sont longtemps tus. Cette histoire
n’est visible nulle part, elle a une valeur et
réhabilite les anciens habitants. La parole se
libère. Les gens osent parler sans se sentir
méprisés.
L’histoire des bidonvilles est-elle liée à celle
de l’immigration ?
Ces deux histoires ne sont pas liées. Il y avait
beaucoup de Français qui vivaient également
dans les bidonvilles de Seine-Saint-Denis.
Mais on peut rapprocher l’évolution des bi-
Comment a germé l’idée d’une exposition
sur les bidonvilles ?
Au sein du service du patrimoine culturel,
nous travaillons depuis cinq ans sur l’histoire et le patrimoine du logement social.
Cette problématique croise la question du
mal-logement. D’ailleurs, un certain nombre de grands ensembles sont situés sur
l’emplacement des bidonvilles. Nos collègues du service des arts visuels avaient récupéré un
“L’EXPOSITION EST UN DÉCLENCHEUR
certain nombre d’images
DE PAROLE POUR CEUX QUI SE SONT TUS.
de bidonvilles en SeineELLE RÉHABILITE LES ANCIENS HABITANTS.”
Saint-Denis. Ces images
sont devenues des sources
donvilles et la guerre d’Algérie. Le mot luiprivilégiées de témoignages. Ce projet
même, bidonville, vient d’Afrique du Nord
croise la résurgence des bidonvilles sur le
et a été importé en métropole avec les preterritoire national. Au moment de l’inaumiers immigrés algériens et les colons. À
guration de l’exposition, Médecin du Monl’époque, ces lieux abritaient de nombreux
de distribue des tentes aux SDF sur le
groupuscules indépendantistes qui luttaient
principe qu’il faut être visible pour sensicontre la présence française en Algérie. Ces
biliser les instances politiques. De l’appel
quartiers sont vite apparus comme un lien
de l’abbé Pierre en 1954 sur Radio-Luxemprivilégié de développement de cette résisbourg au travail d’ATD-Quart Monde, l’obtance parce qu’il était difficile de les maîtriser
jectif est identique : être visible pour attirer
et de contrôler ce qui s’y passait. La chronol’attention sur la question, et la résoudre.
logie de la guerre d’Algérie coïncide avec
L’histoire se répète.
Quel accueil a reçu cette exposition?
celle des bidonvilles. Et si l’Etat français a
Des gens qui n’ont pas l’habitude de se dédécidé de s’attaquer à cette question, c’était
placer dans les expos viennent nous voir.
également pour couper l’herbe sous les pieds
Chacun parle de son expérience persondes indépendantistes.
LE COURRIER DE L’ATLAS 75
Le Maroc
en plein cœur
de Marseille
Crédits photo
pause Un coin de paradis posé
tout près de la Canebière.
Délicieusement isolé de
l’agitation de la cité phocéenne,
le Ryad, l’hôtel le plus
dépaysant et le plus original de
la ville, est recommandé par le
prestigieux guide des hôtels de
charme 2006. Une réussite pour
sa propriétaire, Fatiha Ouichou,
très attachée à la promotion et
au développement de son pays
d’origine, le Maroc. Par Myriam Blal
76 LE COURRIER DE L’ATLAS
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
vous
U
“
n petit jardin où chante une fontaine”,
“un dépaysement au cœur de Marseille”... La presse ne tarit pas d’éloges pour décrire le Ryad, un hôtel ouvert à
l’automne 2005 par Fatiha Ouichou. Même
son de cloche du côté de l’Office de tourisme de Marseille : “Le Ryad vient répondre à
une demande de petits hôtels de charme de catégorie supérieure que nous n’avions pas jusqu’à présent”, explique le directeur de promotion de l’Office, Stéphane Sogliuzzo.
Il est vrai que, de charme, l’établissement
ne manque pas. Pourtant, avant de se porter acquéreuse des lieux en 2004, Fatiha
Ouichou n’imaginait pas qu’il lui faudrait
près d’un an de travaux pour restaurer l’endroit. Il est vrai que l’immeuble marseillais,
avec ses tommettes rouges, abritait autrefois un hôtel vétuste à la mine délabrée. Au
final, le résultat est là : un ryad à la marseillaise où s’allient savamment l’architecture locale et l’esthétique marocaine.
Ainsi, contrairement aux vrais ryads (“jardin
clos” en arabe) marocains où toutes les pièces s’ouvrent sur un patio intérieur à ciel
ouvert, certaines fenêtres donnent sur la rue
et la bâtisse s’élève sur quatre étages (alors
qu’un ryad n’en compte traditionnellement
qu’un ou deux). Mais les différences s’arrêtent là : dès la porte d’entrée poussée, le dépaysement est assuré.
UNE CHAMBRE, UNE ATMOSPHÈRE
Dix chambres composent le Ryad, chacune
baptisée d’un prénom arabe et dotée d’une
décoration qui lui est propre. La jolie Moga-
dor fait honneur à Essaouira avec ses touches de bleu indigo qui habillent la pièce,
du jeté de lit au pouf en cuir, sans oublier
l’assiette en terre cuite ornée de métal argenté pendue au mur. Ahlem, qui promet
de doux rêves, fait la part belle aux objets en
fer forgé, de la chaise à la table basse en
passant par le lit à baldaquin. Arz est un
retour aux sources avec un style très épuré
digne d’un ryad de luxe.
“Les tissus et objets proviennent des souks de Marrakech, les meubles ont été
fabriqués sur mesure par
des artisans casablancais
triés sur le volet”, précise
Fatiha qui voue une passion à la décoration d’intérieur. “J’ai toujours eu
en tête de développer un
concept autour de l’artisanat et de la déco de mon
pays d’origine, le Maroc.”
UNE CLIENTÈLE
D’ARTISTES
Tous les artisanats marocains s’y retrouvent : la tôle travaillée, le bois sculpté, les
tissus berbères, les tapis aux couleurs chaudes jusqu’aux salles de bains “façon tadelakt”, précise Fatiha avant de développer :
“Le tadelakt est un enduit à base de chaux, de
poudre de marbre et de pigments naturels que
l’on applique sur les murs à l’aide d’un galet de
rivière. Cette technique ancestrale que l’on retrouve sur les murs des hammams est assez
coûteuse et nécessite beaucoup de savoir-faire.
Nous avons préféré nous limiter à une simple
imitation.” Qu’importe, le résultat est là. Au
rez-de-chaussée, nous retrouvons le salon,
avec ses banquettes chaleureuses invitant à
la paresse, qui s’ouvre sur le jardin intérieur. L’endroit rêvé pour siroter un thé à la
menthe préparé par Raja, la cuisinière. Car
le Ryad propose également un service de
table d’hôtes pour réaliser des agapes marocaines. “Je me limite à quelques soirs par semaine”,
indique Fatiha, même si
elle sait bien que le Ryad
“pourrait afficher salle
comble tous les jours”. Vie
de famille oblige. Après
des débuts timides, le
bilan après deux ans
d’activité est plutôt positif. “Je reçois beaucoup
d’artistes, des personnalités
du monde des médias, des
salariés en congrès et, bien
sûr, des touristes étrangers”, poursuit la maîtresse des lieux au
sourire franc et à la bonne humeur communicative. Une gentillesse hors pair et de
douces attentions qui enchanteront le voyageur qui n’aura plus qu’une seule envie :
revenir ! ■
Le Ryad, 16, rue Sénac de Meilhan, 13001
Marseille. Tél. : 04 91 47 74 54, www.leryad.fr
Chambres de 75 à 120 euros. Table d’hôtes sur
réservation.
Fatiha Ouichou, sur tous les fronts
Georges Majolet
F
atiha Ouichou est née en
algérie de parents marocains
originaires du Rif. “Mes grandsparents font partie de cette
vague d’immigrés qui ont fui
le nord du Maroc pour l’algérie
afin d’échapper à la famine
et à la misère des années 1940.”
après sa naissance, ses parents
quittent l’algérie pour Tétouan
et émigrent à nouveau, pour se
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
poser définitivement en France,
lorsque Fatiha a deux ans. La
Rifaine grandit à paris et étudie
la publicité dans une école
parisienne. elle travaille dans
de grandes entreprises comme
publicis et L’Oréal avant de
codiriger sa propre agence
de publicité. s’ensuit une
expérience professionnelle de
trois ans à Casablanca. C’est là
qu’elle rencontre son futur mari,
saïd Ouichou. De retour à paris,
Fatiha retourne sur les bancs
de la fac et se spécialise en
marketing opérationnel à l’ecole
des hautes études en sciences de
l’information et de la
communication (Celsa). C’est
ensemble que Fatiha et saïd
décident de quitter paris
pour Marseille voilà deux ans
avec leurs trois enfants. pour
les atouts que la ville propose :
“Le soleil et la mer !”
a 40 ans, cette femme comblée
n’entend pas s’arrêter en si bon
chemin. Très attachée au Maroc
où elle se rend plusieurs fois
dans l’année, Fatiha est
impliquée dans la vie de son
pays. en 1996, le couple crée
depuis paris l’association Maroc
entraides dans le but de mener
des actions humanitaires
au royaume. Dans ces projets,
la construction d’un dispensaire
de santé dans la province
de Ouarzazate. a Marseille,
la propriétaire du Ryad a donné
naissance tout récemment
à l’association France Terre
d’avenir. “Nous souhaitons
venir en aide aux jeunes issus
de l’immigration en perte
d’identité et qui se sentent
déracinés, en les soutenant dans
leurs objectifs professionnels.”
Fatiha Ouichou puise dans son
carnet d’adresses bien rempli
pour constituer un réseau de
professionnels marseillais prêts
à parrainer ces jeunes et
à les accueillir en stage dans
leurs entreprises. a côté de cela,
l’association souhaite
également agir en faveur de
l’éducation avec les parents
d’enfants en difficulté avec la
discipline.
M. B.
LE COURRIER DE L’ATLAS 77
vous
Destination Tunisie
aux meilleurs prix
AVION Après le Maroc et l’Algérie, pour clore
notre tour du Maghreb, voici pour vous une
sélection de tarifs aériens pour la Tunisie.
par Caroline Boudet
VOLS SECS OU SÉJOURS ?
Pour ceux qui désirent se rendre en Tunisie
pour les vacances, le choix entre la liberté
d’un vol sec et les économies d’un séjour
tout compris peut s’avérer difficile. En effet,
et surtout en période creuse, les prix des
séjours d’une semaine en club sont souvent
égaux, voire inférieurs, à ceux des vols secs.
Et en été, les vacanciers ne sont pas les seuls
à s’envoler, les tarifs aussi. Un bon conseil :
réservez votre vol le plus tôt possible. Plus
les réservations sont effectuées à l’avance
pour les périodes de pointe, moins les tarifs
sont élevés. C’est pour cette raison que dans
notre comparatif, sur certaines compagnies,
les différences entre période creuse et période de pointe apparaissent minimes.
78 LE COURRIER DE L’ATLAS
TUNISAIR
Première rivale d’Air France pour les liaisons entre l’Hexagone et la Tunisie, la compagnie fêtera en 2008 ses 60 ans. Et elle
pèse lourd : la doyenne s’octroie 48 % du
marché national. Avec une moyenne de
47 vols par jour et une flotte de 29 avions,
elle a pour de nombreux voyageurs l’image
rassurante d’une compagnie fiable et ponctuelle. “Voyager avec Tunisair, c’est devenu
une habitude pour moi, raconte Martine, qui
vient de rendre visite à sa fille installée à
Tunis. C’est un bon rapport qualité-prix.”
AIR FRANCE
La compagnie tricolore ne dessert directement de France que l’aéroport de Tunis.
Mais avec cinq vols quotidiens depuis Paris,
l’offre est importante. Pour les autres destiA/R
KARTHAGO AIRLINES
Entourée d’une réputation un peu plus sulfureuse, Karthago Airlines concentre ses
activités sur la très touristique Djerba. Cette
compagnie charter tunisienne, qui fait partie de Nouvelles Frontières, est souvent
choisie par les voyagistes proposant des séjours tout compris en Tunisie. Créée en
2002, elle dispose de six appareils. Et ça
marche bien pour elle : son chiffre d’affaires
a augmenté de plus de 23 % en 2006. Signe
d’une certaine confiance, mais aussi conséquence de tarifs attractifs. Et pourtant, sur
les forums Internet de voyageurs, une question revient souvent : “Peut-on faire confiance
à Karthago Airlines ?” En 2005, la compagnie
a été victime d’une très mauvaise publicité
après que des passagers ont refusé d’embarquer dans un appareil loué à la compagnie
turque Fly Air, en raison de son mauvais
état apparent. Pourtant, certains ne trouvent
rien à redire. Comme Nelly, une habituée,
qui a effectué l’été dernier avec cette compagnie “un vol agréable, ponctuel et avec un personnel sympathique”. En somme, la compagnie souffre simplement des doutes qui
entourent encore et toujours les compagnies
charters. ■
BASSE SAISON
HAUTE SAISON
Tunisair . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 277,16 € . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 413,72 €
PARIS-TUNIS
Air France . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 391,29 € . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 513,21 €
Alitalia (avec escale) . . . . . . . . . . . . . .240,35 € . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 316,35 €
Lufthansa (avec escale) . . . . . . . . . . . 271,99 € . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 359,99 €
PARISDJERBA
PARISMONASTIR
Tunisair . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 332,36 € . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 434,14 €
Aigle Azur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 375,29 €
Karthago Airlines . . . . . . . . . . . . . . . . .385,29 € . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 448,84 €
Tunisair . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .258,07 € . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 409,72 €
Tunisair . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 215,58 € . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 492,49 €
MARSEILLE-
Air France . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 203,71 € . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 648,18 €
TUNIS
Alitalia (avec escale) . . . . . . . . . . . . . .228,82 € . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 296,75 €
Lufthansa (avec escale) . . . . . . . . . . . 292,46 € . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 302,46 €
MARSEILLE-
Tunisair . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 335,49 € . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 588,99 €
DJERBA
Air France (avec escale). . . . . . . . . . . . 861,91 € . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 861, 91 €
MARSEILLE-
Tunisair . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .303,49 € . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 723,49 €
MONASTIR
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
DR
S
ix millions et demi de touristes par
an pour un pays de dix millions d’habitants. La Tunisie est la destination
star du Maghreb pour les vacanciers, juste
devant le Maroc. Thalassothérapie à des
prix défiant toute concurrence européenne, équipements touristiques très développés, plages de rêve : le pays mise beaucoup
sur cette ressource économique. Le tourisme représente aujourd’hui 6 % du PIB
et fournit 340 000 emplois directs et indirects. Et ce n’est pas fini : l’Etat prévoit la
création de nouvelles zones touristiques
avec près de 200 000 lits supplémentaires
d’ici 2015. Quand on parle de tourisme de
masse… La Tunisie est d’ailleurs, sur Internet, la destination la plus demandée
grâce à ses tarifs imbattables. Les sept aéroports internationaux, avec leur capacité
d’accueil de plus de 13 millions de passagers par an, proposent de nombreuses
liaisons avec l’Europe, plus des deux tiers
des vols commerciaux. Nous avons choisi
de comparer les vols vers les trois aéroports les plus importants : Tunis-Carthage,
Djerba-Zarzis et Monastir-Habib Bourguiba, à partir de Paris et Marseille.
nations, si vous tenez à voyager sur Air
France, il faudra compter avec des escales…
pour 1 000 euros pour Paris-Djerba.
EN VENTE
ACTUELLEMENT EN KIOSQUE
vous
Croisières :
le Maghreb au fil de l’eau
VOYAGE Et oui, vous pensez à “la Croisière s’amuse” et vous vous dites
que cela n’est pas pour vous ! Pourtant, même les jeunes couples et
les familles avec enfants s’y mettent. Et le Maghreb n’est pas en reste.
V
acances de riches, loisir de seniors :
telle est en deux mots l’image de la
croisière. Pourtant, partout en Europe, cette formule se développe et la clientèle tend sérieusement à rajeunir. Trois
millions trois cent mille Européens sont
ainsi partis en 2005 sillonner les mers du
monde, un chiffre qui a triplé en dix ans.
En France, on s’y met tout doucement avec
233 000 passagers et une clientèle nouvelle, celle des jeunes couples et des familles. La Méditerranée constitue une destination phare avec une vraie facilité
d’arrivée aux ports d’embarquement via le
TGV ou l’avion. Les départs se font depuis
Marseille, Saint-Tropez ou encore Gênes et
Savone, en Italie – avec transfert par car
depuis Nice.
TUNIS EN TÊTE
Les circuits proposés en Méditerranée occidentale passent très souvent par l’un des
ports du Maghreb, Tunis en particulier.
Plus de 500 000 passagers y débarquent en
effet tous les ans. “C’est la ville qui fonctionne
le mieux sur le Maghreb, explique Jacques
Truaud, président du Club de la croisière
80 LE COURRIER DE L’ATLAS
Marseille-Provence. Le gouvernement tunisien a beaucoup investi dans le domaine portuaire ; le pays est sûr et les sites de Carthage
sont très demandés.” Un autre argument,
plus mercantile, oriente sur le choix de Tunis, particulièrement bien positionnée sur
les routes maritimes : “En touchant un port
hors de la Communauté européenne, explique
Jacques Truaud, les croisiéristes échappent à
la TVA communautaire. C’est un argument
essentiel !”
Après la Tunisie, le Maroc constitue également une destination solide, d’autant plus
que c’est le premier des pays du Maghreb à
avoir accueilli des bateaux de croisière. Les
activités maritimes de Tanger sont en plein
boom et le projet de nouveau port va permettre l’accueil de plus nombreux navires.
“Les villes de Casablanca et Agadir rencontrent
également du succès. Même si ces destinations
nécessitent des croisières plus longues, elles sont
assez courues”, remarque Georges Azouze,
PDG de Costa Croisières France. L’Algérie,
pour sa part, fait encore peur aux croisiéristes. Enfin, la Libye ouvre progressivement
ses côtes aux touristes de la mer, à Tripoli
essentiellement, mais aussi à Benghazi.
A BORD D’UN HÔTEL FLOTTANT
Tentés par l’expérience ? Une fois l’embarquement réalisé – après souvent quelques
heures d’attente –, vous voici à bord de ce
qui pourrait ressembler à un hôtel flottant.
Imaginez tout de même que le plus grand
navire de notre tableau peut accueillir
3 700 passagers et compte dix-sept niveaux
de ponts ! Même les navires plus modestes
transportent souvent cinq cents passagers.
C’est sûr, vous ne serez pas seuls à bord de
votre voilier…
Ludovic, 33 ans, a testé une première croisière en Méditerranée, sans grande conviction au départ : “J’avoue que je me posais
énormément de questions auparavant, j’avais
surtout peur d’une sollicitation permanente.
Pour moi, j’allais me retrouver dans La Croisière s’amuse. Mais en réalité, tu vis ta vie à
bord comme bon te semble.” Au final, il a plutôt apprécié ces vacances, vécues comme
reposantes. Il est vrai que tout est prévu :
quatre à cinq repas par jour – sur ce type de
bateau, un dernier repas est servi à minuit
–, un catalogue d’excursions toutes faites
aux escales et des loisirs multiples. Cela dit,
les seules contraintes sont celles des horai-
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
DR
par Laure Deschamps
vous
res de descentes et de remontées sur le bateau et des services des repas. Rien à voir
avec un voyage de groupe organisé. “Personnellement, je ne prends quasiment jamais les
excursions proposées. Je les prépare à l’avance
par mes propres moyens”, témoigne Véronique, 47 ans, une multirécidiviste de la croisière en Méditerranée avec huit circuits à
son actif en six ans. “La croisière, ça a toujours constitué un rêve pour moi, même si
maintenant c’est la routine !, lance-t-elle. Je
trouve qu’il y a un esprit particulier sur un bateau. Et surtout c’est un dépaysement total : on
arrive chaque matin dans une nouvelle ville ou
dans un nouveau pays. C’est assez magique.”
LES ASTUCES À CONNAÎTRE
Si vous aimez la mer et que vous avez envie
de découvrir, de manière fugace, quelques
villes ou pays, la croisière est plutôt adaptée.
A condition de bien se renseigner auparavant. Car le joli rêve peut se transformer en
enfer sur un bateau trop ancien, avec des
cabines mal insonorisées – et un bruit de
moteur permanent – ou sur une compagnie
peu regardante sur la qualité de la restauration ou de l’hygiène. Vérifiez ainsi la date de
construction ou de rénovation de votre futur
bateau. Et prenez le temps de vous renseigner sur le Web. Les fans de croisières
échangent conseils et astuces avec les novices sur les forums (1). C’est une excellente
manière de dénicher des promotions et de
repérer les pratiques des croisiéristes : certains offrent la place du second passager ou
ne font pas payer les enfants, par exemple.
QUESTION DE BUDGET
Par ailleurs, ficelez bien votre budget avant
de partir. Pour une semaine en Méditerranée, vous débourserez en moyenne
1 500 euros à 1 800 euros par personne. En
sachant que les tarifs indiqués ne comprennent pas tout. Il vous faudra rajouter au prix
de base au moins les taxes portuaires et les
pourboires. Car les pourboires sont en quelque sorte obligatoires : certains croisiéristes
les prélèvent d’ailleurs directement sur votre note – à moins que vous ne le refusiez
expressément. Comptez environ 7 euros
supplémentaires par jour et par personne.
“Les pourboires, c’est une tradition dans la marine marchande, un mode de rémunération
spécifique. Vous trouvez sur un bateau une
qualité de service qui n’existe pas ailleurs. Sur
les petits bateaux, il y a un membre d’équipage
pour deux passagers. C’est du sur-mesure”,
assure Georges Azouze. Pensez aussi aux
escales : en moyenne, les passagers dépensent 50 euros par escale, qu’ils fassent ou
non les excursions proposées.
Vous hésitez ? Dans ce cas, un petit conseil :
optez pour la première fois pour une minicroisière, avec trois ou quatre nuits seulement à bord. Cela vous laissera le temps de
voir dans quel camp vous vous situez : car
la croisière, c’est rarement de la demi-mesure : on aime ou on déteste ! ■
(1) Forums et conseils de passionnés de
croisières : www.lemondedescroisieres.com
Forum Croisières du Guide du Routard : www.
routard.com/forum/croisieres/219.htm
L’Algérie, une
croisière atypique
Seul le voyagiste Plein cap croisières,
une société niçoise, explore par la mer
les côtes algériennes. Il embarque sur
ses bateaux 220 passagers. Ici, les
escales sont privilégiées et des
conférenciers spécialistes font partie du
voyage. Au programme 2007, le circuit
de 11 nuits, “Entre Terre et Désert”, au
départ de Nice, suit la côte algérienne et
s’arrête à Bejaia, Annaba, Skikda, Alger
et Oran, avant de retourner sur Nice en
passant par les Baléares et l’Espagne
(entre 1 310 € et 2 730 €). Une seconde
offre, “Terres Berbères”, relie en 12 nuits
Alger et Oran, au départ de Nice, avant
de poursuivre sur Tanger, Casablanca,
Safi et Agadir et de finir aux Canaries, à
Las Palmas, avec un vol retour sur Paris
(de 1 390 € à 2 900 €).
“Cela fait seulement deux ans que nous
avons ouvert cette destination. La
situation évolue beaucoup car ce pays
ne connaissait pas du tout notre
marché, explique Christine Bugarin,
directrice commerciale. Bien sûr, des
mesures de sécurité sont imposées. Mais
c’est la même chose en Libye et dans de
nombreuses destinations mondiales !”
Aujourd’hui, 80 % de la clientèle de Plein
cap croisières pour l’Algérie est
constituée de fans de culture. Mais 10 %
à 20 % des passagers sont aussi des
pieds-noirs, qui retrouvent ainsi contact
avec le pays où ils ont vécu auparavant.
EXEMPLES DE CIRCUITS PROPOSÉS EN MÉDITERRANÉE
MOIS
DE DÉPART
CROISIÉRISTE
ESCALES
DU MAGHREB
DÉPART
PAYS RALLIÉS
BATEAU
MAI
MSC Croisières
Tunis
Départ et arrivée à Saint-Tropez
Italie, Tunisie,
MSC Melody,
Espagne
532 cabines
JUILLET
NOVEMBRE
NOVEMBRE
DÉCEMBRE
Costa Croisières
Croisifrance
Costa Croisières
Croisifrance
Casablanca,
Départ et arrivée à Savone en
Espagne, Maroc,
Costa Romantica,
Agadir
Italie (transfert possible de Nice)
Canaries, Madère
678 cabines
Tunis et Tripoli
Tunis
Tanger et
Départ de Nice, arrivée
Italie, Tunisie,
Sapphire,
à Marseille
Libye, Malte
288 cabines
Départ et arrivée à Savone en
Espagne, Baléares,
Costa Concordia,
Italie (transfert possible de Nice)
Tunisie, Malte, Italie
1 500 cabines
Maroc, Espagne,
Coral,
Italie
344 cabines
Départ et arrivée à Gênes,
Espagne, Maroc,
MSC Musica,
Italie (transfert en car de Nice)
Canaries, Madère
1 275 cabines
Départ et arrivée à Marseille
Casablanca
JANVIER
MSC Croisières
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
Casablanca
LE COURRIER DE L’ATLAS 81
vous
CONSEIL. Les deux chambres du Parlement marocain viennent d’adopter le
nouveau Code de la nationalité, très attendu par les couples mixtes. Fatena
Sarehane, professeur à la faculté de droit de Casablanca et spécialiste du
droit marocain de la famille, répond ci-dessous à vos questions sur ce Code.
l’enfant doit être né soit d’un père marocain, soit d’une mère marocaine et d’un
père inconnu. Mais, dans le cas d’espèce,
on constate que, d’une part, bien que né
d’un père marocain,
votre enfant ne peut
pas bénéficier des effets
de cette filiation, notamment la nationalité.
Car, pour avoir la nationalité marocaine par la
filiation, le Code de la
nationalité exige que
cette filiation soit établie en application de
la loi marocaine en la matière. Or, en droit
marocain de la famille, “la filiation illégitime
ne produit aucun des effets de la filiation légitime vis-à-vis du père” (article 148 du Code de
la famille). Donc, votre enfant ne peut pas
avoir la nationalité par sa naissance d’un
père marocain. Cette solution demeure valable même avec le nouveau Code de la nationalité.
D’autre part, pour bénéficier de la nationalité marocaine par la mère, l’article 6 du
Code de la nationalité de 1958 exige que
l’enfant soit né “d’une mère marocaine et
d’un père inconnu”. Or, votre enfant ne remplit pas cette condition puisque son extrait
d’acte de naissance porte votre nom ; il n’est
donc pas né d’un père inconnu, mais d’un
père naturel. Le problème de cet enfant se
complique encore puisque, comme vous le
signalez dans votre question, il ne peut pas
bénéficier de la nationalité de son pays de
naissance. Il est sans nationalité, donc apatride.
L’avènement du nouveau Code de la nationalité apporte une solution au cas de votre
enfant. En effet, selon l’article 6, est marocain l’enfant “né d’un père marocain ou d’une
mère marocaine”. L’application de ce texte
au cas de votre enfant ne peut rencontrer
aucun obstacle, il est en conformité avec le
droit de la famille en matière de filiation.
Car, contrairement au père, “la filiation,
qu’elle résulte d’une relation légitime ou illégitime, est la même par rapport à la mère, en ce
qui concerne les effets qu’elle produit” (article
146 du Code de la famille).
Par conséquent, dès l’entrée en vigueur du
nouveau Code de la nationalité, vous pouvez vous adresser aux autorités consulaires
marocaines du lieu de votre résidence pour
avoir un passeport pour votre enfant.
Quand le nouveau Code de la
nationalité entre-t-il en vigueur
au Maroc ?
J’ai appris que le projet du Code de la nationalité a été adopté par les deux chambres.
J’aimerais savoir si, après ce vote, on peut
l’invoquer pour bénéficier de ses dispositions. Je suis née d’une mère marocaine et
d’un père jordanien.
Wafaa, une Marocaine de cœur
et pas de droit
Fatena Sarehane : L’adoption du projet du
Code de la nationalité par les deux chambres, parlement et chambre des représentants, ne confère aucune effectivité à ses
dispositions. Les intéressés ne peuvent invoquer la nouvelle loi pour bénéficier des
innovations qu’elle a apportées qu’après sa
promulgation par dahir et sa publication au
Bulletin officiel. Ce qui n’a pas encore été
fait, à ma connaissance.
C’est la loi portant promulgation du Code
qui fixe la date de son entrée en vigueur.
Généralement, c’est à partir du jour qui suit
la publication de la loi au bulletin officiel
que ses dispositions s’imposent aussi bien
aux justiciables qu’aux juges.
Le cas d’espèce est régi par l’article 6 qui
considère désormais comme marocain
“l’enfant né d’un père marocain ou d’une mère
marocaine”. Ainsi, les enfants nés d’une
femme marocaine ont la nationalité marocaine de droit. Le Code n’a posé aucune
autre condition, comme la naissance sur le
territoire marocain ou la résidence au Maroc. Il suffit pour bénéficier de la nouvelle
disposition d’apporter la preuve que la personne est née d’une mère marocaine (un
extrait d’acte de naissance et une pièce
d’identité de la mère suffisent).
Par conséquent, dès l’entrée en vigueur du
nouveau Code, si l’intéressée réside au Maroc, elle peut s’adresser aux autorités marocaines compétentes pour demander sa
carte d’identité nationale et son passeport.
Si elle réside à l’étranger, c’est aux autorités
consulaires marocaines du lieu de sa résidence qu’il faut s’adresser.
Quelle nationalité pour les enfants
naturels ?
Je suis de nationalité marocaine. J’ai vécu
avec une Marocaine dans un pays européen
hors mariage. De cette relation est né Anas
qui a maintenant 10 ans. Au vu de l’extrait
de son acte de naissance où il est indiqué
qu’il est enfant naturel né de père et mère
marocains, les autorités consulaires marocaines refusent de le mettre sur mon
passeport ou de lui fournir un passeport individuel. Pour eux, notre enfant n’est pas marocain. Mon problème, c’est que je ne peux plus
voyager avec lui puisqu’il ne peut pas
non plus avoir la nationalité du pays
de notre résidence, donc de passeport
de ce pays. Que faire ? Le nouveau
Code de la nationalité a-t-il apporté
une solution pour ce cas, sachant que
ma compagne est décédée à la suite
d’une longue maladie ?
Driss
Fatena Sarehane : Sous l’empire du
Code de la nationalité de 1958, votre
enfant se trouve entre deux situaL’article 6 considère comme marocain l’enfant né
tions. En effet, pour être marocain,
d’un père marocain ou d’une mère marocaine.
82 LE COURRIER DE L’ATLAS
TOUTES VOS QUESTIONS :
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NUMÉRO 3 AVRIL 2007
Sipa
Questions sur le Code de
la nationalité marocain
vous
Courrier des lecteurs
JE MILITE POUR QUE LES MAROCAINS RÉSIDANT À L’ÉTRANGER PUISSENT
PARTICIPER AUX SCRUTINS DU MAROC
D’abord merci à toute votre équipe pour ce journal ;
il était grand temps. Je
voudrais compléter le point
de vue de monsieur Ali El
Bas, concernant le droit de
vote des Marocains résidant à l’étranger (Le Courrier de l’Atlas n°1). Je suis
tout à fait d’accord et je
milite en ce sens (pour que
les citoyens résidant à
l’étranger puissent participer aux scrutins du Maroc). Nous sommes citoyens de deux pays, nous
avons des obligations envers ces deux pays, nous
devons aussi jouir de
TOUS les droits des deux
constitutions, simple prin-
cipe de base du droit international. Beaucoup de pays
le permettent à leurs citoyens, alors il est temps
que le Maroc en fasse
autant, d’autant plus si on
tient compte de l’évolution
démocratique du pays.
Je ne pense pas que le fait
de donner aux citoyens
marocains, ayant ou non la
double nationalité, le droit
de s’intéresser à l’évolution
du Maroc va à l’encontre
de leur intégration dans
leur pays d’accueil, bien au
contraire. Je constate dans
mon environnement que
les personnes qui ne
connaissent pas de problèmes sont celles qui ont
une très forte connaissance de leur pays et donc de
leur culture et identité marocaine. (…)
Naima Korchi, chargée de relations internationales
(ONU/ONG)
COMMUNAUTÉ, RELIGION
“Je suis étonné de voir que, selon les patronymes, l’équipe de la
rédaction du magazine de la communauté maghrébine n’est pas
représentative de cette communauté...” Hami Nakim (Saint-Ouen)
“Votre magazine est épuré de religion. Vous n’êtes pas représentatifs des
Maghrébins en France qui sont en majorité attachés à leur religion. C’est
mal d’être laïc... Allez, soyez plus commerciaux, mettez quelques fatwas
et articles de religion, vous vendrez plus.” Samy Hache (Paris)
Ces deux mails nous
étonnent vraiment.
Comment la
DR
LE DÉBAT SUR LE VOILE
Je voudrais m’exprimer sur l’article
intitulé “Pour en finir avec le débat sur
le voile” (publié dans le numéro 1 du
Courrier de l’Atlas). (…) Il serait utile de
rappeler que le port du voile est apparu
bien avant l’avènement de l’islam.
Tout comme l’Ancien Testament et le
Talmud, le Nouveau Testament affirme
la chose suivante : “Si la femme ne
porte pas de voile, qu’elle se fasse tondre.”
(Ecrit de saint Paul).
Je voudrais également souligner que le
Coran est un texte sacré et sibyllin,
d’où la nécessité d’une explication interprétative dans son ensemble et surtout sur les passages concernant le
port du foulard.
A mes yeux, les mots foulard ou voile
sont polysémiques. Je considère que le
voile ne doit être porté que lorsqu’il est
le signe d’une émancipation spirituelle. Il ne doit pas être imposé car le
Coran dit bien : “Nulle contrainte en
religion.” Malheureusement, encore
aujourd’hui, beaucoup de femmes subissent le diktat parental. Pour
d’autres, il est un moyen de s’autono-
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miser par rapport à leur famille. Enfin,
d’autres encore l’utilisent pour se protéger des agressions extérieures (surtout les jeunes filles issues des banlieues).
A l’heure actuelle, un grand nombre
de jeunes filles portent le voile dans le
seul but de s’approprier une identité
par une attitude différencialiste dans
une société en perte de repères. Je voudrais citer un hadith du prophète Mohamet : “Allah ne regarde pas vos apparences ou vos actions, mais il regarde vos
cœurs.” Pour moi, l’islam ne peut se
résumer au port du foulard. Tout
croyant et croyante se doit d’accomplir
l’Ijtihad, de comprendre le livre céleste
en s’appuyant sur le tafsir et le tawil
(commentaires et explications du Coran). Chercher la vérité, comprendre le
Coran est une obligation de foi pour
tout musulman et musulmane. Félicitations aux créateurs de ce nouveau
mensuel. Longue vie à ce magazine.
Souhaitons que vous ne soyez pas
taxés de dérives communautaristes.
Karima (Londres)
communauté
maghrébine peut-elle
se plaindre du regard
de l’autre, des
discriminations, des
préjugés, et plaider
pour l’enfermement ?
Nous sommes un
magazine français
qui s’adresse à la
communauté
maghrébine en France.
Nous sommes donc
communautaires, mais
nous ne serons jamais
communautaristes.
Au lieu d’éplucher
les patronymes, jugez
le fond. Pour ce qui
concerne la religion,
nous avons
effectivement un
point de vue. D’abord,
nous ne pensons pas
que la laïcité soit
quelque chose de mal,
bien au contraire.
Ensuite, nous sommes
contre ces prétendus
savants qui se
prennent pour Dieu
et qui émettent des
fatwas. Nous pensons
que la foi est une
question individuelle.
Nous savons que les
Maghrébins sont en
majorité attachés à
leur foi, et nous
pensons que les
questions relatives à
la religion doivent être
traitées d’une manière
rationnelle, c’est-àdire en faisant appel
à la Raison. Nous vous
invitons à relire
attentivement les
sujets que nous avons
traités dans les deux
premiers numéros et à
participer aux débats.
VOS AVIS :
[email protected]
Le Courrier de l’Atlas
4, rue Halévy, 75009 Paris
LE COURRIER DE L’ATLAS 83
Pour ou contre Les statistiques ethniques,
un tabou qui a la peau dure
Législation Pour certains, l’introduction de critères de distinction
ethnique dans les statistiques nationales rappelle les “fichiers scélérats”
établis par la France de Vichy ou celle de l’époque coloniale. Pour d’autres,
ils sont inévitables si l’on veut mesurer la pertinence des politiques
antidiscriminatoires. Tour d’horizon des arguments des deux camps.
par Hanane Harrath
tes-vous noir, arabe, asiatique, métis ?”...
Aux Etats-Unis, il y a déjà bien longtemps que cette question ne choque
plus. Là-bas, on utilise la collecte de données ethniques et raciales depuis 1790, date
du premier recensement de la nouvelle république ! A l’époque, l’objectif était de fixer
un nombre de députés par Etat devant siéger à la Chambre des députés, tout en évitant que les Etats possédant un grand nombre de Noirs ou d’Indiens ne dominent le
Congrès. Aujourd’hui, elles permettent surtout de mesurer régulièrement la progression ou la résorption des inégalités : c’est ce
qu’on appelle le monitoring, un outil pour
évaluer la réussite ou l’échec des politiques
de lutte contre les discriminations.
En France, parler de “statistiques ethniques” est encore largement tabou, à en juger par la vigueur des débats suscités par la
publication dans Libération, le 22 février,
84 LE COURRIER DE L’ATLAS
d’un appel intitulé “Engagement républicain contre les discriminations”, lancé entre
autre par Jean-François Amadieu, professeur à l’université Paris-I et directeur de
l’Observatoire des discriminations, et Patrick Weil, chercheur au CNRS. Cet appel,
auquel ont souscrit des chercheurs, des
syndicalistes et des militants associatifs
(SOS-racisme, Mrap, Licra), est fermement
opposé à l’utilisation de statistiques ethniques, rappelant que certaines méthodes
comme le testing, consacré par une loi de
2005, permettent déjà de mesurer les discriminations à l’emploi, au logement et aux
loisirs. La réponse ne s’est pas faite attendre, puisque le 13 mars, un autre texte, “Statistiques contre discriminations”, initié par
Patrick Simon, démographe à l’Institut national d’études démographiques (Ined) et
soutenu par une trentaine de chercheurs,
était publié dans le Monde.
la loi et l’usage
La loi du 6 janvier 1978 interdit de
“collecter ou de traiter des données à
caractère personnel qui font apparaître,
directement ou indirectement,
les origines raciales ou ethniques”
Certaines études la contournent
en se référant au lieu de naissance
de l’interrogé ou de ses parents : ainsi,
en 1998, la démographe Michèle
Tribalat publiait une recherche dans
laquelle elle combinait un critère
“d’appartenance ethnique” défini à
partir de la langue maternelle et un
critère d’“origine ethnique” à partir du
lieu de naissance des parents. Elle avait
ainsi mis en évidence que les jeunes
d’origine algérienne avaient un taux
de chômage de 40 %, contre 11 % pour
les Français dits de souche.
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Ingo Boddenberg/Corbis
E
“
vous
Pour
Patrick simon, démographe
à l’ined, auteur du texte
“statistiques contre
discriminations”.
“La question de savoir quelles sont les statistiques nécessaires à la lutte contre les
discriminations n’est pas simple. Ce qui est
en revanche certain, c’est qu’il nous faut
aujourd’hui, en France, créer un outil afin
de comprendre enfin les mécanismes de la
discrimination et leurs conséquences. Nous
ne savons pas mesurer ces discriminations,
pas plus que nous ne pouvons juger l’impact des politiques visant à les résorber.
En tant que démographe, quand je veux
évaluer un risque particulier pour une population donnée (risque de maladie par
exemple), je rapporte le nombre de personnes potentiellement soumises au risque au
nombre de celles effectivement victimes du
risque. Si on veut donc évaluer les discriminations, on doit pouvoir faire de même. On
disposerait ainsi d’un système de monitoring afin de suivre l’évolution des inégalités
contrE
à des intervalles réguliers. Je suis bien
y aura en effet de plus en plus de parents
conscient que le terme de statistiques “ethnés en France ! De même, se baser uniqueniques” peut heurter certains défenseurs
ment sur le patronyme des interrogés n’est
du modèle républicain d’intégration à la
pas pertinent : on sait que près du tiers des
française, tout comme je suis conscient des
parents d’origine maghrébine donnent des
précautions à prendre pour empêcher les
prénoms ‘français’ ou ‘internationaux’ à
utilisations et les interprétations xénopholeurs enfants. Cela ne permet pas non plus
bes de cet instrument. Mais, devant les disde distinguer les originaires des DOMcriminations qui persistent, nous ne pouTOM qui sont aussi discriminés tout en
vons plus faire l’économie de cet outil. Un
ayant des patronymes ‘français’. Nous dechiffre notamment a beaucoup fait bouger
vons entrer dans la boîte noire du modèle
les consciences : une enquête a montré qu’à
d’intégration, qui n’a pas tenu ses promesdiplôme égal et origine sociale équivalente,
ses. Les arguments consistant à dire que
les personnes définies
comme ‘d’origine ma- “IL NOUS FAUT CRÉER UN OUTIL QUI PERMETTE
ghrébine’ ont deux fois ENFIN DE COMPRENDRE LES MÉCANISMES DE
et demi moins de chan- LA DISCRIMINATION ET LEURS CONSÉQUENCES.”
ces de trouver un emploi
que des personnes ‘d’origine française’.
nous stigmatiserions certaines catégories
Pour réaliser ce type de travaux, on a rene sont pas tenables : c’est justement parce
cours au lieu de naissance des parents ou
que les discours publics et les pratiques sodes grands-parents, mais cela reste encore
ciales stigmatisent certaines populations
très marginal : on ne l’a utilisé que dans
que se pose la question des moyens pour
trois enquêtes sur environ cent cinquante !
les contenir et les conjurer ! Les statistiques
Et ce critère de lieu de naissance, qui est le
ethniques sont un de ces moyens, car elles
seul moyen dont nous disposons en l’abpermettraient d’identifier les blocages, de
sence de catégories ethniques et raciales, ne
sensibiliser l’opinion, de fixer des objectifs
sera plus tenable dans quelques années : il
et d’évaluer les effets des politiques.”
rique instituée dans ces pays était une réponse à la ségrégation ethnique qu’ils
avaient institutionnalisée. Aujourd’hui, ce
système de catégories ethniques est remis
Jacqueline costa-lascoux,
en cause par la plupart des pays qui l’ont
directrice de l’Observatoire
expérimenté. Les catégories ethniques corstatistique de l’immigration et
respondent à un découpage socio-anthropode l’intégration, membre du Haut
logique souvent contesté (citons, par exemple, les juifs, introduits, puis enlevés de la
Conseil à l’intégration, rapporteur
liste des minorités ethniques aux Etatsde l’avis “Les indicateurs de
Unis, ou les Irlandais apparus dans le rel’intégration”, remis au Premier
censement britannique, ce qui a déclenché
ministre en février 2007.
récemment la revendication des Ecossais et
“S’il est essentiel d’évaluer les inégalités et
des Gallois). Le caractère réducteur du criles discriminations qui persistent malgré
tère ethnique se fait au détriment de la plules mesures en faveur de l’égalité des droits
ralité des origines et des appartenances, de
la complexité et de
“‘LA CATÉGORISATION ‘ETHNIQUE’ RISQUE DE l’évolution des trajectoiMENER À LA SURENCHÈRE DE CERTAINS GROUPES res individuelles. Cela
DANS LEUR VOLONTÉ DE RECONNAISSANCE.” est particulièrement
vrai pour la France,
et l’égalité des chances, le recours à des cadont la conception de la nation repose estégories de population en raison de leur
sentiellement sur le lien politique et la ciorigine ethnique semble aussi archaïque
toyenneté. Raisonner en termes de catégoqu’illusoire. Le lien historique entre catégories ethniques va à l’encontre d’une
ries ethniques et sociétés de ségrégation
construction historique.
(comme l’Inde, l’Afrique du Sud ou les
Par ailleurs, la catégorisation ‘ethnique’
Etats-Unis) montre que la réparation historisque d’accentuer les phénomènes ‘reven-
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
dication du stigmate’ (selon l’expression
du sociologue américain E. Goffman), qui
conduisent à la surenchère de certains
groupes dans leur volonté de reconnaissance, comme cela s’exprime à travers la
‘guerre des mémoires’. Ceci engendre des
conflits interethniques, voire un racisme
intercommunautaire, ainsi que des phénomènes d’ethnic leadership et de clientélisme
peu favorables au développement de la démocratie. Enfin, l’aggravation des inégalités risque de se développer avec la perpétuation de modèles d’explication et de
logiques ethnicisantes qui deviennent rapidement discriminatoires. La pensée par
stéréotypes prend appui sur des schémas
de comportement, des modes de vie ou
des coutumes religieuses lus comme
autant de déterminants de l’identité collective. Cela conduit à ignorer ou à minimiser
le nombre des personnes qui choisissent
un parcours individuel d’intégration, qui
refusent ‘la fatalité des origines’. Comme
le remarquait l’écrivain François Cheng,
‘un pays n’est pas un ramassis de personnes ou de groupes. Tous ses membres sont
impliqués dans le réseau organique d’une
aventure commune’”.
LE COURRIER DE L’ATLAS 85
culture
TENDANCE BELLYDANCE
Comment s’est faite votre découverte de la danse orientale ?
J’ai grandi dans le sud de la Tunisie et, toute petite déjà, j’étais
littéralement passionnée par
cette danse. Je passais mon
temps à imiter les grands, et je
pouvais aller voir dix fois le
même film de Tahia Carioca ou
de Naïma Akef, juste pour apprendre un pas. A l’âge de
18 ans, mes parents m’ont envoyée faire des études de langues, d’abord en France, puis
en Angleterre. Je me destinais
Leila Haddad réinvente
les danses traditionnelles
d’Afrique du Nord.
86 LE COURRIER DE L’ATLAS
alors à être interprète. En réalité, ma seule passion c’était la
danse, mais je ne pensais pas
que j’allais en faire un métier.
Une fois à Londres, j’ai découvert le théâtre Zulu et les mouvements de l’African National
Congress pour la libération de
Nelson Mandela, auxquels j’ai
adhéré. Un jour, alors que j’assistais aux répétitions, un metteur en scène m’a interpellée et
demandé si je voulais essayer.
Je suis donc montée sur scène
et, dès lors, je n’ai eu qu’une
seule certitude : c’était sur les scène de 20 mètres sur 10, on
planches que je voulais être ! ne peut pas se contenter de resPlus tard, je suis revenue à Paris ter au beau milieu, face au puet j’ai commencé à proposer des blic. Certains ne sont pas d’acspectacles de danse orientale à cord avec moi et me disent que,
des directeurs de théâtre et à sans la proximité du public, on
des festivals, ainsi que des cours ne peut pas faire passer l’émode danse à des écoles. Nous tion. Ce à quoi je réponds : un
étions alors au milieu des an- pianiste qui joue dos à son punées 80 et personne n’ensei- blic ne fait-il pas passer d’émognait l’orientale. Où que j’aille, tions ? Faut-il avoir la hanche
dans le nez du
on me répondait
spectateur pour
unanimement :
apprécie le
“Pas de ça chez
“ON A RETROUVÉ qu’il
spectacle ? Mon tranous !” En réalité,
vail consiste aussi à
je ne saisissais pas DES PEINTURES
e n c o r e l ’ i m a g e RUPESTRES DONT lutter contre bon
nombre de préjuq u ’ i l s m e r e n - LES POSTURES
gés de ce genre, et
voyaient, j’ignorais RAPPELLENT
je pense que seule
tout des préjugés
la scène permettra
qui entouraient CELLES DES
de rehausser cet
cette danse car je DANSEUSES
art, de le hisser au
n’en connaissais ORIENTALES.”
rang qu’il mérite.
qu’une forme noBéjart, que j’aime
ble, celle des artistes des films égyptiens en noir beaucoup, disait que “le XXIe sièet blanc. C’est finalement une cle sera le siècle de la danse”. Et la
artiste américaine qui avait danse orientale ne doit pas être
ouvert une école de danse qui en reste. On oublie souvent
m’a donné ma chance. La nou- qu’elle a inspiré d’autres couveauté ne lui faisait pas peur. rants comme la danse contemporaine, à commencer par sa
C’est ainsi que j’ai débuté.
Vous avez été la première à en- pionnière Isadora Duncan. Et
seigner cette danse en France, que c’est l’une des danses les
mais également la première à la plus anciennes au monde…
produire au théâtre, comment y Il existe différentes versions
quant aux origines de cette danêtes-vous parvenue ?
J’ai toujours estimé qu’entre la se. Quelle est la vôtre ?
danse que l’on peut pratiquer Personne à ce jour ne peut réchez soi ou en famille, et celle pondre avec certitude à cette
que l’on peut voir dans les caba- question. La danse orientale
rets, il en existe une troisième. telle qu’on la connaît auEt la voie royale vers cette danse- jourd’hui est une danse très
là est incontestablement le théâ- métissée, presque hybride, qui
tre. C’est ce que j’ai commencé a subi énormément d’influenà faire, en tentant de la moder- ces. On peut en avoir une idée
niser par un travail à la fois de en suivant le parcours des
chorégraphie et d’espace. Car Tziganes qui sont venus du
lorsque l’on évolue sur une Rajasthan et ont suivi la route
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
DR
“La danse du ventre” : cette expression péjorative empreinte de clichés est
souvent utilisée à tort pour désigner la danse orientale. Pour Leila Haddad,
danseuse et chorégraphe, ce lieu commun a la vie dure. Interview.
culture
A travers ses
chorégraphies,
l’artiste a
redonné à la
danse orientale
ses lettres
de noblesse.
de la soie avant de s’installer un
peu partout, notamment dans le
monde arabo-berbère. Mais si
on ne peut pas situer géographiquement son lieu de naissance,
on sait où elle s’est développée
et où elle s’est épanouie : en
Egypte. Cette Egypte elle-même
empreinte d’influences ottomanes et traversée par un Nil qui
puise sa source très loin au
cœur de l’Afrique noire. C’est
dire si les influences sont multiples. Quant à la dater, cela me
semble impossible. Ce qui est
sûr, c’est qu’elle est plusieurs
fois millénaire et, contrairement
à ce que l’on croit, bien antérieure à l’ère pharaonique.
D’après mes recherches, elle a
des origines sacrées puisqu’elle
participait de rituels dédiés à
des divinités. Mais le fait est que
l’on a retrouvé des personnages
de peintures rupestres, dont les
postures rappellent fortement
celles de nos danseuses orientales, dans des grottes au Zimbabwe comme en Inde…
Vous évoquiez les préjugés dont
souffre encore cette danse.
Pourquoi, à votre avis, confondon encore aujourd’hui “danse
du ventre” et danse orientale ?
En réalité, on ne confond pas :
A voir, à lire
Spectacles
Leila Haddad
sur scène
Crédits photo
• Zikrayat, le 27 avril à
Saint-Sébastien-sur-Loire (44).
• Sur les traces des Ghawazee,
le 11 mai à Istres (13) et
le 12 mai à Grasse (06).
Toutes les informations sur :
www.leilahaddad.com
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DVD Cours de danse orientale
La danseuse et chorégraphe
Ottilie édite un DVD didactique
pour apprendre les bases de la
danse orientale. Une heure trente de cours, découpée en 19 séquences, versions française et
anglaise – 28,97 €.
REVUE Passion Orientale.
Une revue trisannuelle créée en
octobre 2005 par des passionnés – 7,50 €.
LIVRE La Danse du ventre
Ce premier roman de Laurence
Pythoud raconte les émois d’une
femme à la découverte de la
danse orientale.
Ed. Le Grand Souffle – 11,80 €.
LE COURRIER DE L’ATLAS 87
culture
mes, ne sachant pas comment
appeler cette danse à leurs yeux
choquante, l’ont appelée “la
danse du ventre”. C’est un terme étranger à la culture de la
danse elle-même. En arabe, on
dit bien “raqs charqi” (danse
orientale), il n’a jamais été question de “raqs el badan” (danse
du ventre).
Autre préjugé : c’est une danse
féminine et sensuelle, donc pas
faite pour les hommes…
Totalement faux ! Le mouvement n’est ni féminin ni masculin. D’ailleurs, dans les fêtes,
hommes et femmes dansent.
Mais si on a cette image de LA
Où danser ?
Karine Ghalmi,
une touche contemporaine
Elle danse depuis si longtemps qu’elle en a oublié
la date exacte de ses premiers déhanchements.
C’était il y a une vingtaine d’années. Après une
formation en danse classique et modern jazz,
cette Mancelle d’origine se consacre corps et âme
à la danse contemporaine, au Centre de développement chorégraphique de Toulouse. A 19 ans,
elle découvre la danse orientale égyptienne lors
d’un stage à Rennes. “Une véritable révélation”,
se souvient-elle. Puis c’est la rencontre avec la
danseuse Leila Haddad, à Paris. Son assistante,
Caroline Achouri, l’introduit alors dans sa propre
compagnie, Al-Raqs. “L’occasion pour moi d’améliorer ma technique et d’affiner ma gestuelle.”
88 LE COURRIER DE L’ATLAS
danseuse orientale, c’est peutêtre parce que cette danse a
aussi beaucoup évolué dans
des cabarets, avec donc un public essentiellement masculin.
Quoi qu’il en soit, les hommes
ont toujours dansé. Et si la sensualité fait partie de la danse
orientale, elle n’en est pas la
composante principale. La danse, pour moi, doit être à la fois
sensuelle, intellectuelle, émotionnelle et spirituelle. C’est ce
savant dosage qui fait la danse
orientale, cet art d’un immense
raffinement.
Propos recueillis par
Yasrine Mouaatarif
Pour se rapprocher de son art, elle se forme au
Caire auprès de l’artiste égyptienne Freiz et de
Diana, une professeure franco-algérienne. Elle
renoue alors avec sa culture arabe qui lui vient
de son père, originaire de Maghnia, en Algérie.
De spectacles en créations, la danseuse prend son
envol et propose au public ses chorégraphies solo.
Sur scène, une danse de Karine Ghalmi s’apparente à un subtil et sensuel mariage entre danses
orientale et contemporaine. Une fusion détonante à laquelle elle ajoute “une bonne dose
d’improvisation”. Ses sources d’inspiration, Karine les trouve dans les danses du monde, au gré
de ses voyages, de la danse kabelya du Rajasthan
aux pas tziganes d’Europe de l’Est. Une réappropriation de la danse orientale que l’on retrouve
dans le choix de ses musiciens, comme lorsqu’elle ose le duo Zigzag avec le contrebassiste PierreJean Trouette. Par là même, la danseuse atypique
révèle sa propre définition de la danse orientale :
“Elégante, aux multiples facettes, loin des a
priori de danses de cabarets glauques et de femmes aguicheuses qui lui ont longtemps collé à la
peau.” Installée à Marseille depuis 2005, la
chorégraphe-interprète enseigne son art dans
différents coins de la ville, tout en continuant ses
représentations, dont la dernière, El Cabaret Oriental. Mais, pour l’heure, Karine Ghalmi doit mettre
entre parenthèses sa vie d’artiste : la jeune femme
attend un heureux événement, avant un retour sur
scène “dès cet automne !”, nous promet-elle.
Myriam Blal
www.karineghalmi.com
Evénements
2e Festival de danse orientale
La danseuse Leïla et l’association
Nasma proposent la 2e édition
de leur grand Festival de danse
orientale à Paris, le 19 mai.
Infoline : 06 14 04 72 03
Awadi : hommage aux danses
d’Egypte
Un spectacle interprété par la danseuse et chorégraphe Alexia Martin et
sa partenaire Jazia
Hamidi, accompagnées par quatre
musiciens. Les dimanches 29 avril, 27
mai et 24 juin 2007 à Paris.
www.awadi.fr
“Corps et Métaphores”,
de Douchka Derouin
Elle a été petit rat de l’Opéra d’Alger avant de
venir s’installer dans le Nord-Pas-de-Calais où elle
a créé une association de danse orientale il y a
tout juste un an. “DES danses orientales”, corriget-elle. Car Douchka met un point d’honneur à
enseigner et à transmettre les différentes danses
des quatre coins du Maghreb, avec chacune son
énergie, son mouvement et son identité propre.
Petit tour d’horizon des différents styles :“La
danse algéroise a des airs précieux. La femme est
une colombe qui glisse plus qu’elle ne bouge. La
chaouie est tout aussi élégante, mais elle permet
des figures plus libres. Dans la danse kabyle, il y
a de la tonicité, les femmes s’affirment dans le
mouvement.
C’est aussi la plus ancienne des danses. L’oranaise est à l’image de sa musique, lascive et teintée d’Andalousie. Le chaâbi marocain est énergique, on y sent l’influence de l’Afrique
subsaharienne et de la tradition des gnawas, alors
que la tunisienne bouge au son de la cornemuse
et se réfère à la tradition bédouine. Et pour finir,
l’égyptienne : le péplum, celle qui fait rêver. C’est
également celle que les femmes occidentales
appréhendent le plus facilement même si je
tente de leur faire découvrir toute la diversité des
danses de chez nous.”
Y. M.
Corps et Métaphores ,
15, Place du Général-De-Gaulle, Saint-André (59).
Tél. : 03 20 78 73 42.
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
Emilie Cayre
il n’y a qu’une seule et même
danse. C’est le nom qui n’est
pas approprié. Quand Bonaparte a mené sa fameuse campagne d’Egypte, il y a envoyé ses
savants, ses intellectuels et ses
militaires. L’Europe était alors
extrêmement puritaine, et la
danse était particulièrement
mal perçue. Il ne faut pas
oublier que même les danseuses d’Opéra étaient considérées
comme des demi-mondaines.
Alors, forcément, en découvrant
la beauté de ses femmes, en les
voyant onduler, dansant aussi
bien dans les rues et les fêtes
que dans les bordels, ces hom-
exposition
Désirs d’Orient,
de Delacroix à Dufy
Sources d’inspiration, sujets
d’observation, les pays du Maghreb
se révèlent dans leur diversité.
Dans son hommage rendu au peintre
Sébastien, le Musée des Beaux-Arts
de Bordeaux nous fait revisiter
un Orient abondamment fantasmé.
M.B.A. de Bordeaux/Lysiane Gauthier
A
utour du “Maroc de Sébastien”, la production d’artistes majeurs de
la mi-XIXe à la première moitié du XXe siècle laisse entrevoir une
perception évolutive de ces contrées lointaines et méconnues. Bataillons
ennemis guerroyants, chasses aux lions, esclaves prisonnières offertes à
l’émir… Adrien Dauzats, Pierre-Nolasque Bergeret, Antoine-Louis Barye et
leur incontestable chef de file, Eugène Delacroix, déclinent toutes ces thématiques fortement représentatives de l’ère romantique. A travers une
peinture travaillée, ils expriment les grandes recherches qui caractérisent
leur art : les sentiments tragiques de la vie,
sa violence, mais aussi sa richesse et sa lyrique plénitude.
Alors que l’on s’achemine vers la fin du LA DÉCOUVERTE
XIXe siècle, les couleurs s’estompent, le trait D’UN MONDE
se fait moins dense. L’apogée de l’inspiration NOUVEAU
orientale se fait alors sous l’impulsion de
DE LUMIÈRE
noms, pour ne citer que ceux-là, tels que
Jean-Désiré Bascoulès, un inconditionnel des ET DE COULEURS
scènes du port d’Alger, Henri Clamens, auteur CONSTITUE
de nombreuses productions autour de Fez LA SOURCE
(Souk à Fez, Vue de Fez) Jean Launois, moins DE L’ÉVOLUTION
tenté par les paysages que par les spectacles
humains où l’on voit se croiser tous les âges ARTISTIQUE
DE SÉBASTIEN.
et toutes les conditions.
Autre séquence de l’exposition, côtoyant
huiles, aquarelles, gouaches et encres de
Chine, une très belle collection de lithographies d’Eugène Guérard sur le thème de la vie au sérail éditées par la célèbre maison d’éditions bordelaise Goupil, ainsi qu’une série de photographies de femmes dardant toutes un fier regard, réalisées durant la seconde
moitié du XIXe siècle.
Les œuvres de Sébastien et de Raoul Dufy (début du XXe siècle) marquent
la fin de cette incursion dans les pays du Maghreb que l’on devine moins
exubérants qu’au siècle précédent. L’exaltation du départ fait place à l’apaisement (La Marocaine de Dufy) et à un trait plus dépouillé (Le barbier de
Sébastien), très représentatif de la série de personnages à l’esprit naïf dessinés par Sébastien.
Apprivoisé, l’Orient du XXe siècle s’est débarrassé de ses clichés au risque
de perdre toute sa suavité.
Annie Lebot
Désirs d’Orients au Musée des Beaux-Arts de Bordeaux jusqu’au 28 mai.
Ouvert tous les jours de 11 heures à 18 heures sauf mardi et jours fériés.
Musée des Beaux-Arts, 20, cours d’Albret, Bordeaux. Tél. : 05 56 10 20 56
5 euros, tarif réduit 2,50 euros
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
“Le café arabe”,
par Sébastien (1931).
“Le marchand de pois chiches”,
par Sébastien (1931).
Toute une ville
L’univers de Sébastien, de
son vrai nom Gabriel
Simonet (1909-1990), qui
mêle peinture, céramiques
et dessins, est scindé entre
un avant et un après-Maroc,
pays qu’il visita entre 1930
et 1931, et qui inspira
fortement son œuvre. C’est
à partir de ce séjour nordafricain que son style se
dépouillera à l’extrême.
Initiée à l’occasion du don
des œuvres de Sébastien par
sa compagne, cette
exposition est l’occasion
pour le Musée des BeauxArts de Bordeaux
de dévoiler la richesse des
collections bordelaises. Elle
a été organisée avec le
concours du Musée des arts
décoratifs, le musée
d’Aquitaine, le musée
Goupil, la bibliothèque
municipale et les archives
municipales.
LE COURRIER DE L’ATLAS 89
cinéma
Le petit Samy Seghir dans le
rôle de Messaoud, dit Michou
d’Auber (Aubervilliers).
La guerre d’Algérie en scène et à l’écran
D
ernier long-métrage en date :
Michou d’Auber, de Thomas Gilou, dans les salles depuis le 28 février. Inspiré de l’histoire de Messaoud Hattou, coauteur du scénario,
qui à 9 ans, a été confié par son
père à l’Assistance publique. La distribution réunit Nathalie Baye et
Gérard Depardieu, Gisèle et Georges, dans le rôle de la famille d’accueil qui vit dans le Berry. L’omniprésence du contexte politique, avec
les discours télévisés du général de
Gaulle vénéré par Georges ou les
actions de l’OAS, évite au film de
tomber dans le piège de la bonne
conscience. Même si la conversion
de Georges à un idéal du “On est
tous égaux” semble un peu
miraculeuse.
Au théâtre, ce n’est pas un hasard
si Bernard-Marie Koltès entre
aujourd’hui au répertoire de la Comédie française avec Le retour au
90 LE COURRIER DE L’ATLAS
désert (1988) qui, même s’il s’en est
toujours défendu, est son texte le
plus politique. Une sœur de retour
d’Algérie avec ses deux enfants
s’installe dans sa maison, héritage
paternel, occupée par son frère. Le
lieu : une ville bourgeoise de province, la ville natale de l’auteur,
Metz. Koltès y était élève au collège
Saint-Clément, dans le quartier arabe de la ville, lorsque l’OAS y dynamita les bistrots. Ce contexte historique affleure sous les mots, mais le
jeu des acteurs dessert la langue de
Koltès et le propos politique s’en
trouve appauvri. Pourquoi le rôle
d’Aziz n’est-il pas tenu par un Maghrébin, malgré les recommandations formelles de l’auteur ? Les ratés de la mise en scène ne feront
donc pas un événement de cette
entrée à la Comédie française de
l’un des plus grands dramaturges
français contemporains.
Les productions autour de la guerre
d’Algérie ne sont pas nouvelles. “Il
y eut plusieurs films tournés pendant la guerre, mais la censure interdisait les allusions directes à celle-ci” , explique l’historienne
Raphaëlle Branche, maître de conférence à l’université Paris-I et auteure
d’un ouvrage sur la guerre d’Algérie
au cinéma. “Il y était donc question
plutôt du départ des soldats, puis de
leur retour d’Algérie. Mais de la torture, certainement pas.”
Dans les années 1970, les films sont
plus ambitieux et la censure plus
discrète. C’est en 1977 que Laurent
Heynemann porte à l’écran La question, d’Henri Alleg. Ce même texte
est aujourd’hui repris au théâtre de
Chaillot. La mise en scène s’attache
à transmettre ce témoignage décrivant l’engrenage de la torture. Un
thème difficile qui sera également
le sujet du prochain film de Florent
Emilio Siri, L’ennemi intime, dont la
sortie est prévue en septembre
prochain.
Cinéma et théâtre, en puisant dans
les témoignages d’époque, s’appliquent ainsi à mettre en lumière des
faits méconnus. C’est le cas de La
trahison, de Philippe Faucon, sorti
au cinéma en 2006. Ce film, tiré du
livre du journaliste Claude Sales, raconte comment quatre appelés de
“souche nord-africaine” se préparent à attaquer leur régiment. Mais
le film parle en arrière-plan, et c’est
une nouveauté, des déplacements
de population paysanne algérienne.
Il a été entièrement tourné en Algérie pour plus de réalisme, tout comme certaines scènes de Mon colonel
de Laurent Herbiet, également sorti
l’année dernière sur grand écran.
Autre point commun, Mon colonel
a été lui aussi adapté d’un roman.
L’histoire commence avec la mort
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
DR
Depuis quelques mois, films et pièces de théâtre autour de la guerre
d’Algérie se multiplient. Un regard souvent neuf et sans concessions
sur un sujet jugé jusque-là délicat. Petite rétrospective.
cinéma
Relecture des événements
Si les productions cinématographiques françaises des années 1980 à
1990 ont permis une réelle prise de
conscience d’une histoire tragique,
l’année 1999 marque un tournant
politique notoire, avec la reconnaissance par l’Etat français des événements d’Algérie comme une véritable guerre. Mais ces deux dernières
années, les films sur le sujet se
multiplient. Entre 2006 et 2007, on
dénombre au moins trois films par
an contre un au début des années
1990.
Pourquoi un tel intérêt, et pourquoi
maintenant ? “C’est le temps qu’il
a fallu pour fabriquer des films dont
l’idée a surgi quand le sujet a refait
surface entre 2000 et 2003”, explique Raphaëlle Branche. On assiste
donc aujourd’hui à une relecture de
certains épisodes de la guerre. Les
points de vue sont plus divers et
mettent en scène des regards nouveaux, ceux d’enfants, de combattants d’ici ou de là-bas… On revient
sur des sujets difficiles, y compris la
torture. Mais d’autres épisodes de
l’histoire coloniale restent méconnus. En s’inspirant de faits historiques qui se déroulent durant la Seconde Guerre mondiale, Indigènes,
de Rachid Bouchareb, fait ainsi exception.
DR
Séverine Renaud
Le Retour du désert, une pièce
de Bernard-Marie Koltès,
mise en scène par Muriel Mayette.
Jusqu’au 9 juin 2007
à la Comédie française,
2, rue de Richelieu, Paris 1er
Infoline :
0825 10 1680 (0,15 TTC la minute)
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
“Morituri” d’Okacha Touita
Adapté du roman éponyme de Yasmina Khadra, ce film est une intrigue policière haletante sur
fond de guerre civile algérienne. Voici l’histoire de Brahim Llob (interprété par Miloud Khetib)
– commissaire quinquagénaire et écrivain à ses heures – qui, à force de traquer les islamistes
en est devenu la cible. Son supérieur le charge de retrouver la fille d’un ancien potentat du régime, mystérieusement disparue. Le commissaire Llob va mener l’enquête avec ses adjoints,
les lieutenants Lino (Azzedine Bouraghda) et Serdj (Rachid Fares), avant de s’apercevoir qu’il
avance en terrain miné, entre groupuscules terroristes et mafia politico-financière… Un film
noir qui nous replonge dans des années tout aussi noires, sur une bande originale signée Rachid Taha.
Y.M.
Morituri, par Okacha Touita, avec Miloud Khetib, Azzedine Bouraghda, Boualem Benani, Ahmed Benaissa, Rachid
Fares, Malika Belbey, Sid Ali Kouiret et Sid Ahmed Agoumi. Sortie au cinéma en France le 27 avril www.morituri-lefilm.com
Le “court” marocain à Pantin
MARSAVRIL
Pour sa seizième édition, le festival du film court “Côté court” donne carte blanche à la nouvelle cinémathèque de Tanger et propose pour l’occasion une grande rétrospective du court-métrage marocain, de 1995 à nos jours. Une dizaine de programmes et de tables rondes sont prévues et trentequatre films seront projetés, parmi lesquels les œuvres des réalisateurs Yasmine Kassari, Laïla
Marrakchi, Mounir Fatmi, Leïla Kilani, Faouzi Bensaïdi, Mohamed El Baz ou encore Narjiss Nejjar.
Festival “Côté Court”, jusqu’au 6 avril, Ciné 104, 104, avenue Jean-Lolive, 93500 Pantin, Tél. : 01 48 91 24 91
www.cotecourt.org
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du colonel Raoul Duplan à Paris et
l’envoi d’un mot mystérieux aux enquêteurs renvoyant au trouble passé algérien du colonel. Et le jeune
coproducteur du film, Salem Brahimi, s’est dans la foulée lancé dans
la production d’un autre long métrage sur les événements : Les cartouches gauloises, de Mehdi Charef,
qui raconte les trois derniers mois
avant l’indépendance vus à travers
les yeux du petit Ali, 10 ans, marchand de journaux à Alger. Sortie
annoncée pour le 29 juin 2007.
LES DVD DU MOIS
“Indigènes”
Le film de Rachid Bouchareb n’a pas remporté la statuette du meilleur film étranger
aux Oscars, mais il est enfin en DVD. On y découvre quatre héros oubliés de l’histoire,
interprétés par Jamel Debbouze, Sami Bouajila, Samy Naceri, et Roschdy Zem. Des
“indigènes” qui vont s’engager dans l’armée française afin de libérer la mère patrie
de l’ennemi nazi… Un beau film.
Indigènes, de Rachid Bouchareb, sortie le 5 avril dans un coffret collector
“Fatma”
Ce film, inspiré d’une histoire vraie, raconte les tourments de Fatma, une jeune
sfaxienne victime d’un viol, qui décide de se faire recoudre l’hymen pour épouser
l’homme qu’elle aime. Un film poignant, œuvre du réalisateur tunisien Khaled Ghorbal,
sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes à sa sortie en 2001. En bonus du
DVD : une interview de Khaled Ghorbal et un de ses courts-métrages : El Mokhtar.
Fatma, de Khaled Ghorbal, sortie le 12 avril
“L’immeuble Yacoubian”
Tiré du best-seller éponyme de l’Egyptien Alaa Al Aswany, le film raconte l’histoire d’un
immeuble bourgeois décrépi du Caire, et des familles qui y vivent sans se côtoyer, entre
nobles déchus et paysans exilés. En toile de fond se déroule l’histoire de l’Egypte de ces
cinquante dernières années, depuis la fin du règne du roi Farouk jusqu’à l’arrivée des
Frères musulmans. Un casting servi par les stars égyptiennes Adel Imam, Yousra et Nour
El Chérif, et par la jeune Tunisienne Hind Sabri.
L’immeuble Yacoubian, de Marwan Hamed, sortie le 17 avril
LE COURRIER DE L’ATLAS 91
musique
Souad Massi :
balle au centre
C’est en studio, au dernier jour
du mixage de son album live
acoustique – à sortir en septembre
2007 – que Souad Massi répond
à nos questions. Dynamisée
par une tournée marathon qui
s’achèvera en juin prochain, elle
nous raconte son actualité musicale
et, plus étonnant, sa passion
pour le football. Interview.
ourquoi avoir opté pour
un live acoustique ?
Au départ, je penchais pour un live
classique, mais le résultat des
concerts acoustiques que nous
avons donnés en janvier-février m’a
tellement plu que ce choix s’est imposé comme une évidence. La formation est composée de deux guitares, un percussionniste et un luth.
Leur interprétation m’a apporté
beaucoup et m’a reposée dans la
dernière ligne droite de notre tournée qui dure depuis plus de deux
ans. Le CD-DVD comprendra des titres enregistrés lors d’une dizaine
de concerts. On y retrouvera des
chansons de mes trois albums.
Tu as dû vivre énormément
de moments forts pendant
cette tournée...
Oui, notamment mon retour en Algérie en avril 2006. J’ai renoué avec
un public qui me réclamait depuis
de nombreuses années. J’ai été très
bien reçue. Là-bas, le public est dif-
92 LE COURRIER DE L’ATLAS
férent, il comprend mes paroles,
elles leur parlent, certains ont vécu
les mêmes épreuves que moi. J’ai
hâte de retourner y jouer. Je me
souviendrai également toujours du
Soudan. Le pouvoir a voulu annuler
le concert. Qu’une femme donne un
spectacle ne plaisait pas à certains
ministres. Avec des écrivains, des
journalistes soudanais et le soutien
du Centre culturel français, on a dû
batailler pour jouer. Et même pendant le concert, des miliciens islamistes veillaient à ce que les spectateurs, et surtout les femmes,
n’expriment pas trop librement leur
joie, ne dansent pas, ne crient pas.
Finalement, le public a fini par bouger et ça a été un moment magique.
Quels sont tes projets au terme
de ta tournée ?
En fait, après mon dernier concert
en juin prochain, je compte faire un
break d’un an pour me ressourcer.
Je voyagerai sans doute un peu,
j’irai passer du temps en Algérie.
Rien n’est encore prévu pour mon
quatrième album. Je ne reprendrai
la guitare que si je sens l’inspiration
venir. L’unique chose que j’ai vraiment programmée, c’est de prendre
une licence en 2007 dans le club de
foot de Drancy. J’adore jouer au
foot, c’est agréable, ça permet
d’avoir la forme. Ça me fait beaucoup de bien.
A quand remonte cette passion ?
Quand j’étais enfant, j’étais un peu
garçon manqué, et je jouais au foot
avec mon frère. On jouait surtout
dans la rue avec des bouts de chiffons, même pas avec un vrai ballon.
Je n’étais pas au niveau des garçons,
donc je gardais les buts. Contrairement aux clichés que l’on colporte
sur l’Algérie, jamais on ne m’a dit de
ne pas jouer au nom de la religion.
Les gens s’en foutaient. En revanche,
quand j’allais à mes cours de guitare,
là, je me faisais insulter. C’était mal
vu par certains.
As-tu des souvenirs de la victoire
des Fennecs sur l’Allemagne
à la Coupe du monde 1982 ?
J’avais 10 ans et je me rappelle encore du cri du commentateur quand
Madjer a marqué. Ça va me rester à
vie. J’ai pensé qu’il allait avoir un
arrêt cardiaque tellement il était
heureux. C’était un exploit, mais
surtout le jeu était beau. Ce côté
artistique des joueurs, aujourd’hui,
ça me manque. D’ailleurs, je vais
rarement au stade à cause de cela.
Tu suis quand même
le championnat algérien ?
Non. Je n’aime plus le football de
club algérien. Je suis très déçue du
niveau des joueurs, alors que dans
les années 80, ils étaient vraiment
au summum. C’est pareil pour
l’équipe d’Algérie. Pourtant, il
existe un vrai potentiel, il y a vraiment de très bons jeunes, mais il
faudrait les prendre en charge dès
leur plus jeune âge pour qu’ils
soient mieux encadrés. Les jeunes
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
DR
P
musique
Si Zebda m’était conté…
qui jouent, c’est l’âme de l’Algérie.
Il n’est pas normal que notre niveau soit aussi bas.
En tant qu’Algérienne,
quel regard portes-tu sur Zidane ?
En fait, son coup de tête en finale
de la Coupe du monde m’a beaucoup contrariée. Pour moi Zidane,
avec Pelé, c’est LE dieu du foot.
Mais en même temps, je le comprends. Personnellement, si quelqu’un insulte ma mère, je suis capable de le frapper. Je sais que cela
peut choquer, mais pour moi, on
doit défendre son honneur.
D’ailleurs, j’éprouve toujours un très
grand respect pour Zidane. J’aime
son attitude. Lui n’insulte jamais
personne sur le terrain. Sa réussite
donne une très bonne image du
Maghreb et je pense que ça peut
même faire évoluer des personnes
racistes. L’image qu’il dégage est
plus forte que tous les discours.
Zidane dit tout par son jeu.
DR
Il pourrait aussi s’engager
politiquement…
Je ne crois pas. Il n’est pas préparé
pour tenir un discours politique.
C’est souvent si mal interprété. En
revanche, je sais qu’il aide beaucoup
d’associations en Algérie. Et il n’a
pas attendu son voyage médiatisé
en décembre pour cela. D’ailleurs, à
mon niveau, j’ai aussi envie d’aider
les jeunes en Algérie. Et ça passera
sans doute par le sport.
Propos recueillis
par Thomas Goubin
Le 17 avril à Vénissieux au théâtre,
8, boulevard Laurent Guerin,
69200 Vénissieux.
Tél. : 04 72 90 86 68
Le 27 avril à Strasbourg,
parc des expos Wacken,
avenue Schutzenberger, 67000
Strasbourg. Tél. : 03 88 37 67 67
www.souadmassi.artistes.
universalmusic.fr
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
Zebda (le beurre en arabe), c’est près de vingt ans de ragga joyeux et
de dub furieusement engagé, avec deux Victoires de la musique et un prix
de l’Académie Charles Cros au compteur, et des tubes inoubliables comme
Le bruit et l’odeur, Motivés, Oulalaradim ou encore Tomber la chemise.
Depuis, les sept Toulousains se sont séparés. Les frères Mouss et Hakim
cartonnent depuis deux ans avec leur album Mouss et Hakim ou le contraire,
et Magyd Cherfi sort ce mois-ci son album solo, Pas en vivant avec son
chien. Quant au guitariste Pascal Cabero, il vient de publier un livre racontant
les backstages de Zebda, depuis la naissance du groupe en 1982 jusqu’à
sa dissolution. Des amis, des succès, mais également pas mal d’emmerdes...
Zebda : Tomber la Chemise. Label Danger Public, 14,50 €
Mouss et Hakim : Mouss et Hakim ou le contraire. Album. Label Atmosphériques, 2005, 9,99 €
Magyd Cherfi : Pas en vivant avec son chien. Album, sortie le 10 avril
Pascal Cabero : Tomber la chemise. Livre. Ed. Danger public, 14,50 €
DANS LES BACS
Gnawa Home Songs
S’il ne fallait garder qu’une compilation de musiques gnawas, ce serait sûrement celle-ci. Aux manettes, on retrouve la fine équipe du festival de musiques
gnawas d’Essaouira, à savoir Emmanuelle Honorin, Karim Ziad et Loy Ehrlich.
Ensemble, ils nous ont réuni la crème des mâalems, les maîtres gnawis, des
quatre coins du Maroc, avec Abdelkader Merchane, Hamid El Kasri, Abdelkebir Amlil, Hassan Boussou et son père Hmida Boussou qui nous a quittés en
février dernier...
Gnawa Home Songs. CD album, 22,26 €
L’Algérino
“Mentalité Pirate”
Le rappeur revient dans les bacs avec son deuxième opus : Mentalité Pirate.
Dans la continuité du précédent, cet album est toujours aussi conscient et
engagé. Mais pas seulement. On y découvre des titres concepts, où l’Algérino
Jack Sparow (en référence au film Les Pirates des Caraïbes) s’essaie à de
nouveaux délires. Le rap de ce beau Marseillais aux yeux bleus fait mouche.
Mentalité Pirate. CD album, 12,85 €
Karima Skalli
“Wasla”
En musique, la wasla est une suite de pièces vocales et instrumentales composées ou improvisées dans le même mode dit “maqâm”. Mais le mot signifie
également “ce qui relie”. Cet album est ainsi une magistrale “wasla” entre
trois artistes de talent : la chanteuse marocaine Karima Skalli, le compositeur
tunisien Lotfi Bouchnak et son compatriote le poète Adam Fethi, qui nous livrent
ici un pur moment de musique arabe classique comme il ne s’en fait plus.
Wasla, CD. Harmonia Mundi. Produit par l’Institut du monde arabe. 17 €
No Blues
“Ya Dunya”
Un album entre deux mondes, estampillé 100 % pur arabicana, cette musique
métissée de blues et d’Orient. Une musique tantôt lascive, tantôt festive,
mêlant sans complexe la guitare d’Ad Van Meurs et la contrebasse d’AnneMaarten Van Heuvelen aux oud et vocalises de Haytham Safia, et y invitant
parfois d’autres sonorités nomades, des Balkans au Golfe persique en passant
par les rives du Jourdain.
No Blues : Ya Dunya. Label Rounder Europ, 16,84 €
LE COURRIER DE L’ATLAS 93
livres
Faïza Guène
un truc de “ouf”
On connaissait
“Kiffe Kiffe
demain”, son
premier roman
vendu à 200 000
exemplaires.
Avec “Du rêve
pour les oufs”,
la plume de
Faïza gagne en
maturité. Zoom
sur cette jeune
romancière à la
prose décapante
et sur son
dernier roman.
A
Ivry, les filles sont des “bouguettes”, les “keufs”
sont “relous”, les “crevards s’engrainent”, l’injustice c’est “cheum”. Et pour le rêve ? Inchallah. Son
quotidien, c’est dans un mélange de verlan, d’arabe et
de proverbes africains que nous dépeint Ahlème (qui
signifie “les rêves” en arabe), l’héroïne du dernier roman de la jeune Faïza Guène. Dans Du rêve pour les
oufs, Faïza nous raconte l’histoire de cette jeune femme
de 24 ans qui vit dans une cité à Ivry avec son père et
son petit frère. Sa mère a été assassinée en Algérie.
Elle-même est arrivée en France à l’âge de 11 ans. Pas
facile pour elle de s’occuper de son père – qu’elle appelle “le patron” et qui a perdu la boule dans un accident de chantier – et de son “chétane” de frère qui
tourne mal. Entre une mission d’intérim de comptage
de clous chez Leroy Merlin et un poste de vendeuse
dans un magasin de chaussures, ses rendez-vous
amoureux foireux et ses heures d’attentes pour obtenir
une carte de séjour à la préfecture, Ahlème tente tant
bien que mal de joindre les deux bouts. Et c’est avec
humour et cynisme qu’elle continue de se battre pour
faire exister ses rêves.
“Les gens qui remplissent leur frigidaire en faisant ce
qu’ils aiment ont bien de la chance. Si c’était mon cas,
je rendrais grâce au bon Dieu bien plus de cinq fois par
jour, ça mériterait au moins ça.” Derrière les mots, parfois violents, il y a cette parade : un humour acide et
poétique qui épargne le récit de tout misérabilisme.
Faïza Guène a réussi un pari délicat : mettre la “lexicologie” des cités au service d’une prise de conscience. La
discrimination et la délinquance menacent chaque jour
les immigrés qui doivent se battre deux fois plus que
les autres. Et au-delà de son jargon bien particulier, résonne une double dimension… “J’ai la conviction que
le changement passera par les femmes”, affirme la
jeune romancière. Et sa dernière héroïne, Ahlème, incarne à la perfection cette volonté. Elle est à la fois la
mère qui éduque un adolescent et protège un père sénile, la jeune femme ; celle qui aspire à l’amour et se
berce d’illusions, la confidente et le chef de famille,
celle qui ramène de l’argent et qui prend des décisions.
Et malgré l’importance accordée à la féminité, aucun
féminisme n’affleure dans sa représentation.
Aux côtés d’Ahlème, on rit, on sursaute, on s’indigne,
mais jamais on ne compatit. Une leçon de vie que l’on
partage, à la force des mots.
Romy Ducoulombier
“Du rêve pour les oufs”, Hachette Littératures, 211 p., 16 €.
VIENNENT DE PARAÎTRE
“Lettre ouverte à un fils d’immigré”
“Initiation au tachelhit”,
langue berbère du sud du Maroc
“S’il y en a que cela gêne de vivre en France, qu’ils ne
se gênent pas pour quitter un pays qu’ils n’aiment pas.”
Lorsqu’il entend cette phrase de Nicolas Sarkozy, Nadir
Dendoune, délinquant repenti devenu journaliste, est
d’abord sidéré. Jusqu’à présent, il avait plutôt l’impression
que c’était la France qui ne l’aimait pas. Il décide de
répondre sous forme d’une lettre ouverte pour raconter
une réalité des quartiers sensibles bien différente de
celle décrite par le candidat ministre.
Do you speak tachelhit ? Si ce n’est pas le cas, voici
un moyen à la fois ludique et instructif de se mettre
au berbère du Sud-Ouest marocain grâce à ce manuel
d’apprentissage accompagné d’un CD audio. A l’origine de cet outil pédagogique interactif : Abdallah El
Mountassir, qui a longtemps enseigné cette langue ancestrale, notamment
à l’Alliance franco-marocaine d’Agadir et à l’Institut nationale des langues
et civilisations orientales de Paris.
Nadir Dendoune, “Lettre ouverte à un fils d’immigré”. Ed. Danger Public, 14,50 €
Abdallah El Mountassir, “Initiation au tachelhit”. Ed. Langues Mondes L’Asiathèque, 30 €
“La Kahina”
“Ma boîte noire”
Près d’un an après sa sortie au Maroc, le dernier roman du journaliste
et dramaturge Driss Ksikes – ex-rédacteur en chef des hebdomadaires
Tel Quel et Nichane – vient d’être publié en France par les éditions Le
grand souffle. Le narrateur – un certain Mokhtar B. – revient au domicile paternel après une fugue qui aura duré
vingt ans. L’occasion pour lui d’explorer sa boîte noire,
d’égrainer ses souvenirs enfouis – entre premiers émois
charnels et pressions familiales – et de renouer avec les
fantômes du passé.
Gisèle Halimi, “la Kahina”, Ed. Plon, 21 €
Driss Ksikes, “Ma boîte noire”, Ed. Le Grand Souffle, 11,80 €
94 LE COURRIER DE L’ATLAS
DR
Avocate, écrivaine et fervente militante des droits des femmes, Gisèle
Halimi a choisi de clore son cycle semi-autobiographique initié par le
Lait de l’oranger, et complété par la Cause des femmes
avec une épopée historique consacrée elle aussi à une
figure féminine. Et quelle figure ! Dans ce roman passionnant et richement documenté, l’auteur retrace
l’épopée de la plus célèbre amazone d’Afrique du
Nord : la Kahina, reine des Aurès, farouche guerrière
et femme passionnée. Un personnage à son image.
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
livres
“L’hiver, le vent, le froid,
et la lumière.”
“Tintin en terres d’ocres.”
“Kairouan : la grande mosquée.”
“Tunisie(s) :
l’autre voyage”
E
scale à Kairouan, arrêt à Tozeur, détour par Tatahouine,
puis halte à Sfax, et découverte de Tamerza, Kerkouane, Chott El Jerid, Sidi Youssef, et des oasis de Nefta, Douz,
ou encore Ksar Ghilane… Dans Tunisies, Voyages en terre
d’ocre, l’invétéré globe-trotter Jean-Christophe Vila nous
propose un journal de bord pas comme les autres, sortant
des sentiers battus pour mieux nous entraîner sur les chemins de traverses, des déserts de sables et de sels aux archipels de Kerkennah en passant par la visite de mosquées centenaires et de vestiges antiques... C’est d’ailleurs sciemment que Jean-Christophe Vila a conjugué la
Tunisie au pluriel. Après avoir traversé le pays à moto, il découvre, rencontre
et interroge, évoquant à chaque détour l’histoire d’Yfrikya, mais aussi tous
ces grands voyageurs et autres écrivains qui l’y ont précédé. Dans cet ouvrage très personnel, ce sont ses propres impressions qu’il nous livre, illustrées
de ses photographies, tantôt images de la vie quotidienne, tantôt prises de
vues poétiques et artistiques. Un carnet de voyage tout en sensibilité – et
non dénué d’humour – préfacé par le journaliste Salvatore Lombardo, loin,
très loin des guides de voyage, brochures touristiques et autres livres de
photographie classiques.
Yasrine Mouaatarif
Jean-Christophe Vila, “Tunisies, voyages en terre d’ocre”. Editions
Transbordeurs, 15 €
“203 dans la nuit sfaxienne.”
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
“Sur la route d’un retour
qui n’en est pas un.”
LE COURRIER DE L’ATLAS 95
culture
AGENDA
J’aime l’Amérique
L’artiste marocain Mounir
Fatmi a dédié cette installation au philosophe de la
déconstruction Jacques
Derrida. Pour les besoins
de cette exposition, il a
travaillé sur le thème du
drapeau américain,
“En terre inconnue”
Dans le cadre des manifestations “Lyon 1800, 1914 :
l’esprit d’un siècle”, le Musée africain de la ville propose une exposition intitulée “En terre inconnue,
regards des missionnaires
sur l’Afrique”. Objets inédits, documents d’époque,
photos, récits personnels et
Jusqu’au 24 juin
FESTIVAL
“Made in Maroc”
Après le Brésil et le Mali, c’est
au tour du Maroc d’être mis à
l’honneur par l’association Zutique. Et pour l’occasion, les Di$)*/.
$5-!23!5*5).
jonnais ont fait les choses en
grand en invitant une centaine
d’artistes venus de tout le royaume et des quatre
coins de l’Hexagone. Au programme des réjouissances : Darga, Aïcha Redouane, Cherifa, Touria Hadrioui,
les rappers Bigg et H Kayne, le maître gnawi Majid
Bekkas, le DJ Zayan Freeman, mais aussi les Gnawa
Diffusion, Dee Nasty, DJ Click et bien d’autres…
Toute la programmation au 03 80 28 80 42 ou sur
www.zutique.com/madein
5NREGARD
SURLESCULTURESMAROCAINES
-53)15%#).³-!6)$³/0(/4/#/.4%!2430,!34)15%3$!.3%
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).&/,).%\WWWZUTIQUECOMMADEIN
construisant puis déconstruisant la bannière étoilée,
la transformant en un
énorme obstacle impossible à surmonter.
Paris 12e, La Maison
rouge
Fondation Antoinede-Galbert
10, boulevard
de la Bastille
Tél. : 01 40 01 08 81
supports multimédias racontent l’itinéraire des anciens missionnaires lyonnais
partis à la découverte du
Continent Mère.
A Lyon, Musée africain
150, cours Gambetta
Tél. : 04 78 61 60 98
Jusqu’au 31 juillet
EXPOSITION
Jeremy Fisher n’est pas un
enfant comme les autres. Il
Jusqu’au 6 avril
JEUNESSE
“Un enfant pas
comme les autres”
est né palmé, et jour après
jour il se transforme en
poisson. Ses parents ont
de plus en plus de mal à le
faire accepter avec sa particularité. Une jolie fable
des temps modernes sur la
différence et la tolérance
écrite par le comédien,
metteur en scène et scénariste Mohamed Rouabhi.
Spectacle pour enfants à
partir de 7 ans. .
Paris 20e, Théâtre
de l’Est Parisien
159, avenue Gambetta
Tél. : 01 43 64 80 80
Le 3 avril
CONCERT
Rabih Abou Khalil
Le jazzman libanais au oud
enchanté est en France le
temps de quelques
concerts. L’occasion de savourer ses arabesques
jazzy et son style très personnel en direct live.
A Bondy (93), salle
André Malraux
23, cours de la République
Tél. : 01 48 47 94 15
Le 3 avril
CONCERT
IAM
Faut-il encore les présenter ? Les grands frères du
rap français signent un
nouvel opus intitulé Saison
5 qui sera dans les bacs
dès le 2 avril et montent le
présenter sur la scène du
Bataclan pour un concert
qui s’annonce d’ores et
déjà phénoménal !
Paris 11e, Le Bataclan
50, boulevard Voltaire
Tél. : 01 43 14 00 30
Les 3 et 4 avril
THEATRE
“Avec toute
l’expression de ma
Kabylie distinguée”
Un jeune homme, Mohamed, cherche à réconcilier
ses deux identités, Moh et
Ahmed, en puisant dans
ses racines et dans ses différentes origines. Une pièce de Moussa Lebkiri mise
en scène par Smaël Benabdelouhab.
Ile-Saint-Denis (93),
Centre Jean-Vilar
3, rue Lénine
Tél. : 01 49 22 11 09
Du 3 avril au 12 mai
ONE-MAN-SHOW
Smaïn
Le doyen de “l’humour
beur” remonte sur scène
avec un nouveau one-manshow. Près de deux heures
de palabres sur le zinc d’un
bistrot pendant lesquelles il
passe tout en revue : du
mariage mixte à la police
en passant par la psychanalyse ou encore le racisme.
Paris 10e, Théatre
du Gymnase
38, boulevard BonneNouvelle
Tél. : 01 47 70 04 27
Et le 27 avril à
Carquefou (44)
Théâtre de La Fleuriaye
Rue Léonard-de-Vinci
Tél. : 02 40 68 72 72
Du 4 au 6 avril
CONCERT
Lo’Jo
Tu connais Lo’Jo ? Ce n’est
pas une question mais le
titre du nouvel album de
ce groupe inclassable, au
style hybride et métissé.
Une musique à la fois euphorisante et complètement baroque, quelque
part entre le bal musette,
la fiesta berbère et la nouba tzigane. A consommer
sans modération.
Paris 10e, La Maroquinerie
23, rue Boyer
Tél. : 01 40 33 35 05
Du 4 au 21 avril
TOURNEE
Chimène Badi
La petite chanteuse qui
monte, qui monte… Après
l’Olympia à Paris, Chimène
Badi entame une tournée
un peu partout en France
pour présenter son dernier
album Le Miroir. Elle sera :
Le 4 avril à la Patinoire
Meriadeck de
Bordeaux, le 5 au
Zénith de Limoges, le
6 au Zénith d’Orléans,
le 11 au Zénith de Lille,
le 12 à l’Elispace de
Beauvais, le 13 avril
au Zénith de Rouen, le
17 au Forest National
de Bruxelles, le 19 au
Zénith de Caen, le 20
au Musikhall de Rennes
et le 21 au Zénith de
Nantes.
Toutes les dates sur :
www.chimenebadi.fr
Du 10 au 14 avril
FESTIVAL
“Alliances Urbaines” à Bagneux
La 10e édition du “Festival des alliances urbaines” de Bagneux se tiendra du 10 au 14 avril. Comme chaque année au
programme, du sport, de la danse, de l’humour et trois dates de concerts. Entre autres têtes d’affiche : Method Man, Sefyu,
Youssoupha, Sofiane et Eklips du Remède et la chanteuse Perle Lama partageront la scène avec les jeunes rappeurs de la
ville. Infoline : 01 42 31 60 50 www.alliances-urbaines.com
96 LE COURRIER DE L’ATLAS
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
DR
Jusqu’au 13 mai
EXPOSITION
culture
Du 4 au 29 avril
TOURNEE
Tinariwen
Les “rockers bleus du désert”
nous reviennent en force avec
un nouvel album, Aman Iman
(l’eau c’est la vie), et une
grande tournée un peu partout en France. Au programme : guitare électrique, vibes
touaregs, blues des sables et
musique nomade qui déménage !
Le 4 avril au Grand Mix de Tourcoing (59), le 6 au
Festival Garorock de Marmande (47), le 7 au Bataclan de Paris (11e), le 8 à L’Autre canal de Nancy
(54), le 9 au Théâtre 145 de Grenoble (38), le 14
au Kao de Lyon (69), à 19 à L’Abordage d’Evreux
(27), le 20 à l’Olympic de Nantes, le 21 au Le Vauban de Brest (29), le 25 au Chabada d’Angers
(49), le 26 au Château Rouge d’Anemasse (74), le
27 au Festival Artefact de Strasbourg (67), le 28
au Victoire 2 de Montpellier (34) et le 29 à El Mediator de Perpignan (66).
Toutes les infos sur www.tinariwen.artistes.
universalmusic.fr
Le 6 avril
CONCERT
Amina
DR
Si la chanteuse tunisienne,
interprète entre autre de la
chanson “C’est le dernier
qui a parlé”, se fait rare
sur scène, chacune de ses
apparitions reste un véritable enchantement.
Saint-Loubes (33),
La Coupole
36, chemin de Nice
Tél. : 05 56 68 67 06
tion organise à Paris un
grand festival en présence
de nombreux artistes de la
scène kabyle tels que Alilou, Iguercha, Mourad
Guerbas, Célina, Nourinas
et le groupe Tighri.
Paris 19e,
Cabaret Sauvage
Parc de la Villette
59, boulevard Mac Donald
Tél. : 01 46 58 29 99
Du 7 au 9 avril
LITTERATURE
Du 7 au 9 avril
FESTIVAL
La chanson kabyle
Salon des littératures
francophones de
Balma
A l’occasion du Printemps
berbère, Akfadou produc-
Le Maghreb est à l’honneur à l’occasion du 8e Sa-
lon des littératures francophones de Balma, près de
Toulouse. Parmi la cinquantaine d’auteurs francophones invités, l’Algérien Boualem Sansal, la
Tunisienne Hélé Béji, le
Mauritanien M’Bareck
Ould Beyrouck et le Marocain Fouad Laroui. L’entrée
est libre.
Mairie de Balma
6, avenue FrançoisMitterrand
Renseignements :
05 61 24 92 74
Du 7 au 14 avril
CONCERT
El Gafla
Chaâbi algérois, jazz manouche ou chanson française… Pourquoi s’embarrasser avec un seul style
musical quand le monde
regorge d’influences diverses et de rythmes variés ?
C’est le constat des membres de El Gafla (en arabe :
la caravane) qui ont, chacun à leur façon, apporté
dans cette musique un petit bout d’ailleurs, qui de
France, qui du Cameroun,
qui de Pologne et qui d’Algérie.
Le 7 avril au Festival
“Pay ta Tong”
à La Ferrière (85)
Infoline : 06 84 30 33 30
7 avril
THEATRE
“Confession
d’un musulman
de mauvaise foi”
Le 7 avril
CONCERT
“100% Tunisie”
C’est la grande “rboukh
party” annuelle ! La
soirée “100 % Tunisie”
organisée au Zénith de
Paris offre cette année
encore une
programmation de folie,
avec Walid Tounsi, Alia
Belaïd, Fatema Bouseha,
Hedi Dounia, Achraf, Ouled Jouini, Hichem Nagati et
Faïza El Mehrezi. Et la soirée sera animée par une star
du petit écran tunisien : le comédien hilarant Sbouai.
Zénith de Paris, 211 avenue Jean-Jaurès, 75019 Paris.
Paris info line : 01 43 46 82 88
Dans l’Algérie des années
1960, Karim tombe éperdument amoureux de Micheline, qui doit le quitter
pour rejoindre la France.
Une pièce écrite, mise en
scène et interprétée par
Slimane Benaïssa, accompagné sur scène par
Damien Bernard, Erwan
Dujardin et Hala Ghosn.
Albertville (73),
Dôme Théâtre
Place de l’Europe
Tél. : 04 79 10 44 88
Le 12 avril
CONCERT
Gnawa Diffusion
Menés par le charismatique Amazigh Kateb, les
Gnawa Diff’ mettent le feu
sur scène ! Le groupe de
gnawis grenoblois et leur
ragga déjanté continuent
la tournée d’anniversaire
de leur dix printemps qui
devrait s’achever cet été.
Rouen, Hangar 23
Quai de Rouen
www.gnawadiffusion.com
Jusqu’au 7 avril
EXPOSITION
“Rétro-Perspective”
L’univers artistique de Zaim
Atid est une grande mosaïque humaine, un grand
puzzle de couleurs et de
sentiments que cet artiste
plasticien – adepte de la
technique du collage –
agence avec beaucoup de
sensibilité, de sens et d’intelligence.
Bordeaux, galerie
Alcheringa
42, rue Bouffard
Tél. : 05 56 52 55 36
Les 13 et 14 avril
CLUBBING
DJ Abdel
Même les étrangers des
dance floors connaissent
ses mix, devenus célèbres
Du 17 au 22 avril
FESTIVAL
“Le printemps de Bourges”
Le rendez-vous de tous les mélomanes et autres amateurs de musiques actuelles fête cette année ses 30 printemps ! Raison
de plus pour venir célébrer les musiques, toutes les musiques, tous genres et toutes générations confondues. De cette programmation monumentale, citons entre autre madame Juliette Gréco, Abdel Malik, Jacques Higelin, Joey Starr, Mano Solo,
Malouma, Gotan Project, Khalid K, Miossec, Rocé, Alki D ou encore Oxmo Puccino & The Jazzbastards.
Tout le programme www.printemps-bourges.com
ET PLEIN DE BONS PLANS SUR LE SITE LECOURRIERDELATLAS.COM DANS LA RUBRIQUE “SORTIES”
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
LE COURRIER DE L’ATLAS 97
culture
Du 1er au 29 avril
EXPOSITION
“Bordeaux-Nouakchott, road-movie”
Le photographe Jérôme Buchholtz a décidé de prendre la route goudronnée flambant neuve qui relie depuis peu le Maroc à la Mauritanie. Pour
cela, il s’est embarqué dans un convoi de voitures françaises tout juste échappées de la casse et envoyées en Afrique pour y vivre une seconde
jeunesse. De cette expédition pas comme les autres sont nées plusieurs séries de photos saisissantes de vie et de couleurs, dont certaines sont
présentées en plein air, sur les grilles du Jardin public, dans le cadre de l’exposition “Itinéraires des photographes voyageurs”.
Bordeaux, Jardin public, cours de Verdun Tél. : 05 56 92 65 30
Le 14 avril
ONE-MAN-SHOW
Hicham
Hicham, c’est un jeune comédien plein d’humour,
originaire de Bouzonville,
près de Metz. Un talent
en herbe qui monte sur
scène depuis l’âge de
14 ans, raconte sa vie en
stand up et l’illustre en
musique avec les mix et
autres charts du moment.
Talent à suivre.
98 LE COURRIER DE L’ATLAS
MJC de Bouzonville (57)
Foyer de Vaudreching
Infoline : 03 87 69 04 80
Le 19 avril
CONCERT
Dikes
Le chanteur et guitariste
Dikes fait son grand retour
sur scène. Entouré de musiciens d’horizons éclectiques, il se fait l’interprète
d’une nouvelle chanson
française, aussi réaliste,
servie sur une musique à
la fois sucrée et métissée.
Paris 13e, Péniche
El Alamein
Quai François-Mauriac,
face à la BNF
Tél. : 01 45 86 41 60
Le 21 avril
DANSE
“Flamencoriental”
C’est le chorégraphe An-
tonio Najarro qui a imaginé ce magnifique spectacle, célébrant les noces
de la fougue flamenca et
de la sensualité orientale,
et mis en musique par des
musiciens espagnols, arabes et indiens.
Montauban (82)
à L’Eurythmie
Rue Salvador-Allende
82000 Montauban
Tél. : 05 63 91 03 61
Le 26 avril
THEATRE
“Enfant de harki”
Ce n’est pas encore une
pièce aboutie mais plutôt
un projet théâtral, œuvre
de Dalila Kerchouche, qui
tente ici d’adapter son
propre ouvrage intitulé
Mon père ce Harki, l’étayant de témoignages de
victimes du camp de Bias
et d’un texte dans lequel
elle dénonce leurs conditions de vie. Entrée libre
et réservation conseillée.
Bordeaux, Le Molière
33, rue du Temple
Tél. : 05 56 01 45 66
Du 26 au 28 avril
DANSE
“Flamenco
Al Andalus”
Un spectacle haut en couleurs qui nous mène sur
les traces du flamenco,
danse gitane et nomade,
depuis l’Inde où elle est
née, jusqu’en Andalousie
où elle s’est épanouie, en
passant par l’Egypte et les
pays du Maghreb où elle
a puisée son inspiration.
Lyon 3e,
Bourse du Travail
205, place Guichard
Tél. : 04 78 60 11 77
Le 27 avril
CONCERT
Camel Zekri
Cet artiste de génie, originaire du Sud algérien, est
passé maître de la fusion,
mêlant les musiques traditionnelles et électroniques, et mariant les différentes rythmiques
africaines – du Nord au
Sud et de l’Est à l’Ouest.
A (re)découvrir d’urgence !
Alençon, Théâtre
Scène nationale
2, avenue de Basingstoke
Tél. : 02 33 29 02 29
ET PLEIN DE BONS PLANS
SUR LE SITE
LECOURRIERDELATLAS.COM
DANS LA RUBRIQUE
“SORTIES”
NUMÉRO 3 AVRIL 2007
DR
depuis ces apparitions sur
Canal+ et ses émissions
sur Radio FG. DJ Abdel
sera aux platines du Millénium le temps de deux
soirées à ne pas rater.
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21,00
27,00
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36,00
40,00
50,00
70,00
100,00
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