``patou fut d`abord un couturier, au moins aussi

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``patou fut d`abord un couturier, au moins aussi
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NUMÉRO 4
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NUMÉRO 4
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Un jeu de mots, c’est souvent lourd. Ou parfois, le chemin le plus court.
“Pariphéries”.
Tel est le thème de ce numéro.
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WILEEXPO
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Pour éviter aussi d’employer n’importe comment le mot ghetto, comme nous le
rappelle Laurent Mucchielli dans notre interview à propos des bandes de jeunes.
Les mots sont importants. “Requins”, par exemple.
Rien n’est anodin.
Surtout pas un jeu de mots.
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Alors oui, on se pose plein de questions, on se cherche, on tourne en boucle, et
parfois, on croit se trouver.
Ce quatrième numéro est en tout cas une façon de boucler une boucle.
Une façon d’avancer par cercles concentriques, en élargissant le cercle de nos
préoccupations.
Et de tourner une page.
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CHINÉ CITTA
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REQUINS
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Boucles.
Ce #4 n’est pourtant pas un sampleur et ne fut pas sans pleurs.
Ni sans reproches.
À vous de voir.
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Tout en revenant aux sources aussi, puisque ce Hell’s Kitchen #4 contient des sujets dont on parlait entre nous avant même de sortir le #1. Boucle, encore.
Pour le plaisir des yeux aussi, et leur repos également, tel notre trou normand
avec le portfolio de Dimitri Coste, déjà présent mais différemment dans le HK #3…
Boucle, toujours.
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ARISTOPOPULO
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Il nous en a donc fallu du temps pour y arriver, encore plus que d’habitude.
Mais on a pris le temps qu’il faut, pour parler de ces sujets comme il faut. Avec de
vrais gens, qu’il faut prendre le temps d’écouter.
Pour mieux les lire, les yeux sans ornières.
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CLICLI
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KEBAB MOBILE
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ARMES À L’ŒIL
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La rédaction.
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BANDES DE JEUNES
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Directeur de la publication // Fabrice Marco
Rédaction // Oldboy, Armatya, Kemar, Bus
D.A. & Maquette // Bus
D.A. Photo // Wilee
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P.S. : Hell’s Kitchen n’est pas le nom d’un appartement raviolis.
Ce surnom est celui du quartier anciennement irlandais du westside de Manhattan ;
de la 57è à la 34è rue, de la 8è Avenue à l’Hudson River.
Là où les gangs irlandais se sont déchaînés pendant des décades, notamment quand
les Porto-Ricains ont commencé à investir le quartier. Hell’s Kitchen a inspiré de nombreux polars et plusieurs films,
Westside stories, Gangs of New York pour ne citer qu’eux. Dans Warriors, c’est le territoire des Rogues.
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DIMITRI COSTE
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Couverture par : Cyril Cavalié
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SYSTEMA
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«LA PHOTO, C’EST UN SPORT DE RICHES“… COMBIEN DE FOIS AVONS-NOUS ENTENDU
ICI, AU COURS DE RÉUNIONS DE RÉDACTION PAS TOUJOURS TRÈS SAGES, CES MOTS
FLEURIS DE LA BOUCHE DE NOTRE WILEE À NOUS, D.A. PHOTO MAISON.
NOTAMMENT QUAND IL S’AGIT DE FAIRE LA SOMME DES BUDGETS QUE NÉCESSITE LA
PRODUCTION D’UNE SÉRIE MODE “À L’ANCIENNE“… PARCE QUE MONSIEUR WILEE
TRAVAILLE À L’ARGENTIQUE.
Transcription apocryphe de nos débats sans fin : allez… arrête un peu, on sait
bien que t’es un gros fan de George Romero ou de Wes Craven mais c’est un
truc de mort vivant ton truc-là, tu peux pas faire comme tout le monde, et travailler au numérique ? Déjà qu’on n’a pas une thune… T’aimes pas les religieux
alors fais pas ton intégriste !
«Je ne suis pas un intégriste de l’argentique ! (bordel !! en v.o. non censurée)…
Je ne tiens pas spécialement à rester en argentique, ou plus exactement je ne
m’interdis pas de shooter en numérique. J’ai mes raisons. D’une, c’est une
question de finance. Le problème du numérique c’est que, dès que tu sors ton
boîtier de son carton, il faut le rentabiliser le plus rapidement possible, car dès
qu’un nouveau boîtier va sortir, le tien ne vaudra plus rien. Acheter un boitier à
8000€, et voir sa côte tombée à 1000€ à peine deux ans après, c’est juste tendu.
Et puis je n’ai pas une activité qui me permette de le rentabiliser aussi vite. Le
numérique est un super support pour certains types de travaux : catalogue, photos de soirées… «
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Et notre Wilee ne fait pas, ou plus, de photos de soirées, ni de concerts. Mais il
en a fait, ça, c’est sûr.
On peut même y passer une soirée, le temps qu’il faut pour qu’il nous raconte
tout, par exemple le concert des Run DMC à la Cigale quand ils ont voulu faire les
malins devant une fosse remplie de lascars parisiens… En quelle année ? Euh, je
m’en rappelle plus, je commençais à m’endormir, avant qu’il ne me réveille d’une
éructation du son de sa charmante et virile voix…
Le pire, c’est qu’il en a un wagon, des comme ça : quand il est allé faire Damon
Dash, lui demandant, à l’encore patron de Roc-A-Fella, s’il kiffait Paris alors que
D.D. s’était pris un pain dans sa tête gonflée comme un melon, la veille aux Halles… Hop, encore un Américain qui n’a pas compris Paris…
Hop. Hip… hip hop ! Wilee est hip hop, il pourrait rajouter à ses tatouages, ces
6 lettres sur son front comme un gangsta de la Mara Salvatrucha, ça dénoterait
pas, à part peut-être un peu dans un studio où il shoote des mannequins anorexiques.
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1-Ol’kainry
Photos : Wilee
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Eh oui, il est un peu collectionneur sur les bords : «chaque appareil et chaque
objectif donne son propre grain, un rendu d’image particulier. L’argentique a cette
particularité que ses propres défauts chimiques et physiques en font ses qualités.
Pour moi la définition du numérique par rapport à l’argentique, c’est tout simplement la traduction en langage binaire (0 et 1) des conséquences chimiques dues
à des interactions physiques de divers éléments. Je ne vais pas mentir, c’est
aussi et surtout cette deuxième raison qui me fera toujours pencher du côté de
ce type de photographie, par rapport à mon travail et la façon dont je l’aborde.»
Abrège un peu, tu veux pas simplifier ? Qu’on ait vraiment envie de bouger nos
fesses à ton expo : «je ne recadre jamais et je retouche un minimum mes images. C’est une règle que je me suis donné et que j’ai scrupuleusement appliqué.
Même après 18 ans de métier, quand je fais mon editing, je ne choisis que celle
qui me semble parfaite : cadrage, lumière, attitude, etc. C’est le seul truc que je
sais faire, la photo, alors… je m’applique ! Mais comme tout le monde, il y a des
jours avec, et d’autres sans… Pour info, dans cette expo, la seule que je vais réaliser de l’époque où j’étais photographe pour des magazines de musique, aucune
des images exposées ne sont recadrées ou retouchées.»
Ça va, ça va. On vient.
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Car cet ancien jeune du 94 en a fait du chemin. Au cours duquel il a rencontré
pas mal de son hall of fame à lui, de Jermaine Dupri à David Banner.
Tout ça en bossant pendant, allez, on va dire 15 ans pour la presse spécialisée
rap. L’alliance non pas de la carpe et du lapin, mais de l’utile et de l’agréable.
Scène du métier d’il y a 10 ans, une époque révolue pour de bon : Allô, Wilee ?
Tu veux partir en voyage de presse à L.A. ? Mais c’est demain, tu pars à l’aube…
Ok ? cool ! Mais tu sais que c’est un peu ghetto là où l’on t’envoie ?(...) Même
pas peur ? Super, viens chercher tes billets alors…
Mais notre Wilee, il nage là-dedans comme un poisson dans l’eau, dans le ghetto.
Il s’y sent un peu chez lui, comme un peu partout d’ailleurs.
Genre dans un grand hôtel parisien pour un shooting de la vénérée Aaliyah, en 15
mn chrono parce que les R.P. ça n’attend pas. Et ça il sait le faire, le vite fait bien
fait. Dans un palace ou dans une arrière cour crasse avec un DJ homo de Detroit,
avec un nouveau boîtier chiné sur eBay…
2-Zoxea
3-Parano Refré
4-Lino
5-Wilee himself
Photos : Wilee
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Exposition
«HIP HOP MORTALS»
Du 16 au 30 Octobre
Au premier étage de
l’Adidas Originals Store
22, av des Champs-Elysées
75008 Paris.
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QUAND ELIZABETH SMITH MILLER, ACTIVISTE FÉMINISTE DE LA NOUVELLE ANGLETERRE (ETATS-UNIS) DÉCIDE EN 1851 DE FAIRE PÉTER LE CORSET, ELLE NE SE DOUTAIT PAS
QU’ON ALLAIT LA PRENDRE ICI COMME NOTRE POINT DE DÉPART DU SPORTSWEAR !
CORSET PÉTÉ, AU SENS PROPRE COMME FIGURÉ : EXPLOSÉ LE CORSET DE L’ESPRIT
PURITAIN, À LA POUBELLE CE SOUS-VÊTEMENT INSTRUMENT DE TORTURE QUOTIDIENNE.
RÉVOLTE SOCIALE RÉSUMÉE À UN VÊTEMENT.
LE VÊTEMENT DE SPORT.
SIGNE DES TEMPS QUI BOUGENT, TEMPS REBELLES AVEC OU SANS CAUSE, JUSQU’À
L’ATTIRAIL DES SUSNOMMÉES “RACAILLES“ QUI A FAIT FUREUR BIEN PLUS TARD DANS
NOS FRANÇAISES CONTRÉES.
MICROFIBRES TEXTILES, MACROFIBRE SOCIALE.
L’HISTOIRE, ÇA S’ÉCRIT SELON LES POINTS DE VUE, ET LE NÔTRE EST AINSI : TOUT EST
POLITIQUE, JUSQU’AU FIL D’UNE MAILLE COTON.
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Elizabeth Smith Miller a inventé cette
espèce de jupe pantalon (plus exactement : sorte de pantalons bouffants
sous une jupe), Amelia Bloomer a propagé cette mode révolutionnaire via sa
revue, révolution indifférente au qu’en
dira-t-on moralo religieux. Avant de se
rétracter et de revenir en arrière.
Mais sa volte-face un peu bizarre est
venue trop tard : les jeunes femmes
modernes de cette 2è partie du XIXè
américain vont plébisciter ce vêtement
contenant en lui une charge littéralement politique.
Mais aussi quotidienne : rien de plus
pratique et de beaucoup plus confortable que cette drôle de 2 en 1, qu’on va
finir par appeler tout simplement “bloomers“ du nom de l’apostate Amelia.
Surtout quand il s’agit de faire du vélo,
par exemple, activité de plus en plus
prisée par la jeunesse féminine et urbaine, qui a décidé de lâcher les rênes
du conservatisme appliqué à l’apparence extérieure pour chevaucher la
petite reine.
Le vélo : instrument de déplacement
et de mobilité qui jouera un grand rôle
plus tard et ailleurs, notamment en
France au moment du Front populaire
et des congés payés, dans le développement du sport et de la société de
loisirs. Et dans le développement du
vêtement de sport.
L’on va y revenir.
JERSEY, LE TISSU, PAS L’ÎLE
Si Coco Chanel est universellement connue pour son tailleur pour femmes, elle
est pour nous celle qui a senti le vent de la modernité avant beaucoup.
Encore plus fort que Paul Poiret qui, même s’il a lui aussi clos pour de bon le
règne du corset dans le champ couture, est resté depuis ses excentricités orientalisantes toujours bloqué sur la démarcation vêtement pour l’intimité domestique et celui en vue des mondanités publiques. Chanel, elle, a compris dans les
premières que la femme allait avoir besoin d’un nouvel horizon, un ciel dégagé
des obligations de la parure pour la parure, un avenir différent de la femme typiquement bourgeoise à l’ancienne, placée là dans les cocktails et les dîners par
son mari comme un trophée de chasse, une tête de cerf par exemple ; mignon
mais selon des canons moustachus.
Dès avant la première guerre mondiale, elle commence alors, en plus de porter
déjà le tricot bien avant tout le monde, à étudier de près les matières qui permettraient de rendre le vêtement moins empesé et moins ampoulé, plus élastique et
plus pratique, afin d’obtenir un toucher et un port qui correspondent à ses idées
et ses coupes.
Et le jersey fut trouvé, dans le sous vêtement précisément, puisqu’on considérait
jusqu’à présent ce tissu pas assez noble, du tout, à part protéger les bijoux de
famille. Le début du XXè : carrément un autre siècle.
Le jersey va plus tard envahir à peu près toutes les maisons, notamment Hermès
qui en 1926 ouvre un département de vêtements femmes et couture avec des
collections où cuir et jersey font ménage commun.
‘‘PATOU FUT D’ABORD UN COUTURIER,
AU MOINS AUSSI IMPORTANT
QUE CHANEL À L’ÉPOQUE ’’
Mais Chanel n’est pas la seule et unique : elle est la fille d’une époque, de l’avant-garde d’une époque plus exactement. Une génération qui va renverser les hiérarchies
après la guerre et qui va animer les années folles.
Des années qui veulent de la folie, respirer, de la légèreté, expirer de l’air. De l’air, du
mouvement, de la rapidité : les aviateurs sont des héros de ces temps modernes
d’avant, les voitures ne sont plus des prototypes, l’architecture se révolutionne et se
pense fonctionnelle, le cubisme pense en trois dimensions et en formes géométriques, le futurisme veut trouver les manières de représenter la vitesse.
Hygiène de vie, hygiène du corps, nouvelle esthétique, nouveaux vêtements.
Une génération dont fait aussi partie Jean Patou (qui déteste cordialement Chanel, et réciproquement, soit dit en passant).
Encore connu aujourd’hui pour ses parfums, Patou fut d’abord un couturier, au
moins aussi important que Chanel à l’époque et précurseur de Lacoste.
MEA CULPA : comme des crétins mal renseignés, nous avions écrit en ouverture
de notre interview avec Christophe Lemaire (Hell’s Kitchen #2) que René Lacoste
était le premier à avoir apposé un logo au niveau du cœur… Faux, tout faux,
honte à nous : le premier fut Jean Patou. Désolé.
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1-Publicité Jean Patou
“Le coin des sports ”
“Patou”
Meredith Etherington-Smith
Ed. St Martin’s Marek N.Y.
2-Gabrielle Bonheur Chanel 1935
3-Jean Patou
ANNÉES FOLLES, CRÉATEURS PAS FOUS
3
C’est Jean Patou qui va aussi synthétiser la nouvelle femme
contemporaine, en habillant Suzanne Lenglen.
Vraie star et reine provocante de la petite balle, elle règne
non seulement en maître sur les courts mais cette maîtrise
est comprise comme étroitement dépendante de ses vêtements, beaucoup plus souples que ceux de ses concurrentes trop old school, lui permettant des acrobaties improbables et jamais vues à Wimbledon. Les vieilles mamies encore
un peu victoriennes sont choquées.
Le look Lenglen : jupe plissée en soie qui remonte au genou,
bandeau en tulle sur la tête pour retenir des cheveux coupés
courts et surtout pour ce qui nous concerne : le cardigan
sans manche. Ou le “sweater“. En jersey.
Jean Patou décline son vestiaire maison : du cricket so british, il adopte le blazer, avec les fines rayures, les pulls en V
aussi afin que le corps respire mieux sous la chemise ouverte au dernier bouton du haut, etc.
Sauf que Patou, même s’il nous apparaît comme un second point de départ à notre petite histoire du sportswear,
est encore loin du système de la mode d’aujourd’hui, et du
sportswear tel qu’on le comprend maintenant.
Ce qu’il a cherché à faire, c’est d’amener l’élégance de la
ville, la nouvelle élégance de la bourgeoisie citadine, sur le
terrain de jeux. Même si l’air du temps réclame de l’air pour
le corps, pour un corps qui commence à se libérer, le sport
à l’époque reste mondain. Autrement dit : l’inverse du processus sportswear contemporain.
Même s’il a évidemment surfé (le surf n’étant encore pratiqué
que par les Polynésiens et personne d’autre) sur la folie de la
pratique sportive propre à ces années : au rez-de-chaussée
de sa boutique rue St Florentin, il crée “Le coin des sports“,
où ses clients pouvaient trouver tous les accessoires maison
possibles pour toutes les activités du moment : tennis, ski et
sports d’hiver, golf, équitation (on pourrait reparler d’Hermès
mais…non), natation, gymnastique.
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4-Suzanne Lenglen
1925 Wimbledon
“Mode Tennis”
Diane Elisabeth Poirier
Ed. Assouline
5-Hermès 1927
6-Boutique Jean Patou à Deauville
“Patou”
6
Idem pour Elsa Schiaparelli qui indique
clairement la couleur en ouvrant sa boutique rue de la Paix, sous l’enseigne :
“Elsa Schiaparelli. Pour le sport“. En
1927.
Jupes hyper simples (loin de l’image plutôt “baroque“ qui colle à Schiaparelli, à
partir des années 30), pull-overs et encore une fois : sweaters, ou encore blousons d’aviateurs, elle aussi est en plein
dans cette exaltation du grand bol d’air.
Simplicité et praticité : de cette philosophie du vêtement, Schiaparelli en
tire la formule stylistique qui la rendra
célèbre et au moins aussi polémique
que Chanel : la robe du soir réduite à
un fourreau en crêpe de Chine blanc
portée avec jaquette à longs pans croisés dans le dos. L’élégance mondaine
avec un je ne sais quoi de sportif.
Et l’on pourrait continuer longtemps
comme ça, en citant Madeleine Vyonnet ou moins connue : Madeleine de
Rauch, en se limitant à la France.
Aux Etats-Unis, pays supposé de la
vie au grand air et d’une autre sorte
d’élégance longtemps moquée dans
nos pays européens plus stricts quant
à la séparation entre classes sociales
et aux signes de différenciation, le vêtement plus relax, plus décontracté,
commence à faire apparaître ce qu’on
va appeler le look sport. En particulier
grâce à Claire McCardell, papesse de
la mode US à partir des années 40, et
maman de l’“American Look“.
Mais c’est une autre histoire. On en reparlera un jour.
Notre histoire à nous, c’est le sportswear
vu d’ici.
‘‘DEUX
SEMAINES DE
CONGÉS PAYÉS,
À NOUS LES
PLAGES’’
DES REQUINS
ET UN CROCODILE
Et ici, on en est à la fin des années 20,
qui s’achèvent avec le Krach de 1929.
1927 - 1932 : ces 5 années de transition sont celles des 6 victoires consécutives des “Quatre mousquetaires”
à la Coupe Davis, de tennis, sport de
plus en plus apprécié et qu’on va dire
populaire, entre double guillemets.
Sauf que.
Sauf que début des années 30, l’on
finit par s’apercevoir que le vent d’air
frais a soulevé seulement le chapeau
et décoiffé juste un peu la tête du pays,
autrement dit : les classes moyennes
supérieures et classes supérieures tout
court. Joséphine Baker parade encore
telle la star vraiment populaire qu’elle
est, mais le complet veston et la femme
à la maison sont la règle majoritaire.
La bourgeoisie française reste empêtrée dans ses amours catho et conservateurs, et les esprits se crispent.
Émeutes (proto-facho) de février 1934.
Réaction: installation du Front Populaire en 1936. Deux semaines de congés
payés, à nous les plages, celles de
Normandie en particulier pour les prolos parisiens ; horreur et damnation
pour ceux de la haute : Deauville se
barricade face à Trouville, idem entre
Mer et Fécamp etc.
Et puis, avant de se baigner à Deauville
ou à Biarritz en pyjamas de bains, encore faudrait-il pour la majorité espérer
fouler un jour le sable blanc. La Sncf
n’existe pas encore, et les voitures
sont un luxe inatteignable, même pas
en rêve : vive le vélo.
Encore le vélo, toujours le vélo. Sport
-c’est le début de la grande époque
des courses en vélodromes, le Tour de
France est déjà un événement médiatique- et activité de loisir, pour se déplacer sans dépenser autre chose que
son jus de cuisse, et de mollet.
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7-Publicité Lacoste
“Mode Tennis”
“LES ANNÉES 60
VONT FAIRE MAL
À LA VIEILLE
FRANCE.
SALUT LES
COPAINS’’
C’est dans cette France post Krach, le
pays s’enfonçant dans la crise plus que
les autres pays développés peut-être,
et se crispant sur sa lutte de classes,
c’est dans cette France pas folichonne-là que René Lacoste, abandonnant
sa carrière de sportif embrasse celle
des affaires textiles.
En 1933.
Avec un énorme logo sur le cœur, et
que ceux qui ont trouvé très laid le revival du gros croco cette année révisent
leurs classiques… façon de capitaliser
sur un symbole. Signe de reconnaissance évidemment, d’un style de vie et
d’un niveau de vie, aussi et surtout.
Capitalisation également sur un autre
phénomène, émergent : la starification
des sportifs. Des sportifs qui gagnent,
c’est mieux, même en France malgré le
futur syndrome Poulidor…
En haut de la pyramide sociale, les clubs sportifs s’organisent. Règles strictes et
montants élevés de cotisations comme il faut pour rester entre soi, entre gens comme il faut.
Interdiction de la couleur autre que blanche dans les clubs, privés, de tennis.
Léo Lagrange a beau occuper le maroquin du tout premier sous-secrétariat aux
sports (et à ”l’organisation des loisirs”), c’est pas demain la veille que les clubs
de sports municipaux et de quartiers vont quadriller le terrain. Ce n’est qu’un
début, d’autres vont continuer le combat.
Ici commence le sportswear contemporain : les chemises Lacoste avec
leur maille (jersey petit piqué) et leur
coupe (manches de chemises raccourcies, col bord-côtes) étudiées pour
la pratique sportive d’abord et avant
tout, vont renverser la hiérarchie entre
terrain urbain et terrain de sport qui
structurait encore la décennie précédente. René Lacoste annonce, lui, le
sportswear strictement d’aujourd’hui :
le sportswear, catégorie de pensée du
prêt-à-porter et une bonne part de son
marché .
Mais l’on n’a pas le temps de s’en
apercevoir encore.
La 2è guerre mondiale arrive, on va
avoir autre chose à penser que de soigner son look, en tout cas la majorité…
Pas les jeunes zazous (ni les privilégiés
de l’Occupation). Mais c’est une autre
histoire.
DE DE GAULLE À DE GAULLE
1944, la guerre est en train de finir et le gouvernement provisoire dans sa grande
mansuétude donne le droit de vote aux femmes ; la France, comme souvent, est
en avance sur son temps -les Anglaises sont des citoyennes comme les autres
depuis 1918…
La libération du pays, en plus de tout le principal, a donné aux Français et Françaises la possibilité d’observer de près ces Américains et surtout Américaines
(les armées se baladent avec leurs infirmières et tutti quanti), lesquelles font voir
un nouveau style aux femmes françaises. Style relax : jupes larges à poches,
chemisiers de coton retroussés aux coudes ou chemises d’hommes nouées sur
le ventre, pantalons corsaires… On se détend, dans tous les sens du terme.
Dommage (ou pas, c’est selon) pour elles, Christian Dior revient à plus de strict
et à moins de relâché.
Fin de la guerre, la société de consommation n’est pas pour aujourd’hui, mais
pour demain.
Toutefois, les dollars du Plan Marshall se déversent dans les circuits. “Make it
rain” : la France est le 2è pays le plus chouchouté, après l’Angleterre. On reconstruit le pays, la fin des années 40 et début des années 50 sont la décennie des
bambins fécondés à tour de bras (d’une autre extrémité corporelle en fait…) et ce
sont ces futurs ados qui vont tout chambouler.
Et dans l’american way of life de France, le sport se développe à fond les
ballons. 1958 est comme par hasard
l’année où l’équipe de France de football atteint les demi-finales de la coupe
du monde, waouh !! Cocorico, Justo
(Fontaine).
Cet exploit -il va falloir attendre 1982
pour le renouveler (Schumacher, gros
boucher…)- n’est pas encore retransmis dans chaque foyer par la télévision
vu que cette grosse lucarne est le privilège d’une minorité pour l’instant encore mais les journaux se sont multipliés.
Et la radio va suivre : Europe1 sera la
radio qui va faire humer les parfums
de la modernité jeune, donc les tubes
de la nouvelle Angleterre, celle des
Beatles et compagnie. La pop culture.
Roaring sixties à l’horizon, attention :
explosion.
Pas en France, mais d’abord en Angleterre, of course, mate.
À la fin des années 50, ces jeunes-là se construisent petit à petit leur propre
culture, comme partout dans le monde occidental, sur l’exemple américain:
rock’n’roll, films, plein emploi et argent de poche, pour ceux qui en ont.
Fuck les vieux, tu peux pas comprendre si tas dépassé 25 ans : construction
d’une sociabilité et d’un mode de vie adolescents, on commence à voir les jeu-
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nes d’un autre œil. D’un très mauvais
œil. Reformulation d’une veille peur sociale, celle d’une nouvelle délinquance
juvénile (voir notre sujet “Bandes de
jeunes”).
Les années 60 vont faire mal à la vieille
France.
Salut les copains.
Optimisme et prospérité pour tous et
santé pour tout le monde. Malgré de
Gaulle (de retour au pouvoir en 58),
l’américanisation de la société fonce à
toute vitesse et surtout chez les couches les plus jeunes. Rebelles bien peignés.
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EUROPA
Avant que les hippies ne monopolisent
Carnaby Street, dans les odeurs de
LSD et de THC, c’est l’amphétamine
(Dinaml pour ceux qui veulent de la
précision d’apothicaire) qui court dans
les cerveaux des jeunes Anglais. En
quête du chic urbain moderne. Du matin au petit matin.
Si l’on a écrit moderne, c’est parce que
ceux qu’on appelle les Mod’s sont la
2è génération des dits Modernistes,
qui ont balancé l’attirail teddy boy de
leurs aînés par dessus le ferry… Un
mouvement de jeunes snobs arrogants
hyper attachés à leur look extérieur qui
ne veulent plus entendre parler d’autre
chose que ce qui se passe au-delà de
la Manche : les styles français et italien.
Vespa et Lambretta, Mastroianni et la
Dolce Vita. Après Mastroianni, c’est
Belmondo circa “Pierrot le fou” et les
coupes de cheveux “Nouvelle Vague”
qui prennent le relais idole des Mod’s,
ces nouveaux jeunes British à la coupe
de cheveux, non pas à la Beatles mais
à la Small Faces, dans le vent de leurs
scooters chéris.
Hors sujet sportswear ? Non.
Pourquoi ? Parce la marque Fred Perry
(cf. interview suivante : “Chiné citta»),
voit sa marque devenir très vite florissante à l’orée des années 50. Devenant ainsi dix ans plus tard le blason
de cette jeunesse plutôt middle class
toujours très classe et dans le genre
bagarreuse -avec le logo aux lauriers
comme emblème, calqué sur le logo
originel du tournoi de Wimbledon.
Et danser toute la nuit au son de la soul
US notamment, c’est tout un sport et le
8-Mod’s
9-Tommie Smith & John Carlos
J.O Mexico 1968
polo Fred Perry n’a pas de concurrent
pour garder toute sa classe bien ajustée jusqu’au petit matin.
C’est là que ça se passe : le vêtement
de sport est extirpé par ces jeunes-là
du court de tennis à la ville.
Or, dans cette Italie fantasmée par
les premiers Mod’s, Ottavio Missoni,
lui-même ancien athlète (du 400 mètres), a commencé sa nouvelle vie en
équipant de survêtements à son nom
l’équipe italienne d’athlétisme dès les
J.O. de 1948. C’est à partir de ce starting-block que Missoni jette les bases
de sa maison couture… Nouvelle haie
de sautée, nouvelle étape de franchie :
du sport à la couture. Tour gagnant de
toute la piste textile assez exceptionnelle pour la famille Missoni.
Plus classiquement, du sport au
sportswear, comme Réné Lacoste
ou Fred Perry, par eux mais pas que
pour eux (au contraire du premier
streetwear), Sergio Tacchini également
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“BOURGEOISIE
COOL, QUI PRATIQUE SES SPORTS
DISTINGUÉS
COMME L’ON
BOIT LE THÉ’’
tennisman réputé dans son pays lance
sa marque à partir de 1966.
Comme ses prédécesseurs, Tacchini
et ses associés savent pertinemment
la valeur glamour ajoutée à un vêtement grâce un logo censé refléter un
style de vie un peu jet set, bourgeoisie
cool parce que sportive, qui pratique
ses sports distingués comme l’on boit
le thé dans un salon aux fauteuils club,
avec classe. Petit doigt bien levé.
Des sports distingués parce qu’ils distinguent ceux qui ont les moyens d’en
faire, de ceux qui ne le peuvent : le tennis, la voile, l’équitation et le polo, le
golf… On se répète oui, mais l’on ne
répétera jamais assez qu’il s’agit là de
la source principale du sportswear tel
que nous, nous l’entendons : l’adoption de marques qui ne s’y attendaient
pas (cf. Lacoste et Ralph Lauren) par
un public portant leurs vêtements en
dehors d’une pratique sportive, totalement citadine et en plus et surtout :
sans leur agrément. Scandale marketing. Certaines ont refoulé ce mouvement d’appropriation externe par peur
de l’abaissement de l’image de marque, d’autres ont un été un poil plus
subtiles. Gourmets oui, mais gourmands niveau chiffre d’affaires…
L’on oubliait le ski : rappelez vous pour
plus tard les photos de Jamel Shabazz,
back in the days of the 80’s, un des accessoires des jeunes B-Boys new-yorkais sont les lunettes de ski. Loin des
cimes, près du deal de dimes.
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CHEVEUX LONGS
En cette France des années 70, les années 20 sont de la préhistoire, ici aussi le
sport est tranquillement en train de devenir une industrie, peut-être pas comme
les autres, mais une industrie quand même. Et à mesure que la pratique sportive
se développe, il va falloir penser à équiper tous ces corps, ces bras et ces arrièretrains qui suent avec entrain.
Ça tombe bien, la grande distribution se met en place. On n’en est pas encore
aux Decathlon dans n’importe quel trou avec centre commercial, mais les Leclerc, Auchan etc. se sont déjà créés, petits épiciers devenus grandes chaînes
alimentaires. Comme la famille Guichard et son réseau Casino, dont la couleur
commerciale est le vert, couleur du club dont ils favorisent la création -l’AS St
Etienne- et dont le pater familias, Geoffroy Guichard, donne son nom au stade
bientôt très fameux.
L’on va y revenir.
Restons au niveau économique : pour assumer ce développement industriel tous
azimuts, il faut de la main d’œuvre. On a décolonisé avec plus ou moins de bonheur (la guerre d’Algérie s’est achevée dans la douleur en 1962) mais comme
l’on avait besoin des zouaves au front, il nous faut les mêmes Africains, mais
sur un autre nouveau front, celui de l’industrialisation, dont la construction des
agglomérations -80% de la population devient urbaine dans les années 60. Mais
là aussi, pas question de se mélanger.
Non, ce n’est pas une autre histoire. L’on va y… revenir, oui, oui.
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Pour l’instant De Gaulle est toujours là,
mais les jeunes ont la gaule, trop d’entraves pour leurs nouvelles jouissances, ça gonfle.
68 : bidonvilles de Nanterre à côté de la
faculté, mouvement du 22 mars, sous
les pavés la plage… Pas pour tout le
monde, surtout pas pour les étudiants
mexicains massacrés juste avant les
J.O. de Mexico. Ni pour les Africains
Américains ; gants noirs de Tommie
Smith et John Carlos, sur le podium :
sport et politique sous un autre angle,
on change de focale.
Dans la France post soixante-huitarde, c’est la libération des mœurs, les
femmes ont enfin la maîtrise de leurs
corps, les prolos ont été trahis et les
gauchistes de St Germain des Près
vont revenir sous le nom de 2è gauche,
libérale, dans les mœurs évidemment,
comme en économie.
Nouveau théorème : il n’ y a plus de
classes sociales, juste une énorme
classe moyenne divisée en petite,
moyenne et haute. Tous communiant
dans cette euphorie que les débuts du
chômage de masse n’ont pas encore
assombrie.
Individualisme et consommation : dis
moi ce que tu achètes, je te dirai qui
tu es.
Libéralisme et libération du corps.
Décennie des cheveux longs, comme
ceux de Björn Borg qui entame son
règne. Et décade de temps d’antenne
toujours plus longs pour le sport.
La télévision est désormais dans presque tous les foyers.
Les années 70 sont l’introduction à notre époque : deux industries montent à
l’unisson, médias et sport. Développement parallèle logique. J.O. et Coupes
du monde de football deviennent les
vaches à lait automatiques pour une
audience maximale.
Ceux qui gagnent deviennent les nouveaux dieux, du stade.
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KILLY ET PLATINI, ÇA RIME
10-“The Fresh Commandments”
Fresh Gordon
11-“Oh, My God!”
Doug E Fresh & The Get Fresh Crew
“The Book of Hip Hop Cover Art”
Andrew Emery
Ed. Mitchell Beazley
logique classique (appropriation des
signes de la bourgeoisie blanche) mais
l’on en a une autre en magasin : la fripe, pour plus de frime. La fripe, qu’on
n’appelait pas encore vintage pour
faire riche. Les pauvres, et les jeunes
pauvres en quête de marques qui parlent leur langage à eux, commencent à
accéder à ce genre de produits grâce à
ce réseau de deuxième main.
Au-delà, c’est un autre mouvement
global, plus vaste encore que l’appropriation d’une marque par un public
pas prévu, qui fait sens : l’hyper individualisation des icônes sportives qui
font frémir les foules, et leur fait acheter
en masse les produits qu’elles portent.
Le marketing du sport. Là où excellera
Nike.
11
Björn Borg, l’invincible Suédois (sauf à
l’US Open) dit aussi Iceman, est un de
ces tout nouveaux dieux qui donne à la
marque qui l’équipe pas meilleur support publicitaire. En l’occurrence Fila
avec Iceborg.
Fila, encore une marque italienne -on
oublie Ellesse et on oublie aussi que
Fila est désormais possédée par des
Sud-Coréens- n’explosera qu’à partir de ce moment-là pour se retrouver
au coeur du phénomène sportswear,
adoptée qu’elle a été ensuite par la
rue hip hop américaine : remember
Schoolly D, Steady B, Just-Ice aussi et
tant d’autres dans les années 80… Il
y aura même un Fila Fresh Crew pas
d’anthologie.
Sur cette adoration italienne loin du
pays d’origine et pas vraiment là où
l’on s’y attend, surtout pas les services
commerciaux, on a lu plusieurs explications. Toujours l’explication socio-
Jean-Claude Killy, énorme star en France après sa triple médaille d’or aux J.O. de
Grenoble (1968) en est un parfait exemple : glissant tout schuss sur sa légende
nationale, notre starlette d’Hollywood (il a tourné là-bas une série B et a connu
son heure de gloire aux E.-U. après y avoir été coureur automobile au point
d’avoir été le sujet d’un article du gonzo Hunter S. Thompson…) est devenu très
tôt l’ami de Mark McCormack, l’inventeur du marketing appliqué au sport, celui
qui a compris très tôt tous les bénéfices que les marques pouvaient tirer d’une
association avec un héros des temps post-modernes que sont les sportifs.
Notre Jean-Claude devient client de l’agence de son ami américain : I.M.G.,
bientôt fameuse dans le management de talents, se faisant une spécialité de la
gestion de l’image des vedettes sportives -et les droits qui vont avec, de plus
en plus nombreux à mesure que notre (post-) modernité contemporaine avance,
notamment les stars du tennis (de Pete Sampras aux soeurs Williams) ou du golf,
dont Tiger Woods aujourd’hui -oui, l’on n’a jamais parlé du golf, ni du rugby, dans
ce topo, on fait ce qu’on veut, il faut faire des choix.
“CO-BRANDING : ASSOCIATION
DE 2 MARQUES AVEC LE NOM D’UN
CHAMPION DEVENU L’ÉQUIVALENT
D’UNE MARQUE’’
Puis Killy s’associe avec la marque Veleda en 1976 pour lancer en 77 une marque de vêtements de sports de montagne. Pile poil juste avant l’envolée des
sports de montagne parmi les classes moyennes : cette démocratisation est
un des phénomènes historiques des années 80, justification sociologique de la
“classe moyennisation” de la société dans son ensemble. Veleda, ça ne dit pas
grand’chose à pas grand’ monde, mais Killy, si. Co-branding : association de 2
marques avec le nom d’un champion devenu l’équivalent d’une marque. Sillon
d’avenir. Quand ce sillon est glamour.
Qui c’est qui a dit Michalak et Kaporal 5 ? Mauvaise réponse… c’était Michael
Jordan et Nike.
Michel Platini, jeune star montante du football hexagonal dès ses premiers dribbles à Nancy, est également la figure de proue de l’équipe lorraine dans une
publicité pour la marque de jus de fruits Fruité, en 1976 / 77. Symptôme d’un
mouvement beaucoup plus large dans la décennie suivante.
La preuve : l’expansion du Coq Sportif, dont les courbes de vente suivent la
popularité de Yannick Noah (le tennisman, pas le chanteur aux pieds nus…), au
sommet après sa victoire à Roland Garros : 1983.
25 ans avant Zidane, la collaboration payée d’une idole des foules pour contribuer à l’image d’une marque est enclenchée, marketing plein pot qui va nous
amener à voir la bouille d’un n° 10 spécialisé dans le coup de tête et le coup de
boule en finales de coupes du Monde, dans tous les spots pub après les flashes
d’une chaîne tout info ciblée jeunes cadres actifs, de Danone à je sais même plus
quelle compagnie assurances, à moins que ce soit pour des lunettes, ou de l’eau
minérale… stop.
Revenons à son illustre prédécesseur, Platini : pendant que le futur gras patron de
l’UEFA commence à savoir tirer ses coup-francs dans la lucarne, l’AS St Etienne
des mineurs et de Manufrance enchante la France du milieu des années 70 mais
se fait planter par les Reds de Liverpool en 1977.
Début de la fin de la “légende des verts“, qui c’est les meilleurs, évidemment
c’est les Verts, tralali tralalère.
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LOOK FOOT
la Green Flash de Dunlop ou la Arthur
Ashe du Coq Sportif.
L’importation du hooliganisme à la
sauce Kop de Boulogne, plutôt looké
skins versant boneheads, est une autre
histoire (rencontre musclée des maîtres
anglais et de leurs élèves français lors
d’un match amical France / Angleterre
dans les travées du Parc des Princes
transformées en tranchées : 1984).
En cette fin des années 70, les clubs anglais de foot sont (déjà) une division au
dessus des clubs français.
Et là-bas, 10 ans après la fin de la génération Mod’s, soit à Liverpool soit à Manchester (version qui varient selon les spécialistes de la chose), des lads anglais
nouvelle génération, remettent au goût du jour l’esprit Mod’s. Pas tant au niveau
du look (les pattes d’éph’ aux chevilles de leurs jeans sont tout sauf Mod’s) qu’au
niveau de l’attention maniaque accordée à leurs fringues.
“SE BASTONNER AVEC LES MECS
ADVERSES OU COURIR AVEC LES FLICS
AU CUL, C’EST AUSSI DU SPORT ’’
13-Stan Smith 1971
14-Arthur Ashe 1970
“Mode Tennis”
15-Grandmaster Flash
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d’adrénaline virile -et l’on oublie des
marques plus spécialement connotées
hooligans : Long Island et les chemises
de cette marque en particulier.
12-Jeunes Casuals
Photo : David Corio
“Looks d’enfer”
Ted Polhemus
Ed. Alternatives
C’est une nouvelle génération anglaise, celle des Casuals, fans de foot plus ou
moins, et plutôt plus que moins, versés dans le hooliganisme.
Contrairement à Ted Polhemus qui, dans sa bible sur les cultures jeunes (“Looks
d’enfer“), explique cette vraie folie sportswear chez ces jeunes Casuals accompagnant leur équipe partout à l’extérieur, par l’importation des looks des autres
supporters européens, français ou italiens, l’on aurait tendance, nous, à y voir
une autre explication, endogène.
Les Scallies à Liverpool ou les justement nommés Perry Boys de Manchester
-Perry comme Fred Perry pour les mal comprenants- ont les premiers lancé leur
look sportswear non pas en se référant à l’étranger mais par eux-mêmes (et
cette explication hypothétique colle avec le chauvinisme de club propre à cette
culture).
Explication fonctionnelle : se bastonner avec les mecs adverses ou courir avec
les flics au cul, c’est aussi du sport. Comme la danse est un genre d’activité sportive, qu’on retrouvait déjà chez les Mod’s 2è génération, ce goût maniaque du
vêtement de sport trouvent là aussi une partie de son explication -en n’oubliant
pas que les Perry Boys de Manchester sont les enfants du style Northern Soul.
En tout cas, avec les Casuals, toutes les marques de sport validées par les mecs
au ras du bitume, toutes celles que l’on a connues ou connaît encore maintenant
-Fred Perry évidemment mais aussi Adidas, Umbro, Ellesse, Fila, Puma, Lacoste,
Kappa, Tacchini etc. etc.- toutes ces marques passées fétiches de cette culture
anglaise se déversent ensuite sur tout le continent. Avec Burberrys’ aussi forcément, qui va rassembler dans son sillage des légions d’amateurs, et amateurs
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A partir de 1978 / 79, c’est parti. L’on
en est pas encore, notamment pas au
regard du look, aux lascars français et
aux chav’ anglais des années 90 puisqu’ils ne sont pas encore, ou à peine,
nés.
Mais l’on y arrive.
Pour l’instant ce sont les hauts (sweaters toujours en coton jersey, du col en
V à la Mod’s mais aussi, de plus en plus,
du col rond) qui affichent leurs logos
sport tels des armoiries de combat ;
en bas, l’on porte encore des jeans,
de plus en plus droit avec l’arrivée des
marques Lois et Lee, et le revival (pas
le premier ni le dernier) Levi’s. Et aux
pieds : religion Adidas, avec la Stan
Smith plus que toute autre (même si le
modèle Samba a beaucoup plu aussi)
et quelques concurrentes outsiders :
14
SOUS LE MAINSTREAM
À Paris, pas porte de St Cloud mais
vers Châtelet ou ailleurs encore et surtout vers Stalingrad / La Chapelle, une
autre “culture jeunes” a pris pied.
H.I.P.H.O.P, Sidney à la télé et Dee
Nasty aux platines de La Chapelle,
gants blancs et Kway, folie B-Boys et
graffiti, tout cela est (un peu) mieux
connu –et si vous voulez du précis à
notre façon allez (re)lire notre dossier
Vintage Streets dans notre #2.
Pour ce qui est de notre sujet
d’aujourd’hui, le look sportif n’a envahi
nos rues qu’au cours dans les 80’s,
progressivement. Très progressivement.
Il en a fallu, du temps, pour que le look
hip hop US et avant tout new yorkais
arrive ici et même quand il est arrivé,
la silhouette hip hop français n’est pas
exactement une réplique fidèle de l’originale. Peut-être parce que le hip hop
est le pur produit de son contexte et
celui de La Chapelle n’est pas celui du
Bronx.
Et qu’un contexte est le produit de
données économiques, sociales, politiques, culturelles, médiatiques ; une
équation de paramètres dans lequel
infra- et super-structures sont des
données mouvantes. Qui, en plus, se
modifient à travers le temps. En 6 mois
tout peut changer. Un seul disque suffit. Comme un maxi 45 de Grandmaster Flash qui passe sur les ondes radio,
par exemple…
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Logiquement ces deux influences
sportswear, anglaises et américaines,
auraient dû converger pour vite acclimater cette douce France toujours en retard
d’un train d’avance.
Sauf qu’en ces années 80, que les jeunes
d’aujourd’hui ne peuvent pas imaginer
même dans leurs cauchemars, l’accès à
l’information était dans le genre réduit…
Pas de web (sic), pas (ou très, très peu)
de magazines spécialisés si ce n’étaient
les mag’ étrangers, des concerts bien
tous les 36 du mois (et encore, bonjour la
province), peu de clips sauf si l’on avait
la chance d’avoir MTV… En résumé : un
quasi désert de moyens pour savoir ce
qu’il se passait, là où ça se passait, à part
les premiers fanzines, les pochettes de
disques, les émissions de télé musicales, dont celle de de Caunes (pas Emma,
Antoine : monopole familial sur Canal…)
appelée Rapido, ou Rapline d’Olivier Cachin sur la jeune M6.
À moins de voyager, mais encore fallait-il
en avoir les moyens, de ces voyages qui
forment la jeunesse, et les cultures de la
jeunesse.
Comme un autre diction qui dit qu’à toute
chose, malheur est bon, les jeunes Français versés hip hop commencent alors
à se construitre leurs propres panoplies.
Le 501 et les Stan Smith en bas, en haut
l’écharpe Burberrys’ pour colmater les
brèches du col de sa doudoune Chevignon, qu’il valait mieux ranger tranquillement dans son placard sinon… salut les
embrouilles. Et la dépouille. Mélodies en
sous-sol (du métro).
16/17-Casual
Photo : Justin Alphonse
“Looks d’enfer”
18-Michael Jordan
À la fin des années 70 et au début des années 80, Paris
n’est (et ne sera jamais) New York. Les jeunes dont on parle
parce qu’ils surprennent et choquent et dont les disques
référents ont déjà été disques d’or en Angleterre, ce sont les
punks. Le seul mouvement culturel juvénile à connaître une
exposition médiatique -la queue de comète d’un contexte
qui peut à son tour en modifier la trajectoire- est le punk. Ou
les skins notamment. Pas les Casuals. Eux, on en parlera à
Paris qu’au début des années 90 quand les hools français
adopteront ce modèle.
Si le sportswear est aussi un langage de rue, on est en
France loin de comprendre ce qu’il pourrait bien exprimer.
Dans les premières années 80, le trou des Halles est un carrefour où se croisent rockers, punks, new waves, skins, et
chasseurs de skins (Ducky Boys, Redskins, Red Warriors ou
Ruddy Fox) qui, en dépouillant les boneheads, leur empruntent leur look. Années bombers et Dr Martens.
Nous sommes dans les années bataille (de rue), pas encore
les années battle.
“NE JAMAIS OUBLIER LES
RAISONS PRATIQUES D’UN
“VÊTEMENT CULTUREL” ’’
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Décalage temporel. Et culturel. Chacun son contexte.
Même dans le Bronx, l’uniforme sportswear n’existait pas
à la fin des années 70, l’on était très loin des shelltoes et
vestes Adidas à la Run DMC, au contraire : sous le show off
disco chemises cols pelle à tarte chaînes en or qui brillent,
dans les quartiers difficiles comme on allait dire en France
dans les années 80, dans les plus exactement ghettos du
Bronx, le style en vogue était celui des mauvais garçons
dérivé des Hell’s Angels tout en jeans Lee Cooper -la veste
aux manches coupées avec dans le dos le blason du gang
sur un pantalon denim pas façon pattes d’éph’.
Ce n’est qu’avec la 2è vague breakdance, quand les B-Boys
s’exportent downtown à l’orée des années 80, que le vêtement de sport a été adopté comme vêtement culturel : la
toupie avec un costard en velours et pantalons taille haute,
ça l’aurait fait moyen moyen…
Comme dit tout au long de cet article : ne jamais oublier les
raisons pratiques d’un “vêtement culturel”. Pareil cas avec
les petits frères des Casuals anglais une paire d’années plus
tard à Manchester et les premiers ravers : danser sous ecstasy toute la nuit en Dr Martens, non merci.
18
Contrairement alors à la vision romantique qui veut que les undergrounds, ou la
rue, finissent par dessiner un modèle général, main street, mainstream, il nous
apparaît maintenant évident que ce sont des évolutions beaucoup plus globales
qui ont aussi modelé le sportswear français des années 90. Aussi et peut-être :
surtout.
Mondialisation en marche, grande distribution, urbanisation, chômage, crise, télévision : le sportswear français, même à signification culturelle, est le produit
d’une société. Ni plus, ni moins.
Une société française qui perd de son particularisme, s’américanise et où les
codes ”American Look” imprègnent les fibres textiles. Devant le stress de la précarité en marche, il faut savoir se détendre. Les années 80 sont aussi les années
New Man ou Daniel Hechter. Struggle for life, le combat, c’est un sport. De tous
les jours. Le survêtement commence à se porter hors des terrains prévus à cet
effet : uniforme du quotidien uniforme.
Le sport est désormais cool, le corps est devenu un capital à sauvegarder. Au diable
le vieux fond intello français à la Sartre / de Beauvoir qui dénonce le spectacle des
stades comme un nouvel opium du peuple. Et du peuple des femmes. Parcourez le
best of Elle des années 80 : pas un créateur qui ne soit passé à côté.
L’INTÉGRATION
À LA FRANÇAISE
L’Équipe magazine est créé comme
par hasard exactement en 1980. Parce
que le sport comme style de vie pour
classes moyennes au moins le temps
du week-end passe pour une nouvelle règle, de nouvelles pages conso
s’offrent de plus en plus aux lecteurs
pour effeuiller les envies, et le porte
monnaie. Et surtout, englobant ce
tout très moderne, L’Équipe magazine
met en avant des sportifs comme de
nouveaux étalons, mais hors actualité
brute des bêtes à concours, laissée à
L’Équipe, le quotidien. Le magazine
amène une nouvelle façon de parler.
Centrée moins sur les performances
pures et dures, que d’un rapport général à une façon de vivre. Tout est challenge, comme celui de perdre les kilos
pas très sportifs.…
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“OVERGROUND, UNDERGOUND, LE
TOUT EST DANS LES PARTIES,
ET RÉCIPROQUEMENT’’
Le marketing sportif surfe sur la pensée unique, il a désormais pris le contrôle,
même des esprits réfractaires, personne n’y résiste. Confer l’hystérie de 1998, on
est tous des champions du monde…
Même Monsieur “défaite de la pensée” Finkielkraut signera une tribune sur le
génie de l’intégration à la française, le même qui déplorera 7 ans plus tard la couleur trop bronzée des joueurs français… mais c’est encore une autre histoire.
Le sport est devenu une attitude des jeunes des classes populaires -première,
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Nouveau formatage des esprits à cette nouvelle échelle de
la réussite : se sentir bien dans son corps qui bouge pour
montrer aux autres qu’on est dans le mouv’.
Au niveau du marché de masse, le sportswear gagne donc
sa place dans toutes les garde-robes, notamment celles des
quartiers populaires via la baisse des prix des produits offerts à la consommation, de plus en grande grande consommation.
Sport 2000, La Hutte Intersport sont au sommet avant de
chuter, et dans les placards, d’autres placards plus discrets
commencent à orner n’importe quel sweat-shirt de jeune, le
jeune pas encore dit djeun : le logo Nike devient la norme
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-Adidas ne comprenant toujours pas, restant sur son terrain du
sports pour le sport malgré l’opération Run DMC, à quel point le
marché est mûr pour tout rafler.
Le sweat et la veste de survêtement commencent à s’enfiler
comme s’ils avaient toujours existé. C’est vrai ça, à quoi ça sert
un bouton ? Ça fait perdre du temps. Mauvais chrono. Et les enfants des parents dont on parlait plus haut ont l’impression de se
retrouver mal partis dans la course sociale.
Le sport apparaît dans les années 90, avec la musique -d’autant
que le rap commence à devenir majeur en signant sur les majorsun de ces rares secteurs où les opportunités semblent ouvertes.
Surtout que le sport est particulièrement inscrit dans la modernité
hyper moderne : compétition, sélection, seuls les forts survivent.
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deuxième troisième génération !- un
look qui montre l’aspiration à l’intégration, la parfaite assimilation des codes
majoritaires. D’où l’appropriation à la
fois des marques de sport signalant
le bourgeois bien français. “Lacoste, a
love supreme”, adoration qui va culminer à la fin de ces années 90-là (on en
reparle dans notre article “Requins”.)
Mais la majorité ne veut pas le voir, elle
pour qui le sport reste juste un hobby,
non une échappée extraordinaire d’un
ordinaire en voie de ghettoïsation.
Overground, undergound, le tout est
dans les parties, et réciproquement.
Milieu des années 90 : des marques se
font comme l’écho des clips vus à la télé
qui déverse de plus en plus de rap américain et au-delà, ce qu’on désigne là-bas
comme “urban music”(New Jack, R’n’B
etc.). Les jeunes sont désormais ultra informés. C’est Northface, c’est Helly Hansen et tellement d’autres, qu’il suffit de
savoir d’outre-atlantique pour les adopter : c’est Nautica puis Columbia, avec
la fameuse capuche de la parka qu’on
peut profiler.
Tout un look bien français qui n’a rien
à voir avec les marques typiquement
connotées hip hop américain : ça, c’est
d’abord pour une minorité, malgré les
containers de Fubu (For Us By Us),
Karl Kani au début, puis du Phat Farm,
Ecko ou Sean John qu’on cherche à refourguer rue St Denis. Mais ça, c’est du
streetwear, et même pas du streetwear
français qui, lui non plus, n’est jamais
arrivé dans les périphéries en tant que
langage commun.
On a dit streetwear, pas sportswear.
Qui dit streetwear, dit communauté,
pas toute une société. Le sportswear
se joue à l’échelle du pays.
“À QUOI ÇA SERT
UN BOUTON ?’’
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19-Arsenik
Photo : Wilee
20-Publicité Lacoste
“The Best in Sportswear Design”
Joy Mc Kenzie
Ed. Batsford
Qui dit streetwear, dit nouvelle ère, dit
fin de notre histoire à nous.
Une histoire française du sportswear.
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1-Fred Perry 1947
«Mode Tennis»
Diane Elisabeth Poirier
Ed. Assouline
CHINER, C’EST DU SPORT. ET DU TEMPS. ET LE TEMPS, C’EST DE L’ARGENT.
ET EN PASSANT DU TEMPS À ESSAYER DE DÉNICHER LA VESTE, LE BLOUSON, LA CHEMISE OU LE POLO QUI VA BIEN ET SURTOUT MOINS CHER, ON MET DE LA FRAÎCHE AU
CHAUD.
LE VINTAGE COMME L’ON DIT MAINTENANT, LA FRIPE COMME L’ON DISAIT AVANT, A
D’ABORD ÉTÉ UN TRUC DE PAUVRES. AVANT QUE LES STYLÉS PLUS FRIQUÉS NE CHERCHENT À LEUR TOUR LA PIÈCE QUE PERSONNE D’AUTRE QU’EUX N’AURA.
ET POUR S’ENRICHIR À PAS CHER, IL FAUT BIEN CONNAÎTRE.
CONVERSATION AVEC UN DES ACTEURS DES PUCES DE CLIGNANCOURT : MONSIEUR
ROBERTO. PHILOSOPHE DU TEXTILE VINTAGE QUI NOUS A DÉFINITIVEMENT DÉPUCELÉS EN CETTE VASTE MATIÈRE, NOTAMMENT L’ANTIQUE SPORTSWEAR.
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sement jamais eu de pièces d’époques
antérieures). Un vert pas vraiment émeraude, émeraude clair on va dire, avec
écriture blanche à l’intérieur. Ensuite,
vers la moitié des années 60, on trouve
un petit logo extérieur à côté des lauriers, les lettres F.P., apposées, écrites
en bleu. On ne trouvait pas ce logo sur
tous les vêtements. Moi je l’ai vu surtout sur les petites jupes de tennis. Fred
Perry était celui qui se taillait la part du
lion dans tout ce qui était tennis -normal, puisqu’il était tennisman- et ça
marchait dans le monde entier. Lacoste
avait démarré beaucoup plus tôt mais
disons que Lacoste n’était pas aussi
international que Fred Perry, parce que
c’était une production française. On
trouvait certes du Lacoste très souvent
dans la jet set européenne mais Fred
Perrry, puisqu’il s’était associé en plus
avec des Australiens pour lancer sa ligne à la fin des années 40, englobait
tout ce qui était anglo-saxon. Il avait
une plus grosse sphère d’expansion,
plus d’impact dans la jet set mondiale.
Lacoste, c’était limité plus à l’Europe.
Comment fait-on pour dater à peu près des
pièces : les étiquettes, les coutures, les liserés, autre chose encore ?
Pour parler du polo, et en particulier d’une marque connue
pour ses liserés, Fred Perry, qui a démarré comme joueur de
tennis dans les années 30 et qui ensuite a lancé sa ligne de
vêtements avec un Australien, cette ligne de vêtements était
signée du liseré autour du cou et au niveau des bras. Et la
couronne de lauriers, évidemment, pour donner un logo à sa
marque. Un logo qui, au départ, était brodé.
Et en fait, ce qu’on prend pour le nouveau et
récent logo Fred Perry est tout simplement celui des origines…
Tout à fait, ils se basent sur des anciens modèles, comme
un peu tout le monde, ils l’ont à peine retouché. C’est juste
pour donner un côté fashion et un aspect nouveau par rapport aux productions d’avant. Tout le monde joue sur un
certain come-back actuellement, comme les lignes d’Adidas, entre autres. Sauf qu’elles n’ont pas la qualité qu’elles
avaient auparavant, quand il y avait toute une recherche,
soit dans la texture du vêtement, soit dans les logos. Parmi
les plus anciens logos Adidas par exemple, il y avait une
mappemonde et même s’il y a eu des répliques par la suite,
ils n’ont jamais trouvé preneurs parce que ça ne reflétait pas
l’association d’idées entre Adidas et leur logo fleur, ça n’a
pas eu d’impact. Après, la fleur a fait son chemin, notamment la grosse fleur floquée… De là, on peut dater : les années 60, les années 70 etc. tout ça grâce à la fleur. Je parle
même pas des étiquettes.
Ils ont fait (des vestes à) une ou deux poches aussi, légèrement sur le côté, des poches zippées ou carrément
plaquées. On a eu même, ce qui est beaucoup plus rare,
des vestes à pression en velours : ça, c’est les années 60.
C’était terrible, de très, très belles pièces. Par contre, avec
les étiquettes, en vérité, pour détecter le vintage, il faut avoir
des étiquettes toutes blanches, écrites en bleu et tout en
dessous, il y avait Ventex de marqué. Sinon encore il y a des
produits, mais pas d’aussi bonnes qualités que le Ventex,
qui ont été fabriqués aux Etats-Unis. En fait, c’étaient des
mélanges, moins appréciés que la fabrication européenne,
notamment et surtout la française.
Pour revenir sur Fred Perry, pour dater les anciens modèles,
on a au départ des étiquettes rectangulaires assez larges,
de couleur verte, ce sont les années 60 (je n’ai malheureu-
Pour rester toujours sur les
étiquettes Fred Perry, après
on a eu quoi ?
Des étiquettes vertes encore, mais un
peu plus foncé, et légèrement moins
larges. Ensuite, dans les années 70,
époque à laquelle, vu l’ampleur qu’il
avait gagné au niveau de la commercialisation de sa marque dans le monde entier, tout le monde s’est mis à le
copier… Parmi les premiers plagiés du
monde du sport, on trouve Fred Perry.
Mais dans les années 70, c’était encore assez bien fait et parfois, la seule
façon de pouvoir différencier un Fred
Perry d’une contrefaçon, c’étaient de
tout petits détails, comme les coutures, les fils qui pendouillent ou pas par
exemple, ce qu’une grande marque ne
peut se permettre et surtout : l’étiquette ! Parce que l’étiquette était brodée,
comme les Lacoste. Or à l’époque (les
contrefacteurs) n’avaient pas encore
mis ça au point : ils pouvaient copier
au niveau du patronage du vêtement
ainsi que les petits détails extérieurs
mais pas l’étiquette brodée.
C’est à cette époque là que Fred Perry
a commencé à avoir moins d’impact
parce qu’il y a eu vulgarisation de
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la marque, comme on dit. Les gens y ont eu plus facilement accès grâce aux
contrefaçons, c’était moins cher que le vrai. Et automatiquement, vulgarisation
veut dire frein à la progression qui était la sienne, au niveau des ventes et de la
commercialisation.
Donc dans les années 70 on trouve des étiquettes tout en bleu, mais il y en a
deux sortes : celles à fond bleu, assez large, où sont marqués Fred Perry en lettres dorées ou jaunes. Sinon, le vrai 70 c’est à dire 73 et plus, on trouve une étiquette rectangulaire, pas large, avec des bandes blanches en haut et en bas (tout
est écrit en “blond“, toujours) et à l’intérieur, le laurier brodé avec la taille à côté.
Avec ce laurier qu’ils ont remis au goût du jour…
Exactement, et le laurier n’est pas brodé dans la matière même, il était apposé,
comme le crocodile de Lacoste, il est surpiqué, en haut à gauche à côté du
cœur…
C’est dans les années 70 qu’ils ont commencé
à mélanger le coton avec des matières synthétiques ?
Disons qu’on peut avoir une idée de l’époque d’une pièce
grâce à ça, parce qu’à partir des années 70, c’était obligé
de marquer la composition des vêtements : dans n’importe
quel vêtement, quand on regarde à l’intérieur, on trouve la
petite étiquette qui décrit la composition. À l’époque, on
disait pas polyester, ça s’appelait du terylene (le tergal en
français, ndr) ou autre appellation qui revenait au même.
Mais à travers ces indications, tu peux commencer à dater,
début 70 au minimum. Tandis que pour tout ce qui est avant
70, il n’y avait pas d’obligation de marquer la composition.
Dans les années 60, vu l’effort qu’ils faisaient dans le tennis
ou autre, le vêtement juste en coton, au niveau des coutures, ça peut lâcher. Il n’avait pas cette souplesse donc
ils utilisaient ce genre de polyester pour donner comme un
effet de lycra et même sous la tension du muscle ou du
mouvement, le vêtement ne claquait pas. Dans les années
60, le mélange typique, c’est un peu de coton et beaucoup,
beaucoup de polyester.
Tout ça fait beaucoup d’indications et donc, on arrive à donner une datation approximative.
Passons des produits à la consommation des
produits : comment t’expliques que Lacoste
a beaucoup plus marché en France que Fred
Perry ?
Déjà, la fierté d’avoir un produit français, ensuite pour la valeur de Lacoste en tant que joueur, qui remonte à l’époque
des mousquetaires et des résultats qu’ils avaient eu, c’était
un honneur, et surtout, un plaisir un peu chauvin, d’avoir
un champion qui lance une ligne de vêtements. Sur le premier vêtement que Lacoste a donné à faire, et c’étaient des
vêtements à peu près anodins, il a demandé d’y mettre un
logo bien à lui. Il avait donné le soin à une femme dont je
ne me souviens plus le nom de trouver un logo (*). Ce fut ce
crocodile, et il voulait que ce soit le plus gros possible, pour
qu’on le voie.
Et d’ailleurs le croco n’était
pas forcément vert…
Donc les premiers croco sont énormes, comme on le voit sur les photos d’époque…
Aussi énorme que le coq qui était apposé dans les années
20 et 30 sur les maillots de rugby, on va dire d’au moins
10 cm de hauteur, toujours côté cœur. Et aujourd’hui on retrouve ce logo énorme dans la ligne de cette année, sans les
mêmes matériaux ni la même impression. Un come-back
comme on dit, tout en restant moins voyant et plus sobre
que les premiers.
Non, justement. La fabrication était en
France gérée par Devanlay. Pour tout
ce qui est “made in France“, on trouve
une petite étiquette à l’intérieur, à gauche ou à droite, une petite étiquette
en satin, tout en bas dans la face opposée à la composition, on trouve qui
a fabriqué le produit. Pour la France,
c’est Devanlay. Ensuite on a André
Gillier Team S.A., en sachant que Team
S.A. utilise beaucoup le polyester ce
qui est un handicap parce qu’au moment du repassage, on peut brûler le
vêtement. Et puis on a Basi S.A., pour
l’Espagne. Et Izod qui a eu la licence
de fabrication pour les Etats-Unis :
Izod en a surtout fabriqué dans les années 70, parce qu’après (en 93, ndr) on
leur a retiré la licence, la marque mère
n’étant pas satisfaite de la qualité. Ceci
dit, Izod avait sa propre marque dans
le sportwear et dès qu’on lui a enlevé la licence, Izod s’est mis à fabriquer d’une
meilleure façon mais c’était trop tard pour revenir en arrière.
La particularité d’Izod, c’est qu’ils voulaient se différencier de la marque française
en utilisant différents coloris pour le crocodile. Tout ce qui était européen, je parle
à partir des années 60 toujours, c’était du vert, même si les premiers crocos
gris sont apparus chez nous dans les années 70, mais ils n’ont jamais fait autre
chose, tandis que les Américains ont sorti des crocodiles bleus, rouges (et ils
utilisaient, pour la base de leurs vêtements, beaucoup d’acrylique à l’époque)…
Les Américains se sont aussi mis à faire beaucoup de modèles à rayures et pour
jouer des rappels entre les rayures et le croco, le croco en couleur était pratique.
Même si à la base, chez Izod, on trouvait beaucoup de crocos verts, même là,
on différencie très vite un Lacoste Izod d’un Lacoste européen, parce qu’Izod a
lancé un style, repris ensuite par Ralph Lauren, Tommy Hilfiger et j’en passe énormément : le devant du polo est plus court qu’à l’arrière, tout en ayant une fente
sur le côté. Ce qu’on retrouve dans ces Lacoste US, on va dire ceux des années
80, on retrouve toujours le même style : on peut avoir les rayures, le croco vert et
tout, mais l’arrière est toujours plus long que le devant.
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Les rayures, ce sont les années 80 ?
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Non, non, pas nécessairement, on en trouve déjà dans les années 60 (…) Et dans
ces années là, on trouve aussi déjà du bord-côte pour tout ce qui est polo parce
que les années 60 sont assez près du corps ou assez carré mais pour affiner
au niveau de la taille, pour éviter que ça bave, ils resserraient le bas en bordcôte pour que la silhouette soit plus sobre. Et dans ces années, on trouve sur
les Lacoste des étiquettes beaucoup plus larges, des rectangles avec “Chemise
Lacoste“ de marqué avec “modèle déposé“ et “made in France“. Ce qu’on ne
retrouvera pas par la suite à partir des années 70. Et le croco est toujours brodé
avec du fil de pêche pour qu’il soit invisible. Ce qu’on trouve maintenant, c’est du
fil différent, d’autres couleurs, du coup on peut présumer que ce sont, soit des
imitations, soit que le croco a été recousu dessus… À la limite on peut penser
que c’est une dénaturation du produit originel.
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Au niveau de la vente, quand est-ce que les gens ont commencé à ton avis à chiner du Lacoste 2è main ?
Disons qu’il y a eu une vulgarisation à partir du milieu des 70, sous l’effet d’une
mode, au niveau global. Les puces ici étaient un grand bric à brac, où l’on trouvait de tout, un truc magique quelque part, et il y a eu les premiers chineurs : à
l’époque c’était beaucoup d’importation américaine, des anciens stocks américains, de grands containers qui arrivaient directement de là-bas à Marseille surtout, avec l’Armée du Salut là-bas qui dispatchait un peu partout. En fait ici, on
trouvait de tout et à mon avis, et même si je n’en suis pas sûr du tout, c’est là que
sont apparus, je vais dater ça d’à partir 1975 environ, les premiers polos Lacoste
ou d’autres marques. Mais c’était pas une vente volumineuse : on ne recherchait
pas la marque, on retrouvait simplement quelques marques, comme Lacoste,
parmi les autres. On cherchait la qualité, et surtout : pas cher. À la base des puces, du chineur, ou du chiffonnier au départ, tout le monde s’y retrouvait parce
que le vêtement, on le vendait en l’état, la valeur était peut-être vénale mais tout
le monde s’y retrouvait par rapport à ses moyens : n’importe qui pouvait avoir
un vêtement d’une certaine qualité parce que qu’il ne faut pas oublier que pour
tout ce qui était produit dans les années 30, 40, 50, 60, la qualité était excellente
par rapport à ce qui se fait actuellement. Les vêtements étaient faits pour durer,
c’était une autre époque. On retrouvait les premiers Lacoste ou les premières
marques américaines, donc de qualité, tout en payant pas cher.
2-IZOD : Distributeur
americain de Lacoste
3-René Lacoste 1927
«Mode Tennis»
Diane Elisabeth Poirier
Ed. Assouline
Mais les gars vendaient du “mêlé“
comme on dit, pas que du Lacoste ou
du Ralph Lauren, du mêlé ou des balles, où il y avait de tout. Après, à un niveau plus pointu, les premiers chineurs
qui s’intéressaient à tout un historique
des marques, se sont surtout retrouvés
dans le jean, avec des chineurs professionnels qui essayaient de retrouver de
l’ancien. Au niveau “mouvement“, toujours dans les années 70, on retrouvait
encore les bousons noirs, les rockers
au Perfecto qui recherchaient le style
des années 50, donc le jean à liseré
apparent comme James Dean ou Marlon Brando. C’était des effets de mode
mais pas nécessairement basés sur la
marque.
Cette manie de la marque,
c’est peut-être plus apparu
avec les années 80, non ?
Au début des années 80, la vulgarisation a déjà commencé, avec un choix
beaucoup plus grand, avec la création
de nouvelles marques. On voit apparaître Tacchini, Superga, Puma, Ellesse,
Head, Wilson etc. Et Fila ! Surtout Fila,
avec Borg, le champion incontesté de la fin des années 70,
qui a fait exploser la marque, avec son petit logo B.G. à
côté du logo Fila. Parmi ses vestes préférées, on retrouve
la rouge, enfin, rouge en haut et beige avec de fines rayures rouges… toute une époque. Tout ce qui était Fila dans
les années 80 et même 90 était très prisé par les Japonais.
Aujourd’hui encore on trouve des acquéreurs à très bon
prix, surtout si ce sont de bonnes tailles. Regarde les prix
sur Internet : c’est du 200€ minimum, et dans les modèles
plus anciens, le peau de pêche par exemple, ça monte encore plus (…)
Toi tu as ouvert en 1996, en plein dans le début
de la folie populaire pour Lacoste, non ?
C’est avec un ami, Didier qui, lui, était déjà dans la partie
depuis une dizaine d’années, que j’ai fait mes 1ères tournées parce que je viens d’un métier complètement différent,
et quand j’avais du temps, j’allais avec lui voir. C’est grâce
à lui et à travers mes propres recherches dans des journaux, dans des livres, que j’ai pu évoluer… Mais c’est lui
qui m’a montré le chemin en me faisant d’abord reconnaître
les vrais des faux, au moins pour Lacoste. Comme je suis
un passionné du vêtement, sportswear ou autre, je recherche toujours comme on dit LA pièce : celle qui sort du lot.
J’aime pas acheter, au niveau des achats, ce qu’achètent
les autres, je cherche la rareté, ce qui est plus difficile. Parfois on trouve de super belles pièces, surtout des années 60
ou 70, comme des petites marques naissantes qui n’ont pas
eu les reins assez solides pour avoir une certaine continuité,
mais qui avaient quelque chose en plus. Ces marques-là par
la suite ont été, soit abandonnées par leurs créateurs, soit
rachetées ou absorbées. Les petits nouveaux qui avaient
quelque chose en plus étaient vite repérés par des marques
solides pour pouvoir prendre ce créateur et donner un essor
supplémentaire à leurs propres marques.
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Maintenant dans le monde de la mode, ou tu as les capitaux
et pas d’imagination, il faut donc savoir bien s’entourer, ce
que les locomotives ont su faire, surtout dans le sportswear.
Ou tu as de l’imagination (et pas le reste) et tu fais des petites
productions en attendant l’aide de quelqu’un. Les temps ont
changé aujourd’hui : on recherche l’efficacité des ventes…
Tout a déjà été créé, par les plus grands créateurs. Ceux-là,
on les trouve au début du 20è siècle, dans la recherche du
détail etc. et dans tout ce qui est sportswear, depuis les années 60, tout a déjà été fait, il n’y a donc plus qu’une sorte
de re-manipulation du produit, à la façon actuelle…
Ce que fait très bien Lemaire avec Lacoste,
avec les matières, les logos aussi, comme son
croco gris…
Tout à fait, même si le logo ne fait pas une ligne de vêtement.
Le logo est l’emblème de reconnaissance du vêtement…
Et de prix aussi…
Tu as des exemples en tête ?
Surtout dans les années 70, en restant sur tout ce qui est
sportswear, on trouve très souvent, surtout dans le monde
du ski mais on pourrait parler de MacGregor aussi, des marques allemandes, autrichiennes et suisses. Souvent très,
très bon… Trévois par exemple qui ont fait de très belles
pièces. Et ce qui est malheureux, c’est que Trévois, qui est
une marque très ancienne aussi, a été laissée en cours de
route alors qu’elle était de très bonne qualité et surtout, très
innovatrice, n’ayant rien à envier à des Adidas, Puma, Fila
etc. Avec la petite couronne qui était brodée… Il y en a eu
tellement mais au lieu de se développer, ces marques sont
restées des productions locales, elles ne cherchaient pas à
sortir de leur territoire, par exemple en Autriche (avec Hummel). Peut-être parce que ça reflétait le style local, peut-être
pour garder leur propre petit marché et éviter de se casser
les dents sur un marché international(…)
Il y a 2 sortes de personnes : celle qui sont nées pour commander, et celles nées pour exécuter. L’imagination, ça
ne s’acquiert pas, tu as un don ou tu l’as pas. Tout esprit
créateur, celui qui innove, de Jean Patou à Christian Dior ou
Courrèges ou Balenciaga -qui était le maître, c’est lui qui a
donné du boulot à Courrèges - tous ceux qui ont marqué la
mode sont ceux qui ont su innover, que ce soit au niveau du
produit, du matériau ou de la ligne. En fin de compte : ceux
qui ont su oser. Comme disent les S.A.S anglais, “dare is
win“, oser c’est gagner. Il faut avoir la foi, au moins essayer.
Le prix dans les grandes marques n’a jamais été à la baisse,
il ne fait même qu’augmenter. Personnellement, je pense
qu’il ne peut pas baisser : s’ils le font, c’est la fin de la marque. Comme dans la mode, regarde Pierre Cardin : dans les
années 60 et 70, il a fait des merveilles, c’était un maître
incontesté mais par la suite… Ou Balmain, dans les années
80, ou Courrèges à la fin des années 70, début 80… ils ont
travaillé avec des compagnies pour accroître la commercialisation, les compagnies d’aviation par exemple, même
Hermès ! À la fin des années 80, début 90, chez Hermès, ils
ont fait des pièces qui étaient des tenues de travail mais en
faisant ça, automatiquement, tu dénigres ton nom, même si
tu gardes une certaine qualité, ce n’est plus de la couture, tu
perds de la crédibilité, tu retrouves les marques dans les cadeaux d’entreprise, des stylos Pierre Cardin, Balmain etc.
C’est tout le businesss des licences…
Voilà. Dès qu’il y a des marques qui se sentaient en perte
de vitesse, pour faire rentrer toujours de l’argent, on commençait à faire des tenues de travail. On y mettait un certain style, en essayant de donner une idée de prestige, en
associant un peu du prestige du logo du créateur à une ligne de vêtements. Peut-être que ça donnait du prestige aux
entreprises qui utilisaient ces lignes, mais pas au créateur
lui-même.
Et donc quand tu as ouvert, tu as senti cette
folie Lacoste ?
Lacoste, moi je l’ai fait beaucoup plus tard, mais j’ai pu voir
l’évolution justement à travers Didier, mon pote : il y avait
tous les gamins des cités qui se ruaient sur les Lacoste. Et
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à porter. Mais le problème était qu’ils boulochaient : quand
ça bouloche sur de la laine, on peut enlever les bouloches,
mais sur du coton, c’est beaucoup plus dur d’où la bouderie sur ce genre de produit ; automatiquement la bouloche
signifie usagé et vieux.
Pour revenir à Fred Perry, t’as encore cette population de skins, ou de rockers, ou de mod’s,
très vivaces dans les années 80 ?
c’était pas cher : le 1er prix dans les Lacoste, c’était 50 Frs
quand il y avait des petits défauts, sinon, c’était 100 Frs…
et les gamins descendaient ici acheter par 20, par 50, ils en
revendaient à d’autres, ils faisaient leurs petits bénéf’ en les
revendant à d’autres, en les relavant et en les repassant.
Beaucoup plus tard, la marque Lacoste a mis le holà, avec
un nouveau directeur qui a arrêté tout ça, en passant à la
télé pour dire qu’il en avait marre que la racaille porte du Lacoste. Cette clientèle des cités s’est trouvée prise à parti, en
y trouvant un côté raciste. Ils ont alors arrêté net avec cette
marque, en se rabattant, un peu, sur du Ralph Lauren…
Qui a connu le même phénomène aux EtatsUnis…
Oui, et sûrement après quelques temps, la racaille chez
nous a eu vent du même problème avec Ralph Lauren et ils
se sont aussi mis à la bouder et ils se sont mis à d’autres
marques, comme Marlboro classics pour ce qui est du
streetwear ou jeanswear. Mais la ligne de vêtements Lacoste a évolué depuis et les gens y reviennent régulièrement,
parce qu’on arrive notamment encore à trouver du Lacoste
d’assez bonne qualité, comme Ralph Lauren. Parce que
Lacoste, au niveau qualitatif, ils ont prouvé avec le temps
qu’ils savaient fabriquer des vêtements d’excellente facture
-même des coloris assez vifs, même au bout de 30 ans, ne
bougent pas trop si c’est bien lavé, chose qu’on ne peut pas
dire de tout vêtement…
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Pour continuer sur Ralph Lauren, t’as vu
qu’eux aussi ont ressorti les gros logos du jockey…
Ouais, on retrouve aussi les battes de golf croisées avec les
lettres en gothique, et ceux-là, on les retrouve à la fin des
années 70, début 80 comme logo de base dans les hauts
de rugby, c’est une production qu’il m’est arrivé de trouver.
Chez Ralph Lauren, il y a plusieurs logos : il y a du “chaps“
(équitation, ndr), une ligne golf, une ligne différente de ce
qui est habituellement commercialisé parce qu’il n’y a pas
nécessairement le cavalier, à la qualité légèrement supérieure : cette ligne-là est plus pour les personnes d’un certain
âge, pas dans le besoin de s’afficher en affichant la marque,
parce que aisées. Dans les lignes actuelles, l’avant-dernier
modèle, c’était le poney avec le joueur de polo d’une très
grande facture, avec un n° sur le côté. Dans les chemises,
on retrouvait le même poney, en grand avec un n° sur le
bras et à l’arrière, un peu pour faire croire à de l’innovation.
Mais ce qui est beaucoup plus recherché c’est, un peu comme pour Lacoste, le maille piqué en nid d’abeille, parce que
là au moins, par rapport aux matériaux qui étaient utilisés
dans les années 80, c’était tressé très fin, c’est très agréable
Justement, on retrouve deux sortes d’acheteurs de Fred
Perry, facilement reconnaissables par leurs looks, notamment les coupes de cheveux : les hooligans qu’on retrouve
toujours, les skinheads qu’ils soient français, anglais ou
hollandais etc. Et une clientèle typiquement parisienne, du
Marais, hommes ou femmes et ça, on ne peut que le reconnaître : la population homosexuelle regroupe des gens
prescripteurs, ils ont un feeling en plus. Parlons des pulls :
quand il y a eu la tendance du pull en V, en petit V, c’étaient
eux qui l’avaient lancée. Quand il y a eu celle de la marinière, pareil. Ils cherchent toujours la nouveauté ; le col rond
aussi et parmi les 1ers à porter Fred Perry, c’étaient eux.
Regarde Jimmy Somerville dans les années 80. La communauté homo a suivi, et quand ça s’est estompé chez eux,
ce sont les hétéros qui ont repompé cette vague, devenue
une mode par la suite. En fait, c’est une sorte de schéma
fashion, les homos créent une tendance chez eux et une fois
que eux, ils en ont marre, ça se diffuse… Dans le sportswear
en général, ils cherchent toujours des marques qui les différencient des autres.
Et toi qui es italien, raconte-nous un peu l’ambiance de l’Italie…
Le style italien est spécial, c’est un monde à part, toutes
couches sociales confondues. Fred Perry là-bas est porté
par des personnes d’un certain âge, les personnes aisées
de 50 ans et plus, des gens qui aiment le blanc, rien de chargé, avec une certaine classe, qui aiment bien porter la marque, ou la qualité en général, mais surtout pas ce qui flashe,
pas comme chez les jeunes. Eux, c’est autre chose… Même
si actuellement il y a un retour du polo Fred Perry chez les
jeunes aussi, qui cherchent de l’ancien Fred Perry alors que
ça coûte hyper cher là-bas : sur le marché de Rome, les
puces de là-bas, ils sont vendus 110, 120€, et c’est de la
fripe… En revanche, dans le sportswear italien qu’on retrouve souvent et qui trouve toujours preneur, on retrouve Le
Coq Sportif des années 70, les Superga, une petite marque
née dans les années 70 et qui est un vêtement de sport de
l’armée italienne à la base… Et des toutes petites marques
qui étaient faites juste pour les marchés. Du cheap pas cher,
qui reprenaient les formes connues, par exemple, celle de
la Clarks “Wallabee“ qui a connu l’essor que l’on sait il y a 7,
8 ans. La forme Clarks elle même, ça ne coûtait rien en Italie
mais on appelait ça des Clarks sauf qu’avec l’effet fashion,
on les a faites payer plus cher. Même chose pour les baskets, il y avait du sans marque surtout, des baskets toutes
bêtes mais avec des finitions excellentes par contre, qu’on
retrouve maintenant un peu partout, dans les grandes surfaces aussi. Sauf qu’on ne parle plus de la même période,
on trouve encore des choses à 10€ mais c’est pas la même
qualité… J’ai pas les moyens mais je suis fashion…
(*) : à moins que ce ne soit le dénommé Robert George, ndr.
Adresse :
60, rue Jules Vallès
93 400 St Ouen
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LE SURVÊTEMENT LACOSTE ET LA PAIRE DE “REQUINS“ AUX PIEDS AVEC, POURQUOI
PAS, UNE JAMBE DU SURVÊT DANS LA CHAUSSETTE… VOILÀ L’IMAGE PURE ET PARFAITE QUE L’ON S’EST FAITE DU JEUNE DANGEREUX DE BANLIEUE, OU DU JEUNE DE
BANLIEUE DANGEREUSE, VERS LA FIN DES ANNÉES 90.
CETTE PAIRE DE CHAUSSURES DE SPORT EST L’UNE DES RARES À AVOIR AUTANT MARQUÉ UN TERRITOIRE.
DÉFINI UNE CULTURE.
ÉCLABOUSSÉ TOUT UN IMAGINAIRE SOCIAL.
EN BIEN.
ET EN MAL. BEAUCOUP.
Beaucoup. Et notamment, et surtout, chez les amateurs et collectionneurs de baskets considérées comme “nobles“, les
sneakerheads souvent horrifiés à l’idée ne serait-ce que de l’éventualité de se retrouver mis dans le même sac que les
amateurs de “requins“. “Requins“ ou “Tn“, du nom de la technologie Air Tuned que Nike avait conçue à l’occasion de ce
modèle.
Cette coupure dans le monde mystérieux de la sneaker n’est pas seulement du snobisme. Certes, il existe. Tarte à la crème
un peu molle du chou (à la crème) : tout est question de points de vue, les goûts et les couleurs etc… Mouais. Quand un
de nos collectionneurs de “requins“ que l’on a interviewés avance que ce modèle est avant tout une “chaussure mode“,
d’autres y verront juste une verrue bas de gamme, pas too much, juste trop moche… Mouais, mouais.
Il y a autre chose qui couve là-dessous, sous les braises de la distinction par un seul objet de consommation. Car vouloir
se distinguer, pourquoi pas, mais se distinguer de qui, et de quoi ? Surtout au sein d’une communauté sneakers qui d’après
le proverbe qui n’existe pas, serait intrinsèquement hip hop (on oublie le reste skate), avec ses valeurs communes.
Sous le prétexte esthétique, perce une question sociologique.
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‘‘L’APPELLATION
«REKINS» EXISTE’’
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MODÈLES SERIE 1
1-Ceramic Blue
2-Éclair
3-Lazer Blue
4-Marine Silver
5-Olympique Marine
6-Water Blue
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ORTHOGRAPHE
Mais d’abord, la question étymologique.
Cette appellation “requins“ est d’origine incontrôlée : très vite « au départ,
dans la rue, cette appellation a été retenue compte tenu de la forme des vagues présentes sur la paire, qui rappelle
les ailerons de l’animal » dixit Romain
qui continue, réaliste : « Les appellations «Tn» et «requins» sont bien trop
souvent utilisées par leurs détracteurs
pour qui «Tn = racaille». Ces appellations sont devenues péjoratives au fil
du temps. Moi, je les appelle le plus
souvent les Air Max Plus (AMP). »
Exactement parlant, ce sont des Air
Max Plus 1 et l’on peut comme Manu
préciser la précision : « en général je dis
mes «Plus 1» ou à la rigueur, si on sait
que je parle des «Plus 1», je dis «Tn»,
car en fait j’ai aussi quelques «Plus 3»
et «Plus 7»… C’est donc plus simple
de les différencier par le chiffre que par
A
un nom. »
Sauf qu’entre amoureux du modèle,
même un chiffre peut être cause de
schisme :
« les Air Max Plus 2 et Plus 3 ne sont
pas des «requins», le nom «requins» est
propre à la gamme Air Max Plus 1. Les
autres AMP sont des paires qui font
suite à l’Air Max Plus 1, des épouvantails commerciaux. Par exemple pour la
Air Max Plus 2, à l’époque, j’entendais
souvent le nom de «dauphins» pour les
qualifier », nous rappelle Romain.
Précision qui se perd de l’autre côté de
la frontière, selon notre correspondant
belge, Jibé : « je les appelle «Tn» par
habitude car je suis originaire de Belgique et là-bas tout le monde les appelle
«Tn», contrairement à la France où elles ont pris le surnom de «rekin». »
Mais, mais, mais… doit-on écrire requins ou rekins ? « L’appellation «rekins» existe -nous confirme Romainmais pour moi, elle vient purement du
web car il y a eu un site internet, qui
n’existe plus mais qui a été le précurseur des sites web sur les AMP et qui
s’appelait «rekins.com». C’est aussi un
terme utilisé par les newbies et autres
nerds qui ont raté le train dans ce monde de… requins.
En plus, cette appellations web, ou plutôt l’orthographe, vient des fétichistes
de la AMP qui ont commencé à utiliser
le web pour leurs plans foireux (gay,
roulage dans la boue avec leur pompes
neuves ...) D’ailleurs le boss de «rekins.
com», en était un... »
Ce fut évidemment notre plus grande
surprise dès que l’on a commencé à
s’intéresser au sujet : il existe un monde très particulier de jeunes exhibitionnistes n’ayant pas peur de montrer
leur appareil intime avec une paire de
requins quelque part sur leurs photos,
diffusées sur le web.
A priori, mais nous n’avons pas poussé
l’investigation jusqu’au bout (sic), des
soirées d’un genre très particulier de
fétichistes existent… Resterait à savoir ce qu’il s’y montre en premier, son
sguègue ou sa «Tn». Ou les deux, mystère…
Alors, quand on demande à ces collectionneurs de AMP1 ce qu’ils «kiffent» le
7
7-Anglaise
8-Chambray
9-Lunar Blue
10-Met Silver
11-Canvas
12-Swooth Bleu Ciel
‘‘ON NE PEUT PAS
DIRE QUE L’AMP
ÉTONNE PAR
SON CONFORT ’’
plus chez elles : l’esthétique, le confort,
la forme… rebelote, on s’entend répondre par Romain : « Je n’emploierai
pas le terme «kiffer». C’est un mot bien
spécifique dans le jargon de la AMP et
qui fait référence aux fétichistes. Catégorie dans laquelle je n’entre pas.
Idem de la part de Manu : « Je n’emploierai pas le terme kiffer mais apprécier… Pour moi le “kif“ n’est pas
un langage de collectionneur. Donc
j’apprécie l’esthétisme, les bulles, la
forme, les coloris surtout, qui sont très
originaux pour l’époque ; la façon dont
on les lace sans pour autant faire les
lacets etc… Par contre le confort est
assez précaire malgré toutes les bulles… »
Idem pour Kevin : « on ne peut pas
dire que l’AMP étonne par son confort,
c’est plus son esthétisme et les tons
de couleurs qui m’on attiré. »
Et pourtant… La “Tn“ a été vendue
comme une révolution du confort pour
pieds sportifs. Or la réalité conso ne re-
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9
11
lève pas vraiment et vraiment pas d’une
raison sportive : « la «Plus 1» est pour
moi, tout sauf une chaussure de sport:
faire un foot avec un paire de «Plus
1» c’est comme faire un golf en talon
aiguille, on est sûr de repartir avec une
entorse et le confort «sportif» est vraiment très limité. Quand je fais du sport
je prends une paire de Dunks ! », c’est
Manu qui le dit.
Bien obligé pourtant de communiquer sur cet aspect technique, Nike
a chaussé toute l’équipe des athlètes
américains pour les J.O. de 2000, mais
seulement pour la cérémonie d‘ouverture, pas les épreuves, comme quoi
eux-mêmes devaient savoir cette grosse différence… Parade marketing.
« Faut être franc », on est là pour ça
Jibé : « je dois reconnaître qu’elles sont
extrêmement fragiles, la robustesse ne
fait malheureusement pas partie de ses
qualités. » Clair résumé par Romain :
« Son poids, les matériaux utilisés ne
sont pas vraiment adéquats à la pratique sportive. »
On touche là le nerf de la guerre
sportswear : adoption d’un produit
pour l’amener sur des terrains de jeux
originellement pas prévus à cet effet.
Succès sur le macadam. Pas sur la
cendre d’une piste de course.
La valeur du produit ne réside pas dans
la fonctionnalité, ni seulement dans
son prix mais dans sa valeur ajoutée :
l’imaginaire qu’il véhicule. Tout est dit
par Jibé : « Je suis tombé amoureux de
ce modèle sans les avoir testées donc à
la base ce n’était pas pour le confort ».
Mais pour bien autre chose.
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pas l’entendre parler français. Souvenez-vous, c’est la prolifération Secteur
Ä, l’explosion Fonky Family, les puristes que ça fait enrager, le marketing du
rap qui fait mousser la rivalité Paris vs
Marseille, les “conscientisés“ qui supportent La Rumeur : division des clans
en sous clans.
GRAMMAIRE
Maintenant,rappelons nous la citation
initiale du même Jibé quant à l’appelation «Tn» en général dans le plat pays
belge pour toute AMP sans particulier.
La «Tn» a explosé en France et dans
l’espace francophone, en Belgique, en
Suisse, (et un peu en Angleterre aussi)
là où se trouve le marché du rap en
français. A contrario, aux Etats-Unis,
le pays érigé en paradis de la sneaker
acclimatée à l’enfer urbain, la AMP1 a,
d’après nos informations, été surtout
considérée comme une chaussure de
sport pour filles ou en tout cas, une
chaussure de running pure et dure,
rien d’autre. Rien à voir donc avec l’Air
Force 1, un des symboles de la communauté hip hop US.
Alors qu’ici, telle la Air Max des années
avant, la Air Max Plus 1 va connaître
un sort typiquement français (ou francophone), un accessoire citadin ou
suburbain, bien plus qu’un article de
sport.
La raison ? : l’adoption du modèle
par les représentants de cette France
qu’on allait encenser le temps d’un été
(la victoire de la Coupe du monde de
football) et à laquelle, à tort ou à raison, on identifie les représentants du
rap, du rap français.
Tout commence donc en 1998, année
de sortie de la AMP1, coïncidence rétrospectivement signifiante.
Romain se souvient pour nous : « lors
de leur sortie, nous sommes dans
l’âge d’or du rap français : NTM, IAM
et Arsenik (pour ne citer qu’eux) sont
propulsés sur le devant de la scène
médiatique et c’est ce qui va influencer énormément d’acheteurs, dont
les gars des cités, dans leur façon de
s’habiller. C’est le départ de la mode
survêtement Lacoste et «Tn» et de toutes autres choses chères et luxueuses
qui va permettre de se démarquer. Et
1-Manu
13
L
‘‘ LA FAMEUSE ÉQUIVALENCE :
“REQUIN“ = RACAILLE
A L’AILERON DUR. ’’
« C’est totalement débile, continue de s’insurger Jibé. Quand j’explique aux gens
pourquoi j’aime tant cette paire, quand je leur explique son histoire, les gens
laissent vite ce préjugé loin derrière eux. » Et comme Manu, l’on pourrait aussi
remarquer qu’« aujourd’hui les racailles portent des Asics et des Converse, estce qu’on dit pour autant que c’est des shoes de racailles ? »
Non, mais tout est image.
Avec un premier plan et un arrière fond.
Seconde hypothèse pas forcément imaginaire, celle de l’inconscient collectif :
puisque le requin est assimilé à un prédateur marin dangereux, le surnom donné
à ce modèle fait résonner en nous une corde très sensible, les menaces qui sourdent dans la ville, les dangers cachés sous la surface.
Le terme “requin“ porte en lui ce son de cloche d’avertissement, l’arrivée de ces
jeunes garçons à l’affût de leurs proies, petits poissons pris dans les mailles du
filet d’une bande de «prédateurs».
Un seul mot suffit et la connotation est verrouillée.
14
donc, de faire passer le message «moi j’ai réussi» auprès des autres.
Des groupes de rap, mais aussi des artistes comiques comme Jamel Debbouze
ou Eric et Ramzy qui émergent, et des sportifs tels que Thuram, Blanc, Ronaldo
voire même Ribery (mais lui, ce ne sera que beaucoup plus tard, en 2005) qui se
feront, inconsciemment, porte-parole de cette paire en les portant en public. »
C’est cette image, qui explique ce qu’une paire de «requins» a pu « représenter
dans la vie courante au début des années 2000 chez les jeunes. Posséder un
beau coloris, que personne n’avait, a fait tourner les têtes… surtout sur Internet,
quand la paire est devenue obsolète dans la rue. »
1998 : généralisation du web dans les facs et les premiers cybercafés sans oublier
quelques foyers favorisés, apogée (début de la fin ?) du rap français, accès au
rap US totalement démocratisé.
pulaire rappelée par Manu. Mais l’on
n’est pas obligé de la respecter.
La fameuse équivalence : “requin“ =
racaille a l’aileron dur.
Et un chewing-gum c’est casse-pieds,
et c’est compliqué d’expliquer le pourquoi du comment à un observateur qui
a branché son radar de protection urbaine sur fréquence parano. Un petit
coup d’œil, de la tête aux pieds, c’est
limité. Malheureusement (ou pas) le
look est un méta-langage. Un impact
visuel direct.
Hypothèse : c’est vers cette année-là que le public hip hop se divise vraiment
en plusieurs clans : rap français, rap mainstream R’n’b, rap indé, tout ça tout ça.
Même grammaire pour tous sauf qu’on ne parle plus de la même chose. Notamment, et surtout, quant au rap français.
Il y a ceux qui en écoutent, et ceux qui tout en écoutant du rap US ne veulent
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P
Surtout qu’à ce moment-là le terme
«racaille» est passé dans le langage
juvénile commun (bien avant le commun politique, plus tard…), notamment
après pas mal de heurts plus ou moins
virils entre techno fans et cailleras «forcément» rap… Et pour repérer une racaille, un look seul suffit, c’est l’association survêt / «requins».
Stigmate et stigmatisation.
Clichés aussi durs à décoller qu’un
chewing-gum crevé sous la semelle :
« Moi, je vis en banlieue et j’écoute de
tout sauf du rap, et pourtant je porte
des «Tn» donc l’habit ne fait pas le
moine… non ?», c’est la sagesse po-
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15
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MODÈLES SERIE 2
13-Abysse
14-Zebra Carreaux
15-Arsenik
16-Carolina Women
17-Petrole
18-Olympique Turquoise
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2
ÉPISTÉMOLOGIE
Verrouillée et sous écrou, malgré tout, et
malgré le prix d’un AMP1 en particulier.
Car 1998 est aussi l’entrée d’une tranche d’âge dans la possibilité de l’argent
de poche dans le porte monnaie, pour
les plus jeunes. Le temps de l’adolescence ou de la post adolescence plus
ou moins prolongée pour une génération qui, comme les précédentes,
adore se repérer entre pairs, pour savoir à quelle «tribu», comme on disait,
à quelle groupe l’on appartient.
Sauf qu’ici, les signes extérieurs de
richesse ne suffisent plus. Même (et
surtout) avec cette génération-là, qui
a particulièrement basculé plus largement encore que ses ainées du côté
boulimie des éléments consommables
d’une culture, appropriation en espèces sonnantes et de plus en plus trébuchantes de produits distinctifs. Avec la
“Tn“, il est désormais clair, que la seule
dépense hors de prix ne suffit plus pour
faire communauté commune.
Parce que le prix d’une AMP1 est élevé, « allant de 899 frs jusqu’à 1199 frs,
voire plus encore dans certains magasins d’importation ou au marché de
Clignancourt où, par exemple, le modèle Olympique Femme était vendus
1500 frs… », d’après Romain qui s’en
rappelle exactement.
Confirmé par Jibé : « à l’époque, les
“requins», c’était tout un phénomène.
D’abord c’était une des rares baskets à
coûter plus de 1000 francs, et puis elle
2-Romain
‘‘ D’ABORD C’ÉTAIT
UNE DES RARES BASKETS
À COÛTER PLUS DE 1000 FRANCS ’’
n’était distribuée que dans les magasins de la chaîne Foot Locker ce qui en faisait
réellement une exclusivité. J’ai connu des gens qui pouvaient se taper plusieurs
centaines de bornes pour se procurer une paire d’AMP1. »
On peut ainsi ne pas oublier que cette enseigne aux rayures noires et blanches
a gonflé son chiffre d’affaires grâce à ce modèle et l’on peut quasi supputer que
la multiplication des boutiques Foot Locker s’explique un peu (beaucoup ?) par
ce gonflement de l’engouement «Tn» : « moi, avoue Romain, j’ai connu les “Tn“
en 1999, lorsque je suis arrivé sur Nancy. Malheureusement, compte tenu de
leur prix, ce n’est qu’en 2002 que j’ai pu acheter ma première paire. À Nancy à
l’époque, on n’avait pas de Foot Locker, j’étais monté exprès à Paris au F.L. des
Halles pour les acheter, c’était un événement personnel dans mon “amour“ des
baskets (car je ne me limite pas aux AMP !)… »
Malgré donc les prix haut de gamme d’une paire de “requins“, le seul prix n’a pas
suffi à rassembler tout le monde autour de la même table.
‘‘ BOOBA L’A ÉTÉ : POP.
LA TN, NON,
JUSTE POPULAIRE. ’’
Bien sûr, comme le rappelle Manu avec bon sens, « mettre
160€ dans une paire qui va pas tenir 1 mois si on fait du
sport, ça rebute… » sauf que l’on vient de voir que la AMP1
remplissait bien autre chose qu’une fonction sportive, une
fonction de marqueur culturel et de statut social.
Mais une sociabilité pas partagée par l’ensemble de ceux
baignant a priori dans les mêmes eaux. Curiosité symptomatique à l’heure également où il est devenu réglementaire
que le caractère hors de prix justifie souvent seul un engouement général, au moins virtuellement, à cette heure
précise où le web gagnait sa place dans de plus en plus
de foyers. Et où naissait une génération web bientôt web
2.0, des blogs conso et forums de toxicos du produit qui se
mettent alors à pulluler. Où des communautés (ou des clans)
se séparent même si, de loin, elles se partagent certains
référents.
Quand quelqu’un ou quelque chose arrive à croiser tous ces
référents, il ou elle devient pop, plus que populaire : Booba
l’a été : pop. La «Tn», non, juste populaire.
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‘‘ PAYER 160 EUROS
POUR UNE PAIRE
QUI DURE 3 SEMAINES,
C’EST PAS TOP. ’’
Et contrairement à d’autres passions de collectionneurs se
démocratisant parallèlement à leur micro marché devenant
important et attirant du coup de nouveaux adeptes, la collectionite AMP1 a chanté son chant du cygne quand elle a
atteint des sommets de prix.
Qui ont effectivement explosé : « 2003 a été l’année phare
pour se faire de l’argent grâce aux AMP, nous a appris par
exemple Romain : (ensuite) ça c’est calmé car des pseudo
vendeurs sur Internet, peu scrupuleux, ont voulu faire passer la AMP comme la future Jordan en terme de prix, en
2002-2003, avec l’émergence de certains forums. On assiste actuellement à un déclin total en terme de tarifs car beaucoup de gars ont acheté sur Internet et se sont vite rendus
compte qu’acheter une paire de baskets ne les rendait pas
meilleurs ou plus respectés, et donc, les ont revendus en
masse, et c’est pas si mal ! Mais la qualité des Air Max Plus
s’est détériorée à partir de l’année 2003...» Comme si l’on
pouvait faire prendre des vessies pour des lanternes à des
fanatiques de l’objet en tant que tel : un collectionneur est
d’abord un amateur très éclairé de son objet de collection.
Comme le dit Manu : « je pense aussi que seuls quelquesuns avaient la collectionnite aigue en AMP1, or le jour où
ils ont trouvé les modèles qu’ils voulaient, ils sont passés
à autre chose, tout simplement (…) Le souci, c’est que les
modèles dits de collection, sont les tout premiers modèles
car ils étaient de bonne qualité, avec des couleurs originales notamment… » De tout premiers modèles qui sont les
«Hyperblue» (sorti en 99 et réédité en 2003, justement) et
«Tigre».
Et l’on pourrait parler d’autres modèles encore, tel le modèle homme appelé “Electrik“, évoqué à la fois par Kevin et
par Jibé. Romain, peut-être le plus pointu de nos collectionneurs, souligne aussi que « beaucoup recherchent le modèle Olympique féminin en croyant que c’est le plus rare, mais
pas forcément le plus beau, juste parce que c’est rare… Ça
dépend aussi de la pointure. Par exemple les Olympique
Femme, en petite pointure, sont faciles à trouver, par contre
en grande pointure, il faut s’accrocher ! »…
On touche là (encore une fois) le cœur de cette douce maladie appelée collectionnite : un modèle féminin faisant fantasmer des têtes et des pieds masculins… Kevin connaît
forcément bien ce modèle femme Olympique white, « sorti
MODÈLES SERIE 3
19-Florales
20-University
21-Tigres
22-Sanguines
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Tertio, la qualité de fabrication des paires : on assiste comme pour l’ensemble des autres modèles Nike à une profonde décadence en terme du choix
des matériaux comme de l’assemblage (choses expliquées en partie par les
changements de pays de production).
Et payer 160€ pour une paire qui dure
3 semaines, c’est pas top.»
Faut pas prendre les enfants du bon
dieu pour des canards sauvages.
Et encore moins des oies qu’on gave.
à l’occasion des J.O. de 2000, limité a 9000 exemplaires et vendu avec un certificat d’authenticité »
Encore faut-il ne pas vouloir faire affaire avec un margoulin qui a photocopié le
certificat, pour garnir son compte Paypal…
Délices d’une collection, épopées personnelles, histoires cultes et déconvenues.
Quand cette passion s’éteint, la nostalgie pointe le bout de son nez : « aujourd’hui
les modèles fabriqués sont ternes à côté. Les bulles reformatées, depuis quelques mois, en font un modèle qui a perdu tout son charme. À rentabiliser le coût
de fabrication, on en fait un modèle très “bof“, voire nul. »
Romain : « Nike a tué l’esthétisme de la paire le jour ou ils ont revu leur système
Air (les bulles carrées), pour l’ensemble de leur gamme fin 2005. Cela s’est traduit
par une grosse différence esthétique pour les AMP, et là, je n’ai plus retrouvé
l’esprit AMP que j’aime tant. »
C’est ce qui s’appelle tuer une poule aux oeufs d’or…
Petite leçon de marketing par Romain, une de ces cibles idéales mais beaucoup
plus lucide que les services marketing ne l’imaginent un peu trop souvent :
« ce déclin qui va commencer courant 2003 s’explique par de nombreux points.
Primo, le design : on assiste à un essoufflement créatif. Fini le tissu à motif quadrillé
ou les dégradés flashants innovants, les coloris deviennent ternes et sans saveur.
Deuxio, de plus en plus de personnes en portent, que ce soient des jeunes de 12
ans ou des darons et de plus en plus de Foot Locker ouvrent en France. Cette paire
devient banale et très accessible, l’effet rare et exclusif n’y est plus du tout.
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Reste une question : verra-t-on un
jour prochain un revival de la Air Max
Plus 1, à la façon des Air Max ?
Une gamme qui, avant sa relance pour
un nouveau culte pop et de la même
façon que sa petite soeur «Plus 1»,
était originellement une gamme seulement populaire.
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2
COMMENT DÉCHIFFRER LES ÉTIQUETTES
Gracieusement rédigé par Romain, collectionneur très pointu, ce petit guide va vous permettre d’obtenir
des informations liées à vos sneakers.
L’étiquette donne tout un tas d’informations à propos d’une paire, encore faut-il savoir les décrypter.
Et enfin posséder ces informations nécessaires à un passionné d’Air Max Plus 1, par exemple : cette
méthode s’applique certes aux AMP, mais peut très bien être adaptée à d’autres modèles Nike.
La méthode sera la suivante :
Description de texte de l’étiquette
puis application à deux cas :
Les Bloods, modèle de 2001 / Les
Nid d’abeille, modèle bleu, sorti en
2006.
Ces deux modèles présentent la caractéristique suivante : 2 étiquettes
différentes dans la conception et la
délivrance de l’information.
A. Le lieu de Fabrication
Voici les principaux sites de fabrication des modèles Nike :
1.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
8.
9.
Chine
Taiwan
Corée
Vietnam
Thailande
Indonesie
Italie
Japon
Etats-Unis
D. La période de Fabrication.
Comme indiqué textuellement sur l’étiquette, nous remarquons des sites de
fabrication différents pour nos 2 coloris
test : le Vietnam pour les Nid d’abeille
bleus et la Chine pour les Bloods.
A noter qu’à l’heure actuelle, il ne se
fabrique plus d’Air Max Plus en Chine,
l’Indonésie et le Vietnam étant devenus
les sites principaux de fabrication.
Une étiquette de Air Max Plus 1, c’est comme un livret de naissance, on sait
où elle a été fabriquée, mais aussi : quand. Mais elle apparaît sous une forme
différente selon nos étiquettes de coloris test.
En effet, l’étiquette “new school“ nous informe de la période de fabrication
de ce coloris à 2 endroits :
Au point D, le jour de lancement de la fabrication du coloris.
Au point D’, le jour de fin de production.
B. Codes correspondants aux
usines Nike
Pour 2 paires ayant un coloris strictement identique, vous retrouverez à chaque fois ces dates, indiquant donc la période de production.
Suite à l’indication du site de fabrication, nous retrouvons un repère,
au point B, correspondant au site :
On remarque que sur les étiquettes «old school», la période de production
est concentrée en un point (D), et se présente sous cette forme :
(Année de production)
( Mois de départ de production)
( Mois de fin de production)
Ce qui donne pour les Bloods :
01
03
05
On peut ainsi aisément déduire la période fabrication de ce coloris, située ici
entre Mars 2001 et Mai 2001.
C - Les Tailles
1. Taiwan - FT1, FT2, FT4, FT8,
PC3, PC8
2. Corée - ST, ST5, S7, T2-1, T2-A,
T2-D, TY, TY1, ST-P, SH, BY
3. Chine - LN2, LN3, LN4, Y2, Y3,
Y2-3, QH, QS, QT
4. Indonesie - IB, ID, IN, IP, IW,
IRSS
5. Thailande - PA
6. Vietnam – VT,VS, VJ
7. Italie - ?
8. Japon - ?
9. Etats Unis - ?
1.
2.
3.
4.
US - Taille Américaine
UK - Taille Anglaise
EUR - Taille Européenne
CM – Centimètres utilisé en Asie.
Vis-à-vis de nos deux coloris test, pas
de soucis, on retrouve bien les codes
correspondants aux différents sites.
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E. La date de Fabrication :
Pour nos deux coloris possédant
une partie du même code produit,
nous pouvons en déduire que ceux
sont des modèles Homme (133),
Exclusivité Foot Locker (6), appartenant à la gamme Men Running (04).
Nous avons vu comment déterminer la période de fabrication,voici
comment trouver la date précise de
fabrication de votre paire.
Ceci n’est possible que sur les étiquettes «old school» telle que celle
des Bloods. Ainsi au point E, nous
avons une date sous la forme :
2) Les informations relatives au coloris, composées de 3 chiffres : Le
code couleur
MM / JJ / AA : Format représentatif
des dates de production.
a) «MM» mois de production.
b) «JJ» jour de production
c) «AA» année -> 02 (2002), 03
(2003) ...
Les Bloods ont été fabriquées le
28 Mars 2001, cela coïncide donc
bien avec la période de fabrication
trouvée juste avant (de Mars à Mai
2001).
F. Le code produit
Cet ensemble de 3 chiffres, que
nous désignons comme code couleur, détermine et explique de quelle
façon le coloris a été appliqué.
Chaque chiffre désigne un aspect
du coloris :
7 - Inconnu au bataillon.
8 - Série spéciale (Signatures),
Pack Luxe ou autre.
9 - Production exclusive à une
région du globe (Europe, Asie ou US).
b) Le deuxième et le troisième numéro indiquent la catégorie d’utilisation de la paire.
Il se découpe en deux parties :
1) Les informations relatives au
modèle, composées de 6 chiffres,
2) Les informations relatives au
coloris, composées de 3 chiffres,
1) Les informations relatives au
modèle, composées de 6 chiffres.
1) Sous la forme 604133 pour les
Nid d’abeille Bleue et les Bloods,
celui-ci décrit :
a) Le premier numéro correspondant
au type de production :
1 - Production grande série
(dont Production Standard pour la
première série de AMP1 en 1998).
3 - Production destinée aux
équipes sponsorisées (dont Production exclusive Foot Locker de
modèles pour le marché américain).
4 - Production destinée aux
joueurs sponsorisés.
6 - Production exclusive destinée à des chaînes de magasin
et rééditions de modèles anciens
(dont les productions exclusives
Foot Locker, sorties mondiales Asie,
Océanie et Europe).
Ainsi, pour un modèle homme de
Air Max Plus 1, on trouvera les
chiffres “04“ correspondant à la
catégorie Running Homme de Nike,
et pour un modèle femme on y trouvera les numéros “05“.
Voici les principales catégories,
avec chiffres correspondants :
02 : Men Indoor Running
03 : WMN Indoor Running
04 : Men Running
05 : WMN Running
06 : Medium Running
07 : Racing
36 : Men Jordan
37 : WMN Basketball
40 : Men Tennis
43 : WMN Tennis
73 : Men Cross Training
74 : WMN Cross Training
Toutes les Air Max Plus ne possèdent pas seulement les numéro 04
ou 05, en fonction du sexe. En effet
sur certains modèles, tels que les
Slip-On Europe ou des modèles US,
les numéros se rapportent à des
gammes Running moins en avant
telles que les gammes “Medium
Running“ ou “Men Indoor Running“.
c) Les 3 derniers numéros du code
produit désignent le sexe mais aussi
le type de matériaux employés,
voire même pouvant mentionner
l’appartenance du coloris à un pack
ou une série particulière.
Voici un échantillon de quelques
séries de chiffres trouvés sur des
codes produit de Air Max Plus (les
plus fréquents), ainsi que leur signification probable :
Pour le coloris Nid d’abeille, nous avons le code suivant : 604133 415
“415“ confirme bien le coloris appliqué à ce modèle :
Couleur dominante bleue (4), vagues et talon blancs (1), le tissu est accentué
de manière différente compte tenu du matériau Nid d’Abeille qui doit influer
sur le code coloris (5).
Pour le coloris Blood, nous avons le code suivant : 604133 601
1) Le premier désigne la couleur
primaire utilisée,
2) Le deuxième désigne la couleur
secondaire employée,
3) Le troisième donne le ton du
coloris.
Voici les correspondances Chiffre /
Couleur :
0 : Noir
1 : Blanc mais aussi argenté
2 : Brun et ses dérivés
3 : Vert, vert Olive, Néon ...
4 : Bleue, Bleue Obsidian …
5 : Violet, mauve
6 : Rouge, Rouge «Crimson»…
7 : Jaune, Jaune «Ginger»…
8 : Orange
9 : Couleur Bonus
“601“ signifie donc un modèle de couleur Rouge (6), ton du rouge assez vif
(1), avec comme couleur secondaire le noir (0).
À présent, il vous est possible de déchiffrer le code produits de toutes vos
Nike, mais d’autres informations sont présentes sur l’étiquette : ce sont les
brevets.
G. Les Brevets
Systématiquement mentionnés, les références des différents brevets déposées par Nike sont indiquées directement sur l’étiquette. On distingue 3 types
de brevets :
G1 : Les brevets américains, commençant par PAT. US, puis se succédant
par l’intermédiaire d’une *, ils sont généralement au nombre de 4, quelquefois
moins comme par exemple sur des Quadrillées grise rouge.
Ils désignent le système Air utilisé ainsi que sa composition.
G2 : Les brevets liés au design, au nombre de 3, expliquent en détail le design des Air Max Plus.
G3 : Les brevets anglais, qui se réfèrent tous aux brevets déposés US.
XXX112 : Modèle Femme
XXX133 : Modèle Homme
XXX180 : Modèle Cuir Homme
XXX078 : Modèle Cuir Femme
XXX696 : Modèle Import
XXX721 : Modèle Homme Exclu US
XXX292 : Série Particulière
XXX163 : Modèle Cuir et Synthétique
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DÉDICACE AU REBELLE DES QHS.
RIEN À FOUTRE DE RIEN.
DES FLICS ET DU MILIEU.
RIEN QUE DE LA CLASSE, QUE DE LA VIOLENCE.
HORRIBLE ET AVIDE.
DERNIER ENNEMI PUBLIC.
PAS DE CAUSE, SAUF LA SIENNE.
ENFANT DE BANLIEUE, MORT À PARIS.
CRIBLÉ DE BALLES PORTE DE CLIGNANCOURT.
FANTÔME.
MESRINE EST UN SPECTRE.
IL EST ENCORE LÀ, DANS LE 18È.
SÉRIE MODE, PEUT-ÊTRE, OU SOCIO MODE PLUTÔT.
AUX PUCES DE CLIGNANCOURT : LA RUE ET DES HURLUBERLUS QUI CROISENT LES ANTIQUAIRES ET DES MILLIONNAIRES, DES GENS DE TOUTES LES
COULEURS ET DE TOUS LES MILIEUX, DES JEUNES ET DES VIEUX, TOUTES
LES ÉPOQUES, TRÈS VINTAGE OU TRÈS 2008… NON, ON N’EST PAS PLEIN
D’AMOUR, MAIS ON AIME CLIGNANCOURT.
CARREFOUR D’HISTOIRES QUI SE CROISENT SANS FAIRE D’HISTOIRES, MAIS
DES AFFAIRES.
UN MARCHÉ DE PASSIONS.
Photo : Wilee, Elisa Gomez
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PHILIPPE
ALL WESTERN ATTITUDE
Chapeau Vintage SUPER RESISTOL XXX (en castor),
Veste BECKARO (croûte de veau doublée laine),
Gilet en laine
Chap’s en laine
Ceinture CHAMBLER’S
Boucle de ceinture vintage
Chemise en flanelle
Boots vintage NOCONA
Puces de Saint-Ouen
Passage Marceaux-Porte de Clignancourt
250 mètres du pont du périphérique
Ouvert les samedi, dimanche & lundi
01 49 45 03 16
www.awcooper.net
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NICOLAS “ZEHER”
chez SURPLUS SIMON
Combinaison Armée de l’air personnel au sol
Chapka Armée DDR
50, rue J.Vallès
93 400 Saint-Ouen
Ouvert samedi, dimanche & lundi.
01 40 10 18 70
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MORSAY, ZEHEF & CO
TRUAND 2 LA GALÈRE
Hoodies TRUAND 2 LA GALÈRE
Rue des Rosiers
93 400 Saint-Ouen
www.myspace.com/truand2lagalereofficiel
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EMMA
chez M. WILLIAM OURY
Robe bustier bleu satiné années 1950
Cape en velours noir et col de renard blanc années 1900
Escarpins noirs vernis
Petit sac pochette cuir vernis
Marché Dauphine - Stand 17/18
140, rue des Rosiers
93 400 Saint-Ouen
Ouvert les samedi, dimanche & lundi
06 09 87 14 25
06 60 24 93 11
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- IL ME RESTE “CRUDITÉS DINDE“, “CRUDITÉS THON“,
“CHEESE“ ET “DOUBLE CHEESE“.
- J’VAIS T’PRENDRE UN “CRUDITÉS DINDE“.
- TU VEUX QUOI, BABA ?
- “CRUDITÉS DINDE“.
- “DINDE EMMENTAL“ OU “DINDE NORMALE“ ?
- NORMALE, NORMALE.
- ET DONNE UN EMMENTAL EN PLUS S’IL TE PLAÎT.
- TU VEUX KEK’CHOSE TOI ?
- NAN, C’EST BON MOI.
- TIENS LE “DINDE EMMENTAL“ FRÈRE.
- MERCI BEAUCOUP.
Il y a deux choses incontournables dans les quartiers.
Les sandwicheries et les halls.
On y passe, on y reste, plus ou moins longtemps, mais on
le fait, immanquablement, car ce sont de vrais, et parfois les
seuls, lieux de vie.
Certains restaurants sont mêmes devenus institutions, les bonnes adresses : aucune publicité, juste un endroit connu de tous.
Le « 129 » à Saint-Denis par exemple, où tu prends un ticket,
comme à la Sécu, pour attendre ton menu triple steak, presque religieusement. D’ailleurs, ce sont des Frères Musulmans
qui t’y préparent ton repas.
Les halls, où les murs te servent de dossiers, c’est quand les
vendeurs de kebab ont tiré leurs rideaux.
Et que tu es loin d’avoir fini de refaire le monde avec tes potes.
Et à un moment, tu as faim, forcément à l’heure où tout en
banlieue est fermé.
Sauf les épiciers et leurs imitations de Granola à 6€ le paquet.
Alors autant dire que lorsqu’on te rencarde sur le fait que
par un simple coup de bigo, un mec déboule chez toi la nuit
avec des sandwiches dans son coffre, tu deviens fou.
Je me présente : Mohammed Amara, j’habite à Bobigny,
j’ai 23 ans.
Je fais de la livraison de sandwiches le soir jusqu’à 3h du
matin. Je fais toutes les cités de presque toutes les villes:
Saint-Denis, La Courneuve, Stains, Epinay, Villetaneuse,
Pierrefite, Garges, Sarcelles, Le Bourget, Aubervilliers,
Saint-Ouen, Drancy, Dugny... Ma plus grosse clientèle c’est
les cités, les jeunes, de 16 à 30 ans.
Après je fais aussi quelques hôtels, sur Porte de La Chapelle, Porte d’Aubervilliers, Clignancourt. Je fais un peu des
gens qui sont chez eux aussi, des pères et des mères de
familles, mais le gros de la clientèle ça reste les jeunes des
cités quand même.
Une idée tellement simple que personne n’y avait songé avant.
Des milliers de baskets tiennent les murs des cités, la nuit.
Une nuit c’est long.
À la base, l’idée ne vient pas de moi, je suis juste livreur.
C’est mes patrons qui ont vraiment lancé le truc, avec des
cartes de visites distribuées dans tous les quartiers pour se
faire connaître.
Mais surtout nous, par rapport aux autres personnes qui
font ça, la différence c’est qu’on fait ça tous les jours, toute
l’année. Il y en a, c’est de l’intérim, ils ne font ça que l’été,
histoire de gratter les jeunes qui sortent avec le soleil.
Nous, à 3 on fait tout le 93 toute l’année, hiver, automne,
tout ce que tu veux.
Ça va faire à peu près 3 ans maintenant.
C’est sûr qu’il y a des périodes creuses, là c’est l’été, les
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gens sont dehors, il fait chaud, donc ça commande.
Après, l’hiver c’est beaucoup plus calme, c’est normal. Pour
nous, plus il fait chaud, mieux c’est. On joue avec le temps,
quand il fait froid c’est un peu dur. Mais moi je m’en fous : je
tourne quand même. C’est un peu «laisse tomber» quand il
neige, quand il pleut, c’est vrai : tu tournes, tu te prends la
tête pour vendre des sandwiches. Y’a personne dehors et
personne t’appelle, tu ne vends rien.
Ça arrive, parfois tu rentres avec des sandwiches, y’a de la
perte. C’est le risque.
Une carte, un numéro.
7/7j, de 19h à 3h du matin.
Même sous la neige.
Saint-Bernard des ventres vides, avec une cannette de
Coca autour du cou.
Un coffre d’Express, y’a de quoi faire tu sais. Y’a tout ce
qui est sandwiches «normaux» genre crudités, jambon de
dinde, mais on fait aussi des sandwiches chauds, genre
“chicken tikka“.
On a des boissons, tout ce qui est Coca, Oasis, Orangina,
les jus aussi.
On a des bonbons, enfin plein de trucs.
Tout ce qu’il faut pour tenir.
Tout ce qu’il faut pour finir sa nuit avec le ventre plein et la
langue gracile.
Les discussions nocturnes ne s’arrêtent plus aux premiers
gargouillis des estomacs vidés par la digestion.
Sans le savoir, les deux Frères Musulmans derrière cette
mini-chaîne de livraison de sandwiches sont des acteurs
sociaux puissants.
Le lien social, ça se mange.
Le 129 :
129 rue Gabriel Péri, 93200 Saint-Denis.
Sandwich 24’ :
Livraison de sandwichs Hallal de 19h00 à 3h00, 7/7.
Pour toute commande, appel ou SMS au:
06 10 65 54 79 ou 06 18 33 91 31
minimum de 2 sandwichs par commande
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1- AK 47
2- GLOCK
3- 9mm BERETTA
NON, ON N’ESSAIE PAS ICI DE REVITALISER L’ESPRIT CHOC DU MOIS, SCANDALE DE LA
SEMAINE FAÇON ENTREVUE DU DÉBUT, OU GLOBE DE LA FIN.
PAS DE BIDONNAGE.
PAS DE SENSATIONNALISME NI SON COROLLAIRE : UN BON GROS JUGEMENT MORAL.
ICI, PAS DE POINT DE VUE DE CELUI QUI PARLE.
CETTE VOIX DE LA RAISON RAISONNABLE QUI EMPÊCHE DE DÉCRIRE TEL QUEL ;
ÉCRAN POUR NE PAS MONTRER LA RÉALITÉ BRUTE.
MÊME DIFFÉRENCE ENTRE LA SÉRIE NOIRE À LA FRANÇAISE ET LE POLAR À L’AMÉRICAINE.
ICI, DES QUESTIONS NEUTRES ET DES RÉPONSES FROIDES.
4- UZI
pouvoir, tu vois, le pouvoir : un bout de métal qui met tout le
monde d’accord.
Après, savoir si c’est à utiliser tout le temps, toi-même tu
sais…
Ton premier contact avec une arme : à quel âge?
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F : Quand on a commencé à voir des grenailles, pas des
vraies armes, c’est dès la sixième, avec les premières embrouilles au collège. Mais faut bien différencier les grenailles
du reste. Grenaille, Gomme Cogne tout ça, tu les sors facilement pour des embrouilles balourdes, pour faire flipper,
c’est juste la détonation qui fait flipper. Parce qu’un vrai calibre, déjà pour en avoir un en sixième, c’est tendu.
Quel est ton parcours?
Fouad : Moi, depuis tout petit, avec les embrouilles dans mon quartier, j’ai été
habitué à voir des armes. Au depart, c’étaient des grenailles, tu vois, pas des
vrais trucs, pas tout de suite, enfin… ça dépend des personnes. Mais moi, j’ai
commencé à voir seulement des grenailles. Après, moi, c’est spécial, je kiffe les
armes, vraiment. Avec mon pote Bibiche tout ça, on kiffe les armes.
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Hakim : De toute façon, en sixième, tu sors un grenaille,
c’est comme si tu sortais un M-16.
Pourquoi tu kiffes à ce point les armes?
C’est nécessaire d’être calibré dès la sixième?
F : Franchement, tu veux savoir ? Parce que c’est le pouvoir. Parce que tu peux
être qui tu veux, tu peux faire tout le cinéma que tu veux, devant une arme t’es
rien du tout. C’est un truc qui te ramène à la triste réalité, tu vois ? C’est une
balle, un mort. T’as un chargeur de 15 balles, tu peux tuer 15 personnes. Si t’es
vraiment déterminé et que tu ne fais pas de gâchis, tu tues 15 personnes. Le
F : Fallait pas forcément être avec un grenaille, c’est juste
que t’avais le choix entre ramener ta bombe lacrymogène
que tout le monde pouvait avoir, que tu gazais dans le tas
comme un gogol, que tout le monde se faisait gazer pour
des embrouilles jamais bien concrètes. Soit l’histoire, tu la
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réglais, tu y mettais un terme, tu choquais tout le monde
avec une détonation, que ce soit du grenaille ou un vrai calibre, c’est la même chose, c’est le bruit qui compte. Après
le seul trou du cul qui veut vérifier si c’est un vrai ou un
grenaille, il est con parce que le jour où tu tires avec un vrai
brelique et que lui croit que c’est un grenaille, il va rester au
sol, il va se faire douiller. Quand t’es en sixième, t’es petit, tu
entends un bruit, tu te sauves, tu ne sais pas.
Mais tu en viens à ça pour montrer aux gens que malgré ton
jeune âge, tu peux pousser toi aussi. Tu peux aller plus loin,
tu te limites au grenaille mais quand même…
Comment un gamin de sixième peut se procurer
un grenaille?
F : Il prend la ligne 4, il va aux puces, avec un mec de sa
cité qui est majeur et il l’achète, c’est tout. Tout simplement,
avec une pièce d’identité. Un grenaille, c’est en vente libre,
n’importe qui peut acheter un pistolet d’alarme.
Maintenant tu me dis un Glock 9mm ou un Uzi ou un pompe, tu vois ce que je veux dire, un truc comme ça, c’est des
gens bien précis qu’il faut aller voir, ce n’est pas n’importe
qui. Tu ne va pas aller voir le vendeur de gazeuse pour lui
demander un fusil de chasse. Tu les trouves aux puces, de
la main à la main, avec tous ceux qui revendent leurs calibres, ça tourne, ça se prête, ça se donne. Tu sais, y’en a
plein des armes qui dorment dans les quartiers. Ça se vole
aussi, tu vas me prêter ton truc et je ne vais jamais te le rendre. Je vais te dire que je l’ai perdu, mais je l’ai gardé pour
moi. Et à la prochaine embrouille, je vais le sortir. Les armes
ça tourne, du grenaille jusqu’au 9mm.
Première arme en sixième avec le grenaille,
et ensuite?
F : Personnellement, ensuite y’a un gros trou. Je ne vais pas te
mentir. Moi les armes pendant un moment, je n’en ai plus vu.
Parce que je n’ai pas été chercher plus loin, je ne voulais tuer
personne, j’avais pas la nécessité d’avoir des armes à feu.
Mais avec l’âge, tu fais certaines choses pour certaines personnes. J’ai fait certaines choses, j’ai participé à certaines
embrouilles, je n’avais pas besoin d’une arme moi particulièrement, mais les vraies armes, il les fallait. Parce que les
gens avec qui on s’embrouillait, ils avaient des grands avec
eux qui avaient des vraies armes et ils n’hésitaient pas à
leur passer. Dans notre quartier, on n’avait aucun grand qui
nous passait des armes : c’était soit on se faisait tirer dessus et on fermait nos gueules, soit on se faisait tirer dessus
et on leur tirait dessus. Ils veulent tirer, on tire, je sais pas,
tu vois c’est con, c’est tout pourri, mais t’es obligé. Tu me
tires dessus, je te tire dessus. Comme ça tu sais que si tu
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viens me tirer dessus, même si tu me butes, dans mon équipe y’a des gens qui
ont des trucs. Tu peux te dire ça, tu vas te dire : « Bon, ok, lui je vais le terminer,
mais maintenant si je le descends, y’a untel, y’a untel, y’a untel qui sont là, qui
sont équipés. Donc je peux le terminer et moi me faire terminer, tout de suite ou
même dans deux ans. » C’est pour ça qu’à un moment, arrivé à un certain âge,
tu arrives à une nécessité d’avoir de vraies armes à feu, par rapport à ce qu’on
disait, par rapport à comment c’est dans la rue. Arrivé à un moment, tu ne te bats
plus cousin, t’as une embrouille, tu ne va pas te battre, faut vraiment régler les
choses. Je ne te dis pas qu’il faut aller tuer tout le monde, mais y’a des gens, il
faut les faire flipper, pour de vrai, sinon ça peut aller trop loin.
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Donc armé pour dissuader?
F : Tu peux être armé et être totalement pacifique, y’a des gens, ils sont armés
jusqu’aux dents chez eux, tu ne les connais pas, c’est des pères de famille, c’est
des chasseurs, mais dans son placard, le mec il a 10 fusils de chasse. Et si lui,
demain, il veut venir avec ses potes dans le quartier pour allumer des gens, il
t‘allume. Tu sais, c’est des fusils de chasse, c’est pas des fusils pour tuer des
gens à la base.
Maintenant, nous, des armes on en a. C’est pas pour ça qu’on est là à les montrer,
à dire t’as vu on a des armes, ceci cela. Nous on les garde au chaud : tu nous
casses pas les couilles, on te casse pas les couilles. Le jour où tu casses les
couilles à un frère et tu vas trop loin, le jour où tu veux marcher sur lui, marcher
sur sa famille, nous on est tous des frères, tu fais quelque chose à quelqu’un
d’entre nous, nous on va te montrer que nous aussi on peut le faire, on peut se
sacrifier pour l’un d’entre nous.
Après tu peux aussi t’en servir pour protéger un terrain. Le jour où tu as un terrain,
si t’as pas d’armes, t’es le roi des cons. Parce que si tu fais un terrain c’est
pour faire de l’argent, et si ça marche et que tu commences à faire des sous…
comment tu va te protéger de tous ceux qui vont venir te casser les couilles ? T’es
obligé d’être armé, t’es obligé de faire circuler l’info que t’as acheté des armes.
Parce que le premier trou du cul qui va vouloir te car-na, il va être au courant de
cette info, il va se dire : « Bon, avant de faire ça, on va réfléchir. »
C’est balourd, c’est que du métal mais ça sert à plein de choses… Les gens,
ils règlent des guerres avec ça, des conflits qui durent pendant des années se
règlent avec ces trucs.
Maintenant moi, je ne prône pas. Je kiffe la machine que c’est, la technique, la
précision, l’évolution des armes dans le temps, mais sinon là, on a perdu Kamel,
on a perdu Ibrahima, tout ça par rapport à des embrouilles… Moi si je peux éviter
tout ça, si je peux éviter de tuer quelqu’un, éviter même de sortir les armes, je
serais le plus heureux.
Parce que faut pas se mentir, si t’achètes une arme pour faire le comédien toute
ta vie, tu la regardes, tu la lustres, tu braques tes potes avec en rigolant, t’es un
tout pourri, ça ne sert à rien. Achète-la, range-la et le jour où il y a quelque chose,
tu la sors vraiment. Ça ne sert à rien de faire du cinéma, y’en a qui, pour cette
raison, ne devraient pas avoir d’armes chez eux. Y’en a, un coup de diabète,
ils sortent, ils allument tout le monde et après ils regrettent, ils se retrouvent au
commissariat en train de pleurer, c’est-ce qu’il se passe tout le temps.
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Les vrais calibres tu les trouves comment?
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1-2-3- Pistolets d’alarme
Tu parlais d’un gros trou où tu n’avais pas vu d’arme. Aujourd’hui,
t’es armé?
F : Ouais, moi j’ai un pompe, avec celui de Hakim mon pote ça fait deux, (il pointe
du doigt) le p’tit Black là, il n’a rien pour l’instant mais il veut son 9 (9mm, ndr)
et il l’aura. Il veut son truc, il ne veut pas de fusil, il veut son petit truc à lui. Par
exemple, dans son cas, ce n’est pas du tout pour flamber ou quoi que ce soit, il
veut son bijou, comme ça le jour où il y a un truc qui se passe, il n’a pas besoin
de compter sur quelqu’un. C’est mort, c’est un truc que tu ne peux pas lui retirer,
il veut sauver sa peau, il a son truc à lui, il a son outil. Parce que des fois y’a des
gens qui ne te suivent pas, quand toi t’es vraiment déterminé, t’es énervé et qu’il
y en a qui ne le sont pas autant que toi, soit ils vont te raisonner soit ils te diront
qu’ils ne te suivent pas. Des fois certaines choses doivent être faites seul.
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4- MAUSER
4- Bombe Lacrymogène
F : T’as de l’argent, tu trouves. C’est tout. C‘est ni compliqué
ni facile. T’as de l’argent, tu trouves. Demain tu vas voir un
mec dans un quartier, pas n’importe quel trou du cul non
plus, un mec que tu connais, tu lui dis : « Voilà, moi, j’ai
tant de biftons à mettre dedans», tu lui donnes un ordre de
prix en étant raisonnable. Les gens ils peuvent t’arranger
pour les armes. Tu peux trouver des armes à 500€ comme
à 4000€, 10000€, après, c’est d’autres marchés, tu passes
à autre chose. Y’en a, ils te vendent des armes de guerre,
ces gens-là, moi je ne les connais pas, celui qui te vend un
AK-47 avec 4 chargeurs, 3 grenades et un gilet pare-balles,
va le trouver lui. Mais y’a des armes qui circulent, tout ce qui
est pompe, 9mm, 6.35, 11.43, toutes les armes comme ça
circulent à la mort.
Donc pour répondre à ta question, c’est facile quand tu as
de l’argent. C’est comme pour tout, quand t’as des sous,
t’achètes tout ce que tu veux.
H : Ah ouais, le 11.43 c’est la vraie arme de you-voi, c’est
celle que tu portes en dessous du pull, tous les jours, c’est
pas l’arme que tu laisses chez toi au cas où. Là en ce
moment t’en as un qui ne sort jamais sans son Scorpion. Le
Scorpion, c’est pour couper les jambes.
De toute façon, chaque arme a sa fonction : par exemple, un
pompe, un bon canon scié, c’est pour les descentes, tu ne
sors pas avec tous les jours. C’est quand tu descends dans
les cités, quand tu va défourailler en bécane.
Vous avez déjà vraiment tiré?
F : Je vais te dire la vérité, je ne vais pas faire le mytho avec
toi, j’ai jamais tiré de ma vie. J’ai tiré au grenaille, je n’ai
jamais tiré au 9mmm avec de vraies bastos, même pas juste
viser une cible, je n’ai jamais eu l’occasion. Je kifferais aller
dans la forêt avec eux là (il montre ses potes), ces zoulous
là, on y va, on tire sur des cibles, on s’entraîne. Mais on
passe plus de temps à en parler qu’à en faire, on n’y pense
pas.
Pareil pour le pompe alors ?
H : (Il me coupe) Non mais tu sais c’est quoi le truc? C’est que tout le monde
veut acheter des grosses armes pour sa sécurité, mais ça reste un rêve, on arrive
jamais aux vraies grosses armes. Ça reste toujours des 9mm, quand ça douille
c’est toujours avec ça. Après on sait qui va sortir des Kalach, y’en a, ils ont des
Bazookas mon frère, ils ont des lance-roquettes. Mais là, ça ne sort que pour des
histoires de gros sous, de très gros sous. On a des grosses armes, mais on ne
s’en sert pas. On se dit toujours qu’on s’en servira un jour. Mais le jour, il n’arrive
pas. C’est ça en fait le truc. Mais le jour où il faudra s’en servir, t’inquiètes pas,
on va charger et on va tirer, c’est tout.
F : Tu presses une gâchette c’est bon.
H : Ouais, tu sais à quoi t’attendre. Tu sais déjà comment il faut le tenir le truc,
Kalach, fusil, on sait. C’est pas “on va le prendre comme une brêle, on va tirer et
on va se déboîter l’épaule”. C’est bon, t’es pas con, t’allumes et c’est tout. Mais
pour l’instant, ça n’en est pas à s’allumer avec des grosses armes.
F : Le jour où il faudra tirer, tes bras, tu vas les serrer, le pompe, tu vas le tenir
et tu vas tirer. Maintenant, nous les armes on les a. Si elles peuvent rester avec
de la poussière dessus, tant mieux. Mais le jour où ça devra péter il ne faut pas
se retrouver les mains dans les poches comme des cons et se
regarder : « Ah, ils ont ça, nous on a rien ». Tu te tais, mais le jour
où il faut les sortir, tu les sors.
Imagine si ici, c’était comme aux États Unis, tu ouvres un compte, t’as une arme de poing.
1- M-4
2- Lance-roquettes
peux avoir du neuf, mais au début, tout le monde en récupère une d’occasion.
F : En tout cas je ne fais pas l’ancien, mais les armes on sait
très bien où ça se trouve.
H : Putain, mais déjà c’est facile pour en avoir ici, alors imagine si c’était comme aux États Unis. Déjà, en ce moment,
ici, y’a un mort par mois, tué par balle. Alors que c’est un
truc de ouf à la base pour se procurer une arme. Aux ÉtatsUnis ils s’allument comme des dingues tous les 2 jours, ce
serait pareil ici, on s’allumerait pour rien.
F : T’achètes ton steak, tu vas au rayon gâteaux et le rayon
d’après c’est les balles…
H : Eux, ils sont tous armés.
F : A l’inverse, peut-être qu’ici, si tout le monde pouvait avoir
des armes, personne ne ferait le malin dehors, parce que tu
sais qu’à tout moment, tu peux te faire douiller gratuitement,
y’en aurait peut-être aucun qui essaierait d’arracher un sac
ou de voler une voiture. Parce que le mec, tu vas lui voler
sa voiture, il va te laisser partir et il va t’allumer : légitime
défense.
Si tu regardes bien, s’il n’y avait pas les armes, ça changerait
beaucoup de choses. Que tu sois courageux ou pas, balèze
ou pas, c’est la même chose, tu presses une détente, une
balle sort qui tue quelqu’un. Que tu sois une baltringue, que
tu sois le plus fort, à ce moment là, ça ne compte pas. C’est
là où tu te rends compte du rôle important que jouent les
armes dans la rue.
Si tu les supprimes, comment tu vas régler tes histoires?
Si jamais t’as peur d’untel, tu ne veux pas aller au contact,
tu veux le régler mais tu fais comment si t’as rien? T’es obligé d’aller au contact, ça changerait trop de choses.
Avec le temps ça raisonnerait les gens.
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Ouais, mais là-bas, c’est plus ou
moins en vente libre. Comment
tu expliques qu’ici, alors que c’est
réglementé jusqu’à la moelle, tu
arrives à en trouver quand même
à droite à gauche?
2
F : Je vais t’expliquer ça rapidement :
c’est l’Est ma gueule. Y’a des conflits
encore dans l’Est, des gens qui se tirent encore à la Kalachnikov, qui prennent des écoles en otage, en Russie,
là-bas.
En France les armes viennent principalement de l’Est. Un peu d’Italie
aussi pour les armes de poing. Mais
les vraies armes de guerre, ça vient de
l’Est. La dernière fois, j’ai eu un pompe
qui venait de Colombie, tu peux toujours essayer de te creuser la tête pour
te demander comment ils ont fait pour
les amener jusqu’ici. Soit complètement démontés, soit montés mais alors
dans des putains de gros containers
où tu ne vois rien du tout passer, y’a
peut-être 5 containers qui se font péter
sur 300. Ça y est, t’es approvisionné :
dans un container, tu peux foutre combien d’armes? 4000 peut-être?
H : Mais dis-toi que si dans les quartiers il n’y avait pas de grosse tête, on
n’aurait jamais eu d’armes. Tu regardes, toutes les armes qu’on a eues à
la base, c’était des armes qui ne servaient plus à des gros qui les revendaient. Tu ne sais même pas ce qu’ils
ont fait avec. De vraies armes cassepipes, des armes qui ont déjà servi. Tu
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C’est une ambivalence impossible quand même,
votre rapport aux armes.Vous ne pouvez pas vous
en séparer pour toutes les raisons qu’on a abordées plus haut, mais en même temps, elles vous
enlèvent des gens, des proches.Deux aspects d’un
même objet. Comment tu réagis face à ça?
F : Ça me dégoûte quelque part. Dans mon cas, il y a un
petit moment, j’avais des armes à la maison. Des potes venaient et on rigolait, desfois sur certains sons on les sortait,
pour rigoler entre nous, se taper un petit délire. On s’amuse,
on se braque, on parle des embrouilles : « Tiens, si lui, il fait
un truc je le fume, si eux, ils s’attaquent à telle personne, je
les fume ». On parlait de tuer des gens, mais du jour au lendemain, la réalité nous a rattrapés. On a perdu trop de gens
d’un seul coup, pour des embrouilles qui n’en valaient pas
la peine. C’est là où tu te dis que toi, un jour dans ta vie, tu
aurais pu faire cette connerie. J’aurais pu enlever un fils à
une mère, anéantir une famille, anéantir des amis. C’est une
ambiguïté qui te retourne, tu te dis qu’un jour, sur un coup
de folie ou pour une embrouille qui est partie trop loin, je
peux douiller, je peux tuer quelqu’un, sans le vouloir ou en
le voulant, mais quand tu as vécu un deuil, tu comprends
les dommages que tu peux infliger derrière un coup de feu.
Mais des deux côtés, toi tu peux douiller quelqu’un et 3 ans
après, pour toi, l’histoire est oubliée, t’es dans ta voiture
avec ta gamine et tu te fais fumer.
C’est quoi la hiérarchie d’événements qui vont te
pousser à te servir d’une arme alors ?
F : Première chose, la famille. J’ai pas 70 personnes dans
ma famille. Tu touches à un des miens, je t’enlève la vie,
sans regrets, sans scrupules. Je ne voudrais pas enlever la
vie à quelqu’un pour de l’argent, pour de la drogue, pour un
terrain, pour des embrouilles de cités. C’est pas ça la vie.
Tu construis une famille, tu fais ta vie, tu veux être un individu normal. Nous on emprunte des chemins qui vont nous
forcer, un jour, à utiliser ce genre de choses. À nous à ce
moment là de relativiser ou d’agir et assumer après.
Deuxième chose, c’est mes potes. Les gens avec qui je suis,
jours et nuits, certains sont comme mes frères, j’ai partagé
des trucs avec eux, je regardais à droite, ils étaient là, où
personne n’allait et eux, ils étaient là. Tu leur fais un truc, tu
me fais un truc à moi. C’est logique. Tu as tout traversé avec
moi et tu as une embrouille avec lui, tu veux lui faire du mal
au point de nuire à sa vie, à ce moment-là, s’il faut prendre
les armes, j’y vais. J’y vais les yeux fermés. Ces gens-là,
si jamais j’ai une galère, je sais que je pourrai compter sur
eux. Tu aimes savoir que tu n’es pas tout seul. Le jour où tu
as une couille, il y a des frères qui sont là, qui sont prêts à
mettre les gants pour toi, t’es content.
Franchement c’est un truc de salope de penser comme ça,
mais dans la rue t’es obligé. Rester seul, ça n’existe pas.
Pour K. et M.
(Les prénoms ont étés modifiés)
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DEPUIS BIENTÔT 20 ANS UNE PETITE MUSIQUE LENTEMENT MAIS SÛREMENT S’EST TRANSFORMÉE EN SYMPHONIE WAGNÉRIENNE ; DES PETITES TROMPETTES SUR LES BANDES DE
JEUNES DE L’ARCHE DE LA DÉFENSE NOUS SOMMES PASSÉS, DE VAULX-EN-VELIN AUX
SAUVAGEONS, DE 2005 À VILLIERS-LE-BEL AU SON DES HAUTBOIS QUI SONNENT ET DES
MUSETTES QUI RÉSONNENT.
SAUF QUE CE N’EST PAS LE BAL DU SAMEDI SOIR, MAIS L’ORCHESTRE DE TOUS LES JOURS.
GROSSE CAISSE QUI TAMBOURINE, BATTEMENT DU CHŒUR SOCIAL, TOUS EN CŒUR :
“INSÉCURITÉ“.
UNITÉ DE BRUIT MÉDIATIQUE. BRUIT DE FOND PERMANENT.
EN LE VIVANT TOUS LES JOURS, NOUS NOUS CROYONS ET C’EST HUMAIN, LES PREMIERS
À SUBIR CE REFRAIN ENTÊTANT. C’EST PEUT-ÊTRE VRAI À CE NIVEAU DE DÉCIBELS, MAIS
CE N’EST PAS NOUVEAU.
“LES BANDES DE JEUNES - DES «BLOUSONS NOIRS» À NOS JOURS“ EST UN LIVRE QUI
NOUS LE RAPPELLE CONSCIENCIEUSEMENT : DÈS QUE LES JEUNES SE SONT CONSTRUITS
UN UNIVERS BIEN À EUX, SUR FOND DE TRANSFORMATIONS SOCIALES ET DE CULTURE
ROCK, ILS ONT FAIT PEUR. C’ÉTAIENT LES «BLOUSONS NOIRS».
SUR FOND D’AUTRES TRANSFORMATIONS SOCIALES ET DE CULTURE RAP, CETTE PEUR
DIFFUSE A MUTÉ EN «SENTIMENT GÉNÉRAL D’INSÉCURITÉ».
RETOUR AVEC LAURENT MUCCHIELLI, UN DES COORDINATEURS DE CE LIVRE SUR CETTE HISTOIRE, ET CETTE ACTUALITÉ QUI MÊME SANS ACTUALITÉ, FAIT LA BANDE SON DE NOS J.T.
ET DES DISCOURS DE MOINS EN MOINS POLICÉS DE NOS POLITICIENS.
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Dans le livre, il y a un article très intéressant
de Sébastien Le Pajolec sur “Le cinéma des
blousons noirs“ où il nous expliquecomment
« “L’équipée sauvage” a servi d’alibi à la
création médiatique d’un stéréotype social ».
Est-ce que “La Haine” a pu, paradoxalement,
jouer ce même rôle, de film détonateur?
Je ne suis pas sûr que ce film ait joué le même rôle. Il a
joué un rôle oui, en mettant des images sur ces fameuses
“cités“ dont 90 % de la population française, a fortiori celle en dehors des grandes agglomérations, n’avait aucune
connaissance directe. S’ils avaient vu une cité, c’était éventuellement sur une autoroute, et de loin… En mettant ces
images dans un film qui se voulait réaliste, sans doute que
de ce côté-là malheureusement, ça a contribué à renforcer
certaines peurs. Dans le même temps, le film a aussi une
trame explicative ; je me souviens que Matthieu Kassovitz
disait régulièrement à l’époque qu’il avait voulu faire un film
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aussi sur la violence policière : ceux qui ont voulu le regarder autrement ont pu le regarder autrement.
Ceci dit, le phénomène est réel et par exemple dans mon
travail sur les tournantes, on peut se rendre compte que le
point de départ de la panique médiatique n’était même pas
un fait divers particulièrement grave. On aurait pu imaginer
une histoire extrêmement sordide avec vingt jeunes au fond
d’une cave mais pas du tout… C’est un film qui a déclenché
cela : “La Squale”. Un film qui n’est pas, j’insiste, un film réaliste mais qui, en partie par l’auteur, en partie par les médias,
a été présenté comme un documentaire alors que, encore
une fois, c’est une pure fiction qui d’ailleurs raconte principalement tout autre chose : l’histoire d’une jeune fille qui
cherche son père… Mais qui s’ouvre sur une scène de viol
collectif. C’est ce que les médias ont retenu et c’est ce film
qui a déclenché la panique médiatique. Ça, je l’ai démontré
dans le bouquin. Le phénomène est bien réel mais le rôle
des images, et de la façon dont on s’en empare, comme si
c’était des sortes de documents, sont tout à fait importants
pour comprendre l’interprétation qui est donnée. Et cette
interprétation peut clairement déformer le réel.
Et d’ailleurs, l’association Ni Putes Ni Soumises s’est crée avant ou après cette “panique
médiatique” ?
La panique morale, comme je l’appelle, sur l’affaire des
tournantes a eu deux phases : la première, c’est le film qui
la déclenche, fin 2000, début 2001. Et puis ça a rebondi,
fin 2001, début 2002, dans le contexte de l’après 11 septembre, de la grande peur de l’Islam, et de l’islamophobie.
C’est dans cette deuxième période qu’incontestablement le
principal lobby qui a joué pour ériger cette question sur la
scène politique, c’est effectivement l’association Ni Putes Ni
Soumises. Avec l’incroyable couverture politique et médiatique dont elle a bénéficié, dans laquelle elle a été prise sans
1/2-Marlon Brando dans “Léquipée Sauvage”
“The Wild One” de Laslo Benedek
3-“Arrestations” in Paris Match n°539
Photos Roger Coral, J.C Sauer
doute elle-même, l’ayant favorisée et
se faisant sans doute dépassée par elle
aussi, amenant petit à petit ses représentants et notamment sa présidente
Fadela Amara à contribuer en réalité et
principalement à nourrir la stigmatisation et les amalgames qui pèsent sur
les jeunes des quartiers qu’on présente comme fatalement violents, violents
envers les femmes parce que d’origine
maghrébine ou africaine, parce que
musulmans, au fond prédisposés à la
violence pour ces raisons-là. Ce qui
s’est retourné contre l’association, ce
qui fait que le discours de l’association
a été à la fois extrêmement bien reçu
dans les mondes politique et médiatique et extrêmement mal perçu dans
les quartiers en question (...)
Pour rester aux “bandes de jeunes”, est-ce que toute la difficulté du travail sociologique ne consiste pas un peu à déconstruire justement ces “réalités” construites par les médias et
les politiques ?”
C’est toute la difficulté de l’exercice du métier de sociologue face à des médias,
des lobbies ou des politiques qui, dès lors que l’on va précisément déconstruire,
à commencer par le langage qu’ils utilisent, vont s’empresser de dire que l’on
cherche à nier des problèmes réels…
Ce sont évidemment deux dimensions différentes. Il ne s’agit pas du tout de nier
des problèmes réels, mais de proposer une autre façon de les analyser, et de
refuser la langue, les catégories politiques, ou médiatiques. Du style les “gangs”
pour qualifier n’importe quel groupe de jeunes. Du style les “guet-apens” pour
justifier a posteriori des affrontements qu’on a en partie provoqué par des méthodes tout aussi agressives et provocatrices qu’ont malheureusement beaucoup
de policiers peu encadrés et peu formés, et balancés en première affectation
dans les quartiers les plus durs.
Quant aux médias, ils regardent ça de loin, ils s’emparent et fabriquent des scandales parce qu’ils fonctionnent beaucoup à ça, ils adorent ça parce que cela
donne à la fois la position du moralisateur, du bienfaiteur qui dénonce, et la possibilité de faire de bons tirages.
Quand on remonte dans l’histoire, ce que je fais régulièrement, par exemple à
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4-“La Haine” Paris Match Février 1978
5-“Blousons noirs”
Photos Yan Morvan
“Gang” Ed. Marval
l’époque des “blousons noirs” au début des années 60,
on retrouve à peu près les mêmes phénomènes de mise
en scène, de panique et surtout donc malheureusement, de
propagation d’éléments d’explications que nous trouvons
très critiquables. Alors que par ailleurs, il y a des problèmes,
mais d’autres façons de les analyser.
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Et pour ce genre de sujets, les médias ont besoin de ce que
Stanley Cohen appelle « les experts officiellement accrédités », ces fameux “experts” médiatiques, toujours les mêmes
et qu’on peut compter sur les doigts des deux mains, notamment Alain Bauer et Xavier Raufer…
Tout à fait, je les ai d’ailleurs identifiés depuis longtemps, c’est mon premier texte,
qui concernait ces « nouveaux experts de la sécurité » (dont le tandem Alain Bauer - Xavier Raufer), écrit début 1999, ce qui fait presque 10 ans… Ces experts, qui
ne sont ni des chercheurs ni des universitaires, ont une stratégie de légitimation
universitaire et scientifique… C’est la couverture on va dire, ce qu’il faut pour se
présenter en tant qu’experts alors même qu’il n’y a pas d’expertise validée par
le monde universitaire et de la recherche -ils n’ont jamais publié un seul article
dans une revue qui évalue les textes et sans doute que s’ils le tentaient, ils seraient recalés vite fait parce que précisément, ils ne respectent pas les critères
scientifiques… Mais ils ont besoin de ça pour pouvoir se présenter comme tels
et jouer sur tous les tableaux. Pour eux, l’objectif n’est pas la connaissance pour
la connaissance, contrairement aux chercheurs ; leur objectifs sont évidemment
politiques et à certains égards, économiques aussi, parce qu’il ya bien sûr un
business de la sécurité…
Les mots sont importants : est-ce que le mot “gang” ne porte pas en lui un contenu et un contexte plus américains que
français et que le mot “bande” avec ce qu’il ce supposerait
de moins organisé et structuré reflète mieux une réalité française ?
Tout le problème est d’éviter les amalgames qui tournent autour de la notion
de “bande” en général parce qu’un
groupe de copains qui peut être impliqué dans des faits délictueux, en particulier des faits délictueux qui naissent
d’une opération de contrôle policier
par exemple, ce groupe de copains
n’est pas pour autant une bande organisée dans la délinquance. Je ne parle
évidemment pas du groupe de copains
qui a l’habitude d’être en groupe, qui
peut susciter de la peur, qui peut éventuellement faire des incivilités mais qui
n’est pas non plus pour autant structuré autour d’une activité délinquante.
Sachant par ailleurs que le propre de
l’adolescence, c’est de fonctionner
en bande, en groupe. Effectivement,
utiliser un seul mot pour désigner des
réalités aussi différentes, par définition
c’est favoriser les amalgames.
On peut dire que c’est juste une question de mots, ou que celui de “gang” est
simplement l’expression ordinaire aux Etats Unis pour dire “bande” -il n’y en a
pas d’autre. En réalité, pourquoi pas utiliser l’expression de “gang” lorsqu’on a à
faire avec des groupes véritablement organisés autour d’une activité, qui est l’activité délinquante. Mais d’un autre côté, il existe aussi des expressions telles que
“bandes de malfaiteurs” ou “bandes organisées” qui signifient la même chose.
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5-“Rockers”
Casse auto de Montreuil,1975
6-“Fifties” Nogent sur Marne,1977
7-“Rockers” Bastille,1975
Photos Yan Morvan
“Gang” Ed. Marval
coup de quartiers -encore une fois : en
France, avec sa situation bien à elle- il
y a aussi une coupure mentale. C’est
dans la tête que beaucoup de jeunes
pensent qu’ils sont dans un monde
différent du reste. Et cette coupure-là,
cette barrière entre eux et nous, que la
société leur renvoie en permanence et
que eux, évidemment, finissent par reprendre à leur compte et retourner à la
société -c’est le phénomène classique
de stigmatisation / contre stigmatisation ; racisme / contre racisme etc.- ce
processus, on voit bien qu’il est à l’œuvre, bien sûr.
Un autre grand et gros mot : est-ce qu’on peut
qualifier la réalité des cités françaises du mot
de “ghetto” ? Et est-ce qu’il y a des ghettos
français ?
Sur l’expression “homogénéité ethnique”, ou “bandes aux
membres d’origine subsaharienne” comme disent les
RG, je crois bien que la première fois qu’on a parlé de
bandes ou de gangs dans les
média, c’est notamment avec
le magazine Globe à l’époque
des Requins Vicieux ou des
Black Dragons par exemple,
et l’on parlait déjà de bandes
de Noirs, ou de Zoulous pour
euphémiser…
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Oui et non. Comme l’a dit souvent et à juste titre mon collègue Loïc Wacquant, on ne peut pas parler de ghetto si immédiatement on suggère des comparaisons avec d’autres
pays (…) où la situation n’a rien à voir. Pour au moins deux
raisons : dans les quartiers populaires français, d’abord il n’y
a pas d’“homogénéité ethnique” comme on dit, avec plein
de guillemets et ensuite, il n’y a pas non plus de disparition
des services publics. Il y a plein de gros problèmes mais on
ne peut pas dire que ce soient des ghettos.
On n’est pas non plus sur les mêmes dimensions parce qu’à
la limite en France, on a toujours l’image et le fantasme de la
situation américaine, mais les véritables ghettos où les situations sont les plus dramatiques et où les coupures d’avec le
reste de la société sont les plus fortes, ce n’est plus aux E.U. qu’on les trouve mais dans les pays d’Amérique latine, en
Afrique du Sud etc. Où là, l’on est véritablement dans des
mondes séparés et néanmoins collés les uns aux autres,
avec des niveaux d’absence de régulation étatique et des
niveaux de violence qui sont absolument sans commune
mesure avec ce que nous connaissons en Europe. Donc,
de ce point de vue, moi je m’abstiens la plupart du temps
d’employer le mot ghetto.
En revanche, je pense qu’il faut employer l’expression «processus de ghettoïsation», pour indiquer des tendances, des possibilités si on ne fait rien, des situations qui évoluent. Parce que la situation des quartiers populaires se dégrade, et
ne cesse de se dégrader. Et ce n’est pas une représentation catastrophiste que
de dire ça. Ce sont des indicateurs de type socio-économique et démographique
qui le disent : c’est l’INSEE qui a défini ces zones qu’elle appelle “Zones Urbaines Sensibles” en fonction d’une série d’indicateurs, et lorsqu’on les mesure, de
recensement en recensement, on s’aperçoit que -pas tous les quartiers, certains
vont mieux- une grande partie de ces ZUS se dégradent en termes de taux de
chômage, de pauvreté etc.
Ça me semble donc intéressant de parler d’un processus de ghettoïsation à la fois
pour désigner ces problèmes de type socio-économique, mais aussi de ce que ça
génère en termes de psychologie collective. Le processus de ghettoïsation, c’est
aussi dans la tête, dans la mentalité du ghettoïsé : on voit bien que dans beau-
Ça remonte à la fin des années 80, ça
fait donc 20 ans maintenant, ce qu’on
oublie toujours. Dans le monde des
bandes, définis ici comme des groupes de grands adolescents ou de jeunes adultes qui ont des activités clairement tournées sur la délinquance, qui
sont en groupe autour de ces activités,
quel que soit le niveau -après, il y a des
partages, ce n’est pas forcément la
grande délinquance- dans ce mondelà il est certain qu’on peut rencontrer
des bandes où les individus ont tous
des familles qui ont les mêmes origines
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tie des jeunes de ce quartier en échec
scolaire, on a encore plus de jeunes
issus de l’immigration. Que les bandes soient à l’image de ce monde-là,
c’est la logique absolue puisque c’est
là qu’on les recrute. C’est ça qu’il faut
faire comprendre.
La première logique, c’est le territoire
d’un quartier précis, ces jeunes sont
avant tout des jeunes qui se connaissent et qui ont grandi ensemble, à
l’image de la jeunesse de ce quartier ;
a fortiori si l’on ajoute le critère déterminant de l’échec scolaire, ils sont
à l’image des jeunes en échec de ce
quartier. Il n’y a pas besoin d’aller chercher des origines, des ethnies ou je ne
sais quoi pour analyser le phénomène.
Est-ce qu’on peut aussi simplement grâce au préfixe
«ban» (banlieues, bandes,
bandits, bannissement …) se
permettre le raccourci : bandes = banlieue, alors que par
exemple, les Requins Vicieux
encore une fois, venaient à la
base de Paris intra muros, du
XIXè ?
géographiques, si on veut parler correctement et éviter ce vocable ethnique qui
n’a pas de sens, si ce n’est des facilités de langage, avec ses effets pervers. On
peut en rencontrer, comme on peut ne pas en rencontrer, pourquoi ? Parce que le
critère n’est pas là, le critère c’est tout simplement le quartier d’habitat d’où viennent ces jeunes, les territoires où ils sont -“territoires“ entendus jusqu’au sens
restreint du micro quartier (les deux barres qui entourent la place). Quand on a
des territoires à grande mixité sociale et d’origine, on va trouver des bandes qui
reflètent largement ça ; inversement, si l’on va dans des territoires où les jeunes
qui habitent là sont 9 fois 10 Blacks ou Beurs, les bandes seront composées de
Blacks ou de Beurs, ce n’est pas étonnant. Juste le décalque de leur réalité démographique.
Ensuite, les jeunes des bandes qui pratiquent des activités tournées autour de
la délinquance ont pour principal point commun dans leurs trajectoires, l’échec
scolaire. En réalité, il faudrait même les comparer avec la partie des jeunes de ce
territoire qui sont en échec scolaire. Or il se trouve que les jeunes dits d’origine
immigrée, on le sait, sont statistiquement plus défavorisés que les autres par
rapport à la réussite scolaire, plus en échec. Autrement dit, si l’on prend la par-
C’est l’idée de la mise à l’écart mais je
ne sais jusqu’à quel point il faut utiliser
ça, parce que peu de gens savent, en
réalité, que les banlieues sont les lieux
du ban. Mais ce qui est certain, c’est
qu’on parle bien de phénomènes d’exclusion. Ce qu’il faut toujours rappeler,
c’est que derrière les questions de délinquance juvénile se cache en réalité
le problème de l’insertion sociale des
jeunes.
En fait, à quoi tout jeune rêve dans la
vie ? Qu’est-ce que c’est pour un jeune
de devenir un adulte ? C’est de réunir
progressivement trois éléments.
Le premier : avoir un travail, au double
sens d’ailleurs d’un statut social et d’un
revenu. D’un statut, parce que quoi
8/9/10-“Del Vickings” Paris
Photos Gilles Cohen
(Zoom Magazine)
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qu’on dise, quand des adultes qui ne
se connaissent pas se rencontrent au
cours d’une soirée, la première question qu’on pose c’est : vous faîtes quoi
dans la vie ? Et les gens répondent en
parlant de leur métier, sauf quand ils
n’en ont pas. Il est rare chez un adulte
de répondre à cette question «je suis
fan de telle ou telle musique»… Que
l’on veuille ou non, cela reste le cœur
de l’identité sociale : avoir une place,
un statut, avoir une valeur sociale et
se sentir utile etc. C’est subjectif mais
c’est extrêmement important, c’est en
partie ce qui fait tenir droit les individus
et ce qui les tient ensemble, autrement
dit c’est ce qui fait une société.
Puis il y a le revenu, et là c’est très objectif : si on n’a pas de revenu, si on ne
gagne pas ou pas assez d’argent, on
ne peut avoir le deuxième élément de
l’insertion sociale et du devenir adulte,
qui est la capacité à prendre un logement. Partir de chez papa et maman,
c’est aussi ça, devenir un adulte. Sans
revenus liés au travail, impossible.
Alors un film comme “Tanguy” fait sourire dans les milieux aisés mais dans
les quartiers populaires, ça ne fait pas
rire du tout : quand vous êtes un jeune
homme de 25, 30 ans encore obligé
de rentrer en catimini le soir chez ses
parents ou d’aller dormir chez des copains, avec un père qui vous regarde
de travers tous les jours sur le mode
« tu fous rien, t’as pas de travail, tu ramènes pas d’argent », c’est extrêmement humiliant, et une vraie souffrance. Ça, c’était le deuxième critère : si
pas de travail, pas de revenu, et pas de
logement.
C’est seulement si vous avez tout ça
que vous êtes en condition pour la
troisième étape qui est de vous mettre
en couple et fonder à votre tour votre
propre famille, ce qui est l’accomplissement du devenir adulte et la fin définitive de la jeunesse.
C’est ce processus-là, d’une très grande banalité, et pourtant absolument
fondamental, c’est ce processus qui
est bloqué aujourd’hui pour une partie de la jeunesse, en particulier dans
ces quartier mais pas seulement -il y a
de la misère, de la pauvreté et de l’absence d’insertion aussi chez les jeunes
en milieu rural, mais il est plus concentré dans ces quartiers- et c’est ça qui
se cache derrière tous nos problèmes,
en réalité. Et que malheureusement
l’on ne veut pas voir, ou pas comprendre : cette impossibilité d’y accéder
et même pour une partie des jeunes,
la conviction qu’ils n’y arriveront pas,
que c’est pas pour eux etc. D’où fatalement, cette coupure avec les normes
de la société, cette justification de se
débrouiller en dehors du système parce
qu’au fond, quand on fait des entretiens
avec tous ces jeunes qui sont dans la
délinquance, le “business” ou autre, on
arrive toujours à cette justification. Cette possibilité d’acquérir un statut, dans
un système régi par d’autres règles…
Un statut par défaut. Et de manière
générale d’ailleurs, parce que l’identité
délinquante, la délinquance quand on
la pratique de façon routinière, ce n’est
pas juste une activité, c’est un rôle,
une place qui est connue des autres,
cette identité est une identité par défaut, faute d’une autre.
prendre dans la société actuelle, c’est
que cette intégration, cette normalisation si on veut, n’est pas un processus
mental de l’ordre de la décision : « j’ai
décidé que je vais m’intégrer dans la
société » ou « euh non, finalement, tout
compte fait je ne vais pas m’intégrer »,
ce n’est pas une décision comme s’il
y avait un choix rationnel et qu’on décidait de le faire ou de ne pas le faire.
C’est la conséquence en réalité du fait
qu’on puisse remplir un certain nombre
de conditions d’insertion qui font qu’au
bout d’un moment effectivement, ça
s’accompagne d’une conversion identitaire, de l’abandon de conduites juvéniles et l’adoption d’un style de vie
plus normé, adulte, posé, avec abandon d’un certain nombre de conduites
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Dans un autre des articles du livre, Yves Pedrazzini, écrit que
« le spectre de la violence hante les villes. Il s’incarne dans la
forme de la bande d’adolescents des quartiers pauvres. Sous
le nom de “gang”, elle est la figure emblématique du devenir
violent et fragmenté de la grande ville » : est-ce que les bandes de jeunes ne sont pas simplement la pointe immergée de
l’iceberg, la peur collective de la “jungle urbaine” et des dangers qu’elle recouvre ?
11/12-“La Haine”
de Mathieu Kassovitz 1995
13- Photo Yan Morvan
“Gang” Ed. Marval
Oui, c’est plus globalement l’image de la jeunesse et je pense à des travaux
d’historiens là dessus, cette jeunesse qui, dans toutes les sociétés, a toujours été
associée au désordre. D’ailleurs, les sociétés anciennes avaient même ritualisé
le fait que la jeunesse crée du désordre et en avait fait une fonction, avec des
moments particuliers d’expression et de tolérance du désordre : ce sont les carnavals, le charivari, les désordres des jeunes. C’est une constante. Je dirais que
par définition, l’âge adulte est le moment de l’établissement, de l‘intégration et
de la soumission aux normes en quelque sorte mais ce qu’on ne veut pas com-
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Pour rebondir sur ce discours idéologique qui refuse
de contextualiser les choses,
qu’on dit sarkozyste mais
dans lequel quasiment tout le
monde baigne, des politiques
16-“Zulus”
à la majorité des électeurs,
17-“Rocky” chef des Ducky Boys
des journalistes aux experts
18- “Ducky Boys” Paris,1989
Photo Yan Morvan
accrédités, peut-on encore
“Gang” Ed. Marval
faire entendre une autre lansentiment d’impuissance, ils l’ont non gue, de type sociologique qui
pas parce qu’ils n’arrivent à rien mais tente d’englober des parcours
parce que le niveau de problèmes et individuels dans des procesles moyens qu’ils ont en face sont sou- sus sociaux ?
vent en décalage ; leurs moyens sont
même parfois dérisoires, de quoi aider
réellement 3, 4, 5, 6 jeunes mais s’il y
en a 30… Il y a des effets de seuil, des
effets de masse donc souvent un sentiment d’impuissance de la part des professionnels de terrain, des associatifs,
16
à risques qui sont le propre de la jeunesse…
C’est ça qu’on ne veut pas comprendre en accusant ces
jeunes de ne pas vouloir, voire même de choisir cette vie,
avec aujourd’hui et de façon dramatique, la banalisation de
cette pseudo théorie de la délinquance qui serait l’explication par le choix rationnel, qui est une aberration totale,
parce que ça revient à dire que les jeunes se disent : « alors
moi, dans 10 ans, je rêve d’avoir un commerce et une baraque à tel endroit, donc il me faut environ 150 000 € donc je
vais choisir la délinquance plutôt que de faire un mastère de
droit commercial, un emprunt et travailler ». Non ! Ce n’est
pas comme ça que ça se passe : on ne choisit pas une trajectoire de marginalité et d’exclusion ! On y est la plupart du
temps poussé parce que l’on est en situation d’échec dans
la “vie normale”. Ces théories du choix rationnel ne sont
au fond que des rationalisations a posteriori produites par
des gens bien propres sur eux qui ne savent pas de quoi ils
parlent.
14-“Eddy” Black Dragoons
second général de Yves
15-“Yves” chef des Black Dragoons
Photo Yan Morvan
“Gang” Ed. Marval
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Bien sûr, dans les hautes sphères du
pouvoir actuel, “sociologue“ est une
insulte… C’est très clair, c’est un sujet à moqueries. Je peux raconter
cette anecdote parce qu’elle est extrêmement significative : un collègue
(Christian Mouhanna) a raconté dans
un article qu’il avait donc assisté à
une réunion dans ces hautes sphères
dont vous parlez, à l’époque je crois
où l’actuel président de la République
était encore ministre de l’Intérieur, à la
fin d’un discours, la blague de Nicolas
Sarkozy consistait en : « vous vous
rendez compte, il y a même des socio-
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logues qui font des thèses sur les banlieues… ! » (rires gras)… Ça en dit long
sur ce refus de comprendre.
Comme une des petites phrases préférées de Nicolas Sarkozy : « expliquer
l’inexplicable, c’est justifier l’injustifiable », ce qui constitue une confusion
volontaire entre la compréhension intellectuelle et la compréhension morale.
Entre la compréhension intellectuelle et
l’encouragement, la validation morale.
Cet amalgame volontaire vise évidemment à discréditer toute posture d’analyse. Pas d’analyse, pas de contexte,
pas d’explication ; uniquement le Bien
contre le Mal ou les gentils contre les
méchants, qui vise à nous abrutir pour
parler un peu radicalement, mais c’est
malheureusement de ça dont il s’agit.
Et qui ne peut que contribuer à renforcer la peur, c’est une des stratégies de
la peur, refuser de comprendre, refuser
d’expliquer, refuser de jeter la lumière
sur des mécanismes qui ont produit tel
problème. Dès lors cela veut dire s’empêcher de trouver une quelconque solution réelle aux problèmes parce que
si on n’a pas analysé ses causes, on
ne risque pas de trouver ses solutions.
C’est pour ça que j‘écris dans l’introduction de “La frénésie sécuritaire”
qu’on peut se demander dans quelle
mesure la sécurité n’est pas devenue
davantage une solution qu’un problème pour les politiques. Parce que la
sécurité, et son entretien, est le moyen
de montrer qu’ils se préoccupent d’un
problème, ce qui suffit. Et il ne faut surtout pas que le problème disparaisse,
ils seraient bien embêtés…
“Les Bandes de jeunes - Des «blousons noirs» à nos jours“ : sous la
direction de Marwan Mohammed et
Laurent Mucchielli, La Découverte,
collection “Recherches”, Paris, 2007.
Et le fait que ces sottises reviennent dans le débat est emblématique de cette mode idéologique dans laquelle nous
sommes baignés, ce refus d’explications, cet enfermement
de l’individu dans l’individualité, ce fait de tout ramener vers
les choix individuels, la responsabilité individuelle. En fait,
le but est d’autoriser l’ensemble de la société, l’ensemble
du monde des adultes, à effectuer une sorte de démission
collective face à son devoir d’éducation et d’insertion de la
jeunesse. Et si cela marche bien c’est que sans doute, cela
profite du sentiment d’impuissance que beaucoup de gens
éprouvent sincèrement. Quand beaucoup de gens qui travaillent avec ces jeunes dans ces quartiers difficiles ont ce
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voire des élus locaux. Je pense que ce
discours de type idéologique en réalité
sur la responsabilité individuelle nous
pousse tous dans une espèce de démission collective qui profite des difficultés objectives du travail (social) et
du sentiment d’impuissance.
À lire aussi : “La frénésie sécuritaire Retour à l’ordre et nouveau contrôle
social “ : Laurent Mucchielli, La Découverte, Paris, 2008.
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1/2-El Cajon Carshow
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-Désert Serie
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[email protected]
www.dimitricoste.com
ALEA ACTA EST
Amis des blogs musicaux, bonjour.
Et bon courage.
Va falloir trouver autre chose que la pépère mention «les morceaux ici présents
ne sont là que pour un usage promo, soutenez les artistes, achetez leurs disques
etc.“, pour continuer à servir de machine à buzz sans autorisation.
Ou retourner au système habituel de la presse officielle.
Parce que les gros labels, les gros calibres, pas de la roupie de sansonnet de
petites maisons de disques tellement cool avec vous (et nous), mais l’industrie,
la vraie, pas seulement celle de la musique, mais aussi celle de l’informatique et
tutti quanti, dont les labos pharmaceutiques… elle rigole plus du tout.
Leurs gros services juridiques et leurs cabinets d’avocats balèzes qui, à force de
lobbying pour sauvegarder cette propriété intellectuelle qui protège nos indispensables auteurs que tout le monde sait bien sûr en voie d’extinction, sont en
passe de réussir.
C’est du lourd, mon coco.
Tu vas bientôt oublier de balancer et de te servir en MP3 gratos, mais surtout
tu vas oublier d’essayer de passer les frontières avec des trucs sans factures
d’achat, parce que les douanes risquent d’avoir le droit d’inspecter sérieusement
ton iPod, ton téléphone, en plus de ta valise à roulettes pour trouver des fringues
bootleg.
Ton fournisseur d’accès à Internet, ça va plus trop être ton ami, encore moins
qu’aujourd’hui. Évidemment, l’usage des P2P et des torrents deviendrait non
plus un délit, mais un crime.
Sans oublier de limiter les médocs génériques : c’est pas bon pour la santé des
bénéfices.
Nouvel Axe du Mal face au camp du Bien, celui des gens des compagnies.
Les dits pirates, un peu Farc sur les bords de la jungle web doivent être éradiqués.
SACEM needs you. Et la SACD aussi. Les talibans de l’écran vont faire moins les
malins dans leurs chambres, on ira les chercher jusque dans leurs placards où
ils se cacheront derrière leurs blousons, t-shirts et autres caleçons, et les chaussettes aussi.
Mais chut, faut pas trop le dire, c’est secret. Top secret. Mission commando.
Même Pascal Nègre et ses amis n’ont pas été invités à participer à ce cénacle :
juste des gens très bien, pas des saltimbanques à 2 balles, que des crânes d’œuf
formatés ENA ou Harvard et autres pointus du cerveau droit, missi dominici de la
Commission européenne, de la Chambres des représentants américains au commerce et tout plein d’agences gouvernementales, de l’Australie à l’Angleterre et
d’autres pays amis
Ça s’appelle ACTA. Anti-Counterfeiting Trade Agreement.
Ou Accord commercial anti contrefaçon.
Et donc voilà, ça recommence comme
en 14 comme disait mon grand tonton,
c’est reparti comme il y a 10 ans : les
éminences qui nous gouvernent vraiment depuis leurs bureaux, refont le
coup de l’AMI, l’Accord multilatéral sur
l’investissement, négocié secrètement
dans les bureaux de l’OCDE entre 95 et
97 et qui visait une libéralisation maxi
maousse des échanges et donc des
capitaux (pas des gens)…
Et qui a amené ceux qui avaient eu
accès à l’information par des voies détournées à créer un grand barouf anti
AMI, juste en éventant le secret. Le dit
syndrome de Dracula. Ce fut la création d’Attac.
Sauf qu’aujourd’hui l’ACTA n’est pas
du tout conçu pour libéraliser quoi que
ce soit. Mais pour cadenasser le copyright, et les royalties du copyright.
Subtilité de communication politique:
mets moi “contrefaçon“ dans l’acronyme, mon vieux, ça fait mieux.
Façon de brouiller les pistes en se servant d’un thème ayant bonne presse.
Surtout avec ces satanés Chinois qui
ne savent faire que piller notre savoir-
Modélisations 2D couleurs
d’un web du World Wide Web
www.opte.org/maps
‘‘C’EST PAS BON POUR LA
SANTÉ DES BÉNÉFICES’’
faire de nos ancêtres à nous, c’est comme ça qu’on en parle, à la télé, tu crois que ce que tu vois…
Mais quand tu lis dans ton lit Luxe & co de Dana Thomas
où t’apprends que pas mal des maisons de luxe produisent
en fait une bonne partie de leurs produits au pays du Milieu,
afin de toujours augmenter leurs marges, tu commences à
sourire jaune comme un Chinois…
Façon de brouiller les pistes et le message, et de tordre le
mauvais esprit de certains politiciens encore un peu constipés sur la protection des données personnelles et du droit
à la vie privée, surtout quand il va s’agir, avec cet ACTA, de
croiser les fichiers entre pays signataires. Et surtout, entre
officines en zone grise, partenariat public / privé qu’ils disent… petites barbouzeries bonjour, à votre service.
Des parlementaires canadiens ayant eu vent du sujet, ont
donc demandé des explications : on leur a certes refilé des
documents mais seulement après que les points importants
aient été raturés. Efficacité à l’ancienne.
Leurs collègues européens ont eux eu la chance d’obtenir
des infos de la part du commissaire Peter Mandelson qui
leur a confirmé que Bruxelles était bien engagé dans le procès délibératif… en donnant juste les dates des réunions.
Ils ont raison de faire gaffe : quand un sujet de cet ordre
est rendu public, il est souvent recadré à causes de petits
détails pénibles, genre protection des libertés individuelles,
droits de l’homme, tout ça…
Confer la célèbre “riposte graduée“, comme si c’était la
guerre, contenue dans le projet de loi Hadopi de notre cher
Denis Olivennes, recalée au niveau européen par le parlement de Strasbourg au prétexte qu’on ne peut pas tomber
sur le râble du quidam moyen et lui couper le robinet Adsl
sans passer par l’autorité judiciaire.
C’est pas vrai ça, qu’est-ce qu’ils sont mous alors, ces députés !
Ils vont tuer la culture. Avec un grand C.
C comme contrôle.
Société du contrôle social.
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Musiques Pariphériques
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Despo Rutti
Les Sirènes Du Charbon
(2006 - Soldat Sans Grade)
« Ceux qui parlent de niquer ta reum’
ils savent que la revanche est une juge
d’application des peines fiables ».
2006 fait une clé de bras au rap français qui tournait en rond depuis pas
mal de temps.
Album de Sefyu et mini album de
Despo Rutti.
Comme des ovnis, rien de comparable, enfin l’avenir.
Chaque phase de ce disque transpire
la banlieue, suinte la crasse, pisse le
charbon.
Ecoute, t’y es.
« On grandit vite quand le daron ne
peut pas chiffrer les Nike ».
Beaucoup ne se donne pas la peine de
disséquer le style unique de Despo.
Qu’ils aillent se faire foutre, ils n’ont
rien compris.
Ideal J
O’riginal MC’s sur une mission
(1996 - Night & Day)
« Tu veux connaître la pureté d’une
amitié, enfoiré, te gêne pas, viens vivre au milieu d’une cité ».
À cette époque, Dj Mehdi était très
loin de faire un truc comme Lucky
Boy et personne n’aurait parié un cul
de vieille sur un duo Kery James/Aznavour.
Pour cause.
Rarement la réalité d’une vie de cité
ne fût aussi palpable. Des kilomètres
de bandes K7 ont été usées, des milliers de LR6 ont été poncées dans
des walkmans pourris avec cet album qui se refilait, de main en main,
de ceux qui savent à ceux qui savent,
avec cet album, qui à chaque écoute
te fout un cafard monstre.
Cet album des Béru, comme disaient
les fans du groupe, sent déjà le début
de la fin : leur tube Empereur Tomato
Ketchup a squatté un an avant les on-
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Deux sons entendus en live un soir
à la radio, CD acheté le lendemain,
voilà comment résumer mon histoire
avec cet album. West Coast dans le
son comme dans les textes “Gang
Bang, tasspés et rage anti-bleus”,
les TSN ont su apporter cet esprit au
sein de Paris, les negros parigo ont
trouvés leurs porte paroles.
De plus ils reussirent à faire de nom-
Ministère A.M.E.R
95200
(1994 - EMI)
«T’es pas d’accord t’es un homme
mort» PAM-PAM 95200 met direct,
mais DIRECT je vous dis, les points
sur les «a» à coups de fusil à canon
scié, avec des références de l’époque et des interludes assassines.
Des textes relatant leur quotidien
d’une façon si réaliste et visuelle qu’en
les écoutant même un Jean Richard
de la rive gauche aurait l’impression
de vivre en barre H.L.M, d’avoir des
Reebok classic aux pieds, un 501 et
une casquette Lacoste vissée sur le
crâne.
Une seule chose à dire à la génération Sinik, 95200 est très loin des
featurings avec la légende flagada fatiguante du rock français ou des amitiés avec le blingeux-blingeux talonné
et il peut toujours vous high-kicker le
haut du crâne, un obus du rap français. Quelques phases de nos deux
ministres et de leur secrétaire d’état
pour vous donner un aperçu :
« …j’aimerais voir brûler Panam au
Napalm sous les flammes façon VietNam… » (Stomy Bugsy)
« …le C.F.A a perdu du poids, comme-ci l’avait le SIDA, ici on parle en
écu, je te souhaite la bienvenue… »
(Passi)
« …ce n’est pas de ma faute tu en
tomberas forcement accro-codile
mon polo a du style, moi qui rêve de
deal et de filles faciles… » (Doc Gyneco)
TRUST
Répression
(1980 - CBS)
Quelques Gouttes Suffisent
(1998 - Hostile Records)
Dans Paris Nocturne
(1995 - Night & Day)
Abracadaboum!
(1987 - Bondage Records)
breuses ventes sans rotation radio si
ce n’est de J’suis F mais bon, comment ne pas se marrer en écoutant
la si fameuse réplique empruntée
à notre Cloclo national : «À ton âge
il y a des choses qu’un garçon doit
savoir, les filles tu sais méfie toi c’est
pas ce que tu crois elle sont toutes ...
des tasspés ouais des tasspés sous
tous les aspects elles sont toutes des
tass’.»
Un album qui a marqué sans trop de
spotlights rivés sur la gueule, sûrement une exception pour l’époque.
À bon entendeur comme ils le notifiaient eux même en fin de dédicaces
sur leur livret : 1995. Tout Simplement
Noir. Ils étaient “AL”…
Arsenik
Tout Simplement Noir
Bérurier Noir
D
des de NRJ, pendant un sacré bout de
temps pour un groupe boycotté sévère
par la presse, même musicale.
Parce que les Bérurier Noir étaient
dans le genre ultra vener, hyper indépendants, politisés à l’extrême
(gauche), porteurs de toute la culture
squats parisiens années 80 mais au
succès dépassant de loin le petit milieu punk alternatif, résumé d’abord et
avant tout par Bondage Records (avec
les lanceurs de poireaux et légumes
variés avariés, les punkabilly Washington Dead Cats au même catalogue). Et
ce succès commercial les a plongés en
pleine contradiction.
À part ça, les Béru c’est un grand cirque et détail qui veut dire beaucoup :
une boîte à rythmes, enfants de Métal
Urbain qu’ils sont. Punks parisiens, pas
new wave français du tout.
Pas du tout sinistres je suis pas bien
dans ma tête de petit bourgeois, Virgin
Prunes dans le walkman et la ficelle
pour se pendre dans la poche. Non,
ils étaient anti bourgeois, antirascistes,
radicaux.
Un style de vie.
Une époque, celle de la génération
1986, S.C.A.L.P et chasseurs de skins,
qui n’a jamais fait la jonction avec celle
qui suivra, la génération rap.
« Un gars à la hauteur c’est rare comme une pute à son compte ».
Vraie bible du ghetto, symbolique du
rap de l’époque : violon, répliques de
films cultes samplées, flows rapides
et début du régne des punchlines.
Double disque d’or.
Les “Tchi-This” des deux frangins
résonnaient partout en banlieue, et
chez Lacoste on devenait fou, position latérale de sécurité pour le service communication et sourire diamant
à la compta : les chiffres de vente des
panoplies casquette-banane-survetdans-les-chaussettes siglées reptiles
resteront à jamais secret défense.
C’est ça qui est bien, ou pas, avec la
France : on a toujours des adaptations
fromagères des trucs U.K. et/ou US.
Mais Trust, c’était pas du yaourt.
D’abord, Bernie Bonvoisin chantait en
français et pas des mièvreries Cendrillon à la Téléphone, parce que Trust
c’était pas pour la FM , d’façon l’album
Répression avec l’anthem Antisocial à
l’intérieur, est sorti en 80.
Trust c’est plus la fin des années 70,
des petits gars énervés de la banlieue
qui comme toute cette génération en a
marre du glam rock, et même s’ils kiffaient évidemment le hard, surtout AC/
DC d’ailleurs et leur leader Bon Scott
avec qui ils deviendront ultra potes, ils
ont bien compris la rage punk.
Mais contrairement aux punks, ils savaient jouer d’un instrument, notamment de leurs guitares, et outre AC/
DC, Iron Maiden ou Anthrax en seront
de grands fans. Comme le public allemand.
Qui ne pouvait pas comprendre combien Trust envoyait la purée sur la calvitie de Giscard, et cette France façon
Raymond Barre. La France moisie intemporelle, qui censurera Trust plus
d’une fois…
Ce groupe, c’est une face des années
80, et tous ces jeunes hardos jean slims
zippés sur Americana, qui tomberont
ensuite dans la marmite Megadeth et
surtout : Metallica du début.
Une autre odeur de bitume.
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SI L’ON VOUS DIT QUE LE SYSTEMA EST UN ART MARTIAL
VENANT DES RUSSES DANS LE GENRE KGB, VOUS ALLEZ
IMAGINER UN MEC SYMPA COMME POUTINE VOUS ENSEIGNANT COMMENT RETOURNER UN GÉORGIEN ET LE DÉCORTIQUER TOUT CRU SUR LE TATAMI.
EH BEN NON.
C’EST TOUT LE CONTRAIRE : CET ART MARTIAL EST TOUT
SAUF UN ART DE TARTARES DES STEPPES.
D’AILLEURS PEUT-ÊTRE UN PEU GÉORGIEN SUR LES BORDS,
PUISQUE L’ON RACONTE QUE LE SYSTEMA A D’ABORD ÉTÉ
UNE SCIENCE EXCLUSIVEMENT À L’USAGE DES GARDES
DU CORPS DE STALINE, LA GROSSE MOUSTACHE DE CE
CÔTÉ-LÀ DU CAUCASE.
LE SYSTEMA N’EST MÊME PAS VRAIMENT UN ART MARTIAL.
MAIS UN ART DE SURVIE. OU DE VIVRE.
INITIATION AVEC M. KARDIAN, MAÎTRE SEREIN D’UNE DES
ÉCOLES SYSTEMA DE PARIS.
Commençons par le commencement : comment avez
vous découvert le systema ?
J’ai commencé les arts martiaux en
1979, j’en ai pratiqué beaucoup, et à
fond, j’ai été instructeur en arts martiaux philippins, qui sont très différents… Un de nos élèves qui était
abonné à différents magazines d’arts
martiaux américains, m’a un jour montré un article sur Vladimir Vasiliev, qui
m’a beaucoup intrigué. J’ai donc commandé des cassettes Vladimir Vasiliev
-à l’époque le DVD n’existait pas- et
quand j’ai vu les VHS, ça m’a rendu
encore beaucoup plus curieux. Je les
ai appelés le lendemain, pour leur demander si je pouvais venir m’entraîner.
Étant célibataire, c’était pour moi plus
facile de voyager, je suis donc parti
quelques jours après à Toronto, pour
apprendre.
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Si j’ai bien compris, Vasiliev,
c’est un peu le fils spirituel de
Mikhail Ryabko dont on dit
qu’il est lui-même le neveu
d’un des deux fameux gardes
du corps de Staline… C’est
une rumeur ou pas?
Ils disent beaucoup de choses, mais
moi, ça ne m’intéresse pas de remonter aussi loin. En fait, c’est le produit
qui m’intéresse, d’où ça vient est secondaire pour moi.
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Le systema est une sorte d’art
martial ou un art de combat ?
C’est un art de survie.
Rien à voir avec le krav-maga
par exemple?
Mikhail Ryabko
Vladimir Vasiliev
Rien à voir, du tout. Le krav-maga, c’est
un art martial très efficace, très violent,
mais on enseigne les gens à détruire,
uniquement. C’est très facile de détruire, mais c’est beaucoup plus difficile
de réparer quelque chose, de travailler
sur soi pour diminuer sa propre peur
quotidienne, de travailler sur elle, elle
qui nous provoque des tensions dans
le corps. Or ce sont ces tensions, sur
une longue durée, qui détruisent le
corps. On n’a pas besoin qu’on nous
agresse, on se détruit nous-même, par
des petits énervements, des petites
tensions, ou des grosses tensions en
fait… Le stress, l’anxiété…
Le systema est donc bien en
rapport avec les arts martiaux ?
Le systema est basé sur la respiration.
Respiration et mouvement.
Respiration, décontraction...
J’ai aussi cru comprendre que Vasiliev et Ryabko prétendai- Donc, vous voyez les premiètent que c’étaient eux, la vraie école systema ?
res cassettes, vous allez làbas, et là, on va dire que c’est
Pas du tout. Il y a d’autres écoles, on a des principes en commun, mais leur mé- le coup de foudre ?
thode d’apprentissage est différente, eux vous disent qu’ils sont chefs comme
Vladimir est le chef de l’école Vladimir Vasiliev (...) Notre patriarche, c’est Mikhail
Ryabko. Avec Vladimir, on est devenu très ami très vite. Lui dit qu’il ne s’y connaît
pas beaucoup mais c’est un génie, sauf qu’il persiste à préconiser, si l’on veut
vraiment connaître le systema, d’aller chez Mikhail Ryabko qui, lui, est plus jeune
que Vladimir Vasiliev. C’est son avis.
Non, parce que j’avais un grand ego,
donc je me suis testé, je me suis battu,
on a joué avec les différents élèves, et
ils m’ont convaincu très vite. Parce que
j’avais pratiqué beaucoup de choses,
j’ai commencé avec le karaté, le kick
boxing, la boxe thaï, le wing chun qui
est un style de kung fu, puis les arts
martiaux philippins.
La respiration, c’est la vie. Chaque fois
qu’on bouge en retenant notre souffle,
on se fait du mal. Là, je suis assis. Je
vais me lever : on est habitué à retenir
son souffle, en se mettant en apnée.
Inconsciemment. On se lève et (seulement) après, on se remet à respirer.
Donc, ce grand effort que je fais en me
levant et en retenant mon souffle augmente beaucoup la pression artérielle,
la pression sur les organes internes.
Ça nous arrive tous, on est en position squat, très bas au sol et tout d’un
coup, quand on se lève, on a la tête qui
tourne. Pourquoi la tête tourne ? Parce
qu’il y a eu un grand changement de
pression sanguine, artérielle. Et on n’a
pas respiré avec, donc il y a eu trop de
pression dans le système.
J’ai lu sur le web que dans certains séminaires, ou peut-être ici,
on fait aussi des exercices pour renforcer la force corporelle...
Automatiquement.
Par exemple avec l’eau froide, ou carrément l’eau glacée...
Ça, c’est pour ceux qui veulent ou peuvent le faire, on ne demande pas aux gens,
mais on peut faire ce qu’on appelle des thérapies de seaux à eau froide, de l’eau
très froide.
Ce sont des gens qui se baignent dans de l’eau froide simplement?
Non, une douche froide, c’est moins efficace. En fait, on est pieds nus, si c’est
possible par terre, sinon, c’est dans une baignoire, on remplit un seau bien rempli
avec de l’eau froide, et on va le verser sur la tête et ça va descendre sur tout le
corps. Plus c’est froid, mieux c’est. Ce qu’il se passe ici, et c’est expliqué scientifiquement aussi, il y a des articles là-dessus : pendant une ou deux secondes,
la température du corps va changer d’une façon… Ça va dépasser les 40 et
quelques degrés. Si ça reste comme ça, on meurt, mais juste pour une ou deux
secondes, ce changement va nettoyer le corps de tout ce qu’il peut avoir de pas
bien en lui.
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Et pour définir toujours plus à
l’intention de nos lecteurs, le
sytema est plus qu’une technique de combat, mais ce
n’est pas un sport non plus ?
Ce n’est pas un sport non. En fait, les
gens viennent de tous les coins, de différents métiers, avec différentes corpulences, avec différents niveaux de
santé, ce ne sont pas tous de grands
sportifs. Mais avec les exercices, on
les renforce musculairement et surtout
aux niveaux articulations et tendons.
Le truc, c’est que si on fait des mouvements en répétition rapide, par exemple les pompes, les squats, ça épuise
les muscles, les muscles se vident de
leur énergie, mais si on le fait avec
des respirations correctes et moins
rapides, ça renforce les tendons et
articulations. L’on accumule de l’énergie dans les tendons et articulations.
Donc, c’est pour ça que beaucoup de
problèmes d’articulation, ou de dos
aussi beaucoup, disparaissent après
quelque pratique.
1
Et cette rapidité des gestes signifie l’ancienneté
dans le sport, enfin… le niveau on va dire ?
Plus ils sont à l’aise dans toutes situations...Si tout d’un coup
quelqu’un les pousse et qu’ils vont tomber, ils savent comment tomber. Si 3, 4 personnes leur sautent dessus tout d’un
coup, ils savent au moins comment se protéger, comment
respirer... En fait, c’est comme les bébés : quand ils sont tout
petits, ils jouent, ils tombent, et rien ne se passe parce qu’ils
sont relax. En grandissant, on se touche de moins en moins,
parce que la société nous l’interdit : en grandissant, on nous
met une étiquette, notamment sur un garçon qui touche un
autre garçon. Surtout en Europe. C’est encore plus vrai en
vieillissant, là, on ne se touche plus du tout, sauf sa femme
ou sa famille proche. Et ça, ça développe un complexe, ça
développe une peur : quand on marche dans la rue, quand
quelqu’un va nous toucher l’épaule, tout de suite on raidit
l’épaule, si ce n’est pas tout le corps, parce qu’on ne sait
D’où cette fameuse décontraction...qu’on peut
voir sur certaines vidéos, où il y a carrément
tout un groupe qui tombe sur Vasiliev je crois,
et en fait, de façon super fluide, il esquive tout,
mais vraiment tout le monde…
Juste un petit exemple, si quelqu’un vous attrape le poignet,
solidement, vous, votre réaction naturelle est de retirer le
bras : si vous commencez à le retirer, votre corps se raidit,
des orteils jusqu’aux cheveux, mais vous n’avez pas besoin
de tout ça. On peut juste raidir le bras et relaxer tout le reste
du corps, pour pouvoir faire mille et une choses, pour dégager si on veut dégager.
2
C’est donc pas un sport, mais
un art de la survie, mais dans
la survie, il y a le combat, au
moins potentiellement...
Il y a de la self-défense mais pas uniquement cela : on apprend à manipuler notre corps premièrement, on
comprend comment on peut manipuler notre corps donc du coup, le corps
d’autrui.
Se connaître soi-même pour
connaître les autres...
Tout à fait… Par les endroits où c’est
beaucoup plus facile à manipuler. On
apprend, on découvre la biomécanique du corps. On montre un principe,
et après les élèves découvrent plus ou
moins par eux-mêmes. Au lieu de faire
comme dans les arts martiaux asiatiques -“ça, vous faîtes ça comme ça”où il faut exactement copier le maître.
Eux, ils jouent, pas trop vite, parce
qu’une fois qu’on commence à accélérer, on commence à... on prête moins
d’attention, on apprend moins. Au départ ici, ça doit être fait lentement, on
découvre chaque articulation et les limites, sans casser. À chaque mouvement, on se regarde et on regarde le
partenaire, pour voir comment il est en
train de réagir, et en même temps, on
apprend à respirer avec. Le mouvement, on le marie avec la respiration.
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pas ce qu’il va se passer. En Europe, si un corps se fait toucher par un autre corps, juste avec un petit touché, épaule à
épaule, le corps a peur de mourir. Cette peur de mourir très
profonde dans notre inconscient. Donc, on travaille ça sur
les gens, on les ramène petit à petit à ça: ils se touchent, ils
se poussent, pour diminuer cette peur d’être touché, cette
peur d’être frappé. On la ramène là où elle doit être, on ne
peut pas la faire disparaître, parce que ce n’est pas naturel,
mais on la ramène à son niveau naturel.
1/2-Mikhail Ryabko
en démonstration
Et est-ce que ça a rapport quelque part avec l’aïkido où l’on utilise quasiment uniquement la
force de l’adversaire?
Il y a des éléments de l’aïkido, des principes d’aïkido communs, mas l’aïkido est très… Ils ne frappent pas par exemple, mais ils n’apprennent pas comment recevoir les coups,
ou ils tombent sur le tatami, sauf que dans la rue… il n’y a
pas de tatami. Je ne peux pas me promener avec un tatami
sur le dos et dire à mon agresseur, “attendez, je vais mettre
le tatami, après vous me pousserez”, c’est ça… Mais nos
meilleurs élèves, ce sont des anciens de l’aïkido -on a des
gens qui viennent du kung fu, du krav-maga, de partout...
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Est-ce que ce côté survie en milieu urbain, un peu “forces spéciales russes (spetsnaz)” ramène une clientèle un peu treillis sur
les bords ?
C’est pour ça qu’on a enlevé les projecteurs, tout ce qui est militaire, treillis,
l’image spetsnaz, parce qu’en fait ici l’on enseigne aux civils, pas besoin de tout
ça… Au départ, quand ça a commencé à Toronto, et c’est un peu lié au marketing, il y avait de cela, et Vladimir Vasiliev a fait 10 ans dans les spetsnaz, il a vu
des choses, il raconte pas, mais bon… Il raconte à ses proches...
Mais, on peut pas dire quand même que le systema est un cousin du sambo parce qu’apparemment...
C’est la génération de la guerre russe en Afghanistan...
Non, nous ce qu’on fait, ça n’a rien à voir avec le sambo. Peutêtre que ça peut arriver qu’on lutte au sol, mais pas de cette
façon. On enseigne aux gens la survie au sol : on les met par
terre et une ou plusieurs personnes commencent à le shooter
avec les pieds, il doit d’abord savoir comment tomber sans se
blesser et survivre aux coups de pieds, ou aux coups de couteaux, ou aux coups de bâtons qui vont lui tomber dessus, par
un ou plusieurs adversaires, jusqu’à ce qu’il puisse se relever
etc… Tout ça, c’est fait d’une façon très, très graduelle, pour
faciliter l’apprentissage. On n’a pas de forme, de kata. Moi j’ai
fait des katas pendant 10 ans de ma vie, mais maintenant, je
considère que c’est une perte de temps. Il faut être touché et
toucher les gens, pas frapper l’air.
Oui il a vécu des choses et il a appris très, très vite, parce que c’est un génie,
mais on n’a pas besoin de cela nous ici, parce qu’on fonctionne sur le bouche à
oreille, c’est vrai que si on dit dans chaque pub qu’on fait ci ou ça, si on commence à attirer des gens un peu militaristes… Même si l’on a des policiers, ou des
militaires, parmi les élèves mais c’est une école pour les civils. On apprend à se
défendre, à protéger autrui, on a des cours entiers de méthodes, ce qu’on appelle intervenir sur une tierce personne. On enseigne cela aux agents de protection
rapprochée, mais tout le monde peut l’apprendre pour intervenir de l’extérieur,
parce que le travail est différent. Si on voit un ami ou une copine, ou n’importe
qui en train de se faire agresser dans la rue, on peut manipuler beaucoup plus
facilement, de l’extérieur. Parce qu’on découvre ici comment manipuler un corps
avec un minimum d’effort.
Pour parler des “accessoires”, le bâton et le
couteau : dans les mouvement avec couteau en
fait, vous prenez le couteau et vous allez jusqu’au bout...
Vous, vous n’êtes pas russe…
Non, non, je suis d’origine arménienne, j’ai vécu 20 ans au Liban, malheureusement c’était la guerre civile… et ça fait 18 ans que je suis en France.
Oui, il faut finir le travail… Si vous allez au restaurant, si vous
prenez juste l’entrée et que vous partez sans le plat, le dessert et le café, c’est pas bon…
Et vous donnez des cours ici, et
des cours particuliers aussi ?
Je donne des cours particuliers, j’ai
des chefs d’entreprise qui viennent
pour apprendre à se défendre et pour
des cours de relaxation aussi. Ce que
le systema m’apporte personnellement, et à d’autres instructeurs aussi,
c’est le bien-être et la relaxation, c’est
supérieur à la self-défense et à l’art
martial qu’on enseigne. Notre but à la
fin, via cet art martial, c’est d’amener
les gens à ce bien-être dans la tête et
dans le corps, à diminuer la peur. Malheureusement, si vous cherchez, on
peut trouver d’autres arts martiaux où
indirectement on va enseigner la peur
aux gens. Un élève qui sort après ce
genre de cours, il va regarder à gauche
et à droite, pour voir s’il n’y a personne
qui va lui sauter dessus.
Et quelle est la différence entre le systema et le
sambo ?
Le sambo, c’est une sorte de lutte, qui peut ressembler un
tout petit peu au ju-jitsu brésilien, ils font des clés, c’est
devenu de plus en plus un sport de combat, surtout qu’ils
commencent à incorporer l’aspect compétitif, où l’on peut
gagner, il y a des points etc. il y a des protections au sol
aussi etc… Quelqu’un qui fait un cours ici, un cours là-bas,
il verra la différence très, très vite : ça n’a rien à voir.
C’est Poutine qui en fait du sambo, non ?
Oui, c’est un pratiquant.
Ce n’est pas juste pour désarmer, c’est pour éliminer l’adversaire…
Si on ne travaille pas sur la peur… Nous avons tous des différents niveaux de peur à l’intérieur du corps : une personne
dans son cerveau académique, son cerveau conscient, peut
dire «moi, j’ai pas peur» or ça, c’est l’image de notre ignorance. Quand on dit «j’ai pas peur», ça veut dire qu’on ne
connaît pas son corps, qu’on ne connaît pas la psyché. On a
tous peur, à différents niveaux, de différentes choses. Si cette peur est très, très élevée, on va en faire toujours trop, ce
qui veut dire qu’au lieu de se défendre, juste d’un coup de
poing, et manipuler, et neutraliser, on va arracher les yeux,
ouvrir la bouche comme des lions, comme Samson l’a fait
dans l’histoire, arracher et travailler sur les parties génitales,
etc. etc. Tout ça parce que la personne qui se défend a trop
peur. Mais si son corps est plus ou moins habitué à être
touché, à être frappé, il fera uniquement le nécessaire. C’est
ça ce qu’on appelle du travail professionnel. Nos (élèves)
avancés commencent à le montrer sans aucun problème.
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Et les coups portés font partie
de l’exercice : ils consistent en
quoi?
En fait nous, on ne considère pas que
frapper des objets inanimés soit quelque chose de très utile, comme les sacs
de frappe par exemple. C’est mieux de
frapper un corps parce qu’un corps a
une topographie complètement différente. Tout notre travail est basé sur la
science, ça veut dire que quand je vais
donner un coup de poing, je vais être
sûr que tout sera aligné derrière mon
poing, le poignet, l’avant-bras, le coude, l’épaule et mon corps, pour qu’il
n’y ait pas de manque d’énergie, pas
de casse. Par exemple, si je frappe le
poignet tordu, je risque de le fouler très,
Et peut-être que l’absence de grades ou de ceintures peut sembler bizarre à certains…
très vite... Il y a des gens, par exemple Mike Tyson que tout le monde connaît, il
s’est battu dans un bar un jour… il a frappé une autre personne au visage mais il
a cassé son bras. Parce que tout son entraînement se fait avec des protections,
on roule le bandage au niveau du poignet et on se sert de gants. C’est pour ça
que nous, on n’utilise pas de protection par exemple, et il y aura jamais de blessé
parce que tout est graduel, parce qu’on travaille sur notre peur du contact, donc
on ne fera pas le trop qui blesse. Si vous allez voir dans d’autres écoles d’arts
martiaux par exemple, comme ceux que vous avez cités tout à l’heure, en sortant
de cours, vous verrez, il y a des gens qui sortent avec un oeil noir, ou l’autre le
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Il n’y a pas de ceinture, si les gens en veulent, on peut les
acheter en cuir, il y en a plein au marché… Ici, on ne va pas
trouver des gens qui disent “j’ai eu ma ceinture noire, donc
je me considère invincible”. Pour moi, les gens qui pratiquent depuis 5 ans, les anciens, ils peuvent sans problème
d’ego jouer avec quelqu’un qui commence pour la première
fois. Quelqu’un qui commence, il ne sera pas impressionné
parce qu’il a devant lui quelqu’un avec une ceinture noire et
plusieurs barettes dessus… Ils peuvent s’habiller comme ils
veulent, il y en a qui s’entraînent en jeans, certains mettent
le treillis militaire mais attention, ce n’est pas parce le systema vient des spetsnaz, mais parce que le treillis militaire,
c’est entre les jeans et le survêtement, et que le survêtement
c’est trop mou, et que les jeans, ça peut être trop serré…
mais elle n’a peut-être jamais expérimenté cette relaxation
depuis la naissance. On peut relaxer les yeux, et les yeux ne
veulent plus obéir. Parfois malgré qu’on les prévienne, les
gens peuvent être surpris, ils commencent à pleurer, parce
qu’ils croient qu’on leur a jeté un sort, ou qu’on les a hypnotisés. Mais, vraiment, on découvre l’amour.
Donc l’ancien de 5 ans qui va jouer avec le dé- Pour terminer, on doit is’inscrire pour une anbutant, il ne va faire que du mouvement lent ?
née, la saison va de septembre à juin?
Il va travailler sur le débutant, en enseignant, en lui montrant des
choses, il va comprendre ce qu’il sait d’un autre point de vue, et
qui est très intéressant, et lui il a bien dû commencer un jour, c’est
ce qu’on lui a fait aussi, donc il faut donner pour recevoir.
En fait, chez nous, les gens peuvent commencer à n’importe
quel moment dans l’année, ils n’ont pas besoin d’attendre
début septembre. Les gens peuvent payer par cours, par
mois, ou à l’année.
C’est de l’amour !
Systema France / Maison de la culture arménienne :
17, rue Bleue, Paris 75009.
code : 65B09 (la salle est au fond de la cour)
nez tordu ou des dents qui manquent, alors qu’ils utilisent des protège-dents et
protège-parties génitales… Ça non plus, nous, on ne les utilise pas. Parce que
vous, vous vous promenez avec des protections de parties génitales dans la rue
tous les jours, toute la vie ? Non. Donc il faut apprendre à protéger cette région
par les bras, par les jambes ou par le déplacement.
Vu que ça a l’air d’être une pratique complète, corporelle et psychologique, une recherche de sérénité, pourquoi ça n’a pas plus
de succès ?
On est nouveau en France, on est en train de grandir, et j’ai pas besoin pour
l’instant de faire de la pub, ça vient tout seul et moi, je considère que quand le
prof a une énergie propre, quand une personne a une énergie propre, il va attirer
toujours des gens de même énergie. Si le prof est tordu dans sa tête, il ne va
attirer que des gens tordus. Et moi je travaille sur moi-même uniquement, je n’ai
pas besoin de travailler sur les autres. Quand je me nettoie, quand je travaille sur
moi-même, je sais ce que je vais attirer, comme dans la vie en général.
4-Combat au sol
contre plusieurs adversaires
5-Vladimir Vasiliev
en démonstration
C’est exactement ça. C’est vraiment de l’amour. Quand
on masse les gens, quand on les relaxe, on leur transmet
l’amour de soi, on commence à apprécier la relaxation, on
peut relaxer quelqu’un qui s’allonge par terre jusqu’à un niveau où quand le cerveau donne l’ordre au bras de bouger,
le bras ne veut plus bouger. On n’hypnotise pas la personne,
http://www.systemafrance.com
[email protected]
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