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Art et Culture Industries culturelles et médias UE Esthétique des arts Faut-il dire Wii à l'art vidéoludique ? Brice HEROUARD Année 2006-2007 1 Sommaire Introduction 3 I – ESTHÉTIQUES DE L'EXPRESSION VIDÉOLUDIQUE 4 A – L'expression du créateur/artiste 4 1) Une multiplicité d'auteurs 4 2) Le game designer 4 3) Une intention artistique ? 5 4) Le concept d'expression systémique 5 B – L'expression du joueur/spectacteur 6 1) La question du corps 6 2) Le phénomène d'identification 6 3) Le concept d'expression ludo-artistique 7 II – ETUDE DE CAS : LA NINTENDO WII A – Une nouvelle implication corporelle 8 8 1) De la simulation visuelle à la simulation physique 8 2) Les prémisses de la simulation physique 8 3) De la simulation physique à la fiction physique ? 9 B – L'art du futur ? 10 1) Fusion entre réel et virtuel 10 2) Une nouvelle expression ludo-artistique 10 3) Jusqu'où ira-t-on ? 11 Conclusion 12 Bibliographie 13 2 Introduction nota bene : merci de tenir compte que ce dossier a été rédigé durant l'année scolaire 2006-2007, dans le cadre d'un cours d'esthétique des arts Tout au long du vingtième siècle, l'art n'a cessé de dépasser les frontières qui lui étaient données, de se dépasser lui-même. Dépassant le réalisme pictural il a exploré la couleur, la forme, la lumière pour représenter le monde sous des angles nouveaux. Dépassant le monde lui-même il est devenu un art de l'abstrait avec le suprématisme de Malevitch, ou encore un art de l'artiste qui exprime sa propre sensibilité avec Pollock et l'expressionisme abstrait. Dépassant l'artiste il est devenu un art qui interpelle le spectateur, qui le choque et le pousse à réfléchir. Dépassant la réflexion il est devenu un art qui fait participer physiquement le spectateur, avec par exemple les happenings, qui apparurent dans les années soixante. Mais arrêtons-nous à ce moment de cette course folle pour constater l'apparition du jeu vidéo au même moment (en 1962 exactement). De supplanteur du flipper à sa naissance il est passé à supplanteur de la télévision en quelques décennies, du moins chez les jeunes. Mais il a également mûri et aujourd'hui l'âge moyen des joueurs augmente. On a également assisté à une augmentation des moyens de production des jeux, cela étant dû au développement d'une industrie du jeu vidéo très analogue à l'industrie du cinéma. Cette analogie entre jeu vidéo et cinéma s'est également propagée au contenu des jeux vidéo, ce qui mène finalement à la question centrale de ce dossier : le jeu vidéo peut-il être considéré comme un art ? Une question bien plus vaste en fait que l'analogie qui y a mené, car le jeu vidéo possède une caractéristique supplémentaire par rapport au cinéma et qui le rapproche du happening : on peut ainsi reprendre les mots d'Allan Kaprow et les associer au jeu vidéo pour dire qu'il n'a « pas de public. Seulement des intervenants. » Et ces intervenants sont amenés à réfléchir et à agir pour finaliser le « happening vidéoludique ». Il peut alors être intéressant de s'interroger sur l'investissement des joueurs, et donc de leur corps, dans une pratique dont on aura préalablement interrogé l'artisticité. En effet il ne faut pas oublier qu'une oeuvre d'art c'est d'abord un artiste et son intention (dirait Marcel Duchamp). Ainsi on étudiera dans une première partie, d'une part ce qui peut faire art du côté de l'expression de l'artiste (au sens où l'artiste exprime sa sensibilité dans son oeuvre), et d'autre part ce qui peut faire art dans la pratique du joueur. Mais il faut rappeler maintenant un élément potentiellement important dans l'histoire récente du jeu vidéo, qui renouvelle la question du corps dans cette pratique : l'apparition de la nouvelle console Wii de Nintendo, qui implique le corps du joueur d'une façon inédite. On étudiera donc dans une deuxième partie les antécédents de l'implication du corps dans le jeu vidéo, puis en quoi cette console provoque un renouvellement de cette implication et donc de la question d'un éventuel art corporel vidéoludique. 3 I – ESTHÉTIQUES DE L'EXPRESSION VIDÉOLUDIQUE Une oeuvre d'art peut être considérée aujourd'hui comme le produit d'un artiste en tant qu'il exprime une sensibilité, une perception du monde à travers l'acte de création, mais aussi comme le produit d'un spectateur en tant qu'il exprime lui aussi une sensibilité à travers l'acte de réaction et même d'interaction. Voyons si cette proposition de double définition peut s'accorder avec le jeu vidéo. A – L'expression du créateur/artiste 1) Une multiplicité d'auteurs Autant à ses débuts le jeu vidéo était produit par des équipes très réduites, voire même par une seule personne, autant il est devenu aujourd'hui le produit de véritables studios de développement, de façon très similaire au film, avec des compositeurs, des musiciens, des scénaristes, des dessinateurs, des graphistes, des programmeurs, des producteurs... Ainsi, pour reprendre le terme d'Eddy Leja 1 on peut retrouver de l'expression artistique dans le jeu vidéo en tant qu'expression héritée d'autres arts comme la musique, la littérature ou l'art pictural, de la même façon qu'on les retrouve dans le film. On peut espérer dans ce cas voir cette analogie rapprocher le jeu vidéo du statut d'art. Mais cela ne suffit pas pour faire de l'art, aussi bien pour le jeu vidéo que pour le film. Un jeu vidéo dépasse la somme des travaux des équipes de développement. 2) Le game designer Au cinéma, le réalisateur choisit et agence une partie des plans tournés pour produire une suite d'images qui constituera le film : c'est le montage. Ainsi le réalisateur impose des directives pour et dispose de l'ensemble des productions artistiques (ou pas) de l'équipe de tournage, et c'est lui qui va les assembler pour produire l'oeuvre finale qu'est le film. Dans le jeu vidéo c'est sensiblement la même chose : le game designer conçoit un dossier de game design, qui est une sorte de cahier des charges auquel vont se référer les différentes équipes (de dessinateurs, infographistes, programmeurs, leveldesigners, musiciens...) pour produire le jeu. Le game designer est donc en quelque sorte le réalisateur du jeu. De même qu'au cinéma la participation d'un game designer varie d'un jeu à l'autre et d'un game designer à l'autre, selon qu'il doit par exemple répondre à des contraintes artistiques (adaptation d'un film en jeu par exemple) ou budgétaires. Il y a toutefois une différence de taille dans le travail du game designer qui tient à la particularité du jeu vidéo de faire interagir le spectateur/joueur : le game designer définit le gameplay du jeu. On peut définir ce terme comme le fait Sébastien Genvo dans l'introduction de l'ouvrage Le game design de jeu vidéo2 en séparant game (les règles strictes du jeu) et play (la liberté d'action offerte au joueur). Le gameplay est un élément essentiel qui fera en grande partie l'intérêt du jeu. 1 LEJA, Eric, Le jeu vidéo est-il un art ?, 2004, http://www.jiraf.org/files/jv_art.pdf 2 GENVO, Sébastien, Le game design de jeux vidéo, L'Harmattan, 2006, Introduction, L'expression vidéoludique 4 3) Une intention artistique ? Comme pour le réalisateur, il est difficile de prêter systématiquement au game designer une intention artistique; cela dépend des cas. On peut toutefois noter, comme pour le cinéma, l'existence de plusieurs game designers célèbres pour ce qu'on appelle généralement « leurs » jeux. Citons par exemple Eric Chahi, personnage ô combien essentiel dans l'histoire du rapprochement du jeu vidéo avec le cinéma (avec son jeu Another World qu'il a développé quasiment tout seul), ou encore Sid Meier, auteur de la série mondialement connue et reconnue Civilization, ainsi que d'autres comme Warren Spector, Michel Ancel (le créateur de Rayman), Shigeru Miyamoto (le créateur de Mario) ou encore Peter Molyneux. Tous ces créateurs ne sont pas à proprement parler reconnus comme des artistes ni même s'affirmant comme tels, mais on leur attribue parfois la désignation d'auteurs de par l'originalité de leurs oeuvres ou la façon dont ils expriment une sensibilité, une esthétique dans ces oeuvres. Il est également intéressant de noter un besoin chez certains d'entre eux de conserver un maximum de liberté dans leur travail, ce qui en a poussés à quitter leurs studios d'origine pour voler de leurs propres ailes. C'est un aspect qui une fois de plus rapproche la création vidéoludique de son homologue cinématographique et même de la création artistique en général : le besoin d'exprimer sa sensibilité de la façon la plus libre possible. 4) Le concept d'expression systémique Dans son essai précédemment cité, Eddy Leja propose le terme d'expression systémique afin de définir l'artisticité propre au jeu vidéo, par opposition à l'artisticité propre à certains contenus d'un jeu vidéo qui trouvent leur origine dans l'expression artistique héritée. Le système peut être assimilé (mais c'est loin d'être aussi simple) au gameplay. Un système plutôt linéaire ou dirigiste se comportera par exemple comme une sorte de film interactif : le joueur suit un chemin prédéterminé qu'il ne peut quitter et active en avançant les évènements successifs du scénario. Il existe bien sûr une infinité de variations d'un tel système, avec une liberté variable allant du chemin unique aux chemins multiples. Par exemple Fahrenheit de Quantic Dream (conçu par David Cage) propose une histoire principale mais selon un parcours extrêmement variable qui dépend des choix du joueur dans ses discussions et dans ses actes, un peu comme si on pouvait explorer les 120000 m de bobine tournés par Chaplin pour L'Opinion publique au lieu de se contenter des 3000 choisis au final. A l'inverse un système libre est potentiellement beaucoup plus riche mais verra l'expression plus dispersée : tout dépend de ce que fera le joueur du système de règles qui lui est proposé. Par exemple des jeux comme SimCity ou Les Sims (de Maxis, conçus par Will Wright) proposent de construire sa propre ville ou sa propre famille avec une quantité infinie de variantes, si bien qu'il est quasi-impossible de jouer deux fois la même partie (complexité des règles, évènements aléatoires, etc.). 5 B – L'expression du joueur/spectateur 1) La question du corps Le corps est un élément central dans le jeu vidéo comme dans l'art, mais pas de la même manière. Disons pour faire simple que là où l'art a représenté le corps de différentes manières tout au long de son histoire pour finir par inviter le corps du spectateur dans l'acte artistique avec le happening, le jeu vidéo a dès ses débuts sollicité la participation du corps du joueur. Là où l'art classique se contemplait, les premiers jeux vidéo se jouaient aggrippé au joystick. En effet le jeu vidéo est apparu dans les bars où il a supplanté le flipper, et était en quelque sorte son héritier : les frères Le Diberder établissent un parallèle intéressant entre billard, flipper et borne d'arcade, qui selon eux constituent trois chapitres successifs de l'histoire du divertissement dans les bars. Evolution électronique, fordique et déterministe du billard, le flipper nécessite de faire corps avec la machine, au point d'en connaître les rouages sans jamais les maîtriser complètement. La borne d'arcade nécessite également l'investissement du corps dans la pratique, mais de façon moins « fusionnelle » car un jeu vidéo ne vieillit pas physiquement, contrairement à un flipper. Toutefois le corps est bien essentiel dans la pratique vidéoludique, comme l'expliquent les articles sur le corps dans La pratique du jeu vidéo : Réalité ou virtualité ?. Mélanie Roustan et Jean-Baptiste Clais3 y évoquent l'importance de l'interface et des efforts physiques fournis via celle-ci pour jouer, permettant ainsi la sensation d'immersion, tandis que Michel Stora, psychanalyste, étudie l'analogie entre la pratique du jeu vidéo et des phases d'apprentissage de l'usage du corps. Toujours est-il que l'intervention du joueur via son corps est la condition sine qua non de l'accomplissement du jeu, qui n'accède à la véritable existence qu'en tant qu'il est joué (tout comme le happening n'accède à la véritable existence qu'en tant qu'il « happens »). 2) Le phénomène d'identification Le jeu vidéo se distingue particulièrement par sa capacité à immerger le joueur dans les univers des jeux. Cette question est liée à celle du corps, car l'immersion est créée au moyen de plusieurs leviers : l'utilisation du corps et le phénomène d'identification. Cette identification du joueur varie selon les jeux. Par exemple dans un jeu de simulation de course automobile (exemple : la série des Gran Turismo de Polyphony Digital) le joueur s'identifie au pilote du véhicule qu'il dirige via la manette, au point parfois de tourner cette dernière dans les virages (heureusement il existe déjà des volants pour remplacer la manette). Mais l'identification semble plus forte encore dans les First Person Shooter (simulation de tir en vue subjective), et encore plus dans les Role Playing Games, ce qui paraît logique vu que ces derniers sont la « version vidéo » des jeux de rôles, jeux 3 ROUSTAN, Mélanie et CLAIS, Jean-Baptiste, « Les jeux vidéo, c'est physique! » Réalité virtuelle et engagement du corps dans la pratique vidéoludique, In ROUSTAN, Mélanie, La pratique du jeu vidéo : réalité ou virtualité ?, L'Harmattan, 2005, Chapitre 1 6 d'identification par excellence. D'ailleurs l'essor du jeu en ligne amplifie ce phénomène d'identification en permettant à des joueurs de vivre des aventures sans fins dans les univers persistants des Massively Multiplayer Online Role Playing Games (MMORPG). On peut également évoquer le lien entre l'identification du spectateur de cinéma à la star et l'identification du joueur au héros de jeu vidéo (particulièrement dans les jeux de rôle et d'aventure). En effet Nic Kelman4 décrit un parallèle entre le héros de l'épopée mythologique ou de l'opéra wagnérien et le héros de bon nombre de jeux vidéo, dont les aptitudes exceptionnelles rendent l'identification facile. Car le jeu vidéo est bien un média de masse, comme le cinéma, où l'intérêt du spectateur/joueur/consommateur est entretenu via son identification avec le héros (la star au cinéma), et il est donc normal de voir les épopées mythologiques adaptées en jeu comme elles l'ont été en film. Par contre il y a une différence fondamentale qui fait la force du phénomène d'identification dans le jeu vidéo : l'interactivité, le fait que le joueur soit celui qui anime le héros, qui le dirige. Le joueur est donc bien plus aspiré dans l'oeuvre que le spectateur ne l'est dans le film. 3) Le concept d'expression ludo-artistique Le joueur est donc immergé dans le jeu par ses pratiques corporelles et par l'identification. Mais participe-t-il pour autant à une sorte d' »happening vidéoludique » ? Est-il amené à réfléchir, à développer voire exprimer sa sensibilité comme c'était l'intention des avant-gardes qui ont jalonné tout au long du XXème siècle le parcours de réhabilitation du spectateur dans l'art ? Eddy Leja pense que oui et propose le concept d'expression ludo-artistique pour évaluer l'artsisticité propre au joueur. Cette expression du joueur ne serait possible que si le jeu propose un système suffisamment libre, dans lequel le joueur s'insérera comme élément pouvant influencer l'évolution d'une partie selon sa propre sensibilité : c'est le phénomène d'émergence qui voit survenir des éléments non prévus par le concepteur du système mais uniquement dus à la façon dont le joueur a exploité les règles de ce système comme il l'entendait. Par conséquent plus un jeu propose un système libre, plus le joueur pourra exprimer sa sensibilité. C'est le cas bien sûr de jeux comme SimCity ou Les Sims, où le joueur peut développer une ville ou une famille selon sa propre sensibilité, grâce à un panel de possibilités quasi-infini. Un autre exemple intéressant est celui que donne Eddy Leja : le grenade-jump, ou comment atteindre des endroits inaccessibles en se faisant porter par le souffle de l'explosion d'une grenade qu'on vient de dégoupiller! On peut alors supposer une (relative) opposition entre expression systémique et expression ludo-artistique : plus le jeu est libre, plus l'expression systémique est diffuse, le concepteur laissant la place à l'expression ludo-artistique du joueur. 4 KELMAN, Nic, Jeux vidéo L'art du XXIè siècle, Assouline, 2005 7 II – ETUDE DE CAS : LA NINTENDO WII En proposant une manette spécialement conçue pour prendre en compte les gestes de l'utilisateur, la Nintendo Wii constitue une avancée du corps dans la pratique du jeu vidéo. Nous allons envisager ici des aspects artistiques de cette nouvelle avancée dont nous aurons préalablement rappelé l'histoire. A – Une nouvelle implication corporelle 1) De la simulation visuelle à la simulation physique Si l'on reprend le parallèle établi par les frères Le Diberder 5 entre billard, flipper et borne d'arcade, alors il est clair que le jeu vidéo constitue un éloignement supplémentaire du corps par rapport au jeu. Les premiers jeux vidéo, que ce soient sur borne d'arcade, sur console de salon ou sur ordinateur de bureau, n'exigeaient du joueur que l'usage de ses deux mains. Pourtant c'était déjà « physique »! Cet éloignement a longtemps été entretenu par les acteurs du secteurs. Si l'industrie du jeu vidéo s'est essentiellement consacrée à investir dans l'amélioration des graphismes des jeux et de la puissance de calcul des consoles, Nintendo a décidé d'ouvrir une voie nouvelle. En effet la Wii est la première console de jeu qui impose une manette détectant les gestes du joueur. On peut comprendre cette prise de risque en considérant deux éléments : • le succès de la Nintendo DS, console portable à deux écrans, dont l'un est tactile et utilisable avec un stylet. On peut supposer que ce succès a encouragé Nintendo à continuer d'explorer de nouvelles possibilités ludiques impliquant plus le corps du joueur. • La concurrence sur le marché des consoles : Microsoft et Sony, deux multinationales très puissantes qui perpétuent la course aux machines puissantes et aux graphismes époustouflants. Une course que Nintendo n'a plus les moyens de suivre, car ce n'est pas une entreprise aussi importante. 2) Les prémisses de la simulation physique Bien que la Nintendo Wii constitue une véritable nouveauté, il est important de rappeler que la simulation physique lui a préexisté. En effet on peut citer le jeu Flight Simulator (de Sublogic) qui s'inspire des simulateurs de vol de l'armée américaine pour proposer à tout un chacun de jouer au pilote de ligne avec un jotstick à retour de force sur son ordinateur. Mais il y a mieux : de nombreuses bornes d'arcade furent inventées, mettant le joueur dans des conditions les plus réalistes possibles : simulateus de course dans un siège de voiture avec un volant (de même pour la moto, le ski, etc.). 5 LE DIBERDER, Alain et Frédéric, L'univers des jeux vidéo, La Découverte, 1998 8 Sony proposa également sur sa console PlayStation 2 l'Eye Toy, un jeu vendu avec une caméra numérique que l'on place au-dessus de la télé et qui introduit dans le jeu l'image du joueur. Ce dernier peut alors effectuer les gestes proposés par le jeu pour interagir avec les éléments affichés par le jeu. Il est donc visuellement intégré au jeu. C'est une simulation physique plus forte que pour la Wii, mais toutefois ce n'est qu'un jeu isolé, lui donnant moins d'impact qu'une console de salon. 3) De la simulation physique à la fiction physique ? L'expression corporelle est donc augmentée grâce à la Wii, première console de salon sur laquelle tout jeu nécessite des gestes des deux bras, et pas seulement des doigts aggripant la manette. Il faut maintenant se poser une question : en quoi cela apporte-t-il au joueur plus de possibilités d'expression ludo-artistique ? Il est évident que la nouvelle interface de jeu de la Wii favorise les jeux de simulation de sports, particulièrement ceux où l'on utilise bras et mains. Ainsi la Wii est vendue avec cinq simulations de sport (tennis, golf, boxe, bowling et base-ball). On a également eu droit à un FPS, Red Steel (d'UbiSoft). Mais le problème de ces jeux est leur limitation de la liberté gestuelle du joueur. Il n'y a que quelques gestes véritablement efficaces car véritablement détectés. Par exemple dans Red Steel l'utilisation du katana est limitée à deux coups de katana bien précis, quel que soit le geste effectué. Ainsi le joueur pourra s'évertuer à feinter et chercher la faille pour transpercer son adversaire sans jamais obtenir que les deux coups pré-programmés. La Wii est une console très jeune, il est donc normal que les équipes de développement ne puissent pas encore exploiter ses possibilités à fond, et on peut éspérer voir sortir des jeux plus aboutis au niveau de la liberté d'action. Pour reprendre l'exemple du katana, on peut citer le jeu Bushido Blade (SquareSoft, 1997) qui est une véritable simulation de combat au sabre, dans laquelle chaque coup est décisif : un coup porté au pied réduit la mobilité de l'adversaire, un autre au bras lui en empêche l'utilisation, etc. Un tel jeu adapté sur Wii permettrait peut-être de montrer les véritables capacités de cette console en matière de détection des mouvements, mais également d'augmenter considérablement la liberté d'action du joueur. Et on peut encore aller plus loin, en proposant des jeux dits libres, avec une expression systémique dispersée dans un système de règles suffisament ouvert pour permettre au joueur d'inventer ses propres mouvements! Par exemple dans un jeu de sorcellerie on pourrait imaginer la possibilité pour le joueur d'inventer ses propres sortilèges, en testant des combinaisons d'ingrédients et en activant ces combinaisons via des incantations consistant par exemple à tracer des symboles cabalistiques en l'air avec sa baguette magique. Ainsi ce serait à chacun d'inventer ses symboles pour ses décoctions. 9 B) L'art du futur ? 1) Fusion entre réel et virtuel Avec la Wii, le corps du joueur fait un grand pas dans l'univers des jeux vidéo. Cette entrée de ce qui depuis toujours nous ancre au réel dans le virtuel préfigure peutêtre un effacement des frontières entre ces deux notions pour le moins controversées. En effet, Mélanie Roustan6 évoque la dissociation entre réel et virtuel : « [les significations initiales], comme l'indique l'étymologie (du latin virtus, force), donnaient le virtuel comme une réalité en puissance, un potentiel (...) l'ambition technique du virtuel est de faire croire que ce qui n'existe pas existe » avant de faire le lien avec le jeu vidéo : « A mi-chemin entre le monde des « choses » que la main saisit et le monde des « non-choses » que le bout des doigts active et programme, la réalité virtuelle est une fusion éphémère entre un ressenti « réel » en interaction avec un monde « virtuel », qui constitue l'essence même du jeu vidéo ». Cette fusion est encore plus importante si le ressenti réel est plus important, et ce ressenti est bien sûr amplifié par la nouvelle implication du corps que propose la Wii. Ainsi ce qui n'existe pas se rapproche de plus en plus de l'existence, ou du moins la croyance en son existence est renforcée. D'un point de vue artistique, on peut traduire cela par le fait que l'accès du spectateur à la virtualité de l'artiste, à son imagination, est encore plus facilitée. D'un autre côté le spect/acteur peut exprimer sa propre sensibilité dans l'oeuvre elle-même, oeuvre dont la part de virtualité rend les possibilités d'évolution infinies. 2) Une nouvelle expression ludo-artistique ? Une intervention du corps dans l'expression ludo-artistique peut constituer un tournant dans les formes que peut prendre une telle expression. Si des jeux suffisamment « libres » voient le jour, on peut assiter à une extension des possibilités d'expression dans le domaine du virtuel vidéoludique. On peut alors supposer qu'apparaîtront, par exemple dans des communautés de joueurs sur Internet, de nouvelles techniques du corps, pour reprendre l'expression de l'ethnologue Marcel Mauss. Des techniques propres à la vie d'avatars peuplant un monde virtuel et développant une culture autour de et dans ce monde, et peut-être une forme d'art... Bien sûr, c'est déjà le cas, par exemple dans les communautés de joueurs de FPS (tels que Counter Strike, Quake, etc.) sur Internet qui ont développé des techniques stratégiques, tactiques et corporelles (rappelons l'exemple du grenade-jump). Mais l'intégration du corps à part entière constitue une étape supplémentaire d'une envergure supérieure, surtout si l'on envisage l'extension de l'interface que propose la Wii des bras vers l'ensemble du corps. Les possibilités d'expression offertes au joueur/spectateur seront encore complexifiées et multipliées 6 ROUSTAN, Mélanie, La pratique du jeu vidéo : réalité ou virtualité ?, L'Harmattan, 2005, Introduction, La réalité virtuelle vidéoludique : expérience sensible, pratique sociale et phénomène culturel 10 3) Jusqu'où ira-t-on ? L'essor des jeux sur Internet et particulièrement des jeux à monde persistant (de véritables happenings vidéoludiques sans fin) semble ouvrir un avenir radieux aux réalités virtuelles, qui de plus vont, on peut l'espérer, s'intensifier avec l'apparition de nouvelles formes d'expression, en particulier corporelles, grâce à la Wii et peut-être également au nouvel Eye Toy7 de la PlayStation 3 de Sony. On peut même imaginer, à terme, des jeux qui immergeraient complètement le joueur dans un univers fictif, des sortes de matrices où il deviendra peut-être difficile de discerner le réel du virtuel : finirons-nous contrôlés par les machines comme dans Matrix ? Ce n'est pas l'avis de Bo Kampmann Walther 8, pour qui tout dépassement des deux éléments composant la réalité virtuelle vidéoludique, le réalisme et le gameplay, signifierait la mort du jeu lui-même. Et le début de l'esclavage ? 7 Démonstration disponible sur : http://www.youtube.com/watch?v=_PzvcsLIQg0 8 WALTHER, Bo Kampmann, La représentation de l'espace dans les jeux vidéo : Généalogie, classification et réflexions, In ROUSTAN, Mélanie, La pratique du jeu vidéo : réalité ou virtualité ?, L'Harmattan, 2005, Chapitre 6 11 Conclusion Il semble que le jeu vidéo rassemble plusieurs caractéristiques susceptibles de le faire considérer comme un art, comme le fait de naître en même temps que d'autres formes d'expression, elles assurément artistiques, qui laissent un maximum de place à l'expression du spectateur, ou encore de partager les mêmes techniques de production avec le cinéma. Le jeu vidéo serait-il l'enfant du happening et du cinéma, tout en étant celui de l'informatique et du divertissement ? En tout cas il offre de plus en plus de capacités d'expression aux créateurs, et donc aux joueurs, ces derniers bénéficiant maintenant des possibilités d'expression corporelles que voudront bien leur offrir les équipes de développement qui « oeuvreront » sur la Wii. Et si oeuvre il y a effectivement, alors ce sera dans des mondes virtuels qui démultiplieront les possibilités de l'art grâce à cette nouvelle place de choix donnée au corps, au bon plaisir de joueurs toujours plus nombreux. 12 Bibliographie • • ROUSTAN, Mélanie, La pratique du jeu vidéo : réalité ou virtualité ?, L'Harmattan, 2005 LE DIBERDER, Alain et Frédéric, L'univers des jeux vidéo, La Découverte, 1998 • KELMAN, Nic, Jeux vidéo L'art du XXIè siècle, Assouline, 2005 • LEJA, Eric, Le jeu vidéo est-il un art ?, 2004, http://www.jiraf.org/files/jv_art.pdf • • • GENVO, Sébastien, Le game design de jeux vidéo, L'Harmattan, 2006, Introduction, L'expression vidéoludique ICHBIAH, Daniel, La saga des jeux vidéos : De Pong à Lara Croft, Vuibert, Paris, 2004 MAUSS, Marcel, Sociologie et anthropologie, PUF, Paris, 1950, Notion de technique du corps, Chapitre 1 13