Bulletin archive N°4 – page 8 – (Juillet 66)

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LE REVE DANS L'HISTOIRE
par Raymond de BECKER - Mai 1966
M. Raymond de Becker, qui est l'auteur des Machinations de la Nuit (L'Histoire du
Rêve et le Rêve dans l'histoire, Planète 1965) et de plusieurs autres ouvrages de psychologie
(dont une présentation et des commentaires de la seule édition française du Yi~King, le
célèbre Livre des Mutations chinois), nous entretient de quelques-uns des aspects de la place
occupée par le rêve dans l'histoire et de quelques-unes des démarches entreprises au cours de
l'histoire pour aborder l'étude des rêves. Il estime, en effet, qu'à une époque où, pour la
première fois, une civilisation planétaire s'avère possible, il est pour le moins paradoxal, sinon
dangereux, d'imaginer que "la révolution psychanalytique" soit une sorte de découverte
absolue et qu’elle ne constitue pas plutôt une croissance organique de la démarche entreprise
par les hommes de tous temps et de toutes civilisations pour appréhender le monde intérieur
que nous appelons aujourd'hui l'inconscient et dont, grâce à Freud et à Jung, nous possédons
les moyens de vérifier expérimentalement l'existence.
Certes, la découverte psychanalytique peut paraître absolue, ainsi que Freud lui-méme
le crut, dès l'instant qu'on se tourne vers la seule tradition judéo-chrétienne dont la pauvreté en
ce domaine est, en effet affligeante. Cependant, là même, cette pauvreté est plus apparente
que réelle. Déjà, au XIXème siècle, Freud avait eu des précurseurs en Alfred Maury. Hervey
de Saint Denis, voire les Romantiques allemands et Jean-Paul dont les apports ne sont pas
négligeables. Malgré l'interdit porté sur l'interprétation des rêves par l’Eglise médiévale, à la
suite d'ailleurs du Deutéronome, certains auteurs chrétiens ont continué de s'intéresser aux
problèmes du rêve. Il en fut ainsi pour Tertullien. Sinéius, Nicéphore II, Alcuin, le Maitre de
1’Ecole Palatine, Innocent III, Saint Thomas d'Aquin, Jean de Salisbury et, au XVIème siècle
le Jésuite Benoit Périer. Mais le plus significatif pour notre sujet est que Freud lui-même, dont
les ancêtres venaient d'un milieu hassidique, avait eu connaissance d'une tradition juive
ésotérique, sinon antirabbinique, à laquelle il semble avoir emprunté plusieurs de ses thèses.
Le traité onirique Berakoth , par exemple, ne laisse pas de surprendre aujourd'hui. Il affirmait
déjà l'identification du rêveur et des personnages de rêve, le symbolisme sexuel, le rapport
entre le rêve et le désir, déclarait que les songes n'annoncent pas l'avenir mais le font et que, si
tout rêve a un sens, ce sens est celui que lui donne l'interprétation, On connaît l'histoire des 24
interprètes de songes de Jérusalem : le rêve qui leur fut soumis obtint 24 interprétations
différentes qui, toutes, se révélèrent exactes.
Pareilles observations se retrouvent dans les traditions arabe, indienne et chinoise, sans
compter les traditions égyptienne babylonienne et gréco-latine. Freud lui-même a rendu
hommage à Artémidore d'Ephèse. Mais l'on aurait tort de juger l'apport de ces traditions par
les traductions dégradées de leurs Clefs des Songes, traductions entreprises par des
Occidentaux ignorant que leurs interprétations, loin d'être mécaniques et arbitraires,
reposaient sur la langue même du rêve, sur les jeux de mots ou les calembours auxquels elle
se prêtait et devenaient absurdes dès qu'on en faisait une traduction littérale. Au reste, ces
Clefs des Songes ne constituent qu'une part de l'immense littérature onirique antique ou
orientale. L'Inde nous en a laissé de véritables traités d'inspiration médicale en rapport avec la
doctrine des tempéraments et la Chine une problématique du réel dont les célèbres aphorismes
de Tchouang-Tseu sont exemplaires.
Pour Raymond De Becker, un des aspects les plus passionnants de la démarche préanalytique, est celle ayant considéré le rêve comme procédé de dialogue avec l'inconscient.
L'extraordinaire entreprise thérapeutique que fut l’incubation égyptienne et gréco-latine , et
qui se prolongea jusque dans les églises chrétiennes du Vlème siècle, autant que l'istiqara
musulmane, dont le Premier ministre de l'Iran, le Dr Mossadegh, fit encore usage pour la
nationalisation des pétroles de son pays, en sont deux exemples frappants. Non moins
intéressant, selon M. de Becker, est le fait que les civilisations antiques considérèrent le rêve
moins comme objet d'analyse que tel un moteur d'action moins comme la réalisation d'un
désir qu'à la façon d'une incitation à l'accomplissement du désir. Pareille utilisation du rêve se
retrouve non seulement dans le Nouveau Testament mais à l'origine du Bouddhisme et de
l'Islam, de la vocation des grands fondateurs d'ordre, voire d'actions politiques et culturelles
de la plus haute importance .
M. de Becker termine son exposé en appelant l'attention sur le problème sociologique
de l'interprétation, tel qu'il peut se dégager de l'expérience historique. Après avoir rappelé
comment au XVIème siècle, un théologien tel que le Père Benoît Périer entendait réserver
cette interprétation aux "personnes assurées du don du Saint Esprit", il montre comment dans
la Rome antique, des conseillers oniriques ou "comes somniorum" purent jouer le rôle
d'espions ou de provocateurs au service du pouvoir, comment chez les Arabes l'interprétation
se trouva dépendre des règles socio-religieuses de l'Islam. Ainsi se pose dans une perspective
nouvelle le problème de la fonction du psychanalyste ou du psychothérapeute dans une
société déterminée, de ses rapports avec le pouvoir ou avec la mentalité dominante de cette
société et, plus particulièrement, de la signification réelle des thérapies de groupe.
L'expérience historique peut ainsi éclairer la fonction du corps des psychologues au service
soit de la liberté soit du plus subtil des totalitarismes.
En conclusion, M. de Becker estime que les découvertes de la psychologie
contemporaine ne sont pas des découvertes absolues, que certains de leurs éléments les plus
importants se retrouvent dans les différentes traditions. De tous temps, l'homme a tenté
d'appréhender sa face nocturne et il l'a fait au moyen des techniques les plus variées, même si
celles-ci firent usage de langages que nous ne comprenons plus ou furent entachées de ce que
nous considérons aujourd'hui comme des superstitions.