L`élévation des enzymes hépatiques
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L`élévation des enzymes hépatiques
L’élévation des enzymes hépatiques – Une approche clinique Présenté dans le cadre du Colloque de Médecine Interne AMVQ – 13 septembre 2009 - Québec Grégoire Dubé, Groupe Vétérinaire Daubigny Plan de présentation • • • • • • Introduction Rappel de pathophysiologie Diagnostic différentiel Approche clinique suggérée Exemples cliniques Conclusion Introduction • • Deux scénarios communs : o Découverte lors d’une évaluation de santé ou lors de l’évaluation d’un autre problème. o Évaluation d’un patient symptomatique. Approche suggérée : o Récolte des données. o Interprétation. o Plan diagnostic. Rappel de pathophysiologie Enzyme hépatiques fréquemment évaluées : • • • • Alanine aminotransférase (ALT). Phosphatase alcaline (ALKP). γ-Glutamyl transférase (GGT). Aspartate aminotransférase (AST). Enzymes hépatiques Grégoire Dubé AMVQ septembre 2009 1 Description, source, spécificité et sensibilité : • ALT : o Spécifique au foie (parfois lié à une nécrose musculaire sévère). o Provient du cytosol des hépatocytes et son augmentation révèle habituellement une « fuite ». o Demi-vie d’élimination : • Chien : 60 heures. • Chat : 6 heures. • ALKP : o Plusieurs isoenzymes : • Foie (L-ALKP), cortico (C-ALKP), os (B-ALKP), reins, intestins et placenta. • Les isoenzymes provenant des reins, de l’intestin et du placenta ont une demi-vie de quelques minutes et ne sont donc habituellement pas mesurables. o L-ALKP : • Provient des membranes des hépatocytes, au niveau des canalicules biliaires et des membranes sinusoïdales. • Augmente surtout lors de choléstase ou d’induction médicamenteuse. o C-ALKP : • Présente chez le chien, pas chez le chat. • Synthétisée au niveau des hépatocytes sous l’influence des glucocorticoïdes. • Peu utile dans le diagnostic du Cushing parce que peu spécifique. • Peut aussi être induite par les progestagènes et le phénobarbital. o B-ALKP : • Synthétisée par les ostéoblastes (croissance, guérison de fracture, ostéomyélite, ostéosarcome, hyperparathyroïdie, ostéopathie nutritionnelle). o Variations en fonction de l’âge : • Pendant la croissance osseuse, la B-ALKP peut représenter plus de 90% de la concentration totale. Chez les animaux de plus de 8 ans, cette proportion est plus près de 25-30%. • Chez les jeunes, la C-ALKP représente habituellement moins de 10% tandis qu’elle peut représenter jusqu’à 30% chez les plus vieux. • Passé l’âge d’un an, c’est habituellement la L-ALKP qui prédomine. o Demi-vies (L-ALKP) : • Chien : 72 heures. • Chat : 6 heures. Enzymes hépatiques Grégoire Dubé AMVQ septembre 2009 2 o Sensibilité / spécificité : • Chien : • Sensibilité : 80-85%. • Spécificité : env. 50%. • Chat : • Sensibilité : 50%. • Spécificité : 90%. • GGT : o Provient des membranes canaliculaires. o Sensibilité / spécificité : • Chien : • Sensibilité : 50%. • Spécificité : 87% (94% si ALKP aussi augmentée). • Chat : • Sensibilité : 86%. • Spécificité : 67%. • AST : o Moins spécifique (provient également des muscles). o Provient du cytosol et des mitochondries. o Demi-vie d’élimination : • Chien : 22 heures. • Chat : 1 heure. Signification clinique des élévations : • • • • • • • Une augmentation significative de ALT et AST suggère plus un dommage hépatocellulaire. Une augmentation de ALKP accompagnée d’une augmentation de GGT et des bilirubines suggère la présence de choléstase. Les augmentations les plus marquées de la phosphatase alcaline sont liées aux pathologies choléstatiques, aux glucocorticoïdes, aux maladies chroniques et aux néoplasmes. L’augmentation des enzymes est habituellement proportionnelle à la sévérité ou l’étendue des dommages mais pas toujours proportionnelle au pronostic ou aux répercussions fonctionnelles. Une maladie chronique avancée peut parfois s’accompagner d’une faible augmentation parce qu’il y a fibrose et/ou peu de masse hépatique résiduelle. Un dommage récent et sévère pourrait entrainer une augmentation importante des enzymes mais le pronostic peut encore être bon étant donné la capacité régénératrice importante du foie. D’autres évaluations sont nécessaires pour formuler un pronostic (voir plus loin). Enzymes hépatiques Grégoire Dubé AMVQ septembre 2009 3 • Particularités du chat : o La demi-vie d’élimination des enzymes est plus courte. o Il n’y a pas de C-ALKP chez le chat. o Il n’y a pas d’induction médicamenteuse comme chez le chien. o La découverte d’une augmentation d’enzyme hépatique est donc plus spécifique donc souvent plus significative. Causes des augmentations / Diagnostic différentiel : Maladies hépatiques : • • • • Parenchymateuses : o Lipidose o Hépatites infectieuses (Lepto, virus, etc.) o Hépatites primaires, idiopathiques (Doberman, Labrador, Cocker, Caniche royal) o Hépatites liées au cuivre (WHWT, Doberman, Labrador, Dalmatien, Skye, Bedlington) o Hépatites secondaires, réactives (GI, pancréas, maladie systémique) o Cirrhose o Dommages réversibles (œdème, changements vacuolaires, hépatopathie stéroïdienne) o Dommages toxiques o Amyloïdose (Sharpei, Abyssin, Siamois) o Abcès et granulomes o Autres Vasculaires : o Shunt (Yorkshire, Bichon maltais, Cairn terrier, plusieurs autres petites races, Persans, Himalayens) o Dysplasie microvascualaire o Autres. Biliaires : o Kystes. o Choléstases (intra et extra hépatique). o Cholangites. o Syndrome cholangite / cholangiohépatite féline o Maladies de la vésicule (cholélithiase, cholécystite, mucocèle et autres) Hyperplasie et néoplasie : o Hyperplasie nodulaire. o Nodules régénératifs. o Tumeurs mésenchymales primaires, bénignes et malignes. o Néoplasie métastatique. Enzymes hépatiques Grégoire Dubé AMVQ septembre 2009 4 Causes extra-hépatiques : • • • • • • • • • • • Endocrinopathies : o Cushing. o Diabète. o Hyperthyroïdie. o Hypothyroïdie. Médicaments et toxines : o Corticostéroïdes : Induction, particulière au chien. L-ALKP, C-ALKP et GGT surtout. ALT un peu, et AST très peu. Retournent à la normale : 2-3 mois suite à l’arrêt. o Phénobarbital : Induction (chien): • Augmentation de ALKP et ALT surtout. GGT et AST, légèrement. Peut aussi être hépatotoxique : • Augmentation de ALKP, ALT, GGT et AST. Autres toxines : o Produits chimiques divers. o Médicaments (acétaminophène, kétoconazole, etc.) o Certains champignons, cyanotoxines, etc. Maladies gastro-intestinales. Maladies pancréatiques. Maladies osseuses. Maladies cardiovasculaires. Anémie sévère. Septicémie et infections systémiques. Dommages musculaires. Syndrome paranéoplasique. Approche clinique Présentation clinique : Comme mentionné dans l’introduction, deux scénarios sont très communs : • Scénario 1 : o On découvre une augmentation des enzymes hépatiques chez un patient suite à une évaluation générale de santé (examen annuel, vérification préanesthésique, etc.). o Un bon nombre de patients présentant des élévations des enzymes hépatiques ne sont pas symptomatiques. De fait, une étude concernant plus de 1000 échantillons sanguins canins soumis à un laboratoire révélait que Enzymes hépatiques Grégoire Dubé AMVQ septembre 2009 5 • près de 40% de tous les chiens et plus de 50% des chiens de plus de 8 ans présentaient une augmentation de ALKP. C’est un test qui est sensible mais, comme on l’a vu, peu spécifique pour le foie. o La découverte d’une telle anomalie pourrait révéler la présence d’un problème hépatique très significatif comme elle pourrait s’avérer une conséquence d’une maladie hépatique bénigne ou d’une problématique extra-hépatique. Scénario 2 : o On découvre une augmentation des enzymes hépatiques chez un patient présentant des symptômes peu spécifiques : o Un certain nombre de manifestations liées à une maladie hépatique sont peu spécifiques (perte d’appétit, perte de poids, perte d’entrain, signes digestifs, etc.). o Encore une fois, ce sont des tests qui sont sensibles mais, comme on l’a vu, peu spécifiques. Dans une telle situation, la présence de manifestations cliniques dictera une approche diagnostique plus rapide et plus exhaustive. Approche suggérée : Dans tous les cas : • • • • • • • Récolter ou revoir les données cliniques de base : o Signalement, anamnèse, examen, hématologie, biochimie, urologie. Tenir compte de l’âge, l’espèce et la race, les antécédents médicaux, les médicaments administrés, etc. Des problématiques cliniques importantes accompagnent certaines maladies hépatiques et il importe de les connaître pour pouvoir en reconnaitre les manifestations : o Ictère, choléstase. o Hypertension porte, ascite et shunts acquis. o Hépatoencéphalopathie. o Coagulopathie. o Autres anomalies métaboliques (glucose, albumine, urée, acide urique, cholestérol). Une diminution de la glycémie ou de l’albumine secondaire à un problème hépatique reflète une destruction ou perte de masse hépatique de plus de 70%. Une diminution de l’urée peut découler de l’insuffisance hépatique et contribuer indirectement à la PU/PD qui accompagne certaines maladies hépatiques. Une augmentation de la bilirubine est une trouvaille toujours considérée comme étant sensible et spécifique à une maladie hépatique lorsque l’hématocrite est normal. La présence de bilirubinurie chez le chat est toujours considérée comme significative car elle indique habituellement une augmentation de la bilirubine sérique. Chez le chien, le seuil rénal est bas et il peut y avoir une sécrétion tubulaire – une mesure sérique est nécessaire. Enzymes hépatiques Grégoire Dubé AMVQ septembre 2009 6 • La présence de cristaux de biurate d’ammonium dans l’urine peut suggérer une défaut de métabolisme des purines secondaire à une insuffisance hépatique. Lorsqu’il n’y a pas de signe clinique attribuable à une maladie hépatique et que l’augmentation est légère (< 2-3 x Normale) : • • • Considérer échographie et sels biliaires pour éliminer le doute d’une maladie oculte. Réévaluer dans 4-6 semaines. Si encore anormal : procéder à une évaluation complète du foie. Lorsqu’il y a des signes cliniques attribuables à une maladie hépatique ou que l’augmentation est marquée et/ou persistante : Évaluation hépatique : • Imagerie : o Échographie : Évaluation du parenchyme, de la vésicule, des canaux biliaires et de la vascularisation. Évaluation des structures extrahépatiques : pancréas, tube digestif, surrénales, système urinaire, etc. Sensibilité de détection des shunt : > 80%. o Radiographies. o Autres (scan, IRM, scintigraphie). • Sels biliaires : o Normales : Préprandial : < 15 umol/l. Postprandial : < 25 umol/l. o Spécificité : Chien : pré > 15 : 95%; post > 25 : 100%. Chat : pré > 15 : 96%; post > 25 : 100%. o Sensibilité : 54-74%, donc pas un bon test de dépistage. Exception : cirrhose et shunt : post prandial toujours élevé. o Une augmentation indique une anomalie vasculaire porto-systémique congénitale ou acquise ou une maladie hépatobiliaire choléstatique. • Vérification pour certains agents infectieux spécifiques (Lepto, Dirofilaria, etc.). • Évaluation de la coagulation : o Une choléstase peut entrainer une déficience en vitamine K (facteurs II, VII, IX et X) et prolonger le temps de prothrombine. o Une maladie hépatique diffuse peut s’accompagner de CIVD symptomatique ou non. Une évaluation de la coagulation est essentielle avant de procéder à une biopsie (plaquettes, PT, PTT et fibrinogène). Enzymes hépatiques Grégoire Dubé AMVQ septembre 2009 7 • • • Cytologie, biopsie hépatique : o Buts : Catégoriser : inflammatoire vs vasculaire vs néoplasique, etc. Quantifier : étendue, sévérité, durée? Préciser : le diagnostic, la thérapie et le pronostic. o La cytologie s’avère adéquate pour confirmer les maladies vacuolaires, la lipidose et les inflammations et néoplasies diffuses ou focales. Elle est souvent incomplète ou inadéquate pour l’évaluation des maladies vasculaires, certaines maladies inflammatoires chroniques, l’hyperplasie nodulaire, lors d’ascite important ou lorsque le foie est très petit. o La biopsie chirurgicale ou laparoscopique permet d’obtenir un échantillon plus volumineux sélectionné par examen visuel direct et permet également de contrôler rapidement l’hémostase. o Comparaison des techniques : Tru-cut vs « wedge » : presque 50%. Cytologie vs Biopsie : jusqu’à 70%. Colorations et autres évaluations spéciales. Culture, coloration Gram et cytologie de la bile. Enzymes hépatiques Grégoire Dubé AMVQ septembre 2009 8 Élévation des enzymes hépatiques Données cliniques de base Signalement Anamnèse Examen Hématologie Biochimie Urologie Signes cliniques de maladie hépatique Absence de signes Augmentation légère Signes cliniques de maladie extra-hépatique Répéter dans 4-6 semaines +/- echo et sels biliaires Évaluer le problème Contrôler / corriger Répéter la mesure des enzymes Augmentation persistante Évaluation hépatique Imagerie Sels biliaires Lepto, Dirofilaria, etc. Évaluation de la coagulation Cytologie hépatique et/ou Biopsie hépatique Culture / cytologie de la bile Thérapie / Suivi clinique Enzymes hépatiques Grégoire Dubé AMVQ septembre 2009 9 Conclusion • • • • • • • • La découverte d’une augmentation des enzymes hépatiques est une trouvaille relativement fréquente en clinique. Ses causes sont multiples. Une approche systématique permet habituellement une interprétation adéquate et des interventions rapides de façon à préserver ou prolonger la qualité de vie de nos patients et à répondre aux interrogations de nos clients. La présence d’une augmentation significative et persistante des enzymes hépatiques constitue définitivement une trouvaille clinique qui requiert une investigation prompte, même chez le patient asymptomatique. Le traitement des maladies extrahépatiques responsables des élévations détectées permet habituellement un retour à la normale. Un bon nombre de pathologies hépatobiliaires peuvent être traitées médicalement ou corrigées chirurgicalement. Le diagnostic précoce des pathologies inflammatoires permet habituellement de prévenir ou freiner le développement de complications telles que l’ictère, l’hypertension porte, l’hépatoencéphalopathie et les autres anomalies liées à l’insuffisance hépatique. Les tumeurs hépatiques bénignes peuvent habituellement être excisées avant d’entrainer des conséquences néfastes pour l’animal. Certaines tumeurs malignes se prêtent également à des interventions médicales (chimiothérapie) ou chirurgicales permettant de prolonger la qualité de vie du patient. Finalement, un certain nombre d’anomalies bénignes ne requièrent pas d’intervention et sont sans conséquences pour le patient – elles doivent toutefois être distinguées en utilisant les moyens diagnostics décrits précédemment. Enzymes hépatiques Grégoire Dubé AMVQ septembre 2009 10