Une porte-parole de coeur pour la Ligue La Leche!

Transcription

Une porte-parole de coeur pour la Ligue La Leche!
Entrevue
Une porte-parole de
coeur pour la Ligue La Leche!
Par Katy Cloutier, Le Gardeur et Alexandrine Agostini, Montréal
La Ligue La Leche a maintenant une porte-parole officielle au Québec: Alexandrine Agostini! Elle est une comédienne que l'on
peut voir sur les planches, au petit et au grand écran, mais d'abord et avant tout, depuis deux ans, elle est une maman. La
maman de Sacha. Le premier enfant, espère-t-elle, d'une famille nombreuse.
La Voie Lactée a rencontré cette mère allaitante de 37 ans pour discuter, bien sûr, d'allaitement, mais pour aller au-delà des
préoccupations habituelles. Un entretien à plusieurs volets à suivre dans les prochains numéros de La Voie Lactée. Questionsréponses d'une femme qui a l'allaitement à coeur... d'une femme de coeur pour la Ligue La Leche.
La Voie Lactée: À quel moment as-tu décidé d'allaiter?
ment maternel. Je l’ai dévoré!
J’en ai lu des passages à
mon chéri, souligné des pages entières, parlé à mon entourage! Du coup, je suis partie à la recherche de toutes
les données médicales, de
toutes les statistiques répertoriées! C’est tout à fait mon style d’enthousiasme, ça! C’est
aussi très significatif sur ma façon de fonctionner dans la vie,
question alimentation, maternage, choix médicaux, etc: je
suis d’abord mon intuition, et seulement ensuite je vais trouver l’information publiée qui valide mon choix.
Alexandrine Agostini: C’est très curieux (et peut-être rassurant?). Moi qui n’a jamais été allaitée et qui, à 5 ans, a vu
ma première soeur être allaitée à peine quatre mois (j’ai aussi
un vague souvenir à 13 ans pour la suivante), je crois que
l’allaitement maternel a quand même toujours fait partie de
ma vision d’«avoir des enfants»... même si je n’en voulais
pas!
Dès l’instant où j’ai décidé que j’allais être enceinte, je savais
que j’allais allaiter... sans regarder l’heure! Je ne me posais
pas la question du moment du sevrage. Vers les neuf mois de
mon fils, j’ignore exactement pourquoi, (probablement que
j’essayais de voir comment se passerait l’été car j’avais un
engagement au théâtre qui m’excitait et m’inquiétait en
même temps) j’ai acheté des biberons. J’ai essayé d’imaginer mon fils sans moi, de me rassurer... Mais je ne lui ai
jamais présenté la tétine: c’était trop pour moi! Je laissais
traîner les biberons dans les plats en plastique avec lesquels
il jouait! Les soirs de représentations, son papa lui donnait
mon lait à l’aide d’un compte-goutte (comme pour les doses
homéopathiques contre les douleurs des coliques). Je réussissais à en tirer à peine une once... et encore! Ça le faisait
patienter et je l’allaitais au retour. Finalement, Sacha n’a jamais bu au biberon et à peine au contenant avec bec. Il est
passé directement au verre.
La troisième raison, au-delà des données scientifiques et de
mon coup de foudre pour la Ligue La Leche, est qu’à la
seconde où j’ai vu Sacha, j’ai vécu un autre clash. Je me suis
instantanément transformée en Maman Louve! C’était à la
fois d’une violence, d’une passion et d’une joie extrême.
J’étais stupéfaite et bouleversée. L’allaitement peau à peau
faisait partie intégrante de chaque instant de ce nouveau
quotidien où le miracle d’avoir cet enfant se perpétuait sans
cesse. Ma cousine m’a donné toutes ses revues Allaiter
Aujourd’hui de LLL France (je ne connaissais pas encore La
Voie Lactée, ni le site du Québec). Tout ça m’a beaucoup
conforté dans mes choix de maternage.
LVL: Qu'est-ce qui a motivé ton choix?
LVL: Aimerais-tu instaurer une tradition d'allaitement dans
ta famille?
AA: Je dirais principalement trois choses. J'ai l’impression
que mon propre allaitement m’a toujours manqué… Aussi,
avant même d’être enceinte, ma cousine Bénédicte qui fréquentait la LLL en France m’a envoyé le livre L’art de l’allaite-
AA: (hésitation) C’est tentant mais… Oui, c’est certain que je
souhaite donner le goût de l’allaitement maternel à mes
sœurs et peut-être au couple de parents que formera un jour
Sacha… Mais «instaurer» volontairement… Je veux toujours me
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rappeler de respecter les différences, comme je souhaite
qu’on me respecte. Informer sans juger serait mon idéal.
Toujours davantage de compassion et de détachement. Ça
commence avec soi, puis avec notre famille, ensuite notre
voisinage… et éventuellement, la planète. C’est vrai qu’à mes
yeux, la famille s’avère presque un pays! Vaste thème, assez
complexe au niveau relationnel. Déjà, pour définir sa place, je
pense que chaque enfant se doit d’être différent du précédent.
Et je crois profondément qu’on est contraires et multiples pour
se faire évoluer entre nous… Le sujet de l’allaitement et du
maternage peut devenir tellement émotif, c’est tellement
viscéral! Ça prend une bonne dose de “lâcher prise”, je trouve… Personnellement, je suis une têtue. Peu importe la situation, le commentaire «Fais-le donc: tout le monde le fait!» n’est
pas un argument à mes yeux! Ah oui? TOUT le monde le fait?
Je veux des noms! Et inversement: PERSONNE ne fait ça?! Tu
penses ça?! Eh bien, sors de chez-vous et regarde autour!
(rires) C’est vrai qu’à priori, c’est difficile d’imaginer que la
personne juste à côté de soi peut vivre dans un univers totalement opposé au nôtre… Face à l’allaitement et au maternage,
mes positions sont claires. Si on veut des références, je peux
en donner à la pelle! Mais avant de vouloir changer l’autre, je
suis obligée de m’avouer que j’ai déjà une bonne “job” à faire
avec certaines parties de moi…
Comme l’explique le livre Biologie de l’allaitement -Le sein, Le lait,
Le geste: «Si nous continuons à insister uniquement sur la supériorité de l’allaitement, nous exerçons une pression sur les
femmes quand leur entourage prône en général l’inverse; cette
situation crée beaucoup de culpabilité et surtout une grande
déception chez les femmes qui auraient voulu allaiter leur bébé.»
Bref, je trouve que trop souvent, les mères se font condamner.
Trop souvent, peu importe les décisions qu’elles prennent, de
toute façon, elles ont tort et elles sont responsables de toutes les
conséquences!
LVL: Pourquoi as-tu décidé de joindre les rangs de la LLL?
AA: Je me suis tellement sentie inspirée et soutenue, je ne
pouvais pas me contenter de rester une lectrice témoin de
toute cette joyeuse tendresse… Les témoignages de ma
cousine et ceux des auteurs de la revue Allaiter Aujourd’hui,
ainsi que les livres L’art de l’allaitement maternel et Être
parents la nuit aussi m’ont beaucoup motivés à assister à une
réunion. En fait, je souhaitais y assister dès la grossesse et
puis le temps a passé… J’ai finalement pris part à une première rencontre aux cinq mois de Sacha avec le groupe de
Renée Landry, au CLSC Petite-Patrie à Montréal. J’y serais
restée toute la journée! Je suis rentrée chez moi euphorique.
Mais comment avais-je pu attendre si longtemps?!… Et comment allais-je faire pour patienter un mois?!
LVL: Est-ce que l'allaitement fait partie des habitudes de
vie des mamans de ton entourage?
LVL: Qu'est-ce que la LLL apporte dans ta vie?
AA: Oui. Il est primordial pour moi de me sentir entourée et non
exclue ou isolée. Pas de souffrance inutile! Avec les années,
j’appelle vraiment à plus de tendresse que de bataille. J’ai eu
un premier cercle d’amies pendant ma grossesse et il a encore
changé après la naissance de Sacha. Mais ce n’est pas difficile
d’être bien entourée: déjà avec la LLL, ça amène un paquet de
familles très inspirantes!
AA: Je m’étais plus ou moins sentie orpheline depuis si
longtemps… J’ai l’impression que mon histoire avec le maternage commence bien avant d’être mère: depuis ma naissance.
Pour presque paraphraser Nancy Huston, disons que j’ai vécu
une enfance heureuse avec les yeux d’une enfant malheureuse.
J’étais, je suis toujours, très sensible et je suis devenue une
femme en colère. Ma rencontre avec ce type de maternage,
cette façon de soutenir, de suivre le rythme de son bébé
/bambin/enfant(/adolescent?), d’écouter son instinct, de retarder les séparations, cette façon d’aborder une relation peau à
peau avec son bébé, de choisir de sécuriser au maximum les
premières années pour acquérir une véritable autonomie et non
une apparence d’indépendance, cette façon de pouvoir
échanger entre mères, entre parents reste à mes yeux d’une
beauté, d’une importance fondamentale. Elle m’aide beaucoup
à assouplir et désamorcer cette colère. Chaque vie a son
histoire; moi j’ai certaines choses à régler avec les sentiments
d’abandon et de trahison. Je suis reconnaissante de rencontrer
chaque semaine des mamans qui maternent de cette façon. Je
suis chaque fois émue de voir le regard de ces enfants, si vifs, si
allumés! C’est pour moi un trésor inestimable. J’y trouve aussi
un espace où je sens que personne ne cherche à m’imposer sa
vision. Je ne m’y sens pas jugée, mais épaulée. Dans ma vie, je
suis aussi rendue à un moment où mes copines-mamans-debébés/bambins sont soit trop loin géographiquement, soit
LVL: Si tu avais une minute pour convaincre une future
maman d'allaiter, que lui dirais-tu?
AA: Je trouve que c’est une question très délicate. Je ne me
sens pas confortable avec le mot «convaincre». Je me méfie
énormément d’une pensée qui pourrait avoir des allures
dogmatiques. Alors rien qu’une minute…
Pour transmettre l’élan, une image vaut mille mots et un moment de vie regorge d’une multitudes de subtilités innommables. Allaiter et materner devant elle risque davantage de
nourrir un échange, de faire naître un désir… C’est comme le
verbe Aimer: ça ne supporte pas l’impératif! Au fur et à mesure que je verrais ce qui trouve écho en elle, alors peut-être
que je lui parlerais du livre L’art de l’allaitement maternel,
que je lui remettrais un numéro de La Voie Lactée, que je
l’amènerais à une rencontre LLL, que je l’inviterais à aller voir
le site Internet de la LLL (www. allaitement.ca)…
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sans parler des nuits! Oui,
c’est possible qu’une maman
ou une monitrice soit moins
en forme, comme n’importe
quelle infirmière, dentiste, caissière, fleuriste…! Ce n’est pas
parce qu’une bibliothécaire a
pu être moins avenante que
nous n’emprunterons plus
jamais de livre. Ce serait dommage!
retournées sur le marché du travail ou aux études. Même si on
se voit parfois, elles me manquent! Je n’ai pas ratissé tous les
groupes communautaires de parents de la ville, et le peu que j’ai
rencontrés étaient sympathiques, mais je sentais qu’on ne
partageait pas vraiment les mêmes valeurs au sujet du co dodo
ou de l’attitude devant un bébé qui pleure, par exemple… En
plus de l’accès à une quantité considérable d’informations, la
Ligue La Leche m’offre des opportunités pour construire des
relations d’amitié et des échanges familiaux qui me comblent.
LVL: Pourquoi avoir accepté d'en devenir la porte-parole?
Par contre, si ce n’est pas exceptionnel et si nous en sommes
affligés, il est juste de le lui dire et précieux d’en informer ses
supérieurs. Je crois que les personnes ressources qui travaillent
avec le public doivent aussi, bien sûr, avoir à cœur de donner
des références avec le plus d’humanité possible. Il faut savoir
que la Ligue La Leche vise avant tout un soutien mère à mère. Il
y a, d’une part, la formation des monitrices très particulière et
qui doit rester cohérente avec l’enseignement transmis dans
plus de soixante pays à travers le monde, tout en évoluant avec
les différentes générations de monitrices et d’autre part, les
réunions mensuelles où les mères ont un espace pour s’exprimer. J’ai été frappée à chacune des rencontres auxquelles j’ai
assisté par l’invitation à respecter l’autre, au droit de prendre ce
qui nous convenait et de laisser le reste... Préciser que la Ligue
La Leche n’endosse pas les propos à l’intérieur de ce lieu est un
geste démocratique qui témoigne d’une réelle ouverture. Je salue
au passage la monitrice Renée Landry, merveilleuse d’écoute,
qui a le don d’installer un climat chaleureux et vraiment zen dans
ses réunions. Je trouve personnellement que la distance, la
douceur et le respect que dégage cette femme est d’une grande richesse pour nous, chanceuses mamans de son groupe!
AA: J’avais trop le goût de répandre la bonne nouvelle! Je rigole
un peu, mais c’est vrai. Oui ce type de maternage peut être
intense et exigent, mais mon dieu que mes perceptions changent depuis la naissance de mon fils! Puis, est-ce qu’on peut
décoller un peu de l’aspect médical et responsable, parce que
tout l’amour, le soleil, l’abandon, la joie, l’énergie, la réconciliation, l’espoir, le riiiiiire que ça me fait vivre, c’est important ça
aussi! Je trouve la vie extraordinaire depuis que mon fils est
arrivé! Je n’ai jamais vécu cet état de reconnaissance. Pourtant,
mon métier est une passion depuis l’enfance, je vis une relation
exceptionnelle avec mon amoureux, la musique me porte et me
nourrit, bien des sujets comme l’alimentation, la naturopathie
m’enthousiasment. Je pourrais en parler longuement… Mais j’ai
vécu un tel choc d’amour et de guérison depuis mon accouchement! Le lendemain, j’en voulais cinq! Après vingt heures de
travail! (rires) Je l’avoue humblement: ce type de maternage
contribue à faire de moi une meilleure personne. Alors l’équation
automatique, c’est: peut-on multiplier tout cet amour-là? Toute
cette joie-là? Est-ce qu’on peut contribuer à léguer du soutien,
à transmettre la confiance, la tendresse qui réussissent même à
guérir? Je le crois. Et puisque je personnifie exactement la définition du trait d’union…! Je ne fais que ça dans ma vie: mettre
les gens en lien, provoquer des rencontres, donner des références, prêter des livres… J’ai tellement reçu de la LLL, c’est
naturel de vouloir rendre à César ce qui est à César! Et puisque
par mon métier j’ai la chance d’avoir accès aux médias…
Pour continuer avec mes objectifs de porte-parole: j’espère
contribuer à faire en sorte qu’on devienne LA référence en
allaitement maternel. Surtout avec les expertises médicales et
scientifiques que l’on possède, dont celles du Dr Jack Newman
et du M.D. pédiatre William Sears.
J’espère aussi, lors de nos événements, contribuer à l’augmentation du nombre de membres, de participantes… et
participants!
LVL: Quels sont tes objectifs comme porte-parole?
AA: Comme je l’ai brièvement mentionné au dernier congrès,
j’ai particulièrement à cœur de faire un «recadrage» de l’image
de la Ligue La Leche. Quotidien et médiatique. Bien faire comprendre que la Ligue La Leche promeut l’allaitement maternel
sans être radicale. Je me sens comme au lendemain du 11
septembre: urgent besoin de départager l’arabe de l’intégriste!
Je sais que dans tous les groupes constitués d’êtres humains, il
existe un risque de… disons dérapage.
Une information mal communiquée ou une attitude inadéquate
est à éviter, mais reste malheureusement possible. J’aime
remettre en perspective le fait que nous sommes toutes
humaines, avec chacune nos bonnes ou mauvaises journées,
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