Les Liaisons dangereuses - Gymnase Auguste Piccard
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Les Liaisons dangereuses - Gymnase Auguste Piccard
Gymnase Auguste Piccard 14 novembre 2005 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Travail de maturité présenté par Caroline Jankech, 3M4 et Chloé Traube, 3M2 Sous la direction de Mme Nicole Gaillard Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube Table des matières 1. Introduction ……………………………………………………………. 3 2. Le problème de la transposition …………………………………... 5 3. Les particularités du roman épistolaire ………………………….6 4. Les analyses ……………………………………………………………..8 4.1 L’incipit ……………………………………………………………... 8 4.1.1 Intérêt de la séquence 4.1.2 Délimitation de la séquence 4.1.3 Analyses 4.2 La déclaration de guerre entre Valmont et Merteuil ………… 22 4.2.1 Intérêt de la séquence 4.2.2 Délimitation de la séquence 4.2.3 Analyses 4.3 Le duel ……………………………………………………………..... 32 4.3.1 Intérêt de la séquence 4.3.2 Délimitation de la séquence 4.3.3 Analyses 5. Remarques générales sur les adaptations ………………………. 42 6. Les adaptations modernes ………………………………………….. 46 6.1 Les Liaisons dangereuses 1960 …………………………………. 46 6.2 Sexe intentions ……………………………………………………... 49 7. Conclusions …………………………………………………………….. 51 7.1 Comment transparaît le roman épistolaire dans les adaptations …………………………………………………………. 51 7.2 Conclusion ………………………………………………………….. 56 8. Bibliographie …………………………………………………………... 58 9. Annexes …………………………………………………………………. 59 9.1 Jean de la Lune …………………………………………………….. 59 9.2 A la volette …………………………………………………………. 60 9.3 Extraits ………………………………………………………………. 61 9.4 Fiches techniques ………………………………………………….. 63 2 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube 1. Introduction Comment passe-t-on d’un imaginaire verbal à un imaginaire visuel ? Quels sont les enjeux d’une telle transposition et quels choix cela implique-t-il? Ces questions sont la base de notre réflexion et vont nous aider à déterminer des critères pour juger de la qualité d’une adaptation. Pour y répondre, nous avons choisi le roman de Choderlos de Laclos : Les Liaisons dangereuses. Cette œuvre nous a attirées principalement car c’est un roman épistolaire, ce qui crée une difficulté lors de l’adaptation et attise notre curiosité à découvrir comment les réalisateurs ont relevé cette sorte de défi. De plus, c’est un roman d’une grande puissance la force de ses personnages et l’intensité de son intrigue ont un côté dramatique et théâtral. L’époque à laquelle se déroule cette histoire nous a séduites par son atmosphère, ses décors et ses costumes, mais encore par sa problématique basée sur les valeurs du XVIIIème siècle et les dessous de sa société. L’aspect particulièrement intéressant de cette œuvre est qu’elle a inspiré de nombreux réalisateurs, ce qui nous donne la possibilité de comparer différents processus de transposition et par conséquent d’étayer notre réflexion à ce sujet. Nous avons choisi deux adaptations, probablement les plus importantes et les plus proches du roman de Laclos : Les Liaisons dangereuses, de Stephen Frears et Valmont, de Milòs Forman. Mais ce sera au fil de notre travail que nous nous rendrons compte de la richesse de l’œuvre que nous avons choisie. Nous allons donc commencer par réfléchir aux problèmes généraux que peuvent causer la transposition, puis, plus spécifiquement, aux particularités dues au style épistolaire du roman. Nous définirons ensuite des séquences figurant dans les trois œuvres, qui seront le corps de notre analyse. Notre sélection se fera en fonction de l’importance de l’épisode dans l’histoire, mais aussi de sa réussite en tant qu’adaptation et en tant qu’œuvre cinématographique. Ces séquences devront illustrer les spécificités des personnages, afin de nous montrer comment les réalisateurs les ont perçus dans le roman, puis adaptés. Il en va de même pour les messages qu’a voulu faire passer Laclos et l’esprit de son histoire. Une fois cette 3 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube sélection faite, nous devrons délimiter les trois séquences. Pour ce faire, nous allons tout d’abord nous référer au roman, en regardant le nombre de lettres qui correspondent à l’épisode, puis trouver les séquences correspondantes dans les films. L’analyse des trois œuvres se fera séparément, tout en se basant sur les principales divergences et convergences entre elles. Nous commencerons par celle du livre, car elle nous montrera les principaux éléments à relever ensuite lorsque nous analyserons les films (il ne nous sera en effet pas possible de traiter de tous les éléments). Une fois ces analyses faites, nous discuterons des impressions générales que nous donnent les deux adaptations, afin de faire une comparaison globale. Nous ferons ensuite une synthèse sur la manière dont figurent les lettres dans les adaptations. La dernière question que nous nous poserons sera celle de l’adaptation moderne. Pour cela, nous prendrons l’exemple de Sexe Intentions, de Roger Kumble et des Liaisons dangereuses 1960, de Roger Vadim. 4 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube 2. Le problème de la transposition Il n’est pas difficile de remarquer qu’un livre et un film sont deux objets très différents. Mais il est par contre moins évident de comprendre en quoi le passage de l’un à l’autre n’est pas toujours des plus aisé. Tout d’abord on passe d’un monde verbal à un monde visuel, ce qui suppose que l’on va traiter l’information différemment. Une lecture est une histoire qui se construit au fil des mots, elle a une certaine durée, prend le temps qu’on lui donne et laisse à notre imagination une grande liberté. Il appartient à chacun de se créer des images mentales à partir de ce que les mots évoquent dans notre expérience personnelle. Il y a donc dans un livre non seulement ce que l’auteur y met, que ce soit dans ou entre les lignes, mais aussi tout ce que le lecteur y ajoute. Le lecteur a donc un rôle très actif. Dans un film, par contre, la saisie est immédiate, un flot d’informations déferle rapidement sous nos yeux. Ces informations ne sont que rarement semblables à ce que l’on s’était imaginé en lisant le roman. Il y a souvent de la déception et parfois de la surprise et de la satisfaction. Quoi qu’il en soit, cette vision personnelle du réalisateur nous est imposée. Il n’y a plus autant de place pour l’imagination du spectateur et celui-là est beaucoup plus passif. Mais nous verrons que dans certains cas, le réalisateur arrive à faire participer son spectateur de manière étonnante, ce qui s’avérera être une qualité très appréciable dans une adaptation. D’autre part le réalisateur est confronté à des problèmes d’ordre plus pratique. Tout d’abord le roman de Laclos est long de plus de cinq cent pages, il contient beaucoup d’évènements que le réalisateur va devoir trier. Il doit reprendre les éléments essentiels de l’intrigue pour y rester fidèle, mais aussi tous les aspects qui peuvent donner au film un attrait original, des scènes comiques, tragiques, certains dialogues, etc. Il en est de même pour les personnages: il doit décider lesquels ont plus d’importance, et lesquels sont inutiles. Par exemple Forman a appelé son film Valmont, on peut donc s’attendre à ce que le récit tourne autour de lui. Le réalisateur est bien sûr soumis à des contraintes financières, qui peuvent avoir une grande influence sur la réussite de l’adaptation surtout dans le cas où il faut recréer les décors d’une autre époque. 5 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube 3. Les particularités du roman épistolaire Dans le roman par lettres, le lecteur a accès de manière directe aux confidences des protagonistes, il n’y a pas de narrateur intermédiaire. Ayant l’impression que le personnage se livre à lui, le lecteur s’en sent plus proche et a plus de facilité à s’identifier à lui. Par contre, il n’a pas d’aperçu objectif des personnages, car ceux-ci sont soit décrits par eux-mêmes, soit par d’autres personnages. Il est donc difficile pour le lecteur de se faire une vision réaliste de leur personnalité et de leurs actions. Un même épisode peut être relaté par différents personnages, ce qui oblige le lecteur à se créer une opinion personnelle et à croire une version plutôt qu’une autre. Il est donc assez actif à ce niveau, ce qui ne serait pas le cas s’il y avait un narrateur externe. D’un autre côté, le lecteur est aussi très passif car il vit tout en décalage par rapport aux épistoliers. En effet, soit la lettre évoque un épisode qui s’est déjà produit et le lecteur ne peut que constater, soit il est face au récit d’un projet auquel il ne pourra pas assister et devra se contenter d’en attendre le récit. Mais parfois certains évènements ne sont jamais racontés et alors le lecteur se sent exclu. Le fait que les personnages de l’histoire ne communiquent que par lettres biaise leurs relations. D’une part, il n’y a pas de face-à-face, tout peut être réfléchi avant d’être écrit, ce qui rend les échanges moins spontanés. D’autre part, le fait qu’il est souvent plus facile de s’exprimer par écrit que par oral crée un climat de désinhibition qui favorise les complots. Toutes les paroles et les idées sont radicalisées à tel point que les personnages vont dépasser certaines limites sans s’en rendre compte et ensuite ne vont pas réussir à assumer la portée de leurs mots. De plus, le roman épistolaire donne l’impression que ce sont les protagonistes qui écrivent l’histoire, qu’ils sont autonomes et ont le pouvoir de se dévoiler comme ils en ont envie. Par exemple, à la fin du roman, plusieurs d’entre eux n’écrivent plus, comme s’ils se retiraient de la scène. On ne connaît alors plus leurs opinions et leurs émotions sur ce qui se produit. Cela signifie que dès qu’un épistolier cesse d’écrire, il disparaît de l’histoire; le lecteur se sent alors impuissant. Cette impression dépend aussi du nombre de lettres que le protagoniste envoie et reçoit. Merteuil, par exemple, apparaît comme assez mystérieuse car les autres personnages n’écrivent pas 6 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube beaucoup à son sujet. On ne la voit alors que principalement à travers les lettres qu’elle écrit elle-même. Valmont est par contre un personnage public, chacun écrit toutes sortes de choses à son propos, et tous le voient et le décrivent de manière très différente. On découvre alors « plusieurs Valmont » à travers les différentes correspondances. Par ailleurs, les lettres permettent à Merteuil et Valmont de garder leur liaison secrète, et de communiquer sans jamais se fréquenter en société. Toutes ces caractéristiques développent chez le lecteur une relation particulière avec le récit sous forme épistolaire. 7 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube 4. Les analyses 4.1 L’incipit 4.1.1 Intérêt de la séquence Le début d’une histoire, dans quelque mode de narration que ce soit, est incontournable pour plusieurs raisons. Tout d’abord, la réussite des premiers instants est décisive. L’enjeu est donc de taille pour l’auteur du livre comme pour celui du film. Ils doivent en effet tous deux donner envie au spectateur d’entrer dans l’histoire et d’en découvrir la suite. L’incipit est aussi important parce que c’est une étape dans l’histoire qui est, de près ou de loin, commune entre un roman et ses adaptations puisqu’elle correspond à l’exposition du cadre, de l’intrigue, à la présentation des personnages et des relations entre eux. On peut alors dire qu’il sert à planter le décor, il nous donne un très grand nombre d’informations; dans le cas du film, tant à travers les répliques des personnages qu’à travers les images (jeux de scène, costumes, décors) et dans celui du livre, à travers le récit et les images que le lecteur s’en fait. En outre, nous y voyons déjà exposés les principaux thèmes de l’histoire. Pour toutes ces raisons, nous avons choisi de commencer notre analyse par ce passage-là. 4.1.2 Délimitation de la séquence • Dans Les Liaisons dangereuses, de Laclos L’incipit dans le livre comprend les quatre premières lettres : Lettre I, Cécile Volanges à Sophie Carnay Lettre II, la Marquise de Merteuil au Vicomte de Valmont Lettre III, Cécile Volanges à Sophie Carnay Lettre IV, le Vicomte de Valmont à la Marquise de Merteuil • Dans Les Liaisons dangereuses, de Frears Nous avons délimité l’incipit en partant du générique jusqu’au moment où Valmont sort de chez Merteuil, à la fin de la scène qui se passe dans les escaliers. 8 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube • Dans Valmont, de Forman Dans ce film, l’incipit commence au générique et se termine, selon nous, à la fin de la scène de l’opéra, avec Merteuil et Cécile. Dans les trois cas, nous avons choisi les critères de délimitation suivants: l’incipit devait comporter la présentation des personnages principaux ainsi que celle du cadre, et le lancement de l’intrigue. 4.1.3 Analyses • Laclos Le roman s’ouvre sur une lettre de Cécile. Dès les premières phrases on découvre une jeune fille impressionnée par son arrivée dans la grande société et par sa liberté ; « Maman m’a consultée sur tout ; elle me traite beaucoup moins en pensionnaire que par le passé. » Mais au cours de la lettre, son innocence de jeune fille à l’éducation cloîtrée apparaît à travers un champ lexical de l’incertitude, parsemé de « je crois que », « je ne sais pas», « mais on ne m’a encore parlé de rien ». Cécile réalise qu’elle ne sait pas grand-chose de ce nouveau monde dans lequel elle se réjouissait d’atterrir et porte son innocence comme une honte. Elle semble utiliser les lettres comme un journal intime à qui se confier. L’auteur nous laisse croire, en débutant par cette lettre, que Cécile va être l’héroïne ou du moins l’un des sujets principaux du roman. Mais dès la deuxième lettre, Laclos nous présente un deuxième personnage féminin, bien plus à même de jouer ce rôle. En effet, de par son style élégant et très bien maîtrisé et son contenu peu commun et provocateur, la lettre Merteuil va immédiatement contraster avec celle de Cécile. On passe d’une page à l’autre, d’un personnage passif et ignorant à un personnage phénoménal semblant allier l’intelligence à la maîtrise de tout ce qui l’entoure. Osant utiliser l’impératif à tour de bras, Merteuil va tout simplement ordonner au Vicomte de « venir, avec empressement, prendre mes ordres à mes genoux », et, par ce fait, placer Cécile en position d’objet dans son plan machiavélique. Elle appelle d’ailleurs Cécile « le bel objet » ou en dit « cela n’a que quinze ans », ou encore « l’héroïne de 9 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube ce nouveau roman ». Cette dernière appellation résonne dans la tête du lecteur comme un clin d’œil ironique de Laclos. Cette deuxième lettre est très riche, autant par sa forme que par son contenu. Bien que nous n’ayons aucune description physique de Merteuil, elle nous apparaît facilement à travers sa rhétorique comme une femme puissante, d’une grande élégance et d’un rang social élevé. A travers ses tournures dignes d’une reine capricieuse s’installe une relation de pouvoir dans laquelle Merteuil semble complètement dominer Valmont. Elle use très habilement du langage pour convaincre cet homme de faire ce que bon lui semble et marque nettement son goût pervers pour la vengeance: « …et l’espoir de me venger rassérène mon âme. » De plus, on apprend grâce à cette lettre beaucoup de choses relatives à son passé. Par exemple par cette allusion d’une remarquable finesse: « …vous abusez de mes bontés, même depuis que vous n’en usez plus… », où l’on comprend que Merteuil et Valmont ont eu une liaison ensemble, et par une note de Laclos en bas de page, où l’on nous explique le pourquoi du plan vengeur de Merteuil et le comment de son rapprochement avec Valmont. La troisième lettre ne fait que nous confirmer la personnalité un peu insipide et naïve de Cécile. Fidèle à son style, elle débute par un « Je ne sais encore rien », qui annonce au lecteur que l’ingénue n’a pas encore fait de grandes découvertes. Elle remarque pourtant qu’on l’inspecte comme un objet et qu’elle n’est pas à sa place. Intéressante est par contre la première allusion à Merteuil par Cécile, en tant que parente et amie de la mère. Cécile évoque le fait que, malgré qu’elle l’ait traitée de gauche, celle-ci « paraît même avoir pris tout de suite de l’amitié pour moi ». Cette phrase est annonciatrice de la future relation qui va s’installer entre l’adolescente et son aînée. La dernière lettre clôt l’incipit en nous présentant l’alter ego masculin de Merteuil: Valmont, accompagné par son propre projet diabolique. La lettre de Valmont navigue entre ironie et flatterie dans un style lyrique et très maîtrisé. Il est difficile de cerner le personnage lors de la lecture des premières lignes, mais Laclos précise rapidement à qui le lecteur à affaire. A travers un champ lexical religieux, évoquant Dieu et la foi, Valmont apparaît comme un homme ayant trouvé dans le libertinage 10 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube une sorte de mission religieuse qui lui est destinée. De plus, toute sa lettre est teintée d’un humour un peu sombre, ironique, pervers et calculateur, qui nous trace son portrait. Ensuite, bien que Valmont émette des regrets quant à sa relation passée avec Merteuil, ce qui pourrait nous donner une image positive et humaine de lui, il vire de bord et invoque sa raison d’être, sa mission: « conquérir est notre destin », et l’on découvre à travers son projet un personnage digne d’être le complice et le rival de Merteuil. Il perturbe la relation de pouvoir qui semblait s’instaurer entre eux dans la deuxième lettre. Il amorce en effet le conflit en refusant de manière surprenante d’obéir à Merteuil. Mais il aspire à la même perversion qu’elle, et va la rejoindre dans ses projets dangereux. Laclos prépare donc le lecteur à une sorte de bataille pour le pouvoir entre deux êtres qui semblent n’être jamais à court d’idées machiavéliques. Sur la fin pourtant, Laclos semble révéler le soupçon d’une faille lorsque Valmont dit: « J’ai bien besoin d’avoir cette femme, pour me sauver du ridicule d’en être amoureux ». En effet, l’amour n’a pas sa place dans le libertinage et risque de mener Valmont à sa perte s’il s’y laisse emporter. Les quatre lettres sont datées entre le 3 et le 5 août, l’intrigue démarre donc rapidement. En trois jours, Merteuil et Valmont ont déjà évoqué deux plans, ce qui donne au lecteur « l’impression qui dominera toute l’œuvre: la mise en marche implacable d’une machine infernale, manipulant et broyant les êtres sans atermoiements ni remords. La fermeté des démarches de la Merteuil et de Valmont, la rapidité de leur mise à exécution ne laissent d’office aucune chance aux futures victimes».1 On remarque dès le début à quel point la pluralité des points de vue du roman épistolaire va être une arme imparable dans l’intrigue. Merteuil et Valmont ne vont d’ailleurs communiquer que par lettres pour que leur relation ne soit pas connue du grand monde. De plus Laclos donne à chaque personnage un style de rhétorique qui va lui servir de carte d’identité face au lecteur qui ne bénéficie que de peu de description physique. En outre, Laclos fait un choix audacieux en nous présentant ces trois personnages dans l’incipit, car Cécile apparaît comme prise au piège entre les deux « rapaces » que sont Valmont et Merteuil. 1 J. JEAN, Les Liaisons dangereuses. Balises œuvres n°51, Nathan, 2002. 11 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube On peut conclure que, grâce à l’agencement et au choix des premières lettres du roman, Laclos donne un avant-goût de ce qui va se passer et réussit à intriguer le lecteur. Il offre à son imagination l’idée de futures liaisons dangereuses mises en scène par les deux marionnettistes de talent que sont Merteuil et Valmont. • Frears Ce film s’ouvre sur une lettre à Madame de Tourvel à l’intérieur de laquelle est écrit le titre du film: Les Liaisons dangereuses. C’est là la première apparition des lettres, la première allusion au livre. Le fait qu’elle soit adressée à Madame de Tourvel donne à cette lettre une nuance de mise en garde, en effet elle est la principale victime de l’histoire, victime au point que sa liaison « dangereuse » avec Valmont va la mener à sa mort. Cette allusion se rapporte donc à la fin de l’histoire, elle va intriguer le spectateur. Le second plan est une vue de Merteuil à travers son miroir. Ce reflet dans le miroir a une importance significative. Tout d’abord, et c’est là une nouvelle référence au livre, l’utilisation du point de vue extérieur que peut être le miroir fait écho à celui que représentent les lettres. De plus, le miroir est le symbole d’une duplicité de caractère, le spectateur est donc averti qu’il est face à un personnage à plusieurs facettes, trompeur et manipulateur. Il fait aussi allusion à l’importance qu’avait l’apparence pour la société de cette époque, axée sur le paraître et la reconnaissance sociale. Ensuite le champ s’élargit et nous voyons Merteuil en plan moyen. A voir son attitude, elle a l’air fière, importante et satisfaite par l’image que son miroir lui renvoie. Cependant celle-la n’est que le reflet de l’image qu’elle a envie d’apercevoir. 12 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube Merteuil n’utilise pas le miroir pour se confronter à sa véritable identité mais à celle qu’elle s’est créée. Le réalisateur nous donne ici la possibilité de la surprendre dans un moment très intime, ce qui nous permet de saisir des facettes de sa personnalité auxquelles nous n’aurions pas eu accès autrement. Le troisième plan montre le réveil de Valmont: on voit ses domestiques entrer dans sa chambre puis ouvrir les rideaux afin de laisser entrer la lumière du jour, comme si l’on allumait les projecteurs sur ce nouveau personnage. Cependant il nous faudra attendre encore avant de découvrir son visage. Valmont se laisse désirer aux yeux des spectateurs. On voit tout d’abord sa main, son nez, puis son dos, sa silhouette à contre-jour et enfin son visage recouvert d’un masque qu’il finit par enlever. Ces vues de Valmont sont entrecoupées par des plans sur la toilette et l’habillement de Merteuil. Cette alternance crée une sorte de confusion, mais elle nous montre surtout la similitude entre les deux personnages. On peut aussi remarquer que toute cette scène fait clairement allusion à une préparation au combat, les deux semblent se parer de leur armure. Et non seulement cela, mais en plus, ils apparaissent comme deux acteurs se revêtant de leur costume avant d’entrer en scène1. Durant toute cette séquence la féminité de Merteuil va être soulignée: ses formes, sa grâce, sa sensualité, tous ses apparats font d’elle, à la fin de la préparation, une vraie reine de beauté. Tandis que Valmont semble jouer au macho qui se laisse désirer et fini par nous donner, sur le dernier plan, l’image d’un toréador prêt à entrer dans l’arène. Cette scène va donc nous préparer à un autre genre de combat. En effet une guerre des sexes acharnée va s’établir tout au long du film. Mais c’est surtout Merteuil qui va l’alimenter à travers ses répliques féministes. Elle va, de manière très fidèle au roman, faire comprendre qu’elle ne veut pas se marier, car pour elle cette liaison officielle serait une entrave à sa liberté qu’elle prend tant de soin à préserver2. On verra tout au long du film qu’elle ne supporte pas que Valmont lui donne des ordres et la domine. Elle va tenter de rester impassible à toutes ses attaques et chercher à travers toutes ses actions manipulatrices à garder le pouvoir sur lui. 1 Notons que cette version est largement inspirée par une pièce de théâtre du même titre et par ailleurs du même scénariste. En effet Les Liaisons dangereuses ont été adaptées pour le théâtre par Christopher Hampton en 1985 et il s’est inspiré de sa propre adaptation pour écrire le scénario du film de Frears. Ceci explique la théâtralité du film sur laquelle nous sommes revenues à plusieurs reprises. 2 Cf. Annexe 9.3 13 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube Cette scène se termine par une sorte de champ-contrechamp. On a l’impression que les deux personnages sont sous le même toit et qu’ils se retrouvent face à face, mais cela n’est qu’un effet produit par le montage. Cette illusion fait ressortir la symétrie entre les deux personnages et crée une impression de confrontation, comme si le combat commençait. Toute cette première partie ne comporte que des images, il n’y a aucun dialogue, nous sommes donc face à une description physique qui ne figure pas dans le livre étant donné que les lettres ne permettent pas ou très peu ce mode de description. Cependant, elle nous donne énormément d’informations sur la personnalité de nos deux personnages, informations que l’on peut aussi obtenir grâce aux différents styles d’écriture utilisés dans le livre1. De plus, cette scène nous informe de l’époque, du statut social et du milieu dans lequel les personnages évoluent. Les costumes ainsi que les décors sont luxueux et rappellent l’époque à laquelle se passe l’histoire, c’està-dire la fin du XVIIIème siècle. La troisième scène se passe chez Merteuil qui est en compagnie de Madame de Volanges et de Cécile. On apprend que Cécile sort tout juste du couvent, ce qui est énoncé dans le roman de Laclos dans la première lettre. On annonce soudain la venue de Valmont, ce qui semble créer un froid entre les deux femmes, il y a une confrontation qui est rendue par l’échange « Vous le recevez ? »-« Vous aussi ! ». A ceci s’ajoute le bruit du lustre qu’on lève, qui sonne comme du verre qu’on casserait et qui renforce cette impression de confrontation. Le lustre fait aussi allusion au théâtre, comme si la pièce allait commencer. On met Cécile en garde contre Valmont, puis il entre dans la pièce. Au premier regard qu’il lance à Merteuil, on voit tout de suite qu’ils sont complices. Ensuite il s’approche d’elle pour lui baiser la main, ils sont extrêmement proches, leur attitude très intime nous laisse penser qu’ils ont eu une aventure ensemble. 1 Cf. précédemment dans l’analyse de l’incipit dans le roman, p. 11 14 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube Ils sont interrompus par Madame de Volanges qui a l’air offensée qu’il ne lui ait pas encore prêté attention, mais elle a aussi l’air gênée et mal à l’aise face à lui, d’ailleurs nous apprendrons plus tard que Madame de Volanges et Valmont ont eux aussi eu une aventure ensemble. Ceci est par contre un détail que le réalisateur a pris la liberté d’ajouter car il ne figure pas dans le roman le Laclos. Ensuite on présente Cécile à Valmont. Celui-ci la regarde avec un air gourmand que Madame de Volanges n’a aucune peine à déceler. Elle décide alors précipitamment de s’en aller avec sa fille. Cette réaction nous montre encore une fois une Madame de Volanges différente de celle de Laclos. En effet, elle apparaît très perspicace, alors que dans le roman elle est naïve et ne se rend compte de rien. Elle se montre aussi protectrice envers sa fille, elle cherche à la couver (nous pouvons observer ceci depuis le début de la scène), alors que dans le roman elle lui laisse beaucoup de liberté. Merteuil et Valmont se retrouvent donc tous les deux et celle-ci en profite pour lui faire part de son plan. Pendant qu’elle parle, on voit des images de Cécile sortant du couvent. Ces images sont extrêmement sombres et Cécile est filmée au travers de gros barreaux, comme si on la sortait d’une prison. Cela nous montre qu’elle est pure car elle n’a pas encore été salie par le monde extérieur, elle n’a rien vu. Dans la version de Forman le couvent nous sera montré de manière complètement différente. Il a un air beaucoup plus enfantin, léger. Cependant l’idée de pureté se retrouve aussi. Le futur mari de Cécile a d’ailleurs accepté de l’épouser à la seule condition qu’elle soit vierge. Une fois que Merteuil a fini l’exposition de son plan, Valmont semble aguiché par son idée. Les deux visages sont filmés en gros plan. Ils regardent dans la même direction, au loin, comme si le plan machiavélique s’incarnait sous leurs yeux. Tout est donc mis en place pour nous laisser croire que Valmont va accepter. De plus Merteuil se montre convaincante, on voit qu’elle sait exactement quels mots elle doit utiliser et croit elle-même qu’elle va réussir à le faire accepter. Cependant il refuse, ce qui semble être une surprise pour elle mais en est aussi une pour le spectateur. Elle a l’air frustrée par ce refus, chose dont elle ne semble pas avoir l’habitude. Valmont lui expose alors son projet à lui, qui est de conquérir Madame de Tourvel qui se trouve chez sa tante, Madame de Rosemonde. Ici s’ouvre alors un nouveau 15 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube conflit entre Merteuil et Valmont à propos de la tournure que cette aventure pourrait prendre. Merteuil trouve ce projet peu prestigieux car elle juge trop facile de s’opposer à un mari. Valmont, lui, estime que corrompre une femme vertueuse est une tâche honorablement difficile ; il veut d’ailleurs qu’elle reste cramponnée à ses vertus et à Dieu mais qu’elle ne soit plus capable de dominer son cœur. Il veut la voir trahir tout ce qui est le plus important à ses yeux. Il ajoute à ceci la réplique suivante: « Vous comprenez cela, puisque trahison est votre mot préféré ». On a l’impression qu’il dit cela parce qu’il a remarqué que Merteuil était vexée qu’il refuse: il essaie de la ramener de son côté, de lui montrer que malgré tout ils sont proches et que c’est le genre de choses qu’il peut connaître d’elle. Mais elle lui répond que son mot préféré est cruauté car il est plus noble. Cette réponse semble être faite uniquement par fierté, pour échapper au risque de manquer à son statut de personnage dominant. Ils sortent ensuite du salon et arrivent dans un couloir. Valmont fait des avances à Merteuil, il veut récupérer son titre d’amant auprès d’elle. Ils arrivent ensemble en haut des escaliers et sont encore côte à côte, Valmont semble prêt à tout pour avoir Merteuil et se soumet à elle en lui baisant les deux seins. Ce comportement semble amuser Merteuil qui décide de jouer de cela. Elle le laisse descendre les escaliers et soudain lui dit qu’elle est d’accord d’être sa récompense. Valmont est de dos par rapport à Merteuil, celle-ci ne voit donc pas son visage. Il est filmé en contre-plongée et le spectateur peut apercevoir qu’il est surpris d’entendre que Merteuil est d’accord. Il se retourne et se trouve en dessous d’elle car quelques marches plus bas, ce qui va amplifier l’impression que Merteuil le domine. Elle le met au défi de lui apporter une preuve de la réussite de son affaire avec Madame de Tourvel. Valmont semble trouver ça des plus facile. L’échange se fait en champ-contrechamp ce qui rappelle l’impression de combat du début. Mais Merteuil ajoute que la preuve doit être écrite. Et soudain, un gros plan sur le visage de Valmont nous montre qu’il ne semble plus aussi confiant, mais son orgueil va l’empêcher d’abandonner. Merteuil qui est consciente qu’elle est presque au sommet de sa domination ajoute, avec un sourire qu’elle a du mal à retenir, que si la preuve n’est pas écrite, elle rompt le pacte. Un silence suit, Valmont semble être en train de réfléchir à un moyen de récupérer le pouvoir. Il remonte de quelques marches, et se place dans une posture très étrange, et même un peu ridicule. Il pose une de ses jambes quelques marches plus haut et s’appuie contre le mur. Il pense se mettre ainsi dans une posture alléchante et tente 16 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube peut-être de montrer qu’il s’offre à elle. A cette posture incongrue il ajoute la demande de la possibilité d’une avance. Merteuil, bien qu’elle sache sûrement déjà ce qu’elle va répondre, le laisse languir le temps d’une hésitation. Cette fois son sourire montre qu’elle est au comble de sa satisfaction, elle répond simplement: « Adieu, Vicomte ». Celui-ci se retrouve alors réellement abandonné au plus bas de sa faiblesse. Il garde un sourire aux lèvres, un sourire frustré et assoiffé d’une future vengeance, mais surtout plein d’excitation que cette domination fait naître en lui. Cette idée de preuve écrite est un nouveau moyen que le réalisateur utilise pour rappeler le roman sous forme épistolaire de Laclos. • Forman Le générique commence par une vue du couvent accompagnée par un chant de fillettes 1 : c’est une comptine pour enfants au texte léger. La chanson change au moment où Cécile part rejoindre sa mère et Merteuil qui sont venues pour la sortir du couvent. Il s’agit toujours d’une comptine pour enfant2 avec le même genre de texte léger mais parlant de l’envol, de l’abandon du nid et du mariage, ce qui attend précisément Cécile. Lorsqu’elle aperçoit sa mère, elle court dans ses bras et, à peine leur étreinte terminée, se tourne vers Merteuil qui retire son voile avant que Cécile ne lui coure dans les bras. Ce comportement est quelque peu déroutant car Cécile semble heureuse de retrouver sa mère mais se tourne rapidement vers Merteuil. On peut alors parler d’une substitution de la mère vers Merteuil. De plus, le fait qu’elle retire son voile pour parler à Cécile montre une proximité qui les unit, elle la prend tout de suite sous son aile. On voit qu’elles ont une relation amicale, de confidentes. Elles complotent presque derrière le dos de Madame de Volanges. Cette première scène est une liberté totale que le réalisateur a prise, car dans le livre Cécile rencontre Merteuil pour la première fois uniquement lorsqu’elle est déjà sortie du couvent. La scène suivante montre Madame de Volanges et Merteuil discutant à propos du mariage de Cécile. Merteuil tente de soutirer des informations au sujet de l’identité du mari de Cécile mais n’y parvient pas. Le réalisateur a donc tendu un piège à Merteuil car elle ne sait pas encore que le futur mari de Cécile est en fait Gercourt, son amant actuel. Ce qui va donner lieu à une scène comique dans laquelle Merteuil 1 2 Jean de la lune, cf. annexe 9.1 A la volette, cf. annexe 9.2 17 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube va être présentée à son amant alors que Volanges venait, sans le savoir, de parler d’elle comme d’une amante un peu folle dont Gercourt peine à se débarrasser. Là encore le réalisateur a pris de la liberté par rapport au roman car dans celui-ci elle est au courant de tout. Madame de Volanges, elle, est un peu inquiète car Cécile, ayant passé son enfance au couvent, n’a rien vu. Elle demande donc à Merteuil de l’instruire1. Jusque-là, dans cette histoire, Merteuil nous apparaît comme une femme vertueuse, digne de respect. On voit qu’elle est aussi la confidente de Madame de Volanges. Cela est très semblable au livre car on peut observer que tout au long de l’histoire, Merteuil reçoit un grand nombre de lettres mais en envoie peu. Elle joue donc le rôle de confidente auprès d’un grand nombre de personnes. Cependant elle a tout de même une personnalité très différente de celle de la Merteuil de Laclos. Elle a un air bien moins manipulateur, moins faux. Elle a moins de force et n’apparaît pas aussi intouchable que dans le roman de Laclos ou le film de Frears dans lesquels rien ne l’atteint jamais. La dernière scène de l’incipit se passe à l’opéra; comme dans le film de Frears, on peut voir les lustres qui se lèvent, ceux-ci ont certainement été mis en évidence par les deux réalisateurs par souci de correspondre au mieux à l’époque qu’ils retranscrivent et pour montrer la richesse et le goût de l’artifice de cette société. Le lever des lustres indique aussi le début de la pièce, comme dit précédemment. Cécile et Merteuil arrivent dans leur loge. Merteuil apprend à Cécile à s’éventer, c’est la première fois qu’elle est en possession d’un éventail. Là encore nous avons affaire à un objet présent dans les deux films. Dans celui de Frears, il apparaît au moment où Merteuil, Madame de Volanges et Cécile s’apprêtent à recevoir Valmont. Les deux femmes s’éventent mais Cécile, elle, n’a pas d’éventail. Cet objet pourrait alors être un symbole de féminité ou de maturité mais aussi un objet servant à se protéger, un objet de pudeur. Cela voudrait donc dire que dans le film de Forman, Cécile est en train de passer du statut de petite fille sortant de son couvent, à celui de femme qu’on va marier et qu’elle doit à présent se protéger du regard des hommes. Valmont entre alors dans leur loge, repère tout de suite Cécile et la regarde comme un prédateur lorgnerait sa proie. Cécile un peu gênée et perdue ne sait pas très bien comment réagir face à lui. Merteuil lui enseigne alors quelques règles de bonne conduite. Mais 1 Madame de Volanges dit : « Cécile a tout à apprendre de vous ! J’aimerais qu’elle arrive au mariage avec toute son innocence et un peu de votre sagesse.» 18 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube elle va rapidement se contredire, en lui disant de faire ce qu’elle a envie au moment où Cécile lui demande comment elle est censée agir. Cela est donc contraire au code qu’elle vient de lui décrire et c’est d’ailleurs ce qui, plus tard, va la perdre. Cette erreur n’aurait jamais été commise par une Merteuil chez Frears ou Laclos car, chez ces deux auteurs, Merteuil a une bien trop grande maîtrise d’elle-même pour pouvoir répondre comme elle le fait ici. Durant tout cet échange, il est important de mettre en évidence les regards extrêmement complices qui sont échangés entre Merteuil et Valmont au-dessus de Cécile. Le réalisateur a donc réfléchi très précisément à la construction de l’image et le jeu des acteurs est très contrôlé. Ceci nous montre l’importance de l’aspect visuel, car ici, sans qu’il y ait de dialogue ou de geste, nous apprenons la complicité qu’il y a entre Valmont et Merteuil, le désir que suscite Cécile chez Valmont et la naïveté de cette dernière qui ne voit rien de ce qui se passe au-dessus d’elle. Puis Merteuil et Valmont sortent pour discuter. Merteuil lui dit ne pas toucher à Cécile. Lui a un air gourmand, il aurait bien aimé pouvoir goûter à cette jeune fille. Mais quoiqu’il en soit il a d’autres projets. En effet il est venu annoncer à Merteuil qu’il part chez sa tante, Madame de Rosemonde, et qu’il l’invite à l’y rejoindre. Merteuil rit alors et plaisante à propos de l’âge de celle-ci car elle pense que Valmont ne cherche qu’à faire bonne figure pour pouvoir profiter de l’héritage qui ne saurait tarder. Lorsqu’elle revient auprès de Cécile après avoir quitté Valmont, Merteuil la met en garde contre lui, et lui demande aussi de ne pas dire à sa mère qu’elles l’ont 19 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube rencontré. Elle joue donc de cette complicité qui s’installe de plus en plus entre elles, comme si elles avaient leur petit secret. Cécile lui demande si Valmont est son amant, ce qui semble indigner Merteuil qui lui répond que les veuves n’ont pas d’amant. Cette réflexion est l’indice ultime qui montre au spectateur que Merteuil se donne une apparence de femme vertueuse mais qu’il n’en est en réalité rien. Pour le spectateur qui découvre l’histoire pour la première fois, c’est une sorte de piège. Il est entraîné dans le jeu de Merteuil même s’il peut tout de même avoir quelques doutes à son sujet. Le spectateur connaisseur, quant à lui, est pris à témoin: il est le seul, avec Valmont, à voir le complot que Merteuil est en train de monter. Forman choisit d’organiser le début de son film différemment de Laclos et de Frears. Mais tout comme ceux-ci, il nous fait croire que Cécile sera le personnage principal et s’attarde même à nous montrer son insertion dans la société ce à quoi les autres ne font qu’allusion. Il commence son récit par la sortie du couvent et nous révèle tous les événements dans un ordre chronologique, ce qui facilite la compréhension. Il est important de souligner aussi d’autres différences entre ces deux incipit. Tout d’abord, ils ne commencent pas au même moment par rapport au cours de l’histoire : la version de Forman débute au couvent alors que celle de Frears débute après la sortie du couvent à peu près au même moment que le début dans le livre. Il correspond à peu près à la lettre III du roman car celle-ci parle de la première rencontre avec Madame de Merteuil: « Il faut que cela soit bien vrai, car la femme qui le disait est parente et amie de ma mère ; elle paraît même avoir pris tout de suite de l’amitié pour moi. C’est la seule personne qui m’ait un peu parlé dans la soirée. Nous souperons demain chez elle. » Le film de Frears semble plus correspondre au texte que celui de Forman. En effet celui-ci a rajouté beaucoup d’éléments (comme le couvent, la discussion entre Madame de Volanges et Merteuil, et le théâtre) ce qui facilite la compréhension de l’histoire car tout est plus explicite. Frears au contraire utilise beaucoup d’allusions, ce qui force le spectateur à être actif puisqu’il doit luimême reconstituer des morceaux de l’histoire pour la comprendre. Nous pouvons aussi faire une remarque générale au sujet des personnages: dans l’adaptation de Frears, les caractères sont plus forts, ce qui correspond mieux au roman de Laclos. Le spectateur se fait rapidement une idée sur les personnages alors que ceci est plus difficile dans la version de Forman où ils sont beaucoup plus modérés, moins 20 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube extrêmes. Ce choix peut être dû à plusieurs facteurs: la direction des acteurs, le scénario ainsi que le choix même des acteurs. La demande que Merteuil fait à Valmont de l’aider pour l’affaire Gercourt-Cécile illustre aussi cela car dans le film de Forman l’échange entre les deux personnages est léger alors que dans le celui de Frears ils entrent d’emblée en conflit, comme dans le livre. A ce stade-là nous pouvons donc dire que la version de Stephen Frears correspond mieux au roman de Laclos que celle de Milòs Forman. 21 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube 4.2 La déclaration de guerre entre Valmont et Merteuil 4.2.1 Intérêt de la séquence Nous avons choisi ce passage parce qu’il représente un tournant dans l’histoire étant donné que nos deux personnages qui, jusqu’alors, étaient alliés et amis se déclarent la guerre. C'est un moment charnière, une sorte de déchirement, puisqu’il marque la clôture de tout le processus commencé dans l’incipit et le début du déclin de nos deux personnages. En se déclarant la guerre, ils prennent le risque que leur libertinage soit révélé. Tout le monde croit en effet en l’image de femme vertueuse que Merteuil s’est créée et comme Valmont est le seul au courant, elle court un grand danger. Tous deux se sont mis dans une situation délicate car ils sont des personnages puissants donc capables du pire. Nous avons pu voir tout au long de l’histoire combien ils étaient manipulateurs et sans pitié. Le spectateur est donc tenu en haleine car il se retrouve face à une situation dont il ne peut deviner l’issue, lui qui était déjà en proie à la tension montante du conflit jusque-là. La déclaration de guerre arrive telle une explosion et c’est un épisode crucial dans le déroulement de l’histoire. C’est pourquoi nous avons pensé qu’il serait intéressant d’étudier l’importance qu’il a dans les différentes versions et aussi la violence avec laquelle il est retranscrit. En outre, la manière dont Forman a interprété ce passage nous a étonnées et c’est aussi une des raisons qui nous a poussées à le choisir. 4.2.2 Délimitation de la séquence • Dans Les Liaisons dangereuses, de Laclos Nous avons choisi d’analyser les lettres CLI à CLIII : Lettre CLI, Le Vicomte de Valmont à la Marquise de Merteuil Lettre CLII, La Marquise de Merteuil au Vicomte de Valmont Lettre CLIII, Le Vicomte de Valmont à la Marquise de Merteuil, ainsi que la réponse de la Marquise de Merteuil. • Dans Les Liaisons dangereuses, de Frears La séquence débute lors de l’arrivée de Valmont en carrosse et se termine au moment où Madame de Merteuil dit qu’elle choisit la guerre. 22 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube • Dans Valmont, de Forman Nous avons délimité le séquence en partant de l’entrée de Valmont chez Merteuil alors que celle-ci est dans son bain, jusqu’au moment où il renverse sa baignoire et part. 4.2.2 Analyses • Laclos Dès la quatrième partie du roman, le nombre de lettres échangées entre Valmont et Merteuil a fortement augmenté. En effet, si nous observons l’évolution de leur correspondance, nous pouvons constater que, dans la première partie, ils se sont échangé seize lettres, nombre relativement important mais relatif au fait que c’est le début de l’histoire et qu’ils préparent leurs plans d’attaque respectifs. Puis le nombre de lettres diminue dans les parties suivantes jusqu’à cette dernière partie où ils s’envoient dix-sept lettres alors qu’ils ne s’en étaient échangé que sept dans la précédente 1 . Le conflit qui démarre entre nos deux protagonistes explique cette réduction assez notable. Ils ont instauré une forte concurrence entre eux et se jouent des tours mutuellement: Valmont en rendant Merteuil jalouse de Cécile et Merteuil en utilisant Danceny pour se venger. Le conflit s’installe donc et ne fait qu’augmenter. C’est une sorte de combat verbal, comme un concours de rhétorique. Chacun essaie de se montrer plus fort que l’autre. Ils sont en compétition incessante. La lettre CLI marque le début de l’important crescendo du conflit. Valmont est vexé que Merteuil se soit jouée de lui de la sorte, cependant il ne compte pas se venger. Il veut au contraire lui montrer qu’il est plus fort qu’elle parce qu’il est au courant de tout. Il relance donc le conflit et l’attise même puisqu’il provoque Merteuil; sa lettre a un ton de reproche et elle n’aime pas cela. Elle le lui dira d’ailleurs dans sa réponse. Dans la lettre CLII, Merteuil répond à Valmont de manière très ironique et cela dès la première phrase: « Prenez donc garde, Vicomte, et ménagez davantage mon extrême timidité ! ». Elle joue à la victime et se moque de lui. Son sarcasme est mordant au tout début de la lettre: elle écrit le contraire de ce qu’elle veut dire. Ensuite, elle lui reproche ce qu’il lui a dit dans sa dernière lettre et d’être jaloux de 1 Statistiques recueillies dans Les Liaisons dangereuses, Connaissance d’une œuvre n°22, Bréal 23 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube Danceny et termine par des mots autoritaires, voire agressifs. Elle évite habilement de parler de sa dette en prenant comme prétexte le fait que Valmont a trop changé, qu’elle ne le reconnaît plus et qu’elle aurait l’impression de tromper le Valmont avec qui elle avait fait le pari si elle donnait sa récompense à l’ « autre Valmont »: « Au vrai, vous accepter tel que vous vous montrez aujourd’hui, ce serait vous faire une infidélité réelle. Ce ne serait pas là renouer avec mon ancien amant; ce serait en prendre un nouveau, et qui ne vaut pas l’autre à beaucoup près. »1 Cette fois encore, la provocation est forte et va élever le ton du conflit. La lettre CLIII constitue l’apogée de la discorde et ceci à un point tel qu’il va mener à une explosion. Valmont pose un ultimatum à Merteuil: elle doit accepter de lui donner sa récompense, ou ce sera la guerre (« je serai ou votre Amant ou votre ennemi »). A quoi Merteuil répond : « Hé bien! la guerre.». « Le processus enclenché début août entre Madame de Merteuil et Valmont aboutit à l’ouverture clairement explicitée des hostilités. Entre eux, il n’est plus question ni d’amitié ni d’amour, mais de « guerre ». »2 Elle écrit sa réponse directement au bas de la lettre de Valmont ce qui montre son empressement et sa détermination. D’ailleurs, ces quatre lettres (si l’on considère que la réponse de Merteuil compte comme une lettre) sont échangées en l’espace de deux jours: la première, le 3 décembre 17** et les autres le 4 décembre 17** ce qui indique encore une fois leur détermination et combien ils sont emportés par leur combat verbal. La réponse de Merteuil n’est qu’un exemple supplémentaire de son besoin de dominer. De plus, son orgueil l’empêche d’agir autrement face à Valmont. Elle lui tient tête depuis si longtemps, ce serait ruiner l’image d’elle-même qu’elle a réussi à créer que de se rendre. Elle se retrouve en quelque sorte prise à son propre piège. Elle a sous-estimé Tourvel et l’amour que cette dernière pouvait susciter chez Valmont. Elle s’est rendu compte que Valmont n’était pas son unique adversaire mais que Tourvel et la force de leur amour l’avaient dominée, elle et ses principes. Car même si elle a réussi à persuader Valmont d’interrompre sa relation avec Tourvel, elle n’a pas réussi à éteindre cet amour. Elle n’est donc pas entièrement victorieuse. La seule solution qui lui reste pour sauver son image est de se refuser à Valmont, donnant ainsi l’illusion de lui avoir préféré Danceny. Cet épisode marque donc en quelque sorte le début du déclin de Merteuil 1 2 Extrait de la lettre CLII du roman de Laclos J. JEAN., Les Liaisons dangereuses. Balises œuvres n°51, France, Nathan, 2002. 24 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube car elle est forcée de s’incliner face à l’amour, sentiment qu’elle a toujours essayé de nier. • Frears La séquence commence par l’arrivée de la voiture de Valmont chez Merteuil. C’est le soir, il fait nuit. L’image est très sombre et fait penser à un convoi funèbre. Valmont sort de la voiture et donne ses indications au cocher sur un ton sévère, il a l’air en colère et pressé. Tout se passe très vite. Il entre ensuite dans la pièce où est Merteuil comme s’il était chez lui. Elle est manifestement surprise. Valmont n’ai pas coiffé et a l’air négligé, ce qui donne l’impression que son masque est tombé et qu’il va maintenant lui parler à cœur ouvert. Merteuil, quant à elle, est assise à son pupitre en train d’écrire, éclairée par la lumière d’une bougie. Elle est coiffée, maquillée, porte une belle robe et des bijoux. Le plan évoque une peinture. Cette différenciation par l’apparence nous montre tout de suite que les deux personnages ne sont pas à armes égales. On sait que Valmont vient pour un règlement de compte et qu’il est prêt à tout, même à se dévoiler alors que Merteuil reste impassiblement manipulatrice tant elle arrive à se maîtriser. Ils commencent à se disputer. Valmont lui explique qu’il regrette d’avoir quitté Tourvel et qu’il souhaiterait la reconquérir. Merteuil, elle, est satisfaite car elle a atteint son but qui était de le toucher lui. Ceci marque donc le début d’un conflit dans lequel le ton monte peu à peu et où chacun essaie de se montrer plus fort que l’autre. Entre-temps, Merteuil s’est levée. Ils se retrouvent à présent face à face, puis elle tourne autour de lui l’encerclant tel un animal prêt à attaquer sa proie. Cette impression très visuelle créée par le réalisateur souligne clairement la supériorité de Merteuil. Elle se rapproche ensuite de Valmont pour le provoquer à nouveau. Ce jeu des acteurs fait aussi penser à un combat guerrier où les deux adversaires se cherchent, essayant d’intimider l’autre, avant d’attaquer. Sous la provocation de Merteuil et poussé par la colère, Valmont perd patience et lui crie de faire un sacrifice à son tour en quittant Danceny. Il y a, ici encore, une similitude avec le roman car Valmont ne cherche pas à se venger, il demande seulement qu’ils soient à égalité. Celle-ci lui reproche alors le fait qu’il lui donne des ordres: elle blâme son ton trop marital, comme elle le fait dans la lettre CLII. 25 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube La violence du combat verbal s’amplifie à tel point que Valmont finit par gifler Merteuil. Cet acte ne figure pas dans le livre, certainement parce qu’il est en contradiction avec les codes de comportements de l’époque ce qui d’ailleurs lui donne un effet choquant parce qu’inattendu. Il n’aurait de toute manière pas pu avoir lieu étant donné qu’il n’y a pas de confrontation physique. On pourrait penser qu’il a été rajouté ici car le spectateur n’est pas habitué aux grandes tirades ou aux concours de rhétorique: il réclame de l’action plutôt que des mots. Les dialogues sont incontestablement l’une des grandes qualités de ce film, ce qui nous amène à dire que la gifle sert surtout à marquer le spectateur et à lui faire réaliser ce qui est en train de se produire. Elle illustre en outre la perte de contrôle de Valmont, poussé à bout par Merteuil. Celle-ci, par contre, bien que vexée, reprend vite ses esprits et nargue Valmont de plus belle en lui disant qu’elle ne pourra pas être sa récompense parce qu’elle a prévu autre chose ce soir-là. Mais Valmont qui a tout prévu a déjà organisé une rencontre entre Cécile et Danceny afin que Merteuil ne puisse pas le voir. L’orgueil de Merteuil est piqué à vif, et pour cause elle n’a pas pour habitude qu’un homme la refuse ou qu’un autre décide pour elle. Cette provocation la mène à son tour près de la perte de contrôle, et bien que le spectateur puisse le lire sur son visage, elle parvient à le dissimuler de manière à ce que Valmont ne s’en rende pas compte. Ne parvenant à ses fins, Valmont change littéralement de technique, il prend ses aises (il enlève son manteau) et dit sur un ton insolant et irréfutable: – Dans votre chambre ? Merteuil, étonnée, répond : – Dans… quoi ? – Votre chambre ! À moins que vous préfèreriez que nous renouvelions nos ébats dans l’inconfort de purgatoire de ce canapé ? – Je vous prie de sortir ! – Non, cela est hors de question ! Nous avons conclu un pacte et je ne souffrirai pas que vous abusiez de ma patience un seul moment de plus ! – N’oubliez pas que je suis meilleure que vous à ce jeu-là ! – Peut-être ! Mais ce sont toujours les meilleurs nageurs qui se noient. 26 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube Valmont est profondément énervé, on pourrait même dire qu’il est dans un état de haine car il vient de réaliser que Merteuil est meilleure que lui à ce jeu et qu’elle lui sera toujours supérieure. Il lui propose alors un ultimatum, de la même manière qu’il le fait dans le livre: soit elle accepte, soit c’est la guerre. Merteuil choisit alors la guerre. Durant toute cette scène, nous voyons pour la première fois un Valmont qui ne se contrôle plus. Il passe par tous les états d’âme relatifs à un conflit et illustre parfaitement la manière dont la tension et la colère montent: il s’énerve, pleure, puis la violence physique prend le dessus pour laisser finalement place à la haine. Merteuil, contrairement à lui, reste impassible du début à la fin. Ces différences de caractère et de réactions face à la provocation sont très semblables à ce qu’on trouve chez Laclos. • Forman Valmont arrive chez Merteuil alors que celle-ci est dans son bain. Cela montre qu’ils sont proches car c’est une situation très intime, surtout pour l’époque, et malgré que Merteuil ne porte qu’une légère tunique relevée sur ses genoux, ils ne semblent éprouver aucune gêne. Merteuil commence par remercier Valmont de ce qu’il a fait pour Cécile. Celui-ci change rapidement de sujet et lui annonce qu’il a gagné le pari. Elle en est étonnée et lui demande comment cela s’est passé. Valmont profite de ces instants de confidence et de complicité pour flatter Merteuil et orienter la conversation sur la récompense que Merteuil lui doit. Elle fait l’innocente et affirme que ce pari n’était pas sérieux et que de toute façon Valmont ne serait pas allé au couvent s’il avait perdu. Ils se querellent pour cette raison qui est vile et sans intérêt et il n’y a aucune évolution dans leurs propos, ils essaient juste de se tenir tête mutuellement et de faire abdiquer l’autre, mais ne parviennent qu’à augmenter leur propre agacement. La cause du conflit est ici entièrement différente de celle du roman et de la version de Frears. Cette querelle, qui, nous le verrons, influe pourtant de manière considérable sur l’issue de l’histoire est ici portée au ridicule et abordée avec beaucoup de légèreté. Elle perd donc de son importance. 27 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube Valmont met alors fin à la dispute en disant qu’il ne veut pas perdre son temps à discuter de cela, mais qu’il désire simplement son gage. Merteuil esquive sa requête en lui reprochant de se comporter en époux. Si elle refuse de se remarier, c’est en effet parce qu’elle ne veut pas que l’on puisse avoir le moindre droit sur elle, et elle estime que c’est ce qu’il est en train d’essayer de faire. Ceci est très semblable à la version originale car, comme dans le film de Frears, nous y retrouvons le texte de Laclos. Il est donc intéressant de mettre les deux dialogues en parallèle avec le texte original : « Savez-vous, Vicomte, pourquoi je ne me suis jamais remariée? Ce n’est assurément pas faute d’avoir trouvé assez de partis avantageux; c’est uniquement pour que personne n’ait le droit de trouver à redire à mes actions. Ce n’est même pas que j’aie craint de ne pouvoir plus faire mes volontés, car j’aurais bien toujours fini par là: mais c’est qu’il m’aurait gêné que quelqu’un eût seulement le droit de s’en plaindre; c’est qu’enfin je ne voulais tromper que pour mon plaisir, et non par nécessité. Et voilà que vous m’écrivez la Lettre la plus maritale qu’il soit possible de voir! »1 – Si je n’ai jamais accepté de me marier en dépit de propositions étourdissantes, c’était afin de ne jamais laisser personne me donner des ordres. Adoptez, je vous prie un ton de voix moins… disons marital, cher Vicomte.2 – Voilà que vous vous conduisez tout à fait en époux. Voulez-vous savoir pourquoi je refuse de me remarier? C’est parce que je refuse que quiconque prétende avoir sur moi le moindre droit.3 Nous observons que, dans ces trois versions, Merteuil revendique sa liberté en refusant de recevoir des ordres ou qu’on puisse médire de ses actes. Elle profite de son statut de veuve pour conserver sa liberté, n’être contrainte par personne et avoir des amants. Il était essentiel que ce passage soit transposé dans les films car il est indispensable à la compréhension du personnage de Merteuil et à la raison de son combat acharné contre la soumission. 1 Extrait de la lettre CLII du roman de Laclos Dixit Madame de Merteuil dans Les Liaisons dangereuses, de Frears 3 Dixit Madame de Merteuil dans Valmont, de Forman 2 28 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube A cette réflexion de Merteuil, Valmont répond qu’elle confond pari et mariage et qu’il faut savoir honorer ses paris. Sur ce, Merteuil se lève et va se mettre sur son lit de manière provocatrice et avec un sourire extrêmement évocateur. La façon dont elle est filmée lorsqu’elle sort de son bain est très sensuelle tout comme sa fine tunique rendue transparente par l’eau du bain qui donne l’illusion qu’elle est nue. Valmont qui assiste à tout ce jeu de charme se rend compte qu’elle se moque de lui. Il est vexé par toute cette provocation et ne répond pas aux fausses avances qu’elle lui fait. Il est en effet certain que Merteuil agit méthodiquement et que tous ses gestes sont parfaitement calculés pour agacer Valmont et pour lui faire comprendre qu’elle se moque de lui et qu’il ne doit pas les prendre pour une réelle invitation, message que Valmont a parfaitement perçu. Si, jusque-là, le spectateur pouvait encore douter de l’intension de Merteuil, le fait qu’elle prenne ensuite son livre montre qu’elle se moque ouvertement de lui. D’ailleurs elle se met à rire, voyant l’air affligé et décontenancé de Valmont qui ne sait pas comment réagir, et lui dit qu’il a manqué sa chance alors qu’ils savent tous les deux pertinemment qu’il ne s’agissait pas d’une véritable invitation puisqu’elle ne comptait pas se rendre. On voit donc que Merteuil cherche Valmont, elle veut l’énerver peut-être pour lui montrer qu’elle décide de ce qu’elle veut faire ou non et donc que c’est elle qui a le pouvoir. Elle retourne dans son bain et son intendante entre avec un bouquet de fleurs et une lettre. Merteuil la lit et demande alors à Valmont de partir. Celui-ci n’acceptant plus qu’elle le traite ainsi lui demande à lire cette lettre. Elle refuse et rit, ce qui l’impatiente encore plus. Merteuil le pousse à bout en acceptant de lui donner la lettre mais la trempe dans l’eau avant de la lui tendre… C’en est trop pour Valmont qui est définitivement en colère et prend ce geste pour une déclaration de guerre: il s’approche d’elle et renverse sa baignoire avant de s’en aller. Cet acte rappelle la gifle dans le film de Frears: il montre lui aussi l’apogée du conflit et l’état de Valmont. Malgré son but illustratif, cet acte nous semble ridicule et inadapté. 29 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube Le choix du réalisateur est donc peu compréhensible et ne fait que rendre cette scène absurde et risible. Présenté comme le réalisateur l’a fait, le conflit relève plus de l’enfantillage que d’une opposition d’opinion, de valeurs et de sentiments. Cette déclaration est d’ailleurs très différente de celle des deux précédentes versions. En voici tout d’abord le texte et les dialogues : « Il n’était donc pas ridicule de vous dire, et il ne l’est pas de vous répéter que, de ce jour même, je serai ou votre Amant ou votre ennemi. […] Je vous préviens seulement que vous ne m’abuserez pas par vos raisonnements, bons ou mauvais; que vous ne me séduirez pas davantage par quelques cajoleries dont vous chercheriez à parer vos refus; et qu’enfin, le moment de la franchise est arrivé. Je ne demande pas mieux que de vous donner l’exemple; et je vous déclare avec plaisir que je préfère la paix et l’union; mais s’il faut rompre l’une ou l’autre, je crois en avoir le droit et les moyens. J’ajoute donc que le moindre obstacle mis de votre part sera pris de la mienne pour une véritable déclaration de guerre: vous voyez que la réponse que je vous demande n’exige ni longues ni belles phrases. Deux mots suffisent. » Réponse de la Marquise de Merteuil, écrite au bas de la même lettre: « Hé bien ! La guerre. »1 – Nous avons conclu un pacte, et je ne souffrirais pas que vous abusiez de ma patience un seul moment de plus! 1 Extrait de la lettre CLIII du roman de Laclos 30 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube – N’oubliez pas, je suis meilleure que vous à ce jeu-là. – Peut-être, mais ce sont toujours les meilleurs nageurs qui se noient. Alors, oui ou non? Mais d’abord, Marquise, je me permets de vous faire remarquer qu’un non m’amènerait aussitôt à déclarer une guerre ouverte. Un seul mot est tout ce que je requiers. – Un seul ? A la guerre, je dis oui!1 – Est-ce une déclaration de guerre? – A votre guise.2 Il s’agit dans les trois cas de l’aboutissement d’une colère réciproque qui n’a fait qu’augmenter au cours des dialogues et se terminant par cette sorte d’explosion: la déclaration de guerre. Comme nous l’avons dit précédemment, dans la version de Laclos, il s’agit d’un violent combat verbal qui a très bien été retranscrit dans l’adaptation de Frears dont les dialogues, en plus d’être proches de ceux du romancier, rappellent le texte écrit par leur longueur et leur intensité. La version de Forman quant à elle est différente, tout d’abord parce qu’il n’y a pas la première raison du conflit: Danceny. En effet, c’est comme si Forman avait partagé cet épisode en deux: la déclaration de guerre puis la guerre accentuée par le problème de Danceny qui viendra plus tard. De ce fait, comme nous l’avons déjà fait remarquer, le conflit est beaucoup moins fort et perd de son importance. Le comportement des deux acteurs influe aussi sur le sérieux de ce conflit car si, dans la version de Frears, Merteuil doit se faire violence pour se contrôler et Valmont perd ses moyens, dans la version de Forman, cela se passe différemment: Merteuil se joue de Valmont, elle se moque de lui et lui semble rester impassible jusqu’au moment où il renverse la baignoire, acte qui a plus l’air de marquer sa frustration et son agacement que la haine qu’il paraît éprouver comme dans les déclarations de guerre de Laclos et Frears. Cet épisode qui marque un tournant dans les deux versions, n’a pas un aussi grand impact dans celle de Forman, qui se révèle donc quelque peu décevante. 1 2 Extrait du dialogue entre Merteuil et Valmont dans Les Liaisons dangereuses, de Frears Extrait du dialogue entre Merteuil et Valmont dans Valmont, de Forman 31 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube 4.3 Le Duel 4.3.1 L’intérêt du passage Le duel est un épisode intéressant parce que raconté de manières très différentes aux lecteurs et aux spectateurs des deux films. En effet, Laclos s’abstient de toute description détaillée du combat, ce qui frustre un peu le lecteur mais donne par contre au réalisateur une grande liberté. Une scène de combat est toujours un enjeu important car c’est une occasion pour le réalisateur d’impressionner son public et de lui donner du spectacle. En outre, le duel est un épisode essentiel de l’histoire, dans lequel la mort d’une figure principale va déclencher le déclin tragique de tous les personnages. Toutes ces raisons nous ont poussées à en faire une analyse plus approfondie. 4.3.2 Délimitation de l’épisode • Dans Les Liaisons dangereuses, de Laclos Le duel est principalement évoqué par deux lettres : Lettre CLXII du Chevalier Danceny au Vicomte de Valmont qui précède le duel Lettre CLXIII de Monsieur Bertrand à Mme Rosemonde qui suit le duel. • Dans Les Liaisons dangereuses, de Frears La séquence débute lorsque l’on entend Mme de Merteuil en voix off et que l’on voit Valmont et Danceny sous une sorte de pont, et se termine à la mort de Tourvel, lorsqu’on lui ferme les yeux. • Dans Valmont, de Forman La séquence débute lorsque Valmont arrive dans la clairière où doit se dérouler le duel, et se termine sur un gros plan de l’intendant de Valmont qui regarde l’issue du duel d’un regard effaré. 32 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube 4.3.3 Analyse • Laclos Il est intéressant de constater que le duel n’est mentionné que par deux lettres, dont aucune ne nous offre un récit précis et objectif de la manière dont se sont déroulés le duel et la mort de Valmont. La lettre de Danceny nous informe de manière allusive des raisons qui le poussent à provoquer Valmont. Par ce procédé d’allusion, Laclos rend le lecteur plus actif, car il est le seul à pouvoir lire toute la correspondance, il peut donc reconstituer les lacunes de la lettre et en comprendre les sous-entendus. Par exemple lorsqu’il écrit: « J’ai vu la preuve de votre trahison écrite de votre main », il suffit au lecteur de retourner quelques pages en arrière pour retrouver les lettres CLVIII et CLIX et comprendre que Merteuil, pour se venger, a montré à Danceny la lettre de Valmont. On peut relever aussi, à propos de cette même phrase, que les lettres ne sont plus de simples moyens de communiquer mais deviennent des témoins et donc des armes de vengeance et même de meurtre. Bien que l’on puisse croire que Danceny s’est finalement détaché de l’emprise de Merteuil, il n’en est rien. Encore une fois c’est elle qui a tout agencé. Elle savait à quel point la jalousie qu’éprouverait Danceny face à Valmont déclencherait chez lui une envie meurtrière de vengeance. Valmont a utilisé Cécile pour rendre Merteuil folle de rage1, Merteuil va à son tour envoyer Danceny, son pantin fidèle, combattre Valmont. Dans ce combat par personnes interposées Danceny et Cécile vont se transformer en armes mortelles. La deuxième lettre est celle de M. Bertrand à Madame de Rosemonde. Il est l’intendant de Valmont et c’est la première lettre du roman écrite de sa main. Cette lettre nous fait découvrir un personnage dévoué et admiratif d’un maître qu’il n’a l’air de connaître que pour ses vertus. De plus malgré sa prose remarquable et solennelle, il relate de manière assez ingénue la scène dont il a été témoin. « Il m’a ordonné de me taire; et celui-là même qui était son meurtrier, il lui a pris la main, l’a appelé son ami, l’a embrassé devant nous tous, et nous a dit: « Je vous ordonne, d’avoir pour Monsieur, tous les égards qu’on doit à un brave et galant homme.» Il lui 1 Alors que Merteuil devait passer la nuit avec Danceny, Valmont a organisé un rendez-vous pour que Danceny puisse rejoindre Cécile. Ce qui rend Merteuil jalouse. 33 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube a de plus fait remettre, devant moi, des papiers fort volumineux, que je ne connais pas, mais auxquels je sais bien qu’il attachait beaucoup d’importance. » On peut comprendre, d’après ces quelques phrases, que l’approche de la mort a fait surgir chez Valmont une sorte de sagesse des derniers instants. Le fait qu’il qualifie Danceny de « brave » et de « galant » sous-entend que lui-même ne se considère pas comme tel et qu’il est reconnaissant à Danceny d’avoir abrégé les souffrances de ce personnage qu’il ne pouvait lui-même plus supporter. De plus, « ces papiers forts volumineux », que le lecteur traduit facilement par « la correspondance de Merteuil et Valmont », sont le dernier moyen que Valmont possède pour dénoncer le complot de Merteuil qui l’aura poussé à cette fin tragique. Par cet acte symbolique de transmission de l’unique témoignage du complot, Valmont sauve une partie de son honneur. En donnant sa correspondance avec Merteuil à Danceny, il rétablit la vérité et discrédite Merteuil. Les lettres constituent donc jusqu’à la fin une arme puissante et restent au cœur de l’action du roman. Il est assez frustrant pour le lecteur de lire la lettre de Danceny puis de tourner la page et de se trouver face à l’annonce de la mort de Valmont. De plus, le récit étant fait par un épistolier jusque-là inconnu du lecteur, celui-ci se sent comme soudain exclu, privé d’une partie de l’histoire, d’une justification de la mort du personnage. Comme nous l’avons vu dans l’incipit, le lecteur est habitué dès les premières lettres à connaître les projets et les manigances des épistoliers. Dans le cas du duel, ni Danceny ni Valmont n’écrivent leurs réelles intentions, et il n’y a aucun récit par Danceny du déroulement du duel. Laclos prive donc bien consciemment le lecteur d’une description des faits. Mais pourquoi ? On peut tout d’abord remarquer tout au long du roman que Laclos s’attarde rarement sur des descriptions; en effet il serait peu vraisemblable que les épistoliers en fassent de longues. Ils utilisent les lettres pour communiquer et non pour le plaisir d’écrire. Le flou que laisse Laclos sur cet épisode permet au lecteur d’imaginer un récit plus exaltant. Peut-être Laclos a-t-il voulu choquer le lecteur et le surprendre en le mettant à la hauteur des épistoliers. En effet, le lecteur n’a été averti de ce qui allait se produire d’aucune manière, il n’est donc pas préparé par une connaissance antérieure de ce qui va se produire. Grâce à ce procédé, le lecteur se met plus facilement à la place des épistoliers et ressent donc les événements avec plus d’intensité. C’est alors comme un coup de couteau pour le 34 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube lecteur lorsqu’il apprend la mort de Valmont à travers la lettre que reçoit Madame de Rosemonde. Comme si Laclos tentait de le marquer par cet épisode pour lui montrer le danger réel des liaisons, il veut lui faire comprendre qu’on ne peut pas prévenir ni guérir mais qu’il faut tout simplement éviter le libertinage. Dans cette absence de récit il y a donc une réelle mise en scène de Laclos pour faire passer son message. • Frears La séquence débute par un plan en plongée de Danceny et Valmont se préparant au combat; ils sont sous un pont sombre qui contraste avec la blancheur de la neige. La voix off de Merteuil explique la raison du duel. Tout comme dans le livre, il est provoqué par le fait que Merteuil révèle à Danceny que Valmont est l’amant de Cécile et qu’il la manipule. De plus la voix off commence par « mon cher petit Danceny », soit comme le début d’une lettre. Cela symbolise aussi très bien le fait que Merteuil contrôle tout ce qui se passe et nous rappelle qu’elle est responsable du conflit entre Valmont et Danceny. Ensuite, un travelling nous fait descendre sous le pont où les deux protagonistes ont commencé le combat. Filmés en champcontrechamp, ils semblent se battre avec ardeur. Pourtant Valmont ne tente pas vraiment de tuer Danceny malgré les diverses occasions qui s’offrent à lui. Après quelques instants par exemple, Danceny se retrouve à terre face à Valmont debout, leurs regards se croisent, la pointe de l’épée de Valmont effleure le torse de son adversaire. Il ne suffirait que d’un geste pour en finir, mais Valmont détourne le regard et l’image de Tourvel et lui-même faisant l’amour lui revient en flash-back et le déstabilise. Le spectateur n’aperçoit pas Tourvel de face mais la devine clairement. Ensuite le duel sera entrecoupé par une scène se déroulant simultanément. Pour souligner le parallélisme évident entre les destins de Tourvel et Valmont, Frears nous montre, en alternance avec le combat, la lente agonie de la jeune femme. Il filme les Volanges, mère et fille, allant voir leur amie mourante. Celle-ci leur dit: « Je meurs parce que j’ai refusé de vous croire ». Merteuil n’a donc pas manqué sa cible. Cette phrase fait (comme dans le livre)1 écho à celle, quelques scènes auparavant, où elle disait si bien: « Parce que lorsqu’une femme décoche une flèche au cœur d’une autre elle ne rate jamais son coup. Et la blessure est évidement fatale.» 1 Cette phrase est d’ailleurs tirée de la lettre CXLV de Merteuil à Valmont : «Ah ! croyez-moi, Vicomte, quand une femme frappe dans le cœur d’une autre, elle manque rarement de trouver l’endroit sensible, et la blessure est incurable. » 35 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube Le parallélisme entre Valmont et Tourvel se renforce encore plus lorsque l’on voit Valmont saigner du bras, puis tout de suite après Tourvel se faisant appliquer des ventouses jusqu’au sang, comme s’ils se retrouvaient dans la souffrance que leur histoire a provoqué, et que le mal que ressentait l’un touchait l’autre et vice versa. L’amour qu’ils éprouvent les tue petit à petit: Valmont, parce qu’il en a eu honte et qu’il s’en est débarrassé, et Tourvel parce qu’elle s’est fait rejeter. Ensuite, les gémissements de souffrance de Tourvel se prolongent sur de nouvelles images du duel et se confondent avec la respiration saccadée de Valmont. Un nouveau flashback s’empare de Valmont. Cette fois-ci, il dure plus longtemps et l’on distingue clairement le visage de Tourvel. Ce plan est coupé par un autre de Tourvel de nouveau au couvent, une lame lui taillade le bras et fait apparaître une ligne de sang semblable à la trace d’un coup d’épée. Le contraste entre ces deux derniers plans est très frappant et symbolise le fait que la dangereuse liaison qu’entretenait Tourvel avec Valmont a amené celle-ci vers la souffrance et enfin vers la mort. Comme si le lien de causalité était évident. Après cela, la caméra revient au duel. Valmont et Danceny s’essoufflent. Valmont semble avoir été perturbé par les images de son amour perdu. Après quelques derniers coups d’épée, il profite d’un instant où Danceny est à terre pour aller s’appuyer de profil contre le mur. La caméra le filme droit dans les yeux, mais il regarde dans le vide. Valmont semble assailli par de nouvelles pensées concernant Tourvel, mais cette fois le flash back n’est que suggéré. 36 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube Comme s’il ne pouvait plus supporter le poids de sa propre personne, Valmont semble prendre une décision. Il ouvre petit à petit les doigts qui retiennent son épée et, après une dernière hésitation, la lâche et se retourne vers Danceny, se donnant à l’ennemi. A ce moment-là, Danceny qui semble ne pas avoir vu que son adversaire a lâché son arme croit à une nouvelle attaque et enfonce violemment son épée dans le ventre de Valmont qui l’enfonce lui-même encore plus. Valmont aura donc bien réussi à déguiser son suicide. Dans un cri désespéré il tombe à terre. Son regard s’anime successivement de peur, puis de sagesse. Une sagesse qui lui fait refuser le chirurgien. Il veut mourir. Le doux chant des oiseaux a disparu pour faire place à des corbeaux croassant au dessus de son corps étendu sur la neige. Après avoir conseillé à Danceny d’éviter Merteuil, Valmont lui tend un paquet de lettres ensanglantées qu’il sort de son gilet. Ce geste entre les deux hommes est très symbolique. Le sang sur les lettres nous rappelle que la correspondance de Valmont avec Merteuil ainsi que tous les plans machiavéliques qu’elle contenait sont la cause de sa mort. De plus, le lien qui se crée entre les deux « hommes jouets » de Merteuil lorsqu’ils tiennent ensemble l’unique preuve de la culpabilité de celle-ci apparaît comme une alliance du dernier instant. Ce geste est aussi la dernière chance pour Valmont d’amoindrir sa culpabilité et donc de sauver une partie de son honneur. Ensuite, Valmont prie Danceny d’aller trouver Tourvel pour lui dire à quel point il l’a aimée et qu’il ne sait pourquoi il l’a quittée. Des larmes coulent sur son visage. 37 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube Ces larmes anticipent celles qui couleront sur celui de Merteuil dans la dernière scène du film, comme des preuves de leur vulnérabilité et de leur déclin. Frears réussit à éveiller la compassion du spectateur. Valmont est pour une fois sincère et révèle un peu de son humanité. Le masque est tombé. Il dit ensuite: « J’ai enfoncé l’épée encore plus profondément que vous ne l’avez fait, aidez-moi à ôter cette lame de mon cœur ». Preuve de son suicide et somptueux jeu de mot, cette phrase inventée de toutes pièces par Frears perturbe le scénario original de Laclos. En effet dans le roman, il n’y a aucune mention du suicide et Tourvel meurt sans avoir su ce que ressentait Valmont. Dans le film, Valmont contrôle son personnage jusqu’à la fin. Bien que poussé à bout par Merteuil, c’est lui qui accomplit le geste fatal qui le libère de sa souffrance et de l’emprise que Merteuil a sur lui. De plus, l’amour l’emporte puisque Tourvel meurt après avoir entendu ce que Danceny devait lui transmettre. Valmont et Tourvel se sont donc retrouvés dans la mort, finalement unis. Tandis que Laclos établit un scénario bien plus tragique faisant fortement penser à la méprise fatale qui conclut Roméo et Juliette. Valmont et Tourvel sont passés l’un à côté de l’autre jusqu’au bout. Et leur amour n’a rien sauvé de leur triste destin. Le message contre le libertinage est plus puissant car même l’amour est incapable de le contrer. Il y a donc dans le film un changement de scénario qui répond peut-être plus à l’attente du public. Le spectateur est en effet satisfait de voir l’amour triompher et Tourvel mourir d’amour plutôt que de désespoir. Il est aussi satisfait de voir un duel riche en spectacle et d’une technique impressionnante. Il y a donc des enjeux différents dans les deux œuvres. Après cette parenthèse d’une importance considérable, revenons à l’analyse. Nous en sommes restés à l’agonie de Valmont. Danceny accepte d’aller transmettre sa déclaration à Tourvel. Puis Bertrand, l’intendant de Valmont, dit à Danceny: « C’est un peu tard pour regretter ». Comme dans le récit de Laclos, Bertrand croit en la bonté de son maître, il est à ses côtés sans forcément voir le jeu libertin que mène habilement celui-ci. Valmont ajoute que la cause de Danceny était digne d’un homme et que personne ne pourrait jamais en dire autant de lui-même. Cette conscience des derniers instants touche encore plus le spectateur, l’émotion est à son comble et Valmont devient une sorte de martyr. Sa tête se tourne, ses yeux se ferment. Un travelling semblable à celui du début de la séquence nous éloigne de ce 38 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube corps maculé d’un sang dont le rouge contraste très fortement avec la pureté de la neige. La boucle est bouclée, comme si le réalisateur décidait de nous éloigner à jamais de ce personnage auquel il avait fini par nous attacher. Mais avant de terminer cette séquence, il nous laisse quelques secondes devant ce plan en plongée, dans un silence de deuil. Danceny et Bertrand entourent le corps, l’image est très belle, elle fait penser à quelque chose mais ce quelque chose est indéchiffrable. On y perçoit trois couleurs, du noir, du rouge, du blanc mais celles-ci ne s’assemblent pas et laissent apparaître une image dénuée de sens et de logique. Comme pour illustrer l’incompréhension du spectateur devant cette machine infernale que la raison n’a pas pu arrêter. Le réalisateur a réussi encore une fois une mise en scène d’une beauté qui marque les esprits. Un morceau de harpe débute et va suivre Danceny à travers la séquence suivante lorsqu’il se dirige d’un pas décidé vers Tourvel. Ce lien mélodique se poursuit alors que Danceny parle à l’oreille de Tourvel. Le réalisateur a coupé le son du dialogue, ce qui est très astucieux car d’une part le spectateur peut assister à la scène sans devoir réécouter un texte qu’il vient d’entendre, mais en plus cela lui permet d’être beaucoup plus attentif à l’image et à la tristesse de ces instants. A l’arrière-plan les Volanges assistent à la scène. Elles sont semblables à deux statues, immobiles et inexpressives comme deux figurantes. Cela nous rappelle à quel point elles ont été impuissantes dans l’histoire entre Tourvel et Valmont et symbolise aussi le fait que 39 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube leur naïveté les a toujours éloignées de la réalité. La souffrance de Tourvel devient insupportable et elle finit par dire: « Assez ». Les rideaux une fois tirés, ne nous laissent apercevoir que l’ombre de son corps qui se convulse une dernière fois. Tourvel meurt et la harpe cesse. Malgré un changement de décor, le réalisateur a réussi à harmoniser, grâce à la musique, la transition des plans à tel point que la mort des deux amants est montrée comme un enchaînement évident. De plus, le spectateur, tenu en haleine sans interruption, a l’impression de suivre en temps réel les événements et les perçoit à travers les yeux de Danceny. La séquence se termine par le plan dans lequel les bonnes sœurs ferment les yeux de Tourvel. Toute cette séquence est impressionnante, tant par la qualité de l’image que celle de la mise en scène, de la musique ou du jeu des acteurs. Rien n’a été laissé au hasard. • Forman La version du duel de Forman est très particulière: par sa mise en scène qui en devient comique, elle contraste beaucoup avec la version tragique et cinglante de Frears. La séquence commence par l’arrivée de Valmont, affalé sur son cheval, encore soûl du soir précédent et accompagné de trois paysans en guise de témoins choisis au hasard dans une auberge. Danceny au summum de son sérieux, tente de lui éviter le pire en refusant de combattre avec lui. Son intendant tente de mimer un oui du bout des lèvres, mais Valmont a l’air bien décidé et surtout inconscient. D’ailleurs il répond avec ironie et insolence: « Et que proposez-vous ? Un duo de harpe ? ». Il y a donc une représentation très contrastée des deux personnages qui s’installe dès le départ. Danceny, honnête et élégant, domine la situation et Valmont, pathétique, vulgaire et comique semble soumis à sa propre bêtise. La scène est filmée dans une clairière, comme dans le livre, mais le soleil brille, les oiseaux chantent et il n’y a pas de trace de l’hiver. La musique de fond est elle aussi plutôt joyeuse, ce qui rend l’ambiance beaucoup plus légère, presque gaie. Valmont, déjà peu crédible à son arrivée, ne fait rien pour améliorer sa situation: il présente ironiquement ses témoins comme des ducs et des barons. D’ailleurs tout est mis en scène pour le tourner au ridicule, personne ne semble croire en lui, ses témoins et son cheval fuient. Seul son intendant reste, mais quelques gros plans sur son visage nous font comprendre à quel point son maître le désespère. Tout particulièrement, celui dans lequel il fait une grimace désapprobatrice à la vue d’une technique de combat qui semble ne pas être 40 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube très convaincante. Les interactions entre Valmont et son intendant rappellent un duo maître-valet à la Molière. A partir de ce point, la situation devient réellement comique, le duel n’est plus du tout sérieux. Valmont s’élance sur Danceny et tente quelques coups d’épée peu spectaculaires. Forman semble avoir choisi d’exclure l’idée d’une scène de combat prenante, impressionnante et pleine de suspens. En donnant cet aspect comique au personnage de Valmont, Forman s’éloigne du pervers manipulateur de Laclos qui garde toujours le contrôle de la situation. La séquence se termine par un gros plan sur l’intendant de Valmont qui se cache les yeux avec ses mains, le bruit des épées qui s’entrechoquent s’arrête soudain, et ses mains glissent le long de son visage pour laisser découvrir au spectateur un visage effaré qui ne présage rien de bon. Seul persiste, de manière plutôt ironique, le chant imperturbable des oiseaux. Comme Laclos, Forman ne laisse pas le public découvrir l’issue du combat, mais la transmet par l’entremise de l’intendant de Valmont. Il faut en effet attendre la séquence suivante pour apercevoir la calèche funèbre qui transporte le corps de Valmont. Non seulement cette transition rappelle de nouveau fortement Laclos qui passait de la convocation au duel à l’annonce de la mort de Valmont, mais elle rappelle également la frustration ressentie par le lecteur qui n’a pas droit à l’issue du combat. L’abstention de Laclos n’est pourtant pas aussi conséquente que celle de Forman, car le spectateur attend plus l’issue spectaculaire d’un combat à l’épée que le lecteur n’en attend la description. Ce choix de Forman était donc très risqué. Pour nous il n’est d’ailleurs pas très convaincant, la scène est digne d’un téléfilm médiocre. L’image n’est pas soignée, contrairement au film de Frears dont chaque plan semble être une œuvre d’art soigneusement composée. Il manque de la profondeur et le tout n’est pas très réaliste. 41 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube 5. Remarques générales sur les adaptations Il découle des observations que nous avons faites tout au long des analyses, que le film de Frears est mieux réussi que celui de Forman. En effet, le film de ce dernier est distrayant, c’est pourquoi il nous laisse une première impression très positive; cependant, une fois qu’on le regarde de plus près, on réalise qu’il manque de profondeur. Son aspect comique qui est à première vue plaisant le rend en fin de compte ridicule. Forman a même rajouté certaines scènes pour renforcer cet aspect burlesque, notamment la première rencontre entre Tourvel et Valmont (lors de la scène où il est sur la barque), la scène où il renverse la baignoire de Merteuil ou encore le duel. On peut donc reprocher à ce film sa légèreté qui lui donne des airs de comédie alors qu’il devrait plutôt s’agir d’un drame. Par ce fait, ce film est moins marquant que celui de Frears qui, lui, possède une force, une violence qui le rapprochent de la tragédie. Par ailleurs, on peut remarquer que les deux réalisateurs ont des buts différents: Forman s’applique simplement à retranscrire des évènements tandis que Frears va plus loin en cherchant surtout à véhiculer le message de Laclos. Il en reste plus proche même si, pour cela, il doit parfois s’éloigner des faits. Le choix des acteurs est capital car il a une influence sur l’histoire et la manière dont le spectateur la perçoit en plus de déterminer sa qualité. C’est pourquoi il nous a semblé important de comparer les deux films sous cet angle: - Merteuil est incarnée, dans la version de Forman, par une femme jeune ce qui ne correspond pas à l’image que l’on pourrait se faire du personnage de Laclos, car cela rend peu crédibles l’admiration que Valmont lui porte et le fait que Madame de Volanges s’en réfère à elle pour l’éducation de Cécile. De plus, elle affiche des traits doux, un air souriant et aimable qui nuisent à sa singularité, et à son côté impressionnant et respectable. D’un point de vue uniquement physique, Madame de Volanges correspondrait presque mieux au personnage de Merteuil. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’au départ, l’actrice souhaitée pour le rôle de Merteuil était Michelle Pfeiffer qui n’a pas pu, étant donné qu’elle avait déjà accepté le rôle de Tourvel dans le film de 42 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube Frears1. Dans le film de Frears, Merteuil est plus âgée, elle a le visage marqué par l’expérience et ses traits durs lui donnent un air sérieux, important, dominateur et sûr d’elle. Ils illustrent sa force de caractère. Son élégance, sa tenue et sa maîtrise d’elle-même imposent le respect. - John Malkovitch semble avoir été un choix parfait pour le personnage de Valmont: il est à la fois séduisant et obséquieux, et son regard pervers sied exactement à son rôle d’homme charmeur et cruel à la fois. De plus, son air si sûr de lui et prétentieux nous donne l’impression qu’il est sérieux et qu’il maîtrise tout alors qu’en fait il est très irréfléchi et impulsif. L’acteur incarne donc parfaitement l’ambiguïté et le cynisme du personnage de Valmont, tel qu’il est décrit dans le roman. Le Valmont de Forman, lui, est trop comique. Il est un peu enfantin, aime se donner en spectacle, mais ne fait qu’amuser la galerie plutôt que de séduire. - Dans le film de Frears, Tourvel est une belle femme aux traits peu marqués. Elle a l’air d’une poupée qui laisse transparaître une grande fragilité et son apparence de femme pure lui donne l’aspect d’un petit ange qu’il faudrait corrompre. Elle représente donc bien le personnage créé par Laclos, contrairement au film de Forman où Tourvel n’est pas assez belle, ni assez séduisante pour que Valmont soit attirée par elle (en effet on demande au personnage de Tourvel d’être une femme qui séduit malgré elle, sans artifice). Par ailleurs, son jeu laisse à désirer. - Cécile est très bien interprétée dans la version de Frears car elle a cette gaucherie naturelle qui caractérise le personnage de Laclos. Elle est aussi assez âgée pour incarner la jeune fille entre l’adolescence et l’âge adulte, contrairement à l’actrice du film de Forman qui n’est encore qu’une enfant. - Danceny lui aussi est trop jeune dans la version de Forman, ce qui rend son amour pour Cécile qui semble si profond, sa relation avec Merteuil et le fait qu’il puisse tuer Valmont invraisemblables. En ce qui concerne le Danceny 1 Information recueillie sur www.imdb.com 43 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube de Frears, il est difficile de déterminer s’il s’agit d’un adolescent ou d’un homme. Ce qui correspond une fois de plus au roman de Laclos car il suit dans ces deux versions la même évolution: au début il est encore jeune et facilement manipulable, mais, au cours de l’histoire, il prend de l’assurance et finit par avoir le courage d’agir. - Madame de Volanges, quant à elle, est moins adaptée, aussi bien dans la version de Frears que dans celle de Forman, non pas du point de vue de l’actrice mais du point de vue de son jeu. Dans le film de Frears, elle n’est pas assez innocente et dans celui de Forman, le fait qu’elle cède sa place à Merteuil n’est pas très justifié. Le choix des acteurs est bien meilleur dans la version de Frears que dans celle de Forman, non seulement du point de vue de leur correspondance avec les personnages du roman mais aussi par le simple fait que d’un point de vue cinématographique ils sont de grande qualité. Il en va de même pour les costumes: on voit que, dans le film de Frears, de gros moyens ont été déployés pour être fidèle à l’époque et pour créer un beau spectacle. Le film a d’ailleurs reçu un oscar pour ses costumes. Ceux de Forman semblent, eux, un peu décalés par rapport à l’époque décrite par Laclos. Il n’y a du reste pas non plus d’unité entre les costumes des personnages de ce même film. Du point de vue des dialogues, on peut remarquer que Frears a réussi à garder l’idée de beaux dialogues et des effets de rhétorique de l’époque, soit en créant des phrases de ce style-là lui-même, soit en reprenant celles de Laclos. Ces efforts de langage, choses dont Forman ne s’est pas du tout soucié, donnent un aspect très théâtral au film. Cet aspect théâtral est donc très présent dans l’œuvre de Frears. Tout d’abord, à la manière dont l’histoire commence: Valmont et Merteuil se préparent, comme des acteurs dans leur loge, puis vient l’histoire qui se termine tragiquement, et enfin le film se termine par Merteuil qui se démaquille, comme après le spectacle. De plus, comme nous l’avons déjà mentionné, Christopher Hampton s’est inspiré de sa propre 44 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube adaptation pour le théâtre pour écrire le scénario du film, ce qui explique en partie la mise en scène et l’aspect théâtral du film. La mise en scène de Frears est aussi remarquable par l’expression corporelle des acteurs, toujours en accord avec ce qu’ils disent que ce soit du point de vue de la direction de leurs regards ou de leur position dans la pièce: tout semble étudié, contrairement à la version de Forman qui donne l’impression d’être faite au hasard. Le film de Frears laisse alors une impression de grand cinéma tandis que celui de Forman rappelle plus le téléfilm. Enfin, la version de Frears est très proche du roman de Laclos car dans les deux cas le spectateur est actif. Ceci est dû au fait que les deux auteurs nous laissent reconstituer certains morceaux de l’histoire, il y a beaucoup d’éléments implicites contrairement à la version de Forman où tout est clairement explicité. Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons pas reprocher à Forman de ne pas être fidèle à Laclos car il ne le prétend pas, il ne fait que dire qu’il s’en est inspiré. 45 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube 6. Les adaptations modernes 6.1 Liaisons dangereuses 1960 Cette version est la première adaptation moderne du roman de Laclos. Elle est aussi la plus surprenante. En effet, elle n’est pas seulement transposée à l’époque de 1960 mais aussi transformée. Le changement le plus conséquent est le fait que Merteuil et Valmont soient mari et femme. Ce lien change considérablement les choses, car dans le roman de Laclos, le mariage et l’aveu d’un amour réciproque étaient impensables et contraires à toute la philosophie des deux protagonistes principaux. Dans le roman, Merteuil aurait tout fait plutôt que de se marier, car cette décision aurait signifié pour elle être dominée et contrôlée, ce qui est contraire à sa conception féministe. Valmont n’aurait pas non plus supporté ce lien trop officiel qui aurait porté atteinte à sa réputation de Dom Juan. Tout deux répètent sans cesse que conquérir est leur destin, se marier va donc à l’encontre de la définition même du libertinage. Il est difficile de comprendre pourquoi le réalisateur a fait ce choix. Peut-être paraissait-il plus réaliste par rapport aux mœurs de cette époque d’être marié et d’avoir des amants que d’être deux célibataires allant d’aventures en aventures. En effet, Merteuil se cache très bien derrière son rôle de femme fidèle, et Valmont profite de son état d’homme marié pour lui faire croire qu’elle est l’élue et que les autres ne sont que des plaisirs éphémères. Leur couple semble être connu et apprécié de tous, ils apparaissent comme deux complices. Ils rient fort de leurs messes basses, complotent, sont toujours élégants, enviés de tous. Ils ont l’air indestructibles et persuadés que leur couple est mené de la meilleure des façons. Ils se comparent d’ailleurs fièrement à tous ces couples fidèles qui finissent par divorcer. Vadim dénonce donc l’erreur qui mène à penser que le libertinage est un moyen de faire survivre son mariage, ce qui n’apparaissait évidement pas dans le roman de Laclos. D’autre part, Valmont est mis au centre de la scène. On le suit dans son épopée et Merteuil n’apparaît que ponctuellement pour lui rappeler qu’il est marié et réparer ou arranger les obstacles de parcours. Même si c’est elle qui lance Valmont dans le défi de séduire Cécile, elle se fait rapidement dépasser par sa propre entreprise et perd le contrôle de la situation. Nous nous retrouvons face à une Merteuil jalouse, 46 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube amoureuse, est dominée. Ce qui, encore une fois, est loin de l’image de Merteuil dans le roman, qui se contrôle dans les moindres détails et ne laisse pas transparaître le moindre sentiment. Valmont se rend peu à peu compte de son amour profond pour Marianne, et même si il la quitte, contraint par les ordres de sa femme, il s’est avoué cet amour. Comme dans le roman de Laclos, c’est une nouvelle défaite pour Merteuil. Dans cette adaptation, on peut remarquer que Cécile est la nièce de Valmont et surtout qu’elle est plus âgée que dans le roman. Elle est convaincue de vouloir se marier avec Danceny, lui n’est par contre pas pressé. Celui-ci n’est d’ailleurs pas son professeur mais simplement son petit ami. Toutes ces différences par rapport au roman ne donnent pas l’impression d’un amour puéril et innocent entre une adolescente et son professeur, mais plutôt d’un banal problème entre deux jeunes adultes. D’ailleurs, quand Cécile trompe Danceny sous la contrainte de Valmont, elle est un peu dégoûtée au départ mais n’en souffre pas trop, elle finit par se sentir femme grâce à cet amant dont elle ne voulait pas, n’a pas l’air de s’inquiéter plus que ça de sa grossesse et sourit fièrement à la fin du film en sortant du procès. Son jeu n’est pas assez accentué, et son personnage finit par être un peu fade et ennuyeux. Un autre aspect du film est celui du «comique malgré lui». En effet, les scènes où Valmont meurt d’un coup porté à la tête, et où Marianne prend feu nous paraissent complètement ridicules et désuètes. Bien sûr, on ne disposait pas encore des effets spéciaux d’aujourd’hui, et ce ridicule est donc en partie dû à nos yeux avertis de spectateurs du XXIème siècle. Mais cet enchaînement d’incidents mortels à la fin du film semble réellement tiré par les cheveux et les symboles qu’ils représentent, un peu trop évidents. Dans le roman, il est en effet mentionné que Merteuil va être défigurée par la petite vérole, et que «la maladie l’avait retournée, et qu’à présent son âme était sur sa figure»1. La vérole étant quelque chose de probable à cette époque, cette circonstance apparaît uniquement comme une ironie du destin, tandis que lorsque Merteuil s’enflamme en brûlant des lettres compromettantes, cela n’est plus très naturel et semble avoir été créé exprès pour correspondre au roman. Nous pouvons ici rappeler que Frears, ne fait aucune mention d’un épisode semblable dans 1 Extrait de la lettre CLXXV du roman de Laclos 47 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube son film, mais sa mise en scène audacieuse et la moue parfaitement appropriée de Glenn Close dans la dernière scène suffisent à la défigurer. Ce que l’on peut aussi remarquer dans cette adaptation, c’est le fait que Vadim utilise beaucoup les lettres. Cécile et Danceny s’en écrivent, c’est d’ailleurs une lettre de Danceny accompagné d’une cassette audio qui va servir de prétexte à Valmont pour entrer dans la chambre de Cécile et abuser de sa faiblesse1. La correspondance entre Valmont et Merteuil va permettre à celui-ci de la rendre jalouse en lui racontant sa conquête de Marianne. C’est ensuite cela qui va donner envie à Merteuil de séduire Danceny pour rendre à son tour Valmont jaloux. C’est aussi une lettre qui va faire perdre la tête à Danceny et l’amener à tuer Valmont2. Et c’est encore en essayant de brûler les lettres qui sont preuve de sa culpabilité dans l’affaire, que Merteuil va se brûler et perdre la face devant tout le monde. Les lettres sont donc au cœur de l’intrigue et permettent le déclenchement des actions principales du film. On peut donc dire que de ce point de vue là, Vadim est très fidèle au roman. 1 En effet, Valmont lui propose de laisser sa porte ouverte pendant la nuit, pour pouvoir y déposer un magnétophone. 2 Merteuil montre à Danceny la lettre que Valmont lui a écrite et qui raconte ses ébats avec Cécile. 48 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube 6.2 Sexe intentions Cette version des Liaisons dangereuses est la plus récente, étant donné qu’elle date de 1999. Elle met en scène des personnages tous plus jeunes que ceux des autres versions et dans un contexte qui nous est contemporain. Cependant, malgré son style différent, elle est très semblable au roman et aux autres adaptations, plus particulièrement à celle de Frears dont nous avons presque l’impression de revoir des scènes simplement actualisées. Nous pouvons tout de même observer que, malgré le modernisme de ce film, il y a un rappel de l’époque du roman au niveau des costumes, notamment le corset de Kathryn ou la gabardine que Sebastian porte à la fin du film, ainsi qu’au niveau des décors de la maison des Valmont par exemple. Un deuxième clin d’œil aux versions antérieures est fait car l’actrice qui joue la psychologue au début du film (Le Dr. Regina Greenbaum) est la même que celle qui joue Madame de Volanges dans le film de Frears: Swoosy Kurtz. L’histoire est bien entendu toujours la même bien qu’on lui ait ajouté des détails en rapport avec les problèmes de société actuels tels que la drogue, le racisme, l’homophobie. Il montre aussi que certaines choses ont très peu évolué comme l’importance de l’apparence et le statut de la femme: la guerre des sexes entre Valmont et Merteuil montrée dans les versions anciennes se retrouve dans celle-ci. Cette histoire n’est pas très vraisemblable car des adolescents de cet âge ne peuvent pas être si crus et si manipulateurs. Nous rentrons donc dans un extrême ce qui donne une impression de caricature: tout est accentué. Un autre extrême est le rôle de Cécile: elle joue trop à l’enfant, ce qui enlève de la crédibilité à son personnage. Le réalisateur dit d’ailleurs dans la version commentée du film qu’il n’aurait pas imaginé un «môme» pour ce personnage mais plutôt une «vierge candide», même s’il avoue être content malgré tout de cette interprétation. Nous nous permettons d’ajouter que, de manière générale, le jeu des acteurs dans ce film n’est pas très bon. De plus, nous pouvons dire que ce film s’adresse plutôt à un public d’adolescents en quête d’histoires de leur âge et d’un peu d’érotisme. Il peut aussi paraître original au spectateur plus âgé mais qui ne connaîtrait pas l’histoire dont il est tiré. Cependant, pour celui qui la connaît déjà, ce film n’a que peu d’intérêt car le suspens est faible. 49 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube Tout y est très prévisible et quelque peu cliché, contrairement aux versions de Frears et de Forman qui ont réussi à éviter ces effets. Cette adaptation-là est donc décevante. Il est toutefois intéressant de citer une phrase qu’a prononcée le réalisateur à propos de son film: «Dix phrases environ sont tirées d’un roman du XVIIIème siècle qu’on a transformé en 99 en drame pour jeunes, ce qui prouve le génie du roman.»1 Ceci confirme tout d’abord ce que nous avons avancé à propos de la catégorie de public à qui s’adresse le film. En outre, il souligne sa source d’inspiration ce qui nous amène à nous poser la question suivante: pour quelle raison tant de réalisateurs se sont penchés sur cette œuvre pour la retranscrire au cinéma? La première raison, et la plus évidente, est sans doute qu’elle est l’une des grandes œuvres de la littérature française. Kumble l’évoque d’ailleurs en parlant du «génie du roman». La modernité de la problématique de l’histoire est aussi intéressante car elle touche le public actuel étant donné qu’il peut s’y retrouver, aussi bien dans cette version contemporaine que dans les versions anciennes. De plus, l’intrigue et le suspens y sont soutenus, beaucoup d’actions sont décrites et le fait qu’elles soient contées au lecteur par le biais de lettres lui procure déjà une impression semblable au visionnage d’un film. Les forts caractères des personnages et les situations romanesques dans lesquelles ils se retrouvent donnent un aspect théâtral au livre, ce qui attire probablement les réalisateurs. Nous pourrions enfin penser que le style épistolaire de ce roman a représenté un chalenge pour les scénaristes. Le nombre de ses adaptations reste toutefois très important et leur diversité est remarquable. 1 Dixit Roger Kumble, réalisateur de Sexe intention, extrait de la version commentée du film 50 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube 7. Conclusions 7.1 Comment transparaît le roman épistolaire dans les adaptations • Frears Dans l’adaptation de Frears, on peut remarquer plusieurs choses intéressantes par rapport à sa manière d’utiliser les lettres. La correspondance entre Cécile et Danceny est conservée. Il n’y a en effet pas meilleur moyen de refléter le jeu de séduction pudique qui anime ces adolescents, que cet échange de lettres innocent et romantique caché à la mère de Cécile. De plus, cette correspondance permet à Merteuil et Valmont de s’emparer de leurs jouets respectifs et de les manipuler en dictant leurs lettres. Des dialogues n’auraient jamais permis une telle intrusion dans leur relation. Mais l’ironie du sort veut que lorsque Madame de Volanges découvre les lettres d’amour, elle décide sur le conseil de Merteuil d’aller chez Madame de Rosemonde, pour éloigner Cécile de Danceny. Elle ne s’imagine pas qu’elle est en train de remettre sa fille dans les bras de l’ennemi, puisqu’en effet Valmont l’y attend sagement pour détourner sa fille du droit chemin. Cette correspondance secrète a donc bien vite montré le revers de la médaille. Cela va se confirmer, car en prétextant le devoir de lui remettre les lettres de Danceny en toute discrétion, Valmont fait un double de la clé de la chambre de Cécile et en profite pour y entrer pendant la nuit… Pour boucler la boucle, Cécile finira par écrire une lettre à Danceny appuyée sur le dos de Valmont! Cette correspondance est donc réellement comme une clé maléfique qui ouvre les portes à la perversion! La correspondance entre Merteuil et Valmont est, quant à elle, le plus souvent remplacée par des dialogues. Etant les personnages principaux, il était beaucoup plus intéressant pour le spectateur d’assister à des face à face, qui plus est prenants car menés par deux fortes personnalités. C’est autour de ces dialogues que vont se construire les principaux complots. L’unique lettre que Merteuil exige clairement de Valmont est la preuve écrite de la main de Tourvel, ce qui donne évidement tout l’aspect de défi et permet à Merteuil de s’offrir en récompense. Cette lettre est donc 51 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube un élément conclusif dans le trio Merteuil-Valmont-Tourvel. On suppose que d’autres lettres ont été écrites, car à la fin du film, lors du duel, Valmont tend à Danceny une liasse épaisse de lettres échangées entre Merteuil et lui1. D’ailleurs cet épisode est encore un moment charnière où les lettres sont un élément déclencheur de ce qui va suivre. La correspondance entre Valmont et Tourvel n’est intéressante pour le réalisateur que quand les deux personnages sont éloignés géographiquement l’un de l’autre. Sinon, il est évidemment bien plus intéressant de voir Valmont à l’œuvre face à Tourvel qui n’est pas prête à se laisser faire. Les deux personnalités sont tellement opposées, qu’on ne peut que se réjouir de voir comment ils s’expriment avec leur corps l’un en face de l’autre. Mais les lettres jouent quand même un rôle essentiel au début, car Valmont remet ses lettres à la présidente, et c’est grâce à cela qu’il se retrouve en tête-à-tête avec elle et lui avoue son amour. Ensuite, après qu’il a quitté le château, il lui écrit une lettre, en utilisant pour table son amante du moment. Cette scène où la lettre est encore au cœur de l’action est époustouflante car elle montre très clairement le double jeu que mène habilement Valmont, et les métaphores qu’il emploie comme : « […] la table sur laquelle j’écris, est mouillée par l’émotion que j’éprouve, cependant malgré les tourments du délire qui dévorent mes sens et qui m’empêchent de fermer l’œil, je vous assure que dans ce moment je suis cent fois plus heureux que vous.» 2 Cette lettre est d’ailleurs reprise, à peu de choses près, de la lettre XLVIII du roman de Laclos. Le spectateur, tout comme le lecteur, est le seul à être conscient du double sens de ces phrases perverses et donc Frears a eu raison de reprendre cette lettre comme prétexte à montrer le jeu caché de Valmont. La correspondance entre Volanges et Tourvel permet le début d’une nouvelle intrigue. Valmont, après avoir fait subtiliser les lettres que reçoit et écrit Tourvel, découvre que c’est Volanges qui écrit des médisances sur lui et assombrit sa réputation auprès de Tourvel. Cela le fait enrager, et c’est à partir de là qu’il décide de se venger de Volanges et d’accepter la requête première de Merteuil qui est de séduire Cécile pour qu’elle ne soit plus vierge lors de son mariage. Cette lettre est alors essentielle, et le réalisateur ne pouvait pas s’en passer à moins de transformer l’intrigue. 1 2 Cf. analyse du duel, p. 37 Dixit Valmont dans Les Liaisons dangereuses, de Frears 52 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube On peut donc en conclure que Frears utilise les lettres comme base et clé de toute l’intrigue, rendant fidèlement l’importance qu’elles ont chez Laclos. • Forman Dans cette adaptation, Forman utilise parfois les lettres sans autre but que de les utiliser, contrairement au film de Frears où chaque lettre est la cause ou l’effet d’une action. La correspondance entre Cécile et Danceny est conservée pour les mêmes raisons que chez Frears. C’est-à-dire pour le jeu de séduction en cachette et pour les manipulations de Valmont et Merteuil. Sauf que lorsque Madame de Volanges découvre les lettres, elle décide de renvoyer Danceny, et c’est après son renvoi que Danceny croise Merteuil et qu’ils organisent un rendez-vous pour que Cécile puisse passer une soirée en tête-à-tête avec lui. Ce tête-à-tête est d’ailleurs un sommet de ridicule, car les deux adolescents arrivent chacun avec une lettre pour l’autre, et les lisent côte à côte. Ensuite, Danceny lui chante une chanson dont il a composé les paroles et Cécile l’accompagne à la harpe, le tout prenant l’allure d’un cours de musique. Les lettres, dans cet épisode, ne sont donc qu’une entrave à leur relation, comme s’ils n’arrivaient pas à se parler autrement que par leur intermédiaire. Ensuite par contre, Valmont dicte à Cécile une lettre pour Danceny et c’est à ce moment qu’il profite d’elle. Cette lettre sera un prétexte pour entrer dans sa chambre et être seul avec elle. Comme chez Frears, la correspondance se transforme en arme qui se retourne contre les épistoliers. Plus tard, Valmont dicte une lettre à Cécile pour Danceny dans laquelle il lui fait dire que, suivant les conseils avertis de Merteuil, elle se mariera avec Gercourt et gardera Danceny pour amant. En fait, par cette lettre, Valmont cherche indirectement à se venger de Merteuil: il prévoit que Danceny ira reprocher à Merteuil d’avoir conseiller cela à Cécile. Danceny dicte donc une lettre à Merteuil pour Cécile en la menaçant avec une épée. On ne sait pas ce que devient cette lettre car on ne verra jamais Merteuil conseiller à Cécile d’épouser Danceny. C’est donc une lettre utilisée un peu superficiellement et sans suite réelle dans l’histoire, une lettre dans le vide. De plus, cet épisode est très invraisemblable dans l’esprit de Laclos et rend la scène encore une fois ridicule. 53 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube Aucune lettre n’est échangée entre Merteuil et Valmont, pour les mêmes raisons que chez Frears. Cependant la preuve de l’affaire Tourvel manque. Même si le pari est toujours présent avec ses récompenses, le fait qu’il n’y ait pas de preuve exigée enlève l’aspect formel qui lui donnait du poids. Le pari est minimisé, et lorsque la déclaration de guerre survient, le spectateur l’a presque déjà oublié. De plus, cette preuve écrite était l’un des éléments clés du roman de Laclos, car il permettait à Merteuil d’avoir le contrôle sur ce qui se passait entre Tourvel et Valmont. Il nous semble que c’est une infidélité grave au roman. Tourvel correspond avec une de ses amies dont le lecteur averti peut supposer que c’est Madame de Volanges. Mais lorsque Tourvel lit un passage d’une de ces lettres à Valmont, qui le concerne et médit de lui, on ne sait pas clairement que c’est Volanges qui l’a écrite. Cela pourrait sembler sans importance, pourtant dans le roman, c’est à cause du fait que Volanges a écrit à Tourvel qu’il fallait éviter Valmont, que celui-ci, fou de rage, veut se venger d’elle et décide d’aller dépuceler Cécile. C’est de nouveau une infidélité au roman, qui en outre rend incompréhensible le fait que tout d’un coup Valmont décide de s’attaquer à la petite Cécile. Ici donc, la lettre est utilisée de manière superficielle, car elle semble être la raison de la rage de Valmont mais ne justifie pas ce qui se passe ensuite. Il y a donc une coupure dans la suite logique des événements qui rend l’histoire moins unifiée et donc enlève cette impression de domino infernal qui règne chez Laclos. Plus tard, lorsque Valmont est chez Tourvel, celle-ci a la folie d’écrire à son mari pour l’informer de ce qui se passe avec Valmont. Cela effraie Valmont qui se sent emprisonné par cet acte officiel qui l’engage vis-à-vis de Tourvel. En effet, maintenant que son mari n’est plus de la partie, il se sent comme obligé de prendre le relais et de jouer au mari, ce qu’il ne souhaite surtout pas. Certainement aussi que, comme il le disait au début, le fait que Tourvel soit mariée et heureuse dans son mariage constituait la plus grande partie du défi. Valmont fuit avec la plus grande des lâchetés. Cette lettre qui n’apparaît ni dans le livre, ni chez Frears, semble encore une fois un peu déplacée. Dans le roman, Tourvel n’aurait jamais osé faire une chose pareille. Le fait d’avoir un amant semble déjà pour elle être une situation assez insoutenable, alors de là à l’avouer à son mari… De plus cela donne l’impression chez Forman que Valmont la quitte car il a peur de cet engagement, alors que dans le 54 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube livre il le fait poussé par Merteuil et sa propre fierté. Il ne supporte pas l’idée d’être amoureux, cela lui fait honte. Cela rend le problème beaucoup plus profond qu’une peur banale de l’engagement. La dernière lettre qui apparaît dans ce film est celle que Merteuil reçoit dans son bain lorsqu’elle est en compagnie de Valmont. On ne saura pas de qui elle provient, d’un amant sûrement, probablement Danceny. Quoi qu’il en soit, elle ne veut pas la montrer à Valmont mais finit par la lui donner, après l’avoir trempé dans son bain de manière à ce qu’on ne puisse plus lire1… Suite à la promesse de récompense au pari non tenue et à ce geste de provocation, Valmont et Merteuil vont se déclarer la guerre. Mais encore une fois cette lettre n’a pas grande importance là-dedans, elle n’est que la goutte d’eau qui fait déborder le bain. Forman n’utilise donc pas les lettres de la manière la plus rentable à l’intrigue, beaucoup d’entre elles ne font pas réellement avancer l’histoire et bien d’autres manquent au tableau. On a l’impression qu’il les utilise davantage pour rappeler qu’il s’inspire d’un roman épistolaire que pour leur intérêt en tant que clés du complot. 1 Cf. analyse de la déclaration de guerre, p. 29 55 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube 7.2 Conclusion Nous avons réalisé à quel point il est difficile de déterminer des critères pour juger de la réussite d’une adaptation. Il faut que l’œuvre cinématographique soit bonne en elle-même, mais un bon film ne fait pas forcément une bonne transposition. Le réalisateur peut prendre beaucoup de libertés car la transposition est surtout une question d’impressions, de message, de sentiments éprouvés par le spectateur, et non de détails. On peut expliquer la magie du roman de Laclos par l’immense domino qui se cache sous le récit, cette intrigue calculée où chaque élément est cause ou effet d’un autre, ou rien n’est laissé au hasard. Et comme dans un puzzle, il ne faut pas en perdre une seule pièce au risque de perdre la force que produisent toutes les pièces réunies. Le réalisateur est donc, à notre avis, contraint à garder toutes les grandes lignes de l’intrigue pour pouvoir y rester fidèle. Il faut donc qu’il fasse attention à ne supprimer aucune des pièces essentielles du puzzle, par contre il peut en rajouter certaines si celles-ci se fondent suffisamment bien dans l’intrigue de base. Les deux réalisateurs ont décidé de rajouter la scène du duel, par exemple, pour les raisons que nous avons évoquées; mais Frears a réussi, car le tout semble réaliste, dans le ton dramatique, bref cette scène aurait pu être écrite par Laclos, tandis que Forman, comme nous l’avons souligné plusieurs fois, a choisi de la mettre en scène de manière comique, ce qui ne correspond plus du tout au ton ni à l’esprit de Laclos. Il n’est donc pas possible de dire qu’il faut ou que c’est interdit de rajouter une scène, car cela dépend de la manière dont elle s’intègre au reste de l’œuvre. D’autre part, nous avons remarqué, au fil de notre travail, que le roman de Laclos était, par son genre, prédisposé à être adapté. En effet, le roman est d’un genre très théâtral, une comédie dramatique, avec des personnages à la limite de la caricature, dans un décor ou la société elle-même est un théâtre d’apparence et d’hypocrisie. Durant tout le roman, il y a vraiment l’idée d’une scène où se passe l’action officielle, et puis il y a les coulisses où se cachent les véritables identités de Merteuil et Valmont et de leurs complots. De plus, le roman épistolaire n’est pas seulement un mode de narration pour Laclos, mais le cœur même de toute l’intrigue. Les lettres se transforment en clés, en armes déclenchant les actions. C’est cela qui a permis aux 56 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube réalisateurs de les intégrer beaucoup plus facilement. Evidemment, notre jugement demeure subjectif mais il est devenu plus sévère après avoir vu l’adaptation de Frears, qui nous est restée en tête comme un exemple parfait de réussite. C’est à partir de cette œuvre que nous avons, consciemment ou non, défini quelques critères et jugé de la réussite des autres œuvres. Nous l’avons donc particulièrement étudiée pour comprendre en quoi elle était la meilleure. Nous en sommes arrivées à la conclusion que le côté dramatique est essentiel pour faire passer le message de Laclos. La comédie donne un ton trop léger, et fait perdre à Laclos la profondeur de sa morale. Ensuite, l’époque de Laclos est définitivement la seule qui sied à cette histoire. Cela ajoute un intérêt, car voir un film d’une autre époque est plus captivant et moins banal. De plus, les thèmes des versions plus modernes, comme le racisme, l’homosexualité, et même le thème du mariage dans le Vadim, sont intéressants certes, mais déplacent trop la problématique de Laclos. Le troisième point essentiel est le choix des acteurs, car ceux-ci doivent être aptes à jouer avec la psychologie des épistoliers de manières à refléter ce qu’ils sont, comme le font les lettres dans le roman. Mais ce que l’on recherche dans une adaptation est la même chose que ce que l’on espère d’un bon acteur: on attend de tous deux qu’ils retranscrivent à leur manière un récit pour l’un, et un sentiment par exemple pour l’autre. Cependant, tout comme on ne doit pas percevoir le jeu d’un acteur lorsqu’il incarne un personnage apeuré, on ne doit jamais sentir qu’une adaptation en est une. Semblable à la vision d’un livre à travers l’image, l’adaptation doit nous laisser sentir inconsciemment la présence de l’œuvre qu’elle transcrit, comme si elle voulait permettre au spectateur curieux de découvrir cette œuvre tel un marionnettiste caché derrière le rideau et responsable de tous les mouvements du réalisateur. 57 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube 8. Bibliographie J. VINEYARD et J. CRUZ, Les plans du cinéma, les grands effets de cinéma que tout réalisateur doit connaître, Eyrolles, 2004 J.-M. CLERC et M. CARCAUD-MACAIRE, L’adaptation cinématographique, 50 questions, Klincksiek J. JEAN, Les Liaisons dangereuses (Balises n°51), France, Nathan, 2002 E. Lièvre, Les Liaisons dangereuses (connaissance d’une œuvre n°22), Bréal, 1998 http://www.imdb.com http://www.artnet.com/Magazine/features/davis/Images/davis12-22-9.jpg http://members.iconn.net/~ab234/Plays/Les_Liaisons_Dangereuses/LLDHamptonbio .html http://www.lirecreer.org/biblio/comptines/jeanlune/ http://www.paroles.net/chansons/10174.htm Illustration de la page de titre : MAGRITTE, Les Amants (1928) 58 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube 9. Annexes 9.1 Jean de la Lune1 Paroles de Adrien Pagès sur une mélodie plus ancienne d'origine inconnue. Par une tiède nuit de printemps, Il y a bien de cela cent ans Que sous un brin de persil sans bruit Tout menu naquit Jean de la Lune, Jean de la Lune ! Il était gros comme un champignon Frêle, délicat, petit, mignon Et jaune et vert comme un perroquet Avait bon caquet, Jean de la Lune, Jean de la Lune ! Pour canne, il avait un cure-dents Clignait de l'oeil, marchait en boitant Et demeurait en toute saison Dans un potiron Jean de la Lune, Jean de la Lune ! On le voyait passer quelquefois Dans un coupé grand comme une noix Et que le long des sentiers fleuris Traînaient deux souris Jean de la Lune, Jean de la Lune ! Quand il se risquait à travers bois De loin, de près, de tous les endroits Merles, bouvreuils, sur leur mirliton Répétaient en rond : Jean de la Lune, Jean de la Lune ! Quand il mourut, chacun le pleura Dans son potiron, on l'enterra Et sur sa tombe l'on écrivit Sur la croix, ci-gît : Jean de la Lune, Jean de la Lune ! 1 http://www.lirecreer.org/biblio/comptines/jeanlune/ 59 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube 9.2 A la volette1 Chanson enfantine Mon petit oiseau A pris sa volée Mon petit oiseau A pris sa volée A pris sa A la volette A pris sa A la volette A pris sa volée Est allée se mettre Sur un oranger Sur un o A la volette Sur un oranger La branche était sèche Elle s'est cassée Mon petit oiseau Où t'es-tu blessé ? Me suis cassé l'aile Et tordu le pied Mon petit oiseau Veux-tu te soigner ? Je veux me soigner Et me marier Me marier bien vite Sur un oranger. 1 http://www.paroles.net/chansons/10174.htm 60 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube 9.3 Extraits • Extrait du roman de Laclos : Lettre LXXXIII, de Merteuil à Valmont « […] Quand je vous accorderais autant de talents qu’à nous, de combien encore ne devrions-nous pas vous surpasser, par la nécessité où nous sommes d’en faire un continuel usage ! […] si, au milieu de ces révolutions fréquentes, ma réputation s’est pourtant conservée pure ; n’avez-vous pas dû en conclure que, née pour venger mon sexe et maîtriser le vôtre, j’avais su me créer des moyens inconnus jusqu’à moi ? […] Entrée dans le monde dans le temps où, fille encore, j’étais vouée par état au silence et à l’inaction, j’ai su en profiter pour observer et réfléchir. Tandis qu’on me croyait étourdie ou distraite, écoutant peu à la vérité les discours qu’on s’empressait à me tenir, je recueillais avec soin ceux qu’on cherchait à me cacher. […] Ressentais-je quelque chagrin, je m’étudiais à prendre l’air de la sérénité, même celui de la joie ; j’ai porté le zèle jusqu’à me causer des douleurs volontaires, pour chercher pendant ce temps l’expression du plaisir. […] C’est ainsi que j’ai su prendre sur ma physionomie, cette puissance dont je vous ai vu quelquefois si étonné. […] Ma tête seule fermentait ; je ne désirais pas de jouir, je voulais savoir ; le désir de m’instruire m’en suggéra les moyens. […] J’étudiai nos mœurs dans les Romans ; nos opinions dans les Philosophes ; je cherchai même dans les Moralistes les plus sévères ce qu’ils exigeaient de nous, et je m’assurai ainsi de ce qu’on pouvait faire, de ce qu’on devait penser, et de ce qu’il fallait paraître. […] Mon premier soin fut d’acquérir le renom d’invisible. Pour y parvenir, les hommes qui ne me plaisaient point furent toujours les seuls dont j’eus l’air d’accepter les hommages. […] » • Extrait du dialogue entre Merteuil et Valmont dans le Frears – J’aimerais beaucoup savoir ce qui vous a rendu tellement inventive. – Mais a-t-on le choix si l’on est une simple femme ? Une femme est obligée d’avoir bien plus de talent que vous, messieurs. Un homme ruine notre réputation avec quelques petites phrases bien venimeuses, c’est pourquoi j’ai dû inventer la femme que je suis, et puis surtout des échappatoires inédites pour me garantir contre votre pouvoir. Si j’ai réussi, c’est parce que je savais que je suis venue au monde afin de dominer votre sexe et de venger enfin le nôtre. 61 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube – Oui… mais par quelle méthode ? – Quand j’ai fait mon entrée dans la société, j’avais 15 ans. Je savais déjà quel était le rôle qu’on m’assignait pour le reste de mes jours : me taire et faire ce qu’on m’ordonnait. Cela m’a permis d’apprendre à écouter, sentir, observer. Oh, je me moquais bien de ce qu’on me disait ! Cela n’avait aucun intérêt. Mas je m’exerçais à voir ce qu’on essayait de cacher. Je pratiquais le détachement. J’étais entraînée à sourire, pendant que sous la table j’enfonçais une fourchette entre la peau et mes ongles. Je devins très vite une virtuose de l’hypocrisie. Ce n’était pas le plaisir que je voulais atteindre mais la connaissance. Je consultais d’austères moralistes pour acquérir le maintien, des philosophes pour apprendre à réfléchir, et des auteurs pour voir dans leurs romans jusqu’où je pouvais aller. Et tout cela je l’ai distillé en un unique et merveilleux précepte : vaincre ou mourir, pas d’autre choix. – Vous êtes infaillible alors. – Si je veux un amant, je le prends. S’il veut s’en glorifier, il s’y cassera les dents. C’est là toute l’histoire. 62 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube 9.3 Fiches techniques Les Liaisons dangereuses (1988) Titre original : Dangerous Liaisons Réalisateur : Stephen Frears Scénario: Christopher Hampton, d’après la pièce et le roman de Laclos Producteurs : Norma Heyman, Hank Moonjean Photographie: Philippe Rousselot Décors : Stuart Craig Costumes : James Acheson Musique: George Fenton Interprètes: Glenn Close John Malkovitch Michelle Pfeiffer Uma Thurman Swoosie Kurtz Keanu Reeves Mildred Natwick Oscars: Norma Heyman, Hank Moonjean (meilleur film) Christopher Hampton (scénario) Stuart Craig, Gérard James (direction artistique) James Acheson (costumes) Merteuil Valmont Tourvel Cécile de Volanges Madame de Volanges Danceny Madame de Rosemonde 63 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube Valmont (1989) Titre original : Valmont Réalisateur : Milos Forman Scénario : Jean-Claude Carrière, Milos Forman, d’après le roman de Laclos Producteurs : Michael Hausman, Paul Rassam Photographie : Miroslav Ondrìcek Décors : Pierre Guffroy Costumes : Theodor Pistek Musique : Christopher Palmer Interprètes : Annette Bening Colin Firth Meg Tilly Fairuza Balk Sian Phillips Jeffrey Jones Henry Thomas Fabia Drake Merteuil Valmont Tourvel Cécile de Volanges Madame de Volanges Gercourt Danceny Madame de Rosemonde 64 Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube Les Liaisons dangereuses 1960 (1959) Titre original : Les Liaisons dangereuses 1960 Réalisateur : Roger Vadim Scénario : Claude Brulé, Roger Vailland, Roger Vadim, d’après Laclos Producteurs : Edmond Ténoudji, Les Films Marceau Photographie : Marcel Grignon Décors : Robert Guisgand Costumes : Gladys de Segonzac Musique : James Campbell, Duke Jordan, Thelonious Monk Interprètes : Jeanne Moreau Gérard Philipe Annette Vadim Jeanne Valérie Simone Renant Nicolas Vogel Boris Vian Paquita Thomas Jean-Louis Trintignant 65 Juliette de Mertreuil Vicomte de Valmont Marianne Tourvel Cécile Volanges Mme Volanges Court Prévan Nicole Danceny Les Liaisons dangereuses, du roman aux films Caroline Jankech et Chloé Traube Sexe Intentions (1999) Titre original : Cruel Intentions Réalisateur : Roger Kumble Scénario : Roger Kumble, d’après le roman de Laclos Producteur: Neal H. Moritz Photographie : Theo van de Sande Décors : Jon Garry Steele Costumes: Denise Wingate Musique : Edward Shearmur Interprètes : Sarah Michelle Gellar Ryan Phillippe Reese Witherspoon Selma Blair Christine Baranski Sean Patrick Thomas Louise Fletcher 66 Kathryn Merteuil Sebastian Valmont Annette Hargrove Cecil Caldwell Bunny Caldwell Ronald Clifford Helen Rosemond