Un Franco-Ontarien parmi tant d`autres

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Un Franco-Ontarien parmi tant d`autres
Elmer Smith
Un Franco-Ontarien parmi tant d’autres
Métissage culturel, souveraineté, Église et foi en Dieu
Essai
Collection « Amarres »
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Avant-propos
J
’assistais l’autre jour à des funérailles pour la troisième fois
en autant de mois. Déambulant sur le chemin du retour sur une
piste cyclable en bordure de la rivière des Outaouais, je réfléchissais
sur ma mortalité, me voyant déjà avant beaucoup d’années, de mois,
de jours peut-être, basculer de l’autre bord. Au contraire des autres
moments où l’idée de ma mort prochaine me faisait signe, elle s’imprimait dans ma chair, aurait-on dit, comme une présence de tous les
instants, urgente même, et qui n’avait pourtant rien de morbide. Une
résignation paisible, fataliste, presque heureuse devant l’inévitable.
J’eus alors le goût d’exprimer sur papier des pensées concises,
tandis que la vie m’en fournissait encore le loisir, sur ma conception
de ma place dans l’univers et, ce faisant, de dresser le bilan de mes
croyances ou de passer à l’aveu de leur absence. Ce n’était d’ailleurs
pas la première fois que je me tournais vers l’écriture. Mais cette fois
le temps pressait. Il était question de compenser l’idée dérangeante
de ma mortalité et de gagner, du même coup, un peu d’immortalité
après mon départ vers une autre dimension. De me ménager un refuge
devant la mort qui répondrait à mon profond besoin de partager.
Après quelques semaines à m’interroger intensément sur cette
force qui me poussait à livrer mon intimité, au risque de semer l’indifférence ou d’être désigné à la vindicte des critiques, je m’attelai à
la tâche. On dira que ceux dont l’histoire ne retiendra pas les noms
éprouvent rarement ce besoin de se raconter qui, soudainement, me
grippait les entrailles. Or si mes inclinations différaient de celles des
autres, je ne parvenais pas à en cerner complètement la raison ou, si
l’on veut, à décortiquer mes véritables motivations.
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Un Franco-Ontarien parmi tant d’autres
Je jugeai alors plus utile de privilégier l’objet de ce livre à ma
motivation, laissant mes affections psychologiques, conscientes et
inconscientes au regard des psychologues et des psychanalystes, et
livrant mes inclinations sociologiques à la loupe des spécialistes de
la francophonie ontarienne. À trop m’analyser, je pourrais me perdre
en suppositions et en conjectures douteuses sur les méandres de mon
psychisme ainsi que sur mon trajet culturel identitaire. Quand tout
serait dit et écrit, mes propos parleraient d’eux-mêmes. Le but immédiat et tout à fait transparent de mon exercice n’est quand même pas
malin. C’est de me présenter résolument tel que je suis, tel que la vie
m’a façonné au gré des expériences de toutes sortes, accumulées avec
l’apport prépondérant de mon milieu franco-ontarien, ainsi que des
gènes provenant de mes géniteurs et de mes ancêtres. En cela j’obéis
de façon générale aux règles sociologiques, psychologiques et biologiques qui régissent les modes de pensée et les comportements d’à peu
près tous ceux qui se réclament du genre humain. Je n’invente rien. Il
y a des processus inaccessibles à la conscience, nous chante-t-on sur
tous les tons, qui organisent en grande partie nos pensées et forgent
nos jugements.
Il m’apparaît donc évident, comme le titre de l’ouvrage en fait
foi, que mon identité franco-ontarienne occupera une place de
choix dans ces pages, ne serait-ce que pour expliquer pourquoi et
comment, au contraire de la vaste majorité des Franco-Ontariens de
ma génération, je m’en suis pris à mon Église et à mon Dieu, ces deux
principaux piliers de la survivance des miens. Comment aussi – je
le dis en à-côté, car ce n’est pas le propos de mon livre – j’en suis
venu à sympathiser avec le Mouvement national des Québécois (celui
qui promeut et défend la souveraineté), plutôt que d’être enclin à le
dénigrer avec mépris et agressivité, à l’instar d’à peu près tout mon
entourage immédiat.
J’avais toujours cru dans ma grande naïveté, à titre de membre
d’un des deux grands peuples fondateurs de mon pays, qu’il était
naturel pour les membres de ma communauté parlant une même
langue et liés par une même histoire et une même culture, de s’associer, d’échanger, de vivre ensemble et de chercher à se déterminer et
à se gouverner quand le nombre et le territoire y étaient propices. Il
était clair à mes yeux que la liberté collective se devait de faire bon
ménage avec la liberté individuelle. En fait, l’une ne va pas sans l’autre
Avant-propos
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dans un régime démocratique et les deux ont le devoir de s’équilibrer
dans la réciprocité.
Au cours de notre histoire, mon Église a valorisé l’humilité et la
conformité, la soumission aux autorités tant civiles que religieuses
et le recours au mystère, alors que j’ai tendance à protester et à tout
questionner. À cause de cette prédisposition naturelle ou instinctive à
la contestation, je ruminais un refus bien senti de me plier de bonne
grâce à ma condition de minoritaire et de fils de journalier, plus ou
moins inculte au départ, ressentie comme une chape de plomb dont
je tardais à me défaire.
C’est ce qui a fait de moi un sympathisant souverainiste un jour
et un fédéraliste inconditionnel le jour suivant, et ce qui explique
mon émancipation par rapport à l’Église. Ce refus du minoritaire
de s’écraser et de s’affirmer tour à tour m’aura ensuite, ou en même
temps, porté à me questionner sur Dieu Lui-même.
Qu’il soit croyant ou incroyant, le lecteur n’a rien à craindre de
moi, car je n’éprouve aucune envie de convaincre qui que ce soit d’une
quelconque vérité que je serais le seul à posséder, dans l’espoir secret
qu’on y adhère. Victime des attitudes pontifiantes de ceux qui jadis
m’entouraient, je n’oserais m’en prendre sciemment à la croyance ou
à l’incroyance des autres dans le but de les convertir ou de tenter
d’infirmer une conviction qui leur appartient.
Je réprouve depuis trop longtemps et avec trop de force la propension, chez beaucoup de doctrinaires que j’ai fréquentés, à chercher à
évangéliser ceux qui diffèrent d’opinion pour tomber moi-même dans
le même travers. A priori, je rejette le prosélytisme qui découle invariablement de toute idéologie, religieuse ou autre, toujours suspecte
à mes yeux, portée par son essence même à inciter ceux qui subissent
son emprise à s’engager dans la conversion de ceux et celles qui les
entourent.
Je me propose tout simplement de livrer un message d’humanité
en m’inspirant des péripéties de ma vie, sans aucune visée messianique
ou conquérante. À chacun son compas et sa quête du nirvana. Cet
écrit, fabulateur par moments, retrace mon propre itinéraire, rien de
plus, laissant parler l’enfant que je fus autant que l’adulte plus réfléchi
qui a suivi. Il ne constitue en rien un jugement sur celui des autres à
l’écart du mien. Je le dédie bien humblement à ceux que j’ai nommés
en tête d’ouvrage (maintenant disparus) ainsi qu’à ma progéniture,
Table des matières
Avant-propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
1 À vol d’oiseau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
L’Église . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Dieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Mes interlocuteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Seul avec moi-même . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
18
24
27
30
2 Le Franco-Ontarien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
3 La retraite . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
4 L’institution . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
5 Le berceau de la civilisation . . . . . . . . . . . . . . 71
6 Les diverses facettes de Dieu . . . . . . . . . . . . . 79
7 L’amour . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
8 Euphorie et dysphorie . . . . . . . . . . . . . . . . . 105
9 Et la vie avait repris son cours . . . . . . . . . . . 115
Épilogue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121
Titre chapitre
129