M. Le Premier ministre Hôtel de Matignon 57, rue de Varenne 75700

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M. Le Premier ministre Hôtel de Matignon 57, rue de Varenne 75700
M. Le Premier ministre
Hôtel de Matignon
57, rue de Varenne
75700 Paris
Le Mans, le 18 octobre 2013
Objet : Recours gracieux à l'encontre du Décret du 23 août 2013 déclarant d’utilité publique et urgents les
travaux nécessaires à la réalisation de l’itinéraire d’accès au tunnel franco-italien de la liaison ferroviaire
Lyon–Turin
Monsieur le Premier Ministre,
France Nature Environnement (FNE) est une fédération nationale de 3000 associations de protection de
l’environnement agissant dans l’ensemble du territoire français. FNE est reconnue d’utilité publique et
agréée comme association de protection de l’environnement. La Fédération Rhône Alpes de Protection de la
Nature (FRAPNA) Union Régionale FRAPNA adhérente à FNE fédère les huit sections départementales
FRAPNA et fédère 200 associations locales. La FRAPNA est reconnue d’utilité publique et agréée comme
association de protection de l’environnement, et habilitée à participer au débat public sur l'environnement
en Rhône-Alpes.
Par décret du 23 août 2013, publié au journal officiel du 25 août 2013, vous avez déclaré d’utilité publique
et urgents les travaux nécessaires à la réalisation de l’itinéraire d’accès au tunnel franco-italien de la liaison
ferroviaire Lyon–Turin entre Colombier-Saugnieu (Rhône) et Chambéry (Savoie) ainsi que des
aménagements localisés à Montmélian et Francin, d’une part, et entre Avressieux (Savoie) et Saint-Jean-deMaurienne (Savoie), d’autre part, et emportant mise en compatibilité des documents d’urbanisme de la
commune de Colombier-Saugnieu dans le département du Rhône, des communes d’Aoste, Bourgoin-Jallieu,
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Cessieu, Chamagnieu, Chapareillan, Fitilieu, Frontonas, Grenay, La Tour-du-Pin, La Verpillière, L’Isle-d’Abeau,
Romagnieu, Ruy-Montceau, Saint-Didier-de-la-Tour, Saint-Jean-de-Soudain, Saint-Marcel-Bel-Accueil, SaintVictor-de-Cessieu, Satolas-et-Bonce, Sérézin-de-la-Tour, Vaulx-Milieu, Villefontaine et des zones
d’aménagement concerté de Chesnes Nord et de Chesnes Ouest dans le département de l’Isère et des
communes d’Avressieux, Belmont-Tramonet, Chambéry, Détrier, Laissaud, La Motte-Servolex, Les Marches,
Les Mollettes, Sainte-Hélène-du-Lac, Saint-Etienne-de-Cuines, Saint-Genix-sur-Guiers, Saint-Jean-deMaurienne, Saint-Rémy-de-Maurienne, Saint-Thibaud-de-Couz, Verel-de-Montbel et Voglans dans le
département de la Savoie.
FNE et ses associations dont la FRAPNA sont favorables au report du transport de marchandises de la route
vers le rail ou la voie d’eau. Le regain d'intérêt, pour la France, du mode ferroviaire ne doit et ne peut être
« vampirisé » par une petite poignée de projets « pharaoniques » inhibant tout développement volontariste
et équilibré de l'ensemble de notre réseau ferroviaire.
Le rapport du 7 octobre 2005 "Audit sur l’état du réseau ferré national français" commandé par RFF et la
SNCF à l'Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL) est très explicite : "Ainsi, l’état moyen de
l’infrastructure, sur une part importante du réseau, se dégrade continuellement et les prémices d’une
dégénérescence apparaissent. Concomitamment, la fiabilité des composants du système ferroviaire décroît
lentement mais sûrement."
Sept ans plus tard, le même rapport revisité (septembre 2012) fait la recommandation suivante (page i et
10) : "La pérennisation du réseau ferré national exige l’inévitable poursuite de la montée en puissance des
budgets consacrés au renouvellement. La trajectoire budgétaire constatée est prometteuse mais les
exigences financières posées par l’état actuel du réseau demeurent élevées".
Les chaines de montagnes sont des obstacles naturels très sensibles qu'il est impératif de protéger.
Deux fois plus de poids-lourds traversent les Pyrénées que les Alpes françaises1.
Si le trafic et le tonnage marchandises stagnent (voire baissent) globalement dans l'ensemble des traversées
alpines franco-italienne depuis 1998, un déséquilibre s'est opéré en faveur des Alpes du Sud (Vintimille) au
détriment des Alpes du Nord (Fréjus et Mont Blanc).
Lorsque l'on regarde la carte de l'Europe, on comprend assez facilement pourquoi la part des marchandises
en Transit (qui traverse la France sans s'arrêter) est de moins de 15% par les Alpes franco-italienne du Nord
alors qu'elle est de près de 60% à Vintimille, selon l'enquête Transit 2010.
Malheureusement, le mode maritime de cabotage Méditerranéen entre l'Espagne, la France et l'Italie est
quasiment inexistant. Le projet de nouvelle liaison ferroviaire Lyon-Turin (NLFLT) marchandise compte
fortement sur le transfert du transit presqu'ile ibérique / Afrique du Nord et Italie / Europe de l'Est.
Dès 2001, l'Europe a mis en place une politique de transport ferroviaire avec la création de « corridors
multimodaux à priorité fret ». Pour la partie concernant la traversée des Alpes du Nord, la ligne ferroviaire
historique entre Ambérieu et Turin via Modane est intégrée dans le Corridor D (http://www.corridord.eu/)
renommé Corridor 6. A ce titre, près de 1 milliard d'euros ont déjà été investis pour sa modernisation aux
normes européennes : gabarit GB1 (quasi pour tous les wagons et leurs chargements) et exploitation ERTMS
(European Rail Traffic Management System) permettant de suivre les convois en temps réel et donc
1
voir MEDDE note n°136 du CGDD "Le point sur", août 2012, source : MEDDE - SOeS, enquête Transit 2010.
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d'augmenter la capacité de la voie. Un rapport Européen de 20062 souligne que cette voie ferroviaire (aussi
appelée « la voie historique ») a une capacité de 19 millions de tonnes par an. Il en passe aujourd'hui 3,7
millions alors qu'au début des années 90 il en est passé 13 millions.
Un calcul rapide montre que l'équivalent de 2000 PL/jour (environ 10 millions de tonnes par an) pourrait
être transféré sur cette ligne « tout de suite et maintenant » sans important investissement mais avec une
volonté politique forte (voir communiqué FNE-Frapna du 11 juin 2012).
Le projet NLFLT a aussi été présenté comme permettant la circulation de TGV pour le trafic voyageurs. Selon
l'enquête nationale « déplacement et transport » de 2008, on sait que 2% seulement de nos déplacements
ont une portée de plus de 80 kilomètres. On comprend alors assez facilement pourquoi la Grande Vitesse
ferroviaire ayant un créneau économique pour des portées de déplacements entre 300 et 900 kilomètres
trouve rapidement une limite de développement pour une clientèle réduite à très réduite.
Simultanément le formidable succès des TER, particulièrement en Rhône-Alpes, a permis de mettre en
évidence l'incohérence d'aménagement du réseau ferroviaire existant avec l'explosion de la demande. Les
conclusions du rapport de l'EPFL révisé en 2012 sont alarmantes : « Les volumes financiers consacrés au
renouvellement du réseau ont connu une progression significative, signe d’une prise de conscience de
l’urgence de la situation. La trajectoire en la matière est conforme aux recommandations de l’audit Rivier. Le
rythme de montée en puissance de l’investissement est cependant inférieur aux préconisations de l’audit :
entre 2006 et 2010 il a manqué au total 1.6 G€ (CE 2010). Cet écart n’a pas permis d’inverser la tendance au
vieillissement de certaines parties du réseau ferré national ».
Cela n’est valable que pour la maintenance de l'existant : de nombreuses lignes, dont en Savoie, demandent
à être modernisées, en particulier l'autre voie d'accès depuis Lyon à Chambéry via Saint-André-le-Gaz avec
une voie unique.
Le choix de porter le maximum de l’effort financier sur la modernisation des réseaux existants vient à
nouveau d’être confirmé par le rapport « Mobilité 21 ». Bien que le périmètre de ce rapport ne concerne
pas le projet de NLFLT, il donne un avis très critique et très réservé sur son opportunité.
En conclusion, si d'aventure la NLFLT devait se faire pour un coût global qui dépassera 30 milliards d'euros3,
cela siphonnera toutes les urgences de modernisation des lignes ferroviaires existantes. Pire, comme
l'avantage économique n'est pas prouvé, on assistera comme trop souvent pour des projets pharaoniques
aux investissements publics exponentiels sur un projet privatisé sous forme de PPP avec financement
"Project bond".
***
En termes de tracé, en outre, le projet de la NLFLT partie française comporte 4 phases :
2
Analyse des études faites par LTF sur le projet Lyon - Turin (section internationale), ECORYS-COWI, 5.1.2 Capacité
potentielle de la section internationale de la ligne historique.
3
26 milliards d'€ selon le référé du 1er août 2012 de la Cour des comptes.
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
phase 1 : une ligne nouvelle à deux voies, pour trains rapides de voyageurs ;

phase 2 : une voie unique pour le fret ;

phase 3 : le doublement de la voie unique précédente ;

phase 4 : une LGV ;
Comme décrit ci-dessus le projet est initialement (en 19924) celui d'une ligne LGV entre Lyon Saint-Exupéry
et Chambéry puis une série de tunnels dont un de 54 km (dit de base) pour atteindre Turin. Dix ans plus
tard, une ligne nouvelle essentiellement dédié au fret, donc mixte, a été ajoutée à ce projet.
Ainsi, il s'agit bel et bien de réaliser à terme (phase 4 décrite dans l'EUP) deux lignes : une ligne mixte puis
une LGV entre Lyon Saint-Exupéry et Chambéry.
Par soucis de ne pas faire apparaître d’incohérence entre les différentes versions du projet, notamment
entre les promoteurs de la version LGV du départ et la version orientée vers le fret, la voie mixte a été
tracée dans l'objectif de couplage de plateforme entre Lyon Saint-Exupéry et Bourgoin-Jallieu (soit 20 km
environ) puis d'intégrer à la phase 4 (LGV), la dernière section de la phase 1 entre Avressieux et Chambéry
comprenant 15 km de tunnel sous L'Epine.
Par conséquent, la phase 1 n'est pas pour le fret : elle n’a été conçue que pour des trains rapides de
voyageurs façon TERGV, quand bien même une poignée de trains de fret pourrait y circuler, il faudra
attendre quelques années plus tard la voie unique de la phase 2 pour le fret.
***
Le projet de Nouvelle Liaison Ferroviaire Lyon-Turin (NLFLT) n’a jamais fait l’objet d’un débat Public. De plus,
ce projet concerne l’ensemble du massif alpin entre France et Italie.
Dès le 2 octobre 2001, FNE avait demandé un débat Public sur les projets d’infrastructures de transport des
territoires alpins de Provence-Alpes-Côte d’Azur et Rhône-Alpes. Cette demande fut par la suite réaffirmée
le 17 octobre 2012 et refusée par un courrier de la Présidence de la République du 17 janvier 2013. Ce refus
conduisit à nouveau FNE et la FRAPNA à s'opposer au projet de NLFLT lors de l’enquête préalable à la
déclaration d’utilité publique des seules phases 1 et 2 du projet.
Malgré ces éléments suffisant à démontrer que l’utilité publique de ce projet n’est pas garantie, et que la
balance entre le coût du projet et ses avantages est négative, a fortiori dans la mesure où les nombreuses
atteintes environnementales du projet ne seront pas compensées, vous avez, par le décret sus-mentionné,
déclaré d’utilité publique ces travaux.
C’est à l’aune de ces éléments que France Nature Environnement a décidé d’engager un recours à l’encontre
de ce décret que nous vous demandons de retirer.
Vous le ferez d’autant plus facilement que vous n’ignorez pas les nombreux vices entachant la légalité de la
procédure préalable à son adoption.
4
Décret n° 92-355 du 1er avril 1992 approuvant le schéma directeur national des liaisons ferroviaires à grande vitesse.
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Les insuffisances du dossier d’enquête ont notamment eu pour effet de nuire à l'information de l'ensemble
des personnes intéressées par l'opération ; leur nature a nécessairement exercé une influence sur les
résultats de l'enquête et, par suite, sur la décision de l'autorité administrative.
Sans qu’il soit besoin à ce stade de les détailler plus avant, on relèvera notamment :

l’insuffisance de l’étude d’impact – relevée par l’autorité environnementale dans son avis du 7
décembre 2011- n’a été corrigée que par les rares éléments complémentaires apportés par RFF
dans son « mémoire complémentaire E11 » inséré dans le dossier d’enquête, notamment en ce qui
concerne les incidences hydrauliques du projet et le traitement des déblais de creusement des
tunnels ;

l’insuffisance manifeste de l’étude socio-économique, non seulement relevée dans le même avis
mais également pointée directement par la Cour des Comptes dans son référé du 1° aout 2012 et
par la commission Mobilité 21 dans son rapport du 27 juin 2013 ;

l’absence d’évaluation d’incidence Plans et programmes conforme aux dispositions des directives
92/43/CEE et 2001/42/CE, alors que près de quarante documents d’urbanisme - dont certains
concernent des zones Natura 2000 - sont mis en compatibilité avec le projets et que les dispositions
précises et inconditionnelles - éclairées d’une part par la jurisprudence de la Cour de justice de
l’Union Européenne et d’autre part par la position du Commissaire à l’environnement lors de la
séance de la commission de pétitions du 17 septembre dernier sur le projet d’aéroport de Notre
Dame des Landes - sont parfaitement opposables en l’espèce.

le saucissonnage (salami-slicing) de la procédure qui concerne un programme au sens du Code de
l’environnement, dont l’incidence des phases successives –à la réalisation incertaine à ce jour alors
qu’elles en conditionnent l’utilité publique- ne sont ni explicitement présentées, ni étudiées ;

le saucissonnage (salami-slicing) du projet, artificiellement séparé de la réalisation du
Contournement Ferroviaire de l'Agglomération Lyonnaise, partie du même programme – les
interventions croisées des présidents des commissions d’enquête organisées pour ces deux projets
le confirment explicitement – ou encore la DREAL Rhône Alpes qui donne dans ses formations pour
expliquer la notion de programme de travaux l’exemple de ces deux projets ;
Sur certains de ces points, il convient de noter que la commission d’enquête a réclamé de nombreux
documents complémentaires pour pouvoir rédiger ses conclusions, documents auxquels le public n’a pas eu
accès lors de l’enquête.
Par ces motifs et tous autres à produire, déduire ou suppléer, même d'office, nous vous demandons,
Monsieur le Premier Ministre, de retirer le décret du 23 août 2013, publié au journal officiel du 25 août
2013, par lequel vous avez déclaré d’utilité publique et urgents les travaux nécessaires à la réalisation de
l’itinéraire d’accès au tunnel franco-italien de la liaison ferroviaire Lyon–Turin entre Colombier-Saugnieu
(Rhône) et Chambéry (Savoie) ainsi que des aménagements localisés à Montmélian et Francin, d’une part,
et entre Avressieux (Savoie) et Saint-Jean-de-Maurienne (Savoie), d’autre part, et emportant mise en
compatibilité des documents d’urbanisme de la commune de Colombier-Saugnieu dans le département du
Rhône, des communes d’Aoste, Bourgoin-Jallieu, Cessieu, Chamagnieu, Chapareillan, Fitilieu, Frontonas,
Grenay, La Tour-du-Pin, La Verpillière, L’Isle-d’Abeau, Romagnieu, Ruy-Montceau, Saint-Didier-de-la-Tour,
Saint-Jean-de-Soudain, Saint-Marcel-Bel-Accueil, Saint-Victor-de-Cessieu, Satolas-et-Bonce, Sérézin-de-laTour, Vaulx-Milieu, Villefontaine et des zones d’aménagement concerté de Chesnes Nord et de Chesnes
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Ouest dans le département de l’Isère et des communes d’Avressieux, Belmont-Tramonet, Chambéry, Détrier,
Laissaud, La Motte-Servolex, Les Marches, Les Mollettes, Sainte-Hélène-du-Lac, Saint-Etienne-de-Cuines,
Saint-Genix-sur-Guiers, Saint-Jean-de-Maurienne, Saint-Rémy-de-Maurienne, Saint-Thibaud-de-Couz, Verelde-Montbel et Voglans dans le département de la Savoie.
Nous affirmons notre conviction que vous donnerez une suite favorable à cette demande gracieuse et, dans
l'attente, vous prions d'agréer, Monsieur le Premier Ministre, l'expression de nos salutations distinguées.
Raymond Léost
Administrateur de France Nature Environnement
Eric Feraille
Président de la FRAPNA
C/O Sarthe Nature Environnement 10 rue Barbier 72 000 Le Mans - Tél. : 02 43 87 81 77 - Fax : 02 43 24 93 66
Siège social : 57, rue Cuvier 75231 Paris cedex 05
Fédération française des associations de protection de la nature et de l’environnement - Reconnue d’utilité publique depuis
1976
www.fne.asso.fr
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