Abracadabra : reprise ouvre-toi - Institut d`études internationales de
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Henri REGNAULT, LA CRISE N°7, Abracadabra : reprise ouvre-toi, Mai 2009 LA CRISE N°7, Mai 2009 Lettre plus ou moins trimestrielle, gratuite et sans abonnement ABRACADABRA : REPRISE OUVRE-TOI ! 1. LA GRANDE ILLUSION : reprise… es-tu là ? 2. L’ARNAQUE : les contribuables intéressent les banques 3. LE CAVE SE REBIFFE : dernières nouvelles du front chinois 4. ET MES SOUS DANS TOUT CA : rubrique bestialement pratique 5. LE COIN DE L’INTELLO : il n’est pas interdit de réfléchir 6. COCORICOS ET RAPLAPLAS : oscars et gamelles de « LA CRISE » Annexe : Sources et méthode de « LA CRISE » Page 2 4 5 7 10 12 14 1 Henri REGNAULT, LA CRISE N°7, Abracadabra : reprise ouvre-toi, Mai 2009 G20 : les grands sorciers de la planète se sont réunis le 2 avril à Londres, hommage légitime à Harry Potter… un sorcier qui a connu un vrai succès économique, lui ! Assemblés devant la caverne de la reprise, nos sorciers n’ont pas été avares de formules magiques pour qu’elle s’ouvre toute grande, cette satanée caverne, afin qu’elle déverse ses flots de richesses et d’emplois sur toute la planète. Bien qu’elle reste désespérément fermée, nos vaillants sorciers sont satisfaits néanmoins d’avoir réussi en quelques jours à rayer tous les paradis fiscaux de la carte du monde, par un tour de prestidigitation admirable qui restera dans les annales de l’auto suggestion, même si Gordon Brown et Hu Jintao ont essayé de les déconcentrer ! De plus, fortement impressionnés par les rituels et les formules, les boursiers du monde entier sont redevenus haussiers. Hélas… l’illusion ne devrait pas durer très longtemps : l’économie réelle est au plus mal ; les banquiers ont beaucoup de difficultés à rapiécer les trous béants de leurs atours comptables… et dessous… ils sont à poil ; les grands sorciers vont devoir affronter le mécontentement de fidèles de moins en moins crédules; les boursiers vont se retrouver à nouveau dans la position du coyote de bande dessinée qui marche dans le vide… plouf et replouf, après le rebond ! Sur l’écran géant de la Très Grande Crise trois films sont à l’honneur ce trimestre : La grande illusion de la reprise, L’Arnaque sur les contribuables du monde entier, Le Cave se rebiffe ou la Chine et ses dollars ! Après ce triptyque cinématographique qui tiendra lieu d’analyse de la situation actuelle, nous reviendrons à nos rubriques habituelles (Et mes sous dans tout ça, Le coin de l’intello) avant de finir par un regard rétrospectif sur les numéros précédents de LA CRISE : en deux ans, sur quoi ai-je eu raison, sur quoi me suis-je planté, à travers la nouvelle rubrique Cocoricos et raplaplas. Je renonce, au moins pour cette fois, à alimenter la rubrique « Crise… de rire » : rien de vraiment drôle à raconter ! Enfin, en annexe, quelques mots sur la façon dont ces numéros de LA CRISE sont élaborés. 1. LA GRANDE ILLUSION : reprise… es-tu là ? La Première Guerre Mondiale, toile de fond du film « La grande illusion », devait être courte, pensait-on du côté français, puis, une fois terminée, fut perçue comme la « Der des der » (comprendre la dernière)… que les peuples n’accepteraient pas de rejouer. On est aujourd’hui dans la même problématique quant à la Crise : beaucoup veulent la croire courte et s’imaginent que la nouvelle régulation qui se dessine rendra impossible le retour d’un tel phénomène. Hélas il n’en sera rien : elle va être longue, et elle recommencera dans quelques décennies (sous des formes concrètes adaptées à la situation de l’époque) lorsque la mémoire générationnelle de ce grand traumatisme aura été perdue et que la cupidité inhérente au système de valeurs et d’évaluation des grands argentiers aura à nouveau réussi à se débarrasser des nouvelles régulations qui vont se mettre en place. Même si j’ai brocardé les grands sorciers de Londres, irrévérence oblige, il ne faut pas sousestimer les résultats du G20 : ils posent effectivement les fondements d’une régulation financière internationale qui nécessitera de longs mois (ou plusieurs années) à se mettre en 2 Henri REGNAULT, LA CRISE N°7, Abracadabra : reprise ouvre-toi, Mai 2009 place. Mais le G20 n’a pas réglé le problème immédiat de la solvabilité des banques, pas plus qu’il n’a commencé à poser les bases d’un nouveau Système Monétaire International (SMI). Manquent donc les conditions immédiates de sortie de crise (réparer la tuyauterie du circuit de financement de l’économie réelle, pour qu’il puisse redémarrer sur des bases saines) d’une part, et, d’autre part, font défaut des perspectives macroéconomiques internationales de long terme qui pourraient donner du sens à une implication en toute confiance des investisseurs, qui n’aiment pas avancer dans le brouillard. Mais il aurait fallu être naïf pour penser que la réparation de court terme et la reconstruction de long terme pourraient être menées à bien en une seule réunion de chefs d’Etats aux intérêts divergents. La spirale de la crise va donc continuer à se développer. Cette spirale est d’autant moins surprenante qu’on ne conduit pas un processus historique de désendettement (salutaire à long terme mais douloureux à court terme) sans une réduction forte de la consommation des nations et des couches sociales les plus endettées, et donc de l’investissement, et donc aussi des exportations des uns et des autres… soit les trois grandes composantes de la demande globale, d’où une réduction de l’offre (la production mondiale) et par conséquent de l’emploi (d’où la montée du chômage) qui amplifie la réduction de la demande… et ainsi de suite jusqu’à un point de retournement. Quid de ce point de retournement ? Qu’en sait-on ? En fait, il ne sera bien identifié qu’a posteriori. Toutefois on peut dire sans risque de se tromper qu’il ne relèvera pas de la seule sphère économique mais plutôt d’un processus historique supposant une forte implication du politique et une mobilisation psychologique des peuples autour d’un projet collectif partagé. Un tel projet peut être pacifique et prometteur – croissance verte, par exemple, dans la période actuelle - ou agressif et destructeur : désignation d’un bouc émissaire à la crise avec le traitement qui convient à une telle approche (massacres, guerres)… qui entraînera tant de destructions qu’il finira par un indispensable processus de reconstruction qui impulsera un nouveau cycle de croissance. Les premiers signes de reprise que d’aucuns croient déjà discerner résultent d’un enchaînement normal du processus de la crise, entre crise financière et crise réelle. La première phase de plongée de la consommation a déjà eu lieu. Elle s’est traduite par un gonflement des stocks des producteurs et de la distribution (particulièrement remarquable dans la filière automobile), qui a entraîné une très forte diminution de la production (voire son arrêt momentané), le temps d’écouler les stocks. Le déstockage terminé, la production reprend, mais en se positionnant à un niveau inférieur à celui d’avant le début de crise, adapté à la nouvelle donne de la demande. La reprise perçue aujourd’hui correspond à cette phase de fin de déstockage, pas au retour à la situation initiale. Et cette production en baisse s’accompagne d’une réduction du niveau de l’emploi qui va alimenter le feed back de l’économie réelle sur une finance pas encore remise de son premier plongeon mais déjà condamnée au second. En effet, si la crise financière a fait plonger l’économie réelle dans un premier temps, l’économie réelle va maintenant faire replonger la finance : la litanie des actifs à risque des 3 Henri REGNAULT, LA CRISE N°7, Abracadabra : reprise ouvre-toi, Mai 2009 banques et des assureurs (ne les oublions pas ces assureurs, vraiment mal assurés) n’est pas un inventaire figé mais une photographie à un instant t. Les taux d’impayés sur les emprunts ne peuvent qu’augmenter. Chaque chômeur supplémentaire est un futur mauvais payeur, qui aura des difficultés à rembourser ses emprunts immobiliers, les crédits revolving de ses cartes de crédit ; chaque étudiant qui, diplôme en poche, ne trouve pas de travail est incapable de rembourser les prêts qui ont financé ses études. Chaque entreprise qui voit ses commandes et son chiffre d’affaire diminuer est une candidate à des reports d’échéances sinon au défaut de paiement. Et c’est reparti pour un tour de crise financière ! 2. L’ARNAQUE : les contribuables intéressent les banques Faut-il confier au syndicat du crime l’administration de la justice et la gestion pénitentiaire ? Toutes proportions gardées, c’est bien ce qui se passe de par le monde quand on confie aux lobbys financiers le soin de régler la crise financière… à leur avantage, en mobilisant l’argent des contribuables. Et quand je dis « toutes proportions gardées », comprenons-nous bien, la proportion n’est pas forcément dans le sens que vous imaginez : il serait bien moins grave de confier au syndicat du crime la gestion des prisons ! Car on n’a sans doute jamais vu le syndicat du crime, même au temps d’Al Capone, perturber autant la vie sociale que ne vient de le faire la finance internationale. Jamais non plus les faux monnayeurs n’ont autant mis en péril la confiance dans les monnaies : ils n’arrivent vraiment pas à la cheville des banquiers dans ce sinistre travail de sape de la confiance…fiduciaire ! En 1973, une banque française faisait une publicité agressive, disant « Pour parler franchement, votre argent m’intéresse ». Aujourd’hui ce sont nos impôts qui intéressent bigrement les banques ! Dans l’état de bancarisation des économies développées (cf. Chronique d’Octobre1), il était bien évidemment hors de question de mettre en faillite les 1 J’écrivais dans une « Chronique d’Octobre : cash is king…everything else is rubbish » (octobre 2008, entre les N° 4 et 5 de LA CRISE): « A mon sens, les grandes banques de dépôts, regroupant des millions de déposants, ne peuvent plus faire faillite et, en cas de difficultés seront nécessairement renflouées (d’une manière ou d’une autre, la solution extrême étant la nationalisation totale) car quand vous entendez « crise systémique »… comprenez bombe atomique et dissuasion nucléaire ! Cette impossibilité de faillite, et donc d’effacement de vos avoirs en cash, résulte d’une caractéristique essentielle des économies développées : la bancarisation poussée à l’extrême qui fait que tous les individus doivent avoir un compte sur lequel s’inscrivent presque toutes leurs opérations. Et ceci constitue une différence fondamentale avec les années 30 que je m’étonne de ne jamais entendre dans tous les commentaires qui font des parallèles douteux avec la Crise dite de 29. Dans les années 30, la plupart des salariés sont payés en espèces, toutes les quinzaines ou toutes les semaines ; l’essentiel des opérations économiques sont réglées en espèces. Mais aujourd’hui, en France par exemple, « 99 % des Français disposent d'un compte bancaire, alors qu’avant 1967, le taux de bancarisation de la population française avoisinait les 20 % » (source Fédération bancaire française). Imaginez la BNP, la Société Générale ou le Crédit Agricole faire faillite, fermer les agences et bloquer les comptes. Les factures d’électricité, de gaz, de téléphone, les prélèvements de remboursements d’emprunts, les versements des salaires, les paiements par chèque ou par carte bancaire… tout s’arrête. C’est l’apocalypse économique, la désorganisation totale, la paralysie, des millions de chômeurs, des dizaines de milliers de faillites, le désordre social et politique. C’est tellement ingérable que toute autre solution est préférable, y compris l’endettement de l’Etat à hauteur de plusieurs fois le PIB pour renflouer la banque. Par contre, bien sûr, il n’en va pas de même pour une banque d’investissement qui n’a pas ou peu de déposants, ou bien pour une petite banque locale de l’Arizona ou de Trifoullis les Oies ». 4 Henri REGNAULT, LA CRISE N°7, Abracadabra : reprise ouvre-toi, Mai 2009 grandes banques de dépôts et d’annuler les avoirs des déposants ou de les renvoyer aux mécanismes de garantie plafonnée. La mobilisation des Etats, comme emprunteurs en dernier ressort, pour sauver les banques de dépôt était et reste la seule et unique solution. Mais les modalités concrètes de la solution ont été exécrables. Apporter des fonds public, donc mobiliser les contribuables, oui, mais sans contrôle des Etats sur les banques, non ! C’est bien là qu’est l’Arnaque ! Voir les fonds publics servir à engraisser les parachutes dorés de la honte et les bonus2 de l’incompétence est strictement odieux. Voir les apports de fonds publics ne pas donner lieu à l’entrée de représentants de l’Etat dans les conseils d’administration est totalement insupportable. En fait, qu’est-ce qu’une banque qui n’est plus en état d’honorer ses engagements ? C’est un établissement en faillite. Les actions ne valent plus rien, zéro. Les obligations ne valent plus grand-chose. Il faudrait acter ces vérités premières et lorsque ces établissements ne sont pas liquidables sans dégâts collatéraux insupportables (c’est le cas des banques de dépôts) les faire reprendre par l’Etat, en pleine propriété (sans aucune indemnité pour les actionnaires et avec une forte décote pour les détenteurs d’obligations), pour les reprivatiser ultérieurement (dans un monde bancaire à nouveau régulé) au bénéfice du désendettement de l’Etat. Alors les contribuables pourraient comprendre la nécessité de payer des impôts ou de devoir souscrire à un emprunt obligatoire, sans éprouver un immense sentiment d’injustice. Au lieu de faire cette opération vérité, on a tenté de renflouer des banques faillies, et si le renflouement marche, qui en seront les bénéficiaires ? Les actionnaires, bien sûr, remis en selle au frais du contribuable. Un vrai scandale. La consanguinité entre les dirigeants du monde de la finance et les élites politiques a empêché que soit mise en œuvre la seule solution respectueuse de l’ordre économique (on est capitaliste ou on ne l’est pas !) et l’ordre public tout simplement : la nationalisation. On s’y résoudra sans doute si une deuxième vague de troubles bancaires s’en vient (je la crois probable) mais que de temps perdu en ronds de jambe et salamalecs autour des banquiers… et en danse du scalp autour des contribuables ! 3. LE CAVE3 SE REBIFFE4 : dernières nouvelles du front chinois Au fil des dernières décennies, la Chine a réalisé d’énormes excédents commerciaux, vendant plus à ses partenaires commerciaux qu’elle ne leur achetait. Ces excédents, notamment sur les Etats-Unis, ont été accumulés sous forme de dollars et investis très largement en bons du Trésor américain ou en titres des grandes institutions hypothécaires US (Fannie et Freddie). 2 Je vise là les bonus indécents des grands dirigeants, pas les petits suppléments de rémunération qui correspondent à des primes normales du type 13ème ou 14ème mois, même si elles sont attribuées sur des critères de performance 3 En argot, un cave est personne n’appartenant pas au « milieu », plutôt naïve et honnête, qui se fait arnaquer par les truands 4 Le cave se rebiffe est le titre d’un film français des années 60. Ce titre est d’autant plus délicieux, appliqué à la Chine face au dollar, que ce film traite du milieu des faux monnayeurs : de là à voir dans le dollar une monnaie qui ne vaut pas ce que l’on a cru… ! 5 Henri REGNAULT, LA CRISE N°7, Abracadabra : reprise ouvre-toi, Mai 2009 La Chine s’est ainsi comportée en bon petit soldat du déficit budgétaire américain, toujours prêt à voler au secours du Trésor américain, à financer le Pentagone, ses programmes d’armements et ses guerres du bout du monde… même s’il est vrai qu’il n’y avait guère d’alternative pour placer des fonds aussi importants dans une optique sécuritaire… pouvait-on penser. Et ce faisant, la Chine croyait accumuler non seulement un pactole mais aussi se donner des moyens de pression sur les Etats-Unis en devenant leur premier créancier. Aujourd’hui la Chine se rend compte qu’elle s’est fait piéger, elle commence à le dire et à agir pour tenter de se dégager du piège américain. Mais la manœuvre est difficile : vendre massivement, c’est faire chuter le dollar et les cours des bons du Trésor US et donc dévaloriser ses avoirs. Ne pas vendre rapidement, c’est prendre le risque de voir les logiques purement américaines (déficit budgétaire incontrôlé, financé par la création monétaire pure et simple ; hausse de taux longs qui dévalorise les titres anciens) dévaloriser tout autant le dollar et les titres. L’issue de secours est donc très étroite et la fuite incertaine. La Chine essaie de manœuvrer discrètement… mais son action est aussi visible que celle d’un éléphant dans un magasin de porcelaine : ne plus acheter que des bons à court terme (pour éviter la dévalorisation des titres longs lors de la hausse des taux longs), acheter partout où elle le peut des biens réels (mines de fer, gisement de pétrole, augmentation des stocks d’or de la banque centrale chinoise), se préparer à passer le moins possible par le dollar pour assurer ses transactions internationales (diversification des réserves vers l’Euro notamment, accords d’échange de devises avec certains partenaires commerciaux, préparation de la convertibilité du yuan, appel à la mise en place d’un étalon monétaire international multidevises). La grande défiance vis-à-vis du dollar est en marche ; rien ne pourra l’arrêter jusqu’à la mise en place d’une perspective crédible de reconstruction d’un système monétaire international dégagé de toute référence à une seule monnaie nationale : c’est inévitable… mais l’échéance est inconnue. Le plus tôt sera le mieux. La vraie reprise en dépend : c’est dire qu’elle n’est pas pour demain. 6 Henri REGNAULT, LA CRISE N°7, Abracadabra : reprise ouvre-toi, Mai 2009 4. ET MES SOUS DANS TOUT CA : rubrique bestialement pratique Pas de nouvelles renversantes pour le moment ; je suis toujours en position d’attente, entre petite déflation sur les biens et services, grande déflation sur les actifs financiers et immobiliers et éventuelle future inflation… différenciée suivant les supports et les zones monétaires. Pour le moment je ne bouge pas (cash is king, encore et probablement pour de longs mois), tout en restant aux aguets. Profitons de ce marais barométrique où le vent ne souffle pas dans une direction bien précise (mais où la tempête peut se lever dans l’heure… sans prévision météo fiable) pour prendre un peu de recul par rapport à nos sous, pour autant que nous en ayons à préserver à court terme ou à tenter de faire fructifier à long terme. Il m’est déjà arrivé de faire un parallèle entre la gestion de patrimoine et la gastronomie. Avec quoi fait-on de la bonne cuisine : avec de bons produits de base, en fonction de la saison, et en s’appuyant sur le goût originel de ces produits, sans les masquer par des sauces compliquées ou des condiments cache-misère. La gestion patrimoniale offre de bons produits de base (comptes rémunérés, actions, obligations privées, titres d’Etats, biens immobiliers, métaux précieux…). Mais autour de ces produits il y a beaucoup de mauvais montages, avec le recours à des produits dérivés incompréhensibles (qui cachent des « pièges à con » redoutables) et même en restant sur ces produits de base, des erreurs grossières de timing peuvent être faites (acheter en haut de cycle, sans espoir de plus value et avec une forte probabilité de moins value). Avant la crise j’étais plutôt du genre à conseiller les véhicules de placements collectifs (sicav, fonds communs de placement) : laissons le soin aux pros, qui y passent leurs journées, de concocter les meilleurs assemblages (comme pour les vins !) ; nous avons mieux à faire de notre temps libre, trop rare, que de le passer dans les pages de cotations de la presse économique ! Aujourd’hui, on sait que la délégation de responsabilité est hasardeuse voire ruineuse. En contact direct avec vous, vos chargés de clientèle dans vos banques ont le plus souvent un niveau de formation très perfectible, d’une part, et sont, d’autre part, plus enclin à vous faire acheter le produit qui leur rapporte une commission plutôt que celui qui convient à votre situation. En amont, lors de la conception des produits financiers, la recherche du profit de l’institution (et du bonus du gestionnaire) prime largement sur l’intérêt des clients, sans même évoquer les comportements frauduleux des petits et grands Madoff. Face à un tel problème de confiance (ou d’abus de confiance) il faut donc se faire à l’idée que chacun doit reprendre son destin en main, aussi difficile que ce soit quand on n’a pas de formation économique et financière. Toutefois n’oublions pas qu’en matière de placements, l’Enfer ce n’est pas principalement les autres… mais notre propre cupidité : croire à des promesses de taux de rendements financiers durables à deux chiffres lorsque l’économie réelle progresse à un seul chiffre relève d’une forme de débilité mentale et devrait donc impliquer la mise sous tutelle ! 7 Henri REGNAULT, LA CRISE N°7, Abracadabra : reprise ouvre-toi, Mai 2009 Ces considérations générales ne dispensent pas de jeter un œil aux conditions particulières du moment (rubrique bouclée le 14/05/09). Je passe très vite cette fois-ci sur les devises, les actions et les obligations pour me concentrer sur les biens réels que sont l’immobilier et l’or. Devises : fuyez la livre sterling (depuis le temps que je vous le dis… vous en avez encore !) avant que Londres ne devienne prochainement un condominium du FMI et de Bruxelles, pour cause de faillite ; débrouillez-vous au jour le jour avec le jeu de bascule entre Euro et Dollar, mais… à quelques mois je ne parierais pas un kopek sur le dollar. Actions : du rebond au replouf. Ne vous fiez pas au rebond, on fonce vers le replouf… qui pourrait nous entraîner vers un très bas, peut-être vers l’abysse ! Donc toujours l’abstinence totale sur les marchés actions (sauf si vous avez le goût du boursicotage au jour le jour, auquel cas je ne peux vous être d’aucune utilité, je ne m’intéresse qu’aux mouvements longs ; mais si vous boursicotez, ne vous plaignez pas si vous prenez une déculottée magistrale). Obligations et titres d’Etats : pas un long fleuve tranquille. Plus que jamais je suis haussier sur les taux longs, donc baissier sur les cours des obligations déjà émises ou à émettre dans la période actuelle. Des assureurs (et fonds de pension) risquent de se trouver en difficulté si le crash obligataire qui se profile prend forme. L’assurance vie pourrait bien ne pas être un long fleuve tranquille, et les promesses d’effet de cliquet (maintien de la valeur acquise sur les fonds en unités monétaires, le placement de père de famille par excellence) pourraient être difficiles à tenir pour des assureurs à court de liquidités qui se verraient confrontés à des retraits massifs. Ce serait alors une perte générale de confiance dans tout le système financier. Un scénario de cauchemar. Immobilier : histoires de bulles. L’immobilier est à la baisse, ce qui n’interdit pas de saisir l’occasion qui se présente, quand elle se présente, si elle se présente… et si c’est vraiment une occasion. Bref, ceci n’est pas vraiment un signal d’achat, pas encore ! Prix des logements et montants des transactions depuis 1965 (en France) Source : http://www.cgedd.developpement-durable.gouv.fr/rubrique.php3?id_rubrique=138 8 Henri REGNAULT, LA CRISE N°7, Abracadabra : reprise ouvre-toi, Mai 2009 Les derniers graphiques de Friggit disponibles à mi-mai montrent qu’en France les montants des transactions (courbe verte) reviennent à vive allure vers le tunnel historique ; les prix (courbe noire) font encore de la résistance… mais pour combien de temps. Le graphique de comparaison internationale de l’indice du prix des logements rapportés au revenu des ménages (ci-dessous) montre bien que si aux Etats-Unis et au Royaume-Uni la bulle a déjà crevé, pour la France la baisse des prix reste à venir. Comparaison France, Etats-Unis, Royaume-Uni Source : http://www.cgedd.developpement-durable.gouv.fr/rubrique.php3?id_rubrique=138 Or : métal ou papier, Picsou ou Madoff ? Je sais que certains de mes lecteurs se posent la question : plus rien n’est sûr, pourquoi ne pas faire confiance à l’or ? Eh bien parlons-en donc, sereinement. L’or va-t-il monter, un peu, beaucoup (c’est possible en cas de processus inflationniste), passionnément, à la folie (alors ce serait une bulle, qui finirait par éclater comme toutes ses congénères). Très franchement, je n’en sais rien… et personne ne le sait. Ce qu’on sait par contre, c’est que les cours ont doublé en 5 ans… et que même les futurs arbres OGM ne monteront toujours pas jusqu’au ciel ! Quant à en acheter aujourd’hui, mis à part qu’il est déjà historiquement haut et que vous risquez d’arriver après la bataille, regardez y à deux fois… c’est tellement d’enmerdes (pour acheter, garder et savoir quand vendre), sans parler des coûts de transactions à chaque étape… Mais si vous avez des pièces ou des lingots dans votre coffre (des vrais, des tout jaune et bien brillants), gardez les (ils y sont au chaud depuis deux ou trois générations… ils y resteront bien encore deux ou trois de plus, ils ne vous rapportent rien sinon des soucis, mais, quand même… quels souvenirs de famille… rappelez-vous quand le grand-oncle les avait piqués à vos grands-parents au moment de l’exode, pour les mettre à l’abri, bien sûr,… quelle affaire, les vieux en parlent encore dans les déjeuners familiaux !). Plus sérieusement, et en toutes circonstances, fuyez l’or papier… il se passe des choses pas claires sur les marchés des certificats d’or ! Si par malheur on vous a fait mettre de tels produits dans vos placements…vendez, vendez, vendez… avant les scandales et la spoliation. Donc, si vous voulez adorer le veau d’or, c’est votre choix, adonnez-vous y sans retenue… mais alors 9 Henri REGNAULT, LA CRISE N°7, Abracadabra : reprise ouvre-toi, Mai 2009 prenez le vrai, pas les ersatz : soyez métallistes jusqu’au bout, assumez-vous en oncle Picsou, même si vous ne ferez sans doute pas l’affaire du siècle… ça vaut mieux que de finir en victime d’un Madoff doré sur tranche ! 5. LE COIN DE L’INTELLO : il n’est pas interdit de réfléchir Au menu de l’intello ce trimestre, deux sujets infernaux : les économistes face à la crise et la société chinoise face au risque d’effondrement du dollar et des bons du Trésor américains… rien que ça ! Heurs et malheurs de la science économique…et des économistes Par les temps qui courent, pour un économiste qui veut comprendre la crise, faut-il être classique, marxiste, keynésien, néolibéral ? Il est bien trop tôt pour entrevoir la décantation intellectuelle puis le dépassement théorique que provoquera inévitablement un processus historique d’une telle ampleur, d’autant plus que cette crise est systémique au sens le plus large du terme : d’une part, elle est crise de l’ensemble du système social (économique, politique, idéologique) et, d’autre part, elle concerne aussi l’articulation de ce système social et des écosystèmes (épuisement de ressources, disparition d’espèces, environnement et climat). En attendant l’inévitable grand réajustement théorique, pour le moment je crois surtout qu’il faut avoir des approches purement pragmatiques, voire opportunistes, en fonction de la question à analyser. Il faut comprendre que chaque théorie n’est rien d’autre qu’une grille de lecture plus ou moins utile ou adaptée à la situation présente, qu’aucune théorie n’est la vérité révélée et qu’on ne doit pas s’adonner à une seule théorie mais s’emparer de plusieurs sinon de toutes, telles des focales différentes pour mieux percevoir la réalité dans toutes ses dimensions et à divers niveaux de recul, tout comme un individu myope de loin, presbyte de près et astigmate de surcroît a besoin de changer de lunettes suivant sa proximité ou éloignement de la réalité à percevoir et interpréter. Mais, tous les économistes, quel que soit leur référentiel, ont intérêt à « se la jouer modeste » aujourd’hui car la crise ne peut pas se comprendre dans le seul univers intellectuel de la science économique, ni même de l’économie politique. La crise, ses mécanismes de transmission, d’amplification, ses situations de blocage et ses perspectives de sortie sont pleinement dans le champ des relations internationales (pas uniquement de l’économie internationale), des rapports de force entre puissance hégémonique déclinante et puissances montantes (comme ce fut le cas dans l’entre deux guerres, entre déclin britannique et montée en puissance US). La grille de lecture de l’économie politique internationale (à l’articulation de l’économie politique et des relations internationales), constitue donc, au-delà de la diversité de ses approches, une bonne boussole pour s’orienter dans le labyrinthe de la crise systémique globale. Unhappy China ou les nouvelles liaisons dangereuses Le dilemme de l’épargne chinoise que j’ai exposé dans la rubrique « Le cave se rebiffe » n’est pas qu’une question économique. Une éventuelle ruine des réserves de la Chine dans un 10 Henri REGNAULT, LA CRISE N°7, Abracadabra : reprise ouvre-toi, Mai 2009 effondrement du dollar et des bons du Trésor US pourrait avoir les mêmes conséquences politiques que les absurdes réparations imposées à l’Allemagne après la Première Guerre Mondiale par une France aveuglée par sa phobie anti- allemande, réparations très lucidement condamnées par Keynes. En Chine, la perception d’une immense injustice pourrait alimenter une dérive nationaliste, articulée sur la certitude d’une grandeur pluri millénaire. Suivant le proverbe chinois « Une étincelle peut mettre le feu à la plaine », le nationalisme chinois pourrait s’enflammer à partir d’une amorce quelconque à Taipeh, à Lassa, dans les banlieues ouvrières de Canton ou de Tian Jin, ou dans les campagnes oubliées du pouvoir central. Cette réflexion de ma part n’est ni innocente ni fortuite, même s’il ne faut pas prendre au pied de la lettre ce rapprochement audacieux (et strictement heuristique dans mon esprit) avec l’Allemagne de l’entre-deux guerres. L’alerte, la fausse-alerte espérons-le, vient de la publication récente (mars 2009) en Chine d’un ouvrage tiré a 270 000 exemplaires et déjà en réimpression : Unhappy China, signé de cinq personnalités des médias et de la communication - Song Qiang ( 强), Wang Xiaodong ( 东), Song Xiaojun ( 晓军), Huang Jisu ( 纪苏), Liu Yang ( ). Cet ouvrage présente la Chine comme une victime du monde extérieur et comme un pays dont les grands mérites ne sont pas reconnus5. On peut penser qu’il s’agit plus d’un coup médiatique que d’une opération politique, et on doit noter que les critiques en Chine n’ont pas manqué. Soyons néanmoins attentif : il ne faudrait surtout pas que Unhappy China, au-delà sans doute des intentions de ses auteurs, soit le prélude à un Mein Kampf chinois. Prenons garde à de nouvelles liaisons dangereuses entre spoliation économique et dérapage politique. Ne l’oublions pas : l’Histoire est tragique, on n’est jamais sûr du côté d’où va sortir le drame, mais elle adore les périodes comme celle-ci pour venir faire ses mauvais coups ! J’espère donc que les autorités chinoises parviendront à sortir par le haut de leur exposition au dollar et réussiront à mettre la Chine (un quart de l’humanité, un détail !) sur un sentier de croissance autonome, indépendant de consommateurs étrangers, endettés irresponsables, vivant aux crochets de peuples travailleurs et exploités… par leurs propres oligarques enrichis au nouveau trafic triangulaire (produits manufacturés contre dollars contre bons du Trésor américain), déclinant sans le savoir la version chinoise de l’œuvre de Dickens, là où on préférerait une gestion sociale démocrate de la force de travail… ce serait le minimum pour un pays communiste ! 5 Pour un bref compte rendu en français, voir ma source: http://www.icilachine.com/culture_chinoise/livres_auteur_chinois/unhappy_china__un_livre_polemique.html 11 Henri REGNAULT, LA CRISE N°7, Abracadabra : reprise ouvre-toi, Mai 2009 6. COCORICOS ET RAPLAPLAS : oscars et gamelles de « LA CRISE » Fin de la saison II de « LA CRISE ». Deux ans bientôt que j’écris ces numéros, avec une périodicité plus ou moins trimestrielle. Au début, j’ai essayé d’alerter mes lecteurs, sans doute un peu incrédules, sur l’arrivée d’une très grande crise, pas d’une crise conjoncturelle comme on en connaît tous les 10 ou 15 ans, mais d’une crise structurelle, de nature historique, comme il en apparaît une fois par génération. Une fois la crise clairement venue, je me suis efforcé d’en anticiper l’approfondissement et les péripéties. Aujourd’hui, avec un peu de recul, de quoi puis-je être fier en termes anticipatifs (je vous l’avais bien dit !) et sur quoi dois-je me faire oublier ou battre ma coulpe ? Mes Cocoricos préférés : Le réajustement géopolitique et monétaire international. Dès la CRISE N°1 (Septembre 2007) j’écrivais : « La crise actuelle n’est pas un banal accident de parcours…Elle n’est pas conjoncturelle mais structurelle… Il ne s’agit pas d’une crise purement financière et économique mais d’une phase paroxystique de cristallisation d’une nouvelle donne géopolitique… De ce maelström, le monde va sortir profondément différent : fin de l’hégémonie du dollar US qui ne sera plus qu’une monnaie parmi d’autres, fin de la vie à crédit du consommateur américain (ça va faire très mal aux Etats-Unis…mais dans l’Asie manufacturière aussi)… » Bigre, que c’était bien vu, je n’en reviens pas d’avoir écrit ça en septembre 2007, même si je n’avais rien inventé, d’autres l’avaient dit avant moi… mais j’y ai cru parce que je trouvais ça crédible, probable et que ça correspondait à ma propre réflexion et intuition. La montée du chômage. Dans LA CRISE N°3 (Mai 2008) j’écrivais : « La montée en puissance de la crise ira de pair avec ses conséquences prévisibles : aggravation du chômage, diminution des revenus réels, misère croissante, malnutrition, détérioration de l’état sanitaire ». En réaction, un ami m’écrivait: « Seul point où je suis un peu réservé sur ton analyse, c’est l’évolution du taux de chômage en France qui mécaniquement est amené à diminuer par le rétrécissement des classes d’âges des actifs ». Je lui ai répondu qu’il avait raison à long terme mais tort à court et moyen terme. La suite m’a donné raison, même si je m’en serais vraiment dispensé… mais ainsi va la crise ! Mes Raplaplas les plus raplatis L’exagération de la différenciation des impacts. J’ai toujours dit qu’il ne pouvait pas y avoir découplage : la crise américaine affecterait forcément toute la planète. Mais j’ai beaucoup trop insisté sur la différenciation des impacts, en anticipant que le cœur de l’Europe continentale serait beaucoup moins affecté que le monde anglo-saxon. Au vu des prévisions actuelles d’évolution du PIB 2009 dans les différents pays, il faut bien admettre que la différenciation va être faible. En particulier, j’ai totalement sous estimé le potentiel 12 Henri REGNAULT, LA CRISE N°7, Abracadabra : reprise ouvre-toi, Mai 2009 catastrophique de l’Allemagne et je n’ai pas perçu à quel point son addiction extrême à l’exportation allait l’affecter négativement. Peut-être vais-je toutefois bénéficier d’une session de rattrapage dans la suite des évènements : les filets de protection sociale dans l’Europe continentale et la moindre addiction à l’ultra libéralisme pourraient limiter l’effet destructeur sur le tissu social et faciliter un retour de croissance, là où les sociétés anglo-saxonnes vont devoir faire un énorme travail de réparation sociale ou bien prendre le risque de fractures irréversibles. Wait and see : on aura la réponse dans 5 ans. La montée des extrêmes en politique en France. Sur ce thème aussi je me suis probablement planté en annonçant (N°3, Mai 2008) une forte montée des extrêmes politiques en France, à parité extrême gauche et extrême droite. Et là, je suis ravi de m’être trompé et j’espère ne pas bénéficier d’une session de rattrapage ! Si on entrevoit une montée en puissance (limitée) d’une gauche radicale, pour le moment au moins l’extrême droite semble dans de basses eaux… pourvu que ça dure ! Les élections européennes de juin 2007 ne seront toutefois pas un bon révélateur des rapports de force, du fait d’une très forte abstention. Il faudra attendre la grande échéance de 2012 (sauf dérapage imprévisible qui conduirait à avancer les échéances) pour vérifier l’impact de la crise sur la carte politique française. FIN DE LA SAISON II DU GRAND FEUILLETON « LA CRISE » RENDEZ-VOUS EN SEPTEMBRE OU OCTOBRE POUR LA SAISON III D’ici là portez vous bien, mais… sortez couverts (parachute, gilet de sauvetage, casque, coquille et genouillères6)… ça va tanguer très fort, accrochez-vous bien ! Henri REGNAULT Pau, le 14 Mai 2009 6 Pour les catholiques fervents… tous ces modes de couverture contre le virus de la crise sont autorisés par sa Sainteté ! 13 Henri REGNAULT, LA CRISE N°7, Abracadabra : reprise ouvre-toi, Mai 2009 Annexe : Sources et méthode de LA CRISE LA CRISE intrigue certains de mes lecteurs qui me demandent d’où je tiens « mes informations privilégiées » et comment je travaille. A questions compliquées (est-ce que je sais comment je travaille, d’ailleurs…est-ce du travail que d’écrire ou bien du pur plaisir ?), réponses simples. Je n’ai accès à aucune information que chacun d’entre vous ne puisse trouver sur internet. Le vrai problème n’est d’ailleurs pas tant la disponibilité de l’information que la capacité à en faire le tri et à retenir – plus ou moins consciemment - les infos les plus signifiantes par rapport à une démarche donnée (en l’occurrence, comprendre la crise qui apparaît, qui monte et qui s’embrase). A partir du N°2 de LA CRISE j’ai systématiquement indiqué en annexe les blogs et sites internet régulièrement consultés. Sur un mode humoristique, j’en ai fait, en annexe à LA CRISE N°67, un petit guide des blogs de la crise. Rien de bien neuf en la matière depuis fin mars, ce guide est toujours valable. Ma méthode de travail ? Presque chaque matin en prenant mon café, je commence ma journée sur les sites anglophones (Calculated Risk, Krugman, Evans Pritchard…), et chaque soir je la termine sur les sites francophones et en particulier sur Contre Info (mais aussi Jorion, Chronique Agora, revue de presse du GEAB et bien d’autres….). Comme une éponge, je m’imprègne, je filtre, je digère... Au bout de deux ou trois mois, je tords l’éponge au dessus d’une page blanche: un plan et un argumentaire s’imposent, un titre fini par émerger parmi 2 ou 3 possibles. Je n’ai plus qu’à écrire. Mon job consiste à transmuter des informations (que je ne produis pas) en idées (que j’essaie d’articuler entre elles) : je m’efforce de mettre en perspective, de donner du sens, bref… de faire mon boulot d’intello ! Mon apport personnel principal est donc dans la synthèse que je propose, à la lumière de ma formation d’économiste ouvert à la pluridisciplinarité en sciences sociales. L’économiste qui voudrait ignorer l’histoire, la sociologie, la géopolitique, les relations internationales… serait comme un explorateur sans boussole (ou sans GPS aujourd’hui) dans la jungle de la Très Grande Crise : perdu, sans repères et prêt à se laisser capturer par des explications simplistes ou par l’optimisme de façade des politiques au pouvoir. Dans la période actuelle, le risque est très aggravé pour les économistes du main stream d’être pris au piège de l’illusion d’une science économique pure et parfaite qui se satisferait d’ellemême, dans son autisme modélisateur nourri de faits stylisés. Les faits stylisés sont des représentations disciplinaires appauvries, bien loin de la richesse de la réalité de phénomènes sociaux complexes. Et voilà pourquoi beaucoup d’économistes n’ont rien vu venir et pourquoi aussi les premières analyses anticipatives pertinentes sont venues des marges du système universitaire et de recherche, de chercheurs atypiques (Paul Jorion, Loïc Abadie, l’équipe du GEAB pour rester dans le monde francophone). Anticiper, analyser, comprendre la crise, c’est forcément prendre à bras le corps la complexité du monde réel : c’est incompatible avec les bulles disciplinaires, largement stériles… sauf en termes de carrière académique ! Les carrières dans l’université et la recherche se font au cœur des disciplines (du fait des procédures de recrutement et de promotions), les vrais défis scientifiques sont aux frontières, aux marges des disciplines. C’est bien là un des drames fondamentaux de l’Université française 7 Remis à jour pour la dernière fois en avril 2010, ce guide est disponible désoramais en annexe à LA CRISE N°11 14