Services publics à l`épreuve de leur financement

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Services publics à l`épreuve de leur financement
A2
LES SERVICES PUBLICS À L’ÉPREUVE DE LEUR
FINANCEMENT
Organisateur
AFIGESE
Coordinateur et Animateur
Luc Alain VERVISCH, membre du Conseil d’administration de l’AFIGESE
Quelles peuvent être les nouvelles pistes de financement pour les collectivités ? Cet atelier est
l’occasion pour les chercheurs et experts de faire part de leur analyse. L’exemple du Québec,
dont la pratique est assez éloignée des dispositifs en vigueur en France, permettra d’apporter
une vision différente des modalités de financement des services publics.
La péréquation en France et en Europe
Marie-Christine STECKEL
Maître de conférences, HDR, université de Limoges
La péréquation horizontale n’a rien d’une solution miracle. Au contraire, elle correspond à
une solution en demi-teinte, puisqu’elle consiste à prélever des ressources aux collectivités les
plus riches pour les affecter aux plus démunies. 10 pays européens ont malgré tout choisi de
la mettre en œuvre, souvent, en complément d’une péréquation verticale.
De fait, lorsqu’on étudie la portée de la péréquation horizontale dans ces 10 pays, il apparaît
que si l’objectif de gommer les disparités est atteint, de nouvelles discriminations
apparaissent. Le risque est de voir des collectivités défavorisées se retrouver avec des
ressources supérieures à celles des collectivités les plus nanties. En Norvège, par exemple, la
manne pétrolière n’est pas toujours correctement répartie. En Allemagne, des tensions sont
apparues entre les Länder de l’Est et ceux de l’Ouest. Le risque existe également d’assister
à une dilution des responsabilités des managers locaux. Bien sûr, des garde-fous existent.
Par exemple, il est possible de corréler la péréquation horizontale au dynamisme économique
des régions bénéficiaires.
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Au regard de ces expériences, la péréquation horizontale apparaît-elle comme une solution
valable en France ? Dans notre pays aussi, nous pouvons parler d’une solution en demi-teinte.
Cela a conduit l’État à faire du bloc communal le pilier privilégié de la péréquation horizontale.
Le risque existe pourtant de pénaliser les territoires les plus dynamiques. Conscient de ce
problème, le législateur a décidé de mieux répartir ces fonds en tenant compte des
ressources intercommunales et communales. Cette démarche est complétée par d’autres
mesures, comme l’extension des sources de financement ou la mutualisation et la
rationalisation des dépenses locales. De fait, la péréquation pose une question essentielle :
comment mieux et moins dépenser ?
Luc Alain VERVISCH
Au regard de l’accumulation des mesures et de la diversité des indicateurs retenus, n’est-on
pas en train de créer un monstre ? Le système actuel ne risque-t-il pas d’exploser à terme ?
Marie-Christine STECKEL
Il est évident que le système est imparfait. Il est donc important de rechercher de nouvelles
sources de financement. Cette solution est par conséquent transitoire et reste par nature
problématique.
De la salle
Ce dispositif a exclu l’effort fiscal de son mode de distribution. Cela pose un problème majeur,
car le système ignore totalement les efforts fiscaux que font les collectivités à l’égard de leurs
contribuables. Ce dysfonctionnement aboutit parfois à des situations totalement absurdes. On
atteint là le comble du ridicule.
Marie-Christine STECKEL
Certaines collectivités éligibles à la DSU (Dotation de solidarité urbaine) risquent, par exemple,
de ne pas bénéficier de ce fonds, ce qui est effectivement inéquitable. De plus, l’effort fiscal de
certaines collectivités n’est pas suffisamment pris en compte.
De la salle
Il existe une autre forme de péréquation : la péréquation territoriale. L’exemple du TGV-Est est
très probant de ce point de vue, car il profite à toutes les régions environnantes sans pourtant
que leurs contributions aient été sollicitées.
Luc Alain VERVISCH
Ne faudrait-il pas laisser les EPCI (Etablissements publics de coopération intercommunale)
totalement libres des modalités de répartition de façon à limiter les risques de discrimination ?
Marie-Christine STECKEL
La France reste un État unitaire, principe qui interdit la tutelle d’une collectivité sur une autre.
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Luc Alain VERVISCH
Selon un auteur anonyme, « un peuple libre n’acquitte que des contributions ; un peuple
esclave paie des impôts ». À cet égard, les financements public-privé constituent-ils une
menace ?
Les financements public-privé
Patrick BRENNER
Expert auprès de l’Union européenne, College of Europe, State University of New York
Même si certains de ses voisins européens sont très avancés dans ce domaine, la France en
est encore en phase d’expérimentation en termes de dialogue public-privé. Pourtant, le
renforcement de ce dialogue apparaît essentiel, et ce pour plusieurs raisons. En particulier,
plus du tiers des ressources des collectivités dépendent encore de l’État. En outre,
l’économie entre en période de ralentissement, voire de stagnation. De plus, la part de la
ressource touristique devient majeure dans l’économie française, au point de poser un grave
problème. L’an passé, le pays a accueilli plus de touristes qu’il ne compte d’habitants. Ainsi, si
on retire la ressource touristique, le PNB par habitant de la France tombe au niveau de celui du
Portugal.
Pour parvenir à renforcer ce dialogue public-privé, des conditions propices doivent être réunies.
Tout d’abord, la volonté politique apparaît essentielle pour rechercher de nouvelles
sources de financement au niveau local et organiser le dialogue. Il importe également de
créer une grille de lecture adaptée au niveau de richesses des collectivités. L’exemple des
autres pays européens peut être source d’inspiration. En Angleterre par exemple, la
création de PFI (Private Finance Initiative) offre une véritable solution alternative à la
privatisation. Les collectivités signent ainsi des contrats globaux avec les entreprises privées,
assortis de clauses de paiement différé. L’autorité publique joue de son côté un rôle d’arbitre et
conserve, à ce titre, toutes ses prérogatives.
Sortons de la crainte du triple A, pour nous intéresser au triple E : Économie, Efficacité,
Efficience. Ce triple E doit être appliqué aux collectivités territoriales. Ce système inspire de
nombreuses initiatives en Europe, que ce soit en Allemagne, en Espagne, en Italie, au Portugal,
etc, même s’il existe des lois intéressantes en France, à l’instar de la loi Aillagon.
Bien sûr, depuis la loi du 29 juillet 2004, les PPP (Partenariat Public-Privé) tendent à se
développer, sans remettre en cause les prérogatives du secteur public. Malheureusement,
seuls 17 % de ces PPP portent sur des investissements supérieurs à 100 millions
d’euros. L’exemple du théâtre de l’Archipel en France est pourtant probant. Inauguré cet
automne, il constitue le premier PPP culturel du pays. Outre un budget impressionnant, il a fait
appel à des contributeurs prestigieux, comme l’architecte Jean Nouvel. Cette réussite montre
que les PPP constituent une solution d’avenir.
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De la salle
Que gagne le secteur privé dans ce type de partenariat ?
Patrick BRENNER
Un PPP créé des emplois et dynamise l’économie. Cela ne peut que susciter un contexte
favorable au secteur privé. Pour être vertueux, un PPP doit être donnant-donnant. C’est
également à cette condition qu’il peut être gagnant-gagnant.
De la salle
La mise en valeur du patrimoine favorise aussi la diffusion de connaissances. Or,
malheureusement, les PPP culturels ne semblent pas toujours répondre à ces impératifs.
De la salle
Le contrat de partenariat Public-Privé est avant tout un mode de gestion. Il ne faut donc pas y
voir une solution miracle.
Patrick BRENNER
Le mécénat culturel ne peut pas être assimilé au PPP. La culture du mécénat et du don va bien
au-delà du simple sponsor. D’une certaine façon, le mécénat peut être assimilé à une forme
d’impôt volontaire, consenti par le secteur privé pour appuyer une politique culturelle locale.
Luc Alain VERVISCH
Ce qui d’ailleurs pose un problème : est-il légitime que le contribuable choisisse, à la place de
la puissance publique, la destination de ses impôts ?
L’exemple québécois
Pierre HAMEL
Enseignant-chercheur, Institut National de la Recherche Scientifique, Montréal
Le Québec est une presqu’île, du point de vue géographique, politique et culturel. La moitié de
la population vit dans l’agglomération de Montréal, ce qui a des conséquences importantes sur
le mode d’occupation des sols et de l’espace.
Le Québec est très centralisé : le gouvernement fédéral collecte environ 40 % de toutes les
recettes publiques perçues au Québec et en reverse une bonne partie à la province, qui
collecte en outre 50 % du total, ne laissant que 10 % aux collectivités locales – lesquelles
reçoivent très peu de transferts et rêvent d’une D.G.F. (dotation globale de fonctionnement).
Contrairement à ce qui se voit ailleurs (que ce soit au Canada, aux Etats-Unis ou en Europe),
les municipalités québecoises ont très peu de responsabilités formelles en matière d’éducation
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ou de santé et d’affaires sociales : l’Etat québecois occupe l’essentiel de ces champs par des
réseaux publics nationaux qu’il finance presque entièrement et qu’il contrôle étroitement.
Pour des raisons historiques, la population s’approprie facilement le bout de trottoir situé devant
la maison, si bien que les habitants se sont mis à fleurir l’espace devant chez eux, de façon très
spontanée, sans aucune concertation publique.
À partir de la seconde moitié du XIXe siècle, les services publics ont commencé à se
développer, sur un mode « à l’anglaise », c’est-à-dire sans tarification. Dans le contexte
actuel, se pose cependant la question des bénéfices issus de la tarification. À cet égard,
l’exemple de la consommation d’eau est tout à fait probant. Il apparaît en effet que
l’installation de compteurs individuels est totalement inefficace pour diminuer la
consommation. L’usage collectif de l’eau au Québec est si ancré dans les esprits que des
élèves du primaire ont d’ailleurs lancé une pétition cet été pour nationaliser l’eau du Québec.
Luc Alain VERVISCH
La participation spontanée des habitants à l’enrichissement de leur avant-cour n’est-il pas un
moyen facile pour les services municipaux de réduire le champ de leurs responsabilités ?
Pierre HAMEL
Cela peut être perçu de cette façon, mais l’important est avant tout d’admettre que la
participation spontanée des habitants à l’embellissement de l’espace public n’enlève finalement
rien à personne.
Luc Alain VERVISCH
Le modèle québécois est-il transposable en France ?
Pierre HAMEL
Tout dépend du contexte et du projet. Au-delà de toute idéologie, il importe de se poser la
question des coûts. Prenons l’exemple de la tarification de l’eau au mètre cube, comme elle est
pratiquée en France. Au Québec, ce système semble aberrant, car totalement inopérant du
point de vue économique : en effet, il prend mal en compte les coûts fixes. C’est comme si l’on
faisait payer l’usage des trottoirs au nombre de pas qu’on y fait…
Par ailleurs, il ne faut pas non plus penser que les PPP sont nécessairement la solution
miracle. Certains d’entre eux sont des fiascos complets et sont à l’origine d’une véritable
gabegie.
Patrick BRENNER
Bien sûr, un PPP n’est pas la panacée, mais cette voie mérite de continuer à être explorée, car
elle peut aussi être source de richesses et de dynamisme.
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De la salle
Les PPP correspondent souvent à des montages et à des structurations assez complexes. Or
bien souvent, il a été démontré que les collectivités se seraient financées de façon bien plus
efficace en passant par d’autres montages que ceux du PPP.
Luc Alain VERVISCH
Il s’agit évidemment d’un objet complexe. Cette dimension doit donc être prise en compte avant
de se lancer dans cette voie. Une fois ce travail préalable effectué, le PPP n’est reste pas
moins une solution intéressante pour un certain nombre de dossiers. Par ailleurs, pour revenir à
l’exemple québécois, ne faudrait-il pas relancer la question de l’acceptation de la pression
fiscale locale, et donc de la « justice » de l’impôt local ?
Pierre HAMEL
En dehors de la France, tout le monde perçoit les cotisations sociales comme un prélèvement
obligatoire, tout comme n’importe quel impôt . Au Québec, l’État providence n’est pas aussi
avancé qu’en France. Il est plutôt en phase de développement. Dans ce contexte, les individus
acceptent de s’acquitter de l’impôt au regard de la sécurité qu’il permet d’apporter, même si,
bien sûr, comme dans tous les pays du monde, chacun voudrait payer moins d’impôt.
Patrick BRENNER
Il est évident que la péréquation est un serpent de mer. De leur côté, les PPP sont
effectivement sucrés-salés, et selon les cas, le bilan est en demi-teinte. Mais n’oublions pas
que leur développement est directement issu des directives européennes.
Marie-Christine STECKEL
Pour revenir sur la péréquation, le potentiel financier est désormais pris en compte pour la
péréquation. Cela permet de rajouter les dotations au potentiel fiscal et ainsi d’éviter
l’introduction de nouvelles discriminations.
De la salle
Rappelons que la France a voté « non » lors du Référendum européen. Ce vote visait
directement à défendre les services publics nationaux. À titre individuel, pour faire référence à
la citation de tout à l’heure, il n’y a pas d’ « esclavage » à payer des impôts.
De la salle
Au regard des difficultés des collectivités à lever des fonds auprès des banques, les PPP ont-ils
tendance à se développer ?
Luc Alain VERVISCH
À l’heure actuelle, il ne semble pas que le recours au PPP soit un moyen de compenser un
défaut de financement bancaire. En revanche, on ne peut pas exclure cette possibilité à
l’avenir.
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Patrick BRENNER
Le PPP n’est certainement pas un moyen de s’adjoindre des ressources manquantes par
ailleurs. N’oublions pas que nous sommes dans un régime de droit de la concurrence, qui régit
l’ensemble de l’Europe. De fait, certaines politiques publiques ne sont pas toujours vues d’un
bon œil depuis Bruxelles. Il faut donc tenir compte de ce contexte global.
Luc Alain VERVISCH
L’avenir reste à inventer. Nous devons nous y employer et éviter de regarder en arrière. Telle
est la condition pour construire réellement la décentralisation, qui restera inaboutie tant que les
chantiers de la démocratie locale et de la fiscalité locale n’auront pas été ouverts… et
terminés !
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Les propos énoncés dans ce document n’engagent que la responsabilité de la personne citée.
Compte-rendu des Entretiens territoriaux de Strasbourg
7 et 8 décembre 2011
© CNFPT INET 2011
Réalisation :
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