Le Monde - entree

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Le Monde - entree
Mardi 16 février 2016 ­ 72e année ­ No 22110 ­ 2,40 € ­ France métropolitaine ­ www.lemonde.fr ―
Fondateur : Hubert Beuve­Méry ­ Directeur : Jérôme Fenoglio
Syrie : l’Europe impuissante face à Poutine
▶ A la conférence sur la sécurité de Munich, l’opposition frontale entre Russes et Occidentaux rend un cessez­le­feu plus improbable que jamais
munich - envoyée spéciale
C’
est à l’Américain John McCain
qu’est revenu le mot de la fin,
avec son sens de la formule et
sa longue expérience des affaires inter­
nationales : « L’appétit vient en mangeant,
a observé le sénateur républicain à propos
de l’attitude de la Russie en Syrie. Ce film,
on l’a déjà vu – en Ukraine. »
Intervenant dimanche 14 février en clô­
ture de la conférence de Munich sur la sé­
curité, M. McCain a parfaitement résumé
le sentiment dominant, à l’issue de deux
jours de débats marqués par l’impuis­
sance et l’amertume des Occidentaux
face au rouleau compresseur russe. La
conférence, qui rassemble chaque année
les responsables de la défense et de la po­
litique étrangère transatlantiques, avait
pourtant commencé sur une note d’es­
poir, avec la conclusion, dans la nuit du
jeudi 11 au vendredi 12 février, d’un accord,
entre les principaux acteurs dans le dos­
sier syrien, sur un arrêt temporaire des
combats dans un délai d’une semaine.
Les chefs de la diplomatie américain et
russe, John Kerry et Sergueï Lavrov,
devaient superviser sa mise en œuvre.
Mais la virulence des échanges publics
entre Occidentaux et Russes pendant les
deux jours qui ont suivi, la poursuite des
bombardements russes en Syrie et les
références constantes au retour de la
guerre froide ont balayé ces espoirs.
L’irruption de la Turquie dans les com­
bats, samedi soir, a fourni le point d’orgue
au pessimisme général.
sylvie kauffmann
L A S U IT E PAGE 2
→ LIR E
SANTÉ
Audrey
Azoulay,
la ministre
du président
▶ François Hollande
a choisi sa conseillère
à l’Elysée pour remplacer
Fleur Pellerin à la culture
▶ Un choix très stratégique,
à plus d’un an de l’élection
présidentielle
→ LIR E
ALBERT FACELLY/DIVERGENCE IMAGES
pour un siège
à la Cour suprême
ÉTATS-UNIS
par gilles paris
washington - correspondant
U
ne guerre d’attrition a
été déclarée à Washing­
ton, samedi 13 février,
dans les minutes qui ont suivi
l’annonce de la mort soudaine
du doyen de la Cour suprême, le
juge Antonin Scalia. Agé de
79 ans, ce dernier était le cham­
pion du camp républicain, qui
louait sa défense intransigeante
des valeurs conservatrices. Sa
disparition prive les juges nom­
més par des présidents républi­
cains de la voix qui leur permet­
tait de l’emporter au sein de ce
collège extrêmement sélectif de
neuf membres.
POLITIQUE
2016, L’ILLUSOIRE
« ANNÉE UTILE »
DE M. HOLLANDE
par nicolas chapuis
et david revault d’allonnes
E
n abattant la carte du re­
maniement, jeudi 11 fé­
vrier, François Hollande a
ouvert la dernière étape de son
quinquennat. Mais le chef de
l’Etat ne se fait aucune illusion
sur l’impact de ce jeu de chaises
musicales : changer les person­
nes n’a jamais fait bouger les
lignes. Pour avoir une chance
→ LIR E
LE C A HIE R É CO P. 1 0 - 1 1
ENQUÊTE
LES MYSTÈRES DE LA
MOSQUÉE DE LAGNY
→ LIR E
PAGE 1 0
TÉLÉCOMS
ORANGE-BOUYGUES :
L’ÉTAT FIXE
SES CONDITIONS
→ LIR E
LE C A HIE R É CO PAGE 1 4
PAGE 1 2
Lors de la passation
de pouvoirs, Rue de Valois,
le 12 février 2016.
Bataille
LES MALADIES RARES,
NOUVEL ELDORADO
DES LABOS
RÉFUGIÉS :
LE FACE-À-FACE
BERLIN-PARIS
→ LI R E P A G E 22
en 2017, il a moins besoin de
grandes manœuvres que d’un
plan de bataille.
Conscient qu’il devra utiliser
chaque créneau qu’il lui reste, le
président a ainsi rappelé à son
entourage sa volonté de faire
voter encore plusieurs projets de
loi d’ici à la fin de l’année.
→ LIR E
L A S U IT E PAGE 8
LE REGARD DE PLANTU
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Télérama
©2015 / AFFICHE : pyramide - louise matas / PHOTO : NORD-OUEST FILMS
→ LI RE L A SU I T E PAGE 5
Retrouvez-nous en pages 3, 5, 7 et 9
du supplément
CAHIERS
CINEMA
DU
Algérie 200 DA, Allemagne 2,80 €, Andorre 2,60 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,40 €, Cameroun 2 000 F CFA, Canada 4,75 $, Côte d'Ivoire 2 000 F CFA, Danemark 32 KRD, Espagne 2,70 €, Espagne Canaries 2,90 €, Finlande 4,00 €, Gabon 2 000 F CFA, Grande-Bretagne 2,00 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,60 €, Guyane 3,00 €, Hongrie 990 HUF,
Irlande 2,70 €, Italie 2,70 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,40 €, Malte 2,70 €, Maroc 15 DH, Pays-Bas 2,80 €, Portugal cont. 2,70 €, La Réunion 2,60 €, Sénégal 2 000 F CFA, Slovénie 2,70 €, Saint-Martin 3,00 €, Suisse 3,60 CHF, TOM Avion 480 XPF, Tunisie 2,80 DT, Turquie 11,50 TL, Afrique CFA autres 2 000 F CFA
2 | international
0123
MARDI 16 FÉVRIER 2016
La Turquie attise le feu du conflit syrien
Le bombardement de positions des Kurdes de Syrie accroît encore les tensions entre Ankara et Moscou
istanbul - correspondante
L’
armée turque a pilonné
à l’artillerie, samedi 13
et dimanche 14 février,
les positions de la milice kurde syrienne du Parti de
l’Union démocratique (PYD)
autour de la ville d’Azaz, dans la
province d’Alep, dans le nord de la
Syrie, faisant craindre un embrasement régional. Lors d’un incident séparé survenu samedi dans
la région du Hatay, l’armée turque
a échangé des tirs d’artillerie avec
les forces syriennes loyales à Bachar Al-Assad.
Samedi, Damas a accusé Ankara
d’avoir injecté une centaine de
combattants salafistes et de
« mercenaires turcs » dans la région d’Alep. Les combattants, venus de la région d’Idlib tenue par
la rébellion, auraient transité par
le territoire turc pour entrer en Syrie via la porte de Bab Al-Salama,
où des dizaines de milliers de réfugiés sont entassés dans des conditions précaires. Véritable poumon stratégique pour le ravitaillement en armes et en nourriture de la rébellion anti-Bachar à
Alep, le corridor a été coupé récemment par les forces de Damas
et les Kurdes du PYD soutenus par
les bombardiers russes. Située à
20 kilomètres de la Turquie, la
ville d’Azaz reste la principale
« poche d’air » de la rébellion, de
plus en plus acculée.
Dépitée par l’avancée kurde, la
Turquie a tiré plus de cent obus
vers les villages situés au sud
d’Azaz ainsi que sur l’aéroport militaire de Minnigh, fraîchement
repris par les miliciens kurdes
aux rebelles salafistes d’Ahrar AlCham, soutenus par le pouvoir islamo-conservateur turc, et aux
djihadistes du Front Al-Nosra, la
branche syrienne d’Al-Qaida.
Tapis de bombes
« Le franchissement de la rive
ouest de l’Euphrate est une ligne
rouge pour la Turquie », a justifié
samedi 13 février le vice-premier
ministre Yalcin Akdogan, alors
qu’un accord, trouvé jeudi soir à
Munich entre le secrétaire d’Etat
américain, John Kerry, et son homologue russe, Sergueï Lavrov,
prévoit une cessation des hostilités d’ici à la fin de la semaine.
Précédés par un tapis de bombes
russes, les miliciens kurdes du
PYD, la formation politique dominant le Kurdistan syrien, sont en
train de réaliser le scénario qu’Ankara redoutait plus que tout en effectuant la jonction entre le canton kurde d’Afrine, au nord-ouest
d’Alep, et celui de Kobané, situé à
100 km plus à l’est. De cette façon,
les territoires limitrophes de la
Turquie côté syrien risquent de se
retrouver aux mains du PYD,
Des véhicules blindés turcs
dans le village de Nusaybin,
à la frontière turco-syrienne,
le 14 février. LEFTERIS PITARAKIS/AP
« La Russie
déploie ses
moyens militaires
en vue d’une
guerre contre
la Turquie »
PAVEL FELGUENGAEUR
spécialiste militaire russe
qu’Ankara tient pour « terroriste »,
puisqu’il est une filiale du Parti
des travailleurs du Kurdistan (PKK,
interdit en Turquie). L’affaire empoisonne les relations avec l’allié
américain qui arme et soutient les
miliciens kurdes, alliées de premier plan dans la lutte contre l’organisation Etat islamique (EI).
La bataille pour le contrôle
d’Alep s’annonce comme le nouvel épicentre de la guerre en Syrie,
grosse de plusieurs conflits – la
Russie contre la Turquie, Ankara
contre les Kurdes, les Saoudiens
contre les Iraniens – à l’image des
« matriochki », les poupées gigognes russes. Moscou a décidé de
renforcer sa capacité de feu en dépêchant, samedi, son navire lance-missiles Zeliony-Dol en Méditerranée. Quelques jours auparavant, des exercices militaires
d’une ampleur sans précédent
avaient eu lieu en mer Noire, en
mer Caspienne et dans la région
militaire du sud de la Fédération
de Russie, une démonstration de
force clairement destinée à impressionner Ankara.
« La Russie se prépare, elle déploie sa force et ses moyens militaires en vue d’une guerre contre
la Turquie », écrit Pavel Felguengaeur, spécialiste militaire russe,
dans l’hebdomadaire Novoe Vremia du 12 février 2016. Le président russe Vladimir Poutine rêve
d’entraîner son homologue turc,
Recep Tayyip Erdogan, dans le
conflit syrien pour mieux le déstabiliser. Le tsar et le sultan sont à
couteaux tirés depuis la destruction par la chasse turque, le
Zone d’influence Situation le 15 février 2016
Armée loyaliste
Forces kurdes
Forces rebelles
Bombardements turcs
Organisation
Etat islamique
Front Al-Nosra
TURQUIE
Djarabulus
Kobané
Bab Al-Salama
Mer
Méditer.
Province
d’Hatay
Afrin
Azaz
Tal Abyad
Minnigh
Alep
Rakka
Idlib
SYRIE
50 km
SOURCE : ISW
24 novembre, d’un bombardier
russe qui avait pénétré dans l’espace aérien de la Turquie. « Les
Turcs vont regretter ce qu’ils ont
fait. Nous n’allons pas nous contenter d’interdire leurs tomates »,
avait menacé le maître du
Kremlin le 2 décembre après l’an-
nonce d’un embargo sur les produits agricoles turcs.
L’escalade semble inévitable, la
Turquie ayant fait savoir samedi
qu’elle envisageait de lancer une
opération terrestre en Syrie, aux
côtés de l’Arabie saoudite. « Dans
le cadre d’une stratégie contre
La Russie impose ses vues à des Occidentaux réduits à l’impuissance
suite de la première page
En quittant la capitale bavaroise, les par­
ticipants étaient quasiment unanimes à
prédire une aggravation inexorable de la
situation en Syrie, théâtre de toutes les
rivalités régionales et du nouvel affrontement est-ouest.
Le « film » auquel fait référence John
McCain fait en effet apparaître Alep
comme un sinistre remake de Debaltsevo, ville de l’est de l’Ukraine et position
stratégique tenue par l’armée ukrainienne que les forces séparatistes, appuyées par la Russie, avaient encerclée il
y a exactement un an. Tandis que les
chefs d’Etat et de gouvernement allemand, français, russe et ukrainien négociaient un accord de cessez-le-feu à
Minsk, un déluge d’artillerie s’abattait
sur la ville, qui finit par tomber. A Minsk,
le président Poutine ne cachait pas sa satisfaction : les accords conclus consacraient en bonne partie l’avantage gagné
sur le terrain par les forces prorusses. Et
comme le constatait dimanche le secré-
taire général de l’OSCE, Lamberto Zannier, dans un entretien au Monde, même
ces accords-là ne sont pas respectés.
C’est une tactique que certains experts
voient à l’œuvre depuis la crise géorgienne de 2008 : intensifier l’offensive
militaire sur le terrain en pleine négociation pour obtenir un meilleur « deal ».
John McCain appelle ça « la diplomatie au
service de l’agression militaire ». « Et ça
marche, dit-il, parce qu’on laisse faire. » Là
aussi, le président de la commission des
affaires militaires du Sénat américain
met le doigt où ça fait mal : à Munich,
Américains et Européens ont paru impuissants à contrer la stratégie de Moscou qui, en quelques mois, a vu la Russie
rompre l’isolement diplomatique dans
lequel la crise ukrainienne l’avait cantonnée, puis s’imposer comme acteur incontournable dans la recherche d’une solution au Proche-Orient, entrer ensuite en
guerre en Syrie, pour devenir finalement
maîtresse du jeu dans ce conflit qui
ébranle l’Europe. Mis devant le fait accompli, découvrant presque surpris que
l’Etat islamique, la Turquie et l’Arabie saoudite pourraient envisager
une opération au sol », a déclaré le
ministre turc des affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu. Son homologue saoudien, Adel Al-Jubeir, a confirmé le même jour que
son pays pourrait envoyer des
« forces spéciales » en Syrie. Riyad
a déployé des avions de combat
sur la base turque d’Incirlik, dans
le cadre des opérations aériennes
menées par la coalition contre l’EI
en Syrie.
les forces russes n’ont fait que sauver le
régime du président Bachar Al-Assad
alors qu’elles étaient supposées combattre l’organisation Etat islamique (EI), les
Occidentaux en ont été réduits à des mises en demeure indignées, assorties de
remontrances et de récriminations.
Absence de leadership américain
Mais les démentis froidement assénés
par le premier ministre russe, Dmitri
Medvedev, à ses interlocuteurs qui demandaient l’arrêt des bombardements
russes sur les civils en Syrie – « il n’y a
aucune preuve permettant d’affirmer que
nous bombardons des civils, c’est faux » –,
la mauvaise humeur de Sergueï Lavrov
accusant le Pentagone et le département
d’Etat de double langage, la diatribe de
l’ambassadeur russe à l’OTAN, Alexandre
Grouchko, contre l’intensification du dispositif militaire de l’Alliance en Europe,
tout cela a fait l’effet d’une douche glaciale. Très seul dans ce concert à tenter
une note d’optimisme, John Kerry a fait
figure de boy-scout en assurant les Euro-
péens qu’ils parviendraient à surmonter
cette « menace quasi existentielle pour le
tissu politique et social de l’Europe » et
pouvaient compter pour cela sur la solidarité américaine. Or c’est précisément
l’absence de leadership américain qui est
désigné comme l’un des facteurs majeurs du malaise actuel, de même que la
désunion des Européens, totalement désemparés face à la crise des réfugiés. L’appel du président Obama à Vladimir Poutine, dimanche soir, pour lui demander
lui aussi de cesser de bombarder l’opposition syrienne, n’a pas dissipé ce malaise.
Plusieurs Européens assurent qu’à long
terme, la Russie ne sortira pas gagnante
de cette stratégie de reconquête. « Le Donbass est un échec et sera un fardeau pour
la Russie », dit l’ancien premier ministre
suédois Carl Bildt. « La Russie paiera
cher » sa politique en Syrie, « elle sera le
paria du Moyen-Orient », affirme le ministre britannique de la défense, Michael
Fallon. En attendant, c’est elle qui impose
ses termes, au mépris du coût humain. p
sylvie kauffmann
Zones de non-droit
Une intervention turco-saoudienne paraît d’autant plus aventureuse que la Russie domine les
airs sans partage. Depuis l’incident du 24 novembre 2015, Moscou a déployé ses systèmes de défense antiaérien S-400 dans le
nord de la Syrie, précisément à
l’endroit où la Turquie voulait
créer sa zone de sécurité. Depuis,
pas un avion turc ne se risque à
survoler l’endroit. De plus, une intervention turco-saoudienne paraît difficilement réalisable sans
l’aval de Washington. Elle mettrait la Turquie en délicatesse avec
l’OTAN, dont elle est membre. Ankara, devenu agresseur, ne pourrait invoquer l’article 5, qui assure
l’assistance mutuelle au cas où
l’un de ses membres est agressé.
Washington et Paris ont exhorté
dimanche Ankara à cesser ses tirs
vers la Syrie.
L’autre risque d’une telle intervention est de voir le territoire
turc déstabilisé. La Syrie n’a jamais reconnu le rattachement de
la province du Hatay à la Turquie
en 1939. Sans envisager une opération militaire d’ampleur, Damas et Moscou n’auraient aucun
mal à déstabiliser le Hatay, d’ores
et déjà submergé par les réfugiés
et les combattants en déroute.
Transformer la région en un nouveau Donbass est à la portée de
Moscou qui excelle à la fabrication de « trous noirs », ces zones
de non-droit apparues en
Ukraine, en Géorgie (Abkhazie,
Ossétie du Sud) et en Moldavie
(Transnistrie). p
marie jégo
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4 | international
0123
MARDI 16 FÉVRIER 2016
A Munich,
Valls critique
Merkel et irrite
l’Allemagne
Le premier ministre français a
de nouveau plaidé en faveur d’une
diminution du flux de réfugiés
berlin - correspondant
D
eux dossiers empoi­
sonnent les relations
entre l’Allemagne et
ses voisins : la crise
des réfugiés, mais aussi l’approvi­
sionnement de l’Europe en gaz
russe. Que le premier ministre
français, Manuel Valls, se rende en
Allemagne pour y critiquer, samedi 13 février, la politique migratoire d’Angela Merkel a d’autant
plus choqué les dirigeants allemands que le premier ministre
avait été invité à s’exprimer devant la conférence de Munich sur
la sécurité, pour marquer la solidarité et la détermination des
deux pays face au terrorisme.
Ils ne s’attendaient donc pas à ce
que le premier ministre en profite
pour, selon ses termes, « faire passer un message d’efficacité et de
fermeté : l’Europe ne peut accueillir
davantage de réfugiés ».
Dès vendredi soir, il avait même
ironisé devant les journalistes : « Il
y a quelques mois, les médias français demandaient : “Où est la Merkel française ?’’ ou voulaient donner le prix Nobel à la chancelière.
Aujourd’hui, je constate les résultats… » « Vous imaginez un ministre
allemand critiquant en France la
politique de François Hollande ? »,
faisait mine de s’interroger, dimanche, un diplomate allemand.
Sur le fond, les propos du premier ministre n’ont pas surpris.
Les Allemands savent que la
France ne veut pas accueillir plus
de réfugiés. Mais la forme est jugée
inconvenante par l’entourage
d’Angela Merkel.
Les responsables allemands
prennent d’autant plus mal les
déclarations du premier ministre
qu’eux-mêmes s’abstiennent de
commenter la situation économique de la France qui, pourtant, les
inquiète. De plus, ils jugent
qu’avec 30 000 réfugiés qui devraient théoriquement être accueillis par Paris, la « grande nation », comme ils disent ironiquement, fait le strict minimum. Surtout, Angela Merkel et ceux qui la
soutiennent (notamment les sociaux-démocrates et les Verts) estiment avoir non pas provoqué
une crise en ouvrant la porte aux
réfugiés début septembre 2015,
mais au contraire avoir permis
d’éviter une crise humanitaire
majeure en Europe.
Les propos de Manuel Valls sont
jugés d’autant plus inamicaux
qu’ils précèdent de peu la rencontre, ce lundi 15 février à Prague, des
dirigeants du groupe de Visegrad
(République tchèque, Pologne,
Hongrie, Slovaquie), auxquels devaient se joindre les présidents
macédonien et bulgare. Un véritable front anti-Merkel est en train
de se constituer à l’Est, autour du
premier ministre hongrois Viktor
Orban. Non seulement ces pays
refusent d’accueillir des réfugiés,
La chancelière allemande, Angela Merkel, à Berlin, le 12 février. FABRIZIO BENSCH/REUTERS
mais ils devraient, lundi, annoncer des mesures pour aider la Macédoine, non membre de l’Union
européenne, à fermer sa frontière
avec la Grèce.
Discorde sur un projet de gazoduc
Rarement, le fossé entre l’Allemagne et ces pays, qui ont longtemps
figuré parmi ses principaux soutiens en Europe, n’a été aussi profond. Preuve que les canaux habituels de communications sont insuffisants : les deux poids lourds
sociaux-démocrates du gouvernement allemand, Sigmar Gabriel
(président du SPD et vice-chancelier) et Frank-Walter Steinmeier
(affaires étrangères), viennent
d’envoyer une lettre aux dirigeants sociaux-démocrates européens qui est en réalité, de l’aveu
même de leur entourage, une réponse au groupe de Visegrad.
« L’exclusion formelle d’un Etat
Un véritable front
anti-Merkel
est en train
de se constituer
à l’Est, autour
du premier
ministre hongrois
membre de l’espace Schengen ou
son exclusion de fait sont des fausses solutions qui empoisonnent les
débats européens », écrivent-ils.
Pour le moment, Angela Merkel
ne semble pas vouloir changer de
politique. Vendredi 12 février, profitant d’un débat à Hambourg
auquel participait également David Cameron, le premier ministre
britannique, la chancelière a eu
cette remarque qui en dit long sur
sa détermination. Il y a des gens
« qui disent qu’il y avait une vie
avant Schengen. Oui, il y avait
aussi une vie avant l’unité allemande. Et les frontières étaient encore mieux protégées ».
C’est dans ce contexte particulièrement tendu qu’un second sujet majeur de discorde vient
d’éclater entre Berlin et plusieurs
pays d’Europe centrale : le projet
de construction d’un second gazoduc entre la Russie et l’Allemagne, Northstream II, qui viendrait
compléter Northstream I, mis en
service en 2012. Samedi 13 février,
Andrzej Duda, le président polonais, a été on ne peut plus clair devant la conférence de Munich sur
la sécurité : « Nous étions contre
Northstream I et maintenant,
nous sommes contre Northstream II. Ils sont contre les intérêts
de la Pologne, de l’Ukraine et de la
Slovaquie. »
Pour les opposants à ce projet,
ces gazoducs ont l’inconvénient
de renforcer la dépendance de
l’Union européenne au gaz russe
et de réduire les recettes fiscales
de l’Ukraine et de la Slovaquie par
où transite actuellement une partie du gaz russe.
Pour Angela Merkel, ce projet est
« avant tout économique ». Une
thèse qui fait sourire, puisque les
principaux parrains de Northstream sont Vladimir Poutine, le
président russe, et l’ancien chancelier allemand Gerhard Schröder,
devenu président du conseil de
surveillance de la société qui exploite le gazoduc. En privé, certains diplomates allemands reconnaissent que les arguments
anti-Northstream ne sont pas infondés. « Que la Pologne prenne
100 000 réfugiés, et on y renoncera
peut-être », ironise l’un d’eux. p
frédéric lemaître
En Hongrie, la colère des enseignants contre Orban ne faiblit pas
La mainmise du pouvoir nationaliste sur l’éducation est désormais contestée au cœur de l’électorat du premier ministre
vienne - correspondance
L
es professeurs vont-ils faire
à leur tour plier Viktor Orban ? En octobre 2014, sous
la pression de la rue, le premier ministre conservateur avait déjà annoncé le retrait sine die de son projet de taxe Internet, considéré par
beaucoup de Hongrois comme un
danger pour les libertés publiques.
Environ 10 000 personnes ont
manifesté à nouveau malgré une
forte pluie, samedi 13 février, devant le Parlement à Budapest, formant l’un des plus importants
cortèges depuis l’arrivée au pouvoir il y a six ans du parti Fidesz.
« Orban, va-t-en ! », scandaient
même les marcheurs.
Cette fois, ils dénonçaient les
conséquences de la prise de contrôle de l’enseignement par l’Etat,
depuis des réformes centralisatrices adoptées en 2013. Ils soupçonnent le gouvernement de vouloir
priver petit à petit de leurs moyens
les établissements publics pour
renforcer les écoles gérées, aux
frais de l’Etat, par les églises.
Programmes surchargés
Les manifestations sont assez rares en Hongrie, et le mouvement
émane des classes moyennes,
d’ordinaire acquises à la cause de
Viktor Orban. Ce dernier a tenté
de réduire la grogne en limogeant
la secrétaire d’Etat à l’éducation,
Judit Czunyiné Bertalan. Son successeur, Laszlo Palkovics, sera
chargé de conduire des négociations avec les acteurs de l’éducation publique. Le gouvernement a
également réagi en organisant la
tenue de tables rondes.
venant
de choc
Mais la crise est profonde, et
Viktor Orban semble ne l’avoir
pas vue venir. Elle est partie de
Miskolc, une grande ville industrielle à 180 km au nord-est de la
capitale. Le 3 février, 5 000 personnes ont répondu à un premier
appel à manifester du syndicat
d’enseignants du lycée Hermann-Otto, un établissement public de quelque 800 élèves, devenu l’épicentre du mouvement
de contestation.
Les professeurs s’opposent en
particulier à un organisme public
créé il y a trois ans avec des fonds
européens, et auquel sont désormais rattachés les milliers d’établissements scolaires publics du
pays, auparavant dépendants des
municipalités. Baptisé KLIK
(Centre Klebelsberg pour la gestion institutionnelle), il assure la
« verticale du pouvoir » dans
l’enseignement.
Les manifestants l’accusent
d’avoir retiré toute autonomie
aux équipes pédagogiques, de
surcharger les programmes et de
contrôler abusivement l’ensemble du réseau. « Maintenant, les
élèves ont environ trente-six heures de cours par semaine et doivent
travailler le soir en rentrant à la
maison, déplore Oliver Pilz, professeur de physique, rencontré à
Miskolc. On ne leur laisse pas le
temps d’être des enfants. »
Les professeurs doivent aussi
s’évaluer les uns les autres au sein
d’une même école, puis transmettre leurs rapports au KLIK. On
ignore l’usage fait des textes,
mais la généralisation de cette
pratique aurait sensiblement dégradé le climat dans les établisse-
ments. Au mois de novembre
2015, le lycée Hermann-Otto avait
déjà envoyé une lettre de doléances aux autorités.
« Dérive autiste »
Restée sans réponse, elle a été
rendue publique début janvier.
Depuis, plus de 700 écoles ont
rejoint le mouvement.
« Beaucoup de parents d’élèves,
pourtant électeurs du Fidesz, ont
été indignés par le silence du gouvernement, car ce lycée est très réputé, souffle un manifestant de
Miskolc souhaitant conserver
l’anonymat. Le fait que le Fidesz ait
obtenu par deux fois les deux tiers
des sièges au Parlement a renforcé
son arrogance. Ses élus sont trop
sûrs d’eux, désormais. Et cette
fronde des enseignants est le symptôme de leur dérive autiste. Ils n’ont
nicolas demorand
le 18/20
mond
15 un jour dans le monde
18:15
19:20 le téléphone sonne
plus aucun retour sur l’état réel du
pays. A présent, ils sont contestés
au cœur même de leur électorat. »
Reconduite au pouvoir en 2014,
la majorité du parti Fidesz est toujours créditée de la première place
dans les récents sondages d’opinion, notamment grâce à la position intransigeante de Viktor
Orban sur la crise des migrants.
Elle semble néanmoins rattrapée
par un certain malaise social. « La
destruction de l’école est un symbole de ce qui se passe à l’échelle de
notre pays, s’insurge Zita Deak,
employée d’un service social dans
un village proche de Miskolc. Je
travaille depuis six ans et je touche
toujours moins d’argent. Je manifeste donc pour soutenir les professeurs, mais aussi pour m’opposer
au gouvernement. » p
blaise gauquelin
avec les chroniques
d’Arnaud Leparmentier
et d’Alain Frachon
dans un jour dans le monde
de 18 :15 à 19 :00
international | 5
0123
MARDI 16 FÉVRIER 2016
Bataille politique pour un siège à la Cour suprême
Les républicains refusent que M. Obama désigne un successeur au très conservateur juge Scalia, mort le 13 février
LE PROFIL
suite de la première page
La nomination par le président
démocrate Barack Obama d’un
successeur au juge Scalia pourrait
théoriquement leur faire perdre
cette majorité. Cet enjeu est rendu
encore plus crucial par la neutrali­
sation des pouvoirs exécutif et
législatif (la présidence démo­
crate face à un Congrès républicain), qui donne de fait à la Cour
un plus grand rôle d’arbitrage. Il
explique la vivacité de la réaction
des républicains. Ces derniers
n’ont guère laissé de place au
recueillement, tentant de dissuader préventivement M. Obama
d’exercer ses pouvoirs constitutionnels en nommant un successeur au juge nommé à vie par
Ronald Reagan en 1986.
« Le peuple américain doit avoir
son mot à dire dans le choix du
prochain juge de la Cour suprême.
Cette vacance ne doit pas être remplie avant que nous ayons un nouveau président », a ainsi immédiatement jugé Mitch McConnell, le
chef de la majorité républicaine
du Sénat. Maître de l’ordre du jour,
le sénateur du Kentucky dispose
d’un poids déterminant dans la
procédure de désignation puisque le choix du président doit être
ensuite validé par les sénateurs. Il
a été appuyé par le président de la
commission des affaires judiciaires, Chuck Grassley, élu de l’Iowa.
L’extrême sensibilité du sujet
est encore accentuée par la campagne des primaires pour l’élection présidentielle du 8 novembre. Depuis des mois, le sénateur
du Texas Ted Cruz dramatise l’enjeu de cette élection en faisant
valoir que le prochain président
aura la possibilité de modifier durablement les contours de la Cour
suprême. Avant sa mort, Antonin
Scalia comptait parmi les trois
juges âgés de plus de 79 ans, avec
Anthony Kennedy, également
nommé par Ronald Reagan, et
Ruth Bader Ginsburg, choisie par
le démocrate Bill Clinton. Même
s’ils sont nommés à vie, les
arbitres suprêmes se retirent généralement volontairement, en
moyenne aux alentours de 78 ans.
« Le juge Scalia était un héros
américain. Nous lui devons, ainsi
qu’à la nation, que le Sénat fasse en
sorte que le prochain président
nomme son successeur », avait
Antonin Scalia
Né le 11 mars 1936 dans le
New Jersey, Antonin Scalia
a grandi dans une famille d’émigrés italiens. Après de brillantes
études de droit à Harvard, ce
catholique fervent, père de
neuf enfants, a travaillé au sein
de plusieurs administrations
républicaines avant d’être
nommé par le président Ronald
Reagan, en 1982, juge à la cour
d’appel du district de Columbia,
puis en 1986 à la Cour suprême.
Il y défendait une conception
« originaliste » des textes
fondamentaux qui limite au
maximum leur interprétation.
Devant le siège de la Cour suprême, samedi 13 février, à Washington. DREW ANGERER/AFP
réagi M. Cruz, immédiatement
après l’annonce du décès. Dimanche, le sénateur a renchéri en assurant que les républicains devaient
transformer l’élection présidentielle en « référendum sur la Cour
suprême ». Un autre sénateur,
Marco Rubio, élu de Floride, a emboîté le pas à son rival du Texas.
Les deux élus ont fait valoir une
coutume qui interdirait une nomination en année électorale. Le
choix du juge Kennedy avait
pourtant été validé par le Sénat
en 1988, quelques mois seulement avant l’élection à la Maison
Blanche du vice-président George
« Le peuple
américain doit
avoir son mot à
dire dans le choix
du prochain juge
de la Cour »
MITCH MCCONNELL
sénateur républicain
Bush. Quant à l’actuel favori de la
course à l’investiture républicaine, Donald Trump, il a fixé sa
ligne de conduite à M. McConnell
lors du débat opposant les prétendants du Grand Old Party en Caroline du Sud, samedi soir : « retarder, retarder, retarder ».
Deux autres candidats républicains, l’ancien gouverneur de Floride Jeb Bush et le gouverneur de
l’Ohio John Kasich, n’ont pas paru
convaincus par cet appel à l’obstruction. M. Obama, qui a fait part
de son intention de nommer un
successeur au cours d’une intervention publique, samedi en fin
de journée, a précisé, dimanche,
qu’il attendrait le retour en session du Sénat, le 22 février, pour se
prononcer.
Le choix du blocage n’est pas
sans risque. Il implique en effet
que la Cour suprême soit dépourvue de majorité et donc
condamnée à l’impuissance au
moins jusqu’à la prise de fonction de la personne élue le 8 novembre et le bouclage d’une procédure de validation qui dure généralement un peu plus de trois
mois. Or de nombreux dossiers
sont déjà en attente, concernant
des sujets aussi divers que le rôle
des syndicats, la légitimité de la
discrimination positive, des restrictions éventuelles à l’avortement, ou encore la légalité de décrets présidentiels concernant la
régularisation temporaire de
millions de sans-papiers.
Le choix du
blocage implique
que la Cour soit
dépourvue de
majorité et donc
condamnée
à l’impuissance
Une nomination stratégique
Pour compliquer encore l’affaire,
le 8 novembre sera également
marqué par un renouvellement
partiel du Sénat qui pourrait tourner à l’avantage du Parti démocrate. Ce dernier compte en effet
ravir plusieurs sièges républicains dans des Etats « bleus ». Les
démocrates, qui comptent relativement moins de sortants cette
année, n’ont besoin que de
cinq sièges pour reprendre le contrôle du Sénat, même s’il leur faudra par la suite une majorité qualifiée pour écarter tout enlisement
procédural.
Parmi les noms avancés par la
presse américaine pour succéder
à Antonin Scalia reviennent avec
insistance ceux de juges de cours
d’appel fédérales déjà validés par
le passé par le Sénat. Aucune voix
républicaine ne s’était opposée à
deux d’entre eux, en 2013. C’est
d’ailleurs la piste qu’a esquissée
un membre éminent de la minorité démocrate, le sénateur de
New York Chuck Schumer. « Une
fois que le président aura choisi un
candidat “mainstream”, je vois
mal les sénateurs républicains
“mainstream” suivre Mitch McConnell. Si vous dites immédiatement : “peu m’importe qui va être
nommé, je vais m’y opposer”, ça ne
peut pas marcher », a-t-il estimé.
Le deuxième débat entre prétendants à l’investiture républi-
caine, en septembre 2015, avait
déjà montré l’extrême sensibilité
du sujet. Au cours de ce débat, le
président de la Cour suprême,
John Roberts, nommé par George
W. Bush, avait été quasiment accusé de trahison pour n’avoir pas
invalidé l’Obamacare, la réforme
de la santé voulue par le président
et sur laquelle les juges s’étaient
prononcés à deux reprises.
Les candidats républicains les
plus radicaux, M. Cruz mais aussi
M. Rubio, ne font pas mystère de
leur volonté de nommer des juges
chargés de défendre les valeurs
qui sont les leurs. De son côté, le
candidat à l’investiture démocrate Bernie Sanders assure que
s’il était élu président, il conditionnerait toute nomination à
l’engagement par la personne
concernée de remettre en cause
l’arrêt Citizens United v. Federal
Election Commission. Cette décision a permis la suppression des
plafonds pour le financement des
campagnes électorales. Autant de
promesses de mise au pas du
pouvoir judiciaire. p
gilles paris
En Espagne, le Parti populaire miné par les scandales de corruption
Plusieurs voix au sein de la droite demandent la démission de Mariano Rajoy, incapable de former une coalition de gouvernement
madrid - correspondance
L
a corruption est en train de
tous nous tuer », a déclaré la
présidente du Parti populaire (PP, droite) de la région de
Madrid, Esperanza Aguirre, dimanche 14 février, avant d’annoncer sa démission. Trois jours plus
tôt, le 11 janvier, les policiers
étaient entrés avec un mandat de
perquisition au siège du PP, afin
de fouiller les bureaux de l’ancien
gérant de la formation à Madrid,
Beltran Gutierrez. La police enquête sur de possibles commissions illégales prélevées sur des
contrats publics, qui auraient pu
servir à enrichir des cadres du PP,
mais aussi à financer illégalement la formation politique.
Esperanza Aguirre se déclare innocente, mais affirme avoir pris
cette décision « par responsabilité
politique (…), parce que j’aurais dû
mieux contrôler », a-t-elle expli-
qué. Une façon d’inviter d’autres
responsables politiques de son
parti à faire de même. Lorsque des
journalistes lui ont demandé si
elle voulait, en démissionnant,
montrer l’exemple au président
du PP, Mariano Rajoy, dont elle est
l’une des principales ennemies en
interne, Esperanza Aguirre lui a
indirectement montré la porte de
sortie : « Ce n’est pas le moment
des personnalisations, mais des
sacrifices et des concessions. »
« Epurer » le PP
L’idée que Mariano Rajoy doit céder sa place pour permettre au
parti de se remettre en selle gagne
du chemin. De plus en plus isolé,
Mariano Rajoy a été incapable de
trouver au sein du nouveau Parlement élu le 20 décembre 2015 les
soutiens nécessaires à son investiture comme chef du gouvernement. Parce qu’aucun parti ne
souhaite s’afficher à ses côtés, il a
dû céder la tâche de tenter de former un gouvernement au socialiste Pedro Sanchez, arrivé en
deuxième position avec 21,2 % des
voix, sept points et 1,7 million
d’électeurs de moins que le PP.
Le chef du jeune parti libéral
Ciudadanos, Albert Rivera, qui
plaide pourtant en faveur d’une
grande coalition avec les conservateurs et les socialistes, a luimême évoqué le manque « de crédibilité » de M. Rajoy pour « mener
la lutte contre la corruption ».
Quant au Parti socialiste ouvrier
espagnol (PSOE), il a été clair : « Si
quelqu’un pense qu’en faisant
pression sur le PSOE, il va obtenir
qu’il soutienne le parti le plus corrompu d’Espagne pour qu’il continue à gouverner, il se trompe », a
indiqué fin janvier Oscar Lopez, le
porte-parole socialiste au Sénat.
La corruption est la deuxième
préoccupation des Espagnols qui
assistent, atterrés, au ballet des
mises en examen, avec le sentiment amer que les responsables
politiques se sont consacrés durant des années à piller les caisses
publiques. Un constat que dresse
même le vice-secrétaire du PP,
Javier Maroto, l’une des jeunes recrues choisies en 2015 pour redorer le blason et « régénérer » la
formation, et qui s’est dit vendredi fatigué « de voir qu’il y a eu
une génération de politiques qui
Il est de plus
en plus difficile
au Parti populaire
de se retrancher
derrière l’idée
que les scandales
sont le fait de
brebis galeuses
ont toléré des choses absolument
intolérables et insoutenables ».
Avec d’autres jeunes dirigeants
du parti, il a appelé à « épurer et
nettoyer » le PP.
Situation insoutenable
Si d’autres formations politiques
sont elles aussi touchées par les
affaires, la situation du PP est
devenue insoutenable. Il lui est de
plus en plus difficile de se retrancher derrière l’idée que les scandales sont le fait de quelques
brebis galeuses, étant donné la
multiplication des affaires qui indiquent un possible financement
illégal du parti.
A Valence, selon plusieurs « repentis », la direction locale du PP
aurait demandé à ses élus de verser 1 000 euros sur le compte du
parti, remboursés ensuite avec des
billets de 500 euros d’origine inconnue. La mise en examen pour
blanchiment de la quasi-totalité
des conseillers municipaux du PP
de la ville de Valence a contraint le
parti à dissoudre, fin janvier, la direction locale et à nommer un administrateur provisoire.
Quant à la direction nationale,
elle n’est pas à l’abri des scandales.
Le PP a été mis en examen en janvier pour avoir détruit en 2013,
avant une perquisition judiciaire,
les disques durs de l’ordinateur de
son ancien trésorier Luis Barcenas. Ce dernier, mis en examen
pour corruption et blanchiment
depuis 2009, affirme qu’il tenait
une comptabilité parallèle du
parti, laquelle aurait été alimentée par les pots-de-vin d’entreprises favorisées. Vendredi 12 février,
devant le juge, le responsable juridique du parti a refusé de répondre aux questions et s’est contenté de lire un texte assurant que
l’ordinateur ne contenait aucune
information. p
sandrine morel
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MARDI 16 FÉVRIER 2016
A Hongkong, une émeute très politique
Pékin dénonce des mouvements « séparatistes enclins au terrorisme » après les violences du Nouvel An chinois
hongkong - correspondance
U
ne semaine après les
pires scènes de chaos
qu’ait connues l’ancienne colonie britannique depuis la rétrocession
en 1997, et plus d’un an après la
fin de la longue occupation citoyenne de certains quartiers de
la ville lors du « mouvement des
parapluies », Hongkong s’interroge sur la montée d’une mouvance politique dite « localiste »,
dénoncée par Pékin comme « séparatiste » et « encline au
terrorisme ».
Les localistes sont partisans de
la défense des spécificités hongkongaises face à la menace de
« continentalisation » de la Région administrative spéciale, qui,
juridiquement bénéficie d’un statut particulier jusqu’en 2047. Ils
sont plus ou moins ouvertement
« anti-chinois » et exploitent les
frustrations des classes moyennes appauvries de Hongkong.
Mais jusqu’à présent, ils ne prônaient pas d’action violente.
Pourtant, au petit matin de mardi
9 février, l’échauffourée qui
aurait dû rester une bagarre de
rue a dégénéré en affrontements
sanglants qui ont fait 124 blessés
dont 90 policiers et 5 journalistes.
Les dégâts matériels, exceptionnels pour Hongkong, sont restés
limités : quelques vitrines, un pare-brise de taxi et du mobilier urbain brûlé ou saccagé.
Pékin pour sa part a haussé le
ton, vendredi 12 février, dénon-
çant « une émeute complotée essentiellement par une organisation locale, radicale séparatiste ».
Dimanche, Zhang Xiaoming, le
directeur du Bureau de liaison à
Hongkong, le représentant de Pékin dans l’ancienne colonie britannique, a qualifié de « séparatistes radicaux enclins au terrorisme », les « voyous qui ont participé aux émeutes ». C’est la
première fois que la Chine utilise
le terme « séparatiste » pour
Hongkong, le même mot que celui utilisé pour les séparatistes
du Xinjiang et du Tibet, ce qui
laisse présager une ligne dure à
l’égard de ces comportements.
Identité menacée
L’émeute n’avait pourtant pas
un caractère spécifiquement
« anti-chinois ». Elle a démarré
alors qu’un groupe de manifestants qui avaient participé plus
tôt à une marche de « Hong
Kong Indigenous » a voulu prendre la défense de vendeurs ambulants qui allaient être contrôlés par une équipe d’inspection.
S’en prendre à eux, c’est donc
toucher à l’identité hongkongaise, que les localistes estiment
menacée, au même titre que la
liberté d’expression, la liberté de
la presse, la liberté académique
ou l’autonomie de la justice.
Au moins six organisations se
revendiquent désormais de
cette mouvance, dont l’une
prône ouvertement l’autonomie de Hongkong et son retour
au sein du Commonwealth. Plu-
SIU FAN
Le terme désigne les gargotes ambulantes qui proposent des
snacks locaux typiques de la tradition culinaire cantonaise, à
Hongkong. Beaucoup ne disposent pas de la licence requise, et
leur niveau d’hygiène passe rarement les critères officiels, mais
elles sont très populaires, notamment pendant les jours de fête.
Pour les « localistes », qui craignent l’influence croissante de Pékin
sur l’ancienne colonie britannique, ces petits métiers de rue sont
partie intégrante du patrimoine culturel de Hongkong, au même
titre que l’usage du cantonais ou que la présence des ramasseurs
de carton au beau milieu du trafic de la ville.
A la sortie du tribunal de Hongkong, le 11 février, après le procès de participants aux émeutes du mardi 9 février. VINCENT YU/AP
sieurs de ces jeunes partis ont
gagné des sièges aux élections
locales de 2015.
Violences policières
De manière plus générale, ces
groupes se nourrissent de la colère contre le chef de l’exécutif,
C. Y Leung à qui l’on reproche de
promouvoir les intérêts de Pékin
à Hongkong. « La question des
vendeurs ambulants n’est en rien
nouvelle. Mais toutes les questions soulevées par le mouvement
des parapluies sont restées en suspens. Si le gouvernement continue
d’ignorer les racines de ce malaise,
les groupes qui préconisent une
action violente vont se populariser car les Hongkongais ne voient
« Les groupes
qui préconisent
une action
violente vont
se populariser car
les Hongkongais
ne voient pas
de solutions »
STEPHEN CHAN CHING-KIU
professeur
à l'université Lingnan
David Headley, instigateur des attentats de
Bombay, reconnaît l’implication du Pakistan
L’Américano-Pakistanais témoignait par vidéoconférence devant un tribunal spécial
new delhi - correspondance
L’
un des instigateurs des attaques de Bombay, qui ont
fait 166 morts en novembre 2008, a reconnu devant un tribunal spécial indien, sept ans plus
tard, la complicité des services de
renseignement de l’armée pakistanaise (ISI). David Headley a comparu pendant cinq jours, la semaine dernière, en vidéoconférence depuis les Etats-Unis où il
purge une peine de trente-cinq ans
de prison. Il a accepté de témoigner contre la promesse faite par la
justice indienne de le gracier.
Ce détenteur de la double nationalité pakistanaise et américaine
a expliqué avoir rejoint pour la
première fois, en 2002, des camps
d’entraînement au Pakistan du
Lashkar-e-Taiba (LeT), le groupe
djihadiste instigateur des attaques de Bombay, dont il se dit « fidèle », pour y apprendre le maniement des armes. Il souhaite alors
partir pour le Cachemire, « combattre l’ennemi indien ». Mais les
responsables du groupe djihadiste
préfèrent lui assigner une autre
tâche, qu’il est l’un des rares à pouvoir accomplir grâce à sa double
nationalité. En 2006, celui qui se
prénommait Dawood Gilani demande un passeport américain
où il apparaît sous son nom actuel, pour « pénétrer plus facilement en territoire indien ».
David Headley s’y rend à sept reprises pour prendre des vidéos de
plusieurs sites, dont des installations militaires indiennes. Parmi
toutes les cibles envisagées, ce
sont finalement deux hôtels de
luxe, un café touristique, une gare
très fréquentée et un centre communautaire juif de Bombay qui
seront retenus. Quelques semaines avant les attaques de novembre 2008, l’embarcation des dix
assaillants se heurte à des rochers
au large des côtes pakistanaises.
Les attaques auront finalement
lieu après deux tentatives. Entre
deux repérages, David Headley dit
avoir rencontré deux responsables des services de renseignement de l’armée pakistanaise
auxquels il remet photos et plans
détaillés. Il retournera même à
New Delhi en mars 2009, quelques mois après les attaques de
Bombay, pour en préparer
d’autres, avant d’être arrêté aux
Etats-Unis la même année.
La plupart de ces informations
étaient déjà connues du FBI et des
enquêteurs des services de renseignement indiens qui s’étaient rendus aux Etats-Unis pour interroger
David Headley. Mais elles sont
pour la première fois entendues
devant un juge indien, dans le
cadre du procès d’un autre complice des attaques de Bombay,
Sayed Zabiuddin Ansari, également appelé Abu Jundal. Ce témoignage de l’intérieur lève à nouveau
le voile sur la complicité entre l’armée pakistanaise et les organisations terroristes djihadistes.
« Etat terroriste »
New Delhi entend bien mettre à
profit ces aveux pour poursuivre
sa stratégie de « naming and
shaming » (« dénoncer et blâmer »), formulée par le ministre
indien des affaires étrangères,
Subrahmanyam Jaishankar, et accroître ainsi la pression internationale sur Islamabad. Le parti au
pouvoir, le Bharatiya Janata Party
(BJP), demande même que le Pakistan soit déclaré « Etat terroriste » et que des sanctions internationales lui soient imposées au
prétexte qu’il n’existe dans le pays
« aucune organisation terroriste indépendante de l’Etat ».
Le rapprochement opéré ces derniers mois par le premier ministre
indien, Narendra Modi, avec les
pays du Golfe et l’Arabie saoudite
lui a également permis d’obtenir la
promesse que tous les fonds finançant les organisations djihadistes
au Pakistan soient gelés. L’étau se
resserre donc sur Islamabad.
Quelques jours après l’attaque
terroriste de la base aérienne militaire indienne de Pathankot, en
janvier, le premier ministre pakistanais Nawaz Sharif a accepté de
coopérer avec l’Inde, rompant avec
la position habituelle de déni. Sa
marge de manœuvre reste toutefois limitée. « L’appareil militaire,
plutôt que le gouvernement civil,
continue de contrôler avec fermeté
la politique étrangère du Pakistan,
notamment en Afghanistan et en
Inde », note le cabinet d’analyse politique Oxford Analytica.
A deux ans des élections, M. Sharif ne veut surtout pas se mettre à
dos l‘armée pakistanaise. Les cerveaux des attaques de Bombay
sont donc toujours en liberté au
Pakistan. Zaki-ur-Rehman Lakhvi,
l’un des commandants du LeT, a
été libéré sous caution par la justice pakistanaise en 2014, provoquant la fureur de New Delhi.
Hafiz Muhammad Saeed, le fondateur du groupe djihadiste, vit à
Lahore, libre de ses mouvements,
malgré la récompense de dix millions de dollars (huit millions
d’euros) promise par les Etats-Unis
pour toute information conduisant à son arrestation. p
julien bouissou
pas de solutions », analyse le professeur Stephen Chan Ching-kiu,
de l’Université Lingnan.
« Quand j’ai entendu à la télévision que la police avait tiré des
coups de feu et pointé des armes
vers la foule, j’y suis immédiatement allé car c’est totalement
inacceptable », explique Yeung
Tat Wong, leader de Civic Passion, une des organisations de la
mouvance localiste.
D’après lui, c’est ce geste de la
police, les deux coups de feu de
sommation tirés en l’air, qui a
tout fait basculer. L’émeute de
Mongkok a également porté un
nouveau coup à la réputation de
la police de Hongkong, accusée,
par les uns, d’avoir abusé de sa
force, comme le confirment certaines vidéos, et, par les autres,
d’avoir été incapable de gérer une
« bataille de rue ».
Une quarantaine d’émeutiers
accusés d’avoir participé aux
heurts ont comparu devant la
justice de la Région administrative spéciale de Chine. Ils risquent jusqu’à dix ans de prison
pour « participation à une
émeute ». Ils ont tous été libérés
sous caution, en attendant
l’audience renvoyée au 7 avril. Un
certain nombre d’entre eux, blessés notamment à la tête à la suite
de coups infligés par la police, selon leurs avocats, ont l’intention
de porter plainte. p
florence de changy
19
mois de prison pour Ehoud Olmert
L’ancien premier ministre israélien, âgé de 70 ans, est entré lundi
15 février dans la prison de Ramla, au sud-est de Tel-Aviv, pour y
purger une peine de 19 mois de prison pour corruption. Il devient
ainsi le premier ancien chef de gouvernement israélien à se retrouver derrière les barreaux. M. Olmert, premier ministre de 2006 à
2009, doit passer 18 mois en prison pour des pots-de-vin touchés
quand il était maire de Jérusalem, entre 1993 et 2003. A cette peine
s’est ajouté la semaine passée un mois de prison pour entrave à la
justice. – (AFP.)
HAÏ T I
Jocelerme Privert investi
président intérimaire
Le président du Sénat a été
investi président par intérim
d’Haïti dans la nuit du
samedi 13 au dimanche 14 février. Au lendemain de son
élection par le Parlement,
Jocelerme Privert a appelé la
classe politique à s’unir pour
sortir de la crise qui paralyse
le développement du pays.
Il a pris officiellement
dimanche la succession de
Michel Martelly, pour une
durée prévue de 120 jours,
à cause du report du second
tour de la présidentielle.
Si cette élection atténue la
crise, l’incertitude persiste
quant à la possible tenue d’ici
quatre mois des élections
présidentielles et législatives
partielles, reportées sine die
en janvier suite aux
contestations de l’opposition,
qui accusait Michel Martelly
de fomenter un « coup d’Etat
électoral ». – (AFP.)
R ÉPU BLI QU E
C EN T RAF R I C AI N E
Second tour de
l’élection présidentielle
dans le calme
Le second tour de l’élection
présidentielle, qui oppose
Anicet Georges Dologuélé à
Faustin Archange Touadéra,
s’est déroulé dimanche
14 février sans incident majeur. Le premier tour des
élections législatives était organisé conjointement après
que la Cour constitutionnelle a annulé ses résultats
en janvier suite à de « nombreuses irrégularités ».
Le chef de la délégation
d’observateurs de l’Union
africaine a estimé dimanche
que cette fois, « du point de
vue de l’organisation, le pari
a été gagné ». Les résultats
officiels de cette élection
destinée à tourner la page de
trois années de violences ne
devraient pas être connus
avant plusieurs jours.
– (AFP.)
planète | 7
0123
MARDI 16 FÉVRIER 2016
Le Canada sanctuarise la plus grande forêt humide
Plus de 3 millions d’hectares, le long du Pacifique, seront interdits de toute exploitation
montréal - correspondance
L
a province de Colombie­
Britannique doit encore
légiférer, au printemps,
pour que l’accord histori­
que entre en vigueur. Mais sa si­
gnature, début février, met bien
fin à vingt ans d’un dur conflit entourant l’exploitation forestière
de la Great Bear Rainforest (forêt
humide du Grand-Ours), deux fois
plus grande que la Belgique. Avec
3,6 millions d’hectares, c’est la
plus vaste forêt humide tempérée
de la planète, s’étirant de l’Alaska
au sud de la Colombie-Britannique et abritant des arbres millénaires et une riche biodiversité.
Plus de 3 millions d’hectares
seront désormais interdits de
coupe, alors que 15 % des terres
(550 000 hectares) pourront être
exploitées en respectant les
normes nord-américaines les plus
strictes. Un nouveau plan d’aménagement « écosystémique » est
adopté, sans coupe à blanc, avec
préservation de rivages ou d’habitats de l’ours, dont l’ours kermode,
qui se fait rare. Le cèdre rouge et l’if
de l’ouest en sont aussi exclus et
huit zones d’exploitation devront
tenir compte de la biodiversité, du
tourisme et de l’activité minière.
« Guerre des bois »
L’accord fait suite à une longue
« guerre des bois » entamée il y a
vingt ans, avec blocages de routes,
boycottage international du bois
de la région, écologistes enchaînés aux arbres de Clayoquot
Sound, sur l’île de Vancouver,
dont les images ont fait le tour du
monde. Montré du doigt pour
avoir comparé cette forêt à un
« Brésil du Nord », Greenpeace
était traité d’« ennemi de la Colombie-Britannique » par son ancien
premier ministre Glen Clark,
tandis que les groupes autochtones, comme les Haida Gwaii,
s’alliaient aux écologistes.
En 1993, une centaine de personnes furent arrêtées pour désobéis-
sance civile, après avoir bloqué
une route d’accès à Clayoquot. Il
faudra attendre l’année 2000
pour que les groupes environnementaux et les compagnies forestières enterrent la hache de
guerre, mettant fin au boycottage
et aux coupes. L’année suivante,
des pourparlers étaient engagés
entre gouvernement provincial et
représentants autochtones, mais
c’est seulement en 2006 qu’un
projet d’accord sur la protection
de la Great Bear Rainforest voit le
jour. Dix ans de discussions seront encore nécessaires pour
aboutir à une entente formelle.
Vingt-six nations autochtones
de la région y sont parties prenantes, aux côtés du gouvernement
de la Colombie-Britannique, de
cinq compagnies forestières et
trois groupes environnementaux
(Greenpeace Canada, le Sierra
Club BC et ForestEthics Solutions).
Perry Bellegarde, président de l’Assemblée des premières nations,
note que « l’accord montre à quoi
ALASKA
(EU)
CANADA
COLOMBIE
BRITANNIQUE
OCÉAN
PACIFIQUE
Great Bear
Rainforest
500 km
on peut arriver lorsque les Premières Nations sont traitées comme
des partenaires à part entière ».
Qualifiant la région de « joyau canadien », le premier ministre provincial, Christy Clark, juge que l’accord protège « une large zone de
vieille forêt et de plus récente, tout
en ouvrant des possibilités de développement économique et d’emplois ». La protection va au-delà de
ce qui avait été négocié en 2006,
20 % de forêt en plus échappant à
l’exploitation commerciale.
« Passer du conflit à la collaboration est le meilleur moyen de trouver des solutions viables pour les
forêts, les communautés, les peuples autochtones et l’industrie
forestière », assure Nicolas Mainville, responsable de la campagne
forêts chez Greenpeace Canada.
Avec « l’un des plans d’aménagement forestier les plus solides de la
planète » et « 640 000 tonnes
d’émissions de carbone emprisonnées par an », Valérie Langer, de
ForestEthics Solutions, croit que
l’accord sur la forêt du Grand-Ours
peut servir de modèle de protection des dernières grandes forêts :
la forêt boréale du nord du Québec
et de l’Ontario, celles du Brésil, de
Nouvelle-Zélande, du Chili, du
Brésil, du Congo, du Japon…
Représentante des compagnies
forestières, Karen Brandt estime,
elle, que l’industrie subit un dommage collatéral : l’importance des
coûts associés à quelque
8 000 conditions d’application de
l’accord les pousse à renoncer à demander une certification FSC. Ce
label Forest Stewardship Council
permet de s’assurer que les produits forestiers sont conformes à
des exigences telles que la bonne
gestion forestière ou le bien-être
des salariés et populations locales.
De leur côté, les groupes autochtones du Canada espèrent que l’accord ouvrira la voie à un changement de ton dans les relations avec
le gouvernement et le secteur
privé. Il en va, selon eux, du respect
des droits des Premières Nations
sur leurs territoires traditionnels,
mais aussi d’une participation
constructive à des projets économiques. Mais rien ne leur est garanti pour l’avenir. A court terme,
en revanche, ceux qui vivent sur le
territoire de la forêt humide subiront un dommage collatéral : la
chasse commerciale au grizzly y
sera interdite, pour eux comme
pour les chasseurs « blancs ». p
anne pélouas
Mobilisation à Bordeaux
contre les pesticides
Les associations dénoncent l’usage intense
de produits chimiques dans les vignes
« Les résistances
des champignons
se développent
et seuls les vieux
produits les plus
dangereux
restent efficaces »
FORMULE
INTÉGRALE
3 MOIS
LE QUOTIDIEN ET SES SUPPLÉMENTS
+ M LE MAGAZINE DU MONDE
+ L’ACCÈS À L’ÉDITION ABONNÉS DU MONDE.FR
7 JOURS/7
DOMINIQUE TECHER
viticulteur bio
69
Pour lui, la culture conventionnelle est arrivée à une impasse, à
force de mécanisation à outrance
et de traitements répétés. « Les résistances des champignons se développent et seuls les vieux produits les plus dangereux restent
efficaces », estime-t-il.
Un diagnostic inquiétant
Une note technique sur la résistance des maladies de la vigne,
cosignée par plusieurs organismes dont l’Institut national de la
recherche agronomique et les
chambres d’agriculture, dressait
un diagnostic inquiétant en 2015
en concluant que plusieurs familles de substances chimiques
avaient perdu toute efficacité dans
la lutte contre le mildiou, l’oïdium
et la pourriture grise.
Continue-t-on d’épandre des
pesticides qui ne servent plus à
rien ? « Nous utilisons des produits
homologués, rétorque Bernard
Farges, le président du Comité interprofessionnel des vins de Bordeaux. Nous savons qu’il y a une attente sociétale et nous informons
les viticulteurs sur d’autres façons
de travailler, mais s’il faut changer
les règles, c’est à l’Etat de le faire. »
Le 12 février, à la suite d’une
étude sur les risques de cancer liés
au glyphosate, la ministre de
l’écologie a demandé à l’Agence
nationale de sécurité sanitaire de
l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) de
réexaminer ce produit. Ségolène
Royal veut que soit aussi étudié
l’effet de cet herbicide combiné
avec certains de ses adjuvants et
invite l’Anses à « retirer d’ici la fin
du mois de mars les autorisations
de mise sur le marché des préparations phytopharmaceutiques contenant ces coformulants présentant des risques préoccupants ». p
martine valo
€
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D
imanche 14 février, à Bordeaux, ils étaient environ 600 à manifester
contre l’usage des pesticides. Le
succès de cette « marche blanche » sous la pluie a agréablement
surpris ses organisateurs : la Confédération paysanne de la Gironde, plusieurs associations et
collectifs (Alerte pesticides Léognan, Générations futures, Les
Amis de la Terre, Allassac ONGF).
Les militants ont voulu profiter
de l’émoi suscité par l’émission
« Cash investigation », diffusée le
2 février par France 2, pour mobiliser la société civile. Ce programme,
qui a été vu par plus de 3 millions
de téléspectateurs, alerte sur l’impact des produits phytosanitaires
sur la santé et sur l’environnement
et met précisément l’accent sur la
consommation record des vignobles bordelais.
La culture de la vigne pèse lourd
dans l’économie locale. Elle est
présente dans 441 communes sur
les 542 que compte le département, dans 78 % des exploitations
agricoles, et donne 5 millions
d’hectolitres par an. Entre les
6 600 viticulteurs, ses 300 maisons de négoce et ses caves coopératives, le monde du vin est le
premier employeur de Gironde et
génère 4 milliards d’euros de chiffre d’affaires.
Mais cette monoculture engendre des épandages répétés, de fongicides en particulier, pour lutter
contre les maladies de la vigne.
Après des années d’omerta, les
accrocs se multiplient avec les travailleurs – très exposés – et des
riverains. Valérie Murat et MarieLys Bibeyran se battent depuis des
années pour faire reconnaître
comme maladie professionnelle
les cancers du père de l’une et du
frère de l’autre, tous deux viticulteurs. En 2014, 23 enfants et leur
enseignante avaient été intoxiqués à Villeneuve.
« Certains jours, il m’est arrivé de
faire rentrer mes petits-enfants
pour les protéger d’épandages
alentour », témoigne Dominique
Techer, viticulteur bio à Pomerol.
Lui qui se présente comme un poil
à gratter dans le milieu feutré de la
viticulture est l’un des organisateurs de la manifestation. « Je suis
obligé de faire analyser mes récoltes, j’y retrouve sous forme de traces le bruit de fond des pesticides
dans le Bordelais », se désole-t-il.
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8 | france
0123
MARDI 16 FÉVRIER 2016
2016, l’illusoire
« année utile »
de Hollande
Le chef de l’Etat, qui n’a plus de grandes
réformes à faire voter, veut multiplier les
déplacements pour renouer avec les Français
suite de la première page
Le chef de l’Etat explique en privé
que « 2017, de toute façon, c’est ce
que j’avais reproché à Nicolas
Sarkozy [en 2012], n’est plus une
année de réforme, explique-t-il
en privé. Réformer jusqu’au bout,
cela veut dire jusqu’à la fin de
2016. » Un vœu pieux quand on
regarde le calendrier parlementaire extrêmement contraint
dans les prochains mois.
Dans un premier temps, l’exécutif doit d’abord se sortir définitivement du bourbier de la déchéance de nationalité. Si le vote
de la révision constitutionnelle
par l’Assemblée nationale, mercredi 10 février, a quelque peu
soulagé la majorité, le feuilleton
est loin d’être terminé. Le Sénat,
tenu par la droite, ne devrait pas
faire de cadeau à la gauche en votant le texte dans les mêmes termes. Celui-ci devrait donc revenir entre les mains des députés.
La promesse de nouveaux débats
compliqués. L’exécutif devra
alors trancher : soit il abandonne
l’idée de révision constitutionnelle et se concentre sur la réforme de la procédure pénale,
soit il reprend les négociations.
Revenir sur le terrain du social
Dans tous les cas, M. Hollande devra traîner le fardeau de la déchéance au moins jusqu’en mai.
« Le premier semestre de l’année
2016 ne peut être que sur la sécurité », estime-t-il en privé. Beaucoup de proches le pressent toutefois de passer à la prochaine
étape. « Tout ce débat sur la déchéance, ça ne fait pas bouger une
voix à droite, et pendant ce
temps-là, on en perd à gauche »,
regrette un dirigeant de la majorité. D’autant que d’ici à juin,
l’exécutif sera également confronté à l’épineux référendum
sur le projet d’aéroport à NotreDame-des-Landes (Loire-Atlantique).
Les socialistes aimeraient revenir sur le terrain du social et de
l’emploi, principale préoccupa-
tion des Français. Mais le projet
de loi sur le droit du travail, porté
par Myriam El Khomri et dans lequel seront intégrées les mesures
qui devaient initialement être
portées par Emmanuel Macron,
est de nature à exacerber une
nouvelle fois les divisions au sein
de la majorité.
Beaucoup de parlementaires
soupçonnent l’exécutif de vouloir toucher indirectement au
principe des 35 heures, à travers
les négociations de branches. Le
niveau de rémunération des heures supplémentaires devrait notamment faire l’objet de joutes
au sein du groupe socialiste. En
revanche, le PS veut voir dans la
création du compte personnel
d’activité, prévu dans la loi, la
« grande mesure sociale du quinquennat ». Il faudra un peu d’imagination : les partenaires sociaux
n’ont en effet trouvé qu’un accord a minima et le dispositif
n’en sera qu’à ses balbutiements
en 2017.
Le Parlement va également être
occupé par le projet de loi Sapin
de lutte contre la délinquance financière et par le texte défendu
par le ministre de la ville, de la
jeunesse et des sports, Patrick
Kanner, sur l’égalité et la citoyenneté. Ce dernier, qui ne comporte
pas de réforme majeure, devrait
être relativement consensuel du
côté de la majorité.
A ce calendrier déjà bien fourni,
il faut ajouter un projet de loi de
finances rectificative à l’été, la fin
de la loi biodiversité de Ségolène
Royal et de la loi numérique
d’Axelle Lemaire. S’il reste de la
place au second semestre, le nouveau garde des sceaux, Jean-Jacques Urvoas, défendra, pour sa
part, le projet de réforme de la
justice du XXIe siècle, que Christiane Taubira n’aura pas réussi à
mener à bien. Une avalanche de
textes, dont aucun n’est en mesure de renverser la donne.
Au gouvernement, chacun sait
que le salut ne passera pas par la
voie parlementaire. Plusieurs
ministres appellent à renouer
François
Hollande,
à l’Elysée,
le 12 février.
JACKY NAEGELEN/
REUTERS
avec les déplacements, mis en
sommeil après les attentats de
novembre et les élections de décembre 2015. « Il faut que 2016
soit une année utile, plaide un ministre. Moi je n’ai qu’une envie,
c’est que mercredi on nous dise en
conseil des ministres : “Maintenant il faut y aller et mener le
combat sur le terrain !”. »
Une fois sorti de la nasse de la
révision constitutionnelle, le
chef de l’Etat a lui-même l’inten-
L’obsession
de l’Elysée est
de ne pas se faire
écraser par la
campagne de la
primaire à droite,
dans un remake
inversé de 2012
tion de renouer avec la stratégie
du mouvement permanent,
comme il l’avait fait entre avril et
octobre 2015. « Désormais, je vais
me déplacer, même si je ne veux
pas donner l’impression d’être en
campagne d’autant que la situation reste lourde, les conditions de
sécurité plus sérieuses. Mais
d’autres vont faire des tours de
France… », ironise-t-il en privé, en
ciblant la droite.
La réelle obsession de l’Elysée
est de ne pas se faire écraser par
la campagne de la primaire à
droite, dans un remake inversé
de la présidentielle de 2012.
« C’est une vraie question qu’on se
pose : qu’est-ce qu’on fait pour
exister à l’automne 2016 quand
les médias ne parleront que de la
droite ? », souligne un de ses proches. D’autant que d’ici là, en l’absence d’électrochoc sur la question de l’emploi, c’est face à sa
gauche que François Hollande
aura à batailler pour imposer une
candidature qui n’ira pas forcément de soi. p
nicolas chapuis
et david revault d’allonnes
Trois projets de loi qui restent à préciser pour clore le quinquennat
Les textes portés par Michel Sapin et Emmanuel Macron, Myriam El Khomri et Patrick Kanner font l’objet d’arbitrages disputés
L
ors de son entretien télévisé du jeudi 11 février,
François Hollande a réitéré
son intention de poursuivre les
réformes « jusqu’au bout ». « Entre
ceux qui ne veulent rien faire et
ceux qui veulent tout défaire, nous
voulons bien faire », a-t-il résumé,
citant notamment les futurs projets de loi de la ministre du travail,
Myriam El Khomri, et la loi pour
l’entreprenariat et l’investissement, confiée « aux ministres Macron et Sapin ».
Sapin-Macron, à couteaux tirés
« Le porte-avions Sapin est prêt à
accueillir les avions orphelins »,
plaisantait récemment devant la
presse le ministre des finances,
Michel Sapin. La transmission du
texte au Conseil d’Etat a été retardée pour y intégrer les apports issus du chantier sur les « nouvelles
opportunités économiques » lancé
en novembre 2015 par Emmanuel
Macron et que le ministre de l’économie entendait porter au printemps.
Le « Sapin 2 » – après son premier texte contre la corruption
datant de… 1993 – portera la création d’une agence de détection de
la corruption, chargée de contrôler la mise en place de programmes de prévention de la corruption dans les entreprises de plus
de 500 salariés réalisant plus de
100 millions d’euros de chiffre
d’affaires. Il crée aussi un statut
protecteur des lanceurs d’alerte et
instaure une procédure de transaction pénale pour les faits de
corruption à l’étranger.
La partie Macron, elle, porte sur
le financement de l’économie,
l’investissement dans les nouvelles technologies, et inclut des me-
sures en faveur de l’entreprenariat. Cependant, les arbitrages –
notamment sur la question des
seuils pour les autoentrepreneurs
– n’ont pas encore été rendus. Le
texte devrait être présenté le
23 mars en conseil des ministres.
D’ici là, M. Macron a prévu de présenter en détail la logique d’ensemble de ses propositions, histoire de bien montrer que, si le
projet retenu ne va pas plus loin,
ce n’était pas son souhait.
La réforme sociale Le projet de
loi porté par la ministre de l’emploi, Myriam El Khomri, doit être
présenté en conseil des ministres
le 9 mars. Le premier volet vise à
modifier les règles sur le temps de
travail sans toucher aux 35 heures, cette durée restant le seuil à
partir duquel le salaire est majoré
pour chaque heure supplémen-
taire effectuée. L’idée de simplifier les règles du licenciement
économique serait également envisagée, selon Le Journal du dimanche et Les Echos, mais rien
n’est arbitré, à ce stade, préciset-on à Matignon.
Deuxième grand chapitre : le
dialogue social. C’est dans cette
optique que sera réécrit le code du
travail, en s’inspirant notamment
du rapport remis le 25 janvier par
le comité Badinter. Le recours au
référendum d’entreprise pourrait
être autorisé pour valider des accords signés par des syndicats
ayant recueilli au moins 30 % des
voix aux élections professionnelles ; si le « oui » l’emporte, les organisations majoritaires ne pourront plus s’opposer à l’entrée en
application de l’accord.
Le projet de loi va proposer un
nouveau barème d’indemnités
prud’homales liées à l’ancienneté
du salarié après la censure par le
Conseil constitutionnel des dispositions inscrites dans la loi
« croissance
et
activité »
d’août 2015.
Enfin, le texte de la ministre de
l’emploi donnera un contenu au
compte personnel d’activité
(CPA), que M. Hollande présente
comme « la grande réforme sociale de [son] quinquennat ».
Consultation numérique Le projet de loi « égalité et citoyenneté »,
qui devrait être présenté le 6 avril
en conseil des ministres, est découpé en trois parties. Patrick
Kanner, le ministre de la ville, de
la jeunesse et des sports, portera
le premier volet sur la « citoyenneté et l’émancipation des jeunes », ainsi que le troisième sur
« la République en acte », face aux
discriminations. La toute nouvelle ministre du logement, Emmanuelle Cosse, défendra le
deuxième titre, sur « l’habitat et la
mixité sociale ».
Le texte devrait graver dans le
marbre les propositions de
M. Hollande en matière de service
civique. Le gouvernement a prévu
d’organiser une consultation numérique après le passage en Conseil d’Etat. Les propositions faites
par les internautes pourront
éventuellement faire l’objet
d’amendements parlementaires.
M. Kanner, qui n’a pas obtenu le
fait que la limitation du cumul
dans le temps des mandats figure
dans le texte initial, ne désespère
pas qu’elle revienne par la voie de
la consultation citoyenne. p
bertrand bissuel,
nicolas chapuis
et patrick roger
france | 9
0123
MARDI 16 FÉVRIER 2016
Sarkozy est de plus en plus défié dans son camp
Dimanche, Copé a annoncé sa candidature à la primaire de novembre et Raffarin a officialisé son soutien à Juppé
C
e devait être un long
week-end de retrouvailles. Ce furent en réalité deux jours de batailles larvées et de grandes
manœuvres pour préparer la primaire de novembre 2016, rendezvous cardinal de tous les ambitieux de la droite française.
Dimanche 14 février, au second
jour du conseil national du parti
Les Républicains (LR), trois temps
forts ont rythmé la journée : JeanFrançois Copé a déclaré sa candidature à la primaire, Jean-Pierre
Raffarin a rejoint Alain Juppé,
alors que Nicolas Sarkozy a présenté les grandes lignes du projet
qu’il entend imposer à ses rivaux
– mais en leur absence.
Largement distancé par Alain
Juppé dans les sondages et malmené par ses propres troupes, le
président de LR souhaite user de
sa position de chef de parti pour
s’imposer comme le candidat naturel de son camp en 2017. Sans se
déclarer candidat, M. Sarkozy a
présenté dimanche, en clôture du
conseil national, les grandes lignes d’un « projet collectif » qu’il
souhaite voir adopté par les
240 000 adhérents.
Chacun a affiché sa liberté
Ce texte, qui compile les mesures
déclinées par M. Sarkozy ces derniers mois, grave dans le marbre
le refus du front républicain, le
respect de la laïcité (« neutralité religieuse dans les administrations,
les universités, lycées, collèges et
écoles publiques »), la baisse simultanée des impôts et des déficits publics et le recours au référendum en cas de « blocage » de la
société française.
L’ancien chef de l’Etat continue
à labourer le champ des idées de
la droite dure en défendant « l’assimilation », « l’accueil des réfugiés dans le respect de l’identité
nationale », « les racines chrétiennes » ou le rétablissement des
contrôles aux frontières de la
France « tant qu’un Schengen II digne de ce nom n’aura pas été mis
en œuvre ».
Les propositions ne sont pas
nouvelles mais la manœuvre est
avant tout stratégique. Car
M. Sarkozy va envoyer ce texte
dans les fédérations, où il sera dé-
Nadine Morano
a reproché
à M. Sarkozy
d’avoir supprimé
le ministère
de l’immigration,
après l’avoir
instauré
Eric Woerth, Jean-François Copé, Nicolas Sarkozy et Luc Chatel, au conseil national de LR, le 13 février. A. GUILHOT/DIVERGENCE POUR « LE MONDE »
battu, avant d’être validé en bureau politique. Sa ligne sera donc
désormais la ligne officielle du
parti, plébiscitée par les adhérents. Une façon de mettre en
porte-à-faux les candidats qui
s’en éloigneraient et de se poser
en leader de la base militante lors
des débats de la primaire.
Le problème de ce plan est
qu’aucun des rivaux de
M. Sarkozy ne se sent engagé par
ce texte. Ceux-ci misent sur le fait
Le président
de LR continue
à labourer
le champ
des idées
de la droite dure
que la primaire réunira près de
trois millions de votants et réduira mécaniquement le poids
des adhérents. Et comme la politique est aussi une chanson de
geste, chacun a affiché sa liberté
lors du conseil national de ce
week-end.
« Pas d’homme providentiel »
Alain Juppé, favori des sondages,
et Bruno Le Maire, qui doit annoncer sa candidature le 23 février à
Vesoul, n’ont fait que passer, samedi, porte de Versailles. Juste le
temps de prendre quelques photos avec les militants et de laisser
leurs entourages confirmer que le
projet du candidat à la présidentielle sera celui du vainqueur de la
primaire. Ils sont repartis sans
monter à la tribune. Les autres
candidats qui se sont exprimés
ont ouvertement défié M. Sarkozy.
« Une ligne politique est le résultat
d’un projet pour la France, pas le
fruit d’une synthèse hollandaise »,
a assené François Fillon, avant de
rappeler son opposition à la révision constitutionnelle défendue
par l’ex-chef de l’Etat.
Quant à la députée de l’Essonne
Nathalie Kosciusko-Morizet, qui
doit annoncer sa candidature
autour du 10 mars, elle a estimé
« qu’il n’y a pas d’homme providentiel » et que la droite ne pourrait pas « juste reprendre le fil de
Luc Chatel à la tête du conseil national
Luc Chatel, député de la Haute-Marne et conseiller politique de
Nicolas Sarkozy, a été élu président du conseil national du parti
Les Républicains, samedi 13 février. L’ancien ministre de l’éducation nationale (2010-2012) s’est imposé face à Michèle Alliot-Marie pour succéder à Jean-Pierre Raffarin à la tête de cette instance
considérée comme le parlement du parti.
M. Chatel, qui avait assuré l’intérim à la tête de l’UMP de juin à
novembre 2014, après le départ de Jean-François Copé et jusqu’à
l’élection de M. Sarkozy, a obtenu, samedi, près de 55,3 % des suffrages par les conseillers nationaux (parlementaires, présidents
de fédération, secrétaires départementaux…), à bulletin secret et
sans procuration, contre 44,7 % à sa concurrente. Sur les 980 votants, il a recueilli 532 voix, contre 430 pour Mme Alliot-Marie.
2012, là où nous l’avons laissé ».
D’autres ont affiché leur intention de séduire une partie de
l’électorat, tout en s’en prenant
au président de LR. Nadine Morano, qui courtise les électeurs
les plus à droite, lui a reproché
d’avoir supprimé le ministère de
l’immigration lors de son quinquennat, après l’avoir instauré
en 2007. Le député de la Drôme
Hervé Mariton, quant à lui, a
tenté de rallier à sa cause les opposants au mariage pour tous, en
rappelant à M. Sarkozy son revirement sur le sujet : « Je veux
l’abroger parce que je vais tenir la
promesse que tu avais faite. »
Ce week-end, l’avenir de la primaire s’est aussi joué dans les studios de télévision. Dimanche soir,
quelques minutes avant que Nicolas Sarkozy ne s’exprime sur TF1
– pour rappeler sa volonté de
« rassembler » son camp pour
2017 –, Jean-Pierre Raffarin a annoncé son soutien à Alain Juppé,
sur BFM-TV, en opposant la « tempérance » et « l’équilibre » du maire
de Bordeaux à « la volonté de cliver » du président de LR.
Ultime coup dur du week-end
pour ce dernier : Jean-François
Copé a lui aussi annoncé sa candidature à la primaire, dimanche
soir, au « 20 heures » de France 2.
Un concurrent de plus pour l’ancien chef de l’Etat. Le maire de
Meaux (Seine-et-Marne) allonge
la liste des candidats, déclarés
(Alain Juppé, François Fillon, Nadine Morano, Hervé Mariton, Frédéric Lefebvre, Jean-Frédéric Poisson) ou en passe de l’être (Bruno
Le Maire et Nathalie KosciuskoMorizet), déterminés à lui barrer
la route de l’Elysée. p
matthieu goar
et alexandre lemarié
Le référendum sur Notre-Dame-des-Landes déjà contesté
CON GR ÈS
Partisans et opposants mettent en cause le périmètre et l’idée même d’une consultation locale sur le projet d’aéroport
Le sénateur Jean-Pierre Raffarin (LR) a estimé, dimanche
14 février, sur BFM-TV, que le
Sénat « devra réécrire » le projet de loi constitutionnelle
voté par l’Assemblée nationale, ce qui pourrait compromettre la réunion du Congrès.
« Ou les députés acceptent que
l’on revienne à la proposition
que le président de la République a formulée, ou il n’y aura
pas de Congrès » faute de texte
commun, a-t-il ajouté. – (AFP.)
nantes - correspondant
L
e référendum souhaité par
François Hollande sur l’aéroport de Notre-Dame-desLandes (Loire-Atlantique) aura-t-il
lieu ? L’on peut en douter. Même si
le gouvernement parvient à tricoter un cadre juridique à ce scrutin,
en modifiant la loi par ordonnance, l’affaire risque de tourner
au fiasco. « Dans quel pays a-t-on
besoin d’un référendum pour faire
appliquer la loi ?, tempête Bruno
Retailleau, président (LR) du conseil régional des Pays de la Loire.
Une fois de plus, la méthode Hollande est en action, et consiste à ne
pas prendre de décision… » M. Retailleau a prévenu qu’il refuserait
d’organiser cette consultation,
qu’il qualifie d’« enfumage ».
Manuel Valls, qui veut organiser
le scrutin à l’échelle de la Loire-Atlantique avant l’été, a rappelé que
le verdict devrait s’imposer à toutes les parties. Mais les opposants
montrent déjà les dents. Durant le
week-end, plusieurs responsables
politiques se sont relayés pour
faire entendre une même musique. Le référendum ? « Inutile », a
déclaré Jean-Luc Mélenchon
(Parti de gauche), dimanche, sur
France 3. « Absurde », a estimé
Jean-Christophe Lagarde, le président de l’UDI, invité du « Grand
Rendez-Vous » Europe 1-i-Télé-Le
Monde. Une idée qui pose « plus
de questions qu’elle n’apporte de
solutions », a expliqué l’ancien secrétaire d’Etat aux transports, Frédéric Cuvillier (PS), dans Le Journal du dimanche.
Sylvain Fresneau, agriculteur
expulsable, redoute « un débat
biaisé », dans la mesure où « les
documents qui ont abouti à la déclaration d’utilité publique étaient
truffés d’erreurs ». Julien Durand,
autre figure de la lutte, estime que
« ce serait faire injure à la Bretagne
d’exclure ses habitants de cette
consultation alors qu’ils doivent
payer pour le projet ».
Le périmètre de consultation
« doit être la Bretagne et les Pays de
la Loire », soutient Sophie Bringuy,
conseillère régionale EELV, qui
ajoute : « Pour être sérieux et légitime, un référendum doit respecter
des règles. Il faut organiser un débat public. Cela pose la question de
l’accessibilité de la population à des
informations claires et justes… »
Les opposants ont chargé leurs
avocats d’étudier la possibilité
d’attaquer la mise en œuvre de la
consultation si ses modalités ne
cadrent pas avec leurs exigences.
Et ils misent un peu d’espoir sur
l’inspection récemment ordonnée par la ministre de l’écologie,
Ségolène Royal, pour tenter de démêler le dossier.
L’association Des Ailes pour
l’Ouest, favorable au projet, considère le référendum comme « un
déni de démocratie, qui bafoue les
décisions portées par les élus locaux » et les « 160 décisions de justice qui ont donné raison au projet ». « Le référendum n’était pas
mon option, explique, quant à elle,
la maire socialiste de Nantes, Johanna Rolland. Mais le président
en a décidé ainsi. Selon moi,
« Une fois de plus,
la méthode
Hollande est en
action, et consiste
à ne pas prendre
de décision… »
BRUNO RETAILLEAU
président (LR) du conseil
régional des Pays de la Loire
l’échelle qui doit être retenue est
celle de la Loire-Atlantique. Il m’importe désormais de mobiliser les acteurs politiques, économiques pour
que le oui à l’aéroport l’emporte. »
« Manœuvre dilatoire »
Autre partisan du dossier, Philippe
Grosvalet, président socialiste du
département de Loire-Atlantique,
partage le même diagnostic.
Preuve de l’improvisation qui a
prévalu au sommet de l’Etat, l’élu
indique avoir « été informé de la décision de François Hollande juste
avant son intervention télévisée ».
Le périmètre du scrutin, dit-il, doit
être limité au territoire de son département et il s’opposera « à toute
autre option ». A l’Etat « d’assumer » l’organisation du vote.
Ironie de l’affaire : si ce scénario
est arrêté, M. Retailleau, patron des
Pays de la Loire domicilié en Vendée, n’aura pas le droit de vote.
« On marche sur la tête, note Yves
Auvinet, président LR de la Vendée. Le dossier s’appelle “Aéroport
du Grand Ouest”, donc il présente
un intérêt régional, dans les Pays de
la Loire et en Bretagne. »
« Le président Hollande aurait
voulu que ce soit le foutoir, il ne s’y
serait pas pris autrement », renché-
rit Christophe Béchu, sénateur de
Maine-et-Loire et maire LR d’Angers, qui déplore l’absence de toute
concertation avec les élus.
La question du périmètre apparaît « secondaire au regard du bricolage opéré. La Loire-Atlantique
est le territoire le plus impacté. Mais
tout le grand ouest est concerné. Et
l’ensemble du pays aussi. Car si le
projet est abandonné, tous les contribuables paieront la facture. »
Jean-Claude Boulard, sénateur et
maire PS du Mans, ne fait aucun
cas d’être exclu de la consultation :
« Nous, notre aéroport, c’est Roissy
ou Orly. Le débat est né en Loire-Atlantique. Il est normal qu’on donne
un peu la parole aux habitants de ce
département. »
La tenue d’un vote ne signifiera
pas le règlement du dossier. « Quel
que soit le résultat, les zadistes resteront sur le terrain puisqu’ils ne
respectent aucun ordre », affirme
M. Grosvalet. « Ma crainte, c’est
que la manœuvre dilatoire de
M. Hollande conduise à l’enterrement définitif du dossier, répond
en écho M. Retailleau. Et ce
d’autant qu’un référendum est toujours aléatoire quand on a un président impopulaire. » p
yan gauchard
Selon Raffarin, le Sénat
« devra réécrire » la
révision constitutionnelle
COMMÉMORAT I ON
Hommage à Ilan Halimi
dix ans après sa mort
Des dizaines de personnes ont
rendu hommage à Ilan
Halimi, samedi 13 février, à
Bagneux (Hauts-de-Seine), où
ce jeune homme juif de 23 ans
avait été torturé jusqu’à la
mort en 2006. Il avait été séquestré trois semaines durant
par le « gang des barbares »,
dont le chef, Youssouf Fofana,
tentait d’extorquer une rançon à sa famille, qu’il supposait riche car de confession
juive. « Dix ans plus tard, nous
continuons à éprouver un remords collectif », a déclaré le
ministre de l’intérieur, M. Cazeneuve, « celui d’avoir hésité à
désigner par son nom la haine
antisémite ». – (AFP.)
10 | france
0123
MARDI 16 FÉVRIER 2016
Lagny, insaisissable « antichambre du djihadisme »
La mosquée a été fermée et neuf personnes assignées à résidence, en dehors de toute procédure judiciaire
P
our le gouvernement,
cela ne fait pas de doute :
la mosquée de Lagnysur-Marne « était un élément structurant d’une filière de
recrutement djihadiste », comme
l’a répété jeudi 11 février le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, alors qu’il défendait devant la commission des lois de
l’Assemblée nationale le bilan de
l’état d’urgence. Dans cette commune de Seine-et-Marne, 22 personnes ont été perquisitionnées
dans le cadre de l’état d’urgence et
9 ont été assignées à résidence.
Sans compter plusieurs interdictions de sortie du territoire et des
gels d’avoirs. Le 1er décembre 2015,
la mosquée de la ville a été fermée.
Le 14 janvier, en conseil des ministres, le président de la République
a dissous trois associations qui
avaient tour à tour géré le lieu de
culte depuis 2010. Une mesure jamais prise par aucun gouvernement, selon Bernard Cazeneuve.
Chercher à y voir clair dans l’affaire de la filière de Lagny, c’est se
confronter à un dossier nourri de
notes de renseignement évasives
et non étayées, dans lequel
aucune procédure judiciaire ne
vient apporter d’éléments de
preuve ou de disculpation. Un
dossier dans lequel s’opposent accusations massues et dénégations
systématiques, laissant les responsables musulmans comme la
municipalité désemparés.
« C’est une série d’amalgames »
« C’est vrai qu’il y a un gros nuage
autour de la mosquée et on a l’impression qu’elle est dangereuse,
concède N’Fali M., secrétaire de
l’Association des musulmans de
Lagny-sur-Marne, qui gérait la
mosquée depuis mai 2015. Mais
c’est une série d’amalgames. » Cet
homme de 35 ans, ancien animateur jeunesse de la ville, est assigné à résidence depuis trois mois.
Il fait également l’objet d’une interdiction de sortie du territoire et
a subi une perquisition à son domicile, mais n’est visé par aucune
procédure judiciaire. Pas plus que
les deux autres membres du bureau de l’Association des musulmans de Lagny. Et, à ce stade, pas
plus que l’ancien imam, le natif de
Seine-et-Marne Mohamed Hammoumi, 35 ans, pourtant décrit par
Manuel Valls comme « un prêcheur de la haine, faisant l’apologie
du djihad et de la mort en martyr »,
et qui aurait véritablement endoctriné ses fidèles.
Des notes « blanches » (anonymes et non sourcées) émises par
les services de renseignement,
dont Le Monde a pris connaissance, dépeignent en effet la mosquée de Lagny comme une véritable « antichambre du djihadisme
national et international ». Pas
moins de 16 personnes, anciens
élèves ou fidèles de M. Hammoumi, se seraient ainsi rendues
sur le front irako-syrien. Parmi elles, des membres de la filière de
Devant la mosquée de Lagny-sur-Marne
(Seine-et-Marne), le 3 décembre 2015.
MARION KREMP/MAXPPP
Clichy-sous-Bois, démantelée en
février 2015, ou Mehdi Belhoucine,
qui serait passé par la mosquée de
Lagny d’octobre à décembre 2014,
avant de rejoindre la Syrie le 2 janvier 2015 avec Hayat Boumeddiene, la compagne d’Amedy Coulibaly, le tueur de l’Hyper Cacher.
Les notes blanches évoquent aussi
plusieurs natifs de Lagny-surMarne ainsi que Marc L. H., passé
en Syrie en 2013 et qui, le 15 décembre 2015, a été interpellé, mis
en examen et écroué pour association de malfaiteurs terroriste.
Reste que Mohamed Hammoumi n’est plus présent au sein
de la mosquée de Lagny depuis le
31 décembre 2014. Il s’est établi
avec sa famille en Egypte, un pays
avec lequel il faisait des allers-retours réguliers depuis le début des
Pas moins de
16 anciens élèves
ou fidèles de
l’ancien imam
se seraient
rendus sur le
front irako-syrien
années 2000. Les renseignements
français estiment qu’il a fui la
France et qu’il continue d’enseigner le djihad auprès de ceux qui le
rejoignent sur place. Suivant une
tendance perceptible depuis plusieurs années, de jeunes Français
se rendent en Egypte, pour des périodes allant de plusieurs mois à
plusieurs années, afin d’y apprendre l’arabe et suivre une formation
théologique dans des instituts privés souvent proches de la mouvance salafiste. A Lagny, seize fidèles de la mosquée auraient fait
cette « hijra » (émigration en terre
d’islam). Mais seulement une petite poignée après l’installation de
M. Hammoumi, en février 2015.
En créant une nouvelle structure associative en mai 2015, les
derniers dirigeants de la mosquée
disent avoir voulu tourner une
page. Pierre Tebaldini, le directeur
de cabinet du maire UDI de Lagny,
se méfie des « doubles discours ». Il
sait que depuis 2010, ce sont des
ultraorthodoxes, des « durs », qui
tiennent la mosquée, sans être
sûr de parvenir à les « cerner » tout
à fait. Cependant, à travers
l’ouverture de nouveaux locaux
aux normes sur un terrain autorisé, il estimait avoir eu l’occasion
d’établir de « bons rapports » avec
les dirigeants et trouvé en la personne du président associatif Mohamed Ramdane, 44 ans, un « interlocuteur facile ». « On s’est toujours dit qu’il valait mieux un lieu
que la police écoute plutôt que
d’avoir des caves ingérables », confie M. Tebaldini.
Mais pour le ministère de l’intérieur, l’« engagement d’anciens
proches d’Hammoumi dans l’encadrement de la mosquée » prouve
que la volonté de rupture ne s’est
pas traduite dans les faits. Ainsi,
Bernard Cazeneuve a considéré,
sans distinction, que les trois associations dissoutes visaient « à promouvoir une idéologie radicale,
provoquant au djihad, et à organiser le départ de combattants en
zone irako-syrienne ».
Pour justifier son assignation à
résidence, il est notamment reproché au secrétaire de l’association,
N’Fali M., plusieurs « contacts réguliers » au sein de la mosquée
avec des vétérans de Syrie ou avec
Seif-Eddine C., animateur jeunesse
de Lagny jusqu’en février 2015 et
mis en cause dans la filière de Cannes-Torcy. Dans cette commune
de 20 000 habitants, à la lumière
de l’état d’urgence, les fréquentations s’additionnent comme
autant de preuves de culpabilité.
L’état d’urgence bientôt prolongé malgré son essoufflement
les députés doivent se prononcer mardi
16 février sur la prorogation pour trois
mois supplémentaires, soit jusqu’au
26 mai, de l’état d’urgence mis en place au
lendemain des attentats de Paris et SaintDenis. Ce régime d’exception présente
pourtant un bilan modeste : le pôle antiterroriste de Paris n’a été saisi que de cinq enquêtes. Les 24 autres procédures ouvertes
sous la qualification terroriste visent le
délit d’apologie du terrorisme. Selon les informations du Monde, 74 % des procédures
judiciaires ouvertes au total concernent la
législation des armes et des stupéfiants.
Surtout, l’intérêt de l’administration
pour les outils mis à sa disposition est nettement en déclin. Ainsi, 2 700 des 3 340 perquisitions diligentées depuis l’entrée en vigueur de l’état d’urgence ont été réalisées
avant la mi-décembre 2015. De même,
parmi les 578 armes saisies par les autorités
(dont 42 armes de guerre), 428 l’étaient déjà
mi-décembre. Enfin, sur 254 découvertes
de stupéfiants, 206 avaient déjà été réalisées au même stade.
D’autres mesures administratives offertes par l’état d’urgence n’ont pas été utilisées, tels le blocage de sites Internet et la
dissolution d’associations, les autorités
s’étant en l’espèce appuyées sur des dispositions de droit commun.
Assignations caduques
Le projet de loi prorogeant l’état d’urgence
jouit toutefois d’un soutien quasiment
unanime au sein de la classe politique. Le
Sénat l’a ainsi adopté, mardi 9 février, à
315 voix pour face à 28 voix contre.
Jeudi 11 février, la commission des lois de
l’Assemblée a également voté le projet sans
modification : « Sous la menace de répliques aux attentats de janvier et de novembre, notre pays continue de faire face à un
péril imminent. Il serait irresponsable de
baisser la garde », a argumenté le rapporteur socialiste, Pascal Popelin.
Quelque 285 assignations à résidence
sont toujours en vigueur. Seulement 12 ont
été suspendues ou annulées par le juge administratif et 46 ont été abrogées « spontanément » par le ministère (notamment
celles prises dans le cadre de la COP21). Les
assignations toujours opérantes deviendront caduques le 26 février, au terme de la
première période d’état d’urgence.
Devant la commission des lois, jeudi,
Bernard Cazeneuve a prévenu que, si les individus concernés n’étaient pas de nouveau assignés, d’autres moyens prendraient le relais « si nous estimons que le risque existe qu’ils se rendent sur des théâtres
d’opérations terroristes. Si leurs agissements
ne peuvent faire l’objet d’une judiciarisation,
une mesure d’interdiction de sortie du territoire restera possible pour eux ». p
j. pa.
« Tout est
à charge, et le
juge administratif
se contente de
se fier aux notes
blanches »
dans des associations de malfaiteurs terroristes. Celui-ci aurait
fait parvenir de l’argent liquide en
Syrie. Lui réfute, et son avocat est
bien en peine face à cette assertion extraite d’une note blanche
que ne vient étayer aucune procédure judiciaire à ce stade.
KARIM MORAND-LAHOUAZI
Un CD à la gloire des martyrs
En revanche, une procédure pour
travail dissimulé a été lancée à la
suite de la perquisition du domicile de la compagne de Nabil A.
Une « école coranique clandestine » y aurait été découverte. Et la
saisie, au cours de la perquisition,
d’un CD gravé comportant des
chants religieux à la gloire des
martyrs du djihad a donné lieu à
l’établissement d’une contravention pour « provocation non publique à la haine ». « Je n’ai jamais
écouté ce CD », jure Nabil A.
Quant aux anciens fidèles de la
mosquée qui auraient pris la
route du djihad armé, Nabil A. ou
les anciens dirigeants martèlent
que ceux-ci sont en fait en Egypte,
pour se former aux sciences islamiques. « Pourquoi les services de
renseignement ne sont pas venus
nous voir ? », interroge N’Fali M.
« On aurait pu faire partie d’un réel
travail d’enquête et de renseignement », ajoute M. Ramdane, qui
constate : « Aujourd’hui il n’y a
plus de représentation de la communauté musulmane. »
Et quid des 200 fidèles qui assistaient à la prière du vendredi ? La
mairie elle-même ne cache pas
son désarroi. « Aujourd’hui, on est
démuni, relate Pierre Tebaldini. Je
ne sais pas où les gens vont prier. Je
n’ai plus de lien direct avec la communauté. » Le directeur de cabinet voudrait « préparer le terrain
pour une nouvelle association »
mais il ignore lesquels de ses administrés font l’objet d’une interdiction de sortie du territoire,
d’une assignation ou sont passés
par la Syrie. « La préfecture me répète que je ne suis pas habilité à savoir ce qu’il se passe. Or, je ne peux
rien faire si je ne sais pas ce qu’il se
passe. Certains ont quand même
été animateurs jeunesse pour la
ville ! Et la population me dit :
“Vous avez laissé faire ça.” » p
julia pascual
avocat des responsables
de la mosquée
« Il suffit qu’une personne vienne
quatre vendredis pour conclure
qu’elle fréquente la mosquée », disent les dirigeants à l’unisson.
« Tout est à charge et le juge administratif se contente de se fier
aux éléments de renseignement
contenus dans les notes blanches,
sans avoir les moyens de les vérifier », déplore leur avocat Me Karim Morand-Lahouazi, qui a tenté
de contester deux assignations à
résidence devant le juge des référés. « A l’audience, le juge nous reproche de défendre l’indéfendable
et de lui faire perdre son temps. »
Lui considère au contraire que des
éléments contenus dans ces notes
blanches – par définition non
sourcées ni recoupées – sont faux.
Ou non précisés, comme, par
exemple, le fait que Seif-Eddine C.
ait bénéficié d’un non-lieu le 7 décembre 2015.
Pour le ministère de l’intérieur,
c’est surtout le profil de deux « anciens lieutenants » de M. Hammoumi qui auraient géré « de fait »
le lieu, qui inquiète. En l’occurrence, le « vétéran » de Syrie Marc
L. H., et Nabil A.. Sauf que le premier « n’a jamais mis les pieds dans
la nouvelle mosquée » se défendent ses dirigeants, qui ajoutent
avoir tout ignoré de son voyage en
Syrie jusqu’à son arrestation. « Il
dit qu’il est allé faire de l’humanitaire », croit N’Fali M.
Quant à Nabil A., bénévole actif
depuis dix ans, « il donnait des
cours d’arabe dans l’ancienne
structure, ni plus ni moins », résume Mohamed Ramdane. Mais
les services de renseignement
prêtent à ce trentenaire natif de
Lagny des relations avec des « vétérans » de Syrie (dont son frère)
ou des individus mis en cause
france | 11
0123
MARDI 16 FÉVRIER 2016
Charlotte Magri,
la lanceuse d’alerte
des écoles
de Marseille
La lettre de l’institutrice à la ministre de
l’éducation a lancé la mobilisation contre
le délabrement des classes marseillaises
PORTRAIT
marseille - correspondance
C
harlotte Magri ne regrette rien. Et surtout
pas cette cinglante lettre
ouverte adressée le
30 novembre 2015 à la ministre de
l’éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, son autorité de
tutelle. Un « Je nous accuse » de
trois pages qui, relayé par la
presse et une pétition en ligne signée par plus de 17 000 personnes, a mis le délabrement, matériel et humain, de certaines écoles
primaires de Marseille sur la place
publique. Et renvoyé la municipalité de la deuxième ville de France,
en charge de ces établissements,
comme l’Etat, à leurs responsabilités – allumant au passage une
polémique
publique
entre
Mme Vallaud-Belkacem et le maire
(Les Républicains) de Marseille,
Jean-Claude Gaudin.
Lanceuse d’alerte, Charlotte Magri ? L’institutrice, 35 ans, accepte
l’étiquette. « J’ai fait cela pour
éveiller l’attention, convient-elle.
Aujourd’hui, j’ai l’impression que
les parents d’élèves, les directeurs,
les syndicats qui s’agitaient sans
que personne ne les écoute sont, au
moins, entendus. »
En ce jour de vacances de février,
la jeune femme a remonté ses
longs cheveux noirs en un chignon strict. Un geste qu’on imagine quotidien lorsqu’elle se rend
dans son école primaire des quartiers nord de Marseille. Yeux
bleus, lèvres fines, piercing discret, l’institutrice a sanglé sa silhouette élancée dans une veste au
col de fausse fourrure. « Je suis un
peu militaire avec mes élèves, lance-t-elle, sans laisser la place au
doute. Avec moi, ça moufte pas. Je
tiens mes classes. »
Celle par qui le scandale est arrivé ne donne pas l’image d’une
militante professionnelle. Son répondeur téléphonique diffuse un
extrait, façon boîte à musique, de
L’Internationale. Mais Charlotte
Magri assure n’être affiliée à
aucun syndicat ni parti politique.
« C’est plutôt l’instinct de survie qui
m’a poussée, assure-t-elle. Je ne
pouvais pas continuer à travailler
dans ces conditions. »
« Cela m’empêchait de dormir »
L’émotion déborde encore quand
l’institutrice évoque ce jour de novembre où, pour elle, la sidération
s’est transformée en urgence
d’agir. « Depuis le début de la semaine, la température était de
13 degrés dans ma classe, racontet-elle. Une maman m’a demandé
s’il ne valait pas mieux qu’elle
garde sa fille à la maison jusqu’à ce
que le chauffage soit réparé. Je me
suis entendue répondre oui… Cela
a été un déclic. »
L’épisode en suit d’autres. Qu’elle
énumère, encore incrédule.
L’étuve des après-midi de septembre dans une classe aux fenêtres
bloquées. Cette lourde planche qui
se descelle et arrête sa course dans
les escaliers aux pieds d’un de ses
élèves. « Ce jour-là, il portait des
baskets neuves », se souvient l’enseignante, comme si la peur ressentie sur l’instant avait gravé ce
détail anodin dans son esprit. Il y a
aussi les plaques de sol dégradées,
dont elle sait qu’elles cachent de
l’amiante. Et les toilettes condamnées, et les murs lépreux… « Exagérations », « manipulations », « images tronquées », s’est défendu
M. Gaudin. « Si c’était la seule école
Charlotte
Magri,
à Marseille,
le 11 février.
VALENTINE VERMEIL
POUR « LE MONDE »
que je voyais dans cet état-là, je
n’aurais sûrement pas réagi, riposte l’institutrice. Moi, cela m’empêchait de dormir. »
Charlotte Magri a grandi à
l’étranger – « en Turquie et en Norvège » –, dans le sillage de parents
enseignants, avec, comme rêve de
petite fille, l’espoir de « devenir
institutrice ». En Inde, elle tente,
un temps, de ramener des enfants
des rues vers l’école pour une association humanitaire. A Paris,
elle travaille pour l’émission de
Radio France internationale
« L’Ecole des savoirs ».
De Marseille, où elle vit depuis
cinq ans, la trentenaire dit apprécier « le mélange culturel ». Mais
s’étonne de voir « les habitants accepter des situations qui ne passent pas ailleurs ». Elle a demandé
son affectation dans les quartiers
nord en 2012, et reconnaît y avoir
aussi fréquenté « des écoles où les
élèves ne manquent de rien… »
« Protéger les
enfants, c’est
quand même la
mission première
de l’éducation
nationale, non ? »
CHARLOTTE MAGRI
enseignante à Marseille
« Mais globalement, poursuit-elle,
je n’avais jamais vu un bâti dans
un tel délabrement. »
Son « Je nous accuse » ne cible
pas que l’équipe municipale en
place depuis vingt et un ans. « Je
dénonce une situation globale, insiste-t-elle. Je suis choquée de voir
des enseignants qui subissent leurs
affectations, choquée que l’éducation nationale envoie dans ces zones prioritaires des débutants qui
explosent en vol. » Une formule la
hérisse : « J’ai trop entendu, y compris de la part de conseillers académiques, que nous devions “faire le
deuil du pédagogique”. » Dans sa
lettre, l’institutrice résume ses
constats en une formule lapidaire : « Tu es pauvre, tu as une
école de m… Tu es riche, tu as une
belle école. »
Loi « déontologie »
Depuis novembre 2015, la lanceuse d’alerte encaisse les critiques. « Certains collègues m’ont reproché de me faire mousser,
s’émeut-elle. Personnellement, je
ne demandais pas mieux qu’une
action commune. » Le directeur
général des services de la ville de
Marseille l’accuse d’avoir enfreint
le devoir de réserve des fonctionnaires. « Je ne crois pas être hors
cadre, se défend Charlotte Magri.
J’ai réagi en être humain, en citoyenne. Protéger les enfants, c’est
quand même la mission première
de l’éducation nationale, non ? »
Après coup, elle s’est toutefois
plongée dans les textes. Et a découvert, « effarée », le projet de loi
sur la « déontologie des fonctionnaires », voté le 28 janvier par le
Sénat. « S’il passe dans sa forme actuelle, une lettre comme la mienne
sera passible de sanctions », s’inquiète-t-elle.
A la rentrée des vacances d’hiver,
le 22 février, alors que dans certaines écoles les parents prévoient de
reprendre leur mobilisation,
Charlotte Magri ne se rendra pas
dans sa classe de l’école Jean-Perrin, dans le 15e arrondissement. En
« mi-temps annualisé », elle a bouclé son année le 29 janvier et ne
connaîtra sa prochaine affectation qu’en septembre. Reprendrat-elle, alors, le chemin de l’école ?
« Je ne vois pas pourquoi je ne continuerais pas », assume-t-elle. p
gilles rof
Des cours 2.0 pour former les chômeurs aux métiers du numérique
Le site de formation en ligne Open Classrooms a conclu un partenariat avec Pôle emploi et propose 100 000 places à des chômeurs
C
omment former 500 000
chômeurs supplémentaires à des métiers d’avenir
en 2016 ? L’objectif a été réaffirmé
par le chef de l’Etat, François Hol­
lande, lors de son intervention té­
lévisée, jeudi 11 février. Une ga­
geure ? Le site de formation en li­
gne Open Classrooms se tient en
tout cas prêt à y participer. Après
avoir passé un partenariat avec
Pôle emploi en 2015, il offre déjà
gratuitement ses services à plus
de 15 000 demandeurs d’emploi.
« Nous pouvons offrir 100 000 places, cela ne nous pose strictement
aucun problème », annonce au
Monde Pierre Dubuc, ingénieur
de 27 ans et cofondateur du site.
Les demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi sont dispensés
de payer les 20 euros mensuels
d’abonnement à la version premium, qui permet de télécharger
les cours ainsi que des e-books (livres numériques), d’accéder aux
forums et d’obtenir des certificats
validant les cours.
Les trois quarts des chômeurs
inscrits suivent des cours et en
ont choisi 4,4 en moyenne. 6 510
certificats de réussites leur ont
« J’ai eu plusieurs
rendez-vous qui
m’ont beaucoup
plu avec une
start-up de
la région en
plein essor »
PHILIPPE BECK
chômeur
déjà été délivrés. De plus, 700
d’entre eux ont demandé des financements à Pôle emploi pour
suivre une offre plus ambitieuse
encore, encadrée et diplômante
(300 euros par mois), celle qui
permet d’obtenir en six mois au
minimum un bachelor de « chef
de projet multimédia », en partenariat avec l’école IESA multimédia, avec un accompagnement à
distance par un « mentor » – un
professeur-coach.
Philippe Beck, 38 ans, demandeur d’emploi en reconversion,
suit ce parcours diplômant depuis chez lui, dans les Bouches-
du-Rhône, près de Cavaillon.
Après dix-neuf ans de travail dans
l’hôtellerie, ce titulaire d’un bac
scientifique passionné d’informatique a déjà une piste d’emploi : « J’ai eu plusieurs rendezvous qui m’ont beaucoup plu avec
une start-up de la région en plein
essor, et dont je partage les valeurs. Ils sont intéressés, mais il
faut d’abord que je valide mon diplôme de programmation au niveau professionnel, et que je me représente avec un portfolio de mes
réalisations car je manque encore
de pratique », explique-t-il.
Depuis Nogent-le-Rotrou (Eureet-Loir), Séverine Carré, « mentor », accompagne de son côté des
élèves en France mais aussi au
Maghreb ou au Canada.
Après avoir exercé de nombreux métiers – peintre sur des
pylônes de haute tension, commerciale –, avoir tenu un restaurant dans le Sud-Ouest, s’être formée par elle-même en cours du
soir, elle s’est fait remarquer sur la
plate-forme en validant un parcours d’intégrateur Web. Le site
lui a proposé cet emploi : « J’aime
bien les personnes qui travaillent à
changer de vie, je veux les aider à
réussir, leur donner la gnaque, c’est
super gratifiant de voir que ça
marche, qu’il y a un résultat », souligne-t-elle.
Un premier site fondé à 13 ans
« Le but de l’entreprise est de rendre l’éducation accessible : que
chacun puisse développer son employabilité sans barrière technique, financière ou de diplôme »,
explique Pierre Dubuc, que le magazine Forbes a sélectionné en
janvier 2016 dans sa liste des 30
entrepreneurs sociaux de moins
de 30 ans les plus emblématiques
d’Europe.
Son associé Mathieu Nebra,
30 ans, a lui été distingué par le
MIT dans son palmarès 2015 des
innovateurs de moins de 35 ans.
Autre
distinction :
Open
Classrooms figurait dans la liste
des dix meilleures start-up françaises sélectionnée par le maga­
zine Wired en 2015.
Le compagnonnage de Pierre
Dubuc et Mathieu Nebra ne date
pas d’hier : leur entreprise, créée
en 2013, et financée depuis à hauteur de 2 millions d’euros par le
Trois millions de visiteurs chaque mois
Open Classrooms revendique 3 millions de visiteurs chaque mois.
La fréquentation provient à 60 % de France et 40 % de l’étranger
(dont plus de la moitié d’Afrique, pour l’essentiel francophone). Le
site offre l’accès à plus de 1 000 cours en ligne (MOOC), suivi par
des étudiants, des chômeurs ou des salariés en quête de reconversion. Le plus souvent, il s’agit de formations courtes et liées à l’informatique et au « tertiaire numérique ». Le cours le plus populaire
est celui consacré au codage en « HTML5 » qui aurait été suivi dans
ses différentes versions par 200 000 personnes. Mais on trouve
aussi des formations liées au webmarketing, au « community
management » ou à l’entrepreneuriat. Des partenariats ont été
passés avec Centrale-Supélec, Polytechnique et Sciences Po.
fonds Alven Capital, est l’héritière
de leur hobby commun : le « Site
du zéro » – celui où l’on explique
tout à partir du début –, créé
en 1999 par Mathieu Nebra à l’âge
de… 13 ans, dans le but d’expliquer
à ses amis comment programmer
en HTML. Et l’aventure a continué
tout au long de leurs études (lycée, école d’ingénieur, à l’INSA de
Lyon pour Pierre Dubuc et à l’Efrei
de Paris-Sud pour Mathieu Nebra).
En visite à l’Ecole polytechnique
fédérale de Lausanne (Suisse) en
avril 2015 – un des établissements
du supérieur les plus en pointe
sur l’enseignement en ligne –,
François Hollande avait annoncé
le partenariat Open Classrooms­
Pôle emploi, quelques mois avant
qu’il
ne
se
matérialise.
Aujourd’hui, suggère Pierre
Dubuc, « on ne va pas faire la totalité de la formation des 500 000
chômeurs car tout le monde ne
doit pas aller vers le tertiaire numérique. Mais d’autres formations
sont digitalisables et peuvent être
associées à des contrats pros, par
exemple ». A bon entendeur… p
adrien de tricornot
12 | enquête
0123
MARDI 16 FÉVRIER 2016
A 43 ans, Audrey
Azoulay s’installe Rue
de Valois. Le « milieu »
loue son savoir-faire,
son intelligence
et son sourire.
L’atout culture
du chef de l’Etat
à un peu plus d’un an
de la présidentielle
Najat Vallaud-Belkacem et Myriam El Khomri,
toutes deux ministres « binationales », françaises et marocaines. Sur place, les journalistes ne reconnaissent pas la jeune femme au
port altier assise à côté de Rachida Dati, invitée
spéciale de « M6 », le surnom du monarque.
C’est la nouvelle conseillère chargée de la culture et de la communication du chef de l’Etat.
Réconciliation oblige, elle est aussi du voyage.
Comment est-elle arrivée à l’Elysée ? « On me
dit qu’il y a une fille très bien, la numéro deux du
CNC, qui est là-bas depuis 2006… » Après sa victoire en 2012, François Hollande glisse à plusieurs reprises ces mots à la ministre de la culture, Aurélie Filippetti, à l’occasion de nominations à venir. « Sens de l’Etat… », « Efficace… »,
« Vive… », « Rigoureuse… » : à droite aussi, beaucoup dressent l’éloge d’Audrey Azoulay, une
« fille bien ». Deux ministres lui ont déjà fait
des avances : Dominique de Villepin, à Matignon, et Frédéric Mitterrand. « Lorsqu’il est
parti à l’INA, Mathieu Gallet m’avait demandé
de la recevoir, raconte l’ancien ministre de la
culture de Nicolas Sarkozy. Elle n’a pas donné
suite. » Ni militante ni encartée, Audrey Azoulay n’a pas le cœur officiellement à droite.
Le 21 décembre 2011, au Centre Pompidou, a
lieu la première édition du « Jour le plus
court », une fête consacrée au court-métrage.
Une idée d’Eric Garandeau, alors patron du
CNC. Audrey Azoulay participe à l’événement.
« Je l’avais promue directrice générale déléguée
peu après mon arrivée, et n’ai pas eu à le regretter », raconte cet ancien conseiller de Nicolas
Sarkozy pour la campagne de 2007. « Audrey
est une femme modeste, pas show off. Elle a
l’intelligence des situations complexes, comme
lorsqu’elle a géré le passage des salles au numérique. Nous formions un très bon couple professionnel. Je ne suis pas étonné de son parcours, et
j’ai bien fait de la présenter à Julie Gayet [la marraine du “Jour le plus court”]», se félicite-t-il.
ariane chemin et clarisse fabre
(avec youssef ait akdim)
C
ela ressemble à une scène de
théâtre d’Eugène Ionesco. Conseillère chargée de la culture à
l’Elysée, Audrey Azoulay, 43 ans,
a passé la première moitié de la
semaine dernière à… chercher
une ministre pour la Rue de Valois. « Je veux
une femme », expliquait François Hollande
avant son remaniement. « Il veut une femme,
vous avez une idée ? », répétaient en écho directeurs d’établissements publics et acteurs culturels. Après le refus d’Anne Sinclair (une idée
de Manuel Valls) et de quelques autres, le président s’est résolu : la ministre de la culture, ce
sera toi, annonce-t-il à Audrey Azoulay, jeudi
11 février au matin.
Le premier ministre a bien tenté de défendre
Fleur Pellerin, une amie. Mais François Hollande, averti depuis longtemps qu’il faut avoir
la culture dans sa poche et le monde des médias à l’œil avant une élection présidentielle,
n’en voulait plus. Son incapacité à citer un livre du Nobel de littérature Patrick Modiano,
son discours « sans âme » aux obsèques de Luc
Bondy, son absence à l’enterrement de Michel
Tournier… « Il y a quelque chose qui ne marche
pas », a fini par convenir Manuel Valls.
Mercredi 10 février, 16 heures, Palais du
Luxembourg. Fin des questions d’actualité
des sénateurs. Fleur Pellerin défend depuis
deux jours le projet de loi « liberté de création » des artistes. La séance doit reprendre à
16 heures 15. Le secrétaire d’Etat chargé des relations avec le Parlement, Jean-Marie Le Guen,
saisit tout à coup le bras de « Fleur », presque
paternel : « Tu ne pourras pas reprendre les débats. » Elle ne pleure ni ne s’évanouit, comme
on l’a dit, mais est saisie de stupeur : a-t-on jamais vu une ministre écartée en plein examen d’un texte de loi ? A l’abri dans une salle,
elle attend le coup de fil de François Hollande.
« Tu as fait un bon travail, mais je voulais un
profil plus politique à l’approche de la présidentielle », explique-t-il.
Plus « politique » ? Fleur Pellerin songe à Patrick Bloche ou à Bertrand Delanoë, mais c’est
Audrey Azoulay qui récupère son fauteuil, et,
dès le lendemain matin, reprend le débat dans
l’Hémicycle. Une conseillère de l’Elysée qui
remplace « sa » ministre, du jamais-vu. Ainsi
tourne la roue sous François Hollande. Aussitôt informée, Audrey Azoulay fête l’heureuse
nouvelle en famille.
Sa famille : son mari, François-Xavier Labarraque, rencontré à Sciences Po, est aujourd’hui
consultant. La sœur cadette, Sabrina Azoulay,
ex-directrice des programmes de Paris Première où elle avait tenté de « relancer » JeanLuc Delarue, a créé depuis – avec un ancien dirigeant de l’UMP, Jean-François Boyer – la société Tangaro, qui produit l’émission quotidienne « Entrée libre », sur France 5. Claire
Chazal vient juste d’y remplacer Laurent Goumarre, évincé. L’aînée, Judith Azoulay, travaillait à l’Association française d’action artistique, dépendante du Quai d’Orsay et du ministère de la culture. Sa cousine, Elisabeth, anthropologue devenue coach (elle a aidé
François-Henri Pinault) et aujourd’hui productrice, est l’auteur de 100 000 ans de beauté,
une vaste encyclopédie sponsorisée par la
Fondation L’Oréal et publiée chez Gallimard.
Tout le monde dans la famille baigne dans la
culture ou l’audiovisuel.
« RAREMENT EN BANDE »
La famille ! « J’ai bien connu votre père », a souvent entendu à la banque, à la Direction des
médias, au Centre national du cinéma (CNC) et
enfin à l’Elysée cette « discrète » qui rêve parfois de poser un mouchoir sur une ascendance bien voyante. Elle a 19 ans quand André
Azoulay, banquier qui règne sur Paribas, décide de quitter la France pour le Maroc, où il accepte le poste de conseiller économique du roi
Hassan II, mais aussi de conseil diplomatique
« MOLLETISME CULTUREL »
A l’Elysée,
en janvier 2015.
FRÉDÉRIC STUCIN/PASCO
La ministre
du président
dans le conflit israélo-arabe. C’était en 1991,
juste après la parution de Notre ami le roi (Gallimard), une « bombe » où Gilles Perrault s’indignait avec une partie de la gauche des exactions absolutistes du royaume chérifien.
« Du jour au lendemain, sans prévenir, pris
par une sorte de rimbaldisme du business, ce
prince du système a joué les Lawrence d’Arabie
et est devenu le conseiller “juif” du royaume,
une vieille tradition à Rabat », se souvient un
ami des Azoulay. « Toute personnalité politique, économique ou culturelle française qui se
rendait à Rabat rencontrait André », raconte un
hiérarque socialiste. Chiraquiens, mitterrandiens, journalistes en vue, le conseiller d’Hassan II leur ouvre les portes du Royaume et de
ses délices. C’est un homme aux yeux bleus
(azoulay, en berbère), souvent énigmatique,
au flegme presque britannique et à l’immense
culture, qui recevait déjà, il y a vingt-cinq ans,
dans son berceau d’Essaouira, aujourd’hui un
haut lieu culturel et touristique à trois heures
de Paris.
Hôtes parfaits, sa femme Katia Brami
(auteur sous son nom d’épouse de « beaux livres » et d’ouvrages d’art) et lui guident Bernard-Henri Lévy, Martine Aubry, Pierre Bergé
(actionnaire à titre personnel du Monde) et
d’autres à travers la médina ceinte de remparts de leur « Mogador », l’ancien nom de
cette ville portuaire. « Ces deux êtres (…) ont
grandi ensemble dans tous les quartiers et à
toutes les heures de ce joyau du cosmopoli-
« J’AI BIEN CONNU
VOTRE PÈRE », A
SOUVENT ENTENDU
CETTE « DISCRÈTE »
QUI RÊVE PARFOIS
DE POSER
UN MOUCHOIR SUR
UNE ASCENDANCE
BIEN VOYANTE
tisme maghrébin, où l’islam est à la fois plus anglicisé et plus judaïsé qu’à Tanger », s’enthousiasme dans ses carnets le fondateur du Nouvel Observateur Jean Daniel, un intime.
Audrey, elle, est restée en France : école publique, études à Paris-Dauphine, Sciences Po (où
elle a enseigné depuis dans la filière « métiers
de la culture »), ENA enfin, promotion Averroès – celle de… Fleur Pellerin. Audrey, une fille
« un peu réservée et rarement en bande », se
souvient son condisciple Gilles Clavreul, ancien conseiller de François Hollande ; mais
« drôle, féminine et très souriante », insiste son
ami d’alors Olivier Biancarelli, devenu conseiller parlementaire de Nicolas Sarkozy. Des
années qui lui ont laissé un mauvais souvenir :
une conférence d’un diplomate du Quai d’Orsay lui révèle pour la première fois un « antisémitisme vieille France » jamais rencontré, a raconté la ministre au Journal du dimanche du
14 février. Nostalgie de vacances insouciantes
à Essaouira dans « la splendeur des années
1980 », cet âge d’or exempt de « querelles identitaires »…
Septembre 2015. Mohammed VI (qu’André
Azoulay ne conseille plus de manière aussi
étroite que son père) reçoit pour un déjeuner
très privé au Mirage, un restaurant chic de
Tanger, le président de la République française. C’est une visite hautement diplomatique, après une année de brouille judiciaire et
policière. La délégation compte Tahar Ben Jelloun, Jamel Debbouze, Jack Lang ou encore
Audrey Azoulay n’avait guère besoin de cette
« connaissance » – le mot qu’elle utilise quand
on l’interroge sur ses liens avec la compagne
du président. Dès 2013, l’ex-ministre socialiste
Frédérique Bredin remplace Eric Garandeau à
la tête du CNC. Elle travaille elle aussi agréablement avec « Audrey », et a toujours eu l’oreille
de François Hollande sur les questions culturelles. Les présentations officielles sont faites
lors d’un voyage présidentiel au Mexique, en
avril 2014, au détour d’un hangar aéronautique que visite la délégation. Aurélie Filippetti
et Isabelle Giordano, qui pilote Unifrance,
chargé de promouvoir le cinéma français dans
le monde, patientent dans un coin, avec
Audrey Azoulay. Le chef de l’Etat vient les trouver : « Ça va, le cinéma ? »
En septembre 2014, voilà la jeune femme à
l’Elysée, chargée de dossiers brûlants comme
la lutte contre le téléchargement illégal et l’assurance-chômage des intermittents. Moins de
six mois plus tard, elle est en couverture de
L’Obs : « Avec qui dirige vraiment Hollande ? »
Réponse : « La jeune garde de l’Elysée. » Parmi
les trentenaires, soigneusement « castés » par
le président et le conseiller en communication Gaspard Gantzer, l’hebdomadaire a retenu deux portraits pour ses deux « unes »,
masculine et féminine. Sur la première, le conseiller « conjoncture » ; sur l’autre, le sourire à
la fois glamour et méditerranéen de la conseillère « culture ».
Stupeur : le jour de sa nomination, Audrey
Azoulay se retrouve pourtant sans fiche Wikipedia. Pas d’album photos, pas de compte
Twitter. Qui peut savoir qu’un ami de sa sœur,
Steve Suissa, l’a convaincue de jouer il y a
douze ans une courte scène dans une tragi-comédie avec François Berléand et Bérénice
Bejo ? Elle y était l’assistante d’un homme soucieux de monter Le Marchand de Venise de
Shakespeare en yiddish. « Les députés socialistes ignorent tout de cette inconnue, persifle un
élu du Palais-Bourbon, alors vous imaginez les
militants… »
La nouvelle ministre a de son côté les poids
lourds de la culture. « Je l’adore, je l’adore, s’enthousiasme Pascal Rogard, le patron de la puissante Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), et de tous les débats culturels
depuis trente ans. Sur les sujets cinéma et
audiovisuel, personne ne touche mieux sa bille. »
« On n’attendait rien de François Hollande pour
la culture, mais on est quand même déçu par
son molletisme culturel !, peste au contraire Frédéric Martel, ancien conseiller de Martine
Aubry et producteur-animateur de l’émission
« Soft Power » sur France-Culture. Ça commence avec panache par Aurélie Filippetti, fille
d’ouvrier italien, militante de gauche et ministre
politique ; on continue bizarrement avec Fleur
Pellerin, enfant d’un bidonville coréen, énarque
de gauche et ministre techno ; on termine avec
Audrey Azoulay, grande bourgeoise amie de la
monarchie marocaine… » François Hollande
connaît bien ces dramaturgies cornéliennes
qui se jouent Rue de Valois à la veille d’une élection présidentielle : un ministre pour les militants, ou pour la profession ? p
débats | 13
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MARDI 16 FÉVRIER 2016
Mieux protéger les
professionnels de santé
contre le harcèlement
Vladimir et Bachar | par serguei
Le récent suicide du cardiologue Jean-Louis Megnien
rappelle à quel point l’hôpital ne sait pas encore bien
protéger ses personnels des risques psychosociaux.
Et le plan annoncé par l’AP-HP ne suffira pas
par marie-france hirigoyen,
christiane kreitlow
et christelle mazza
L
Le djihadisme est devenu un instrument
de revanche sociale
Le terrorisme islamiste n’est plus seulement
dirigé contre l’Occident. C’est aussi un outil
de contrôle de l’islam et de contestation
des élites nationales au Proche-Orient
par bernard rougier
A
vec la première intervention
américaine en Afghanistan,
le « djihadisme stratégique »,
porté par une organisation nomade,
Al-Qaida, hébergée par les talibans
mais dépourvue d’enracinement
solide dans le tissu social local, disparaît progressivement. Cependant, la
seconde intervention américaine
dans le « Grand Moyen-Orient », l’occupation de l’Irak de 2003 à 2010, a facilité, quant à elle, l’expansion d’un
nouveau phénomène terroriste, le
« djihadisme social ».
Ancré dans l’intimité anthropologique et politique de la société irakienne, il se montre viscéralement
hostile aux élites en place. Abou
Moussab Al-Zarkaoui, le chef d’AlQaida en Irak, tué en 2006, a été
l’homme de cette métamorphose.
Passionné par les exploits guerriers
d’Imad Al-Din Al-Zengi, maître d’Alep
et de Mossoul au XIIe siècle, il a su
marginaliser la riche péninsule
arabique au profit d’un Machrek de la
déshérence et de la pauvreté.
Zarkaoui éleva la haine des chiites au
même statut que la lutte contre
l’Occident, désavouant ainsi les stratèges d’Al-Qaida plus soucieux de rallier l’ensemble du monde musulman
contre les Etats-Unis.
Zarkaoui est l’inventeur de la
guerre sociale par le djihad. Homme
d’une tribu transjordanienne prestigieuse, il a vécu entre petits boulots
et délinquance à Zarka, une banlieue
industrielle triste à l’est d’Amman,
peuplée de déracinés (des Palestiniens) mais irriguée par le commerce
routier avec l’Irak et l’Arabie saoudite.
Il a pu acclimater dans ce milieu une
idéologie djihadiste apprise lors de
son voyage à Peshawar, au Pakistan,
COMMETTRE DES
ATTENTATS EN
EUROPE, UN MOYEN
DE CHANGER DE
STATUT AU SEIN DE
L’ORGANISATION
ÉTAT ISLAMIQUE
en 1989 auprès d’un théoricien, Abou
Mohammed Al-Maqdissi, qui s’était
fait un nom en déclarant le royaume
saoudien mécréant.
Dix années plus tard, Zarkaoui avait
monté à Hérat, dans l’Afghanistan
des talibans, un réseau de volontaires
du nom de Jund Al-cham (« L’armée
de la Grande Syrie ») avec des ramifications en Afrique du Nord et en Europe. A Hérat, Zarkaoui médita les
dangers de l’« hérésie chiite » auprès
d’un cheikh égyptien, Abou Abdallah
Al-Muhajer, légitimant la méthode
de l’égorgement des « ennemis de
l’islam ». En provoquant l’armée
américaine lors des deux premières
batailles de Fallouja (2004), il sut
aussi accélérer le recrutement des désœuvrés du système Saddam. L’organisation Etat islamique en Irak est
née après sa mort en juin 2006, mais
son mode opératoire lui doit beaucoup. Il fut le premier à pratiquer la
décapitation filmée en assassinant
l’otage américain Nicholas Berg en
mai 2004.
DIALECTIQUE DE LA VIOLENCE
Au Moyen-Orient, le djihadisme
social a tiré un profit considérable de
la situation intenable des élites politiques sunnites. Confrontées à l’hégémonie du système régional iranien,
ces élites ont vu s’éroder leur autorité
par la diffusion dans les quartiers
populaires d’un salafo-wahhabisme
financé depuis le Golfe.
Aujourd’hui, la rivalité entre le mouqawim (« résistant » en arabe), lié au
système de pouvoir iranien – à l’instar du Hezbollah au Liban et en Syrie –, et le moujahid (« combattant du
djihad »), dorénavant incarné par
Daech (sans se limiter à celui-ci), entretient une dialectique de la violence
qui réduit la possibilité d’une alternative sunnite et populaire au djihadisme, seule manière pourtant de
combattre ce phénomène. Contrairement aux alliés du pouvoir iranien,
les organisations djihadistes restent
encore privées d’une capacité d’action contre Israël, même si elles s’en
rapprochent dans le Sinaï ou le Golan.
Mais pour ne pas paraître en reste,
elles doivent exercer leur violence
contre les juifs européens et contre
tout ce qui est associé à « l’Occident ».
Le contrôle de l’islam n’est pas le
seul enjeu ; la guerre sunnites-chiites
au Machrek approfondit aussi une
logique de lutte des classes en milieu
sunnite. Des prolétaires en armes radicalisent leurs croyances religieuses
pour discréditer les élites tentées par
des formules politiques de coopération interconfessionnelle.
En Syrie, où la famille Assad a détruit depuis 1970 le pouvoir des notables urbains, les jeunes de Homs ou
d’Alep ont refusé d’obéir aux officiers
sunnites de l’ASL (Armée syrienne
libre) lors du soulèvement au printemps 2011, car ces derniers représentaient toujours pour eux – en dépit de
leur désertion de l’armée d’Assad – les
symboles d’un régime honni. Mieux
valait alors constituer une brigade
autonome grâce à l’argent du Golfe.
Moins de dix ans après sa mort,
l’entreprise de Zarkaoui a fructifié audelà de son espace de prédilection
oriental, ouvrant ainsi la voie à un
djihad « par le bas », fondé sur la pratique et la diffusion de l’ultraviolence
comme instruments de promotion
des sans-grade. En Europe, des délinquants déscolarisés se sont identifiés
à ce modèle. Le Belge Abd Al-Hamid
Abaaoud, présenté comme le « cerveau » des tueries parisiennes du
13 novembre, était un délinquant minable, hâbleur et narcissique, obsédé
par le culte de sa propre image sur le
champ de bataille syrien.
En 2014, une vidéo de Daech avait
mis en scène Abaaoud dans une tranchée à quelques kilomètres d’un
front. Abou Omar Al-Belgiki (sa kunya, son surnom en arabe) appelait
ses frères à « accourir au djihad » en
se vantant d’être « entré dans des villas, des palais ». Filmé au volant de
son engin 4 × 4 dans les villes fantômes de la Syrie du Nord, il rêvait d’atteindre Damas pour « braquer des
banques à Damas si Dieu le veut ».
Si faire la hijra (« migration ») en
Orient a d’abord permis à ces individus d’échapper à la culpabilité de
l’échec social en s’inventant un destin grandiose de « soldat de l’islam »,
commettre en retour des attentats
en Europe apparaît pour eux comme
un moyen de changer de statut au
sein de l’organisation Etat islamique, en échappant à l’accomplissement des tâches subalternes comme
l’inhumation des cadavres de « mécréants » et d’« apostats » syriens. La
publicité donnée dans la dernière livraison de Dar Al-Islam, la revue
francophone de l’organisation, au
« testament » d’Abaaoud ainsi que
les images de l’exécution de prisonniers syriens par les kamikazes du
13 novembre diffusées sur le réseau
social Telegram illustrent l’importance de ce recyclage de volontaires
étrangers pour les dirigeants djihadistes irakiens. p
¶
Bernard
Rougier est
politologue,
professeur
des universités
à Paris-III,
coauteur de
« L’Egypte en
révolutions »
(PUF, 2015)
e suicide par défenestration
du cardiologue Jean-Louis
Megnien le 17 décembre 2015
à l’Hôpital européen Georges-Pompidou a suscité une vague d’émotion dans le monde hospitalier et
est venu rappeler la triste réalité du
harcèlement moral.
Car, si la France a été un des premiers pays à bénéficier d’une loi
très complète contre le harcèlement
moral, cette problématique reste
malheureusement peu prise en
compte dans les entreprises privées
et encore moins dans le secteur public. Les employeurs commencent à
prendre des mesures pour lutter
contre le stress et les risques psychosociaux (RPS), mais ils tardent à
vouloir repérer le harcèlement moral qu’ils jugent trop subjectif, trop
lié à la personnalité du salarié ou de
l’agent et à leur éventuelle fragilité.
Pour rappel, le harcèlement moral
consiste en une violence subtile, insidieuse, d’autant plus dangereuse
qu’elle est quasi invisible. Il s’agit,
de façon plus ou moins consciente,
de disqualifier, d’isoler, de dégrader
une personne et d’attaquer son travail. Il ne s’agit pas d’un conflit mais
d’une guerre d’usure pour soumettre ou détruire un individu.
En France, le harcèlement moral
est défini par les textes comme « un
ensemble d’agissements répétés qui
ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail
susceptible de porter atteinte aux
droits du salarié et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale
ou de compromettre son avenir professionnel ». Le législateur a choisi
de ne pas qualifier les agissements,
mais s’est appuyé sur les conséquences du harcèlement moral, en
particulier sur la santé et la dignité
de la personne ciblée.
Même si le texte de loi parle
d’agissements qui ont pour objet ou
pour effet…, la notion d’intentionnalité n’est pas indifférente pour les
personnes ciblées, car le caractère
personnel d’un traumatisme en aggrave l’impact. Dans le harcèlement
moral, il ne s’agit nullement d’une
maladresse ou d’un accident, mais
d’un comportement délibéré ou
tout du moins systématisé. En ce
qui concerne les harceleurs, ils sont
rarement tout à fait conscients de la
gravité de leurs agissements.
Dans cette forme de violence
grave, les troubles ne résultent pas
uniquement de l’agression ellemême, mais surtout de la situation
d’impuissance dans laquelle les personnes ciblées sont placées et qui est
aggravée par le silence de la hiérarchie. La négligence à ne pas traiter le
harcèlement moral conduit les victimes à un sentiment de profonde injustice. L’ostracisme – ou mise en
quarantaine – vient menacer les besoins sociaux fondamentaux de
tout individu, le maintien de l’estime de soi, le sentiment de contrôle
et le besoin de reconnaissance.
Les enquêtes montrent que, dans
tous les pays, le harcèlement moral
et le risque suicidaire prédominent
dans le secteur de la santé. Le monde
hospitalier public est passé d’une
culture de service public à une culture de la rentabilité avec des indices
de performances et un management
par objectif, générant souvent des
conflits éthiques entre le corps médical et la direction. Tout est comptabilisé, y compris les productions
scientifiques. La loi Hôpital, patients,
santé et territoire du 21 juillet 2009 a
considérablement modifié le système de gouvernance des hôpitaux,
UN MANAGEMENT
TROP AXÉ SUR
DES PROCÉDURES
STANDARDISÉES
NE RÉGULE PAS
LES ABUS
DE POUVOIR
laissant le directeur tout-puissant
dans la gestion du personnel et de
l’établissement. Mais ce fonctionnement laisse de côté la part humaine
de chacun qui ne peut pas toujours
être objectivée. Un management
trop axé sur des procédures standardisées ne régule pas les luttes d’influence et les abus de pouvoir. Or,
quand tout le monde est sous pression, le risque est grand de vouloir
s’affirmer aux dépens des autres et
d’utiliser des procédés déloyaux
comme le harcèlement moral.
MESURES INSUFFISANTES
Reconnaître la réalité des dérives du
management moderne ne doit pas
dédouaner l’individu de toute responsabilité. Il ne s’agit pas de nier la
complexité des organisations et la
violence du management moderne,
mais il importe de repérer la dimension individuelle de cette souffrance. Le but n’est pas de désigner
un « coupable », mais de questionner l’organisation qui laisse se mettre en place des dérapages. Il s’agit
d’un problème d’ordre éthique qui
incombe à chacun quant aux conséquences prévisibles de ses actes.
Mais, alors que les établissements
de santé mènent une réflexion sur
les questions d’éthique concernant
les malades, ils oublient trop souvent leurs propres responsabilités
vis-à-vis de chaque soignant.
L’AP-HP a annoncé début janvier
un plan d’action destiné à la prévention et au traitement des situations
conflictuelles susceptibles de nuire
« à la qualité des soins et à la qualité
de vie au travail ». Parmi les mesures prévues, plusieurs concernent la
politique managériale, mais qu’en
est-il du respect des soignants ? Ce
plan est avant tout centré sur la prévention des risques psychosociaux.
C’est certes une étape indispensable
dans la prévention du harcèlement
moral, mais c’est insuffisant, car on
ne « règle » pas la part fortuite de
l’humain en dictant des comportements. Il faut aussi céder de l’espace
à l’individu pour y déployer sa part
sensible, car c’est cette même part
qui humanise les relations de soin
et autorise leur qualité.
Il est temps que la France prenne
vraiment en compte la destructivité
du harcèlement moral. Si nous
avons des spécialistes du travail qui
se penchent sur les RPS, nous
n’avons aucun programme de recherche spécifique concernant le
harcèlement moral. A titre de comparaison, en Norvège, un groupe de
recherche spécifique travaille dans
ce sens et forme des étudiants sur
cette problématique depuis de
nombreuses années. Les professionnels de santé qui traitent de
l’humain ont droit à une organisation juste qui les prenne en compte
en tant qu’êtres humains. p
¶
Marie-France Hirigoyen
et Christiane Kreitlow sont
psychiatres et psychothérapeutes
Christelle Mazza est avocate.
Elles sont membres de l’Association internationale sur le harcèlement et l’intimidation au travail
14 | éclairages
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MARDI 16 FÉVRIER 2016
Une réforme du code du travail « néoconservatrice »?
ANALYSE
michel noblecourt
Editorialiste
LE VENT DE
LA DÉRÉGULATION
SOUFFLE
D’AUTANT
MOINS QUE
LE PATRONAT
S’ALARME DÉJÀ
DE LA TIMIDITÉ
DE LA RÉFORME
J’
observe l’essor d’une idéologie néoconservatrice au sein de l’exécutif. »
Avec cette déclaration à L’Humanité,
lundi 8 février, Benoît Hamon a franchi un cran supplémentaire dans l’offensive contre François Hollande. Le gouver­
nement n’est plus seulement accusé d’être
« social-libéral », il est devenu « néoconservateur ». Figure de l’aile gauche du Parti socialiste, M. Hamon a été ministre de mai 2012 à
août 2014, d’abord à l’économie sociale et solidaire puis à l’éducation nationale. Il est resté
au gouvernement sept mois après le lancement du pacte de responsabilité, dont il fait
aujourd’hui le symbole des reniements, avant
de rejoindre les frondeurs. « Probablement candidat » à une primaire de la gauche
qui n’aura sans doute pas lieu, et à laquelle il
invite poliment M. Hollande à participer, il
semble bien décidé à empêcher une nouvelle
candidature du président qu’il a servi.
La fracture interne au PS sur la déchéance de
nationalité a permis aux frondeurs d’élargir
leurs assises. Pour M. Hamon, le clivage gauche-droite s’est « reformulé », la famille socialelibérale partageant aujourd’hui avec la droite
les mêmes solutions sur « la question du lien
entre nationalité et citoyenneté ». Aux yeux de
l’ancien ministre, la refonte du code du travail
« sera la nouvelle offensive de ce courant idéologique » néoconservateur. « Quelle est la conviction de ce dernier pour lutter contre le chômage ?, interroge le député des Yvelines. Ce qui
empêcherait les entreprises d’embaucher, ce
serait les protections trop nombreuses et trop
coûteuses de ceux qui travaillent. En diminuant
les droits des insiders, on faciliterait les chances
des outsiders d’entrer sur le marché du travail.
(…) C’est injuste et inefficace. »
UN ORDRE PUBLIC SOCIAL
En formulant son réquisitoire contre la
réforme du code du travail, au diapason de FO
et plus encore de la CGT, M. Hamon nourrit la
boîte à fantasmes. Car, au regard des textes qui
vont permettre, sur deux ans, sa réécriture, il
fait totalement fausse route. Dans son interview télévisée du 11 février, le président de la
République a indiqué qu’il était guidé par deux
principes : « Souplesse pour les entreprises pour
embaucher, sécurité pour les salariés qui peuvent connaître des mutations. » Dans le rapport
qu’il a remis, en janvier, au premier ministre,
Robert Badinter affiche sa « volonté d’assurer le
respect des droits fondamentaux de la personne
humaine au travail ». S’il juge que la « complexité croissante du droit du travail n’est pas
nécessairement un facteur d’efficacité », il souligne que la tâche du législateur est d’« encadrer,
sans le contraindre, le droit du travail en le fondant sur des principes indiscutables ».
L’ancien ministre de François Mitterrand,
dont rien n’indique dans son parcours depuis
l’abolition de la peine de mort qu’il se soit
converti au néoconservatisme, propose
61 « principes essentiels » que Manuel Valls
s’est engagé à reprendre pour chapeauter le
futur code du travail. Il redéfinit un ordre public social auquel il ne sera pas possible de déroger, où on trouve, par exemple, la liberté du
salarié de « manifester ses convictions », le contrat de travail à durée indéterminée, l’accès à
la formation professionnelle tout au long de
la vie, la justification de tout licenciement par
« un motif réel et sérieux », le salaire minimum, la « durée normale du travail fixée par la
loi » – celle-ci déterminant, comme c’est déjà
le cas, les conditions pour retenir, par voie
d’accord collectif, une durée différente –, la liberté syndicale, le droit de grève, etc. On y
cherchera, en vain, toute trace, même subliminale, d’un quelconque néoconservatisme.
L’autre texte sur lequel le gouvernement
s’appuie pour réformer le code du travail est le
rapport de Jean-Denis Combrexelle, ancien directeur général du travail, remis en septembre 2015. Le fil rouge de ce document est de favoriser le développement de la négociation
collective dans les branches professionnelles
et les entreprises. M. Combrexelle écarte résolument « une réduction drastique du code du
travail » qui « plongerait notre économie et notre système de relations sociales dans une situation chaotique et donnerait au juge un pouvoir
sans précédent ». Dans l’architecture qu’il propose, chaque branche définirait « un ordre public conventionnel » (qualifications, salaires mi-
nima, prévoyance, formation, pénibilité) applicable aux entreprises du secteur et « opposable, sous réserve de l’application du principe de
faveur, à l’ensemble des accords d’entreprise ».
Le vent de la dérégulation, chère aux néoconservateurs, souffle d’autant moins dans
les rapports de M. Badinter et de M. Combrexelle que le patronat, présenté par M. Hamon et les frondeurs comme le destinataire
exclusif des cadeaux du gouvernement,
s’alarme déjà de la timidité de la réforme. Craignant une « complexité supplémentaire »,
Alexandre Saubot, le « M. Social » du Medef,
confiait au Monde daté du 27 janvier : « Nous
sommes en train de transformer une chance
historique d’avancer sur ce sujet en une nouvelle occasion manquée, voire une régression. »
Dans le projet de loi qu’elle présentera, début mars, au conseil des ministres, Myriam
El Khomri amorcera, sur le temps de travail, la
réforme du code et posera les jalons du
compte personnel d’activité (CPA). La ministre du travail lancera, sur la base d’une « position commune » adoptée par les partenaires
sociaux, la sécurité sociale professionnelle,
avec des droits qui seront attachés à la personne quel que soit son statut. Une nouvelle
marque de néoconservatisme ? Non, une
vieille revendication syndicale, défendue de
longue date par Martine Aubry et le PS.
Comme quoi il vaut mieux partir des réalités
que des fantasmes. p
[email protected]
LE GRAND RENDEZ-VOUS EUROPE 1, LE MONDE, I-TÉLÉ
Jean-Christophe Lagarde : « Priorité aux réfugiés de Syrie »
¶
Jean-Christophe
Lagarde, président
de l’UDI, député
de Seine-Saint-Denis
Le Grand Rendez-Vous
avec « Le Monde »
est diffusé chaque
dimanche de
10 heures à 11 heures
sur Europe 1 et i-Télé.
Version intégrale
sur Europe1.fr
et Lemonde.fr
La loi sur la révision constitutionnelle votée à l’Assemblée nationale
passe au Sénat. Il y a 40 sénateurs
UDI. Leur demandez-vous de voter
cette loi ?
A l’Assemblée nationale, vous avez vu
que de nombreux groupes ont été très
divisés. L’UDI a 29 députés, 25 ont
voté pour. Je souhaite que les sénateurs regardent les choses de la même
façon que nous. Nous souhaitons que
cette réforme de la Constitution soit
adoptée en Congrès à Versailles. Pour
sécuriser le processus de l’état d’urgence, pour éviter qu’on puisse le
faire annuler et donner les moyens à
l’Etat de nous protéger quand ça
s’avère nécessaire.
Nous y avons mis trois conditions :
qu’il y ait un contrôle parlementaire ;
qu’on ne vive pas sous état d’urgence
permanent ; et, troisièmement, qu’en
cas de dissolution, on ne soit pas sous
état d’urgence : une campagne électorale sous ce statut permettrait à un
gouvernement d’interdire des manifestations, des réunions publiques,
voire de prononcer des assignations à
résidence. Sur les trois points, cela a
beaucoup progressé.
LES INDÉGIVRABLES PAR GORCE
Selon vous, est-ce une victoire nationale contre le terroriste ou la victoire du président de la République ?
C’est évidemment un acte contre le
terrorisme et d’unité nationale. Et, pardon de vous le dire ainsi, la victoire du
président de la République, parce qu’il y
aurait une réforme de la Constitution,
c’est de la flûte. Quel Français va changer son opinion sur l’action de François
Hollande alors que le chômage continue d’augmenter, que les entreprises
ferment ? On a besoin d’être ensemble.
Manuel Valls, à Munich, a dit être
défavorable au fait d’aller plus loin
que le quota français de 30 000 réfugiés. Etes-vous sur la même ligne ?
Aujourd’hui, chaque année, on accueille 88 000 personnes étrangères
dans le cadre du regroupement familial. C’est une nécessité de confort familial qu’on peut comprendre. Mais des
gens sont victimes d’une barbarie et
d’un génocide en Syrie, en Irak. Il y a
une priorité à donner à des gens qui
sont en train d’être massacrés, égorgés,
par rapport à des gens qui viennent
pour un regroupement familial. On
aurait pu, en recevant le même nombre
de personnes, accueillir ceux qui
étaient menacés de mort d’abord.
L’Allemagne va accueillir 200 000
à 300 000 personnes au moins cette
année. La France doit-elle prendre
des engagements dans des ordres
de grandeur comparables ?
Si elle restreint le regroupement familial, la France est en mesure de le faire.
On devrait prioriser ceux qui sont menacés de mort plutôt que les autres.
C’est simple. Et ce serait l’honneur de la
France, plutôt que le coup de menton
qui dit : « Non, je ferme les frontières, et je
ne m’occupe pas de ceux qui meurent. »
Comptez-vous négocier avec un
accord d’investiture aux législatives
avec Les Républicains comme
l’avaient fait les socialistes avec
les Verts ?
Nous sommes en train de discuter. J’ai
écrit à Nicolas Sarkozy, puisque, pour
que les militants [UDI, réunis le 20 mars
en congrès] fassent leur choix [de présenter ou non à la primaire du centre et de la
droite un candidat], il faut qu’ils sachent
ce que veut dire la primaire. D’abord, je
ne fais pas de dissociation entre l’élec-
tion présidentielle et les élections législatives. Cela ne sert à rien d’élire un président de la République s’il n’a pas de
majorité. C’est donc d’un pacte de majorité qu’on est en train de parler.
Il y a trois conditions à cela. La première, c’est qu’on partage quelques
priorités politiques, sur le redressement
de l’éducation nationale, des comptes
de la France, de notre modèle économique et social, la modification du cadre
du travail. Deuxième chose, il faut qu’il
y ait un pacte de gouvernance. Cela veut
dire pas d’alliance avec l’extrême droite,
deux partis indépendants, forcément,
et que les points de divergence sont assumés : si on nous explique qu’il faut
déliter l’Europe, comme François Hollande et Manuel Valls sont en train de le
faire, évidemment nous serons en désaccord, et il n’y aura pas de solidarité
sur ce point. Troisièmement, il faut un
équilibre aux élections législatives : je
ne suis pas partisan de reproduire ce
système du parti unique qui a échoué,
qui s’est livré à toutes les erreurs et parfois à tous les excès. p
« IL Y A UNE
PRIORITÉ À
DONNER À DES
GENS QUI SONT
EN TRAIN D’ÊTRE
MASSACRÉS PAR
RAPPORT À CEUX
QUI VIENNENT
POUR UN
REGROUPEMENT
FAMILIAL »
propos recueillis par
michaël darmon, jean-pierre
elkabbach et arnaud leparmentier
FIFA : quand Blatter manœuvrait avec le Qatar
LIVRE DU JOUR
rémi dupré
R
ares sont les journalistes d’investigation à avoir mis au jour les combines, renvois d’ascenseurs et autres
pots-de-vin qui font partie des
mœurs de la Fédération internationale de
football (FIFA) depuis des décennies. S’appuyant sur des « millions de documents confidentiels » (e-mails, relevés de paiements et
autres enregistrements), les Britanniques
Heidi Blake et Jonathan Calvert ont créé la stupeur en révélant, en avril 2015, la stratégie
mise en place par le Qatar pour remporter
haut la main, en décembre 2010, le vote d’attribution de la Coupe du monde 2022. Dans The
Ugly Game (Ed. Simon and Schuster), les deux
fins limiers du Sunday Times racontaient comment le Qatari Mohamed Ben Hammam, viceprésident de la FIFA, avait soudoyé plusieurs
membres de son comité exécutif afin de réaliser le rêve de son émir.
La chute en décembre 2015 de Joseph Blatter,
patron de la Fédération internationale depuis
1998, et de Michel Platini, son successeur annoncé, a motivé la maison d’édition Hugo
Sport à publier la version française et actualisée de cette enquête touffue et accablante.
Dans L’homme qui acheta une Coupe du
monde : le complot qatari, Heidi Blake et Jonathan Calvert pointent notamment les millions
de dollars dépensés par Mohamed Ben Hammam pour obtenir une vague de soutiens et
des échanges de votes en faveur de son pays.
Versements par le truchement de caisses noires, deals gaziers, sponsoring : les manœuvres
du puissant dirigeant de la Confédération asiatique (AFC) sont narrées par le menu.
FRAUDES ÉLECTORALES
Au printemps 2011, le dignitaire qatari souhaite défier l’indéboulonnable « Sepp » Blatter
lors de l’élection présidentielle à la FIFA. Mais il
voit sa candidature fragilisée à quelques jours
du scrutin à la suite des accusations de fraudes
électorales. Avant de s’expliquer devant le
comité d’éthique de la FIFA, le dirigeant de
l’AFC est reçu par Sepp Blatter, en présence
d’un « membre éminent de la famille royale du
Qatar ». Le patron du foot mondial obtient
alors le retrait de la candidature de Mohamed
Ben Hammam en échange de l’abandon des
poursuites qui le visent. Il garantit, par ailleurs,
à l’émirat qu’il ne perdra pas l’organisation du
Mondial 2022.
Dupé par le maître de la FIFA, Mohamed Ben
Hammam se retire de la course à la présidence
avant d’être suspendu provisoirement puis radié à vie en 2012. Outre la duplicité et le machiavélisme de Sepp Blatter, l’ouvrage de Heidi
Blake et Jonathan Calvert dépeint les dessous
de l’attribution des Mondiaux 2018 (à la Russie) et 2022. Un processus qui fait actuellement
l’objet d’une enquête du ministère public de la
Confédération helvétique. A ce jour, la justice
suisse a relevé 133 mouvements financiers suspects. De quoi remettre en cause l’attribution
des deux prochains tournois planétaires ?
C’est l’un des dossiers prioritaires qui attendent le prochain président de la FIFA, dont
l’élection est prévue le 26 février. p
L’Homme qui acheta une Coupe
du monde. Le complot qatari
de Heidi Blake et Jonathan Calvert,
éditions Hugo Sport, 476 p., 19,95 €
carnet | 15
0123
MARDI 16 FÉVRIER 2016
Sa famille,
Ses nombreux amis,
en vente
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Franço�s
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Le pouvoir
et la séduction
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ÉdItIOn
2016
Le centenaire de la naissance de l’ancien président
AU CARNET DU «MONDE»
Hors-série
LE BILAN DU MONDE | 0123
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Décès
ÉDITION 2016
0123
H O R S - S É R I E
LE BILAN
DU MONDE
Yves aubry,
son ils,
Annie Blot-Aubry,
sa belle-ille,
Eglantine,
sa petite-ille
▶ GÉOPOLITIQUE
▶ ENVIRONNEMENT
▶ ÉCONOMIE
+ A T L A S
D E
1 9 8
P A Y S
Et leurs familles,
font part du décès de
Mme Renée AUBRY,
née MARCHÉ,
Hors-série
survenu le 10 février 2016,
à l’Institution nationale des Invalides,
dans sa cent sixième année.
Les obsèques auront lieu le mercredi
17 février, à 10 h 30, au cimetière
du Tronchet (Ille-et Vilaine).
Ampus. Tourtour.
Un grand homme nous a quittés,
le 11 février 2016, au soir,
M. Jean-Claude BLANQUART,
Hors-série
chevalier de l’ordre national du Mérite.
Collections
EGYPTOMANIA
Une collection pour découvrir la vie
et les mystères de l’Egypte des pharaons
EGYPTOMANIA
LES TRÉSORS DE L’ÉGYPTE ANCIENNE
Unis dans une profonde tristesse,
Marie-Algayette Kervyn
de Volkaersbeke,
Arnaud Blanquart,
Laurent Blanquart,
Marie-Claude Blanquart,
Alaïs Blanquart,
Nanou Blanquart.
Les obsèques auront lieu à Tourtour
(Var), le mardi 16 février, à 10 h 30,
en la chapelle de la Sainte-Trinité.
Isis, le trône du pharaon
L’ambiguïté du sphinx
Pierre Bonassies
son époux,
Alexandre, pharaon
Les hiéroglyphes,
ou quand les dessins prennent vie
Dès jeudi 11 février, le vol. n°5
Isis, le trône du pharaon - L’ambiguïté du
sphinx - Alexandre, pharaon - Les hiéroglyphes,
ou quand les dessins prennent vie
a la très grande peine de faire part
du décès, le mercredi 10 février 2016, de
Janine BONASSIES,
née TASSOU.
Elle était lumière, joie, immense
générosité, elle aimait les autres,
les enfants, la nature et les animaux.
Décembre 1944
- Janvier 1945
La Bataille des
Mars 1942
(2)
Ardennes
L’Attaque du port
Le raid des com
de St-Nazaire
mandos britanniq
Bastogne
ues
Que François d’Assise l’accueille
au seuil de la Maison du Père.
Les obsèques seront célébrées à Aixen-Provence (Bouches-du-Rhône).
Ingrid BOSVELD DEBRAY
Ken Ford
Steven J. Zaloga Gerrard et Peter Dennis
Howard
Illustrations de
Illustrations de
Howard Gerrard
Dès mercredi 10 février, le n°10
2 LIVRES : LA BATAILLE DES ARDENNES(2)
et L’ATTAQUE DU PORT DE ST-NAZAIRE
PatRimoinE
de l’ HumanitÉ
E�r�pe ce��r�le
nous a quittés, le 12 février 2016.
Toutes les personnes qui la portaient
dans leurs cœurs sont les bienvenues
le mardi 16 février, à 10 h 30, en l’église
Saint-Eustache, Paris 1 er, pour lui dire
au revoir.
Mme Janine Brygoo, née Beauché,
son épouse,
Ses enfants,
Ses petits-enfants
Et ses arrière-petits-enfants,
ont la tristesse d’annoncer le décès du
médecin général
Edouard BRYGOO,
u�e c�llec���� prése��ée p�r
ERiK oRSEnna de l’ac�dé��e fr��ç��se
Dès mercredi 10 février,
le volume n°24
EUROPE CENTRALE
professeur émérite
au Museum d’histoire naturelle de Paris,
survenu à Paris, le 8 février 2016,
à l’âge de quatre-vingt-quinze ans.
K Boutique du Monde
Dominique,
son ils,
Sophie, Joachim et Ariel,
ses petits-enfants,
Nay et Rym,
ses arrière-petites-illes,
Marie-José et Édith,
ses nièces,
Rita,
sa belle-petite-ille,
Les familles Claudet, Gruelles,
Marchès, Kocher, Boukobza, Sahyoun
et Cousset,
K Le Carnet du Monde
ont la tristesse de faire part du décès,
dans sa cent unième année, de
Nos services
Lecteurs
K Abonnements
www.lemonde.fr/abojournal
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Tél. : 01-57-28-28-28
Élise Henriette CLAUDET,
née COUSSET,
veuve de
Paul Jules Vital CLAUDET.
ont la tristesse de faire part du décès de
Philippe CONORD,
peintre et amateur de Jazz,
survenu le 10 février 2016,
à l’âge de quatre-vingt-trois ans.
Les familles Gribelin et Daillier
ont la tristesse de faire part du décès de
Mme Anne-Marie DAILLIER,
survenu le 12 février 2016,
dans sa cent troisième année.
Mme Henri Marchand,
son épouse,
Mme Juliette Souchot,
sa sœur,
Denis et Véronique,
Claude et Sylviane,
Olivier et Marie-Agnès,
Hélène,
ses enfants,
Ses petits-enfants
Et ses arrière-petits-enfants,
ont le grand chagrin de faire part du décès
de
M. Henri MARCHAND,
ingénieur des Eaux et Forêts en retraite,
X40, évadé de France,
2e DB, 13e Génie,
oficier de la Légion d’honneur,
Une cérémonie religieuse aura lieu
en l’église de Saint-Jacques-de-la-Lande,
le mardi 16 février, à 15 heures.
survenu le 3 février 2016,
dans sa quatre-vingt-seizième année.
Un service religieux sera assuré à Paris,
en l’église Saint-Pierre de Montrouge,
à une date ultérieure.
La cérémonie religieuse et l’inhumation
ont eu lieu à Lesconil (Finistère),
dans l’intimité familiale.
Florence KAPFERER
a quitté ce monde sombre et violent
où elle a vécu avec une énergie
exceptionnelle pour un monde lumineux
et serein auquel elle croyait avec une foi
inébranlable.
C’était le 7 février 2016,
elle avait cent trois ans.
Sa famille
Et ses plus idèles amis,
ont la grande tristesse d’en faire part
et demandent de penser à elle.
Christian et Danielle Knapp,
son ils et sa belle-ille,
Sabine et Jean-Bernard Truc,
sa ille et son gendre,
Alain et Jacqueline Villemur,
son frère et sa belle-sœur,
Etienne et Florence Knapp, Raphaël
et Jennifer Knapp, Jean-Baptiste Truc,
ses petits-enfants,
Faustine, Joséphine, Lorraine, Aloïse
et Elisabeth Knapp,
ses arrière-petites-illes,
ont la tristesse de faire part du décès de
Monique KNAPP,
née VILLEMUR,
survenu à son domicile,
le 21 janvier 2016,
dans sa quatre-vingt-treizième année
et qui rejoint ainsi son époux,
Jean,
décédé le 17 décembre 1999.
Une cérémonie en souvenir
de Monique a été célébrée en l’église
d’Auteuil, à Paris 16 e , le samedi
13 février.
Les présidents de l’Association
et de la Fondation des petits frères
des Pauvres,
ont la grande tristesse d’ annoncer le décès
de
Mme Françoise LAPLAZIE,
administratrice de la Fondation
de 2002 à 2015,
représentant le ministre de l’Intérieur,
le 6 février 2016, à Paris.
Celia Delia et Daniel Sobrino
ont l’inconsolable douleur de faire part
du décès de leur mère
Geneviève
LE PROUX DE LA RIVIÈRE,
survenu le 11 février 2016, à Paris.
[email protected]
Mme Catherine Levert,
son épouse,
L’ensemble de la famille,
Ses amis,
ont la tristesse d’annoncer le décès de
M. Jean-Pierre LEVERT,
oficier
dans l’ordre des Palmes académiques,
survenu le 11 février 2016.
Les obsèques religieuses seront
célébrées le vendredi 19 février, à 14 h 30,
en l’église Saint-Pierre-Saint-Paul, 10, rue
Boudoux à Courbevoie (Hauts-de-Seine),
suivies de l’inhumation au cimetière
des Fauvelles à Courbevoie.
10, rue Molière,
92400 Courbevoie.
Liliane,
sa mère,
Camille,
sa ille,
Marc-Aurèle,
son gendre,
Suzanne,
sa petite-ille
Ainsi que ses amis,
ont le chagrin d’annoncer le décès de
Muriel NAESSENS,
militante.
Elle était âgée de soixante-sept ans.
La cérémonie aura lieu le jeudi
18 février 2016, à 14 heures,
au crématorium du cimetière du PèreLachaise (salle Mauméjean), Paris 20e.
Jean-Frédéric Schaub et Marie-Karine
Schaub,
ses enfants,
Anna Joukovskaia et Jean-François
Staszak,
leurs conjoints,
Marthe Torre-Schaub,
Léon-Paul, Victor, Melchior, Eliane
et Lisa,
ses petits-enfants,
ont la tristesse d’annoncer le décès de
Sylvie SCHAUB,
née LANDAU,
ancien médecin psychiatre
des Hôpitaux
et de l’Inirmerie psychiatrique
de la Préfécture de police de Paris,
expert honoraire près les tribunaux,
chevalier de la Légion d’honneur,
survenu le mercredi 10 février 2016.
Les obsèques auront lieu le mardi
16 février, à 14 h 45, au cimetière parisien
de Bagneux, 45, avenue Marx Dormoy.
Ni leurs ni couronnes.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Fille de Mayar Landau et de Dyna
Szapiro, née à Paris le 3 août 1932,
Sylvie Landau a échappé de justesse
à la rale du Vélodrome d’hiver de juillet
1942. Recueillie par les Justes de SaintGermain de Calberte (Lozère), puis cachée
par les sœurs de Sion, elle adhère,
dès l’adolescence, au Parti communiste
français en 1945, où elle milite jusqu’en
1956.
A l’issue de ses études de médecine,
en 1959, elle entame une carrière
de médecin psychiatre des Hôpitaux et de
l’Administration pénitentiaire, de médecin
légiste, d’enseignante en médecine légale
et d’expert près les tribunaux.
Sa façon d’exercer son métier auprès
des plus démunis et des plus marginaux
aura été, toute sa vie durant, la prolongation
de son premier engagement de survivante
auprès des déportés revenus des camps
et accueillis à l’hôtel Lutétia en 1945
et dans l’encadrement des enfants rescapés.
Mobilisée par les combats des Algériens
de la région parisienne pendant la Guerre
d’Algérie, militante de la cause de
l’abolition de la peine capitale, elle a
protesté jusqu’à la in de sa vie contre le
désengagement de l’Etat vis-à-vis du
service public de psychiatrie et contre sa
conséquence, l’incarcération des malades
mentaux.
Dans le souvenir de son époux,
Claude SCHAUB,
(1924-1985)
et de leur ille,
Anne-Mireille,
(1961-1966).
Jean-Frédéric Schaub,
25, boulevard Bonne-Nouvelle,
75002 Paris,
Marie-Karine Schaub,
106, rue La Fayette,
75010 Paris.
La direction générale
Et les collaborateurs
d’IFP Energies nouvelles (IFPEN),
Rencontre-débat
ont la tristesse de faire part du décès de
Roger TINDY,
ancien secrétaire général d’IFPEN.
Ils présentent à ses proches leurs
sincères condoléances.
Avis de messe
En mémoire du rappel à Dieu de
M. Paul-Henri GASCHIGNARD,
la messe de 18 h 30, en l’église
Notre-Dame-de-Grâce-de-Passy,
sera dite à son intention le mardi 16 février
2016, 10, rue de l’Annonciation,
à Paris 16e.
Conférences
Mardi 16 février 2016, à 20 heures,
avec les lauréates
du Prix Paris-Liège 2015
récompensant le meilleur essai
en sciences humaines.
Sophie Bessis, La Double Impasse.
L’universel à l’épreuve
des fondamentalismes religieux
et marchand (La Découverte)
et Dominique Schnapper, L’Esprit
démocratique des lois (Gallimard).
Centre Wallonie-Bruxelles,
46, rue Quincampoix, Paris 4e.
Contact : [email protected]
Séminaire
Le séminaire
du professeur Thomas Durand,
« Processus stratégiques »
La Fédération française
de l’ordre maçonnique
mixte international
« Le Droit Humain »,
le président du Conseil national,
Madeleine Postal
et la commission bioéthique
du Conseil national,
organisent une conférence publique :
« Regards éthiques sur la vulnérabilité
vieillesse-handicap »
Conférenciers :
Emmanuel Hirsch,
professeur d’éthique médicale
à la faculté de médecine
de l’université Paris-Sud,
directeur de l’Espace éthique
de l’Assistance publique Hôpitaux de Paris,
Pierre Betremieux,
administrateur de l’association
des parents d’adultes
et de jeunes handicapés,
Marie-Pierre Pancrazi,
psychiatre, gériatre,
coordinateur adjoint
du centre mémoire de Corse,
le samedi 27 février 2016, à 14 heures,
9, rue Pinel, Paris 13e.
Inscription par courriel :
[email protected]
Tél. : 01 44 08 62 62.
Informations :
www.droithumain-france.org
démarrera
le mercredi 17 février 2016, à 18 h 15,
dans l’amphi Laussedat, au Cnam,
2, rue Conté, Paris 3e
(métro Arts-et-Métiers).
13 séances sont programmées
de février à juin 2016.
Ce séminaire abordera les questions
d’élaboration et de déploiement
stratégiques au sein des organisations.
Contact : [email protected]
Tél. : 01 58 80 87 98 (réf. MSE204).
Communication diverse
« Chaire
Grands enjeux
stratégiques contemporains »
Enjeux stratégiques au Moyen-Orient.
Les lundis, de 18 heures à 20 heures,
Centre Sorbonne,
amphithéâtre de gestion Oury
14, rue de Cujas, Paris 5e.
Inscription obligatoire sur le site :
chairestrategique.univ-paris1.fr
15 février : Pierre Vermeren,
université Paris 1,
Panthéon-Sorbonne, France,
De Beyrouth à Damas,
quarante ans de guerre
au Moyen-Orient, quelles logiques ?
22 février : Ali Kazancigil,
Middle East technical University,
Ankara, Turquie,
La diplomatie turque au Moyen-Orient :
les raisons d’un échec,
29 février : Yann Richard,
université Paris1,
Panthéon-Sorbonne, France,
L’Union européenne au Moyen Orient.
Un acteur faible
dans un voisinage compliqué,
7 mars : Salman Zaidi,
expert, Islamabad, Pakistan,
Radicalisation :
les réponses pakistanaises,
Conférences citoyennes
« Santé en questions »
organisées par l’Inserm, Universcience.
Cerveau : du soin à l’homme augmenté.
Jeudi 10 mars 2016,
de 19 heures à 20 h 30,
gratuit pour tout public,
en duplex de la Cité des sciences
et de l’industrie à Paris
et de la bibliothèque municipale
de La Part-Dieu à Lyon.
Pour en savoir plus : www.inserm.fr
14 mars : Emile Hokayem,
International Institute
for Strategic Studies, Bahrein,
La situation irako-syrienne :
principal enjeu de sécurité
dans la région,
21 mars : Jeffrey Lewis,
Middle Institute of international Studies,
Monterey, Etats-Unis,
L’emploi des sources ouvertes pour
l’étude de la prolifération nucléaire,
4 avril : Ram Jakhu,
Institut de l’Air et de l’Espace,
Université Mac Gill, Montréal, Canada,
Normes juridiques
et guerre dans l’espace,
11 avril : colloque conclusif.
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16 | culture
0123
MARDI 16 FÉVRIER 2016
Sébastien Barrier,
le 4 février,
au théâtre
Le Grand T,
à Nantes.
FRANCK TOMPS
POUR « LE MONDE »
Ce comédien
performeur,
à la parole
proliférante,
a fait des mots
la matière
de son spectacle
hors normes,
« Chunky Charcoal »
THÉÂTRE
N
e demandez pas à cet homme-là de vous raconter sa
vie en une demi-heure
chrono. Avec Sébastien
Barrier, la parole est tirée, il
faut la boire. Jusqu’à
l’ivresse. Et c’est grisé, légèrement divagant,
qu’on sort d’un rendez-vous avec lui, comme
de ses spectacles. Cet étrange état n’est pas
tant dû à la consommation d’un excellent
chablis Vendangeur masqué 2013, qu’au flot
de paroles qui sort de cet homme-là et vous
emporte dans son flux, dans ses vagues sans
fin, qui déferlent encore et encore.
« Je suis désolé, mais quand je me mets à
parler de moi, je m’enivre », prévient-il assez
vite. La parole et le vin semblent être devenus indissolubles, chez Sébastien Barrier. Il
en a fait un spectacle d’ores et déjà « culte »,
comme on dit, qui tourne et tourne à travers notre beau pays, où le vin est lui-même
un objet de culte, et qui est en train de devenir un véritable phénomène à la croisée de
l’art, de l’anthropologie et de l’œnologie :
Savoir enfin qui nous buvons (Le Monde du
13 février 2015).
Barrier le barré y raconte, au fil de soiréesfleuves dont la durée est imprévisible mais
ne descend jamais en-dessous de six heures,
la vie d’une quinzaine de vignerons adeptes
du vin naturel. Et, à travers eux, il raconte
beaucoup de choses sur l’hurluberlu qu’il est,
mais aussi beaucoup sur les hurluberlus que
nous sommes devenus, dans notre époque
étrange où les mots qui gouleyent et le vin
vecteur de communion n’ont pas forcément
le vent en poupe.
Le terme de logorrhée, du grec « logo », la
parole, et « rhei », couler, semble avoir été inventé pour lui. Et c’est la parole, encore, celle
qui coule, digresse, sous-digresse, s’embranche et se ramifie comme les affluents d’un
fleuve, qui est au cœur de son nouveau spectacle, Chunky Charcoal (qu’on pourrait traduire par « gros morceau de charbon de
bois »), lequel, après Nantes où nous l’avons
vu le 5 février, arrive à Paris, au Centquatre
et au Monfort.
UNE DES FIGURES DU THÉÂTRE DE RUE
Sébastien Barrier dit qu’il a toujours beaucoup parlé. Beau parleur, gros parleur, moulin
à paroles, pour tout dire. « Peut-être parce que
mes parents étaient des “écoutants” – mon
père éducateur spécialisé, ma mère infirmière –
et que j’ai eu l’impression, enfant, qu’ils écoutaient la terre entière, sauf moi », sourit-il.
« J’ai été un grand bavard très tôt, limite bègue. Adolescent, on ne comprenait pas ce que
je disais, raconte-t-il – et quand il le raconte,
les mots se bousculent, se précipitent.
Quand je parlais, ça formait une bouillie de
mots. Je parlais beaucoup trop vite, je crois
qu’on appelle ça du sébilement [ce qu’un psychanalyste lacanien traduirait sans doute en
« Sybille ment »…]. C’est-à-dire qu’au lieu de
faire une phrase, les mots faisaient un tas…
C’est un problème de rapport au temps, d’urgence de dire. Je voulais trop en dire, je faisais
le clown, j’étais viré des cours, mais, en même
temps, je ne pouvais pas être viré du lycée
parce que j’avais de bons résultats… J’ai conscience d’avoir un rapport à la parole pathologique, et si je n’avais pas transformé ça en
spectacles, il aurait sans doute fallu m’interner… Mais avec le temps j’y ai vu un métier, et
Sébastien Barrier
« In oratio veritas »
puis ce rapport à la parole s’est affiné, complexifié. Heureusement… »
Cette longue citation, qu’il serait inconvenant de couper, montre à quel point il est
difficile de lui couper la parole, à Sébastien
Barrier. Et, du coup, la parole est devenue
l’objet et le sujet de son art, qu’il est bien difficile de définir. L’homme est-il clown, bateleur, bonimenteur, performeur, jongleur de
mots, poète, paroliculteur ? Un peu de tout
cela, qu’il a rôdé au fil d’un parcours hors les
clous, même ceux du théâtre de rue, dans
lequel il a longtemps traîné ses guêtres ou
plutôt ses bottes de marin breton, de « marin-prêcheur ».
Les mots, les mots, les mots… Le jeune
Sébastien s’en est saoûlé très vite, dans sa
bonne ville du Mans qu’il n’a eu de cesse de
fuir, en se lançant dans le théâtre et en
jouant des pièces de Dario Fo, le « divin jongleur », l’homme qui a eu le prix Nobel en
écrivant avec de la parole… Puis Sébastien
Barrier s’est tourné vers le cirque, qui est plutôt le domaine du corps. Et il n’a eu de cesse
de réunir les mots et le corps, le corps des
mots, c’est-à-dire… la parole.
Pendant des années, il s’est appelé Renan
Tablantec, et il a été une des figures du théâtre de rue, baroudant à travers toute la
France, mais surtout dans ce pays de Douarnenez et d’Audierne qu’il affectionne, avec
ce personnage vêtu d’une queue-de-pie en
ciré jaune et d’une marinière achetée au
Salon nautique de Brest. « La rue, c’est une
école, constate-t-il. Ce que les écrivains se fatiguent souvent à chercher est là, devant
vous. Je ne dis pas non plus que la littérature
c’est juste regarder dehors : entre le voir et le
raconter, il faut un outil qui est la littérature
ou la parole. »
Après s’être bien amusé et avoir tiré des
bords de port en port, Barrier en a eu assez
de Tablantec, son double né « d’un père absent et d’une mer agitée ». Il a eu envie à la
fois de se rapprocher du théâtre et d’explorer
les écritures in (ter) disciplinaires qui explosent dans ces années 2000. « Après des années dans la rue, j’ai eu un choc théâtral avec
le Tg STAN, quand j’ai vu ces deux spectacles
mythiques que sont Le Paradoxe du comédien et My Dinner with André. Il y avait là-dedans quelque chose qui m’habitait et me passionnait depuis des années, mais sur lequel
j’avais du mal à mettre des mots. J’ai été saisi
par la manière dont le Tg STAN nous promène
de la fiction à la réalité, comment à l’intérieur
de la réalité il y a encore deux niveaux de promenade, avant de nous ramener encore et
toujours au théâtre. Je jubilais. »
COMME UN ÉNORME ORGANISME VIVANT
« CHUNKY
CHARCOAL »
EST COMME
UN DÉDALE
VERTIGINEUX
ET LUDIQUE,
UNE PERFORMANCE
LABYRINTHIQUE
ET JOUISSIVE
Alors Sébastien Barrier s’est dit que c’était ce
qu’il voulait faire avec la parole : créer « un
moment de jubilation où le temps n’existe
plus, une célébration du présent où l’on devient immortel ». Comme avec le vin… Il a
créé Savoir enfin qui nous buvons, qui
aujourd’hui est aussi devenu un (beau) livre,
qui rend compte de cette aventure hors normes, et la prolonge.
Et sous la houlette de Catherine Blondeau,
la directrice du Grand T de Nantes, qui, depuis le début, a eu l’intuition que s’inventait
là une nouvelle manière d’être un auteur, il a
creusé son sillon, et a imaginé, avec le dessinateur Benoît Bonnemaison-Fitte et le guitariste Nicolas Lafourest, ce formidable
Chunky Charcoal. Un spectacle comme un
dédale vertigineux et ludique, une performance labyrinthique et jouissive où se réunissent toutes ses obsessions, et dans
laquelle pourtant on ne s’égare jamais. Car
Sébastien Barrier retombe toujours sur ses
pattes, à l’image de son merveilleux chat
Wee Wee, qui est le héros bienheureux et
libre de son spectacle.
Mais ce sont les mots qui ont plus que
jamais le premier rôle, dans Chunky Charcoal. Mots parlés, mots dits, mots écrits,
dessinés. Parole proliférante, rhizomatique,
de Sébastien Barrier qui, sous le crayon et le
fusain de Benoît Bonnemaison-Fitte,
se transforme, en direct sur le plateau, sur
l’immense page blanche qui couvre le fond
de scène, en arborescences graphiques, en
schémas s’enroulant et s’engendrant euxmêmes comme les mots de Barrier.
La parole alors se matérialise comme un
énorme organisme vivant, et cette manière
de montrer l’homme comme un être constitué de paroles parle de nous, de ce que nous
perdons, sommes en train de perdre, pourrions bien perdre si nous n’y faisons pas
attention. Elle parle de rituel, de grand large
et de liberté, d’un art de vivre festif et rebelle,
de l’amour de Sébastien Barrier pour la poésie de Georges Perros et ses Papiers collés, et
de son tropisme pour toutes les addictions
qui soignent.
Il y a dans Chunky Charcoal quelque chose
qui évoque aussi le poète Christophe Tarkos,
un art toujours lié à la vie, et rejoint tout un
mouvement de la poésie sonore, très vivace
en France depuis trente ans. Le Barrier est un
vin qui vieillit bien, dans lequel l’écriture-parole est une matière qui se sédimente. Et ce
qui est sûr, c’est que chez lui les mots ne forment plus un tas, mais coulent comme un
breuvage euphorisant. p
fabienne darge
Chunky Charcoal, un spectacle
de Sébastien Barrier, Benoît BonnemaisonFitte et Nicolas Lafourest. Le Centquatre,
5, rue Curial, Paris-19s. M° Riquet.
Tél. : 01-53-35-50-00. Les 16 et 17 février,
à 20 h 30. De 12 € à 20 €. Durée : 1 h 30.
Puis au Monfort Théâtre, à Paris, les 19 et
20 février, et tournée jusqu’en mai, à Evry,
Chambéry et Sainte-Maure-de-Touraine
(Indre-et-Loire).
Savoir enfin qui nous buvons, conception
et interprétation par Sébastien Barrier.
Tournée jusqu’en juin 2016, à Capendu,
Cavaillon, Blois, Uzès, Rouen…
culture | 17
0123
MARDI 16 FÉVRIER 2016
A Berlin, gros plan sur les réfugiés
Le festival a montré, les 13 et 14 février, trois films sur les migrants, tous mus par une terrible inquiétude
CINÉMA
berlin – envoyé spécial
A
ux colonnes du Konzerthaus de Berlin, le
plasticien chinois Ai
Weiwei a accroché des
gilets de sauvetage, venus des
eaux qui entourent l’île grecque
de Lesbos. Des gilets qui ont sauvé
la vie, ou pas, de migrants qui
fuient les pays en guerre, en Afrique et au Proche-Orient. A quelques encablures du Konzerthaus,
dans les salles de cinéma de la
Potsdamer Platz, la 66e Berlinale,
qui se termine le 21 février, programmait, les 13 et 14 février, trois
films qui montrent les réfugiés,
trois documentaires tournés sur
l’île italienne de Lampedusa, dans
le désert d’Israël et à la frontière
entre la Chine et la Birmanie. Fuocoammare, de Gianfranco Rosi,
Between Fences, d’Avi Mograbi, et
Ta’Ang, de Wang Bing, sont dissemblables par leur sujet et leur
méthode. Ils ont en commun une
terrible inquiétude, qui procède
autant de la violence du malheur
qu’ils mettent en scène que du
sentiment de plus en plus aigu
des limites du travail des artistes.
Présenté en compétition, Fuocoammare arrive entouré des
bruissements de l’actualité et de
la récente gloire de son réalisateur, Lion d’or à Venise, en 2013,
pour Sacro Gra. Gianfranco Rosi a
passé toute l’année 2015 sur l’île
de Lampedusa, au sud de la Sicile.
De cet avant-poste européen partent les bateaux de l’opération
« Triton » chargés de recueillir les
embarcations en perdition, et y
sont débarqués les naufragés, qui
sont examinés, triés, avant d’être
envoyés vers le continent.
Le film est divisé entre l’épopée
misérable de ces opérations de
sauvetage (l’une d’elles tourne à la
tragédie), et le portrait de
Samuele, écolier à Lampedusa,
oublieux, comme ses parents et
leurs concitoyens, de la tragédie
qui se joue à quelques milles, au
large, et se poursuit à quelques kilomètres de chez lui, dans le hotspot où transitent les réfugiés.
Cette coexistence entre deux
mondes qui s’ignorent, le réalisateur assure ne l’avoir pas exagérée : « Sur l’île, les gens ne veulent
pas parler des réfugiés. Ils ont peur
de faire fuir les touristes. Il reste
bien quelques militants, mais ils ne
font rien d’autre qu’agiter leurs
banderoles. » Seul trait d’union, le
médecin de l’île, qui soigne
Samuele pour ses bobos et ses angoisses, tout en prodiguant les
premiers soins aux plus meurtris
des arrivants. Cette juxtaposition
entre une enfance aux tourments
ordinaires et les souffrances inimaginables, mais saisies en images dans des séquences parfois
très dures, fait la singularité revendiquée de Fuocoammare.
Mograbi a, lui, choisi un registre
plus ironique pour évoquer le sort
des réfugiés africains – Erythréens
et Soudanais, pour la plupart – qui
ont échoué au camp de Holot,
dans le désert, dans le sud d’Israël,
à quelques pas de la frontière avec
l’Egypte. Là, ils ne sont pas officiellement détenus, mais sont forcés
de répondre à l’appel, trois fois par
jour, ce qui leur interdit, de fait,
d’atteindre les grandes villes, pendant que les autorités leur refusent le statut de réfugié.
Impuissance, indifférence
Avec le metteur en scène de théâtre Chen Alon, Avi Mograbi leur a
proposé de s’essayer au théâtre. Ce
que l’on voit à l’écran – une poignée de réfugiés qui racontent,
avec une conviction très variable,
les circonstances de leur exil – n’a
rien à voir avec la première intention des artistes, comme le concède Avi Mograbi, avec son humour coutumier : « Israël est une
nation de réfugiés, et je voulais faire
jouer l’histoire des juifs venus d’Europe par des Africains, mais le film a
emprunté son propre chemin, la vie
s’est révélée plus forte. » Ce chemin,
c’est la chronique de cet atelier à
géométrie variable, qui se transforme en portrait, au fil de séances
de travail plus ou moins intenses,
de ces hommes qui ont fui le régime érythréen, laissant derrière
eux leur famille, et ont échoué au
fond d’une impasse.
C’est un film peu spectaculaire
– hormis la séquence qui montre
plusieurs centaines de réfugiés se
dirigeant vers la frontière égyptienne pour mettre les autorités
en face de leur rejet (et les autorités renvoient les manifestants
non plus à Holot, mais en prison) – qui montre aussi l’impuissance des artistes. « Pas seulement
des artistes, des militants aussi, dit
Avi Mograbi. Notre Etat est devenu
de plus en plus nationaliste, tout ce
qui n’est pas juif est nié, et les artistes sont insignifiants quand il
s’agit de changement politique.
Mais on ne peut pas faire quelque
chose uniquement en fonction de
son résultat. »
La modestie
acharnée
de Wang,
la fraternité
désespérée
de Mograbi,
le lyrisme de Rosi
font un triptyque
bien sombre
Cette exigence de présence,
quelle que soit l’indifférence générale, est l’un des ressorts du cinéma de Wang Bing. Cette fois,
l’auteur d’A l’ouest des rails (2004),
la grande fresque sur la fin de l’industrie communiste, a emporté sa
caméra, début 2015, dans le Yunnan (sud-ouest de la Chine), là où
des milliers de Ta’ang fuient la Birmanie, après la reprise des combats entre l’une des organisations
armées hostiles au pouvoir central
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Caspar David Friedrich
se perd dans un western
Philippe Quesne met en scène, à Nanterre,
un spectacle qu’il a créé à Munich
THÉÂTRE
munich - envoyée spéciale
G
rand théâtre, petit spectacle. Philippe Quesne a
été invité à créer un spectacle au Kammerspiele de
Munich, une des salles prestigieuses d’Allemagne, sur laquelle
Matthias Lilienthal fait souffler
un vent nouveau depuis qu’il en a
pris la direction, en 2015. Avant,
Lilienthal a travaillé avec Frank
Castorf à la Volksbühne de Berlin,
puis il a pris les rênes de Hebbel
am Ufer, toujours à Berlin, dont il
a fait la scène la plus ouverte à l’innovation. Il y a invité plusieurs
fois Philippe Quesne, à qui il a
suggéré l’idée d’un spectacle sur
le romantisme. Ainsi est né Caspar Western Friedrich, que Philippe Quesne présente quelques
jours en France dans le théâtre
qu’il dirige, Nanterre-Amandiers.
Tout commence bien. Trois
hommes et une femme viennent
à l’avant-scène. Habillés comme
dans le Grand Ouest américain,
avec bottes et chapeaux, ils font
un feu, s’asseyent autour, prennent leurs guitares et leur accordéon, puis chantent, dans la nuit.
Ils ont l’air très tranquille, et gentiment égaré. Qui sont-ils ? On ne
le sait pas, mais toujours est-il
qu’ils se mettent en tête d’aménager un musée pour le peintre Caspar David Friedrich, dont l’un dit
avoir trois tableaux. Ainsi s’annonce une rencontre entre deux
imaginaires : l’espace du paysage
Des moments
tendres ou fous
qui ne suffisent
pas à raconter
une histoire
romantique, et celui du western.
Jusqu’ici, c’est épatant. On retrouve le don qu’a Philippe
Quesne de montrer comment des
gens peuvent glisser à côté de la
réalité, et la mélancolie douce qui
se dégage de ce glissement progressif vers un ailleurs.
Des comédiens excellents
On attend, donc, sourire aux lèvres, ce qu’il va advenir des cinq
aventuriers, qui éteignent leur feu,
se lèvent et marchent sur le plateau du théâtre comme s’ils marchaient dans un film de John Ford.
Ils y découvrent les attributs de
l’atelier d’un peintre, avec des rochers en polystyrène qui les occupent beaucoup. Ils les déplacent,
les agencent, les noient de
brouillards colorés, les contemplent, s’en servent pour bricoler un
système audio ou pour composer
des tableaux vivants.
Il y aurait là matière à tisser l’espoir branquignol d’un désir de
voyage, dans l’espace et le temps. Il
y a d’ailleurs, ça et là, des moments tendres ou fous, comme celui où un comédien (tous sont excellents) plonge et replonge d’un
rocher dans une nuée improbable.
Il y a aussi des éclats de poèmes et
de souvenirs. Mais cela ne suffit
pas à raconter une histoire ni à
faire un spectacle. Tout se passe
comme si Philippe Quesne s’était
piégé à son idée de départ, qui tenait sans doute dans sa tête, mais
se refuse à l’épreuve du plateau : la
rencontre entre Caspar David Friedrich et le western n’a pas lieu. p
brigitte salino
Caspar Western Friedrich,
de Philippe Quesne.
Théâtre de Nanterre-Amandiers.
Jusqu’au vendredi 19 février,
à 20 h 30 (sauf jeudi, 19 h 30).
De 10 € à 30 €. Durée : 1 h 35.
En allemand surtitré.
et l’armée gouvernementale. Cette
fuite n’a rien d’apocalyptique. On
entend au loin le canon qui
gronde, mais, sur les routes de
terre, les paysans se préoccupent
de faire avancer leurs buffles, évaluent les plantations de canne à sucre, dans lesquelles ils pourraient
trouver du travail le temps de leur
exil. Ce calme apparent recouvre
une misère que Wang Bing filme
avec son attention habituelle, faite
de patience et d’opportunisme.
Lors d’une longue conversation
nocturne, on devine ce qu’est la vie
de ces réfugiés quand la guerre ne
fait pas rage. Mais, aujourd’hui, ils
sont oubliés, même, dirait-on, des
autorités chinoises, qu’on ne voit
jamais à l’écran.
La modestie acharnée de Wang
Bing, la fraternité désespérée d’Avi
Mograbi, le lyrisme de Gianfranco
Rosi font un triptyque bien sombre. Reste à le décrocher des cimaises de la Berlinale et à l’exposer le plus largement possible. p
Première
Les Inrocks
AveCesar-lefilm.com
/Universal.Pictures.fr
AveCesar
thomas sotinel
18 | culture
0123
MARDI 16 FÉVRIER 2016
Astor Piazzolla,
en plein
dans le Mille
L’accordéoniste
Daniel Mille.
OLIVIER LONGET
DIT «SOLONG »
Ancien menuisier, accompagnateur
de Barbara et de Jean-Louis
Trintignant , l’accordéoniste
Daniel Mille célèbre le maître
argentin au disque et à la scène
MUSIQUE
I
l y a des signes qui ne trompent pas. Daniel Mille a la
poignée de main chaleureuse et vivifiante quand il
déboule dans ce café parisien où
rendez-vous a été pris. Elle dit
d’emblée le plaisir qu’il va prendre
à raconter ses rencontres, ses
éveils et puis l’éblouissant Cierra
tus ojos, son disque consacré à la
musique d’Astor Piazzolla (19211992), arrangé et réalisé sous la direction musicale exemplaire de
Samuel Strouk. Accompagné du
parfait quartet impliqué dans l’enregistrement (les violoncellistes
Frédéric Deville, Paul Colomb,
Grégoire Korniluk, et le contrebassiste Diego Imbert), il le présente
sur la scène de L’Alhambra, à Paris,
le 15 février, pour la soirée de clôture du festival Au fil des voix.
Ce projet, créé et produit il y a
juste deux ans au Train Théâtre
de Portes-lès-Valence, dans la
Drôme, non loin de son village,
Saou, situé à 40 kilomètres de
Valence, a longtemps trotté dans
sa tête avant d’aboutir. Une bière
vient d’arriver sur la table, il n’y
touchera pas jusqu’à la fin de l’entretien. Trop de choses à dire… Il
s’emballe, s’émeut, frissonne, en
racontant. Pourquoi Piazzolla ?
« Quand j’étais apprenti menuisier [son premier métier, à Grenoble, où il est né en 1958], dès
que j’ai eu trois francs six sous je
me suis acheté un vinyle d’Astor
Piazzolla. Ça a été un choc terrible.
Je l’ai écouté mille fois. » Quand il
s’est remis à l’accordéon, l’instru-
ment qu’il n’avait pas choisi mais
que son père lui avait attribué
d’office (avec la trompette), dans
l’orchestre familial pour les bals,
il s’est dit, déjà, qu’un jour, il ferait un disque sur Piazzolla,
« parce que c’est tellement beau ».
Beau mais « colossal », une
montagne, commente le musicien. Il va s’en apercevoir des années plus tard, quand il se lancera le défi qui le tient en émoi
jusqu’à aujourd’hui lorsqu’il le
joue sur scène : enregistrer un
Sainkho Namtchylak, une note d’outre-monde
c’est un tremblement rauque
et grave. C’est, plus tard, un chant
aigu aux vibrations métalliques
d’une guimbarde. Ce sont, au milieu des rythmiques instrumentales, d’étranges vocalises sorties
d’on ne sait où… Depuis sa Mongolie natale, Sainkho Namtchylak apporte, lundi 15 février, au festival
Au fil des voix, à Paris, une note
d’outre-monde dans le cosmos
bien organisé de la world music.
Pestunovka, un village de mineurs d’or. République de Touva,
cette partie des terres mongoles
satellites de l’Union soviétique.
C’est là que Sainkho Namtchylak
est née, en 1957. Ses parents y tiennent l’école. Avec la fermeture des
mines, le village a disparu. La famille a rejoint la capitale, Kyzyl. Le
père est un pionnier de la télé naissante. Une petite nomenclature
dans cette république où Moscou
envoie les dissidents, les fortes têtes et les musiciens de jazz-rock.
« Nomade du XXIe siècle »
Sainkho a 18 ans quand elle rencontre Oleg Lazarevski. Elle qui a
toujours voulu monter sur les
planches, chante dans son groupe.
Plus tard, elle le suit à Moscou, se
retrouve enceinte, étudie la musique. C’est là qu’elle découvre le
Khoomei, ce chant de gorge traditionnel des steppes de Mongolie.
Une technique vocale ancestrale.
Diphonique, diront les théoriciens : une seule voix permet de
produire par le jeu du larynx et de
la langue deux notes de fréquences différentes. « Au début, je ne savais pas comment ils faisaient,
comment m’y prendre, mais l’être
humain est très flexible, dit cette
volontaire. Ma gorge ? Non, j’utilise
tout mon corps. Cela fait trentecinq ans que j’apprends. »
Namtchylak vient d’avoir son diplôme, lorsque, à Moscou, les forteresses s’effondrent. C’est la perestroïka. « C’était un temps d’expérimentation, d’improvisation, dans
tous les domaines, politique
comme musical », raconte la petite
dame au visage tout rond, savamment maquillé, à la tenue inclassable et aux faux ongles couverts de
petites fleurs très kitsch.
S’abreuvant aux archives recueillies à travers les immensités,
elle va inventer sa propre musique. Car ce n’est pas de folklore
mais de création qu’il s’agit ici, entre musiques improvisées et chansons dont elle écrit les paroles :
« La neige tombe sans toi. Le chant
perçant du vent parle du froid, de la
solitude, de toi… » Une musique
bien à elle que Namtchylak transporte à travers le monde.
Pour sa dernière aventure, la
chanteuse, bouddhiste, a cherché
à rapprocher les « ondes » de son
désert de Gobi de celles des étendues sahariennes. Soit un album,
Like a Bird or Spirit, Not a Face,
composé avec des musiciens de
Tinariwen,
qu’elle
reprend
aujourd’hui en live, accompagnée
du groupe Terakaft. « Je suis l’héritière d’une tradition nomade, une
nomade du XXIe siècle », explique
celle qui, depuis 1991, a planté son
camp de base à Vienne, en Autriche, pour mieux visiter le ciel immense qui l’a regardée naître sur
les plateaux sibériens. p
laurent carpentier
disque tout entier consacré au
compositeur argentin et maestro du bandonéon Astor
Piazzolla. « C’est Richard Galliano qui m’a redonné le goût de
l’accordéon. Je l’avais entendu en
concert avec Nougaro. J’avais
20 ans. » Un choc, encore.
Galliano incite Daniel Mille à
venir à Paris, et le présentera à
Pierre Barouh, qui lui fera enregistrer son premier album en
1993, sur son label Saravah. « Un
jour, Richard me dit : “Après-demain, tu commences au Zénith
avec Barbara.” C’était pour Lily
Passion, un spectacle avec Gérard
Depardieu. Je devais jouer quatorze notes. Ça a duré six mois, à
Paris, puis en tournée. »
« Intelligence musicale »
Toujours en contact avec celui
qui lui a permis d’oser rêver, il lui
a offert Cierra tus ojos. « Quand
j’ai rencontré Daniel Mille à Tulle,
lors de l’une de mes master class,
nous déclare Richard Galliano,
j’ai tout de suite remarqué son intelligence musicale, sa délicatesse,
la beauté de sa sonorité. » Après
Barbara, Daniel Mille accompagnera beaucoup de chanteurs
tout en s’illustrant comme un
des accordéonistes les plus
soyeux du jazz. « J’ai découvert
avec la chanson le plaisir des
mots. J’étais passé à côté de cela.
Et puis, par hasard, j’ai rencontré
Jean-Louis Trintignant, qui m’a
demandé de l’accompagner dans
un festival de poésie, où j’ai assuré
des intermèdes musicaux. »
Depuis, ils ont fait trois créations ensemble. Mille s’est laissé
enchanter par la poésie d’Aragon, de Desnos, de Vian, d’Apollinaire ou de Prévert, dite par JeanLouis Trintignant. Le comédien
nous a confié son admiration
pour l’accordéoniste : « J’adore
Daniel Mille. Depuis quinze ans, il
est la musique de tous mes spectacles de poésie. On a rapidement
trouvé la clef. Moi, j’essaie de ne
pas “dire de la poésie” mais de la
raconter comme une histoire. Et
lui considère ma voix comme un
de ses instruments de musique.
Musique et texte se mêlent sur
scène tout naturellement, l’une
influence l’autre, c’est magique.
Là, avec son album sur Piazzolla,
je trouve qu’il a vraiment atteint
une nouvelle dimension. » p
patrick labesse
Concert le 15 février, à 20 h 30,
à L’Alhambra, 21, rue Yves-Toudic,
Paris 10e (dans le cadre du festival
Au fil des voix, avec, en 2e partie
de soirée, la chanteuse Sainkho
Namtchylak).
2 CD « Astor Piazzolla - Cierra
tus ojos » ; « Après la pluie ».
Sony Music.
Malgré ses splendeurs vocales,
ce « Mithridate » ne fera pas date
Alourdi par la mise en scène, l’opéra de jeunesse de Mozart est monté à Paris et à Dijon
LYRIQUE
H
Après Sweeney Todd et Into The Woods, découvrez
un autre chef-d’œuvre de Sondheim
Musique et Lyrics
Stephen Sondheim
Livret
James Lapine
Inspiré du film
« Passione d’amore »
d’Ettore Scola
01 40 28 28 40
chatelet-theatre.com
umeur mitigée au sortir
de la première de Mithridate, re di Ponto, nouvelle
production mozartienne présentée, le 11 février, par le Théâtre des
Champs-Elysées, à Paris. L’entreprise est hardie, et l’on comprend
mieux, en écoutant cette succession de 22 airs plus difficiles les uns
que les autres, pourquoi l’opéra de
jeunesse d’un Mozart de 14 ans,
bien décidé à devenir « Amadeo, re
d’Italia », est si rarement monté.
Mais le petit génie y gagnera un
couronnement musical milanais
et ses galons de dramaturge.
L’action est inspirée d’une tragédie de Racine. Mithridate soupçonne ses deux fils de vouloir lui
enlever et son trône et sa fiancée.
De retour inopinément, après une
défaite contre les Romains, où il
s’est fait passer pour mort, il sur-
prend son fils aîné, Pharnace,
occupé à pactiser avec l’ennemi, le
second, Xipharès, se révèle, lui, le
séducteur de la princesse grecque
Aspasie. Condamnés à mort, les
traîtres seront sauvés par une nouvelle offensive romaine jusque sur
les terres du Pont. Mithridate
repart au combat. Vainqueur, cette
fois, mais au prix de sa vie.
Manque de conviction
Brillante, sensible, virtuose, l’inspiration mozartienne déploie ses
fastes durant trois heures qui ne
nous tiendront pas toujours en
haleine, malgré une distribution
triée sur le volet. Tout le début du
premier acte est bien raide et manque de conviction. Il faut attendre
l’arrivée lumineuse de Sabine
Devieilhe pour que le chant magistral fasse une entrée qui coïncide avec celle du spectacle dans
l’opéra. Jusqu’alors, la scène avait
tiré l’ouvrage mozartien presque
exclusivement vers la théâtralité.
L’électrochoc touche alors le plateau. C’est ainsi que Patricia Petibon (Aspasia) donne son meilleur
visage de tragédienne, celui d’une
intériorité qu’elle ne s’autorise pas
toujours et qui rend pourtant sa
plainte irrésistible. Que le Mithridate au beau timbre de Michael
Spyres se lance avec une intrépidité quasi suicidaire (mais n’est-ce
pas précisément le fondement de
son personnage ?) et des bonheurs
divers dans des sauts de registres
vertigineux, vocalises et ornementations. Que le valeureux contre-ténor Christophe Dumaux en
Pharnace, la jeune Myrto Papatanasiu en Xipharès, défendent avec
panache leurs intérêts. On a connu
Emmanuelle Haïm plus inventive
et inspirée à la tête de son Concert
d’Astrée, mais un soir de première
est une épreuve du feu.
Reste la mise en scène de
Clément Hervieu-Léger, laquelle
s’emploie à transformer en acteurs un groupe de réfugiés dans
un palais-théâtre à moitié détruit.
Les décors « mussoliniens » d’Eric
Ruf contre la fragilité des occupants qui chauffent leur café matinal sur un réchaud de campinggaz. Et la pièce de Racine (découverte dans un carton) qui structure l’attente et l’errance. Mais
pourquoi cette direction d’acteurs
pléthorique qui colonise la musique d’une prolifération bavarde ?
Le masque du vide, peut-être. p
marie-aude roux
Mithridate, de Mozart, au
Théâtre des Champs-Elysées, à Paris.
Jusqu’au 20 février. De 5 € à 140 €.
Theatrechampselysees. fr.
Opéra de Dijon (Côte-d’Or).
Du 26 février au 1er mars.
De 5,5 € à 57 €. Opera-dijon.fr.
télévisions | 19
0123
MARDI 16 FÉVRIER 2016
Les morsures sonores du Caravage
VOTRE
SOIRÉE
TÉLÉ
A l’occasion d’un beau concert, le violiste Jordi Savall propose un contrepoint musical aux toiles du peintre italien
MEZZO
MARDI 16 – 10 H 52
CONCERT
J
ordi Savall joue naturellement le répertoire pour son
instrument, la viole de
gambe, dont il est le plus
éminent interprète. Il dirige
aussi des concerts symphoniques, des opéras. Mais le Catalan à
la belle et noble figure, né en 1941,
aime surtout créer des programmes thématiques (souvent entre
Orient et Occident) et s’entourer
d’une bande de musiciens complices – dont certains sont ses partenaires depuis la formation,
en 1974, de l’ensemble Hesperion
XXI (qui, au XXe siècle, s’appelait
d’ailleurs Hesperion XX).
Cruautés harmoniques
On notera particulièrement, au
cours de cette captation d’un concert donné en 2012 dans la belle
cathédrale de Villeneuve-lès-Maguelone (Hérault), lors du Festival
de musique ancienne de Maguelone, la présence du génial et impassible percussionniste Pedro
Esteban qui donne leur sel et leur
nervure rythmique à ces musiques le plus souvent affligées,
mais, parfois, enjouées.
Le programme, intitulé « Lachrymae Caravaggio, l’Europe
musicale au temps de Caravage »,
trouve sa source dans la rencon-
Le musicien et chef d’orchestre catalan Jordi Savall. ANDY SOMMER/MEZZO
tre, il y a dix ans, de Jordi Savall et
de l’écrivain Dominique Fernandez, tous deux « fascinés par l’art
et la vie de ce peintre visionnaire qu’a été Michelangelo Merisi
da Caravaggio », écrit Savall dans
le livret d’accompagnement de
l’enregistrement, paru en 2007, de
ce subtil programme pour son
propre label Alia Vox.
Dans ce même livret, Domini-
que Fernandez a signé sept textes
d’admiration pour ce peintre à la
vie aventureuse et scandaleuse,
qui « aime représenter l’acte de
tuer [et] y trouve à la fois une volupté funèbre et une exaltation
dionysiaque ». Chacun d’entre eux
décrit autant de tableaux fameux
du Caravage, tandis que sept « stations » offrent un contrepoint
musical à ces toiles.
On retrouvera, dans certaines
des belles musiques du début du
XVIIe siècle, jouées, improvisées
et chantées (par Ferran Savall, fils
de Jordi) au cours de ce concert,
des cruautés harmoniques et des
douleurs aiguës : une « correspondance » (au sens baudelairien)
aux tableaux du Caravage, dont
chaque exemple, écrit Savall,
« contient mystérieusement toute
une vie, avec ses souffrances, ses
doutes, ses moments de bonheur,
d’ombre et de lumière ».
Manque, cruellement, depuis sa
disparition, le 23 novembre 2011,
la grande, belle et si poétique
Montserrat Figueras. La chanteuse était présente dans presque
tous les programmes que donnait
Hesperion XXI, notamment, chaque été, au Festival de Fontfroide,
près de Narbonne, dans l’abbaye
de ce lieu enchanteur où, avec son
époux Jordi, elle avait fondé un
beau rendez-vous de musique.
Quelques mois après la disparition de « sa muse, sa compagne et
sa meilleure amie », le Catalan lui
rendait hommage au début de ce
beau et ténébreux concert qui lui
est consacré : « Elle ne mourra jamais, car, comme disait le poète, on
ne meurt que quand on nous
oublie. C’est pourquoi les larmes,
dont toutes ces musiques parlent,
ne sont pas seulement des larmes
de tristesse, mais aussi des larmes
de joie pour toutes les années
qu’elle a été avec nous. » p
renaud machart
Lachrymae Caravaggio, l’Europe
musicale au temps de Caravage
(œuvres de John Dowland,
Orlando Gibbons, William Brade,
Antonio Cabezón…) par Ferran
Savall (voix), Hesperion XXI,
Jordi Savall (viole et direction).
(Fr., 2012, 82 min).
Saul Goodman sept ans avant « Breaking Bad »
Avec la série « Better Call Saul », les créateurs de l’avocat « tchatcheur » s’attaquent à la tragi-comédie
SUR NETFLIX
À PARTIR DU MARDI 16
SÉRIE
B
etter Call Saul » retrace le
parcours tragi-comique de
Jimmy McGill, grand
« tchatcheur » et petit avocat à la
peine, sept ans avant qu’il n’ait
pris le nom de Saul Goodman et
n’ait croisé le chemin du chimiste
Walter White, dans la série « Breaking Bad ». Dans ce préquel, on
goûtera d’autant mieux la réalisation, les paysages du NouveauMexique et l’apparition d’autres
personnages de l’univers de Walter White, que l’on aura vus dans
« Breaking Bad » ; mais les deux
créateurs ont, bien sûr, construit
leur scénario de façon que l’on
puisse s’intéresser à leur nouvelle
série indépendamment de toute
référence.
Le risque de décevoir
Avant que Netflix ne propose la
deuxième saison de « Better Call
Saul » mardi 16 février – saison
dont nous n’avons pu voir aucun
épisode –, quelques rappels. En
décidant de se focaliser sur Saul
Goodman, avocat de la pègre, à la
fois pitre et ringard de « Breaking
Bad », le créateur Vince Gilligan et
le scénariste Peter Gould prenaient le risque énorme de décevoir, non seulement parce qu’il
est quasi impossible d’atteindre
l’Olympe deux fois de suite en si
peu de temps, mais aussi parce
qu’ils pariaient sur un personnage « farcesque » les orientant
vers la comédie, genre infiniment
plus difficile à dominer que le
drame.
Au terme de la première saison
de « Better Call Saul », lancée il y a
un an, il était évident que les deux
séries n’étaient pas du même calibre, mais que les auteurs avaient
su nous attacher au personnage
de Jimmy McGill, devenu avocat
grâce à des cours par correspondance, homme et frère au grand
cœur en dépit des apparences.
On ne rit jamais franchement
devant « Better Call Saul », mais
on a constamment un sourire de
compassion au bord des lèvres,
que ce soit grâce à l’écriture et à la
mise en scène (toujours le même
sens du détail), ou grâce au jeu
très subtil de Bob Odenkirk, hâ-
bleur professionnel et incrédule.
Netflix France proposera la
deuxième saison de « Better Call
Saul » vingt-quatre heures après
sa diffusion sur la chaîne américaine AMC. Soit un épisode par semaine, sans version française
mais avec un sous-titrage (la première saison est d’ores et déjà disponible sur Netflix).
M AR D I 1 6 F É VR IE R
TF1
20.55 Person of Interest
Série créée par Jonathan Nolan.
Avec Jim Caviezel, Michael Emerson
et Kevin Chapman (EU, saison 4,
ép. 13 et 14/22 ; S3, ép. 6/23).
23.30 Chicago Police
Department
Série créée par Dick Wolf.
Avec Marina Squerciati, Sophia Bush,
Brian Geraghty et Jason Beghe (EU,
S2, ép. 12 et 13/23 ; S1, ép. 12/15).
France 2
20.55 Les Pouvoirs
extraordinaires du corps humain
« Le Cerveau ». Magazine présenté par
Michel Cymes et Adriana Karembeu.
22.50 Dans le secret
du burn-out
Documentaire de Jacques Cotta
et Pascal Martin (Fr., 2016, 70 min).
France 3
20.55 La Loi d’Alexandre
Série réalisée par Claude-Michel
Rome (Fr., 2015, 105 min).
23.20 Le Divan
de Marc-Olivier Fogiel
Invitée : Françoise Hardy
Canal+
21.00 Cendrillon
Film fantastique de Kenneth
Branagh. Avec Lily James, Richard
Madden (EU-GB., 2015, 100 min).
22.40 Loin des hommes
Drame de David Oelhoffen.
Avec Viggo Mortensen, Reda Kateb
(Fr., 2014, 100 min).
France 5
20.40 Un monde sans viande
Documentaire de Juliette Guérin
(Fr., 2015, 50 min).
21.45 Des mutants
dans notre assiette
Documentaire de Dorothée Frenot
(Fr., 2015, 55 min).
Arte
20.55 L’Attentat contre Jean
Paul II
Documentaire de Moritz Enders
et Werner Köhne (All., 2015, 55 min).
21.50 Où va notre vie numérique ?
M6
20.55 Garde à vous
Télé-réalité. Episode 1.
23.40 Les Docs de l’info
« Légion étrangère : pour l’aventure
et pour la France ». Magazine.
martine delahaye
« Better Call Saul » (saison 2),
série créée par Vince Gilligan et
Peter Gould. Avec Jonathan Banks,
Bob Odenkirk (EU, 2015, 10 × 45 min).
0123 est édité par la Société éditrice
HORIZONTALEMENT
1
2
3
4
5
6
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8
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10
11
12
I
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 16 - 038
HORIZONTALEMENT I. Démonte-pneus. II. Evaluation. III. Malt. Prendra.
IV. OPA. Aïe. Puât. V. Lodève. Parti. VI. Ire. Eyre. VII. Ta. Orange. Cl.
VIII. Ibères. Mitai. IX. Ollé. Epelait. X. Neustrie. «Une».
VERTICALEMENT 1. Démolition. 2. Evaporable. 3. Malade. Elu. 4. Olt.
Ores. 5. Nu. Avéré. 6. Tapie. Aser. 7. Etre. En. Pi. 8. Pie. Pygmée. 9. Nonpareil. 10. Endure. Tau. 11. Rat. Caïn. 12. Spatialité.
I. Soulèvent débats et polémiques.
II. Convivial mais il ne faudrait pas en
abuser. Spécialiste dans son domaine.
III. Toujours de l’autre côté. Pur et
simple. IV. Renvoie vers les conduits
d’évacuation. En peine. V. Dangereusement nourri. Met le fruit à mal.
VI. Dans les petites mesures. Ouverture de gamme. Invisible mais dangereux. Du gaz pour les déplacements.
VII. Poussent à faire mal. Reste sous le
choc. VIII. L’eau des poètes. Support
de charpente. Cité mésopotamienne.
IX. Amérindien. Mettait en garde.
X. Bénéiciaire d’un transfert.
VERTICALEMENT
1. On peut tirer dessus, mais attention quand il lâche. 2. Finit par écraser. 3. Inventeur des logarithmes. Frétillent dans les bassins. 4. Belle allure.
Ecrit l’histoire au jour le jour. 5. Moment de séduction. Dans les faits.
6. Dégagera. Sans accompagnement.
7. Romains chez Vinci. Léger et allégé.
Morceau de yen. 8. Dégagement pas
toujours agréable. Grande voie.
9. Sillonne l’Ile-de-france. Trébucha
dans ses déplacements. 10. Des bulles
pour se décontracter. Entraînai sur de
mauvaises voies. 11. Cours d’Irlande.
Mesure au labo. Finir à la in. 12. A du
mal à suivre son président.
La reproduction de tout article est interdite
sans l’accord de l’administration. Commission
paritaire des publications et agences de presse
n° 0717 C 81975 ISSN 0395-2037
Au cœur de l’actualité
Hors-série
Novembre-décembre 2013
8,50 €
Février-mars-avril 2016
8,50 €
la France
D’après
La presse étrangère débat
des valeurs d’un pays déboussolé
EmilE lorEaux
GRILLE N° 16 - 039
PAR PHILIPPE DUPUIS
du « Monde » SA
Durée de la société : 99 ans
à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 94.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 80, boulevard Auguste-Blanqui,
75707 Paris Cedex 13 Tél. : 01-57-28-20-00
Abonnements par téléphone :
de France 3289 (Service 0,30 e/min + prix appel) ;
de l’étranger : (33) 1-76-26-32-89 ;
par courrier électronique :
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Tarif 1 an : France métropolitaine : 399 ¤
Courrier des lecteurs
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Par courrier électronique :
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Médiateur : [email protected]
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Finances : http://inance.lemonde.fr ;
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Documentation : http ://archives.lemonde.fr
Collection : Le Monde sur CD-ROM :
CEDROM-SNI 01-44-82-66-40
Le Monde sur microilms : 03-88-04-28-60
SUDOKU
N°16-039
Document exclusif :
la fabrique de terroristes
Enquête sur les dérives du système judiciaire français
En partenariat
avec
Présidente :
Corinne Mrejen
Un numéro
exceptionnel
PRINTED IN FRANCE
80, bd Auguste-Blanqui,
75707 PARIS CEDEX 13
Tél : 01-57-28-39-00
Fax : 01-57-28-39-26
L’Imprimerie, 79 rue de Roissy,
93290 Tremblay-en-France
Toulouse (Occitane Imprimerie)
Montpellier (« Midi Libre »)
20 |
styles
0123
MARDI 16 FÉVRIER 2016
NEW YORK | PRÊT-À-PORTER AUTOMNE-HIVER 2016-2017
Alexander
Wang.
CATWALKING/GETTY
IMAGES
Lacoste.
CATWALKING/G
ETTY IMAGES
Le défilé du 12 février a permis de découvrir
un vestiaire monochrome, unisexe, mais
sexy, qui mêle culture de rue japonaise, influences hip-hop et gothiques. Cela ressemble beaucoup au look de la chanteuse. C’est
bien fait et sans prétention. Bien accueillie
par la presse, la collection a fait moins de
buzz sur les réseaux sociaux que Kanye
West, mais ce qu’elle propose paraît parfaitement viable sur le long terme.
Alors que M. West chercherait un financement pour sa ligne de mode éponyme à
hauteur de 100 millions de dollars, Rihanna
était, en 2015, la star la plus rentable pour ses
partenaires en affaires – comme Dior, dont
elle est égérie beauté –, d’après une étude
américaine. Le vainqueur de cette bataille
spectaculaire ne sera peut-être pas celui
qu’on croit. p
combien il est important d’être
chaudement équipé…
Du côté du spectacle, on peut
aussi compter sur Shayne Oliver
chez Hood by Air, label underground montant (Le Monde du
14-15 février), en phase avec une
jeunesse qui refuse les codes des
genres. La théorie est moderne,
mais la pratique manque parfois
de finesse. Une bande d’aristocrates SM côtoient ici des créatures post-punk emballées dans le
plastique et étiquetées comme
des bagages, tandis que des hommes sillonnent la salle en cuissardes vernies à talons aiguilles.
On cherche les belles pièces
sportswear punk qui sont la signature du designer et cette mise
en scène déjà vue impose le spectacle comme valeur reine. Un travers qu’il faudra corriger pour
progresser.
A mille lieues de là, la bourgeoise bohème et glamour de
Diane von Furstenberg n’a pas
beaucoup changé depuis les années 1970. En robe drapée (sa signature), en longue tenue flottante, ou dans des mailles étriquées portées avec des pantalons
taille haute, elle cultive une esthétique qui n’est plus vraiment en
phase
avec
le
monde
d’aujourd’hui, mais rendue attachante par une présentation en
tableaux vivants.
Lui aussi auteur d’une mode sophistiquée pour New-Yorkaise à
pedigree, Joseph Altuzarra veut
parfois trop en faire. Avec leurs
franges de laine, leur tissage façon tapis persan, leurs motifs cachemire, rayures et fleurs, ses silhouettes d’hiver compilent trop
de références familières pour
convaincre.
Derek Lam, au contraire, a retrouvé la voie de la légèreté et
cesse d’emboîter systématiquement le pas à Céline. Avec ses capes duffle-coats, ses manteaux en
mohair et cuir et ses robes épurées en velours et coton, son minimalisme prend des rondeurs
bienveillantes et séduisantes.
Tout l’intérêt de la mode « pop
art » qu’elle soit jeune ou non est
là : dans cette forme d’évidence. p
c. bi.
carine bizet
la mode comme
art populaire
Au pays de la libre entreprise et du tout-spectacle,
les créateurs proposent des collections
en phase avec une industrie en mutation
MODE
new york
G
avé de collections, de
labels et d’images, secoué par les crises, le
système de la mode,
né avec le prêt-à-porter dans les
années 1970, est en train de se fissurer. Les marques ont enclenché
une réorganisation des calendriers (Le Monde du 13 février) :
Burberry et Tom Ford ont annoncé leur intention de montrer,
en même temps, à partir de septembre, leurs collections homme
et femme, au moment de leur
commercialisation. A New York,
dès cette saison, Proenza Schouler propose une édition avancée
de la collection automne-hiver
2016-2017, dans leur boutique de
Greene Street, du 18 au 21 février.
Les suites de ce mouvement
sont difficiles à mesurer, mais il
satisfait aux envies d’immédiateté d’un public de plus en plus
présent, qui pousse, par le biais
des réseaux sociaux, les portes
d’un milieu autrefois confiné.
Avec le goût de la libre entreprise
et du spectacle, qui caractérise les
Etats-Unis, l’offre américaine paraît armée pour ce nouveau climat créatif.
La mode présentée ici est une
forme d‘art populaire facile à
comprendre, ouvert à tous ceux
qui veulent s’y essayer ; décomplexée dans son efficacité, elle
contraste avec le style plus élitiste
défendu en Europe.
Sur ce créneau, Alexander
Wang s’est imposé, en une décen-
nie, comme « la » tête d’affiche
new-yorkaise. Après s’être séparé
de la maison parisienne Balenciaga en 2015, il est libre de se consacrer à son style naturellement
cool, inspiré par la jeunesse de la
rue. Son mélange, punk, gothique, hip-hop et sportif, pour fille
et garçon, est électrique.
Mini-robes en soie noires ou
maxi-pulls en mohair à couture
œillets, laine peignée à motifs
feuilles de cannabis, mots slogans (Tender, Strict, Girls, Gender) sur les bonnets ou les collants, bottines renforcées, parkas
et colliers « bondage » : l’énergie
de cette collection est communicative. Et son côté familier la rend
assez intemporelle, un atout précieux dans une industrie en mouvement perpétuel.
Il y a également une belle énergie chez Lacoste, où Felipe Oliveira Baptista imagine une mode
raffinée et minimaliste à la fois.
En s’inspirant des sports d’hiver
et du design des jeux électroniques Atari, le créateur imagine un
vestiaire pop et moderne. Robe
pull à capuche et manteau verni
assorti aux bottes à talons, pull à
col zippé et long pardessus
tailleur, maille à motif « Crocodelle » ou « skieur pixelisé », blouson marbré et sweat-shirt à capuche pour homme, pantalon à
bande façon jogging et couleurs
Moncler
Grenoble.
JP YIM/AFP
vibrantes (violine, bleu canard,
ocre, rouge, kaki) pour tout le
monde : le styliste est fidèle à l’esprit de la marque et aux goûts
d’aujourd’hui, avec talent et sans
prise de tête.
Avec son large choix de vestes
matelassées structurées ou amples, à motif prince-de-galles, carreaux « trappeur » ou nylon de
couleur, la collection Moncler
Grenoble est réussie. Sa présentation en extérieur par – 20 °C,
après une longue chorégraphie
exécutée par des personnages vêtus de bleu, témoigne d’un appétit démesuré pour le spectacle à
tout prix. Ou d’une volonté de
prouver de façon saisissante
CHEZ HOOD BY AIR, UNE
BANDE D’ARISTOCRATES
SM CÔTOIENT DES
CRÉATURES POST-PUNKS,
TANDIS QUE DES HOMMES
SILLONNENT LA SALLE
EN CUISSARDES VERNIES
À TALONS AIGUILLES
Quand les stars dopent le sportswear
depuis que le luxe s’est emparé de ses codes, le sportswear a changé de statut. Devenu un registre mode à part entière, il bénéficie de nouveaux partenariats avec des
célébrités, pour des collections en séries limitées, qui scellent l’union prospère du
show-business et de la rue.
Cette saison, New York offre un match
« poids lourds » entre Kanye West, partenaire d’Adidas, et Rihanna, associée à Puma.
Kanye West cultive la folie des grandeurs
avec un show organisé le 11 février au Madison Square Garden, 1 000 mannequins debout, son épouse, Kim Kardashian, et sa famille en tenues blanches emplumées et perlées, le lancement de son album The Life of
Pablo (Escobar pas Picasso), l’annonce d’un
jeu vidéo consacré à sa maman, la vente de
tee-shirts à l’effigie de ladite génitrice ainsi
que de Robert Kardashian, ex-avocat
d’O.J. Simpson, et puis le discours épique du
maître de cérémonie, qui a déclaré vouloir
devenir directeur artistique d’Hermès.
On frôle l’absurde
Et les vêtements ? La collection Yeezy saison
3 propose le même genre de basiques déstructurés (un mélange de sa collaboration
avec Adidas associée à des pièces de sa propre ligne) que les autres productions du rappeur, accompagnés de nouveaux modèles
de baskets cosignées Adidas. Ce spectacle
multifacette, qui frôle l’absurde, montre
que la vraie star de cette ligne est évidemment Kanye West, dont le nom associé à des
baskets au prix prohibitif (à partir de
1 795 dollars, soit presque 1 600 euros) garantit la rupture de stock.
L’ambiance est plus calme chez Rihanna
pour le lancement de la ligne Fenty × Puma.
styles | 21
0123
MARDI 16 FÉVRIER 2016
la doyenne des hybrides
se met en quatre
La quatrième
génération de Prius,
à Tokyo, le 5 février.
TORU HANAI/REUTERS
Côté style,
la nouvelle Toyota
Prius surjoue
l’originalité.
Mais consomme
20 % de moins,
tout en offrant
davantage
de sensations
au volant
AUTOMOBILE
M
ère de tous les modèles hybrides – elle
a été diffusée à
3,5 millions d’exemplaires en dix-huit ans –, la Toyota
Prius a perdu son statut de voiture
d’avant-garde. Aujourd’hui, elle
doit soutenir la comparaison avec
les nouveaux hybrides rechargeables, envisager le gain d’autonomie attendu des voitures électriques et faire avec la baisse du prix
du pétrole qui remet en selle les
motorisations traditionnelles.
Inspiration simili-« Star Trek »
Quatrième du nom, la Prius 2016
devait impérativement réaliser un
bond en avant. Et, donc, réduire
encore sa consommation. L’objectif paraît avoir été atteint : selon
Toyota, la nouvelle génération
commercialisée en mars se contente de 3 litres aux 100 km pour
70 g/km de CO2. C’est 20 % de
moins que le modèle précédent,
apparu en 2009.
Lors de nos différents parcours,
nous avons enregistré des moyennes de l’ordre de 3 litres en ville,
avec des scores raisonnables (à
peine plus de 5 litres) sur route, traditionnel point faible des modèles
hybrides, qui font surtout valoir
leurs arguments en conduite urbaine – ce qui leur a permis de
s’imposer comme taxi. Sur auto-
route, la Prius brûle à peu près
autant de carburant qu’un modèle
diesel de même gabarit. Un bon
point pour elle.
Toyota a optimisé la gestion électronique du système hybride, amélioré la transmission à variation
continue et retravaillé l’efficacité
de son quatre-cylindres essence de
1,8 litre. Celui-ci développe toujours 98 ch mais son rendement
thermique amélioré lui permet
d’afficher une moindre consommation. Le moteur électrique
(53 kW, soit 72 ch) perd l’équivalent
de 14 ch mais il est plus mis à contribution pour soulager le moteur
thermique. Dommage qu’il ne
puisse mouvoir la voiture par ses
propres moyens que sur 3 km lorsque les batteries sont pleines.
Priorité a été donnée à la consommation de la Prius, quitte à
perdre un peu en performance
pure, ce qui est assez rare pour être
souligné. En pratique, la révision à
la baisse de la puissance combinée
(de 136 à 122 ch) n’est guère pénalisante. Le tonus du moteur électrique lisse les montées en régime et
fait oublier la désagréable sensation d’accélérer dans le vide que
l’on éprouvait lorsqu’on sollicitait
la mécanique des précédentes générations.
Les liaisons au sol sophistiquées
et bien plus confortables grâce à
l’adoption d’une nouvelle plateforme, la direction assistée électrique offrant un meilleur ressenti et
la position de conduite plus basse
contribuent aussi à rendre la voiture plus agile. La Prius n’est pas
devenue le modèle le plus excitant
qui soit mais on ne s’ennuie plus à
son volant.
SUR AUTOROUTE,
LA TOYOTA PRIUS BRÛLE
À PEU PRÈS AUTANT
DE CARBURANT
QU’UN MODÈLE DIESEL
DE MÊME GABARIT.
UN BON POINT POUR ELLE
Pour le numéro un mondial, il y
avait un autre défi à relever. Celui
du style et, au-delà, de l’image
– celle d’une automobile bien
sous tous rapports mais trop raisonnable, voire coincée – que renvoie souvent la Prius. Toyota a
donc décidé d’opter pour un « style
radical » afin, explique la marque
japonaise, de répondre au souhait
des clients japonais et américains
(dix fois plus nombreux que les
Européens) « d’exprimer leur différence par rapport aux autres
automobilistes ».
Très aérodynamiques, les lignes
de la Prius participent aux efforts
de réduction de la consommation
et abaissent le centre de gravité au
profit des sensations de conduite,
mais le parti pris « futuriste » de
cette longue voiture tout en horizontalité, au style à la fois dégin-
gandé et tarabiscoté, apparaît surjoué. La nouvelle Prius est assurément originale mais elle ne possède aucun charme. L’inspiration
simili-« Star Trek », déjà à l’œuvre
pour donner du supplément
d’âme à la Miraï (la Toyota fonctionnant avec une pile à hydrogène), n’est pas plus convaincante
à l’intérieur de l’habitacle, où les
plastiques de piètre facture associent des teintes improbables.
Décidée à séduire et pas seulement à convaincre, la nouvelle
Prius dispose d’un équipement
enrichi dès la version de base comprenant notamment l’affichage
tête haute sur le pare-brise, un détecteur d’obstacles, un régulateur
de vitesse adaptatif et un chargeur
de téléphone par induction. En
vertu de quoi, ce modèle, assez peu
diffusé en France (3 000 ventes par
an, au maximum) mais qui flatte
l’image techno-environnementale de Toyota, s’autorise une augmentation de tarif d’environ
1 500 euros et sera facturé à partir
de 29 900 euros dont il faudra déduire un bonus écologique de
750 euros. Le prix à payer pour un
véhicule politiquement correct
mais qui se conduit comme une
vraie voiture. p
jean-michel normand
Retrouvez l’actualité automobile
sur Lemonde.fr/m-voiture
BMW veut rester branché
Pour séduire les urbains qui roulent peu, la marque bavaroise lance deux nouvelles hybrides rechargeables, la 330e et la 225xe Active Tourer
L
es constructeurs allemands
ont longtemps porté un regard circonspect sur les véhicules hybrides. Cette période est
révolue. Mercedes, Audi, Volkswagen et BMW ont décidé d’investir
le créneau des modèles hybrides
rechargeables (dits « plug-in »), qui
offrent, à condition d’avoir été
branchés sur une prise lorsqu’ils
sont à l’arrêt, une autonomie de
quelques dizaines de kilomètres
en mode tout-électrique, en plus
de leur motorisation thermique.
Après avoir introduit la très exclusive i8 puis le X5 en version hybride rechargeable, BMW lancera
le mois prochain la Série 330e et la
Série 225xe Active Tourer. Deux
variantes qui visent à élargir la
clientèle de ces voitures, qui bénéficie de divers avantages fiscaux
pour les véhicules d’entreprise,
mais aussi d’un « bonus écologique » divisé par quatre (de 4 000 à
1 000 euros), depuis janvier.
La 330e dispose, outre d’un quatre-cylindres essence de 184 ch,
d’un moteur électrique de 88 ch
grâce auquel elle peut parcourir de
30 km à 40 km jusqu’à 120 km/h
en mode « zéro émission ». Cette
Série 3 hybride rechargeable délivre des accélérations puissantes,
sans être véritablement ébouriffantes, car elle privilégie les performances énergétiques.
Usage et clientèle ciblés
Sa consommation moyenne (1,9 litre aux 100 km) et ses émissions de
CO2 (44 g/km) annoncées par les
constructeurs s’entendent une fois
la batterie chargée à plein. Il faut
les manier avec des pincettes, car,
après une certaine distance parcourue, le moteur thermique doit
assurer la recharge électrique, ce
qui se ressent progressivement sur
la consommation. La 225xe Active
Tourer hybride (un trois-cylindres
de 136 chevaux couplé à un moteur électrique de 88 chevaux), qui
nous est apparu plus homogène, a
réalisé une consommation de
3,5 litres sur un parcours de 75 km
à dominante urbaine. Une performance intéressante, mais encore
loin des chiffres d’homologation,
et qui se serait dégradée si nous
avions poursuivi notre route.
A bord de ces deux voitures, le
conducteur peut optimiser le
fonctionnement de ses deux moteurs, en décidant, par exemple, de
neutraliser le groupe électrique,
afin de recharger les batteries, en
prévision d’un parcours urbain à
venir ou, au contraire, de ne recourir qu’au seul moteur électrique.
Très silencieux, ces deux modèles
se destinent à un usage ciblé : des
trajets fréquents et assez courts en
milieu urbain, entrecoupés de parcours sur route et autoroutiers.
Bref, le mode de vie des « commuters », qui effectuent quotidiennement un aller-retour de 20 km à
50 km dans un environnement
périurbain. Autre condition sine
qua non : disposer d’une prise électrique pour recharger la batterie
(en 3 h 45 sur une prise classique,
en 2 h 20 avec une charge rapide).
Les gros rouleurs n’ont donc guère
intérêt à opter pour une version
« plug-in », reconnaît le constructeur, qui évoque une consommation d’environ 10,5 litres aux
100 km sur longue distance pour
ses deux modèles.
Pour l’essentiel, la Série 3
« plug-in » se destine à une clientèle américaine et japonaise, habituée de longue date à la technologie hybride, alors que l’Active Tourer devrait séduire en Europe du
Nord. Proposés, bonus déduit, à
un prix très proche de celui des
versions diesel (45 950 euros pour
la 330e, 37 950 euros pour la
225xe), ces deux BMW s’adressent
aussi à ceux qui saisissent que
conduire au quotidien leur diesel
sur des petits trajets n’est – économiquement, si ce n’est écologiquement – guère approprié. Ou
qui jugent inévitable que de futures restrictions de circulation en
ville imposent de se déplacer en
mode « zéro émission ». p
j.-m. n.
La batterie
de ces deux
modèles
se recharge
sur une prise
classique en
3 h 45 et en
2 h 20 avec
une charge
rapide.
BMW GROUP
22 | 0123
0123
MARDI 16 FÉVRIER 2016
PLANÈTE | CHRONIQUE
par audr e y gar r ic
L’or noir, allié
vert inattendu
B
arack Obama a connu
deux revers en matière
de transition énergétique la semaine dernière.
L’un était attendu, l’autre non. Le
premier, c’est l’objection de la majorité républicaine du Congrès –
qui parle déjà de « projet mort-né »
– à la taxe sur le pétrole proposée
par le président américain, jeudi
4 février. Objectif de cet impôt, qui
pourrait rapporter 320 milliards
de dollars (284 milliards d’euros)
sur dix ans : financer et entretenir
des infrastructures de transports
(ponts, autoroutes, TGV) et investir dans la recherche pour développer des véhicules « intelligents
et propres ».
Le second, c’est la décision de la
Cour suprême, mardi 9 février, de
suspendre le plan pour une énergie propre que le chef de l’Etat
avait présenté en août dans la
perspective de la COP21. Ce programme vise à réduire de 32 %
d’ici à 2030 les émissions de gaz à
effet de serre liées à la production
d’électricité, sur la base de celles
enregistrées en 2005.
Dans les deux cas, l’opposition
des conservateurs et, en coulisses,
les manœuvres des puissantes industries pétrolière et charbonnière, risquent d’avoir raison de
ces mesures. Elles sont pourtant
essentielles à la lutte contre le réchauffement de la planète. Car
deux mois après l’accord de Paris
sur le climat, qui a vu l’ensemble
de la communauté internationale
s’engager à limiter la hausse de la
température sous les 2 °C, tout est
à faire pour que le texte ne reste
pas lettre morte. « 2015 a été l’année des négociations et des décisions, 2016 doit être l’année de l’application et de l’action », promettait dans un entretien au Monde
(du 12 janvier) Laurent Fabius,
alors ministre des affaires étrangères et président de la COP.
Un obstacle de taille
Seulement, un obstacle de taille
se dresse sur la route des économies bas carbone : la chute vertigineuse des cours du pétrole.
Avec un baril autour de 30 dollars,
l’or noir a atteint un plancher inédit depuis 2003. La dégringolade
enregistre 70 % depuis juin 2014,
sous l’effet d’une surproduction
de brut cumulée à une demande
énergétique atone.
Dans cette ère du pétrole pas
cher, la tentation peut être
grande de céder aux sirènes des
combustibles fossiles – responsables de 80 % des émissions mondiales de CO2 – plutôt que d’investir dans des programmes d’énergies propres, d’efficacité énergétique et de réduction de la
consommation, plus onéreux et
souvent impopulaires.
Aux Etats-Unis, la consommation d’essence a ainsi augmenté
de 3 % l’an dernier, tandis que le
nombre total de kilomètres parcourus grimpait de 3,5 %. Les ventes de pick-up et de SUV (sport utility vehicle), parmi les véhicules
les plus énergivores, ont bondi de
15 % en 2015, au détriment des
berlines, des citadines et de certaines voitures économes en carburant.
SIGNE QU’UN
MOUVEMENT
EST EN MARCHE,
LES ÉNERGIES
RENOUVELABLES
NE PÂTISSENT PAS
DE LA BAISSE DES
COURS DU BRUT
DEUX MOIS APRÈS
L’ACCORD
DE PARIS SUR
LE CLIMAT,
TOUT EST À FAIRE
Dans le même temps pourtant,
l’essence bon marché peut aussi
être une bonne nouvelle pour le
climat. A moins de 100 dollars le
baril, il n’est pas rentable pour les
compagnies pétrolières de tenter
de forer les gisements les plus
inaccessibles – et donc les plus
polluants –, tels que les hydrocarbures de l’Arctique. Les exploitations de gaz de schiste aux EtatsUnis et de sables bitumineux au
Canada, fortement émettrices en
gaz à effet de serre, souffrent également : des projets sont annulés,
les investissements réduits.
Signe qu’un mouvement est en
marche, les énergies renouvelables ne pâtissent pas de la baisse
des cours du brut. Au contraire,
elles prospèrent partout. Aux
Etats-Unis, elles devraient croître
de 9,5 % cette année, selon le gouvernement fédéral. En Europe, elles ont atteint 16 % de la consommation d’énergie en 2014, soit
deux fois plus qu’en 2004,
d’après les chiffres d’Eurostat dévoilés la semaine dernière.
L’Agence internationale de l’énergie prévoit pour sa part que 26 %
de l’électricité dans le monde
viendra des renouvelables
en 2020, boostées par les pays
émergents. La Chine détient un
tiers de la puissance mondiale
installée côté éolien, et 20 % côté
solaire, selon les données du cabinet Enerdata.
Reste que cela n’est pas suffisant. La chute du prix du baril doit
être l’occasion de définitivement
tourner la page des énergies fossiles. Il s’agit en premier lieu d’arrêter de subventionner ces combustibles qui reçoivent la somme,
aussi faramineuse que honteuse,
de 500 milliards de dollars par an
– quatre fois plus que les renouvelables. Plusieurs pays en développement, tels que l’Inde, l’Indonésie ou la Malaisie, ont ainsi récemment coupé les aides à la consommation de carburants.
Surtout, le moment est idéal
pour fixer un prix sur le CO2. Peu
importe qu’il s’agisse d’une taxe
carbone, d’une bourse de quotas
d’émission (marché carbone) ou
d’un autre instrument. L’essentiel
est de mettre en place une fiscalité qui oriente les politiques climatiques sur le long terme, force
les industriels et les consommateurs à utiliser des ressources
moins polluantes et permette de
dégager des économies pour les
énergies propres. Une meilleure
occasion se présentera-t-elle,
alors qu’avec les cours bas du pétrole cette nouvelle fiscalité serait
pratiquement indolore pour les
ménages et l’économie ?
Aujourd’hui, une quarantaine
de pays ont introduit des mécanismes de tarification du carbone, qui couvrent 12 % des émissions mondiales de gaz à effet de
serre. Mais pour l’instant, ces instruments n’ont pas encore totalement montré leur efficacité,
faute d’être véritablement incitatifs : le prix de la tonne de CO2 est
trop bas pour décourager l’exploitation des énergies fossiles. Il
faut accélérer le mouvement. Et
le pétrole bon marché est un excellent allié. Il y a deux mois, lors
de la COP21, les dirigeants du
monde entier ont rédigé des chèques postdatés pour la planète.
C’est le moment de procéder au
paiement. p
Tirage du Monde daté dimanche 14-lundi 15 février : 291 549 exemplaires
RÉFUGIÉS : LE
FACE-À-FACE
BERLIN-PARIS
L
es masques sont tombés. Le premier
ministre français, Manuel Valls, a
proclamé tout haut, samedi 13 février,
à Munich, ce qu’il distillait depuis des mois :
son opposition à la politique d’accueil des
réfugiés d’Angela Merkel. Près de six mois
après la publication de la photo de l’enfant
kurde noyé, Aylan Kurdi, et la décision de la
chancelière d’accueillir tous les réfugiés syriens, le premier ministre a fixé ses limites.
« L’Europe ne peut accueillir davantage de réfugiés, a-t-il déclaré. La France s’est engagée
pour 30 000 réfugiés. Dans le cadre de ces
30 000, nous sommes toujours prêts à accueillir des réfugiés. Mais pas plus. »
Le propos de M. Valls est d’autant plus
inopportun que la France n’a reçu dans le
cadre des programmes de relocalisation
européens qu’une centaine de Syriens, tandis que l’Allemagne a ouvert ses portes
en 2015 à plus de 800 000 réfugiés. Mais il a
le mérite de clarifier les choses : depuis le
début de la crise, Angela Merkel et François
Hollande ont fait mine d’être d’accord,
alors qu’il n’en était rien.
Comme dans la crise de l’euro, la chancelière a apporté une réponse d’abord morale
à l’afflux des réfugiés. Il est vrai que l’Allemagne a une tradition d’accueil inscrite
dans sa mémoire collective. Après la seconde guerre mondiale puis après la chute
du Mur, elle a vu revenir nombre d’Allemands ayant émigré çà et là, depuis des décennies, en Europe de l’Est, en Russie ou
même dans les Balkans.
La France n’a pas la même expérience. Et
elle est bien moins généreuse face à ces
hommes et ces femmes qui quittent la Syrie au risque de leur vie. Parce que sa situation intérieure est beaucoup plus tendue,
avec une intégration en échec, un chômage
massif, un Front national qui se prétend le
premier parti de France. Parce que, avec les
attentats terroristes et des guerres sur plusieurs fronts, le pays a le sentiment de
payer déjà un prix lourd à une situation
moyen-orientale qui met chaque jour des
milliers de réfugiés sur les routes.
Aujourd’hui, Paris accuse Angela Merkel
d’avoir créé un formidable appel d’air, tandis que Berlin regrette le manque de solida-
rité de ses voisins. Chacun pare au plus
pressé. Les Français se concentrent sur le terrorisme. Angela Merkel, qui découvre avec
effroi l’émergence d’une extrême droite
contre laquelle elle se croyait immunisée, ferait tout pour limiter l’arrivée des migrants
à condition de ne pas se dédire moralement.
L’Allemagne ne sera pas longtemps épargnée par le terrorisme, tandis que les migrants finiront par chercher refuge en
France. Une solution européenne s’impose,
alors que Schengen est de facto suspendu
pour des années. Les gouvernements doivent mettre en place ce qu’ils ont trop longtemps refusé : une police fédérale des frontières extérieures, un mécanisme efficace
de réallocation des réfugiés. Cela prendra
du temps.
L’Europe est engagée dans une course contre la montre entre les populistes, qui progressent à chaque élection, et les migrants,
dont le flux reprendra au printemps. Nous
ne devons pas avoir à choisir entre nos démocraties et la protection individuelle à laquelle a droit chaque réfugié. Il faut réduire
l’afflux des migrants tout en les protégeant.
Une clé essentielle se trouve en Turquie. Les
Européens doivent l’aider à accueillir les réfugiés syriens, mais la Turquie doit contrôler sa frontière avec la Grèce. Le Conseil
européen de cette semaine doit accoucher
d’une politique, enfin, et les dirigeants se
garder de surenchères populistes. p
LA MATINALE DU MONDE
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OFFRES
D’EMPLOI
CHAQUE LUNDI
PAGES 12 et 13
Acier : les industriels européens
jouent Bruxelles contre la Chine
3…2…1…
partez
en pages
▶ Six ministres européens,
▶ Les géants du secteur,
▶ La Commission a déjà
▶ Depuis 2007, la sidérur-
dont Emmanuel Macron,
étaient attendus à Bruxelles, lundi, pour défendre
les industriels de l’acier
contre le dumping chinois
ArcelorMittal en tête, accusent la Chine d’inonder
l’Europe d’acier vendu
à prix cassé, dont Pékin
ne sait plus quoi faire
adopté 37 mesures antidumping contre la Chine
en matière d’acier.
Trois nouvelles enquêtes
ont été lancées vendredi
gie européenne a perdu
20 % de ses emplois.
Les syndicats craignent
une nouvelle hémorragie
→ LIR E
PAGE 4
3,
5,
7
& 9…
Les maladies rares, filon des labos
▶ Avec des
traitements
au coût
exorbitant,
ces pathologies
sont une manne
pour l’industrie
pharmaceutique
▶ Pour les Etats,
c’est un véritable
défi en termes
économiques
→ LIR E
L’Etat pas prêt
à céder les
rênes d’Orange
à Bouygues
O
range réussira-t-il à sceller son alliance avec Bouygues Telecom ? Officialisées mardi 5 janvier, les noces
tardent à trouver une date et les
difficultés s’amoncellent. Non
seulement les deux prétendants
doivent s’entendre avec Free et
SFR, qui rachèteront une partie
de Bouygues Telecom, mais ils
doivent aussi obtenir l’aval de
l’Etat, qui détient 23 % d’Orange.
Selon nos informations, Bercy
refuserait de voir sa participation descendre sous 21 %, afin de
conserver trois sièges au conseil
d’administration. L’Etat aimerait
aussi voir Bouygues signer pour
trois ans une clause destinée à
l’empêcher de monter au capital
d’Orange, voire lui faire accepter
un pacte d’actionnaires, ce qui ne
lui permettrait pas de posséder
plus de 9 % de l’opérateur historique. p
PAGES 1 0 - 1 1
A l’Institut des
maladies
génétiques
(Imagine),
à l’hôpital
Necker,
à Paris. GILLES
ROLLE/REA
→ LIR E PAGE 1 4
JAPON
UNE CROISSANCE
SANS RELIEF EN 2015
→ LIR E
PAGE 6
PORTRAIT
GILLES PÉLISSON,
L’HÉRITIER
TOUCHE-À-TOUT,
DEVIENT PDG DE TF1
→ LIR E
PAGE 2
j CAC 40 | 4093 PTS + 2,46%
j DOW JONES | 15 974 + 2%
J EURO-DOLLAR | 1,1197
J PÉTROLE | 33,21 $ LE BARIL
j TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 0,66 %
VALEURS AU 15/02 - 9 H 30
PERTES & PROFITS | HSBC
Victoire anglaise sur la Chine
L
es visiteurs qui passent par le siège de
la banque HSBC ont coutume de caresser le museau du lion qui en garde l’entrée. Cela porte bonheur, même pour
les financiers. Le roi des animaux est un symbole commode. La tête couronnée, il est le
Royaume d’Angleterre ; en couple, il protège
tout bâtiment chinois qui se respecte. Puissant
et multinational. Depuis sa fondation en 1865,
la Hongkong and Shanghai Bank a toujours hésité entre deux continents et changé à de nombreuses reprises la localisation de son siège. Il
est à Londres depuis 1992.
Et il y restera. Le groupe a décidé, après dix
mois de réflexion, de ne pas retourner à Hongkong. Une victoire pour les autorités britanniques, qui n’ont pas ménagé leurs efforts pour
retenir le géant bancaire, et un camouflet pour
Pékin qui rêvait du retour au bercail de la plus
internationale des banques mondiales.
Mainmise politique de Pékin sur Hongkong
HSBC n’est pas un établissement financier ordinaire. Il réalise plus de la moitié de son activité
en Asie et voit passer près de 10 % des paiements
internationaux libellés en dollars. Un pont solide entre la Chine productrice et l’Occident consommateur. En 150 ans, la banque n’a jamais
perdu d’argent et n’en a jamais demandé à
aucun Etat. Au plus fort de la crise de 2008-2010,
elle a été l’une des rares à alimenter en liquidités
un système financier mondial en panne.
Il y a un an, l’affaire semblait entendue.
Comme d’autres entreprises occidentales, elle
Cahier du « Monde » No 22110 daté Mardi 16 février 2016 - Ne peut être vendu séparément
voyait le futur se dessiner en idéogrammes au
fronton de sa tour chinoise, regardant au loin
le delta de la rivière des perles, qui baigne Canton et Shenzhen et reste le poumon industriel
de la Chine et une de ses priorités. L’Asie représente les deux tiers de ses profits, alors que
ceux réalisés en Europe se sont effondrés en
2015 de plus de 40 %. De plus, le taux d’imposition est généreux à Hongkong (16,5 %), et de
grandes facilités étaient promises par le pouvoir local. Loin de cette Europe chère et ingrate, et qui n’aime pas ses banquiers accusés
de tous les maux.
De quoi « cocher » toutes les cases de l’examen qu’a entamé l’établissement et qui était
supposé passer en revue l’environnement réglementaire, les perspectives de croissance et
la taille sur le marché d’accueil. Mais toute décision est aussi politique, voire géopolitique.
D’ailleurs la banque s’est adjugée les conseils
du vieux briscard du domaine, l’ancien secrétaire d’Etat américain, Henry Kissinger.
Deux éléments sont venus perturber le scénario annoncé. Les difficultés du secteur financier chinois, qui a mis en lumière le manque de maturité et d’indépendance du système réglementaire du pays et l’inquiétante
mainmise politique de Pékin sur Hongkong
qui semble se durcir de jour en jour.
En dépit de ses normes et de ses coûts, l’Europe est soudain apparu comme un havre de
stabilité et le climat sur la Tamise plus clément
que sur la rivière des perles. p
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2 | portrait
0123
MARDI 16 FÉVRIER 2016
Gilles Pélisson
L’héritier devenu PDG de TF1
Touche-à-tout, inspiré par trois
mentors – Gérard Pélisson,
son oncle fondateur d’Accor,
Philippe Bourguignon,
ancien PDG d’Euro Disney,
et Martin Bouygues –, le nouveau
patron de TF1 devra poursuivre
la mutation du groupe audiovisuel
C’
est un nouveau rebond
dans une carrière qui a
connu de nombreux chapitres, souvent écrits sous
l’œil de parrains bienveillants. Nouveau président de TF1 à la suite du départ de Nonce Paolini, qui quitte ses fonctions jeudi 18 février,
Gilles Pélisson revient en pleine lumière
grâce à Martin Bouygues dont il a de longue
date la confiance. D’abord comme dirigeant
de sa filiale télécom de 2001 à 2006 puis en
tant qu’administrateur de TF1 à partir de
2009.
Une relation typique du parcours de Gilles
Pélisson, jalonné de rencontres avec des
mentors. Le premier d’entre eux n’est autre
que son oncle. Figure des affaires et de la
bourgeoisie lyonnaise, Gérard Pélisson a cofondé le groupe hôtelier Accor avec Paul Dubrule. Dans les années 1950, Gérard a étudié
au MIT, à Boston. Et c’est à lui que son neveu
Gilles doit son tropisme pour les Etats-Unis,
où il s’installe à l’âge de 24 ans, après son mariage, et reste huit ans. En digne héritier – son
oncle n’a pas de fils –, il étudie à son tour au
MIT, puis intègre Accor.
Il y grandit sous l’aile d’un deuxième mentor revendiqué, Philippe Bourguignon, patron du développement du groupe aux EtatsUnis et en Asie. « J’y ai appris le marketing de
terrain », raconte celui qui passait pour
« surdiplômé dans un groupe d’hommes opérationnels » : il se souvient avec douceur de
son passage en Californie pour lancer une
chaîne de restaurants ou ouvrir des Novotel.
Mais en 1987, il doit passer « de Beverly Hills à
Evry-sur-Plage » : son « tonton » le rappelle en
France pour diriger la filiale de restaurants
Courtepaille. En France, il retrouve Philippe
Bourguignon. Celui-ci lui propose de le suivre à Euro Disney, en 1995, avant de lui laisser
son poste de PDG.
« Gilles, what’s your new idea ? », lui demande chaque lundi matin le PDG de la Walt
Disney Company, Michael Eisner. Avec cette
autre figure inspirante, Gilles Pélisson découvre le management d’un géant du divertissement. Son style personnel est d’ailleurs
« à l’américaine », raconte un ancien collaborateur : « Il est chaleureux et direct. Il met les
gens à l’aise facilement. Le genre à retrousser
ses manches. Tout le monde a le sentiment de
le connaître sans le connaître. » Chez TF1, lors
des quatre mois de « tuilage » qui s’achèvent
ces jours-ci, on a pu apprécier le ton affable et
décontracté du nouveau PDG, contrastant
avec le style plus distant de Nonce Paolini.
Ses années Disney s’achèvent en 2000, sans
qu’il aille au bout du lancement du projet
d’un deuxième parc. Il décide alors de saisir
une nouvelle main tendue : celle de Gérard
Mestrallet, PDG de Suez, qui lui confie la préparation de la candidature du groupe à une licence de téléphonie mobile. C’est une déconvenue : en 2001, Suez renonce à concourir.
« UN BOUYGUES BOY »
Gilles Pélisson croise alors celui qui va le connecter à Martin Bouygues, son troisième
mentor : il rencontre Patrick Le Lay, PDG de
TF1, dans un train sur le chemin de Verbier,
une station de ski huppée de Suisse. Nouveau
coup de pouce : celui-ci l’envoie voir son patron, qui le nomme à la tête de Bouygues Telecom, où il accompagne les prémices de l’Internet mobile. Dans ce groupe familial
– comme Accor –, il entre dans le premier cercle, nouant une relation de confiance avec le patron des programmes,
Etienne Mougeotte. Certains affirment que
l’actuel actionnaire de Valeurs actuelles a aidé
M. Pélisson à accéder à la tête de TF1, mais
CHRISTOPHE MORIN/IP3 PRESS/MAXPPP
M. Mougeotte nie avoir été un « conseiller occulte », tout en reconnaissant un lien « affectueux ». « Gilles est un Bouygues Boy, avec une
sensibilité pour les médias », juge-t-il.
Ses relations avec ses mentors ont parfois
connu des accrocs. L’oncle, Gérard Pélisson,
est « vexé » quand Gilles décide de quitter Accor pour rejoindre Disney, se rappelle le neveu. « Il a su couper le cordon quand il a vu que
la succession n’arrivait pas », interprète le président de M6, Nicolas de Tavernost, qui qualifie son nouveau concurrent de « camarade ».
Gérard pardonnera et accueillera, à nouveau,
son neveu à la tête du groupe, en 2006.
A l’époque, des fonds d’investissement
comme Colony Capital font pression pour
scinder Accor en deux. Il finit par endosser la
réforme et introduire en Bourse la partie financière des activités, liée à Ticket Restaurant. « C’est un opportuniste de talent. Il surfe
sur la vague », se moque un observateur. Les
fonds obtiennent son départ en 2010 : il y
avait des « divergences stratégiques » mais les
résultats étaient bons, se défend Gilles Pélisson. Certains se rappellent toutefois les phrases cinglantes prononcées à chaud après son
départ par Paul Dubrule, le cofondateur : « Je
n’ai pas compris son projet. Quand je lui posais des questions, il m’envoyait promener. Et,
humainement, c’était une catastrophe : il virait les gens à tour de bras », avait-il confié à
Challenges en 2010.
Un témoin se souvient de quelqu’un « d’assez libéral, plutôt décomplexé », et rappelle
qu’il a intégré en 2006 le conseil exécutif du
Medef, lieu idéal pour parfaire son réseau. Il
côtoie Dominique Desseigne, connu à la tête
des casinos Barrière (filiale d’Accor), et croise
des patrons dans des parties de golf, même
s’il est « plutôt tennis » ou voile. Après ses déboires chez Accor, Gilles Pélisson investit
dans une cristallerie belge, rejoint la banque
d’affaires londonienne Jefferies et finit par
quitter la France pour Uccle, une commune
de Bruxelles connue pour accueillir nombre
de Français. Exil fiscal ? « Je voulais être tranquille, loin de Paris », nuance-t-il sans démentir. Une façon de fuir les « Et toi, ça va ? » du
« GILLES EST À TF1
POUR CONFORTER
LE LEADERSHIP
DU GROUPE
ET L’INSCRIRE
DANS UN PAYSAGE
MONDIALISÉ »
ETIENNE MOUGEOTTE
ex-directeur de TF1
1957
1983
1995
2016
Naissance à Lyon.
Gilles Pélisson
entre chez Accor
après avoir vécu
aux Etats-Unis.
Directeur général
puis PDG d’Euro
Disney. Six ans
plus tard, il est
nommé directeur
général puis PDG
de Bouygues
Telecom.
Il devient PDG
du groupe TF1,
succédant
à Nonce Paolini.
microcosme, douloureux aux oreilles de celui qui, après Accor, n’a pas retrouvé de job de
premier plan… jusqu’au coup de fil de Martin
Bouygues, à l’été 2015.
A TF1, Gilles Pélisson hérite d’une position
aux avant-postes d’un audiovisuel français
en pleine mutation. « Le futur sera différent
du modèle des vingt-cinq dernières années »,
convient-il. « Paolini a fait entrer TF1 dans la
révolution technologique, Gilles Pélisson est là
pour conforter le leadership du groupe et l’inscrire dans un paysage mondialisé », pense
Etienne Mougeotte, citant comme concurrents Netflix autant que M6.
GÉRER TF1 COMME ACCOR
Le nouveau PDG met en avant le concept de
« marque » : TF1 est sans surprise « une des
plus belles françaises » mais elle s’insère désormais dans un « portefeuille » où figurent
aussi HD1, NT1 et TMC. Il entend les « gérer »,
comme naguère les enseignes d’Accor. Sans
oublier LCI, la chaîne d’information maison
qui vient d’être autorisée par le CSA à passer
en gratuit. « Je connais les univers régulés »,
glisse M. Pélisson, en souvenir de son passage dans le secteur des télécoms ou du « lobbying » mené auprès de MM. Lionel Jospin,
« Strauss » ou Mathieu Pigasse (actionnaire à
titre personnel du Monde), qui étaient aux affaires pendant son passage à Disney.
Pour lui, TF1 devra être fort dans les « contenus » : si la référence à la machine Disney, productrice infatigable de personnages et de licences, semble disproportionnée, Gilles Pélisson a « encouragé » M. Paolini à acquérir, fin
2015, le groupe de production Newen. Un pas
dans la voie souhaitée de la « diversification ».
Durant ses mois de « tuilage », le futur PDG a
eu le loisir de partir à Los Angeles pour rencontrer les grands studios américains. Des interlocuteurs cruciaux pour la chaîne, qui fait
d’excellentes audiences et une partie de sa
marge sur les séries américaines. De ce séjour
en Californie, M. Pélisson retient que les Américains se posent des questions sur les rapports entre production et distribution.
A ce sujet, un mot plane sur l’époque :
« convergence ». Le groupe est connu pour
n’avoir jamais cherché à mettre en œuvre
des synergies entre ses activités télécoms et
médias. Quand il dirigeait Bouygues Telecom, le nouveau PDG se rappelle dans un
sourire avoir essayé de créer une marque
« TF1 Mobile », en vain. Les temps auraient-ils
changé ? La question est sensible, au moment où Orange et Bouygues mènent des négociations de rapprochement, qui pourraient, selon certaines sources, inclure une
part minoritaire dans TF1.
Face aux grandes manœuvres du secteur et
au bouillonnement numérique, les défis ne
manquent pas. Gilles Pélisson se dit conscient
que TF1, comme tout grand groupe, vit sous la
menace de l’« uberisation » : « Qui aurait pensé
que le nouveau concurrent d’Accor serait Airbnb ? » L’antenne symbole de la puissance publicitaire doit aussi se convertir au « ciblage »
des clients sur le Web, projette-t-il… Si besoin
est, ses propres héritiers lui rappellent l’ampleur de la tâche : « Mes enfants ne regardent
pas la télé sur un téléviseur mais ailleurs. » p
alexis delcambre
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4 | économie & entreprise
0123
MARDI 16 FÉVRIER 2016
Bruxelles appelée au chevet de l’acier européen
Les industriels dénoncent le dumping de la Chine. Depuis 2007, le secteur a perdu 20 % de ses effectifs en Europe
LE CONTEXTE
bruxelles - bureau européen
L’
acier européen va mal,
très mal, et c’est à
Bruxelles d’agir. C’est le
message que six ministres, dont Emmanuel Macron
pour la France et Sigmar Gabriel
pour l’Allemagne, devaient aller
porter de vive voix aux fonctionnaires de la Commission européenne, lundi 15 février. Eurofer a
promis de les soutenir en manifestant. L’association, qui défend
les intérêts des groupes sidérurgistes européens, espérait mobiliser 5 000 personnes pour une
« grande marche » dans la capitale
belge.
Parmi les manifestants devaient
figurer Geert Van Poelvoorde, numéro deux exécutif d’ArcelorMittal, son rival Cesare Riva, numéro
un du groupe italien Riva, et Karl
Köhler, PDG de Tata Steel. La direction d’ArcelorMittal a également
invité ses salariés de Fos-sur-Mer
(Bouches-du-Rhône) et de Dunkerque (Nord) à monter dans les
cars qu’elle a affrétés pour Bruxelles. La CGT et la CFDT ont décliné
l’invitation. « Cela dit, nous réclamons la même prise en compte rapide », reconnaît Géry Thoraval,
délégué syndical CFDT chez ArcelorMittal
Ministres, patrons et salariés demandent que l’Europe utilise à
plein son arsenal antidumping
pour protéger l’acier européen
des surproductions chinoises. Si
pour la première fois depuis
2009, la production mondiale a
reculé, les importations en provenance de Chine continuent de
croître (+ 25 % entre 2014 et 2015).
Le cours de la tonne s’est effondré
de 40 %. Faute de compétitivité,
les aciéristes européens voient
leurs marges chuter.
Contexte déprimé
Le résultat brut d’exploitation
d’ArcelorMittal a plongé de 27,7 %
et ses pertes nettes se sont creusées à 7,9 milliards de dollars
(7 milliards d’euros) en 2015. Le
groupe indien a annoncé un
« plan 2020 » pour comprimer ses
coûts de 3 milliards de dollars. Le
plan de l’autrichien Voestalpine
porte sur 1 milliard d’euros d’économies sur l’exercice en cours. Et
les plans de suppression d’emplois reprennent.
Depuis 2007, le secteur a perdu
20 % de ses emplois et ne compte
plus que 328 000 salariés, d’après
Eurofer. L’année 2016 a débuté
avec l’annonce de 1 050 suppressions d’emplois chez Tata Steel au
L’Europe a lancé une centaine
de mesures antidumping ces
dernières années pour protéger
l’industrie européenne. Ces procédures durent en général cinq
ans. L’essentiel de ces procédures concerne l’acier, pour environ un tiers, la chimie et la céramique se partageant le reste.
La moitié de ces mesures protectionnistes, soit un total de
52 textes, concernent des importations chinoises, qui ne représentent au total que 1,38 %
du total des exportations de
biens chinois vers l’Europe, en
valeur.
Aciérie à Tangshan, dans l’est de la Chine. KIM KYUNG-HOON/REUTERS
Royaume-Uni et ArcelorMittal a
« temporairement » fermé son
usine de Sestao, en Espagne
(330 personnes).
En France, où ArcelorMittal emploie 17 000 salariés, le groupe se
veut rassurant. « Notre dispositif
industriel est calé », assure une
porte-parole. Vendredi 12 février,
le numéro un mondial du secteur
a annoncé 54 millions d’euros
d’investissement dans ses usines
de Dunkerque. Toutefois, le spectre de Florange, dont les hautsfourneaux ont fermé en 2013,
plane. « La situation commerciale
et financière (…) est le sujet de beaucoup d’inquiétudes [quant au] devenir des sites de production », reconnaît M. Thoraval, de la CFDT.
A Dunkerque, site qui alimente
surtout l’industrie automobile, la
PRODUCTION D’ACIER, EN KILOTONNES PAR MOIS
TOTAL « MONDE »
ÉTATS-UNIS
6 576
UNION
EUROPÉENNE
À 28
13 843
DONT FRANCE
1 249
133 009
AUTRES
CHINE
66 711
SOURCES : WORLDSTEEL ET FFA
CGT pointe « la perte de moyens ».
L’usine de Fos-sur-Mer redoute,
elle, la proximité des ports italiens, où débarquent les cargaisons chinoises. Les 2 350 salariés
d’ArcelorMittal sur place craignent le recours prochain au chômage partiel ; le groupe y est autorisé jusqu’en mars 2016.
Dans ce contexte déprimé,
Bruxelles veut démontrer qu’elle
agit. Vendredi 12 février, la Commission europenne a annoncé le
lancement de trois enquêtes pour
soupçon de dumping envers la
Chine. Les tubes sans soudure, les
tôles lourdes et l’acier plat laminé
à chaud sont dans son viseur. A
aussi été décidée une mesure antidumping (donc la mise en place
de droits de douane élevés) pour
les pièces d’acier laminé à froid en
provenance de Russie et de Chine.
« Avant, on protégeait des secteurs
de niche, là, on se préoccupe des lignes les plus importantes de la
production européenne », note
une source diplomatique.
L’Europe dispose désormais de
37 mesures antidumping concernant l’acier (sur une centaine au
total, tous secteurs confondus), et
neuf enquêtes sont en cours. Pas
sûr que cela suffise à rassurer les
ministres et les lobbys industriels.
Tous craignent qu’à court terme,
Bruxelles décide de se priver en
partie, voire en totalité, de son
« bouclier » protectionniste. Car
d’ici à la fin de 2016 devrait s’engager une négociation à haut risque
avec Pékin : l’enjeu est le maintien
de la Chine dans la catégorie des
« économies non marchandes »
au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Parades juridiques
En 2001, lorsque la Chine a accédé
à l’OMC, elle s’était vu refuser le
statut
d’« économie
marchande ». Motif : son industrie est
largement subventionnée par
l’Etat. A ce titre, dans son protocole d’adhésion, le pays fait l’objet
d’un statut particulier : les procédures antidumping peuvent être
déclenchées plus facilement par
ses partenaires commerciaux, dès
lors qu’ils prouvent qu’un produit
est vendu moins cher à l’export
que dans son pays de fabrication.
Ce protocole a été signé pour
quinze ans ; il expire en partie en
décembre 2016. Pékin juge ce statut humiliant, pénalisant et ferraille pour en être débarrassé. Les
industriels européens, eux, prônent le statu quo. La Commission
semble, quant à elle, hésiter à entamer une négociation.
Un dispositif antidumping affaibli aurait certes un redoutable impact sur l’emploi industriel : selon
une étude interne, il pourrait déboucher
sur
la
perte
de 200 000 postes en Europe,
tous secteurs confondus. Mais la
Chine est un partenaire commercial majeur pour l’Europe. Il sera
dès lors difficile de refuser de discuter avec Pékin, « même si d’évidence la Chine n’est pas une économie de marché et subventionne des
pans entiers de son économie »,
note une source diplomatique
Du coup, la Commission cherche des parades juridiques. Elle
planche sur une révision du règlement européen sur la lutte antidumping et explore la possibilité
de prolonger pour quelques années les 52 procédures existantes
envers Pékin. Les Européens espèrent également agir aux racines
du problème, en incitant la Chine
à réduire ses surproductions. Un
« comité » sur l’acier constitué à
l’Organisation de coopération et
de développement économiques
(OCDE), devrait se réunir en mars.
A la fin de 2015, la commissaire
européenne chargée du commerce, Cecilia Malmström, avait
rencontré le ministre chinois du
commerce, Gao Hucheng. Dans
quelques semaines, ce sera au vice-président de la Commission,
Jyrki Katainen, de faire le voyage
en Chine. p
juliette garnier
et cécile ducourtieux
La sécurité des approvisionnements, priorité de l’union de l’énergie
La Commission européenne doit présenter, mardi 16 février, des textes visant à mieux protéger les pays dépendants du gaz russe
bruxelles - correspondance
U
n an après avoir défini sa
stratégie « pour une
union de l’énergie » visant à « rendre l’énergie sûre, soutenable, compétitive et à des prix
raisonnables », Maros Sefcovic, le
vice-président de la Commission
européenne, entre dans le vif du
sujet. Mardi 16 février, le Slovaque
devait faire adopter par la Commission ses premières propositions législatives focalisées sur la
sécurité des approvisionnements
en gaz. Parmi les textes attendus :
la révision d’un règlement destiné à protéger les pays européens
les plus dépendants du gaz russe
(30 % des importations de l’Union
européenne) à travers le renforcement de mécanismes de solidarité en cas de coupure d’approvisionnement.
Le règlement de 2012 établissait
déjà des principes clés après les
coupures de gaz intempestives
entre l’Ukraine et la Russie qui
avaient notoirement menacé les
approvisionnements européens.
Mais l’aggravation de la crise entre Kiev, Moscou et l’UE en 2014
rendait nécessaire une mise à
jour de ces mécanismes d’urgence entre les régions les plus exposées au risque. La nouvelle proposition introduit, notamment,
des améliorations pour assurer
un approvisionnement minimum aux ménages et aux entreprises avec l’émergence de plans
d’entraide régionaux.
Echange d’informations
En revanche, l’idée d’instaurer
une centrale d’achat de gaz commune pour peser sur Moscou est
reléguée au rang des options volontaires. « Personne n’en voulait,
sauf les Polonais », explique une
source européenne. Certains craignaient qu’en représailles la Rus-
sie ne s’associe avec d’autres fournisseurs pour former un cartel du
gaz calqué sur celui de l’OPEP, indique cette source.
Outre ce règlement, la Commission remonte au créneau pour
renforcer l’échange d’informations entre les opérateurs d’énergie concernant leurs contrats signés avec les pays tiers dans le cas
où ceux-ci auraient des incidences
sur la sécurité des approvisionnements. Une disposition on ne peut
plus sensible alors qu’un nouveau
consortium piloté par le géant
russe Gazprom avec plusieurs opérateurs européens envisage le
doublement du gazoduc Nord
Stream par la mer Baltique. « Un
projet machiavélique » de Vladimir
Poutine dénoncé par de nombreux députés européens, décrié
par les pays de l’Est fâchés de voir
l’Allemagne et la France « ruiner
avant l’heure » les grands principes
de l’union de l’énergie, et contesté
par l’Italie après l’échec du projet
de gazoduc South Stream.
La Commission enfonce donc le
clou. Malgré l’opposition probable de Paris et de Berlin, elle devait
présenter la modification d’une
décision adoptée en 2012 renforçant la transparence dans les accords énergétiques intergouvernementaux. L’idée étant d’obtenir un droit de regard ex ante
avant la signature finale des ac-
L’aggravation
de la crise entre
Kiev, Moscou
et l’UE rendait
nécessaire
une mise à jour
des mécanismes
d’urgence
cords, afin d’en vérifier la conformité avec le droit européen par le
biais des « notifications automatiques », souligne Maros Sefcovic.
Même si les négociations s’annoncent passablement ardues, ce
droit de regard n’empêchera pas
la Commission d’enquêter de son
côté. C’est déjà le cas avec le projet
Nord Stream 2 pour lequel une enquête est en cours. Sans parler de
celle visant Gazprom pour abus
de position dominante.
La stratégie européenne pour le
gaz naturel liquéfié (GNL), que doit
également présenter la Commission, est aussi vivement critiquée.
Conçue pour favoriser la diversification des approvisionnements et
diminuer la dépendance face à la
Russie, notamment dans les pays
baltes, son message « reste totalement incompréhensible après l’accord international sur le climat à
Paris », dénonce le député européen des Verts, Claude Turmes.
« La Commission part du principe
que la consommation de gaz va
augmenter alors que la demande
baisse. » Un avis pas vraiment partagé à Bruxelles. Pour un diplomate européen, le GNL « reste compatible avec la COP21 », la feuille de
route de l’Union visant d’abord « à
se débarrasser du charbon ».
L’édification d’une « véritable »
union de l’énergie n’en est, à ce
stade, qu’à ses prémices. D’autres
propositions clivantes sont attendues cette année : entre le partage
du fardeau pour les quotas d’émissions de CO2 par pays (en juin), la
révision des textes sur l’efficacité
énergétique, ceux sur les énergies
renouvelables et sur l’organisation du marché de l’électricité
(deuxième semestre), les Européens n’ont pas fini de se déchirer.
La Commission espère boucler les
négociations avant la fin de son
mandat en 2018. Au mieux. p
christophe garach
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6 | économie & entreprise
0123
MARDI 16 FÉVRIER 2016
Le Japon englué dans une croissance molle
Le PIB a reculé de 0,4 % au quatrième trimestre, plombé par une consommation et des exportations atones
tokyo - correspondance
L
e produit intérieur brut
(PIB) japonais poursuit
son flirt avec le zéro
pointé. Et exacerbe les
doutes sur les « Abenomics », notamment sur la politique monétaire de l’Archipel.
Après une légère hausse à 0,3 %
entre juillet et septembre 2015, le
PIB a reculé de 0,4 % entre octobre
et décembre, soit, en rythme annualisé, – 1,4 %, a annoncé, lundi
15 février, le gouvernement. Pour
2015, la croissance de la troisième
économie mondiale n’aura pas dépassé 0,4 %, ce qui fait dire au ministre de la revitalisation économique, Nobuteru Ishihara, que le
pays est « en reprise modérée, ses
fondamentaux restant solides ».
Ces mauvais chiffres interrogent
toutefois sur les Abenomics, ces
mesures adoptées depuis 2012 par
le gouvernement du premier ministre Shinzo Abe, pour relancer
durablement l’économie. Au dernier trimestre 2015, l’activité a
souffert d’exportations en repli de
0,9 %, en raison principalement
des difficultés de l’économie chinoise et d’une consommation intérieure toujours amorphe. Cette
dernière a reculé de 0,8 %, traduisant l’échec du gouvernement à en
faire un moteur de la reprise. Le
seul point positif reste les investissements des entreprises, en
hausse de 1,4 %.
Dans ce contexte, la politique
monétaire ultra-accommodante,
principal pilier des Abenomics, inquiète. Toujours déterminée à atteindre les 2 % d’inflation, la Banque du Japon (BoJ), qui injecte chaque année 80 000 milliards de
yens (627 milliards d’euros) de liquidités sur les marchés au travers
d’un vaste programme d’achat
d’actifs, a surpris en s’engageant, le
29 janvier, sur la voie des taux négatifs. Celui des emprunts à 10 ans
est passé à – 0,01 % le 9 février.
Mais la mesure ne semble pas
avoir eu les effets souhaités.
ÉVOLUTION DU PIB DU JAPON,
EN %
1,7
1,4
0,4
0
Décembre 2012
Arrivée au pouvoir
de Shinzo Abe
– 0,5
2011
2012
2013
2014
2015
SOURCE : GOUVERNEMENT JAPONAIS
Deux semaines après, l’indice
boursier Nikkei se retrouve sous
les 16 000 points (malgré une
hausse de 7,16 à la clôture lundi 15),
contre 18 000 le 1er février. Le yen a
progressé de 6,6 % face au dollar
depuis le début 2016, un risque
pour les profits des exportateurs.
La surprise a donc cédé la place à
la critique. La décision de la BoJ est
jugée en partie responsable de la
volatilité des marchés et menacerait les profits des banques. L’indice MSCI des institutions bancaires mondiales a chuté de 13 % depuis la fin janvier.
De moins en moins de leviers
La mesure semble si mal perçue
que M. Ishihara, nommé le 28 janvier après la démission de son prédécesseur, Akira Amari, pour une
affaire de financement occulte,
s’efforce d’en minimiser la portée.
« Le taux négatif s’appliquera à 10 %
environ des dépôts des banques à
l’établissement central, a-t-il déclaré le 13 février au quotidien Nihon Keizai. C’est une proportion minime. »
La méthode suivie, a souligné le
12 février Hiroshi Nakaso, gouverneur adjoint de la BoJ, « a pour but
de limiter les risques pour la profitabilité des banques ». M. Nakaso juge
possible d’aller plus loin en terrain
négatif en cas de « fuites des réserves de liquidités » qui affecteraient
Le premier ministre, Shinzo Abe, le 28 janvier, à Tokyo. YUYA SHINO/REUTERS
la politique menée. Le même jour,
le gouverneur, Haruhiko Kuroda,
rencontrait en urgence M. Abe et
appelait les participants à la réunion des grands argentiers du
G20 des 26 et 27 février à Shanghaï
à agir pour calmer les marchés.
M. Kuroda a reproché aux investisseurs de devenir « excessivement réticents face aux risques ». Il
a rappelé que les taux négatifs devaient servir l’économie en incitant les entreprises à investir. Et
d’ajouter qu’il n’hésiterait pas à
adopter des mesures d’assouplissement pour atteindre son objectif d’inflation. « Il y a de grandes
chances que [M. Kuroda] le fasse à
Le gouvernement
prévoit
d’augmenter la
TVA de 8 % à
10 % en 2017
pour augmenter
ses rentrées
fiscales
Pékin tente de rassurer les marchés
Après les congés du Nouvel An lunaire, les Bourses chinoises ont limité leur repli,
réconfortées par la fermeté du discours du gouverneur de la banque centrale
pékin - correspondance
L
es marchés chinois ont
fermé en légère baisse
lundi 15 février, après une
semaine de suspension des cours
pendant les congés du Nouvel An
chinois. La Bourse de Shanghaï a
terminé la séance sur une baisse
de 0,63 %, celle de Shenzhen a clôturé quasi stable (– 0,04 %). Des
baisses plus limitées qu’attendu,
après les mauvaises performances des places financières mondiales la semaine dernière.
Le yuan s’échange, quant à lui, à
son plus haut niveau depuis le
5 janvier dernier, à 0,1539 dollar,
soit une hausse de 1,2 % par rapport au niveau fixé par la banque
centrale chinoise (PBOC) à
l’ouverture. La monnaie chinoise
est, en effet, autorisée à fluctuer
de 2 % chaque jour à partir d’un
taux fixé par la PBOC en fonction
des cours de la veille.
Les investisseurs semblent avoir
retrouvé une certaine sérénité
puisque même les mauvais chiffres du commerce extérieurs publiés également lundi n’ont pas
entraîné de réaction apeurée des
marchés. Les statistiques des
douanes pour le mois de janvier
indiquent une baisse continue
des exportations chinoises, à
moins 11,2 % par rapport à 2015.
Les importations ont aussi chuté
à moins 18,8 % par rapport à l’année dernière.
La résistance relative des marchés trouverait en partie sa
source dans le retour sur le devant
de la scène du gouverneur de la
banque centrale chinoise. Silencieux depuis plus d’un mois,
Zhou Xiaochuan a livré un entretien au magazine Caixin samedi
13 février. Dans cette intervention,
largement commentée ans les
médias chinois, le gouverneur
tente de redonner un peu de confiance aux investisseurs. Sa diète
médiatique avait suscité bien des
questions alors même que le
yuan était entré dans une zone de
turbulences.
« Il est normal que les réserves de
change augmentent et baissent
tant que les fondamentaux n’ont
pas de problèmes », a déclaré Zhou
Xiaochuan. Des propos destinés à
calmer les inquiétudes alors que
Pékin a multiplié les achats massifs de yuan pour soutenir sa
monnaie. Les réserves de dollars
de la Chine ont baissé de 99,5 mil-
La Chine a
connu son taux
de croissance
le plus faible
depuis vingt-cinq
ans en 2015
avec 6,9%
liards sur le seul mois de janvier,
après avoir baissé de 107,9 milliards de dollars (97 milliards
d’euros) en décembre 2015, pour
tomber à 3 230 milliards, leur plus
bas niveau depuis 2012. Selon le
Fonds monétaire international
(FMI), le seuil recommandé pour
la Chine est de 2 800 milliards de
dollars de réserves.
Limiter la fuite des capitaux
La difficulté, c’est que les « fondamentaux » qu’évoque le gouverneur de la PBOC sont loin d’être au
beau fixe. La Chine a connu son
taux de croissance le plus faible
depuis vingt-cinq ans en 2015,
avec 6,9 %. Et les experts s’inquiètent de la capacité de la Chine à éviter un ralentissement violent de
son économie. En 2015, la banque
centrale a semblé impuissante à
soutenir son économie en multipliant les baisses des taux d’intérêt, six fois dans l’année, sans succès. La chute des Bourses chinoises à l’été 2015 a aussi jeté un coup
de froid sur la crédibilité économique des dirigeants chinois.
Zhou Xiaochuan a aussi assuré
que la Chine ne limiterait pas davantage les mouvements des capitaux, déjà très contrôlés en Chine.
Etant donné les volumes échangés avec l’étranger, renforcer les
contrôles serait de toute façon très
compliqué, a-t-il expliqué. La
Chine a pourtant limité les possibilités de fuites des capitaux des
particuliers. Juste avant le Nouvel
An, le 4 février, Pékin avait interdit
aux utilisateurs de cartes bancaires UnionPay, leader en Chine, les
achats d’assurances-vie étrangères de plus de 5 000 dollars.
« La sortie des capitaux et la fuite
des capitaux sont deux concepts
différents, a commenté le gouverneur de la PBOC. La Chine ne laissera pas s’installer le sentiment que
les marchés sont dominés par les
forces spéculatives », a-t-il poursuivi. Même s’il n’y a pas fait référence, difficile de ne pas y voir une
réponse au milliardaire américain
George Soros. Ce dernier avait prédit en janvier un atterrissage rude
de la deuxième puissance économique mondiale, qui risquait de
plonger le monde dans sa prochaine crise. Il disait surtout parier de son côté sur une dévaluation continue du yuan. Ses commentaires avaient provoqué les
foudres de la presse officielle chinoise, qui dénonçait une « déclaration de guerre ».
Même s’il s’est voulu rassurant,
Zhou Xiaochuan, libéral reconnu,
a toutefois admis une nouvelle
fois les limites de son institution :
« La banque centrale n’est ni un
dieu ni un magicien qui pourrait
transformer des incertitudes en
certitudes. » Une version chinoise
du fameux « la Banque centrale
européenne ne peut pas tout » prononcé par son président Mario
Draghi, en 2013. – (Intérim.) p
la prochaine réunion du conseil de
politique monétaire en mars », si le
yen continue de s’apprécier et les
marchés de baisser, estime Masamichi Adachi, ex-banquier central
aujourd’hui économiste de JPMorgan Chase.
Avec l’espoir d’un succès, le gouvernement prévoit d’augmenter
la TVA de 8 % à 10 % en 2017 pour
augmenter ses rentrées fiscales.
Or il n’a plus guère de leviers à actionner pour relancer l’économie.
Contraint par une dette à plus de
240 % du PIB, il ne peut plus initier
d’importants plans de relance.
Soucieux de remporter les élections sénatoriales de l’été, Tokyo
reste timoré sur les réformes
structurelles, la troisième « flèche » des Abenomics. L’adoption
au Parlement du Partenariat
transpacifique, une vaste zone de
libre-échange incluant douze pays
riverains du Pacifique, dont le Japon et les Etats-Unis, pourrait être
compliquée par la démission
d’Akira Amari. Ce dernier était
chargé des négociations de cet accord de plus en plus contesté dans
l’Archipel, en raison notamment
de son opacité et des menaces
qu’il fait peser sur l’agriculture. p
philippe mesmer
Lire aussi page 14
68
C’est le nombre d’accidents d’avions en 2015, selon l’Association internationale du transport aérien (IATA), qui a qualifié, lundi 15 février, l’année écoulée d’« extraordinairement sûre ». Ce nombre est inférieur aux
77 enregistrés en 2014 et à la moyenne annuelle de 90 sur les cinq dernières années. Quatre accidents ont été mortels en 2015 contre douze
en 2014. Ils ont tué 136 personnes en 2015, contre 641 en 2014 et une
moyenne de 504 sur cinq ans. Mais l’association n’a pas intégré dans
ses statistiques l’avion de Germanwings ni celui de la compagnie russe
Metrojet, classés comme des « actes délibérés d’intervention illicite ». En
les prenant en compte, le nombre de morts dépasse les 500.
CON J ON CT U R E
avec l’engagement de redresser l’économie du pays.
La Chine a vu ses exportations baisser de 6,6 % sur un
an en janvier, à 1 140 milliards
de yuans (155,6 milliards
d’euros), selon les chiffres publiés par Pékin, lundi 15 février. Les importations ont reculé de 14,4 % sur un an, à
100,6 milliards d’euros. L’excédent commercial a gonflé
de 12,2 % sur un an, à 55,3 milliards d’euros.
C HAUSS U R ES
Chute des exportations
chinoises en janvier
La croissance
thaïlandaise a un peu
faibli fin 2015
La Thaïlande a enregistré une
croissance de 2,8 % sur un an
au quatrième trimestre 2015,
après + 2,9 % sur les trois
mois précédents, selon les
données officielles publiées
lundi 15 février. Cette performance a été jugée décevante
au regard des promesses de la
junte arrivée au pouvoir
en 2014, après un coup d’Etat,
La filiale française
de Bata encore en
redressement judiciaire
ABC Chaussures, qui exploite
la marque canadienne de
chaussures Bata en France
depuis février 2015, a été une
nouvelle fois placée en redressement judiciaire par le
tribunal de commerce de
Nanterre, selon Le Figaro du
lundi 15 février.
AÉR I EN
Les drones, « réelle
menace » pour la
sécurité des avions civils
Les drones civils sont une
« menace réelle et croissante »
pour la sécurité des avions civils, a indiqué, lundi 15 février, l’Association internationale du transport aérien. Elle
appelle les pouvoirs publics
à réguler ces activités afin
d’éviter d’éventuels accidents.
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8 | management
0123
MARDI 16 FÉVRIER 2016
Salarié, es-tu heureux ?
LE COIN DU COACH
Aux Etats-Unis, le mini-sondage devient un outil précieux pour la direction et les manageurs
new york - correspondance
L
a chaîne canadienne de
restaurants Earls fonctionne plutôt bien. L’entreprise familiale, créée
dans les années 1980 par Leroy
« Bus » Earl Fuller et son fils, Stanley, est présente dans 65 villes, de
Vancouver à Miami. Ses burgers
frais et bières rares font un tabac
auprès de la clientèle. L’entreprise
tourne rond. Et, pourtant, « Bus »
et Stanley éprouvent le besoin de
creuser un peu plus, en prenant
l’avis de leurs salariés.
Comment préserver la culture
de départ de l’entreprise ? Les
7 000 employés sont-ils heureux ?
Aiment-ils leurs chefs ? Partagentils les mêmes valeurs ? Se sententils épaulés ? Pour y répondre, le
groupe Earls utilise des mini-sondages anonymes, qui lui procurent de rapides retours d’information sur l’état d’esprit de ses troupes. Les ressources humaines ont
ainsi découvert que les cuisiniers
se sentaient isolés. Ils arrivaient à
l’aube, plus tôt que tout le monde,
et quand les serveurs et autres
personnels entraient dans le restaurant, on ne venait pas les voir.
Chacun vaquait à ses occupations.
La direction a décidé de les faire
sortir pour visiter d’autres restaurants ou pour rencontrer un
grand chef. Le privilège est réservé aux cuisiniers.
Un autre sondage a montré les
faiblesses de l’assurance santé. La
direction désirait élargir la couverture des articles remboursés,
les salariés, eux, préféraient un
abonnement à la salle de gym et
des cours sur l’alimentation
saine. Earls a corrigé le tir.
Ce nouveau type de sondages
que le restaurateur canadien a
adopté avec enthousiasme se développe rapidement dans les entreprises américaines depuis trois
à quatre ans. « Les compagnies disposaient traditionnellement des
enquêtes annuelles sur la participation et le moral des salariés, gérées par le service des ressources
humaines, explique le consultant
Josh Bersin, du cabinet américain
Deloitte. Mais les questions posées
sont fermées, et l’information, une
fois par an, se révèle très peu utile,
car elle est passée. »
STÉPHANE KIEHL
D’où l’idée de prendre le pouls
des employés beaucoup plus souvent pour rectifier les erreurs
avant qu’elles ne deviennent des
difficultés majeures. M. Bersin
cite ainsi l’exemple des usines
Toyota. Avant de partir, les équipes collent sur un tableau une
tête souriante, une grimace ou
une expression neutre, qui donneront aux salariés du lendemain
un avant-goût de ce qui les attend.
Anonymat garanti
Le site californien Glassdoor, collecteur d’informations sur le
marché du travail, se veut lui
aussi très réactif. De petits groupes se réunissent deux fois par
semaine à l’intérieur de l’entreprise pour évoquer les sujets sélectionnés grâce à l’outil Waggl.
Une fois par trimestre, tout le
monde se retrouve autour du patron pour discuter stratégie, performance annuelle, bonus… Le
PDG ne sait pas qui pose les questions. Mais les employés les ont
vues, et ils ont même voté pour
placer, en première ligne, celles
qui les intéressent le plus. « On dit
ce qu’on a réellement en tête, sans
être intimidé », explique le porteparole de Glassdoor, Joe Wiggins.
« Ces mini-enquêtes ont explosé », assure M. Bersin. Le consultant recense déjà près de quarante entreprises capables de
fournir aux PME et aux grands
groupes un rapide aperçu sur le
ressenti, les impressions, l’état
d’esprit des salariés, grâce à une
approche de plus en plus fine. Armen Berjikly, le fondateur de Kanjoya, propose ainsi aux entreprises clientes une analyse quantitative et qualitative de leurs troupes.
La technologie permet d’envoyer
sur les portables des intéressés
deux à trois questions en quelques minutes. L’anonymat est garanti. Les réponses sont ouvertes.
L’employé s’épanche, sans risquer
sa carrière. Et, mieux encore, le patron de Kanjoya promet d’identifier les non-dits derrière les mots.
« L’enquête annuelle d’autrefois
était longue et répétitive. On posait
dix questions sur le PDG, la vision,
le produit (etc.), accuse-t-il. Nous,
nous sondons un échantillon de
personnes plus petit, chaque mois,
et nous nous concentrons sur ce
qui les touche vraiment. »
par sophie péters
Les résultats sont envoyés au département des ressources humaines et aux chefs de service. « Les
manageurs savent. Ils peuvent réagir tout de suite, assure M. Berjikly.
Et s’il n’y a pas de solution dans
l’immédiat, l’employé sait au
moins que son chef est à l’écoute. »
Bien sûr, dit M. Bersin, « certains
patrons vont refuser de bouger,
mais ce n’est pas dans cette direction que va le monde ». « La moitié
de la force de travail a moins de
35 ans, poursuit-il. Elle passe son
temps sur Facebook à noter les
commerces, les vêtements… le bureau. » « Ces jeunes ont l’habitude
de dire ce qu’ils pensent, renchérit
M. Berjikly. Leurs commentaires ne
peuvent être ignorés. » Sinon, ils
vont voir ailleurs.
« L’entreprise à l’écoute connaîtra
beaucoup mieux ses entrailles »,
assure M. Berjikly. Lorsque Kanjoya travaille sur la perception des
avantages sociaux dans une entreprise high-tech, ses chercheurs
identifient de grandes différences
entre jeunes et vieux, hommes et
femmes. Les hommes apprécient
les avantages chiffrés, les femmes
préfèrent plus de flexibilité dans
leur temps de travail.
En fait, les conclusions de ces
sondages se révèlent si perspicaces que les entreprises n’ont de
cesse d’étendre leur horizon. Les
ressources humaines d’Earls ont
ainsi multiplié les sondages et
créé leurs questions. On pourrait
aller encore plus loin et utiliser
cet outil pour évaluer les manageurs. C’est ce que Deloitte teste
dans un programme pilote. p
caroline talbot
QUESTION DE DROIT SOCIAL
L
¶
JeanEmmanuel Ray
est professeur
à l’école de droit
de Paris-I-Panthéon-Sorbonne
Forte insécurité judiciaire
Mais le problème, pour le juriste qui aime
les cases et la hiérarchie des normes, c’est la
force juridique de ces « principes essentiels ».
Sans entrer dans des débats techniques, remarquons que ce terme ne ressemble à rien
de connu : ni aux « principes fondamentaux
du droit du travail » évoqués par l’article 34
de notre Constitution, ni aux « principes
fondamentaux » de la Cour de cassation ou
aux « généraux du droit » du Conseil d’Etat.
Et s’ils sont inclus tels quels dans le code
du travail prévu pour 2018, ce sera par une
simple loi… qui pourrait être modifiée par
Elle a, depuis bien longtemps, mauvaise presse. Jugée simpliste et superficielle, elle fait sourire. En France, surtout. Pourtant, la méthode Coué est à
l’origine des approches de coaching
fondées sur l’autosuggestion, dont les
bienfaits sont désormais prouvés par
les recherches en neurosciences.
Concepteur de l’effet placebo, au début
du XXe siècle, le pharmacien Emile Coué
(1857-1926) avait compris combien notre
subconscient est à l’origine de nos états
physiques et mentaux. Non qu’il avait,
comme on le croit souvent, assujetti notre seule volonté au succès de nos actions. La méthode Coué ne se résume
pas à l’adage « Quand on veut, on peut »,
mais au pouvoir de notre imagination.
Celle-ci a toujours le dernier mot.
Luc Teyssier d’Orfeuil, coach spécialiste
de l’approche de Coué, insiste : « Plus on
est dans la volonté, moins on y arrive.
C’est au travers de l’autosuggestion, par
l’image et la croyance, que l’on peut
réussir. Coué la définissait ainsi : “S’implanter une idée en soi-même par soimême”. Comment ? Par le corps : je fais
et j’agis. Par l’image : je vois et je me
vois. Par les mots : je dis et je me dis.
Exactement comme les grands sportifs. »
Nous nous faisons, chaque jour, des
autosuggestions. Mais « elles sont presque toujours négatives », dit M. Teyssier
d’Orfeuil. Pour leur tordre le cou, supprimer de son vocabulaire les « il faut que »,
« je vais essayer de », « je pense à » et les
remplacer par des « je vais » accompagnés de verbes d’action. Coué, en père
du coaching moderne, demandait à ses
clients de répéter : « Tous les jours, à tous
points de vue, je vais de mieux en mieux. »
Reste à imaginer nos possibles. p
220 PAGES
12 €
A quoi doit servir le rapport Badinter ?
es 61 « principes essentiels » du droit
du travail énoncés, fin janvier, par la
commission de l’ancien garde des
sceaux Robert Badinter ont forcément
déçu ceux qui attendaient le code du travail du XXIe siècle. Car sa mission n’était
pas celle-là, mais de « dégager ses principes
juridiques les plus importants ». Mission accomplie, même si « à droit constant » signifie parfois discrète légalisation d’audacieuses jurisprudences de la Cour de cassation.
Ce texte – qui ressemble à une « charte
des droits fondamentaux du salarié français » –, court et pédagogique, frappe
d’abord par l’emploi du terme « personne
au travail », au lieu de l’habituel « salarié ».
Il confirme le passage, dans notre société
d’individus, d’un droit collectif des travailleurs aux droits du citoyen dans l’entreprise : les nouvelles générations en constituent un exemple emblématique.
Du bon usage
de la méthode Coué
une autre. Mais pas tous. Car certains de
ces principes sont directement issus de notre Constitution, voire de traités internationaux : ceux-là ont valeur supralégale et
s’imposent au législateur.
D’où le problème suivant : si ces nombreux principes figurent demain dans un
titre liminaire qui surplombe le reste de
notre futur code du travail, car il « constitu[e] un système de références pour ceux
qui auront pour mission d’interpréter les règles », selon l’introduction dudit rapport,
l’intelligibilité de la loi sera faible, mais l’insécurité judiciaire sera, elle, forte.
D’une part, les centaines d’articles du futur code ne seront pas rédigés à droit constant : comme d’habitude, les juges du fond
devront les interpréter et le juge du droit
– la Cour de cassation – devra lentement
unifier leurs très diverses interprétations.
La question deviendra complexe lorsqu’un conseil des prud’hommes ou une
cour d’appel se sera fondé, pour interpréter un article du futur code jugé obscur,
sur l’un de ces « principes essentiels », nécessairement très généraux ou qui ont
créé un nouveau concept.
La vie politique a, certes, ses raisons que
la raison juridique ignore. Ce socle consensuel constitue une solide base de travail
pour les rédacteurs de notre futur code.
Mais l’intégrer immédiatement dans le
projet de loi attendu en mars ne correspond guère à la volonté gouvernementale
d’un code qui doit « simplifier et sécuriser »
notre droit du travail. p
UN ATLAS EXHAUSTIF Pour chacun des 198 pays du
monde, les chiffres-clés (population, PIB, émissions
de CO2...), une carte et une analyse politique et
économique de l’année par les correspondants du Monde.
INTERNATIONAL Le monde face à Daech. L’organisation
Etat islamique déploie ses tentacules jusque dans les rues
de Paris ; les grandes puissances se coalisent, mais
peinent à surmonter leurs divergences d’intérêts.
PLANÈTE L’accord mondial de la COP21 pour lutter contre
le réchauffement climatique et l’entente internationale
pour stopper l’épidémie d’Ebola en Afrique, meilleures
nouvelles de l’année.
ENTREPRISES Scandale Volkswagen, crise sociale à
Air France, déboires de la filière nucléaire française, les
feuilletons « business » de l’année 2015.
FRANCE Du pacte de compétitivité au pacte de sécurité,
François Hollande change de priorité tandis que le Front
national impose ses thèmes dans les urnes et dans le
débat public.
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10 | dossier
0123
MARDI 16 FÉVRIER 2016
Les maladies rares,
nouvel eldorado des labos
Les médicaments orphelins trouvent leurs places dans le paysage pharmaceutique
1 Un marché en expansion
chloé hecketsweiler
I
nstallé sur le campus de l’hôpital
Necker, à Paris, l’Institut des maladies génétiques, Imagine, se définit
comme un « tube à essai » géant. Ici,
patients, médecins et chercheurs se
croisent au quotidien. Avec une
même obsession : les maladies orphelines.
Arrivé depuis moins d’un an chez Imagine,
l’américain Alexion est l’un des pionniers du
médicament « orphelin ». Fondée en 1992
par Leonard Bell, un scientifique de l’université Yale, dans le Connecticut, cette « biotech » est l’inventeur du Soliris, indiqué pour
le traitement des patients atteints d’hémoglobinurie paroxystique nocturne. Cette maladie très rare, à l’origine d’anémie sévère, est
liée à une mutation génétique que l’on ne
sait pas corriger. La molécule d’Alexion permet de réduire de façon importante les
symptômes et de diminuer le recours aux
transfusions. Elle doit être prise à vie.
Peu de personnes sont affectées par cette
maladie : environ 8 000 en Europe et 3 000
aux Etats-Unis. Pourtant, le Soliris est l’un
des médicaments qui se vend le mieux au
monde, avec un chiffre d’affaires de 2,2 milliards de dollars (1,9 milliard d’euros)
en 2014. Il pourrait même atteindre 5,4 milliards de dollars en 2020, si d’autres indications, encore en développement, sont approuvées. Une partie de cet argent a été réinvestie dans le développement de molécules
prometteuses pour traiter d’autres maladies
orphelines comme l’hypophosphatasie, à
l’origine d’un déficit de la minéralisation osseuse et dentaire.
Depuis une décennie, la recherche sur les
maladies rares – environ 8 000 ont été identifiées – a fait des pas de géants : les biotechs
ont ouvert la voie et les grands groupes
pharmaceutiques leur ont emboîté le pas.
Des thérapies ont été lancées, qui révolutionnent la vie de patients jusqu’alors condamnés. Leur prix est à la mesure de leur efficacité : jusqu’à 400 000 dollars par patient
et par an. Nouvel eldorado des laboratoires,
les maladies rares pourraient bientôt mettre
les Etats face à un dilemme économique et
éthique. Est-il possible de garantir un accès
universel à ces médicaments onéreux qui se
multiplient ? Doit-on, pour cela, faire une
croix sur d’autres actions de santé publique ?
Au cœur d’Imagine, les chercheurs
d’Alexion finissent tout juste de déballer
caisses et cartons. Devant une paillasse, une
laborantine, équipée de gants vert fluo, manipule, avec précaution, une pipette qui contient des cellules, qui seront, ensuite, cultivées. « Ici, nous créons des modèles cellulaires,
grâce aux échantillons prélevés sur les patients suivis à l’Institut. C’est une chance unique !, s’enthousiasme Jean-Philippe Annereau, qui dirige le centre de R&D d’Alexion.
Nous bénéficions aussi de la connaissance
très précise qu’ont les médecins des maladies.
Leurs hypothèses nous sont très précieuses. »
MESURES INCITATIVES
Les équipements dans lesquels Alexion a investi – dont un microscope Zeiss, construit
sur mesure, d’une valeur de plusieurs centaines de milliers d’euros – sont partagés. De
même que les droits sur une éventuelle découverte. Ce partenariat public-privé, sans
équivalent en Europe, pourrait bien devenir
un modèle à suivre, d’un point de vue tant
scientifique qu’économique.
Alexion n’est, en tout cas, pas le seul à chercher la martingale. Les américains Celgene
et Vertex ont été parmi les premiers à se lancer. Leurs médicaments, s’ils ne permettent
pas de guérir, ont changé la vie des patients.
Des maladies, jusqu’alors mortelles, sont devenues chroniques. A la clé, une belle récompense pour les inventeurs : selon une étude
publiée fin 2015 par Evaluate Pharma,
en 2020 Alexion devrait réaliser près de
7 milliards de dollars de chiffre d’affaires,
Celgene 13 milliards de dollars et Vertex
6 milliards de dollars.
Leur compatriote Genzyme, acheté pour
plus de 20 milliards de dollars, en 2011, par
Sanofi, est aujourd’hui la filiale la plus dynamique du groupe hexagonal. Ses médicaments contre trois pathologies liées à un dé-
20,2 %
VENTES MONDIALES DE TRAITEMENTS DES MALADIES
ORPHELINES, EN MILLIARDS DE DOLLARS
2 Un coût faramineux
COÛT MOYEN EN DOLLARS
PAR PATIENT ET PAR AN
200
178
180
111 820
15,5 %
23 331
107 316
160
140
97 379
8,7 %
120
des ventes totales
de médicaments
100
87 990
102
83 550
21 215
19 788
17 084
2014
80
60
40
16 448
2013
44
2012
20
2006 07 08 09 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 2020
2010
Maladie orpheline
LES MALADIES
RARES
410 000 $
8 000 pathologies recensées
Prix du Soliris, seul médicament capable de soigner
l’hémoglobinurie paroxystique nocturne,
anémie d’origine génétique avec complications
(thrombose, insuffisance rénale)
potentiellement mortelles (de 1 à 9 cas sur 1 million)
80 % sont génétiques
Ces maladies touchent
– Moins de 5 personnes sur 10 000
(définition en Europe)
domination des laboratoires suisses
3 Une
et américains
1
TOP10 DES LABORATOIRES PRESENTS SUR LE MARCHÉ
DES MÉDICAMENTS ORPHELINS, CHIFFRE D’AFFAIRE EN 2020,
EN MILLIARDS DE DOLLARS
CELGENE
NOVARTIS
3
BRISTOL-MYERS SQUIBB
12,7
(SUISSE)
12,6
(ÉTATS-UNIS)
4
ROCHE
5
SHIRE + BAXALTA
VERTEX PHARMACEUTICALS
(ÉTATS-UNIS)
9
MERCK & CO
(ÉTATS-UNIS)
10
ABBVIE
(ÉTATS-UNIS)
50
Autres médicaments
6
28
5,9
21
29
26
24
SANOFI
21
23
35
19
20
22
(51 %)
5,7
4,5
21
26
18
20
15
13
(43 %)
(38 %)
7
(FRANCE)
31
5,8
(25 %)
13
35
34
31
43
Médicaments orphelins et % du total
6,3
(ÉTATS-UNIS)
PFIZER
NOMBRE DE MÉDICAMENTS APPROUVÉS AUX ÉTATS-UNIS
6,8 9,5
(IRLANDE)
6 ALEXION PHARMACEUTICALS
(ÉTATS-UNIS)
4 Une accélération de l’offre de médicaments
12,5
(SUISSE)
7
– Moins de 200 000 patients
(définition aux Etats-Unis)
12,7
(ÉTATS-UNIS)
2
8
Maladie non orpheline
2011
0
5
(4 %)
6
8
(23 %)
(26 %)
19
16
(38 %)
(46 %)
8
(31 %)
2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013
2014
SOURCE : EVALUATEPHARMA, ORPHAN DRUG REPORT 2015
Autrefois délaissées, les pathologies orphelines
sont devenues, en dix ans, une manne pour l’industrie
pharmaceutique, avec des traitements à plus
de 100 000 euros par patient et par an. Elles font avancer la
science, mais posent un défi en termes de santé publique
DES THÉRAPIES ONT
ÉTÉ LANCÉES, QUI
RÉVOLUTIONNENT
LA VIE
DE PATIENTS
JUSQU’ALORS
CONDAMNÉS
ficit d’enzymes – maladie de Gaucher, maladie de Pompe ou encore la maladie de Fabry,
qui affectent, chacune, environ 10 000 personnes dans le monde, lui ont rapporté près
de 2 milliards d’euros en 2014, soit 7 % du
chiffre d’affaires de la division pharmacie du
groupe français. Des géants commencent à
émerger, tel Shire, le grand concurrent de
Genzyme, qui a acheté en janvier, pour
32 milliards de dollars, Baxalta, un autre
grand nom des maladies rares.
Cet essor s’explique à la fois par les progrès de la science (biologie moléculaire, génétique) et l’adoption, des deux côtés de
l’Atlantique, de mesures incitatives. En Europe, les médicaments orphelins bénéficient ainsi d’une période d’exclusivité de
dix ans, c’est-à-dire qu’aucun laboratoire ne
peut, pendant cette période, lancer un
autre médicament pour traiter la même
maladie (sauf s’il s’avère plus efficace). Ce
monopole garantit à l’industriel un revenu
stable, ce qui réduit, en partie, le risque
dans son modèle économique. Aux Etats-
Unis, cette protection est réduite à sept ans,
mais les labos bénéficient d’un crédit d’impôt de 50 % sur leurs investissements en
R&D et de subventions pour financer leurs
essais cliniques.
« DIMENSION DES ESSAIS DIFFÉRENTE »
Enfin, compte tenu de l’enjeu pour les patients, les dossiers d’enregistrement bénéficient d’un examen prioritaire. Aux EtatsUnis, les médicaments orphelins obtiennent leur autorisation de mise sur le marché
(AMM) en dix mois en moyenne, quand les
autres médicaments doivent patienter plus
d’un an. « Le dialogue avec les autorités de
santé est beaucoup plus facile. Nous bénéficions des conseils scientifiques de leurs experts et nous discutons avec eux des protocoles d’essais cliniques », témoigne Gil Beyen, le
dirigeant d’Erytech, une biotech française
qui a mis au point une molécule destinée à
« affamer » les tumeurs.
Elle pourrait décrocher son AMM à la fin
de 2016, avec une première indication dans
la leucémie aiguë lymphoblastique, un cancer rare du sang. « Nous avons investi
50 millions d’euros dans le développement
de notre molécule, soit dix fois moins que
pour un développement classique. La principale différence est la dimension des essais :
l’étude requise pour l’enregistrement de
notre médicament ne compte que 100 patients, contre plus de 1 000 habituellement »,
précise M. Beyen.
Une fois lancée, la molécule ne coûte pas
non plus très cher en publicité. « Alors que
les firmes pharmaceutiques classiques investissent souvent plus en marketing qu’en recherche, ces biotechs n’ont aucun mal à se
faire connaître des patients. Ce sont,
d’ailleurs, souvent les mêmes que dans les essais ! », rappelle Sébastien Malafosse, analyste chez Oddo. Dans ce contexte, les retours sur investissements peuvent être élevés…, mais le risque existe jusque dans la
dernière ligne droite. Les allers-retours des
investisseurs en sont le reflet. Après avoir
connu un sommet à 40 euros, l’action
Erytech est retombée à 20 euros en janvier.
La réussite de ces sociétés rebat
aujourd’hui les cartes du secteur pharmaceutique. Spécialisée en hématologie, Celgene est l’inventeur du Revlimid. Ce médicament, indiqué pour traiter le myélome multiple – une maladie de sang qui touche
1 personne sur 100 000 – a réalisé, en 2014,
un chiffre d’affaires de 3 milliards de dollars.
Il devrait être, en 2020, le médicament orphelin le plus vendu au monde, avec des
ventes estimées à 10 milliards de dollars.
« Nous réinvestissons 30 % de cet argent dans
dossier | 11
0123
MARDI 16 FÉVRIER 2016
la R&D. C’est le meilleur moyen de financer
l’innovation », souligne Jérôme Garnier,
directeur médical de Celgene, en France.
La société, qui pèse maintenant près de
80 milliards de dollars en Bourse, non loin
de Sanofi, à 105 milliards, est aujourd’hui en
mesure de construire un véritable groupe.
Avec l’acquisition d’Abraxis et de Pharmion
pour près de 3 milliards de dollars chacune,
Celgene a étoffé son portefeuille d’anticancéreux « de niche ». L’achat de Receptos, en
juillet 2015, pour 7 milliards de dollars, lui a
permis de s’ancrer dans le domaine des maladies inflammatoires. Ces biotechs avaient,
toutes les trois, en portefeuille, des molécules prometteuses dans le traitement de maladies rares. « Nos développements sont davantage guidés par la science que par le marché, insiste M. Garnier. Un supermédicament est d’abord un médicament qui
apporte un progrès significatif dans un domaine où il n’y avait rien. »
Fondées par des scientifiques très proches
des paillasses, ces biotechs ont un esprit
pionnier et une agilité qui font souvent défaut aux grands laboratoires. « Tous les ans,
des molécules disparaissaient à la suite d’essais décevants », explique, avec philosophie,
Jérôme Garnier, en citant l’exemple de deux
médicaments développés en partenariat
avec Acceleron pour traiter certaines formes
d’anémie. Le premier, le Sotatercept, semblait promis à un bel avenir, mais le second,
le Luspatercept, s’est finalement révélé plus
efficace. « Il faut être humble sur le sujet »,
commente le directeur médical de Celgene,
qui investit, chaque année, 30 % de son chiffre d’affaires en recherche, soit deux fois la
moyenne du secteur.
LIMITES FINANCIÈRES
Les premiers succès rencontrés dans les maladies rares sont aujourd’hui des modèles
pour le développement de molécules destinées à traiter des pathologies plus répandues. « On divise désormais les cancers en
différentes sous-catégories, en fonction des
caractéristiques génétiques de la tumeur.
Nous avons ainsi identifié sept cancers du
poumon différents, il y en a encore bien
d’autres à découvrir », explique Leila Kockler, directrice médicale de Roche France.
« Tant que certains patients ne répondent
pas aux médicaments qui existent, il y a de la
place pour des molécules “de niche” », poursuit la scientifique.
A l’avenir, les limites risquent davantage
d’être financières que scientifiques. Selon
Evaluate Pharma, les ventes de médicaments qui ciblent des maladies orphelines
ont dépassé 100 milliards de dollars en 2015.
Elles frôleront les 180 milliards de dollars
en 2020… Soit 20 % des ventes de médicaments dans le monde (hors génériques),
contre 11 % en 2010 ! En face, les Etats s’affolent déjà : alors qu’ils cherchent, par tous les
moyens, à stabiliser leurs dépenses de santé,
ces innovations les contraignent à remettre
à plat leurs budgets et leurs priorités en matière de santé publique. « Je n’ai pas connaissance de molécules dont le développement a
été arrêté pour des motifs économiques, mais
je ne suis pas persuadé que cela n’arrivera
pas, si l’on ne repense pas le financement de
l’innovation. Nous devons trouver un nouvel
équilibre », reconnaît M. Garnier.
L’équation est complexe, comme l’illustre
le cas du Sovaldi et de l’Harvoni. Grâce à ces
médicaments révolutionnaires, 95 % des
personnes infectées par le virus de l’hépatite C (une maladie qui n’est pas rare) sont
guéries en douze semaines. Jusqu’ici, elles
devaient se contenter d’un cocktail de molécules toxiques, avec des nombreuses complications à la clé (cirrhose, cancer, trans-
LES « BIOTECHS »
ONT UN ESPRIT
PIONNIER ET UNE
AGILITÉ QUI FONT
SOUVENT DÉFAUT
AUX GRANDS
LABORATOIRES
L’Institut
des maladies
génétiques,
Imagine,
installé sur
le campus
de l’hôpital
Necker, à Paris.
plantation). L’idéal serait donc de toutes les
traiter, mais le prix de ces molécules (plus de
80 000 dollars par patient) pose un problème économique semblable à celui qui attend les Etats avec les maladies rares.
Selon l’Institute for Clinical and Economic
Review – une ONG américaine qui a évalué,
en 2015, le rapport coût-bénéfice de ces nouveaux traitements en Californie –, cela représenterait pour cet Etat un surcoût de
3 milliards de dollars. Et après vingt ans, en
tenant compte des économies réalisées sur
la prise en charge des complications, la facture s’élèverait encore à 1,8 milliard de dollars. Pour réaliser cet investissement,
doit-on renoncer à d’autres actions de santé
publique, peut-être plus utiles ? En France,
un décret, attendu en mars, sur les conditions de prise en charge des molécules les
plus onéreuses (qui figurent sur une liste
dite « liste en sus ») devrait mettre cette
question au cœur du débat public. p
CORENTIN
FOHLEN/DIVERGENCE
chloé hecketsweiler
La recherche sur le cancer de l’enfant avance trop lentement
gustave-roussy est le plus grand
centre de traitement du cancer en
Europe. Au neuvième étage de cet établissement de Villejuif (Val-de-Marne),
les couloirs décorés de grandes vagues
colorées mènent à deux petites salles
de classe et à un atelier, où les petits patients ont cours chaque jour. Un peu
plus loin, il y a l’aire de jeux pour les bébés, et le « village », où des files de trotteurs sont garés entre les berceaux
bleus. La maladie est ici aussi discrète
que possible. On la croise sous les traits
d’un petit garçon avec une perfusion
au bras, d’un petit bébé, au teint pâle,
blotti dans les bras de sa mère, ou
d’une petite fille sans cheveux, qui file
au bout de l’allée.
Environ 380 patients sont suivis ici
chaque année par des pédiatres spécialisés. « Leurs cancers, qui n’ont rien à
voir avec ceux [qui touchent] l’adulte,
ne sont pas des pathologies d’organe.
Leurs tumeurs peuvent être [localisées]
dans des endroits du corps très différents, malgré une même nature. Il
s’agit d’une soixantaine de maladies,
toutes sont très rares », indique le docteur Dominique Valteau-Couanet, qui
dirige le département d’oncologie pédiatrique. En France, on diagnostique
chaque année 1 700 nouveaux cas de
cancers chez les enfants de moins de
15 ans, un chiffre « stable », insiste l’on-
cologue. Les leucémies représentent
un tiers des cas, et les tumeurs du cerveau un quart.
Aujourd’hui, près de 80 % des enfants
guérissent, contre 20 % dans les années
1950. « Mais nous sommes arrivés au
bout de ce qu’on peut faire avec les molécules classiques. La diminution des effets secondaires est aussi un enjeu, car
les traitements peuvent entraîner des
séquelles irréversibles », assène M. Valteau-Couanet. Aujourd’hui, moins de
10 % des enfants en rechute ont accès à
une molécule innovante autorisée ou
en cours de développement chez les
adultes. « Nous devrions être en mesure
de proposer quelque chose à la moitié
d’entre eux », estime le professeur
Gilles Vassal, directeur de recherche clinique à Gustave-Roussy, en rappelant
qu’un millier de molécules sont en développement chez l’adulte.
En théorie, les laboratoires ont
l’obligation de réaliser des plans d’investigation chez l’enfant, avant toute
demande d’autorisation de mise sur
le marché (AMM) pour leurs médicaments. Mais, faute de modèle économique, la plupart s’en affranchissent,
en expliquant que leur molécule est
destinée à traiter un cancer qui
n’existe que chez l’adulte, comme
ceux du poumon, du sein ou de la
prostate.
Leurs thérapies « ciblées » sont pourtant très utiles pour soigner des cancers pédiatriques qui présentent des
caractéristiques moléculaires identiques aux cancers adultes. Quand les
industriels « jouent le jeu », c’est souvent avec beaucoup de retard. « Seulement 10 % des molécules sont développées en même temps chez l’adulte et
l’enfant », regrette M. Vassal. « Or, pour
les patients en rechute, l’accès à ces molécules est la dernière chance. »
Le rôle-clé des associations
C’est le cas pour la petite Aloïs, âgée de
9 ans. Atteinte d’une tumeur au cerveau avec des métastases, elle est sous
traitement depuis 2012, sans succès.
« Après sa seconde rechute, les médecins nous ont expliqué qu’une nouvelle
chimiothérapie ne servirait à rien, car
sa tumeur présente une mutation rare,
qui l’immunise contre ces molécules »,
témoigne Jacques, son père, qui préfère garder l’anonymat. En septembre 2015, Aloïs est donc incluse dans
un essai destiné à évaluer l’efficacité
du pembrolizumab, une immunothérapie développée par l’allemand
Merck et autorisée, depuis fin 2014,
chez l’adulte pour soigner certains
mélanomes et certains cancers du
poumon. Elle a reçu plusieurs injections, avec des résultats « encoura-
geants », selon son père. Si cela fonctionne, elle pourra bénéficier de la
molécule pendant encore deux ans,
dans le cadre de l’essai.
Pour renforcer son arsenal, GustaveRoussy finance aussi des essais cliniques dits « académiques », c’est-à-dire
qui ne sont pas à l’initiative d’un industriel. Ils représentent environ 40 %
des essais menés par l’établissement.
Mais leur coût est extrêmement élevé :
plusieurs millions d’euros. « Nous consacrons beaucoup de temps et d’énergie
à rechercher des financements », soupire Dominique Valteau-Couanet. Depuis 2013, l’Institut national du cancer
prend en charge une partie du coût lié
à ces essais cliniques, dans le cadre
d’un programme baptisé AcSé.
Les associations de patients jouent
aussi un rôle clé. En trois ans, L’Etoile
de Martin a ainsi versé plus de 1,6 million d’euros, pour financer des programmes de recherche, essentiellement à Gustave-Roussy. Imagine for
Margo a, elle, financé, à hauteur d’un
million d’euros, l’essai eSmart, qui
évaluera, chez les enfants en rechute,
au moins 10 médicaments différents
et à hauteur de 400 000 euros l’essai
Beacon, qui teste chez les enfants
l’Avastin, un anticancéreux commercialisé depuis 2005 par Roche. p
c. hr
12/LE MONDE/MARDI 16 FÉVRIER 2016
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La Cour des comptes européenne est l’auditeur externe de l’Union
européenne. La Cour peut être appelée à effectuer des audits de
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du mécanisme de résolution unique pour les banques. En vue de
l’élaboration de ses rapports, la Cour constitue une liste d’experts
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Directeur attractivité du territoire et tourisme h/f
Contractuel de droit public – Cadre A ou A+
Saint-Malo Agglomération vient de lancer l’étude de préiguration de la
compétence TOURISME en vue d’un transfert au 1er janvier 2017. Afin
d’anticiper cette prise de compétence, la collectivité souhaite se doter d’un
collaborateur pour préparer ce nouveau champ d’intervention de la
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- Pilotage des études de développement touristique et notamment celle relative
à la préiguration de la prise de compétence TOURISME par SMA - Coordination
et pilotage des orientations stratégiques, du plan d’actions touristiques et des
projets de développement touristique - Suivi de la mise en œuvre de la politique
de destination touristique «Saint-Malo Baie du Mont Saint-Michel»
- Participation à l’élaboration des politiques touristiques départementales
et régionales.
• Développer une politique de marketing territorial : - Mettre en place
une marque territoriale et une démarche d’ambassadeurs - Piloter la
campagne de communication sur l’arrivée de la L.G.V. en lien avec la Région
Bretagne.
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Agglomération,
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couramment anglais.
Emploi
PAROLES D’EXPERTS
En partenariat avec
DOSSIER RÉALISÉ PAR M PUBLICITÉ
> INGÉNIEURS <
Avec le retour des investissements,
les recrutements sont relancés
Les industriels interrogés par l’INSEE auraient l’intention d’augmenter leurs
investissements de 7 % cette année. Une bonne nouvelle pour les perspectives
d’emploi des ingénieurs et plus particulièrement des jeunes diplômés. Reste à
les attirer puis les séduire car l’industrie a perdu de son lustre même au sein des
écoles d’ingénieurs.
En dépit de la formation de
34 000 ingénieurs par an en
France, les entreprises ne
trouvent pas toujours les talents dont
elles ont besoin. Les proils les plus
rares sont ceux prêts à assumer des
responsabilités techniques. Un déicit
probablement lié à la méconnaissance
des carrières que permettent ces postes
mais aussi aux vagues de disruptions
qui secouent les entreprises depuis
une décennie et qui ne permettent
plus de dessiner un paysage facilement lisible des attentes et des besoins
des entreprises « On parle partout
aujourd’hui de transformation digitale dans l’ensemble des secteurs de
l’économie. L’impact de ces mutations dépasse la seule technologie.
Nous adressons désormais des usages
et des métiers qui changent. De fait,
notre mission c’est d’accélérer le
mouvement et l’introduire dans
l’entreprise. Nous avons un atout :
nous diffusons de l’innovation. Nous
éclairons les problématiques des
managers. » C’est avec cette feuille de
route que Julien Voyron, responsable
recrutement et mobilité d’Econocom,
une ESN de 6300 personnes, veut
attirer 450 jeunes ingénieurs. Pas
uniquement des passionnés d’informatique ou de codage mais plutôt des
généralistes capables de comprendre
et de maitriser l’ensemble des problématiques des dossiers de l’entreprise.
Pour renforcer son attrait, cette
société, comme de plus en plus
d’entreprises en France, favorise les
intraentrepreneurs à qui on offre la
possibilité de monter une Business
Unit autonome en gestion de projet
mais bien arrimée à la maison mère.
Une approche partagée par des entreprises aussi emblématiques de l’industrie traditionnelle que la SNCF
« L’évolution numérique impacte
fortement nos activités industrielles.
Nous sommes donc en recherche de
compétences nouvelles. Pour les
attirer et les faire grandir, nous proposons à nos jeunes diplômés de
fonctionner en mode start-up. Ces
petites structures sont en coniguration lab pour développer la mobilité.
Notre gamme « Oui » par exemple
est toute orientée vers la mobilité de
demain. Cela exige des talents et des
proils nouveaux. C’est plus que de
l’agilité, il faut aussi des connaissances pointues notamment dans la
maitrise des data et de l’analyse de
données » explique Françoise Tragin,
directrice du recrutement et de la
marque employeur de la SNCF qui
recherche, hors filiales, 600 ingénieurs et 1 000 techniciens supérieurs
cette année.
Avec un défi commun à toutes les
entreprises industrielles : attirer ceux
qui méconnaissent les métiers offerts
par ces grandes entreprises. Un
manque d’information qui percute
un autre facteur, celui de la sélectivité des candidats. Un double phénomène auquel RTE, le réseau de
transport d’électricité est quotidiennement confronté « Nous faisons
face à deux vagues : celle des
départs en retraite de nos collaborateurs embauchés dans les années
80 et celle d’investissements importants sur nos réseaux à haute et très
haute tension. Traditionnellement
nous recrutions des compétences
principalement techniques.
Aujourd’hui, nous attendons plus
de nos jeunes recrues : elles doivent
prendre en compte les enjeux techniques mais aussi économiques,
environnementaux et sociétaux.
C’est pourquoi des compétences
d’ingénieurs généralistes doublées
d’une expertise digitale ou économique nous intéressent particulièrement » souligne Dominique
Santoni, responsable du pôle recrutement et mobilité à RTE qui planiie
l’embauche de 350 personnes cette
année majoritairement issues de
formations techniques.
Mais attention préviennent nos
experts, si la qualité des CV reste un
élément décisif des critères de recrutement - les entreprises industrielles
sont d’abord et avant tout fondées sur
la maitrise des technologies fussentelles en 3.0 - l’inlation de diplômes
ne sufit plus pour faire la différence.
Les bons stages, les parcours cohérents
sont appréciés, nécessaires, mais plus
sufisants. Les recruteurs mettent de
plus en plus l’accent sur le savoir être
des ingénieurs. Leur capacité à embarquer des équipes, à manager des
hommes et à s’engager. Un avertissement qui n’est pas neutre tant ils
redoutent le déicit d’engagement de
certains jeunes diplômés. Un souci
d’autant plus marqué que les entreprises sont presque toutes dans des
périodes de passage de relais entre les
cadres expérimentés et les jeunes
diplômés et que le volet comportemental joue un rôle dans la qualité de
ces transferts de savoirs. Une problématique particulièrement sensible
dans une entreprise de pointe comme
Safran qui va recruter 5 500 personnes
en 2016 dans le monde dont 2 000 en
France parmi lesquelles 900 ingénieurs et cadres. « Nous sommes dans
une phase post conception, celle de
l’industrialisation de produits
sophistiqués qui nous place face à
des enjeux de fabrication et donc à
des gros besoins pour nos 35 sites de
productions en France. Avec un déi:
le passage à l’usine 4.0 qui impose
le besoin de recruter des ingénieurs
dont les bases sont de très haut
niveau, qui maîtrisent les systèmes
complexes et pour la partie Safran
Analytics le Big data.» souligne
Catherine Buche Andrieux, responsable de la politique de recrutement
et d’attractivité de Safran, qui reconnait que cela conduit les DRH à être
extrêmement exigeants dans leurs
recrutements et à soigner les parcours
internes qui facilitent l’intégration et
la progression professionnelle.
Peu concernée par le chômage, la
proportion des ingénieurs diplômés
pourvus d’une expérience professionnelle qui sont sans travail est inférieure à 3 %. Mieux payés que la
moyenne des français, leur salaire
médian brut oscille entre 52 000 et
62 000 € par an selon qu’ils travaillent
en province ou en Ile de France, très
appréciés à l’international, les jeunes
diplômés sont du bon côté du marché
du travail. Mais pour faire la différence et décrocher les postes les plus
prometteurs, ils doivent de plus en
plus prouver la qualité de leur engagement.
L.PM
Julien VOYRON
Responsable recrutement et mobilité ECONOCOM
« Nous avons la chance d’évoluer dans un secteur, celui du conseil
en digitalisation, qui est en pleine expansion. Un univers disruptif
très porteur puisque nous avons multiplié par 3 notre chiffre d’affaires depuis notre création et que pour satisfaire les besoins de nos
clients nous devons recruter 1200 personnes dont 450 ingénieurs
cette année. Si la place du numérique et des nouvelles technologies
associées est une composante décisive de nos métiers nous visons pourtant plus particulièrement les ingénieurs généralistes. Tout simplement parce que nous travaillons sur des projets
complets qui exigent de saisir l’ensemble des problématiques d’un dossier. Cela va du plan à
la mise en oeuvre avec les adaptations aux usages de nos clients. Nous avons conscience que
nos jeunes diplômés mettent un fort coeficient dans le paramètre qualité de vie au travail.
C’est pour répondre à cette exigence que nous développons une politique qui favorise les
intra-entrepreneurs. Nos collaborateurs ont la possibilité, sous réserve de rester dans la
galaxie d’Econocom, de monter une business unit qui dispose de son autonomie en gestion de
projet. C’est un facteur d’épanouissement professionnel et personnel qui séduit de plus en
plus les candidats. »
Françoise Tragin
Directrice recrutement et marque employeur SNCF
« Notre déploiement dans les mobilités conjugué à des départs
massifs en retraite ouvre la création de 10 000 postes. Il s’agira, pour
les cadres, de répondre à de nouveaux enjeux stratégiques :
internationalisation, développement et modernisation du réseau,
introduction à forte dose du numérique qui impactent fortement nos
métiers et nos activités industrielles. Pour la seule SNCF, c’est à dire
hors iliales, nous allons recruter cette année 600 ingénieurs. Et nous souhaitons attirer des
candidats porteurs de nouvelles compétences. Nous leur proposons des modes de travail
proches de ceux des start-up. particulièrement dans les activités très focalisées sur les
mobilités de demain comme le démontre le déploiement de notre gamme « Oui ». Dans ce
cadre, nous avons besoin de proils et de talents nouveaux. Avec une double problématique :
rester très attractifs pour les métiers en tension et en particulier ceux à forte composante
industrielle ou fortement digitalisés et soigner notre sélectivité pour les métiers pléthoriques.
Pour y parvenir nous personnalisons de plus en plus nos process d’évaluation. Avec la volonté
d’attirer ceux qui méconnaissent la variété de nos offres. Elles seront d’ailleurs sur mobile
dès mars. »
Dominique Santoni
Responsable du pôle recrutement et mobilité RTE
« Le volume de nos investissements et des départs en inactivité nous
placent dans une logique de recrutements très dense : 350 recrutements par an, pour l’essentiel d’ingénieurs et techniciens, dans une
entreprise de 8500 personnes c’est très signiicatif. C’est le relet de
3 enjeux majeurs pour RTE : la transition énergétique qui nous amène
à accélérer les évolutions de notre réseau, la poursuite de l’intégration du marché européen de l’électricité et, enin, la qualité du service rendu par nos 105 000
km de lignes à haute et très haute tension implantées sur le territoire français. Nous
recherchons de ce fait des candidats dotés de compétences techniques, mais aussi capables
d’intégrer les composantes économiques, sociétales et environnementales liés à nos métiers.
Au-delà des savoirs, l’ouverture d’esprit et l’adaptabilité de nos futurs collaborateurs seront
autant d’atouts. Nous offrons la possibilité d’un parcours professionnel à ceux qui le
souhaitent : par exemple, dans les mois qui suivent leur embauche, la plupart des nouveaux
arrivants se voit proposer une formation à nos métiers. Nous recrutons à tous les niveaux de
formations et sommes ouverts aux diplômés des écoles et des universités. »
Catherine Buche Andrieux
Responsable politique recrutement et attractivité SAFRAN
Les
C
hiffres
34 000
la cohorte
d’ingénieurs
diplômés de
la dernière
promotion.
117 000
le nombre
d’ingénieurs
français
à l’étranger.
32/40 K€
salaire brut annuel
d’un jeune diplômé
selon école et
zone géographique.
+ de 700
offres d’emploi d’Ingénieurs
disponibles sur
Emploi
www.lemonde.fr/emploi
en partenariat avec
« La bonne santé de nos activités va nous permettre cette année
encore de recruter 5 500 personnes essentiellement dans des
métiers techniques dont plus de 900 seront des ingénieurs et des
cadres. Nous sommes dans la continuité d’une grande entreprise
industrielle qui va bien et où 50 % des collaborateurs sont dans la
production. Ce paysage ne devrait pas évoluer à court terme car le
succès commercial de nos moteurs, notamment le nouveau réacteur à moindre consommation de carburant, va voir sa courbe d’industrialisation se tendre. Parallèlement nous entrons
dans l’ère de l’usine 4.0 qui exige au côté des spécialistes de la supply chain, de la production,
des méthodes ou du support clients, des talents et des compétences nouvelles. Avec pour
tous des critères de sélectivité importants car nos bases techniques imposent des qualiications de haut niveau. En contrepartie, nous savons que si l’intérêt des missions professionnelles est le critère premier des jeunes diplômés, ils attendent aussi un environnement
favorable surtout dans les grandes structures. Nous nous y attachons par des parcours
internes à la fois techniques et d’intégration qui facilitent leur progression. Mon seul regret
c’est que les étudiants ont souvent du mal à se projeter dans nos métiers et nos ilières
quand ils sont dans leurs écoles. »
RDV LUNDI 21 MARS ALTERNANCE
14 | MÉDIAS&PIXELS
0123
MARDI 16 FÉVRIER 2016
Orange-Bouygues : l’Etat pose ses conditions
C I N ÉMA
La France ne veut pas descendre sous les 21 % du capital de l’opérateur historique et
demande à Bouygues de signer un pacte d’actionnaires. Un arbitrage politique est attendu
Plusieurs cinéastes ont fait
part à la présidente de France
Télévisions de leur inquiétude quant à la place du cinéma sur les chaînes du
groupe public, alors que les
séries y prennent de plus en
plus de place. « Madame Ernotte, refaites de la télé avec
du cinéma. (…) Le manque de
lisibilité de votre projet nous
inquiète », déplorent notamment Ken Loach, les frères
Dardenne, Costa-Gavras et
Claude Lelouch, dans une tribune publiée, vendredi 12 février, par Libération.
O
range réussira-t-il à
sceller son alliance
avec Bouygues Telecom ? Officialisées
mardi 5 janvier, les noces tardent
à trouver une date et les difficultés s’amoncellent. Non seulement les deux prétendants doivent s’entendre avec Free et SFR,
qui rachèteront une partie de
Bouygues Telecom, mais ils doivent compter avec l’Etat, actionnaire de référence d’Orange, qui
entend mettre son grain de sel.
L’objectif de Martin Bouygues
dans l’opération est connu : en-
LES CHIFFRES
55 %
C’est la part de marché qu’aurait
ensemble Orange et Bouygues
Telecom dans le mobile si le mariage aboutissait. Pour emporter
l’aval de l’autorité de la concurrence, Orange devra donc rétrocéder à ses concurrents la majeure partie des abonnés de
Bouygues Telecom
7 500
Nombre de salariés de Bouygues
Telecom, que doivent se partager Orange, Free et SFR.
10
C’est en milliards d’euros, le prix
demandé par Martin Bouygues,
pour sa filiale Bouygues Telecom.
6
Montant des cessions d’actifs, en
milliards d’euros, envisagées par
Orange à SFR et à Free.
trer chez Orange. L’homme d’affaires, qui a fixé le prix de sa filiale
télécoms à 10 milliards d’euros,
souhaite procéder surtout à un
échange de titres. Problème : son
arrivée au capital de l’opérateur
historique fait encore débat. Selon nos informations, Bpifrance
et l’Agence des participations de
l’Etat, qui possèdent respectivement 9,6 % et 13,45 % d’Orange,
soit 23 % au total, ne veulent pas
descendre sous une participation
de 21 %, afin de conserver trois sièges au conseil d’administration.
Jusque-là, le plancher était établi
20 %.
Les deux entités publiques
aimeraient également voir
M. Bouygues signer pour une durée d’au moins trois ans une
clause dite de standstill, destinée à
l’empêcher de monter au capital
du groupe. Pis, les hauts fonctionnaires envisagent de sécuriser
cette clause dans un pacte d’actionnaires, qui empêcherait de
facto le patron de Bouygues de
posséder plus de 9 % du capital
d’Orange, dans la mesure où à
partir de 30 %, les deux actionnaires de référence seraient obligés
de lancer une offre publique
d’achat (OPA) sur l’ensemble des
titres de Bouygues Telecom.
L’Etat est pris entre deux injonctions contradictoires. D’un côté, il
a envie de conserver son influence chez Orange, et voit d’un
mauvais œil l’arrivée d’un nouvel
actionnaire de poids, qui voudrait
progressivement imposer ses
vues. De l’autre, il doit se désengager. Bpifrance, qui a déjà cédé
3,9 % du capital d’Orange ces deux
dernières années, a vocation à
poursuivre son retrait.
Les velléités des hauts fonctionnaires de Bercy ne font pas les affaires des protagonistes. Les discussions en cours portent sur une
arrivée de Martin Bouygues en
Free reprendrait
le réseau,
des fréquences,
et les
550 boutiques
de Bouygues
Telecom
deux temps. Tout d’abord, le bétonneur prendrait 10 % du capital
d’Orange en échange de ses actions de Bouygues Telecom, via
une augmentation de capital réservée. Puis, il porterait sa participation de 12 % à 15 % du capital, en
acquérant des titres sur le marché. Un pacte d’actionnaire entraverait la mise en œuvre de ce plan.
Prix final incertain
Ce week-end, Stéphane Richard, le
patron d’Orange, aurait obtenu
des garanties auprès des pouvoirs
publics afin que l’opération ne soit
pas confrontée à des « points bloquants ». De fait, c’est en dernier
lieu François Hollande et Emmanuel Macron, le ministre de l’économie, qui auront leur mot à dire.
Autre question : Martin Bouygues réussira-t-il à obtenir
10 milliards d’euros pour sa filiale ? Le prix final de la transaction et la part acquittée en cash
n’étaient pas encore arrêtés dimanche. Ces paramètres sont soumis aux discussions avec Patrick
Drahi (SFR) et Xavier Niel (fondateur de Free et actionnaire du
Monde à titre personnel), « deux
redoutables négociateurs », dit un
proche des échanges, témoignant
de la difficulté des discussions.
Pour emporter l’aval de l’autorité
de la concurrence, Orange doit en
effet rétrocéder la majeure partie
de Bouygues Telecom à ses concurrents. A ce stade, Free repren-
Le gouvernement japonais accusé
de faire pression sur la presse
Tokyo intimide les télévisions en les menaçant de stopper
leur diffusion en cas de non respect de la « neutralité politique »
tokyo - correspondance
L’
année 2016 commence
mal pour le gouvernement japonais. Après la démission forcée fin janvier de son
ministre de la revitalisation économique, Akira Amari, pour une
affaire de financement occulte, le
voilà confronté à une controverse
impliquant la ministre des communications, Sanae Takaichi.
Le 11 février, Mme Takaichi a posté
un long message sur sa page Facebook pour tenter de calmer la polémique née de ses propos formulés quarante-huit heures plus tôt
au Parlement. Ce jour-là, elle a
rappelé que la loi l’autorise à ordonner l’arrêt de la diffusion de
chaînes de télévision qui ne respecteraient pas une stricte « neutralité politique ». « Il y a peu de
chance que je le fasse, a-t-elle
ajouté. Mais rien ne garantit que
mes successeurs ne le feront pas. »
Ses propos ont suscité de vives
réactions de l’opposition, qui y
voit une menace pour la liberté
d’expression. « Ce n’est rien d’autre
que de l’intimidation contre les diffuseurs », a estimé de son côté le
syndicat des employés des télévisions privées.
Le premier ministre, Shinzo
Abe, et le porte-parole du gouvernement, Yoshihide Suga, sont
montés au créneau pour défendre
la ministre. Elle n’a fait qu’« évoquer les mesures prévues par la
loi », a déclaré M. Abe avant d’affirmer son « estime pour la liberté de
la presse ».
La polémique sur le contrôle
gouvernemental des médias n’est
pas nouvelle pour cette administration qui surveille avec rigueur
sa communication. « Depuis le retour au pouvoir de M. Abe, affirme
Hiroshi Ogushi, parlementaire du
Parti démocrate du Japon (opposition), les exemples d’ingérence
dans les programmes d’information se multiplient. » Dès sa prise de
fonction en décembre 2012, le gouvernement Abe avait placé un proche, Katsuto Momii, à la tête de la
chaîne publique NHK. En 2013, il a
adopté la loi sur la protection des
secrets d’Etat qui limite, de fait,
l’accès aux informations.
De nombreux disgraciés
En avril 2015, le Parti libéral démocrate, au pouvoir, n’a pas hésité à
convoquer les responsables des
chaînes Asahi TV et NHK pour les
critiquer et, déjà, rappeler que le
gouvernement pouvait interrompre leur diffusion. La presse écrite,
notamment le quotidien de centre gauche Asahi Shinbun ou les
journaux d’Okinawa critiquant la
gestion des bases américaines de
ce département du sud du pays,
n’est pas épargnée.
La polémique a pris une autre dimension depuis l’annonce en janvier du remplacement de plusieurs personnalités de la télévi-
sion, comme Hiroko Kuniya, présentatrice du très suivi magazine
d’actualités « Close-up Gendai »
sur la chaîne publique NHK. Ces
disgraciés s’étaient montrés réservés sur l’action gouvernementale.
Ainsi, deux présentateurs de
« News23 », Shigetada Kishii et Takako Zenba, de la chaîne privée
TBS, ont été visés en raison, semble-t-il, de la diffusion d’un microtrottoir réalisé fin 2014 dans lequel des Japonais expliquaient
qu’ils ne profitaient pas des
« abenomics », les mesures économiques du gouvernement.
A la tête du très suivi programme d’information « Hodo
Station », Ichiro Furutachi avait,
lui, apparemment la fâcheuse
tendance à accueillir des commentateurs trop critiques. L’un
d’eux, Hideaki Kato, avait annoncé en mars 2015 son retrait de
l’émission à cause de pressions selon lui imposées par le porte-parole du gouvernement, M. Suga.
Les rumeurs au sein des grandes
chaînes semblent confirmer que
ce dernier n’hésiterait pas à intervenir pour faire taire les critiques.
C’est dans ce contexte que la
place du Japon a fortement reculé
dans le classement des pays respectant le droit à l’information.
Selon le classement 2015 de Reporters sans frontières, l’Archipel
arrive désoramis en 61e position
sur 180 pays. Il était 53e en 2012. p
philippe mesmer
drait le réseau, des fréquences et
les 550 boutiques de l’opérateur. Il
se partagerait avec SFR la base de
clients de Bouygues Telecom, qui
comprend notamment les abonnés « low cost » B & You et les
clients Internet de la Bbox. Selon
nos informations, SFR pourrait
également récupérer une part des
clients Sosh d’Orange.
De son côté, l’opérateur historique conserverait les deux millions de clients mobile haut de
gamme de Bouygues Telecom,
qui assurent la moitié de son chiffre d’affaires, selon Le Figaro.
Orange, déjà très puissant dans le
mobile, avec 39 % de parts de marché, n’a en effet pas vocation à aller au-delà de 41 % à 42 %, sous
peine d’être retoqué par l’Autorité
de la concurrence.
Reste aussi à connaître le sort qui
serait fait à la partie entreprise.
SFR aura du mal à se porter candidat, dans la mesure où il forme
déjà avec Orange un duopole.
L’opérateur indépendant Coriolis
fait figure de prétendant.
Stéphane Richard
a à cœur de voir
Free et SFR
s’engager
à conserver les
7 5000 salariés
de Bouygues
Pour Free, la facture finale pourrait s’élever à 3,5 milliards d’euros.
Pour SFR, elle atteindrait 2,5 milliards d’euros. « Il peut encore y
avoir de fortes variations », modère
néanmoins un protagoniste. Ces
sommes ne comprennent pas les
« passifs » de Bouygues Telecom,
en particulier la partie fiscale, qui
inclue les plus-values sur les cessions menées, et dont le montant
devrait atteindre 1 milliard
d’euros. Orange n’entend pas assumer seul la facture.
Les trois prétendants ont visiblement du mal à accorder leurs
violons sur la valorisation des différents actifs de Bouygues Telecom. A tel point que SFR et Free
ont recruté il y a une dizaine de
jours un banquier chargé de jouer
les « go between » avec Orange.
« Cela a permis de rapprocher les
points de vue », dit un témoin.
Autre question clef, celle des
7 500 salariés de Bouygues Telecom. Les pouvoirs publics ne veulent pas de casse sociale. M. Richard a à cœur de voir Free et SFR
s’engager à conserver les salariés.
Free, qui devrait en récupérer
« plusieurs milliers », sera concerné au premier chef. L’opération
change la donne pour le trublion
des télécoms, qui emploie
5 500 personnes en France. L’enjeu est moins important côté SFR,
qui devrait en ingérer « quelques
centaines ». « MM. Drahi et Niel ont
l’air de vouloir prendre des engagements », assure un proche. p
sandrine cassini
Delphine Ernotte
interpellée par
des réalisateurs
MUS I QU E
La radio Pandora
à vendre
La banque Morgan Stanley
aurait reçu un mandat pour
vendre Pandora, la radio spécialiste du streaming gratuit
sur le Net aux Etats-Unis, selon le New York Times du
11 février. Le site compte
80 millions d’utilisateurs,
mais ses pertes ont atteint
170 millions de dollars
en 2015 (151 millions d’euros).
I N T ER N ET
Rakuten déprécie
PriceMinister
Le géant japonais du commerce en ligne Rakuten a déprécié sa filiale française PriceMinister : acquise en 2010
pour 200 millions d’euros,
elle a vu sa valeur rapportée à
65 millions dans les comptes
du groupe pour le quatrième
trimestre 2015, rapportent
Les Echos, lundi 15 février. Ce
mouvement s’inscrit dans
une stratégie recentrée sur le
marché japonais.
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