Les schémas en arbre de Pierre Blackburn, Gérard

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Les schémas en arbre de Pierre Blackburn, Gérard
LES SCHÉMAS EN ARBRE DE PIERRE BLACKBURN
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LES SCHÉMAS EN ARBRE DE PIERRE BLACKBURN
Gérard CHOMIENNE
(article paru dans Côté-Philo n° 6)
Nous rendons compte ici d’un atelier consacré à l’examen d’un instrument d’analyse de la
structure argumentative des textes, conçu par Pierre Blackburn et exposé dans l’un de ses
manuels, La Logique de l’argumentation1. Cette méthode, appelée « méthode des schémas
en arbre » vise à mettre en évidence, sous la forme d’une figure graphique, l’ossature
logique de tout texte argumentatif, entendons de tout texte comportant au moins une
assertion conclusive reposant sur une ou plusieurs prémisses. Nous verrons d’abord
comment P. Blackburn propose de construire les schémas en arbre et nous montrerons
ensuite l’intérêt pédagogique de cette méthode.
COMMENT CONSTRUIRE LE SCHÉMA EN ARBRE D’UN TEXTE?
La marche à suivre :
On numérote les assertions contenues dans le texte.
On identifie celle qui a la valeur d’une conclusion.
On identifie les assertions qui ont valeur de prémisses.
On représente par un schéma, les relations d’inférence qui relient les prémisses à la
conclusion.
Premier exemple : le cas de prémisses liées
Soit le texte suivant.
Si le destin d’un homme est causé par l’étoile sous laquelle il est né, alors tous les hommes
nés sous cette même étoile devraient avoir le même avenir. Mais des maîtres et des
esclaves, des rois et des mendiants (qui ont des sorts très différents !) sont nés sous la
même étoile et la même année. Donc l’astrologie, qui prétend que le destin d’un homme est
déterminé par l’étoile sous laquelle il est né, est certainement fausse.
Pline l’Ancien
Dans ce texte, on dénombre trois assertions :
(1) « Si le destin d’un homme est causé par l’étoile sous laquelle il est né, alors tous les
hommes nés sous cette même étoile devraient avoir le même avenir ».
(2) « Mais des maîtres et des esclaves, des rois et des mendiants (qui ont des sorts très
différents !) sont nés sous la même étoile et la même année. »
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Pierre Blackburn, Logique de l’argumentation, ERPI, Montréal, 1994.
SCHÉMAS
ENsont
ARBRE
DE PIERRE
BLACKBURN
CesLES
deux
propositions
évidemment
les prémisses
sur quoi repose la conclusion :
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(C) « Donc l’astrologie, qui prétend que le destin d’un homme est déterminé par l’étoile
sous laquelle il est né, est certainement fausse. »
Qu’est-ce qui est affirmé par la prémisse (1) ? Non pas (a) que le destin d’un homme est
causé par l’étoile sous laquelle il est né (c’est-à-dire ce qu’affirme l’astrologie), ni (b) que
tous les hommes nés sous cette même étoile ont le même avenir. Ce qui est affirmé par la
prémisse (1), c’est que si (a) est vrai, alors (b) est forcément vrai.
Que contient la prémisse (2) ? La constatation d’un fait : des hommes aux sorts différents
sont nés sous la même étoile, la même année.
On peut donc tirer la conclusion (C) : ce qu’affirme l’astrologie est faux.
Dans ce type de structure argumentative, la conclusion repose sur des « prémisses liées »,
selon le terme de P. Blackburn. En effet, est-ce que chacune des deux prémisses (1) ou (2),
prise séparément, permettrait de conclure que l’astrologie est fausse ? On voit que non.
C’est, à la fois, parce que l’astrologie affirme une corrélation nécessaire entre les astres et
le sort des hommes (prémisse 1), et parce que les faits contredisent cette corrélation
(prémisse 2), que Pline peut réfuter la théorie astrologique.
On peut donc tracer ainsi le schéma en arbre de ce texte :
(1)
+
(2)
(C)
Cette convention graphique indique clairement que la conclusion n’est acceptable que si
les deux prémisses sont acceptables. Si l’on a à discuter la solidité de cette argumentation,
on montrera qu’il suffit que l’une des prémisses soit récusée pour que la conclusion soit
invalidée. Ce n’est pas le cas dans le texte qui suit.
Deuxième exemple : le cas de prémisses indépendantes.
C’est le soleil, pas la terre qui semble tourner. Si la terre tournait, cela donnerait
naissance à des vents violents. Or, ces vents n’existent pas. De plus dans la Bible, on dit
que Dieu a ordonné au soleil d’arrêter sa course. Puisqu’il faut interpréter la Bible à la
lettre et que tout ce qui est écrit dans le Bible est vrai, il s’ensuit que c’est le soleil qui
tourne, pas la terre.
Nicolas Oresme
On établit le relevé des assertions du texte.
(1) C’est le soleil, pas la terre qui semble tourner.
(2) Si la terre tournait, cela donnerait naissance à des vents violents.
(3) Or, ces vents n’existent pas.
SCHÉMAS
EN ARBRE
DEDieu
PIERRE
BLACKBURN
(4)LES
De plus
dans la Bible,
on dit que
a ordonné
au soleil d’arrêter sa course.
3
(5) Puisqu’il faut interpréter la Bible à la lettre
(6) et que tout ce qui est écrit dans le Bible est vrai,
(C) il s’ensuit que c’est le soleil qui tourne, pas la terre.
Dans ce texte, la conclusion repose sur trois mouvements argumentatifs :
Le premier mouvement pose que l’immobilité de la Terre est prouvée par l’apparence
visuelle :le soleil « semble » tourner (prémisse 1).
Le second s’appuie sur la conjonction nécessaire de deux prémisses liées, d’une
affirmation conditionnelle et d’une donnée empirique (prémisses 2 et 3).
Le troisième repose sur la conjonction de trois prémisses liées : (4) l’allusion à un épisode
du texte biblique, (5) le principe d’interprétation littérale et (6) l’affirmation de la véracité
de la Bible.
Mais chacun de ces trois arguments prouve à lui seul la conclusion.
Ce type d’argumentation repose sur des prémisses (ou des groupes de prémisses)
indépendantes. Ici, si l’on veut contester la conclusion il faut réfuter les trois arguments
pour remettre en cause la conclusion. L’argumentation est donc plus solide.
(1)
(2) + (3)
(4) + (5) + (6)
(C)
Naturellement, l’application de cette méthode à l’analyse de textes plus longs que les
extraits ci-dessus donnera lieu à des schémas plus complexes, mais qu’on peut construire
avec ces deux seules conventions graphiques.
L’intérêt pédagogique de cette méthode :
1• Donner à l’élève un objectif clair.
On a en mémoire la formule qui accompagne généralement le texte donné dans les séries
technologiques : « dégagez l’idée principale et les articulations du texte ». L’idée
principale ? Cela peut être la conclusion, mais aussi bien la ou les prémisses cruciales.
Les articulations ? Ce terme incite malencontreusement l’élève à se borner à un découpage
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DE PIERRE
BLACKBURN
du LES
texteSCHÉMAS
en « partiesEN
». ARBRE
Au contraire,
la construction
du schéma en arbre lui permet de
mettre en évidence la structure argumentative sous-jacente.
2• Éviter l’écueil de la paraphrase.
P. Blackburn recommande à l’élève, une fois le schéma en arbre tracé, de reconstruire
l’argumentation à l’envers. Partant de la conclusion il se demandera : pour quelles raisons
faut-il accepter cette proposition ? et il remontera ainsi dans l’arborescence de prémisses
en prémisses. L’élève pourra ainsi rendre compte de la logique du texte tout en évitant d’en
faire une simple paraphrase.
3• Repérer les présupposés.
L’examen du schéma en arbre peut faire apparaître que certaines prémisses, nécessaires à
la solidité de l’argumentation, ne figurent pas explicitement dans le texte analysé. La
formulation de prémisses implicites permet de saisir et de discuter les présupposés de
l’argumentation.
4• Un exercice objectivement évaluable.
La construction de schémas en arbre peut donner lieu à un exercice dont l’évaluation
présente des critères d’objectivité que l’élève peut aisément percevoir. On peut à cet effet
proposer aux élèves, en marge du texte à étudier plusieurs schémas en arbres dont un seul
traduit la structure argumentative : à l’élève de l’identifier et de dire pourquoi les autres ne
conviennent pas.
5• Un outil d’autocorrection.
Enfin, lorsque l’élève rédige son propre texte, il peut en vérifier la cohérence logique et lui
apporter au besoin les corrections nécessaires.
En résumé : il se dégage du travail de notre atelier que la vertu essentielle de cette
méthode d’analyse est de faire comprendre le sens d’une démarche argumentée en faisant
apparaître en un coup d’œil synoptique une structure logique que la linéarité d’un texte ne
laisse pas immédiatement percevoir.
Ajoutons pour conclure que si le lecteur se reporte au livre de Pierre Blackburn, il
constatera que celui-ci, avant de proposer à l’analyse des textes philosophiques, prend
comme exemple des textes empruntés à tous les registres de la discussion courante. Ce
parti pourrait faire dire à certains que l’analyse argumentative n’est « pas philosophique »
si les exemples auxquels on l’applique relèvent de domaines triviaux. L’auteur fournit un
argument en réplique à cette objection en donnant à lire ce court texte de Comenius :
«Il est incorrect d’enseigner ce qui est inconnu des étudiants au moyen de choses qui sont
elles aussi inconnues (…) Il s’ensuit que la matière enseignée doit être organisée de
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LES SCHÉMAS
ARBRE
DE PIERRE
manière
à ce que lesEN
étudiants
s’approprient
enBLACKBURN
premier lieu ce qui est plus proche de leur
vision mentale, puis ce qui en est plus éloigné. Par conséquent, si des étudiants se font
enseigner une matière pour la première fois (comme, par exemple, la logique ou la
rhétorique) les illustrations utilisées par le professeur ne devraient pas être tirées de
domaines qui ne peuvent être saisis par les étudiants comme la théologie, la politique ou la
poésie, mais devraient plutôt être tirées des événements de la vie quotidienne »
Afin que le lecteur se fasse juge de la pertinence de la position pédagogique défendue dans
ce texte, nous l’invitons à s’essayer lui-même à la construction du schéma en arbre
correspondant.