Les Liaisons dangereuses - Gymnase Auguste Piccard

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Les Liaisons dangereuses - Gymnase Auguste Piccard
Gymnase Auguste Piccard
14 novembre 2005
Les Liaisons dangereuses,
du roman aux films
Travail de maturité présenté par Caroline Jankech, 3M4 et
Chloé Traube, 3M2
Sous la direction de Mme Nicole Gaillard
Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
Caroline Jankech et Chloé Traube
Table des matières
1. Introduction ……………………………………………………………. 3
2. Le problème de la transposition …………………………………... 5
3. Les particularités du roman épistolaire ………………………….6
4. Les analyses ……………………………………………………………..8
4.1 L’incipit ……………………………………………………………... 8
4.1.1 Intérêt de la séquence
4.1.2 Délimitation de la séquence
4.1.3 Analyses
4.2 La déclaration de guerre entre Valmont et Merteuil ………… 22
4.2.1 Intérêt de la séquence
4.2.2 Délimitation de la séquence
4.2.3 Analyses
4.3 Le duel ……………………………………………………………..... 32
4.3.1 Intérêt de la séquence
4.3.2 Délimitation de la séquence
4.3.3 Analyses
5. Remarques générales sur les adaptations ………………………. 42
6. Les adaptations modernes ………………………………………….. 46
6.1 Les Liaisons dangereuses 1960 …………………………………. 46
6.2 Sexe intentions ……………………………………………………... 49
7. Conclusions …………………………………………………………….. 51
7.1 Comment transparaît le roman épistolaire dans les
adaptations …………………………………………………………. 51
7.2 Conclusion ………………………………………………………….. 56
8. Bibliographie …………………………………………………………... 58
9. Annexes …………………………………………………………………. 59
9.1 Jean de la Lune …………………………………………………….. 59
9.2 A la volette …………………………………………………………. 60
9.3 Extraits ………………………………………………………………. 61
9.4 Fiches techniques ………………………………………………….. 63
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Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
Caroline Jankech et Chloé Traube
1. Introduction
Comment passe-t-on d’un imaginaire verbal à un imaginaire visuel ? Quels sont les
enjeux d’une telle transposition et quels choix cela implique-t-il? Ces questions sont
la base de notre réflexion et vont nous aider à déterminer des critères pour juger de la
qualité d’une adaptation.
Pour y répondre, nous avons choisi le roman de Choderlos de Laclos : Les Liaisons
dangereuses. Cette œuvre nous a attirées principalement car c’est un roman
épistolaire, ce qui crée une difficulté lors de l’adaptation et attise notre curiosité à
découvrir comment les réalisateurs ont relevé cette sorte de défi. De plus, c’est un
roman d’une grande puissance la force de ses personnages et l’intensité de son
intrigue ont un côté dramatique et théâtral. L’époque à laquelle se déroule cette
histoire nous a séduites par son atmosphère, ses décors et ses costumes, mais encore
par sa problématique basée sur les valeurs du XVIIIème siècle et les dessous de sa
société. L’aspect particulièrement intéressant de cette œuvre est qu’elle a inspiré de
nombreux réalisateurs, ce qui nous donne la possibilité de comparer différents
processus de transposition et par conséquent d’étayer notre réflexion à ce sujet. Nous
avons choisi deux adaptations, probablement les plus importantes et les plus proches
du roman de Laclos : Les Liaisons dangereuses, de Stephen Frears et Valmont, de
Milòs Forman. Mais ce sera au fil de notre travail que nous nous rendrons compte de
la richesse de l’œuvre que nous avons choisie.
Nous allons donc commencer par réfléchir aux problèmes généraux que peuvent
causer la transposition, puis, plus spécifiquement, aux particularités dues au style
épistolaire du roman. Nous définirons ensuite des séquences figurant dans les trois
œuvres, qui seront le corps de notre analyse. Notre sélection se fera en fonction de
l’importance de l’épisode dans l’histoire, mais aussi de sa réussite en tant
qu’adaptation et en tant qu’œuvre cinématographique. Ces séquences devront
illustrer les spécificités des personnages, afin de nous montrer comment les
réalisateurs les ont perçus dans le roman, puis adaptés. Il en va de même pour les
messages qu’a voulu faire passer Laclos et l’esprit de son histoire. Une fois cette
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Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
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sélection faite, nous devrons délimiter les trois séquences. Pour ce faire, nous allons
tout d’abord nous référer au roman, en regardant le nombre de lettres qui
correspondent à l’épisode, puis trouver les séquences correspondantes dans les films.
L’analyse des trois œuvres se fera séparément, tout en se basant sur les principales
divergences et convergences entre elles. Nous commencerons par celle du livre, car
elle nous montrera les principaux éléments à relever ensuite lorsque nous analyserons
les films (il ne nous sera en effet pas possible de traiter de tous les éléments). Une
fois ces analyses faites, nous discuterons des impressions générales que nous donnent
les deux adaptations, afin de faire une comparaison globale. Nous ferons ensuite une
synthèse sur la manière dont figurent les lettres dans les adaptations. La dernière
question que nous nous poserons sera celle de l’adaptation moderne. Pour cela, nous
prendrons l’exemple de Sexe Intentions, de Roger Kumble et des Liaisons
dangereuses 1960, de Roger Vadim.
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2. Le problème de la transposition
Il n’est pas difficile de remarquer qu’un livre et un film sont deux objets très
différents. Mais il est par contre moins évident de comprendre en quoi le passage de
l’un à l’autre n’est pas toujours des plus aisé.
Tout d’abord on passe d’un monde verbal à un monde visuel, ce qui suppose que l’on
va traiter l’information différemment. Une lecture est une histoire qui se construit au
fil des mots, elle a une certaine durée, prend le temps qu’on lui donne et laisse à
notre imagination une grande liberté. Il appartient à chacun de se créer des images
mentales à partir de ce que les mots évoquent dans notre expérience personnelle. Il y
a donc dans un livre non seulement ce que l’auteur y met, que ce soit dans ou entre
les lignes, mais aussi tout ce que le lecteur y ajoute. Le lecteur a donc un rôle très
actif. Dans un film, par contre, la saisie est immédiate, un flot d’informations déferle
rapidement sous nos yeux. Ces informations ne sont que rarement semblables à ce
que l’on s’était imaginé en lisant le roman. Il y a souvent de la déception et parfois
de la surprise et de la satisfaction. Quoi qu’il en soit, cette vision personnelle du
réalisateur nous est imposée. Il n’y a plus autant de place pour l’imagination du
spectateur et celui-là est beaucoup plus passif. Mais nous verrons que dans certains
cas, le réalisateur arrive à faire participer son spectateur de manière étonnante, ce qui
s’avérera être une qualité très appréciable dans une adaptation.
D’autre part le réalisateur est confronté à des problèmes d’ordre plus pratique. Tout
d’abord le roman de Laclos est long de plus de cinq cent pages, il contient beaucoup
d’évènements que le réalisateur va devoir trier. Il doit reprendre les éléments
essentiels de l’intrigue pour y rester fidèle, mais aussi tous les aspects qui peuvent
donner au film un attrait original, des scènes comiques, tragiques, certains dialogues,
etc. Il en est de même pour les personnages: il doit décider lesquels ont plus
d’importance, et lesquels sont inutiles. Par exemple Forman a appelé son film
Valmont, on peut donc s’attendre à ce que le récit tourne autour de lui. Le réalisateur
est bien sûr soumis à des contraintes financières, qui peuvent avoir une grande
influence sur la réussite de l’adaptation surtout dans le cas où il faut recréer les
décors d’une autre époque.
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3. Les particularités du roman épistolaire
Dans le roman par lettres, le lecteur a accès de manière directe aux confidences des
protagonistes, il n’y a pas de narrateur intermédiaire. Ayant l’impression que le
personnage se livre à lui, le lecteur s’en sent plus proche et a plus de facilité à
s’identifier à lui. Par contre, il n’a pas d’aperçu objectif des personnages, car ceux-ci
sont soit décrits par eux-mêmes, soit par d’autres personnages. Il est donc difficile
pour le lecteur de se faire une vision réaliste de leur personnalité et de leurs actions.
Un même épisode peut être relaté par différents personnages, ce qui oblige le lecteur
à se créer une opinion personnelle et à croire une version plutôt qu’une autre. Il est
donc assez actif à ce niveau, ce qui ne serait pas le cas s’il y avait un narrateur
externe. D’un autre côté, le lecteur est aussi très passif car il vit tout en décalage par
rapport aux épistoliers. En effet, soit la lettre évoque un épisode qui s’est déjà produit
et le lecteur ne peut que constater, soit il est face au récit d’un projet auquel il ne
pourra pas assister et devra se contenter d’en attendre le récit. Mais parfois certains
évènements ne sont jamais racontés et alors le lecteur se sent exclu.
Le fait que les personnages de l’histoire ne communiquent que par lettres biaise leurs
relations. D’une part, il n’y a pas de face-à-face, tout peut être réfléchi avant d’être
écrit, ce qui rend les échanges moins spontanés. D’autre part, le fait qu’il est souvent
plus facile de s’exprimer par écrit que par oral crée un climat de désinhibition qui
favorise les complots. Toutes les paroles et les idées sont radicalisées à tel point que
les personnages vont dépasser certaines limites sans s’en rendre compte et ensuite ne
vont pas réussir à assumer la portée de leurs mots.
De plus, le roman épistolaire donne l’impression que ce sont les protagonistes qui
écrivent l’histoire, qu’ils sont autonomes et ont le pouvoir de se dévoiler comme ils
en ont envie. Par exemple, à la fin du roman, plusieurs d’entre eux n’écrivent plus,
comme s’ils se retiraient de la scène. On ne connaît alors plus leurs opinions et leurs
émotions sur ce qui se produit. Cela signifie que dès qu’un épistolier cesse d’écrire, il
disparaît de l’histoire; le lecteur se sent alors impuissant. Cette impression dépend
aussi du nombre de lettres que le protagoniste envoie et reçoit. Merteuil, par exemple,
apparaît comme assez mystérieuse car les autres personnages n’écrivent pas
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beaucoup à son sujet. On ne la voit alors que principalement à travers les lettres
qu’elle écrit elle-même. Valmont est par contre un personnage public, chacun écrit
toutes sortes de choses à son propos, et tous le voient et le décrivent de manière très
différente. On découvre alors « plusieurs Valmont » à travers les différentes
correspondances. Par ailleurs, les lettres permettent à Merteuil et Valmont de garder
leur liaison secrète, et de communiquer sans jamais se fréquenter en société.
Toutes ces caractéristiques développent chez le lecteur une relation particulière avec
le récit sous forme épistolaire.
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4. Les analyses
4.1 L’incipit
4.1.1 Intérêt de la séquence
Le début d’une histoire, dans quelque mode de narration que ce soit, est
incontournable pour plusieurs raisons. Tout d’abord, la réussite des premiers instants
est décisive. L’enjeu est donc de taille pour l’auteur du livre comme pour celui du
film. Ils doivent en effet tous deux donner envie au spectateur d’entrer dans l’histoire
et d’en découvrir la suite. L’incipit est aussi important parce que c’est une étape dans
l’histoire qui est, de près ou de loin, commune entre un roman et ses adaptations
puisqu’elle correspond à l’exposition du cadre, de l’intrigue, à la présentation des
personnages et des relations entre eux. On peut alors dire qu’il sert à planter le décor,
il nous donne un très grand nombre d’informations; dans le cas du film, tant à travers
les répliques des personnages qu’à travers les images (jeux de scène, costumes,
décors) et dans celui du livre, à travers le récit et les images que le lecteur s’en fait.
En outre, nous y voyons déjà exposés les principaux thèmes de l’histoire. Pour toutes
ces raisons, nous avons choisi de commencer notre analyse par ce passage-là.
4.1.2 Délimitation de la séquence
•
Dans Les Liaisons dangereuses, de Laclos
L’incipit dans le livre comprend les quatre premières lettres :
Lettre I, Cécile Volanges à Sophie Carnay
Lettre II, la Marquise de Merteuil au Vicomte de Valmont
Lettre III, Cécile Volanges à Sophie Carnay
Lettre IV, le Vicomte de Valmont à la Marquise de Merteuil
•
Dans Les Liaisons dangereuses, de Frears
Nous avons délimité l’incipit en partant du générique jusqu’au moment où Valmont
sort de chez Merteuil, à la fin de la scène qui se passe dans les escaliers.
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•
Dans Valmont, de Forman
Dans ce film, l’incipit commence au générique et se termine, selon nous, à la fin de
la scène de l’opéra, avec Merteuil et Cécile.
Dans les trois cas, nous avons choisi les critères de délimitation suivants: l’incipit
devait comporter la présentation des personnages principaux ainsi que celle du cadre,
et le lancement de l’intrigue.
4.1.3 Analyses
•
Laclos
Le roman s’ouvre sur une lettre de Cécile. Dès les premières phrases on découvre
une jeune fille impressionnée par son arrivée dans la grande société et par sa liberté ;
« Maman m’a consultée sur tout ; elle me traite beaucoup moins en pensionnaire que
par le passé. » Mais au cours de la lettre, son innocence de jeune fille à l’éducation
cloîtrée apparaît à travers un champ lexical de l’incertitude, parsemé de « je crois
que », « je ne sais pas», « mais on ne m’a encore parlé de rien ». Cécile réalise
qu’elle ne sait pas grand-chose de ce nouveau monde dans lequel elle se réjouissait
d’atterrir et porte son innocence comme une honte. Elle semble utiliser les lettres
comme un journal intime à qui se confier.
L’auteur nous laisse croire, en débutant par cette lettre, que Cécile va être l’héroïne
ou du moins l’un des sujets principaux du roman. Mais dès la deuxième lettre, Laclos
nous présente un deuxième personnage féminin, bien plus à même de jouer ce rôle.
En effet, de par son style élégant et très bien maîtrisé et son contenu peu commun et
provocateur, la lettre Merteuil va immédiatement contraster avec celle de Cécile. On
passe d’une page à l’autre, d’un personnage passif et ignorant à un personnage
phénoménal semblant allier l’intelligence à la maîtrise de tout ce qui l’entoure. Osant
utiliser l’impératif à tour de bras, Merteuil va tout simplement ordonner au Vicomte
de « venir, avec empressement, prendre mes ordres à mes genoux », et, par ce fait,
placer Cécile en position d’objet dans son plan machiavélique. Elle appelle d’ailleurs
Cécile « le bel objet » ou en dit « cela n’a que quinze ans », ou encore « l’héroïne de
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Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
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ce nouveau roman ». Cette dernière appellation résonne dans la tête du lecteur
comme un clin d’œil ironique de Laclos.
Cette deuxième lettre est très riche, autant par sa forme que par son contenu. Bien
que nous n’ayons aucune description physique de Merteuil, elle nous apparaît
facilement à travers sa rhétorique comme une femme puissante, d’une grande
élégance et d’un rang social élevé. A travers ses tournures dignes d’une reine
capricieuse s’installe une relation de pouvoir dans laquelle Merteuil semble
complètement dominer Valmont. Elle use très habilement du langage pour
convaincre cet homme de faire ce que bon lui semble et marque nettement son goût
pervers pour la vengeance: « …et l’espoir de me venger rassérène mon âme. » De
plus, on apprend grâce à cette lettre beaucoup de choses relatives à son passé. Par
exemple par cette allusion d’une remarquable finesse: « …vous abusez de mes
bontés, même depuis que vous n’en usez plus… », où l’on comprend que Merteuil et
Valmont ont eu une liaison ensemble, et par une note de Laclos en bas de page, où
l’on nous explique le pourquoi du plan vengeur de Merteuil et le comment de son
rapprochement avec Valmont.
La troisième lettre ne fait que nous confirmer la personnalité un peu insipide et naïve
de Cécile. Fidèle à son style, elle débute par un « Je ne sais encore rien », qui
annonce au lecteur que l’ingénue n’a pas encore fait de grandes découvertes. Elle
remarque pourtant qu’on l’inspecte comme un objet et qu’elle n’est pas à sa place.
Intéressante est par contre la première allusion à Merteuil par Cécile, en tant que
parente et amie de la mère. Cécile évoque le fait que, malgré qu’elle l’ait traitée de
gauche, celle-ci « paraît même avoir pris tout de suite de l’amitié pour moi ». Cette
phrase est annonciatrice de la future relation qui va s’installer entre l’adolescente et
son aînée.
La dernière lettre clôt l’incipit en nous présentant l’alter ego masculin de Merteuil:
Valmont, accompagné par son propre projet diabolique. La lettre de Valmont
navigue entre ironie et flatterie dans un style lyrique et très maîtrisé. Il est difficile de
cerner le personnage lors de la lecture des premières lignes, mais Laclos précise
rapidement à qui le lecteur à affaire. A travers un champ lexical religieux, évoquant
Dieu et la foi, Valmont apparaît comme un homme ayant trouvé dans le libertinage
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une sorte de mission religieuse qui lui est destinée. De plus, toute sa lettre est teintée
d’un humour un peu sombre, ironique, pervers et calculateur, qui nous trace son
portrait. Ensuite, bien que Valmont émette des regrets quant à sa relation passée avec
Merteuil, ce qui pourrait nous donner une image positive et humaine de lui, il vire de
bord et invoque sa raison d’être, sa mission: « conquérir est notre destin », et l’on
découvre à travers son projet un personnage digne d’être le complice et le rival de
Merteuil. Il perturbe la relation de pouvoir qui semblait s’instaurer entre eux dans la
deuxième lettre. Il amorce en effet le conflit en refusant de manière surprenante
d’obéir à Merteuil. Mais il aspire à la même perversion qu’elle, et va la rejoindre
dans ses projets dangereux. Laclos prépare donc le lecteur à une sorte de bataille
pour le pouvoir entre deux êtres qui semblent n’être jamais à court d’idées
machiavéliques. Sur la fin pourtant, Laclos semble révéler le soupçon d’une faille
lorsque Valmont dit: « J’ai bien besoin d’avoir cette femme, pour me sauver du
ridicule d’en être amoureux ». En effet, l’amour n’a pas sa place dans le libertinage
et risque de mener Valmont à sa perte s’il s’y laisse emporter.
Les quatre lettres sont datées entre le 3 et le 5 août, l’intrigue démarre donc
rapidement. En trois jours, Merteuil et Valmont ont déjà évoqué deux plans, ce qui
donne au lecteur « l’impression qui dominera toute l’œuvre: la mise en marche
implacable d’une machine infernale, manipulant et broyant les êtres sans
atermoiements ni remords. La fermeté des démarches de la Merteuil et de Valmont,
la rapidité de leur mise à exécution ne laissent d’office aucune chance aux futures
victimes».1
On remarque dès le début à quel point la pluralité des points de vue du roman
épistolaire va être une arme imparable dans l’intrigue. Merteuil et Valmont ne vont
d’ailleurs communiquer que par lettres pour que leur relation ne soit pas connue du
grand monde. De plus Laclos donne à chaque personnage un style de rhétorique qui
va lui servir de carte d’identité face au lecteur qui ne bénéficie que de peu de
description physique. En outre, Laclos fait un choix audacieux en nous présentant ces
trois personnages dans l’incipit, car Cécile apparaît comme prise au piège entre les
deux « rapaces » que sont Valmont et Merteuil.
1
J. JEAN, Les Liaisons dangereuses. Balises œuvres n°51, Nathan, 2002.
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Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
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On peut conclure que, grâce à l’agencement et au choix des premières lettres du
roman, Laclos donne un avant-goût de ce qui va se passer et réussit à intriguer le
lecteur. Il offre à son imagination l’idée de futures liaisons dangereuses mises en
scène par les deux marionnettistes de talent que sont Merteuil et Valmont.
•
Frears
Ce film s’ouvre sur une lettre à Madame de Tourvel à l’intérieur de laquelle est écrit
le titre du film: Les Liaisons dangereuses. C’est là la première apparition des lettres,
la première allusion au livre. Le fait qu’elle soit adressée à Madame de Tourvel
donne à cette lettre une nuance de mise en garde, en effet elle est la principale
victime de l’histoire, victime au point que sa liaison « dangereuse » avec Valmont va
la mener à sa mort. Cette allusion se rapporte donc à la fin de l’histoire, elle va
intriguer le spectateur.
Le second plan est une vue de Merteuil à travers son miroir. Ce reflet dans le miroir a
une importance significative. Tout d’abord, et c’est là une nouvelle référence au livre,
l’utilisation du point de vue extérieur que peut être le miroir fait écho à celui que
représentent les lettres. De plus, le miroir est le symbole d’une duplicité de caractère,
le spectateur est donc averti qu’il est face à un personnage à plusieurs facettes,
trompeur et manipulateur. Il fait aussi allusion à l’importance qu’avait l’apparence
pour la société de cette époque, axée sur le paraître et la reconnaissance sociale.
Ensuite le champ s’élargit et nous voyons Merteuil en plan moyen. A voir son
attitude, elle a l’air fière, importante et satisfaite par l’image que son miroir lui
renvoie. Cependant celle-la n’est que le reflet de l’image qu’elle a envie d’apercevoir.
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Merteuil n’utilise pas le miroir pour se confronter à sa véritable identité mais à celle
qu’elle s’est créée. Le réalisateur nous donne ici la possibilité de la surprendre dans
un moment très intime, ce qui nous permet de saisir des facettes de sa personnalité
auxquelles nous n’aurions pas eu accès autrement.
Le troisième plan montre le réveil de Valmont: on voit ses domestiques entrer dans
sa chambre puis ouvrir les rideaux afin de laisser entrer la lumière du jour, comme si
l’on allumait les projecteurs sur ce nouveau personnage. Cependant il nous faudra
attendre encore avant de découvrir son visage. Valmont se laisse désirer aux yeux
des spectateurs. On voit tout d’abord sa main, son nez, puis son dos, sa silhouette à
contre-jour et enfin son visage recouvert d’un masque qu’il finit par enlever. Ces
vues de Valmont sont entrecoupées par des plans sur la toilette et l’habillement de
Merteuil. Cette alternance crée une sorte de confusion, mais elle nous montre surtout
la similitude entre les deux personnages. On peut aussi remarquer que toute cette
scène fait clairement allusion à une préparation au combat, les deux semblent se
parer de leur armure. Et non seulement cela, mais en plus, ils apparaissent comme
deux acteurs se revêtant de leur costume avant d’entrer en scène1.
Durant toute cette séquence la féminité de Merteuil va être soulignée: ses formes, sa
grâce, sa sensualité, tous ses apparats font d’elle, à la fin de la préparation, une vraie
reine de beauté. Tandis que Valmont semble jouer au macho qui se laisse désirer et
fini par nous donner, sur le dernier plan, l’image d’un toréador prêt à entrer dans
l’arène. Cette scène va donc nous préparer à un autre genre de combat. En effet une
guerre des sexes acharnée va s’établir tout au long du film. Mais c’est surtout
Merteuil qui va l’alimenter à travers ses répliques féministes. Elle va, de manière très
fidèle au roman, faire comprendre qu’elle ne veut pas se marier, car pour elle cette
liaison officielle serait une entrave à sa liberté qu’elle prend tant de soin à préserver2.
On verra tout au long du film qu’elle ne supporte pas que Valmont lui donne des
ordres et la domine. Elle va tenter de rester impassible à toutes ses attaques et
chercher à travers toutes ses actions manipulatrices à garder le pouvoir sur lui.
1
Notons que cette version est largement inspirée par une pièce de théâtre du même titre et par ailleurs
du même scénariste. En effet Les Liaisons dangereuses ont été adaptées pour le théâtre par
Christopher Hampton en 1985 et il s’est inspiré de sa propre adaptation pour écrire le scénario du film
de Frears. Ceci explique la théâtralité du film sur laquelle nous sommes revenues à plusieurs reprises.
2
Cf. Annexe 9.3
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Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
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Cette scène se termine par une sorte de champ-contrechamp. On a l’impression que
les deux personnages sont sous le même toit et qu’ils se retrouvent face à face, mais
cela n’est qu’un effet produit par le montage. Cette illusion fait ressortir la symétrie
entre les deux personnages et crée une impression de confrontation, comme si le
combat commençait.
Toute cette première partie ne comporte que des images, il n’y a aucun dialogue,
nous sommes donc face à une description physique qui ne figure pas dans le livre
étant donné que les lettres ne permettent pas ou très peu ce mode de description.
Cependant, elle nous donne énormément d’informations sur la personnalité de nos
deux personnages, informations que l’on peut aussi obtenir grâce aux différents
styles d’écriture utilisés dans le livre1. De plus, cette scène nous informe de l’époque,
du statut social et du milieu dans lequel les personnages évoluent. Les costumes ainsi
que les décors sont luxueux et rappellent l’époque à laquelle se passe l’histoire, c’està-dire la fin du XVIIIème siècle.
La troisième scène se passe chez Merteuil qui est en compagnie de Madame de
Volanges et de Cécile. On apprend que Cécile sort tout juste du couvent, ce qui est
énoncé dans le roman de Laclos dans la première lettre. On annonce soudain la venue
de Valmont, ce qui semble créer un froid entre les deux femmes, il y a une
confrontation qui est rendue par l’échange « Vous le recevez ? »-« Vous aussi ! ». A
ceci s’ajoute le bruit du lustre qu’on lève, qui sonne comme du verre qu’on casserait
et qui renforce cette impression de confrontation. Le lustre fait aussi allusion au
théâtre, comme si la pièce allait commencer. On met Cécile en garde contre Valmont,
puis il entre dans la pièce. Au premier regard qu’il lance à Merteuil, on voit tout de
suite qu’ils sont complices. Ensuite il s’approche d’elle pour lui baiser la main, ils
sont extrêmement proches, leur attitude très intime nous laisse penser qu’ils ont eu
une aventure ensemble.
1
Cf. précédemment dans l’analyse de l’incipit dans le roman, p. 11
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Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
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Ils sont interrompus par Madame de Volanges qui a l’air offensée qu’il ne lui ait pas
encore prêté attention, mais elle a aussi l’air gênée et mal à l’aise face à lui, d’ailleurs
nous apprendrons plus tard que Madame de Volanges et Valmont ont eux aussi eu
une aventure ensemble. Ceci est par contre un détail que le réalisateur a pris la liberté
d’ajouter car il ne figure pas dans le roman le Laclos. Ensuite on présente Cécile à
Valmont. Celui-ci la regarde avec un air gourmand que Madame de Volanges n’a
aucune peine à déceler. Elle décide alors précipitamment de s’en aller avec sa fille.
Cette réaction nous montre encore une fois une Madame de Volanges différente de
celle de Laclos. En effet, elle apparaît très perspicace, alors que dans le roman elle
est naïve et ne se rend compte de rien. Elle se montre aussi protectrice envers sa fille,
elle cherche à la couver (nous pouvons observer ceci depuis le début de la scène),
alors que dans le roman elle lui laisse beaucoup de liberté.
Merteuil et Valmont se retrouvent donc tous les deux et celle-ci en profite pour lui
faire part de son plan. Pendant qu’elle parle, on voit des images de Cécile sortant du
couvent. Ces images sont extrêmement sombres et Cécile est filmée au travers de
gros barreaux, comme si on la sortait d’une prison. Cela nous montre qu’elle est pure
car elle n’a pas encore été salie par le monde extérieur, elle n’a rien vu. Dans la
version de Forman le couvent nous sera montré de manière complètement différente.
Il a un air beaucoup plus enfantin, léger. Cependant l’idée de pureté se retrouve aussi.
Le futur mari de Cécile a d’ailleurs accepté de l’épouser à la seule condition qu’elle
soit vierge.
Une fois que Merteuil a fini l’exposition de son plan, Valmont semble aguiché par
son idée. Les deux visages sont filmés en gros plan. Ils regardent dans la même
direction, au loin, comme si le plan machiavélique s’incarnait sous leurs yeux. Tout
est donc mis en place pour nous laisser croire que Valmont va accepter. De plus
Merteuil se montre convaincante, on voit qu’elle sait exactement quels mots elle doit
utiliser et croit elle-même qu’elle va réussir à le faire accepter. Cependant il refuse,
ce qui semble être une surprise pour elle mais en est aussi une pour le spectateur. Elle
a l’air frustrée par ce refus, chose dont elle ne semble pas avoir l’habitude.
Valmont lui expose alors son projet à lui, qui est de conquérir Madame de Tourvel
qui se trouve chez sa tante, Madame de Rosemonde. Ici s’ouvre alors un nouveau
15
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conflit entre Merteuil et Valmont à propos de la tournure que cette aventure pourrait
prendre. Merteuil trouve ce projet peu prestigieux car elle juge trop facile de
s’opposer à un mari. Valmont, lui, estime que corrompre une femme vertueuse est
une tâche honorablement difficile ; il veut d’ailleurs qu’elle reste cramponnée à ses
vertus et à Dieu mais qu’elle ne soit plus capable de dominer son cœur. Il veut la voir
trahir tout ce qui est le plus important à ses yeux. Il ajoute à ceci la réplique suivante:
« Vous comprenez cela, puisque trahison est votre mot préféré ». On a l’impression
qu’il dit cela parce qu’il a remarqué que Merteuil était vexée qu’il refuse: il essaie de
la ramener de son côté, de lui montrer que malgré tout ils sont proches et que c’est le
genre de choses qu’il peut connaître d’elle. Mais elle lui répond que son mot préféré
est cruauté car il est plus noble. Cette réponse semble être faite uniquement par fierté,
pour échapper au risque de manquer à son statut de personnage dominant.
Ils sortent ensuite du salon et arrivent dans un couloir. Valmont fait des avances à
Merteuil, il veut récupérer son titre d’amant auprès d’elle. Ils arrivent ensemble en
haut des escaliers et sont encore côte à côte, Valmont semble prêt à tout pour avoir
Merteuil et se soumet à elle en lui baisant les deux seins. Ce comportement semble
amuser Merteuil qui décide de jouer de cela. Elle le laisse descendre les escaliers et
soudain lui dit qu’elle est d’accord d’être sa récompense. Valmont est de dos par
rapport à Merteuil, celle-ci ne voit donc pas son visage. Il est filmé en contre-plongée
et le spectateur peut apercevoir qu’il est surpris d’entendre que Merteuil est d’accord.
Il se retourne et se trouve en dessous d’elle car quelques marches plus bas, ce qui va
amplifier l’impression que Merteuil le domine. Elle le met au défi de lui apporter une
preuve de la réussite de son affaire avec Madame de Tourvel. Valmont semble
trouver ça des plus facile. L’échange se fait en champ-contrechamp ce qui rappelle
l’impression de combat du début. Mais Merteuil ajoute que la preuve doit être écrite.
Et soudain, un gros plan sur le visage de Valmont nous montre qu’il ne semble plus
aussi confiant, mais son orgueil va l’empêcher d’abandonner. Merteuil qui est
consciente qu’elle est presque au sommet de sa domination ajoute, avec un sourire
qu’elle a du mal à retenir, que si la preuve n’est pas écrite, elle rompt le pacte. Un
silence suit, Valmont semble être en train de réfléchir à un moyen de récupérer le
pouvoir. Il remonte de quelques marches, et se place dans une posture très étrange, et
même un peu ridicule. Il pose une de ses jambes quelques marches plus haut et
s’appuie contre le mur. Il pense se mettre ainsi dans une posture alléchante et tente
16
Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
Caroline Jankech et Chloé Traube
peut-être de montrer qu’il s’offre à elle. A cette posture incongrue il ajoute la
demande de la possibilité d’une avance. Merteuil, bien qu’elle sache sûrement déjà
ce qu’elle va répondre, le laisse languir le temps d’une hésitation. Cette fois son
sourire montre qu’elle est au comble de sa satisfaction, elle répond simplement:
« Adieu, Vicomte ». Celui-ci se retrouve alors réellement abandonné au plus bas de
sa faiblesse. Il garde un sourire aux lèvres, un sourire frustré et assoiffé d’une future
vengeance, mais surtout plein d’excitation que cette domination fait naître en lui.
Cette idée de preuve écrite est un nouveau moyen que le réalisateur utilise pour
rappeler le roman sous forme épistolaire de Laclos.
•
Forman
Le générique commence par une vue du couvent accompagnée par un chant de
fillettes 1 : c’est une comptine pour enfants au texte léger. La chanson change au
moment où Cécile part rejoindre sa mère et Merteuil qui sont venues pour la sortir du
couvent. Il s’agit toujours d’une comptine pour enfant2 avec le même genre de texte
léger mais parlant de l’envol, de l’abandon du nid et du mariage, ce qui attend
précisément Cécile. Lorsqu’elle aperçoit sa mère, elle court dans ses bras et, à peine
leur étreinte terminée, se tourne vers Merteuil qui retire son voile avant que Cécile ne
lui coure dans les bras. Ce comportement est quelque peu déroutant car Cécile
semble heureuse de retrouver sa mère mais se tourne rapidement vers Merteuil. On
peut alors parler d’une substitution de la mère vers Merteuil. De plus, le fait qu’elle
retire son voile pour parler à Cécile montre une proximité qui les unit, elle la prend
tout de suite sous son aile. On voit qu’elles ont une relation amicale, de confidentes.
Elles complotent presque derrière le dos de Madame de Volanges. Cette première
scène est une liberté totale que le réalisateur a prise, car dans le livre Cécile rencontre
Merteuil pour la première fois uniquement lorsqu’elle est déjà sortie du couvent.
La scène suivante montre Madame de Volanges et Merteuil discutant à propos du
mariage de Cécile. Merteuil tente de soutirer des informations au sujet de l’identité
du mari de Cécile mais n’y parvient pas. Le réalisateur a donc tendu un piège à
Merteuil car elle ne sait pas encore que le futur mari de Cécile est en fait Gercourt,
son amant actuel. Ce qui va donner lieu à une scène comique dans laquelle Merteuil
1
2
Jean de la lune, cf. annexe 9.1
A la volette, cf. annexe 9.2
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Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
Caroline Jankech et Chloé Traube
va être présentée à son amant alors que Volanges venait, sans le savoir, de parler
d’elle comme d’une amante un peu folle dont Gercourt peine à se débarrasser. Là
encore le réalisateur a pris de la liberté par rapport au roman car dans celui-ci elle est
au courant de tout. Madame de Volanges, elle, est un peu inquiète car Cécile, ayant
passé son enfance au couvent, n’a rien vu. Elle demande donc à Merteuil de
l’instruire1. Jusque-là, dans cette histoire, Merteuil nous apparaît comme une femme
vertueuse, digne de respect. On voit qu’elle est aussi la confidente de Madame de
Volanges. Cela est très semblable au livre car on peut observer que tout au long de
l’histoire, Merteuil reçoit un grand nombre de lettres mais en envoie peu. Elle joue
donc le rôle de confidente auprès d’un grand nombre de personnes. Cependant elle a
tout de même une personnalité très différente de celle de la Merteuil de Laclos. Elle a
un air bien moins manipulateur, moins faux. Elle a moins de force et n’apparaît pas
aussi intouchable que dans le roman de Laclos ou le film de Frears dans lesquels rien
ne l’atteint jamais.
La dernière scène de l’incipit se passe à l’opéra; comme dans le film de Frears, on
peut voir les lustres qui se lèvent, ceux-ci ont certainement été mis en évidence par
les deux réalisateurs par souci de correspondre au mieux à l’époque qu’ils
retranscrivent et pour montrer la richesse et le goût de l’artifice de cette société. Le
lever des lustres indique aussi le début de la pièce, comme dit précédemment. Cécile
et Merteuil arrivent dans leur loge. Merteuil apprend à Cécile à s’éventer, c’est la
première fois qu’elle est en possession d’un éventail. Là encore nous avons affaire à
un objet présent dans les deux films. Dans celui de Frears, il apparaît au moment où
Merteuil, Madame de Volanges et Cécile s’apprêtent à recevoir Valmont. Les deux
femmes s’éventent mais Cécile, elle, n’a pas d’éventail. Cet objet pourrait alors être
un symbole de féminité ou de maturité mais aussi un objet servant à se protéger, un
objet de pudeur. Cela voudrait donc dire que dans le film de Forman, Cécile est en
train de passer du statut de petite fille sortant de son couvent, à celui de femme qu’on
va marier et qu’elle doit à présent se protéger du regard des hommes. Valmont entre
alors dans leur loge, repère tout de suite Cécile et la regarde comme un prédateur
lorgnerait sa proie. Cécile un peu gênée et perdue ne sait pas très bien comment
réagir face à lui. Merteuil lui enseigne alors quelques règles de bonne conduite. Mais
1
Madame de Volanges dit : « Cécile a tout à apprendre de vous ! J’aimerais qu’elle arrive au mariage
avec toute son innocence et un peu de votre sagesse.»
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Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
Caroline Jankech et Chloé Traube
elle va rapidement se contredire, en lui disant de faire ce qu’elle a envie au moment
où Cécile lui demande comment elle est censée agir. Cela est donc contraire au code
qu’elle vient de lui décrire et c’est d’ailleurs ce qui, plus tard, va la perdre. Cette
erreur n’aurait jamais été commise par une Merteuil chez Frears ou Laclos car, chez
ces deux auteurs, Merteuil a une bien trop grande maîtrise d’elle-même pour pouvoir
répondre comme elle le fait ici. Durant tout cet échange, il est important de mettre en
évidence les regards extrêmement complices qui sont échangés entre Merteuil et
Valmont au-dessus de Cécile. Le réalisateur a donc réfléchi très précisément à la
construction de l’image et le jeu des acteurs est très contrôlé. Ceci nous montre
l’importance de l’aspect visuel, car ici, sans qu’il y ait de dialogue ou de geste, nous
apprenons la complicité qu’il y a entre Valmont et Merteuil, le désir que suscite
Cécile chez Valmont et la naïveté de cette dernière qui ne voit rien de ce qui se passe
au-dessus d’elle.
Puis Merteuil et Valmont sortent pour discuter. Merteuil lui dit ne pas toucher à
Cécile. Lui a un air gourmand, il aurait bien aimé pouvoir goûter à cette jeune fille.
Mais quoiqu’il en soit il a d’autres projets. En effet il est venu annoncer à Merteuil
qu’il part chez sa tante, Madame de Rosemonde, et qu’il l’invite à l’y rejoindre.
Merteuil rit alors et plaisante à propos de l’âge de celle-ci car elle pense que Valmont
ne cherche qu’à faire bonne figure pour pouvoir profiter de l’héritage qui ne saurait
tarder.
Lorsqu’elle revient auprès de Cécile après avoir quitté Valmont, Merteuil la met en
garde contre lui, et lui demande aussi de ne pas dire à sa mère qu’elles l’ont
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Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
Caroline Jankech et Chloé Traube
rencontré. Elle joue donc de cette complicité qui s’installe de plus en plus entre elles,
comme si elles avaient leur petit secret. Cécile lui demande si Valmont est son amant,
ce qui semble indigner Merteuil qui lui répond que les veuves n’ont pas d’amant.
Cette réflexion est l’indice ultime qui montre au spectateur que Merteuil se donne
une apparence de femme vertueuse mais qu’il n’en est en réalité rien. Pour le
spectateur qui découvre l’histoire pour la première fois, c’est une sorte de piège. Il
est entraîné dans le jeu de Merteuil même s’il peut tout de même avoir quelques
doutes à son sujet. Le spectateur connaisseur, quant à lui, est pris à témoin: il est le
seul, avec Valmont, à voir le complot que Merteuil est en train de monter.
Forman choisit d’organiser le début de son film différemment de Laclos et de Frears.
Mais tout comme ceux-ci, il nous fait croire que Cécile sera le personnage principal
et s’attarde même à nous montrer son insertion dans la société ce à quoi les autres ne
font qu’allusion. Il commence son récit par la sortie du couvent et nous révèle tous
les événements dans un ordre chronologique, ce qui facilite la compréhension.
Il est important de souligner aussi d’autres différences entre ces deux incipit. Tout
d’abord, ils ne commencent pas au même moment par rapport au cours de l’histoire :
la version de Forman débute au couvent alors que celle de Frears débute après la
sortie du couvent à peu près au même moment que le début dans le livre. Il
correspond à peu près à la lettre III du roman car celle-ci parle de la première
rencontre avec Madame de Merteuil: « Il faut que cela soit bien vrai, car la femme
qui le disait est parente et amie de ma mère ; elle paraît même avoir pris tout de suite
de l’amitié pour moi. C’est la seule personne qui m’ait un peu parlé dans la soirée.
Nous souperons demain chez elle. » Le film de Frears semble plus correspondre au
texte que celui de Forman. En effet celui-ci a rajouté beaucoup d’éléments (comme
le couvent, la discussion entre Madame de Volanges et Merteuil, et le théâtre) ce qui
facilite la compréhension de l’histoire car tout est plus explicite. Frears au contraire
utilise beaucoup d’allusions, ce qui force le spectateur à être actif puisqu’il doit luimême reconstituer des morceaux de l’histoire pour la comprendre. Nous pouvons
aussi faire une remarque générale au sujet des personnages: dans l’adaptation de
Frears, les caractères sont plus forts, ce qui correspond mieux au roman de Laclos.
Le spectateur se fait rapidement une idée sur les personnages alors que ceci est plus
difficile dans la version de Forman où ils sont beaucoup plus modérés, moins
20
Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
Caroline Jankech et Chloé Traube
extrêmes. Ce choix peut être dû à plusieurs facteurs: la direction des acteurs, le
scénario ainsi que le choix même des acteurs. La demande que Merteuil fait à
Valmont de l’aider pour l’affaire Gercourt-Cécile illustre aussi cela car dans le film
de Forman l’échange entre les deux personnages est léger alors que dans le celui de
Frears ils entrent d’emblée en conflit, comme dans le livre. A ce stade-là nous
pouvons donc dire que la version de Stephen Frears correspond mieux au roman de
Laclos que celle de Milòs Forman.
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Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
Caroline Jankech et Chloé Traube
4.2 La déclaration de guerre entre Valmont et Merteuil
4.2.1 Intérêt de la séquence
Nous avons choisi ce passage parce qu’il représente un tournant dans l’histoire étant
donné que nos deux personnages qui, jusqu’alors, étaient alliés et amis se déclarent la
guerre. C'est un moment charnière, une sorte de déchirement, puisqu’il marque la
clôture de tout le processus commencé dans l’incipit et le début du déclin de nos
deux personnages. En se déclarant la guerre, ils prennent le risque que leur
libertinage soit révélé. Tout le monde croit en effet en l’image de femme vertueuse
que Merteuil s’est créée et comme Valmont est le seul au courant, elle court un grand
danger. Tous deux se sont mis dans une situation délicate car ils sont des
personnages puissants donc capables du pire. Nous avons pu voir tout au long de
l’histoire combien ils étaient manipulateurs et sans pitié. Le spectateur est donc tenu
en haleine car il se retrouve face à une situation dont il ne peut deviner l’issue, lui qui
était déjà en proie à la tension montante du conflit jusque-là. La déclaration de guerre
arrive telle une explosion et c’est un épisode crucial dans le déroulement de
l’histoire. C’est pourquoi nous avons pensé qu’il serait intéressant d’étudier
l’importance qu’il a dans les différentes versions et aussi la violence avec laquelle il
est retranscrit. En outre, la manière dont Forman a interprété ce passage nous a
étonnées et c’est aussi une des raisons qui nous a poussées à le choisir.
4.2.2 Délimitation de la séquence
•
Dans Les Liaisons dangereuses, de Laclos
Nous avons choisi d’analyser les lettres CLI à CLIII :
Lettre CLI, Le Vicomte de Valmont à la Marquise de Merteuil
Lettre CLII, La Marquise de Merteuil au Vicomte de Valmont
Lettre CLIII, Le Vicomte de Valmont à la Marquise de Merteuil, ainsi que la réponse
de la Marquise de Merteuil.
•
Dans Les Liaisons dangereuses, de Frears
La séquence débute lors de l’arrivée de Valmont en carrosse et se termine au moment
où Madame de Merteuil dit qu’elle choisit la guerre.
22
Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
Caroline Jankech et Chloé Traube
•
Dans Valmont, de Forman
Nous avons délimité le séquence en partant de l’entrée de Valmont chez Merteuil
alors que celle-ci est dans son bain, jusqu’au moment où il renverse sa baignoire et
part.
4.2.2 Analyses
•
Laclos
Dès la quatrième partie du roman, le nombre de lettres échangées entre Valmont et
Merteuil a fortement augmenté. En effet, si nous observons l’évolution de leur
correspondance, nous pouvons constater que, dans la première partie, ils se sont
échangé seize lettres, nombre relativement important mais relatif au fait que c’est le
début de l’histoire et qu’ils préparent leurs plans d’attaque respectifs. Puis le nombre
de lettres diminue dans les parties suivantes jusqu’à cette dernière partie où ils
s’envoient dix-sept lettres alors qu’ils ne s’en étaient échangé que sept dans la
précédente 1 . Le conflit qui démarre entre nos deux protagonistes explique cette
réduction assez notable. Ils ont instauré une forte concurrence entre eux et se jouent
des tours mutuellement: Valmont en rendant Merteuil jalouse de Cécile et Merteuil
en utilisant Danceny pour se venger. Le conflit s’installe donc et ne fait
qu’augmenter. C’est une sorte de combat verbal, comme un concours de rhétorique.
Chacun essaie de se montrer plus fort que l’autre. Ils sont en compétition incessante.
La lettre CLI marque le début de l’important crescendo du conflit. Valmont est vexé
que Merteuil se soit jouée de lui de la sorte, cependant il ne compte pas se venger. Il
veut au contraire lui montrer qu’il est plus fort qu’elle parce qu’il est au courant de
tout. Il relance donc le conflit et l’attise même puisqu’il provoque Merteuil; sa lettre
a un ton de reproche et elle n’aime pas cela. Elle le lui dira d’ailleurs dans sa réponse.
Dans la lettre CLII, Merteuil répond à Valmont de manière très ironique et cela dès
la première phrase: « Prenez donc garde, Vicomte, et ménagez davantage mon
extrême timidité ! ». Elle joue à la victime et se moque de lui. Son sarcasme est
mordant au tout début de la lettre: elle écrit le contraire de ce qu’elle veut dire.
Ensuite, elle lui reproche ce qu’il lui a dit dans sa dernière lettre et d’être jaloux de
1
Statistiques recueillies dans Les Liaisons dangereuses, Connaissance d’une œuvre n°22, Bréal
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Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
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Danceny et termine par des mots autoritaires, voire agressifs. Elle évite habilement
de parler de sa dette en prenant comme prétexte le fait que Valmont a trop changé,
qu’elle ne le reconnaît plus et qu’elle aurait l’impression de tromper le Valmont avec
qui elle avait fait le pari si elle donnait sa récompense à l’ « autre Valmont »: « Au
vrai, vous accepter tel que vous vous montrez aujourd’hui, ce serait vous faire une
infidélité réelle. Ce ne serait pas là renouer avec mon ancien amant; ce serait en
prendre un nouveau, et qui ne vaut pas l’autre à beaucoup près. »1 Cette fois encore,
la provocation est forte et va élever le ton du conflit.
La lettre CLIII constitue l’apogée de la discorde et ceci à un point tel qu’il va mener
à une explosion. Valmont pose un ultimatum à Merteuil: elle doit accepter de lui
donner sa récompense, ou ce sera la guerre (« je serai ou votre Amant ou votre
ennemi »). A quoi Merteuil répond : « Hé bien! la guerre.». « Le processus enclenché
début août entre Madame de Merteuil et Valmont aboutit à l’ouverture clairement
explicitée des hostilités. Entre eux, il n’est plus question ni d’amitié ni d’amour, mais
de « guerre ». »2 Elle écrit sa réponse directement au bas de la lettre de Valmont ce
qui montre son empressement et sa détermination. D’ailleurs, ces quatre lettres (si
l’on considère que la réponse de Merteuil compte comme une lettre) sont échangées
en l’espace de deux jours: la première, le 3 décembre 17** et les autres le 4
décembre 17** ce qui indique encore une fois leur détermination et combien ils sont
emportés par leur combat verbal. La réponse de Merteuil n’est qu’un exemple
supplémentaire de son besoin de dominer. De plus, son orgueil l’empêche d’agir
autrement face à Valmont. Elle lui tient tête depuis si longtemps, ce serait ruiner
l’image d’elle-même qu’elle a réussi à créer que de se rendre. Elle se retrouve en
quelque sorte prise à son propre piège. Elle a sous-estimé Tourvel et l’amour que
cette dernière pouvait susciter chez Valmont. Elle s’est rendu compte que Valmont
n’était pas son unique adversaire mais que Tourvel et la force de leur amour l’avaient
dominée, elle et ses principes. Car même si elle a réussi à persuader Valmont
d’interrompre sa relation avec Tourvel, elle n’a pas réussi à éteindre cet amour. Elle
n’est donc pas entièrement victorieuse. La seule solution qui lui reste pour sauver son
image est de se refuser à Valmont, donnant ainsi l’illusion de lui avoir préféré
Danceny. Cet épisode marque donc en quelque sorte le début du déclin de Merteuil
1
2
Extrait de la lettre CLII du roman de Laclos
J. JEAN., Les Liaisons dangereuses. Balises œuvres n°51, France, Nathan, 2002.
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Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
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car elle est forcée de s’incliner face à l’amour, sentiment qu’elle a toujours essayé de
nier.
•
Frears
La séquence commence par l’arrivée de la voiture de Valmont chez Merteuil. C’est
le soir, il fait nuit. L’image est très sombre et fait penser à un convoi funèbre.
Valmont sort de la voiture et donne ses indications au cocher sur un ton sévère, il a
l’air en colère et pressé. Tout se passe très vite.
Il entre ensuite dans la pièce où est Merteuil comme s’il était chez lui. Elle est
manifestement surprise. Valmont n’ai pas coiffé et a l’air négligé, ce qui donne
l’impression que son masque est tombé et qu’il va maintenant lui parler à cœur
ouvert. Merteuil, quant à elle, est assise à son pupitre en train d’écrire, éclairée par la
lumière d’une bougie. Elle est coiffée, maquillée, porte une belle robe et des bijoux.
Le plan évoque une peinture. Cette différenciation par l’apparence nous montre tout
de suite que les deux personnages ne sont pas à armes égales. On sait que Valmont
vient pour un règlement de compte et qu’il est prêt à tout, même à se dévoiler alors
que Merteuil reste impassiblement manipulatrice tant elle arrive à se maîtriser. Ils
commencent à se disputer. Valmont lui explique qu’il regrette d’avoir quitté Tourvel
et qu’il souhaiterait la reconquérir. Merteuil, elle, est satisfaite car elle a atteint son
but qui était de le toucher lui. Ceci marque donc le début d’un conflit dans lequel le
ton monte peu à peu et où chacun essaie de se montrer plus fort que l’autre.
Entre-temps, Merteuil s’est levée. Ils se retrouvent à présent face à face, puis elle
tourne autour de lui l’encerclant tel un animal prêt à attaquer sa proie. Cette
impression très visuelle créée par le réalisateur souligne clairement la supériorité de
Merteuil. Elle se rapproche ensuite de Valmont pour le provoquer à nouveau. Ce jeu
des acteurs fait aussi penser à un combat guerrier où les deux adversaires se
cherchent, essayant d’intimider l’autre, avant d’attaquer. Sous la provocation de
Merteuil et poussé par la colère, Valmont perd patience et lui crie de faire un
sacrifice à son tour en quittant Danceny. Il y a, ici encore, une similitude avec le
roman car Valmont ne cherche pas à se venger, il demande seulement qu’ils soient à
égalité. Celle-ci lui reproche alors le fait qu’il lui donne des ordres: elle blâme son
ton trop marital, comme elle le fait dans la lettre CLII.
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Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
Caroline Jankech et Chloé Traube
La violence du combat verbal s’amplifie à tel point que Valmont finit par gifler
Merteuil. Cet acte ne figure pas dans le livre, certainement parce qu’il est en
contradiction avec les codes de comportements de l’époque ce qui d’ailleurs lui
donne un effet choquant parce qu’inattendu. Il n’aurait de toute manière pas pu avoir
lieu étant donné qu’il n’y a pas de confrontation physique. On pourrait penser qu’il a
été rajouté ici car le spectateur n’est pas habitué aux grandes tirades ou aux concours
de rhétorique: il réclame de l’action plutôt que des mots. Les dialogues sont
incontestablement l’une des grandes qualités de ce film, ce qui nous amène à dire que
la gifle sert surtout à marquer le spectateur et à lui faire réaliser ce qui est en train de
se produire. Elle illustre en outre la perte de contrôle de Valmont, poussé à bout par
Merteuil. Celle-ci, par contre, bien que vexée, reprend vite ses esprits et nargue
Valmont de plus belle en lui disant qu’elle ne pourra pas être sa récompense parce
qu’elle a prévu autre chose ce soir-là. Mais Valmont qui a tout prévu a déjà organisé
une rencontre entre Cécile et Danceny afin que Merteuil ne puisse pas le voir.
L’orgueil de Merteuil est piqué à vif, et pour cause elle n’a pas pour habitude qu’un
homme la refuse ou qu’un autre décide pour elle. Cette provocation la mène à son
tour près de la perte de contrôle, et bien que le spectateur puisse le lire sur son
visage, elle parvient à le dissimuler de manière à ce que Valmont ne s’en rende pas
compte.
Ne parvenant à ses fins, Valmont change littéralement de technique, il prend ses aises
(il enlève son manteau) et dit sur un ton insolant et irréfutable:
– Dans votre chambre ?
Merteuil, étonnée, répond :
– Dans… quoi ?
– Votre chambre ! À moins que vous préfèreriez que nous renouvelions nos ébats
dans l’inconfort de purgatoire de ce canapé ?
– Je vous prie de sortir !
– Non, cela est hors de question ! Nous avons conclu un pacte et je ne souffrirai pas
que vous abusiez de ma patience un seul moment de plus !
– N’oubliez pas que je suis meilleure que vous à ce jeu-là !
– Peut-être ! Mais ce sont toujours les meilleurs nageurs qui se noient.
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Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
Caroline Jankech et Chloé Traube
Valmont est profondément énervé, on pourrait même dire qu’il est dans un état de
haine car il vient de réaliser que Merteuil est meilleure que lui à ce jeu et qu’elle lui
sera toujours supérieure. Il lui propose alors un ultimatum, de la même manière qu’il
le fait dans le livre: soit elle accepte, soit c’est la guerre. Merteuil choisit alors la
guerre.
Durant toute cette scène, nous voyons pour la première fois un Valmont qui ne se
contrôle plus. Il passe par tous les états d’âme relatifs à un conflit et illustre
parfaitement la manière dont la tension et la colère montent: il s’énerve, pleure, puis
la violence physique prend le dessus pour laisser finalement place à la haine.
Merteuil, contrairement à lui, reste impassible du début à la fin. Ces différences de
caractère et de réactions face à la provocation sont très semblables à ce qu’on trouve
chez Laclos.
•
Forman
Valmont arrive chez Merteuil alors que celle-ci est dans son bain. Cela montre qu’ils
sont proches car c’est une situation très intime, surtout pour l’époque, et malgré que
Merteuil ne porte qu’une légère tunique relevée sur ses genoux, ils ne semblent
éprouver aucune gêne.
Merteuil commence par remercier Valmont de ce qu’il a fait pour Cécile. Celui-ci
change rapidement de sujet et lui annonce qu’il a gagné le pari. Elle en est étonnée et
lui demande comment cela s’est passé. Valmont profite de ces instants de confidence
et de complicité pour flatter Merteuil et orienter la conversation sur la récompense
que Merteuil lui doit. Elle fait l’innocente et affirme que ce pari n’était pas sérieux et
que de toute façon Valmont ne serait pas allé au couvent s’il avait perdu. Ils se
querellent pour cette raison qui est vile et sans intérêt et il n’y a aucune évolution
dans leurs propos, ils essaient juste de se tenir tête mutuellement et de faire abdiquer
l’autre, mais ne parviennent qu’à augmenter leur propre agacement. La cause du
conflit est ici entièrement différente de celle du roman et de la version de Frears.
Cette querelle, qui, nous le verrons, influe pourtant de manière considérable sur
l’issue de l’histoire est ici portée au ridicule et abordée avec beaucoup de légèreté.
Elle perd donc de son importance.
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Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
Caroline Jankech et Chloé Traube
Valmont met alors fin à la dispute en disant qu’il ne veut pas perdre son temps à
discuter de cela, mais qu’il désire simplement son gage. Merteuil esquive sa requête
en lui reprochant de se comporter en époux. Si elle refuse de se remarier, c’est en
effet parce qu’elle ne veut pas que l’on puisse avoir le moindre droit sur elle, et elle
estime que c’est ce qu’il est en train d’essayer de faire. Ceci est très semblable à la
version originale car, comme dans le film de Frears, nous y retrouvons le texte de
Laclos. Il est donc intéressant de mettre les deux dialogues en parallèle avec le texte
original :
« Savez-vous, Vicomte, pourquoi je ne me suis jamais remariée? Ce n’est assurément
pas faute d’avoir trouvé assez de partis avantageux; c’est uniquement pour que
personne n’ait le droit de trouver à redire à mes actions. Ce n’est même pas que j’aie
craint de ne pouvoir plus faire mes volontés, car j’aurais bien toujours fini par là:
mais c’est qu’il m’aurait gêné que quelqu’un eût seulement le droit de s’en plaindre;
c’est qu’enfin je ne voulais tromper que pour mon plaisir, et non par nécessité. Et
voilà que vous m’écrivez la Lettre la plus maritale qu’il soit possible de voir! »1
– Si je n’ai jamais accepté de me marier en dépit de propositions étourdissantes,
c’était afin de ne jamais laisser personne me donner des ordres. Adoptez, je vous
prie un ton de voix moins… disons marital, cher Vicomte.2
– Voilà que vous vous conduisez tout à fait en époux. Voulez-vous savoir pourquoi je
refuse de me remarier? C’est parce que je refuse que quiconque prétende avoir sur
moi le moindre droit.3
Nous observons que, dans ces trois versions, Merteuil revendique sa liberté en
refusant de recevoir des ordres ou qu’on puisse médire de ses actes. Elle profite de
son statut de veuve pour conserver sa liberté, n’être contrainte par personne et avoir
des amants. Il était essentiel que ce passage soit transposé dans les films car il est
indispensable à la compréhension du personnage de Merteuil et à la raison de son
combat acharné contre la soumission.
1
Extrait de la lettre CLII du roman de Laclos
Dixit Madame de Merteuil dans Les Liaisons dangereuses, de Frears
3
Dixit Madame de Merteuil dans Valmont, de Forman
2
28
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A cette réflexion de Merteuil, Valmont répond qu’elle confond pari et mariage et
qu’il faut savoir honorer ses paris. Sur ce, Merteuil se lève et va se mettre sur son lit
de manière provocatrice et avec un sourire extrêmement évocateur. La façon dont
elle est filmée lorsqu’elle sort de son bain est très sensuelle tout comme sa fine
tunique rendue transparente par l’eau du bain qui donne l’illusion qu’elle est nue.
Valmont qui assiste à tout ce jeu de charme se rend compte qu’elle se moque de lui.
Il est vexé par toute cette provocation et ne répond pas aux fausses avances qu’elle
lui fait. Il est en effet certain que Merteuil agit méthodiquement et que tous ses gestes
sont parfaitement calculés pour agacer Valmont et pour lui faire comprendre qu’elle
se moque de lui et qu’il ne doit pas les prendre pour une réelle invitation, message
que Valmont a parfaitement perçu. Si, jusque-là, le spectateur pouvait encore douter
de l’intension de Merteuil, le fait qu’elle prenne ensuite son livre montre qu’elle se
moque ouvertement de lui. D’ailleurs elle se met à rire, voyant l’air affligé et
décontenancé de Valmont qui ne sait pas comment réagir, et lui dit qu’il a manqué sa
chance alors qu’ils savent tous les deux pertinemment qu’il ne s’agissait pas d’une
véritable invitation puisqu’elle ne comptait pas se rendre. On voit donc que Merteuil
cherche Valmont, elle veut l’énerver peut-être pour lui montrer qu’elle décide de ce
qu’elle veut faire ou non et donc que c’est elle qui a le pouvoir.
Elle retourne dans son bain et son intendante entre avec un bouquet de fleurs et une
lettre. Merteuil la lit et demande alors à Valmont de partir. Celui-ci n’acceptant plus
qu’elle le traite ainsi lui demande à lire cette lettre. Elle refuse et rit, ce qui
l’impatiente encore plus. Merteuil le pousse à bout en acceptant de lui donner la
lettre mais la trempe dans l’eau avant de la lui tendre… C’en est trop pour Valmont
qui est définitivement en colère et prend ce geste pour une déclaration de guerre: il
s’approche d’elle et renverse sa baignoire avant de s’en aller.
Cet acte rappelle la gifle dans le film de Frears: il montre lui aussi l’apogée du conflit
et l’état de Valmont. Malgré son but illustratif, cet acte nous semble ridicule et
inadapté.
29
Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
Caroline Jankech et Chloé Traube
Le choix du réalisateur est donc peu compréhensible et ne fait que rendre cette scène
absurde et risible. Présenté comme le réalisateur l’a fait, le conflit relève plus de
l’enfantillage que d’une opposition d’opinion, de valeurs et de sentiments. Cette
déclaration est d’ailleurs très différente de celle des deux précédentes versions. En
voici tout d’abord le texte et les dialogues :
« Il n’était donc pas ridicule de vous dire, et il ne l’est pas de vous répéter que, de ce
jour même, je serai ou votre Amant ou votre ennemi. […] Je vous préviens
seulement que vous ne m’abuserez pas par vos raisonnements, bons ou mauvais; que
vous ne me séduirez pas davantage par quelques cajoleries dont vous chercheriez à
parer vos refus; et qu’enfin, le moment de la franchise est arrivé. Je ne demande pas
mieux que de vous donner l’exemple; et je vous déclare avec plaisir que je préfère la
paix et l’union; mais s’il faut rompre l’une ou l’autre, je crois en avoir le droit et les
moyens. J’ajoute donc que le moindre obstacle mis de votre part sera pris de la
mienne pour une véritable déclaration de guerre: vous voyez que la réponse que je
vous demande n’exige ni longues ni belles phrases. Deux mots suffisent. »
Réponse de la Marquise de Merteuil, écrite au bas de la même lettre:
« Hé bien ! La guerre. »1
– Nous avons conclu un pacte, et je ne souffrirais pas que vous abusiez de ma
patience un seul moment de plus!
1
Extrait de la lettre CLIII du roman de Laclos
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Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
Caroline Jankech et Chloé Traube
– N’oubliez pas, je suis meilleure que vous à ce jeu-là.
– Peut-être, mais ce sont toujours les meilleurs nageurs qui se noient. Alors, oui ou
non? Mais d’abord, Marquise, je me permets de vous faire remarquer qu’un non
m’amènerait aussitôt à déclarer une guerre ouverte. Un seul mot est tout ce que je
requiers.
– Un seul ? A la guerre, je dis oui!1
– Est-ce une déclaration de guerre?
– A votre guise.2
Il s’agit dans les trois cas de l’aboutissement d’une colère réciproque qui n’a fait
qu’augmenter au cours des dialogues et se terminant par cette sorte d’explosion: la
déclaration de guerre. Comme nous l’avons dit précédemment, dans la version de
Laclos, il s’agit d’un violent combat verbal qui a très bien été retranscrit dans
l’adaptation de Frears dont les dialogues, en plus d’être proches de ceux du
romancier, rappellent le texte écrit par leur longueur et leur intensité. La version de
Forman quant à elle est différente, tout d’abord parce qu’il n’y a pas la première
raison du conflit: Danceny. En effet, c’est comme si Forman avait partagé cet
épisode en deux: la déclaration de guerre puis la guerre accentuée par le problème de
Danceny qui viendra plus tard. De ce fait, comme nous l’avons déjà fait remarquer,
le conflit est beaucoup moins fort et perd de son importance. Le comportement des
deux acteurs influe aussi sur le sérieux de ce conflit car si, dans la version de Frears,
Merteuil doit se faire violence pour se contrôler et Valmont perd ses moyens, dans la
version de Forman, cela se passe différemment: Merteuil se joue de Valmont, elle se
moque de lui et lui semble rester impassible jusqu’au moment où il renverse la
baignoire, acte qui a plus l’air de marquer sa frustration et son agacement que la
haine qu’il paraît éprouver comme dans les déclarations de guerre de Laclos et Frears.
Cet épisode qui marque un tournant dans les deux versions, n’a pas un aussi grand
impact dans celle de Forman, qui se révèle donc quelque peu décevante.
1
2
Extrait du dialogue entre Merteuil et Valmont dans Les Liaisons dangereuses, de Frears
Extrait du dialogue entre Merteuil et Valmont dans Valmont, de Forman
31
Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
Caroline Jankech et Chloé Traube
4.3 Le Duel
4.3.1 L’intérêt du passage
Le duel est un épisode intéressant parce que raconté de manières très différentes aux
lecteurs et aux spectateurs des deux films. En effet, Laclos s’abstient de toute
description détaillée du combat, ce qui frustre un peu le lecteur mais donne par
contre au réalisateur une grande liberté. Une scène de combat est toujours un enjeu
important car c’est une occasion pour le réalisateur d’impressionner son public et de
lui donner du spectacle. En outre, le duel est un épisode essentiel de l’histoire, dans
lequel la mort d’une figure principale va déclencher le déclin tragique de tous les
personnages. Toutes ces raisons nous ont poussées à en faire une analyse plus
approfondie.
4.3.2 Délimitation de l’épisode
•
Dans Les Liaisons dangereuses, de Laclos
Le duel est principalement évoqué par deux lettres :
Lettre CLXII du Chevalier Danceny au Vicomte de Valmont qui précède le duel
Lettre CLXIII de Monsieur Bertrand à Mme Rosemonde qui suit le duel.
•
Dans Les Liaisons dangereuses, de Frears
La séquence débute lorsque l’on entend Mme de Merteuil en voix off et que l’on voit
Valmont et Danceny sous une sorte de pont, et se termine à la mort de Tourvel,
lorsqu’on lui ferme les yeux.
•
Dans Valmont, de Forman
La séquence débute lorsque Valmont arrive dans la clairière où doit se dérouler le
duel, et se termine sur un gros plan de l’intendant de Valmont qui regarde l’issue du
duel d’un regard effaré.
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Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
Caroline Jankech et Chloé Traube
4.3.3 Analyse
•
Laclos
Il est intéressant de constater que le duel n’est mentionné que par deux lettres, dont
aucune ne nous offre un récit précis et objectif de la manière dont se sont déroulés le
duel et la mort de Valmont. La lettre de Danceny nous informe de manière allusive
des raisons qui le poussent à provoquer Valmont. Par ce procédé d’allusion, Laclos
rend le lecteur plus actif, car il est le seul à pouvoir lire toute la correspondance, il
peut donc reconstituer les lacunes de la lettre et en comprendre les sous-entendus.
Par exemple lorsqu’il écrit: « J’ai vu la preuve de votre trahison écrite de votre
main », il suffit au lecteur de retourner quelques pages en arrière pour retrouver les
lettres CLVIII et CLIX et comprendre que Merteuil, pour se venger, a montré à
Danceny la lettre de Valmont. On peut relever aussi, à propos de cette même phrase,
que les lettres ne sont plus de simples moyens de communiquer mais deviennent des
témoins et donc des armes de vengeance et même de meurtre.
Bien que l’on puisse croire que Danceny s’est finalement détaché de l’emprise de
Merteuil, il n’en est rien. Encore une fois c’est elle qui a tout agencé. Elle savait à
quel point la jalousie qu’éprouverait Danceny face à Valmont déclencherait chez lui
une envie meurtrière de vengeance. Valmont a utilisé Cécile pour rendre Merteuil
folle de rage1, Merteuil va à son tour envoyer Danceny, son pantin fidèle, combattre
Valmont. Dans ce combat par personnes interposées Danceny et Cécile vont se
transformer en armes mortelles.
La deuxième lettre est celle de M. Bertrand à Madame de Rosemonde. Il est
l’intendant de Valmont et c’est la première lettre du roman écrite de sa main. Cette
lettre nous fait découvrir un personnage dévoué et admiratif d’un maître qu’il n’a
l’air de connaître que pour ses vertus. De plus malgré sa prose remarquable et
solennelle, il relate de manière assez ingénue la scène dont il a été témoin. « Il m’a
ordonné de me taire; et celui-là même qui était son meurtrier, il lui a pris la main, l’a
appelé son ami, l’a embrassé devant nous tous, et nous a dit: « Je vous ordonne,
d’avoir pour Monsieur, tous les égards qu’on doit à un brave et galant homme.» Il lui
1
Alors que Merteuil devait passer la nuit avec Danceny, Valmont a organisé un rendez-vous pour que
Danceny puisse rejoindre Cécile. Ce qui rend Merteuil jalouse.
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Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
Caroline Jankech et Chloé Traube
a de plus fait remettre, devant moi, des papiers fort volumineux, que je ne connais
pas, mais auxquels je sais bien qu’il attachait beaucoup d’importance. »
On peut comprendre, d’après ces quelques phrases, que l’approche de la mort a fait
surgir chez Valmont une sorte de sagesse des derniers instants. Le fait qu’il qualifie
Danceny de « brave » et de « galant » sous-entend que lui-même ne se considère pas
comme tel et qu’il est reconnaissant à Danceny d’avoir abrégé les souffrances de ce
personnage qu’il ne pouvait lui-même plus supporter. De plus, « ces papiers forts
volumineux », que le lecteur traduit facilement par « la correspondance de Merteuil
et Valmont », sont le dernier moyen que Valmont possède pour dénoncer le complot
de Merteuil qui l’aura poussé à cette fin tragique. Par cet acte symbolique de
transmission de l’unique témoignage du complot, Valmont sauve une partie de son
honneur. En donnant sa correspondance avec Merteuil à Danceny, il rétablit la vérité
et discrédite Merteuil. Les lettres constituent donc jusqu’à la fin une arme puissante
et restent au cœur de l’action du roman.
Il est assez frustrant pour le lecteur de lire la lettre de Danceny puis de tourner la
page et de se trouver face à l’annonce de la mort de Valmont. De plus, le récit étant
fait par un épistolier jusque-là inconnu du lecteur, celui-ci se sent comme soudain
exclu, privé d’une partie de l’histoire, d’une justification de la mort du personnage.
Comme nous l’avons vu dans l’incipit, le lecteur est habitué dès les premières lettres
à connaître les projets et les manigances des épistoliers. Dans le cas du duel, ni
Danceny ni Valmont n’écrivent leurs réelles intentions, et il n’y a aucun récit par
Danceny du déroulement du duel. Laclos prive donc bien consciemment le lecteur
d’une description des faits. Mais pourquoi ? On peut tout d’abord remarquer tout au
long du roman que Laclos s’attarde rarement sur des descriptions; en effet il serait
peu vraisemblable que les épistoliers en fassent de longues. Ils utilisent les lettres
pour communiquer et non pour le plaisir d’écrire. Le flou que laisse Laclos sur cet
épisode permet au lecteur d’imaginer un récit plus exaltant. Peut-être Laclos a-t-il
voulu choquer le lecteur et le surprendre en le mettant à la hauteur des épistoliers. En
effet, le lecteur n’a été averti de ce qui allait se produire d’aucune manière, il n’est
donc pas préparé par une connaissance antérieure de ce qui va se produire. Grâce à
ce procédé, le lecteur se met plus facilement à la place des épistoliers et ressent donc
les événements avec plus d’intensité. C’est alors comme un coup de couteau pour le
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Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
Caroline Jankech et Chloé Traube
lecteur lorsqu’il apprend la mort de Valmont à travers la lettre que reçoit Madame de
Rosemonde. Comme si Laclos tentait de le marquer par cet épisode pour lui montrer
le danger réel des liaisons, il veut lui faire comprendre qu’on ne peut pas prévenir ni
guérir mais qu’il faut tout simplement éviter le libertinage. Dans cette absence de
récit il y a donc une réelle mise en scène de Laclos pour faire passer son message.
•
Frears
La séquence débute par un plan en plongée de Danceny et Valmont se préparant au
combat; ils sont sous un pont sombre qui contraste avec la blancheur de la neige. La
voix off de Merteuil explique la raison du duel. Tout comme dans le livre, il est
provoqué par le fait que Merteuil révèle à Danceny que Valmont est l’amant de
Cécile et qu’il la manipule. De plus la voix off commence par « mon cher petit
Danceny », soit comme le début d’une lettre. Cela symbolise aussi très bien le fait
que Merteuil contrôle tout ce qui se passe et nous rappelle qu’elle est responsable du
conflit entre Valmont et Danceny. Ensuite, un travelling nous fait descendre sous le
pont où les deux protagonistes ont commencé le combat. Filmés en champcontrechamp, ils semblent se battre avec ardeur. Pourtant Valmont ne tente pas
vraiment de tuer Danceny malgré les diverses occasions qui s’offrent à lui. Après
quelques instants par exemple, Danceny se retrouve à terre face à Valmont debout,
leurs regards se croisent, la pointe de l’épée de Valmont effleure le torse de son
adversaire. Il ne suffirait que d’un geste pour en finir, mais Valmont détourne le
regard et l’image de Tourvel et lui-même faisant l’amour lui revient en flash-back et
le déstabilise. Le spectateur n’aperçoit pas Tourvel de face mais la devine clairement.
Ensuite le duel sera entrecoupé par une scène se déroulant simultanément. Pour
souligner le parallélisme évident entre les destins de Tourvel et Valmont, Frears nous
montre, en alternance avec le combat, la lente agonie de la jeune femme. Il filme les
Volanges, mère et fille, allant voir leur amie mourante. Celle-ci leur dit: « Je meurs
parce que j’ai refusé de vous croire ». Merteuil n’a donc pas manqué sa cible. Cette
phrase fait (comme dans le livre)1 écho à celle, quelques scènes auparavant, où elle
disait si bien: « Parce que lorsqu’une femme décoche une flèche au cœur d’une autre
elle ne rate jamais son coup. Et la blessure est évidement fatale.»
1
Cette phrase est d’ailleurs tirée de la lettre CXLV de Merteuil à Valmont : «Ah ! croyez-moi,
Vicomte, quand une femme frappe dans le cœur d’une autre, elle manque rarement de trouver
l’endroit sensible, et la blessure est incurable. »
35
Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
Caroline Jankech et Chloé Traube
Le parallélisme entre Valmont et Tourvel se renforce encore plus lorsque l’on voit
Valmont saigner du bras, puis tout de suite après Tourvel se faisant appliquer des
ventouses jusqu’au sang, comme s’ils se retrouvaient dans la souffrance que leur
histoire a provoqué, et que le mal que ressentait l’un touchait l’autre et vice versa.
L’amour qu’ils éprouvent les tue petit à petit: Valmont, parce qu’il en a eu honte et
qu’il s’en est débarrassé, et Tourvel parce qu’elle s’est fait rejeter. Ensuite, les
gémissements de souffrance de Tourvel se prolongent sur de nouvelles images du
duel et se confondent avec la respiration saccadée de Valmont. Un nouveau flashback s’empare de Valmont. Cette fois-ci, il dure plus longtemps et l’on distingue
clairement le visage de Tourvel. Ce plan est coupé par un autre de Tourvel de
nouveau au couvent, une lame lui taillade le bras et fait apparaître une ligne de sang
semblable à la trace d’un coup d’épée. Le contraste entre ces deux derniers plans est
très frappant et symbolise le fait que la dangereuse liaison qu’entretenait Tourvel
avec Valmont a amené celle-ci vers la souffrance et enfin vers la mort. Comme si le
lien de causalité était évident.
Après cela, la caméra revient au duel. Valmont et Danceny s’essoufflent. Valmont
semble avoir été perturbé par les images de son amour perdu. Après quelques
derniers coups d’épée, il profite d’un instant où Danceny est à terre pour aller
s’appuyer de profil contre le mur. La caméra le filme droit dans les yeux, mais il
regarde dans le vide. Valmont semble assailli par de nouvelles pensées concernant
Tourvel, mais cette fois le flash back n’est que suggéré.
36
Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
Caroline Jankech et Chloé Traube
Comme s’il ne pouvait plus supporter le poids de sa propre personne, Valmont
semble prendre une décision. Il ouvre petit à petit les doigts qui retiennent son épée
et, après une dernière hésitation, la lâche et se retourne vers Danceny, se donnant à
l’ennemi. A ce moment-là, Danceny qui semble ne pas avoir vu que son adversaire a
lâché son arme croit à une nouvelle attaque et enfonce violemment son épée dans le
ventre de Valmont qui l’enfonce lui-même encore plus. Valmont aura donc bien
réussi à déguiser son suicide. Dans un cri désespéré il tombe à terre. Son regard
s’anime successivement de peur, puis de sagesse. Une sagesse qui lui fait refuser le
chirurgien. Il veut mourir. Le doux chant des oiseaux a disparu pour faire place à des
corbeaux croassant au dessus de son corps étendu sur la neige.
Après avoir conseillé à Danceny d’éviter Merteuil, Valmont lui tend un paquet de
lettres ensanglantées qu’il sort de son gilet. Ce geste entre les deux hommes est très
symbolique. Le sang sur les lettres nous rappelle que la correspondance de Valmont
avec Merteuil ainsi que tous les plans machiavéliques qu’elle contenait sont la cause
de sa mort. De plus, le lien qui se crée entre les deux « hommes jouets » de Merteuil
lorsqu’ils tiennent ensemble l’unique preuve de la culpabilité de celle-ci apparaît
comme une alliance du dernier instant. Ce geste est aussi la dernière chance pour
Valmont d’amoindrir sa culpabilité et donc de sauver une partie de son honneur.
Ensuite, Valmont prie Danceny d’aller trouver Tourvel pour lui dire à quel point il
l’a aimée et qu’il ne sait pourquoi il l’a quittée. Des larmes coulent sur son visage.
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Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
Caroline Jankech et Chloé Traube
Ces larmes anticipent celles qui couleront sur celui de Merteuil dans la dernière
scène du film, comme des preuves de leur vulnérabilité et de leur déclin. Frears
réussit à éveiller la compassion du spectateur. Valmont est pour une fois sincère et
révèle un peu de son humanité. Le masque est tombé. Il dit ensuite: « J’ai enfoncé
l’épée encore plus profondément que vous ne l’avez fait, aidez-moi à ôter cette lame
de mon cœur ». Preuve de son suicide et somptueux jeu de mot, cette phrase inventée
de toutes pièces par Frears perturbe le scénario original de Laclos. En effet dans le
roman, il n’y a aucune mention du suicide et Tourvel meurt sans avoir su ce que
ressentait Valmont. Dans le film, Valmont contrôle son personnage jusqu’à la fin.
Bien que poussé à bout par Merteuil, c’est lui qui accomplit le geste fatal qui le libère
de sa souffrance et de l’emprise que Merteuil a sur lui. De plus, l’amour l’emporte
puisque Tourvel meurt après avoir entendu ce que Danceny devait lui transmettre.
Valmont et Tourvel se sont donc retrouvés dans la mort, finalement unis. Tandis que
Laclos établit un scénario bien plus tragique faisant fortement penser à la méprise
fatale qui conclut Roméo et Juliette. Valmont et Tourvel sont passés l’un à côté de
l’autre jusqu’au bout. Et leur amour n’a rien sauvé de leur triste destin.
Le message contre le libertinage est plus puissant car même l’amour est incapable de
le contrer. Il y a donc dans le film un changement de scénario qui répond peut-être
plus à l’attente du public. Le spectateur est en effet satisfait de voir l’amour
triompher et Tourvel mourir d’amour plutôt que de désespoir. Il est aussi satisfait de
voir un duel riche en spectacle et d’une technique impressionnante. Il y a donc des
enjeux différents dans les deux œuvres.
Après cette parenthèse d’une importance considérable, revenons à l’analyse. Nous
en sommes restés à l’agonie de Valmont. Danceny accepte d’aller transmettre sa
déclaration à Tourvel. Puis Bertrand, l’intendant de Valmont, dit à Danceny: « C’est
un peu tard pour regretter ». Comme dans le récit de Laclos, Bertrand croit en la
bonté de son maître, il est à ses côtés sans forcément voir le jeu libertin que mène
habilement celui-ci. Valmont ajoute que la cause de Danceny était digne d’un
homme et que personne ne pourrait jamais en dire autant de lui-même. Cette
conscience des derniers instants touche encore plus le spectateur, l’émotion est à son
comble et Valmont devient une sorte de martyr. Sa tête se tourne, ses yeux se
ferment. Un travelling semblable à celui du début de la séquence nous éloigne de ce
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Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
Caroline Jankech et Chloé Traube
corps maculé d’un sang dont le rouge contraste très fortement avec la pureté de la
neige. La boucle est bouclée, comme si le réalisateur décidait de nous éloigner à
jamais de ce personnage auquel il avait fini par nous attacher. Mais avant de terminer
cette séquence, il nous laisse quelques secondes devant ce plan en plongée, dans un
silence de deuil. Danceny et Bertrand entourent le corps, l’image est très belle, elle
fait penser à quelque chose mais ce quelque chose est indéchiffrable. On y perçoit
trois couleurs, du noir, du rouge, du blanc mais celles-ci ne s’assemblent pas et
laissent apparaître une image dénuée de sens et de logique. Comme pour illustrer
l’incompréhension du spectateur devant cette machine infernale que la raison n’a pas
pu arrêter. Le réalisateur a réussi encore une fois une mise en scène d’une beauté qui
marque les esprits.
Un morceau de harpe débute et va suivre Danceny à travers la séquence suivante
lorsqu’il se dirige d’un pas décidé vers Tourvel. Ce lien mélodique se poursuit alors
que Danceny parle à l’oreille de Tourvel. Le réalisateur a coupé le son du dialogue,
ce qui est très astucieux car d’une part le spectateur peut assister à la scène sans
devoir réécouter un texte qu’il vient d’entendre, mais en plus cela lui permet d’être
beaucoup plus attentif à l’image et à la tristesse de ces instants. A l’arrière-plan les
Volanges assistent à la scène. Elles sont semblables à deux statues, immobiles et
inexpressives comme deux figurantes. Cela nous rappelle à quel point elles ont été
impuissantes dans l’histoire entre Tourvel et Valmont et symbolise aussi le fait que
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Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
Caroline Jankech et Chloé Traube
leur naïveté les a toujours éloignées de la réalité. La souffrance de Tourvel devient
insupportable et elle finit par dire: « Assez ». Les rideaux une fois tirés, ne nous
laissent apercevoir que l’ombre de son corps qui se convulse une dernière fois.
Tourvel meurt et la harpe cesse. Malgré un changement de décor, le réalisateur a
réussi à harmoniser, grâce à la musique, la transition des plans à tel point que la mort
des deux amants est montrée comme un enchaînement évident. De plus, le spectateur,
tenu en haleine sans interruption, a l’impression de suivre en temps réel les
événements et les perçoit à travers les yeux de Danceny. La séquence se termine par
le plan dans lequel les bonnes sœurs ferment les yeux de Tourvel.
Toute cette séquence est impressionnante, tant par la qualité de l’image que celle de
la mise en scène, de la musique ou du jeu des acteurs. Rien n’a été laissé au hasard.
•
Forman
La version du duel de Forman est très particulière: par sa mise en scène qui en
devient comique, elle contraste beaucoup avec la version tragique et cinglante de
Frears. La séquence commence par l’arrivée de Valmont, affalé sur son cheval,
encore soûl du soir précédent et accompagné de trois paysans en guise de témoins
choisis au hasard dans une auberge. Danceny au summum de son sérieux, tente de lui
éviter le pire en refusant de combattre avec lui. Son intendant tente de mimer un oui
du bout des lèvres, mais Valmont a l’air bien décidé et surtout inconscient. D’ailleurs
il répond avec ironie et insolence: « Et que proposez-vous ? Un duo de harpe ? ». Il y
a donc une représentation très contrastée des deux personnages qui s’installe dès le
départ. Danceny, honnête et élégant, domine la situation et Valmont, pathétique,
vulgaire et comique semble soumis à sa propre bêtise. La scène est filmée dans une
clairière, comme dans le livre, mais le soleil brille, les oiseaux chantent et il n’y a pas
de trace de l’hiver. La musique de fond est elle aussi plutôt joyeuse, ce qui rend
l’ambiance beaucoup plus légère, presque gaie. Valmont, déjà peu crédible à son
arrivée, ne fait rien pour améliorer sa situation: il présente ironiquement ses témoins
comme des ducs et des barons. D’ailleurs tout est mis en scène pour le tourner au
ridicule, personne ne semble croire en lui, ses témoins et son cheval fuient. Seul son
intendant reste, mais quelques gros plans sur son visage nous font comprendre à quel
point son maître le désespère. Tout particulièrement, celui dans lequel il fait une
grimace désapprobatrice à la vue d’une technique de combat qui semble ne pas être
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Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
Caroline Jankech et Chloé Traube
très convaincante. Les interactions entre Valmont et son intendant rappellent un duo
maître-valet à la Molière. A partir de ce point, la situation devient réellement
comique, le duel n’est plus du tout sérieux. Valmont s’élance sur Danceny et tente
quelques coups d’épée peu spectaculaires.
Forman semble avoir choisi d’exclure l’idée d’une scène de combat prenante,
impressionnante et pleine de suspens. En donnant cet aspect comique au personnage
de Valmont, Forman s’éloigne du pervers manipulateur de Laclos qui garde toujours
le contrôle de la situation. La séquence se termine par un gros plan sur l’intendant de
Valmont qui se cache les yeux avec ses mains, le bruit des épées qui s’entrechoquent
s’arrête soudain, et ses mains glissent le long de son visage pour laisser découvrir au
spectateur un visage effaré qui ne présage rien de bon. Seul persiste, de manière
plutôt ironique, le chant imperturbable des oiseaux. Comme Laclos, Forman ne laisse
pas le public découvrir l’issue du combat, mais la transmet par l’entremise de
l’intendant de Valmont. Il faut en effet attendre la séquence suivante pour apercevoir
la calèche funèbre qui transporte le corps de Valmont. Non seulement cette transition
rappelle de nouveau fortement Laclos qui passait de la convocation au duel à
l’annonce de la mort de Valmont, mais elle rappelle également la frustration ressentie
par le lecteur qui n’a pas droit à l’issue du combat. L’abstention de Laclos n’est
pourtant pas aussi conséquente que celle de Forman, car le spectateur attend plus
l’issue spectaculaire d’un combat à l’épée que le lecteur n’en attend la description.
Ce choix de Forman était donc très risqué. Pour nous il n’est d’ailleurs pas très
convaincant, la scène est digne d’un téléfilm médiocre. L’image n’est pas soignée,
contrairement au film de Frears dont chaque plan semble être une œuvre d’art
soigneusement composée. Il manque de la profondeur et le tout n’est pas très réaliste.
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Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
Caroline Jankech et Chloé Traube
5. Remarques générales sur les adaptations
Il découle des observations que nous avons faites tout au long des analyses, que le
film de Frears est mieux réussi que celui de Forman. En effet, le film de ce dernier
est distrayant, c’est pourquoi il nous laisse une première impression très positive;
cependant, une fois qu’on le regarde de plus près, on réalise qu’il manque de
profondeur. Son aspect comique qui est à première vue plaisant le rend en fin de
compte ridicule. Forman a même rajouté certaines scènes pour renforcer cet aspect
burlesque, notamment la première rencontre entre Tourvel et Valmont (lors de la
scène où il est sur la barque), la scène où il renverse la baignoire de Merteuil ou
encore le duel. On peut donc reprocher à ce film sa légèreté qui lui donne des airs de
comédie alors qu’il devrait plutôt s’agir d’un drame. Par ce fait, ce film est moins
marquant que celui de Frears qui, lui, possède une force, une violence qui le
rapprochent de la tragédie. Par ailleurs, on peut remarquer que les deux réalisateurs
ont des buts différents: Forman s’applique simplement à retranscrire des évènements
tandis que Frears va plus loin en cherchant surtout à véhiculer le message de Laclos.
Il en reste plus proche même si, pour cela, il doit parfois s’éloigner des faits.
Le choix des acteurs est capital car il a une influence sur l’histoire et la manière dont
le spectateur la perçoit en plus de déterminer sa qualité. C’est pourquoi il nous a
semblé important de comparer les deux films sous cet angle:
-
Merteuil est incarnée, dans la version de Forman, par une femme jeune ce qui
ne correspond pas à l’image que l’on pourrait se faire du personnage de
Laclos, car cela rend peu crédibles l’admiration que Valmont lui porte et le
fait que Madame de Volanges s’en réfère à elle pour l’éducation de Cécile.
De plus, elle affiche des traits doux, un air souriant et aimable qui nuisent à sa
singularité, et à son côté impressionnant et respectable. D’un point de vue
uniquement physique, Madame de Volanges correspondrait presque mieux au
personnage de Merteuil. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’au départ,
l’actrice souhaitée pour le rôle de Merteuil était Michelle Pfeiffer qui n’a pas
pu, étant donné qu’elle avait déjà accepté le rôle de Tourvel dans le film de
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Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
Caroline Jankech et Chloé Traube
Frears1. Dans le film de Frears, Merteuil est plus âgée, elle a le visage marqué
par l’expérience et ses traits durs lui donnent un air sérieux, important,
dominateur et sûr d’elle. Ils illustrent sa force de caractère. Son élégance, sa
tenue et sa maîtrise d’elle-même imposent le respect.
-
John Malkovitch semble avoir été un choix parfait pour le personnage de
Valmont: il est à la fois séduisant et obséquieux, et son regard pervers sied
exactement à son rôle d’homme charmeur et cruel à la fois. De plus, son air si
sûr de lui et prétentieux nous donne l’impression qu’il est sérieux et qu’il
maîtrise tout alors qu’en fait il est très irréfléchi et impulsif. L’acteur incarne
donc parfaitement l’ambiguïté et le cynisme du personnage de Valmont, tel
qu’il est décrit dans le roman. Le Valmont de Forman, lui, est trop comique.
Il est un peu enfantin, aime se donner en spectacle, mais ne fait qu’amuser la
galerie plutôt que de séduire.
-
Dans le film de Frears, Tourvel est une belle femme aux traits peu marqués.
Elle a l’air d’une poupée qui laisse transparaître une grande fragilité et son
apparence de femme pure lui donne l’aspect d’un petit ange qu’il faudrait
corrompre. Elle représente donc bien le personnage créé par Laclos,
contrairement au film de Forman où Tourvel n’est pas assez belle, ni assez
séduisante pour que Valmont soit attirée par elle (en effet on demande au
personnage de Tourvel d’être une femme qui séduit malgré elle, sans artifice).
Par ailleurs, son jeu laisse à désirer.
-
Cécile est très bien interprétée dans la version de Frears car elle a cette
gaucherie naturelle qui caractérise le personnage de Laclos. Elle est aussi
assez âgée pour incarner la jeune fille entre l’adolescence et l’âge adulte,
contrairement à l’actrice du film de Forman qui n’est encore qu’une enfant.
-
Danceny lui aussi est trop jeune dans la version de Forman, ce qui rend son
amour pour Cécile qui semble si profond, sa relation avec Merteuil et le fait
qu’il puisse tuer Valmont invraisemblables. En ce qui concerne le Danceny
1
Information recueillie sur www.imdb.com
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Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
Caroline Jankech et Chloé Traube
de Frears, il est difficile de déterminer s’il s’agit d’un adolescent ou d’un
homme. Ce qui correspond une fois de plus au roman de Laclos car il suit
dans ces deux versions la même évolution: au début il est encore jeune et
facilement manipulable, mais, au cours de l’histoire, il prend de l’assurance et
finit par avoir le courage d’agir.
-
Madame de Volanges, quant à elle, est moins adaptée, aussi bien dans la
version de Frears que dans celle de Forman, non pas du point de vue de
l’actrice mais du point de vue de son jeu. Dans le film de Frears, elle n’est
pas assez innocente et dans celui de Forman, le fait qu’elle cède sa place à
Merteuil n’est pas très justifié.
Le choix des acteurs est bien meilleur dans la version de Frears que dans celle de
Forman, non seulement du point de vue de leur correspondance avec les personnages
du roman mais aussi par le simple fait que d’un point de vue cinématographique ils
sont de grande qualité.
Il en va de même pour les costumes: on voit que, dans le film de Frears, de gros
moyens ont été déployés pour être fidèle à l’époque et pour créer un beau spectacle.
Le film a d’ailleurs reçu un oscar pour ses costumes. Ceux de Forman semblent, eux,
un peu décalés par rapport à l’époque décrite par Laclos. Il n’y a du reste pas non
plus d’unité entre les costumes des personnages de ce même film.
Du point de vue des dialogues, on peut remarquer que Frears a réussi à garder l’idée
de beaux dialogues et des effets de rhétorique de l’époque, soit en créant des phrases
de ce style-là lui-même, soit en reprenant celles de Laclos. Ces efforts de langage,
choses dont Forman ne s’est pas du tout soucié, donnent un aspect très théâtral au
film.
Cet aspect théâtral est donc très présent dans l’œuvre de Frears. Tout d’abord, à la
manière dont l’histoire commence: Valmont et Merteuil se préparent, comme des
acteurs dans leur loge, puis vient l’histoire qui se termine tragiquement, et enfin le
film se termine par Merteuil qui se démaquille, comme après le spectacle. De plus,
comme nous l’avons déjà mentionné, Christopher Hampton s’est inspiré de sa propre
44
Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
Caroline Jankech et Chloé Traube
adaptation pour le théâtre pour écrire le scénario du film, ce qui explique en partie la
mise en scène et l’aspect théâtral du film.
La mise en scène de Frears est aussi remarquable par l’expression corporelle des
acteurs, toujours en accord avec ce qu’ils disent que ce soit du point de vue de la
direction de leurs regards ou de leur position dans la pièce: tout semble étudié,
contrairement à la version de Forman qui donne l’impression d’être faite au hasard.
Le film de Frears laisse alors une impression de grand cinéma tandis que celui de
Forman rappelle plus le téléfilm.
Enfin, la version de Frears est très proche du roman de Laclos car dans les deux cas
le spectateur est actif. Ceci est dû au fait que les deux auteurs nous laissent
reconstituer certains morceaux de l’histoire, il y a beaucoup d’éléments implicites
contrairement à la version de Forman où tout est clairement explicité. Quoi qu’il en
soit, nous ne pouvons pas reprocher à Forman de ne pas être fidèle à Laclos car il ne
le prétend pas, il ne fait que dire qu’il s’en est inspiré.
45
Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
Caroline Jankech et Chloé Traube
6. Les adaptations modernes
6.1 Liaisons dangereuses 1960
Cette version est la première adaptation moderne du roman de Laclos. Elle est aussi
la plus surprenante. En effet, elle n’est pas seulement transposée à l’époque de 1960
mais aussi transformée. Le changement le plus conséquent est le fait que Merteuil et
Valmont soient mari et femme. Ce lien change considérablement les choses, car dans
le roman de Laclos, le mariage et l’aveu d’un amour réciproque étaient impensables
et contraires à toute la philosophie des deux protagonistes principaux. Dans le roman,
Merteuil aurait tout fait plutôt que de se marier, car cette décision aurait signifié pour
elle être dominée et contrôlée, ce qui est contraire à sa conception féministe.
Valmont n’aurait pas non plus supporté ce lien trop officiel qui aurait porté atteinte à
sa réputation de Dom Juan. Tout deux répètent sans cesse que conquérir est leur
destin, se marier va donc à l’encontre de la définition même du libertinage. Il est
difficile de comprendre pourquoi le réalisateur a fait ce choix. Peut-être paraissait-il
plus réaliste par rapport aux mœurs de cette époque d’être marié et d’avoir des
amants que d’être deux célibataires allant d’aventures en aventures. En effet,
Merteuil se cache très bien derrière son rôle de femme fidèle, et Valmont profite de
son état d’homme marié pour lui faire croire qu’elle est l’élue et que les autres ne
sont que des plaisirs éphémères. Leur couple semble être connu et apprécié de tous,
ils apparaissent comme deux complices. Ils rient fort de leurs messes basses,
complotent, sont toujours élégants, enviés de tous. Ils ont l’air indestructibles et
persuadés que leur couple est mené de la meilleure des façons. Ils se comparent
d’ailleurs fièrement à tous ces couples fidèles qui finissent par divorcer. Vadim
dénonce donc l’erreur qui mène à penser que le libertinage est un moyen de faire
survivre son mariage, ce qui n’apparaissait évidement pas dans le roman de Laclos.
D’autre part, Valmont est mis au centre de la scène. On le suit dans son épopée et
Merteuil n’apparaît que ponctuellement pour lui rappeler qu’il est marié et réparer ou
arranger les obstacles de parcours. Même si c’est elle qui lance Valmont dans le défi
de séduire Cécile, elle se fait rapidement dépasser par sa propre entreprise et perd le
contrôle de la situation. Nous nous retrouvons face à une Merteuil jalouse,
46
Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
Caroline Jankech et Chloé Traube
amoureuse, est dominée. Ce qui, encore une fois, est loin de l’image de Merteuil
dans le roman, qui se contrôle dans les moindres détails et ne laisse pas transparaître
le moindre sentiment. Valmont se rend peu à peu compte de son amour profond pour
Marianne, et même si il la quitte, contraint par les ordres de sa femme, il s’est avoué
cet amour. Comme dans le roman de Laclos, c’est une nouvelle défaite pour Merteuil.
Dans cette adaptation, on peut remarquer que Cécile est la nièce de Valmont et
surtout qu’elle est plus âgée que dans le roman. Elle est convaincue de vouloir se
marier avec Danceny, lui n’est par contre pas pressé. Celui-ci n’est d’ailleurs pas son
professeur mais simplement son petit ami. Toutes ces différences par rapport au
roman ne donnent pas l’impression d’un amour puéril et innocent entre une
adolescente et son professeur, mais plutôt d’un banal problème entre deux jeunes
adultes. D’ailleurs, quand Cécile trompe Danceny sous la contrainte de Valmont, elle
est un peu dégoûtée au départ mais n’en souffre pas trop, elle finit par se sentir
femme grâce à cet amant dont elle ne voulait pas, n’a pas l’air de s’inquiéter plus que
ça de sa grossesse et sourit fièrement à la fin du film en sortant du procès. Son jeu
n’est pas assez accentué, et son personnage finit par être un peu fade et ennuyeux.
Un autre aspect du film est celui du «comique malgré lui». En effet, les scènes où
Valmont meurt d’un coup porté à la tête, et où Marianne prend feu nous paraissent
complètement ridicules et désuètes. Bien sûr, on ne disposait pas encore des effets
spéciaux d’aujourd’hui, et ce ridicule est donc en partie dû à nos yeux avertis de
spectateurs du XXIème siècle. Mais cet enchaînement d’incidents mortels à la fin du
film semble réellement tiré par les cheveux et les symboles qu’ils représentent, un
peu trop évidents. Dans le roman, il est en effet mentionné que Merteuil va être
défigurée par la petite vérole, et que «la maladie l’avait retournée, et qu’à présent son
âme était sur sa figure»1. La vérole étant quelque chose de probable à cette époque,
cette circonstance apparaît uniquement comme une ironie du destin, tandis que
lorsque Merteuil s’enflamme en brûlant des lettres compromettantes, cela n’est plus
très naturel et semble avoir été créé exprès pour correspondre au roman. Nous
pouvons ici rappeler que Frears, ne fait aucune mention d’un épisode semblable dans
1
Extrait de la lettre CLXXV du roman de Laclos
47
Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
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son film, mais sa mise en scène audacieuse et la moue parfaitement appropriée de
Glenn Close dans la dernière scène suffisent à la défigurer.
Ce que l’on peut aussi remarquer dans cette adaptation, c’est le fait que Vadim utilise
beaucoup les lettres. Cécile et Danceny s’en écrivent, c’est d’ailleurs une lettre de
Danceny accompagné d’une cassette audio qui va servir de prétexte à Valmont pour
entrer dans la chambre de Cécile et abuser de sa faiblesse1. La correspondance entre
Valmont et Merteuil va permettre à celui-ci de la rendre jalouse en lui racontant sa
conquête de Marianne. C’est ensuite cela qui va donner envie à Merteuil de séduire
Danceny pour rendre à son tour Valmont jaloux. C’est aussi une lettre qui va faire
perdre la tête à Danceny et l’amener à tuer Valmont2. Et c’est encore en essayant de
brûler les lettres qui sont preuve de sa culpabilité dans l’affaire, que Merteuil va se
brûler et perdre la face devant tout le monde. Les lettres sont donc au cœur de
l’intrigue et permettent le déclenchement des actions principales du film. On peut
donc dire que de ce point de vue là, Vadim est très fidèle au roman.
1
En effet, Valmont lui propose de laisser sa porte ouverte pendant la nuit, pour pouvoir y déposer un
magnétophone.
2
Merteuil montre à Danceny la lettre que Valmont lui a écrite et qui raconte ses ébats avec Cécile.
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Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
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6.2 Sexe intentions
Cette version des Liaisons dangereuses est la plus récente, étant donné qu’elle date
de 1999. Elle met en scène des personnages tous plus jeunes que ceux des autres
versions et dans un contexte qui nous est contemporain. Cependant, malgré son style
différent, elle est très semblable au roman et aux autres adaptations, plus
particulièrement à celle de Frears dont nous avons presque l’impression de revoir des
scènes simplement actualisées. Nous pouvons tout de même observer que, malgré le
modernisme de ce film, il y a un rappel de l’époque du roman au niveau des
costumes, notamment le corset de Kathryn ou la gabardine que Sebastian porte à la
fin du film, ainsi qu’au niveau des décors de la maison des Valmont par exemple. Un
deuxième clin d’œil aux versions antérieures est fait car l’actrice qui joue la
psychologue au début du film (Le Dr. Regina Greenbaum) est la même que celle qui
joue Madame de Volanges dans le film de Frears: Swoosy Kurtz. L’histoire est bien
entendu toujours la même bien qu’on lui ait ajouté des détails en rapport avec les
problèmes de société actuels tels que la drogue, le racisme, l’homophobie. Il montre
aussi que certaines choses ont très peu évolué comme l’importance de l’apparence et
le statut de la femme: la guerre des sexes entre Valmont et Merteuil montrée dans les
versions anciennes se retrouve dans celle-ci. Cette histoire n’est pas très
vraisemblable car des adolescents de cet âge ne peuvent pas être si crus et si
manipulateurs. Nous rentrons donc dans un extrême ce qui donne une impression de
caricature: tout est accentué. Un autre extrême est le rôle de Cécile: elle joue trop à
l’enfant, ce qui enlève de la crédibilité à son personnage. Le réalisateur dit d’ailleurs
dans la version commentée du film qu’il n’aurait pas imaginé un «môme» pour ce
personnage mais plutôt une «vierge candide», même s’il avoue être content malgré
tout de cette interprétation. Nous nous permettons d’ajouter que, de manière générale,
le jeu des acteurs dans ce film n’est pas très bon.
De plus, nous pouvons dire que ce film s’adresse plutôt à un public d’adolescents en
quête d’histoires de leur âge et d’un peu d’érotisme. Il peut aussi paraître original au
spectateur plus âgé mais qui ne connaîtrait pas l’histoire dont il est tiré. Cependant,
pour celui qui la connaît déjà, ce film n’a que peu d’intérêt car le suspens est faible.
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Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
Caroline Jankech et Chloé Traube
Tout y est très prévisible et quelque peu cliché, contrairement aux versions de Frears
et de Forman qui ont réussi à éviter ces effets. Cette adaptation-là est donc décevante.
Il est toutefois intéressant de citer une phrase qu’a prononcée le réalisateur à propos
de son film:
«Dix phrases environ sont tirées d’un roman du XVIIIème siècle qu’on a transformé
en 99 en drame pour jeunes, ce qui prouve le génie du roman.»1
Ceci confirme tout d’abord ce que nous avons avancé à propos de la catégorie de
public à qui s’adresse le film. En outre, il souligne sa source d’inspiration ce qui nous
amène à nous poser la question suivante: pour quelle raison tant de réalisateurs se
sont penchés sur cette œuvre pour la retranscrire au cinéma? La première raison, et la
plus évidente, est sans doute qu’elle est l’une des grandes œuvres de la littérature
française. Kumble l’évoque d’ailleurs en parlant du «génie du roman». La modernité
de la problématique de l’histoire est aussi intéressante car elle touche le public actuel
étant donné qu’il peut s’y retrouver, aussi bien dans cette version contemporaine que
dans les versions anciennes. De plus, l’intrigue et le suspens y sont soutenus,
beaucoup d’actions sont décrites et le fait qu’elles soient contées au lecteur par le
biais de lettres lui procure déjà une impression semblable au visionnage d’un film.
Les forts caractères des personnages et les situations romanesques dans lesquelles ils
se retrouvent donnent un aspect théâtral au livre, ce qui attire probablement les
réalisateurs. Nous pourrions enfin penser que le style épistolaire de ce roman a
représenté un chalenge pour les scénaristes. Le nombre de ses adaptations reste
toutefois très important et leur diversité est remarquable.
1
Dixit Roger Kumble, réalisateur de Sexe intention, extrait de la version commentée du film
50
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7. Conclusions
7.1 Comment transparaît le roman épistolaire dans les
adaptations
•
Frears
Dans l’adaptation de Frears, on peut remarquer plusieurs choses intéressantes par
rapport à sa manière d’utiliser les lettres.
La correspondance entre Cécile et Danceny est conservée. Il n’y a en effet pas
meilleur moyen de refléter le jeu de séduction pudique qui anime ces adolescents,
que cet échange de lettres innocent et romantique caché à la mère de Cécile. De plus,
cette correspondance permet à Merteuil et Valmont de s’emparer de leurs jouets
respectifs et de les manipuler en dictant leurs lettres. Des dialogues n’auraient jamais
permis une telle intrusion dans leur relation. Mais l’ironie du sort veut que lorsque
Madame de Volanges découvre les lettres d’amour, elle décide sur le conseil de
Merteuil d’aller chez Madame de Rosemonde, pour éloigner Cécile de Danceny. Elle
ne s’imagine pas qu’elle est en train de remettre sa fille dans les bras de l’ennemi,
puisqu’en effet Valmont l’y attend sagement pour détourner sa fille du droit chemin.
Cette correspondance secrète a donc bien vite montré le revers de la médaille. Cela
va se confirmer, car en prétextant le devoir de lui remettre les lettres de Danceny en
toute discrétion, Valmont fait un double de la clé de la chambre de Cécile et en
profite pour y entrer pendant la nuit… Pour boucler la boucle, Cécile finira par écrire
une lettre à Danceny appuyée sur le dos de Valmont! Cette correspondance est donc
réellement comme une clé maléfique qui ouvre les portes à la perversion!
La correspondance entre Merteuil et Valmont est, quant à elle, le plus souvent
remplacée par des dialogues. Etant les personnages principaux, il était beaucoup plus
intéressant pour le spectateur d’assister à des face à face, qui plus est prenants car
menés par deux fortes personnalités. C’est autour de ces dialogues que vont se
construire les principaux complots. L’unique lettre que Merteuil exige clairement de
Valmont est la preuve écrite de la main de Tourvel, ce qui donne évidement tout
l’aspect de défi et permet à Merteuil de s’offrir en récompense. Cette lettre est donc
51
Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
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un élément conclusif dans le trio Merteuil-Valmont-Tourvel. On suppose que
d’autres lettres ont été écrites, car à la fin du film, lors du duel, Valmont tend à
Danceny une liasse épaisse de lettres échangées entre Merteuil et lui1. D’ailleurs cet
épisode est encore un moment charnière où les lettres sont un élément déclencheur de
ce qui va suivre. La correspondance entre Valmont et Tourvel n’est intéressante pour
le réalisateur que quand les deux personnages sont éloignés géographiquement l’un
de l’autre. Sinon, il est évidemment bien plus intéressant de voir Valmont à l’œuvre
face à Tourvel qui n’est pas prête à se laisser faire. Les deux personnalités sont
tellement opposées, qu’on ne peut que se réjouir de voir comment ils s’expriment
avec leur corps l’un en face de l’autre. Mais les lettres jouent quand même un rôle
essentiel au début, car Valmont remet ses lettres à la présidente, et c’est grâce à cela
qu’il se retrouve en tête-à-tête avec elle et lui avoue son amour. Ensuite, après qu’il a
quitté le château, il lui écrit une lettre, en utilisant pour table son amante du moment.
Cette scène où la lettre est encore au cœur de l’action est époustouflante car elle
montre très clairement le double jeu que mène habilement Valmont, et les
métaphores qu’il emploie comme : « […] la table sur laquelle j’écris, est mouillée
par l’émotion que j’éprouve, cependant malgré les tourments du délire qui dévorent
mes sens et qui m’empêchent de fermer l’œil, je vous assure que dans ce moment je
suis cent fois plus heureux que vous.» 2 Cette lettre est d’ailleurs reprise, à peu de
choses près, de la lettre XLVIII du roman de Laclos. Le spectateur, tout comme le
lecteur, est le seul à être conscient du double sens de ces phrases perverses et donc
Frears a eu raison de reprendre cette lettre comme prétexte à montrer le jeu caché de
Valmont.
La correspondance entre Volanges et Tourvel permet le début d’une nouvelle
intrigue. Valmont, après avoir fait subtiliser les lettres que reçoit et écrit Tourvel,
découvre que c’est Volanges qui écrit des médisances sur lui et assombrit sa
réputation auprès de Tourvel. Cela le fait enrager, et c’est à partir de là qu’il décide
de se venger de Volanges et d’accepter la requête première de Merteuil qui est de
séduire Cécile pour qu’elle ne soit plus vierge lors de son mariage. Cette lettre est
alors essentielle, et le réalisateur ne pouvait pas s’en passer à moins de transformer
l’intrigue.
1
2
Cf. analyse du duel, p. 37
Dixit Valmont dans Les Liaisons dangereuses, de Frears
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Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
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On peut donc en conclure que Frears utilise les lettres comme base et clé de toute
l’intrigue, rendant fidèlement l’importance qu’elles ont chez Laclos.
•
Forman
Dans cette adaptation, Forman utilise parfois les lettres sans autre but que de les
utiliser, contrairement au film de Frears où chaque lettre est la cause ou l’effet d’une
action.
La correspondance entre Cécile et Danceny est conservée pour les mêmes raisons
que chez Frears. C’est-à-dire pour le jeu de séduction en cachette et pour les
manipulations de Valmont et Merteuil. Sauf que lorsque Madame de Volanges
découvre les lettres, elle décide de renvoyer Danceny, et c’est après son renvoi que
Danceny croise Merteuil et qu’ils organisent un rendez-vous pour que Cécile puisse
passer une soirée en tête-à-tête avec lui. Ce tête-à-tête est d’ailleurs un sommet de
ridicule, car les deux adolescents arrivent chacun avec une lettre pour l’autre, et les
lisent côte à côte. Ensuite, Danceny lui chante une chanson dont il a composé les
paroles et Cécile l’accompagne à la harpe, le tout prenant l’allure d’un cours de
musique. Les lettres, dans cet épisode, ne sont donc qu’une entrave à leur relation,
comme s’ils n’arrivaient pas à se parler autrement que par leur intermédiaire. Ensuite
par contre, Valmont dicte à Cécile une lettre pour Danceny et c’est à ce moment qu’il
profite d’elle. Cette lettre sera un prétexte pour entrer dans sa chambre et être seul
avec elle. Comme chez Frears, la correspondance se transforme en arme qui se
retourne contre les épistoliers. Plus tard, Valmont dicte une lettre à Cécile pour
Danceny dans laquelle il lui fait dire que, suivant les conseils avertis de Merteuil, elle
se mariera avec Gercourt et gardera Danceny pour amant. En fait, par cette lettre,
Valmont cherche indirectement à se venger de Merteuil: il prévoit que Danceny ira
reprocher à Merteuil d’avoir conseiller cela à Cécile. Danceny dicte donc une lettre à
Merteuil pour Cécile en la menaçant avec une épée. On ne sait pas ce que devient
cette lettre car on ne verra jamais Merteuil conseiller à Cécile d’épouser Danceny.
C’est donc une lettre utilisée un peu superficiellement et sans suite réelle dans
l’histoire, une lettre dans le vide. De plus, cet épisode est très invraisemblable dans
l’esprit de Laclos et rend la scène encore une fois ridicule.
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Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
Caroline Jankech et Chloé Traube
Aucune lettre n’est échangée entre Merteuil et Valmont, pour les mêmes raisons que
chez Frears. Cependant la preuve de l’affaire Tourvel manque. Même si le pari est
toujours présent avec ses récompenses, le fait qu’il n’y ait pas de preuve exigée
enlève l’aspect formel qui lui donnait du poids. Le pari est minimisé, et lorsque la
déclaration de guerre survient, le spectateur l’a presque déjà oublié. De plus, cette
preuve écrite était l’un des éléments clés du roman de Laclos, car il permettait à
Merteuil d’avoir le contrôle sur ce qui se passait entre Tourvel et Valmont. Il nous
semble que c’est une infidélité grave au roman.
Tourvel correspond avec une de ses amies dont le lecteur averti peut supposer que
c’est Madame de Volanges. Mais lorsque Tourvel lit un passage d’une de ces lettres
à Valmont, qui le concerne et médit de lui, on ne sait pas clairement que c’est
Volanges qui l’a écrite. Cela pourrait sembler sans importance, pourtant dans le
roman, c’est à cause du fait que Volanges a écrit à Tourvel qu’il fallait éviter
Valmont, que celui-ci, fou de rage, veut se venger d’elle et décide d’aller dépuceler
Cécile. C’est de nouveau une infidélité au roman, qui en outre rend incompréhensible
le fait que tout d’un coup Valmont décide de s’attaquer à la petite Cécile. Ici donc, la
lettre est utilisée de manière superficielle, car elle semble être la raison de la rage de
Valmont mais ne justifie pas ce qui se passe ensuite. Il y a donc une coupure dans la
suite logique des événements qui rend l’histoire moins unifiée et donc enlève cette
impression de domino infernal qui règne chez Laclos.
Plus tard, lorsque Valmont est chez Tourvel, celle-ci a la folie d’écrire à son mari
pour l’informer de ce qui se passe avec Valmont. Cela effraie Valmont qui se sent
emprisonné par cet acte officiel qui l’engage vis-à-vis de Tourvel. En effet,
maintenant que son mari n’est plus de la partie, il se sent comme obligé de prendre le
relais et de jouer au mari, ce qu’il ne souhaite surtout pas. Certainement aussi que,
comme il le disait au début, le fait que Tourvel soit mariée et heureuse dans son
mariage constituait la plus grande partie du défi. Valmont fuit avec la plus grande des
lâchetés. Cette lettre qui n’apparaît ni dans le livre, ni chez Frears, semble encore une
fois un peu déplacée. Dans le roman, Tourvel n’aurait jamais osé faire une chose
pareille. Le fait d’avoir un amant semble déjà pour elle être une situation assez
insoutenable, alors de là à l’avouer à son mari… De plus cela donne l’impression
chez Forman que Valmont la quitte car il a peur de cet engagement, alors que dans le
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Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
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livre il le fait poussé par Merteuil et sa propre fierté. Il ne supporte pas l’idée d’être
amoureux, cela lui fait honte. Cela rend le problème beaucoup plus profond qu’une
peur banale de l’engagement.
La dernière lettre qui apparaît dans ce film est celle que Merteuil reçoit dans son bain
lorsqu’elle est en compagnie de Valmont. On ne saura pas de qui elle provient, d’un
amant sûrement, probablement Danceny. Quoi qu’il en soit, elle ne veut pas la
montrer à Valmont mais finit par la lui donner, après l’avoir trempé dans son bain de
manière à ce qu’on ne puisse plus lire1… Suite à la promesse de récompense au pari
non tenue et à ce geste de provocation, Valmont et Merteuil vont se déclarer la
guerre. Mais encore une fois cette lettre n’a pas grande importance là-dedans, elle
n’est que la goutte d’eau qui fait déborder le bain.
Forman n’utilise donc pas les lettres de la manière la plus rentable à l’intrigue,
beaucoup d’entre elles ne font pas réellement avancer l’histoire et bien d’autres
manquent au tableau. On a l’impression qu’il les utilise davantage pour rappeler qu’il
s’inspire d’un roman épistolaire que pour leur intérêt en tant que clés du complot.
1
Cf. analyse de la déclaration de guerre, p. 29
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Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
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7.2 Conclusion
Nous avons réalisé à quel point il est difficile de déterminer des critères pour juger de
la réussite d’une adaptation. Il faut que l’œuvre cinématographique soit bonne en
elle-même, mais un bon film ne fait pas forcément une bonne transposition. Le
réalisateur peut prendre beaucoup de libertés car la transposition est surtout une
question d’impressions, de message, de sentiments éprouvés par le spectateur, et non
de détails.
On peut expliquer la magie du roman de Laclos par l’immense domino qui se cache
sous le récit, cette intrigue calculée où chaque élément est cause ou effet d’un autre,
ou rien n’est laissé au hasard. Et comme dans un puzzle, il ne faut pas en perdre une
seule pièce au risque de perdre la force que produisent toutes les pièces réunies. Le
réalisateur est donc, à notre avis, contraint à garder toutes les grandes lignes de
l’intrigue pour pouvoir y rester fidèle. Il faut donc qu’il fasse attention à ne
supprimer aucune des pièces essentielles du puzzle, par contre il peut en rajouter
certaines si celles-ci se fondent suffisamment bien dans l’intrigue de base. Les deux
réalisateurs ont décidé de rajouter la scène du duel, par exemple, pour les raisons que
nous avons évoquées; mais Frears a réussi, car le tout semble réaliste, dans le ton
dramatique, bref cette scène aurait pu être écrite par Laclos, tandis que Forman,
comme nous l’avons souligné plusieurs fois, a choisi de la mettre en scène de
manière comique, ce qui ne correspond plus du tout au ton ni à l’esprit de Laclos. Il
n’est donc pas possible de dire qu’il faut ou que c’est interdit de rajouter une scène,
car cela dépend de la manière dont elle s’intègre au reste de l’œuvre.
D’autre part, nous avons remarqué, au fil de notre travail, que le roman de Laclos
était, par son genre, prédisposé à être adapté. En effet, le roman est d’un genre très
théâtral, une comédie dramatique, avec des personnages à la limite de la caricature,
dans un décor ou la société elle-même est un théâtre d’apparence et d’hypocrisie.
Durant tout le roman, il y a vraiment l’idée d’une scène où se passe l’action officielle,
et puis il y a les coulisses où se cachent les véritables identités de Merteuil et
Valmont et de leurs complots. De plus, le roman épistolaire n’est pas seulement un
mode de narration pour Laclos, mais le cœur même de toute l’intrigue. Les lettres se
transforment en clés, en armes déclenchant les actions. C’est cela qui a permis aux
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réalisateurs de les intégrer beaucoup plus facilement. Evidemment, notre jugement
demeure subjectif mais il est devenu plus sévère après avoir vu l’adaptation de Frears,
qui nous est restée en tête comme un exemple parfait de réussite. C’est à partir de
cette œuvre que nous avons, consciemment ou non, défini quelques critères et jugé
de la réussite des autres œuvres. Nous l’avons donc particulièrement étudiée pour
comprendre en quoi elle était la meilleure. Nous en sommes arrivées à la conclusion
que le côté dramatique est essentiel pour faire passer le message de Laclos. La
comédie donne un ton trop léger, et fait perdre à Laclos la profondeur de sa morale.
Ensuite, l’époque de Laclos est définitivement la seule qui sied à cette histoire. Cela
ajoute un intérêt, car voir un film d’une autre époque est plus captivant et moins
banal. De plus, les thèmes des versions plus modernes, comme le racisme,
l’homosexualité, et même le thème du mariage dans le Vadim, sont intéressants
certes, mais déplacent trop la problématique de Laclos.
Le troisième point essentiel est le choix des acteurs, car ceux-ci doivent être aptes à
jouer avec la psychologie des épistoliers de manières à refléter ce qu’ils sont, comme
le font les lettres dans le roman.
Mais ce que l’on recherche dans une adaptation est la même chose que ce que l’on
espère d’un bon acteur: on attend de tous deux qu’ils retranscrivent à leur manière un
récit pour l’un, et un sentiment par exemple pour l’autre. Cependant, tout comme on
ne doit pas percevoir le jeu d’un acteur lorsqu’il incarne un personnage apeuré, on ne
doit jamais sentir qu’une adaptation en est une. Semblable à la vision d’un livre à
travers l’image, l’adaptation doit nous laisser sentir inconsciemment la présence de
l’œuvre qu’elle transcrit, comme si elle voulait permettre au spectateur curieux de
découvrir cette œuvre tel un marionnettiste caché derrière le rideau et responsable de
tous les mouvements du réalisateur.
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Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
Caroline Jankech et Chloé Traube
8. Bibliographie
J. VINEYARD et J. CRUZ, Les plans du cinéma, les grands effets de cinéma que
tout réalisateur doit connaître, Eyrolles, 2004
J.-M. CLERC et M. CARCAUD-MACAIRE, L’adaptation cinématographique, 50
questions, Klincksiek
J. JEAN, Les Liaisons dangereuses (Balises n°51), France, Nathan, 2002
E. Lièvre, Les Liaisons dangereuses (connaissance d’une œuvre n°22), Bréal, 1998
http://www.imdb.com
http://www.artnet.com/Magazine/features/davis/Images/davis12-22-9.jpg
http://members.iconn.net/~ab234/Plays/Les_Liaisons_Dangereuses/LLDHamptonbio
.html
http://www.lirecreer.org/biblio/comptines/jeanlune/
http://www.paroles.net/chansons/10174.htm
Illustration de la page de titre : MAGRITTE, Les Amants (1928)
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9. Annexes
9.1 Jean de la Lune1
Paroles de Adrien Pagès sur une mélodie plus ancienne d'origine inconnue.
Par une tiède nuit de printemps,
Il y a bien de cela cent ans
Que sous un brin de persil sans bruit
Tout menu naquit
Jean de la Lune, Jean de la Lune !
Il était gros comme un champignon
Frêle, délicat, petit, mignon
Et jaune et vert comme un perroquet
Avait bon caquet,
Jean de la Lune, Jean de la Lune !
Pour canne, il avait un cure-dents
Clignait de l'oeil, marchait en boitant
Et demeurait en toute saison
Dans un potiron
Jean de la Lune, Jean de la Lune !
On le voyait passer quelquefois
Dans un coupé grand comme une noix
Et que le long des sentiers fleuris
Traînaient deux souris
Jean de la Lune, Jean de la Lune !
Quand il se risquait à travers bois
De loin, de près, de tous les endroits
Merles, bouvreuils, sur leur mirliton
Répétaient en rond :
Jean de la Lune, Jean de la Lune !
Quand il mourut, chacun le pleura
Dans son potiron, on l'enterra
Et sur sa tombe l'on écrivit
Sur la croix, ci-gît :
Jean de la Lune, Jean de la Lune !
1
http://www.lirecreer.org/biblio/comptines/jeanlune/
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9.2 A la volette1
Chanson enfantine
Mon petit oiseau
A pris sa volée
Mon petit oiseau
A pris sa volée
A pris sa
A la volette
A pris sa
A la volette
A pris sa volée
Est allée se mettre
Sur un oranger
Sur un o
A la volette
Sur un oranger
La branche était sèche
Elle s'est cassée
Mon petit oiseau
Où t'es-tu blessé ?
Me suis cassé l'aile
Et tordu le pied
Mon petit oiseau
Veux-tu te soigner ?
Je veux me soigner
Et me marier
Me marier bien vite
Sur un oranger.
1
http://www.paroles.net/chansons/10174.htm
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9.3 Extraits
•
Extrait du roman de Laclos : Lettre LXXXIII, de Merteuil à Valmont
« […] Quand je vous accorderais autant de talents qu’à nous, de combien encore ne
devrions-nous pas vous surpasser, par la nécessité où nous sommes d’en faire un
continuel usage ! […] si, au milieu de ces révolutions fréquentes, ma réputation s’est
pourtant conservée pure ; n’avez-vous pas dû en conclure que, née pour venger mon
sexe et maîtriser le vôtre, j’avais su me créer des moyens inconnus jusqu’à moi ? […]
Entrée dans le monde dans le temps où, fille encore, j’étais vouée par état au silence
et à l’inaction, j’ai su en profiter pour observer et réfléchir. Tandis qu’on me croyait
étourdie ou distraite, écoutant peu à la vérité les discours qu’on s’empressait à me
tenir, je recueillais avec soin ceux qu’on cherchait à me cacher. […] Ressentais-je
quelque chagrin, je m’étudiais à prendre l’air de la sérénité, même celui de la joie ;
j’ai porté le zèle jusqu’à me causer des douleurs volontaires, pour chercher pendant
ce temps l’expression du plaisir. […] C’est ainsi que j’ai su prendre sur ma
physionomie, cette puissance dont je vous ai vu quelquefois si étonné. […] Ma tête
seule fermentait ; je ne désirais pas de jouir, je voulais savoir ; le désir de m’instruire
m’en suggéra les moyens. […] J’étudiai nos mœurs dans les Romans ; nos opinions
dans les Philosophes ; je cherchai même dans les Moralistes les plus sévères ce qu’ils
exigeaient de nous, et je m’assurai ainsi de ce qu’on pouvait faire, de ce qu’on devait
penser, et de ce qu’il fallait paraître. […] Mon premier soin fut d’acquérir le renom
d’invisible. Pour y parvenir, les hommes qui ne me plaisaient point furent toujours
les seuls dont j’eus l’air d’accepter les hommages. […] »
•
Extrait du dialogue entre Merteuil et Valmont dans le Frears
– J’aimerais beaucoup savoir ce qui vous a rendu tellement inventive.
– Mais a-t-on le choix si l’on est une simple femme ? Une femme est obligée d’avoir
bien plus de talent que vous, messieurs. Un homme ruine notre réputation avec
quelques petites phrases bien venimeuses, c’est pourquoi j’ai dû inventer la femme
que je suis, et puis surtout des échappatoires inédites pour me garantir contre votre
pouvoir. Si j’ai réussi, c’est parce que je savais que je suis venue au monde afin de
dominer votre sexe et de venger enfin le nôtre.
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Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
Caroline Jankech et Chloé Traube
– Oui… mais par quelle méthode ?
– Quand j’ai fait mon entrée dans la société, j’avais 15 ans. Je savais déjà quel était le
rôle qu’on m’assignait pour le reste de mes jours : me taire et faire ce qu’on
m’ordonnait. Cela m’a permis d’apprendre à écouter, sentir, observer. Oh, je me
moquais bien de ce qu’on me disait ! Cela n’avait aucun intérêt. Mas je m’exerçais à
voir ce qu’on essayait de cacher. Je pratiquais le détachement. J’étais entraînée à
sourire, pendant que sous la table j’enfonçais une fourchette entre la peau et mes
ongles. Je devins très vite une virtuose de l’hypocrisie. Ce n’était pas le plaisir que je
voulais atteindre mais la connaissance. Je consultais d’austères moralistes pour
acquérir le maintien, des philosophes pour apprendre à réfléchir, et des auteurs pour
voir dans leurs romans jusqu’où je pouvais aller. Et tout cela je l’ai distillé en un
unique et merveilleux précepte : vaincre ou mourir, pas d’autre choix.
– Vous êtes infaillible alors.
– Si je veux un amant, je le prends. S’il veut s’en glorifier, il s’y cassera les dents.
C’est là toute l’histoire.
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Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
Caroline Jankech et Chloé Traube
9.3 Fiches techniques
Les Liaisons dangereuses (1988)
Titre original :
Dangerous Liaisons
Réalisateur :
Stephen Frears
Scénario:
Christopher Hampton, d’après la pièce et le roman de Laclos
Producteurs :
Norma Heyman, Hank Moonjean
Photographie:
Philippe Rousselot
Décors :
Stuart Craig
Costumes :
James Acheson
Musique:
George Fenton
Interprètes:
Glenn Close
John Malkovitch
Michelle Pfeiffer
Uma Thurman
Swoosie Kurtz
Keanu Reeves
Mildred Natwick
Oscars:
Norma Heyman, Hank Moonjean (meilleur film)
Christopher Hampton (scénario)
Stuart Craig, Gérard James (direction artistique)
James Acheson (costumes)
Merteuil
Valmont
Tourvel
Cécile de Volanges
Madame de Volanges
Danceny
Madame de Rosemonde
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Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
Caroline Jankech et Chloé Traube
Valmont (1989)
Titre original :
Valmont
Réalisateur :
Milos Forman
Scénario :
Jean-Claude Carrière, Milos Forman, d’après le roman de Laclos
Producteurs :
Michael Hausman, Paul Rassam
Photographie :
Miroslav Ondrìcek
Décors :
Pierre Guffroy
Costumes :
Theodor Pistek
Musique :
Christopher Palmer
Interprètes :
Annette Bening
Colin Firth
Meg Tilly
Fairuza Balk
Sian Phillips
Jeffrey Jones
Henry Thomas
Fabia Drake
Merteuil
Valmont
Tourvel
Cécile de Volanges
Madame de Volanges
Gercourt
Danceny
Madame de Rosemonde
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Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
Caroline Jankech et Chloé Traube
Les Liaisons dangereuses 1960 (1959)
Titre original :
Les Liaisons dangereuses 1960
Réalisateur :
Roger Vadim
Scénario :
Claude Brulé, Roger Vailland, Roger Vadim, d’après Laclos
Producteurs :
Edmond Ténoudji, Les Films Marceau
Photographie :
Marcel Grignon
Décors :
Robert Guisgand
Costumes :
Gladys de Segonzac
Musique :
James Campbell, Duke Jordan, Thelonious Monk
Interprètes :
Jeanne Moreau
Gérard Philipe
Annette Vadim
Jeanne Valérie
Simone Renant
Nicolas Vogel
Boris Vian
Paquita Thomas
Jean-Louis Trintignant
65
Juliette de Mertreuil
Vicomte de Valmont
Marianne Tourvel
Cécile Volanges
Mme Volanges
Court
Prévan
Nicole
Danceny
Les Liaisons dangereuses, du roman aux films
Caroline Jankech et Chloé Traube
Sexe Intentions (1999)
Titre original :
Cruel Intentions
Réalisateur :
Roger Kumble
Scénario :
Roger Kumble, d’après le roman de Laclos
Producteur:
Neal H. Moritz
Photographie :
Theo van de Sande
Décors :
Jon Garry Steele
Costumes:
Denise Wingate
Musique :
Edward Shearmur
Interprètes :
Sarah Michelle Gellar
Ryan Phillippe
Reese Witherspoon
Selma Blair
Christine Baranski
Sean Patrick Thomas
Louise Fletcher
66
Kathryn Merteuil
Sebastian Valmont
Annette Hargrove
Cecil Caldwell
Bunny Caldwell
Ronald Clifford
Helen Rosemond

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