Le plaisir de tuer - Nouveautés
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Le plaisir de tuer - Nouveautés
Vanet.fr - le Reve et la Vie Le plaisir de tuer Enquête sur l’âme du crime Michel Dubec, (voir en fin d’article l’origine de ce nom) expert psychiatre et psychanalyste, enfant par héritage de la Shoah, a attendu 58 ans pour se poser ; démêler le bien du mal, comprendre « la solution finale ». Il doit à Paul Touvier, le milicien, « d’être parvenu à (se) libérer de la culpabilité d’être un fils de survivants ». Il est redevable aussi à Guy Georges, le tueur en série parfait, à Jean-Marc Rouillan et à Fouad Ali Salah, les terroristes exaltés et/ou vengeurs, qu’il a expertisés. Il en a fait un livre, « le Plaisir de tuer »*, avec Chantal de Rudder, qui lui a permis de passer de la mort à la vie. LE QUOTIDIEN – D’où vous est venue l’envie de devenir psychiatre ? Dr MICHEL DUBEC – Dès l’âge de 16 ans, je voulais être psychanalyste. Cela répondait au besoin personnel de faire une cure analytique, que j’ai démarrée à 24 ans, sachant qu’il faut une assise économique pour entreprendre cette démarche. La psychanalyse m’a mené alors à la psychiatrie. Vous rappelez-vous votre passage à l’expertise pénale, en 1984 ? C’est là où les choses se nouent et s’entremêlent. Je manifestais de l’intérêt pour des personnalités qui n’étaient pas de véritables malades mentaux, à cheval sur la délinquance et la psychiatrie, au point d’en avoir fait le thème de ma thèse (1978). En réalité, je suis resté très fidèle à mon « plan de carrière ». Fidèle également, peut-être, à vos origines ? En quelque sorte. Je suis issu d’une famille juive polonaise ouvrière, à la marge de la voyoucratie – du côté paternel, j’appartiens à une dynastie de truands –, et avec tout ce que ça veut dire d’histoire pour mes parents durant la guerre. Héritier de la Shoah et du gangstérisme, j’ai donc été un peu orienté dans mes goûts vers ces gens devenus des héros de cours d’assises. Pourquoi avoir décidé de vous délivrer de votre histoire dans un livre, où l’intime et le professionnel sont étroitement imbriqués ? La question est fondamentale. Je me suis toujours remis en cause au travers de mes propres analyses, mais ça ne m’a pas suffit. La naissance de ma fille en 1997, puis la mort de mes parents en 2000 ont bousculé les choses. Dès lors, j’ai su qu’il m’appartenait de ne pas parler à ma fille de la Shoah, tant c’est lourd et désespérant, et surtout impossible. Il n’est pas de mon ressort d’asséner ce que ma mère et mon père m’ont transmis. En revanche, je me dois de lui dire ce que moi j’en ai fait. Et j’en ai fait ce que j’ai pu, de cet héritage. Pendant toute la vie de mes parents, j’ai été exposé à la Shoah, puisqu’ils ne s’en sont jamais remis. Mon père était un conteur, et je parle yiddish couramment. Aussi, évidemment, je me sens lourd de leur vécu, d’où mon attirance pour la psychiatrie d’ailleurs, sachant que dans ma famille la psychopathologie pèse énormément. Je suis devenu ainsi un passeur, mais pas un perroquet. La Shoah, à travers moi, c’est toute une vie, une recherche de la compréhension du crime. Au moyen de ce périple, j’ai fini très tard par saisir qu’un génocide n’est jamais qu’un crime, et un crime répandu. La Shoah, elle, est unique, face au génocide, commun, facile. Mais comment en arrivez-vous à parler du « plaisir de tuer », ce qui, moralement, tend à décriminaliser le crime? Justement, parce que les génocides sont généralement perpétrés par des automates obéissant à une autorité dictatoriale, quelle qu’elle soit. Adolf Eichmann en a été l’illustration au cours de son procès à Jérusalem en 1960-1961. Hannah Arendt traduit bien cette banalité du mal. Mais les hommes exécutent d’autant mieux un ordre que celui-ci leur fait plaisir. Au moment du procès Papon (1997-1998, pour complicité d’arrestation et de séquestration dans la déportation de juifs), j’ai écrit dans « le Monde »** que, si on avait ordonné à l’ancien secrétaire général de la préfecture de la Gironde (1942-1944) de détruire le vignoble bordelais, il ne serait pas passé à l’acte. Ce gourmet, amoureux de la vie, estimant le commandement absurde, n’y aurait http://www.vanet.fr Propulsé par Joomla! Généré: 29 September, 2016, 16:58 Vanet.fr - le Reve et la Vie trouvé aucun plaisir. Même Rouillan, d’Action directe, idéologue si il en est, avec son discours froid, incompréhensible – qui, en assassinant le 17 novembre 1986 Georges Besse, le P-DG de Renault, dit détruire le capitalisme –, a fait feu parce que ça lui procurait du plaisir et rien d’autre. J’en suis convaincu. Pour Fouad Ali Salah, coauteur de l’attentat de la rue de Rennes à Paris, le 17 septembre 1986 (7 morts, 54 blessés), c’est un peu différent. Les tueurs agissent dans l’exaltation au nom d’une croyance et par vengeance. Portés par leurs tripes, ils prennent plaisir à tuer l’Occident, à travers l’infidèle. La thématique des uns et des autres emprunte, bien sûr, au génocide. Existerait-il une part de plaisir chez l’assassin privé de son discernement ? Non, la destruction du psychisme chez une personne atteinte de pathologie mentale ne permet plus d’apprécier ni le plaisir ni la souffrance. Il est difficile d’imaginer qu’un schizophrène, capable de trancher la tête de sa mère, de se castrer et de se couper le nez, trouve une satisfaction dans le non-sens absolu. En revanche, la même personne qui viole une infirmière peut éprouver de la jouissance. Jusqu’où poussez-vous votre questionnement sur les criminels ? Je finis par m’interroger sur les tueurs dans un processus génocidaire. Dans un mécanisme de tuerie facilité par la masse, je vois une pulsion commune à tous les acteurs, quels que soient le pays et la civilisation. Chez le tueur en série, l’élan homicide, habituellement inconscient, est tellement constitutif de la personnalité qu’il agit pour son propre compte et de manière isolé. Il n’empêche que, à la base, il existe un fonctionnement analogue dans le génocide et dans l’acte solitaire : on transforme les victimes en choses pour pouvoir leur donner la mort. « Nous sommes fascinés par les petits enfants et les grands criminels », prétend Freud. Est-ce à dire qu’un tueur n’aurait pas quitté l’enfance, si l’on admet qu’on prend alors plaisir à faire du mal ? C’est ça, il y a comme un fond d’immaturité chez un criminel, et, au moment de l’accomplissement, il est envahi par une résurgence de plaisir la plus archaïque. Autrement dit, il tue comme on aime manger, c’est de la dévoration. Prenez le génocide rwandais (1994), chaque matin, au lever, les paysans prenaient l’habitude de massacrer chacun une trentaine de personnes. La civilisation est quelque chose de très construit et d’à la fois très fragile. La porte demeure ouverte à la sauvagerie, celle de l’enfant. Quand je lisais Jean-Jacques Rousseau, en classe de seconde, je trouvais ça inepte. « L’homme est né bon » ! Votre confession sur « le Plaisir de tuer » se veut « une enquête sur l’âme du crime ». L’assassin serait-il doté d’une conscience morale, d’une spiritualité ? C’est une bonne réflexion qui me met là un peu dans ma contradiction. Le crime peut-il être constitutif de l’âme ? Nombre d’entreprises criminelles conjuguent sur le même mode Eros et Thanatos. Regardez le discours sur l’esthétisme dans le nazisme : ils ont vendu quelque chose d’horrible au nom de la beauté. Quoi qu’il en soit, vous me confrontez à une interrogation nouvelle, à laquelle je me dois de réfléchir. Avez-vous eu des états d’âme avant d’accepter d’expertiser Paul Touvier*** ? J’ai demandé l’autorisation à mes parents. Je me voyais saisi par une interrogation d’ordre fantasmatique, propre au juif imaginaire : «Vais-je l’étrangler?» Mon père m’a demandé si quelqu’un d’autre que moi travaillerait autant que je le ferais sur l’expertise. Ma réponse négative m’a valu de décrocher un sauf-conduit, en quelque sorte. Dès le premier jour, Touvier et moi étions comme larrons en foire. J’ai eu une vingtaine d’heures d’entretiens avec lui, auxquelles s’ajoutent des dizaines d’heures de recherche. Il me faisait revivre l’histoire, que nous adorions tous les deux. Il ignorait qui j’étais, et nous partagions un espace de complicité. Je discutais avec une espèce de fossile. « Monsieur Paul » – reclus dans la clandestinité, où il se nourrissait de son passé, jusqu’à son arrestation en 1989 – ressemblait à un soldat japonais perdu dans la jungle javanaise ignorant la fin de la guerre. Aujourd’hui, ma réponse à ce que vous appelez « états d’âme » est la suivante : quand on a le sentiment de vivre en victime, il convient de prendre la position inverse, celle de l’agresseur, du nazi. Touvier restait le condamné, enfermé dans sa cellule, tandis que moi j’avais la liberté. Du statut de mouton (une image fausse que je m’attribuais), je me suis transformé en dominant, sans esprit de vengeance. http://www.vanet.fr Propulsé par Joomla! Généré: 29 September, 2016, 16:58 Vanet.fr - le Reve et la Vie Vous êtes-vous complètement sorti de cette confrontation avec le milicien? Le fait d’avoir pris du plaisir à m’entretenir avec « Monsieur Paul » m’a plongé dans la dépression. Je m’interrogeais sur ma raison d’être pour éprouver un tel contentement. J’ai dû refaire une analyse afin de m’en sortir. Avec Christine Villemin, la mère du petit Grégory, retrouvé mort dans la Vologne (1984), quelle a été votre attitude ? Je suis parvenu à rester plutôt froid – ce qui n’était pas le cas de ma conscience –, m’en tenant à mon rôle d’examinateur. Dans une expertise, je n’ai pas à savoir si la personne est coupable ou innocente. Il ne m’intéresse pas plus de rechercher si elle nie les faits. Je me sens même incapable d’avoir une opinion. J’ajouterai que je n’ai jamais rencontré de monstre chez des individus auteurs de crimes horribles, y compris Touvier. Gardez-vous des images des grands criminels que vous avez expertisés ? Les images qui m’habitent n’appartiennent pas à ceux que j’ai expertisés. Aujourd’hui, je suis « avec » Michel Fourniret (alias le monstre des Ardennes, ndlr), qui doit être jugé à l’automne 2007 pour sept assassinats. Il me « reste » Paul Touvier, bien entendu, – à qui je dois d’être parvenu à me libérer de la culpabilité d’être un fils de survivants –, Jean-Marc Rouillan, Fouad Ali Salah et Guy Georges (soupçonné de sept meurtres de jeunes femmes, condamné à perpétuité en 2001). Le tueur au couteau de l’Est parisien a réalisé la quintessence la plus harmonieuse de l’érotisme et de la pulsion criminelle. Par le choix de ses victimes, il a fait vivre l’esthétique, tout en nous conduisant sur le chemin de la mort. Guy Georges est le prototype français du tueur en série à l’américaine. Après vingt-deux années de pratique d’expertise psychiatrique pénale, que savez-vous de vous-même ? Quel rapport entretenez-vous avec le plaisir ? Mon plaisir, je ne le trouve plus dans l’expertise pénale. Je suis lassé par l’exercice. J’en ai fait le tour. Je ne l’abandonne pas, car il est difficile de tourner définitivement la page à un moment où on est devenu hypercompétent, et on me demande de continuer. Cependant, j’ai réduit mon activité pénale de 250 à 25 expertises, faisant désormais du civil : plus de 200 expertises par an, concernant la garde d’enfants lors de divorces ou des traumatismes accidentels. J’en ai fini avec le crime. Je passe de la mort à la vie. Je suis étonné par ce long chemin imposé, parcouru pour retomber sur une morale commune, comprendre des choses fondamentales que les autres éprouvent naturellement, à savoir distinguer le bien du mal, le faire du pas faire. Mon cas est exemplaire de l’évolution des idées actuelles. Il suffit de voir les détours et les justifications dont on use pour punir ou non des violences ordinaires. Il ne m’est plus nécessaire de fouiller les arcanes d’un esprit tortueux de criminel. J’ai réintroduit la Shoah et les génocides en général dans ce qu’ils sont : un crime. Et il faut faire attention, car ils peuvent se reproduire n’importe où. La Shoah, m’apparaît comme «la quantité qui est la qualité même» pour paraphraser Lénine. Vous ne savourez la vie qu’à travers votre activité professionnelle ? J’ai ma fille, avec qui j’entretiens une relation très profonde. Rien que du banal. Je lui accorde une présence concrète. Je fais partie des nouveaux pères « maternants ». Deux fois par semaine, je vais la chercher à l’école, à 16 h 30. Pour en revenir à mon métier, je suis resté toujours un psychiatre thérapeute à mi-temps (voir encadré). C’est une chose dont je ne me dépars pas dans ma pratique psychiatrique et psychanalytique. J’ai le désir de guérir. Je me sens bien quand j’ai fait une bonne action dans la journée. Je ne suis qu’un médecin banal. PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE ROY http://www.vanet.fr Propulsé par Joomla! Généré: 29 September, 2016, 16:58 Vanet.fr - le Reve et la Vie * « Le Plaisir de tuer » (Seuil, 21 euros) est sorti en librairie le 8 février 2007. Son coauteur, Michel Dubec, expert près la cour d’appel de Paris et la Cour de cassation, a écrit « Les Maîtres-Trompeurs » (Seuil, 1996), et, avec Claude Cherki-Niklès, « Crimes et Sentiments » (Seuil,1992). ** Novembre 1997. *** Touvier, responsable de la Milice à Chambéry, a été condamné en 1994 à la réclusion à perpétuité pour complicité dans l’assassinat de sept otages juifs à Rillieux-la-Pape (Rhône) en juin 1944. L’expert psychiatre L’expert psychiatre est «un garde-fou de la justice». Un rôle où il convient de «mettre ses compétences au service d’un choix citoyen». «Un acte dans lequel il faut faire (le) deuil de la thérapie» et «seulement poser un diagnostic lourd de conséquences». L’article 122-1 du code pénal, sur l’abolition du discernement, «raison d’être de l’expert psychiatre, qui permet de retirer le prévenu des griffes de la justice, ne détermine pas la responsabilité de l’individu». Il donne à l’expert la possibilité de «reconnaître» son «incapacité à juger (le prévenu), faute de pouvoir le comprendre, d’avoir accès à ses motivations». Bec d’oiseau «J’avais 13ans quand mon nom a été modifié. Mon père s’est justifié par des prétextes que je jugeais indigents: “Dziubek” veut dire “bec d’oiseau”. Ce n’est pas un vrai nom juif, c’est celui que les Polonais nous ont donné pour nous injurier, pour se moquer de notre nez!» «Inconsciemment, j’ai idéalisé les grands Aryens blonds (...) J’ai sué sang et eau pour me développer un physique d’athlète. Comme les nazis, j’ai le culte du corps et du sport. (...) Pendant que je m’évertuais à me transformer physiquement pour correspondre aux canons de beauté nazis, dans le même temps, je ne pardonnais pas à mon père de planquer sa judéité sous le nom de Dubec.» Le Quotidien du Médecin du : 07/02/2007 http://www.vanet.fr Propulsé par Joomla! Généré: 29 September, 2016, 16:58