45ème Congrès de l`AICA, Zurich, 10 au 12 juillet 2012 «Ecrire avec

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45ème Congrès de l`AICA, Zurich, 10 au 12 juillet 2012 «Ecrire avec
Association internationale des critiques d’art : Section suisse
Associazione internazionale dei critici d’arte : Sezione svizzera
Internationaler Kunstkritiker-Verband : Sektion Schweiz
Associaziun internaziunala dals critichers d’art : Secziun svizra
ème
45
Congrès de l’AICA, Zurich, 10 au 12 juillet 2012
«Ecrire avec un accent»
Catherine Hug / Textes de référence
Spike Winter 2005
L’art conceptuel a commencé à s’affirmer en Europe et aux États-Unis comme un mouvement artistique crucial et
d’influence majeure aux alentours de 1970. Au fur et à mesure de ce développement, de vrais bouleversements se
sont faits à tous les échelons de la production et de la diffusion artistique. L’art lui-même s’est « dématérialisé », les
œuvres étant remplacées par des idées réalisables sans techniques complexes, ne se concrétisant que dans des
notations ou d’autres formes documentaires. Ce changement radical a eu un immense impact à la fois sur les
expositions et sur le négoce de l’art, influençant grandement le discours (et l’écriture) sur le sujet. De fait, le texte a
connu à cette époque un vrai boom, et la matière imprimée, des cartons d’invitation aux quotidiens, des magazines
d’art aux catalogues, était le support de diffusion rêvé. De surcroît, les artistes avaient depuis longtemps commencé
à endosser dans les magazines d’art la tenue d’auteur. Une étude à part ne serait pas de trop pour étudier l’étendue
des interactions entre le succès de l’art conceptuel et le rôle de magazines artistiques comme Art in America et
Artform (orientés sur l’art mainstream de l’époque). Artforum, par exemple, a fréquemment publié des articles écrits
de la plume d’artistes comme Robert Morris (« Notes on Sculpture ») ou encore des essais ou des critiques de
Robert Smithson. Dans ces textes (comme dans leurs images et leurs maquettes d’avant-garde) les frontières
traditionnellement étanches entre l’art et la théorie sont progressivement devenues de plus en plus poreuses, tout
comme les rôles de l’artiste et du critique devenaient interchangeables. Avec des conséquences notoirement
connues : dans Art & Language, par exemple, le texte et le langage, particulièrement quand ils expriment un
discours critique sur l’art, sont des matériaux artistiques et leur représentation dans les magazines est de fait le lieu
et même la réalisation de l’art. Ces propos sur l’art, tenus à tant de niveaux et « mis en scène » dans une sorte de
performance médiatique dans Art Language et The Fox, sont intervenus directement dans la séparation de la
critique et de l’art, s’exprimant comme une praxis artistique. Robert Barry, Dan Graham (avec sa célèbre analyse de
l’architecture « Homes for America », publiée dans Arts Magazine en 1966/67, ou son « Schema », adapté, quand
besoin était, au lieu de publication), Joseph Kosuth, Stephen Kaltenbach, Adrian Piper et d’autres ont rédigé des
travaux qui, à l’encontre de ce qui se faisait auparavant, n’étaient pas simplement communiqués par le truchement
du magazine ; ils n’émergeaient vraiment réellement que dans ce medium : une conséquence de la séparation de
l’art et de l’objet, de l’idée et du matériau porteur. Dans le sixième numéro (juillet 1969) du magazine 0-9 publié par
Vito Acconci et Bernadette Meyer, Robert Barry a attiré l’attention sur le lien entre l’art et sa concrétisation. Dans
son œuvre en deux parties The Space between Pages 29 & 30 et The Space between Pages 74 & 75, Barry a
subrepticement intégré une métaphore spatiale dans le numéro, métaphore qui apparaissait dès que le lecteur
feuilletait les pages : l’espace dans l’acception littérale du terme, expérimenté à la fois en tant que matériau (le
papier des pages de magazine) et en tant qu’espace de l’information.
Sur plusieurs mois, Stephen Kaltenbach a publié une série d’instructions associatives et d’appels agaçants comme
« Lancez un hoax », « Voyagez », ou « Faites-vous une réputation », les plaçant délibérément dans la rubrique des
petites annonces d’Artforum. Cette série d’articles, non identifiés comme des œuvres d’art, sans commentaires ou
autres autorisations, était aléatoirement distribuée dans les petites annonces. On pouvait y trouver des traits
particuliers comme une subtile coquille, un encadré dans une fine bordure noire, d’une annonce à l’autre, mais
l’association entre injonction et anonymat les écartait à la fois des publicités commerciales et de la partie
éditoriale. On suggérait ainsi de lire les œuvres comme une diatribe ironique contre les liens entre critique,
économie et normes publicitaires relatives au domaine artistique et d’une industrie artistique qui, à l’époque,
devenait de plus en plus planétaire dans ses ambitions.
Dans ce contexte, et dans leur façon propre d’opérer la médiation artistique sous forme de revues, essentiellement,
et non pas sous forme de critique d’art, interfuntionen et Avalance sont montés en première ligne comme porteparoles des artistes. Mais quand on compare les deux formats, on observe immédiatement d’énormes différences
entre eux, particulièrement en ce qui concerne leurs images d’eux-mêmes et leurs groupes cibles.
Heubach, par exemple, voyait son magazine comme un medium ouvert à tous. Il désirait allier l’expressivité
particulière et la qualité des images et des textes ainsi que l’art et la politique, il voulait discuter de l’art du point de
vue particulier de son potentiel socio-politique et non pas seulement refléter les événements en cours dans le
monde artistique.
Sharp et Bear s’appuyaient aussi sur des entretiens informels, des séquences photo détaillées et de brèves
déclarations des artistes. Avalanche ne comptait que quelques rubriques, dont la très intéressante « Rumbles »,
plusieurs pages d’entrefilets critiques et de chroniques sur des manifestations et des livres, incluant
habituellement des extraits et des potins.
Andy Warhol a documenté ce développement dans interVIEW, fondé en 1969, comme le faisait la petite publication
Art-rite, qui se consacrait à la scène de New York. Et le groupe d’artistes General Idea, oscillant entre dadaïsme et
appropriation, a mis au point un tout nouveau look avec son concept de magazine FILE. Ce nouveau concept
prouvait que l'art et son commerce étaient en pleine révision de l'image de soi, rien de moins. Et cette maturation
préludait à une ère nouvelle.
La fabrication artisanale de fanzines
Prenons d’abord le temps d’explorer brièvement ce que signifie le mot « artisanat » en général, et pour les fanzines
contemporains en particulier. Selon l’auteur américain Bruce Metcalf, l’artisanat possède des traits
caractéristiques. Il est « fait à la main ». L’artisanat, écrit-il aussi, est « propre au medium » et il est normalement
« identifié à un matériau et aux technologies inventées pour le manipuler ». En outre, suggère Metcalf, « l’artisanat
est défini par l’usage », signifiant par là que les objets artisanaux ont une fonction (bijoux ou meubles, par exemple).
Mais l’ « artisanat est défini par son passé » également. De cette combinaison de traits propres émerge une valeur
esthétique. En d’autres termes, Metcalf suggère que la « valeur esthétique [de l’artisanat] relève peut-être de son
caractère intime, de son utilité et de sa signifiance. »
Cette idée justifie une exploration des fanzines en tant que formes graphiques, car les fanzines sont des objets
graphiques intimes, signifiants par leur forme et leur contenu mais fonctionnant dans le même temps comme des
outils de communication. La matérialité des fanzines les définit. Ils sont souvent visuellement chaotiques (fruits de
l’expérimentation sur des matériaux de récupération, ainsi que d’une production et de méthodes de reliure
amateurs) et jouent sur les dimensions en variant les tailles et les formats (des mini-zines aux grands formats) pour
aboutir à un objet parfois exceptionnellement tactile. Le côté amateur des fanzines, ces productions « faites main »
opérant en dehors des conventions de l’édition mainstream et de la production de masse, participe de leur
caractère intime. La main - l’empreinte - du producteur ou du faiseur est éminemment visible dans le fanzine luimême, ce qui suggère que l’histoire de l’objet est étroitement liée non seulement à l’histoire des fanzines en
général, mais aussi à l’histoire de son fabricant.
Dans les années 2000, la « tactilité » est devenue un trope, symbolisé par l’utilisation croissante de la typographie
(un procédé d’impression en relief) et de la sérigraphie (un procédé au pochoir apposant l’encre sur le papier). Si
les technologies de production (duplicateurs, photocopieuses et publication assistée par ordinateur notamment)
ont toujours été importantes dans l’esthétique des fanzines, cette utilisation plus sophistiquée des techniques
d’impression a entraîné un certain ralentissement des choses. L’immédiateté offerte par les fanzines d’antan, en
coupé-collé et photocopie, a été remplacée par une fabrication plus intentionnelle et plus étendue dans le temps.
De ce fait, l’esthétique traditionnelle des fanzines a changé (l’immédiateté des fanzines punk et riot grrrl, en
particulier) dans les années 2000. La nature chaotique et l’intensité visuelle des pages et des jaquettes
photocopiées ont commencé à disparaître. Les fanzines sont maintenant nettement plus proches de l’esthétique
artisanale de la plupart des livres d’artistes à petit tirage, avec leur design sobre, leur fabrication artisanale et leurs
modes de reliure peu courants. Fait révélateur, les fanzines ont commencé à paraître en tant qu’éditions limitées
numérotées, sorte d’hommage à la valeur du temps et aux compétences de leurs producteurs.
Un exemple de ce basculement : Ker-Bloomk, fanzine typographique bimensuel produit aux États-Unis par Karen
ème
Switzer (a.k.a. Artnoose). Le fanzine, lancé au milieu des années 90, a récemment sorti son 82
numéro (2010).
Outre qu’il illustre l’art de la production typographique (Artnoose possède sa propre boutique de cartes
artisanales), c’est aussi un excellent perzine. Chaque numéro pose un regard personnel sur une situation ou un
thème, qu’il s’agisse du déménagement laborieux d’une imprimerie, des pratiques commerciales anticapitalistes,
de la formation d’un groupe, d’un rôle de figuration dans un film, de l’alcoolisme ou d’une bagarre dans la cour de
récré. Ker-Bloom! a ouvert la voie à d’autres productions typographiques plus récentes, telles que le fanzine
artistique Cheer Up! (2010) à parution unique, créé par Oliver Mayes sous la forme d’un tube d’expédition. Il
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comprenait des blagues des humoristes britanniques Jack Dee et Jimmy Carr roulées avec des pages extraites du
Financial Times, dans l’intention d’aider le lecteur à oublier la récession.
Un autre exemple : Zine 2009 (2009), produit par des étudiants de l’Université du Delaware dans le cadre d’un
atelier typographique organisé au London College of Communication (LCC). Le format fanzine invitait les étudiants
à explorer l’expérimentation typographique mais aussi à découvrir ce medium. Cette approche avait été adoptée
lors d’un atelier public antérieur du LCC, où des artisans locaux étaient invités à utiliser la typographie assistée par
ordinateur pour concevoir leurs pages respectives à paraître dans un fanzine communautaire baptisé The Memory
Cloth (2006). Les ateliers de fabrication de fanzine tels que celui-ci offrent l’occasion de tisser le lien
communautaire par l’acte collectif de fabrication.
Fabriquer des communautés alternatives
Rien de surprenant donc à ce que les fanzines s’inscrivent dans un mouvement artisanal alternatif en plein essor
qui, comme Metcalf le suggère, « remet la production entre les mains de monsieur Tout-le-monde ». Les fanzines
contribuent à ce changement de mode de vie par l’édition de guides pratiques expliquant au lecteur comment
produire ou fabriquer lui-même les choses. Ces fanzines pratiques se regroupent dans deux grandes catégories
selon le contenu : dans la première, ceux qui expliquent comment fabriquer un fanzine (les questions pratiques
comme le pliage du papier, la reliure, l’impression, la distribution). Par exemple, Stolen Sharpie Revolution: A DIY
Zine Resource est un minizine (et blog) d’Alex Wrekk, qui se qualifie elle-même de « bricoleuse ». Elle explique
avoir découvert dans l’édition indépendante un moyen de s’exprimer et de prendre le pouvoir en « regardant les
choses et en disant « moi aussi, je peux faire ça ». Elle y prodigues conseils et astuces : l’importance de connaître
sa cible, le petit carnet à garder sur soi pour consigner ses inspirations, le type de colle à utiliser, où trouver des
images clip-art, les friperies comme sources de matériaux et la considération du copyright « si vous voulez
réimprimer un extrait d’un autre fanzine ». Les conseils pratiques couvrent aussi la fabrication du papier, l’utilisation
d’une photocopieuse et la distribution, ainsi que « la construction d’une communauté par l’assistance aux
conférences et aux événements organisés autour des fanzines ».
Dans la seconde catégorie des fanzines, on trouve les guides de « bricolage » sur la fabrication ou l’artisanat
amateur (fabrication de savons, jardinage et compostage, fabrication de bijoux, point de croix, tricot, couture…) ou
encore des conseils pour un mode de vie plus sain. Raleigh Briggs, par exemple, publie une série de fanzines (tels
que Nontoxic Housecleaners Zine, 2007, Herbal First Aid Zine, 2006) avec des conseils élémentaires dans des
domaines tels que la fabrication de savon maison ou les remèdes à base de plantes. Home Composting Made Easy
(1998, réimprimé en 2008) par Forrest et Tricia McDowell, est un fanzine expliquant comment créer moins de
déchets. MixTape (2007-) par Nichola Prested et Justine Telter, rend hommage au fanzine indépendant primé Croq
Zine (2005-08) et présente tout un éventail de conseils pratiques, par exemple sur les semis.
Les lieux de réunion traditionnels des rédacteurs de fanzine ne cessent de fleurir : festivals de fanzines, salons des
livres à petit tirage et des comics, librairies indépendantes, etc. Des communautés alternatives se créent aussi par
la distribution de fanzines et d’autres produits artisanaux. C’est aussi devenu évident dans la micro-économie
artisanale émergente, où l’activité en ligne complète les lieux d’échange, de vente et d’achat de fanzines et de
produits faits maison. Rédacteurs de fanzines et fabricants, par exemple, utilisent les réseaux sociaux et les sites
d’e-commerce tels que Etsy (www.etsy.com), qui offrent des moyens bon marché mais à grande portée pour vendre
de l’artisanat. Même si l’on peut toujours trouver les fanzines dans des points de vente indépendants (normalement
magasins de disques ou librairies indépendantes), la distribution imprimée se fait aussi par des distributeurs en
ligne (« distros ») tels que Vicrocosm Publishing, Parcel Press et Corn Dog Publishing, pour ne citer qu’eux.
Dans le même temps, les réseaux et les communautés virtuelles prospèrent elles aussi (YouTube, MySpace, sites
Web, blogs…) et les fanzines mutent vers de nouveaux formats numériques. Cathy de la Cruz, artiste et artisan,
suggère que le « podcast est à notre époque ce que le fanzine était aux années 90 ». Les informations sur les
fanzines diffusées par des forums virtuels, Twitter et Facebook sont désormais chose courante : le local est
aujourd’hui global et avec cette tendance vient un renouveau de l’engagement dans l’activisme « politique ».
Il est intéressant de noter le basculement dans l’utilisation de la terminologie parmi les rédacteurs de fanzines, qui
semblent s’écarter de l’idée antérieure de « réseaux » vers un concept plus axé sur le développement de
« communautés » zinesques. Les réseaux se forment de telle sorte que les rédacteurs de fanzine sont à même d’en
contacter d’autres pour partager et échanger sur leurs fanzines et leurs activités connexes. D’un autre côté, un jeu
de relations bien plus complexe s’organise autour de la notion de communautés (car il n’y a pas qu’une seule
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communauté dans l’univers des fanzines). La différence réside dans l’intention : les communautés se construisent
sur un sens de l’appartenance et un discours commun, qu’il soit d’inspiration personnelle ou politique. Les
communautés encouragent aussi les relations par la participation. C’est peut-être une histoire entre individus aux
prises de positions éditoriales et aux voix différentes autant qu’entre producteurs et lecteurs : tous sont les acteurs
d’une scène fanzinesque vibrante et prospère.
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